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37 La Météorologie - n° 55 - novembre 2006 Paléoclimatologie La glace Antarctique : un livre sur le climat passé de la planète Barbara Delmonte Université Milano-Bicocca - Piazza della Scienza, 1 - 20126 Milano - Italie [email protected] Résumé La glace dans les régions polaires est une archive des paléoclimats. Une carotte glaciaire forée sur le plateau Antarctique dans le cadre du projet européen Epica permet de remonter jusqu’à 740 000 ans. Son étude confirme les résultats obtenus à partir d’autres campagnes similaires et les enrichit de comparaisons. L’obser- vation des rapports isotopiques de certains éléments chimiques, et des quantités et tailles de particules soli- des contenus dans la glace, donne des indications sur les transports et flux atmosphériques passés dans et au voi- sinage de l’Antarctique. Abstract Antartic ice: a book about the past climate of Earth Ice in polar regions is a paleoclimatic archive. An ice core sampled on the Antartic Plateau in the framework of the European Epica Project goes back as much as 740,000 years. Its study confirms the results from other simi- lar campaigns and enhances them with comparisons. Observation of the isotopic ratios of some chemical ele- ments as well as of the quantities and sizes of solid particles from the ice core, gives information on past atmospheric transport and fluxes, within and near the Antarctic. L a reconstruction de l’histoire cli- matique de la Terre est essentielle pour comprendre les changements climatiques qui ont lieu dans le monde complexe actuel, mais aussi pour pré- voir les changements climatiques dans le monde à venir, dans lequel les équili- bres seront encore plus fragiles. Parmi les différentes archives naturelles qui concourent à produire une synthèse de l’évolution du climat, les carottes de glace prélevées au sein des calottes gla- ciaires représentent de formidables conservatoires d’information. En parti- culier, à l’intérieur du plateau Antarctique de l’Est où le taux d’accumulation de neige est extrêmement réduit, de grands forages dans la glace ont permis d’obte- nir des enregistrements continus de l’en- vironnement et du climat au cours du quaternaire moyen et supérieur. Les grands forages antarctiques On ne peut pas parler de grands forages en Antarctique sans évo- quer la carotte de Vostok (78° 28’ S, 106° 48’ E), issue d’une longue collabora- tion scientifique et tech- nique entre la France, la Russie et les États- Unis. L’enregistrement de Vostok couvre 420 000 ans (Petit et al., 1999) et représente la première grande récolte d’informations climatiques jamais obte- nue à partir de la glace. La prise de conscience, de la part de la communauté scientifique, du potentiel des archives glaciaires pour la recons- truction du paléoclimat a conduit ensuite à la création d’un certain nombre de projets de carottage, développés tou- jours dans un contexte de collaboration internationale. Depuis 1995, un projet européen de forage en Antarctique, nommé Epica (European Project for Ice Coring in Antarctica) a été créé afin de documenter l’histoire climatique sur deux secteurs différents de l’Antarctique, et de comparer ensuite avec les enregis- trements du Groenland et avec les séries climatiques des sédiments marins. Dix nations européennes participent à ce pro- jet, parmi lesquelles la France et l’Italie. Dans le cadre d’Epica, un premier forage a été effectué au site de Dôme C (EDC, 75° 06’ S, 123° 21’ E, secteur Pacifique- Indien), là où se trouve aujourd’hui la sta- tion permanente Concordia. Le carottage a produit le plus long enregistrement paléoclimatique glaciaire jamais obtenu, qui s’étend sur plus de 740 000 ans (Epica Community, 2004). Un deuxième forage est toujours en cours dans le cadre d’Epica, auprès de la station de Draunning Maud Land (75° 00’ S 4° 07’ E, secteur Atlantique), et les premiers résultats viennent de sortir. A m m q e d d d s s s s s u d v e l e - Z e A u l i e A f r i u e u s s O c é a n P a c i f i q u e O c é n I I I d i e n O c a n n n t l a t i e 60 ° S 45 ° S 90° W 90 ° E 180 ° 0 ° 4000 km VK VK DB D DB S KMS S S EDC E Est Ouest ues A Antarctique A A A i ue ar

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37La Météorologie - n° 55 - novembre 2006

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La glace Antarctique : un livre sur le climat passéde la planèteBarbara Delmonte Université Milano-Bicocca - Piazza della Scienza, 1 - 20126 Milano - [email protected]

RésuméLa glace dans les régions polaires estune archive des paléoclimats. Unecarotte glaciaire forée sur le plateauAntarctique dans le cadre du projeteuropéen Epica permet de remonterjusqu’à 740 000 ans. Son étudeconfirme les résultats obtenus à partird’autres campagnes similaires et lesenrichit de comparaisons. L’obser-vation des rapports isotopiques decertains éléments chimiques, et desquantités et tailles de particules soli-des contenus dans la glace, donne desindications sur les transports et fluxatmosphériques passés dans et au voi-sinage de l’Antarctique.

AbstractAntartic ice: a book about the pastclimate of Earth

Ice in polar regions is a paleoclimaticarchive. An ice core sampled on theAntartic Plateau in the framework ofthe European Epica Project goes backas much as 740,000 years. Its studyconfirms the results from other simi-lar campaigns and enhances themwith comparisons. Observation of theisotopic ratios of some chemical ele-ments as well as of the quantities andsizes of solid particles from the icecore, gives information on pastatmospheric transport and fluxes,within and near the Antarctic.

L a reconstruction de l’histoire cli-matique de la Terre est essentiellepour comprendre les changements

climatiques qui ont lieu dans le mondecomplexe actuel, mais aussi pour pré-voir les changements climatiques dansle monde à venir, dans lequel les équili-bres seront encore plus fragiles.

Parmi les différentes archives naturellesqui concourent à produire une synthèsede l’évolution du climat, les carottes deglace prélevées au sein des calottes gla-ciaires représentent de formidablesconservatoires d’information. En parti-culier, à l’intérieur du plateau Antarctiquede l’Est où le taux d’accumulation deneige est extrêmement réduit, de grandsforages dans la glace ont permis d’obte-nir des enregistrements continus de l’en-vironnement et du climat au cours duquaternaire moyen et supérieur.

Les grands foragesantarctiquesOn ne peut pas parler de grandsforages en Antarctique sans évo-quer la carotte de Vostok (78° 28’S, 106° 48’E), issued’une longue collabora-tion scientifique et tech-nique entre la France, laRussie et les États-Unis. L’enregistrementde Vostok couvre 420 000 ans (Petit etal., 1999) et représentela première granderécolte d’informationsclimatiques jamais obte-nue à partir de la glace. Laprise de conscience, de lapart de la communautéscientifique, du potentiel desarchives glaciaires pour la recons-truction du paléoclimat a conduit

ensuite à la création d’un certain nombrede projets de carottage, développés tou-jours dans un contexte de collaborationinternationale. Depuis 1995, un projeteuropéen de forage en Antarctique,nommé Epica (European Project for IceCoring in Antarctica) a été créé afin dedocumenter l’histoire climatique surdeux secteurs différents de l’Antarctique,et de comparer ensuite avec les enregis-trements du Groenland et avec les sériesclimatiques des sédiments marins. Dixnations européennes participent à ce pro-jet, parmi lesquelles la France et l’Italie.Dans le cadre d’Epica, un premier foragea été effectué au site de Dôme C (EDC,75° 06’ S, 123° 21’ E, secteur Pacifique-Indien), là où se trouve aujourd’hui la sta-tion permanente Concordia. Le carottagea produit le plus long enregistrementpaléoclimatique glaciaire jamais obtenu,qui s’étend sur plus de 740 000 ans(Epica Community, 2004). Un deuxièmeforage est toujours en cours dans le cadred’Epica, auprès de la station deDraunning Maud Land (75° 00’ S 4°07’ E, secteur Atlantique), et les premiersrésultats viennent de sortir.

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Le langage de la glaceLa glace est comme un livre qui nousparle du climat, avec son propre lan-gage, que les scientifiques ont petit àpetit décrypté. Les différents paramè-tres physico-chimiques mesurés consti-tuent en effet des indicateurs envi-ronnementaux bien spécif iques. Lareprésentativité spatiale de ces indica-teurs n’est pas limitée à l’aspect localou régional, mais elle s’étend à l’échellehémisphérique, voire planétaire.

Par exemple, les gaz emprisonnés dansles bulles d’air constituent un véritableéchantillon d’air fossile de la planète.Or, l’étude de la composition de l’at-mosphère ancienne, notamment enteneur de gaz carbonique et de méthane,est fondamentale (Petit et al., 1999) pourdémontrer que les changements clima-tiques associés à l’anthropocène(1) sontbien loin d’être purement naturels.Aussi, la mesure des isotopes de la glace(deutérium et oxygène 18) est un paléo-thermomètre qui permet d’estimer lesécarts de température, entre périodesglaciaires et interglaciaires par exemple.Piégées dans la glace, on trouve aussides poussières minérales très petites,dont la taille moyenne est environ millefois plus petite qu’un millimètre. Il s’agit principalement d’argiles, defeldspaths et de petits grains de quartzprovenant des régions continentales,notamment des régions les plus arides.Ces poussières peuvent rejoindre les

calottes polaires d’Antarctique et duGroenland après avoir été transportéessur de longs trajets par l’action du vent.La caractérisation de la variabilité tem-porelle du flux des poussières et de cellede leur taille moyenne représente unoutil indispensable pour comprendre leschangements de circulation atmosphé-rique au cours du temps ainsi que leschangements des conditions environne-mentales aux régions sources. Il estdonc important, également, de connaîtrela provenance géographique des pous-sières éoliennes.

Le sujet de ma thèse porte sur l’étude dela variabilité climatique au cours du qua-ternaire supérieur, à partir des poussièreséoliennes archivées dans différentescarottes de glace prélevées au sein duplateau Antarctique de l’Est. La plupartdu travail a été focalisé sur la carotteEpica-Dôme C, mais d’importants résul-tats ont été obtenus des carottes deVostok (78° S, 106° E), Dôme B (77°05’ S, 94° 55’ E) et Komsomolskaia(KMS, 74° 05’S, 97° 29’E). L’utilisationde plusieurs carottes a l’avantage de per-mettre l’étude parallèle de l’extensionspatiale et temporelle des changementsclimatiques. D’importantes informationssur la circulation atmosphérique auxhautes latitudes de l’hémisphère Sud ontété obtenues, ainsi que des informationssur les conditions environnementales auxrégions sources et sur le cycle hydrolo-gique dans l’atmosphère.

Une technique physique (CoulterCounter) a permis d’analyser à hauterésolution temporelle les paramètres deconcentration totale et de distributionen taille des aérosol minéraux dansl’eau provenant de la fonte des échan-tillons de glace. Ceux-ci ont été sélec-tionnés soigneusement sur la longueurdes carottes, qui va de quelques centai-nes à quelques milliers de mètres. Afinde caractériser la provenance géogra-phique des poussières, il a été indispen-sable de passer à une approchedifférente, du type géochimique, repo-sant sur la mesure des isotopes(2) dustrontium (87Sr/86Sr) et du néodyme(143Nd/144Nd) dans les poussières piégéesdans la glace. Déjà, dans les années1980, des océanographes (notammentFrancis Grousset à Bordeaux et PierreBiscaye aux États-Unis) avaient observéque cette signature isotopique pouvaitêtre utilisée comme traceur de prove-nance des sédiments au fond desocéans. Il s’agit, en d’autres termes, del’empreinte indélébile de la roche mèredont les sédiments sont issus. En 1992,la même approche fut appliquée parFrancis Grousset aux poussières éolien-

(1) Anthropocène est le nom donné par Crutzen etStoermer (Crutzen P. J. et E. F. Stoermer, 2000.The « Anthropocene ». IGBP Newsletter, 41, 17-18) à la nouvelle ère au cours de laquellel’homme et la nature font presque jeu égal dans lecontrôle de la terre, de l’air et de l’eau.(2) Les isotopes d’un même élément chimique ontle même nombre de protons dans leur noyau, maisune masse différente car ils n’ont pas le mêmenombre de neutrons. Certains isotopes sont sta-bles et ne se transforment pas ; certains sontradioactifs et se transforment en d’autres isotopesdans une durée de temps caractéristique.

nes dans la glace antarctique (Groussetet al., 1992), et le succès de ces premiè-res mesures a ouvert la route à des étu-des ultérieures, en particulier auxfructueuses recherches d’Isabelle Basile(Basile et al., 1997), dont ma thèsereprésente la poursuite.

(a) le bâtiment protégeant la tour de forage ;

(b) une carotte de glace EDC venant d’être extraite ;

(c) première phase de découpage transversal de la carotte à la scie. (Photos LGGE-CNRS)

Aperçu sur l’ère quaternaireLes grandes glaciations terrestres onteu lieu pendant l’ère quaternaire, uneappellation maintenant contestée, àcause des dif f icultés d’en situer ledébut (entre 1,5 et 2,5 millions d’an-nées av. J.-C. selon la méthode utilisée).On y place le pléistocène, entre 1,8 million d’années et 11 500 ans av.J.-C., période au cours de laquelle a eulieu une vingtaine de grandes glacia-tions. Le Dernier maximum glaciaire(DMG ) en marque la fin, et le débutde la période suivante, qui est celle oùnous vivons actuellement, l’holocène.À l’intérieur du pléistocène, on classeles phases glaciaires et interglaciairespar un numéro (pair pour les ères gla-ciaires et impair pour les ères intergla-ciaires). En ce qui concerne lemagnétisme, la période a été marquéepar un renversement de polarité entrele nord et le sud. La période magné-tique actuelle a commencé i l y a 780 000 ans et est appelée « Bruhnes ».

Le champ Epica à Dôme C (75° 06 ’S, 123° 21’ E) :

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La carotte Epica-Dôme C racontel’histoire climatiquedu quaternaire Plusieurs enregistrements climatiquescontinentaux et océaniques montrentqu’au quaternaire moyen et supérieur(derniers 900 000 ans environ), le cli-mat de la planète a connu des alternan-ces glaciaires/interglaciaires plusintenses qu’auparavant. Les donnéesisotopiques des sédiments marins (f igure 1d, issue de Bassinot et al.,1994) ont mis en évidence huit cyclesglaciaires/interglaciaires au cours duBrunhes. Ces cycles ont eu une portéeglobale, et ils ont été retrouvés dans demultiples enregistrements océaniqueset terrestres (alternances lœss-paléo-sols en Chine, par exemple). Il est doncévident que les mêmes structures peu-vent être observées dans l’enregistre-ment isotopique de la carotte EDC(figure 1a, Epica Community, 2004),qui est un indicateur de paléotempéra-ture au site. Chaque cycle correspond àune édification progressive de vastescalottes glaciaires, qui modifient lagéographie des terres non recouvertes,et qui se développent jusqu’au maxi-mum de leur possibilité, c’est-à-direjusqu’au moment où elles deviennentinstables. À partir de ce moment-là, lemoindre réchauffement peut déclen-cher une déglaciation rapide, qui setermine avec l’entrée dans une phase

interglaciaire. La forme générale d’uncycle climatique est donc fortementasymétrique, en dents de scie.

Variabilité de concentration et taille des poussièresL’étude de la teneur en poussières miné-rales dans la glace de Vostok (Petit et al.,1999) a déjà montré clairement une forteaugmentation du flux de poussières enAntarctique durant les époques glaciai-res, par rapport aux interglaciaires, pen-dant les derniers 420 000 ans. Lesanalyses conduites sur la carotte EDCont permis de le confirmer et de prolon-ger l’enregistrement sur 740 000 ansenviron. Il faut noter que le flux ex-trêmement réduit de poussières quicaractérise les interglaciaires (environ0,4-0,6 mg par mètre carré par an) faitque la mesure de ces échantillons esttrès délicate, et que des conditions delaboratoire extrêmement propres sontindispensables, les niveaux analysésétant parfois très proches des niveauxdes « blancs » de laboratoire.

La forte similarité entre l’enregistrementde Vostok et celui d’EDC a suggéré uneremarquable homogénéité du flux depoussières au sein du plateau Est Antarc-tique. La forte teneur en poussières

caractérisant les sta-des froids peut êtreattribuée principale-ment à l’augmentationdes surfaces continen-tales émergées (leniveau de la mer étaitplus bas), à la circula-tion atmosphériqueplus intense ainsi qu’àla production plus

Figure 1 - Enregistrement paléoclimatique de la carotte EDC obtenu au cours de ce travailde thèse. (a) Profil isotopique (Epica Community, 2004) montrant l’alternance de cycles glaciaires(numéros pairs) et interglaciaires (impairs) au cours des derniers 740 000 ans (lesannées les plus anciennes vers la droite). (b) Profil de concentration des poussières éoliennes dans la carotte EDC, reporté enéchelle logarithmique. On peut observer que les périodes glaciaires sont associées à uneaugmentation considérable de la teneur en poussières, environ d’un facteur 20 à 50 parrapport aux interglaciaires. (c) Concentration des poussières dans la carotte de Vostok sur les derniers 420 000 ans(Petit et al., 1999). La similarité entre l’enregistrement EDC et celui de Vostok est évi-dente, et suggère une homogénéité dans l’apport atmosphérique des poussières au seindu plateau Est-Antarctique. (d) Isotopes stables de l’oxygène dans les sédiments marins, indicateur du volume globaldes glaces (d’après Bassinot et al., 1994).La ligne jaune verticale marque le Mid-Brunhes Event (MBE, 420 000-430 000 ans av. J.-C. environ), à partir duquel les changements glaciaire-interglaciaire deviennent plus marqués.

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Figure 2 - Photographies de poussières minérales dansla carotte de glace EDC par microscope électronique àbalayage : (a) grain de quartz ; (b) argile ; (c)feldspath ; (d) particule volcanique. On peut observerune différence marquée entre les dimensions des par-ticules éoliennes continentales (a,b,c) et la particulevolcanique (d).

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Figure 3 - Distribution en taille des poussières éoliennes dans la glace (diamètre des poussières en regard du pourcentage en masse). On peut noterque tout changement de taille est très petit.

importante de poussières minérales paraction physique dans les régions périgla-ciaires. En plus, le cycle hydrologiqueétait réduit durant les périodes froides, cequi implique un lessivage atmosphériqueminime, et des conditions plus arides auxsources. Il y a donc des preuves d’uneproduction primaire (liée à la couverturevégétale, à l’érosion des sols, etc.) d’aé-rosol minéral globalement plus impor-

tante au cours des périodes glaciaires.Pour synthétiser, l’analyse de la concen-tration et du flux de poussières dans laglace donne en même temps des infor-mations liées à trois facteurs : la source,le cycle hydrologique et le transportatmosphérique.

L’identification de la contribution relativede chacun de ces trois facteurs est trèscompliquée, surtout parce qu’ils se com-binent de façon non linéaire. Cependant,grâce à la technique Coulter Counter per-mettant une analyse très fine de la tailledes poussières, on a trouvé un outil trèsefficace pour détecter les changementsliés au transport atmosphérique. Le dia-mètre de la plupart des particules minéra-les dans la glace Antarctique est comprisentre 1 et 5 microns (figures 2a, 2b, 2c etfigure 3), sauf en cas de poussières volca-niques déposées suite à des éruptionspuissantes qui ont eu lieu aux hautes lati-tudes sud. Dans ce dernier cas, destephras (1) dépassant 10 microns (figure 2d), parfois visibles, peuvent

rejoindre le plateau après un transport entroposphère(2). Au cours de ce travail,l’étude des changements en taille despoussières (soit dans le temps, soit dansl’espace) a permis d’obtenir des infor-mations cruciales concernant letransport et la circulation atmosphériquedans la région antarctique et circum-antarctique. Au site de Dôme C, lacarotte EDC a montré que les périodesfroides ou glaciaires sont caractériséespar des poussières très petites et que, enrevanche, les interglaciaires sont caracté-risées par des particules en moyenne plusgrosses. À chaque transition climatiqueglaciaire/ interglaciaire(3) pendant lesderniers 500 000 ans, on observe doncune nette augmentation de la taille despoussières (figure 4), qui est indicativeDiamè µm)

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(1) Matériaux projetés ou éjectés lors d’éruptionsparfois violentes, généralement associées au typede volcan explosif.(2) Si le sujet de mon travail de thèse a été l’aéro-sol minéral de fond ou d’origine continentale(non volcanique), une étude parallèle sur les cou-ches de cendres volcaniques dans la carotte EDCa été menée par B. Narcisi (Enea-Rome) et J. R.Petit (LGGE-CNRS, Grenoble). Après des annéesd’études, ils ont pu démontrer que la plupart destephras volcaniques qui arrivent à Dôme C pro-viennent des volcans d’Atlantique Sud (îlesSandwich du Sud, péninsule Antarctique et Andesméridionales). Cela est en accord avec lesconclusions de l’étude de Basile et al. (2001)menée sur la carotte de Vostok. Le transport à tra-vers les grands courants d’ouest apparaît donctrès efficace. (3) Les transitions glaciaires/interglaciaires sontnommées aussi « terminaisons », et elles sontnumérotées avec des chiffres romains.

Figure 4 - Les cinq dernières transitions glaciaires/interglaciaires (terminaisons) dans la carotte EDC. (a) Profil isotopique (Epica Community Members, 2004), avec les périodes interglaciaires marquées en jaune.(b) Concentration de poussières dans la glace. Il est possible d’observer, à chaque extrémité, une décroissancerapide (noter l’échelle logarithmique dans la figure).(c) La taille des poussières (CPP % = pourcentage des particules grosses sur la masse totale de l’échantillon)montre une augmentation en lien avec l’entrée du climat dans un stade interglaciaire.

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d’un changement important dans lerégime de transport. Pour ce qui concerneles transitions antérieures à 500 000 ansav. J.-C., on a observé la formation degros agrégats de poussières éoliennesdans la glace, et on considère donc que lamesure de la taille des poussières n’estpas suffisamment précise. Les causes dece phénomène, ainsi que ses mécanis-mes, sont encore en cours d’étude. Enabsence de phénomènes d’agrégation, lespoussières éoliennes apparaissent commedes petits grains bien séparés les uns desautres.

La taille moyenne de ces grains dépenddu temps de transport de la source aupuits. Toute augmentation (diminution)de taille est donc indicative d’un tempsde transport plus court (long). Cela, à sontour, peut découler d’un changementdans la trajectoire des poussières, d’unchangement de l’altitude à laquelle lespoussières sont transportées (les plusgrosses voyageant typiquement à des alti-tudes moins élevées) ou bien de ces deuxfacteurs en même temps. Ainsi, l’entréedu climat dans une phase interglaciaireest associée à un transport plus efficace(trajectoires plus courtes et/ou advectionde masses d’air de moyenne troposphère)vers Dôme C. Durant les périodes gla-ciaires, au contraire, les trajectoiresétaient probablement plus longues, et letransport atmosphérique favorable à desadvections de masses d’air de la hautetroposphère. On peut donc avancer l’hy-pothèse que la subsidence jouait un rôleimportant. Cet argument sera reprisensuite au sujet de la variabilité régionaledu transport.

La provenance géographique des poussièresL’approche utilisée dans ce travail pourdéterminer l’origine des poussières estla mesure de leur signature isotopique(87Sr/86Sr vs 143Nd/ 144Nd) et la comparai-son avec celle des sédiments éoliensspécif iquement prélevés dans lesrégions sources potentielles de l’hé-misphère austral.

Si l’on considère que la concentrationmoyenne des poussières dans la glaceAntarctique est très faible (de l’ordre dequelques ppb ou parties par milliard),surtout durant les interglaciaires (30 ppbenviron), et que l’extraction des poussiè-res implique nécessairement la perted’une fraction du matériel total (la récu-

pération moyenne étant proche à 60-70 %), on peut bien comprendre que laquantité de poussières finales extraites dela glace est extrêmement réduite (de l’or-dre de quelques dizaines de microgram-mes). Pour mesurer avec une grandeprécision les différentes masses d’unmême élément (isotopes), il a donc falluutiliser des instrumentations particulière-ment sensibles. Dans cette étude, pour lamesure des rapports isotopiques dans lessédiments collectés auprès des régionssources, les problèmes liés à la quantitéde matériel disponible sont généralementsecondaires, car on dispose de quelquesmilligrammes de sédiments. Les mesuresisotopiques sur les sédiments des sourcesont été effectuées auprès du Cerege(Centre européen de recherche et d’ensei-gnement des géosciences de l’environne-ment, Aix-en-Provence), à l’aide d’unspectromètre de masse à thermo-ionisa-tion (TI-MS). Il faut préciser qu’afin derendre la mesure des poussières éoliennescomparable à la mesure des sédimentsprélevés aux sources, ces derniers doiventêtre obligatoirement sélectionnés dans lafraction fine, inférieure à 5 microns. Pourla série de mesures des poussières ex-traites de la glace, on a utilisé un TI-MS(Institut Max Plank – MPI – Mayence,Allemagne) spécialement adapté parEmil Jagoutz (cosmochimiste au MPI)pour la mesure des rapports isotopiquessur de très faibles quantités de matière.

La figure 5 montre les champs isoto-piques construits à partir des mesures dessédiments prélevés aux sources et sur lespoussières dans la glace. Les mesuresreportées proviennent de quatre carottes

différentes (EDC, Vostok,Dôme B et KMS) pendant lespériodes glaciaires, et descarottes de Vostok et EDCpendant les interglaciaires.D’abord, on observe uneremarquable similarité entreles sites durant les périodesfroides et chaudes, ce qui faitpenser que les sources princi-pales de poussières sont lesmêmes sur le plateau, au

moins au sein du secteur Indien-Pacifique. On observe aussi que, durantles périodes glaciaires, les poussièresqui rejoignent l’Antarctique semblenttrès similaires aux sédiments d’Amé-rique du Sud. D’ailleurs, on a des évi-dences d’une intense activité éoliennedans les régions des pampas et dePatagonie, où d’importants dépôts delœss et de matériel éolien se sont accu-mulés au cours des périodes froides duquaternaire supérieur. La partie sudd’Amérique du Sud a donc fait l’objetd’un échantillonnage plus intense danscette étude. Les principaux sites d’échantillonnage (latitudes supérieures à 32° S) sont indiqués sur la figure 6

Figure 5 - Champs isotopiques (isotopes du strontium et du néodyme)des poussières éoliennes dans la glaceantarctique, pour les périodes glaciaireset interglaciaires (légendes et flèchesnoires sur la figure), et comparaisonavec les champs isotopiques des sédiments prélevés aux régions sources potentielles (légendes et flèches de couleur). Le nuage de points de chaque zone est marquépar un symbole ponctuel et une couleur différente.

Figure 6 - Carte de l’Amérique du Sud avec indicationdes sites d’échantillonnage des sédiments.

OcéanAtlantique

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Sites d'échantillonage

Îles Falkland

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Nouvelle-Zélande(Île du Sud)

Antarctique Est poussières éoliennes(glaciaires)

Australie

Terre Adélie(Antarctique)>>>

Amérique du Sud

NVL(Antarctique)

Vallées sèches

Antarctique Est poussières éoliennes(interglaciaires)

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Afrique du Sud

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La même question se pose pour lespériodes glaciaires les plus anciennes.De plus, est-ce que les sources des pous-sières sont les mêmes sur tout le plateau,y compris le secteur atlantique ? Pourrépondre à ces questions, des études etdes mesures ultérieures seront nécessai-res dans les années à venir.

La dernière transition climatiqueLa plus grande partie de ce travail dethèse a été focalisée sur l’étude de lavariabilité au cours de la dernière transi-tion climatique, qui définit le passagedu climat du Dernier maximum gla-ciaire (DMG) à l’holocène, l’intergla-ciaire où nous vivons aujourd’huidepuis 11 000 ans environ.

Il y a 20 000 ans, de grandes calottes deglace continentales recouvraient la plu-part des moyennes et hautes latitudes del’hémisphère Nord. Dans l’hémisphèreSud aussi, une calotte de glace se déve-loppait en Patagonie et, dans une moin-dre mesure, dans l’île du Sud deNouvelle-Zélande. Le volume de lacalotte antarctique était aussi beaucoupplus élevé qu’actuellement. L’accumu-lation d’eau sous forme de glace sur lescontinents contribuait à la baisse duniveau de la mer, qui était en moyenne120 mètres plus bas qu’à présent. Enconséquence, la géographie des conti-nents était bien différente : la plate-

forme continentale d’Argentine était enpartie découverte, la Tasmanie etl’Australie étaient unies par des liensterrestres. De nombreuses données pro-venant des sédiments marins indiquentque l’extension de la glace de mer, dumoins en hiver, était considérablementplus élevée qu’actuellement. Évidem-ment, ces conditions climatiques auDMG ont affecté les régimes dominantsde circulation atmosphérique dans larégion circumantarctique. Les gradientsméridiens étaient plus marqués et, géné-ralement, la circulation plus zonale. Levortex polaire et les phénomènes desubsidence étaient plus prononcés sur leplateau Est antarctique.

Dans cette étude, on a pu vérifier quedes différences existaient au niveaurégional, entre un site et l’autre au seindu plateau, soit pendant le DMG, soitdurant l’holocène. Cela a été possiblegrâce à l’analyse parallèle de plusieurscarottes de glace, couvrant l’holocène etla dernière transition climatique.

La figure 7 synthétise les résultats prin-cipaux issus de la comparaison des enre-gistrements climatiques obtenus de trois carottes de glace indépendantes,prélevées à Dôme C (carotte EDC), àDôme B (carotte DB) et à Komsomols-kaya (carotte KMS). D’abord, il faut rap-peler que la provenance géographiquedes poussières est la même sur ces siteset pour la période considérée. Les profilsdes isotopes stables (figures 7a et 7b,issues de Jouzel et al., 1995 et 2001)montrent que la transition majeure d’un

climat froid (niveaux isotopiquesplus négatifs) à un climat pluschaud (niveaux isotopiques moinsnégatifs), qui a eu lieu entre 20 000et 10 000 ans av. J.-C., a été mar-quée par une légère réversionfroide, connue sous le nom deAntarctic Cold Reversal (ouACR, Jouzel et al., 1995). Commeon l’a observé sur toutes les transi-tions climatiques dans la carotteEDC (figures 1 et 3), les chan-gements majeurs ont été marqués par une chute prononcée dans la

Figure 7 - Enregistrements climatiques des carot-tes Dôme C, KMS et Dôme B durant la dernièredéglaciation. (a) Profil isotopique (proxy de température) de lacarotte Dôme B (Jouzel et al., 1995) et (b) EDC (Jouzel et al., 2001).(c) Concentration en poussières des carottesDôme B (ligne noire), EDC1 (ligne rouge) et KMS(ligne bleue).(d) Changements dans la taille des poussières(FPP est le pourcentage de particules fines sur lamasse totale de l’échantillon) de la carotte DômeB (noir), EDC (rouge) et Komsomolskaya (bleu).

(étoiles). Certains sédiments ont été soi-gneusement sélectionnés par un groupede pédologues, qui ont pu aussi estimerleur âge. Par exemple, certains dépôts delœss datent du Dernier maximum gla-ciaire (DMG).

En effet, les champs isotopiques deNouvelle-Zélande et des vallées sèches(régions exposées d’Antarctique) mon-trent aussi une superposition partielleavec les poussières dans la glace, maisune série d’arguments complémentairessuggère que, si une contribution de cesdeux régions existe effectivement, elleest probablement secondaire. Les inter-glaciaires holocène et stade 5.5, parcontre, sont clairement caractérisés parune signature différente en néodyme(plus négative ou moins radiogénique).Cette différence est systématiquementobservée sur tous les échantillons, mal-gré l’erreur des mesures, qui est liée à latrès faible quantité de poussières dispo-nible pour les mesures (quelques dizai-nes de microgrammes pour lesinterglaciaires, contre 100-200 micro-grammes de poussières collectés pen-dant les stades glaciaires).

On a donc avancé l’hypothèse que,durant les périodes chaudes, la sourcesud-américaine, probablement, s’affai-blissait, et que la contribution d’unedeuxième source, telle que l’Australie,devenait alors importante. Dans le cadrede cette thèse, la source australiennen’est pas suffisamment représentée, et iln’a donc pas été possible de construireun champ isotopique représentatif de cecontinent. Une étude parallèlemenée par Marie Revel-Rolland(LGCA-CNRS, Grenoble) depuisquelques années, a permis d’abou-tir aujourd’hui à la caractérisationisotopique des sédiments éoliensissus d’Australie. Là aussi, biensûr, il a fallu considérer unique-ment les poussières très petites,ayant une taille correspondant àcelle des poussières archivées dansles carottes antarctiques. Cetteétude est toujours en cours, maisdéjà les premiers résultats suggè-rent que, durant les interglaciaires,la contribution relative du conti-nent australien était probablementplus importante que durant les sta-des froids.

De nombreuses questions relativesà la provenance des poussières sonttoujours ouvertes. D’abord, est-ceque tous les interglaciaires ressem-blent à l’holocène et au stade 5.5 ?Et que peut-on dire à propos desinterglaciaires les plus anciens ?

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La station de Vostok (78° 28’ S, 106° 48’E). � Vue de l’extérieur.

� Foreurs en train d’extraire une carotte. (Photos LGGE-CNRS)

Figure 8 - En haut, changements entaille des poussières à Dôme C (DC),

KMS et Dôme B (DB). En bas, schéma de migration

du vortex polaire au cours de la dernière déglaciation.

(a) et (b) montrent la positionmoyenne de convergence

et subsidence d’air en altitude sur le plateau Antarctique de l’Est,

déduite des résultats de cette étude, pour les deux

périodes indiquées.On peut observer que, après

le DMG et au cours de la déglaciation, la position

moyenne du vortex polaire a bougévers la région de Dôme B. Environ

15 000 ans avant J.-C., tous les sites étudiés étaient

probablement sous le même régimede circulation atmosphérique.

cette période, de profonds changementsenvironnementaux post-glaciaires onteu lieu en Patagonie, comme en témoi-gnent de nombreux indices terrestres(McCulloch et al., 2000) ; ces change-ments ont concerné surtout le cyclehydrologique.

Cette étude confirme donc que les chan-gements du flux et de concentration despoussières sont uniformes au sein duplateau. Ces changements sont influen-cés par le climat des hautes latitudes sud,et aussi par les conditions environne-mentales à la source.

Indices d’une variabilité régionale du transportL’enregistrement EDC (figure 3) nous amontré qu’il y a des changements dans lataille des poussières au cours de chaquetransition climatique, en liaison avec letransport atmosphérique. On peut logi-quement se poser la question de savoir siles mêmes changements ont égalementlieu dans d’autres endroits du plateau. Laréponse donnée par les mesures effec-

tuées a été aussi claireque surprenante, commele montre la figure 7d. Sil’entrée dans l’intergla-ciaire est caractérisée par une diminution dutemps de transport depoussières à EDC, deschangements opposéscaractérisent le site deDB, où l’on retrouve desgrosses particules pen-dant la période glaciaireet des particules f inespendant l’holocène. Lesrésultats pour KMS serapprochent de ceuxd’EDC, tandis que lesmesures sur la carotte deVostok effectuées parPetit et al. (1981) étaientplus proches de l’enregis-trement de Dôme B. Onobserve donc une varia-bilité régionale dans lerégime de transport entrela région de Dôme B-Vostok, d’un côté, et larégion Dôme C-KMS del’autre.

concentration des poussières éoliennes.L’étude des changements de concentra-tion des poussières sur trois sites (fi-gure 7c) a montré une remarquablehomogénéité au sein du plateau. Lalégère hausse de concentration des pous-sières durant la période fraîche (ACR)montre bien leur sensibilité au moindrerefroidissement du climat. D’ailleurs, laconcentration des poussières dans laglace est en relation, soit avec le climaten termes de changementsde température, soit avecles conditions environne-mentales à la source. Leminimum de concentrationentre 12 000 et 11 000 ansavant J.-C., que l’on re-trouve sur les trois profilsdes poussières, nous offreun exemple. Au cours de

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Si l’on considère que lespoussières les plus fines sontassociées à des transports dehaute troposphère, et donc àun régime dominant de sub-sidence, on peut interpréterl’enregistrement obtenu entermes de changement pro-gressif de la position (clima-tologique) du vortex polaire,où les masses d’air sontconvergentes en altitude etdivergentes au sol. Ce dépla-cement du vortex aurait eulieu (figure 8b) d’une posi-tion plus excentrique versune position plus proche dupôle sud géographique. Desmodèles de circulation géné-rale de l’atmosphère sont entrain de tester ce scénario, etdes études ultérieures surd’autres carottes du plateau (et notam-ment dans le secteur atlantique) serontnécessaires à l’avenir.

L’holocèneLes différences de transport très mar-quées, qui sont apparues à partir desenregistrements de la dernière transitionclimatique, ont ouvert des questionsconcernant la variabilité régionale dutransport éolien au sein du plateaudurant l’holocène. On a choisi les carot-tes de Vostok et de EDC, grâce à la présence de nombreux marqueurs strati-graphiques le long des carottes (événe-ments volcaniques communs), qui ontpermis d’établir une liaison chronolo-gique relative assez forte. Les échan-tillons de glace ont été sélectionnésavec une résolution temporelle d’envi-ron un échantillon tous les 40-50 ans. En utilisant la même procédure

que celle adoptée pour étudier la der-nière transition, on a obtenu les profilsde concentration des poussières (figure9b) et deux profils de variabilité de lataille des poussières (figures 9c et 9d).On observe que les tailles des poussiè-res manifestent une variabilité à courtterme très prononcée, et à différenteséchelles temporelles. L’analyse spec-trale de ces deux profils a clairementmontré la présence d’une bande com-mune d’oscillation des signaux à 200 ans environ. On a observé aussique, dans cette bande de variabilité, laphase des variations apparaît opposéeentre Vostok et EDC. En d’autres ter-mes, ces deux sites semblent recevoiralternativement des poussières petites etgrosses avec une périodicité de 200 ans,tout le long de l’holocène.

En suivant la même interprétation quepour la dernière transition climatique,on peut aussi interpréter ces structurescomme des indicateurs d’un change-

ment à l’échelle séculaire et multisécu-laire dans l’excentricité du vortexpolaire. Cela favoriserait des phénomè-nes de subsidence ou d’advection desmasses d’air de moyenne troposphère,alternativement vers un site ou l’autre.Comme dans le cas de la dernière transi-tion climatique, des analyses ultérieu-res à haute résolution temporelle surl’holocène, sur d’autres carottes préle-vées au sein du plateau, seront nécessai-res, dans le futur, pour compléter cescénario.

RemerciementsCe travail représente la synthèse de montravail de thèse en Paléoclimatologieintitulée « Origine et variation desconcentrations et distributions despoussières d’origine continentale dansles forages de glace en Antarctique »,développé en cotutelle entre la France(université Joseph-Fourier, Grenoble I)et l’Italie (université de Siena). Je remer-cie la SMF et Météo-France pour l’attri-bution du prix Prud’Homme 2005.

En particulier, je tiens à remercier mesdirecteurs de thèse, Jean-Robert Petit duLaboratoire de glaciologie de Grenoble(LGGE-CNRS) et Valter Maggi de l’université Milano-Bicocca, grâce à quij’ai pu effectuer ce travail, et vivre desexpériences très enrichissantes dans dif-férents laboratoires européens.

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Bibliographie

Figure 9 - Enregistrements de Vostok et EDC. (a) Profil en deutérium (D) de la carotte EDC, d’aprèsJouzel et al., 2001. (b) Masse totale de poussières (ppb) de la carotte EDC(noir) et Vostok (gris).(c) et (d) Taille des poussières (CPP, ou pourcentage departicules grosses sur la masse totale) pour les carot-tes EDC et Vostok. On peut observer une variabilité dela taille à l’échelle multiséculaire.

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