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La fiancée de Devil
Stéphanie Laurens
Chapitre 1
Somersham,CambridgeshireAoût1818
La duchesse est si... si... bien,
réellement, des plus charmantes.
Donc...
Avec un sourire angélique,
monsieur Postlethwaite, le pasteurde Somersham, hasarda un gestedésinvolte.
— Continentale, si vous mecomprenez.
Debout à côté du portail dupresbytère, alors qu'elle attendaitque l'on avance le cabriolet,Honoria Wetherby souhaitaseulement que ce soit le cas.Soutirer de l'information aupasteur local était toujours l'une deses premières démarches lorsqu'ellecommençait à un nouveau poste;
malheureusement, alors que sonbesoin de renseignements était plusprononcé qu'à l'habitude, lescommentaires vagues de monsieurPostlethwaite n'apportaient pasquoi que ce soit d'utile. Elle hochala tête de manière encourageante— et s'attaqua au fait qui pouvaiten théorie signifier quelque chose.
— La duchesse est-elle née àl'étranger ?
— La duchesse douairière.Le visage de monsieur
Postlethwaite s'épanouit en un
large sourire.Elle aime qu'on l'appelle ainsi
maintenant. Mais, étrangère ?La tête inclinée d'un côté, il
réfléchit à la question.— Je suppose que l'on pourrait
dire cela d'elle — elle est bien néeen France où elle a été élevée.Cependant, elle vit parmi nousdepuis si longtemps, elle semblefaire partie du paysage. En effet —ses yeux s'illuminèrent —, elle faitun peu figure de personnage dansnotre horizon limité.
Cette information, Honorial'avait déjà glanée. C'était une desraisons pour lesquelles elle devaiten savoir davantage.
— La douairière se joint-elle àla congrégation ? Je n'ai pas vud'armoiries ducales par ici.
Jetant un coup d'œil à l'égliseen pierres bien entretenue au-delàdu presbytère, elle se remémora lesnombreuses inscriptionscommémoratives honorant lesdéfunts des différentes maisonsseigneuriales, y compris quelques
descendants des Claypole, lamaisonnée de la famille à laquelleelle s'était attachée dimanchedernier. Mais aucune plaqueducale, obligeamment gravée avecnom et titre, n'était apparue où quece soit.
— À l'occasion, réponditmonsieur Postlethwaite. Toutefois,il y a une église privée à la Maison,plutôt joliment meublée. MonsieurMerryweather en est le chapelain.La duchesse est toujours sérieusedans ses dévotions.
Il secoua tristement la tête.— Pas, j'en ai bien peur, une
caractéristique de cette famille.Honoria résista à la forte envie
de grincer des dents. Quelle famille ?
Elle recherchait cette informationdepuis trois jours. Étant donné queson nouvel employeur, lady
Claypole, semblait convaincuque sa fille Melissa, dont elle avait àprésent la charge, était destinée àdevenir la prochaine duchesse, lavoie de la sagesse lui commandaitd'apprendre ce qu'elle pouvait sur
le duc et sa famille. Le patronymeserait utile.
Par choix, elle avait passé peude temps parmi la haute société,mais, grâce aux longues lettres deson frère Michael, elle étaitinformée de source sûre sur lestatut actuel des familles quicomposaient ce cercle doré — lecercle dans lequel elle était née. Sielle découvrait le nom ou même letitre principal, elle en sauraitbeaucoup plus.
Cependant, malgré l'heure
passée ce dimanche à expliquerdans les moindres détailsexactement pourquoi Melissa étaitdestinée à devenir duchesse, ladyClaypole n'avait pas utilisé le titrede l'heureux duc. Supposant qu'ellel'apprendrait assez facilement,Honoria n'avait pas questionnéMadame avec précision. Elle venaitseulement de rencontrer la dame;claironner son ignorance lui avaitsemblé inutile. Après avoir évaluéMelissa et sa sœur cadette Annabel,elle avait rejeté l'idée de le leur
demander ; montrer ses lacunes àde telles personnes équivalait àinviter les ennuis. La même raisonl'avait empêchée de s'informerauprès du personnel du manoirClaypole. Certaine d'apprendretout ce qu'elle désirait savoir touten étant accueillie par les damespatronnesses locales, elle avaitorganisé son après-midi de façon àce qu'il coïncide avec cerassemblement du village des plusutiles.
Elle avait oublié que, dans la
localité, on faisait toujoursréférence au duc et à la duchessedouairière en termes purementgénériques. Leurs voisins savaienttous de qui ils parlaient — ellel'ignorait encore.Malheureusement, le méprismanifeste avec lequel les autresdames envisageaient les aspirationsducales de lady Claypole avaitrendu beaucoup tropembarrassante l'idée de poser uneseule question. Sans se laisserdémonter, Honoria avait supporté
une longue réunion sur la récoltede fonds suffisants pour remplacerl'antique toit de l'église, puis elleavait fouillé l'église, lisant chaqueplaque qu'elle pouvait trouver.Tout cela en vain.
Prenant une profondeinspiration, elle se prépara àadmettre son ignorance.
— De quel...— Te voilà, Ralph !Madame Postlethwaite avança
d'un air affairé sur le sentier.— Je suis désolée de vous
interrompre, ma chère.Elle sourit à Honoria, puis
regarda son époux.— Il y a un garçon venu de la
part de la vieille madameMickleham — elle te demande detoute urgence.
— Voici pour vous,mademoiselle.
Honoria virevolta — et vit lejardinier du pasteur guidant lecheval gris au mauvais caractèrequ'avait harnaché au cabriolet lepalefrenier du manoir Claypole.
Refermant les lèvres, elle hochagracieusement la tête vers madamePostlethwaite, puis elle passa leportail tenu largement ouvert par lepasteur. Prenant les rênes avec unsourire tendu, elle permit aujardinier de l'aider à monter sur sonsiège.
Monsieur Postlethwaite laregarda avec un visage radieux.
— Je compte sur votre présencedimanche, mademoiselle Wetherby.
Honoria hocha la tête avecraffinement.
— Rien, monsieurPostlethwaite, ne pourram'empêcher d'y être.
«Et, songea-t-elle, alors qu'ellemettait le cheval en marche, si jen'ai pas encore découvert à cemoment-là qui est le bienheureuxduc, je ne vous lâcherai pas jusqu'àce que je le sache ! »
Ruminant sombrement, elleroula à travers le village; c'estseulement après avoir passé ladernière petite maison qu'elleremarqua les nuages orageux
s'amoncelant à l'ouest.La nervosité s'empara d'elle,
coinçant sa respiration dans sapoitrine. Regardant brusquementen avant, Honoria concentra sonattention sur l'intersectionsuivante. La route vers Chatteriscontinuait en ligne droite, puistournait au nord, sur la trajectoirede l'orage ; la longue allée jusqu'aumanoir Claypole débouchait surelle dans cinq kilomètres.
Une bourrasque la pinça,sifflant moqueusement. Honoria
sursauta ; le cheval renâcla.Obligeant le cheval à s'arrêter,Honoria se morigéna pour êtrerestée dehors si longtemps. Unnom ducal n'était pas précisémentd'une importance renversante.L'orage approchant, si.
Son regard tomba sur la routesecondaire rejoignant la routeprincipale au poteau indicateur.Elle allait son chemin à travers deschamps de chaume, puis pénétraitdans un bois touffu couvrant unelégère élévation. On lui avait dit
que la petite route constituait unraccourci, rejoignant ultimement lechemin du manoir Claypole àquelques mètres seulement desgrilles du manoir. Cela semblait saseule chance d'atteindre l'endroitavant qu'éclate l'orage.
Un coup d'œil aux nuages quis'avançaient en augmentantcomme une marée céleste à sadroite la décida.Redressant l'échine, Honoria fitclaquer les rênes et dirigea le chevalgris à gauche. La bête s'y engagea
avec enthousiasme, l'emportant au-delà des champs dorés,s'assombrissant à mesure que lesnuages épaississaient.
Un craquement sourd rompit lecalme inquiétant. Honoria regardaen avant, scrutant les arbress'approchant rapidement. Desbraconniers? Se trouveraient-ilsdehors par un temps pareil quandle gibier se terrait au fond desfourrés, se protégeant de l'orage ?Elle se creusait encore la tête àpropos du bruit étrange lorsque le
bois s'éleva devant elle. Le chevalcontinua de trotter; les arbres lesenveloppèrent.
Décidée à ignorer l'orage et lemalaise qui montait en elle,Honoria porta sa réflexion vers sesplus récents employeurs et sur leléger doute qu'elle ressentait surleur valeur en tant que lesbénéficiaires de ses talents. Àcheval donné, on ne regarde pas labride, ce qui est précisément ce qued i r a i t toute autre gouvernante.Heureusement, elle n'était pas
n'importe quelle gouvernante. Elleétait assez riche pour vivreoisivement; c'était par sa proprevolonté excentrique qu'elle avaitévité une vie de calme facilité pourune qui lui permettait d'utiliser sescompétences. Ce qui signifiaitqu'elle pouvait choisir sesemployeurs et s'en acquittaithabituellement d'une manière desplus fiables. Cette fois, cependant,le destin était intervenu et l'avaitenvoyée aux Claypole. Les Claypoleavaient échoué à l'impressionner.
Le vent se leva avec un cristrident tenant de la fée, puismourut dans une plaintesanglotante. Des branches sedéplacèrent et oscillèrent; desrameaux se frottèrent ensemble etgémirent.
Honoria remua les épaules. Etelle recentra ses pensées sur lesClaypole — sur Melissa, leur aînée,la future duchesse. Honoriagrimaça. Melissa était menue et pastout à fait formée, blonde pour nepas dire délavée. Sur le plan de la
vivacité, elle avait pris à cœur lamaxime Être vue, sans être entendue —
elle ne trouvait jamais deux mots àdire par elle-même. Deux motsintelligents, en tout cas. La seulegrâce qu'avait jusqu'à présentdécouverte Honoria en elle étaitson maintien, inconsciemmentélégant - sur tout le reste, elledevrait travailler dur pour queMelissa soit à la hauteur. À lahauteur d'un duc, rien de moins.
Trouvant du réconfort dans sonirritation — cela la distrayait de la
pensée de ce qu'elle ne pouvait pasvoir à travers l'épais couvert au-dessus — Honoria mit de côté laquestion épineuse de l'identité duduc pour réfléchir aux qualités quelady Claypole avait attribuées aufantôme.
Il était réfléchi, un excellentpropriétaire terrien, mature sansêtre vieux, prêt, l'en assuraitMadame, à se ranger et àcommencer à remplir sa chambred'enfants. Ce parangon ne comptaitaucun défaut auquel on pourrait
trouver à critiquer. Ce portraitpeint par Madame représentait unhomme pondéré, sérieux et réservé,presque un reclus. Ce dernierqualificatif venait d'Honoria; ellene pouvait imaginer aucun ducautre qu'un reclus qui soit prêt,comme lady Claypole avait affirméque celui-ci l'était, à demander lamain de Melissa.
Le cheval gris tira sur les rênes.Honoria tint les guides tendus. Ilsavaient dépassé l'entrée de deuxpistes cavalières, toutes deux
s'éloignant en serpentant dans lebois d'arbres si touffus qu'il étaitimpossible d'apercevoir ce qu'il yavait au-delà de quelques mètres.Devant, la route secondairetournait à gauche, contournant unecourbe pratiquement sans visibilité.Donnant des coups de tête, lecheval continua d'avancer d'un bonpas.
Honoria surveilla la courbe,remarquant que leur ascension étaitterminée. Quand le poids de sonfardeau diminua, le cheval s'élança.
La prise d'Honoria se relâcha — lesrênes glissèrent à travers ses doigts,jurant, elle gesticula furieusementet attrapa les brides fermement;s'appuyant sur le dossier, elle luttaavec la bête.
Le cheval se cabra. Honoriapoussa un cri perçant et tiraviolemment, sans se soucier pourune fois de la bouche du cheval.Son cœur battant la chamade, elleobligea la bête à s'arrêter.Brusquement, le chevals'immobilisa, tremblant, le pelage
tremblotant. Honoria fronça lessourcils. Il n'y avait pas encore eude coups de tonnerre. Elle jeta uncoup d'œil sur la petite route. Etelle vit le corps effondré sur le bas-côté.
Le temps s'arrêta — le vent lui-même se figea.
Honoria le regarda fixement.— Mon Dieu.Devant son murmure, les
feuilles soupirèrent ; le relentmétallique du sang frais flotta surla petite route. Le cheval marcha de
côté; Honoria le calma, profitant dumoment pour ravaler l'émotion luinouant la gorge. Elle n'avait pasbesoin de regarder encore pour voirla flaque sombre et luisantes'élargissant à côté du corps.L'homme avait reçu une ballerécemment — il vivait peut-êtreencore.
Honoria sortit doucement ducabriolet. Le cheval resta calme,tête pendante; marchant vers lebas-côté, Honoria enroula les rênesautour d'une branche et tira
fermement sur le nœud. Retirantses gants, elle les fourra dans sapoche.Puis, elle se tourna et, prenant uneprofonde respiration, elle descenditla petite route.
L'homme était encore en vie —elle le sut dès l'instant où elles'agenouilla sur l'herbe à côté de lui; sa respiration était comme un râlerauque. Il était allongé sur le flanc,effondré vers l'avant; empoignantson épaule droite, elle le fit roulersur le dos. Sa respiration s'améliora
— Honoria le remarqua à peine,son regard cloué sur le trou auxbords déchiquetés ruinant le côtégauche de son manteau. Avecchaque respiration irrégulière prisepar l'homme, du sang coulait de saplaie.
Elle devait contenir le flot.Honoria baissa les yeux ; sonmouchoir se trouvait déjà dans samain. Un autre coup d'œil à lablessure lui confirma que ce neserait pas suffisant. Se hâtant, elleenleva l'écharpe de soie topaze
qu'elle portait par-dessus sa robebrun-grisâtre et en fit un tamponen boule. Soulevant le manteautrempé, elle ne toucha pas à lachemise abîmée de l'homme etpressa son bandage improvisé surle trou béant. À ce momentseulement, elle regarda son visage.
Il était jeune — sûrement tropjeune pour mourir. Son visage étaitpâle; ses traits étaient réguliers,séduisants, portant encore les tracesde la douceur de l'enfance. Descheveux bruns épais en désordre
couvraient son large front ; dessourcils bruns s'arquaient au-dessusde ses yeux fermés.
Une humidité collante s'élevasous les doigts d'Honoria, sonmouchoir et son écharpe ne faisantpas le poids contre le flotimplacable. Son regard tomba surla cravate du jeune homme.Détachant l'épingle retenant enplace les plis de lin, elle dénoua lacravate, la plia, puis positionnal'épais tampon et pressa avecprécaution. Elle était penchée sur
son patient lorsque le tonnerreéclata.
Un boum retentissant et bruyant,il déchira le ciel. Le cheval hennit,puis partit en flèche sur la petiteroute, un craquement secaccompagnant le bruit sourd de sessabots. Le cœur battant, Honoriaregarda avec une consternationimpuissante pendant que lecabriolet passait en vitesse avec lesrênes encore enroulées autour de labranche bondissant violemmentdans son sillage.
Puis, la foudre frappa. L'éclairdissimulé par le toit de feuillageéclaira néanmoins la petite routed'un blanc cru. Honoria ferma trèsfort les yeux, bloquant sessouvenirs par la simple force de savolonté.
Un faible gémissement luiparvint. Ouvrant les yeux, ellebaissa le regard, mais son patientresta évanoui.
— Merveilleux.Elle jeta un coup d'œil autour
d'elle ; la vérité était impossible à
éviter. Elle était seule dans la forêt,sous des arbres, à des kilomètresd'un abri, sans moyen de transport,dans une campagne qu'elle avaitvue pour la première fois quatrejours plus tôt, avec un oragefouettant les feuilles des arbres —et un homme gravement blességisait à côté d'elle. Comment diablepouvait-elle l'aider ?
Son esprit était un désert triste.Dans ce désert surgit le bruit desabots. Au début, elle crut qu'ellerêvait, mais le son augmenta
régulièrement, de plus en plus près.Étourdie de soulagement, Honoriase leva. Elle se tint sur la petiteroute, le bout des doigts sur lebandage, écoutant le bruit dessabots s'approchant rapidement.Au dernier moment, elle seredressa, se tournant et avançantaudacieusement au centre de lavoie.
Le sol trembla ; le tonnerrel'engloutit. Levant les yeux, elle vitla Mort.
Un énorme étalon noir hennit
et se cabra au-dessus d'elle, dessabots à pointe de fer battant l'air àquelques centimètres de sa tête. Unhomme était assis sur le dos de labête pour faire pendant au cheval,des épaules vêtues de noir bloquantla lumière du crépuscule, uneterrible crinière foncée, des traitsdurs — satanique.
Les sabots de l'étalonretombèrent sur le sol avec un bruitmat, la ratant de peu. Furieuse,s'ébrouant, les yeux affichant leblanc, la bête tira sur les rênes. Elle
tenta de balancer son immense têtevers elle; retenue, elle tenta encorede se cabrer.
Les muscles se contractèrentdans les bras du cavalier, dans leslongues cuisses pressées sur lesflancs de l'étalon. Pendant uneminute qui parut éternelle,l'homme et la bête s'affrontèrent.Puis, tout s'immobilisa, l'étalonacceptant la défaite avec un longsoupir chevalin frissonnant.
Le cœur dans la gorge, Honorialeva les yeux vers le visage du
cavalier — et elle croisa son regard.Même dans l'obscurité, elle étaitcertaine de leur couleur. D'un vertpâle lumineux, ils semblaient trèsvieux, capables de tout voir.Grands, enchâssés profondémentsous des sourcils noirs fortementarqués, ils formaient lacaractéristique dominante dans unvisage remarquablement fort. Leurregard était pénétrant, hypnotique— surnaturel. À cet instant,Honoria était certaine que le diableétait venu chercher l'un des siens.
Et elle aussi. Puis, l'air autour d'elledevint bleu.
Chapitre 2
Par le diable en personne, que
faites-vous, femme ?
Terminant une série de juronsfranchement inventifs, cettequestion, posée avec assez de forcepour retenir l'orage lui-même,remit brusquement les idéesd'Honoria en place. Elle centra sonattention sur le personnage
autoritaire juché sur l'étalon agité,puis avec une dignité hautaine, ellerecula, désignant le corps sur lebas-côté.
— Je suis tombée sur lui, il y aquelques minutes — il a reçu uneballe, et je suis incapable d'arrêterl'hémorragie.
Les yeux du cavalier vinrent seposer sur la silhouette immobile.Satisfaite, Honoria retourna vers leblessé, puis vit que l'homme n'avaitpas bougé. Elle regarda en arrièreet remarqua le large torse, sous ce
qu'elle reconnut à présent commeune redingote d'équitation foncée,se gonfler — et se gonfler —pendant que le cavalier respiraittrès profondément.
Son regard se reporta sur elle.— Pressez sur ce tampon ;
fortement.Sans attendre de voir si elle lui
obéissait, il se lança en bas ducheval, le mouvement si éloquentde puissance maîtrisée qu'Honoriase sentit de nouveau étourdie. Elleretourna en hâte vers son patient.
— C'est précisément ce que jefaisais, marmonna-t-elle, tombant àgenoux et plaçant les deux mainssur le bandage.
— Le cavalier, occupé àattacher les rênes de l'étalon autourd'un arbre, jeta un coup d'œil danssa direction.
— Penchez-vous sur lui ;utilisez tout votre poids.
Honoria fronça les sourcils,mais elle se traîna plus prèset fit comme il l'avait dit. Il y avait
une note dans sa voix qui suggéraitqu'il s'attendait à être obéi.Puisqu'elle comptait sur lui pourl'aider à s'occuper du blessé, lemoment, décida- t-elle, n'était pasbien choisi pour en prendreombrage. Elle l'entendits'approcher, les pas fermes sur laterre battue. Puis, les bruits de pasralentirent, devinrent hésitants,s'arrêtèrent complètement. Elleétait sur le point de lever les yeuxquand il recommença à avancer.
Il s'arrêta de l'autre côté dublessé, évitant la large flaque desang. S'accroupissant, il contemplale jeune homme.
Derrière ses cils, Honoria leregardait.
De plus près, l'effet de sonvisage ne s'amenuisait pas d'un iota— si possible, l'impact de ses traitsangulaires et forts, de son neznettement patricien et de ses lèvreslongues, minces et animées d'unemanière provocante était encore
plus prononcé. Ses cheveux étaienten effet noirs comme la nuit, épaiset assez ondulés pour former desmèches larges; ses yeux, fixés surleur patient commun, avaient despaupières tombantes. En ce quiconcernait le reste de sa personne,Honoria décida qu'il était plus sagede ne pas y faire attention — elleavait besoin de tous ses esprits pouraider le blessé.
— Laissez-moi voir la plaie.Était-ce un tremblement qu'elle
entendit secouer sa voix grave, sigrave qu'elle résonna à moitié enelle? Honoria regarda rapidementson sauveteur. Son expression étaitimpassible, n'affichant aucune traced'émotion — non, elle avaitimaginé le tremblement.
Elle retira le tampon trempé; ilse pencha plus près, modifiantl'angle de ses épaules pourpermettre à la lumière de toucherla blessure. Il grogna, puis hocha latête, se balançant sur ses talons
pendant qu'elle replaçait lebandage.
Levant les yeux, Honoria le vitfroncer les sourcils. Puis, seslourdes paupières se soulevèrent etil croisa son regard. Encore unefois, elle fut frappée par ses drôlesde yeux, clouée sur place par leurqualité omnisciente.
Le tonnerre gronda; les échosrésonnaient encore lorsque l'éclairillumina le monde.
Honoria tressaillit, s'efforçant
de maîtriser sa respiration. Ellereporta son attention sur sonsauveteur; son regard n'avait pasquitté le sien. Des gouttes de pluietambourinèrent sur les feuilles etéclaboussèrent la poussière sur lapetite route. Il leva les yeux.
— Nous allons devoir le mettre— ainsi que nous — à l'abri. L'orageest presque sur nous.
Il se leva, redressant ses longuesjambes en douceur. Toujoursagenouillée, Honoria fut obligée de
lever les yeux vers des botteshautes et des cuisses longues etpuissamment musclées, au-delà dehanches minces et d'une tailleétroite, jusque sur la largesuperficie de son torse pour trouverson visage. Il était grand, larged'épaules, mince et agile,néanmoins bien musclé — unpersonnage suprêmement fort.
Se découvrant tout à coup unebouche sèche, elle sentit samauvaise humeur se manifester.
— Où, précisément ? Noussommes loin de tout.
Son sauveteur baissa les yeux,son regard dérangeant se fixant surson visage. L'assurance d'Honoriafaiblit.
— N'est-ce pas vrai ?Il regarda les arbres.— Il y a le cottage d'un forestier
à proximité. Une piste y mène unpeu plus loin sur la route.
Il était donc de la région ;Honoria en fut soulagée.
— Comment allons-nous ledéplacer ?
— Je vais le porter.Il n'ajouta pas «évidemment»,
mais elle l'entendit. Puis, il grimaça.— Toutefois, nous devrions
mieux bander la plaie avant de lebouger.
Sur ce, il retira sa veste d'uncoup d'épaules, la lança sur unebranche près et commença à ôter sachemise. Brusquement, Honoriatransféra son regard sur le blessé.
Quelques secondes plus tard, unebelle chemise en lin pendait devantson visage, suspendue à de longsdoigts bronzés.
— Pliez le corps de la chemiseet servez-vous des bras pourl'attacher autour de lui.
Honoria plissa le front envoyant la chemise. Levant unemain, elle la prit, puis elle leva lesyeux directement sur son visage,ignorant soigneusement l'étenduebronzée de son torse nu et les poils
noirs parfaitement bouclés quil'ornaient.
— Si vous pouvez venir ici etgarder vos yeux sur la blessure, jevais faire don de mon jupon. Nousaurons besoin de plus de tissu pourle fixer sur le trou.
Ses sourcils noirs se levèrentpromptement, puis il hocha la têteet s'accroupit, plaçant ses longsdoigts puissants sur le tampon.Honoria retira sa main et se leva.
Vivement, essayant de ne pas
réfléchir à ce qu'elle faisait, elletraversa de l'autre côté de la route.Face aux arbres, elle souleva ledevant de sa jupe et tira sur lecordon attachant son jupon debatiste.
— Je suppose que vous n'avezpas de penchant pour la culotte ?
Réprimant un halètement,Honoria jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, mais sonsauveteur diabolique regardaittoujours dans la direction opposée.
Devant l'absence de réponseimmédiate, il poursuivit :
— Cela nous donnerait plus detissu.
Le jupon d'Honoria glissalentement le long de ses jambesnues.
— Malheureusement non, luirépondit-elle d'un ton contenu.
Enjambant la pièce de lingerie,elle s'empara de son offrande etrevint d'un air digne de l'autre côtéde la route.
Il haussa les épaules.— Ah, bien ; je ne peux pas
dire que j'en sois moi-mêmeamateur.
La vision que ses motsévoquèrent était ridicule. Puis, lesidées d'Honoria se remirent enplace. Le regard qu'elle lui jetaalors qu'elle tombait à genouxaurait dû le brûler ; il fut perdu —le sien était fixé sur le visage dublessé. Quelque peu réticente,Honoria imputa le commentaire
salace à une habitude invétérée.Pliant le jupon, elle le combina
à la chemise ; il retira sa main, etelle appliqua l'épais tampon surcelui plus modeste qu'elle avaitplus tôt.
— Laissez pendre les manches.Je vais le soulever; ensuite, vouspourrez les passer en dessous et lesattacher bien serré.
Honoria se demanda commentmême lui pourrait s'en sortir avec legrand poids lourd de leur patientsans connaissance. Étonnamment
bien fut la réponse ; il souleva lecorps et le redressa dans un seulmouvement fluide. Elle se relevatant bien que mal. Il tint le jeunehomme contre son torse, avec unemanche dans sa main elle se baissavivement et tâtonna pour trouverl'autre. Ses doigts inquisiteursfrôlèrent une peau chaude ; desmuscles réagirent en remuant. Ellefit semblant de ne rien remarquer.Localisant la manche volage, elle latendit, attachant les bouts avec unnœud plat.
Son sauveteur expiralonguement à travers ses dents.Pendant un instant, ses étrangesyeux brillèrent.
— Allons-y. Vous allez devoirguider Sulieman.
De la tête, il indiqua le monstrenoir broutant l'herbe à côté de laroute.
Honoria posa un regard fixe surl'étalon.
— Sulieman était un Turcperfide.
— En effet.
Elle reporta son regard surl'homme.
— Vous êtes sérieux, n'est-cepas ?
— Nous ne pouvons pas lelaisser ici. S'il se libère, paniqué parl'orage, il pourrait endommagerquelque chose. Ou blesserquelqu'un.
Non convaincue, Honoriarécupéra la veste de l'homme sur labranche. Elle observa l'étalon.
— Êtes-vous certain qu'il nemordra pas ?
Quand aucune réponse ne luiparvint, elle se tourna pourregarder, bouche ouverte, sonsauveteur.
— Vous vous attendez à ce queje...
— Prenez les rênes, c'est tout ; ilva bien se conduire.
Son ton contenait assezd'impatience masculine agacéepour qu'elle traverse la route, bienque de mauvaise grâce. Elle jeta unregard mauvais à l'étalon; il ladévisagea posément en retour.
Refusant d'être intimidée — par uncheval — Honoria fourra la vestesous la selle, puis elle tira pourlibérer les rênes. Les maintenantavec fermeté, elle s'avança sur laroute. Et stoppa brusquementquand l'étalon ne broncha pas.
— Sulieman : marche.Sur cet ordre, l'immense cheval
se mit à avancer. Honoria seprécipita devant, essayant de resterhors de portée des dents dumonstre. Son sauveteur, après unregard détaillé, se tourna et partit à
grandes enjambées.Ils étaient loin dans la partie la
plus dense de la forêt, des couvertsde feuilles épaisses entremêlés au-dessus de leurs têtes. Comme s'ilfaisait bander ses muscles, le ventsoufflait en rafales, faisant voler lesfeuilles et lançant une pluie degouttes d'eau sur eux.
Honoria observa pendant queson sauveteur modifiait l'angle deson fardeau gênant dans unecourbe raide.
Lorsqu'il se redressa, les muscles deson dos bougèrent, ondulant endouceur sous la peau tendue. Uneunique goutte de pluie tomba pourtrembler, brillante, sur une épaulebronzée, puis glissa lentement surson dos. Honoria la suivit tout aulong de sa course; quand elledisparut sous la ceinture, elle avala.
Pourquoi ce spectaclel'émouvait-il autant, elle necomprenait pas — des torses nusd'homme, aperçus depuis l'enfancedans les champs et la forge, jamais
auparavant n'avaient rendu sarespiration difficile. Mais alors, ellen'arrivait pas à se rappeler avoir vuun torse tout à fait comme celui deson sauveteur.
Il jeta un regard en arrière.— Comment en êtes-vous
venue à vous retrouver seule sur laroute ?
Il s'arrêta, déplaça le jeune dansses bras, puis reprit ses longuesfoulées.
— Je n'étais pas précisémentseule, expliqua Honoria à son dos.
Je revenais du village dans lecabriolet. J'ai vu l'orage approcheret j'ai pensé prendre un raccourci.
— Le cabriolet ?— Quand j'ai vu le corps, je suis
allée y voir de plus près. Aupremier coup de tonnerre, le chevals'est sauvé à toutes jambes.
— Ah.Honoria plissa les paupières.
Elle ne l'avait pas vu lever les yeuxau ciel, mais elle savait que c'était lecas.
— Ce n'est pas mon nœud qui
s'est défait. La branche autour delaquelle j'avais attaché les rêness'est cassée.
Il jeta un regard de son côté ;bien que son visage resteinexpressif, ses lèvres n'étaient plustout à fait droites.
— Je vois.Les deux mots les plus évasifs
qu'elle n'avait jamais entendus.Honoria jeta un regard mauvais àson dos exaspérant et continua àavancer en se traînant les piedsdans un affreux silence. Malgré son
fardeau, il prenait de l'avance; dansses demi-bottes en chevreau, nonconçues pour une randonnéedifficile, elle glissa et dérapa enessayant de le suivre.Malheureusement, l'orage battantde plus en plus fort, elle ne pouvaitpas garder le rythme qu'il sedonnait à lui-même.
La pensée mécontente lamettait mentalement de méchantehumeur. Depuis l'instant où elleavait rencontré son sauveteur, elleavait pris conscience de l'irritation,
un froissement de sa susceptibilité.Il avait été abrupt, distinctementarrogant — plutôt impossible,d'une manière mal définie.Néanmoins, il accomplissait ce qu'ilfallait, rapidement et efficacement.Elle devrait être reconnaissante.
Négociant un fouillis de racinesd'arbre exposées, elle décida quec'était sa façon de présumer de soncommandement qui l'ennuyait leplus — jamais auparavant avait-ellecroisé quelqu'un avec son degréd'autorité, comme si c'était son
droit incontestable de diriger,d ' o r d o n n e r et d'être obéi.Naturellement, étant qui elle était,elle-même habituée à être obéi, unetelle attitude ne passait pas bien.
Découvrant ses yeux une fois deplus rivés sur le dos de l'homme,extasiée par la flexibilité fluide deses muscles, Honoria se reprit.L'exaspération s'accrut — elles'accrocha à cette sécurité. Il étaitimpossible — à tous les points devue.
Il jeta un regard en arrière et
surprit son air renfrogné avantqu'elle ait l'occasion de l'effacer deson visage. Ses sourcils s'arquèrent;ses yeux rencontrèrent les siens,puis il détourna le visage versl'avant.
— On y est presque.Honoria relâcha l'air qui s'était
coincé dans sa gorge. Et s'accorda leplaisir d'un regard furieux. Quidiable était-il ?
Un gentleman, certainement —le cheval, les vêtements et soncomportement en constituaient la
preuve. Au-delà de cela, quipouvait le dire ? Elle vérifia sesimpressions, puis les revérifia, maisne put trouver aucun signe demalaise sous-jacent; elle étaitabsolument certaine qu'elle setrouvait en sécurité avec cethomme. Six ans commegouvernante avaient biendéveloppé son instinct — elle nedoutait pas de lui. Une fois qu'ilsatteindraient l'abri, lesprésentations s'en- suivraient. Entant que dame bien élevée, ce
n'était pas son rôle de lui demanderson nom, c'était son devoir à lui dese faire connaître d'elle. Devant, lafaible clarté sous les arbresaugmenta; dix pas de plus lesentraînèrent dans une largeclairière. Directement devant, dos àla forêt, se tenait un cottage enrondins, son toit de chaume en bonétat. Honoria remarqua l'entrée dedeux pistes cavalières, une à droite,l'autre à gauche. Son pass'allongeant, son sauveur se dirigeavers la porte de la chaumière.
— Il y a une sorte d'écurie surle côté. Attachez Sulieman àl'intérieur, dit-il en lui décocha unregard. À quelque chosed'incassable.
Le regard furieux dont elle legratifia rebondit sur son dos large.Elle accéléra le pas, aiguillonnéepar le gémissement du vent quiaugmentait. Les feuillestourbillonnaient comme desderviches, s'agrippant à ses jupes ;le monstre noir trottait sur sestalons. L'écurie n'était rien de plus
qu'une cabane rudimentaire,construite en appui sur le mur ducottage.
Honoria scruta les poutres debois exposées à la recherche d'unpoteau d'attache.
— Je suppose que ce n'est pasce à quoi tu es habitué, dit-elle à labête sous sa responsabilité, mais tudevras t'en contenter.
Elle repéra un anneau de ferboulonné au mur de la chaumière.
— Ah ha !Passant les rênes à travers, elle
retint les bouts pour serrer lenœud. Elle attrapa la veste et elleétait sur le point de partir quandl'immense tête noire oscilla verselle, un œil grand ouvert, sonexpression étrangement vulnérable.Sans tarder, elle tapota le nez noir.
— Reste calme.Sur ce sage conseil, elle releva
ses jupes et s'enfuit vers la porte ducottage. L'orage choisit cet instantprécis pour fendre le ciel — letonnerre roula, la foudre éclata, levent hurla — tout comme Honoria.
Elle traversa la porte ouverte,tournoya et la referma violemment,puis elle s'affaissa contre elle, lesyeux fermés, les mains serrant ladouce veste sur sa poitrine. La pluietambourinait sur le toit et battaitsur les panneaux dans son dos. Levent secoua les volets et fit craquerles chevrons. Le cœur d'Honoriabattait la chamade ; sous sespaupières, elle vit la lumièreblanche qui, elle le savait, apportaitla mort.
Reprenant son souffle sur un
hoquet, elle s'obligea à ouvrir lesyeux. Et elle vit son sauveteur, lejeune homme dans les bras, setenant à côté d'une paillassesurélevée sur une structure fruste.Le cottage était sombre, éclairéuniquement par les faibles lueursrestantes de lumière filtrant àtravers les persiennes.
— Allumez la bougie, puisvenez ici installer les couvertures.
L'ordre simple poussa Honoriaà l'action. Elle se rendit à la tablequi dominait la seule pièce de la
demeure. Unebougie s'élevait dans un chandeliersimple, de l'amadou à son côté. Elledéposa la veste, provoqua uneétincelle pour allumer la bougie.Une douce lueur se répandit dansla pièce. Satisfaite, elle se dirigeavers la paillasse. Un étrangeassortiment de meubles encombraitla petite chaumière — une vieillebergère à oreilles était installée àcôté d'un âtre en pierre, un énormefauteuil sculpté sur lequel
reposaient des coussins fanés entapisserie lui faisait face. Deschaises, un lit et une tableoccupaient la majorité de l'espacedisponible ; un coffre et deuxcommodes rudimentaires étaientcollés aux murs. Le lit ressortaitdans la pièce, sa tête appuyée surun mur ; Honoria tendit la mainvers des couverturessoigneusement pliées à sonextrémité.
— Qui vit ici ?
— Un forestier. Mais noussommes en août, de sorte qu'il setrouve dans les bois près d'Earith.Ce sont ses quartiers d'hiver.
Il se pencha en avant, abaissantson fardeau pendant qu'Honoriaétendait la couverture sur le lit.
— Attendez ! Il sera plus à sonaise si nous lui retirons sonmanteau.
Ces yeux irréels retinrent lessiens, puis il les baissa sur le corpsdans ses bras.
— Regardez si vous pouvezdégager délicatement la manche.
Elle avait fait attention à ne pascoincer le manteau quand elle avaitattaché leur bandage improvisé.Honoria tira doucement; la manchebougea centimètre aprèscentimètre.
Son sauveteur grogna.Cette tête de mule idiote a dû
mettre une heure pour l'enfiler.Honoria leva les yeux — cette
fois, elle était sûre. Sa voix avait
tremblé sur « tête de mule ». Elle ledévisagea, un terriblepressentiment s'infiltrant en elle.
— Tirez plus fort ; il ne sentrien pour l'instant.
Elle s'exécuta ; à eux deux, endonnant des coups secs et d'autresplus légers, ils réussirent à dépêtrerun bras. Avec un soupir desoulagement, il allongea le corps,attirant le manteau à lui pendantqu'il libérait délicatement sesmains. Ils se relevèrent et fixèrentle visage pâle comme la mort,
encadré par la couverture fanée.La foudre gronda ; Honoria
remua et jeta un regard à sonsauveteur.
— Ne devrions-nous pas allerchercher un médecin ?
Le tonnerre roula, avec un bruitrésonnant et assourdissant. Sonsauveteur tourna la tête ; leslourdes paupières se levèrent et sesétranges yeux rencontrèrent lessiens. Dans le vert clair — éternel,sans âge, rempli de désespoir peuprometteur —, Honoria lut sa
réponse.— Il ne va pas s'en remettre,
n'est-ce pas ?Le regard fascinant la quitta ;
son abondante chevelure noire futsecouée sous un non définitif.
— Êtes-vous certain ?Elle le demanda même si elle
avait le sentiment qu'il avait raison.Ses longues lèvres se tordirent.
— La mort et moi, nous nousconnaissons bien.
La déclaration resta suspenduedans l'air soudainement glacial.
Honoria lui sut gré lorsqu'il donnades détails.
— J'étais à Waterloo. Unegrande victoire, nous a-t-on dit plustard. L'enfer sur terre pour ceux quilui ont survécu.J'ai vu mourir en un jour plusd'hommes que tout homme saind'esprit voit en une vie. Je suis toutà fait certain...
Le tonnerre éclata, noyantpresque ses mots.
— Il ne passera pas la nuit.
Ses paroles tombèrent dans unsilence soudain. Honoria le croyait ;le désespoir qui planait autour delui ne laissait aucune place audoute.
— Vous avez vu la blessure,comme le sang n'arrêtait pas degicler ? La balle a touché le cœur —soit cela, soit l'un des gros vaisseauxà proximité. C'est la raison pourlaquelle nous ne pouvons pasarrêter le saignement.
Il désigna l'endroit où le sang
tachait l'épais tampon.— À chaque battement de
cœur, il agonise un peu plus.Jetant un coup d'œil au visage
innocent du jeune homme,Honoria inspira une lente boufféed'air. Puis, elle regarda sonsauveteur. Elle n'était pas certainede croire à l'impassibilité du visagequ'il affichait. Son stoïcisme lui-même alimentait sa suspicion ; sacompassion s'éveilla.
Puis, il plissa le front, les
sourcils noirs obliquant vers le basalors qu'il tenait le manteau dujeune homme. Honoria l'observapendant qu'il examinait le boutondevant le trou ensanglanté.
— Qu'y a-t-il ?— Le bouton a fait dévier la
balle. Vous voyez ?Il leva le bouton à la lumière
afin qu'elle puisse voir l'entaille surle bord, la brûlure à côté. Les yeuxmesurant la taille du manteau parrapport au jeune homme, il ajouta :
— Sans ce bouton, cela auraitété un tir net à travers le cœur.
Honoria grimaça.— Dommage, peut-être.Quand il jeta un coup d'œil
dans sa direction, ses yeux vertsétrangement vides, elle gesticuladésespérément.
— Dans les circonstances, jeveux dire; une mort lente, au lieude rapide.
Il ne dit rien, mais continua àfroncer les sourcils devant le
bouton. Honoria pressa les lèvresensemble, essayant de rejeterl'impulsion, en vain.
— Mais?— Mais...Il hésita, puis poursuivit.— Un tir net à travers le cœur
avec un pistolet à canon long — unpetit trou, de sorte qu'il nes'agissait pas d'un fusil de chasse nimême d'un pistolet d'arçon — àune distance raisonnable — plusprès, cela aurait laissé plus de
brûlures — ce n'est pas un minceexploit. Réussir un tel coup exigeune habileté remarquable.
— Et une absence de pitiéremarquable, j'imagine.
— Cela aussi.La pluie battait sur les murs, les
volets. Honoria se redressa.— Si vous allumez le feu, je
vais faire chauffer un peu d'eau etlaver le plus gros du sang.
La suggestion lui valut unregard surpris ; elle le rencontra
avec un calme inflexible.— S'il doit mourir, il pourra au
moins mourir propre.Pendant un instant, elle crut
l'avoir choqué — son regardsembla réellement stupéfait. Puis, ilhocha la tête, sapermission si clairement sous-entendue qu'elle ne pouvait pasdouter qu'il considérait que le jeuneblessé était sous sa responsabilité.
Elle se dirigea vers l'âtre ; il lasuivit, la démarche légère pour unhomme aussi grand. Marquant une
pause devant le feu, Honoria jetaun coup d'œil par-dessus sonépaule — le cœur faillit lui sortir dela poitrine dans la gorge quand ellele découvrit directement à côtéd'elle.
Il était grand — beaucoup plusqu'elle ne l'avait cru. On disaitsouvent d'elle qu'elle était une «longue perche » ; cet homme lasurplombait d'une bonne tête, lacoupant de la lumière de la bougie,son visage frappant dans l'ombreépaisse, ses cheveux noirs formant
une couronne foncée autour de satête. Il était le Prince des ténèbresen personne ; pour la première foisde sa vie, elle se sentit petite,fragile, extrêmement vulnérable.
— Il y a une pompe près del'écurie.
Il tendit la main devant elle; lalueur de la bougie miroita sur lescontours courbés de son bras quandil souleva la bouilloire de soncrochet.
— De plus, je ferais mieux devérifier si Sulieman va bien, mais je
vais d'abord allumer le feu.Honoria s'écarta rapidement.
C'est seulement lorsqu'il s'accroupità côté de l'âtre, disposant desbûches prises dans la boîte à boisdu foyer qu'elle réussit à respirer denouveau. De près, sa voix résonnaiten elle, une sensation franchementtroublante.
Une fois qu'il eut bien attisé lesflammes, elle avait fermementreporté son attention sur lescommodes, découvrant des lingespropres et une boîte de thé. Elle
l'entendit la dépasser ; tendant lamain très haut, il souleva un seaude son crochet. Le loquet cliqueta;Honoria regarda autour d'elle — ilse tenait dans l'embrasure de laporte, nu jusqu'à la taille, lasilhouette découpée par un éclairde lumière aveuglante — unpersonnage élémentaire dans unmonde élémentaire. Le vents'engouffra à l'intérieur puis futbrusquement coupé ; la porte sereferma et l'homme disparut.
Elle compta sept roulements de
tonnerre avant son retour. Quandla porte se referma derrière lui, lanervosité dont elle était la proie secalma. Puis, elle remarqua qu'ilruisselait de pluie.
— Tenez.Elle lui offrit le plus grand des
linges qu'elle avait trouvé et tenditla main vers la bouilloire. Elles'affaira à côté du feu, installant labouilloire à chauffer, tout à faitconvaincue qu'elle n'avait pasbesoin de le regarder sécher cetorse remarquable. La bouilloire
siffla ; elle tendit la main vers le bolqu'elle avait préparé.
Il patientait près du lit ; elleavait songé à lui ordonner des'essuyer près du feu, puis elle avaitdécidé de ne pas gaspiller sa salive.Son regard était fixé sur le visagedu jeune homme.
Déposant le bol sur la commodeà côté du lit, elle essora un linge,puis elle épongea délicatement levisage du blessé, nettoyant legravillon et la poussière de la route.
La propreté accentuait son
innocence et soulignait l'infamie desa mort. Pressant les lèvresensemble, Honoria se pencha sur satâche. Jusqu'à ce quelle arrive à lachemise sérieusement tachée.
— Permettez.Elle recula. Deux déchirures
bien évaluées permirent de dégagerle côté gauche de la chemise.
— Donnez-moi le linge.Elle en essora un et le lui tendit.
Ils travaillèrent côte à côte sous lalumière vacillante ; elle futémerveillée de voir comme des
mains aussi larges pouvaient êtredouces, elle fut émue par la façonrespectueuse avec laquelle un êtresi puissamment vivant s'occupaitd'un mourant.
Puis, ce fut terminé. Déposantune autre couverture sur leur blessésilencieux, elle rassembla les lingessouillés et les accumula dans le bol.Il la précéda au feu ; elle plaça lebol sur la table et redressa le dos.
— Devil?L'appel était si faible qu'elle
l'entendit tout juste. Honoria
virevolta et fila jusqu'au lit. Lespaupières du jeune hommepapillotèrent.
— Devil. Besoin... Devil.— Tout va bien, murmura-t-
elle, posant une main sur son front.Le diable' n'est pas ici — nous ne lelaisserons pas s'emparer de vous.
Le jeune homme fronça lessourcils ; il secoua la tête contre samain.
— Non ! Je dois voir...
Des mains dures se refermèrentsur les épaules d'Honoria ; elle
haleta alors qu'elle était soulevée etdéplacée. Libéré de sa main, lejeune homme ouvrit des yeuxvitreux et s'efforça de se lever.
— Allonge-toi, Tolly. Je suis là.Honoria dévisagea son
sauveteur pendant qu'il prenait saplace, poussant le jeune homme surle lit. Sa voix, son toucher, calma lemourant — il s'allongea, sedétendant
visiblement, centrant son attention
sur le visage de l'homme plus âgé.— Bien, dit-il dans un souffle
avec un filet de voix. Je t'ai trouvé.Un faible sourire dansa sur son
visage pâle. Puis, il devint sérieux.— Dois te dire...Ses mots pressants furent
interrompus par une toux, qui setransforma en un paroxysmeincapacitant. Son sauveteur soutintle jeune homme entre ses mains,comme s'il insufflait par sa volontéla force dans le corps s'affaiblissant.Alors que la toux diminuait,
Honoria s'empara d'un linge propreet l'offrit. Allongeant le blessé, sonsauveteur essuya le sang sur leslèvres du garçon.
— Tolly ?Aucune réponse ne vint — leur
blessé était de nouveau sansconnaissance.
— Vous êtes parents.Honoria émit un fait ; la
révélation lui était venue à l'instantoù le jeune homme avait ouvert lesyeux. La ressemblance se situaitnon seulement dans le front large,
mais aussi dans l'arc des sourcils etla disposition des yeux.
— Cousins.La vivacité filtra à travers le
visage dur de son sauveur.— Au premier degré. Il fait
partie de la plus jeune géné- ration— vingt ans à peine.
Son ton amena Honoria à sedemander quel âge il avait —certainement dans la trentaine —,mais il était impossible d'en jugerd'après son visage. Soncomportement communiquait une
impression de sagesse universelle,une sagesse accumulée, comme sil'expérience avait trempé sa forcedans l'acier. Pendant qu'elleobservait, il posa une main etrepoussa doucement une mèche decheveux sur le visage blafard de soncousin.
Le faible gémissement du ventse transforma en chant funèbre.
Chapitre 3
Elle était coincée dans un cottage
avec un mourant et un homme
connu de ses intimes sous le nom
de Devil. Bien calé dans le fauteuil
à oreilles près du feu, Honoria
sirotait du thé dans une tasse et
réfléchissait à sa situation. La nuit
était à présent tombée; l'orage ne
montrait aucun signe d'apaisement.
Elle ne pouvait pas quitter la
demeure, même si cela avait été son
plus ardent désir.
Jetant un coup d'œil à sonsauveteur, toujours assis sur lapaillasse, elle grimaça ; elle nesouhaitait pas partir. Elle n'avaitpas encore appris son nom, mais ilinspirait son respect et sacompassion.
Une demi-heure s'était écouléedepuis que le jeune homme avaitparlé; Devil — elle n'avait pas
d'autre nom pour lui — n'avait pasquitté la couche de son cousinmourant. Son visage restaitinexpressif, n'affichant aucun signed'émotion, néanmoins, l'émotionétait là, derrière le masque,assombrissant le vert de ses yeux.Honoria connaissait le choc et lechagrin provoqués par la mortsoudaine, connaissait l'attentesilencieuse et les veillées pour unmort. Reportant son regard sur lesflammes, elle but paresseusementson thé.
Quelque temps plus tard, elleentendit craquer le lit ; des paslégers s'approchèrent lentement.Elle le sentit plutôt qu'elle le vits'asseoir à son aise dans l'immensefauteuil sculpté, sentit la poussièrequi s'éleva de la tapisserie fanéependant qu'il s'installait. Labouilloire siffla doucement. Sedéplaçant vers l'avant, elle versa del'eau bouillante dans la tasse qu'elleavait préparée ; quand la vapeurdisparut, elle prit la tasse et la luitendit.
Il l'accepta, ses longs doigtsfrôlant brièvement les siens, lesyeux verts se levant pour se posersur son visage.
— Merci.Il but en silence, les yeux sur les
flammes; Honoria l'imita.Les minutes s'écoulèrent, puis il
redressa ses longues jambes,croisant ses chevilles bottées.Honoria sentit son regard sur sonvisage.
— Qu'est-ce qui vous amène àSomersham, mademoiselle...
C'était l'occasion qu'elle avaitattendue.
— Wetherby, suppléa-t-elle à saquestion.
Au lieu de répondre par sonnom — monsieur Quelqu'un, comteUntel — il plissa les paupières.
— Votre nom complet ?Honoria réprima un
froncement de sourcils.— Honoria Prudence
Wetherby, récita-t-elle, quelquepeu aigrement.
Un sourcil noir s'éleva ; le vert
troublant de son regard ne vacillapas.
— Pas Honoria PrudenceAnstruther-Wetherby ?
Honoria le dévisagea.— Comment le saviez-vous ?Ses lèvres formèrent un sourire
en coin.— Je connais votre grand-père.Un regard incrédule fut sa
réponse.— Je suppose que vous allez
dire que je lui ressemble?Un petit rire, doux et profond,
fit tressaillir ses senscomme sous l'effet d'une plume.
— À présent que vous lementionnez, je crois qu'il y a unelégère similitude — aux environsdu menton, peut-être ?
Honoria lui lança un regardmauvais.
— Là, ceci, lui fit remarquerson bourreau, ressemble beaucoupau vieux Magnus.
Elle fronça les sourcils.— Quoi?Il but une longue gorgée, ses
yeux retenant les siens.— Magnus Anstruther-
Wetherby est un vieux gentlemanirascible, horriblement fier et aussitêtu qu'on peut l'en blâmer.
— Vous le connaissez bien?— Seulement pour le saluer;
mon père le connaissait mieux.Incertaine, Honoria le regarda
boire ; son nom complet n'était pasun secret d'État — elle n'avaitsimplement pas envie de l'utiliser,de se réclamer de sa relation avecce vieux gentleman irascible et têtu
de Londres.— Il y avait un deuxième fils,
non ?Son sauveteur l'examinait
pensivement.— Il a défié Magnus à propos...
Je me souviens — il s'est mariécontre la volonté de Magnus. L'unedes filles Montgomery. Vous êtesleur fille ?
Avec raideur, Honoria inclinala tête.
— Ce qui nous ramène à maquestion, mademoiselle
Anstruther-Wetherby. Que diablefaites-vous ici, honorant de votreprésence notre petit coin tranquille?
Honoria hésita ; il y avait uneagitation dans les longs membres,une onde de sensibilité — non pas àsa présence à elle, mais à celle ducorps sur le grabat derrière eux —,qui suggérait qu'il avait besoin deconversation. Elle leva le menton.
— Je suis une gouvernantepour débutantes.
— Une gouvernante pourdébutantes ?
Elle hocha la tête.— Je prépare les filles pour
leurs débuts en société — je resteavec les familles uniquementpendant l'année qui les précède.
Il l'observa avec une curiositéfascinée.
— Par tous les cieux, que pensele vieux Magnus de tout cela ?
— Je n'en ai aucune idée. Je n'aijamais demandé son avis.
Il rit brièvement — ce mêmeson de gorge sensuel; Honoriaréprima l'envie de remuer lesépaules. Puis, il reprit son sérieux.
— Qu'est-il arrivé à votrefamille ?
En elle-même, Honoria haussales épaules. Cela ne pouvait pasfaire de mal de raconter sonhistoire et si cela le distrayait, ellen'y voyait aucun inconvénient.
— Mes parents sont morts dansun accident lorsque j'avais seize
ans. Mon frère en avait dix-neuf.Nous vivions dans le Hampshire,mais après l'accident, je suis alléevivre avec la sœur de ma mère dansle Leicestershire. Il plissa le front.
— Je suis étonné que le vieuxMagnus ne soit pas intervenu.
— Michael l'a informé desdécès, mais il n'est pas venu assisteraux funérailles, dit-elle en haussales épaules. Nous ne nous yattendions pas. Après la disputeentre lui et Papa, il n'y avait plus eude contact.
Ses lèvres se retroussèrentfugitivement.
— Papa a juré de ne jamais luidemander un sou.
— L'entêtement est clairementun trait familial.
Honoria ignora lecommentaire.
— Après un an dans leLeicestershire, j'ai décidé de tenterma chance comme gouvernante.
Elle leva le regard, sur des yeuxverts beaucoup trop perspicaces.
— Votre tante n'était pas
précisément chaleureuse ?Honoria soupira.— Non ; elle était très
chaleureuse. Elle s'est mariée soussa condition — pas la légèremésalliance pour laquelle lesAnstruther-Wetherby se sonttellement enflammés, maisréellement au-dessous de son rang.
Elle marqua une pause,revoyant la maison construite demanière anarchique remplie dechiens et d'enfants.
— Cependant, elle était
heureuse et son foyer étaitaccueillant, mais...
Elle grimaça et jeta un coupd'œil au visage sombre l'observant.
— Pas pour moi.
— Un poisson hors de l'eau ?— Exactement. Une fois que j'ai
eu fini de porter mon deuil, j'airéfléchi à mes options. Les fonds,évidemment, n'ont jamais été unproblème. Michael voulait quej'achète une petite maison dans unvillage sûr de campagne pour y
vivre tranquillement, mais...
— Encore une fois, pas pourvous ?
Honoria leva légèrement lementon.
— Je ne pouvais pas concevoirune vie aussi insipide. Je pense qu'ilest injuste que les femmes soientobligées de vivre des existencesaussi modérées et que seuls lesgentlemen mènent des viesexcitantes.
Les deux sourcils s'arquèrent.— Personnellement, j'ai
toujours trouvé que c'était payantde partager l'excitation.
Honoria ouvrit la bouche pourapprouver — puis, elle surprit sonregard. Elle cligna des paupières etregarda de nouveau, mais l'étincellelubrique avait disparu.
— Dans mon cas, j'ai décidé deprendre les rênes de ma vie et detravailler pour une existence plusexcitante.
— En tant que gouvernante ?Son regard vert calme
demeurait ingénument intéressé.
— Non. Ce n'est que l'étapeintermédiaire. J'ai décidé que dix-huit ans, c'était trop jeune pourpartir à l'aventure en Afrique. J'aidécidé de suivre les traces de ladyStanhope.
— Doux Jésus !
Honoria ignora son ton.— J'ai tout prévu — je brûle
d'envie de monter un chameaudans l'ombre du grand sphinx. Onserait mal avisé d'entreprendre unetelle expédition trop jeune ; exercerle métier de gouvernante d'une
façon qui n'exige de passer qu'uneseule année avec chaque famille mesemblait le moyen idéal d'occuperles années. Comme je n'ai besoin defournir que mes vêtements, moncapital s'accroît pendant que jevisite différents comtés, vivant dansdes foyers d'élite. Ce dernier aspect,évidemment, apaise l'esprit deMichael.
— Ah oui; votre frère. Que fait-il pendant que vous occupez vosannées ?
Honoria observa sensiblement
son interrogateur.— Michael est le secrétaire de
lord Carlisle. Le connaissez-vous ?— Carlisle ? Oui. Son
secrétaire, non. Je comprends quevotre frère a des ambitionspolitiques ?
— Lord Carlisle était un ami dePapa ; il a accepté de parrainerMichael.
Ses sourcils s'élevèrentfugitivement, puis il vida sa tasse.
— Qu'est-ce qui vous a amenéeà opter pour le métier de
gouvernante comme occupationtemporaire ?
Honoria haussa les épaules.— Qu'y a-t-il d'autre? J'ai été
bien éduquée, préparée pour êtreprésentée. Papa maintenaitcatégoriquement que je devais êtreprésentée à la haute société, bienmoussée avec tout le tralala —parader sous le nez de mon grand-père. Il espérait me voir contracterun beau mariage, uniquement pourmontrer à Grand-père quepersonne d'autre ne partageait ses
idées vieillottes.— Toutefois, vos parents ont
été tués avant que vous ne soyezprésentée ?
Honoria hocha la tête.— Lady Harwell, une vieille
amie de Maman, avait une filledeux ans plus jeune que moi. Aprèsavoir retiré mes gants noirs, j'aiabordé mon idée avec elle — j'aipensé qu'avec mes origines, maformation, je pouvais enseigner àd'autres filles comment procéder.Lady Harwell a accepté une
période d'essai. Quand j'ai eu finide conseiller Miranda, elle adécroché un comte. Après cela,évidemmént, je n'ai jamais manquéde travail.
— Les marieuses font lebonheur des mères.
Un courant sous-jacent decynisme s'était glissésubrepticement dans la voixprofonde.
— Et qui conseillez-vous dansles environs de Somersham ?
La question ramena d'un coup
Honoria à la réalité.— Melissa Claypole.Son sauveteur fronça les
sourcils.— Est-ce la brune ou la blonde
?— La blonde.Appuyant son menton dans sa
main, Honoria contempla lesflammes.
— Une demoiselle insipide sansconversation; Dieu seul saitcomment je suis censée la rendreattirante. Je devais faire partie du
personnel de lady Oxley, mais sonenfant de six ans à attraper lavariole, puis la vieille lady Oxleyest morte. J'avais déjà décliné toutesles autres offres à cette date, mais lalettre des Claypole était arrivée enretard et je n'avais pas encorerépondu. J'ai donc accepté sansprocéder à mes vérificationshabituelles.
— Vérifications?— Je ne travaille pas pour
n'importe qui.Réprimant un bâillement,
Honoria s'installa plusconfortablement.
— Je m'assure que la famille estde bon ton, avec assez de bonnesrelations pour obtenir les bonnesinvitations et suffisamment àl'avance pour ne pas faired'histoires à propos des factures dela chapelière.
— Sans parler de celles descouturières.
— Exactement. Bien — ellegesticula brièvement —, aucunefille ne va appâter un duc si elle est
mal fagotée.— Indubitablement. Dois-je
comprendre que les Claypole nesatisfont pas à vos exigencesrigoureuses ?
Honoria fronça les sourcils.— Je ne suis avec eux que
depuis dimanche, mais j'ai déjà unvilain doute...
Elle laissa ses mots s'estomper,puis elle haussa les épaules.
— Heureusement, il sembleque l'on parle en bien de Melissa ;un duc, rien de moins.
S'ensuivit une pause, puis sonsauveteur l'incita à poursuivre :
— Un duc ?— C'est ce qu'il semble. Si vous
vivez dans la région, vous devez leconnaître — sérieux, réservé, plutôtreclus, je pense. Déjà pris dans lesfilets de lady Claypole, si Madamedit la vérité.
Se remémorant la question quilui brûlait les lèvres, Honoria setourna.
— Le connaissez-vous ?Des yeux verts limpides
clignèrent devant elle; lentement,son sauveteur hocha la tête.
— Je ne peux pas dire que j'aieu ce plaisir.
— Hum ! dit-elle en s'enfonçade nouveau dans son fauteuil. Jecommence à croire que c'est unermite. Êtes-vous certain...
Mais il ne l'écoutait plus. Puis,elle entendit ce qui avait attiré sonattention — la respiration sifflantedu jeune blessé. L'instant suivant, ilmarchait à longues enjambées verle lit. Il s'assit sur le bord, prenant
les mains du jeune homme dans lessiennes. De son fauteuil, Honoriaécouta pendant que la respirationdu jeune homme devenait de plusen plus irrégulière, haletante.
Quinze douloureuses minutesplus tard, le sifflement sec cessa.
Un silence irréel emplit lecottage; l'orage lui-mêmes'immobilisa. Honoria ferma lesyeux et prononça silencieusementune prière. Puis, le vent se leva,chantant mélancoliquement unemélopée funèbre, le chant de la
nature pour le mort.Ouvrant les yeux, Honoria
regarda Devil pendant qu'ilreposait les mains de son cousin surson torse. Puis, il s'assit sur le borddu grabat, les yeux fixés sur lestraits pâles qui ne bougeraientjamais plus. Il voyait son parentvivant et bien portant, riant,parlant. Honoria savait commentl'esprit gérait la mort. Son cœur seserra, mais elle ne pouvait rienfaire. S'enfonçant de nouveau dansle fauteuil, elle le laissa à ses
souvenirs.Elle avait dû s'assoupir. Quand
elle ouvrit les yeux plus tard, il étaitaccroupi devant l'âtre. La bougies'était consumée ; la seule lumièredans la pièce était jetée par lesflammes. À moitié endormie, ellel'observa disposer des bûches dansle feu, le couvrant pour la nuit.
Au cours de leur conversationplus tôt, elle avait gardé ses yeuxsur son visage ou les flammes ; àprésent, avec la lumière du feudécoupant ses bras et ses épaules,
elle regarda tout son soûl. Quelquechose dans cette peau bronzéemasculine l'amenait à combattre unviolent désir de presser ses doigtsdessus, d'écarter ses mains surl'étendue chaude, de courber sespaumes autour des muscles durs.
Les bras croisés, les mainsserrant bien ses coudes, ellefrissonna.
Il se leva et se retourna en unseul mouvement fluide. Et il plissale front.
— Tenez.
Passant la main devant elle, ilsouleva sa douce veste de sur latable et la lui offrit.
Honoria fixa le regard sur lui,réprimant vaillamment une envieécrasante de se concentrer non passur la veste, mais sur le torse unmètre au-delà. Elle avala, secoua latête, puis entraîna son regarddirectement sur son visage.
— Non, gardez-la. C'est justeque je viens de m'éveiller ; je n'aipas vraiment froid.
Cette dernière déclaration était
bien vraie ; le feu diffusait unechaleur constante dans la pièce.
Un sourcil noir se releva trèslentement ; les yeux vert pâle nequittèrent pas son visage. Puis, ledeuxième sourcil rejoignit lepremier et il haussa les épaules.
— Comme vous voulez.Il reprit sa place dans le vieux
fauteuil sculpté, jetant un regarddans le cottage, ses yeux s'attardantsur la silhouette enveloppée d'unecouverture sur le lit. Puis, seréinstallant, il la regarda.
— Je suggère de profiter detout le sommeil dont nouspourrons. L'orage devrait s'êtrecalmé au matin.
Honoria hocha la tête,immensément soulagée quand ilétala sa veste sur son torsetroublant. Il posa la tête sur ledossier du fauteuil et ferma lesyeux.
Ses cils formaient des croissantsnoirs au-dessus de ses pommetteshautes ; la lumière dansait sur lestraits austères de son visage. Un
visage fort, dur et pourtant pasinsensible. La ligne sensuelle de seslèvres démentait sa mâchoire rude ;l'arc fluide de ses sourcilscompensait son front large. Desmèches folles noires comme la nuitencadraient le tout — Honoriasourit et ferma les yeux. Il aurait dûêtre pirate.
Avec le sommeil obscurcissantson esprit, son corps apaisé par lachaleur du feu, il ne fut pas difficilepour elle de se laisser de nouveauemporter par ses rêves.
Sylvester Sébastian Cynster,sixième duc de St-Ives, connu sousle surnom de Ce Devil Cynster parune poignée choisie de serviteurs,comme Devil Cynster pour la hautesociété en général et simplementcomme Devil pour ses plus prochesamis, observa sa future femme sousses longs cils. Que penserait, sedemanda-t-il, sa mère, la duchessedouairière, d'Honoria PrudenceAnstruther-Wetherby ?
La pensée le fit presque sourire,mais l'atmosphère mortuaire
sombre qui planait sur son esprit nelaissait pas ses lèvres se courber.Pour la mort de Tolly, il n'y avaitqu'une réaction; la justice seraitrendue, mais la vengeancemanierait l'épée. Rien d'autre nel'apaiserait, ni les autres membresdu clan. Malgré leur tendance àl'imprudence, les Cynstermouraient dans leurs lits.
Toutefois, venger la mort deTolly ne ferait que solder le passé.Aujourd'hui, il avait passé leprochain tournant dans sa propre
route ; sa compagne pour l'étapesuivante remua inconfortablementdans le vieux fauteuil en face.
Devil la regarda s'installer et sedemanda ce qui troublait ses rêves.Lui, espérait-il. Elle le troublaitcertainement — et il était bienéveillé.
Il n'avait pas compris enquittant la Maison ce matin qu'ilcherchait une épouse; le destinétait plus avisé. Il avait placéHonoria Prudence sur son chemind'une manière qui garantissait qu'il
ne passerait pas à côté d'elle.L'insatisfaction insatiable qui s'étaitemparée de lui dernièrementsemblait faire partie d'un tout, uneportion du plan du destin. Lassédes mauvais côtés de sa dernièreconquête, il était venu à la Maison,envoyant un mot à Vane pour qu'ilvienne à sa rencontre pourquelques jours de chasse. Vanedevait le rejoindre ce soir-là ; pourtuer le temps pendant toute unejournée, il avait jeté une selle surSulieman et parcourut ses champs.
Les larges terres qui étaientsiennes ne manquaient jamais del'apaiser, de recentrer son esprit surqui il était, ce qu'il était. Puis,l'orage s'était levé ; il avait coupé àtravers la forêt, se dirigeant versl'entrée arrière de la Maison. Celal'avait placé sur la bonne voie pourdécouvrir Tolly — et HonoriaPrudence. Le destin avait tout faitsauf agiter un drapeau rouge ;personne n'avait jamais suggéréqu'il était lent à voir la lumière.Saisir l'occasion était la façon dont
il s'était fait un nom — il avait déjàdécidé de saisir Honoria Prudence.
Elle ferait très bien l'affairecomme sa femme.
Pour commencer, elle étaitgrande, avec une silhouetteharmonieuse, ni trop svelte, ni tropen chair, mais assurémentféminine. Des cheveux brunnoisette brillaient richement, desmèches folles s'échappant duchignon sur le dessus de sa tête.Son visage, en forme de cœur, étaitparticulièrement saisissant, avec
une ossature fine et classique, unpetit nez droit, des sourcils brunsdélicatement arqués et un frontlarge. Ses lèvres étaient pleines,d'une douce teinte rosée ; ses yeux,sa plus belle caractéristique, étaientgrands et largement espacés avecde longs cils et ils étaient d'un grisbrumeux. Il avait dit la vérité surson menton —, c'était le seulattribut qui lui rappelait son grand-père, pas par sa forme, mais par ladétermination qu'il réussissait àcommuniquer.
Physiquement, elle incarnaitune proposition particulièrementcharmante — elle avaitcertainement charmé son intérêtvolage.
Tout aussi important, elle étaitexceptionnellement pondérée, pasencline à se mettre dans tous sesétats ni à sursauter. Cela avait étéévident dès le départ, quand elles'était tenue droite et fière, sanstrembler devant le poids des épi-thètes qu'il avait librement fait
pleuvoir sur sa tête. Puis, elle l'avaitgratifié d'un regard que sa mèren'aurait pas mieux réussi et l'avaitdirigé vers le problème immédiat.
Il avait été impressionné parson courage. Au lieu de se laisseraller à une crise d'hystérie —sûrement une pratique conseilléepour une dame de la sociétédécouvrant un homme saignant àmort sur son chemin —, elle s'étaitmontrée pleine de ressources etpragmatique. Son combat pour
maîtriser sa peur de l'orage ne luiavait pas échappé. Il avait fait cequ'il avait pu pour la distraire ; saréaction instantanée à ses ordres —il avait presque vu les poils de soncou se hérisser — avait rendu cettetâche assez facile. Retirer sachemise n'avait pas nui non plus.
Ses lèvres se retroussèrent;impitoyablement, il les replaça enligne droite. Cela, évidemment,était encore une autre bonne raisonpour lui de suivre le conseil du
destin.Au cours des dix-sept dernières
années, malgré toutes lesdistractions que les dames de lahaute société lui avaient volontiersprocurées l'une après l'autre, sesbas instincts étaient demeuréssujets à sa volonté, entièrement etabsolument. Honoria Prudence,cependant, semblait avoir établi unlien direct avec cette partie de sonesprit qui, comme c'était le cas avectout mâle Cynster, étaitconstamment à la recherche de
partis probables. C'était le chasseuren lui; l'activité ne le distrayaithabituellement pas de ce qu'il avaiten main, peu importe ce que c'était.C'est seulement lorsqu'il était prêt às'occuper de telles affaires qu'ilpermettait à ce côté de sa nature dese montrer.
Aujourd'hui, il avait trébuché— plus d'une fois — sur ses appétitslascifs.
Sa question à propos de laculotte constituait un exemple, etpendant qu'il avait ôté sa chemise,
il l'avait certainement déconcentrée; ce fait, à son tour, l'avaitdéconcentré lui aussi. Il pouvaitsentir son regard — une autreréaction sensible dont il n'avait pasété la proie depuis très longtemps.À trente-deux ans, il se croyaitimmunisé, endurci, tropexpérimenté pour devenir lavictime de ses propres désirs.
Avec de la chance, une fois qu'ilaurait pris Honoria Prudencequelques fois — peut-être quelquesdizaines de fois — le supplice
cesserait. Le fait qu'elle était lapetite-fille de Magnus Anstruther-Wetherby, petite-fille rebelle enplus, serait la cerise sur le gâteau denoces. Devil savoura cette pensée.
Il ne lui avait pas, évidemment,révélé son nom. S'il l'avait fait, ellen'aurait pas sombré dans lesommeil, agité ou autre. Il avaitréalisé presque immédiatementqu'elle ne savait pas qui il était. Iln'y avait aucune raison pour qu'ellele reconnaisse. Par contre, ellereconnaîtrait son nom.
Son curieux métier rendraitimpératif qu'il se tienne au courantdes potins de la haute société ; ilsavait sans l'ombre d'un doute ques'il lui avait offert son nom, elleaurait établi le lien et réagit enconséquence. Ce qui aurait étééprouvant pour tous les deux.
La convaincre qu'elle n'avaitaucun motif de se tracasser auraitexigé beaucoup d'efforts, effortsqu'il ne pouvait pas gaspiller en cemoment. Il avait encore le meurtrede Tolly à résoudre — il avait
besoin qu'elle reste calme et posée.Il trouvait sa franchise, son attitudeterre à terre, sans chichis et presquede bonne épouse, rafraîchissante etétrangement, d'un grand soutien.
Le feu luisait, dorant son visage.Devil examina la délicate courbe desa joue, remarqua la douceurvulnérable de ses lèvres. Ilavouerait son identité au matin — ilse demanda ce qu'elle dirait. Lespossibilités étaient, selon lui, larges.Il méditait sur la plus probablequand elle gémit et se raidit dans
son fauteuil.Devil ouvrit complètement les
yeux. Et il devint simultanémentconscient de la férocité renouveléede l'orage. Le tonnerre roula,grondant plus près que jamais. Levent se leva sur un hurlementsoudain; un craquement secrésonna à travers la forêt.
Honoria haleta et se leva. Yeuxfermés, mains tendues, elles'avança.
Devil se propulsa hors de sonfauteuil. L'attrapant par la taille, il
la souleva pour l'éloigner du feu.Avec un sanglot déchirant, elle
se retourna et se lança contre lui.Ses bras se glissèrent autour de lui ;elle s'accrocha avec force, pressantsa joue contre son torse. Par réflexe,Devil referma ses bras autour d'elleet sentit les sanglots qui lasecouaient. Déséquilibré, il reculad'un pas; le vieux fauteuil à oreillesle surprit derrière le genou.
Il s'assit ; Honoria ne relâchapas sa prise. Elle le suivit en bas,repliant ses jambes vers elle ; elle
finit recroquevillée sur ses cuisses.Sanglotant en silence.
Inclinant la tête, Devil scrutason visage. Ses yeux étaient fermés,mais pas fortement. Des larmescoulaient sur son visage. Elle était,en fait, encore endormie.
Piégée dans son cauchemar, ellefrissonna. Elle ravala un sanglot,seulement pour qu'un autre s'élèveà sa place.
L'observant, Devil ressentit unedouleur aiguë lui serrer la poitrine.Les larmes remontèrent derrière ses
paupières, s'accumulèrent, puisroulèrent lentement, sansinterruption, sur ses joues.
Son ventre se contracta. Fort.Doucement, il lui releva le visage.Elle ne s'éveilla pas; les larmescontinuèrent à tomber.
Il ne pouvait pas le supporter.Devil pencha la tête et déposa seslèvres sur les siennes.
Engloutie dans un chagrin sinoir, si dense que même la lumièrene pouvait pas le percer, Honoriaprit conscience de lèvres chaudes et
fermes pressées contre les siennes.La sensation inattendue ladéconcentra, relâchant l'emprise deson rêve. L'obscurité s'éloigna ; ellese tira en arrière et retint sonsouffle.
Des doigts forts se courbèrentsur sa mâchoire ; les lèvresdistrayantes revinrent. La chaleurs'infiltra dans ses os, sa peau,repoussant le froid de la mort. Leslèvres retenaient les siennes,vivantes et rassurantes, un lienentre un rêve et un autre. Elle
effectua la transition entre uncauchemar et un sentiment de paix,de se trouver au bon endroit,rassurée par la force l'entourant etle battement régulier d'un cœur quine lui appartenait pas.
Elle n'était plus seule dans samisère. Quelqu'un était là, lagardant au chaud, tenant lessouvenirs en échec. La glace dansses veines fondit. Ses lèvress'adoucirent ; avec hésitation, ellerendit le baiser.
Devil rattrapa ses bas instincts
un instant avant qu'ils cèdent. Elledormait encore — la dernière chosequ'il souhaitait était de la réveilleren lui faisant peur. La bataille pourrésister à ses démons, lui vociférantd'intensifier la caresse vers autrechose loin d'être innocent, étaitviolente, aussi féroce que l'orage. Ilgagna —, mais l'effort le laissatremblant.
Elle se retira. Levant la tête, ill'entendit soupirer doucement.
Puis, ses lèvres se recourbant enun sourire distinctement féminin,
elle changea de position, s'installantsur ses cuisses.
Devil retint son souffle ; il semordit la lèvre.
Pressant une fois de plus sa jouecontre son torse, elle glissa dans unprofond sommeil paisible.
Au moins, il avait arrêté leslarmes. Mâchoire serrée, Devil serappela à lui-même que cela — etseulement cela — avait été son but.Grâce au destin, il aurait davantagede temps pour revendiquer unerécompense pour la douleur qu'elle
lui avait causée, pour réclamer unprix approprié pour sa rectituderemarquable. Son auréole, pour unefois, devrait briller.
Il lui fallut une demi-heure deréflexion sur autre chose avant depouvoir se risquer à se détendre. Àce moment-là, elle étaitprofondément endormie.Changeant de position avecprécaution, il s'installa plusconfortablement, puis remarquaque le feu mourait. Tendant lamain vers le sol, il attrapa sa veste,
puis il la drapa avec soin sur safuture femme.
Lèvres courbées, il posa la têtesur le dossier du fauteuil et fermales yeux.
Quand il se réveilla, sa joue étaitappuyée sur les boucles d'Honoria.
Devil cligna des paupières. Lalumière du soleil obliquait à traversles volets. Honoria dormait encore,blottie contre lui, jambes repliéessur ses cuisses. Puis, il entendit lebruit de sabots approchant. Vane,
sans aucun doute, venu le chercher.Se redressant, Devil grimaça
quand des muscles ankylosésprotestèrent. Sa future femme neremua pas. La prenant dans sesbras, il se leva ; Honoria grommela,réinstallant sa tête sur son épaule.Devil la déposa doucement dans sabergère à oreilles, la bordant avecsa veste. Un pli sur le front fronçases sourcils lorsque sa joue touchale chintz froid, puis ses traits sedétendirent et elle glissa plusprofondément dans le sommeil.
Devil s'étira. Puis, faisant courirses doigts sur son torse, il se dirigeavers la porte. Il l'ouvrit en bâillant.
Sa respiration siffla entre sesdents.
— Par le diable et l'enfer !Jaugeant les arrivées, il jura
dans sa barbe. Il avait eu raison àpropos de Vane — son cousin,monté sur un cheval de chasse noir,venait juste d'arriver. Un autrecavalier s'arrêta à côté de lui. Lestraits de Devil perdirent touteexpression alors qu'il saluait d'un
hochement de tête son seul cousinplus âgé, Charles — le demi-frèrede Tolly.
Cela, cependant, n'était pas lepire. Depuis l'autre piste cavalière,un groupe de quatre avançait entrottant — lord et lady Claypole, etdeux palefreniers.
— Monsieur le duc ! Comme ilest étonnant de tomber sur vous ici.
Une femme aux traits acérés etdes cheveux crêpés, lady Claypole,jeta à peine un regard sur Vane etCharles avant de le reporter sur
Devil, ses yeux bleus protubérantss'élargissant.
— J'ai été pris par l'orage.Appuyant son avant-bras sur
l'embrasure, Devil bloqua la porte.— Vraiment ? Sale nuit.Lord Claypole, un petit
gentleman rondelet, lutta avec soncheval pour qu'il s'arrête.
— Puis-je vous demander,monsieur le duc, si vous avezaperçu notre gouvernante ? Elle apris le cabriolet pour aller àSomersham hier — le cabriolet est
rentré sans elle — et je n'ai pas vuun seul cheveu de sa personnedepuis.
Devil était sans expression.— L'orage a été assez violent.— Assez, assez, répondit lord
Claypole en hochant vivement latête. Il est probable que le chevals'est libéré et qu'il a filé à la maison.Brute grincheuse. Je suis certain deretrouver mademoiselle Wetherbysaine et sauve au presbytère, n'est-ce pas ?
Monsieur regarda sa femme,
toujours absorbée par la vue.— Ne le croyez-vous pas, ma
chère ?Lady Claypole haussa les
épaules.— Oh, je suis convaincue
qu'elle ira bien. Quel manqued'égards affreux de sa part de nouscauser tous ces ennuis.
Dirigeant un sourire las versDevil, lady Claypole gesticula endirection des palefreniers.
— Nous avons cru qu'il fallaitorganiser une recherche, mais il est
probable que vous ayez raison,mon époux, et qu'elle sera restéeconfortablement au presbytère.Mademoiselle Wetherby, ditMadame avec condescendance àDevil, nous arrive avec les meilleures
recommandations.Les sourcils de Devil se
soulevèrent.— Vraiment?— Je l'ai su par madame
Acheson-Smythe. Du plus haut
calibre — très chic. Naturellement,quand elle a entendu parler de ma
Melissa, elle a rejeté toutes lesautres offres et...
Lady Claypole s'interrompit,ses yeux protubérants sursautant.Sa bouche s'ouvrit lentement alorsqu'elle regardait derrière l'épaulenue de Devil.
Poussant un soupir silencieux,Devil abaissa son bras, se tournantà demi pour voir l'entrée en scèned'Honoria. Elle s'avança à côté delui, clignant des yeux d'un airendormi, une main pressée sur sondos; avec l'autre, elle repoussa des
mèches errantes de son visage. Sesyeux avaient des paupières lourdes,son chignon était desserré, libérantdes mèches folles d'un brun striéd'or pour couronner sa tête telleune auréole. Elle avait l'airdélicieusement négligé, les joueslégèrement rouges, comme si eneffet ils s'étaient divertis ensemblede la manière dont les Claypolel'imaginaient.
Honoria regarda devant lui —momentanément, elle se figea. Puis,elle se redressa, une grâce froide
tombant sur elle comme unmanteau. Pas une lueur deconsternation ne parut sur sonvisage. Les lèvres de Devilformèrent un sourire en coin —signe d'approbation, d'appréciation.
— Eh bien, mademoiselle !Le ton strident de lady
Claypole débordait d'honneurindigné. Devil fixa sur elle unregard clair et très direct que toutepersonne saine d'esprit auraitinterprété comme unavertissement.
Madame n'était pas siperspicace.
— Une belle ferveur. Vraiment !Eh bien, mademoiselle Wetherby —si ceci est ce que vous faites lorsquevous dites que vous rendez visite aupasteur, ne songez plus à passer leseuil de la porte du manoirClaypole de nouveau !
— Hum!Plus observateur que sa dame,
lord Claypole tira doucement sur samanche.
— Ma chère...
— Penser que j'ai été trompée àce point! Madame Acheson-Smytheentendra parler de...
— Non ! Vraiment, Margery...Un œil sur le visage de Devil,
lord Claypole s'efforça d'empêchersa femme de se pousser au suicidesocial.
— Ce n'est pas la peine.— Pas la peine?
Lady Claypole le dévisageacomme s'il avait perdu l'esprit. Selibérant de sa main d'une secousse,elle se redressa et déclara avec
arrogance :— Si vous voulez bien nous
informer de votre destination, nousvous expédierons vos malles.
— Comme c'est gentil.Le murmure ronronnant de
Devil contenait suffisamment detranchant pour réussir là où lordClaypole avait échoué.
— Vous pouvez envoyer lesmalles de mademoiselleAnstruther-Wetherby à la Maison.
Un long silence accueillit sa
déclaration.Lady Claypole se pencha en
avant.— Anstruther-Wetherby ?— La Maison?Le doux écho venait de Charles
Cynster; son cheval changea deposition et piaffa. Brusquement,lady Claypole reporta son regardsur Honoria.
— Est-ce vrai, mademoiselle?Ou est-ce une petite bouillie pourchat que vous avez réussi à faire
avaler à monsieur le duc ?Monsieur le duel Pendant un
instant qui passa inaperçu, lecerveau d'Honoria partit en vrilles.Elle jeta un regard en biais audémon à côté d'elle — ses yeux,d'un vert frais, rencontrantbrièvement les siens. À ce moment,elle aurait donné tout ce qu'ellepossédait pour se débarrasser detous les autres pour s'en prendre àlui comme il le méritait. Au lieu,elle leva le menton et considéra
calmement lady Claypole.— Comme monsieur le duc —
elle mit un accent subtil sur le titre— a cru bon de vous en informer, jesuis, en effet, l'une des Anstruther-Wetherby. J'ai choisi de ne pasaccorder d'importance à ce lien,pour éviter un intérêt injustifié etmal élevé.
Le commentaire échoua àmettre Madame en déroute.
— Je ne sais vraiment pascomment je vais expliquer cela àmes filles.
— Je suggère, lady Claypole —le regard sur le visage de la dame,Devil attrapa la main d'Honoria,serrant ses doigts en signed'avertissement alors qu'il les levaità ses lèvres — que vous informiezvos filles qu'elles ont eu l'honneurd'être éduquées, bien que pendantpeu de temps, par ma duchesse.
— Votre duchesse !L'exclamation surgit de trois
gorges — parmi les gens de lasociété, seul Vane Cynster garda lesilence.
Le cerveau d'Honoria partit denouveau en vrilles ; la poigne surses doigts se resserra. L'air serein,les lèvres légèrement recourbées,elle lança un regard affectueux versle visage de son prétendu fiancé ;lui seul pouvait voir la promesseféroce dans ses yeux.
— Vraiment, monsieur le duc !Vous n'avez sûrement pas réfléchi.
Lady Claypole avait pâli.— Cette affaire est loin de
justifier un tel sacrifice — je suiscertaine que mademoiselle
Wetherby ne sera que tropheureuse de négocier unarrangement...
Sa voix s'estompa, finalementréduite au silence par l'expressionsur le visage de Devil. Pendant uneseule longue minute, il la retintparalysée, puis il reporta son regardfroid sur lord Claypole.
— Je m'étais attendu, monsieur,à pouvoir compter sur vous et votredame pour accueillir ma duchesse.
La voix profonde et monocordecontenait une menace ferme.
Lord Claypole avala.— Oui, en effet! Pas de doute
là-dessus — pas une ombre. Heu...Rassemblant ses rênes, il tendit
la main vers celles de sa femme.— Félicitations, et tout ; si je
puis, nous devons partir. Si vousvoulez bien nous excuser, monsieurle duc ? Venez, ma chère.
Avec une rapidité remarquable,son groupe quitta la clairière.
Soulagée, Honoria observa lesderniers cavaliers. Un regard suffità identifier le plus près comme un
parent du... du duc appelé Devil.Son esprit trébucha sur cettepensée, mais elle fut incapabled'établir le lien. Le cavalier enquestion tourna la tête; mainsnégligemment croisées sur lepommeau, il était d'une beautéfrappante. Ses cheveux et sessourcils bruns étaient moinssombres que ceux de Devil, mais ilsemblait avoir la même taille et êtrepresque aussi large que l'homme àcôté d'elle. Ils partageaient unecaractéristique de référence — le
simple geste de tourner sa têteavait été empreint de la mêmeélégance fluide qui caractérisait lesmouvements de Devil, une grâcemasculine qui titillait les sens.
Le regard du cavalier passarapidement sur elle — un regarddétaillé — puis, lèvres serecourbant en un sourire subtil, ilregarda Devil.
— Je comprends que tu n'as pasbesoin d'être secouru ? La voixet le comportementconfirmèrent leur relation
hors de tout doute.— Pas de secours ; il y a eu un
accident. Entre.Le regard du cavalier se fit plus
perçant ; Honoria aurait pu jurerqu'une communication silencieuses'était transmise entre lui et Devil.Sans un mot de plus, le cavaliers'élança en bas de sa selle.
Révélant son compagnon,toujours sur son cheval. Un hommeplus vieux avec des cheveux pâlesclairsemés; il avait un corps
fortement charpenté, le visagerond, les traits plus joufflus que leprofil aquilin des deux autreshommes. Lui aussi rencontra leregard de Devil, puis il inspira etmit pied à terre.
— Qui sont-ils ? murmuraHonoria pendant que le premierhomme, ayant attaché son cheval,s'avançait vers eux.
— Deux autres cousins. Celuiqui approche est Vane. Du moins,c'est ainsi que nous l'appelons.
L'autre, c'est Charles. Le frère deTolly.
— Frère?Honoria jongla avec l'image de
l'homme costaud par rapport à celledu jeune mort.
— Demi-frère, rectifia Devil.Agrippant son coude, il sortit
du cottage, l'attirant aveclui.
Cela faisait un moment qu'unepersonne avait physiquementobligé Honoria à faire quoi que ce
soit —, c'était certainement lapremière fois qu'un homme l'osait.Sa pure présomption la laissa sansvoix ; sa pure puissance rendit lerefus impossible. Son cœur, ayantfinalement ralenti après la secousseprovoquée par le baiser de Devilsur ses doigts, recommença à battrela chamade.
A quelques pas de la porte, ils'arrêta et, la libérant, lui fit face.
— Attendez ici ; vous pouvezvous asseoir sur ce rondin. Cela
pourrait prendre un moment.Pendant un instant lourd de
sens, Honoria fut à deux doigts dela rébellion déclarée. Il y avaitquelque chose d'implacablederrière le vert limpide, quelquechose qui distribuait les ordres avecl'absolue certitude d'être obéi. Ellemourrait d'envie de la défier, de ledéfier, de s'offusquer de sesdirectives péremptoires.Cependant, elle savait ce quil'attendait dans le cottage.
Lèvres crispées, elle inclina la
tête.— Très bien.Elle se tourna, ses jupes
tournoyant derrière elle ; Devill'observa pendant qu'elle s'avançaitvers le rondin, installé sur dessouches d'un côté de la clairière.Puis, elle marqua une pause ; sansregarder en arrière, elle pencha denouveau la tête.
— Monsieur le duc.Le regard fixé sur ses hanches quise balançaient, Devil la contemplaalors qu'elle poursuivait son
chemin. Son intérêt envers ellevenait juste d'augmenterradicalement; aucune femmeauparavant n'avait même songé àlui lancer ses ordres — il savaitparfaitement bien qu'ils étaientautocratiques — en plein visage.Non seulement y avait-elle réfléchi— elle l'avait presque fait. Sans lecorps de Tolly dans le cottage, ellel'aurait fait. Elle atteignit le rondin.Satisfait, Devil se tourna; Vaneattendait à la porte du cottage.
— Quoi?
Le visage de Devil se durcit.— Tolly est mort. D'une balle.Vane immobilisa ses yeux fixés
sur ceux de Devil.— De qui ?— Cela, dit Devil à voix basse,
jetant un coup d'œil à Charlespendant qu'il s'approchait, je ne lesais pas encore. Viens à l'intérieur.
Ils s'arrêtèrent en demi-cercleau pied du grabat rudimentaire,baissant le regard sur le corps deTolly. Vane avait agi commelieutenant pour Devil à Waterloo ;
Charles avait servi commeadjudant-major. Ils avaient vu lamort plusieurs fois ; la familiaritén'adoucissait pas le coup. Avec unevoix dénuée d'émotion, Devil relatatout ce qu'il savait.Il répéta les dernières paroles deTolly; Charles, le visage inexpressif,était pendu à chaque syllabe. Puis,un long silence tomba; dans lalumière vive se déversant par laporte ouverte, le cadavre de Tollysemblait encore plus indécemmentdéplacé que la nuit auparavant.
— Mon Dieu. Tolly !Les mots de Charles furent
prononcés d'une voix brisée. Sestraits se fripèrent. Couvrant sonvisage d'une main, il s'affaissa sur lebord de la paillasse.
Devil serra la mâchoire, lespoings. La mort ne possédait plus lepouvoir de lui causer un choc. Lechagrin demeurait, mais il le vivraiten privé. Il était le chef de famille— son premier devoir était dediriger. Ils s'atten- daient à cela delui — il s'attendait à cela de lui-
même. Et il avait Honoria Prudenceà protéger.
Cette pensée l'ancra sur terre,l'aida à se libérer du vortex dechagrin qui entraînait son esprit. Ilinspira longuement, puis reculasilencieusement, se retirant dansl'espace libre devant l'âtre.
Quelques minutes plus tard,Vane le rejoignit ; il jeta un coupd'œil par la porte ouverte.
— Elle l'a trouvé ?Devil hocha la tête.— Heureusement, elle n'est pas
du genre hystérique.Ils parlèrent discrètement, à
voix basse. Regardant vers le lit,Devil plissa le front.
— Que fait Charles ici ?— Il était à la Maison lorsque je
suis arrivé. Il dit qu'il a couru aprèsTolly jusqu'ici pour une questiond'affaires. Il s'est présenté auxappartements de Tolly — le vieuxMick lui a dit qu'il s'était mis enroute pour venir ici.
Devil grimaça.— Je suppose que c'est aussi
bien qu'il soit là.Vane examina son torse nu.— Où est ta chemise ?— C'est le bandage.Après un moment, Devil
soupira et se redressa.— Je vais accompagner
mademoiselle Anstruther-Wetherby à la Maison et envoyerun tombereau.
— Et je vais rester pour veillerle corps.
Un sourire fugitif apparût surles lèvres de Vane.
— Tu obtiens toujours lesmeilleurs rôles.
Le sourire de Devil en réactionfut tout aussi bref.
Celui-ci vient avec un boulet et unechaîne.
Les yeux de Vane se fixèrentsur les siens.
— Tu es sérieux ?— Plus que jamais.Devil jeta un regard sur le
grabat.— Surveille Charles.Vane hocha la tête.Le soleil dehors l'aveugla
presque. Devil cligna et plissa lespaupières en direction du rondin. Ilétait inoccupé. Il jura et regardaencore — une pensée atroce seprésenta. Et si elle avait essayé demonter Sulieman ?
Sa réaction fut instantanée —l'afflux de sang, son cœur battantsoudainement la chamade. Ses
muscles s'étaient déjà tendus pourle propulser en courant vers l'écurielorsque l'ombre d'un mouvementattira son œil.
Elle n'était pas allée à l'écurie.Les yeux s'adaptant à la lumièrevive, Devil la regarda marcher delong en large à quelques pas à côtédu rondin. Sa robe brun-grisâtres'était fondue avec les troncs desarbres, la camouflantmomentanément. Sa paniques'apaisant, il centra son regard.
Honoria le sentit — elle leva latête et le vit, toujours torse nu,l'image même d'un flibustier,l'observant, immobile, l'irritationprésente sur chaque trait. Leursregards s'affrontèrent — uneseconde plus tard, elle rompit lelien. Nez en l'air, elle se déplaçagracieusement à sa droite — ets'assit bien sagement sur le rondin.
Il patienta, calme regard vertperçant, puis apparemmentsatisfait de la voir rester où elle
avait été installée, il se dirigea versl'écurie.
Honoria grinça des dents et sedit qu'il n'était pas important. Ilétait expert en manipulation — eten intimidation —, mais pourquoicela devrait-il la déranger?
Elle se rendrait à cette Maisonqui lui appartenait, atten- drait sesmalles et partirait ensuite. Ellepasserait le temps en rencontrant laduchesse douairière.
Au moins, elle avait résolu unepartie du mystère qui la taraudait— elle avait fait la connaissance de
son duc insaisissable. L'imagequ'elle avait trimballée avec elle cestrois derniers jours — l'imagepeinte par lady Claypole — d'unpair doux, modeste et reclus, surgitdans son esprit. L'image neconcordait pas avec la réalité — leduc appelé Devil n'était pas doux nimodeste. C'était un tyran depremière classe. Et en ce quiconcernait la prétention de ladyClaypole qu'il était pris dans sesfilets, Madame rêvait.
Mais au moins, elle avaitrencontré son duc, même si elledevait encore apprendre son nom.Elle avait, cependant, une difficultégrandissante à croire que l'idée dese présenter à elle n'avait pas, à unmoment donné au cours des quinzedernières heures, traversé sonesprit. Ce qui était une pensée surlaquelle méditer.
Honoria se trémoussa,regrettant la perte de son jupon. Lerondin était rude et raboteux; il
creusait des marques douloureusesdans sa peau. Elle pouvait voirl'entrée de l'écurie; d'après lesombres mouvantes, elle présumaque Devil sellait son démon decheval. Vraisemblablement, il allaitse rendre à cheval jusqu'à la Maisonet envoyer une voiture pour elle etle corps de son cousin.
La fin de son aventureinattendue en vue, elle s'accorda unmoment de réflexion. Quelque peuà son étonnement, il fut rempli de
pensées sur Devil.Il était dominateur, arrogant,
autoritaire — la liste s'allongeait. Etencore. Toutefois, il était aussid'une beauté frappante, il pouvaitse montrer charmant lorsqu'il lesouhaitait et, elle le soupçonnait,possédait un sens de l'humourdiabolique à souhait. Elle en avaitassez vu du duc pour lui accorderson respect et assez de l'hommepour sentir un attrait incontestable.Néanmoins, elle n'avait aucun désirde passer plus de temps qu'il fallait
en compagnie d'un tyran appeléDevil. Les gentlemen tels que luiétaient très bien — tant qu'ilsn'étaient pas parents avec vous etgardaient une distancerespectueuse.
Elle avait tiré cette conclusionferme quand il réapparut, guidantSulieman. L'étalon étaitombrageux, l'homme grave.Honoria se leva pendant qu'ilapprochait.
S'arrêtant devant elle, il stoppaSulieman à côté de lui ; avec le
rondin placé immédiatementderrière elle, Honoria ne pouvaitpas reculer. Avant qu'elle puisseexécuter un glissement de côté,Devil enroula les rênes autour d'unpoing — et tendit l'autre main verselle.
Quand elle comprit sonintention, elle était perchée d'unemanière instable en amazone sur ledos de Sulieman. Elle haleta etreferma ses mains sur le pommeau.
— Que diable...
Desserrant les rênes, Devil lui
lança un froncement de sourcilsimpatient.
— Je vous amène à la maison.Honoria cligna des yeux — il
avait une façon avec les motsqu'elle n'était pas certained'apprécier.
— Vous m'amenez chez vous ; àla Maison ?
— La Maison Somersham.Les rênes libérées, Devil tendit
la main vers le pommeau. AvecHonoria montant devant lui, iln'avait pas l'intention de se servir
des étriers.Les yeux d'Honoria
s'arrondirent.— Attendez!Le regard que lui jeta Devil ne
pouvait être réussi que par unhomme impatient.
— Quoi?— Vous avez oublié votre veste
— elle est restée dans le cottage.Honoria s'efforça de contenir sa
panique, occasionnée par la penséede son torse — nu — pressé contreson dos. Même à quinze
centimètres dans son dos. À quinzecentimètres de n'importe quellepartie de son corps.
— Vane l'apportera.— Non ! Eh bien — qui a déjà
entendu parler d'un duc montant àcheval dans la campagne, torse nu ?Vous pourriez attraper froid — jeveux dire...
Atterrée, Honoria compritqu'elle regardait dans des yeux vertpâle qui voyaient beaucoup plusqu'elle l'aurait cru.
Devil retint calmement sonregard.
— Habituez-vous-y, conseilla-t-il.
Puis, il sauta sur la sellederrière elle.
Chapitre 4
Le seul avantage qu'offrait la
posture d'Honoria sur le dos de
Sulieman fut que son bourreau,
derrière elle, ne pouvait pas voir
son visage. Malheureusement, il
pouvait voir la rougeur lui tachant
non seulement les joues, mais le
cou. Il pouvait également sentir la
raideur qui s'était emparée d'elle —
tout juste surprenant — à l'instant
où il avait atterri sur la selle
derrière elle, il l'avait enlacée d'un
bras musclé et attirée contre lui.
Elle avait fermé les yeux dès lemoment où il l'avait touchée ; lapanique avait coupé son criperçant. Pour la première fois de savie, elle pensa vraiment s'évanouir.
La force d'acier l'entourant étaitirrésistible ; quand elle eut maîtriséses réactions enflammées et putfonctionner de nouveaurationnellement, ils quittaient lapiste cavalière pour s'engager sur laroute.
Regardant autour d'elle, ellebaissa les yeux — et serra le brasautour de sa taille. Il se resserra.
— Restez tranquille ; vous netomberez pas.
Les yeux d'Honorias'arrondirent. Elle ressentait chaque
mot qu'il prononçait. Elle pouvaitégalement sentir une chaleurpénétrante émanant de son torse,de ses bras, de ses cuisses; partoutoù ils se touchaient, la peaud'Honoria brûlait.
- Ah...Ils refaisaient le trajet qu'elle
avait emprunté avec le cabriolet; lacourbe menant à la ligne droiteétait juste devant.
— La Maison Somersham est-elle votre résidence principale ?
— C'est mon foyer. Ma mère y
demeure presque toute l'année.Il n'y avait aucun duc de
Somersham. Alors qu'ilsempruntaient la courbe, Honoriadécida qu'elle en avait eu assez. Seshanches, son derrière, étaientcoincés fermement entre ses cuissesdures comme le roc.
Ils étaient extrêmementproches, pourtant, elle neconnaissait même pas son nom.
— Quel est votre titre ?— Mes titres.
L'étalon tenta de virer du côtéde la route, mais il fut maintenusans pitié sur sa voie.
— Duc de St-Ives, marquisd'Earith, comte de Strathfield,vicomte Wellsborough, vicomteMoreland...
Le récital continua; Honorias'appuya contre son bras afin depouvoir voir son visage. Quand lestitres cessèrent de tomber de seslèvres, ils avaient dépassé le lieu dela tragédie de la veille et prenaient
le prochain coude. Il baissa les yeux; elle plissa les paupières vers lui.
— En avez-vous fini ?— En fait, non. C'est la litanie
que l'on m'a enfoncée dans la têtedès ma plus tendre enfance. Il y ades ajouts plus récents, mais je n'aijamais appris qu'elles étaient leurplace.
Il baissa de nouveau le regard— Honoria le dévisagea à sonretour d'un air ébahi. Elle avaitenfin compris le lien qui lui
échappait.« Les Cynster possèdent St-Ives.
» C'était une phrase de la rime quesa mère lui avait enseignée,énumérant les plus anciennesfamilles de la haute société. Et si lesCynster possédaient encore St-Ives,cela signifiait... Brusquement, ellese concentra sur les traits finementciselés de l'homme la tenant sifacilement devant lui.
— Vous êtes Devil Cynster ?Ses yeux rencontrèrent les siens
; quand elle continua à le fixer avecune accusation abasourdie, unsourcil noir se souleva avecarrogance.
— Vous voulez une preuve ?Une preuve ? De quelle preuve
pouvait-elle avoir besoin ? Unregard à ses yeux omniscients etsans âge, à ce visage affichant uneforce d'acier parfaitementfusionnée avec une sensualitédébordante suffisait à calmer tousles doutes. Brusquement, Honoria
regarda droit devant elle ; sonesprit qui était parti en vrilles plustôt à présent se déchaînaitcarrément.
Les Cynster — la haute sociéténe serait pas pareil sans eux. Ilsétaient une race à part — sauvages,hédonistes, imprévisibles. Encompagnie de ses propres aïeux, ilsavaient traversé la Manche avec leConquérant; pendant que sesancêtres à elle cherchaient lepouvoir à travers la politique et la
finance, les Cynster avaientpoursuivi le même but par d'autresmoyens plus directs. Ils étaient etavaient toujours été des guerrierspar excellence — forts, courageux,intelligents — des hommes néspour diriger. Au cours des siècles,ils s'étaient lancés dans n'importequel combat presque gagnéd'avance avec une passionintrépide qui portait toutadversaire sain d'esprit à y réfléchirà deux fois. Par conséquent, chaque
roi depuis William avait eu lasagesse d'apaiser les puissantsseigneurs de St-Ives.Heureusement, par quelqueétrange bizarrerie de la nature, lesCynster étaient aussi passionnéspar la terre qu'ils l'étaient à proposde la guerre.
Ajouté à cela, qu'il s'agisse dudestin ou de la chance pure, leurhéroïsme sous les armes n'avaitd'égal que leur troublante habiletéà survivre. À la suite de Waterloo,alors que tant de familles de la
noblesse en comptaient le coût, undicton avait fait son chemin, néd'une admiration réticente. LesCynster, disait-on, étaientinvincibles ; sept étaient allés auchamp de bataille et les sept étaientrevenus, vigoureux et entiers, avecà peine une égratignure.
Ils étaient égalementinvinciblement arrogants, unecaractéristique alimentée par le faitqu'ils étaient, globalement, aussitalentueux qu'ils croyaient eux-mêmes l'être, une situation qui
créait chez les mortels moinsfavorisés un certain respect accordéà contrecœur.
Non que les Cynster exigeaientle respect — ils l'acceptaientsimplement comme leur dû.
Si seulement la moitié deshistoires racontées étaient vraies, lagénération contemporaine étaitaussi sauvage, hédoniste etimprévisible que chaque Cynsterl'avait été. Et le présent chef defamille était le plus sauvage, le plushédoniste et le plus imprévisible
d'eux tous. L'actuel duc de St-Ives— celui qui l'avait jetée sur sa selleet avait déclaré qu'il l'amenait à lamaison. Le même homme qui luiavait dit de s'habituer à son torsenu. L'autocrate aux airs de piratequi avait sans ciller décrété qu'elleserait sa duchesse.
Honoria songea soudain qu'ellefaisait trop de suppositions. Lesaffaires ne se déroulaient peut-êtrepas tout à fait comme elle l'avaitpensé. Non que cela fut important— elle savait où la vie la menait. En
Afrique. Elle s'éclaircit la gorge.— La prochaine fois que vous
les rencontrerez, les filles Claypolepourraient se révéler difficiles —elles sont, je suis désolée de le dire,les filles de leur mère.
Elle le sentit hausser lesépaules.
— Je vais vous laisser vousoccuper d'elle.
— Je ne serai pas ici.Elle émit sa déclaration
fermement.— Nous habiterons ici assez
souvent — nous passerons unepartie de l'année à Londres et dansmes autres domaines, mais laMaison sera toujours notre foyer.Cependant, vous n'avez pas besoinde vous inquiéter pour moi — je nesuis pas assez stupide pouraffronter les aspirantes localesdéçues sans profiter de vos jupes.
— Je vous demande pardon ?Se tournant, Honoria le
dévisagea.Il rencontra brièvement son
regard ; ses lèvres formèrent un
sourire en coin.— Pour me cacher derrière.La tentation était trop grande
— Honoria leva un sourcilarrogant.
— Je pensais que les Cynsterétaient invincibles.
Son sourire fut bref et éclatant.— Le truc est de ne pas
s'exposer au feu ennemi sansnécessité.
Frappée par la force de cesourire fugitif, Honoria cligna desyeux — et se tourna brusquement
vers l'avant. Il n'y avait, après tout,aucune raison pour elle non plus del'affronter lui sans nécessité. Puis,elle réalisa qu'elle avait étédéconcentrée.
— Je déteste démolir votredéfense, mais je serai partie dansquelques jours.
— J'hésite à vous contredire, luiparvint un murmure ronronnantjuste au-dessus de son oreillegauche, mais nous allons nousmarier. Par conséquent, vousn'allez nulle part.
Honoria grinça des dents pourcontrer les picotementsfrissonnants qui lui parcoururentl'échine. Tournant la tête, elleregarda directement dans ses yeuxhypnotiques.
— Vous avez dit celauniquement pour mettre desbâtons dans les roues de ladyClaypole.
Quand il ne répondit pas, secontentant de rencontrer posémentson regard, elle regarda en avant,haussant les épaules avec morgue.
— Vous n'êtes pas ungentleman de me taquiner ainsi.
Le silence qui suivit futprécisément calculé pour luimettre les nerfs à vif. Elle le sutlorsqu'il parla, sa voix profonde,basse, comme du velours noir.
— Je ne taquine jamais — dumoins pas verbalement. Et je nesuis pas un gentleman, je suis unaristocrate, une différence, je m'endoute, que vous comprenez trèsbien.
Honoria savait ce qu'elle devait
comprendre — son ventretremblait d'une manière trèsgênante —, mais elle n'était pas surle point de se rendre.
— Je ne vous épouserai pas.— Si vous pensez cela, ma
chère mademoiselle Anstruther-Wetherby, j'ai peur que vous n'ayeznégligé de considérer un certainnombre de faits.
— Tels que ?— Telle que la nuit dernière,
que nous avons passée sous lemême toit, dans la même pièce,
sans chaperon.— Sauf un homme mort, votre
cousin, dont tout le monde doitsavoir que vous aimiez beaucoup.Avec son corps allongé sur le lit,personne n'imaginera qu'il se soitpassé quoi que ce soit de fâcheux.
Convaincue qu'elle avait jouéune carte gagnante, Honoria ne futpas étonnée par le silence quisuivit.
Ils émergèrent des arbres sousla lumière vive d'un matin de find'été. Il était tôt; l'air frais de la nuit
devait encore se dissiper. La pistesuivait un fossé rempli d'eau.Devant, une rangée d'arbresnoueux était disposée sur leurchemin.
— J'avais eu l'intention de vousdemander de ne pas mentionnercomment nous avions découvertTolly. Sauf, évidemment, à lafamille et au magistrat.
Honoria fronça les sourcils.— Que voulez-vous dire ?— J'aimerais mieux que l'on
croit que nous l'avons trouvé ce
matin et déjà mort.Honoria pinça les lèvres et vit
sa défense s'évaporer. Mais ellepouvait difficilement refuser lademande, particulièrement parceque cela n'avait aucune importance.
— Très bien. Mais pourquoi ?— Le sensationnalisme sera
déjà assez mauvais quand onapprendra qu'il a été tué par unbandit de grand chemin. J'aimeraismieux épargner à ma tante, et àvous, autant de questions qui sensuivront que possible. Si l'on
apprend qu'il a vécu après coup etque nous l'avons trouvé avant samort, vous serez soumise à uneenquête chaque fois que vous vousmontrerez en public.
Elle pouvait difficilement lenier — la haute société flo- rissaitsous les hypothèses.
— Pourquoi ne pouvons-nouspas dire qu'il était déjà mortlorsque nous l'avons trouvé hier ?
— Parce qu'alors, c'est plutôtdifficile d'expliquer pourquoi je nesuis pas simplement parti avec le
corps et rentrer à la maison, voussoulageant de ma présencedangereuse.
— Étant donné que voussemblez imperméable auxintempéries, pourquoi n'êtes-vouspas parti après sa mort ?
— C'était déjà trop tard.Parce que le dommage à sa
réputation avait déjà été fait ?Honoria se renfrogna. Entre lesarbres, elle pouvait voir un mur depierres, clôturantvraisemblablement le parc. Au-
delà, elle aperçut une vaste maison,le toit et les fenêtres les plus hautesvisibles au-dessus de grandes haies.
— En tout cas, déclara-t-elle,sur un point, lady Claypole avaitentièrement raison — il n'y a aucunbesoin d'en faire toute une histoire.
— Oh?— C'est une affaire simple —
comme lady Claypole ne medonnera pas de recommandation,votre mère pourrait- elle s'encharger ?
— Je pense que c'est
improbable.— Pourquoi ? demanda
Honoria en se contorsionnant pourse retourner. Elle saura qui je suis,exactement comme vous l'avez su !
Des yeux vert pâlerencontrèrent les siens.
— C'est pour cela.Elle aurait souhaité que plisser
les yeux dans sa direc-tion eût un effet sur lui — elleessaya tout de même.
— Dans les circonstances,j'aurais pensé que votre mère ferait
tout ce qu'elle peut pour m'êtreutile.
— Je suis certain qu'elle le fera— c'est précisément pourquoi ellene lèvera pas un doigt pour vousaider à trouver une nouvelle placede gouvernante.
Réprimant un grognement,Honoria se tourna vers l'avant.
— Elle ne peut pas être aussiguindée.
— Je ne me rappelle pas qu'onl'ait un jour décrite ainsi.
— Je pense plutôt que quelque
part au nord serait sage — le LakeDistrict, peut-être ?
Il soupira — Honoria le sentitjusque dans les orteils.
— Ma chère mademoiselleAnstruther-Wetherby, laissez-moiclarifier quelques détails.Premièrement, le récit de notrenuit passée ensemble, seuls dans lecottage de mon forestier sortira —rien n'est plus sûr. Peu importetoutes les recommandationsformelles lancées par son épouxexploité, lady Claypole ne sera pas
capable de résister à raconter à sesplus chères amies le plus récentscandale impliquant le duc de St-Ives. Tout cela dans la plus grandeconfidentialité, bien sûr, ce quigarantira que l'histoire circule danstous les coins de la haute société.Après cela, votre réputation vaudrapas mal moins que le quart d'unancien penny. Peu importe cequ'elles disent devant vous, pas uneseule âme ne croira en votreinnocence. Vos chances d'obtenirun poste dans une maison d'un
rang suffisant pour apaiser l'espritde votre frère sont nulles en cemoment.
Honoria jeta un regard mauvais
aux arbres, s'approchant de plus enplus.
— Je prends la permission devous informer, monsieur le duc,que je suis loin d'être une jeune filleinexpérimentée. Je suis une femmemature avec une expérience
raisonnable; pas une cible facile.— Malheureusement, ma
chère, vous embrouillez votre causeet votre effet. Si vous aviez, eneffet, été une gamine au visagejuvénile tout juste sortie de sa sallede classe, peu imagineraient quej'aurais fait autre chose que dormirhier soir. Dans l'état actuel deschoses...
Il marqua une pause,ralentissant Sulieman alors qu'ilsapprochaient des arbres.
— Il est bien connu que je
préfère un défi plus stimulant.Dégoûtée, Honoria s'indigna— C'est ridicule ; il n'y avait
même pas de lit.Le torse derrière elle trembla,
puis s'immobilisa.— Faites-moi confiance ; il n'y a
aucune nécessité d'avoir un lit.Honoria pressa les lèvres et jeta
un regard furieux aux arbres. Lesentier cheminait dans le bosquet ;au-delà s'élevait le mur de pierres,trente centimètres d'épaisseur etsept mètres de hauteur.
Un passage voûté donnait surune avenue bordée de peupliers. Àtravers les feuilles mouvantes, elleaperçut la maison, encore àquelques distances à gauche. Elleétait immense — un long bloccentral avec des ailesperpendiculaires de chaque côté,comme un E dans le trait du centre.Un vaste complexe d'écuries étaitdisposé directement devant.
La proximité des écuries lapoussa à parler.
— Je suggère, monsieur le duc,
que nous acceptions d'être endésaccord sur la conséquenceprobable de la nuit dernière. Jesalue votre inquiétude, mais je nevois aucune raison de me lier par lemariage pour éviter quelques moisde médisances. Étant donné votreréputation, vous pouvezdifficilement discuter.
Cela, lui semblait-il, était unetouche joliment éloquente.
— Ma chère mademoiselleAnstruther-Wetherby.
Son ronronnement doux et
absolument fatal résonna dans sonoreille gauche ; des picotementsdescendirent dans sa colonnevertébrale.
— Laissez-moi émettre unedéclaration parfaitement claire. Jen'ai pas l'intention de discuter.Vous, une Anstruther-Wetherby,avez été comprise à l'issue de cetteaffaire, peu importe que ce soitinnocemment, par moi, un Cynster.Il n'y a, par conséquent, aucundoute sur le résultat ; ainsi, il nepeut y avoir aucune discussion.
Honoria grinça des dents sifortement que sa mâchoire lui fitmal. L'effort pour réprimer lefrisson que son murmureronronnant avait provoqué la gênatout le long du chemin jusqu'àl'entrée en arc des écuries. Ilspassèrent dessous. Les sabots deSulieman claquaient sur les pavésronds. Deux palefreniers arrivèrent encourant, mais stoppèrent
net juste avant l'endroit où Devilramena son coursier noir au pas.
— Où est Melton ?— Pas encore dans les environs,
Vot' Seigneurie.Honoria entendit son sauveteur
— ou était-ce son ravisseur ? —jurer dans sa barbe. Sans aucunavertissement, il descendit decheval en ramenant sa jambe par-dessus le pommeau, entraînantHonoria avec lui au sol. Elle n'eutpas le temps de hurler.
Reprenant son souffle, elle
constata que ses pieds n'avaient pasencore touché terre — il la tenaitimmobile, fermement coincéecontre lui ; un autre frisson menaça.Elle inspira pour lancer uneprotestation — à cet instant, il ladéposa doucement.
Lèvres pressées, Honoriaépousseta ses jupes avec morgue.Se redressant, elle se tourna vers lui— il lui prit la main, attrapa lesrênes et se dirigea vers les écuries,les remorquant, elle et son démonnoir, derrière lui.
Honoria ravala sa plainte; elleaimait mieux l'accompagner quefaire le pied de grue dans la courdes écuries, une proie pour lacuriosité de ses palefreniers.L'obscurité, remplie des odeursfamilières du foin et des chevaux,l'engloutit.
— Pourquoi vos palefreniers nepeuvent-ils pas le brosser ?
— Ils ont trop peur de lui ; seulle vieux Melton peut le maîtriser.
Honoria observa Sulieman — lecheval la regarda calmement en
retour.Son maître s'arrêta devant une
grande stalle. Libérée, Honorias'appuya contre la porte de la stalle.Bras croisés, elle réfléchit à safâcheuse situation pendant qu'elleregardait son ravisseur — elle étaitde plus en plus convaincue quec'était une description plus juste delui — bouchonner son coursierredoutable.
Des muscles se contractèrent etse détendirent; le spectacle étaitpositivement hypnotisant. Il lui
avait dit de s'y habituer ; elledoutait de réussir un jour. Il sepencha, puis se redressa avecfluidité et se déplaça de l'autre côtédu cheval; son torse apparut.Honoria prit une lente respiration— puis il surprit son regard.
Pendant un instant, leursregards s'accrochèrent, puisHonoria détourna le sien, toutd'abord vers des articles de selleriesuspendus le long du mur del'écurie, puis en haut vers lespoutres, se morigénant en son for
intérieur pour sa réaction,souhaitant simultanément avoir unéventail en main.
Il n'était jamais sage des'embrouiller avec les autocrates,mais comme elle n'avait pas lechoix, elle devait se rappeler quec'était positivement fatal dereconnaître qu'il avait un certainpouvoir sur elle.
Décidée à ne pas s'en laisserremontrer, elle ramena son esprit àl'ordre. S'il croyait que l'honneurexigeait qu'il l'épouse, elle devait
adopter une tactique différente.Elle fronça les sourcils.
— Je ne vois pas comment celapourrait être juste que, simplementparce que j'ai été surprise parl'orage et me suis mise à l'abri dansle même cottage que vous, je doivedonner une nouvelle direction à mavie. Je ne suis pas une spectatricepassive attendant que le prochainévénement se produise ; j'ai desplans !
Devil leva les yeux.
— Monter à cheval à l'ombre dugrand sphinx ?
Il pouvait tout à fait l'imaginersur un chameau — avec une hordede chefs berbères rôdant autour,qui lui ressemblaientremarquablement et pensaientaussi comme lui.
— Exactement. Et j'envisaged'aller aussi explorer la Côted'ivoire — un autre endroitexcitant, selon ce que j'ai entendu.
Des pirates barbares et desmarchands d'esclaves. Devil se
débarrassa de la brosse à étriller etépousseta ses mains sur sa culottede cheval.
— Vous devrez vous contenterde devenir une Cynster ; personnen'a jamais suggéré qu'il s'agissaitd'une existence banale.
— Je ne vais pas vous épouser.Ses yeux lançant des éclairs, et
la position de son mentondéclaraient que son idéed'Anstruther-Wetherby était faite ;Devil savait qu'il allaitsérieusement aimer chaque minute
qu'il lui faudrait pour la lui fairechanger. Il marcha vers elle.
D'une manière prévisible, ellene recula pas d'un centimètre,quoiqu'il vît ses muscless'immobiliser contre cetteimpulsion. Sans interrompre sonenjambée, il referma les mainsautour de sa taille et la souleva, ladéposant le dos contre le mur de lastalle. Avec une modérationlouable, il retira ses mains, en posal'une au haut de la porte à moitiéfermée, appuyant l'autre, paume à
plat, sur le mur à côté de l'épauled'Honoria.
Emprisonnée, elle lui jeta unregard furieux ; il essaya de ne pasvoir comme ses seins se soulevaientalors qu'elle inspiraitprofondément. Il parla avantqu'elle puisse le faire.
— Qu'avez-vous contre laproposition ?
Honoria garda les yeux fixéssur les siens — debout comme ill'était, sa nudité masculine remplittout son champ de vision. Une fois
que son cœur eut cessé de battre sibruyamment, elle leva les sourcilsavec arrogance.
— Je n'ai aucun désir de memarier purement à cause d'unerègle sociale vieillotte.
— C'est l'ensemble de vosobjections ?
— Eh bien, il y a l'Afrique, biensûr.
— Oubliez l'Afrique. Y a-t-ilune raison autre que mes motifspour vous offrir ce qui selon votreavis constitue un obstacle à notre
mariage ?Son arrogance, son
autoritarisme, sa dominationincessante — son torse. Honoria futtentée de commencer en haut de saliste et de poursuivre jusqu'à la fin.Cependant, pas une de sesoppositions ne posait d'obstaclegrave à leur mariage. Elle fouillases yeux à la recherche d'un indicequant à sa meilleure réponse,fascinée de nouveau par leurremarquable clarté. Ils étaientcomme des flaques cristallines
d'eau vert pâle, d'émotions, deréflexions, brillantes comme despoissons couleur vif-argent dansleurs profondeurs.
— Non.— Bien.Elle entrevit une certaine
émotion — était-ce du soulagement? — dans ses yeux avant que seslourdes paupières la dissimulent àla vue. Se redressant, il attrapa samain et se dirigea vers la porte del'écurie. Réprimant un juron, elleagrippa ses jupes et allongea le pas.
Il alla vers l'entrée principalevoûtée ; au-delà était installée lamaison, paisible sous le soleil dumatin.
— Vous pouvez apaiser votreesprit, mademoiselle Anstruther-Wetherby.
Il baissa brièvement le regard,les traits de son visage durs commele granité.
— Je ne vous épouse pas àcause d'une règle sociale. Cela,quand on y songe, est une idéeabsurde. Les Cynster,
comme vous le savez bien, n'enont rien à faire des règles sociales.La société, en ce qui nous concerne,peut penser ce qu'elle veut — elle
ne nous dirige pas.— Mais... si c'est le cas — et
compte tenu de votre réputation, jepeux aisément croire que ce l'est —pourquoi insister pour m'épouser ?
— Parce que je le veux.Les mots furent présentés
comme la réponse la plusmanifestement évidente à unequestion simple. Honoria retint sa
mauvaise humeur.— Parce que vous le voulez ?Il hocha la tête.— C'est tout ? Simplement
parce que vous le voulez ?Le regard dont il la gratifia fut
calculé pour lafoudroyer.
— Pour un Cynster, il s'agitd'une raison parfaitementadéquate. En fait, pour un Cynster,il n'y a pas de meilleure raison.
Il regarda de nouveau versl'avant; Honoria lança un regard
furieux à son profil.— C'est ridicule. Vous m'avez
vue pour la première fois hier etaujourd'hui vous voulezm'épouser?
Encore une fois, il hocha la tête.— Pourquoi?Le regard qu'il lui lança fut trop
bref pour qu'elle puissel'interpréter.
— Il se trouve que j'ai besoind'une femme et que vous êtes lacandidate parfaite.
Sur ce, il changea de direction
et allongea le pas encoredavantage.
— Je ne suis pas un cheval decourse.
Les lèvres de Devil formèrentune ligne mince, mais il ralentit —juste assez pour qu'elle n'ait pasbesoin de courir. Ils avaient atteintun chemin en gravier qui encerclaitla résidence. Il fallut à Honoria unmoment pour rejouer ses mots, unautre pour voir leur faiblesse.
— C'est quand même ridicule.La moitié de la popula- tion
féminine de la haute société doitattendre d'attraper votre mouchoirchaque fois que vous soufflezdedans.
Il ne jeta même pas un regardvers elle.
— Au moins la moitié.— Alors, pourquoi moi ?Devil songea à le lui dire —
avec des détails explicites. Au lieu,il grinça des dents et grogna :
— Parce que vous êtes unique.— Unique ?Unique en ce sens qu'elle
argumentait. Il stoppa, leva lesyeux au ciel pour demander ensilence la force suffisante de traiteravec une Anstruther-Wetherby,puis baissa les yeux et l'emprisonnade son regard.
— Laissez-moi vous présenterles choses ainsi : vous êtes uneattirante femme Anstruther-Wetherby avec qui j'ai passé unenuit entière en privé — et je nevous ai pas encore mise dans monlit.
Il sourit.
— Je suppose que vouspréféreriez que nous soyonsd'abord mariés ?
L'expression abasourdie qu'il vitdans ses yeux fut un baume pourson âme. Les orbes gris, fixés sur lessiens s'élargirent — puiss'élargirent encore plus. Il savait cequ'elle voyait — le désir pur quibrûlait en lui devait certainementilluminer ses yeux.
Il s'attendait pleinement à cequ'elle se laisse aller à un charabiaincohérent, inefficace et décousu —
au lieu, elle se libéra soudainementde sa poigne, cligna des yeux,inspira rapidement — et le regardaen plissant les yeux.
— Je ne vous épouse passimplement pour pouvoir aller aulit avec vous. Je veux dire...
Elle s'interrompit et rectifia enhaletant.
— Afin que vous puissiez allerau lit avec moi.
Devil regarda la couleurrévélatrice lui monter aux joues.Farouchement, il hocha la tête.
— Bien.Resserrant sa prise sur la main
d'Honoria, il se retourna etcontinua son chemin avec raideur.
Tout le trajet depuis le cottage,elle changea de position et setortilla pour se libérer de lui ;quand ils avaient rejoint l'écurie, ilétait douloureusement excité.Comment il avait réussi à ne pas lajeter sur la paille pour soulager sadouleur, il l'ignorait totalement.Toutefois, il avait maintenant unfort mal de tête et s'il ne continuait
pas à avancer — à la faire avancer— la tentation pourrait encoreavoir le dessus.
— Vous, déclara-t-il alors qu'ilsviraient au coin de la maison,pouvez m'épouser pour unepanoplie de motifs logiques etsocialement acceptables. Je vaisvous épouser pour vous mettredans mon lit.
Il sentit son regard meurtrier.— C'est... doux Jésus !Honoria s'arrêta; clouée sur
place, elle écarquilla les yeux. La
Maison Somersham se déployaitdevant elle, baignant sous le soleilmatinal. Vaste, construite avec despierres couleur de miel au moinscent ans auparavant, elle s'étalaitélégamment devant elle; unerésidence mature et gracieusesurplombant une large pelouse.Elle fut vaguement consciente dulac au fond de la pelouse, deschênes flanquant l'allée courbée, dumur de pierres par-dessus lequel unrosier blanc tombait en cascade, larosée scintillant sur les fleurs
parfumées. Le cancanage descanards était poussé par le ventdepuis le lac ; l'air était frais etportait l'odeur piquante du gazoncoupé. Toutefois, ce fut la maisonelle-même qui retint son attention.Durable, accueillante, il y avait dela noblesse dans chaque ligne,néanmoins, les bords tranchantsétaient tempérés, adoucis par lesannées. Des rayons de soleilmiroitaient sur une succession defenêtres à petits carreaux ;d'immenses portes à double battant
en chênes étaient encadrées par unportique de conception classique.Comme une belle femme adouciepar l'expérience, sa demeure faisaitsigne d'approcher, séduisait.
Il proposait de faire d'elle lamaîtresse de tout ceci.
La pensée lui traversa l'esprit ;même si elle savait qu'il l'observait,elle s'accorda un moment pourimaginer, pour s'étendre sur ce quipouvait être. Elle était née, avait étééduquée et formée pour ceci. Cequi aurait dû représenter son destin
se trouvait devant elle. Cependant,devenir sa duchesse signifieraitrisquer...
Non ! Elle se l'était promis —jamais plus.
Fermant mentalement les yeuxsur la maison, sur la tentation, elleinspira une bouffée d'air calmanteet aperçut les armoiries blasonnéessur la pierre de la façade duportique ; un bouclier arborant uncerf galopant sur un sol de fleur delis. Sous le bouclier courait un largeruban de pierre portant une
inscription gravée. Les mots étaienten latin — il lui fallut un momentpour traduire.
— Posséder... et chérir ?Des doigts durs se refermèrent
sur les siens.— La devise de la famille
Cynster.Honoria leva les yeux au ciel.
Force irrésistible, il l'attira vers lesmarches.
— Où m'amenez-vous ?Une vision de coussins de soie
et de rideaux de gaze — la tanière
privée d'un pirate — surgit dansson esprit.
— Voir ma mère. À propos, ellepréfère qu'on s'adresse à elle enl'appelant douairière.
Honoria fronça les sourcils.— Mais vous n'êtes pas marié.— Pas encore. C'est sa manière
subtile de me rappeler mon devoir.Subtile. Honoria se demanda
comment la douairière — sa mère,après tout — procéderait si ellesouhaitait marquer un point avecforce. Peu importe, il était plus que
temps de prendre position. Ceserait imprudent de passer le seuilde sa maison — au-delà duquel,elle n'en avait pas le moindredoute, il régnait comme un roi —sans en arriver à un certainarrangement sur leur relationfuture, ou absence de dite relation.
Ils atteignirent la galerie ; ils'arrêta devant les portes et lalibéra. Lui faisant face, Honoria seredressa.
— Monsieur le duc, nousdevons...
Les portes s'ouvrirent versl'intérieur, tenues majestueusementgrandes ouvertes par unmajordome, l'un des plusimposants de son espèce. Flouée deson moment, Honoria réussit toutjuste à ne pas lui jeter un regardnoir.
Les yeux du majordomes'étaient tournés vers son maître;son sourire était sincèrementaffectueux.
— Bonjour, Votre Seigneurie.Son maître hocha la tête.
— Webster.Honoria tint bon. Elle n'allait
pas traverser le seuil de sa portejusqu'à ce qu'il lui reconnaisse ledroit d'ignorer — comme il lefaisait chaque fois que cela luiconvenait — les conventions de lasociété.
Il se déplaça pour se tenir à côtéd'elle, lui faisant signe de leprécéder. Simultanément, Honoriasentit sa main à l'arrière de sa taille.Sans jupon, une seule couche detissu séparait sa peau de sa paume
dure. Il n'appliqua pas beaucoup depression ; au lieu, fouillant demanière engageante, sa mainvoyagea lentement, très lentement,vers le bas. Quand elle atteignit lacourbe de ses fesses, Honoriainspira rapidement — et passa vitele seuil.
Il la suivit.— Voici mademoiselle
Anstruther-Wetherby, Webster.Il regarda de son côté ; Honoria
aperçut la victoire dansses yeux.
— Elle restera avec nous ; sesmalles devraient arriver ce matin.
Webster s'inclina.— Je vais faire monter vos
affaires à votre chambre,mademoiselle.
Avec raideur, Honoria inclinala tête — son cœur palpitait encoredans sa gorge ; sa peau semblaitchaude et froide dans les endroitsles plus étranges. Elle ne pouvaitpas critiquer le comportement dumajordome; il ne semblait passurpris par le manque d'habit de
son maître. Était-elle la seule àtrouver que son torse nu était siremarquable? Réprimant une enviede renifler avec incrédulité, ellereleva le nez de quelquescentimètres de plus et regarda dansle vestibule.
L'impression créée parl'extérieur se poursuivait àl'intérieur. Un sentiment d'élégances'étendait dans le vestibule àplafond haut, éclairé par la lumièredu soleil se déversant par le vasistaset les fenêtres flanquant les portes
d'entrée. Les murs étaient tapissés— des fleurs de lis bleues sur fondivoire; le lambris, tout en chênepâle, brillait doucement, jumeléavec les carreaux bleu et blanc, ledécor dégageait une atmosphèreaérée, dépouillée. Des marches dechêne ciré, leur rampe richementsculptée, menaient à l'étage par unelongue volée droite, puis sedivisaient en deux, les deux brasmenant à la galerie supérieure.
Webster était en traind'informer son maître de la
présence de ses cousins. Devilhocha la tête avec brusquerie.
— Où est la douairière ?— Dans le petit salon, Votre
Seigneurie.— Je vais lui amener
mademoiselle Anstruther-Wetherby. Attendez-moi.
Webster s'inclina.Le diable la regarda. Avec une
grâce languissante qui lui mettaitles nerfs en boule, il lui fit signe del'accompagner. Elle tremblaitencore à l'intérieur — elle se dit
que c'était dû à l'indignation. Têtehaute, elle avança dans le vestibuleavec élégance.
L'ordre à son majordome del'attendre lui avait rappelé ce queleur dispute avait chassé de sonesprit. Alors qu'ils approchaient dela porte du petit salon, il apparut àHonoria qu'elle avait peut-êtrediscuté sans aucune raison. Deviltendit la main vers la poignée de laporte, ses doigts se refermant surceux d'Honoria — elle tira. Il leva leregard, l'impatience naissante dans
les yeux.Elle sourit d'une manière
compréhensive.— Je suis désolée — j'avais
oublié. Vous devez être tout à faittroublé par la mort de votre cousin.
Elle parlait doucement, d'unemanière apaisante.
— Nous pouvons discuter detout ceci plus tard, mais il n'y avraiment aucune raison pour nousde nous marier. Je crois bien qu'unefois le traumatisme passé, vousverrez les choses comme moi.
Il retint son regard, ses yeuxaussi vides que son expression.Puis, ses traits se durcirent.
— N'y comptez pas.Sur ce, il ouvrit largement la
porte et la fit entrer. Il suivit,refermant la porte derrière lui.
Une femme menue, cheveuxnoirs striés de gris, était assise surun fauteuil devant l'âtre, uncerceau portant un ouvrage debroderie posé sur ses cuisses. Elleleva la tête, puis sourit — le sourirele plus merveilleusement
accueillant que n'avait jamais vuHonoria — et tendit la main.
— Te voilà, Sylvester. Je medemandais où tu étais passé. Et quiest cette personne ?
Les origines françaises de samère résonnaient clairement dansson accent ; elles se voyaientégalement dans sa chevelure quiavait un jour été aussi noire quecelle de son fils combinée à un teintd'albâtre, dans les mouvementsrapides et gracieux de ses mains,dans ses traits animés et dans la
candeur du regard évaluateur quibalaya Honoria.
Regrettant amèrement en elleses jupes hideusement froissées,Honoria garda la tête hautependant qu'elle était remorquée àtravers la pièce. La douairièren'avait même pas cligné des yeuxdevant le torse nu de son fils.
— Maman.Honoria fut étonnée de voir
son ravisseur diabolique se pencheret embrasser la joue de sa mère.Elle accepta l'hommage comme son
dû ; quand il se redressa, elle ledévisagea avec un regardinterrogateur tout aussi impérieuxet arrogant que celui de son fils. Ille rencontra affablement.
— Vous m'avez dit de vousamener votre successeure à l'instantoù je la trouverais. Permettez-moide vous présenter mademoiselleHonoria Prudence Anstruther-Wetherby.
Brièvement, il regarda Honoria.— La duchesse douairière de
St-Ives.
Se retournant vers sa mère, ilajouta :
— Mademoiselle Anstruther-Wetherby résidait avec les Claypole— ses malles arriveront sous peu. Jevous laisse afin que vous puissiezfaire connaissance.
Avec le plus bref deshochements de tête, il s'exécuta,refermant la porte derrière lui avecfermeté. Abasourdie, Honoria jetaun coup d'œil à la douairière et ellefut contente de voir qu'elle n'étaitpas la seule avec le regard figé.
Puis, la douairière leva les yeuxet sourit — chaleureusement, demanière accueillante, à peu prèscomme elle avait souri à son fils.Honoria sentit la chaleur toucherson cœur. L'expression de ladouairière était compréhensive,encourageante.
— Venez, ma chère. Assoyez-vous.
La douairière agita la main versune méridienne à côté de sonfauteuil.
— Si vous avez dû traiter avec
Sylvester, vous aurez besoin devous reposer. Il est souvent trèsdifficile.
— Résistant à la tentationd'acquiescer énergiquement,Honoria se laissa choir dans lechintz.
— Vous devez pardonner àmon fils. Il est quelque peu...
La douairière marqua unepause, à l'évidence cherchant le bonmot. Elle grimaça.
— Tracassé.— Je crois qu'il a l'esprit
préoccupé par quelques affaires.Les beaux sourcils de la
douairière s'élevèrent.— L'esprit?Puis, elle sourit, les yeux
pétillants quand ils se posèrent unenouvelle fois sur le visaged'Honoria.
— Mais à présent, ma chère,comme l'a décrété mon fils sitracassé, nous allons faireconnaissance. Et comme vousdevez devenir ma belle-fille, je vaisvous appeler Honoria, dit-elle en
arquant encore une fois les sourcils.Ce n'est pas correct ?
Son nom était devenu «Onoria»— la douairière ne réussissait pas àprononcer le h aspiré. Honoria luirendit son sourire et évita laquestion principale.
— Si vous le souhaitez,madame.
Le sourire de la douairièredevint radieux.
— Ma chère, je le souhaite detout mon cœur.
Chapitre 5
Après une heure d'interrogatoire
en finesse, Honoria échappa à la
douairière, contente, bien qu'elle ait
partagé l'histoire de sa vie, d'avoir
réussi à éviter toute mention de la
mort de Tolly. Conduite dans une
suite élégante, elle se lava et se
changea ; sa confiance en soi
retrouvée, elle descendit — dans le
chaos.
Le magistrat était arrivé ;pendant que Devil s'occupait de lui,Vane avait annoncé la nouvelle à ladouairière. Quand Honoria entradans le salon, la douairière était enplein déluge de réactionsthéâtrales. Bien que le chagrin fûtcertainement présent, il avait étésurpassé par la fureur indignée.
Instantanément, la douairière la
pria de lui donner des détails.— Vous ne devez pas vous
excuser de ne pas m'en avoir parléplus tôt. Je sais exactementcomment cela s'est passé — monfils, ce mâle suprême, a cherché àme cacher l'affaire, tout Cynsterqu'il est.
Invitée d'un geste à s'asseoir,Honoria obéit consciencieusement.Elle avait à peine terminé son récitquand le crissement des roues surle gravier annonça la réapparitionde Devil.
— Quel est le verdict ?demanda Vane.
Devil rencontra posément sonregard.
— Mort d'une balle tirée parune personne inconnue.Possiblement un bandit de grandchemin.
— Un bandit de grand chemin? Honoria le dévisagea.
Devil haussa les épaules.— Soit cela, soit un braconnier,
dit-il en se retournant vers ladouairière. J'ai envoyé chercher
Arthur et Louise.Lord Arthur Cynster et sa
femme Louise s'avéraient être lesparents de Tolly.
S'ensuivit une discussiondétaillée sur qui il fallait aviser, lesarrangements appropriés etcomment recevoir la fouleattendue, qui comprenait uneproportion considérable de la hautesociété. Alors que Devil sechargeait des deux premiersaspects, l'organisation deschambres et l'alimentation
revenaient à la douairière.Malgré sa ferme intention de
rester distante à l'égard de lafamille de Devil, Honoria nepouvait tout simplement pas restersans agir et laisser un tel fardeaudescendre sur les fragiles épaulesde la douairière. Particulièrementpas quand elle était plus quecompétente pour alléger ce poids.En tant qu'une Anstruther-Wetherby qui avait été présentelors de la mort de Tolly, peuimporte que cela eût été à
contrecœur, on s'attendrait à cequ'elle assiste aux funérailles; elleallait devoir demeurer à la Maisonau moins jusqu'après cetévénement. Cela étant, il n'y avaitaucune raison de ne pas offrir sonassistance. Par ailleurs, s'asseoirsans rien faire dans sa chambrependant que toute la maisonnéecourait frénétiquement seraittotalement au-dessus de ses forces.
En quelques minutes, elle étaitplongée dans les listes — listesinitiales, puis listes tirées des
premières et en fin de compte listesde vérification. L'après-midi et lasoirée passérent dans une activitéintense ; Webster et la gouvernante,une femme imposante connue sousle nom de madame Hull,coordonnaient l'exécution desdirectives de la douairière. Unearmée de servantes et de valets depied travailla pour ouvrir deschambres. Des aides venus desfermes à proximité s'entassèrentpour aider dans les cuisines et lesécuries. Cependant, tout ce remue-
ménage se déroulait à voix bassedans une atmosphère lugubre ;aucun rire n'était entendu, aucunsourire n'était vu.
La nuit arriva, agitée, perturbée;Honoria s'éveilla sur un jourmorne. Une atmosphère funesteétait tombée sur la Maison — elles'approfondit avec l'arrivée de lapremière voiture d'équipage.
La douairière l'accueillit,prenant sa belle-sœur en deuil sousson aile. Honoria s'en alladiscrètement, ayant l'intention de
chercher refuge dans le pavillond'été sur le côté de la pelouse enfaçade. Elle était à mi-chemin sur lapelouse quand elle aperçut Devil,dirigeant Merryweather et ungroupe d'hommes pour marquer latombe. Devil l'avait vue ; Honorias'arrêta.
Il quitta l'ombre à grands pas,ses longues jambes enfermées dansune culotte de cheval en peau dedaim et avec des bottes hautesluisantes. Sa belle chemise blanche,ouverte sur la gorge, arborait des
manches bouffantes et étaitcouverte d'un gilet en cuir. Malgrésa tenue des moinsconventionnelles, avec sacoloration sombre, il avait encorel'air impressionnant — et piratejusqu'au bout des ongles.
Son regard se déplaçarapidement sur elle, remarquant sarobe d'un doux gris lavande, unecouleur convenable pour le demi-deuil. Son expression était figée,impassible, pourtant elle sentaitson approbation.
Votre oncle et votre tante sontarrivés.
Elle fit sa déclaration alors qu'ilse trouvait encore à quelquesmètres.
Un sourcil noir tressaillit ; Devilne s'arrêta pas.
— Bonjour, Honoria Prudence.S'emparant en douceur de sa
main, il la posa sur son bras et ladirigea adroitement vers la maison.
— J'espère que vous avez biendormi ?
— Parfaitement, merci.
Sans autre choix, Honoriamarcha d'un bon pas à côté de lui.Elle réprima une envie de lui jeterun regard mauvais.
— Je ne vous ai pas accordé lapermission d'utiliser mon prénom.
Devil regarda vers l'allée.— Un oubli de votre part, mais
je ne suis pas du genre à faire desfaçons. Je présume que Mamans'occupe de ma tante ?
Ses yeux dans les siens,Honoria hocha la tête.
— Dans ce cas, dit Devil en
regardant devant, je vais avoirbesoin de votre aide.
Un autre attelage drapé decrêpe arriva en vue, roulantlentement vers les marches.
— Cela doit être le jeune frèrede Tolly et ses sœurs.
Il jeta un coup d'œil à Honoria;elle expira et inclina la tête.Allongeant leurs foulées, ilsatteignirent l'allée alors que lavoiture s'arrêtait en oscillant.
La portière s'ouvrit à la volée ;un garçon sauta à terre. Yeux ronds,
il leva un regard aveuglé vers lamaison. Puis, il entendit leurs paset se tourna vivement de leur côté.Mince, tremblant sous la tension, illeur fit face, le visage lessivé detoute couleur, les lèvres pincées.Ses yeux torturés flamboyèrentlorsqu'il reconnut l'un d'eux.Honoria le vit se raidir pour volervers Devil, mais il conquit sonimpulsion et se redressa, avalantcomme un homme.
Devil marcha à grandesenjambées jusqu'au garçon,
abaissant une main sur son épauleet la pressant d'une manièreréconfortante.
— Bon gars.Il regarda dans la voiture, puis
fit signe aux occupantes.— Venez.Il souleva d'abord une fille
sanglotant silencieusement, puisune autre et les déposa à terre. Lesdeux possédaient une avalanche debouclettes châtaines et des teintsdélicats, marbrés en ce moment.Quatre immenses yeux bleus
nageaient dans des flaques delarmes; leurs silhouettes sveltesétaient secouées par les sanglots.Elles avaient, évalua Honoria,environ seize ans — et elles étaientjumelles. Sans démonstration detimidité ou de peur, elless'accrochaient à Devil, les brasrefermés autour de sa taille.
Un bras entourant chacuned'elle, Devil les fit pivoter pourqu'elles la regardent.
— Voici Honoria Prudence —mademoiselle Anstruther-
Wetherby, pour vous. Elles'occupera de vous deux.
Il rencontra le regardd'Honoria.
— Elle sait ce que l'on ressentquand on perd quelqu'un qu'onaime.
Les deux filles et le garçonétaient trop bouleversés pourrendre la salutation prescrite.Honoria ne l'attendit pas, mais elleréagit promptement à son signal.Devil se détacha adroitement desbras des filles qui
s'accrochaient;s'avançant, Honoriaprit sa place. Glissant un brasréconfortant autour de chacune desfilles, elle les retourna vers lamaison.
— Venez — je vais vousaccompagner à votre chambre. Vosparents sont déjà à l'intérieur.
Elles lui permirent de lesguider en haut des marches.Honoria était consciente de leursregards furtifs et curieux.
Sur la galerie, les deux fillesmarquèrent une pause, ravalant
leurs larmes. Honoria jeta unrapide regard derrière et vit Devil,dos à elles, un bras drapé sur lesépaules frêles du garçon, la têtepenchée pendant qu'il s'adressait àlui. Se retournant, elle rassemblases pupilles à présent tremblanteset les pressa d'avancer.
Les deux se rebiffèrent.— Devrons-nous... je veux
dire...L'une d'elles leva les yeux sur
Honoria.— Devrons-nous le regarder?
s'obligea à dire la deuxième. Sonvisage est-il gravementendommagé ?
Le cœur d'Honoria se serra ; sacompassion — l'empathie depuislongtemps enfouie — monta.
— Vous n'aurez pas à le voir sivous ne le désirez pas.
Elle parla doucement, d'unemanière rassurante.
— Mais il a l'airmerveilleusement paisible —exactement comme cela a toujoursété le cas, j'imagine. Séduisant et
tranquillement heureux.Les deux filles la dévisagèrent,
l'espoir dans les yeux.— J'étais là lorsqu'il est mort, se
sentit forcée d'ajouter Honoria.— C'est vrai ?Il y avait de la surprise et une
touche de scepticisme juvéniledans leurs voix.
Votre cousin était là aussi.— Oh.Elles jetèrent un coup d'œil à
Devil, puis elles hochèrent toutesles deux la tête.
— Et maintenant, nous ferionsmieux d'aller vous installer.
Honoria regarda brièvementderrière ; une servante étaitdescendue de la voiture ; des valetsde pied s'étaient matérialisés etdétachaient à présent des mallesdans le coffre arrière et sur le toit.
— Vous voudrez vous nettoyerle visage et vous changer avantl'arrivée du reste de la famille.
Avec des reniflements et dessourires humides à l'endroit deWebster rencontré dans le
vestibule, elles la laissèrent lesamener à l'étage.
La chambre à coucher allouéeaux filles était presque au fondd'une des ailes ; promettant devenir les chercher plus tard,Honoria les laissa aux soins de leurservante et redescendit.
Juste à temps pour accueillir lesnouveaux arrivants.
Le reste de la journée s'écoula àtoute vitesse. Des voitures seprésentaient à l'entrée en un flotconstant, déchargeant des matrones
et des gentlemen aux cous raides etun nombre considérable de jeunesmâles. Devil et Vane étaientpartout, recevant les invités,répondant aux questions au piedlevé. Charles était là, lui aussi,l'expression peu naturelle, lecomportement guindé.
Postée près des marches,Honoria aidait la douairière àaccueillir et à s'occuper de lafamille et des amis assez intimespour prétendre à une chambre dansla grande demeure. Ancrée aux
côtés de son hôtesse, la gardiennedes listes, elle se retrouva présentéeaux autres par la douairière avec unair délicatement vague.
— Et voici mademoiselleAnstruther-Wetherby, qui me tientcompagnie.
La cousine Cynster à qui celas'adressait, échangeant deshochements de tête avec Honoria,parut immédiatement intriguée.Les conjectures brillaient dans lesyeux de la femme imposante.
— Vraiment ? dit-elle en
souriant avec une fausse timiditégracieuse. Je suis extrêmementravie de faire votre connaissance,ma chère.
Honoria répondit par unmurmure poli évasif. Elle n'avaitpas envisagé de se retrouver danscette délicate situation lorsqu'elleavait offert son assistance ;maintenant, elle ne pouvait pasdécemment quitter son poste.Accrochant un sourire sur seslèvres, elle résolut d'ignorer lamanipulation éhontée de son
hôtesse. La douairière, avait-elledéjà compris, était encore plustêtue que son fils.
L'exposition du corps pour lafamille fut tenue tard cet après-midi-là ; se souvenant de sapromesse, Honoria alla chercher lessœurs de Tolly dans l'aile isolée.
Elles attendaient, pâles maisposées, immensément vulnérablesdans la mousseline noire. Honoriafit courir un regard expérimentésur elles, puis hocha la tête.
— Ça ira.
Elles s'avancèrent avechésitation, redoutant clairement cequi allait suivre. Honoria souritpour les encourager.
— Votre cousin a omis de mementionner vos noms.
— Je suis Amelia, mademoiselleAnstruther-Wetherby.
La plus proche exécuta unepetite révérence.
Sa sœur l'imita, avec autant degrâce.
— Je suis Amanda.Honoria leva les sourcils.— Je suppose qu'appeler « Amy
» vous fera venir toutes les deux ?La simple boutade provoqua de
faibles sourires.— Habituellement, admit
Amelia.Amanda reprit son sérieux.— Est-ce vrai, ce que Devil a
dit? Vous savez ce que c'est que deperdre quelqu'un qu'on aime ?
Honoria rencontra posément leregard ingénu.
— Oui ; j'ai perdu mes deuxparents dans un accident de voiturelorsque j'avais seize ans.
— Les deux ? Amelia parutabasourdie. Cela a dû être affreux— pire même que de perdre unfrère.
Honoria s'immobilisa, puis,avec une légère raideur, inclina latête.
— Perdre n'importe quelmembre de sa famille est difficile,mais quand ils nous quittent, nousdevons quand même poursuivre
notre chemin. Nous le leur devons— à leur mémoire — tout autantqu'à nous-mêmes.
Le commentaire philosophiquelaissa les deux filles perplexes.Honoria saisit le moment pour lesentraîner vers l'escalier, jusqu'à lachapelle privée à côté de la galerie.
S'arrêtant dans le couloir, lesjumelles survolèrent nerveusementdu regard les rangées de tantes,d'oncles et de cousins plus âgésvêtus de noir, tous silencieux, laplupart avec la tête baissée.
Les deux filles réagirent commel'avait souhaité Honoria ; leurséchines se raidirent — ellesinspirèrent profondément,redressèrent les épaules, puisentrèrent lentement dans la piècetranquille. Main dans la main, elless'approchèrent du cercueil déposésur des tréteaux devant l'autel.
Dans l'ombre à côté de la porte,Honoria observa ce qui formait,essentiellement, une scène de sonpassé. La paix grave de la chapellela retenait; elle était sur le point de
se glisser sur le dernier banc quandDevil attira son regard. D'uneformalité imposante dans unveston et un pantalon noirs, unechemise blanche et une cravatenoire, il ressemblait précisément àce qu'il était — un séducteurdiaboliquement beau — et le chefde sa famille. De sa position au-delàdu cercueil, il arqua un sourcil ; sonexpression montrait un mélangesubtil d'invitation et de défi.
Tolly n'était pas un parent àelle, mais elle avait été présente à
sa mort. Honoria hésita, puis suivitles sœurs de Tolly au bout del'allée.
S'accrochant l'une à l'autre, lesjumelles avançaient, se glissant surle banc derrière leur mère ensanglots. Honoria marqua unepause, baissant les yeux sur uneinnocence que même la mort nepouvait pas effacer. Comme ellel'avait dit, le visage de Tolly étaitpaisible, serein ; aucune trace de lablessure sur son torse n'était visible.Seule la pâleur grise de sa peau
témoignait du fait qu'il ne seréveillerait plus jamais.
Elle avait déjà vu la mort, maispas comme ceci. Les précédentesavaient été décidées par Dieu ; ilsuffisait de pleurer les disparus. Lavie de Tolly avait été enlevée parl'homme — une réactionextrêmement différente étaitrequise. Elle fronça les sourcils.
— Qu'y a-t-il ?La voix de Devil venait d'à côté
d'elle, d'un ton très bas.Honoria leva le regard. Plissant
le front, elle fouilla ses yeux. Ilsavait — comment pouvait-il enêtre autrement?
Pourquoi, alors ? Un frissonremua son âme — elle frémit etdétourna les yeux.
— Venez.Devil lui prit le bras ; Honoria
le laissa la guider jusqu'à un banc. Ils'assit près d'elle ; elle sentit sonregard sur son visage, mais elle neregarda pas vers lui.
Puis, la mère de Tolly se leva.Soutenue par son mari, elle déposa
une rose blanche sur le cercueil ;l'exposition du corps était terminée.Personne ne parla pendant qu'ondéfilait lentement vers la sortie,suivant la douairière et les parentsde Tolly au salon.
Dans le vestibule, Devil attiraHonoria à l'écart, dans l'ombre del'escalier. Alors que les dernierstraînards passaient, il dit à voixbasse :
— Je suis désolé ; je n'aurais pasdû insister. Je n'ai pas deviné quecela vous rappellerait vos parents.
Honoria leva le regard,directement dans ses yeux. Ilsn'étaient pas, comprit-elle,particulièrement utiles pourdissimuler les émotions — lesprofondeurs claires étaient troptransparentes. En ce moment, ilssemblaient contrits.
— Ce n'était pas cela. J'aisimplement été frappée...
Elle marqua une pause,fouillant ses yeux de nouveau.
— Par le fait que sa mort étaittellement injuste.
Impulsivement, elle demanda :— Êtes-vous satisfait du verdict
du magistrat ?Son visage se durcit tel un
masque de guerrier. Ses paupièress'abaissèrent, voilant ses yeux partrop révélateurs, ses cils formant unvoile distrayant.
— Je suggère que nousrejoignons les autres.
Sa rebuffade brusque n'était pastout à fait une gifle, mais elledonna certainement à réfléchir àHonoria. Revêtue
de son sang-froid coutumier,elle lui permit de la guider dans lesalon, puis elle jura en son forintérieur quand de si nombreuxyeux se tournèrent de leur côté.
Leur entrée ensemble, séparéede la première foule, soutenaitl'image que Devil et la douairièretenaient à projeter — l'image d'elleen tant que la promise de Devil. Detelles subtiles nuances étaient lesouffle de vie de la haute société,Honoria le savait — elle était
habituellement experte pourutiliser de tels signaux à son propreavantage, mais dans le cas présentelle affrontait clairement un maître.
Comptez plutôt deux maîtres,simultanément — la douairièren'était pas une nouvelle recrue à cejeu. Le salon était plein, bondé parla famille, de relations et d'amisintimes. Malgré les voix étouffées,le bruit était considérable. Ladouairière était assise sur la chaiseà côté de la mère de Tolly. Devil
entraîna Honoria vers l'endroit oùAmelia et Amanda conversaientnerveusement avec une très vieilledame.
— Si vous avez besoin d'aideavec les noms ou les liens,demandez aux jumelles. Elles sesentiront utiles.
Honoria inclina la tête etrépondit fraîchement :
— Autant j'aimerais lesdistraire, cela n'est pas vraimentnécessaire. Après tout, il est peu
probable que je rencontre denouveau votre famille.
Majestueusement distante, elleleva la tête — et rencontra le regardsombre aux sourcils froncés dontDevil la gratifia avec un calmeimplacable.
Amanda et Amelia setournèrent lorsqu'ils arrivèrent àleur hauteur, une expressionsuppliante identique dans leursyeux.
Ah, Sylvester.
La vieille femme tendit unemain aux doigts crochus et agrippala manche de Devil.
— C'est dommage quel'occasion de te revoir se présentelors d'un événement aussi triste.
— En effet, cousine Clara.Plein d'aisance, Devil attira
Honoria dans leur cercle,emprisonnant sa main sur samanche l'instant avant qu'elle laretire.
— Je crois, dit-il d'une voixtraînante, que vous avez déjà
rencontrée...Une lueur à laquelle on ne
pouvait pas se fier éclaira ses yeux;atterrée en son for intérieur, sonregard fixé sur le sien, Honoriaretint son souffle — et vit ses lèvresse courber alors qu'il baissait lesyeux sur cousine Clara.
— Mademoiselle Anstruther-Wetherby ?
Honoria soupira presque desoulagement. Son sourire sereinquelque peu forcé, elle le posa surClara.
— Oh, oui ! Mon Dieu, oui !La vieille dame s'égaya
visiblement.— Un si grand plaisir de vous
rencontrer, ma chère. J'étaisimpatiente de...
Se reprenant, Clara jeta unregard malicieux vers Devil, puissourit gentiment à Honoria.
— Bien, vous savez, dit-elle entendant la main pour tapoter celled'Honoria. Je me contenterai dedire que nous sommes tousparfaitement ravis, ma chère !
Honoria connaissait unepersonne qui était loin d'êtreparfaitement ravie, mais Amandaet Amelia les observant, elle futobligée de laisser passer lasupposition manifeste de
Clara avec rien de plus qu'unsourire gracieux. Levant les yeux,elle rencontra fugitivement leregard de Devil — elle aurait pujurer avoir décelé une lueursatisfaite dans ses yeux.
Il rompit immédiatement lecontact. La libérant, il couvrit la
main de Clara de la sienne, voûtantle dos afin qu'elle n'ait pas àregarder aussi haut.
— Avez-vous parlé avec Arthur?
— Pas encore, répondit Claraen regardant autour d'elle. Je n'aipas pu le trouver dans toute cettecohue.
— Il est près de la fenêtre.Venez, je vais vous amener àlui.
Le visage de Clara s'épanouit
en un large sourire.— C'est très gentil; mais tu as
toujours été un bon garçon.Avec de brefs hochements de
tête pour les jumelles et un autrebienveillant pour Honoria, la vieilledame permit à Devil de l'entraînerplus loin.
Honoria les regarda partir,Devil si large et puissant, d'unautoritarisme arrogant, ne faisantpas la plus petite histoire à proposdes plis que les griffes de moineau
de Clara laissaient sur sa manche.Un bon garçon ? En son forintérieur, elle en douta.
— Dieu merci, vous êtesarrivée. Amanda avala. Elle voulaitparler de Tolly. Et je — nous — nesavais pas comment...
— L'arrêter? répondit Honoriaen souriant d'une manièrerassurante. Ne vous inquiétez pas— ce ne sont que les personnes trèsâgées qui poseront de tellesquestions.
Tout en jetant un coup d'œilautour d'elle, elle ajouta :
Maintenant... Dites-moi quisont les plus jeunes : Devil m'a ditleurs noms, mais je les ai oubliés.
C'était faux, mais l'exerciceservait à distraire les jumelles. Àpart elles-mêmes, Simon et leursdeux plus jeunes sœurs, Henriettaet Mary, dix ans et trois ans, ellesavaient trois jeunes cousines.
— Heather a quatorze ans.Elizabeth — nous l'appelons Eliza— a treize ans et Angelica en a dix,
comme Henrietta.— Ce sont les filles d'oncle
Martin et de tante Celia. Gabriel etLucifer sont leurs frères aînés.
Gabriel et Lucifer? Honoria ouvritla bouche pour demander deséclaircissements — simultanément,la douairière attira son regard.
L'expression de la douairièreétait carrément un appel à l'aide.Les mains de sa belle-sœurserraient encore les siennes avecforce. Avec ses yeux, la douairièrefit un signe à Webster, se tenant
discrètement devant la porte. Latension dans sa silhouette pleine dedignité communiquait trèsclairement que quelque choseclochait.
Honoria porta de nouveau leregard sur la douairière — ellecomprit ce qu'on lui demandait etqu'une réponse positive seraitinterprétée comme uneconfirmation d'une autre entente— une entente matrimoniale entreDevil et elle-même. Toutefois,l'appel dans les yeux de la
douairière était tout à fait réel etparmi toutes les dames présentes,elle était indiscutablement dans lemeilleur état pour gérer le désastrequi était advenu.
Déchirée, Honoria hésita, puisgrimaça et hocha la tête en son forintérieur. Elle s'avança vers laporte, puis se souvint des jumelles.Elle jeta un coup d'œil par-dessusson épaule.
Venez avec moi.Elle traversa majestueusement
la pièce. Webster ouvrit la porte et
recula; Honoria passa devant.Après avoir attendu le passage deses deux compagnes, Webster lessuivit, refermant la porte derrièrelui.
Dans le vestibule, Honoriadécouvrit madame Hull quipatientait.
— Qu'est-il arrivé ?Le regard de madame Hull
passa fugitivement sur le visage deWebster, puis revint sur Honoria.La signification de ce regard nepassa pas inaperçue auprès
d'Honoria; Webster avait confirméqu'elle avait été déléguée par ladouairière.
— Ce sont les gâteaux,mademoiselle. Avec tout ce quenous avons eu à faire, nous lesavons commandés au village.Madame Hobbs est excellente avecles gâteaux. Nous avons souventfait appel à elle dans de tellescirconstances.
— Mais cette fois, elle ne s'estpas montrée à la hauteur desattentes ?
Le visage de madame Hull setendit.
— Ce n'est pas cela,mademoiselle. J'ai envoyé deuxpalefreniers avec le cabriolet,comme je le fais toujours. Lesgâteaux de Hobbs étaient prêts —les garçons les ont chargés sur leursplateaux. Ils étaient presque deretour — madame Hull marquaune pause pour inspirer avecsolennité — quand ce démon decheval du maître est arrivé engalopant, en ruant et en hennissant,
il a effrayé la vieille jument ducabriolet. Les gâteaux ont étéprojetés — les yeux de madameHull se plissèrent et devinrent durscomme des tessons — et ce diable decheval les a à peu près tous dévorés!
— Pressant ses doigts sur seslèvres, Honoria baissa les yeux.Puis, elle jeta un regard à Webster.Son visage était inexpressif.
— Sa Seigneurie n'a pas eu letemps de monter son chevalaujourd'hui, mademoiselle, alors
son valet d'écurie en chef l'a libérépour qu'il coure un peu. La pistevenant du village passe par l'enclosde l'écurie.
— Je vois.La mâchoire d'Honoria était
douloureuse. Malgré tout — lagravité de l'occasion et la criseimminente —, la vision deSulieman mordant dans les délicatspetits fours{*} était toutsimplement trop.
— Donc, vous voyez,mademoiselle, je ne sais pas ce que
nous devons faire, avec tous cesvisiteurs et même pas assez degâteaux secs pour servir tout lemonde.
L'expression de madame Hullrestait sévère.
— En effet.Honoria se redressa,
réfléchissant aux possibilités.— Des scones, décida-t-elle.— Des scones, mademoiselle ?Madame Hull paraissait
surprise, puis son expression devintcalculatrice.
Honoria jeta un coup d'œil àl'horloge au mur.
— Il est seulement seize heures; ils ne s'attendront pas qu'on leur serve le thé avant aumoins une demi-heure. Si nous organisons un petitdivertissement...
Elle regarda Webster.— À quelle heure aviez-vous
l'intention de servir le dîner ?— À dix-neuf heures,
mademoiselle.— Honoria hocha la tête.— Reportez le dîner à vingt
heures ; avisez les valets et lesfemmes de chambre des dames.Madame Hull, vous avez une heurepour produire des scones enquantité. Prenez tous les aides dontvous avez besoin. Nous aurons desscones nature avec de la confiture— avez-vous de la confiture demûres ? Ce serait une jolie touche.
— En effet, mademoiselle,répondit une madame Hull toute
transformée. Nous préparons notrepropre confiture de mûres — il n'yen a pas de pareil.
— Très bien ; nous servirons dela crème pour ceux qui ensouhaitent et nous aurons desscones au fromage et des sconesépicés également.
— Je m'y mets immédiatement,mademoiselle.
Après une rapide révérence,madame Hull retourna en vitesse àla cuisine.
— Vous avez parlé d'un
divertissement, mademoiselle, pourdonner une demi-heure à madameHull ?
Honoria rencontra le regard deWebster.
— Ce n'est pas une tâche facile,étant donné la cause de cetteréunion.
— Non, en effet, mademoiselle.— Pouvons-nous être utiles ?Honoria et Webster se
retournèrent tous les deux pourregarder les jumelles.
Amanda rougit.
— Avec le divertissement, jeveux dire.
Lentement, les sourcilsd'Honoria se levèrent.
— Je me demande ? sequestionna-t-elle en regardant lelong du vestibule. Venez avec moi.
— Webster à leur suite, ellesentrèrent dans la salle de musique,jouxtant le grand salon. Honoriaagita la main en direction desinstruments alignés le long d'unmur.
— Que jouez-vous ?
Amelia cligna des paupières.— Je joue du piano.— Et moi de la harpe, l'informa
Amanda.D'excellents exemples des deux
instruments se tenaientdevant eux; Webster se hâta dedéplacer les objets requis pour lesmettre en place. Honoria se tournavers les filles.
— Jouez-vous ensemble ?Elles hochèrent la tête.— Bien. Quels morceaux
pouvez-vous interpréter? Pensez àdes pièces lentes, mélancoliques —des requiem, entiers ou en parties.
À son soulagement, lesjumelles furent fidèles à leur rangsocial, bien formées et avec unrépertoire convenable. Cinqminutes plus tard, elle avait aussidécouvert qu'elles possédaient untalent considérable.
— Excellent.Honoria échangea un bref
regard soulagé avec Webster.
— Ne laissez personne vousdistraire; nous avons besoin quevous jouiez au moins pendantquarante-cinq minutes.Commencez au début de votre listeet reprenez-la une fois que vousaurez terminé. Vous pourrez vousarrêter lorsque le chariot à dessertearrivera.
Les filles hochèrent la tête etentreprirent un extrait liturgique.
— Dois-je ouvrir les portes,mademoiselle? murmura Webster.
— Oui ; celles de la terrasseégalement.
La salle de musique et le salondonnaient tous les deux sur lalongue terrasse. Webster ouvritlargement les deux portesflanquant le foyer, réunissant lesdeux pièces. Des têtes se tournèrentalors que les accords obsédantsflottaient au-dessus desconversations.
Graduellement, tentés par lamusique, les dames et lesgentlemen entrèrent lentement.
Les jumelles, habituées à seproduire devant leurs aînés,n'hésitèrent pas. Il y avait deschaises en abondance ; lesgentlemen les disposèrentobligeamment, les dames seréunissant en groupes, lesmessieurs se tenant à côté d'elles.
De son poste à côté de la porteouverte sur la terrasse, Honoriaregardait son divertissementprendre forme. Soudainement, ellesentit une présence familièrederrière elle.
— Voilà qui est inspiré.Jetant un regard en arrière, elle
rencontra les yeux verts de Devil ;ils scrutaient son visage.
— Quel était le problème ?Honoria se demanda s'il y avait
une seule personne dans toutel'assemblée qui avait raté sasupposition concernant l'autoritéde la douairière. Elle avait été prêteà jurer que Devil était en grandeconversation à l'autre extrémité dela pièce à ce moment-là.
— Votre démon-cheval a
mangé les gâteaux pour le thé.Madame Hull n'est pasimpressionnée. Je crois qu'elleenvisage de transformer votreétalon en pâtée pour chat.
Il était proche, son épauleappuyée sur le cadre de portederrière elle; elle sentit son torsetrembler sous son rire réprimé.
Hully ne ferait pas cela.— Mentionnez simplement
votre cheval et regardez-la tendrela main vers son couperet.
Il resta silencieux, parcourant
la pièce du regard.— Ne me dites pas que vous ne
jouez pas ?Honoria se reprit juste à temps
— et reformula saréponse.
— Je joue du clavecin, mais jene suis pas la sœur de Tolly.Incidemment, continua-t-elle de lamême voix affable, je vouspréviens honnêtement que peuimporte l'imbroglio que vous etvotre mère concoctez, je ne vais pas
vous épouser.
Elle sentit son regard sur sonvisage ; quand il parla, les mots luifirent redresser l'échine.
— Aimeriez-vous parier là-dessus ?
Honoria leva le menton.— Avec un libertin de votre
espèce ?Elle agita la main avec dédain.— Vous êtes un joueur.— Qui perd rarement.Les mots graves résonnèrent
en elle; Honoria abandonna laparole et opta pour un haussement
d'épaules hautain.Devil ne bougea pas. Son
regard balaya son visage, mais iln'ajouta rien.
Au soulagement d'Honoria,son stratagème fonctionna. Le thé,quand il arriva, était parfait, lesscones frais sortis du four, laconfiture sucrée. Les jumelles seretirèrent dans un silence sombre,mais sous des applaudissementssincères; un regard sur leursvisages suffisait à comprendretoute l'importance que leur
contribution avait représentéepour elles.
— Nous les ferons jouer encoredemain, murmura Devil à sonoreille.
— Demain?Honoria s'efforça d'étouffer un
frisson inutile.— À la veillée mortuaire.Devil rencontra ses yeux.— Elles se sentiront mieux à
faire quelque chose d'utile denouveau.
Il la laissa à ses réflexions — et
revint avec une tasse de thé pourelle. Elle l'accepta, seulement pourcomprendre à quel point elle avaitbesoin d'un rafraîchissement. Àpart le fait de la comprendre tropbien, Devil se comportait bien, laprésentant habilement à des amisde la famille. Honoria n'avait pas àexercer son imagination poursavoir comment la compagnie lavoyait — leurs égards étaientmarqués.
Les événements de l'après-midi, orchestrés par Devil et la
douairière, aidés et soutenus par lecrime du diable de cheval de Devil,avaient transmis un message clair— qu'elle devait devenir la femmede Devil.
La soirée passa rapidement; ledîner, auquel tout le monde assista,fut un repas lugubre. Personnen'était enclin au divertissement; laplupart se retirèrent tôt. Un silencemaussade et mélancoliquedescendit sur la maison, comme sielle aussi était en deuil.
Dans sa chambre, enveloppée
dans le duvet, Honoria frappa sonoreiller et se donna l'ordre dedormir. Cinq minutes debruissement agité plus tard, elle setourna sur le dos et jeta un regardmauvais au ciel de lit.
C'était la faute de Devil, lasienne et celle de sa mère. Elle avaittenté d'éviter d'agir comme safuture duchesse, malheureusementsans succès. Pire, comme Devill'avait déclaré, à un niveausuperficiel, elle était parfaite pourle rôle, un fait apparemment
évident pour quiconqueréfléchissait à la question. Ellecommençait à avoir l'impression decombattre le destin.
Honoria se retournamaladroitement sur le côté. Elle,Honoria Prudence Anstruther-Wetherby n'allait pas se voircontrainte à faire quoi que ce soit. Ilétait manifestement clair que Devilet la douairière feraient tout en leurpouvoir pour la tenter, pour laconvaincre d'accepter saproposition — la demande en
mariage qu'il n'avait pas verbalisée.Ce dernier point n'était pas un faitqu'elle avait des chances d'oublier— il avait simplement tenu pouracquis qu'elle l'épouserait. Elleavait su dès le départ qu'il étaitimpossible, même lorsqu'ellecroyait qu'il était un simplechâtelain de campagne ; en tantque duc, il l'était doublement —triplement. À part tout le reste —son torse, par exemple —, il étaitun tyran de première classe. Lesfemmes saines d'esprit n'épousaient
pas de tyran.Elle s'accrocha à cette
déclaration éminemment sensée,tirant de la force de sa logiqueindiscutable. Garder l'image deDevil en tête aidait énormément —un regard sur son visage, et le restede sa personne, était tout ce qu'ilfallait pour renforcer sa conclusion.
Malheureusement, cette image,bien qu'utile d'un côté, amenait lasource de son profond malaisedavantage sous la loupe. Peuimporte à quel point elle essayait,
elle ne pouvait pas échapper à laconclusion que malgré toute saforce de caractère tant vantée,malgré tout son sentimentapparent pour sa famille, et mêmemalgré l'avis de sa cousine Clara,Devil tournait le dos à son défuntcousin. Balayant sa mort sous letapis, comme on dit,vraisemblablement afin qu'ellen'interfère pas avec sa poursuite duplaisir hédoniste.
Elle ne voulait pas le croire,mais elle l'avait elle-même
entendu. Il avait déclaré que Tollyavait été tué par un bandit degrand chemin ou même par unbraconnier. Tout le monde lecroyait, le magistrat y compris. Ilétait le chef de la famille, un cranen dessous du despote ; pour eux etpour la haute société, ce que DevilCynster, duc de St-Ives, déclaraitétait un fait.
La seule personne encline à leremettre en question, c'était elle.Tolly n'avait pas reçu une ballemortelle d'un bandit de grand
chemin ni d'un braconnier.Pourquoi un bandit de grand
chemin tuerait-il un jeune hommenon armé? Les bandits de grandchemin ordonnaient à leursvictimes de se rendre et de leurdonner leurs biens; Tollytransportait une lourde bourse —elle l'avait sentie dans sa poche.Tolly était-il armé et, avecl'impétuosité de la jeunesse, avait-iltenté de se défendre ? Elle n'avaitvu aucun fusil ; il semblait peuprobable qu'il l'ait lancé loin de lui
pendant qu'il tombait de sa selle.Un bandit de grand chemin nesemblait pas du tout plausible.
En ce qui concernait lebraconnier, son hôte démoniaqueavait limité le champ de ce côté.Pas un fusil de chasse, avait-il dit,mais un pistolet. Les braconniers nese servaient pas de pistolet.
Tolly avait été assassiné.Elle ne savait pas trop quand
elle en était venue à cetteconclusion ; elle était à présentaussi inévitable que l'aube.
Honoria s'assit et donna uncoup sur son oreiller, puis retombasur le dos et fixa la nuit. Pourquoiétait-elle aussi en fureur à cause decela — pourquoi se sentait-elle siconcernée ? Elle avait l'impressionqu'une responsabilité lui avait étéattribuée — à son âme — afin quejustice soit rendue.
Cependant, ce n'était pas lacause de son insomnie.
Elle avait entendu la voix deTolly dans le cottage, entendu sonsoulagement lorsqu'il avait réalisé
qu'il avait rejoint Devil. Il avait cruavoir atteint un endroit sûr —quelqu'un qui le protégerait. Dansle cottage, elle aurait juré que Devilse souciait de lui — l'aimaitbeaucoup. Toutefois, soncomportement visant à ignorer lapreuve du meurtre de Tolly disaitautre chose.
S'il l'aimait vraiment, nechercherait-il pas son meurtrier, neferait-il pas tout ce qu'il pouvaitpour l'attraper ? Ou son « amour »était-il une simple attitude, sans
profondeur ?Sous cette façade de force, était-
il réellement faible et superficiel ?Elle ne pouvait pas le croire.
Elle ne voulait pas le croire.Honoria ferma les yeux. Et
essaya de dormir.
Chapitre 6
C'était une illusion — toutétait illusion — un tour de
passe-passe typiquementarrogant. Les écailles tombèrent desyeux d'Honoria tard le lendemainmatin, pile au milieu desfunérailles de Tolly.
La foule qui y assistait étaitconsidérable. Une courte messeavait été tenue dans l'église sur lesterres, un bâtiment de pierres
entouré par des arbres anciensombrageant les monuments deCynster depuis longtemps disparus.
Puis, les porteurs — Devil et sescousins — avaient conduit lecercueil jusqu'à la tombe installéedans une petite clairière au-delà dupremier cercle d'arbres.Contrairement à son intention dese fondre dans la foule, Honoriaavait tout d'abord été accompagnéepar Vane, qui lui avait donné lebras, l'incluant par conséquent dansla procession de la famille se
rendant à l'église, puis plus tardréclamée par Amanda et Amelia,qui l'avait entraînée jusqu'à latombe, admettant qu'ellesagissaient sur les ordres de Devil.Des funérailles n'étaient pasl'endroit pour prendre position.Résignée, Honoria avait capitulé,acceptant une place derrière lesjumelles à côté de la pierretombale.
Ce fut à cet instant que la véritéla frappa.
Les mâles de la famille
bordaient l'autre côté de la tombe.Directement à l'opposé d'elle setenaient les frères de Tolly, Charleset Simon, à ses côtés. Devil se tenaità côté de Simon; pendantqu'Honoria l'observait, il plaça unemain sur l'épaule de Simon. Legarçon leva les yeux; Honoria futtémoin de leur regard partagé, decette communication silencieusedans laquelle Devil excellait.
Vane se tenait à côté de Devil ;derrière et autour d'eux se tenaitune solide phalange de mâles
Cynster. Il n'y avait aucun doutesur leur lien — leurs visages, vusensemble, affichaient les mêmestraits inflexibles, la mêmeempreinte autocratique. Ils étaientsix, sans compter Simon et Charles,les deux à part, l'un à cause de sonâge, l'autre de son caractère. Entreles six, la couleur des cheveuxvariait du noir de ceux de Devil àchâtain pâle; la couleur des yeuxaussi différait. Rien d'autre.
Il y avait une force immensedans le groupe devant elle —
puissante, masculine, elle émanaitd'eux. Devil était leur chef,néanmoins ils formaient un groupede personnes individuelles,chacune contribuant au tout.Ailleurs autour de la tombe, lechagrin était amorphe. La peine descousins de Tolly contenait unemotivation, se fondant dans uneforce cohésive, dirigée, centrée.
Centrée sur la tombe de Tolly.Honoria plissa les yeux. Les
gens se déplaçaient encore,trouvant des places dans la foule;
Amelia et Amanda étaient toutesles deux tendues. Honoria sepencha en avant et murmura :
— Dites-moi les noms de voscousins plus âgés.
Les jumelles la regardèrentbrièvement, puis se retournèrent del'autre côté de la tombe. Ameliaparla la première :
— Vane est à côté de Devil,mais vous le connaissez.
— Cela ne peut pas être sonvéritable nom.
— Son vrai nom est Spencer,
chuchota Amanda. Mais nel'appelez jamais ainsi.
— Celui derrière Devil, c'estRichard — on l'appelle Scandai.C'est le frère de Devil.
— Et celui derrière Vane estson plus jeune frère, Harry. Onl'appelle Démon.
— Démon Harry?— C'est exact, répondit
Amanda en hochant la tête. Celui àcôté de Vane est Gabriel.
— Son véritable nom estRupert ; c'est le fils aîné d'oncle
Martin.— Et je suppose que celui
derrière Gabriel est Lucifer ?s'enquit Honoria. Son frère ?
— C'est cela ; il s'appelleréellement Alasdair.
Se redressant, Honoria passaune minute à se demandercomment ils avaient reçu leurssurnoms — une question qu'ellen'allait pas poser aux jumelles desitôt. Elle regarda de l'autre côté dela tombe ces six visages mâles et lesvit nettement. Aucune force sur
terre ne les empêcherait d'amenerle meurtrier de Tolly devant lajustice.
Etant des Cynster, on pouvaitcompter sur eux pour venger lamort de Tolly. De même, ilss'assureraient que les femmes deleur famille, leurs aînés et leurscadets — tous ceux qu'ilsconsidéraient comme étant sousleur garde — ne seraient pastroublés ni touchés par une telleviolence.
La mort et la vengeance étaient
le terrain des hommes, la sécuritédu foyer celui de leur famille.
Ce qui était très bien, mais...
La dernière prière futprononcée ; la terre frappa lecercueil. La mère de Tolly s'affaissadans les bras de sa belle- sœur ; sonmari se hâta de la rejoindre. Ameliaet Amanda tirèrent sur les mainsd'Honoria. À contrecœur, elle sedétourna de la tombe — du tableaude l'autre côté.
Charles et les Cynster plus âgésétaient partis, mais Simon, Devil et
les cinq autres restèrent sur place,le regard toujours fixé sur lecercueil. Juste avant de seretourner, Honoria vit Simon leverle sien sur le visage de Devil, unequestion dans ses grands yeux. Ellevit la réponse de Devil, leresserrement de sa main surl'épaule de Simon, la promessesilencieuse qu'il donna en inclinantla tête.
Elle n'avait aucun doute sur lecontenu de cette promesse.
En compagnie des jumelles,
Honoria traversa la pelouse,méditant sur sa situation. Elle allaitenvoyer chercher son frère Michaeldemain, mais il mettrait quelquesjours à la rejoindre. Ces joursseraient utiles.
Elle avait besoin de voir lajustice rendue ; elle avait un devoirde venger l'innocence — c'était sansnul doute la raison pour laquelle levisage de Tolly la hantait.Impossible de dépêcher les mâlesCynster adultes pour vengerl'innocence; leur vengeance serait
animée par des motifs guerriers —la défense de leur famille, leur clan.Elle serait la défenseuse del'innocence — elle avait elle aussiun rôle à jouer.
Elle avait été à la recherched'excitation, d'aventures etd'intrigues — le destin l'avait faitatterrir ici. Loin d'elle l'idéed'argumenter.
La veillée mortuaire fut bondée.Plusieurs des jeunes mâles etaristocrates qui étaient venus de
Londres restèrent pour la scènefinale. En une demi-heure, Honoriaavait été présentée à plus de lamesdangereuses qu'elle avait cru enrencontrer au cours de toute unevie. Heureusement, son inclusiondans le groupe familial avaitenvoyé un message clair ; aucunvisiteur ne devait l'ennuyer.
Les jumelles reprirent leursinstruments ; la foule s'entassa dansla salle de musique et le salon, etdéborda sur la terrasse.
Tout en bavardant avec des
parents Cynster et des relations defamille membres de la hautesociété, Honoria surveillaattentivement Devil et ses cinqcomplices. Un scénario devint viteapparent. Devil se tenait dans lesalon, dos aux portes ouvertes surla terrasse; les autres parcouraientla foule, s'arrêtant de temps à autresoit à côté de Devil pour luitransmettre quelque informationen silence, soit pour attirer sonregard.
Elle ne pouvait rien faire pour
intercepter cette communicationsilencieuse; en ce qui concernaitl'autre, par contre... Honoriaconcentra son attention sur ladySheffield, son interrogatrice dumoment.
— Evidemment, entonnamadame la comtesse, cette affairebouleversante retardera un peu leschoses.
Délibérément vague, Honorialeva les sourcils.
— Vraiment?Lady Sheffield la regarda en
réfléchissant.— Trois mois de deuil ; cela
nous mène en décembre.— L'hiver, observa avec
obligeance Honoria.Elle sourit à lady Sheffield et
lui offrit quelque chose pour sapeine.
— Je vous prie de m'excuser,madame — je dois parler àWebster.
Avec un sourire, elle se glissavers la porte, tout à fait certaineque ses paroles seraient
interprétées. Dans le vestibule, ellese faufila à travers de petitsgroupes d'invités. Des assiettesportant des piles de minusculessandwichs étaient posées sur unbuffet ; en prenant une, elletraversa la salle de musique, jusqu'àla terrasse.
Atteignant un endroitimmédiatement derrière Devil, ellese positionna, dos au salon. Lessandwichs dans son assietteattirèrent instantanément unecouverture adéquate.
— Lady Harrington, seprésenta une dame plus vieille. Jeconnais bien votre grand-père,mademoiselle. Je ne l'ai pas vudepuis un moment. J'imagine qu'ilse porte bien ?
— J'imagine, répondit Honoria,gardant la voix basse.
— Hurst ne sait rien, ni Gilford.Sans se retourner pour ne pas
risquer que l'un des cousins deDevil la remarque, Honoria nepouvait pas dire qui avait fait cerapport. Cependant, elle
connaissait la voix de Devil.— Vane a vérifié auprès de
Blackwell. Essaie Gelling.— Bons sandwichs que ceux-ci.Lady Harrington en prit un
autre.— Voici lady Smallworts ; elle
connaît aussi votre grand-père. Parici — Dulcie !
Lady Harrington fit un signede la main à une autre dame bienparée; derrière Honoria, un autrerapport arrivait.
— Rien de Dashwood ; et oui,
j'ai beaucoup insisté. Il ne garderien pour lui. Pas son style, cegenre d'histoire.
Il y eut un silence, puis Devildemanda :
— Quelqu'un d'autre venant decette partie de la ville ?
— Je vais essayer GilesEdgeworth.
Un gentleman plus âgés'approcha de Devil et il fut obligéde converser ; Honoria saisitl'occasion pour donner sonattention à lady Smallworts.
— Doux Jésus, oui ! s'exclamalady Smallworts en scrutant sonvisage à travers ses lorgnettes. Il y aune ressemblance nette ici, nepensez-vous pas, Arethusa? Auxenvirons du menton.
Prenant note en son forintérieur d'examiner son menton laprochaine fois qu'elle jetait un coupd'œil dans la glace, Honoria collaun sourire sur ses lèvres et se miten devoir d'amener les deux vieillesdames à bavarder ensemble. Puis,elle se concentra sur l'activité
derrière elle.— Aucune chance avec
Farnsworth, ni Girton.Devil soupira.— Il doit y avoir quelque chose,
quelque part.— Sûrement; nous devrons
simplement continuer à chercherjusqu'à ce que nous trouvions.
Après une pause, le cousin enquestion dit :
— Je vais tenter le coup avecCaffrey.
— Prudence ; je ne veux pas
que cela se sache partout en ville lematin venu.
— Fais-moi confiance.Honoria pouvait presque voir
le sourire Cynster quiaccompagnait les mots.
Encore une fois, l'attention deDevil fut réclamée par d'autres;Honoria mit son grain de sel dansla conversation quant à savoir si lamousseline à motif floral feraitencore fureur la saison suivante.
Il se passa quelque temps avantqu'un autre de ses cousins rejoigne
Devil. Les invités commençaient àpartir quand Vane fit son rapport ;Honoria reconnut sa voix.
— Oublie Hillsworth ou,comme je le soupçonne, n'importelequel de cet acabit. Si le problèmeest dans cette lignée, nous auronsbesoin qu'Harry fouille plus enprofondeur.
— En parlant de Démon...— Rien avec aucun de mon
groupe.— Voici venir les autres, dit
Vane.
— Pas un murmure ; même pasun simple tic.
— Pas de chance.— Pas même une trace de
soupçon.— Ce qui signifie, dit Devil, que
nous devrons partir à la chasse.— Mais dans quelle direction ?— Dans toutes les directions.
Devil marqua une pause. Démon,tu prends les pistes de course ettoutes les entreprises liées. Vane,les gardes et les auberges. Gabriel,les salons et la finance en général.
Scandai — tu peux faire ce que tufais de mieux ; bavarder avec lesdames. Ce qui laisse les chatteriespour Lucifer.
— Et toi ? demanda Vane.— je vais m'occuper de l'angle
local.— D'accord ; je pars pour
Londres ce soir.— Moi aussi.— Et moi, je vais vous amener
si vous voulez. J'ai un animal depremier choix entre les axes.
Leurs voix profondes
s'estompèrent, se fondant dans lesmurmures de la foule. LadySmallworts et lady Harringtonétaient passées aux mystères desplus récents bonnets dissimulant levisage. Il était temps pour Honoriade se retirer — elle avait entendutout ce dont elle avait besoin.
— Si vous voulez bienm'excuser, mesdames.
— En fait, ma chère, dit ladyHarrington en agrippant le poignetd'Honoria. Je souhaitais vousdemander si c'était vrai.
— Vrai?Sur ce mot, Honoria entendit
derrière elle :— Mon Dieu, cousin; dans quel
pétrin tu te mets lorsque je ne suispas là pour surveiller tes arrières.
C'était la voix traînante de Vane; Honoria sut que Devil se retournaet qu'il la vit — elle sentit sonregard sur son cou, ses épaules. Ellese raidit. Elle mourrait d'envie depivoter, mais madame la comtesses'accrochait fermement.
— Eh bien, oui, dit lady
Harrington en souriant. À proposde vous et...
Elle s'interrompit, son regard selevant sur un point au- delà del'épaule gauche d'Honoria, les yeuxs'arrondissant de joie.
— Ah, bonjour, St-Ives.— Lady Harrington.Ce ne fut pas sa voix et la
subtile menace sous- jacente quiprovoquèrent des ondes de chocdans le corps d'Honoria — ce fut lalarge main qui se courba enpropriétaire autour de sa taille.
Devil emprisonna la mainqu'avait libérée lady Harrington.Honoria observa ses propres doigts,piégés dans les siens, se leverinexorablement vers ses longueslèvres. Elle se prépara à sentir seslèvres sur ses doigts.
Il inversa sa main et pressa seslèvres sur son poignet.
Si elle avait été une femmeplus faible, elle se serait évanouie.
Habilement, Devil se tournavers lady Harrington.
— Vous disiez, madame ?
Le visage de lady Harringtons'épanouit en un large sourire.
— Rien d'important ; je penseque vous m'avez fourni la réponsedont j'avais besoin.
Elle alla presque jusqu'àdécocher un clin d'œil à Honoria,puis elle donna un petit coup sur lebras de lady Smallworts.
— Venez, Dulcie ; j'ai vuHarriet sur la pelouse. Si nous noushâtons, nous pourrions l'attraperavant son départ. Monsieur le duc.
Madame hocha la tête vers
Honoria.— Nous vous verrons en ville,
ma chère. Transmettez noshommages à votre grand-père.
— Oui, bien sûr.Honoria haleta à moitié. Ses
poumons étaient paralysés, à causedes longs doigts étalés sur ses côtes.S'il lui embrassait encore lepoignet, elle allait s'évanouir.
— Saluer ces dames, ordonnason bourreau.
— Avec quoi, siffla-t-elle enretour. L'assiette ?
— Je crois que vous n'avez plusbesoin de l'assiette maintenant;Thomas va la prendre.
Un valet de pied apparut et lasoulagea de l'assiette. Il y avaitencore quelques personnes sur laterrasse. Honoria patienta, mais lapoigne sur sa taille ne se relâchapas. Au lieu, Devil enroula aussison autre bras autour de sa taille, samain toujours retenue dans lasienne. Elle pouvait le sentir, sontorse, ses cuisses, durs commel'acier derrière elle, ses bras, une
cage incassable autour de soncorps.
— Avez-vous beaucoup appris,ici sur la terrasse ?
Les mots, doux, profonds et àvoix basse lui chatouillèrentl'oreille.
— Des tas sur la mousseline àmotif floral. Et saviez- vous que lestout derniers bonnets quidissimulent le visage présentent unrebord échancré ?
— Vraiment? Quoi d'autre?— Précisément ce que lady
Smallworts voulait savoir.— Et que voulez-vous savoir,
Honoria Prudence ?Il avait une manière
distinctement fatale de prononcerson nom — il roulait le r, trèslégèrement, de sorte que les motsanglais parfaitement guindés setransformaient en quelque chose deplus sensuel. Honoria combattit unfrisson.
— Je veux savoir quelles sontvos intentions.
Elle le sentit soupirer.
— Que vais-je faire de vous,espèce de femme qui fourre sonnez partout ?
Il se balança, doucement,d'avant en arrière.
La sensation de perdre piedavec la terre fit haleter Honoria. Iln'avait même pas modifié sapoigne.
— Vous pouvez commencer parme déposer !
Elle fut sauvée par ladouairière.
— Sylvester ! Que diable fais-tu
? Dépose Honoria immédiatement !Il obéit — avec réticence ; le
deuxième pied d'Honoria toucha lesol, la douairière lui prit le bras.
— Venez, ma chère, je veuxvous présenter quelqu'un.
Sans un regard en arrière,Honoria s'enfuit avec ladouairière.
Elle prit soin de passer inaperçue lereste de la journée. Alors que laplupart des invités partirent aprèsla veillée funèbre, plusieurs
membres de la famille s'attardèrent.Honoria n'avait aucune intentionde se retrouver seule de manièreinattendue avec Devil dans sonhumeur actuelle. Le pavillon d'été,un hexagone de bois blancenrubanné d'un rosier grimpantjaune devint son refuge.
Son ouvrage de broderie sur lescuisses, elle observa les voituresrouler dans l'allée — regarda Deviljouer les hôtes et les saluer à leurdépart. L'après-midi faisait place àla soirée quand Charles Cynster
descendit les marches d'entrée ets'engagea sur la pelouse, sedirigeant droit vers le pavillond'été.
Inclinant sombrement la tête, ilentra.
— Bonsoir, ma chère. Jesouhaitais vous parler avant departir ; Sylvester m'a dit où voustrouver.
Voilà ce que valait son refuge.Honoria examina le frère aîné deTolly d'un regard critique. Il étaitcertainement plus vieux que Devil,
ce qui faisait de lui le plus âgé descousins Cynster. Il faisait figureimposante, deux mètres etsolidement bâti, mais il luimanquait les lignes sveltes desCynster. Son visage était rond, avecde lourdes bajoues. Ses yeux, poséssur elle, étaient d'un brun ordinaire; compte tenu de sa perte récente,Honoria fut étonnée par l'intensitéde son expression.
Le pavillon d'étés'enorgueillissait d'un long canapéen osier avec des coussins de chintz
et rien d'autre. Avec un signe de lamain, elle invita Charles à s'asseoir ;quelque peu soulagée, elle le vitdécliner le canapé pour s'installersur le rebord d'une fenêtre. En faced'elle. Honoria leva un sourcil poli.Vraisemblablement, Devil avaitenvoyé Charles la persuader delaisser la mort de Tolly aux Cynster.
— Je voulais vous remercierd'avoir secouru Tolly. Sylvester amentionné votre aide.
Les lèvres de Charles setordirent en un sourire fugitif.
— Pour utiliser sa phrase « bienau-delà de ce que l'on pourraitraisonnablement attendre d'unedame de votre rang. »
Gracieusement, Honoria inclinala tête.
— Malgré les convictions devotre cousin, je n'ai rien fait de plusque toute autre dame possédantdes prédispositions pragmatiques.
— Quoi qu'il en soit...Les mots de Charles
s'estompèrent; Honoria leva lesyeux et rencontra son regard.
— Ma chère mademoiselleAnstruther-Wetherby, j'espère quevous me pardonnerez si je parleclairement ?
— Je préférerais que vous lefassiez.
Mettant sa broderie de côté,Honoria croisa les mains et luiaccorda toute son attention.
— Il me semble que, au lieud'être récompensée pour votreaide, vous avez été placée dans unesituation injuste. Cependant, jecomprends qu'en vertu d'avoir
porté secours à Tolly et vous êtrepar conséquent retrouvée coincéepar l'orage, vous avez été obligéede passer la nuit en compagnie deSylvester et vous vous retrouvée àprésent compromise et, sansvouloir mettre l'accent là-dessus,forcée d'accepter son offre.
Honoria ouvrit les lèvres ;Charles leva la main.
— Non, je vous en prie,permettez-moi de terminer. Je saisque de nombreuses dames seraientaux anges{†} de devenir la duchesse
de St-Ives, peu importe lescirconstances. Je peux voir, parcontre, que vous n'êtes pas de cetteespèce écervelée. Vous êtes uneAnstruther-Wetherby, fille d'uneancienne et vieille lignée — tout àfait aussi fière que nous Cynster.Vous êtes une femme de bon sens,indépendante et — comme vousl'avez reconnu — encline au senspratique. Vous avez, je crois, choiside vivre votre vie discrètement ; ilme semble loin d'être juste qu'enretour pour vos bons soins, vous
deviez être obligée de devenir lafemme de Sylvester, un rôle quinon seulement sera exigeant, maisaussi fort probablement peugratifiant... pour une damesensible.
Il hésita, pesant ses mots, puispoursuivit :
— Sylvester porte le poidsd'une réputation très précise,comme la plupart des Cynster. Ilparaît peu probable qu'un hommequi se consacre autant à la chassechange volontiers ses manières.
Il regarda Honoria; elle leva lessourcils avec arrogance.
— Il y a peu de chose dansvotre évaluation qui me porterait àdiscuter, monsieur Cynster.
Le bref sourire de Charlesn'éclaira pas ses yeux.
— En effet, ma chère, je croisque nous deux sommes ceux qui secomprendraient bien, ce quiexplique pourquoi j'espère quevous saisirez mes motifs de vousproposer une solution alternative àvotre situation délicate non
méritée.— Une alternative ?Honoria était consciente d'un
malaise croissant. Elle ne s'était pasattendue à ce que Charles attaqueDevil en secret ; elle étaitréellement surprise qu'il l'ait fait.
— Une alternative plusacceptable pour une dame de votresensibilité.
Honoria l'interrogea de sesyeux.
— Épouser Sylvester ne serait
pas dans votre meilleur intérêt;toute personne compréhensiveverrait cela. Vous vous trouvez, parcontre, en besoin d'une offre, à titrede réparation à tout le moins.Comme Tolly était mon frère, afinde rétablir votre réputation, jeserais heureux de vous offrir mamain. Mon domaine, évidemment,n'est rien comparé à celui deSylvester : il n'est, cependant, pasinsignifiant.
Honoria était abasourdie ;
seules ses années de formationempêchèrent ce fait de s'affichersur son visage. Elle n'avait pasbesoin de réfléchir pour formuler saréponse ; les mots vinrentspontanément à ses lèvres.
— Je vous remercie pour votreoffre, monsieur, mais je n'ai pasdans l'idée de me marier — paspour ceci ni, en effet, pour aucuneautre raison prévisible.
Le visage de Charles perdittoute expression. Après un
moment, il demanda :— Vous n'avez pas l'intention
d'accepter l'offre de Sylvester ?Lèvres pressées, Honoria secoua
la tête.— Je n'ai pas du tout l'intention
de me marier.Sur cette déclaration ferme, elle
tendit la main vers sa broderie.— On fera pression sur vous
pour consentir, à la demande deSylvester — à la fois les Cynster etvotre propre famille.
Les yeux d'Honoria lancèrentdes éclairs ; elle leva les sourcilsavec arrogance.
— Mon cher monsieur, je nesuis pas du tout sensible à uneintervention injustifiable dans mavie.
Un silence s'ensuivit, puisCharles se leva lentement.
— Je vous demande pardon,mademoiselle Anstruther-Wetherby, si je vous ai offensée.
Il marqua une pause, puisajouta :
— Cependant, je vous conseillevivement de vous rappeler que, sile temps vient où vous sentez lanécessité de vous marier pouréchapper à la situation découlantde la mort de Tolly, vous avez unealternative à un mariage avecSylvester.
Absorbée par les piqûres de sonaiguille dans la toile, Honoria neleva pas les yeux.
— Votre humble serviteur,mademoiselle Anstruther-Wetherby.
Remarquant à peine larévérence de Charles, Honoriainclina la tête avec raideur. Charlestourna les talons et descendit lesmarches; Honoria l'observa, yeuxplissés, pendant qu'il retournait à lamaison. Quand il disparut, ellefronça les sourcils et remua lesépaules.
Si elle devait un jour épouserun Cynster, elle aimerait mieuxessayer de dompter le tyran.
Le tyran vint frapper à sa porte plus
tard ce soir-là.Les oncles, les tantes et les plus
jeunes cousins de Devil étaientrestés à dîner, puis tout le mondeétait parti à l'exception de la famillede Tolly, laissant le personnelreprendre collectivement sonsouffle. Une chape de calme étaittombée sur la Maison, un silencepaisible que l'on trouvait seulementdans les demeures qui avaient vu lanaissance et la mort de nombreusesfois.
Laissant la douairière et les
parents de Tolly échanger dessouvenirs doux amers, Honorias'était retirée dans sa chambre. Elleavait eu l'intention de composer salettre à Michael. Au lieu, la paixdehors l'attira à sa fenêtre ; elle selaissa choir sur la banquette sous lafenêtre, son esprit vagabondantdans la nuit.
Le coup qui interrompit sarêverie sans but était sipéremptoire qu'elle n'avait aucundoute sur le visiteur. Elle hésita,puis, raidissant l'échine, elle se leva
et se rendit à la porte.Devil se tenait dans le couloir,
regardant en arrière vers l'escalier.Alors qu'elle ouvrait largement laporte, il se retourna et rencontrason regard.
— Venez faire une promenade.Il tendit la main; Honoria retint
son regard calmement — et levalentement un sourcil. Les lèvres deDevil tressaillirent, puis il esquissaaisément une révérence.
— Ma chère Honoria Prudence,me ferez-vous l'honneur de vous
promener avec moi au clair de lune?
Elle préféra son ordre à soninvitation ; le charme naturel setapissant sous ses mots, prononcésavec cette voix douce et profonde,suffisait à faire tourner la tête àn'importe quelle femme.
Mais il ne fallait qu'une fractionde seconde pour décider pourquoiil était là.
— Je vais chercher mon châle.La bande de belle soie de
Norwich était disposée sur une
chaise; le drapant autour de sesépaules, Honoria attacha les bouts,puis se dirigea vers la porte. Elleavait l'intention de faire biencomprendre qu'elle n'était pas surle point de renier son intérêt dansle meurtre de Tolly.
Devil lui prit la main et l'attirapar-dessus le seuil et ferma laporte, puis il installa sa main sur samanche.
— Il y a un autre escalier quidonne sur la pelouse de côté.
En silence, ils quittèrent la
maison pour se promener sousd'immenses arbres parsemant lapelouse, passant de l'ombre au clairde lune et vice-versa.
Le silence était apaisant ;l'odeur forte et persistante desfeuilles, de l'herbe verte et de laterre riche qu'associait toujoursDevil avec son foyer était ce soirépicée d'un subtil parfum, unesenteur qu'il n'eut aucune difficultéà identifier.
C'était elle ; l'odeur de sachevelure, de sa peau, de son
parfum — muguet avec une touchede rose —, un mélange coûteux,séduisant. Sous tout cela flottait lafragrance entêtante d'une femme,chaude et sensuelle, promettanttoutes sortes de délices terrestres.Le parfum évocateur titillait sessens de chasseur et augmentait latension qui le tenait.
Ce soir, il était la proie de deuxdésirs impérieux — en ce moment,il ne pouvait poursuivre aucun desdeux buts. Il n'y avait rien qu'ilpouvait faire pour venger la mort
de Tolly — et il ne pouvait pasamener Honoria Prudence dans sonlit. Pas encore. Il y avait, par contre,une question dont il pouvaits'occuper — il pouvait fairequelque chose à propos de sonmenton.
Il n'avait aucune intention de lalaisser se mêler du meurtre deTolly, mais son action sur la terrasseavait été peu judicieuse.L'intimidation ne fonctionneraitpas avec cette dame en particulier.Heureusement, une stratégie
alternative était à portée de main,une qu'il préférait, et de loin. S'enservir équivalait à faire d'une pierredeux coups. Caché dans l'ombre,Devil sourit — et dirigea leurs pasvers le pavillon d'été.
Elle perdit patience avant qu'ilsl'atteignent.
— Quelles mesures prenez-vous pour appréhender l'assassinde votre cousin ?
— On s'occupera de cetteaffaire, soyez-en assurée.
Il sentit son regard furieux.
— Ce n'est pas ce que j'aidemandé.
— C'est, cependant, la seuleréponse dont vous avez besoin.
Elle se raidit, puis s'enquitgentiment :
— Quelqu'un vous a-t-ilinformé, monsieur le duc, que vousêtes sans aucun doute l'homme leplus arrogant de toute la chrétienté?
— Pas dans ces mots précis.Le commentaire la réduit au
silence assez longtemps pour qu'il
puisse la guider en haut desmarches du pavillon d'été. Ils'arrêta au centre du belvédère, lalibérant. Des rayons de lunestriaient le plancher, formant desmotifs grâce aux ombres desfeuilles. Sous la faible clarté, il vit sapoitrine se gonfler.
— Quoi qu'il en soit...Les mots d'Honoria se
terminèrent en un petitglapissement; un instant, sonbourreau était debout, souple etdétendu devant elle — l'instant
suivant, de longs doigts s'étaientrefermés sur son menton. Et il étaitsoudainement beaucoup plusproche.
— Que faites-vous?Ses yeux s'étaient brusquement
arrondis; elle était essoufflée. Ellene tenta pas de libérer son menton;sa poigne était solide.
Les paupières de Devil selevèrent ; ses yeux — encore pluspâles sous la faible lumière —rencontrèrent les siens.
— Je vous distrais.
Son murmure grave étaitcertainement distrayant; Honoria lesentit dans ses os. À part sonmenton, il ne la touchait pas,néanmoins elle se sentit glisser sousson emprise. Il l'attira vers le hautet elle s'étira, sa tête s'inclinadavantage, son cœur fit uneembardée, puis commença à battrela chamade. Les yeux de Devilretenaient les siens, hypnotisantsous le clair de lune, sans âge,séducteurs, omniscients. Sa tête sebaissa lentement — les lèvres
d'Honoria se ramollirent,s'entrouvrirent.
Elle n'aurait pas pu s'écartermême si le ciel lui était tombé surla tête.
La première caresse de seslèvres provoqua un douloureuxfrisson à travers le corps d'Honoria; ses bras se refermèrentimmédiatement sur elle, l'attirantplus près de lui. La duretél'entourait ; des muscles avec moinsde souplesse que l'acierl'emprisonnaient. La tête de biais ;
la pression de ses lèvres augmenta.Elles étaient dures, comme tout
le reste chez lui — autoritaires,exigeantes ; un battement de cœurplus tard, elles étaient chaudes,attirantes, d'une séductionpersuasive. Honoria s'immobilisa,frissonnante, sur un seuil invisible— puis, il tira légèrement et elleplongea en avant, dans l'inconnu.
Ce n'était pas la première foisqu'on l'embrassait, pourtant si.Jamais auparavant n'y avait-il eu dela magie dans l'air, jamais avant ne
l'avait-on prise par la main etintroduite dans un monde desensations. Le plaisir monta, chaudet passionnant, puis tourbillonnaen elle, un kaléidoscope de délices,laissant son corps étourdi.
Agréablement étourdi.Avec le peu de souffle qu'elle
réussit à retrouver, il réclama,tissant sa toile jusqu'à ce qu'elle futprise sans espoir de retour. Le boutde sa langue dessina les lèvres de lajeune femme, une caresseastucieusement envoûtante. Elle
savait qu'elle serait sage del'ignorer ; il la guidait dans desdomaines au-delà de saconnaissance, où il lui servirait deguide. Une situation des plusimprudentes — une situationdangereuse.
Les lèvres de Devil seraffermirent, faisant fondre touterésistance. Sur un soupir, elleentrouvrit davantage les lèvres,cédant à sa demande arrogante.
Il prit ce qu'il voulait — lacaresse intime provoqua une
traînée de sensations en elle, lafoudre la frappant jusqu'à l'âme.Abasourdie, Honoria s'écarta surun halètement.
Il la laissa se retirer — juste unpeu. Assommée, l'esprit en déroute,elle fouilla son visage. Un sourcilnoir s'arqua lentement ; ses bras seresserrèrent.
— Non.Honoria s'arc-bouta contre sa
poigne — essaya plutôt; ses musclesavaient la consistance de la gelée.
— Il est inutile de paniquer, je
vais seulement vous embrasser.Seulement ? Honoria cligna
furieusement des yeux.— C est déjà assez grave. Je
veux dire...Elle inspira avec difficulté et
tenta de reprendre ses esprits.— Vous êtes dangereux.À vrai dire, il rigola ; le son mit
en pièces sa maîtrise de soidurement gagnée — elle frissonna.
— Je ne suis pas dangereuxpour vous.
Ses mains la caressaient de
manière apaisante, séduisante, dansson dos.
— Je vais vous épouser. Ce quifait que les rôles sont inversés.
Son cerveau avait-il ététotalement embrouillé ? Honoriaplissa le front.
— Quels rôles ; quoi, inversés ?Les dents de Devil brillèrent.— Selon tous les préceptes, les
épouses Cynster représentent lesseuls êtres humains sur terre de quiles hommes Cynster devraient seméfier.
— Vraiment?Il la faisait marcher. Honoria
tenta de fouetter son indignation,une tâche impossible étant donnéqu'il avait penché la tête et luimordillait délicatement les lèvres.
— Contentez-vous dem'embrasser.
Il murmura les mots sur seslèvres alors qu'il l'attirait plusdurement contre lui. Le contact fitde nouveau frémir ses nerfs; seslèvres, légèrement taquines,laissaient son esprit incapable de
chicaner.Devil l'embrassa encore,
attendant avec la patience dequelqu'un qui savait, jusqu'à cequ'elle cède entièrement. Sacapitulation attendrissante en futrendue plus douce, sachant commeil le savait qu'elle aurait préféréqu'il en soit autrement. Trop sage,trop expérimenté, il ne la poussapas trop loin, contenant fermementses passions. Elle restait doucementsouple dans ses bras, ses lèvres luiappartenant pour son plaisir, la
douce caverne de sa boucheouverte à sa dégustation, à sonpillage, à sa revendication ; pour cesoir, cela allait devoir suffire.
Il aurait de loin préféré la fairesienne — l'amener dans son lit ets'enfouir en elle, célébrer la vie dela manière la plus fondamentale —une réaction naturelle à la présencede la mort. Mais, elle étaitinnocente — ses réactionsnerveuses, son inactivité luiparlaient clairement. Elle serait àlui et à lui seul — mais, pas tout de
suite.La réalité de son besoin
affectait pleinement son cerveau;Devil jura mentalement. Sadouceur, pressée contre lui de lapoitrine à la cuisse, était uneinvocation puissante, nourrissantses démons, les appelant, lesincitant. Il recula ; torse gonflant, ilexamina son visage, sedemandant... alors même qu'ilenchaînait ses désirs. Les yeuxd'Honoria brillaient sous ses cils.
Son esprit vagabondant encore,
Honoria laissa son regard parcourirle visage de Devil. Il n'y avait pasde légèreté dans ses traits, pas detrace de douceur, seulement de laforce et de la passion, et unevolonté de fer.
— Je ne vais pas vous épouser.Les mots partirent directement
de son cerveau pour franchir seslèvres — une réaction instinctive.
Il haussa simplement unsourcil, avec un dédain irritant.
— Je vais envoyer cherchermon frère demain afin qu'il vienne
ici pour me ramener à la maison.Les yeux de Devil, argentés
dans la nuit, se plissèrent trèslégèrement.
— La maison ; comme dansl'Hampshire ?
Honoria hocha la tête. Elle sesentait irréelle, déconnectée dumonde.
— Ecrivez un mot à votre frère;je vais l'affranchir demain.
Elle sourit.— Et je vais moi-même le
déposer à la poste.
Il sourit en retour — elle avaitle pressentiment qu'il riait d'ellebien que son torse, si proche, netremblait pas.
— Certainement. Nous verronsce qu'il pense de votre décision.
Le sourire d'Honoria devintsuffisant ; elle se sentait trèsexcitée. Lui, tout Cynster qu'il était,croyait que Michael soutiendrait sacause. Michael, évidemment, seraitd'accord avec elle — il constaterait,aussi instantanément qu'elle, quepour elle, épouser Devil Cynster
n'était pas une bonne idée.— Et maintenant, si nous avons
réglé votre avenir immédiat à votresatisfaction...
Ses lèvres effleurèrent lessiennes; instinctivement, Honoriasuivit leur trace.
Une brindille craqua.Devil leva la tête, chaque
muscle se tendant. Lui et Honoriaregardèrent dans la nuit ; lespectacle qui apparut sous leursyeux incrédules fit se redresserDevil.
— Quedia...— Chut\
Honoria pressa sa main sur leslèvres de Devil.
Il fronça les sourcils et luiattrapa la main, mais il restasilencieux alors que la menueprocession s'approchait, puisdépassait le pavillon d'été. Sous leclair de lune et à travers les ombres,Amelia, Amanda et Simonmenaient la petite bande.Henrietta, Eliza, Angelica etHeather avec Mary dans son sillage
les suivaient. Chaque enfanttransportait une rose blanche.
Le pli sur le front de Devils'approfondit lorsque l'ombre densedes arbres les avala ; sur leurdestination, il ne pouvait y avoirque peu de doutes.
— Attendez ici.Honoria le dévisagea.— Vous voulez rire !Elle releva ses jupes et se hâta
en bas des marches.Il était sur ses talons quand ils
se faufilèrent entre les ombres,suivant la petite bande. Les enfantsstoppèrent devant la tombefraîchement recouverte de Tolly.Honoria s'arrêta dans l'obscuritéprofonde d'un chêne ; Devils'immobilisa derrière elle. Puis, sesmains agrippèrent sa taille ; il lasouleva pour la déposer à côté.
Elle se tortilla sous sa poigne etse lança contre lui.
— Non!
Son murmure furieux le fit
cligner des yeux. Ses mains serrantses épaules, elle chuchota :
— Vous ne devez pas !Il la regarda en fronçant les
sourcils, puis baissa la tête afin depouvoir murmurer dans son oreille.
— Et pourquoi diable non ? Ilsn'ont pas peur de moi.
— Ce n'est pas cela ! réponditHonoria en fronçant à son tour lessourcils. Vous êtes un adulte —vous n'êtes pas l'un d'eux.
— Et alors ?
— Alors, c'est leur moment,leur occasion de dire au revoir. Nele leur gâchez pas.
Il examina son visage, puis seslèvres s'amincirent. Levant la tête,il regarda le contingent aligné aupied de la tombe, mais il n'esquissaplus de mouvement pour lesrejoindre.
Honoria remua, et il la lâcha;elle se retourna pour observer. Lafraîcheur sous les arbres pénétraitsa robe mince — elle frissonna.
L'instant suivant, les bras de Devill'entourèrent, l'attirant de nouveaucontre lui. Honoria se raidit, puisabandonna et se détendit, tropreconnaissante de sa chaleur pourergoter.
Une conférence s'était dérouléesur le site de la tombe ; à présent,Amelia s'avançait et lançait sa rosesur le tas de terre.
— Dors bien, Tolly.Amanda s'avança d'un pas.— Repose en paix, entonna-t-
elle, et elle projeta sa rose afinqu'elle rejoigne celle de sa jumelle.
Simon vint ensuite.— Au revoir, Tolly.Une autre rose atterrit sur la
tombe.Un par un, les enfants
ajoutèrent leurs roses à la petitepile, chacun disant adieu à Tolly.Quand ils eurent terminé, ilss'entre-regardèrent, puisreformèrent leur procession et sehâtèrent de rentrer à la maison.
Honoria retint Devil jusqu'à ceque les enfants soient passés. Il luilança un regard indéchiffrable,distinctif des Cynster, quand elle lelibéra enfin, puis il lui prit la main ;ensemble, ils suivirent la piste desenfants sur la pelouse.
Il y avait de la rosée sur legazon ; c'était un trajet difficile,particulièrement pour la petiteMary. Devil grogna et allongea lepas — Honoria se lança de nouveausur lui.
— Non!Elle le regarda furieusement et
le poussa de nouveau sous lesarbres.
Devil lui jeta aussi un regardmauvais.
— Ils vont se mouiller ; je peuxen porter deux.
Il agrippa sa taille : Honorias'accrocha à ses épaules.
— Ils devineront que voussavez où ils se trouvaient, ilscomprendront que vous les avezobservés. Cela va tout gâcher pour
eux. Un peu d'eau ne leur fera pasde mal, pas si ce sont de vraisCynster.
Une lueur toucha le sourireréticent de Devil. Il patienta àcontrecœur jusqu'à ce que lesenfants disparaissent à travers laporte latérale, puis la maind'Honoria toujours dans la sienne,il avança à grands pas vers lamaison. Les enfants négociaientencore les marches au moment oùils atteignirent le pied de l'escalier.Devil continua tout droit, marchant
près du mur. Quand ils rejoignirentle palier supérieur, les jeunesétaient seulement à moitié cheminde la prochaine volée de marches— Devil tira brusquement Honoriadans une alcôve.
Elle haleta lorsqu'elle atterritsur son torse. Un bras referméautour d'elle; des doigts durssoulevèrent son visage. Ses lèvrestouchèrent les siennes avant qu'ellepuisse inspirer; elle tenta de garderune position ferme, mais devant leplaisir qu'il lui prodiguait, sa
résistance s'affaiblit, puis disparut.Pour être remplacée par
quelque chose de si insidieux,dérobant compulsivement son âme,de si naturellement ensorcelant,elle ne put se dégager. Il avait faim— elle sentit dans sa passion tenueen laisse qui lui durcissait les lèvresque lorsqu'elle s'ouvrit à lui, celal'amena à butiner encore plusavidement qu'avant. La tensioninfestant chaque muscle parlaitd'une maîtrise ferme ; l'agitationsous-jacente effrayait et fascinait.
Sa langue s'entremêla à la sienne,intimement appétissante, puiss'installa dans un rythme lent,répétitif et explorateur. La bouched'Honoria était à lui ; sa possessionfit exploser ses sens — aucunhomme ne l'avait touchée ainsi. Unélan de chaleur l'envahit, unedouce fièvre différente de tout cequ'elle avait déjà connu. Au-delà decela et de l'intimité choquante de sacaresse, elle ne savait qu'une chose.Il avait une faim de loup — faimd'elle. L'impulsion soudaine,
presque écrasante de se donner àlui, d'assouvir ce besoin endémiquela secoua jusqu'à l'âme — et quandmême, elle était incapable de sedégager.
Combien de temps restèrent-ilscollés l'un à l'autre dans le noir, ellen'en avait aucune idée ; quand illeva la tête, elle avait perdu contactavec le monde.
Il hésita, puis effleura ses lèvresdes siennes.
— Est-ce que je vous effraie ?— Oui.
D'une certaine façon, c'étaitvrai. Les yeux ronds, le poulsirrégulier, Honoria fouilla ses yeuxombragés.
— Mais ce n'est pas de vous quej'ai peur.
Il provoquait des sensationschez elle, des envies.
— Je...Plissant le front, elle
s'interrompit, pour une fois à courtde mots.
Dans l'obscurité, Devil sourit encoin.
— Ne vous inquiétez pas.— Il prit sa bouche une
dernière fois, cherchant un baiseravant de l'écarter de lui.
— Partez. Maintenant.C'était un avertissement; il ne
fut pas sûr qu'elle le comprit.Elle le regarda en clignant des
yeux sous la faible clarté, puishocha la tête.
— Bonsoir, lui dit-elle en seglissant hors de l'alcôve. Dormezbien.
Devil rit presque. Il ne passerait
pas une bonne nuit — il nedormirait pas du tout. Il pouvaitsentir poindre un autre mal de tête.
Chapitre 7
Le lendemain matin, Honoria
assista au service dominical dans
l'église sur les terres, puis revint en
marchant lentement avec Louise
Cynster. La mère de Tolly la
remercia d'avoir secouru son fils ;
Honoria la démentit poliment.
Avec peu d'encouragements,
Louisa parla de Tolly et de sa
relation avec Devil. Le culte du
héros semblait la description la plus
juste.
L'objet de respect de Tollyn'avait pas cru bon de venir à lamesse. Quand les damesrejoignirent la table du petit
déjeuner, il était évident qu'il étaitpassé avant elles. Honoria avalarapidement son thé et une rôtie,puis se dirigea à l'étage.
Devil, elle en était certaine,avait dû monter à cheval. C'étaitune journée parfaite — il seraitdehors à passer ses champs enrevue assis sur son démon mangeurde gâteaux. Ce qui devrait laisserles environs libres.
Ce fut le travail de troisminutes pour elle d'enfiler sonélégant costume d'écuyère .topaze.
Ses vêtements étaient le seul articlepour lequel elle avait toujoursinsisté sur le fait qu'il soit à lahauteur de la lignée desAnstruther-Wetherby. Elle donnaune chiquenaude sur la plume desa toque assortie afin qu'elle sedrape d'une manière séduisante surune tempe, puis elle se dirigea versla porte.
Il n'y avait personne dansl'écurie. Imperturbable, elle entradans le bâtiment principal. Lesmurs de la stalle étaient hauts; elle
ne pouvait pas voir par-dessus. Lasellerie se trouvait au fond — elledescendit l'allée d'un pas décidé.
Une grande main se tendit et latira dans une stalle.
— Que...
De l'acier chaud l'encerclait.Honoria centra son regard — etcomprit le danger.
— Ne vous avisez pas dem'embrasser ; je vais crier si vous lefaites !
— Et qui croyez-vous viendra àvotre secours ?
Honoria cligna des paupières etessaya de réfléchir à labonne réponse.
— En tout cas, vous ne serezpas capable de crier pendant que jevous embrasserai.
Elle entrouvrit les lèvres etinspira profondément.
Quand elle comprit que cen'était pas une bonne stratégie, ilétait trop tard — il en avaitpleinement tiré avantage. Unevague idée de se débattre flottadans son esprit — puis s'en échappa
alors qu'un plaisir chaud, sensuel etinsidieux bourgeonnait en elle. Leslèvres de Devil se déplacèrent surles siennes, arrogante d'assurance;sa langue se glissa à l'intérieur dansune caresse délicieusementlanguissante, une caresse sansprécipitation qui se prolongea,encore et encore, jusqu'à ce qu'ellefut complètement envahie par lachaleur. Honoria sentit la fièvremonter ; elle tenta de se dire quec'était mal — scandaleusement mal— alors que chacun des sens qu'elle
possédait ronronnait desatisfaction. Elle ne pouvait pasréfléchir ni entendre lorsqu'ill'embrassait. Elle fit cettedécouverte quand Devil leva enfinla tête ; jusqu'à l'instant où seslèvres quittèrent les siennes, sonesprit avait été vide de pensées,bienheureux dans son néant. Lessons de l'écurie se précipitèrent surelle, se combinant à sa difficultérespiratoire. Ses os s'étaientliquéfiés, néanmoins elle étaittoujours debout — puis, elle réalisa
que c'était à cause de lui qu'elleétait dans cette position. Il la tenaitcontre lui ; ses orteils touchaient àpeine le sol.
— Par tous les ciels !Clignant furieusement des
yeux, elle remit les talons sur terre.L'avait-elle qualifié de dangereux ?Il était mortel.
— Bonjour, Honoria Prudence.Son ronronnement grave
provoqua un frisson dans sacolonne vertébrale.
— Et où allez-vous ?
— Ah...Regardant, les yeux ronds, dans
ses yeux verts omniscients, Honoriarassembla ses idées.
— Je cherchais un cheval.Vraisemblablement, vous en avezplus d'un?
— Je crois qu'il y a une jumentprétentieuse et têtue qui devraitconvenir. Cependant, où pensiez-vous vous promener ?
— Oh, simplement dans lesavenues.
Il la tenait trop fermement
pour qu'elle se dégage ; elle essayade reculer doucement — sa prise nese relâcha pas d'un centimètre.
— Vous ne connaissez pas cettecampagne ; vous allez vous perdre.Vous serez davantage en sûreté enmontant avec moi.
— Se dispensant de toutesubtilité, Honoria tendit la mainderrière elle pour tenter dedétacher les bras de Devil. Il rigolaet la laissa tirer — tout cela en vain.Puis, il pencha la tête et déposa desbaisers légers comme des plumes
sur son oreille gauche.Essoufflée, assez ridiculement
agitée, Honoria lui décocha unregard furieux.
— La personne qui vous asurnommé Devil a frappé droitdans le mille !
— Hully ?Honoria cligna des paupières
en le regardant directement dansles yeux.
— Madame Hull vous a donnévotre surnom ?
Il sourit, d'un sourire
démoniaque.— Elle était ma gouvernante.
J'avais trois ans quand elle m'abaptisé « ce Devil Cynster ».
— Vous deviez être un tyran,même alors.
— Je l'étais.Un bruit de gorge frénétique
dispensa Honoria de la nécessité derépondre. Devil regarda autour delui, puis la libéra, se tournant pourla dissimuler à la vue.
— Qu'y a-t-il, Martin ?— Désolé d'interrompre, Vot'
Seigneurie, mais une des embasesau Numéro un Nord s'est fendue— monsieur Kirby se demandait sivous pourriez passer faire un tourpar là. Il espérait que vous pourriezvérifier la disposition avant qu'ilreplace la pale.
Le message n'avait aucun senspour Honoria ; elle jeta un coupd'œil par-dessus l'épaule de Devil.Un ouvrier, casquette en main,patientait dans l'allée. Elle leva lesyeux — et découvrit le regard deson maître fixé sur elle.
Dis à Kirby que j'y serai dansune demi-heure.
— Oui, Vot' Seigneurie.Martin se hâta de sortir.Honoria se redressa.— De quoi s'agissait-il ?— L'un des moulins à vent ne
fonctionne pas.— Des moulins ?Honoria se rappelait de
nombreux moulins à ventparsemant les champs.
— Il semble y en avoirbeaucoup aux alentours.
Les lèvres de Deviltressaillirent. Il tendit la main versla sienne.
— Nous sommes en paysmarécageux, Honoria Prudence ;les moulins font tourner despompes qui assèchent la terre.
— Oh.Honoria se retrouva en train
d'être remorquée dans l'allée.— Où m'amenez-vous ?Il leva les deux sourcils.— Trouver un cheval. N'était-
ce pas ce que vous vouliez ?
Dix minutes plus tard, sur unesémillante jument alezane, Honoriasortit bruyamment dans la cour del'écurie — dans le sillage de Devil.L'idée d'un détour furtif se présentauniquement pour se voir rejetée; illa doublerait en un instant.
Ils quittèrent le parc par uneroute différente de celle quitraversait la forêt ; au-delà desmurs du parc, le claquement desmoulins à vent devint perceptible,augmentant régulièrement alorsqu'ils avançaient au nord. Le
moulin en question était grand ;Devil descendit de cheval dans sonombre pour s'entretenir avec soncontremaître.
Pour Honoria, leur discussionavait peu d'intérêt. Alors qu'ilsrentraient au petit galop à laMaison, elle prit le taureau par lescornes.
— Avez-vous la moindre idéede l'identité possible du « bandit degrand chemin » ?
Cela semblait une questionassez claire.
Sa réponse fut un exposé sur lamécanique du drainage par moulin.Quand ils atteignirent la cour del'écurie, Honoria en avait assezentendu pour confirmer l'adagedisant que les Cynster étaient aussipassionnés par leurs terres qu'ilsl'étaient par leurs autres activités.Elle avait également acquis uneopinion ferme sur ce que son hôtepensait de son intérêt envers lemeurtre de son cousin.
Le lendemain matin, elle regarda
par la fenêtre de sa chambre jusqu'àce qu'elle voie son ennemi partir àcheval. Puis, elle se dirigea vers lesécuries. Les palefreniers ne virentrien d'étrange dans sa demandeque la jument fût de nouveausellée. Quand elle passa sous l'archemenant à l'extérieur du parc,Honoria poussa un crid'enthousiasme. Souriantbêtement, elle prit la direction de laforêt.
Elle finit par suivre le longchemin autour du village. Il s'était
écoulé plus d'une heure avantqu'elle rejoigne enfin la ligne droiteoù l'on avait tiré sur Tolly. Lajument sembla percevoir où setrouvait l'endroit fatal ; Honoriatira sur les rênes et glissa en bas dela selle, attachant le cheval àquelques mètres le long de la route.
Vive et pleine dedétermination, elle traversa la voie— le bruit de sabots l'atteignit.S'arrêtant, elle écouta ; le cavalierinconnu se dirigeait vers elle.
— Bon sang!
Elle pivota brusquement et sehâta de retrouver sa jument.
Elle ne remonta pas. Incrédule,Honoria regarda à droite et àgauche. Le martèlement des sabotss'approchait régulièrement. En cetinstant, elle aurait échangé sagarde-robe complète pour unrondin approprié ; aucun n'était envue.
La présence inconnue étaitcertainement un résident local pasplus menaçant que monsieurPostlethwaite. Honoria s'avança à
la tête de sa jument et adopta uneexpression hautaine, nonchalante.Si elle souhaitait se tenir à côté deson cheval sur la route, qui avait ledroit de la contredire ?
Le cheval approchant effectuale virage et apparut à sa vue. Lecavalier n'était pas monsieurPostlethwaite.
Le démon noir stoppa à côtéd'elle ; Devil baissa les yeux sur elle.
— Que faites-vous ici ?Honoria ouvrit de grands yeux
ronds, encore plus largement qu'ils
ne l'étaient déjà.— Je me suis arrêtée pour me
délier les jambes.Il ne battit pas un cil.— Et admirer la vue ?Ils étaient cernés par la forêt.
Honoria plissa les paupières danssa direction.
— Que faites-vous ici ?— Devil rencontra son regard,
son expression implacable, puis ilsauta en bas de sa selle. Lamâchoire contractée, il noua lesrênes autour d'un arbre ; sans un
mot, il se tourna et marcha à grandspas vers l'endroit où Tolly étaittombé.
Honoria avança avecdétermination dans son sillage.
— Vous ne croyez pas plus quemoi qu'il s'agissait d'un bandit degrand chemin et ce n'étaitcertainement pas un braconnier.
Devil grogna.— Je ne suis pas fou.Il lui lança un regard perçant,
puis il regarda ailleurs, faisant jouerles muscles de ses épaules comme
s'il chassait une entravequelconque.
Honoria l'observa examiner lesol.
— Eh bien ? Qui est coupable,selon vous ?
— Je ne sais pas, mais nousallons le découvrir.
— Nous?Honoria était absolument
certaine qu'il ne voulait pas dire elle
et lui.— Vous cherchez tous, n'est-ce
pas ; vous et vos cousins ?
Le regard qu'il lui décochadébordait d'une patience tenace —son petit soupir le soulignait.
— Comme vous l'avezcorrectement déduit, ce n'était pasun bandit de grand chemin, ni unbraconnier non plus ; Tolly a étéassassiné. Derrière un tel meurtre,il doit y avoir une raison; nousrecherchons cette raison. La raisonnous mènera à l'homme.
— D'après ce que j'ai entendu,vous n'avez aucune idée de ce quepourrait être cette raison.
— Son regard, acéré, touchason visage ; Honoria essaya de nepas en paraître consciente.
— Tolly a mené une vieremplie. Pendant que je couvre leterritoire ici, les autres se divisentLondres — les bals, les endroits malfamés — partout où un Cynster apu aller.
Se rappelant les missions qu'ilavait assignées à ses cousins,Honoria plissa le front.
— Tolly aimait-il les chats ?Devil la dévisagea, son
expression totalement vide.— Les chatteries ?Il cligna des yeux, lentement,
puis son regard dénué d'expressionrencontra le sien.
— Les salons. Du monde d'enbas.
Honoria réussit à ne pas laisserle choc se voir dans ses yeux.
— Il n'avait que vingt ans.— Alors?Le mot suintait l'arrogance.— Les Cynster commencent tôt.Il en était l'archétype —
vraisemblablement, il savait.Honoria décida d'abandonner lesujet — Devil s'était avancé dans lesbroussailles.
— Que cherchez-vous ? Unearme ?
— Tolly ne portait pas d'arme.— Alors ?Sa version suintait l'impatience.Les lèvres de Devil formèrent
une mince ligne.— Je cherche tout ce qui ne
devrait pas être ici.Il s'arrêta et regarda autour de
lui.— Le vent a pu souffler les
choses d'un côté ou de l'autre de lavoie.
— C'était une tâchedécourageante. Pendant que Devilpiétinait les broussailles près del'endroit où Tolly était tombé,Honoria scrutait et fouillait le bas-côté le long de la route. Un longbâton dans une main, elle suivaitdans son sillage, donnait de petitscoups sur des tas d'herbeprometteurs et soulevait de la
moisissure de feuille. Devil jeta uncoup d'œil autour de lui et grogna,puis il continua plus rapidement,survolant les alentours cheminfaisant, lui laissant les plus petitsdétails.
Quand ils eurent couvert unerégion d'une distance d'un mètrede la route, Honoria se redressa etrepoussa la plume qui tentait de luipiquer l'œil.
— Pourquoi pensez-vous queTolly se trouvait sur la route ?
Devil répondit sans lever les
yeux.— Je suppose qu'il se rendait à
la Maison.— Votre tante croit qu'il venait
probablement vous demanderconseil.
A ces mots, il leva les yeux.— Vous avez demandé à tante
Louise ?Son ton amena Honoria à se
redresser, comme au garde-à-vous.— Nous ne faisions que
bavarder; elle ne soupçonne rien.Son expression sévère ne se
modifia pas; gesticulant avecdésinvolture, elle haussa lesépaules.
— Vous avez dit que c'était unbandit de grand chemin, alorsc'était un bandit de grand chemin.Tout le monde le croit, même votremère.
— Dieu merci.
Sur ce, le regard sur commel'acier, Devil reprit sa fouille.
— La dernière chose dont j'aibesoin, c'est de l'intervention desfemmes.
— Vraiment?Maniant son bâton, elle
éparpilla un tas de feuilles.— Je suppose qu'il ne vous est
jamais venu à l'esprit que lesfemmes peuvent contribuer àquelque chose ?
— Si vous voyiez lacontribution que ma mère a pensé
faire, vous ne poseriez pas laquestion. Elle a écrit une note aumagistrat qui aurait redressé lespoils de son cou — s'il avait pu ladéchiffrer.
Honoria retourna une motte deterre.
— Si nous ne nous sentions passi frustrées d'impuissance — misesde côté avec l'ordre de tricoter desmoufles —, nous ne réagirionspeut-être pas de façon aussiextravagante.
Pivotant, elle agita le bâton
dans sa direction.— Songez seulement comme
vous seriez dépité si vous saviez,personnellement, que vous nepourriez jamais rien accomplir.
Il la regarda — droit dans lesyeux — pendant ce qui parut unlong silence mélodique. Puis, sestraits se durcirent ; il fit un signevers le sol.
— Continuez juste à chercher.Bien qu'ils fouillèrent les deux
côtés de la route, ils ne trouvèrentstrictement rien. Remontant, ils
traversèrent les champs au petitgalop, puis le portail du parc, tousdeux absorbés par leurs réflexionssur la mort de Tolly.
Pendant qu'ils passaient entreles rangées de peupliers dorés,Honoria jeta un coup d'œil versDevil.
— Votre tante a l'intention devous donner en souvenir la flasqueen argent que vous avez offert àTolly pour son anniversaire ; il laportait sur lui lorsqu'il a reçu laballe.
Quand il se contenta de hocherla tête, le regard fixé devant lui, elleajouta quelque peu aigrement :
— Il semble que le «bandit degrand chemin» l'ait oubliée.
Cela lui valut un nouveauregard — d'avertissement.
— Votre tante a égalementmentionné, continua-t-elle, que s'iléprouvait des ennuis, Tolly setournerait d'abord vers vous, entant que chef de famille, au lieud'aller trouver son père ou Charles.Pensez-vous que la raison pour
laquelle on l'a tué pourrait être lamême qui l'a amené à venir vousvoir?
Le regard de Devil devint plusperçant ; en cet instant, Honoriaconnut la victoire. Elle l'avaitdevancé dans cette conclusion et ilcroyait qu'elle avait raison. Il ne ditrien, cependant, jusqu'à ce qu'ilsatteignent la cour de l'écurie. Lasoulevant pour la déposer à terre, illa tint devant lui.
— Ne dites rien à Maman ou àtante Louise ; il est inutile de lever
des lièvres.Honoria rencontra son regard
avec une morgue terne.— Et si vous deviez entendre
ou découvrir quoi que ce soit, dites-le-moi.
Elle ouvrit de larges yeuxinnocents.
— Et vous me relaterez ce quevous découvrirez ?
Son expression devint sombre.— Ne poussez pas votre chance,
Honoria Prudence.
Chapitre 8
Deux matins plus tard, Devil
descendait l'escalier principal,
tirant sur ses gants de conduite.
Alors qu'il entreprenait la dernière
volée de marches, Webster apparut,
se dirigeant vers la porte d'entrée.
— Votre calèche devrait vousattendre, Votre Seigneurie.
— Merci.Atteignant la porte d'entrée,
Devil regarda en arrière.Main sur la clenche, Webster
marqua une pause.— Quelque chose ne va pas,
Votre Seigneurie ?Devil se retourna alors que
Webster ouvrait la porte, révélantsa calèche avancée devant lesmarches, ainsi qu'une silhouette enlilas pâle. Devil sourit.
— Non, Webster, tout estcomme je m'y attendais.
Sortant sans se presser, Devils'arrêta dans l'ombre duporche pour savourer l'image queprésentait Honoria. Sa futureépouse avait un style certain, uneélégance innée.
Ses cheveux étaient empilés surle dessus de sa tête en un chignon àla mode, de fines bouclettesvagabondes couronnant son visage.Un parasol à volants lui protégeaitle teint; ses mains et ses piedsétaient enfermés dans du cuir brunclair. Sa robe de voyage lilas avaitété coupée avec habileté,parfaitement ajustée à sa taillesvelte, mettant l'accent sur le douxrenflement de ses hanches et lescourbes généreuses de ses seins. Illui fallut un effort conscient pour
effacer le sourire de loup sur sonvisage.
Adoptant une expressionneutre, impassible, il descenditlentement les marches.
Faisant tournoyer son parasol,Honoria l'observa s'approcher.
— Je comprends que vous avezl'intention d'aller en voiture jusqu'àSt-Ives, monsieur le duc. Je medemande si je peux vousaccompagner. J'ai développé unintérêt pour les vieilles chapelles ;je crois que le pont-chapelle de St-
Ives est un exempleparticulièrement beau de songenre.
— Bonjour, Honoria Prudence.S'arrêtant devant elle, Devil
s'empara de sa main droite ; lalevant en douceur, il pressa seslèvres à l'intérieur de son poignet,dénudé par son gant.
Honoria lâcha presque sonparasol. Elle lui lança un regardmauvais et tenta de calmer soncœur battant.
— Bonjour, Votre Seigneurie.
Sans un mot de plus — sans ledébat qu'elle s'était préparée àgagner —, il la guida vers le côté dela calèche et la souleva pour ladéposer à sa place. Sans effort. Elledut apaiser son cœur indisciplinéencore une fois. Se déplaçant, elles'accrocha à la rambarde quand lesiège s'inclina lorsqu'il monta. Unefois réinstallée, elle redisposa sesjupes, puis s'affaira avec sonparasol.
Devil prit les rênes, donnacongé à son palefrenier, puis ils
roulèrent dans l'allée. Honoria pritune profonde respiration; l'air fraissous les chênes lui ravivait l'esprit— et porta une lumière plus vivesur les dernières minutes. Plissantbrusquement les yeux, elle lestourna vers Devil.
— Vous saviez !— Il jeta un regard de son côté,
l'air légèrement indulgent.— On me considère
habituellement comme unepersonne qui apprend vite.
Un doute troublant surgit dans
son esprit.— Où m'amenez-vous ?Cette fois, son expression fut
l'innocence incarnée.— À St-Ives, voir le pont-
chapelle.Honoria scruta ses yeux — ils
étaient purs comme de l'eau deroche. Se tortillant, elle regardaderrière elle et vit un chevalattaché à une longe suivant lacalèche. Elle se retourna versl'avant.
— Vous allez à St-Ives pour
rendre le cheval que montait Tollyl'après-midi où il a été tué.
Le regard de Devil devint acéré,son expression agacée.
— Je suppose que je ne peuxpas vous convaincre de me laissercette affaire entre les mains ?
Honoria fronça les sourcils.— Est-ce le cheval de Tolly, ou
bien peut-il s'agir de celui dumeurtrier ?
La mâchoire de Devil secontracta.
— Il doit s'agir du cheval que
montait Tolly; on l'a trouvéentièrement sellé dans un champ àproximité du bois le lendemain del'orage. Il vient des écuriesqu'utilisait habituellement Tolly. Etle meurtrier a vraisemblablementquitté la scène à dos de cheval.
Une ligne droite s'étendaitdevant eux ; il ralentit ses alezans etregarda Honoria.
— Honoria Prudence, vous êtespeut-être tombée sur Tollyquelques minutes avant moi, maisil n'y a aucune raison pour que
vous preniez un rôle actif dans lachasse à son assassin.
Honoria leva le nez en l'air.— Je prends la liberté d'être en
désaccord, monsieur leduc.
Devil se renfrogna.— Pour l'amour de Dieu,
arrêtez de me donner du «monsieur le duc » ; appelez-moiDevil. Nous allons, après tout,devenir mari et femme.
— Cela, déclara Honoria, sonmenton s'élevant d'un cran
supplémentaire, est improbable.Devil regarda la pointe de son
menton et débattit en lui-même dela sagesse d'argumenter. Il ditplutôt, d'un ton neutre, maislégèrement tranchant :
— Honoria, je suis le chef decette famille ; mes épaules sont pluslarges que les vôtres et mon dos estbien plus solide. Trouver l'assassinde Tolly est ma responsabilité, soyezassurée que je vais m'en acquitter.
Elle l'observa.— Vous voyez bien que vous
venez tout juste de vouscontredire? Une minute, vousdéclarez que je suis votre futurefemme, la minute suivante, vousm'interdisez d'agir comme devraitle faire votre femme ou votrefiancée.
— Quant à moi, ma femme,future ou actuelle, ce qui veut direvous, devrait s'abstenir de toutesactivités dangereuses.
Obligé de regarder ses chevaux,Devil entendit son propregrognement ; son front se plissa
plus profondément.— Le meurtre est un acte
violent; pourchasser un meurtrierest dangereux. Vous ne devriez pasvous en mêler.
— L'opinion bien établieaffirme qu'une femme devrait offriraide et soutien à son mari danstoutes ses entreprises.
— Oubliez l'aide ; je vais mecontenter du soutien.
— J'ai peur que vous nepuissiez séparer les deux — ils seprésentent en paire. D'ailleurs,
ajouta Honoria, ses yeuxs'élargissant, s'il me faut rester loinde tout danger, commentpourrions-nous nous marier ?
Il lui jeta un coup d'œil,l'expression abasourdie; il scrutason visage, puis plissa les yeux.
— Vous savez que vous necourrez aucun danger venant demoi. Vous ne seriez pas ici dans lecas contraire.
Cela, admit Honoria en son forintérieur, était vrai ; il était uneforce beaucoup trop puissante à
défier sans des garanties couléesdans l'acier. Mais, sa position étaitinattaquable — étant donné qu'il lavoyait comme sa femme, ildéfendrait son honneur, mêmecontre lui-même. Elle ne pouvaitpas avoir un protecteur plusredoutable. Sûre de ce fait, ellesourit sereinement.
— Vos cousins ont-ils apprisquelque chose jusqu'à présent ?
Il marmonna quelque chose etregarda devant lui — elle n'essayapas trop de comprendre ses mots.
Sa mâchoire était contractée — dugranit aurait été plus mou. Il prit levirage suivant en vitesse, puisfouetta ses chevaux. Imperturbable,elle se cala dans son siège,survolant vaguement du regard leschamps qu'ils passaientrapidement.
Devil ralentit à peine sonéquipage à Somersham.
Honoria aperçut monsieurPostlethwaite près du près- bytère.Elle agita la main; il cligna despaupières, puis sourit et la salua en
retour. S'était-il réellement écouléjuste une semaine depuis qu'elles'était engagée sur le chemin àtravers la forêt ?
La famille de Tolly était partiela veille, ayant passé les joursdepuis les funérailles à accepterleur chagrin. Elle avait pris lesjumelles en main, les encourageantà tourner leurs pensées vers l'avenirqui se présentait à elles. Elle avaitégalement brisé l'une de ses règlesd'or et prit les plus jeunes filles,Henrietta et la petite Mary, sous
son aile; personne d'autre neconvenait pour cette tâche.Soutenir les sœurs de Tolly n'avaitfait que renforcer sa résolution àassurer que le tueur serait traînédevant la justice.
Les toits de St-lves s'étendaientdevant quand Devil parla enfin.
— Vane a envoyé un messagerhier — personne n'a déterré le plusminuscule indice ni entendu lamoindre rumeur. Rien poursuggérer ce qui a précipité Tollypar ici ou pourquoi il pourrait avoir
été tué.Honoria examina son profil.— Vous attendiez davantage,
n'est-ce pas ?— J'ai repoussé le moment de
ramener le cheval, espérant obtenirune description de l'homme quenous cherchons. Il a dû se rendredans la forêt d'une manière oud'une autre. S'il a suivi Tolly ou s'ilest arrivé plus tôt de Londres, il apeut-être loué un cheval à St-Ives.
— Il est peut-être venu envoiture ?
Devil secoua la tête.— Dans ce cas, il aurait eu à
sortir de la forêt en s'éloignant deSomersham. Autrement, il vousaurait rencontrée. Un groupe demes ouvriers travaillaient dans leschamps en contrebas des bois —toute voiture passant par là lesaurait dépassés. Aucune ne l'a fait.
— Qu'en est-il d'un cavalier ?— Non plus, mais la forêt est
criblée de pistes cavalières. Il y en atout un nombre que le cavalieraurait pu emprunter.
— Est-il possible de venir deLondres à cheval ?
— Possible, mais peu probable.Devil mit le frein à son duo ; les
premières maisons de St-Ivesétaient devant eux.
— Un cheval monté d'aussi loingalopant à une vitesse raisonnablene pourrait pas ultérieurementprendre la fuite.
Ils avaient atteint la rueprincipale ; Devil ralentit au pas leschevaux bais.
— Donc, conclut Honoria, nous
cherchons un homme, identité etdescription inconnues, qui a louéun cheval le jour du coup de feu.
Elle sentit le regard de Devil surson visage — et entendit le petitsoupir irrité, exaspéré qu'il luiadressa avant de dire :
— Nous cherchons précisémentcela.
Cinq minutes plus tard, assisedans la calèche, écoutant pendantqu'il interrogeait le chef d'écurie,Honoria se débattait encore avecson triomphe. Elle se garda bien de
le laisser paraître — la dernièrechose qu'elle voulait était defroisser sa sensibilité masculine etde le voir revenir sur sa décision.Néanmoins, sa victoire était sidouce, il lui était difficile deréprimer un sourire sur ses lèvres— chaque fois qu'elle était certainequ'il ne pouvait pas le voir, elles'adonnait à son envie et souriait.
La calèche oscilla quand Devilmonta à bord.
— Avez-vous entendu ?— Aucun cavalier à l'exception
de Tolly. Y a-t-il d'autres écuries enville ?
Il y en avait deux, mais lesréponses furent les mêmes qu'à lapremière. Aucun homme n'avaitloué de cheval ce jour-là —personne n'avait remarqué decavalier passant à cheval.
Et maintenant? demandaHonoria alors que Devil faisaitremonter la rue principale à sonéquipage.
— Je vais envoyer des hommesle vérifier à Huntingdon,
Godmanchester et Ely. Chatterisaussi, bien que ce soit encore moinsprobable.
— Qu'en est-il de Cambridge ?— Cela, déclara Devil, est la
meilleure chance. C'est plus près dela ville et les diligences sont plusfréquentes sur cette route.
Honoria hocha la tête.— Alors, quand nous y
rendons-nous ?Devil lui jeta un coup d'œil.— Nous n'y allons pas, pas plus
que nous n'irons dans les autres
villes.Honoria le regarda en plissant
les yeux — seulement pour voirtressaillirent ses lèvres.
— Je suis trop bien connu pourposer des questions sans susciterdes commentaires. St-Ives estdifférent — c'est la ville de lafamille et peu d'autres grandesfamilles vivent à proximité. Et vous
ne pouvez pas poser de questionsnon plus. Mais, mes palefrenierspeuvent bavarder avec les valetsd'écurie en buvant une pinte ou
deux et apprendre tout ce dontnous avons besoin sans quepersonne en sache rien.
— Hum.Honoria l'observa avec
méfiance.— Je vais envoyer Melton à
Cambridge.— Votre chef d'écurie ?— Pour ainsi dire.Honoria n'avait pas encore vu
l'homme.— Il ne semble pas être très
présent dans les alentours.
— Melton n'est jamais dans lesalentours lorsque j'ai besoin de lui.C'est un point d'honneur pour lui.
Honoria le dévisagea.— Pourquoi l'acceptez-vous ?Devil haussa les épaules.— Il est vieux.— C'est tout ? Parce qu'il est
vieux ?— Non.Intriguée, Honoria vit le visage
dur s'adoucir, pas beaucoup, maisassez pour être visible.
— Melton m'a hissé sur mon
premier poney ; on pourrait direqu'il m'a appris à monter à cheval.Il est à la Maison depuis manaissance et personne n'en connaîtplus que lui sur les chevaux —même pas Démon. Je ne pourraispas le mettre sur la touche, pasaprès une vie à ce poste.Heureusement, son gendre, Hersey,est un homme raisonnable — il estsous-chef d'écurie et c'est lui quiaccomplit vraiment tout le travail.À part dans certaines occasionsspéciales — et pour s'occuper de
Sulieman —, le poste de Melton estpurement titulaire.
— Mais il ne se présente jamaislorsque vous rentrez Sulieman.
— Ou quand je le sors. Commeje l'ai dit, c'est un point d'honneurpour lui.
Devil jeta un coup d'œil àHonoria, ses lèvres se tordant avecironie.
— Pour s'assurer que je n'oubliepas tout ce qu'il m'a appris. Selonlui, juste parce que je suis un duc ne
me dispense pas d'étriller moncheval.
Honoria s'étrangla, puis
abandonna et rit sans retenue.Devil lui décocha un regard
dégoûté — et continua à rouler.Elle s'essuyait les yeux, encore
secouée par le gloussementoccasionnel, lorsqu'il ralentit sonéquipage. Ils se trouvaient àenviron deux kilomètres de
Somersham; Honoria reprit sonsérieux quand Devil fit sortir leschevaux de la route, les dirigeanttranquillement sur une voie étroite,puis vira sur une large étendueherbeuse et tira sur les rênes.
— Regardez : CambridgeshireNord.
Elle pouvait difficilement lemanquer — le comté s'étalaitdevant elle, une tapisserie de vertset d'ors, bordée de teintes plusfoncées des bois et des haies.
— Voici l'endroit qui ressemble
le plus à un poste de guet danscette région.
Honoria contempla le paysage— pendant que sa méfianceaugmentait à pas de géant. Ils setrouvaient sur un plateau herbeux,un bosquet d'arbres les dissimulantà la route. Essentiellement privée.
— Par là, pointa Devil sur sadroite, vous pouvez voir les toits deChatteris. La première ligne vertfoncé au-delà, c'est Forty-FootDrain et la deuxième est Old Nene.
Honoria hocha la tête ; elle se
rappelait ses noms de son premierexposé sur les moulins.
— Et maintenant... Il est tempsde déjeuner, dit Devil en attachantsolidement les rênes.
— Déjeuner ?Honoria pivota, mais il avait
déjà bondi hors de la calèche. Uninstant plus tard, elle l'entenditfourrager dans le coffre. Ilréapparut, une couverture dansune main, un panier à pique-niquedans l'autre.
— Tenez.
Il lui lança la couverture.Instinctivement, elle l'attrapa —puis elle retint son souffle quand lebras libre de Devil se faufila autourde sa taille et qu'il la déposa au sol.Il lui sourit, le loup à l'état purprésent dans ses yeux.
— Pourquoi ne choisiriez-vouspas un endroit convenable pourétendre la couverture ?
Honoria lui lança un regardfurieux — elle ne pouvait pasparler ; son cœur était coincé dans
sa gorge, sa respiration s'étaitinterrompue. Elle eut à peine laforce de se secouer pour se libérerde ce bras qui l'encerclait. Marchantau pas sur l'herbe avec autant dedétermination que ses membressoudainement flageolants luipermettaient, bien trop conscientequ'il rôdait derrière à proximité,elle étendit la couverture sur lapremière parcelle raisonnable, puis,se souvenant de son parasol, ellerevint à la sécurité de la calèche
pour le récupérer.Le déplacement lui donna le
temps de calmer ses sens, dereprendre une prise ferme sur sonesprit rebelle — de se rappeler àelle-même à quel point elle étaitvraiment en sûreté. Tant qu'elle nelui permettait pas de l'embrasser denouveau, tout irait bien.
Elle pouvait difficilement êtretenue responsable des baisersprécédents qu'il lui avait volés —comme le pirate auquel il lui faisait
penser, il l'avait surprise; capturéeet il avait pris ce qu'il désirait. Cettefois, cependant, alors qu'elle s'étaitpeut-être laissée piégée sans levouloir, elle savait tout de mêmeque c'était un piège. Il ne l'avait pasencore déclenché — en tant quedame vertueuse, il était clairementde son devoir de s'assurer que saplanification s'avère vaine.
Ses baisers, et le désir derrièreeux étaient loin d'être innocents ;elle ne pouvait pas, en toute
conscience, céder à un badinageamoureux aussi scandaleux.
Ce qui rendait son rôle trèsclair — circonspection, prudence etvertu inattaquable. Elle revint versla couverture, répétant cettelitanie. La vue du repas qu'il avaitdéballé — deux verres à vin, duchampagne, frais dans son voile delin blanc, les mets délicats destinésà tenter le palais d'une dame —tout cela témoignait de sonintention. Elle plissa les yeux en le
regardant.— Vous avez planifié ceci.Se prélassant sur la couverture,
Devil leva les sourcils.— Évidemment, quoi d'autre ?Il lui attrapa la main et tira
doucement; elle n'eut d'autre choixque de se laisser tomber,gracieusement, sur l'autre moitiéde la couverture. Elle fit attentionde laisser le panier entre eux.
— Vous ne saviez même pasque j'allais vous accompagner.
Sa réponse fut un uniquesourcil arqué et un regard siscandaleusement condescendantqu'elle fut littéralement à court demots.
Il sourit largement.— Tenez.Il tendit la main vers le panier.— Prenez une cuisse de poulet.Honoria inspira profondément.
Elle regarda la portion qu'il tenait,l'os soigneusement enroulé dansune serviette de table — puis elle
tendit la main, l'accepta et morditdedans.
À son soulagement, il ne fitaucun effort pour converser, Ellelui jeta un regard de biais. Il étaitétendu sur la couverture, soulevésur un coude pendant qu'ils'affairait sans interruption à viderle panier. Honoria prit une longuegorgée de champagne — et mit sesefforts à les distraire tous les deux.
— Pourquoi, demanda-t-elle,Tolly est-il venu en passant par St-
Ives au lieu de Cambridge ? S'ilvoulait vous voir, pourquoi n'a-t-ilpas emprunté la route la plusrapide ?
Devil haussa les épaules.— Nous voyageons tous par St-
Ives.— Pour des raisons évidentes ?Il sourit largement.— Nous ressentons,
évidemment, un certain lien avec laville, dit-il en attirant l'attentiond'Honoria. Un de mes ancêtres aconstruit le pont-chapelle, après
tout.Elle avait complètement oublié
d'avoir demandé à voir la chapelle.Honoria s'indigna.
— Comme pénitence, sansaucun doute.
— Vraisemblablement.Devil sirota son champagne.Honoria revint à ses réflexions.— Quand Charles est-il arrivé à
la Maison ?— Je ne sais pas; Vane a dit qu'il
était là lorsque lui- même estarrivé, tard ce soir-là, juste avant le
pire de l'orage.
Honoria fronça les sourcils.— Si Charles a suivi Tolly
depuis la ville, pourquoi n'est-il pastombé sur lui sur la route?
— Charles ne se présenteraitpas par ce côté.
— Je pensais que tous lesCynster voyageaient par St-Ives ?
— Tous, sauf Charles.S'assoyant, Devil commença à
remballer le panier. Il lui jeta unregard, puis il tendit la main vers le
verre de sa compagne. Il le vida enune seule gorgée.
— Charles, au cas où vous nel'auriez pas remarqué, ne fait pasvraiment partie de la meute.
La meute — un bon mot pourles décrire, la meute de loupsCynster.
— Il semble bien..., s'appuyantsur un bras, Honoria gesticula,venir d'un moule un peu différent.
Devil haussa les épaules.— Il tient de sa mère en
apparence et en caractère. On
discerne à peine un trait Cynsterchez lui.
— Hum.Honoria s'installa plus
confortablement, une doucechaleur se répandant en elle.
— Quand sa mère est-ellemorte ?
— Il y a plus ou moins vingtans.
— Donc, votre oncle s'estremarié presque tout de suite ?
Le panier remballé, Devils'étira, croisa les bras derrière
la tête, ferma les yeux — etcontempla Honoria à travers sescils.
— Le premier mariage d'oncleArthur a frisé le désastre. AlmiraButterworth a fait ce que personned'autre n'a fait dans l'histoire de lafamille — elle a tendu un piège àun Cynster pour se faire épouser,pour le bien que cela lui a fait.Après douze ans de discordemaritale, elle est morte de phtisie.Arthur a épousé Louise à peine unan plus tard.
— Donc, comment Charles,n'étant pas un Cynster invétéré,viendrait-il à la Maison ? En voiture?
— Il ne conduit pas de voiture,ne me demandez pas pourquoi. Ilvient toujours par Cambridge, loueun cheval, puis remonte l'alléeprincipale. Il m'a dit un jourquelque chose à propos d'un maîtrequi arrive toujours par la ported'entrée et non par l'arrière.
Charles, décida Honoria,
paraissait aussi insupportablequ'elle l'avait pensé.
— Donc, il est peu probablequ'il ait vu quoi que ce soit ?
— Il a dit qu'il n'avait remarquépersonne dans les environs.
Honoria essaya de réfléchir,mais elle ne trouvait aucuneconcentration pour d'autresquestions. C'était agréable sous lesoleil. Son parasol était posé roulésur l'herbe à côté d'elle ; elle devraitl'ouvrir, mais elle ne pouvait pas
rassembler la force. Un délicieuxsentiment paisible de chaleur et dedétente l'envahit — elle n'était pasdisposée à rompre le charme.
Jetant un coup d'œil à Devil,elle remarqua ses yeux fermés, sescils noirs effleurant ses pommetteshautes. Brièvement, elle laissa sonregard parcourir sa longuesilhouette, consciente commetoujours de l'attrait profond qu'ellen'avait jamais expérimenté, jamaisressenti pour aucun autre homme.
Un frisson{‡} de pure excitation, ilintensifiait chacun de ses sens,augmentait la sensibilité de chaquenerf et faisait battre son pouls àtoute allure. Simultanément, à uncertain niveau primai, il l'attiraitcomme un aimant, une attirancepuissante beaucoup trop difficile ànier. Tout son instinct lui criait qu'ilétait dangereux — particulièrementdangereux pour elle.Paradoxalement, ce même instinctinsistait sur le fait qu'avec lui, elle
était en sécurité. Était-cesurprenant qu'elle se sente étourdie?
Pourtant, ce dernier fait étaitaussi vrai que le premier. MêmeMichael ne lui tranquillisait pasl'esprit au même degré ni necommuniquait la même certitudede protection inviolable. Le démonétait peut-être un tyran, unautocrate à l'état pur, on pouvaitnéanmoins se fier à lui, il étaitprévisible de plusieurs façons, strictdans son honneur.
Les yeux posés une fois de plussur son visage, Honoria inspiralentement. Il était en effetdangereux, mais le panier étaitposé entre eux, large etencombrant.
Les lèvres se recourbantdélicatement, elle détourna leregard, dans la légère brume dudébut d'après-midi sur les champsverts de son domaine.
Aucun champ n'arrivait à lacheville du vert pâle et clair de sesyeux.
Elle en était venue à cetteconclusion lorsque l'horizonbascula brusquement, la laissantallongée sur le dos, contemplant leciel sans nuage. Un instant plustard, la moitié du ciel disparut,remplacé par une tignasse noire,des traits durs et anguleux et unepaire d'yeux qui voyaient beaucouptrop de choses. Et un duo delongues lèvres mobiles, leurcontour reflétant le mêmetriomphe rieur qu'elle pouvaitapercevoir dans ses yeux verts.
Le panier n'était plus entre eux.Ni rien d'autre.
Le souffle manqua à Honoria —son regard se fixa sur le sien. Soncœur battait violemment ; unepanique qui ne lui ressemblait passe répandit en elle comme unetraînée de poudre. Pouvait-il liredans les pensées? Il semblait queoui — le regard vert devint plusintense, la ligne de ses lèvres devintplus nette. Puis, ses paupières sebaissèrent; lentement,délibérément, il pencha la tête.
L'attente redoubla, unetentation insidieuse s'emparantd'elle, déverrouillant ses défenses.Honoria sentit la fièvre montée,l'envie grandir. Chaque fois qu'ill'embrassait, elle croissaitdavantage, avec plus d'entêtement,plus difficile à nier. Elle se vits'abandonner sous son influence,ses lèvres s'adoucissant.
— Non.Le mot était un murmure —
c'est tout ce qu'elle pouvait réussir àprononcer. Les battements de son
cœur l'envahissaient; son poulsl'assourdissait presque.
Il l'entendit et s'arrêta, les yeuxbrillants sous ses lourdes paupières.
— Pourquoi pas ?Ses sourcils s'arquèrent — son
sourire s'élargit pendant qu'ilscrutait les yeux, le visaged'Honoria.
— Vous aimez cela lorsque jevous embrasse, Honoria Prudence.
Son nom, prononcé d'une voixprofonde, sombrement veloutée, ler délicatement roulé, formait une
caresse sensuelle. Honoria s'efforçade retenir un frisson — elle perditson combat quand il leva un doigtet dessina sa lèvre inférieure.
— Vous aimez mes baisers, etj'aime vous embrasser. Pourquoi nous privermutuellement d'un plaisir aussiinnocent ?
Innocent? Les yeux d'Honorias'arrondirent — elle était peut-êtreen sécurité avec lui, mais son idéede sécurité et la sienne différait.
— Ah... ce n'est pas la question.La courbe de ses lèvres
s'intensifia.— De quelle question s'agit-il ?Elle n'en avait pas la moindre
idée. Ébahie, Honoria le regarda enclignant des yeux — et vitapparaître son sourire de pirate. Satête plongea — ses lèvrescouvrirent les siennes.
Cette fois, elle devrait sedébattre. La pensée surgit dans sonesprit — et fut perdu à l'instantmême, alors que la joie anticipée
explosait et vidait sa tête d'un seulcoup. De nouvelles réflexionsétaient impossibles pour elle; sonbaiser établissait un lien avec unautre être — un être sensuel, ouvertaux sens — caché profondément enelle. Ce fut cet être qui se délecta del'interminable caresse, de la fortepression de ses lèvres sur lessiennes, cet être qui ouvrit seslèvres, l'invitant effrontément au-delà, à goûter, à expérimenter, àexplorer tout son soûl.
À part ses lèvres et ses longs
doigts qui encadraient son visage, ilne la toucha pas, néanmoins elleétait enveloppée par sa force, savolonté, inclinée comme un roseausous sa passion. Son corps — sapeau, sa chair frissonnante, mêmeses os — avait douloureusementconscience de lui — de sapuissance, des muscles tendus,nettement définis à quelquescentimètres seulement, de la duretépour égaler sa douceur fondante.
Leurs lèvres fusionnèrent, leurslangues s'entremêlèrent, glissant
sensuellement ensemble. Le baiserétait enivrant comme le bon vinqu'ils avaient bu, aussi chaud que lesoleil autour deux. Devil changeade position, se penchant au-dessusd'elle alors que son baisers'approfondissait; Honoria goûtason désir. L'envie irrésistibled'alimenter sa faim s'empara d'elle,brûlante comme la fièvre, unefougue croissant régulièrementavec chaque battement de soncœur, une faim pressante del'enlacer de ses bras, de les mettre
autour de ses épaules, de son cou —de faire courir ses doigts dans sescheveux épais. Ses doigts luidémangeaient littéralement. Unemain était tombée sur le haut deson bras, l'autre sur son épaule ;s'accrochant à la prudence, elle pliales doigts, les enfonçant plusprofondément dans un paridésespéré pour nier l'envie folle detoucher, de caresser, d'explorer.
Au lieu, la sensation de sa peaud'acier, plus dure qu'elle l'avaitimaginé, quelque chose analogue
au roc résistant la séduisit; captivéepar sa découverte, elle plia encoreles doigts, ensorcelée lorsque sesmuscles bougèrent sous ses mains.
Immédiatement, les lèvres deDevil durcirent; en une fraction deseconde, leur baiser affamé devintvorace. Il était plus près, son poidsterriblement près, pourtant pas surelle ; les sens d'Honorias'emballèrent. Leurs lèvress'entrou- vrirent; elle prit avecdifficulté une respiration haletante.Avant qu'elle puisse ouvrir les
yeux, il reprit sa bouche avecautorité, exigeant, perturbantgravement ses sens.
Sa main se referma sur son sein.La décharge de son toucher, de
la caresse de ses longs doigtsglissant sur elle fut atténuée par labatiste de sa robe de voyage. Il n'y avait rien pouratténuer la force de sa réaction —comme la foudre, elle la transperça,un feu incandescent formant un arcélectrique dans ses veines. Sous sa
main, son sein gonfla ; sonmamelon s'était raffermi en unbourgeon ferme avant même queses doigts ne le trouvent.Honoria essaya de haleter, mais ill'embrassait encore ; de désespoir,elle prit son souffle de lui — etdécouvrit que c'était possible.
Ses doigts caressaient,pétrissaient et ses sens abandonnésse réjouirent. Pendant que lachaleur de ses caresses se répandaiten elle, la réchauffant, intensifiantla sensation de se fondre
profondément en elle, Honoriamaîtrisa l'art de respirer à traversleur baiser — soudaine, elle n'étaitplus étourdie.
Tout à coup, elle pouvaitsuffisamment réfléchir pour savoirce qu'elle ressentait. Assez pourapprécier l'excitation frissonnantequi la tenait, le frisson de joieanticipée qui investissait chaquenerf, chaque centimètre carré de sapeau. Assez pour reconnaître ledésir qui tambourinait fortementdans ses veines — l'envie
irrésistible de lui rendre activementson baiser, d'attirer son corps dursur le sien, d'inviter, d'inciter — defaire tout ce qu'elle pouvait — pourassouvir et remplir le vide enfusion en elle.
Cette compréhension l'ébranla,la secoua — et lui donna la force defaire un mouvement en arrière.
Devil sentit son retrait. Sous samain, son sein était chaud etgonflé, le bourgeon froncé de sonmamelon était un bouton durcontre sa paume. Pourtant, son
repli était évident — dans leurbaiser, dans l'affaissement soudainde ses sens. Il connaissait trop bienles femmes, trop profondément,pour passer à côté de la bataillequ'elle menait — le combat pourbloquer sa propre envie, poursupprimer le désir qui enflait enelle en réponse à son besoin à lui.
En son for intérieur, il jura ; ellelui causait une douleur infinie. Ilfut douloureusement tenté d'ouvrirson corsage et de glisser sa main àl'intérieur — de lui montrer ce que
cela lui ferait, ce qu'il y avait encoreà venir. Cependant, son innocenceétait une croix qu'il s'était préparé àporter — savoir qu'il serait celui quil'éduquerait dans les voies del'amour, le seul homme qu'elle neconnaîtrait jamais intimement, étaitune mesure incitative puissante.
Elle n'était pas prude — elleétait attirée par lui à un niveau siprofond que cela l'excitaitsimplement de le savoir. Elle étaitmûre pour être séduite, par lui ;elle serait à lui — sa femme — il
n'était pas question de la laisser luiéchapper. Relevant la tête, ill'observa pendant que ses paupièrespapillonnaient, puis se levaient,dévoilant des yeux gris embuésencore argentés par la passion. Ilretint son regard.
— Je devrais vous prévenir queje me suis fait quatre promesses àmoi-même.
Sa voix, rendue plus grave parla passion, rauque de frustration,gronda entre eux. Honoria cligna,le regard aveugle ; Devil réprima
un sourire sauvage.— Je vais aimer regarder votre
visage la première fois où je vousdonnerai du plaisir.
Inclinant la tête, il effleura seslèvres avec les siennes.
— Et la deuxième et troisièmefois aussi.
Il recula — les yeux d'Honoriaétaient ronds, interloqués.
— Du plaisir...— Quand je ferai exploser la
chaleur en fusion en vous.— Exploser?
— Dans une explosion d'étoilescataclysmique.
Devil resserra les doigts quiétaient toujours posés sur son sein,puis il les laissa glisser dans unecaresselangoureuse, son pouce traçant uncercle autour de son mamelonplissé. Un frisson tremblant laparcourut. Délibérément, il attirason regard.
— Faites-moi confiance ; je saistout là-dessus.
Elle interrogea ses yeux, les
siens s'élargissant ; soudain, elleinspira.
— Et, dit Devil, se penchantpour goûter de nouveau à seslèvres, interrompant ce qu'elle avaitpensé à dire, ma quatrièmepromesse sera l'événementculminant.
Il fit un mouvement en arrièreet la regarda débattre de saprochaine tactique; en fin decompte, elle s'éclaircit la gorge etdemanda :
— Que vous êtes-vous promis
d'autre ?Le visage de Devil se durcit.— Que j'observerai votre visage
pendant que je vous emplirai,pendant que vous me prendrez envous, pendant que vous vousdonnerez à moi.
Honoria s'immobilisa — il luifallut toute sa force pour réprimersa réaction, une impulsionsoudaine vers la passion et lapossession, un désir lancinant sifondamentalement vital, siirrésistible qu'il lui coupa
littéralement le souffle. Le regardperspicace inattendu — sur elle-même, sur ce qui pourrait être —était choquant. Plus choquantencore était le fait que cela nel'effrayait pas. Mais, elle savait oùson avenir se situait — il ne pouvaitpas être avec lui. Ses yeux fixés surles siens, elle secoua la tête.
— Cela ne se produira pas. Jene vous épouserai pas.
Elle le poussa; il hésita, puisrecula, la laissant s'asseoir.À l'instant où elle le fit, les doigts
de Devil se refermèrent sur sonmenton ; il tourna son visage verslui.
— Pourquoi pas ?Honoria regarda dans ses yeux
plissés, puis elle leva arrogammentle menton pour le libérer de sapoigne.
— J'ai mes raisons.— Qui sont ?Elle lui décocha un regard
résigné.— Parce que vous êtes celui que
vous êtes, pour commencer.
Son froncement de sourcilsdevint furieux.
— Qu'est-ce que c'est censévouloir dire ?
Honoria s'efforça de se relever— instantanément, la main deDevil se tendit pour l'aider. Il lasuivit sur ses pieds. Elle se penchaet ramassa la couverture.
— Vous êtes un tyran, un fiefféautocrate, totalement habitué àfaire les choses à votre façon. Maiscela n'a rien à voir avec la question.
La couverture pliée dans les
bras, elle se plaça en face de lui.— Je n'ai pas l'ambition de me
marier ; pas avec vous, ni avecaucun homme.
Elle rencontra son regard et leretint; il continua de froncer lessourcils.
— Pourquoi pas?La demande, cette fois, était
moins agressive.Honoria ramassa vivement son
parasol et s'apprêta à se diriger versla calèche.
— Mes raisons
m'appartiennent, et je n'ai pasbesoin de les partager avec vous.Il était duc — les ducs nécessitaientdes héritiers. Rejoignant la calèche,elle jeta un regard en arrière —panier en main, il suivait dans sonsillage, son expression intense sousses sourcils froncés. Quand ils'arrêta devant elle, elle le regardadroit dans les yeux.
— Je vous en prie, comprenez-moi, je ne changerai pas d'avis.
Il retint son regard un instant,puis il tendit la main vers la
couverture, la lança dans le coffreet balança le panier à sa suite.Abaissant le couvercle, il la suivitsur le côté de la voiture. Honoria setourna et attendit ; elle retint sonsouffle quand ses mains glissèrentsur sa taille.
Elles se raffermirent, mais ne lasoulevèrent pas. Soudainessoufflée, Honoria leva les yeux —dans les yeux verts cristallins quiappartenaient à un conquérant.
Il la tint, retint son regardpendant une minute entière avant
de déclarer :— Nous avons un match nul, il
me semble, Honoria Prudence.Honoria tenta un regard
hautain.— Vraiment?Les lèvres de Devil s'étirèrent,
se comprimèrent en une minceligne.
— Vraiment, car je n'ai aucune
intention de changer d'avis non plus.Pendant un instant limité,
Honoria rencontra son regard, puiselle leva les sourcils et détourna les
yeux.Mâchoire contractée, Devil la
souleva pour la déposer sur le siègede la voiture puis la suivit. Uneminute plus tard, ils étaient deretour sur la route ; il lâcha la brideaux chevaux, le vent cinglantapaisant son cerveau surchauffé. Lapossessivité ne l'avait jamais étreintsi fort, n'avait jamais enfoncé sesgriffes aussi profondément. Ledestin lui avait donné Honoria, afinde la posséder et de la chérir. Ill'aurait — il ferait d'elle sa femme
— il n'y avait pas d'autre solution.Elle avait une raison, avait-elle
dit — qu'elle ne voulait pas luirévéler. Donc, il la découvrirait etl'éliminerait. C'était cela ou biendevenir fou.
Chapitre 9
Oui ? Devil leva la tête de
son registre alors que Websterentrait dans la bibliothèque.
— Chatham vient d'arriver,Votre Seigneurie. Le gentlemanque vous attendiez est là, commevous l'avez demandé.
— Bien.Fermant le registre, Devil se
leva.— Où est mademoiselle
Anstruther-Wetherby ?— Je crois qu'elle se trouve
dans la roseraie, Votre Seigneurie.— Excellent, répondit Devil en
se dirigeant vers la porte. Je vaisfaire un tour à cheval, Webster. Jeserai de retour dans une heure avecnotre invité.
— Très bien, Votre Seigneurie.Deux palefreniers accoururent
lorsque Devil pénétra à grands pasdans la cour de l'écurie.
— Sellez l'alezan et demandezà Melton de préparer Sulieman.
— Ah, nous n'avons pas vuMelton depuis tôt ce matin, Vot'Seigneurie.
Devil leva les yeux au ciel.— Oubliez ça, je vais aller
chercher Sulieman. Équipez l'autrecheval.
— Quand il guida Suliemandans la cour, l'alezan attendait.S'installant sur sa monture, Devilaccepta les rênes du second animalet partit. Six jours s'étaient écoulés
depuis qu'Honoria avait expédié saconvocation à son frère.
Arrivant au sommet d'unepetite élévation, il vit une voiturearrêtée sur la route devant, un deses palefreniers bavardant avec lecocher. À côté de la voiture, ungentleman marchait impatiemmentde long en large. Les yeux de Devilse plissèrent, puis il dépêchaSulieman sur la route.
Le gentleman leva les yeux auson des sabots. Il se redressa, la tête
se relevant, le menton s'inclinant àun angle que Devil reconnutinstantanément. Tirant sur la bride,il arqua un sourcil.
— Michael Anstruther-Wetherby, je suppose ?
Le hochement de tête enréponse fut bref.
— St-Ives.Michael Anstruther-Wetherby
avait environ vingt- cinq ans, lacarrure athlétique, et la mêmeassurance calme, la même franchise
qui caractérisait sa sœur. Habitué àévaluer les hommes en un instant,Devil rajusta rapidement sa visionde son futur beau-frère.
La suffisance d'Honoria avaitdépeint son frère comme plusfaible qu'elle, peut-être sans levéritable tempérament Anstruther-Wetherby. Néanmoins, l'hommequi le regardait rigoureusement, ledéfi et le scepticisme très clair dansses yeux bleus, avait un mentonassurément déterminé. Devil sourit.
— Je crois que nous avons desaffaires à discuter. Je suggère quenous allions nous promener àcheval dans un endroit éloigné desinterruptions.
Les yeux bleus, interloqués,retinrent les siens, puis Michaelhocha la tête.
— Une excellente idée.Il tendit la main vers les rênes
du cheval bai, puis il fut en selle.— Si vous pouvez garantir qu'il
n'y aura aucune interruption, cesera une première.
Devil lui adressa un largesourire et mit le cap sur unmonticule à proximité. Il s'arrêta ausommet; Michael le rejoignit. Deviljeta un coup d'œil de son côté.
— Je n'ai aucune idée de ce qu'aécrit Honoria, je commencerai doncau début.
Michael hocha la tête.— C'est peut-être sage.Contemplant ses champs, Devil
décrivit les grandes lignes desévénements ayant mené à laprésence d'Honoria à la Maison.
— Donc, conclut-il, j'ai suggéréque le mariage était approprié.
— Avec vous ?Les sourcils de Devil
s'envolèrent.— Qui d'autre avez-vous en
tête ?— Je vérifiais, c'est tout.Le sourire de Michael fit
brièvement surface, puis il redevintsérieux.
— Mais si c'est le cas, pourquoiai-je été convoqué pour l'escorter
dans l'Hampshire ?— Parce que, répondit Devil;
votre sœur s'imagine qu'elle n'esttellement plus de la premièrejeunesse qu'une réputation n'a plusaucune importance. Elle planifiedevenir la prochaine HesterStanhope.
— Oh, mon Dieu ! dit Michaelen levant les yeux au ciel. C'estencore son idée d'aller en Afrique ?
— Il s'agit de son souhait leplus cher, m'a-t-elle informé, demonter à cheval à l'ombre du
Sphinx, poursuivie, sans aucundoute, par une horde de chefsberbères, puis de se retrouvervictime des marchands d'esclavesdes côtes de Barbarie. Je comprendsqu'elle croit qu'elle a soifd'excitation et que la seule façond'en vivre pour elle consiste àbraver les régions sauvages del'Afrique.
Michael sembla dégoûté.— J'avais espéré quelle se serait
désintéressée de cela maintenant.
Ou bien qu'un gentleman surgiraitet entraînerait son esprit dans unenouvelle direction.
— En ce qui concerne lapremière option, je soupçonnequ'elle deviendra de plus en plusdéterminée avec l'âge — elle est,après tout, une Anstruther-Wetherby, une famille reconnuepour son entêtement. Mais en cequi a trait au fait de donner unenouvelle direction à son esprit, j'aidéjà cela en main.
Michael leva la tête.— A-t-elle accepté de vous
épouser?— Pas encore.L'expression de Devil se durcit.— Mais elle le fera.Il y eut un instant de silence,
puis Michael demanda :— Libre de toute contrainte ?Les yeux de Devil
rencontrèrent les siens ; un sourcilse souleva dédaigneusement.
— Naturellement.
Michael scruta les yeux deDevil, puis ses traits se détendirent.Il survola les champs du regard ;Devil attendit patiemment. Enfin,Michael regarda vers lui.
— J'admets que je serai contentde voir Honoria mariée en toutesécurité, particulièrement à unhomme de votre rang. Je nem'opposerai pas au mariage — jevais le soutenir de toutes lesmanières. Mais je n'accepterai pasd'exercer une pression sur elle pourqu'elle prenne une décision.
Devil inclina la tête.— À part tout le reste, votre
sœur est loin d'être une femmedocile.
— Comme vous le dites.Le regard de Michael se fit
perspicace.— Donc, qu'attendez-vous de
moi ?Devil afficha un grand sourire.— Mon genre de persuasion ne
fonctionne pas bien à distance. J'aibesoin qu'Honoria reste à portée demain.
D'un geste, il indiqua qu'ilsdevraient se remettre en marche etil donna un léger coup de talon surles flancs de Sulieman.
Michael alla au petit galop àcôté de lui.
— Est-elle sa propre maîtresse ?— Jusqu'à ses vingt-cinq ans,
elle est sous ma garde.— Dans ce cas, dit Devil, j'ai un
plan.Quand ils arrivèrent au trot
dans la cour de l'écurie, Michaelétait totalement à l'aise avec son
futur beau-frère. Il semblait que sasœur, habituellement une forceirrésistible, avait enfin rencontré unobjet suffisamment immuable. Iladapta son pas à celui de Devilalors qu'ils se dirigeaient vers lamaison.
— Dites-moi, dit Devil, sonregard vagabondant sur la maison,à la recherche d'interruptionsimminentes. A-t-elle toujourscraint les orages ?
Il jeta un coup d'œil à Michael àtemps pour le voir grimacer.
— Ils la font encore tressaillir?Devil plissa le front.— Plutôt pire que cela.Michael soupira.— Ce n'est guère surprenant, je
suppose ; ça me rend encorenerveux moi-même.
— Pourquoi?Michael rencontra son regard.— Vous a-t-elle dit que nos
parents avaient été tués dans unaccident de voiture ?
Devil fouilla sa mémoire.— Qu'ils ont été victimes d'un
accident.Michael prit une profonde
respiration.— L'affaire était plus grave que
cela. Ni moi ni Honoria n'avionspeur des orages — du moins, pasavant. Ce jour-là, nos parentsavaient amené les deux autres sepromener en voiture.
— Les deux autres ?Devil ralentit l'allure.Michael leva la tête.— Meg et Jemmy. Notre frère
et notre sœur.
Devil stoppa, dénuéd'expression. Michael s'arrêta et leregarda en face.
— Elle ne vous a pas parléd'eux ?
Devil secoua la tête ;brusquement, il centra sonattention sur Michael.
— Racontez-moi exactement cequi s'est passé.
Michael détourna les yeux, surla pelouse devant lamaison.
— Le paternel souhaitait
amener Maman en promenade ; lajournée était belle au début.Maman avait été souffrante — elletraversait l'une de ses meilleurespériodes —, Papa voulait qu'elleprenne un peu l'air. Les petits lesont accompagnés. Honoria et moisommes restés à la maison — il n'yavait pas assez de place pour tout lemonde, et nous devions tous lesdeux étudier. Puis, l'orage a soufflé; il est arrivé brusquement de nullepart. Honoria et moi adorions voirles nuages s'amonceler. Nous avons
gagné la salle de classe en courantpour les observer.
Il marqua une pause, le regarddistant, fixé sur le passé.
— La salle de classe était situéedans les combles, surplombantl'allée. Nous nous sommes postés àla fenêtre et avons regardé dehors.Nous n'avions jamais imaginé...
Il avala.— Nous riions et plaisantions,
écoutant le tonnerre, essayant derepérer les éclairs. Puis, il y a eu unpuissant fracas au-dessus de nos
têtes. Au même moment, nousavons vu la calèche remonter l'alléeà toute vitesse. Les enfants étaientaffolés, s'accrochant à Maman. Leschevaux avaient paniqué ; Papa enavait plein les mains à s'occuperd'eux.
Il s'arrêta un instant.— Je les vois très nettement,
même aujourd'hui. Puis, la foudre afrappé.
Quand il n'ajouta rien, Devill'incita à continuer :
— La voiture ?Michael secoua la tête.— L'éclair a frappé l'immense
orme à côté de l'allée. Il est tombé.Encore une fois, il marqua une
pause, puis, inspirantprofondément, il poursuivit :
— Nous l'avons regardétomber. Les autres ne l'ont pas vuau début — puis, si.
Il frissonna.— J'ai fermé les yeux, mais je ne
pense pas qu'Honoria l'a fait. Elle atout vu.
Devil lui accorda un moment,puis il demanda :
— Ils ont été tués ?— Sur le coup.La respiration de Michael était
instable.— J'entends encore les chevaux
hennir. Nous avons dû les abattre.Très gentiment, Devil dit :— Revenez en arrière ; qu'est-il
arrivé à Honoria ?Michael cligna des paupières.— Honoria? Quand j'ai ouvert
les yeux, elle était debout,
complètement immobile, devant lafenêtre. Puis, elle a tendu les mainset a avancé. Je l'ai attrapée et je l'aitiré en arrière. Elle s'est alorsaccrochée à moi.
Il trembla.— C'est la chose dont je me
souviens le plus distinctement — lafaçon dont elle a pleuré. Ellen'émettait aucun son, les larmesroulaient simplement sur ses joues,comme si son chagrin était siprofond qu'elle ne pouvait mêmepas sangloter.
Après une pause, il ajouta :— Je ne pense pas oublier un
jour à quel point je me suis sentiimpuissant devant ses pleurs.
Devil ne croyait pas non plusl'oublier un jour.
Ses épaules se soulevant sousune longue respiration, Michaelregarda carrément Devil.
— C'est toute l'histoire ; nousavons trié les affaires et nous avonsrepris le cours de nos vies.Evidemment, la perte a été pirepour Honoria.
Il avança à côté de Devil alorsqu'ils continuaient vers la maison.
— Comme Maman avait ététrès malade, Honoria était devenuedavantage une mère qu'une sœurpour les deux plus jeunes. Lesperdre équivalait à perdre sespropres enfants, je pense.
Devil resta silencieux pendantqu'ils traversaient la dernière partiede la pelouse ; il leva les yeux alorsqu'ils approchaient du portique,examinant brièvement l'inscriptionsur sa façade. Puis, il regarda
Michael.— Vous avez besoin d'un verre.Il en avait besoin d'un lui aussi.
Puis, il devait réfléchir.
Honoria descendait à présentl'escalier principal, un pli fronçantses sourcils, quand la porte d'entrées'ouvrit et que son frère entra.
— Michael!Le visage s'égayant, elle se hâta
en bas.— Je t'attends depuis des
heures, lui dit-elle en l'étrei- gnant
et lui rendant son affectueux baiser.J'ai vu une voiture arriver et j'aipensé que cela devait être toi, maispersonne n'est entré. Je medemandais...
Elle s'interrompit alors qu'unegrande ombre assombrissait laporte.
Michael regarda par-dessus sonépaule.
— St-Ives a été assez aimablepour venir à ma rencontre. Il m'aexpliqué la situation.
— Ah oui ? Je veux dire...
Son regard retenu par le vertcristallin, Honoria combattit l'enviede grincer des dents.
— Comme c'est obligeant de sapart.
Elle remarqua l'expressiond'innocence sans malice de Devil —elle était très mal adaptée à sestraits de pirate.
— Tu as l'air bien, lui ditMichael en scrutant sa robeaméthyste. Pas du tout persécutée.
Même avec son regardfermement fixé sur le visage taquin
de son frère, Honoria avaitconscience des sourcils levés deDevil — et de la couleur quis'installa lentement sur ses joues.
Inclinant le menton, elle passale bras sous celui de Michael et leguida vers le salon.
— Viens rencontrer ladouairière. Ensuite, nous ironsnous promener sur les terres.
Afin qu'elle puisse remettre lespendules à l'heure.
Déçue, elle vit Devil marchersans se presser derrière eux.
La douairière releva la têtelorsqu'ils entrèrent. Avec unsourire éclatant, elle déposa sabroderie et tendit la main.
— Monsieur Anstruther-Wetherby, je suis contente de vousrencontrer enfin. J'espère que votrevoyage s'est déroulé sanscontretemps ?
— Entièrement, madame, dit-ilen s'inclinant sur sa main. C'est eneffet un plaisir de faire votreconnaissance.
La douairière leva vers lui un
visage épanoui.— Bon ! Et maintenant, nous
pouvons nous mettre à l'aise etbavarder, n'est-ce pas ?
Indiquant la méridienne à côtéd'elle, elle jeta un coup d'œil àDevil.
— Sonne pour le thé, Sylvester.Bon, monsieur Anstruther-Wetherby, vous êtes avec Carlisle,n'est-ce pas exact ? Et comment seporte cette bonne Marguerite ?
S'écroulant dans un fauteuil,Honoria observa pendant que son
frère qui, elle aurait pu le jurer,était imperméable à toute forme deflatterie tomba sous le feu de ladouairière. Fait encore plustroublant, encore et encore, elle vitMichael échanger un regard avecDevil; au moment où Websterapporta le thé, il était évident que,d'une manière ou d'une autre, Devilavait réussi à s'assurer l'approbationde son frère. Honoria mordit dansun sandwich au concombre etessaya de ne pas lancer de regardsmauvais.
Elle entraîna son frère loin del'influence séductrice de la mère etdu fils dès que cela lui fut possible.
— Descendons près du lac.Resserrant sa prise sur le bras
de Michael, elle le guida le long dela terrasse.
— Il y a un banc, près de la rive; c'est paisible et privé à cet endroit.
— C'est une demeureabsolument magnifique, fut le seulcommentaire de Michael pendantqu'ils avançaient sans se presser surla pelouse.
Ils rejoignirent le banc et elles'installa dessus ; Michael hésita,baissant les yeux sur sa sœur, puiss'assit à côté d'elle.
— Tu pourrais être très bien ici,tu sais.
Honoria rencontra posémentson regard.
Que t'a dit ce diableexactement?
Michael sourit en grand.— Pas beaucoup de chose,
vraiment, seulement les faitsessentiels.
Honoria poussa un soupir desoulagement.
— Dans ce cas, il devrait êtreclair qu'il n'y a aucune nécessité deparler mariage entre moi et St-Ives.
Les sourcils de Michael selevèrent.
— En fait, ce n'est pasl'impression que j'ai reçue.
— Oh?Honoria transforma cette
syllabe en défi.Michael tira sur son lobe
d'oreille.
— Nous ferions peut-êtremieux de retracer les événements.
Elle était toute prête à le faire.Pendant qu'elle relatait sa versionbien répétée des événements,Michael écouta attentivement.
— Puis, il m'a laissée avec ladouairière, conclut-elle.
Michael rencontra son regard.— C'est ce qu'il m'a dit.Honoria avait le pressentiment
qu'elle venait de faire un faux pas.Michael se redressa, une main
serrant la sienne.
— Honoria, tu es une damecélibataire de vingt- quatre ans,d'une famille irréprochable avecune réputation sans tache. Dans cecas-ci, je dois être d'accord avec St-Ives, il n'y a vraiment pas d'autresolution pour toi que d'accepter sonoffre. Il s'est comporté exactementcomme il le devait; personne nepourrait vous blâmer ni l'un nil'autre, néanmoins les circonstancesdemeurent et nécessitent laréaction prescrite.
— Non.
Honoria fit de ce mot unedéclaration.
— Tu ne peux pas sérieusementm'imaginer heureuse en mariageavec Devil Cynster.
Michael arqua les sourcils.— En fait, je trouve cela plus
facile à imaginer que toute autreconséquence.
— Michael ! C'est un tyran ! Undespote parfaitement arrogant.
Michael haussa les épaules.— Tu ne peux pas tout avoir,
comme Maman était encline à te le
dire.Honoria plissa les yeux ; elle
laissa passer un moment lourd desens avant de déclarercatégoriquement :
— Michael, je ne désire pasépouser Devil Cynster.
Lâchant sa main, Michaels'appuya sur le dossier dubanc.
— Alors, qu'envisages-tucomme solution de rechange ?
Honoria fut soulagée — aumoins, ils discutaient de solutions de
rechange.— J'avais pensé rentrer dans le
Hampshire ; il est trop tard pouraccepter un autre poste cette année.
— Tu n'obtiendras jamais unautre poste, pas une fois que cettehistoire sera connue. Et elle le sera.St-Ives a raison à ce sujet — si tul'épouses, les seules rumeurs serontles envieuses; sans sa bague à tondoigt, elles seront malveillantes.Destructrices.
Honoria haussa les épaules.— C'est loin d'être un désastre.
Comme tu le sais, je ne me souciepas trop de la bonne société.
— Vrai.
Michael hésita, puis ajouta :— Tu pourrais, cependant, te
soucier de notre nom et de lamémoire de nos parents.
Lentement, Honoria se tournapour le regarder en face, ses yeuxcomme deux fentes.
— Ça, c'était déplacé.
L'expression sévère, Michaelhocha la tête.
— Non, ce devait être dit. Tune peux pas simplement tedétourner de la personne que tu eset du fait que tu as des liensfamiliaux jumelés à laresponsabilité que cela comporte.
Honoria se sentit glacée en sonfor intérieur, comme un généralque l'on vient d'informer qu'il aperdu son dernier allié.
— Donc, dit-elle, inclinant le
menton avec arrogance, tu medemanderais de me marier parégard pour la famille, pour le biend'un nom que je n'ai jamaisrevendiqué ?
— Je te demanderais de temarier d'abord et avant tout pourton propre bien. Il n'y a pas d'avenirpour toi dans le Hampshire ni nullepart ailleurs, d'ailleurs. Regardeautour de toi.
Il désigna la masse étendue dela Maison, mise en valeur comme
un bijou sur les terres devant eux.— Ici, tu pourrais être celle que
tu étais destinée à devenir. Tupourrais être ce que Papa etMaman avaient prévu que tudeviendrais.
Honoria pressa les lèvresensemble.
— Je ne peux pas vivre ma vieselon les préceptes de fantômes.
— Non, mais tu pourraisprendre en considération lesraisons derrière leurs préceptes. Ils
sont peut-être morts, mais lesraisons demeurent.
Quand elle ne dit rien de plus,mais resta assise à regarder avecentêtement ses mains serrées,Michael continua, d'un ton adouci :
— Il est probable que celadonnera l'impression d'êtrepompeux, mais j'ai vu davantage denotre monde que toi, c'est pourquoije suis aussi certain que la solutionque je te conseille vivement est labonne.
Honoria lui lança un regardcourroucé.
— Je ne suis pas une enfant...— Non, lui dit Michael avec un
large sourire. Si tu l'étais, cettesituation n'existerait pas. Mais...,
insista-t-il alors qu'elle ouvrait labouche pour protester, retient tacolère et écoute ce que j'ai à direavant de te faire une idéeimmuable.
Honoria rencontra son regard.— Il faut seulement que
j'écoute ?Michael hocha la tête.— La proposition que m'a
présentée St-Ives, et les raisonspour lesquelles je pense que tudevrais l'accepter.
La mâchoire d'Honoria sedécrocha.
— Tu as parlé de moi avec lui ?Michael ferma les yeux un
instant, puis la dévisagea avec unregard distinctement masculin.
— Honoria, il était nécessaire
que nous discutions, lui et moi.Nous avons tous les deux vécu ensociété beaucoup plus longtempsque toi ; tu n'as jamais fait plus queposer un orteil dans la mer de labonne société. C'est un pointduquelSt-Ives, Dieu merci, a conscience —et qui motive sa proposition.
Honoria eut un regardmauvais.
— Une proposition ? Je pensaisque c'était une demande enmariage.
Michael serra les paupières.— Sa demande en mariage est
sur la table et y restera jusqu'à ceque tu prennes ta décision ! Ilouvrit les yeux. Sa propositionconcerne la façon de procéderjusqu'à ce que tu l'acceptes.
— Oh.Confrontée à l'exaspération de
son frère, Honoria changea deposition, puis regarda de l'autrecôté du lac.
Donc, quelle est sa proposition?
Michael inspira profondément.— En raison de la mort de son
cousin, un mariage ne pourrait pasavoir lieu avant trois mois — ladouairière sera en grand deuilpendant six semaines, puis endemi-deuil pendant six semainessupplémentaires. Comme tu n'aspas de famille convenable avec quivivre, ce qui se produiraitnormalement serait que tu restesavec la douairière et qu'elle teprésente à la haute société en tantque la fiancée de son fils.
— Mais, je n'ai pas consenti àl'épouser.
— Non ; donc, dans ce cas, tudemeureras simplement sous laprotection de la douairière. Elle al'intention de se rendre à Londresdans quelques semaines — tul'accompagneras et elle teprésentera à la haute société. Celate donnera l'occasion de voir lasociété sous une perspectivenouvelle pour toi — si, après cela,tu désires toujours refuser l'offre deSt-Ives, lui et moi accepterons ta
décision et essaierons de trouverune solution de rechangeacceptable.
Son insistance indiquaitclairement qu'il ne s'attendait pas àen trouver une. Honoria plissa lefront.
— Quelle explication ladouairière donnera-t-elle en ce quiconcerne ma présence?
— Aucune ; les Cynster n'ontpas besoin d'offrir d'explicationplus que les Anstruther-Wetherby.
Honoria sembla sceptique.
— Sûrement, les genss'interrogeront ?
— Les gens sauront, de cela tupeux en être certaine. Cependant,vu le rôle de la douairière, ilss'imagineront qu'une annonce esten vue et ils se consoleront enconséquence.
Michael grimaça.— Je devrais te prévenir, la
douairière est une force aveclaquelle il faut compter.
Honoria leva un sourcilinterrogateur.
Michael agita la main vers lamaison.
— Tu l'as vue à l'instant. C'estune manipulatrice consommée.
Les lèvres d'Honoriatressaillirent.
— Je m'étais demandé si tul'avais remarqué.
— J'ai remarqué, mais il ne sertvraiment pas à grand- chose derésister. Tu as qualifié St-Ives detyran ; je ne doute pas qu'il le soit,mais c'est probablement aussi bien.Dans la haute société, sa mère est
considérée comme une sainteterreur : une aide inestimable si sonsoutien vous est acquis, uneennemie à craindre dans le cascontraire. Personne ne vaprovoquer sa colère en faisantcirculer des rumeurs possiblementsans fondement concernant son filset la dame qui pourrait devenir saduchesse. Il n'y a pas d'endroitsplus sûrs que sous l'aile de ladouairière.
Honoria pouvait l'admettre;lentement, elle hocha la tête, puis
tourna un regard froncé versMichael.
— Je pense encore qu'il seraitplus simple pour moi de me retirerdans le Hampshire jusqu'à ce quecette histoire tombe dans l'oubli.Même si je n'obtiens pas un autreposte, comme tu l'as fait remarquer,j'ai tout de même vingt- quatre ans.Il est temps de commencer mesplans de voyage.
Michael soupira et détourna lesyeux.
— Tu ne peux pas rester seuledans le Hampshire ; nous devronsdemander à tante Hattie de venir yhabiter.
— Tante Hattie? s'exclamaHonoria en plissant le nez. Elle merendra folle en une semaine.
Michael pinça les lèvres.— Je n'ai personne d'autre en
tête, et tu ne peux pas vivre seule,particulièrement après que tonséjour dans les bois avec DevilCynster sera de notoriété publique.
Tu te retrouveras à devoir recevoirtoutes sortes de visiteursindésirables.
Honoria lui lança un regardsinistre, puis plissa le front, trèsfort, en direction du lac. Michaelconserva un silence stoïque.
Les minutes s'écoulèrent; yeuxplissés, Honoria passa ses choix enrevue. Elle avait, en effet, regrettéd'avoir demandé à Michael devenir aussi précipitamment ; ilallait clairement falloir du temps
pour trouver la trace du meurtrierde Tolly. Devil, initialement ungros obstacle à ses plans, avait étésurmonté ; il se comportait àprésent comme un conspirateur quifaisait équipe avec elle avecréticence, mais résignation. L'idéequ'ils démasqueraient, ensemble,l'assassin de Tolly était séduisante— totalement mise à part son envieirrésistible de voir justice rendue, lasituation semblait prête à luifournir l'excitation qu'elle avait
follement désirée toute sa vie.Partir maintenant signifiait perdretout cela.
Il y avait également la questionmineure de son désir naissantd'expérimenter — juste une fois —le plaisir auquel Devil avait faitallusion. Ses paroles, ses caresses,comme le visage de Tolly, lahantaient à présent. Il avaitclairement établi que la possessionet le plaisir étaient des événementsindépendants — bien que cette
pensée amène assurément unerougeur sur ses joues, elle avaitconscience de la tentationcroissante d'apprendre ce qu'ilpouvait lui enseigner. Du plaisir. Lapossession, dans ce cas, était horsde question, au-delà de toutepossibilité. Les Cynster ne lâchaientjamais ce qui devenait leur — elleétait beaucoup trop avisée pourdevenir sienne à n'importe quelniveau.
Étant donné qu'elle était
décidée à ne pas se marier, sa vertune serait jamais mise en cause. Ilsemblait sage d'acquérir quelqueexpérience du plaisir possible entreun homme et une femme avant departir pour ses voyages. Et il luiétait impossible de nier que leplaisir qu'elle avait expérimentéjusqu'ici aux mains de DevilCynster était vecteur de sa propreexcitation.
Avec toutes ces offresprésentement devant elle, en
excluant la fixation matrimonialede Devil, sa situation présente luiconvenait admirablement. Elle nevoulait pas allerdans le Hampshire, mais comme ilétait déterminé à l'épouser, il luiavait paru impossible de rester.
Aujourd'hui, cependant, avec saproposition démoniaque, le diablelui-même lui avait ouvert la voie.Elle pouvait demeurer dans sonfoyer, sous les soins de sa mère,protégée de lui et de tout autre
gentleman pendant trois moiscomplets - sûrement, d'ici là, ilsauraient pendu le meurtrier deTolly par les pieds. Et elle auraitappris tout ce dont elle avait besoinde savoir sur le plaisir.
Ce qui laissait un petit détail àdiscuter — était-elle assez forte,assez intelligente pour éviter lespièges que Devil pourrait placer surson chemin ?
Honoria se redressa et esquissaune grimace résignée.
— Très bien.Elle se tourna et rencontra le
regard de Michael.— Je vais accepter de rester
sous la protection de la douairièrependant trois mois.
Michael afficha un large sourire— Honoria plissa les paupières.Après, j'irai dans le Hampshire.
Avec le gémissement de celuiqui souffre depuis longtemps,Michael se leva et l'aida à se lever.Bras dessus, bras dessous, ils
retournèrent lentement vers lamaison.
Plus tard ce soir-là, Honoriaétait assise dans un fauteuil dusalon, ses cuisses couvertes de filsde soie à broder, quand une ombretomba sur elle. La douairière étaitsur la méridienne, semblablementoccupée à trier des écheveauxbrillants. Michael, plaidant lafatigue, s'était retiré tôt ; Devil avaittrouvé refuge dans la bibliothèque.La table roulante était venue et
repartie; la soirée s'étaitsilencieusement glissée dansl'obscurité.
Coincée dans sa tentative deséparer son fil azur du turquoise,Honoria leva la tête — tout en hautjusqu'au visage de Devil. Il se tenaitdirectement devant elle, sonexpression indéchiffrable. Pendantun long moment, il se contenta deretenir son regard, le sien ombragéet impossible à lire. Puis, il tendit lamain.
— Venez faire une promenade,Honoria Prudence.
Du coin de l'œil, Honoriaremarqua que la douairière avaitété frappée de surdité. Les lèvres deDevil s'adoucirent fugitivement;son regard demeura intense, centrésur son visage.
— je promets de ne pas mordre.Honoria soupesa le pour et le
contre — elle avait besoin de luiparler, de s'assurer, pendant queMichael était encore ici, que leur
entente — sa proposition — étaitprécisément ce qu'elle croyait. Ellescruta son visage.
— Pas dans le pavillon d'été.Elle pouvait bien désirer en
apprendre davantage sur le plaisir,mais elle voulait contrôler ledéroulement des leçons.
Cette fois, son sourire de piratese matérialisa pleinement, quoiquebrièvement.
— Seulement sur la terrasse ; jene voudrais pas vous distraire.
Honoria étouffa un frissonnaissant, provoqué par le subtilronronnement dans sa voix et ellelui lança un regard incrédule.
Il leva les sourcils avecrésignation.
— Parole de Cynster.Et en cela, elle pouvait avoir
confiance. Rassemblant ses fils desoie, Honoria les mit de côté, puisplaça sa main dansla sienne. Il l'aida à se lever, puisdéposa sa main sur son bras. La
douairière les ignora,apparemment absorbée par lessoies lilas à l'exclusion de touteautre chose. Ils marchèrent sans sepresser là où les longues fenêtress'ouvraient sur la terrasse, la nuitformant un rideau de velours noirau-delà.
— Je désirais m'entretenir avecvous, commença Honoria à l'instantoù ils gagnèrent les drapeaux.
— Et moi avec vous.Baissant la tête vers elle, Devil
marqua une pause.Majestueusement, Honoria
inclina la tête, invitant soncommentaire.
— Michael m'a informé quevous aviez accepté de rester avecma mère pendant les troisprochains mois.
Atteignant la balustrade,Honoria souleva la main posée sursa manche et pivota pour le voir enface.
— Jusqu'à ce que la période de
deuil soit terminée.— Après quoi, vous deviendrez
ma duchesse.Elle inclina le menton.— Après quoi, je vais rentrer
dans le Hampshire.Il s'arrêta directement devant
elle, à moins de trente centimètres.Avec la lumière derrière lui, ellepouvait à peine discerner sonexpression — impassibled'arrogance ; ses yeux sombres fixéssur les siens — les paupières
tombantes —, elle ne pouvait riendéchiffrer. Honoria garda la têtehaute, le regard fixe, décidée àgraver en lui à quel point elle étaitinflexible.
Le moment se prolongea — etse prolongea ; elle commença à sesentir étourdie. Puis, l'un dessourcils de Devil se leva.
Nous semblons avoir unproblème, Honoria Prudence.
— Seulement dans votre esprit,monsieur le duc.
Les lignes de son visage semodifièrent; son expressioncontenait un avertissement.
— Peut-être, dit-il,l'exaspération claire sous la formulede politesse, qu'avant que nousdécidions ce qui se produira à la finde ces trois mois, nous devrionsnous mettre d'accord sur les troismois en question ?
Avec arrogance, Honoria arquales sourcils.
— J'ai accepté de demeurer
avec votre mère.— Et de réfléchir sérieusement
à ma demande en mariage.Le message dans son ton était
indiscutable — un compromis, oupas d'entente. Sur une courteinspiration, elle hocha la tête.
— Et de réfléchir sérieusementà la perspective de devenir votrefemme. Je devrais, cependant, vousinformer qu'il y a peu de chancesque je change ma position sur cettequestion.
— En d'autres mots, vous êtestêtue, et j'ai trois mois pour vousfaire changer d'avis.
Elle n'aima pas sa façon de direcela.
— Je ne suis pas une femmeindécise; je n'ai aucune intention dechanger d'avis.
Ses dents brillèrent dans sonsourire de pirate.
— Vous n'avez pas encoreexpérimenté mes pouvoirs depersuasion.
Honoria haussa les épaules; nezen l'air, elle déplaça son regard au-delà de l'épaule de Devil.
— Vous pouvez persuader tantque vous le voulez; je ne memarierai pas, ni avec vous ni avecpersonne.
Encore une fois, le silence futson allié, mettant lentement lesnerfs d'Honoria à vif. Elle sursautapresque lorsque des doigts durs seglissèrent sous son menton,tournant son visage vers lui.
Même dans l'obscurité, elle
pouvait sentir le caractère perçantde son regard, sentir sa puissance.
— On a déjà entendu dire, àl'occasion, que des femmes ontchangé d'avis.
Il parla sans se presser,doucement, son ton grave etronronnant.
— À quel point êtes-vousfemme, Honoria Prudence ?
Honoria sentit ses yeuxs'élargirent. Le bout de ses doigtsglissa sur sa peau sensible sous sonmenton ; des fragments de
sensation aiguë passèrent en ellecomme un frisson. Ses poumonsavaient cessé de fonctionner; il luifallut un effort considérable pourlever le menton pour le libérer deson toucher. Avec morgue, elledéclara :
— Je suis trop sage pour joueravec le feu, monsieur leduc.
— Vraiment?Ses lèvres se courbèrent.— Je pensais que vous désiriez
de l'excitation dans votre vie ?
— A mes conditions.— Dans ce cas, ma chère, nous
allons devoir négocier.— Vraiment?Honoria tenta la nonchalance
désinvolte.— Pourquoi donc ?— Parce que vous deviendrez
ma duchesse sous peu, voilàpourquoi.
Le regard quelle glissa vers luicontenait chaque parcelled'exaspération qu'elle pouvaitrassembler, puis, sur un
bruissement de ses jupes, elle setourna et sortit de l'ombre de Devil,suivant la balustrade.
— Je vous ai prévenu, ne ditespas plus tard que je ne l'ai pas fait.Je ne vais pas vous épouser à la findes trois mois.
Elle marqua une pause, puis,levant la tête, ses yeuxs'arrondissant, elle pivota et agitaun doigt dans sa direction.
— Et je ne suis pas un défi, nevous avisez pas de me considérercomme tel.
Son rire était celui d'un pirate— un boucanier, un voyoutruculent qui aurait dû se trouver àsa place sur un pont au milieud'une mer — loin d'elle. Le son,grave, tumultueux et beaucouptrop assuré contenait une menaceet une promesse ; il l'enveloppait, lapiégeait et la retenait — puis, il futlà, une fois encore devant elle.
— Vous êtes le défi incarné,Honoria Prudence.
— Vous vous montez la tête,monsieur le duc.
— C'est vous que je monteraiavant Noël.
La référence délibérée choquaHonoria, mais elle n'était pas sur lepoint de le laisser paraître. Gardantle menton haut, elle plissa les yeux.
— A tout hasard, vous ne vousimaginez pas que vous allez meséduire pour m'obliger à vousépouser ?
Un arrogant sourcil noir
s'arqua.— La pensée m'a bien traversé
l'esprit.— Bien, cela ne fonctionnera
pas.— Lorsque son deuxième
sourcil rejoignit le premier,Honoria sourit, suprêmementconfiante.
— Je me suis fait les dents il y alongtemps, je sais parfaitementbien que vous n'exercerez pas depression sur moi alors que je résidesous votre toit, sous la protection
de votre mère.Pendant un long moment, il
retint son regard. Puis, il demanda :— Que savez-vous exactement
de la séduction ?Ce fut au tour d'Honoria de
lever les sourcils. Avançant d'unautre pas sur la terrasse, elle haussalégèrement les épaules.
— Vous ne serez pas le premierà essayer.
— Possible, mais je serai lepremier à réussir.
Honoria soupira.
— Vous n'y arriverez pas, voussavez.
Relevant brièvement les yeux,elle le vit froncer les sourcils. Elleplissa les yeux.
— À réussir, je veux dire.Le froncement de sourcils
disparut. Il marcha lentement delong en large à côté d'elle pendantqu'elle se promenaitnonchalamment devant lesdrapeaux.
— Je sais que vous ne meforcerez pas ; je vais simplement
vous mettre au pied du mur.Elle sentit son regard;
étrangement, il était moins intense,moins troublant qu'avant. Quand ilparla, elle décela un légeramusement dans sa voix.
— Pas de force, pas depromesse que je ne peux tenir.
Il rencontra son regardlorsqu'elle leva la tête.
— Vous avez beaucoup àapprendre sur la séduction,Honoria Prudence, et cette foisvous affronterez un maître.
— Honoria secoua la tête defaçon désespérée. Eh bien, ellel'avait prévenu. Il était d'uneassurance si arrogante, cela luiferait du bien de se voir un peuremis à sa place — découvrir quetout sur terre n'allait passimplement se plier à sa volonté.
Le soir tendit des doigts glacés àtravers sa robe; elle frissonna.
Devil posa la main sur son braset l'arrêta.
— Nous devrions rentrer.Honoria se tourna à demi — et
se retrouva face à lui. Pendantqu'elle l'observait, son expression sedurcit ; brusquement, il se penchaplus près. Avec un petit cri étouffé,elle recula — dans la balustrade. Ildéposa les mains sur le parapet depierre, de chaque côté d'elle,l'emprisonnant entre ses bras.
Essoufflée, le cœur battant, elleposa un regard papillonnant dansses yeux, à présent à la hauteur dessiens.
— Vous avez promis de ne pas
mordre.Son expression était gravée sur
son visage.— Je ne l'ai pas fait, pas encore.Ses yeux scrutèrent ceux
d'Honoria.— Comme vous vous êtes
montrée si ingénument franche, lemoins que je puisse faire est devous rendre la pareille, afin quenous nous comprenionspleinement.
Il retint posément son regard;
Honoria sentit tout le poids de savolonté.
— Je ne vais pas vous permettrede tourner le dos à celle que vousêtes, au destin qui vous attenddepuis toujours. Je ne vais pas vouslaisser vous transformer en unegouvernante bête de somme, ni enexcentrique pour titiller la hautesociété.
Le visage d'Honoria perdittoute expression.
Devil retenait son regard sans
merci.— Vous êtes née et avait été
éduquée pour jouer un rôle à la têtede la haute société — ce rôle estmaintenant à vos pieds. Vousbénéficiez de trois mois pour vousréconcilier avec cette réalité.N'imaginez pas que vous pouvez lafuir.
Pâle, tremblant en son forintérieur, Honoria arracha sonregard au sien. Elle se retourna ettira sur la manche de Devil.
Lâchant la balustrade, Devil se
redressa, lui libérant la voie pourpartir. Honoria hésita, puis, son airaussi dur que le sien, elle seretourna pour le regarder droitdans les yeux.
— Vous n'avez aucun droit dedécréter ce que ma vie sera.
— J'ai tous les droits.L'expression de Devil ne
s'adoucit pas d'un iota; son regardétait sans pitié.
— Vous serez ce que vous étiezcensée être : mienne.
L'intensité qu'il insuffla dans
cet unique mot secouaHonoria de la tête aux pieds. Àpeine capable de respirer, ellerevint rapidement au salon, têtehaute, jupes bruissantfurieusement.
Chapitre 10
Trois jours plus tard, Devil se
tenait devant les fenêtres de la
bibliothèque, le regard distrait fixé
sur le pavillon d'été. Derrière lui,
des registres ouverts jonchaient son
bureau; une pile de lettres
quémandait son attention. Il avait
beaucoup d'affaires en cours. On
n'avait trouvé aucune trace de
l'assassin de Tolly, et la simple
tâche de s'assujettir son épouse se
révélait remarquablement
compliquée. Ce dernier point était
plus ennuyeux que le précédent —
il était certain qu'ils finiraient par
débusquer le meurtrier de Tolly. Il
était également absolument
convaincu qu'Honoria deviendrait
sa femme — il n'était simplement
plus optimiste en ce qui concernait
l'état dans lequel il serait quand le
moment de son mariage viendrait.
Elle le rendait complètementfou. Quelle force l'avait obligé àmontrer son jeu aussi violemment,là, sur la terrasse sous le clair delune ? Cela avait été de la pure folied'agir tel un tyran comme il l'avaitfait — néanmoins, il pouvait encore
en ce moment ressentir la mêmeémotion, la même envie pressantede conquérir, de s'emparer, deretenir, de s'enflammer seulementen songeant à elle.
Heureusement, l'entêtementd'Honoria, son acte de défi, sa fiertéinsatiable l'avaient empêchée des'enfuir devant sa déclarationmaladroite. Elle avait laissé Michaelpartir seul.
Maintenant, le nez en l'air,enveloppée dans un manteauinvisible de politesse froide, elle le
tenait à distance.Après avoir appris son passé, le
bon sens suggérait qu'il prenne aumoins la peine de reconsidérer laquestion. Le bon sens n'avait pas lamoindre chance contre saconviction fermement ancréequ'elle serait à lui. En ce qui laconcernait, il se sentait comme l'unde ses ancêtres conquérants sepréparant à entreprendre un siègepour une prime hautement désirée.Étant donné ce qu'il soupçonnait àprésent, sa reddition, quand elle
viendrait, allait devoir êtreannoncée au pied des remparts.
Il s'était demandé comment elleavait pu atteindre le savoureux âgemûr de vingt-quatre ans sans s'êtremariée. Même cachée en tant quegouvernante, tous les hommesn'étaient pas aveugles. Certainsavaient dû la voir et apprécier savaleur. Une détermination de sapart à rester célibataire, sansenfant, pouvait dans ce casexpliquer l'inexplicable. Sonentêtement était une chose
tangible.Dans ce cas-ci, son entêtement
devrait abandonner la partie.Il n'allait pas la laisser partir.
Jamais.Au moins, elle ne pourrait pas
dire plus tard qu’il ne l'avait pasprévenue.
Son regard, toujours sur lepavillon d'été, devint plus acéré ;Devil se redressa et tendit la mainvers la poignée des portesfrançaises.
Honoria le vit approcher ; sa
main se figea en plein ciel, puis ellebaissa la tête et reprit son petitpoint. Devil grimpa les marchesdeux par deux ; elle leva les yeux etrencontra carrément son regard.Lentement, elle arqua les sourcils.
Il retint son regard, puis jeta uncoup d'œil sur la place à côté d'elle.
Elle hésita, puis rassembla avecsoin ses fils de soie éparpillés.
— Votre homme a-t-ildécouvert quelque chose àChatteris ?
Devil la dévisagea.
Honoria rangea la soie dans sonpanier.
— Je l'ai vu arriver à cheval.Ravalant son agacement, Devil
s'assit à côté d'elle, tournant sesépaules de manière à la voir enface.
— Rien ; aucun cavalier n'estvenu par Chatteris.
Il devrait peut-être planter deshaies pour faire écran au pavillond'été ? Elle l'avait adopté commerepaire ; il pouvait voir un certainnombre d'avantages pertinents.
Honoria plissa le front.— Donc, c'est la dernière des
villes des alentours, et aucungentleman n'a loué un cheval nullepart.
— Sauf Charles, qui est arrivépar Cambridge.
— Y a-t-il un autre endroit —une taverne ou quelque chose dumême genre — où l'on peut louerdes chevaux ?
— Mes gens ont vérifié toutesles tavernes clandestines àproximité. Hormis le fait d'avoir
emprunté un cheval, nous nepouvons rien éliminer. Il sembleprobable que le meurtrier soitreparti sur son propre cheval.
— Je pensais que vous aviez ditque cela était improbable ?
— Improbable, mais pasimpossible.
— L'orage s'est levé peu après.N'aurait-il pas dû se mettre à l'abri?
— Les autres ont vérifié danstoutes les auberges et les tavernessur le chemin du retour vers
Londres. Aucun gentlemanprometteur ne s'est réfugié nullepart. Qui que ce soit qui a tiré surTolly a été soit excessivementchanceux, soit il a couvertexceptionnellement bien ses traces.
— Montant son propre cheval,il aurait pu venir de n'importe où,pas juste de Londres. Il pouvaits'agir d'un tueur à gages.
Devil la regarda en silencependant une minute entière.
— Ne compliquez pas leschoses.
— Eh bien, c'est vrai. Maisj'avais eu l'intention de vousdemander...
Elle s'interrompit pour couperun fil ; dans le silence qui s'ensuivit,Devil comprit son message. Elleavait eu l'intention de luidemander avant qu'il agisse endespote. Mettant ses ciseaux decôté, elle poursuivit :
— Était-il de notoriété publiqueque Tolly empruntaithabituellement la petite routetraversant la forêt ?
Devil grimaça.— Pas de notoriété publique,
mais c'était assez largement connupour qu'on l'apprenne facilement.
Honoria réalisa un autre point.— Vos cousins ont-ils
découvert quoi que ce soit àLondres ?
— Non. Mais il doit y avoirquelque chose — un indice —quelque part. Les jeunes hommesde bonne famille ne sont pasassassinés sur des routes decampagne sans aucune raison.
Il regarda au-delà de la pelouseet vit approcher sa mère. Avec unsoupir, il décroisa les jambes et seleva.
— Est-ce ici que tu te caches,Sylvester ?
La douairière monta lesmarches dans un bouillon dedentelles noires. Elle leva le visagepour recevoir un baiser.
Devil s'exécuta obligeamment.— Je ne me cache guère,
Maman.— En effet, tu es beaucoup trop
grand pour cet endroit.La douairière le poussa
doucement.— Assieds-toi, ne nous
surplombe pas.Alors qu'elle s'asseyait aussitôt
à côté d'Honoria, Devil en futréduit à se percher sur le bord de lafenêtre. La douairière jeta un coupd'œil sur l'ouvrage d'Honoria — etindiqua un point. Honoria le fixa,puis marmonna de manièreinintelligible, déposa son aiguille ettendit la main vers ses ciseaux.
Devil saisit cette occasion.— Je voulais vous parler,
Maman. Je vais partir pour Londresdemain.
— Londres?L'exclamation émana de deux
gorges ; deux têtes se relevèrentbrusquement, deux paires d'yeux ledévisagèrent.
Devil haussa les épaules.— Purement pour les affaires.Honoria regarda la douairière ;
la douairière la regarda.Quand elle se tourna vers son
fils, la douairière plissait le front.— Je me disais, chéri, que je
devais aussi monter à Londres. Àprésent que j'ai cette chère Onoriapour me tenir compagnie, je penseque cela serait tout à faitconvenable*.
Devil cligna des paupières.— Vous êtes en deuil. En grand
deuil.— Alors?La douairière ouvrit grand les
yeux.— Je serai en grand deuil à
Londres — si approprié —, il y faittoujours si gris à cette époque del'année.
— J'avais pensé, dit Devil, quevous voudriez rester ici, pendantencore au moins une semaineenviron.
La douairière leva les mains,paumes vers le ciel.
— Pourquoi ? C'est un peu tôtpour les bals, je te l'accorde, mais jene suggère pas que nous allions àLondres pour la frivolité. Non. Ilest approprié, je pense, que je
présente Onoria, même si la familleest en noir. Elle n'est pas touchée;j'en ai discuté avec tante Oratia —comme moi, elle croit que plus tôtla haute société rencontrera Onoria,mieux ce sera.
Devil jeta un rapide regard àHonoria ; la consternation dans sesyeux était une joie à regarder.
— Une excellente idée, Maman.Une larme brilla dans les yeux
d'Honoria ; il se hâta de détournerle regard.
— Mais vous devrez faire
attention à ne pas réveiller les chatsqui dorment.
La douairière agitadédaigneusement la main.
— N'enseigne pas à ta mèrecomment faire des grimaces. Tatante et moi savons exactementcomment procéder. Rien de tropélaboré ou autre ne fera... commentdit-on ? Ne fera son beurre ?
Devil dissimula son sourire.— Ne fera du foin. Le beurre,
c'est de l'argent.La douairière fronça les
sourcils.— Vous, les Anglais, avez de si
étranges dictons.Devil s'abstint de lui rappeler
qu'elle avait vécu enAngleterre la majeure partie de savie — et que sa compré-
hension de la langue se détérioraittoujours quand elle couvait unplan. Dans ce cas, c'était un planqu'il approuvait.
— Tout sera comme il faut,insista la douairière. Tu ne dois past'inquiéter — je sais à quel point tudeviens conservateur —, nous neferons rien pour offenser tasusceptibilité.
Le commentaire laissa Devilsans voix.
— En effet, ce matin même jeme disais que je devrais aller à
Londres, avec ta tante Louise. Jesuis la femme chef de famille, non ?Et le devoir d'une chef de familleest d'être avec sa famille.
La douairière fixa un regardindéniablement matriarcal sur sonfils silencieux.
— Ton père l'aurait souhaitéainsi.
Cela, évidemment, signalait lafin de toute discussion — non queDevil avait eu l'intentiond'argumenter. Imitant un soupirexaspéré, il leva les mains.
— Si c'est ce que vous désirezréellement, Maman*, je vais donnerdes ordres immédiatement. Nouspouvons partir demain à midi etrejoindre la ville avant la tombéede la nuit.
— Bon ! s'exclama la douairièreen regardant Honoria. Nous ferionsmieux de commencer nos malles.
— En effet.Honoria déposa son travail
d'aiguille dans son panier, puis levaun bref regard triomphant versDevil.
Il conserva une expressionneutre, restant en arrière pendantqu'elle et sa mère quittaient lepavillon d'été. Seulement une foisqu'elles furent loin devantdescendit-il les marches, avançantlangoureusement dans leur sillage,le regard sur les courbesharmonieuses d'Honoria, lasatisfaction béate dans les yeux.
La Résidence St-Ives à GrosvenorSquare était beaucoup plus petiteque la Maison Somersham. Elle
était tout de même assez grandepour y perdre un bataillon, un faitrehaussé par l'étrange individu àl'air militaire qui présidait les lieux.
Honoria hocha la tête endirection de Sligo alors qu'elletraversait le vestibule ets'interrogea sur les particularités deDevil. À leur arrivée, au crépusculedeux jours plus tôt, elle avait étédécontenancée de découvrir Sligo,un homme au dos voûté, mince etnerveux agissant comme
majordome. Il avait un visagerongé par les soucis, en forme delune et mélancolique ; sa tenueétait sévère, mais n'était pas tout àfait appropriée. Son langage étaitbrusque, comme s'il se trouvaitencore sur le terrain demanœuvres.
Plus tard, elle avait questionnéla douairière; Sligo, il était apparu,avait été l'ordonnance de Devil àWaterloo. Il était fanatiquementdévoué à son capitaine d'antan ;
après le dispersement, il avaitsimplement continué à le suivre.Devil en avait fait son homme àtout faire. Sligo demeurait à laRésidence St-Ives, agissant à titrede gardien lorsque la famille n'étaitpas en résidence. Quand son maîtreétait en résidence, Honoria leprésuma, il reprenait son rôleprécédent.
Ce qui signifiait, lesoupçonnait-elle, qu'il faudraitsurveiller Sligo. Un valet de pied
ouvrit la porte du boudoir où l'onprenait le petit déjeuner.
— Vous voilà, ma chère.Le visage de la douairière
s'épanouit radieusement à uneextrémité de l'élégante table.
Honoria exécuta une petiterévérence, puis inclina la tête versl'autre bout de la table.
— Monsieur le duc.Le diable lui répondit par un
hochement de tête en la parcourantdu regard.
— J'espère que vous avez biendormi ?
Avec un geste de la main, ilordonna à Webster de lui tenir unechaise — celle à côté de la sienne.
— Relativement bien, merci.Ignorant forcément les neuf
autres chaises inoccupées autour dela table mise de façon impeccable,Honoria étala ses jupes, puisremercia Webster pendant qu'il luiversait son thé. Elle avait passé lejour précédent à défaire les malles
et à s'installer. Une rafale de pluieavait soudainement mis fin àl'après-midi ; elle ne s'était pasapprochée du parc du Square au-delà des fenêtres du salon.
— Je disais à Sylvester que nousenvisageons de rendre visite auxcouturières ce matin.
La douairière agita un couteaudans la direction d'Honoria.
— Il m'informe que ces jours-ci,la haute société choisit lescouturières selon l'âge.
— L'âge?Honoria fronça les sourcils.Occupée avec sa rôtie et la
marmelade, la douairière hocha latête.
— Apparemment, il est tout àfait convenable* que je continueavec ma vieille Franchot, mais pourvous, il faut que ce soit...
Elle jeta un coup d'œil à sonfils.
— Comment s'appelle-t-elle ?— Celestine, renseigna-t-il sa
mère.Honoria tourna ses sourcils
froncés vers lui.Il rencontra son regard avec un
ennui indicible.— C'est assez simple : si vous
voulez du bombasin et des turbans,vous allez chez Franchot. Si lesvolants et les falbalas sont à votregoût, alors madame Abelard vousconviendra davantageprobablement. Pour les innocentesdemoiselles de la campagne — il
marqua une pause, son regardtouchant brièvement le délicatfichu de dentelle d'Honoria — alorsj'ai entendu dire que mademoiselleCocotte est difficile à battre. Pour lavéritable élégance, par contre, il n'ya qu'un nom que vous devezconnaître : Celestine.
— Vraiment?Honoria sirota son thé, puis,
déposant sa tasse, elle tendit lamain vers une rôtie.
— Est-elle située dans Bruton
Street?Les sourcils de Devil
remuèrent.— Où sinon ?Il détourna les yeux alors que
Sligo s'approchait, portant unplateau d'argent empilé de lettres.Les prenant, Devil feuilleta la pile.
— Il est probable que voustrouverez un certain nombre decouturières qui pourraient satisfairevos goûts si vous vous promenezdans Bruton Street.
Du coin de l'œil, Honoria leregarda examiner son courrier. Ilemployait une petite arméed'agents ; l'un d'eux était sur leurstalons lorsqu'ils avaient quitté laMaison et il avait passé toute lajournée précédente enfermé avecson maître. La gérance de domainesaussi vastes que ceux du duché deSt-Ives garderait n'importe quelhomme occupé ; jusqu'ici, d'aprèsce qu'elle avait vu, les affairesavaient empêché Devil depoursuivre son enquête. Arrivant à
la fin de la pile, il réorganisa leslettres, puis jeta un regard à samère.
— Si vous voulez bienm'excuser, Maman{§}.
Brièvement, ses yeux seportèrent sur Honoria.
— Honoria Prudence.Avec un hochement de tête
élégant, il se leva ; absorbé par seslettres, il sortit de la pièce.
Honoria fixa son dos jusqu'à ceque la porte le dissimule à sa vue,puis elle prit une nouvelle gorgée
de son thé.
La voiture de ville de St-Ives venaitjuste de tourner le coin dans ungrondement, transportant ladouairière et Honoria jusqu'àBruton Street, quand Vane Cynsterpénétra dans Grosvenor Square enmarchant nonchalamment. Le paslong et vagabond, il traversa lespavés; sa canne se balançant, ilgrimpa les marches menant àl'imposante porte de son cousin. Ilétait sur le point de frapper à un
rythme impérieux lorsque la portes'ouvrit. Sligo se précipita dehors.
— Oh! Désolé, monsieur, luidit-il avant de s'aplatir contre lemontant de la porte. Je ne vousavais pas vu, monsieur.
Vane sourit.— Ce n'est pas grave du tout,
Sligo.— Ordre du capitaine. Une
dépêche urgente.— Sligo tapota son cœur — un
parchemin bruissant témoignait desa cause.
— Si vous voulez bienm'excuser, monsieur.
Libéré par le hochement de têteperplexe de Vane, Sligo se hâta enbas des marches et courut jusqu'aucoin. Il héla une voiture de louageet monta à bord. Vane secoua latête, puis se tourna vers la porteencore ouverte. Webster se tenait àcôté.
— Le maître est dans labibliothèque, monsieur. Je croisqu'il vous attend. Souhaitez-vousêtre annoncé ?
— Inutile.Abandonnant sa canne, son
chapeau et ses gants, Vane sedirigea vers le sanctuaire de Devil.Il ouvrit la porte, se retrouvantinstantanément sous le regard vertde son cousin.
Devil était assis dans unfauteuil en cuir derrière un largebureau, une lettre ouverte à lamain.
— Tu es le premier.Vane sourit largement.— Et tu es impatient.
— Tu ne l'es pas ?Vane leva les sourcils.— Jusqu'à il y a une seconde,
j'ignorais que tu n'avais pas denouvelles.
Il traversa la pièce et se laissachoir dans le fauteuil en face dubureau.
— Je comprends que tu n'asaucune nouvelle perspective àoffrir non plus ?
Vane grimaça.— En un mot : non.Devil grimaça à son tour ;
repliant sa lettre, il la mit de côté.— J'espère seulement que les
autres ont débusqué quelque chose.— Que fait Sligo ?Quand Devil leva la tête, Vane
précisa :— Je suis tombé sur lui dans
l'escalier ; il semblait terriblementpressé.
Devil agita la maindédaigneusement.
— Une petite affaire destratégie proactive.
— En parlant de cela, as-tu
réussi à convaincre ta future épousequ'enquêter sur un meurtre n'estpas une activité appropriée pourune dame de la bonne société ?
Devil sourit.— On peut toujours compter
sur Maman pour rendre visite auxcouturières dans les quarante-huitpremières heures de son arrivée enville.
Vane leva les sourcils.— Donc, tu n'as pas réussi à
rayer le meurtre du programme demademoiselle Anstruther-
Wetherby ?Le sourire de Devil devint
sauvage.— Je dirige mon feu sur une
cible différente. Une fois que celle-ci tombera, son programme nes'appliquera plus.
Vane afficha un large sourire.— Pauvre Honoria Prudence,
elle ne sait pas à quoi elle se mesure ?
— Elle apprendra.— Trop tard ?
— C'est l'idée générale.Un bref coup sec à la porte
annonça l'arrivée de Richard «Scandai » Cynster ; il fut suivi parGabriel et Démon Harry, le frère deVane. La vaste pièce confortable futsoudainement très remplie par deshommes extrêmement imposants.
— Pourquoi le retard ?demanda Harry, abaissant son longcorps dans la méridienne. Jem'attendais à être convoqué hier.
— Devil a dû s'assurer que lavoie était libre, répondit Vane, qui
se mérita un regard dur de Devil.— Lucifer envoie ses excuses,
dit Gabriel à tout le monde dans lapièce. Il est épuisé par ses effortspour découvrir toute nouvelle surles peccadilles de Tolly — les- ditsefforts n'ayant jusqu'ici absolumentrien rapporté.
— Je trouve cela, répliquaHarry, excessivement difficile àcroire.
— Rien en ce qui concernenotre enquête, rectifia Gabriel.
— À ce propos, continua Harry,
je sais précisément ce qu'il ressent.Malgré l'effort considérable
déployé dans les sphères qu'on leuravait déléguées, aucun n'avaitdécouvert de preuve que Tollyavait éprouvé des ennuis. Devilproposa l'idée que Tolly pouvait nepas avoir eu personnellementd'ennuis.
— Il a pu tomber sans levouloir sur quelque chose qu'iln'était pas censé savoir ; il est peut-être devenu une menace pourquelqu'un sans le soupçonner.
Gabriel hochait la tête.— Cette hypothèse ressemble
beaucoup plus à Tolly.Harry grogna.
— Le pauvre diable se seraitcomplètement enflammé de zèleinnocent et serait parti en trombepour venir déposer la preuve à tespieds.
— Avant de demander que tuarranges tout.
Le sourire de Richard se torditlégèrement.
— Cette action semblebeaucoup plus authentique quetout autre.
Les yeux sur Richard, Devil dit :— Le simple fait qu'il venait me
voir est peut-être ce qui a mené à samort.
Vane hocha la tête.— Cela expliquerait pourquoi il
a été tué à Somersham.— Nous allons devoir rendre
visite de nouveau à tous ses amis.Sous la direction de Devil,
Gabriel, Harry et Richardacceptèrent de se charger de latâche.
— Et moi ? demanda Vane enlevant les sourcils. Quellefascinante partie d'enquête devrais-
je entreprendre ?— Tu as la chance de faire
parler le vieux Mick.— Le vieux Mick ? gémit-il.
L'homme boit comme une éponge.— C'est toi qui as la tête la plus
dure de notre groupe, et quelqu'undoit discuter avec lui. En tantqu'homme de confiance de Tolly,c'est notre meilleure piste.
Vane grommela, mais personnene lui accorda d'attention.
— Nous nous rencontrerons denouveau ici dans deux jours.
Devil se leva; les autresl'imitèrent. Gabriel, Harry etRichard se dirigèrent vers la porte.
— Il m'est venu à l'esprit, ditVane alors qu'il marchait sans sepresser derrière les autres, que ledernier ajout à la famille pourraitne pas être aussi disposé à s'inclinerdevant ton autorité.
Devil arqua un sourcil.— Elle apprendra.— C'est ce que tu n'arrêtes pas
de dire.
À la porte, Vane jeta un regarden arrière.
— Mais, tu sais ce que l'on dit :méfiez-vous des francs-tireurs.
Le regard dont Devil le gratifiapersonnifiait l'arrogance suprême ;Vane rigola et partit, refermant laporte derrière lui.
Arracher de l'information au diablen'était pas tâche facile,particulièrement quand il nemanifestait aucun intérêt à sa
compagnie. Immobile en haut desmarches, Honoria débattit de saprochaine action.
Elle avait suivi le conseil deDevil et visité le salon de Celestine.Sa méfiance naturelle avait pointéle bout du nez lorsqu'une noteadressée à Celestine, écrite enlettres noires et grasses et portantun sceau de cire rouge, était arrivéedans leur sillage. Pendantqu'Honoria essayait des robes dejour d'une élégance discrète, des
robes de voyage à la mode et desrobes du soir délicieusementexquises, la couturière,continuellement présente dèsl'instant où elle avait lu la note,avait émis suffisamment decommentaires sur les préférencesde monsieur le duc pour confirmerses soupçons. Cependant, elle avaità ce moment-là vu trop descréations de Celestine pour songerà lever le nez par rancune.
Au lieu, elle avait acheté une
garde-robe complète, dans le butexpress de placer le duc sous sonjoug. Les robes de soirée deCelestine, bien qu'indiscutablementconvenables, étaient subtilementscandaleuses — sa taille et son âgelui permettaient de les porter à sonavantage. Les chemises de nuit, lespeignoirs et les chemises, tous ensoie et en satin, étaient tout aussisuperbes. Tout, naturellement, étaitscandaleusement coûteux —heureusement, sa bourse était assez
profonde pour résister à cette folie.Elle avait passé le trajet de
retour jusqu'à Grosvenor Square àimaginer l'expression sur le visagede Devil quand il la verrait dansune chemise de nuitparticulièrement provocante —c'est seulement lorsque la voitureatteignit la Résidence St-Ives que labizarrerie de sa pensée la frappa.Quand Devil la verrait-il dans sachemise de nuit ?
Jamais, si elle était sage. Elleavait repoussé en vrac l'idée de son
esprit.Au cours des deux matinées
précédentes, elle était entrée dansle boudoir du petit déjeuner enarborant un sourire encourageantet une des créations les plusravissantes de Celestine ; même sile diable l'avait remarqué, à partune certaine lueur dans ses yeuxverts, il n'avait montré aucunpenchant à s'engager au-delà d'unhochement de tête distrait. Lesdeux matins, en un laps de tempsguère flatteur, il s'était excusé et
avait trouvé refuge dans sonbureau.
Elle pouvait imaginer qu'il étaitoccupé ; elle n'était pas prête àaccepter cela comme un prétextepour l'ignorer, particulièrementcomme il avait dû à ce stade avoirappris quelque chose sur la mort deson cousin.
Prenant une inspirationdéterminée, elle commença àdescendre l'escalier. Une actiondirecte était de mise — elle allaitaffronter le lion dans sa tanière. Où
était-ce le diable dans son antre?Heureusement, sa tanière servaitégalement de bibliothèque. Mainsur la poignée de porte, ellemarqua une pause ; aucun son neprovenait de l'intérieur. Sepréparant mentalement, elle collaun sourire jovialement innocent surson visage, ouvrit la porte et entrad'un pas vif.
Sans lever les yeux, ellereferma la porte et se tourna,avançant de deux pas avant que sonregard atteigne le bureau.
— Oh!Les lèvres entrouvertes, les
yeux agrandis, elle s'arrêta.— Je suis désolée. Je n'avais pas
pris conscience...Elle laissa ses mots s'estomper.Son hôte démoniaque était
assis derrière un grand bureau, sacorrespondance étalée devant lui.À côté des fenêtres, Sligo triait desregistres. Les deux hommesrelevèrent la tête ; alors quel'expression de Sligo étaitinterloquée, celle de Devil était
indéchiffrable.Avec un regard d'envie vers les
étagères de livres, Honoria fitapparaître un sourire contrit.
— Je ne voulais pas déranger.Je vous prie de m'excuser.
Rassemblant ses jupes, elle setourna à demi — un gestelanguissant l'arrêta.
— Si c'est de la distraction quevous cherchez, alors je vous en prie,cherchez-la ici.
Les yeux de Devilrencontrèrent les siens ; bien que le
geste de la main qui l'accompagnaitdésigna les volumes et les tomes,Honoria n'était pas du tout certainequ'ils représentaient la distractiondont il avait fait mention. Levant lementon, elle inclina gracieusementla tête.
Je ne vous dérangerai pas.Elle l'avait déjà fait. Devil
changea de position dans sonfauteuil, puis réarrangea ses lettres.Du coin de l'œil, il observa Honoriascruter les étagères, s'arrêtant avecart ici et là pour lever une main
vers un livre ou un autre. Il sedemanda qui elle croyait tromper.
Les deux derniers jours avaientété pénibles. Résister à l'invitationdans les yeux d'Honoria avaitnécessité une déterminationconsidérable, mais il avait gagnétrop de campagnes pour ne pasaccorder de valeur à la voirl'approcher elle-même. Enfin, elleavait faibli — son impatiencegrandissante, il attendit qu'elle envienne au fait.
Prenant sa plume, il signa une
lettre, sécha l'encre et la mit decôté. Levant les yeux, il la surprit àl'observer — elle détournarapidement le regard. Un rayon desoleil perçant à travers la fenêtredorait le chignon châtain brillantsur le dessus de sa tête ; des mèchesfolles couronnaient sa nuque et sonfront. Dans sa robe de jour decouleur crème, elle semblait assezdélicieuse pour être mangée; pourun loup affamé, la tentation étaitgrande. Devil l'observa pendantqu'elle mettait une main sur un
tome lourd traitant des pratiquesagricoles ; elle hésita, puis le tira etl'ouvrit. Elle tâtonnait. Réalisant cequ'elle lisait, elle refermabrusquement le livre et le replaça,puis revint doucement vers lesétagères plus proches de la porte,choisissant un autre livre au hasard.Soupirant en son for intérieur,Devil déposa sa plume et se leva. Iln'avait pas toute la journée — sescousins devaient arriver plus tardcet après-midi. Contournant lebureau, il marcha sur le tapis;
sentant son approche, Honoria levala tête.
Devil prit le bouquin dans sesmains, le referma et le remit surl'étagère — puis, il rencontra sonregard étonné.
— Qu'est-ce que ce sera : untour en voiture dans le parc ou unepromenade sur la place ?
Honoria cligna des paupières.Elle scruta ses yeux, puis se raidit etleva le menton.
— Un tour en voiture.Le parc pouvait bien être
bondé, mais sur la banquettefermée de sa calèche, elle pourraitl'interroger sans restriction.
Les yeux de Devil ne quittèrentpas les siens.
— Sligo, va atteler les chevaux.— Oui, mon cap'taine
Vot'Seigneurie.Sligo se précipita vers la porte.Ayant l'intention de le suivre,
Honoria se retrouva piégée,retenue, par le regard vert de Devil.Abandonnant les yeux d'Honoria, ilglissa en bas, s'attardant
brièvement, mais avec uneintensité qui fit monter le feu à sesjoues.
Il leva les yeux.— Peut-être, ma chère,
vaudrait-il mieux vous changer ;nous ne voudrions pas que le froidvous prenne au dépourvu.
Comme si elle avait été prise audépourvu en essayant de letromper ? Avec morgue, Honoriareleva le menton un peu plus.
— En effet, monsieur le duc. Jene devrais pas vous faire attendre
plus d'une demi-heure.Sur un bruissement de ses
jupes, elle s'échappa. Même ens'obligeant à traîner les pieds, ellefut de retour dans le vestibule enmoins de dix minutes ; à sonsoulagement, le diable s'abstint decommenter, rencontrantsimplement sonregard avec un œil beaucoup tropassuré à son goût. Ce même regardla balaya, soignée et coquette enjacquard vert, puis il lui offrit sonbras ; nez en l'air, elle consentit à se
laisser guider en bas des marches.Devil la souleva pour la déposer
sur la banquette. Ils roulaient dansles allées du parc, les voitures de lahaute société s'alignant dansl'avenue bordée d'un trottoirdevant avant qu'elle note qu'unpalefrenier s'était élancé derrièreeux. Jetant un bref coup d'œil par-dessus son épaule, elle vit Sligo.
Devil remarqua sa surprise.— Sans aucun doute serez-vous
soulagée que j'aie décidé derespecter les bonnes mœurs à
chaque occasion possible.Honoria fit un geste derrière
elle.— Ceci n'est-il pas plutôt
excessif ?— Je ne laisserais pas cela
refroidir vos ardeurs, HonoriaPrudence.
Il lui décocha un regard enbiais.
— Sligo est à moitié sourd.Un rapide coup d'œil le
confirma; malgré le fait que Deviln'avait pas baissé la voix,
l'expression de Sligo restait neutre.Satisfaite, Honoria prit uneprofonde respiration.
— Dans ce cas...— Voici la comtesse de
Tonbridge à votre droite. Elle estl'amie intime de Maman*.
Honoria sourit à la grandedame* se prélassant dans un coupéde ville stoppé en bordure dugazon; une loupe amplifiant un œilprotubérant, la comtesse inclinagracieusement la tête. Honoriahocha la sienne en retour.
— Qu'avez...— Lady Havelock devant.
Porte-t-elle un turban ?— Une toque, répondit
Honoria à travers son sourire.Mais...
— Madame Bingham et ladyCarstairs dans le landau.
Il était difficile, Honoria ledécouvrit, de sourire à travers desdents serrées. Son éducation dictaitpar contre sa conduite, même dansdes circonstances aussi éprouvantes; calmement sereine, elle sourit et
hocha la tête avec une impartialitéélégante — en vérité, elle seconcentrait à peine sur ceux quiexigeaient d'elle ces mondanités. Lavue de Skiffy Skeffington vêtu deson habituel vert bilieux n'eutmême pas le pouvoir de la divertir— son attention était fermementcentrée sur le libertin à côté d'elle.
Elle aurait dû opter pour laplace. Après les trois premièresrencontres, on constata l'intérêtdirigé vers eux ; les regards discretsdes dames à qui elle rendit les
salutations n'étaient passimplement curieux. Ils étaientacérés, inquisiteurs —profondément pénétrants. Saposition à côté de Devil présentaitclairement une forme dedéclaration; Honoria soupçonnaitfortement que ce n'était pas cellequ'elle avait eu l'intention de faire.Hochant la tête vers une ladySefton au visage rayonnant, elledemanda :
— Combien de temps s'est-ilécoulé depuis la dernière fois où
vous avez amené une dame enpromenade en voiture dans le parc?
— Je ne le fais pas.— Vous ne le faites pas ?Honoria se tourna et le
dévisagea.— Pourquoi pas ? Vous pouvez
difficilement prétendre êtremisogyne.
— Les lèvres de Devil frémirent; il rencontra brièvement sonregard.
— Si vous y réfléchissez,
Honoria Prudence, vous verrezqu'apparaître à côté de moi dans leparc équivaut à une déclaration —une déclaration qu'aucune damecélibataire n'a été précédemmentinvitée à faire et dont aucune damemariée ne désirerait faire étalage.
Lady Chetwynd attendait d'êtreremarquée ; quand elle fut denouveau libre, Honoria bouillait demécontentement.
— Qu'en est-il de moi ?Devil jeta un coup d'œil de son
côté; cette fois, son expression était
plus dure.— Vous êtes différente. Vous
allez m'épouser.Une dispute dans le parc était
impensable ; Honoria fulminait,mais elle ne pouvait pas le laisserparaître, à part dans ses yeux.Ceux-ci, seul Devil pouvait les voir,grand bien lui fit sa colère ; avec unhaussement de sourcils d'unearrogance exaspérante, il seretourna vers ses chevaux.
Privée de l'interrogatoirequ'elle avait prévu et de la diatribe
qu'il méritait, Honoria s'efforça nonseulement de contenir sa fureur,mais aussi de la rediriger. Se mettreen colère avait peu de chance defaire avancer sa cause.
Elle jeta un regard en biais àDevil ; son attention était sur seschevaux, son profil nettementdécoupé, aux traits durs. Plissantles paupières, elle regarda devantelle, là où la file de voitures s'étaitformée, attendant d'entreprendrele virage. Devil s'arrêta à la fin ;Honoria vit une occasion et la
saisit.— Vous et vos cousins avez-
vous découvert quelque chose surla raison derrière le meurtre deTolly ?
Un sourcil noir s'arqua.J'ai entendu dire...En retenant son souffle,
Honoria patienta.— Que tante Horatia a
l'intention de donner un bal dansune semaine environ.
Des yeux verts inexpressifs setournèrent vers elle.
— Pour proclamer la famille denouveau incluse dans les festivitésde la ville, pour ainsi dire. Jusque-là, je sens que nous devrionsrestreindre nos excursions — leparc et les légers divertissementssemblables sont, je crois,acceptables. Plus tard...
Totalement incrédule, Honoriaécouta la liste des distractionsprévues — les habituelsdivertissements* favorisés par lahaute société. Elle ne se donna pasla peine de l'interrompre. Il avait
accepté son aide sur la petite route;il lui avait dit que ses gensn'avaient pas débusqué d'indicesdans les villes autour deSomersham. Elle avait cru qu'ilavait capitulé — compris et acceptéson droit de participer à larésolution du crime ou, à tout lemoins, admit son droit de savoir cequi avait été découvert. Pendantque la litanie de plaisirs en réservepour elle continuait, Honoriamodifia sa façon de penser.
Très droite, son expression
neutre, elle retint sa langue jusqu'àce que, le virage effectué, il fut àcourt de divertissements. Ensuite,et seulement à ce moment-là, jeta-t-elle un regard en biais et rencontrason regard.
— Vous ne vous montrez pasjuste.
Les traits de Devil se durcirent.— Ainsi va notre monde.— Peut-être, déclara Honoria,
relevant le menton, est-il tempspour lui de changer.
Il n'émit aucune réponse ;donnant un petit coup de poignetaux rênes, il lança les chevaux lelong de l'avenue.
La tête d'Honoria était si hautequ'elle rata presque la vue dugentleman debout au bord dugazon ; il leva sa canne en guise desalut, puis l'agita.
Devil ralentit son équipage, lefaisant s'arrêter dans un bruit desabots près de la pelouse.
— Bon après-midi, Charles.Charles Cynster inclina la tête.
— Sylvester.Son regard se déplaça sur
Honoria.— Mademoiselle Anstruther-
Wetherby.Résistant à l'envie de se
réfugier instinctivement dans sonarrogance, Honoria lui rendit sonsalut.
— Monsieur. Puis-je vousdemander comment va votrefamille ?
Charles arborait le brassardnoir coutumier, facilement visible
sur son manteau brun. Devil portaitégalement le symbole du deuil,presque invisible sur sa manchenoire. Honoria se pencha vers le solet offrit sa main à Charles.
— Je n'ai pas encore croisévotre frère et vos sœurs depuis monarrivée en ville.
— Ils vont..., hésita-t-il, bien, jepense.
Il rencontra le regardd'Honoria.
— Ils se remettent du choc.Mais comment allez-vous ?
J'admets mon étonnement à vousvoir ici. J'avais cru vos plansdifférents ?
Honoria sourit —chaleureusement.
— Ils le sont. Ceci — ellegesticula dédaigneusement — estsimplement un arrangementtemporaire. J'ai accepté dedemeurer avec la douairièrependant trois mois. Après cela,j'envisage de commencer mespréparatifs pour l'Afrique. Je songeà un séjour prolongé — il y a tant à
voir. Son sourire se crispa. Et àfaire.
— Vraiment? Charles plissavaguement le front. Je pense qu'il ya une très belle exposition aumusée. Si Sylvester est trop occupépour vous y escorter, je vous enprie, faites appel à moi. Comme jevous l'ai déjà assuré, je me tiendraitoujours prêt à vous assister detoutes les manières possibles pourmoi.
Majestueusement, Honoriainclina la tête.
Après avoir promis detransmettre leurs meilleurssouvenirs à sa famille, Charlesrecula. Sur un petit coup depoignet, Devil remit ses chevaux autrot.
— Honoria Prudence, vousmettriez à l'épreuve la patienced'un saint.
L'agacement affluait sous savoix douce.
— Vous, déclara Honoria, n'êtespas un saint.
— Un fait que vous feriez bien
de garder à l'esprit.Étouffant un frisson des plus
étranges, Honoria regardadroit devant elle.
Ils affrontèrent le feu — lalongue file de voitures sta-tionnaires transportant les grandesdames* de la haute société — unefois de plus, puis Devil fit tournerses chevaux en direction de lamaison. Au moment où ilsrejoignirent Grosvenor Square,Honoria avait recentré sonattention sur l'objectif de la
journée. L'objectif qu'elle devaitencore atteindre.
Devil s'arrêta devant sa porte.Lançant les rênes à Sligo, ildescendit et souleva Honoria pourla déposer au sol. Elle reprit sonsouffle une fois sur le porche ; leseuil de sa porte d'entrée, décida-t-elle, ne convenait pas pour unedispute.
La porte s'ouvrit ; Devil la suività l'intérieur. Le vestibule semblaitbondé; en plus de Webster, Luciferétait là.
— Tu es en avance.Honoria jeta un coup d'œil à
Devil, étonnée par ladésapprobation qu'elle décela dansson ton. Les sourcils de Lucifers'arquèrent sous la surprise, mais ilsourit d'une façon charmantependant qu'il s'inclinait sur sa main.Se redressant, il regarda Devil.
— En dédommagement, si tuveux, pour mon absenceprécédente.
Absence précédente ? Honoriaregarda Devil.
Son expression ne révéla rien.— Vous allez devoir nous
excuser, ma chère. Les affairesexigent notre attention.
Les affaires, oui ! Honoriasoupesa rapidement ses options,cherchant un moyen acceptable derester avec eux. Il n'y en avait pas.Ravalant un juron, elle inclinamajestueusement la tête, d'abordvers son ennemi, puis vers soncousin, et elle se retourna ensuitepour se glisser en haut des marches.
— J'hésite à faire état de l'évidence,mais nous n'allons nulle part. Pourma part, je trouve l'échec plutôtfastidieux.
Un grondement générald'approbation accueillit l'annoncede Gabriel. Tous les six cousinsétaient présents, longs membres installés dans différentesposes dans la bibliothèque de Devil.
— Personnellement parlant, ditVane d'une voix traînante, jepréférerais avoir un échec à
rapporter. Comme il se trouve, levieux Mick, serviteur de longuedate de la seconde famille, a quitténos belles côtes.
Harry fronça les sourcils.— Il a quitté l'Angleterre ?— Ainsi m'en a informé
Charles.Vane donna une chiquenaude
sur une peluche sur son genou.— Je suis allé au logement de
Tolly et j'ai découvert qu'il avait étéreloué. Selon le propriétaire, qui vitau rez- de-chaussée, Charles s'estprésenté le lendemain desfunérailles de Tolly. Personnen'avait prévenu Mick à propos deTolly — il a été, inutile de le
préciser, scié en deux.Richard siffla sans bruit.— Il était employé par la
famille depuis toujours, il étaitdévoué à Tolly.
Vane inclina la tête.— J'avais supposé que Charles
se serait assuré d'informer Mick àtemps pour qu'il assiste auxfunérailles — il devait être plusaffolé que nous l'avons pensé. On aappris qu'il y a eu un genre descène. Selon le propriétaire, Mickest sorti comme un ouragan. Selon
Charles, Mick était tellementanéanti par la mort de Tolly qu'il adécidé de quitter Londres et deretourner dans sa famille enIrlande.
Harry semblait méfiant.— Connaissons-nous le
patronyme de Mick ?— O'Shannessy, répondit
Richard.Devil fronça les sourcils.— Savons-nous où vit sa famille
?Vane secoua la tête.
Harry soupira.— Ma présence est attendue en
Irlande d'ici une semaine pourexaminer quelques jumentspoulinières. Je pourrais voir sij'arrive à dénicher notre MickO'Shannessy.
— Devil hocha la tête.— Fais-le.Ses traits se durcirent.— Et lorsque tu le trouveras, en
plus de lui poser nos questions,assure-toi que Charles a pris biensoin de lui. Sinon, procède aux
arrangements habituels et envoie-moi les comptes.
Harry hocha la tête.— Au fait, dit Vane, l'homme
de confiance de Charles, Holthorpe,est aussi parti sous des cieux pluscléments — dans son cas, enAmérique.
— L'Amérique ? s'exclamaLucifer.
— Apparemment, Holthorpe asuffisamment économisé pourrendre visite à sa sœur là-bas.Quand Charles est revenu de
Somersham, Holthorpe était parti.Le nouvel homme de Charles alégèrement moins de présence queSligo et se fait appeler Smiggs.
Harry se moqua.— On dirait qu'il conviendra à
Charles.Lucifer soupira.— Alors, où cherchons-nous
maintenant ?Devil fronça les sourcils.— Nous devons négliger
quelque chose.Vane sourit ironiquement.
— Mais le diable lui-mêmeignore ce que c'est.
— Hum ! soupira Devil.Malheureusement. Cependant, siTolly est tombé par hasard sur lesecret illégal ou scandaleux d'unepersonne, alors,vraisemblablement, si nousessayons plus fort, nous pouvonséventer ce secret.
— Et savoir à qui il appartient,dit Lucifer. Tolly a pu l'entendred'un homme sur un coin de rue oud'une gamine idiote dans une salle
de bal.— Ce qui explique pourquoi
nous allons devoir étendre pluslargement notre filet. Peu importece que c'est, c'est dehors, quelquepart — et nous allons devoirratisser pour le découvrir.
Devil scruta leurs visagesinsatisfaits, mais toujoursdéterminés.
— Je ne vois pas d'autre choixpour nous que de continuer àchercher jusqu'à ce que nous ayonsdes faits à nous mettre sous la dent.
Gabriel hocha la tête.— Tu as raison.Il se leva et rencontra le regard
de Devil, un sourire doux courbantses lèvres.
— Aucun de nous n'est sur lepoint de déserter.
Les autres acquiescèrent de latête ; sans se presser, ils partirent,une impatience contenue dans lesyeux. Devil les raccompagna à laporte. Il se tourna vers labibliothèque, puis hésita. Plissant lefront, il jeta un coup d'œil par-
dessus son épaule.— Webster...— Je crois que mademoiselle
Anstruther-Wetherby se trouvedans le salon à l'étage, VotreSeigneurie.
Devil hocha la tête et s'engageadans l'escalier. Leur absence deprogrès pesait lourdement sur sonesprit; le désir d'Honoria de semêler à la chasse était un irritantsupplémentaire — la séduire pourl'amener à rester à ses côtéss'avérait assez difficile sans cette
complication. Atteignant la marchedu haut, il sourit, amèrement. Il yavait plus d'un moyen de mettredes bâtons dans les roues —vraisemblablement, celas'appliquait aussi à un franc-tireur.
La porte du salon s'ouvrit sansbruit ; Honoria marchait de long enlarge devant l'âtre. Elle nel'entendit pas entrer. Ellemarmonnait d'une manièredistinctement énergique; pendantque Devil s'approchait, il surprit lemot «juste» et « monstre buté ».
Honoria leva les yeux — etsursauta. Devil l'attrapa par lescoudes et la tira vers lui, loin dufeu.
Le souffle coupé, le cœur dansla gorge, Honoria le repoussa. Il lalibéra instantanément ; sontremblement intérieur ne cessa pas.Furieuse pour un certain nombrede raisons, elle posa les mains surses hanches et lui jeta un regardmauvais.
— Ne faites pas cela !
Elle chassa d'une tape uneboucle dérangeante.
— Personne ne vous a jamaisappris qu'il est inacceptable des'approcher en douce des gens ?
— Je ne m'approchais pas endouce.
L'expression de Devil restalégère.
— Vous ne m'avez pas entendu; vous étiez trop occupée à répétervotre sermon.
Honoria cligna des yeux; la
prudence s'infiltra un peu tard dansson esprit.
— Maintenant que je suis là,poursuivit Devil, pourquoi ne pasle débiter? L'invitation était loind'être encourageante.
» D'un autre côté, dit-il lessourcils arqués, vous aimeriez peut-être entendre ce que mes cousinsavaient à rapporter.
Honoria emmagasinaittellement de mauvaise humeurqu'elle avait l'impression de
pouvoir exploser. Il y avait, ellecomprit, un « soit l'un, soit l'autre »dissimulé dans ses mots. Si elledonnait libre cours à la diatribequ'elle avait passé la dernière heureà préparer, elle n'apprendrait pasce qui avait été découvert sur letueur de Tolly. Sa tête la faisaitsouffrir.
— Très bien ; dites-moi ce quevous et vos cousins avez déniché.
Devil désigna la méridienne ; ilattendit qu'elle s'assoie ; puis, il
installa son long corps dans le coinopposé.
— Malheureusement, jusqu'ici,malgré des efforts considérables,nous n'avons découvert strictementrien. Aucun indice soit-il sur ce quia précipité Tolly sur la route deSomersham.
— Rien?Honoria scruta son visage ; il
n'y avait pas trace de dérobadedans ses yeux.
— Où avez-vous regardé et quecherchiez-vous ?
Devil le lui dit; elle ne perditpas une miette de sa descriptiondes forces particulières des autreset de l'étendue de leurs enquêtes.Elle était certaine qu'il ne mentaitpas; elle se demanda pourtant s'illui racontait toute la vérité. Ellel'interrogea, mais ses réponsesdemeurèrent cohérentes.
— Et maintenant ?Au loin, ils entendirent le gong
annonçant le dîner.— Maintenant, dit-il, se levant
avec grâce et lui tendant la main,
nous continuons à chercher.Il lui avait expliqué qu'ils
recherchaient le secret d'une autrepersonne.
Jusqu'à ce que nous ayons unepiste à suivre, nous ne pouvons rienfaire de plus.
Honoria n'en était pas si sûre.Elle lui permit de l'aider à se lever.
— Peut-être...Un long doigt se glissa sous son
menton ; Devil releva légèrementson visage vers le sien.
— Je vais vous tenir informé
des progrès, Honoria Prudence.Sa voix devint plus grave en
prononçant son nom. Hypnotisée,Honoria vit la couleur de ses yeuxse modifier, une lueur au fond lesfaisant briller. Son regard sedéplaça, tombant sur les lèvresd'Honoria; elle les sentit ramollir,s'entrouvrir, elle sentit sespaupières devenir lourdes.
— Ah... oui.Fébrile, elle leva le menton à
l'écart de son doigt et esquissa unpas de côté, dévoilant la porte.
— Je ferais mieux de mechanger.
Un sourcil noir s'éleva, mais au-delà de cela et d'un regardinterrogateur, il ne fit aucuncommentaire, l'escortant à la porteet la maintenant ouverte pendantqu'elle en profitait pour s'échapper.Ce ne fut qu'une demi-heure plustard, alors qu'elle était assise devantsa glace avec sa femme de chambre,Cassie, pour se coiffer, qu'ellecomprit.
Il lui avait dit ce qu'ils avaient
découvert — rien. Il avait promisde la tenir au courant des progrès— les yeux plissés, Honoria compritqu'il voulait dire après qu'ilsauraient réagi en conséquence.Encore plus révélateur, il l'avaitempêchée d'offrir son assistance —afin de ne pas avoir à la refuser et àrendre manifeste qu'il ne lui étaittoujours pas permis de participer àl'enquête d'une manièresignificative.
Quand elle pénétra dans lesalon, elle était posée et confiante,
capable de rencontrer le regard deDevil avec une calme sérénité. Toutau long du repas, elle demeuradistante, écoutant la conversationd'une oreille distraite, son espritoccupé à formuler sa stratégied'enquête.
Rien d'utile n'avait encore étédécouvert, ce qui laissait le champd'investigation largement ouvert.En ce qui concernait les idéesdémodées de monsieur le duc, elleétait certaine que, quand elledébusquerait le secret vital, il ne
pourrait pas lui refuser l'entrée.Comment le pourrait-il? Elle ne luidirait rien avant le fait, jusqu'à cequ'il soit trop tard pour qu'il puissel'exclure.
Chapitre 11
Enquêter sur le meurtre de Tolly
s'avérait plus difficile qu'elle ne
l'aurait cru. Alors que les cousins
Cynster avaient leurs entrées dans
le monde largement masculin de
Tolly, ce n'était pas le cas
d'Honoria. De même, ils
connaissaient Tolly, ses habitudes,
ses intérêts. D'un autre côté,
raisonna-t-elle, elle pouvait
envisager ses derniers jours avec
impartialité, les faits non teintés
par des idées préconçues. D'ailleurs,
les femmes étaient notoirement
plus observatrices que les hommes.
La plus jeune tante de Tolly,Celia, avait été élue par l'assembléedes épouses Cynster pour organiserla première fête « informelle », unedéclaration à la haute société que lafamille était sortie de son granddeuil. Même Louise était présente,encore vêtue du noir le plusprofond, son sang- froid lui servantde bouclier contre ceux quioffraient leurs condoléances.
À la Résidence St-Ives, le crêpenoir avait enveloppé le heurtoirdepuis qu'ils étaient arrivés en ville; sur les ordres de la douairière, ilavait été retiré ce matin. Leurpremière semaine dans la capitales'était déroulée dans le calme, às'abstenir de toute réception, maistrois semaines avaient maintenantpassé depuis la mort de Tolly; sestantes avaient décrété que leurpériode de grand deuil étaitterminée. Tous portaient du noir etcontinueraient ainsi pendant
encore trois semaines, puis ce seraitle demi- deuil pendant six semainessupplémentaires.
Honoria circulait parmi lesinvités de Celia, parlant avec ceuxdont l'acuité pouvait s'avérer utile.Malheureusement, comme c'était lapremière fois qu'elle s'aventurait ensociété, plusieurs cherchaient avecenthousiasme à réclamer sonattention.
— Honoria.Se retournant, Honoria
découvrit Celia à côté d'elle, uneassiette de gâteaux à la main, leregard sur une méridienne à l'autreextrémité de la pièce.
— Je déteste vous demandercela, mais je sais que vous pouvezbien vous en tirer.
Avec un sourire, Celia luitendit l'assiette.
— Lady Osbaldestone ; c'est unvéritable dragon. Si j'y vais, elle vam'enchaîner à la méridienne et jene me libérerai jamais. Toutefois, si
un des membres de la famillen'apparaît pas pour apaiser sacuriosité, elle va maltraiter Louise.Tenez, laissez-moi prendre votretasse.
Soulagée de sa tasse de thévide, Honoria resta avec l'assiette àgâteaux. Elle ouvrit les lèvres pourpréciser qu'elle n'était pas « de lafamille » —, mais Celia avaitdisparu dans la foule. Honoriahésita, puis avec un soupir résigné,elle se tint droite et fonça vers lady
Osbaldestone.Madame l'accueillit avec un
regard de basilic.— Il est à peu près temps,
vraiment.Une main comme des griffes se
tendit brusquement et faucha unpetit four.
— Eh bien, mademoiselle ?— Elle dévisagea Honoria.
Quand celle-ci se contenta de lafixer à son tour d'un air polimentabsent, lady Osbaldestone grogna.
— Asseyez-vous, allez ! Vousme donnez le torticolis. Il estprobable que St-Ives vous ait choisipour votre taille — et je peuxréellement imaginer pourquoi.
Cette dernière remarque futlancée avec un net regardconcupiscent — Honoria ravala uneenvie pressante d'exiger desprécisions. Au lieu, elle se perchad'une façon parfaitement correctesur le bord de la méridienne,l'assiette de gâteaux tenue à portéede main de lady Osbaldestone.
Les yeux noirs de Madamel'examinaient attentivementpendant que le petit four étaitconsommé.
— Pas simplement de lamanière habituelle et avec uneAnstruther-Wetherby en plus,hein? Que dit votre grand- père decette union, mademoiselle ?
— Je n'en ai aucune idée,répondit calmement Honoria.Cependant, vous êtes victime d'unmalentendu. Je n'épouse personne.
Lady Osbaldestone cligna des
paupières.— Pas même St-Ives ?— Particulièrement pas St-Ives.Décidant qu'elle faisait aussi
bien de manger, Honoria choisit unpetit gâteau sec et le grignotadélicatement.
Sa déclaration avait rendu ladyOsbaldestone muette. Pendant uneminute entière, ses yeux noirs,plissés, reposèrent sur le profild'Honoria, puis le visage deMadame se fendit en un largesourire; elle gloussa avec jubilation.
— Oh, vous ferez l'affaire.Gardez cette attitude,mademoiselle et vous ferez trèsbien l'affaire pour Devil Cynster.
— Avec morgue, Honoria pritla chose de haut.
— Je n'ai aucun intérêt enversmonsieur le duc de St-Ives.
— Oh ho! gloussa Madame enlui donnant un petit coup sur lebras avec un doigt osseux. Maismonsieur le duc a-t-il un intérêtenvers vous ?
Les yeux piégés dans le regard
noir de Madame, Honoria auraitaimé pouvoir mentir. Le sourire delady Osbaldestone s'élargitdavantage.
— Suivez mon conseil, ma fille: assurez-vous qu'il ne le perdejamais. Ne le laissez jamais voustenir pour acquise. Le meilleurmoyen de retenir de tels hommesest de les faire travailler pour leurplaisir.
Adoptant un air de martyre,Honoria soupira.
— Je ne vais réellement pas
l'épouser.Lady Osbaldestone, soudain
terriblement sérieuse, observaHonoria à travers de sages yeuxnoirs.
— Ma fille, vous n'avez pas lechoix. Non !
Elle pointa un doigtsquelettique sur elle.
— Ne prenez pas cet airimpassible et ne levez pas en l'air cementon d'Anstruther-Wetherby. Iln'y a aucun avantage à fuir ledestin. Devil Cynster a
pratiquement déclaré qu'il vousvoulait — ce qui signifie qu'il vousaura — et si l'on peut se fier à cementon, ce sera une bonne choseen plus. Et comme il est tropexpérimenté pour poursuivre deses assiduités une personne sanssentiment réciproque, vous nedevez pas songer à le nier.
Madame grogna.— Il faudrait que vous soyez
morte pour être immunisée contresa tentation — et vous ne mesemblez pas trop desséchée.
— Une rougeur s'empara desjoues d'Honoria; lady Osbaldestonehocha la tête.
— Votre mère n'est plus là, toutcomme votre grand- mère ; je vaisdonc vous donner le bon conseil àleur place. Acceptez le décret dudestin — épousez ce diable et faitesen sorte que cela fonctionne.Séduisant, il l'est, mais sous cetteapparence il y a un homme bon.Vous êtes une femme de caractère— c'est ainsi que cela doit être. Et
malgré toutes vos réflexions, dansce cas, le diable a raison. LesCynster ont besoin de vous; lesAnstruther-Wetherby, étrange àdire, ont aussi besoin des Cynster.Le destin vous a amenéeprécisément là où vous étiez censéevous trouver.
Se penchant en avant, elleretint sans pitié le regardd'Honoria.
— Et d'ailleurs, si vous ne leprenez pas, qui croyez- vous le fera
? Une petite sotte gnangnan avecplus de cheveux que de cervelle? Lehaïssez-vous au point de lecondamner à cela : un mariage sanspassion ?
Honoria ne pouvait plusrespirer. Un grand éclat de rire lesatteignit; le bruissement de soieannonçait l'approche d'une dame.
— Te voilà, Josephine. Es-tu entrain de cuisiner cette pauvremademoiselle Anstruther-Wetherby ?
Lady Osbaldestone consentitenfin à libérer Honoria; elle leva lesyeux sur la nouvelle venue.
— Bon après-midi, Emily.J'offrais simplement àmademoiselle Anstruther-Wetherby le bénéfice de mes avisexpérimentés.
Elle incita Honoria à se releverd'un geste de la main.
— Allez, partez ; et souvenez-vous de mes paroles. Et emportezces gâteaux, ils font grossir.
Secouée, et les traits rigides,Honoria exécuta une petiterévérence pour Emily, ladyCowper, puis, tête haute, elle selaissa avaler par la foule.Malheureusement, de nombreusesdames attendaient de l'arrêter aupassage pour l'interroger sur sanouvelle relation.
— St-Ives vous a-t-il déjàamenée à Richmond? Les arbres ysont très beaux en ce moment.
— Et où envisagez-vous de
passer la période des fêtes, machère ?
Éluder de telles questionsexigeait tact et adresse, une tâchedifficile pour son esprit qui tournaitencore après le sermon de ladyOsbaldestone. Épiant Amanda etAmelia à moitié cachées par unpalmier, Honoria chercha refugeauprès d'elles. Leurs yeuxs'éclairèrent quand elles virentl'assiette de gâteaux ; elle la leurremit sans commentaire.
— Maman a dit que nousdevions venir voir à quoi ressembleune fête «informelle», dit Amandaen mangeant une brioche auxraisins miniature.
— Nous serons présentées l'anprochain, ajouta Amelia.
Honoria les regarda manger.— Comment allez-vous ?Les deux filles levèrent les
yeux, franchement, sans aucunetrace de douleur. Elles grimacèrenttoutes les deux en réfléchissant,
puis Amanda s'aventura :— Bien, je pense.— Nous nous attendons
toujours à ce qu'il vienne dîner —exactement comme il le faisaittoujours.
Amelia baissa les yeux etramassa la dernière miette.
Amanda acquiesça de la tête.— Riant et plaisantant, tout
comme ce dernier soir.Honoria fronça les sourcils.— Dernier soir ?
— Le soir avant d'être abattu.Honoria cligna des paupières.— Tolly est venu dîner le soir
avant sa mort ?Amelia hocha la tête.— Il était de très bonne humeur
; c'était habituellement le cas. Il ajoué au jeu de jonchets avec les plusjeunes, puis après dîner, nous avonstous joué aux cartes. C'était trèsamusant.
— C'est...Honoria cligna de nouveau des
paupières.— Bien ; je veux dire que vous
gardiez de si bons souvenirs de lui.— Oui, acquiesça Amanda.
C'est agréable.Elle sembla ressasser ce fait,
puis elle leva les yeux sur Honoria.— Quand allez-vous épouser
Devil ?La question frappa Honoria en
plein cœur. Elle regarda dans lesyeux des jumelles, quatre orbesd'un bleu innocent, et s'éclaircit la
gorge.— Nous n'avons pas décidé.— Oh, dirent-elles en chœur, et
elles sourirent avec bienveillance.Honoria battit rapidement en
retraite et se dirigea vers une alcôveinoccupée. Elle jura en son forintérieur. D'abord, ladyOsbaldestone, maintenant les sœursde Tolly. Qui d'autre se liguerait-ilcontre elle pour ébranler sadétermination ? La réponse futinattendue.
— Comment vous en sortez-vous avec le fait d'être absorbée parle clan ?
La question douce fit pivoterHonoria pour rencontrer le regardencore las de Louise Cynster. Lamère de Tolly sourit.
— Il faut s'y habituer un peu, jesais.
Honoria respira profondément.— Ce n'est pas cela.Elle hésita, puis, encouragée
par l'expression calme de Louise,elle se lança :
— Je n'ai pas encore réellementaccepté d'épouser Devil, juste deréfléchir à cette idée.
Avec un geste qui englobait lapièce, elle ajouta :
— Je me sens comme unimposteur.
À son soulagement, Louise nerit pas et n'écarta pas soncommentaire avec légèreté. Au lieude cela, après un moment à scruterson visage, elle posa une main surson bras.
— Vous n'êtes pas certaine,
n'est-ce pas ?— Non.Sa voix était à peine un
murmure. Après une minute, elleajouta :
— Je pensais l'être.C'était la vérité — pure, sans
fard ; cette constatation la laissaabasourdie.
Que lui avait-il fait — lui eteux, tous? Qu'était-il arrivé àl'Afrique ?
— C'est normal de ressentir del'hésitation.
Louise parla d'une manièreréconfortante, sans aucune trace decondescendance.
— Particulièrement dans un cascomme celui-ci, où la décisionrepose tellement sur vos épaules.
Elle jeta un coup d'œil àHonoria.
— Mon propre cas étaitsimilaire. Arthur était là, prêt àdéposer son cœur et tout ce quivenait avec à mes pieds — toutdépendait de mon désir.
Ses lèvres se courbèrent, son
regard se perdit dans les souvenirs.— Il est facile de prendre des
décisions lorsqu'il n'y a que soi detouché, mais quand il faut prendreles autres en considération, il estnaturel de remettre son jugementen question. Particulièrement, si legentleman concerné est un Cynster.
Son sourire s'épanouit; elleregarda de nouveau Honoria.
— Doublement, s'il s'agit deDevil Cynster.
— C'est un tyran, déclaraHonoria.
Louise rit.— Vous n'essuierez pas
d'argument de ma part sur ce point.Tous les Cynster ont un penchantpour la dictature, mais Devil dicte àtous les autres.
— Hum ! Il est inflexible, etbeaucoup trop habitué à ce que leschoses se passent à sa façon.
— Vous devriez interrogerHelena là-dessus un jour; elle a deshistoires à vous faire dresser lescheveux sur la tête. Vous nepourrez pas vous passer du fer à
friser pendant une semaine.Honoria plissa le front.— Je pensais que vous
m'encouragiez.Louise sourit.— C'est ce que je fais, mais cela
ne signifie pas que je sois aveugleaux défauts de Devil. Toutefois,malgré eux — et vous ne trouverezpas une seule femme Cynster quin'a pas eu à affronter la mêmechose —, on peut dire beaucoupd'un homme qui serainfailliblement là pour se charger
des problèmes ; qui, peu importetout le reste, est dévoué à safamille. Devil est peut-être le chefde la meute — le président de labarre Cynster —, mais donnez- luiun fils ou une fille, et il restera avecbonheur à Cambridgeshire etjouera au jeu des jonchets tous lessoirs.
Spontanément, l'imageconjurée par les paroles de Louiseprit forme dans l'esprit d'Honoria— un homme de forte carrure, à lachevelure noire et aux traits durs,
vautré sur un tapis devant un feuflambant avec un enfant encombinaison grimpant sur lui.Observant la scène, elle ressentit unéclat de chaude fierté, de lasatisfaction; elle entendit les riresperçants au-dessus d'un riregrondant plus grave — elle pouvaitpresque tendre la main et lestoucher. Elle attendit — attenditque la peur qui l'avait toujourspoursuivie montre son nez et avalela vision d'un seul coup, pour labannir au royaume des rêves
irréalisables. Elle attendit — etencore, la vision brillait.
La lueur du feu luisait sur lesdeux têtes noires, des mèchesindisciplinées épaisses et rebelles. Ildorait le visage levé de l'enfant —dans son esprit, Honoria tendit lamain vers l'épaule familière del'homme, dure et stable comme leroc sous ses doigts. Incapable des'en empêcher, fascinée sans espoirde retour, elle tendit la main, avechésitation, tant d'hésitation vers levisage de l'enfant. Il hurla de rire et
baissa vivement la tête ; ses doigtstouchèrent des cheveux douxcomme du duvet soyeux, commel'aile d'un papillon. L'émotionenfla, ne ressemblant à rien de cequ'elle avait déjà connu. Hébétée,elle secoua la tête.
Puis, elle cligna rapidement desyeux et inspira rapidement.
— La barre Cynster ?— Ah!Louise la gratifia d'un regard
aux sourcils arqués, puis regardaautour d'elle. Personne n'était assez
proche pour l'entendre.— Ils ignorent que nous le
savons, mais c'est un sujet deplaisanterie habituelle parmi lesgentlemen de la ville. Un hommed'esprit a inventé le terme lorsqueRichard et Harry ont suivi Devil etVane à Londres, soi-disant pouraccomplir un... certain rite depassage. Ça ne faisait aucun douteque Richard et Harry, évidemment,ils allaient suivre Devil et Vanedans les activités coutumières desCynster.
Son insistance et l'expressiondans son regard ne laissaient aucundoute sur ce qu'étaient lesditesactivités.
— Plus tard, quand Rupert etAlasdair sont allés en ville, ce ne futqu'une simple question de tempsavant qu'eux aussi soient appelés àla barre Cynster.
— Comme un avocat estconvoqué au Palais de justice ?
Honoria gardait son espritcentré sur la question.
— Précisément.
Le sourire de Louise s'évanouit.— Tolly aurait été le suivant.Ce fut au tour d'Honoria de
poser une main sur le bras deLouise et de le presser d'unemanière réconfortante.
— J'avais imaginé que le nométait dérivé du terme héraldique.
— La barre du blason ?Louise chassa son chagrin et
rencontra le regard d'Honoria avecdes yeux qui en disaient long.
— Entre vous, moi et les autres
dames Cynster, je suis plutôtcertaine que de nombreuxgentlemen en ville parlent de nosfils comme de « nobles bâtards ».
Les yeux d'Honoria s'élargirent;Louise afficha un large sourire.
— Cela, par contre, n'est pasune chose que tout gentleman ettoute dame accepteraient volontiersd'admettre en notre présence.
Les lèvres d'Honoria frémirent.— Naturellement pas.Puis, elle plissa le front.
— Quand est-il de Charles ?— Charles ?Louise agita dédaigneusement
la main.— Oh, il n'en a jamais fait
partie.Deux dames s'approchaient
pour dire au revoir; quand on eutfini de se serrer les mains et qu'ellesfurent de nouveau en privé, Louisese tourna vers Honoria.
— Si vous avez besoin desoutien, nous sommes toujours là —
les autres dans la même situation.N'hésitez pas à faire appel à nous ;l'entraide est une règle absoluechez les femmes Cynster. Noussommes, après tout, les seules quicomprennent véritablement ce quec'est qu'être mariée à un Cynster.
Honoria jeta un coup d'œil surla foule qui s'amenuisait,remarquant les autres membres dela famille, pas seulement ladouairière, Horatia et Celia, maisles autres cousins et parents.
— Vous vous tenez réellementles coudes.
— Nous sommes une famille,ma chère.
Louise pressa une dernière foisle bras d'Honoria.
— Et nous espéronsénormément que vous vousjoindrez à nous.
— Voilà!Poussant un soupir soulagé,
Honoria appuya le parchemin
portant les coordonnées de sonfrère sur les casiers du bonheur-du-jour.
Décrire ses activités à Michaelsans laisser transparaître son étatd'esprit préoccupé s'était révéléune tâche herculéenne. Presqueaussi difficile qu'affronter le faitqu'elle avait peut-être tort — etque Devil, la douairière, Michael ettous les autres pouvaient avoirraison.
Elle se trouvait dans le boudoir
attenant à sa chambre à coucher.Les fenêtres de chaque côté dufoyer surplombaient la cour endessous. Appuyant son coude surle bureau, elle posa le menton danssa main et regarda dehors.
Huit ans auparavant, èlle avaitsubi sa perte ; sept ans plus tôt, elleavait décidé de ne jamais risquerde perdre de nouveau. Elle n'avaitpas révisé sa décision jusqu'à troisjours auparavant — elle n'avaitjamais eu aucune raison de le faire.
Aucun homme, aucunecirconstance, n'avait été assezsolide pour l'obliger à cetteréévaluation.
Trois jours plus tôt, tout avaitchangé. Le sermon de ladyOsbaldestone l'avait secouée,plantant fermement dans son espritles conséquences de refuser Devil.
Louise et les jumelles avaientaggravé son incertitude, luimontrant à quel point elle était déjàdevenue proche de cette famille.
Cependant, la révélation la plus
surprenante avait été l'imageévoquée par Louise, la visionqu'elle ressuscitait chaque foisqu'elle bénéficiait d'un moment deliberté depuis — la vision de Devilet de leur enfant.
Sa peur du deuil était encore là,très réelle, très profonde ; perdre denouveau serait dévastateur — elles a v a i t cela depuis huit ans.Toutefois, jamais auparavantn'avait- elle désiré un enfant. Jamaisavant n'avait-elle ressenti ce besoinimpérieux — un désir, un appel,
qui donnait l'impression que sapeur était faible, une chose qu'ellepourrait, si elle le souhaitait,balayer d'un geste.
La force de ce besoin étaittroublante — une chose qu'elle nepouvait pas facilement expliquer.Était-ce un simple désir maternelprenant de l'ampleur parce queDevil se montrerait si protecteur etque, comme il était tellement riche,leur enfant recevrait tous les soins?Était-ce parce qu'en tant queCynster, elle et son enfant seraient
entourés par un clan aussi aimant,d'un grand soutien ? Ou bien était-ce parce qu'elle savait qu'être lamère de l'enfant de Devil luidonnerait un rang que personned'autre n'aurait jamais pu ?
Si elle donnait un enfant àDevil, il baiserait le sol à ses pieds.
Respirant profondément, elle seleva et marcha jusqu'à la fenêtre,contemplant sans le voir le cerisierpleureur, retombant avec art dansla cour. Le fait de désirer Devil, dele vouloir comme son esclave, était-
il la raison pour laquelle ellevoulait son enfant? Ou bien était-elle simplement devenue unefemme, plus femme qu'elle nel'avait été à dix- sept ans ?
Ou encore les deux ? Ellel'ignorait. Son tourment intérieurétait dévorant, complètementdéroutant ; elle se sentait commeune adolescente qui se réveilleenfin, mais par rapport au fait dedevenir adulte, ceci était bien pire.
Un coup frappé à la porte la fit
sursauter. Se redressant, elle seretourna.
— Entrez!La porte s'ouvrit vers l'intérieur
; Devil se tenait sur le seuil. Unsourcil noir arqué; naturellementgracieux, il entra dans la pièce sansse presser.
— Aimeriez-vous venir vouspromener en voiture, HonoriaPrudence ?
Honoria garda les yeux dans lessiens, refusant toute autre
distraction.— Dans le parc ?Ses yeux s'élargirent.— Sinon où ?Honoria jeta un coup d'œil à sa
lettre, dans laquelle elle avaitsoigneusement esquivé la vérité. Ilétait trop tôt pour admettre quoique ce soit — elle ne savait pasencore avec certitude qu'elle étaitsa position. Elle regarda Devil.
— Vous pourriez peut-êtreaffranchir ma lettre pendant que je
me change ?Il acquiesça d'un signe de tête.
Honoria passa devant lui ; sans unregard en arrière, elle se retira danssa chambre à coucher.
Dix minutes plus tard, vêtue desergé topaze, elle revint pour ledécouvrir debout devant unefenêtre, les mains derrière le dos, salettre entre ses longs doigts.
Il se retourna à son approche.Comme toujours, chaque fois qu'illa revoyait, son regard la balayait,avec possessivité, de la tête aux
pieds.— Votre lettre.Il lui présenta le parchemin
plié avec un grand geste du bras.Honoria la prit, remarquant
une écriture en caractère grasdécorant un coin. C'était, ellepouvait en jurer, la même écriturequi avait orné la note que Celestineavait reçue si à propos.
— Venez. Webster la mettra à laposte.
Pendant qu'ils parcouraient leslongs corridors, Honoria fronça les
sourcils en son for intérieur.Celestine n'avait pas envoyé safacture. Plus d'une semaine s'étaitécoulée depuis la réception desdernières robes.
Une fois la lettre remise auxbons soins de Webster, ils sedirigèrent vers le parc avec Sligoderrière, comme à l'habitude. Leurprogression dans l'avenue à lamode fut tranquille en dehors deshabituels sourires et saluts de latête ; son apparition dans la calèchede Devil ne causait plus de grande
sensation.Alors qu'ils quittaient le
regroupement principal devoitures, Honoria changea deposition — et fronça les sourcils endirection de Devil.
— Que vont-ils dire lorsque jene vous épouserai pas ?
La question la troublait depuistrois jours.
Le regard qu'il lui décocha étaitpareil au sien.
— Vous allez m'épouser.— Mais si je ne le fais pas ?
Honoria fixait un regard têtusur le profil tout aussi buté deDevil.
— Vous devez commencer àréfléchir à cela.
La haute société pouvait semontrer très acerbe ; jusqu'ausermon de lady Osbaldestone, ellel'avait vu comme un adversaire trèsà l'aise dans son indifférence auxfrondes et aux flèches de la société.Madame avait altéré sa vision deschoses ; elle n'était plus rassurée dutout.
— Je vous ai prévenu àplusieurs reprises qu'il y a peu dechance que je change d'avis.
Le soupir de Devil exprimaitpleinement l'impatience et l'enviede grincer des dents.
— Honoria Prudence, je memoque complètement de ce que dittout le monde, sauf vous. Et tout ceque je veux entendre de votre partest un « oui ». Et en ce qui concernenotre mariage, il est beaucoup plusprobable que celui-ci se produiseque vous vous retrouviez en vue du
Caire, encore moins du grandsphinx !
Ses intonations ne laissaientaucun doute que le sujet était clos.Honoria leva le nez en l'air etdévisagea avec morgue un grouped'innocents passants.
Un silence sinistre régnajusqu'à ce que, le tour accompli, ilsreviennent vers la foule depersonnes en vue. Jetant un regarden biais au visage fermé de Devil,Honoria entendit les paroles delady Osbaldestone :
« Faites en sorte que celafonctionne. »
Était-ce possible ? Fixant sonregard au loin, elle s'enquit avecdésinvolture :
— Tolly était-ilparticulièrement doué à dissimulerses sentiments ?
Devil la dévisagea — ellepouvait sentir son regard vert,acéré et perçant; avec entêtement,elle garda le visage détourné.L'instant suivant, ils s'approchaient
du bas-côté. La voiture oscilla ens'arrêtant ; Sligo se précipita à latête des chevaux.
— Tiens-les ; attends ici.Sur cet ordre brusque, Devil
attacha les rênes, se leva, passadevant elle et sauta au sol. Avecaisance, il se retourna et la cueillitsur son banc. Ignorant sonhalètement, il la déposa sur sespieds, coinça sa main à travers sonbras et marcha à grands pas sur lapelouse.
Honoria s'accrocha à sonchapeau.
— Où allons-nous ?Devil lui jeta un regard
mauvais.— Quelque part où nous
pouvons parler librement.— Je pensais que Sligo était à
moitié sourd ?— Lui, oui ; les autres non.Devil offrit une mine
renfrognée décourageante à ungroupe de jeunes gens. Les gens du
monde diminuaient rapidement,abandonnés dans leur sillage. — Detoute façon, Sligo sait tout sur Tollyet notre enquête.
Honoria plissa les yeux — puis,ils s'ouvrirent largement. Le sentierde rhododendrons se dessinaitdevant.
— Je pensais que vous aviez ditque nous devions observer lesrègles de bienséance ?
— À chaque occasion possible,gronda Devil et il l'entraîna
vivement dans le sentier désert.Dissimulé par les épais
buissons, il s'arrêta et pivota pour laregarder en face.
— Maintenant!Les yeux plissés, il retint son
regard.— Pourquoi diable voulez-vous
savoir si Tolly était doué pourcacher ses sentiments ?
Menton levé, Honoria soutintson regard — et essaya de ne pasremarquer à quel point il étaitimposant. Il était assez grand et
assez large pour lui faire totalementécran — même si quelqu'untombait sur eux en se promenant,tout ce qu'il verrait, ce serait unbout de jupe. Elle releva davantagele menton.
— L'était-il ou non ?Les yeux sondant les siens
étaient clairs comme de l'eau deroche, son regard acéré comme lescalpel d'un chirurgien. Elle vit samâchoire se contracter ; quand ilparla, sa voix émit un gravegrondement sauvage.
— Tolly était incapable defeindre, même pour sauver sa peau.Il n'a jamais pris le tour de main.
— Hum.Le regard d'Honoria se déplaça
vers les buissons.— Pourquoi vouliez-vous le
savoir ?Elle haussa les épaules.— J'ai juste...Elle leva la tête — sa réponse
désinvolte mourut sur ses lèvres,tuée par l'expression dans sonregard. Son cœur bondit dans sa
gorge ; avec détermination, elle leravala.
— J'ai juste trouvé celaintéressant qu'il ait passé la soiréeprécédant le jour où il a été abattu àjouer avec son frère et ses sœurs,apparemment d'excellente humeur.
Relevant le nez, elle laissa sonregard glisser sur les feuilles vertesluisantes. Devil la dévisagea.
— C'est vrai ?Honoria hocha la tête. Le
silence se prolongea ; yeux sur lesbuissons, elle patienta, respirant à
peine. Elle pouvait sentir sonregard, encore intense, sur sonvisage ; elle le sut lorsqu'il détournales yeux. Puis, avec un soupirrésigné qui semblait venir de sesbottes, il replaça la main d'Honoriasur sa manche et la fit pivoter sur lesentier.
— Alors, dites-moi, qu'avez-vous appris ?
Ce n'était pas la plus affable desinvitations à la complicité, maisHonoria décida qu'elle ferait
l'affaire.— Les jumelles ont mentionné
leur dernier dîner avec Tollylorsque je les ai vues mercredi.
Marchant sans empressement àcôté de lui sur le sentier à l'écart,elle relata la description desjumelles.
— J'ai perçu que Tolly et lesjumelles étaient proches. S'il étaitagité, même s'il tentait de le cacher,j'aurais pensé qu'elles l'auraientremarqué.
Devil hocha la tête.— C'est vrai ; elles sont futées
comme un renard. Il grimaça.Oncle Arthur m'a dit que Tolly yétait allé pour dîner. Il m'a donnél'impression que celui-ci étaitquelque peu réservé. J'avais oubliécomment les jeunes hommesréagissent à leurs pères ; ce n'étaitprobablement pas plus que cela.
Il se tut, avançant lentementdans le sentier sinueux; Honoriagarda le silence, satisfaite de le
laisser réfléchir à ses découvertes.Même s'il marchait à côté d'elle,elle se sentait enveloppée par saforce. Qu'avait dit Louise?Infailliblement là pour se chargerdes problèmes ? C'était, elle devaitl'admettre, une caractéristiqueréconfortante.
La fin des rhododendronsarriva ; le sentier débouchait surune vaste étendue de gazon.
— Votre information, dit Devilalors qu'ils s'éloignaient du sentier,diminue le champ d'investigation
de manière plutôt radicale.— Peu importe ce que Tolly a
découvert, ce qui l'a précipité versvous, il a dû tomber dessus aprèsavoir quitté sa famille ce soir-là.
Elle leva les yeux sur Devil etvit sa grimace.
— Qu'y a-t-il ?Il lui jeta un regard, lèvres
minces, yeux soupesant. Puis, ilrépondit.
— L'homme de confiance deTolly est rentré en Irlande avantque nous puissions lui parler. Il
saura si Tolly était contrariélorsqu'il est revenu chez lui ce soir-là.
Honoria ouvrit la bouche.— Et, oui, nous le recherchons.
Démon est là-bas en ce moment.Honoria regarda brièvement
autour d'elle, remarquant lesnombreuses bonnes d'enfants etgouvernantes, traînant les enfantssous leur responsabilité, parsemantla pelouse.
— Où sommes-nous ?Devil s'arrêta.
— Dans la partie jardind'enfants. Les rhododendronsgardent les petits chéris hors de vueet de portée de voix de leursaffectueuses mamans.
Il se retourna à moitié pourrevenir sur leurs pas — un cri àvous défoncer les tympans déchirale calme.
— Deyyyyyyyy-vil !Toutes les têtes se retournèrent
vers eux, la plupart affichant desexpressions désapprobatrices. Devilse tourna à temps pour attraper
Simon alors qu'il se lançait sur soncousin.
— Bonjour ! J'm'attendais pas àte voir ici !
— Je ne m'attendais pas nonplus à te voir, rétorqua Devil. Tireta révérence à Honoria Prudence.
Simon obéit promptement.Souriant en retour, Honoriaremarqua les joues rouges dugarçon et ses yeux brillants, et elles'émerveilla de la résistance de lajeunesse. Elle leva la tête au
moment où deux femmes, lesjumelles, Henrietta et la petiteMary arrivèrent d'un pas affairédans le sillage de Simon. Devil laprésenta à madame Hawlings, labonne d'enfants des plus jeunesfilles et à mademoiselle Pritchard,la gouvernante des jumelles.
— Nous voulions profiter dubeau temps pendant que cela nousest possible, expliqua madameHawlings. Les brouillards et lespluies seront là bien assez tôt.
— En effet.Honoria vit Devil attirer Simon
à l'écart. Elle pouvait deviner lesujet de leur discussion. Laisséeseule pour occuper — ou bien était-ce pour distraire? — la gouvernanteet la bonne d'enfants, elle échangeades petits riens polis avec la faciliténée d'une longue pratique. Leregard plein d'attente dans les yeuxétincelants des jumelles quand ellesjetèrent un regard vers Devil avantde le ramener sur elle ne lui
échappa pas. Elle pouvait êtreseulement reconnaissante qu'ellesn'expriment pas la question trottantclairement dans leurs têtes.
Le soleil trouva une brèchedans les nuages et darda ses rayons; les jumelles et Henriettacommencèrent à tisser des tressesde marguerites. La petite Mary, lesdoigts trop potelés pour manipulerles tiges minces, s'assit à côté de sessœurs sur le gazon, ses grands yeuxbleus examinant d'abord les trois
femmes bavardant à proximité,puis Devil, discutant encore avecSimon. Après un long examen deses yeux grands ouverts, elleramassa sa poupée et, sur desjambes robustes, elle marcha à paslourds jusqu'à Honoria.
Honoria ne sut pas qu'elle étaitlà, jusqu'à ce qu'elle sente uneminuscule main se glisser dans lasienne. Prise par surprise, elle jetaun regard vers le sol. Mary laregarda et sourit — avec assuranceet ouvertement confiante — puis,
elle resserra sa prise aux doigtsgrassouillets et, regardant vers sessœurs, elle s'appuya contre lesjambes d'Honoria.
Il fallut à Honoria ses années depratique pour garder son calme,pour reporter son regard surmadame Hawlings etmademoiselle Pritchard etcontinuer à converser comme si derien n'était. Comme s'il n'y avaitpas une main chaude et douceblottie dans la sienne, comme s'iln'y avait pas un poids léger plaqué
sur ses jambes, une joue soyeusepressée contre sa cuisse.Heureusement, aucune des femmesne la connaissait assez bien poursavoir que son expression n'étaitpas habituellement si neutre.
Puis, Devil avança lentementvers elles, une main sur l'épaule deSimon. Il vit Mary et décocha unregard à Honoria. Elle conserva unvisage neutre, ne laissantrésolument rien transparaître sousl'examen de ses yeux perçants ; ilbaissa la tête et tendit la main.
Mary lâcha celle d'Honoria et allavers lui. Devil la souleva dans sesbras en la faisant virevolter ; Marys'accrocha et blottit la tête sur sonépaule.
Honoria respira profondément,son regard fixé sur la petite Mary secollant si près ; les émotions latraversaient par vagues, son besoinaigu et le désir poignantsubmergeant toute peur lalaissèrent étourdie.
Devil déclara qu'il était temps
pour eux de partir. Ils dirent leursadieux; au moment où madameHawlings se détourna avec Marydans les bras, la petite fille setortilla pour agiter une mainpotelée. Honoria sourit avecdouceur et la salua de la main enretour.
— Venez; à l'heure qu'il est,Sligo organise probablement unebattue.
Honoria se retourna; Devil luiprit la main et l'installa
confortablement sur son coude,laissant ses doigts, chauds et forts,sur les siens. Elle trouva sontoucher à la fois réconfortant ettroublant pendant qu'en fronçantlégèrement les sourcils, elle essayaitde calmer ses émotions. Ilsmarchèrent d'un pas vif versl'avenue principale des voitures.
La calèche était en vue lorsqueDevil parla.
— En tant que gouvernante,avez-vous déjà eu des enfants plus
jeunes sous votre responsabilité ?Honoria hocha la tête.— En tant que gouvernante
p o u r débutantes, mon rôle étaitstrictement limité aux filles à uneannée de leurs débuts en société. Siles familles pour lesquelles jetravaillais avaient des enfants plusjeunes, il y avait toujours une autregouvernante ordinaire pour enprendre soin.
Devil hocha la tête, puisregarda devant lui.
Le trajet de retour à GrosvenorSquare donna à Honoria le tempsde rassembler ses idées. Leur sortieavait été inopinément productive.
Elle avait vérifié la théorie delady Osbaldestone voulant quellesoit assez forte pour influencerDevil, même par rapport à unechose qui suscitait une profondeaversion chez lui — comme saparticipation à la recherche dumeurtrier de Tolly Elle avaitconfirmé qu'elle désirait sans aucundoute possible porter son enfant.
De tous les hommes, il devait êtrele compagnon le plus qualifié pourune femme avec sa peurparticulière — et elle souhaitaitassurément le voir, tout tyranarrogant qu'il était, baiser le sol àses pieds.
Il lui restait un bout de la visionde lady Osbaldestone à vérifier,bien qu'il ait, depuis le début,déclaré qu'il l'épousait pour lamettre dans son lit. Cela sequalifiait-il comme de la passion ?Était-ce ce qu'il y avait entre eux ?
Depuis leur interlude sur laterrasse de la Maison, elle ne luiavait pas donné d'autre occasion del'attirer près de lui ; son « à moi »avait étouffé sa poursuite du «plaisir ». Au cours des trois derniersjours, cependant, son intérêt pourle sujet était revenu. Avait mêmegrandi.
Webster ouvrit la porte;Honoria passa le seuil avec grâce.
— Si vous avez un moment,monsieur le duc, il y a une affairedont j'aimerais discuter avec vous.
Tête haute, elle se dirigea droitvers la porte de la bibliothèque. Unvalet de pied bondit pour la luiouvrir ; elle se glissa à l'intérieur —dans l'antre du diable.
Devil l'observa partir,l'expression indéchiffrable. Puis, iltendit ses gants de conduite àWebster.
— Je soupçonne que je nesouhaiterai pas être dérangé.
— En effet, Votre Seigneurie.Chassant d'un geste le valet de
pied qui se tenait prêt, Devil
pénétra dans la bibliothèque etreferma la porte.
Honoria se tenait devant lebureau, tapotant ses doigts sur lebord. Elle entendit le loquet; seretournant, elle regarda Devils'approcher lentement.
— Je veux discuter de laréaction probable de la hautesociété lorsqu'elle apprendra que jene vous épouse pas.
Cela lui semblait un sujetsuffisamment provocateur.
Les sourcils de Devil se
levèrent.— Est-ce de cela qu'il est
question ?— Oui.Honoria se souvint de plisser le
front quand il ne s'arrêta pas, maiscontinua son avance de prédateur.
— Il est inutile de vous fermerles yeux sur le fait qu'une telle finsusciterait tout un émoi.
Elle se tourna pour contournersans se presser, aussi lentement quelui, le coin de son bureau.
— Vous savez parfaitement
bien que cela aura un effet passeulement sur vous, mais sur votrefamille également.
Jetant un coup d'œil par-dessusson épaule, elle le vit à quelquespas derrière elle, suivant dans sonsillage. Elle continua à marcher.
— Il n'est tout simplement passensé de laisser l'attente croître.
— Donc, que suggérez-vous ?Contournant le bureau,
Honoria poursuivit vers le foyer.— Vous pourriez laisser
entendre que les choses ne sont pas
réglées entre nous.— Sur quelles bases ?— Comment le saurais-je ?Elle décocha un regard derrière
elle.— Je suis certaine que vous êtes
assez créatif pour inventer quelquechose.
Deux mètres derrière, le regardde Devil restait calme.
— Pourquoi?— Pourquoi?— Pourquoi devrais-je inventer
quelque chose ?
— Parce que...Gesticulant vaguement,
Honoria marcha jusqu'au coin de lapièce. Elle s'arrêta et fixa lesvolumes à la hauteur de son nez.
— Parce que c'est nécessaire.Elle respira profondément et,
croisant mentalement les doigts,elle pivota.
— Parce que je ne veux pas quequiconque soit tourné en ridicule àcause de ma décision.
Comme elle l'avait espéré,Devil n'était plus à deux mètres
d'elle. Les yeux de Devil soutinrentson regard, à quelques centimètresde distance.
— Je suis le seul courant lerisque d'être ridiculisé par la hautesociété. Et je ne suis pas sur le pointde le craindre.
Honoria plissa les yeux vers luiet essaya de ne pas remarquerqu'elle était piégée.
— Vous êtes sans aucun doutele plus impossible des arrogants,imbu de sa personne...
Les yeux de Devil tombèrent
sur ceux d'Honoria — elle retintson souffle.
— Avez-vous fini ?La question fut prononcée sur
le ton de la conversation. Sespaupières se soulevèrent pourcroiser le regard d'Honoria ; elleréussit à hocher la tête.
— Bien.Encore une fois, son regard sebaissa ; une main se leva pourencadrer son visage, puis il penchala tête. Les paupières d'Honoriatombèrent ; à l'instant où ses lèvres
se posèrent sur les siennes, elleagrippa fermement les étagères delivres derrière elle, réprimant sonsentiment de triomphe. Elle avaitamené le loup à attaquer, et iln'avait pas compris qu'il avait étéappâté.
Le frisson de la réussiterencontra le frisson de joie que sonbaiser provoqua en elle ; elleentrouvrit les lèvres, impatiente dedécouvrir sa passion, impatiented'expérimenter encore une fois leplaisir qu'elle trouvait dans ses
bras. Il changea de position ; ellecrut l'entendre gémir. Pendant uninstant, son poids pesa sur ellependant que ses lèvres obligeaientles siennes à s'ouvrir pluslargement, sa langue la goûtantavec avidité. La soudaine montéede désir la surprit; immédiatement,il l'enchaîna, revenant à uneexploration lente et régulièredestinée à réduire en poussièretoute résistance.
Cet instant d'émotion à l'étatbrut, primitif aiguillonna Honoria
— elle voulait la connaître, lagoûter encore ; elle devait explorerdavantage. Ses mains quittèrent lesétagères et glissèrent sous lemanteau de Devil. Son giletprotégeait son torse avec efficacité ;les boutons, heureusement, étaientgros. Ses doigts occupés, elle inclinala tête pour se libérer de la pressionde son baiser. Leurs lèvres sedéplacèrent, puis se collèrent ; avechésitation, puis avec une plusgrande assurance, elle l'embrassaen retour.
Il s'était écoulé beaucoup tropde temps depuis qu'il l'avaitembrassée la dernière fois.
Devil savait que c'était vrai ; ilétait tellement affamé, si concentréà se rassasier de son goût enivrantque de longues minutes passèrentavant qu'il réalise qu'elle réagissait.Elle ne le laissait pas l'embrasserpassivement, elle ne lui offrait passimplement ses lèvres, sa bouchedouce. Elle l'embrassait en retour.Peut-être bien sans expérience,mais avec la même franchise
déterminée qui caractérisait tout cequ'elle entreprenait
La révélation l'arrêtamentalement. Elle se pressa plusprès, approfondissant le baiser desa propre volonté — chassant soninattention, il prit tout ce qu'elle luioffrait et se positionna goulûmentpour en recevoir plus. Puis, il sentitses mains sur son torse. Paumesglissant dessus, doigts écartés, elledessinait ses gros muscles, le lin finde sa chemise ne représentant pasde véritable obstacle à sa caresse.
Elle l'embrasait ! Brusquement,Devil se redressa, interrompantleur baiser. Cela ne fonctionna pas— les mains d'Honoria glissèrentsur ses épaules pendant qu'elles'étirait en se pressant sur lui ; quiamorça le baiser suivant étaitdiscutable. Avec un gémissement,Devil prit tout ce qu'elle donnait,ses bras se refermant avecpossessivité autour d'elle. Savait-elle ce qu'elle faisait ?
Son enthousiasme,l'empressement qu'elle démontrait
en se serrant contre lui, suggéraitqu'elle avait oublié tout principe dejeune fille qu'elle avait un jourappris. Cela suggérait aussi qu'ilétait temps de l'attirer plusprofondément. Mettant de côtétoute retenue, Devil l'embrassapassionnément, avidement, aussivoracement qu'il le désirait, lalaissant délibérément haletante.Levant la tête, il l'entraîna vers ungros fauteuil devant l'âtre; sa maindans la sienne, il libéra les deuxderniers boutons de son gilet, puis
s'assit.Levant les yeux sur elle, il arqua
un sourcil.Les sens pris dans un
tourbillon, la main serrée dans lasienne, Honoria lut la questiondans ses yeux. Il lui avait demandéune fois auparavant : à quel pointêtes-vous femme ?
Ses seins, déjà en feu, segonflèrent pendant qu'ellesoupirait. Délibérément, elles'avança à côté de ses genoux ets'assit, se tournant vers lui, faisant
glisser ses mains sur son torse,repoussant son gilet pour l'ouvrirlargement.
Sous ses mains, son torse enfla ;les lèvres de Devil trouvèrent lessiennes alors qu'il la soulevait,l'installait sur ses cuisses. Unepensée fugitive pesa sur l'espritd'Honoria — qu'elle avait déjà étélà, dans cette position auparavant.Elle la chassa comme une bêtise —elle n'aurait jamais pu oublier lasensation d'être enveloppée par lui,de ses cuisses dures sous elle, de ses
bras l'emprisonnant, de son torseformant un fascinant mur demuscles durs se déplaçant sur desos encore plus durs. Elle pressa sesmains contre lui, puis les fit glisser,aussi loin qu'elle pût aller. Lesmains de Devil sur son dosl'encourageaient à se presserdavantage ; ses seins frôlèrent sontorse. Puis, il modifia l'angle de leurbaiser et changea Honoria deposition, l'allongeant sur un bras.Immédiatement, la teneur de leurbaiser changea ; la langue de Devil
glissa avec sensualité sur la sienne,puis s'enroula autour — elle sentitson invitation. Réagissant, elle futattirée profondément dans un jeuintime, à pointer et à esquiver, decaresses ingénument évocatrices,d'un désir augmentantrégulièrement. Lorsque sa main sereferma sur son sein, elle s'arqua;ses longs doigts trouvèrent sonmamelon, tournant autour pourl'exciter avant de former unecaresse ferme, ce qui ne fitqu'augmenter le désir d'Honoria.
Mais sa main la quitta; leslèvres piégées sous les siennes,Honoria songeait à s'écarter pourprotester quand elle sentit soncorsage céder. Un instant plus tard,sa main se glissa sous le sergé,prenant son sein entier en coupe.
Elle s'enflamma ; pendant queses doigts se refermaient, puiscaressaient, son sein devint lourd.Honoria tenta d'interrompre leurbaiser pour reprendre son souffle ;il refusa de la libérer,approfondissant plutôt le baiser
pendant qu'elle sentait ses doigtsjouer avec les rubans de soie de sachemise. Étourdie, les sens hors decontrôle, elle sentit les rubanscéder, sentit la soie se déplacer etglisser — puis, sa main, ses doigtscaressèrent sa peau nue,intimement, sans se presser.
Une agréable fièvre monta etl'envahit, ses sens s'égayèrent.Chaque particule de consciencequ'elle possédait était fixée surl'endroit qu'il caressait. Avecchaque mouvement exploratoire de
ses doigts, il la connaissaitdavantage.
Devil interrompit leur baiserenivrant afin de pouvoir la fairelégèrement reculer et déplacer sesattentions sur le second sein. Elleavala avec difficulté une respirationfrémissante, mais elle garda lesyeux fermés et ne protesta pas ;lèvres recourbées, il lui offrit cequ'elle désirait. Sa peau était doucecomme du satin, somptueuse autoucher; ses doigts picotèrentpendant qu'il la caressait, sa paume
brûla lorsqu'il prit le poids léger encoupe. Sa taille donnait une fausseimpression de ses courbes ; chaquesein remplissait sa paume, unesensation sensuellementsatisfaisante. Sa seule plainte futqu'il ne pouvait pas voir ce que sesdoigts dessinaient ; sa robe devoyage était trop rigide, le styletrop bien coupé pour repousser lecorsage d'un côté.
Il revint au premier sein ; sesdoigts se resserrèrent. Les yeuxd'Honoria étincelèrent sous ses cils.
II surprit son regard.— Je vous veux, douce Honoria.Rauque de désir tenu en laisse,
sa voix était très grave.— Je veux vous contempler
nue, frémissante dans mes bras. Jeveux vous voir, nue, ouverte sousmoi.
Honoria ne put réprimer lefrisson qui la parcourut. Les yeuxpiégés dans les siens, elle s'efforçade reprendre son souffle, de calmersa tête prise de vertiges. Les traitsdu visage de Devil étaient acérés ;
le désir brillait sans ses yeux. Sesdoigts se déplacèrent; une flèche dejoie pure la transperça. Ellefrissonna encore.
— Je peux vous enseigner bienplus. Épousez-moi et je vais vousmontrer tout le plaisir que je peuxvous donner, et celui que vouspouvez me donner.
Si elle avait eu besoin d'unquelconque avertissement de sondegré de dangerosité, de sarésolution, il se trouvait dans cettedernière phrase ; Honoria entendit
résonner son sentiment depossessivité. Tout plaisir qu'il luidonnerait, elle devrait le payer —,mais la posséder serait-ilréellement un tel plaisir pour lui ?Et, étant donné tout ce qu'ellesavait à présent, être possédée, parlui, était-il encore un destin àcraindre ? Respirantsuperficiellement, elle leva la mainet la fit promener avec légèreté surson torse. Des muscles bougèrent,puis se contractèrent. À part undurcissement de ses traits, son
visage ne montra aucune réaction.Honoria sourit d'un air
entendu; levant la main, elledessina audacieusement samâchoire, traça la ligne sensuellede ses lèvres.
— Non, je crois que je vaismaintenant monter.
Ils se figèrent tous les deux,leurs regards fixés l'un sur l'autre.La voix de la douairière s'élevanettement dans le vestibulependant qu'elle donnait des ordresà Webster, puis ses talons
cliquetèrent quand elle passarapidement devant la porte de labibliothèque.
Les yeux grands ouverts,péniblement consciente que samain était fermement posée sur sonsein nu, Honoria avala.
— Je pense qu'il vaudrait mieuxque je monte.
Depuis combien de tempsétaient-ils là, à badinerscandaleusement ?
Le sourire de Devil devintdémoniaque.
— Dans une minute.Ce ne fut pas une, mais dix.
Quand elle grimpa enfin lesmarches, Honoria eut l'impressionde flotter. Atteignant la galerie, elleplissa le front. Le plaisir de Devil,soupçonnait- elle, pouvait créer unedépendance grave ; de sapossessivité, elle ne doutait pas.Mais, la passion ? Cela devrait êtreintense, incontrôlable, d'unepuissance explosive; Devil avaitgardé la maîtrise de lui-même toutau long. Le pli sur son front
s'accentua, elle secoua la tête et sedirigea vers le salon.
Chapitre 12
Je n'arrive pas à y croire !
Assise devant son bonheur-du-jour,Honoria fixait une unique feuillede papier parchemin dans sa main.Pour la troisième fois, elle lut lemessage simple, puis sa mâchoirese contractant de manièreinquiétante, elle se leva, lettre à lamain, et se dirigea vers labibliothèque.
Elle ne frappa pas. Elle ouvrit laporte à la volée et entra au pas.Devil, installé à sa place habituelle,arqua les sourcils.
— Je comprends qu'il y a un
problème.— En effet.Les yeux d'Honoria
étincelèrent.— Ceci !Avec un grand geste du bras,
elle déposa sa lettre sur le bureau.— Expliquez cela, je vous prie,
monsieur le duc.Devil prit la lettre et la
parcourut du regard, ses lèvres secrispant quand il en comprit lateneur. La laissant tomber sur sonbuvard, il s'adossa contre son
dossier, observant Honoria encoredebout devant son bureau, brascroisés, les yeux lançant des éclairs— l'image même de la viragointempérante.
— Je ne pensais pas vraimentque vous poseriez la question.
— Vous ne pensiez pas que jeposerais la question ?
Le regard qu'elle posa sur luidébordait de mépris incrédule.
— Quand je dépense une petitefortune chez la couturière, jem'attends à recevoir une facture.
Bien sûr que j'ai posé la question !Devil jeta un coup d'œil à la
lettre.— Il semble que vous avez reçu
une réponse.— Pas celle que je souhaitais
recevoir.Se tournant pour faire les cent
pas, ses jupes bruissant, Honorias'arrêta assez longtemps pourl'informer à travers des dentsserrées :
— Il est, comme vous le savezparfaitement, totalement
inacceptable que vous payiez magarde-robe.
— Pourquoi?Abasourdie, elle s'arrêta et le
dévisagea.— Pourquoi?Puis, elle plissa les yeux vers
lui.— Vous traitez avec vos
conquêtes depuis trop longtemps,monsieur le duc. Bien qu'il soit derigueur* de dépenser sans compterpour combler de telles femmes desplus belles créations de Celestine,
ce n'est pas une pratique acceptéepour les gentlemen de fournir leursgarde-robes à des femmes decaractère.
— Bien que j'hésitenaturellement à vous contredire,Honoria Prudence, vous avez tortsur les deux points.
Avec un sang-froidimperturbable, Devil prit sa plumeet sa lettre suivante.
— Il est parfaitementacceptable pour les gentlemen defournir des garde-robes à leurs
épouses. Demandez à n'importequelle connaissance de Maman —je suis certain qu'elles confirmerontce fait.
Honoria ouvrit la bouche — etil continua avant qu'elle puisseparler :
— Et en ce qui concerne lesecond point, je ne l'ai pasfait.
Honoria fronça les sourcils.— Pas fait quoi ?Devil leva les yeux et soutint
son regard.
— Je n'ai pas dépensé sanscompter pour obtenir les plus bellescréations de Celestine pour aucunede mes conquêtes.
Le visage d'Honoria perdittoute expression.
— C'était ce que vous vouliezdire, non ?
Honoria se redressa.— C'est sans importance. Ce
qui est important est le fait que jene suis pas votre femme.
Devil baissa les yeux.— Une incohérence mineure
qui sera sans aucun doute corrigéeavec le temps.
Avec une série de traits gras, ilsigna sa lettre.
Inspirant profondément,Honoria serra les mains devant elleet s'adressa à l'air au-dessus de satête.
— J'ai bien peur, monsieur leduc, que je ne puisse pas accepter laprésente situation. Elle esttotalement inappropriée.
Jetant un coup d'œil hautain,elle regarda pendant que Devil
tendait la main vers une nouvellelettre.
— Tout être raisonnable verraitinstantanément, et reconnaîtrait, cefait.
Avec un calme non diminué,Devil prit sa plume et la trempadans l'encrier. Honoria serra lesdents.
— Je dois exiger que vousm'informiez du total de la facturede Celestine et me permettre devous rembourser la somme.
Devil signa son nom, sécha
l'encre, déposa sa plume sur sonsupport et leva les yeux.
— Non.Honoria scruta ses yeux — son
regard vert était transparentcomme un joyau, dur etcatégorique. Sa poitrine se gonflapendant qu'elle inspiraitsolennellement ; elle pressafermement les lèvres ensemble,puis hocha la tête.
— Très bien. Je vais toutrenvoyer.
Elle tourna les talons et se
dirigea vers la porte.Devil avala un juron et se leva
de son fauteuil. Il avait contournéle bureau et marchait à grands pasdans le sillage d'Honoria bien avantqu'elle atteigne le centre de lapièce. Elle tendait la main vers lapoignée de porte quand il lasouleva.
— Que... !Honoria lui tapa les mains,
refermées sur sa taille.— Déposez-moi, espèce de mufle
arrogant !
Devil obéit, mais juste assezlongtemps pour la faire pivoter afinqu'elle le regarde en face. Il gardales mains fermement autour de sataille, la tenant à distance. Pour lapropre sécurité d'Honoria. L'effetqu'elle avait sur lui quand elle étaithautaine était déjà assez marqué;hautaine et furieuse en mêmetemps le faisait se tendre commeun ressort prêt à lâcher. Un touchernon averti et il pourrait perdre lamaîtrise de lui-même — ce qui lasurprendrait assurément.
— Arrêtez de remuer. Calmez-vous.
Ce conseil fut accueilli par unregard colérique. Devil soupira.
— Vous savez que vous nepouvez pas renvoyer ces choses àCelestine — comme je les ai déjàpayées, elle ne ferait que lesréexpédier à son tour. Tout ce quevous réussirez à faire est d'informerCelestine, son personnel et monpersonnel que vous piquez unecrise de nerfs incompréhensible.
— Je ne pique pas une crise de
nerfs, déclara Honoria. J'agis avecune réticence exemplaire. Si jedonnais libre cours à messentiments, je crierais !
Devil resserra sa prise.— C'est ce que vous faites.Le regard mauvais d'Honoria
devint menaçant.— Non. Je peux crier avec
beaucoup plus d'énergie.Devil tressaillit - et banda les
muscles de ses bras. Ilallait sans contredit mettre cetteprétention à l'épreuve. Plus tard. Il
emprisonna son regard courroucédans le sien.
— Honoria, je ne vais pas vousdivulguer un montant que vousn'avez pas besoin de connaître, etvous n'allez pas tenter de retournerces robes à Celestine.
Le regard gris d'Honoria devintd'acier.
— Vous, mon seigneur, êtes leplus arrogant, le plus dominateur,autoritaire, tyrannique desdespotes césariens que j'ai jamais eula malchance de rencontrer.
Devil leva un sourcil.— Vous avez oublié
autocratique.Elle le dévisagea ; il pouvait
sentir la frustration croître en elle,enflant comme un volcan sur lepoint d'exploser.
— Vous êtes impossible !Le mot sonna comme un
sifflement — comme de la vapeurqui s'échappe.
— J’ai acheté ces robes ; j'ai ledroit et le devoir de payer pourelles.
— Faux ; en tant que votremari, ce droit et ce devoirm'appartiennent.
— Seulement si je requiers votreassistance ! Ce que je n'ai pas fait !Et même si j'avais besoin d'aide, jene pourrais pas vous la demanderparce que...
Honoria inspira profondémentet articula avec soin :
— Nous ne sommes... pas... mariés!
— Encore.Renchérir sur cette syllabe
laconique aurait dû être impossible;Honoria recourut à un regardbouillant de colère digne d'unopéra et elle poursuivit malgrétout.
— Si vous croyez que je nepeux pas payer un tel montant,vous avez tort. Je suis parfaitementprête à vous présenter à RobertChild de Child's Bank, qui gère mesbiens. Je suis certaine qu'il se feraun plaisir de vous informer que jene suis pas une pauvresse !
Elle poussa encore une fois sur
le bras de Devil ; fronçant lessourcils, il la lâcha.
— Je n'ai pas payé parce que j'aicru que vous ne le pouviez pas.
Honoria lui jeta un regardmauvais ; les yeux de Devilaffirmaient dire la vérité.
— Bien, dit-elle, quelque peuapaisée, si ce n'était pas la raison,alors pourquoi ?
La mâchoire de Devil secontracta.
— Je vous l'ai dit.Honoria dut y repenser, puis,
ses propres traits se durcissant, ellesecoua la tête.
— Non, non, non ! Même si nousétions mariés, vous n'auriez aucundroit de payer les factures quim'appartiennent, à moins que jevous le demande. En fait, je n'arrivepas à trouver une raison pourlaquelle Celestine vous a expédié lafacture en premier lieu.
Elle hésita sur les derniers motset leva les yeux, directement dansceux de Devil. Brusquement, elleplissa les siens.
— C'était vous, n'est-ce pas ?Vous qui avez envoyé cette note àCelestine ?
Exaspéré, Devil la regarda enfronçant les sourcils.
— Ce n'était qu'un motd'introduction.
— En tant que quoi ? Votrefemme ?
Quand il ne répondit pas,Honoria grinça des dents.
— Que diable vais-je faire avecvous ?
Les traits de Devil se durcirent.
— M'épouser.Sa voix était un grondement
frustré.— Le reste viendra
naturellement.Honoria releva le menton.— Vous vous montrez
délibérément obtus. Puis-je, je vousprie, obtenir mon compte deCelestine ?
Accentuant son froncement quiassombrissait ses yeux, Devil baissala tête vers elle.
— Non.
L'unique syllabe était fortifiéepar des siècles de pouvoirincontesté.
Honoria soutint posément sonregard — et elle sentit sa colèreenflée, son indignation montée enflèche. Leurs regards s'affrontant,elle pouvait sentir leurs volontés,des entités tangibles, directementopposées, ni l'une ni l'autre necédant d'un iota. Lentement, elleplissa les yeux.
— Comment, demanda-t-elled'une voix d'un calme inébranlable,vous imaginez-vous que je me sensen sachant que chaque petit boutde tissu que je porte a été payé parvous?
Instantanément, elle vit sonerreur — elle l'aperçut dans sesyeux, dans le changement subtil quiéclaira le vert, dans la réflexion quipassa brièvement dans leursprofondeurs.
Il s'approcha.— Je ne sais pas.
Sa voix s'était assourdie pour setransformer en ronronnementrauque; son regard devint d'uneintensité hypnotique.
— Dites-le-moi.Déboussolée en son for
intérieur, Honoria vit s'évaporertoute chance d'obtenir la facture deCelestine.
— Je ne crois pas que nousayons autre chose à discuter,monsieur le duc. Si vous voulezbien m'excuser ?
Elle entendit ses propres mots,
froids et distants. Le regard deDevil se durcit; son expression étaitaussi dominée que la sienne. Ilscruta ses yeux, puis, avec unepolitesse rigide, il inclina la tête etfit un pas de côté, lui libérant lavoie vers la porte.
Le souffle manqua à Honorialorsqu'elle tenta d'inspirer. Elleexécuta une petite révérence, puis,majestueusement droite, elle glissaavec grâce vers la porte, conscientede son regard, de la chaleurmiroitante sur son dos jusqu'à ce
que la porte se referme entre eux.Elle ferma cette porte avec un
petit bruit sec.La température, imitantl'atmosphère dans la Résidence St-Ives, devint résolument froide.Trois nuits plus tard, bien installéedans un coin de la voiture de villede St-Ives, Honoria regarda unpaysage sombre et morne fouettépar le vent et la pluie incessante. Ilsétaient en route vers Richmondpour le bal de la duchesse deRichmond ; la haute société en
entier serait présente, Cynstercompris. Aucun membre de lafamille ne danserait, mais uneapparition était obligatoire.
Ce n'était pas, toutefois, laperspective de son premiervéritable bal qui lui mettait lesnerfs en boule. La nervosité qui latenaillait était entièrementattribuable à la silhouetteimpressionnante, vêtue de noir, seprélassant directement en faced'elle et dont la tension intérieure,similaire à la sienne, irradiait dans
l'obscurité. Le Seigneur de l'Enfern'aurait pas pu avoir une maîtriseplus complète de l'âme d'Honoria.
La mâchoire de celle-ci se raidit; son entêtement enfla. Son regardcollé sur la misère au-delà de lafenêtre, elle évoqua une image dugrand sphinx. Son destin. Elle avaitcommencé à vaciller, à sedemander si, peut-être... jusqu'à ladémonstration qui lui avait prouvéqu'un tyran ne changeait jamais sesmanières. C'était, elle lereconnaissait, une profonde
déception qui avait laissé unétrange vide en elle, comme si onlui avait offert un cadeau, puisreprit.
Flamboyante sous les lumières,la Maison Richmond brillait dansl'obscurité. Leur voiture rejoignitune longue file menant auportique. D'innombrables arrêts etdéparts brusques plus tard, laportière de la voiture s'ouvrit ;Devil déroula son long corps etdescendit. Il aida la douairière àmonter les marches du porche, puis
revint. Évitant son regard, Honoriadéposa ses doigts dans les siens etlui permit de l'assister, puis del'escorter dans le sillage de ladouairière.
Négocier les marches s'avéraune épreuve imprévue ; la pressioninflexible des corps les obligeait àrester près l'un de l'autre. Si prèsqu'elle pouvait sentir la chaleur deDevil l'atteindre, sentir sa forcel'envelopper. La finesse de sa robede soie lavande ne fit qu'accentuersa sensibilité ; quand ils arrivèrent
en haut de l'escalier, elle ouvrit sonéventail d'un petit coup de poignet.
La duchesse de Richmond étaitravie de les recevoir.
— Horatia est près du jardind'hiver.
La duchesse effleura la joueparfumée de la douairière, puistendit la main à Honoria.
— Hum... oui.L'examinant d'un regard
critique alors qu'elle se relevait desa révérence, le visage de laduchesse s'égaya d'un sourire
rayonnant.— C'est un plaisir de vous
rencontrer, ma chère.Libérant Honoria, elle jeta un
regard malicieux à Devil.— Et vous, St-Ives? Comment
trouvez-vous la vie en tant quegentleman presque fiancé ?
— Éprouvante.L'expression neutre, Devil lui
serra la main.La duchesse sourit.— Je me demande pourquoi.Jetant un coup d'œil rieur en
coin à Honoria, la duchesse leschassa d'un geste de la main.
— Je vais me fier à vous, St-Ives, pour divertir mademoiselleAnstruther-Wetherby de manièreappropriée.
Avec une correctionabrutissante, Devil lui offrit sonbras; exactement dans la mêmeveine, Honoria posa le bout de sesdoigts dessus et lui permit de laguider dans le sillage de ladouairière. Elle garda la tête haute,scrutant la foule à la recherche de
visages familiers.Plusieurs étaient trop familiers.
Elle aurait aimé pouvoir retirer samain de sur la manche de Devil,s'écarter d'un pas seulement, assezpour mettre un peu de distanceentre eux.
Cependant, la haute sociétés'était tellement habituée à l'idéequ'elle était sa duchesse en devenir,qu'elle était sienne, que toute tracede dispute dirigeraitimmédiatement tous les yeux sureux, ce qui serait encore pire.
Son masque serein en place,elle dut laisser ses nerfs souffrir desa proximité. Devil l'amena à unendroit juste au-delà de laméridienne où la douairière etHoratia Cynster étaient assises,entourées par une coterie devieilles dames. En quelquesminutes, ils furent eux-mêmesencerclés par des amis, desconnaissances et les inévitablesCynster.
Le groupe autour d'euxaugmenta et diminua, puis
augmenta et diminua. Ensuite, ungentleman d'une élégance suave sematérialisa dans la foule pour venirgracieusement s'incliner devantelle.
— Chillingworth, ma chèremademoiselle Anstruther-Wetherby.
Se redressant, il lui sourit d'unefaçon charmante.
— Nous n'avons pas étéprésentés, mais je connais votrefrère.
— Michael?
Honoria lui offrit sa main. Elleavait entendu parler du comte deChillingworth; de réputation, ilétait l'égal de Devil Cynster.
— L'avez-vous vu récemment ?— Ah, non.Chillingworth pivota pour
saluer lady Waltham etmademoiselle Mott. Lord Hill etmonsieur Pringle se joignirent augroupe, distrayant les deux autresdames ; Chillingworth se tourna denouveau vers Honoria.
— Michael et moi fréquentons
le même club.« Et peu d'autres choses »,
soupçonnait Honoria.— Vraiment? Et avez-vous vu
la pièce au Royal Theatre ?Lady Waltham était devenue
lyrique en parlant de la production,mais elle n'arrivait pas à sesouvenir de son titre.
Les sourcils du comtes'élevèrent.
— Tout un tour de force*.Il jeta un coup d'œil à Devil,
absorbé par lord Malmsbury.
— Si St-Ives est incapable devous y accompagner, je pourraisorganiser un groupe, auquel vousconsentiriez peut-être à vousjoindre ?
D'une séduisante beautéclassique, bien proportionné, assezgrand pour baisser le regard verselle, Chillingworth incarnait le rêvede la demoiselle — et le cauchemard'une mère prudente. Honoriaouvrit grands les yeux.
— Mais vous avez déjà vu lapièce, mon seigneur.
— Regarder la pièce ne seraitpas l'objectif, ma chère.
Honoria sourit.— Mais il serait le mien, mon
seigneur, ce qui pourrait vousdécevoir.
Une lueur d'approbationéclaira les yeux de Chillingworth.
— Je me doute, mademoiselleAnstruther-Wetherby, que je nevous trouverais pas décevante dutout.
Honoria arqua un sourcil;simultanément, elle sentit une
agitation à côté d'elle.Chillingworth leva les yeux et
hocha la tête.— St-Ives.— Chillingworth.La grave voix traînante de
Devil contenait une menace subtile.— Quel hasard t'a amené ici ?Le comte sourit.— Seulement la chance; je me
suis arrêté pour offrir mes respectsà mademoiselle Anstruther-Wetherby.
Son sourire s'épanouit.
— Mais en parlant de hasard, jene t'ai pas vu aux tables de jeurécemment. D'autres affaires tetiennent-elles occupé ?
— Comme tu le dis, réponditDevil d'un ton réservé. Toutefois, jesuis étonné que tu ne sois pas alléau nord pour la chasse. LordOrmeskirk et sa dame sont déjàpartis, ai-je entendu dire.
— En effet ; mais on ne devraitpas s'inviter sans avoir la certituded'être le bienvenu, ce à quoi tu essensible, j'en suis sûr.
Devil arqua un sourcil.
— En supposant que cetteinvitation ne soit pas déjà derrièresoi.
Honoria résista à l'envie delever les yeux au ciel. Les cinqminutes suivantes furent unerévélation; Devil et Chillingworthéchangèrent des pointes aussiacérées que des sabres, leur rivalitéévidente en soi. Puis, comme s'ilsétaient satisfaits d'avoir accompliune espèce de routine prescrite, la
conversation passa aux chevaux etemprunta par conséquent une voieplus amicale. Quand le sujets'épuisa, Chillingworth se tournavers la politique, l'attirant dans ladiscussion. Honoria se demandapourquoi.
Un cri strident fut son premieravertissement d'une épreuveimminente. Tout le monde regardavers l'estrade à l'autre extrémité dela salle. Une plainte suivie d'unepoignée de notes pincées confirmal'hypothèse générale; un
bourdonnement s'élevaaccompagné d'une agitationbruyante alors que des partenairesétaient sollicités pour la premièrevalse.
Reportant son regard surChillingworth, Honoria le vitsourire.
— Puis-je vous tenter à venirsur le plancher de danse,mademoiselle Anstruther-Wetherby ?
Avec cette question simple, il lamit sur la sellette. Avec courtoisie
et franchise, sans aucune marge demanœuvre pour elle. Pendantqu'elle examinait les yeux noisetteet interrogateurs de Chillingworth,l'esprit d'Honoria réfléchissait àtoute vitesse, mais elle n'avait pasbesoin de penser pour connaîtrel'opinion de Devil. Le bras sous sesdoigts était rigide ; bien qu'ilsemble s'ennuyer aussi élégammentque jamais, chacun de ses musclesétait tendu.
Elle voulait danser, avait eul'intention de danser — avait
attendu avec impatience sapremière valse dans la capitale. Etelle avait su que Devil, portanttoujours un brassard noir, nel'accompagnerait pas sur leplancher. Jusqu'à la fête «informelle » chez Celia, elle avaiteu pleinement l'intention de valseravec d'autres, émettant parconséquent une déclaration clairequ'elle vivrait sa propre vie,prendrait sespropres décisions et qu'elle était sapropre maîtresse, et non la sienne.
Cette valse devait être sadéclaration — et quel meilleurpartenaire avec qui souligner sonpoint que Chillingworth?
Il patientait, en apparencecharmant, mais la surveillait deprès; les musiciens accordaientleurs instruments à cordes. Devill'observait aussi — il pouvait bienêtre hédo- nistique, il pouvait êtreimprévisible, mais ici, dans la sallede bal de la duchesse de Richmond,il ne pouvait pas l'empêcher d'agircomme elle le désirait. Donc, que
désirait-elle ?Calmement, Honoria tendit la
main.— Merci, mon seigneur.La satisfaction flamba dans les
yeux de Chillingworth; Honoriaarqua un sourcil.
— Mais je ne danse pas ce soir.À son honneur, la lumière dans
ses yeux ne faiblit pas,contrairement à son expression detriomphe. Pendant un instant, ilsoutint le regard d'Honoria, puisjeta un coup d'œil aux autres dames
de leur groupe. Reportant sonregard sur Honoria, il leva unsourcil résigné.
— Comme cela estextrêmement cruel de votre part,ma chère.
Ses mots étaient trop bas pourêtre entendu par toute personneau-delà d'Honoria et de Devil.Chillingworth leva les sourcilsfugitivement vers Devil, puis, avecun dernier signe de tête pourHonoria, il se retourna et avec unegrâce sans faille il sollicita la main
de mademoiselle Mott.Devil attendit jusqu'à la fin de
la danse pour attirer l'attention desa mère. Elle lui fit une grimace,mais lorsqu'il insista, elle céda àcontrecœur. Plaçant sa main par-dessus les doigts d'Honoria,toujours posés sur sa manche, il lafit pivoter vers la méridienne.Perplexe, elle leva la tête vers lui.
— Maman* souhaite partir.Prenant la douairière en
chemin, ils prirent congé de leurhôtesse. Acceptant la cape
d'Honoria d'un valet de pied, Devilla drapa sur ses épaules,combattant l'envie de déposer sesmains, même brièvement, sur lescourbes doucement arrondies. Samère réquisitionna le majordomedes Richmond, le laissant menerHonoria en bas des marches etl'aider d'une main à monter envoiture.
La portière se referma sur eux,enveloppant Devil dans uneobscurité sécuritaire ; le harnaiscliqueta et ils se mirent en route
vers la maison. Et il était toujourssain d'esprit. Tout juste.
Installé dans un coin, Devilessaya de se détendre. Il avait ététendu en se rendant à la MaisonRichmond, il avait été tendupendant qu'il y était. Il était encoretendu maintenant — il ne savaitpas tout à fait pourquoi.
Cependant, si Honoria avaitaccepté l'invitation deChillingworth, cela aurait fait unescène épouvantable. La possibilitéqu'elle ait refusé son invitation
uniquement pour épargner sessentiments était presque aussiinacceptable que son soulagementqu'elle l'ait fait.
L'attitude de protection, il lacomprenait, la possessivité, il lacomprenait — les deux formaientune partie bien établie de sontempérament. Toutefois, que diableétait-ce cela qu'il expérimentaitmaintenant — cette obsessionqu'elle lui faisait ressentir? Ilignorait ce que c'était, mais il savaitqu'il n'aimait pas cela. La
vulnérabilité en faisait partie, etaucunCynster ne pouvait accepter cela.Ce qui soulevait la question —quelle était l'autre éventualité ?
La voiture continua à grondersur la route. Devil était assis dansson coin, son regard ombragé fixésur le visage d'Honoria, et ilméditait sur l'impondérable.
Il n'avait atteint aucuneconclusion quand la voiture s'arrêtaen oscillant devant sa porte. Desvalets de pied coururent en bas des
marches; sa mère sortit en premier,Honoria la suivit.
Grimpant l'escalier dans sonsillage, Devil pénétra dans levestibule sur ses talons.
— Je monte directement; jevous verrai demain, mes chéris.
Avec un majestueux signe de lamain, la douairière se dirigea àl'étage.
Cassie arriva en courant poursoulager Honoria de sa lourde cape;Webster apparut à côté de Devil.Celui-ci retira sa cape de soirée
d'un coup d'épaule.— Maître Alasdair vous attend
dans la bibliothèque, VotreSeigneurie.
Webster transmit le messagesotto voce, mais alors qu'il setournait pour regarder sonmajordome, Devil eut un aperçu duvisage d'Honoria — et de sonexpression de saisissement.
— Merci, Webster.
Replaçant ses manches, Devil seretourna vers Honoria.
— Je vous souhaite une bonnenuit, Honoria Prudence.
Elle hésita, ses yeux croisantbrièvement les siens, puiselle inclina la tête avec raideur.
— Et je vous souhaite unebonne nuit, monsieur le duc.
Avec une morgue froide, elle
pivota et grimpa les marches. Devilla regarda monter, ses hanchesoscillant doucement ; quand elle
disparut de sa vue, il inspiraprofondément, expira lentement —puis, il se dirigea vers labibliothèque.
Extraire du sang d'une pierreserait sans aucun doute plus facile,mais Honoria n'était pas sur lepoint de permettre à Devil de luirefuser les dernières nouvelles. Ellen'allait pas l'épouser — elle l'avaitprévenu à plusieurs reprises qu'ellene le ferait pas —, mais elle étaitencore déterminée à démasquer lemeurtrier de Tolly. Elle avait
partagé l'information qu'elle avaitdécouverte ; c'était à son tour de luirendre la pareille.
Elle entendit le loquet du petitsalon cliqueter ; pivotant pour yfaire face, elle se redressa. Devilentra et referma la porte. Il labalaya du regard, puis il revint àson visage ; de son habituel paslangoureux de prédateur, ils'approcha.
— On m'a dit que voussouhaitiez me voir.
Son ton et l'élévation d'un
sourcil foncé suggéraient un légerennui.
Majestueusement, Honoriainclina la tête et garda les yeuxdans les siens. Tout le reste de lui— son expression distante, sesmouvements maîtrisés avec tantd'élégance, tous les éléments de saprésence physique — était calculépour souligner son autorité. Lesautres pouvaient considérer lacombinaison comme intimidante,elle la trouvait seulementdistrayante pour son esprit.
— En effet.Il s'arrêta devant elle. Levant le
menton, elle le fixa avec un regardaussi incisif que le sien était neutre.
— Je désire connaître lesdernières nouvelles dans l'enquêtesur le meurtrier de Tolly. Qu'aappris Lucifer ?
Les sourcils de Devil s'élevèrentdavantage.
— Une chose sans importance.Les yeux d'Honoria se
plissèrent.— Il a attendu jusqu'à une
heure dans la nuit pour vousrapporter « une chose sansimportance » ?
Devil hocha la tête. Honoriascruta ses yeux ; les siens étaientronds comme des billes.
— Vous mentez !Devil jura en son for intérieur.
Qu'est-ce qui le trahissait ?— Lucifer n'a rien découvert
qui pourrait nous mener à l'assassinde Tolly.
Honoria le dévisagea.— Ce n'est pas vrai non plus.
Fermant les paupières, Deviljura dans sa barbe.
— Honoria...— Je n'arrive pas à y croire ! Je
vous ai aidé ; c'est moi qui aidécouvert que Tolly n'était paspréoccupé quand il a quitté lamaison de ses parents.
Ouvrant les yeux, Devil vit sonmenton se relever, son regardchanger. Avant qu'elle puisse selancer dans ses pérégrinationshabituelles, il referma ses deuxmains sur le manteau de la
cheminée, une de chaque côtéd'elle, la mettant en cage. Folle derage, elle lui jeta un regard noir.
— Croyez-moi, dit-il,emprisonnant son regard enflammé. Je vous suisreconnaissant pour votre aide. Lesautres concentrent leur attention àdécouvrir où s'est rendu Tolly aprèsavoir quitté Mount Street. Ce queLucifer est venu rapporter estquelque chose d'entièrementdifférent.
Il marqua une pause,choisissant ses mots avec soin.
— Ce n'est peut-être rien, maisce n'est pas une chose sur laquellevous pouvez nous aider à menerune enquête.
Honoria considéra la preuvedans ses yeux — ils demeurèrentclairs comme du cristal. Chaquefois qu'il mentait, ils se brouillaient.Elle hocha la tête.
— Très bien. Je vais poursuivrema propre enquête, à ma manière.
Les mains de Devil serrèrent le
manteau de la cheminée.— Honoria, nous parlons de
retrouver un meurtrier — unassassin sans pitié — pas dedécouvrir qui a volé les tartes de laReine de cœur.
— J'avais assimilé ce fait,monsieur le duc.
Honoria releva le mentonencore plus haut.
— En effet, avant mon départpour l'Afrique, j'ai l'intention devoir ce vaurien être arrêté.
La mâchoire de Devil se
contracta.— Vous n'irez pas en Afrique et
vous resterez bien loin de cevaurien.
Ses yeux lancèrent des éclairs ;elle éleva le menton d'un cran deplus.
— Vous êtes très doué pourdonner des ordres, monsieur le duc,mais vous avez oublié un pointpertinent. Je ne suis pas soumise àvotre autorité. Et je ne le seraijamais.
Ces quatre derniers mots furent
la perte de Devil ; rapide commel'éclair, il se redressa, la tira dansses bras et déposa ses lèvres sur lessiennes. Dans son état actuel, c'étaitde la pure folie d'essayer de lacontraindre, de tenter d'imposer savolonté de cette façon.
De la pure et totale folie.Elle emporta Honoria, secoua
ses sens, l'arrachant à la réalité.Seules sa fureur et son empriseintuitive sur Devil lui permirent derésister. Ses lèvres étaient dures,exigeantes, exploratrices —
cherchant une réponse qu'elle avaitenvie — mourrait d'envie — de luidonner. Elle referma ses lèvres surles siennes.
Ses bras l'emprisonnèrent ; del'acier inébranlable, ils seresserrèrent, marquant sa chairdouce de sa dureté masculine. Lasensation la submergea d'un coup ;sa peau picota. Encore, elle tintbon, se cramponnant à sa colère,l'utilisant comme un bouclier.
Il inclina la tête, ses lèvres sedéplacèrent sur les siennes ; un
appel puissant, primitif à tous lessens d'Honoria. Prise dans untourbillon en son for intérieur, elles'accrochait à sa lucidité,convaincue d'une chose seulement.Il l'embrassait pour la soumettre. Etil réussissait.
Miette par miette, elle perditprise sur sa colère; une chaleurfamilière la submergea. Elle sesentit mollir, sentit ses lèvresperdre leur résolution, sentitfondre toute résistance. Ledésespoir s'empara d'elle. La
capitulation était trop exaspérantepour la considérer.
Ce qui laissait l'attaque commeson seul choix. Ses mains étaientcoincées contre son torse ; lesfaisant glisser vers le haut, elletrouva les lignes dures de sonvisage. Il s'immobilisa sous sacaresse ; avant qu'il puisse réagir,elle encadra sa mâchoire de sesmains — et elle l'embrassa.
Les lèvres de Devils'entrouvrirent — elle glissa salangue pour l'entremêler à la
sienne avec défi. Son goût étaitpuissant — merveilleusement,primitivement mâle — unesensation qui lui fit tournoyerl'esprit s'empara d'elle. Il n'avaitpas bougé — instinctivement, elleintensifia sa caresse, inclinant leslèvres sur les siennes.
La passion.Elle éclata en elle, dans ses sens,
comme une marée chaude. Elles'élevait de lui et entre eux, sedéversant en elle, vague aprèsvague de sensation exquise,
d'émotion intense et enivrante,d'obsession voleuse d'âmes.
En un battement de cœur, ellefut la meneuse, l'instant suivant, ilreprit les commandes, ses lèvresdures, son corps une cage d'acierl'encerclant. Une cage dont elle nesouhaitait plus s'échapper. Elle selivra, cédant avec plaisir ; affamé, illui vola jusqu'à son souffle. Lesseins douloureux, le cœur battantdans un tonnerre assourdissant,Honoria le réclama comme unevoleuse.
Entre eux, le désir couva,flamba, puis explosa, les flammesléchant avidement, dévorant touteréticence. Honoria s'abandonna àelles, au plaisir qui l'appelait, àl'excitation du désir, à l'enviepressante du besoin en fusion.
Elle se pressa contre lui,ouvertement séduisante, leshanches se déplaçant en une prièreinconsciente. Ses doigts glissantdans ses cheveux épais, elle sedélecta de la faim brute quis'élevait, nue, primitive, entre eux.
Leurs lèvres s'écartèrentlégèrement, pendant moins d'unbattement de cœur; qui des deuximprima le baiser suivant étaitdiscutable.
Ils étaient perdus ensemble,piégés dans un vortex, aucun desdeux en contrôle, au-delà de laraison. La faim monta, grossit ;l'urgence augmenta, inexorable,impérieuse.
Un puissant vacarme lesramena brutalement à la réalité.
Devil leva la tête, ses bras se
resserrant d'une manièreprotectrice alors qu'il regardait versla porte. Haletante, Honorias'agrippa à lui, l'esprit littéralementen déroute; hébétée, elle suivit sonregard.
Derrière la porte leurparvenaient des bruits de calamité— des gémissements et desrécriminations échangés par deuxservantes — ensuite, la voix sonorede Webster s'éleva dans le tumulte,mettant fin aux plaintes. Suivirentle son de verre qui tintait et le
raclement d'un balai à poussière surles lattes polies.
Honoria pouvait à peinedistinguer les sons dans le bruitassourdissant dans ses oreilles. Soncœur battait violemment; il luifallait toujours reprendre sonsouffle. Les yeux grands ouverts,elle regarda le visage de Devil — ety vit le même désir impérieux, lamême envie inassouvie quil'empoignaient reflétés dans sesyeux argentés. Des flammesilluminaient leurs centres de cristal;
des étincelles crépitèrent.Sa respiration était aussi
superficielle que la sienne. Chaquemuscle du corps de Devil étaittendu, crispé. Comme un ressortprêt à se rompre.
— Ne bougez... pas.Il prononça les mots d'un ton
tranchant ; ses yeux flamboyaient.Étourdie, à peine capable d'avalersa prochaine respiration, Honoriane songea même pas à désobéir. Leslignes du visage de Devil n'avaientjamais paru si dures, aussi taillées
au couteau. Ses yeux retenaientposément les siens ; elle n'osait pascligner des paupières alors que,raide, il tentait de combattre laforce qui les consumait — lapassion qu'elle avait libérée.
Degré après douloureux degré,la tension qui les tenait diminua. Ilferma les paupières, ses longs cilsvoilant la tempête qui faiblissait.Graduellement, ses muscles tenduss'apaisèrent; Honoria respira denouveau.
— La prochaine fois que vous
ferez cela, vous finirez sur le dos.Ses mots ne contenaient
aucune menace ; ils exprimaient unsimple fait.
Hédonistique, imprévisible —elle avait oublié le côté sauvage.Une étrange excitation latransperça, immédiatementsubmergée par une vague deculpabilité. Elle avait vu l'effort quesa tactique naïve avait coûté à Devil; des restes de leur passionflambaient encore autour d'eux, lui
léchant les nerfs, frissonnant sur sapeau. Les paupières de Devils'ouvrirent lentement ; elle soutintson regard sans broncher.
Et elle posa une main sur sajoue.
— Je ne savais pas...L'instabilité les engouffra alors
qu'il reculait brusquement.— Non...Ses traits se durcirent ; son
regard la transperça.— Partez. Tout de suite.
Honoria plongea les yeux dansles siens — et elle obéit. Elle sedégagea de ses bras ; ilsretombèrent en s'écartant d'elle,mais pas de bon cœur. Avec undernier regard hésitant, elle sedétourna ; tête haute, secouéejusqu'au bout de ses pieds, elle lequitta.
Les trois jours qui suivirent furentles plus difficiles qu'Honoria n'eutjamais affrontés de sa vie. Troublée,
les nerfs perpétuellement en boule,l'estomac durement noué, elles'efforça de trouver une façon de sesortir de l'impasse devant elle.Dissimuler son état à la douairièredrainait son énergie, pourtant, êtreseule n'était pas un choix enviable ;une fois libre, son esprits'appesantissait constamment surce qu'elle avait vu, ce qu'elle avaitressenti, ce qu'elle avait appris dansle petit salon.
Ce qui ne faisait qu'ajouter à
son affolement.Son unique consolation était
que Devil semblait aussi troubléqu'elle. D'un commun accord, leursyeux se croisaient, mais brièvement; chaque toucher — quand il prenaitsa main ou qu'elle la déposait surson bras — les secouait violemmenttous les deux.
Il lui avait dit dès le début qu'illa voulait ; elle n'avait pas comprisce qu'il voulait dire. Aujourd'hui,elle savait — au lieu de l'effrayer ou
de la choquer, l'intensité physiquedu besoin de Devil l'excitait. Elles'en délectait; à un niveaufondamental, son cœur chantaitcarrément.
Ce qui lui laissait un sentimentde méfiance extrême.
Elle se tenait debout devant lafenêtre de son boudoir, retournantsa situation dans son esprit quandun coup fut frappé à la porte.
Son cœur s'arrêta de battre uneseconde. Elle se redressa.
— Entrez.La porte s'ouvrit vers l'intérieur
; Devil était sur le seuil. Il leva unsourcil dans sa direction.
Honoria l'imita.Ses lèvres formant une mince ligne,il pénétra dans la pièce, refermantla porte dans son dos. Sonexpression était indéchiffrable —pas impassible au point dedissimuler délibérément touteinformation.
— Je suis ici pour présenter mesexcuses.
Honoria soutint posément sonregard, certaine que le mot «excuses » franchissait rarement seslèvres. Ses émotions prirent leurenvol, seulement pour s'écraser uneseconde plus tard. Le ventre vide,le cœur dans la gorge, elledemanda :
— Pourquoi ?Son rapide froncement de
sourcils fut sincèrement perplexe,puis il s'évanouit ; son regard se fitdur.
— Pour m'être approprié la
facture de Celestine.Son ton exprimait clairement
que si elle souhaitait des excusespour ce qui s'était passé dans lesalon, elle attendrait jusqu'à ce queles poules aient des dents.
Le cœur indiscipliné d'Honoriase réjouit. Elle s'efforça d'empêcherun sourire idiot — totalementinutile — de s'afficher sur seslèvres.
— Donc, vous me remettrez lafacture ?
Il scruta ses yeux, puis ses
lèvres se pressèrent.— Non.Honoria le dévisagea.— Pourquoi présenter des
excuses si vous ne me donnez pas lafacture ?
Pendant un long moment, il laregarda, la frustration filtrantlentement dans son expression.
— Je n'offre pas d'excuses pouravoir payé le compte de Celestine— je les présente pour avoir empiétésur vos plates- bandes, ce qui n'étaitpas mon intention. Toutefois,
comme vous l'avez à si juste titrefait remarquer, la seule raison pourqu'une telle facture se retrouve surmon bureau est si vous, en tant quema femme, me l'aviez fait adresser.
Ses lèvres se relevèrent en coin.— Je n'ai pas pu résister.La mâchoire d'Honoria faillit se
décrocher ; récupérant à temps, elleravala un petit rire bouillonnant.
— Vous l'avez signé... en faisantsemblant d'être mon mari ?
Elle devait faire un effort pour
garder un visage calme.La contrariété dans les yeux de
Devil aida.— En m'exerçant à être votre
mari.Brusquement, Honoria reprit
son sérieux.— Vous n'avez pas besoin de
vous exercer à cette activitéparticulière pour mon compte. Jevais régler mes factures, que je vousépouse ou non.
Son « ou non » clair resta
suspendu entre eux ; Devil seredressa et inclina la tête.
— Comme vous le voulez.Son regard s'aventura vers le
paysage au-dessus du foyer.Honoria plissa les yeux devant
son profil.— Nous devons toujours en
venir à une entente à propos decette facture que vous avez payéepar inadvertance, monsieur le duc.
À la fois, la description et letitre honorifique piquèrent Devil
au vif. Appuyant un bras le long dumanteau de la cheminée, ilemprisonna le regard d'Honoria.
— Vous ne pouvez passérieusement vous imaginer quej'accepterai un dédommagement —un dédommagement monétaire —de vous. Cela, comme vous le savezbien, est trop demander.
Honoria leva les sourcils.— Je ne vois pas pourquoi. Si
vous aviez payé une sommeinsignifiante pour l'un de vos amis,vous lui permettriez de vous lerendre sans faire d'histoire.
— La somme n'est pasinsignifiante, vous n'êtes pas « l'unede mes amies » et au cas où celavous aurait échappé, je ne suis pasle genre d'homme à qui une femmepeut avouer être consciente quechaque bout de tissu qu'elle porte,elle le lui doit, et ensuite s'attendreà ce qu'il lui permette de lerembourser.
La chemise de soie d'Honoriadevint chaude tout à coup ;resserrant les bras sur ses seins, ellereleva le menton. Son masque deconquérant, toutes les lignes dureset sa détermination de ferl'avertirent qu'elle ne gagneraitaucun compromis sur ce terrain.Scrutant ses yeux, elle sentit sapeau picoter. Elle se renfrogna.
— Espèce de... diable !Les lèvres de Devil
tressaillirent.Honoria avança de deux pas
dans la pièce, puis pivotabrusquement et revint sur ses pas.
— La situation est plusqu'inappropriée, elle estscandaleuse !
S'écartant du manteau de lacheminée d'une poussée, Devilarqua des sourcils arrogants.
— Les dames qui jouent avecmoi ont bien tendance à finir decette façon.
— Je, déclara Honoria enpivotant pour le regarder en face etsoutenir son regard, suis beaucoup
trop avisée pourjouer à des jeux avec vous. Nousavons besoin d'une entente pourcette facture.
Devil observa son visagedéterminé et jura en son forintérieur. Chaque fois qu'ilapercevait une échappatoire rapideau dilemme dans lequel ce luxefantasque et inhabituel qu'il s'étaitpermis l'avait placé, elle le bloquait.Et demandait qu'il négocie. Neréalisait-elle pas que c'était ellel'assiégée et lui l'assiégeant ? A
l'évidence, non.Depuis le moment où il avait
déclaré qu'il comptait l'épouser,elle avait lancé des obstaclesinattendus sur sa route. Il avaitsurmonté chacun et l'avaitpourchassée dans son château aupied duquel il avaitimmédiatement installé un siège. Ilavait réussi à la harceler au pointoù elle faiblissait, songeait à ouvrirson portail et à l'accueillir àl'intérieur — quand elle tombaitpar hasard sur son moment de
faiblesse et le transformait en armebrutale. Qu'elle brandissait en cemoment avec l'entêtement desAnstruther- Wetherby. Les lèvresde Devil formèrent une minceligne.
— Ne pouvez-vous pas fermerles yeux dessus ? Personne n'est aucourant à part vous et moi.
— Et Celestine.— Elle ne va pas s'aliéner un
précieux client.— Quoi qu'il en soit...— Puis-je suggérer, intervint
Devil avec brusquerie, que,considérant la situation entre nous,vous pourriez à juste titre mettre laquestion de la facture de côté, afinque l'on décide de son sort après lafin de vos trois mois? Une fois quevous serez ma duchesse, vouspourrez à juste titre l'oublier.
— Je n'ai pas encore accepté devous épouser.
— Vous le ferez.Honoria entendit le décret
irréfutable dans ses mots. Elleexamina son visage de pierre, puis
leva un sourcil.— Je peux difficilement
accepter une demande en mariageque je n'ai pas entendue.
Les conquérants ne faisaientpas de demandes polies ; soninstinct était de s'emparer de cequ'il voulait — plus il le voulait,plus vigoureuse était la capture.Devil regarda dans ses yeux,l'observant calmement, patientantcalmement; il lut le défi subtil surson visage, l'entêtement sous-jacent
dans l'inclinaison de son menton. Àquel point voulait-il ce trophée ?
Il prit une profonderespiration, puis il s'approcha unpeu plus et tendit la main vers lasienne ; les yeux dans les siens, ileffleura ses propres lèvres avec lesdoigts d'Honoria.
— Ma chère Honoria Prudence,me ferez-vous l'honneur d'être mafemme, ma duchesse...
Il marqua une pause, puis ilajouta délibérément :
— La mère de mes enfants ?Son regard vacilla; elle
détourna les yeux. Posant le boutd'un doigt sous son menton, Devilla tourna pour qu'elle le regarde.
Après une minusculehésitation, Honoria ouvrit lespaupières et rencontra son regard.
— Je n'ai pas encore décidé.Il n'était peut-être pas capable
de mentir — elle, si. Cependant, ilétait une force trop puissante pourqu'elle capitule sans avoir une
absolue certitude. Quelques joursde plus lui donneraient le temps devérifier sa décision.
Il soutint son regard ; entre eux,la passion s'attardait, frissonnantedans l'air.
— N'y mettez pas trop detemps.
Les mots, prononcésdoucement, pouvaient être unavertissement ou une supplique.Récupérant ses doigts de sonétreinte, Honoria libéra sonmenton de sa caresse.
— Si je vous épousais, jevoudrais l'assurance qu'aucunincident similaire à notrecontretemps actuel ne sereproduirait.
— Je vous ai dit que je ne suispas idiot.
Les yeux de Devil brillèrent.— Et je ne suis certainement
pas partisan de l'autoflagellation.Sans pitié, Honoria réprima son
sourire.Les lignes du visage de Devil se
déplacèrent; il lui attrapa la main.
— Venez faire un tour envoiture.
— Une dernière chose...Honoria tint bon. Elle vit la
contrariété dans ses yeux et essayade ne pas sentir la chaleur, la forceséductrice dans les doigts et lapaume qui retenaient la sienne.
— Le meurtre de Tolly.La mâchoire de Devil se
contracta.— Je ne vous permettrai pas de
participer à la recherche de sonassassin.
Honoria rencontra carrémentson regard; encore une fois, ellesentit leurs volontés s'affronter,cette fois sans la chaleur.
— Je n'aurais pas besoin dechercher activement des indices sivous me rapportiez ce que vous etvos cousins avez découvert dès quevous l'avez découvert.
Elle avait emprunté toutes lesavenues possibles pour elle; elleavait besoin de sa collaborationpour continuer.
Il fronça les sourcils, puis
détourna les yeux ; elle avaitcommencé à se demander à quoi ilpensait avant qu'il se retourne.
— Je vais accepter à unecondition.
Honoria leva les sourcils.— Que vous promettiez qu'en
aucune circonstance que ce soit,vous ne recherchez paspersonnellement l'assassin de Tolly.
Honoria acquiesça aussitôt d'unsigne de tête. Sa capacité à dénichern'importe quel criminel mâle étaitgravement limitée par le code
social ; sa contribution à l'enquêtedevrait être principalement faite dedéductions.
— Donc, qu'a appris Lucifer ?Les lèvres de Devil formèrent
une ligne mince.— Je ne peux pas vous le dire.Honoria se raidit.— Non!Il lui pressa la main.— Ne vous enragez pas après
moi ; j'ai dit que je ne pouvais pas,et non que je ne voulais pas.
Les yeux d'Honoria se
plissèrent.— Pourquoi ne le pouvez-vous
pas ?Devil scruta son visage, puis
baissa les yeux sur leurs mainsjointes.
— Parce que ce qu'a apprisLucifer jette une lumière peuflatteuse sur un membre de notrefamille, probablement Tolly.Malheureusement, l'information deLucifer était une rumeur — nousdevons encore établir les faits.
Il observa ses minces doigts
entremêlés avec les siens, puis ilresserra sa prise et leva la tête.
— Cependant, si Tolly étaitimpliqué, alors cela suggère unehypothèse possible selon laquelleune personne — une personnecapable de procurer la même chose— aurait pu vouloir sa mort.
Honoria remarqua le souci dudétail qui filtra dans son expression.
— Il s'agit de quelque chose dedéshonorant, n'est-ce pas?
Elle pensa à Louise Cynster.Lentement, Devil hocha la tête.
— Extrêmement déshonorant.Honoria inspira longuement —
puis, elle haleta quand elle se sentittirée vers la porte.
— Vous avez besoin d'air,décréta Devil.
Il lui lança un regard, puisadmit à travers ses dents serrées.
— Moi aussi.Traînée dans son sillage,
Honoria sourit. Sa robe était tropmince, mais elle pouvait enfiler unepelisse à la porte d'entrée. Elle avaitobtenu une foule de concessions;
elle pouvait se montrermagnanime. La journée était belle ;son cœur était léger. Et son loupavait atteint le bout de sa laisse.
Chapitre 13
J’en compte trois cent trente-
quatre.
Honoria refit une pile des listes surses cuisses et recommença àcalculer.
Le regard sur son profil, Devilleva les sourcils. Ils étaient dans lesalon, Honoria à une extrémité dela méridienne pendant qu'il se
prélassait élégamment à l'autrebout ; elle additionnait les réponsespositives pour le grand bal dont satante Horatia devait être l'hôtesse àBerkeley Square le lendemain soirafin d'annoncer la fin du deuil de lafamille.
Souriant, Devil récupéra uneliste sur le plancher.
— C'est un nombreconsidérable pour cette époque del'année. Le temps qu'il fait arepoussé la chasse, alors plusieurssont restés en ville. Comme
Chillingworth — il semble que matante a jugé bon de l'inviter.
— Bien, c'est un comte.Honoria leva brièvement les
yeux, puis elle plissa le front ettendit ensuite la main et tira sur laliste.
— Mais je comprends que vousle connaissez depuis toujours.
— Cela paraît certainementfaire une éternité. Nous étions àEton ensemble.
— Des rivaux de jeunesse ?— Je ne classerais pas
Chillingworth en tant que rival —plus comme un fléau.
Honoria baissa la tête,dissimulant son sourire. Devil avaitpris l'habitude de se joindre à elledans le salon après le déjeuner,alors que la douairière se reposaitnormalement. Il restait une demi-heure, ses longs membres installésdans le coin opposé de laméridienne, sa présenceremplissant la pièce, dominant lessens d'Honoria.
Ils bavardaient; s'il avait de
l'information de ses cousins, il lapartageait, simplement et avecfranchise, sans dérobade.
De ses propres efforts, ellen'avait rien appris de plus. Ladouairière avait respecté sonintention annoncée de la présenterà la haute société ; grâce à unnombre abrutissant de visitesmatinales, de fêtes «informelles» etde thés, elle avait rencontré toutesles hôtesses importantes et avait étéacceptée comme membre de leurcercle. Cependant, parmi tous les
potins et les mauvaises langues quiabondaient dans la moitié fémininede la haute société, elle n'avait pasentendu un seul bout d'informationconcernant Tolly.
Elle leva la tête.— Avez-vous entendu quelque
chose ?— Il se trouve que oui.Honoria ouvrit grand les yeux ;
les lèvres de Devil sourirent en coinavec ironie.
— Ne vous faites pas tropd'idées, mais Démon est de retour.
— A-t-il trouvé l'homme deconfiance de Tolly ?
— Oui. Mick s'est rappeléclairement cette dernière soirée.Tolly, pour reprendre les mots deMick, était «complètementchamboulé» lorsqu'il est rentré.Malheureusement, Tolly a refuséde lui dire quoi que ce soit quant au« qui » et au « pourquoi ».
Honoria fronça les sourcils.— Il a refusé ?— Mick étant Mick, il a posé la
question.
— Et?— Il s'est fait dire avec une
grossièreté inhabituelle et entermes clairs de s'occuper de sesaffaires.
— C'était étrange ?Devil hocha la tête.— Mick était avec Tolly depuis
que Tolly était en culotte courte.S'il était troublé par quelque chose,ce qui avait le plus de chance de seproduire était que Tolly en discuteavec Mick sans réserve.
Honoria réfléchit.
— Donc. Quel genre de secretTolly refuserait-il de discuter avecMick ?
— Voilà en effet la question.Le regard sur le visage
d'Honoria, il vit le petit pli sur lefront modifiant l'arc fluide de sessourcils et il ajouta :
— Ainsi que le mystère del'heure.
— L'heure?— Ce soir-là, Tolly est rentré
moins d'une demi-heure aprèsavoir quitté Mount Street.
Ils avaient supposé que Tolly
avait été dehors la moitié de la nuit,assistant à un événementquelconque au cours duquel il avaitappris le secret qui avait mené à samort. Le pli sur le front d'Honorias'approfondit.
— Mick en est-il sûr ?— Positif; il s'en souvient
particulièrement, car il n'attendaitpas Tolly aussi tôt.
Honoria hocha la tête.— Quelle distance entre Mount
Street et l'appartement de Tolly ?— Son appartement était dans
Wigmore Street, à environ vingtminutes de la maison de mononcle.
— Y avait-il une maison enparticulier — d'un ami, peut-être —où il a pu s'arrêter en chemin ?
— Rien directement sur saroute. Et aucune assez proche quenous n'avons pas vérifiée. Aucunde ses amis ne l'a vu ce soir-là.
Honoria attira l'attention deDevil.
— Comment cette courtepériode de temps s'insère- t-elleavec la rumeur déshonorante deLucifer ?
— Pas bien.Devil hésita, puis ajouta :— Elle ne la raye pas
totalement, mais elle la rendimprobable. Si Tolly était allé..., ils'interrompit, puis poursuivit : si ceque nous pensions s'était produit,alors, cela se serait probablementpassé à une date antérieure, ce quin'explique pas pourquoi Tolly est
devenu inquiet après avoir quittéMount Street.
Examinant son visage, plusrévélateur à présent qu'il nesurveillait pas son expression en saprésence, Honoria plissa le front enson for intérieur. Il restait troublépar la rumeur déshonorante, mêmesi elle n'était peut-être plus àprésent liée à la mort de Tolly.
— Qu'y a-t-il ?Devil leva la tête, puis grimaça.— C'est juste que, en tant que
chef de famille, je n'aime pas l'idée
d'un squelette qui ne soit pas bienenfermé dans son placard.
Les lèvres d'Honorias'adoucirent; elle détourna les yeux.
Ils demeurèrent assis en silencependant quelques minutes,Honoria se creusant la tête sur lesquestions qu'avaient soulevées lessouvenirs de Mick. Devil sedétendit en apparence, son regard,délicatement pensif, reposant sur levisage d'Honoria. Puis, Honoriaregarda Devil.
— L'avez-vous dit aux autres ?
— Ils étaient sur le pas de laporte avec Démon. Pendant que jeme débats avec la rumeurdéshonorante, ils essaient dedécouvrir de l'information detoutes les sources possibles. Richardet Démon s'adressent auxconducteurs locaux de voitures;Gabriel, croyez-le ou non, frayeavec les balayeurs de rues. Vane etLucifer passent les tavernes les plusprobables au peigne fin dansl'espoir de tomber par hasard surun ivrogne qui a vu où Tolly est
allé.— Cela me semble une
possibilité tirée par les cheveux.Devil soupira et appuya la tête
sur la méridienne.— Ce l'est.Après un moment à fixer le
plafond, il ajouta :— Je trouve cela difficile à
croire, mais ils semblent aussifrustrés que moi.
Lentement, il tourna la tête etregarda Honoria.
Elle soutint posément son
regard.— Les affaires ne se mettront
pas en place uniquement parce quevous l'ordonnez.
Les yeux sur elle, Devil leva lessourcils.
— C'est ce que je crains.Il y avait une subtile trace
d'autodénigrement dans sa voix;elle fut immédiatement suivied'une onde dechoc tangible traversantl'atmosphère entre eux. Ilss'immobilisèrent, puis Devil tendit
la main d'un air suave et souleva lapremière feuille sur les listesempilées.
— Je suppose, dit-il, parcourantostensiblement la liste, que toutesles grandes dames* jusqu'à ladernière seront présentes ?
— Naturellement.Tout aussi suave, Honoria imita
son comportement, ignorant sanspitié l'essoufflement qui l'affligeait.Ils passèrent les cinq minutessuivantes à échanger des motsd'esprit sans importance, pendant
que la faim insatiable qui lestenaillait se calmait. Elle avaitréfléchi longtemps et sérieusement;elle pouvait entrevoir lesdifficultés. Elle pouvait égalementvoir les avantages et les possibilités;elle avait décidé de relever le défi.
Et quelle meilleure façon decommencer que le moment qu'elleavait choisi pour poursuivre ? Elleavait décidé que le bal d'Horatiaserait la scène de son acceptation.Son discours était bien répété...
Elle cligna des yeux et revint à
la réalité — et réalisa que sa voixs'était éteinte au milieu de saphrase.
Le regard de Devil était sur sonvisage, trop perspicace, trop sage.La chaleur lui monta aux joues.
Il sourit — comme un loup —et se leva en souplesse.
— Je ferais mieux d'aller voirHobden; il est venu de St-Ives avecles comptes des labours.
Il rencontra le regardd'Honoria, puis il exécuta uneélégante révérence.
— Je vais vous souhaiter un bonaprès-midi, ma chère.
— Et moi à vous, monsieur leduc.
Honoria inclina gracieusementla tête. Pendant que Devil gagnaitla porte à grands pas, le brassardnoir qu'il portait encore attira sonattention. Honoria fronça lessourcils. Les six semaines décrétéespar la famille comme période dedeuil complet se terminaient ce soir; vraisemblablement, demain, ilabandonnerait son brassard noir.
Elle fronça davantage lessourcils. Il ferait mieux del'abandonner demain.
Pour Honoria, le lendemain soircommença sous d'heureux auspices.Les nerfs en boule, elle descenditl'escalier, vêtue d'une robe pourfaire une conquête. Commed'habitude, Webster se matérialisadans le vestibule avant qu'elletouche la dernière marche ; iltraversa jusqu'à la porte du salon etposa une main sur la poignée avant
de lui jeter un coup d'œil.Sa mâchoire se décrocha —
seulement momentanément, maisce spectacle fit des miracles pour laconfiance d'Honoria.
— Bonsoir, Webster. Monsieurle duc est-il descendu ?
— En effet, madame, je veuxdire, mademoiselle.
Webster inspira rapidement etremit son masque enplace.
— Sa Seigneurie attend.Avec une profonde révérence, il
ouvrit la porte en grand.D'un air suave, serein, se
sentant si tendue en son forintérieur qu'elle pensait se briser endeux, Honoria avança d'un pasléger. Debout devant le foyer, Devilpivota lorsqu'elle entra. Commetoujours, son regard la parcourut dela tête aux pieds. Ce soir, quand ilatteignit ses sandales argentées,pointant sous le bord de la robe, ils'arrêta, puis, atrocementlentement, il retraça son chemin lelong de son corps, sur le drap de
s o i e eau de Nil collantharmonieusement à ses longuesjambes: Ses yeux s'attardèrentsuccessivement sur chaque courbeflatteusement drapée, puis selevèrent plus haut pour caresser sesépaules, dissimulées seulement làoù la robe simple de style toge étaitattachée par une boucle en or surson épaule gauche. Le châle de soieà paillettes qu'elle portait sur sescoudes était léger ; pas de quoiattirer l'attention. Elle n'arboraitaucun bijou à part le peigne en or
dans ses cheveux, lesquels étaientempilés en hauteur, boucle aprèsboucle luisante. Honoria sentitl'intensité soudaine de son regard.
Elle en eut le souffle coupé.D'un long pas de prédateur, il
traversa la pièce, son regardsoutenant le sien. Alors qu'ils'approchait, il tendit une main;sans hésitation, elle posa ses doigtssur les siens. Lentement, il la fitpivoter ; consciencieusement, elletournoya. Elle pouvait sentir lachaleur de son regard alors que de
près, il vagabondait sur son corps,protégé uniquement par de la soietrès légère. Quand elle eutcomplété son tour et revint face àlui, elle vit ses lèvres se recourber.Il rencontra son regard.
— Celestine a ma gratitude.Sa voix résonna en elle ;
Honoria arqua un sourcil.— Celestine ?Elle laissa son regard s'attarder
sur lui.— Et dites-moi, je vous prie, ce
que je reçois, moi ?
— Mon attention.Sur ces mots, Devil l'attira plus
près de lui. Son regard s'éleva surses boucles, puis tomba sur sesyeux, puis sur ses lèvres.
— Sans réserve.Obéissant à la pression de sa
main sur son dos, Honoria s'arquaplus près de lui, levant les lèvresvers lui. Il la rencontra à mi-chemin, néanmoins elle était sûrede flotter quand les lèvres de Devilse déposèrent, chaudes et fermes,
sur les siennes.C'était le premier baiser qu'ils
partageaient depuis leurconfrontation dans le salon ; au-delà du fait que leurs lèvres setouchaient, cette caresse neressemblait aucunement à leurétreinte précédente. Elle n'était queplaisir et chaleur, joie épicée defascination ensorcelante alors queles lèvres fusionnaient et prenaient,puis se raffermissaient de nouveau.
Les mains agitées d'Honoriavinrent se poser sur les revers du
veston de Devil ; sa main à luis'arrondissait d'une manièrepossessive sur une hanche vêtue desoie. Sous ses paumes, sa peaubrûlait, deux épaisseurs de soielégère n'étant pas un véritableobstacle à sa caresse. De son pleingré, elle se coula dans ses bras,cédant à la persuasion de ses lèvreset à son propre désir enflammé.
Une forme de magie les tenait ;combien de minutes ils passèrentdans ce baiser qui les marquaitjusqu'à l'âme, ils n'auraient pu le
dire. Le cliquetis de talons sur lescarreaux du vestibule l'interrompit.
Devil leva la tête et regarda laporte ; Honoria attendit, mais il nes'écarta pas. Son seul compromisalors que la porte s'ouvraitlargement et que sa mèreapparaissait sur le seuil fut deretirer sa main sur sa hanche etavec la main sur son dos, de laretourner doucement vers la porte.Ni avec des mots ni, c'était évident,par le geste n'avait-il l'intention dedissimuler le fait qu'il était en train
de l'embrasser.Honoria cligna des paupières.
Elle fut lente à suivre l'exemple deDevil; quand le regard de ladouairière tomba sur eux, elle étaitencore à moitié levée sur ses orteils,une main posée sur son torse. Ladouairière, grande dame* qu'elleétait, fit semblant de ne pas leremarquer.
— Si vous êtes prêts, meschéris, je suggère de partir. Il estinutile d'attendre dans ce salon.
Inclinant la tête, Devil offrit son
bras à Honoria ; elle posa le bout deses doigts dessus. Ayant beaucoupplus chaud qu'à son entrée dans lapièce, elle en sortit à ses côtés.
Le trajet jusqu'à la résidence delord George Cynster dans BerkeleySquare prit à peine cinq minutes.Cinq de plus virent Honoria, avecDevil à ses côtés, entourée deCynster. Le salon en était rempli ;de grands gentlemen d'unearrogance imposante et des damesvivement impérieuses, ilséclipsaient tous les autres membres
de la haute société invités à dîner.Sa robe fit sensation — elle
n'avait pas trop su à quoi elle devaits'attendre. Ce qu'elle reçut fut delarges sourires et des signes de têteencourageants des autres femmesCynster — et des regards ahuris detous les mâles Cynster. Ce futLucifer qui traduisit ces regards enmots. Il secoua sa sombre têtedevant elle.
— Vous avez conscience, n'est-ce pas, que si Devil ne vous avaitpas attrapée à la première occasion,
vous affronteriez un siège concerté.Honoria tenta d'avoir l'air
innocent.Le dîner avait été devancé à
dix-neuf heures; le bal débuterait àvingt et une heures. Par-dessus lebruit devingt conversations, Webster,emprunté pour l'occasion, annonçaque le repas était servi.
Devil guida sa tante dans lasalle à manger, laissant Vaneescorter Honoria. Se rappelant uneoccasion similaire, les funérailles de
Tolly, Honoria jeta un coup d'œil àVane.
— Le remplacez-vous toujours ?Le regard qu'il lui jeta fut
étonné, puis ses lèvres seretroussèrent.
— Il serait, murmura-t-il avec lamorgue froide qui était sacaractéristique la plus remarquable,plus exact de dire que nous nousprotégeons mutuellement. Devil n'aque quelques mois de plus que moi;nous nous connaissons depuistoujours.
Honoria entendit le profondattachement sous le ton mielleux etapprouva en son for intérieur. Vanela mena jusqu'à sa chaise à côté deDevil, prenant celle de l'autre côté.
Flanquée par de telspartenaires, elle attendait le dîneravec une joie sans partage. Laconversation tournait autour de lapolitique et des problèmes du jour;Honoria écouta avec un intérêtqu'elle ne s'était pas découvertauparavant, enregistrant lesopinions de Devil, les conciliant
avec ce qu'elle connaissait demonsieur le duc de St-Ives. Pendantque le deuxième service étaitprésenté, elle jeta un regardvaguement curieux autour de latable.
Et elle remarqua la bande noireentourant l'avant-bras de chacundes cousins Cynster. Le bras gauchede Devil était à côté d'elle; elletourna la tête — la bande noire,presque invisible sur son vestonnoir était à la hauteur de sonmenton.
Baissant la tête sur son assiette,elle ravala un juron.
Elle attendit son heure jusqu'àce qu'ils se dirigent à pas lents versl'immense salle de bal, admirantostensiblement les couronnesdécoratives. Ils étaientsuffisamment en privé ; les invitésdu bal commençaient seulement àarriver dans le vestibule en bas.Alors qu'ils approchaient du fondde la salle de bal, elle glissa undoigt sous la bande noire et tira.Devil baissa les yeux — et arqua un
sourcil.— Pourquoi le portez-vous
encore ?Il rencontra son regard ; elle
sentit son hésitation. Puis, ilsoupira et regarda devant lui.
— Parce que nous n'avons pasencore attrapé le meurtrier deTolly.
Etant donné la pauvreté desindices, ils n'attraperaient peut-êtrejamais le meurtrier de Tolly ;Honoria garda cette pensée pourelle.
— Est-ce vraiment nécessaire ?Elle regarda brièvement son
profil sévère.— Une petite valse ne vous
embrouillera sûrement pas les idées?
Ses lèvres se tordirent quand ilbaissa les yeux, mais il secoua latête.
— Je me sens...Ses mots s'estompèrent ;
plissant le front, il détourna leregard.
— Je suis certain d'avoir oublié
quelque chose — un genre de clé —un indice vital.
Son ton indiquait clairementqu'il avait changé de tactique;Honoria le suivit sans ergoter. Ellepouvait comprendre qu'il se sentecoupable de son incapacité àtraduire l'assassin de Tolly enjustice; elle n'avait pas besoin del'entendre l'admettre.
— Vous souvenez-vous de quoique ce soit à propos de cet indice ?
— Non, c'est le truc le plusdétestable qui soit. Je suis certain
d'avoir vu quelque chose, d'avoirappris quelque chose, mais jen'arrive tout simplement pas àsaisir de quoi il s'agit. C'est commeun fantôme dans ma visionpériphérique ; je n'arrête pas detourner la tête sans jamais arriver àle prendre dans ma mire.
La frustration résonnaitnettement dans sa voix ; Honoriadécida de changer de sujet.
— Dites-moi, ladyOsbaldestone est-elle parente avecles Cynster ?
Devil jeta un bref regard àl'endroit où Madame, yeuxperçants fixés sur eux, était assisebien calée dans un coin d'uneméridienne à proximité.
— Extrêmement éloignée.Il haussa les épaules.— Mais cette description
couvre la moitié de la haute société.Ils se promenèrent sans se
presser, bavardant avec ceux qu'ilsrencontraient, leur parcoursralentissant à mesure que la hautesociété avançait vers eux par vague,
tous ses membres impatients d'êtrevus à l'unique bal des Cynster de lasaison. En une petite demi-heure, lasalle de bal fut inondée de soies etde satins ; les parfums planaientlourdement dans l'air. Le lustre desboucles était dérangé par l'éclat etle feu des bijoux ; des centaines delangues contribuaient aubourdonnement poli. Être au brasde Devil garantissait à Honoriaassez d'espace pour respirer; aucunn'allait courir le risque de labousculer. Il y avait, cependant, un
certain nombre qui en la voyantétait poussé à venir lui présenterleurs hommages. Quelques-uns, eneffet, semblaient prêts à baiser lesol à ses pieds, en dépit de lamenace très réelle de recevoir uncoup de pied rapide et bien visé dela part de son escorte.
Collé à côté d'Honoria, forcéd'être témoin de son effet sur lesautres mâles, Devil serra lamâchoire et essaya de ne rienlaisser paraître. Son humeurdevenait continuellement plus
sombre — pas un bon signe étantdonné ce qui lui restait encore àendurer. Il avait considéré l'idée delui demander de ne pas danser,mais elle n'était pas encore safemme. Il avait transgressé la règleune fois ; elle avait, par un coup deveine bienveillant, accepté de luipardonner. Il ne s'y essaierait pasdeux fois.
Et elle aimait danser. Il le savaitsans poser la question ; sonattention à la musique était une
preuve suffisante. Comment ilallait s'obliger à la laisser valseravec un autre homme, il ne lesavait pas. Il avait envisagé dedemander à ses cousins de leremplacer auprès d'elle; au lieu,comme lui, ils s'en étaient tenus àleur résolution. Ce qui l'amenait àse débattre avec une possessivitégalopante qu'il n'avait pas du toutenvie de dompter.
À son grand dégoût, lesmusiciens apparurent tôt. À travers
les inévitables grincements etpincements de cordes, lordAinsworth déclama :
— Ma chère mademoiselleAnstruther-Wetherby, je serais desplus honorés, vraiment, submergéde reconnaissance si vousm'accordiez l'honneur de votremain et me permettiez d'être votrepartenaire pour ce morceau.
Monsieur couronna sonmoment avec une révérenceextravagante, puis regarda Honoria
avec enthousiasme, presque avecun dévouement respectueux.
Devil se raidit, réprimant sanspitié son envie d'enfoncer sonpoing dans le visage inepted'Ainsworth.
Resserrant son emprise surtoute impulsion rebelle, il s'arma decourage pour entendre leconsentement d'Honoria — et pourla lâcher sans faire de scène.Honoria tendit la main; Devil sentitvaciller sa maîtrise de lui-même.
— Merci, monsieur.
Le sourire serein, Honoriatoucha à peine Ainsworth de sesdoigts.
— Toutefois, je ne danserai pasce soir.
— Ma chère mademoiselleAnstruther-Wetherby, vos actionstémoignent de votre exquisesensibilité. Pardonnez-moi, chèredame, d'avoir été assez gauche demême suggérer...
Lord Ainsworth continua àpérorer ; Devil l'entendit à peine.Quand il comprit enfin que la
femme à son bras n'écoutaitprobablement pas non plus, ilinterrompit net la performance deMonsieur.
— Désolé, Ainsworth, maisnous devons allez retrouver ladyJersey.
Comme Sally Jersey ressentaitune antipathie bien installée pourle pompeux Ainsworth, Monsieurn'offrit pas de les accompagner.Déconfit, il prit congé d'eux; lesautres dans leur cercle sourirent etse dispersèrent, plusieurs allant sur
le plancher de danse alors que lesaccords d'une valse emplissaient lasalle.
Devil posa une main sur celled'Honoria et l'attira sans pitié àl'écart. Pendant qu'ils avançaientjusqu'au bord du plancher dedanse, leur rythme en soi suffisantà décourager toutes rencontresfutiles, il chercha les mots, puis sedécida pour :
— Il n'y a pas de raison quevous ne dansiez pas.
Son ton était grave; son
élocution neutre. Il baissa le regard,Honoria leva le sien. Elle examinases yeux ; le sourire qui recourbalentement ses lèvres contenait de lacompréhension, agrémentée desatisfaction féminine.
— Oui, il y en a une.Les yeux d'Honoria le
mettaient au défi de le nier; quandil garda le silence, son sourires'épanouit et elle regarda devantelle.
— Je pense que nous devrionsnous arrêter voir lady
Osbaldestone, ne le croyez-vouspas ?
Devil ne le pensait pas, lavieille mégère n'allait certainementpas manquer de le tourmenter.D'un autre côté, il avait besoind'une distraction majeure.Respirant profondément avecdifficulté, il hocha la tête et mit lecap sur la méridienne de Madame.
— Si un jour il y a eu un doute...,avec un hochement de tête, Vanedésigna le groupe autour de la
méridienne à l'autre extrémité de lasalle de bal, ceci règle la question.
Debout à côté de Vane, uneépaule appuyée contre le mur,Gabriel acquiesça d'un signe detête.
— Indubitablement. LadyOsbaldestone ne se qualifiecertainement pas commeinterlocutrice attirante.
Le regard de Vane était fixé surle large dos de Devil.
— Je me demande cequ'Honoria lui a dit pour
l'entraîner là.— Peu importe, dit Gabriel,
marquant une pause pour vider sonverre, il semble que nous ayonsperdu notre chef.
— Vraiment?Vane plissa les paupières.— Ou bien est-ce lui qui,
comme d'habitude, montre la voie?Gabriel frissonna.— Quelle horrible perspective !Il remua ses larges épaules.— On dirait que quelqu'un a
marché sur ma tombe.
Vane rit.— Inutile de fuir le destin,
comme notre estimé chef acoutume de le dire. Ce qui soulèvel'intrigante question de son destin.Quand, selon vous ?
Considérant le tableau àl'opposé, Gabriel pinça les lèvres.
— Avant Noël ?Le grognement de Vane fut
éloquent.— Il vaudrait fichtrement
mieux que ce soit avant Noël.— Qu'est-ce qui ferait mieux
d'être avant Noël ?La question les fit se retourner;
instantanément, une réserves'infiltra dans leurs expressions.
— Bonsoir, Charles.
Gabriel fit un signe de tête àson cousin, puis détourna les yeux.
— Nous discutions, dit Vaned'un ton léger, de nocesimminentes.
— Vraiment?Charles parut poliment
intrigué.
— De qui ?Gabriel le dévisagea ; Vane
cligna des paupières. Après uninstant de pause, Vane répondit :
— Devil, bien sûr.— Sylvester?Plissant le front, Charles
regarda de l'autre côté de la salle,puis ses traits se détendirent.
— Oh, vous voulez parler decette vieille histoire à propos de luiépousant mademoiselleAnstruther-Wetherby.
— Vieille histoire ?
— Seigneur, oui.Avec une expression d'ennui,
Charles lissa sa manche. Levant latête, il vit l'air vide de ses cousins— et soupira.
— Si vous devez le savoir, j'aiun peu discuté de cette affaire avecmademoiselle Anstruther-Wetherby. Elle n'épouseraabsolument pas Sylvester.
Vane regarda Gabriel ; Gabrielregarda Vane. Puis, Vane se tournade nouveau vers Charles.
— Quand as-tu parlé à Honoria
Prudence ?Charles leva un sourcil hautain.— À Somersham, après les
funérailles. Et je lui ai parlé peu detemps après son arrivée en ville.
— Hum, hum.Vane échangea un autre regard
avec Gabriel.Gabriel soupira.— Charles, quelqu'un t'a-t-il
déjà fait remarquer que les damessont sujettes à changer d'avis ?
Le regard de Charles enréponse fut méprisant.
— Mademoiselle Anstruther-Wetherby est une dameextrêmement bien éduquée etd'une sensibilité supérieure.
— Qui, il se trouve, esté g a l e m e n t extrêmement bienstructurée et en tant que telle lac i b l e extrêmement probable desattentions de Devil qui sont, dansce cas, honorables.
Gabriel désigna la méridienneau loin.
— Et si tu ne nous crois pas,ouvre seulement les yeux.
Suivant son geste, Charlesfronça les sourcils. Honoria,la main sur le bras de Devil, sepencha plus près pour dire quelquechose ; Devil inclina la tête pourmieux l'entendre. Leur positionparlait clairement d'intimité, deproximité ; le froncement desourcils de Charles s'intensifia.
Vane jeta un coup d'œil àCharles.
— Notre argent est sur Devil ;malheureusement, nous n'avonspas trouvé preneur.
— Hum, fit Gabriel en seredressant. Un mariage avant Noël— il jeta un regard interrogateur enbiais à Vane — et un héritier avantle jour de la Saint-Valentin?
— Bon, ceci, dit Vane, pourraitattirer un peu d'action.
— Oui, mais de quel côtédevrions-nous nous engager ?
Gabriel se dirigea vers la foule.Vane le suivit.— Honte à toi : n'as-tu pas
confiance en notre chef ?— J'ai très confiance en lui,
mais je dois admettre que laproduction d'un héritier tient plusqu'à la performance de son père.Viens en discuter avec Démon. Il vate dire...
Leurs paroles s'estompèrent.Laissé derrière, Charles continua àplisser le front, le regard fixé sur lecouple devant la méridienne delady Osbaldestone.
Chapitre 14
A mesure que la soiréeavançait, la gaîté augmentait. Un
repas de fin de soirée futservi à une heure. Assise à côté deDevil à l'une des plus grandestables, Honoria riait et bavardait.Souriant sereinement, elle observales cousins de Devil et leurspartenaires de repas et sut ce queces dames ressentaient. La mêmeattente lui tendait les nerfs,
exacerbait ses sens. Riant de l'unedes boutades de Gabriel, ellerencontra le regard de Devil — etcompris précisément pourquoi lesdames de la haute société jouaientdélibérément avec le feu.
Les musiciens les convoquèrentde nouveau dans la salle de bal.Tout le monde se leva ; Honorias'agita autour de son châle, puisdémêla les rubans de son éventail.Elle avait eu l'intention d'informerDevil de sa décision en partageantleur première valse ; privée de cette
occasion, elle était certaine que, sielle suggérait discrètement qu'elleavait quelque chose à lui dire, il encréerait une autre.
Elle leva la tête — Devil setenait à côté d'elle, un ennuipatient sur le visage. Elle tendit lamain; en douceur, il l'aida à serelever. Elle jeta un coup d'œilautour d'elle ; la salle du repas étaitvide. Elle se tourna vers Devil —seulement pour se voir dirigerdavantage vers le fond, loin de lasalle de bal. Étonnée, elle leva les
yeux sur lui.Il sourit, l'essence même du
loup.— Faites-moi confiance.Il la guida vers un mur — et
ouvrit une porte dissimulée dans lelambris. La porte donnait sur uncorridor secondaire, actuellementdésert. Devil la fit passer, puis il lasuivit. Clignant des paupières,Honoria regarda autour d'elle; lecorridor courait en parallèle à lasalle de bal, menant à sonextrémité.
— Où...— Venez avec moi.Prenant sa main, Devil marcha
à grands pas dans le corridor.Comme d'habitude, elle dut se
hâter pour maintenir l'allure; avantqu'elle puisse trouver uncommentaire assez lourd de sous-entendus, ils atteignirent une voléede marches. Légèrement surprise,elle le vit s'engager en bas.
— Où allons-nous ?Pourquoi elle murmurait, elle
l'ignorait.
— Vous le verrez dans uneminute, chuchota-t-il à son tour.
Les marches débouchaient surun autre corridor, parallèle à celuiau-dessus ; Devil s'arrêta devantune porte tout au bout. L'ouvrant, ilregarda à l'intérieur, puis il reculaet la prit par la main pour lui fairepasser le seuil.
S'arrêtant juste à l'intérieur,Honoria cligna des paupières.Derrière elle, le verrou s'engagea,puis Devil la mena en bas de troismarches basses en pierre et sur un
plancher dallé.Les yeux ronds et s'arrondissant
davantage, Honoria admira lesalentours. D'immenses panneauxde verre formaient la moitié dutoit, tout un mur et la moitié dechacun des murs adjacents. Le clairde lune, blanc pur, se déversaità l'intérieur, illuminantparfaitement les orangers taillésdans les pots d'argile, disposés endeux demi-cercles au milieu de lapièce. Glissant sa main hors de cellede Devil, elle pénétra dans
l'orangeraie. Sous la lumière de lalune, les feuilles luisantes brillaient; elle les toucha — leur parfumd'agrume s'accrocha à ses doigts.Au centre de l'orangeraie se tenaitun divan en fer forgé oùs'empilaient des coussins en soie. Àcôté sur les dalles était posé unpanier d'osier débordant debroderies et de dentelles.
Jetant un coup d'œil derrièreelle, elle vit Devil, une ombreargentée rôdant dans son sillage.
— C'est une orangeraie.
Elle vit ses lèvres tressaillirent.— L'une des fantaisies de ma
tante.La teneur de son propos lui fit
se demander quelle était safantaisie à lui. Un frisson d'attentela parcourut — un violon déchira lapaix. Surprise, elle leva la tête.
— Nous nous trouvons sous lasalle de bal ?
Les dents de Devil brillèrentquand il tendit la main vers elle.
— Ma danse, je crois.Elle fut dans ses bras et
tourbillonnait avant de réaliser sonintention. Non pas qu'elle souhaitadiscuter, mais un soupçon*d'avertissement aurait pu aider,aurait pu rendre le soudain impactde sa proximité un peu plus facile àabsorber. Là, avec ses bras commede l'acier autour d'elle et leslongues cuisses dures comme unchêne lui écartant les jambes, elle sesentit immédiatement la proied'une avalanche de sensations,toutes follement agréables. Ilvalsait comme il accomplissait à
peu près toute chose : avec art, sonsavoir-faire si bien maîtrisé quellen'avait rien d'autre à faire queglisser et tournoyer. Ilstournoyèrent jusqu'au fond del'orangerie, puis tourbillonnèrentlentement dans son périmètre.Quand ils dépassèrent l'entrée dece cercle enchanté, il baissa les yeuxdans les siens — et l'attiradélibérément plus près.
Le souffle manqua à Honoria ;son cœur eut des ratés, puisaccéléra. La soie pâle couvrant ses
seins se déplaça contre le veston deDevil ; elle sentit ses mamelonspicoter.
Leurs hanches se touchèrentquand ils tournèrent, la soiechuchota comme une sirène dans lanuit. La dureté rencontra ladouceur, puis s'éloigna dans unglissement terriblement excitantseulement pour revenir plus dure,plus définie, un battement de cœurplus tard. Le mouvement et lebalancement de la danse titillaientses sens; ils mourraient de désir —
pour lui. Yeux ronds, le regardpiégé dans son regard vert clair,Honoria sentit la caresse argentéede la lune et inclina la tête vers leciel. Ses lèvres, entrouvertes,étaient étrangement sèches ; ellesbattaient au rythme des battementsde son cœur.
L'invitation d'Honoria nepouvait pas être plus claire. Pris parl'instant, Devil ne songea même pasà refuser. Avec une facilité née dela pratique, il baissa la tête et lagoûta, sûr de sa maîtrise, seulement
pour découvrir que sa tête tournaitquand elle l'attira à elle. Avec unjuron en son for intérieur, il tirafortement sur ses rênes et réussit àreprendre le contrôle, commençantà goûter avec langueur les richessesqu'elle offrait, alimentantsubtilement la flamme d'Honoria.
Peu à peu, leurs pas ralentirent; ils s'arrêtèrent près du divan.
Honoria réprima un frissond'anticipation. Leur baiserininterrompu, Devil lâcha sa main;il glissa ses deux paumes sur les
courbes drapées de soie d'Honoriajusqu'à ce qu'elles reposent surchaque hanche, brûlantes à traverssa robe légère. Lentement,délibérément, ses mains sefaufilèrent plus loin, prenant sesfesses en coupe, l'attiranttotalement contre lui. Honoriasentit son besoin flagrant, son désir— une chaleur s'épanouit en elle enréaction. Le souffle d'Honoria étaitcelui de Devil; prise par leur baiser,elle leva les bras et lui enlaça le cou.Elle se pressa contre lui, apaisant
ses seins douloureux contre le murde son torse. Le profond frisson quile traversa excita sa compagne.
Elle avait répété son discours deconsentement — ceci était encoremieux ; les actions, après tout,parlaient beaucoup plus fort que lesmots. Avec un soupir de joie pure,elle plongea davantage dans sonétreinte, lui rendant son baiser avecune impatience non feinte.
La tension envahit Devil. Il lasouleva ; sans interrompre leurbaiser, il l'allongea sur le divan. Et
il la suivit dessus ; le souffled'Honoria disparut. Elle savait queson corps était dur, mais elle nel'avait jamais eu pressé contre elle,membre contre membre, tout lelong de son corps. Le choc étaitdélicieux ; avec un halètementétouffé, elle repoussa son veston etécarta impatiemment les mains surson torse.
Et elle sentit soudain lesoubresaut dans la respiration deDevil, sentit sa brusque poussée dedésir. Tout au fond d'elle, elle y
répondit, entraînant ouvertementla langue de Devil dans un duel,une danse avec elle. Elle commençaà entremêler ses longues jambesavec les siennes ; ses mainsfouillèrent plus avant. Elle ne seraitpas une spectatrice passive ; ellevoulait sentir, expérimenter,explorer.
Ce qui était plusd'encouragement que pouvait ensupporter Devil. Brusquement, ilrecula, prit les mains d'Honoria etles coinça au-dessus de sa tête.
Immédiatement, il captura denouveau ses lèvres, le désircroissant, s'intensi- fiantsauvagement, à peine retenu.Affamé, il intensifia son baiser,cherchant l'apaisement, s'efforçantsimultanément de garder lamaîtrise de lui-même.
À moitié emprisonnée sous lui,Honoria s'arqua, réagissant àl'intimité, à la chaleur augmentantconstamment. Le désir, une entitépalpable, monta et enfla ; elle setortilla, la soie glissant
sensuellement entre eux, puis ellegémit et tira pour se libérer de sapoigne. Il interrompit leur baiserassez longtemps pour dire non.
Tournant la tête, elle évita seslèvres.
— Je veux seulement voustoucher.
— Oubliez ça, dit-il d'une voixgrinçante.
Il était dangereusementsurchauffé, poussé par un désirqu'il avait gravement sous-estimé;les mains vagabondes d'Honoria
seraient le comble.— Pourquoi?Honoria vérifia sa prise, puis se
tortilla, essayant d'obtenir unemeilleure position; une cuissedouce se pressa plus près, puisglissa vers le bas, caressa d'unemanière provocante cette partie deson anatomie qu'il tentaitdésespérément d'ignorer.
Il inspira dans un sifflementd'air ; elle se colla davantage —Devil oublia pourquoi, oublia toutsauf le besoin d'assouvir la force
impérieuse qui l'envahissait toutentier. Le désir se cristallisa,durcissant chaque muscle. Tendantchaque nerf. Anéantissant les restesde prudence. Il lui prit le menton etcaptura sa bouche dans un baiserbrûlant.
Il changea de position, unejambe emprisonnant une dessiennes, se servant de son poidspour la soumettre.
Non qu'elle se débatte. Leslèvres d'Honoria s'accrochaient auxsiennes avec une passion
séductrice. Elle gémit encore, cettefois avec abandon; son corpss'arqua, caressant le sien, invitant,séduisant.
Sa main quitta sa mâchoirepour prendre avec possessivité unsein en coupe ; il pétrit la petitesphère, puis il fit rouler sonmamelon entre ses doigts jusqu'à cequ'il forme un bourgeon serré.
Honoria haleta ; son seinpalpita, puis il devint douloureuxde désir à mesure que les doigts deDevil le trituraient. Elle se tortilla,
se délectant des muscles tendus deDevil se déplaçant en réaction. Lecorps de son compagnon était près— elle mourrait d'envie de l'avoirencore plus près d'elle. Beaucoupplus. La chaleur l'enflammaitsubitement partout où il la touchait; elle avait besoin de sa dureté pouréteindre la flamme, pour satisfairela fièvre qui coulait joyeusementdans ses veines.
Elle le voulait, avait besoin delui — il n'y avait plus aucune raisonpour l'empêcher de l'avoir. Avec
désespoir, elle tira pour se libérerde sa poigne — celle-ci se resserra.Sa main gauche quitta son sein —avant qu'elle puisse protester, elleentendit un clic étouffé. Elles'immobilisa — lecorsage de sa robe fut enlevécomme une pelure. Son cœur battit sourdement, puis accéléra àtoute vitesse. Le cordon de sachemise se tendit, puis se relâcha —le tissu léger comme une plumeflotta vers le bas, dénudant ses
seins.Devil leva la tête ; Honoria
frémit dans un souffle. Elle sentit lacaresse fraîche de l'air sous le clairde lune, ressentit la chaleur de sonregard sur elle. Ses mamelons sefroncèrent fortement. Soulevantdes paupières lourdes tout à coup,elle leva la tête. Le visage de Devilétait taillé au couteau, ses traitsdurs, aux lignes acérées. Ses seinspalpitaient douloureusement,comme s'il en avait conscience, ilbaissa la tête.
Et il posa ses lèvres sur sa peauenflammée. Honoria se raidit; sessens bondirent. Devil lâcha desbaisers chauds autour d'uneauréole, puis aspira la chair doucedans sa bouche. Elle se tendit. Iltéta — et elle crut qu'elle allaitmourir. La sensation de ce geste latransperça ; ses orteils serecourbèrent. Elle haleta, son corpsse bandant, s'arquant plus près delui. Ses doigts, toujours piégés au-dessus de sa tête, se serrèrentfortement.
Il tortura sa chair tendre jusqu'àce qu'elle pousse un cri, puis il setourna vers l'autre sein. Il leva latête seulement lorsque celui-ci la fitaussi violemment souffrir, quandson corps fut comme de la lave enfusion, vibrant de désir. Sous sescils, Honoria l'observa pendantqu'il effleura sa peau endescendant, caressant avecpossessivité la légère courbe de sahanche, puis dessinant la longuetrajectoire sur sa cuisse. Sespoumons cessèrent de fonctionner
au moment où ses doigts seglissèrent sous son ourlet; son cœurs'arrêta lorsque d'un seulmouvement fluide, il releva sesjupes jusqu'à sa taille.
Honoria trembla. L'air fraisléchait sa chair fiévreuse ; le regardde Devil, chaud comme le soleil,dissipait le froid, la parcourantcomplètement, passant en revue cequ'il comptait posséder. Puis, iltourna la tête et rencontra sonregard. Sa main se resserra sur sahanche nue, puis glissa plus bas
dans une caresse excitante, paumedure et longs doigts caressantsciemment vers le bas, puis vers lehaut.
Le regard piégé par le sien,Honoria frissonna. Il se pencha plusprès ; elle ferma les yeux quand seslèvres trouvèrent les siennes. Elles'abandonna à lui, à leur baiser, selivra à l'agréable feu qui s'élevaentre eux.
L'âme de conquérant de Devilsavoura sa victoire — il continua,impatient d'en arriver à la conquête
finale. La longue trajectoire de sescuisses d'ivoire présentait unepuissante attirance, sa peau commedu satin chaud sous sa caresse. Sonventre légèrement arrondi se tenditsous sa main ; il fit glisser sa paumesur sa hanche, ses doigts secourbant sur une fesse ferme.
Consciemment, il traça etcaressa ; emmêlant ses doigts dansles douces boucles au sommet deses cuisses, il excita sans forcer.Sous lui, Honoria changeanerveusement de position, ses
lèvres s'accrochant aux siennes. Ilrecula, observant fugitivement sonvisage, vidé de toute expression parla passion. Sur son ordre murmuré,elle écarta les cuisses — puis haletaquand il la toucha, la prit en coupe.C'est seulement lorsque cettepremière onde de choc conscientmourut qu'il la caressa, passant unemain insistante sur les délicats plisenflés, les écartant pour trouver lebouton de son désir, déjà dur etpalpitant. Il en suivit le tour et ilsentit monter la passion d'Honoria
— il découvrit sa moiteur et poussagentiment, incitant délibérément lavague de désir à se développerentre eux.
Plus haute était la vague, plusgrisante était la chevauchée, plusl'écrasement final serait intense.Rassemblant des annéesd'expérience, il alimenta la passionde sa compagne jusqu'à ce qu'elle setransforme en marée tumultueuse.
Prise sur la crête, Honorian'avait conscience de rien au- delàde son violent besoin, centré dans
la chair enflée et palpitante qu'ilcaressait avec tellement de savoir-faire, avec une lenteurdésespérante. Puis, un long doigtglissa plus profondément, décrivitun cercle, puis poussa encore plusau fond. Elle retint son souffle surun gémissement; son corps sesouleva, cherchant désespérémentquelque chose. Il caressa — lachaleur en elle s'enflamma.
Encore et encore, l'offensivereprit dans son intimité; yeuxfermés, sens déchaînés, elle voulait
plus. Il connaissait son besoin; ilreposa ses lèvres sur les siennes, salangue prenant possession de sabouche avec le même rythmelangoureux hypnotisant avec lequelil fouillait son corps excité.
Les seins gonflés et lourds,Honoria s'arqua contre lui, essayantde soulager leur douleur.Brusquement, il libéra ses lèvres ;une seconde plus tard, sa bouche sereferma sur un mamelon.
Un cri étranglé lui échappa —un éclair la traversa ; la
déflagration rugit en elle. La mainenroulée autour des siennesdisparut. Devil changea deposition; se servant d'une mainpour apaiser la douleur d'un sein, ilcaressa l'autre avec ses lèvres et sabouche. Ses doigts glissèrent plusprofondément entre les cuissesd'Honoria et encore plus loin.
Les mains libres, Honoria lestendit vers lui.
Immédiatement, les gestesdevinrent plus passionnés, plusurgents. Elle se battit avec sa
cravate pour la lui retirer, puiss'affaira à déboutonner sa chemise.Dans tous ses états, elle s'arrêta àmoitié chemin et, se déplaçant,remuant et haletant, elle se débattitavec son veston. Devil s'efforça dela maintenir immobile. Enmarmonnant un juron, il reculasoudainement et haussa lesépaules, puis lança son veston etson gilet à côté. Honoria accueillitson retour à bras ouverts, excitéejusqu'au bout de ses orteils quandelle entra finalement en contact
avec son torse nu. Les muscles deDevil se bandèrent, remuèrent —affamée, elle les explora. Des poilsserrés s'emmêlèrent autour de sesdoigts ; sous ses paumes, Devilbrûlait.
Il sentit qu'elle tirait sa chemisehors de sa ceinture, sentit sespetites mains glisser sur lui, setendant pour caresser les largesmuscles de son dos. Il leva la tête.Elle resserra sa prise — les deuxpics jumeaux de ses seins sepressèrent contre son torse nu ; la
chaleur entre ses cuisses le brûla.Cette étreinte à peau nue le laissatremblant, haletant, s'efforçant deretrouver une étincelle de maîtrise.Chacun de ses sens le poussait àcontinuer, à s'emparer de tout cequ'elle avait à offrir, à se plongerdans sa chaleur glissante et à laprendre, à la faire sienne au-delà detout espoir de retour. La pressionde cette pulsion était écrasante ; sesdoigts se trouvaient sur les boutonsde son pantalon, ses sens de
séducteur effectuant une dernièrevérification superficielle — quandil se souvint de sa peur.
De sa raison pour ne pas semarier.
Il s'immobilisa. Puis, il clignades paupières. Il entendit sa proprerespiration irrégulière, sentit sontorse gonflé. Un violent désirfrappait tous ses sens ; la passion,déchaînée, cherchait l'apaisement.
Mais... dans cet instant de folie,le désir et la volonté s'affrontèrent.
Le choc en fut presque physique.L'effort déchirant requis pourretirer ses- mains d'Honoria, pourrouler plus loin et s'asseoir, le laissaétourdi.
Avec un gémissement, Honorial'attira vers elle. Du moins, elleessaya. Elle n'arrivait pas à avoirprise sur son corps — serrant lesmains sur sa chemise défaite, elletira avec désespoir.
Elle ne réussit qu'à se balancer.Devil ne bougea pas.
Gentiment, il lui prit les mains etdesserra ses doigts.
— Non.— Non?La question sortit comme une
plainte étouffée ; totalementincrédule, Honoria le dévisagea.
— Tu es un séducteur — lesséducteurs ne disent pas non!
Il eut le bon goût de grimacer.— Ce n'est pas bien.Honoria respira profondément
; ses sens étaient en ébullition,criant leur besoin.
— Vous faites l'amour à desfemmes depuis Dieu sait combiende temps — vous devez savoircomment procéder maintenant !
Le regard que lui décocha Devilfut extrêmement acéré.
— Ce que je voulais dire, c'estque ce n'est pas de cette façon queje compte vous amener vous dansmon lit.
Honoria ouvrit grand les yeux.— Est-ce important ?— Oui!L'expression grave, il secoua la
tête.— Cela ne devait pas se
produire maintenant !Les mains encore
emprisonnées entre les siennes,Honoria le dévisagea.
— Pourquoi m'avez-vousamenée ici, alors ?
— Croyez-le ou non, j'avaisseulement envisagé une valseillicite — pas une entreprise deséduction complète.
— Alors, pourquoi sommes-nous sur ce divan ?
Devil serra la mâchoire.— Je me suis laissé emporter ;
par vous !— Je vois.Elle plissa les yeux.— Vous avez le droit de me
séduire, mais le même privilège nem'est pas accordé ?
Les yeux qui croisèrent lessiens n'étaient que deux éclatsverts.
— Exactement. La séductionest un art qu'il vaut mieux laisseraux experts.
— A l'évidence, j'apprends vite,et j'ai eu un excellent professeur.
Ses mains immobilisées danscelles de Devil, elle tira, essayantde le renverser ; si elle arrivaitseulement à l'amener sur le divan àcôté d'elle...
— Non!Brusquement, Devil lâcha ses
mains et se leva ; d'un air sévère, ilbaissa la tête vers elle. Elle nel'avait pas séduit ; quelque choses'en était chargé.
Quoique ce fut, il ne lui faisait
pas confiance ; cette force qui luimurmurait et le pressait decapituler, de rejeter ses plansminutieux et de tomber avec elle,emporté par le désir.
— Quand vous viendrez à moicomme ma femme, je veux que cesoit par votre propre volonté. Parceque vous aurez pris la décision dedevenir ma duchesse. Ce n'est pasune décision que vous avez déjàprise.
Stupéfiée, Honoria ledévisagea.
— Et selon vous, de quoi était-ilquestion ici?
Son geste englobait sa positionaffalée et à moitié nue.
Devil plissa les paupières.
— De curiosité.— De curio...La bouche d'Honoria s'ouvrit et
se referma ; ses lèvres se pressantde manière inquiétante, elle sereleva sur un coude.
Devil parla avant qu'elle puisses'exprimer.
— Même si ce n'était pas cela —même si vous avez pris votredécision de sang-froid — commentpuis-je le savoir maintenant alorsque vous êtes tellement échaufféeque vous bouillez presque ?
Honoria rencontra son regard ;elle aurait aimé détenir la réponse.
— Vous êtes presque ivre depassion — n'essayez pas de le nier.
Elle ne le fit pas — ne le
pouvait pas ; le simple fait de seredresser lui donnait le vertige. Sonpouls résonnait bruyamment dansses oreilles; un instant, elle se sentitenflammée, puis l'instant suivant,elle eut désespérément envie dechaleur — de la chaleur de Devil. Ily avait un étrange vide en fusionvibrant en elle; sa respiration étaittellement superficielle qu'il lui étaitdifficile de réfléchir.
Le regard de Devil sur sonvisage devint plus intense, puis
s'abaissa fugitivement, laparcourant rapidement. Les plis desa robe avaient glissé vers le bas,l'ourlet flottant sur ses cuisses.
Instantanément, ses yeux sereportèrent sur son visage ; elle vitsa mâchoire se serrer, vit seschaînes se remettre en place et luiredonner la maîtrise de lui-même.
Il parla à travers des dentsserrées, la frustration présente dansla voix.
— Il est important pour moi de
savoir si vous avez pris unedécision consciente — que vousavez décidé de devenir ma femme,la mère de mes enfants pour vospropres raisons et non parce que jevous ai séduite ou manipulée oucontrainte à le faire.
— J'ai pris ma décision.Honoria se mit avec difficulté à
genoux.— Comment puis-vous te
convaincre ?— J'ai besoin de vous
l'entendre dire, le déclarer quand
vous serez totalement composmentis.
Devil soutint son regard.— Je veux vous entendre
déclarer que vous serez maduchesse, que vous voulez portermes enfants.
À travers le brouillard de sapassion, Honoria perçut l'éclatd'une lumière inattendue. Elleplissa les yeux.
— Pourquoi exactement avez-vous besoin de cette déclaration ?
Devil baissa la tête vers elle et
plissa lui aussi les yeux.— Pouvez-vous nier avoir évité
le mariage à cause de votredécision de ne pas risquer deperdre des enfants — comme vousavez perdu votre frère et votresœur ?
Abasourdie, elle le dévisagea.— Comment le savez-vous ?La mâchoire de Devil se
contracta.— Michael m'a parlé de votre
frère et de votre sœur. Le reste estévident. Vous deviez avoir une
raison pour ne pas vous marier —vous vous tenez loin des jeunesenfants.
Sa supposition — exacte —pour deviner sa peur la plus secrèteétait enrageante; Honoria savaitqu'elle devait réagir — fairequelque chose pour le remettre à saplace.
Au lieu, leur conversation surles enfants avait provoqué uneréaction beaucoup plus forte, unemontée, une envie primitive de leremettre à sa place d'une manière
très différente.Leur discussion n'avait rien fait
pour étouffer le désir palpitantconstamment dans ses veines. Ilsétaient tous les deux à moitié nus,respirant rapidement ; la passionvibrait encore entre eux. Chacundes muscles de Devil était biendéfini, bandé contre ce besoinimpérieux. Elle ne possédaitaucune défense similaire.
Une prise de consciencel'envahit — et la laissa tremblante.
— Vous...
Elle scruta ses yeux, les sienss'élargissant. Elle écarta les brasavec impuissance.
— Vous ne pouvez pas melaisser ainsi.
Devil regarda dans ses yeux etjura mentalement — contre lui-même, contre elle — et contre lafoutue robe de Celestine,rassemblée en plis lustrés autour dela taille d'Honoria, drapant sescuisses dans la splendeur de la soie.Pendant qu'il l'observait, un frissonrévélateur la tourmenta, un
tremblement presqueimperceptible ondulant sous sapeau.
Tendant la main, elle refermases doigts sur sa chemise et tira. Acontrecœur, il s'approcha. Il l'avaitexcitée exprès, délibérémentpoussée dans un état frôlant lafrénésie.
— S'il vous plaît ?La douce supplique restait sur
ses lèvres contusionnées ; ellebrillait dans ses yeux.
Que pouvait faire un
gentleman ? Avec un dernier juronmental, Devil la prit dans ses braset posa les lèvres sur les siennes.
Elle s'ouvrit instantanément àlui, se coulant contre lui. Il luidonna ce qu'elle voulait, attisantrégulièrement sa flamme, se tenantlui-même rigidement à l'écart. Sesdémons étaient une fois de plusmaîtrisés — il n'allait pas laisser lesrênes lui échapper de nouveau.
Honoria sentit sa réaction ; lesmuscles qui l'entouraient restaientbandés et ne cédaient pas. Elle ne
deviendrait pas sa femme ce soir.Toutefois, il ne lui restait aucunevolonté pour injurier le destin —tout son être était centré sur le feuqui faisait rage en elle. Unesuccession de vagues enflamméesla brûlait, la laissant vide et pleinede désir, affaiblie par son besoin.Comment allait-il rassasier sa faim,elle l'ignorait ; à la dérive, elle seremit entre ses mains.
Quand il releva la tête, Honoriaavait la tête qui tournait et ellen'avait jamais eu plus chaud de
toute sa vie. Son être en entier étaitun vide chaud et douloureux.Haletante, elle s'accrocha à sesépaules.
— Faites-moi confiance.Il chuchota ses mots contre sa
gorge, puis fit suivre une ligne debaisers impudiques sur une veinebleue. Honoria laissa sa têteretomber en arrière, puis frissonna.L'instant suivant, il la fit passerdans ses bras. Elle attendit d'êtreallongée sur le divan — au lieu, il laporta autour; le dos tourné au
meuble, il la déposa sur ses piedsdevant lui, en face de la longueglace sur le mur.
Honoria cligna des paupières.Le clair de lune trouva sa peau et lafit miroiter ; derrière elle, Devilressemblait à une ombre dense, sesmains sombres sur son corps.
Honoria se lécha les lèvres.— Qu'allez-vous faire ?Il pencha la tête et suivit le
contour d'un lobe d'oreille avec salangue.
— Vous satisfaire. Vous libérer.
Ses yeux rencontrèrent ceuxd'Honoria dans la glace.
— Vous donner du plaisir.Le murmure grave et
ronronnant provoqua un frissond'excitation aiguë en elle ; les mainsde Devil glissèrent pour prendreses deux seins en coupe — sesdoigts se resserrèrent et elletrembla.
— Tout ce que vous avez à faireest de m'obéir à la lettre.
Encore une fois, il croisa sonregard.
— Gardez les yeux ouverts etregardez mes mains — etconcentrez-vous sur ce que vousressentez, sur les sensations...
Ses mots étaient lents,hypnotiques ; Honoria n'arrivaitpas à arracher ses yeux de sesmains, pétrissant ses seins enrythme. Elle observa ses longsdoigts se tendre vers ses mamelons; ils tournoyèrent, puis pressèrent— de violents frissons latranspercèrent. Elle aspira unecourte bouffée d'air et s'appuya sur
lui — et elle sentit son torse nuderrière elle, les poils serrés râpantses épaules nues.
Ses mains quittèrent ses seins— elle reporta son attention sur laglace. Une main sombre écartée surson ventre la tenait contre lui ;l'autre agrippa sa robe, rassembléeen plis autour de ses hanches. Ellecomprit son intention et se raidit —une protestation monta, mais nefranchit jamais ses lèvres. Il tira larobe et la chemise vers le bas, par-dessus ses hanches, la dénudant,
puis les laissa glisser au sol. Lestissus coûteux s'accumulèrent enflaque à leurs pieds —Honoria les ignora, sous le choc, entranse, hypnotisée par la vue de sesmains foncées parcourantlibrement son corps.
Elle entendit un gémissementmurmuré et sut qu'il provenaitd'elle. Sa tête retomba contrel'épaule de Devil; sa colonnevertébrale s'arqua. Ses sens,pleinement éveillés, enregistraientchaque toucher, chaque caresse
experte ; sous des paupièreslourdes, elle regardait chaque gesteérotique. Puis, il changea deposition, ramenant ses bras autourd'elle, l'entourant, sa main gaucheprenant son sein droit en coupe, samain droite ouverte sur son ventre.Derrière elle, le genou de Devilexerçait une pression pour qu'elleécarte les jambes ; tête baissée, seslèvres frôlèrent la peau tendrederrière son oreille.
— Continuez à regarder.Honoria s'exécuta — elle
observa pendant que sa mainglissait plus bas, ses longs doigtss'entremêlant dans ses boucles, puissombrant plus loin, poussant versl'intérieur. Il toucha sa douceur,trouva sa chaleur en fusion et lacaressa. Le souffle coupé, souffrantde désir, elle sentit les muscles desbras de Devil bougés quand il letendit plus loin, sentit la pressionde sa main entre ses cuisses, sentitla lente invasion inexorable alorsqu'un long doigt la pénétrait.
Elle était écrasée par une vague
de sensations après l'autre; la mainsur son sein caressa, les doigtstouchant leur but, puis se resserrantautour de son mamelon en bouton.De leur propre chef, les mainsd'Honoria trouvèrent celles deDevil, se refermant autour de seslarges poignets. Les poils serrés surses avant-bras râpèrent la peautendre de l'intérieur des brasd'Honoria ; sous ses doigts, lesmuscles durs et les tendons d'acierse bandaient.
Entre ses cuisses, sa main se
déplaça ; un doigt s'enfonça plusprofondément, son pouce pressa etcaressa.
Un éclair, un incendie violent— des traînées de pures sensationsélémentaires la transpercèrent; soncorps se tendit, s'arqua; Honoriahaleta. Ses caresses sepoursuivirent, de plus en plusinsistantes ; en elle, les sensationstourbillonnaient, puisaugmentaient — un vortex desensations.
— Continuez à regarder.
Nue, en feu, elle ouvrit sespaupières avec difficulté — et vit samain s'enfouir très loin entre sescuisses.
Des étoiles l'envahirent —explosèrent en elle. La sensation secristallisa, monta en flèche, puis sebrisa en un million d'éclats argentésqui se déversèrent sur elle, latraversant, plongeant sur ses nerfstendus à l'extrême pour fondreavec des picotements sous sa peau.
La libération.Elle la submergea, chassant la
tension, la remplaçant par unplaisir si intense qu'elle crut enmourir. Elle sentit ses lèvres sur satempe, sentit ses mains s'adoucirentsous des caresses apaisantes etintimes. Un doux état d'oublis'empara d'elle.
Quand son esprit reprit contactavec la réalité, Honoria sedécouvrit entièrement habillée etappuyée contre le dossier du divan.Devant elle, Devil se tenait devantla glace, nouant sa cravate. Elleregarda ses doigts plisser et
attacher adroitement les larges pliset sourit.
Dans la glace, les yeux de Devilrencontrèrent les siens. Son sourires'élargit; il arqua un sourcil.
— Je viens de comprendre, dit-elle en s'appuyant plus lourdementcontre le divan, pourquoi vousn'employez pas de valet dechambre. Être un séducteur signifienécessairement que vous ne pouvezpas vous fier aux services d'unserviteur pour vous rendre un
aspect soigné.Mettant en ordre les bouts de sa
cravate, Devil la regarda d'un œiltorve.
— Exactement.Il se tourna.— Et si vous êtes revenue dans
le monde des vivants suffisammentpour réfléchir à cela, nous ferionsmieux de retourner dans la salle debal.
Il se baissa pour ramasser sonveston sur le plancher ; Honoria
ouvrit les lèvres pour l'informerqu'en effet, elle avait réfléchi et pritsa décision, puis se ravisa.
Ils avaient quitté le bal depuistrop longtemps déjà — ce n'étaitplus ni le moment ni l'endroit.Demain matin ferait l'affaire.
Elle avait l'impression deflotter, étrangement écartée de laréalité. Elle regarda Devil enfilerson veston d'un haussementd'épaules. Pendant qu'il plaçait lesrevers, quelque chose attira le
regard d'Honoria. Se tournant, elleregarda d'un air interrogateur entreles orangers.
— Qu'y a-t-il ?Devil suivit ses yeux.— J'ai cru voir quelqu'un, mais
il devait s'agir des ombresmouvantes.
Devil lui prit la main.— Venez ; les mauvaises
langues ont déjà suffisamment dechoses à se mettre sous la dent.
Ils traversèrent rapidement
l'orangeraie; un moment plus tard,le verrou cliqueta et tout futsilencieux. La lune continua à jeterses doux rayons en larges bandessur le plancher dallé.
Puis, une ombre rompit lemotif.
La silhouette d'un homme futprojetée sur l'orangeraie, déforméejusqu'à des proportionsmenaçantes. Puis, la personnes'éloigna doucement, tournant lecoin de l'orangeraie, puis l'ombredisparue.
Le clair de lune baignait lascène d'une douce lumière blanche,illuminant les orangers, le panierd'osier et le divan avec ses coussinsfroissés.
Chapitre 15
Merci, Emmy.Debout, bras croisés devant lafenêtre de son boudoir, Honoriaregarda la bonne ranger sonplateau-repas.
— Monsieur le duc est-il rentréà la maison ?
— Je ne crois pas,mademoiselle.
Emmy se redressa, soulevantson fardeau.
— Je pourrais interrogerWebster, si vous le désirez ?
— Non, merci Emmy.Honoria se fabriqua un sourire.— Ce n'était qu'une question
futile.Très futile. Se tournant de
nouveau vers la fenêtre, Honoria sedemanda jusqu'à quel point ellepourrait encore supporter lafutilité. Ils étaient revenus deBerkeley Square bien après troisheures ; le sommeil, profond et sansrêve, l'avait emportée. À l'évidence,le plaisir de Devil lui avait convenu; à son réveil, elle était déterminée à
ne plus perdre de temps pour enréclamer davantage. Habillée del'une des créations les plus seyantesde Celestine, elle s'était rendue enbas.
Seulement pour découvrir lasalle du petit déjeuner inoccupée.Vide de loups. Webster l'avaitinformée que Sa Seigneurie avaitrompu le jeûne tôt et était partiepour une longue promenade envoiture. Après avoir mangé sonpremier repas dans une splendeursolitaire — la douairière avait, la
nuit précédente, déclaré sonintention de ne pas se lever avantl'après-midi — elle s'était retiréedans son boudoir. Pour attendre.Impatiemment.
Comment osait-il exiger unedéclaration de sa part et ensuitepartir en voiture ? Elle grinça desdents et entendit claquer la ported'entrée. Le son de voix hausséeslui parvint. Plissant le front, ellealla à la porte, l'ouvrit et reconnutla voix de Webster poussant uneforte exclamation.
Webster se départissant de sonhabituelle imperturba- bilité ?Honoria se dirigea vers lesmarches. Sûrement, rien de moinsqu'une catastrophe...
Le souffle lui manqua; ouvrantgrand les yeux, elle ramassa sesjupes et courut.
Atteignant la galerie, elle sepencha sur la rampe. Le spectaclequi accueillit ses yeux était tout lecontraire de rassurant. Dans levestibule en dessous, des valets depied grouillaient autour d'une
silhouette en haillons, la soutenant,s'exclamant. Il s'agissait de Sligo,pâle, bouleversé, un bras dans uneécharpe de fortune, des coupures etdes écorchures sur tout le visage.
Le cœur au bord des lèvres,Honoria commença à descendre —et elle entendit la voix de Devil,grave, forte, un grondementpuissamment cohérent. Lesoulagement la frappa si durementqu'elle dut s'appuyer sur la rampepour laisser s'atténuer son vertige.Aspirant une bouffée d'air
calmante, elle continua sa descente.Devil sortit à grands pas de la
bibliothèque; Honoria serra encorela rampe. Son manteau étaitdéchiré à d'innombrables endroitsen petites déchirures irrégulières.Sa culotte d'équitation en peau dedaim habituellement immaculéeétait éraflée et poussiéreuse, toutcomme ses bottes. Des mèchesnoires ébouriffées encadraient sonvisage aux sourcils froncés ; unevilaine égratignure courait le longde sa mâchoire.
— Allez chercher le chirurgienpour Sligo ; cette épaule doit êtreremboîtée.
— Mais, et vous, mon Seigneur?
Webster, suivant sur ses talons,leva les mains comme s'il tentaitd'attraper son maître.
Devil pivota brusquement, etvit Honoria sur les marches. Sonregard s'attacha au sien.
— Je n'ai rien à l'exception dequelques égratignures. Aprèsun moment, il jeta un coup
d'œil à sa gauche,fronçant les sourcils en direction deWebster.
— Arrête de faire des histoires— les Cynster sont invincibles, tu terappelles ?
Sur ce, il déposa une botte surla première marche.
— Fais juste monter un peud'eau chaude ; c'est tout ce dont j'aibesoin.
— Je vais en monterdirectement, Votre Seigneurie.Avec sa dignité blessée,
Webster se dirigea vers lescuisines.
Devil grimpa l'escalier; Honoriaattendit. Il y avait des échardes debois, certaines couvertes depeinture, prises dans les déchiruresde son manteau. La poitrined'Honoria était si serrée qu'elle luifaisait mal.
— Que s'est-il passé ?Arrivant devant elle, Devil
rencontra son regard.— L'essieu de mon phaéton
s'est brisé.
Il y avait quelques taches desang sur sa chemise; il avançaitvivement, mais sans sa grâce fluidehabituelle. Il continua à monter ;Honoria se tourna et le suivit.
— Où?— À Hampstead Heath.Sans attendre sa question
suivante, il ajouta :— J'avais besoin d'un peu d'air,
je suis donc allé là-bas et j'ai laisséles chevaux aller à leur guise. Nousfilions à toute vitesse quand l'essieus'est rompu.
Honoria sentit son visage sedrainer de son sang.
— Rompu ?Devil haussa les épaules.— Brisé net; il y a eu un
puissant craquement. Nous avonspeut-être frappé quelque chose,mais je ne le crois pas.
Atteignant le haut desmarches, il tourna et marcha àgrands pas dans le corridor ;imaginant la scène et n'aimant pasce qu'elle apercevait, Honoria sehâta dans son sillage.
— Vos chevaux, les alezans ?— Non.Devil lui jeta un regard.— J'avais fait atteler deux
jeunes chevaux noirs pour... voir cequ'ils avaient dans le ventre.
Ses traits se contorsionnèrent.— J'en ai tiré un
immédiatement, mais je ne portequ'un seul pistolet. Heureusement,Sherringham est passé — je lui aiemprunté le sien, puis il nous areconduits ici.
— Mais...
Honoria plissa le front.— Que s'est-il réellement passé
?Un regard résolument irritable
la toucha.— L'essieu s'est brisé sous le
siège; essentiellement, le phaétonest tombé en morceaux. Par unechance d'enfer,Sligo et moi avons été propulsés àl'écart. Je rebondis mieux que lui.
— La voiture ?— Dorénavant du bois
d'allumage.
Ils atteignirent le fond du longcorridor; ouvrant une lourde porteen chêne à son extrémité, Devilentra à grandes enjambées. Ils'arrêta au milieu de la pièce, aucentre d'un tapis richement coloré.Levant une épaule, il commença àretirer délicatement son manteau— et retint son souffle sur unsifflement.
— Tenez.Derrière lui, Honoria tendit les
mains par-dessus ses épaules et tiradoucement, libérant d'abord une
épaule, puis l'autre avant de fairede même avec les manches.
— Doux Jésus !Lâchant le manteau abîmé, elle
le regarda fixement.Sa chemise était méchamment
déchirée, le lin fin en lambeaux ducôté de son dos qui avait essuyé legros de sa chute. Les écorchuresavaient saigné, tout comme denombreuses petites coupures.Heureusement, sa culotte et sesbottes avaient offert une protectionplus sérieuse; il n'y avait pas de
déchirures sous sa taille.Avant qu'elle puisse réagir,
Devil retira sa chemise de sa culotteet la souleva par-dessus sa tête. Etse figea. Puis, sa tête pivotabrusquement.
— Que diable faites-vous ici ?Il lui fallut un moment pour
déplacer son regard de son dos ensang à son visage. L'expression dansses yeux n'eut aucun sens immédiatpour elle avant qu'elle regardederrière lui — vers l'imposant lit àbaldaquin avec son ciel de lit qui
dominait la pièce. D'un regardrapide, elle embrassa lessomptueuses tentures, toutes dansles teintes de vert, la tête de litjoliment sculptée et les colonnessucre d'orge, les draps de soies etl'épais matelas de plumes et sonabondance d'oreillers moelleuxempilés en hauteur. L'air doux, ellereporta son regard sur lui.
— Vos coupures saignent, ondoit y appliquer du baume.
Devil jura dans sa barbe.— Vous ne devriez pas être ici.
Il se débattit avec sa chemise,essayant de libérer ses bras.
— Ne soyez pas ridicule.Honoria attrapa ses mains, à
présent tout à fait coincées ;adroitement, elle délaça sesmanchettes.
— Les circonstances excusentl'inconvenance.
Devil retira la chemise à sespoignets et la lança.
— Je ne suis pas sur mon lit demort.
— Vous êtes, par contre,
gravement éraflé.Honoria rencontra calmement
son regard.— Vous ne pouvez pas le voir.Devil plissa les yeux vers elle —
puis il se contorsionna, essayant deregarder par-dessus son épaule.
— Cela ne me donne pasl'impression d'être si mal ; je peuxme soigner moi-même.
— Pour l'amour du ciel !Honoria planta ses mains sur
ses hanches et lui jeta un regardmauvais.
— Arrêtez d'agir comme unenfant de six ans ; je ne vais quelaver les coupures et appliquer unpeu de baume.
La tête de Devil pivotabrusquement.
— Ce n'est pas la question ; jene suis pas un enfant de six ans et jene suis pas mort non plus.
Honoria hocha la tête.— Naturellement. Vous êtes un
Cynster; vous êtes invincible, vousvous en souvenez ?
Devil serra les dents.
— Honoria, si vous voulezjouer les anges de bonté, vouspouvez carrément m'épouserd'abord.
Honoria se mit en colère — elleavait attendu pour faire ladéclaration qu'il souhaitait et il luirevenait ainsi ! Avançant d'un pas,elle planta son index au centre deson torse nu.
— Si, déclara-t-elle, soulignantle mot avec un petit coup assuré, jedécide de vous épouser.
Elle tenta un autre petit coup ;
quand il recula d'instinct, ellereferma la distance entre eux.
— Je voudrais avoir la certitude.
Un autre petit coup, un autrepas.
— Que vous vous comporterezraisonnablement !
Son doigt commençait à la fairesouffrir.
— Dans. Toutes. Les. Situations !Trois petits coups rapides, trois
pas rapides ; les jambes de Devilfrappèrent le bout de son lit.Honoria attaqua.
— Comme maintenant !
Levant un air de défi mauvaisvers lui, elle le poussa du doigt unedernière fois.
— Assoyez-vous !Le visage sur lequel elle posait
les yeux était résolument figé ; lesyeux, vert ombragé, brûlaientsombrement. Ils se tenaient,regards rivés l'un sur l'autre, orteilscontre orteils, volonté contrevolonté — brusquement, le regardde Devil se tourna vers le sol.
Honoria saisit l'occasion.Plaçant les deux paumes sur leslourds muscles de son torse, ellepoussa. Avec force.
Avec une exclamation étouffée,Devil perdit l'équilibre — et s'assit.
— Votre eau, Votre Seigneurie.Webster ouvrit la porte avec un
coude, laquelle s'était à moitiérefermée derrière eux.
Pivotant, Honoria tendit lesmains.
— Je vais avoir besoin debaume, Webster.
— En effet, mademoiselle.Sans un battement de cils,
Webster abandonna le bol à sessoins.
— Je vais en chercherimmédiatement.
Dès qu'il partit, Honoria seretourna — directement sous unregard furieux.
— Ce n'est pas une bonne idée.Elle arqua un sourcil, puis se
pencha et déposa le bol sur leplancher.
— Arrêtez de vous plaindre,
vous survivrez.Devil regarda sa robe s'étirer
sur ses fesses — brusquement, ilsecoua la tête.
— Peut-être, mais resterai-jesain d'esprit ?
Essorant un linge, Honoria luilança un regard évalua- teur. Selevant, elle plia le linge, puiss'avança à côté de lui, ses jambes luitouchant presque les cuisses.
Plaçant une main sur sonépaule, elle l'attira vers l'avant,faisant apparaître une profonde
coupure. Sous ses doigts, sa peauétait chaude, résistante et trèsvivante.
Pensez à autre chose.Avec précaution, elle
commença à baigner la coupure.Fermant les yeux, Devil inspira
profondément. Pensez à autre chose.
C'était aussi bien qu'il soit assissinon elle saurait sans aucun douteà quoi « d'autre » il pensait. Sescoupures et ses éraflurescomptaient à peine dans la balancede ses souffrances ; sa douleur
majeure palpitait régulièrement etelle ne ferait qu'empirer. Elle étaitsi près, se penchant sur lui, tendantla main derrière son épaule ; sonparfum l'enveloppait, s'enroulantautour de ses sens, le laissantétourdi de désir.
De petites mains touchaientavec délicatesse, hésitation ; ellesursauta lorsque ses musclesbougèrent, dansant sous ses doigts.Serrant les poings, Devil les ancrasur ses genoux ; quand Websterrevint, pot de baume en main, il
manqua presque soupirer desoulagement.
— Comment va Sligo ?C'était un effort, mais il réussit
à faire parler son majordomejusqu'à ce qu'Honoria, une fois ladernière éraflure lavée et couvertede baume, recule enfin.
— Voilà.S'essuyant les mains sur la
serviette que lui tendait Webster,elle jeta à Devil un regardinterrogateur en biais.
Devil lui rendit un regard vide.
Il attendit pendant que Websterrassemblait les vêtements perdus,les serviettes, le baume et lacuvette, puis sortait d'un pasmagistral. Honoria se tourna pourle regarder partir —silencieusement, Devil se leva etavança derrière elle. Il avait perdula bataille contre ses démons cinqminutes auparavant.
— Maintenant!Honoria pivota — directement
dans les bras de Devil.- Que...
Ses mots s'estompèrent quandelle regarda dans ses yeux. Lesentiment d'être sur le point d'êtredévorée la submergea. Elle sentit samain à la base de sa gorge. La mainse leva, encadrant sa mâchoire alorsqu'il baissait la tête.
Il n'attendit pas de permission,implicite ou autre, mais s'emparavoracement de sa bouche. Honoriasentit ses os fondre ; devant cetteattaque, la résistance la fuit.
Il bougea et la changea de
position ; les jambes d'Honoriafrappèrent l'extrémité du lit. Lasoulevant contre lui, il s'agenouillasur le lit, puis ils basculèrentensemble. Elle atterrit sur le dos —et lui sur elle. Carrément sur elle.
Toute pensée de se débattredisparut ; la faim qui rugissait enlui, le simple poids musclé de soncorps, tendu, rigide et prêt à laprendre, alluma instantanément lefeu de la passion d'Honoria. Elle luienlaça le son cou et l'embrassa
fiévreusement en retour. Il pressales mains dans l'édredon de plumeset le fit glisser sous les hanchesd'Honoria, ses doigts seraffermissant, puis l'inclinant surlui. Plus ferme, plus fascinantequ'avant, elle sentit la colonneraide de son désir monter sur elle.Instinctivement, elle secontorsionna sous ce poidspalpitant — voulant, désirant.
- Dieu tout puissant !Le poids de Devil la quitta —
elle fut rudement cueillie sur le lit.Emprisonnée dans ses bras dans unbouillon de jupons, clignantfurieusement des yeux, Honoria vitla porte s'approcher ; jonglant avecelle, Devil l'ouvrit largement. Et ladéposa sur ses pieds dans lecorridor.
- Que...Les seins se gonflant, Honoria
pivota vivement pour le regarderen face, le reste de sa questionécrite en gros dans ses yeux.
Devil pointa un doigt sur sonnez.
— Votre déclaration.Il avait l'air sauvage, cheveux
sombres emmêlés, sourcils noirsformant un trait vers le sol, lèvresen une mince ligne dure. Son torsese levait et retombait de manièrespectaculaire.
Honoria inspira profondément.— Pas maintenant !Devil se renfrogna.— Quand vous y aurez réfléchi
convenablement.Sur ce, il claqua la porte.La mâchoire d'Honoria se
décrocha; elle fixa les panneaux dechêne. Refermant sa bouche d'unclaquement sec, elle tendit la mainvers la poignée de porte.
Et entendit le verrou se mettreen place.
Totalement incrédule, elle fixala porte, la bouche encore une foisouverte. Puis, elle grinça des dents,serra fortement les yeux et les
poings durs, donna libre cours à uncri frustré.
Elle ouvrit les yeux — la porteresta close.
La mâchoire serrée d'unemanière menaçante, Honoriapivota sur ses talons et partit d'unpas raide.
Devil s'échappa de sa maison etchercha refuge chez Manton's.C'était en fin d'après-midi, unmoment où l'on pouvait comptersur plusieurs de ses pairs encore en
ville pour tirer quelques ciblespendant une heure ou deux enagréable compagnie.
Survolant du regard les gensqui occupaient les stands de tir, sesyeux se posèrent sur une têtesombre. Il s'avança à grands pas,attendant jusqu'à ce que sa cible eutdéchargé son pistolet avant de dired'une voix traînante :
— Tu n'as pas encore tout à faitcorrigé ton tir pour le recul, monfrère.
Richard tourna la tête et arqua
un sourcil.— Tu offres de me l'enseigner,
grand frère ?Les dents de Devil brillèrent.— J'ai renoncé à te faire la
leçon il y a des années; je songeaisdavantage à une petite compétitionamicale.
Richard sourit à son tour.— Un billet de dix livres par
pigeon ?— Pourquoi ne pas dire cinq
cents livres pour le lot ?— Marché conclu.
En toute amitié, ils se mirent àtirer un pigeon après l'autre; desconnaissances les rejoignirent,émettant des suggestions pas tropsérieuses, auxquelles les frèresrépondaient dans la même veine.Personne, en les voyant ensemble,ne pouvait douter de leur lien.Devil était le plus grand par quatreà cinq centimètres ; bien qu'ilmanque à Richard la mêmemusculature plus développée, unebonne part de la différence sesituait dans leurs quatre ans d'écart
d'âge. Leurs visages, vusséparément, n'étaient pas àpremière vue semblable, les traitsde Devil étant plus minces, plusdurs, plus sévères, néanmoins, vuscôte à côte, les mêmes lignespatriarcales, le même nez arrogantet la même ligne des sourcils, lemême menton agressif étaientfacilement évidents.
Reculant pour laisser Richardtirer, Devil se sourit à lui- même. Àpart Vane, qui lui était aussifamilier que son ombre, personne
n'était aussi près de lui queRichard. Leurs similitudes étaientprofondes, plus que lescaractéristiques physiques. De tousles membres de la barre Cynster,Richard était celui qu'il pouvaitdeviner le mieux — parce qu'ilréagissait toujours comme lui.
La riposte du pistolet deRichard résonna dans le stand ;Devil leva les yeux, remarquant letrou à deux centimètres à gauchede la cible centrale. Ils utilisaientune paire de pistolets plus un des
méchants spécimens spéciaux àlong canon de Manton's. Quoiqueles fusils étaient bien équilibrés, ladistance sur laquelle ils tiraient, laplus longue permise dans la galerie,il y avait une différence nette entreles fusils; se servir des trois à tourde rôle signifiait qu'ils devaientconstamment réajuster leur visée.
L'assistant qui s'occupait deuxavait rechargé le pistolet suivant ;Devil le soupesa dans sa main.Richard changea de position ; Devilse mit en place et leva le bras. Son
tir troua la cible entre le centre et lecoup tiré par Richard.
— Tut, tut ! Toujours impulsif,Sylvester — prendre un peu plusde temps donnerait de meilleursrésultats.
Richard, qui étaitparesseusement appuyé contre lemur du stand, se raidit, puis seredressa, son expressionauparavant détendue disparue sousun air impassible. Il salua brièvement Charles de la tête, puis
se tourna pour superviser lerechargement.En contraste, le sourire de Devils'élargit avec malice.
— Comme tu le sais, Charles,perdre du temps n'est pas mongenre.
— Les cils pâles de Charlesbattirent; un air désapprobateurapparut brièvement dans ses yeux.
Devil le remarqua ; toujourscourtois, il ramassa un pistoletfraîchement chargé.
— Veux-tu te joindre à nous ?
Faisant tourner le pistolet del'autre côté, il déposa le canon sursa manche et présenta la crosse àCharles.
Charles tendit la main pourl'accepter — il s'interrompit aumilieu de son geste. Puis, samâchoire se serra ; enroulant lesdoigts autour de la crosse polie, ilsouleva le pistolet. Reculantderrière Devil, Charles pritposition. Il remua les épaules unefois, puis leva le bras. Il visa,prenant, comme il l'avait dit, juste
un moment de plus que Devil avantde tirer.
Le centre de la cible disparut.Sur un « bravo ! » sincère, Devil
tapa l'épaule de Charles.— Tu es l'un des rares qui
peuvent réussir celaintentionnellement.
Charles leva les yeux, Devilsourit.
— Veux-tu te joindre à nous ?Charles le fit ; malgré sa
raideur initiale, même Richardétudia le style de son plus vieux
cousin. Le tir était l'un des raresdivertissements d'homme queCharles partageait avec lesmembres de la barre Cynster ; le tirau pistolet était une activité danslaquelle il excellait. Charles acceptales compliments agréables de Devilcomme son dû, mais après vingtminutes, il se souvint d'un autrerendez-vous et prit congé.
Observant le dos de Charles seretirant, Richard secoua la tête.
— S'il n'était pas aussi pédant,il pourrait être supportable.
Devil examina les feuilles depointage.
Quel est le décompte final ?— J'ai perdu le compte lorsque
Charles est apparu.Richard jeta un coup d'œil aux
feuilles, puis grimaça.— Tu as probablement gagné,
comme d'habitude.— Déclarons le match nul, dit
Devil en mettant les pistolets decôté. Pour ma part, il a servi sonbut.
— Qui était ?
Sourcils levés, Richard suivitDevil hors du stand.
— Me distraire.Sur un hochement de tête en
direction de Manton, qui sourit ets'inclina en retour, Devil les menahors de la galerie.
Richard marcha tranquillementdans son sillage, sortant avec lui surle pavé. Regardant le visage plisséde Devil, Richard leva ses sourcilsencore plus haut.
— Eh bien, tu l'es certainement.Devil cligna des paupières et se
concentra.— Quoi?— Distrait.Devil grimaça.— C'est juste que... j'ai oublié
quelque chose; quelque chose àpropos du meurtre de Tolly.
Instantanément, Richardredevint sérieux.
— Quelque chose d'important ?— J'ai le sentiment inquiétant
que cela pourrait s'avérer crucial,mais chaque fois que j'essaie demettre le doigt dessus, il retourne
dans le brouillard.— Arrête de t'entêter.Richard lui donna une claque
sur l'épaule.— Va parler à Honoria
Prudence; distrais-toi un peu plus,lui dit-il en souriant. Ton indicevital te viendra probablement àl'esprit dans la situation la plusimprobable qui soit.
Réprimant l'impulsiond'informer son frère que c'étaitd'Honoria Prudence qu'il avaitbesoin d'être distrait, Devil hocha la
tête. Ils se séparèrent, Richard sedirigeant vers sa demeure, Devilmarchant à grands pas sur les pavésvers Grosvenor Square. Dans sonétat actuel, la marche ne lui feraitpas de tort.
Le vent s'était levé quand Devilatteignit sa porte d'entrée au petitmatin. Après avoir quitté Richard,il était rentré à la maisonuniquement pour s'habiller pour lasoirée. Comme la majorité de ses
récentes soirées, la veille avait étéconsacrée à ce qu'il surnommaitmentalement, empruntant ladescription à Honoria, «la rumeurdéshonorante de Lucifer». Cen'était pas une chose que lui et sescousins pouvaient creuserdirectement — leurs opinionsétaient trop largement connues.Personne ne parlerait ouvertementen leur présence de peur desrépercussions. Ce qui signifiait qu'ilavait dû trouver un pion pour
mener l'enquête pour eux — ils'était finalement décidé pour levicomte Bromley. Sa Seigneurie,qui s'ennuyait, était un débauché etun joueur invétéré toujours en malde distractions.
Lui-même un joueur de cartesreconnu, Devil n'avait eu aucunedifficulté à faire miroiter le bonappât sous le nez de Sa Seigneurie.Depuis ce soir, le vicomte seretrouvait en bonne voie de perdresa chemise. Après quoi, monsieur
se révélerait extrêmement utile. Etaprès cela, il ne joueraitprobablement plus jamais aupiquet.
Souriant d'un air sinistre, Devilmarqua une pause, clé en main ;plissant les yeux, il scruta le cielnocturne. Il faisait sombre, mais pasassez pour ne pas voir les têtes decumulonimbus en train des'accumuler, rejoignant lentementles toits des maisons plus bas.
Il s'introduisit rapidement dans
la résidence. Il espérait que Websters'était souvenu de ses instructions.
La tempête éclata avec un puissantcoup de tonnerre.
Cela projeta Honoriadirectement en enfer. Sauf quecette fois, il s'agissait d'un enferdifférent, avec une nouvelle scènede carnage.
D'en haut, elle baissa les yeuxsur les restes d'une voiture, éclatsde bois et sièges en cuir démolis.
Les chevaux, entortillés et lacérés,hennissaient.
À côté de la voiture gisait lasilhouette d'un homme, écartée, seslongs membres projetés dans desangles impossibles. Des mèchesnoires couvraient ses yeux ; sonvisage était pâle comme la mort.
Il était allongé sans bouger,avec l'immobilité absolue de celuiqui a quitté ce monde.
La misère noire qui monta dansle cœur d'Honoria était plus forte
que jamais. Elle s'empara d'elle, lafit tournoyer sans effort, puis latraîna dans un vortex d'afflictions,la vallée des larmes sans fin.
Il était parti — et elle nepouvait plus respirer, ne trouvaitpas la voix pour protester, nepouvait pas rassembler la force dele rappeler. Avec un sanglotétouffé, les mains tendues,implorant les dieux, elle s'avançad'un pas.
Ses doigts rencontrèrent de la
chair ferme. De la chair chaude.— Chut.Le cauchemar vola en éclats; le
désespoir poussa un cri, puiss'évanouit, repartant furtivementdans l'obscurité, renonçant à sonemprise. Honoria se réveilla.
Elle n'était pas dans son lit,mais debout devant la fenêtre, lespieds froids sur les lattes. Dehors, levent hurlait ; elle tressaillit alorsque la pluie cinglait le verre. Sesjoues étaient mouillées de larmes
qu'elle ne se rappelait pas avoirversées; sa chemise de nuit en finebatiste n'était pas de taille à luttercontre le froid dans la pièce. Ellefrissonna.
Des bras chauds l'entourèrent,la soutinrent. Avec étonnement,elle leva la tête — pendant uninstant, elle ne distingua pas le rêvede la réalité —, puis la chaleurfiltrant à travers son fin bouclierpénétra dans son esprit. Sur unsanglot, elle se jeta contre lui.
— Tout va bien.Devil referma ses bras sur elle ;
d'une main, il lui caressa lescheveux. Elle tremblait, ses poings,deux boules dures, serraient sachemise. Glissant une main sous lalourde cascade de sa chevelure, illui caressa la nuque, appuyant lajoue sur le dessus de sa tête.
— Tout va bien.Elle secoua furieusement la
tête.— Tout ne va pas bien.
Sa voix était étranglée, étoufféepar son torse. Devil sentit seslarmes chaudes sur sa peau.Agrippant sa chemise, elle essaya,inefficacement, de le secouer.
— Vous avez été tué ! Mort.Devil cligna des paupières. Il
avait supposé que son cauchemarconcernait la mort de ses parents etde son frère et sa sœur.
— Je ne suis pas mort.Il en était certain ; elle ne
portait rien à part une seule couche
de fine batiste, un fait que ses sensde séducteur avaientimmédiatement remarqué.Heureusement, il s'était préparé.Tendant la main, il s'empara de lacouverture qu'il avait laissée sur labanquette sous la fenêtre.
— Venez, asseyez-vous devantle feu.
Elle était tendue, elle avaitfroid et frissonnait ; elle nedormirait pas avant d'être apaiséeet réchauffée.
— Il n'y a pas de feu ; un desvalets de pied l'a éteint. Il y aquelque chose qui cloche avec lacheminée.
Honoria transmit l'informationsans lever la tête. Elle ne savait pasdu tout ce qui se passait ; son cœurbattait violemment, une purepanique jouait sur ses nerfs.
Devil la tourna vers la porte.— Dans le boudoir.Il tenta de l'écarter de lui;
quand elle ne voulut pas lâcher
prise, il poussa un soupir et drapala couverture sur son dos et sesépaules, la repliant autour d'elle dumieux qu'il peut.
Honoria accepta faiblement sessoins — tant qu'elle n'était pasobligée de le lâcher.
Elle le sentit hésiter ; ilmarmonna quelque chosed'incompréhensible, puis se penchaet la souleva dans ses bras. Le gestedesserra sa poigne ; elle serra deuxnouvelles poignées de sa chemise et
pressa la joue contre son torse,soulagée au-delà de toute mesurelorsque ses bras se resserrèrentautour d'elle. L'agitation en elleétait effrayante.
Comme si elle était une enfant,il la porta dans le boudoir et l'assitsur un gros fauteuil en face du feuflambant. Il l'installa sur sesgenoux; elle se recroquevillaimmédiatement plus près, sepressant fortement contre son corpsdur. Le fauteuil et le feu avaientchangé depuis qu'elle s'était retirée
pour la nuit, un fait qu'elleremarqua, mais qui représentaitl'aspect le moins important de laconfusion lui embrouillant l'esprit.
Son cœur battait toujours lachamade, haut dans sa gorge ; seslèvres étaient sèches. Il y avait ungoût métallique dans sa bouche; sapeau paraissait d'une moiteurfroide. Tout tourbillonnait dans soncerveau, les pensées et les peurs,présentes et passées, se bousculantpour avoir priorité, exigeant desréponses.
La réalité et l'imaginationcraintive fusionnèrent, puis seséparèrent, puis fusionnèrentencore, des partenaires dans unedanse vertigineuse.
Elle ne pouvait pas réfléchir, nepouvait pas parler — elle ne savaitmême pas ce qu'elle ressentait.
Devil ne posa pas de questions,mais se contenta de la tenir,caressant ses cheveux, son dos, seslarges paumes se déplaçantlentement, d'une manièrehypotonique, néanmoins sans
intention sensuelle. Son toucherétait un pur réconfort.
Honoria ferma les yeux ets'appuya sur sa force; un soupirtremblant lui échappa, un peu de satension drainée. Pendantd'innombrables minutes, elle restadans ses bras, écoutant le cœur deDevil, calme et assuré, sous sa joue.Comme un roc, sa force l'ancrait;sous son influence, le kaléidoscopede ses émotions ralentit, puis secalma — soudainement, tout futclair.
— Votre phaéton.Se tortillant, elle leva la tête
vers lui.— Ce n'était pas un accident;
on voulait que vous mouriez.Les flammes lui éclairèrent le
visage ; elle pouvait clairement voirle pli sur son front.
— Honoria, c'était un accident.Je vous l'ai dit — l'essieu s'est brisé.
— Pourquoi s'est-il brisé? Lesessieux se brisent-ilshabituellement, particulièrementsur les voitures construites par les
fabricants à qui vous accordez votreclientèle ?
Ses lèvres se firent sévères.— Nous avons peut-être frappé
quelque chose.— Vous avez dit que non.Elle le sentit soupirer.— Honoria, c'était un accident
— le reste n'est qu'un cauchemar.Le fait est que je suis en vie.
— Mais vous n'êtes pas censé
l'être !Elle se débattit pour se
redresser, mais ses bras se
raffermirent, la retenant immobile.— Je ne fais pas de cauchemars
à propos de morts qui ne se sont pas produites. Vous étiezdestiné à mourir. La seule raisonpour laquelle vous êtes en vie estque...
À court de mots, elle gesticula.— Je suis un Cynster, offrit-il.
Je suis invincible, vous voussouvenez?
Il ne l'était pas — c'était unhomme de chair et de sang,
personne ne le savait mieux qu'elle.La mutinerie s'installa sur les lèvresd'Honoria.
— Si quelqu'un a trafiquél'essieu, cela ne se verrait-il pas?
Devil la regarda dans les yeux,anormalement brillants, et sedemanda si les somnambulesétaient victimes de fièvre.
— La voiture en entier, essieuet tout le reste, a été réduite enmiettes.
Que pouvait-il dire, que devait-il dire pour apaiser son esprit ?
— Pourquoi quelqu'unvoudrait-il me tuer?
Il comprit, instantanément, quece n'était pas un choix sage. Sedébattant contre sa poigne, Honoriase tortilla et s'assit droite comme uni.
— Évidemment!Yeux ronds, elle le dévisagea.— Tolly; Tolly venait vous
prévenir. Qui que ce soit a essayé devous tuer devait le tuer avant qu'ille fasse.
Brièvement, Devil ferma les
yeux — de douleur. Les rouvrant, illa souleva et la réinstalla, refermantses bras autour d'elle. Puis, ilrencontra son regard.
— Vous tissez cette fableentièrement à partir de votreimagination — et des restes devotre cauchemar. Si vous le désirez,nous pouvons en discuter au matin,quand vous pourrez examiner lesfaits à tête reposée.
Même dans son état actuel, ilpouvait sentir la rébellion en elle.Son menton se serra, puis s'inclina.
Retournant la tête, elle se réinstallasur son torse.
— Comme vous le voulez.Trop avisé pour s'offusquer de
son ton, il attendit, patiemment,qu'un peu de sa tension hautaine laquitte, puis il resserra encore sesbras.
Fixant les flammes dansantes,Honoria réexamina sa nouvellecertitude et ne put y trouver defaille. Elle savait ce qu'elle savait,même s'il refusait de le voir. C'était
un mâle Cynster — il se croyaitinvincible. Elle n'avait aucuneintention de discuter de cettequestion, pas plus qu'elle n'avaitl'intention de changer d'avis. Ses «faits » pouvaient ne pas paraîtresolides à la lumière du jour, maiselle ne les renierait pas.
Sa vie et son but étaient àprésent clairs comme de l'eau deroche. Elle savait, sûrement, avecune conviction parfaite et totale,précisément ce qu'elle devait faire.
Il l'avait mise au défi d'affronter sapeur la plus profonde ; le destin lamettait à présent au défi d'affrontersa vérité la plus profonde — lavérité de ce qu'elle ressentait pourlui.
Elle lui donnerait ce qu'ildemandait, tout ce qu'il demandaitet plus ; elle ne permettrait à rien— ni à personne — de le lui prendre.Elle était peut-être à lui, mais ilétait à elle. Rien sous le soleil nepourrait changer cela.
La dernière fois que la mortavait menacé ceux qu'elle aimait,elle avait été impuissante,incapable de les sauver. Cette fois,elle ne resterait pas spectatrice ; ellene laisserait pas un simple mortellui voler sa destinée.
La conviction, la certitudetotale lui furent insufflées. Saconfusion précédente avait passé;elle se sentait calme, maîtressed'elle-même. Centrée. Consciente.Elle fronça les sourcils.
— Pourquoi êtes-vous ici ?Il hésita, puis répondit.— Vous êtes toujours
somnambule pendant les orages.— Toujours?Puis, elle se souvint de la nuit
de la mort de Tolly. Dans le cottage?
Elle sentit le hochement de têtede Devil. En sécurité dans ses bras,elle réfléchit, puis secoua la tête.
— Ce ne peut pas être vrai.Huit ans se sont écoulés depuisl'accident. Je ne me suis pas
réveillée ailleurs que dans mon litet j'ai dormi dans beaucoup demaisons différentes, pendant denombreux orages.
Ce n'était que lorsqu'une mortviolente avait plané près d'elle —dans le cottage et maintenant, à lasuite de l'accident de Devil.Honoria hocha la tête en son forintérieur, sa conclusion confirmée.Si la présence de la mort était cequi provoquait son cauchemar,alors la mort avait traqué Devil cematin-là.
Derrière elle, Devil haussa lesépaules.
— Vous avez marché ce soir,c'est tout ce qui compte. Je vaisrester jusqu'à ce que vous dormiez.
Les yeux sur les flammes,Honoria leva les sourcils. Et elleréfléchit à cela en détail. En détailde plus en plus lubrique. Puis, ellegrimaça. Ses muscles étaient raides,pas tendus sous la passion, mais lagardant à distance.
Tournant la tête, elle leva leregard sur son visage, entièrement
composé d'angles durs et de lignessévères. Levant une main, elle traçaune joue maigre ; sous son toucher,il se figea.
— Je suppose que vous neconsidéreriez pas la possibilité dem'amener au lit ?
Sa mâchoire se contracta ; desflammes dansèrent dans ses yeux.
— Non.— Pourquoi pas ?Devil rencontra son regard ;
quand il parla, son ton étaitmonotone.
— Vous êtes bouleversée,affolée. Et vous n'avez pas encorepris votre décision.
Honoria se redressa et setourna pour le regarder en face.
— Je ne suis pas bouleverséeprésentement. Et j'ai pris madécision.
Devil grimaça. Dents serrées, illa souleva et déposa son derrièresur sa cuisse.
— Je ne vous amène pas au lit— pour être ma femme —
uniquement parce que vous avezpeur du tonnerre !
Honoria plissa les yeux dans sadirection — l'expression de Deviln'était pas encourageante.
— C'est ridicule.Elle se sentait molle, chaude et
vide à l'intérieur.— Oubliez ça.Devil martela les mots.— Restez. Assise. Sans. Bouger.
Honoria le dévisagea, puislâcha un son étranglé, dégoûté et
s'affala de nouveau sur son torse. ’— Endormez-vous.Elle se mordit la langue. Dans
l'orangeraie, elle l'avait prise parsurprise; après l'accident, les soinsqu'elle lui avait prodigués avaientété trop pour lui. Il ne commettraitplus l'erreur de la laisser le toucher— sans cela, elle n'avait aucunechance de convaincre son corps dechanger d'avis.
La chaleur l'entourant avaitdénoué ses muscles. En sécurité,
certaine — déterminée à l'emporter—, elle glissa dans un sommeilpaisible.
Elle se réveilla le lendemain matinsoigneusement enfouie dans son lit.Ouvrant grand les yeux en clignant,elle fut presque sur le point derejeter ses souvenirs de la nuitcomme étant des rêves quand sonregard se posa sur l'étrangecouverture drapée sur le coin deson lit. Elle plissa les paupièresdevant le plaid inoffensif ; ses
réminiscences devinrent beaucoupplus nettes.
D'un air dégoûté, elle s'assitdans son lit et repoussa lescouvertures. Il était clairementtemps d'avoir une longueconversation avec son obstiné ducde St-Ives.
Convenablement vêtue d'unerobe, elle entra avec grâce dans lasalle du petit déjeuner préparée àse déclarer gagnée à lui —seulement pour découvrir qu'ilavait quitté la maison tôt, soi-disant
pour affaires. On n'attendait sonretour que peu de temps avantdîner, après quoi ill'accompagnerait au Theater Royal.
Elle modifia ses plans — il avaitinvité quelques voisins de lacampagne passant en ville à sejoindre à eux dans leur loge. LesDraycott étaient charmants etimpossibles à éloigner. Surl'invitation de Devil, lord Draycottles raccompagna à GrosvenorSquare pour mieux discuter desréparations de la clôture Five-Mile.
Il n'y eut pas d'orage ce soir-là.Le lendemain matin, Honoria
se leva tôt, décidée à attraper sonver. Il ne se présenta même pas,mangeant son petit déjeuner danssa bibliothèque sous la présenceprotectrice de son régisseur.
Le soir venu, elle était arrivéeau bout de sa laisse. Pourquoi ill'évitait, elle l'ignorait totalement,mais ses actions ne lui laissaient pasde choix. Il n'y avait qu'uneapproche sûre de lui attirer sonattention totale et sans partage —
en ce qui la concernait, il n'y avaitaucune raison pour elle de ne pasl'employer.
Chapitre 16
Donnnng !
Devil n'accorda pas un regard àl'horloge de parquet lorsqu'il passadevant sur l'escalier. Traversant lagalerie, il leva sa bougie dans unsalut insouciant au portrait de sonpère, puis continua à grands pasdans le long corridor menant à sesappartements.
Son paternel, il en était sûr,applaudirait son travail de lasoirée.
Dans ses poches se trouvaientles trois notes rédigées avecl'écriture carrée du vicomteBromley. Ce dernier croulait déjàsous les dettes, bien qu'il n'enconnaisse probablement pas lemontant total. Évidemment, ladernière main avait vu sa chancetourner. Devil sourit. Il auraitBromley pieds et poings liés enmoins d'une semaine.
Malgré sa réussite, alors qu'ils'approchait de sa porte, il se raidit; la frustration qu'il tenaitconstamment à distance exerçaitson pouvoir. Une douleur s'installaau creux de son ventre; un muscleaprès l'autre devint lourd, commes'il se battait contre lui-même.Grimaçant, il tendit la main vers lapoignée de porte. Tant qu'il limitaitson temps avec Honoria à desévénements sociaux et publics, ilpouvait s'en tirer.
Il lui avait dit la vérité — il
était tout à fait capable de lamanipuler, la contraindre ou laséduire pour qu'elle accepte lemariage. En effet, sa nature mêmele poussait à le faire, ce quiexpliquait pourquoi il se sentaitcomme une bête sauvage en cage.Il était un conquérant-né —prendre ce qu'il voulait lui venaitnaturellement. Les subtilités, lessensibilités avaient habituellementpeu d'importance.
Son expression se durcissant, ilpénétra dans la pièce. Refermant la
porte, il la traversa jusqu'à lacommode ; déposant le chandelierprès de la glace sur le dessus, ildétacha son brassard, déboutonnason gilet, puis retira délicatement lapince à diamant de sa cravate.Tendant la main pour la rangerdans sa boîte, son regard glissa au-delà de son reflet — du blanc luisitdans les ombres derrière lui.
Sa tête pivota brusquement.Puis, son pas totalement silencieux,il alla jusqu'à la chaise à côté du feu.
Même avant de toucher la soie,il sut à qui elle appartenait. Le feu,une simple lueur émanant desbraises, était encore assez chaudpour emprisonner son odeur dansl'air et l'envoyer flotter vers leplafond pour l'ensorceler. Il s'arrêtajuste avant de lever la soie douce àson visage, d'inspirer le captivantparfum. Réprimant un juron, illâcha le peignoir comme s'il étaitaussi brûlant que les charbonsardents. Lentement, il se tourna
vers le lit.Il n'en crut pas ses yeux. Même
à cette distance, il pouvait voir sachevelure, une cascade de vaguesnoisette se brisant sur ses oreillers.Elle était allongée sur le flanc, faceau centre du lit. Le spectacle l'attiracomme un aimant. Il se tenait àcôté du lit, baissant les yeux sur elleavant de réaliser qu'il avait bougé.
Aucune femme n'avait jamaisdormi dans son lit — du moins paspendant son règne. De l'avis énoncé
par son père, le lit d'un duc étaitréservé à sa duchesse; Devil étaitd'accord — aucune autre femme nes'était allongée entre ses drapssoyeux. Rentrer tard le soir pourdécouvrir ces draps réchauffés parla seule femme qu'il voulait ytrouver endormie, respirant sansbruit, doucement, membres sveltesenfoncés profondément dans leduvet, lui faisait tourner la tête.
Il était incapable de réfléchir.La révélation le laissa
tremblant, combattant une enviebeaucoup trop puissante de mettretoutes explications de côté et deréagir — d'agir — de faire ce qu'ildésirait de toute son âme deconquérant.
Toutefois, il avait besoin deréfléchir — d'être certain, convaincu,
qu'on ne le menait pas par le boutdu nez — non, pas par son nez,mais par une autre partieprotubérante de son anatomie —pour l'amener à commettre un acte
qu'il regretterait plus tard. Il avaitpris position, une qu'il savait juste.Exiger son engagement en touteconnaissance de cause, son cœur,son esprit et son âme, cela n'étaitpeut-être pas une exigencecoutumière, néanmoins pour lui,avec elle, c'était tout simplementnécessaire.
Son regard parcourut sonvisage, légèrement rosi, puis glissaplus bas, imaginant ce que le drapdissimulait. Ravalant un violent
juron, il se détourna vivement. Il semit à marcher de long en large, sespas amortis par le tapis. Pourquoidiable était-elle ici ?
Il jeta un regard brillant de soncôté — il tomba sur ses lèvres,délicatement écartées. Il entenditencore une fois les gémissementsintensément féminins qu'elle avaitpoussés dans l'orangerie tout enfrémissant entre ses mains. Sur uneimprécation étouffée, il se rendit del'autre côté du lit. De là, la vue était
moins torturante.Trois minutes plus tard, il
n'était toujours pas capable derassembler une seule pensée nonlascive. Marmonnant un dernierjuron dégoûté, il se retournavivement vers le lit. S'asseoir dessusétait trop dangereux, étant donnéles mains d'Honoria et sapropension à les poser sur lui.Debout à côté de la colonnesculptée à une extrémité, il tendit lamain et au travers des couvertures,
il lui agrippa la cheville. Il lasecoua.
Elle marmotta et essaya de selibérer en gigotant. Devil ferma lamain, serra ses doigts sur ses os finset la secoua encore.
Elle ouvrit les yeux — clignantdes paupières d'un air endormi.
— Vous êtes de retour.— Comme vous le voyez.La lâchant, Devil se redressa.
Croisant les bras, il s'appuya sur lacolonne du lit.
— Voudriez-vous m'expliquerpourquoi, de tous les lits de lamaison, vous avez choisi de vousendormir dans le mien?
Honoria leva un sourcil.— J'aurais cru que c'était
évident ; je vous attendais.Devil hésita ; ses facultés
restaient embrouillées par ledésir brûlant.
— Dans quel but?— J'ai quelques questions.La mâchoire de Devil se serra.
Une heure de la nuit, dans monlit, n'est pas un choix d'heure et delieu approprié ni judicieux pourposer des questions.
— Au contraire — Honoriacommença à s'asseoir —, c'estl'endroit parfait.
Devil regarda tomber lescouvertures, révélant ses épaules,nettement visibles à travers la soietransparente, dévoilant ses seinsgonflés comme un fruit mûr...
— Arrêtez!
Sa mâchoire se contractafermement.
— Honoria, restez — assise —sans bouger.
Avec aigreur, elle releva lescouvertures en se levant, puiscroisa les bras sous ses seins. Elle leregarda en plissant le front.
— Pourquoi m'évitez-vousdernièrement ?
Devil l'imita.— J'aurais cru que cela était
évident. Vous devez prendre une
décision — je ne peux pasconcevoir que des rencontresprivées entre nous arrangeraient leschoses en ce moment. Elles nem'aideraient certainement pas.
Il avait eu l'intention de luiaccorder du temps — au moins unesemaine. Les trois jours jusqu'àprésent avaient été infernaux.
Honoria soutint son regard.— À propos de cette décision,
vous m'avez dit qu'elle étaitimportante pour vous — vous ne
m'avez pas expliqué pourquoi.Pendant un long moment, il ne
bougea pas, ne parla pas, puis sesbras croisés se levèrent alors qu'ilinspirait profondément.
— Je suis un Cynster : j'ai étéélevé dans le but d'acquérir, dedéfendre et de protéger. Ma familleest le centre de mon existence ; sansfamille, sans enfant, je n'aurais rienà protéger ou à défendre, aucuneraison d'acquérir. Étant donné votrepassé, je veux entendre votredécision sous forme de déclaration.
Vous êtes une Anstruther-Wetherby — compte tenu de toutce que je sais sur vous, si vous faitescette déclaration, vous vous ytiendrez. Peu importe le défi, vousne reculerez pas.
Honoria soutint calmement sonregard.
— Compte tenu de ce que voussavez sur moi, suis-je la bonnefemme pour vous ?
La réponse arriva, intense etconvaincue.
— Vous êtes à moi.
Entre eux, l'atmosphère sechargea d'électricité; ignorant lesdifficultés respiratoires que lui seulpouvait provoquer, Honoria levales sourcils.
— Seriez-vous d'accord pourdire que, en ce moment, je suis librede votre influence séductrice ?Libre de contraintes ou demanipulation ?
Il l'observait attentivement; ilhésita, puis hocha la tête.
— Dans ce cas...Elle repoussa vivement les
couvertures et rampa sur le lit.Devil se redressa — avant qu'ilpuisse s'éloigner, Honoriaempoigna le devant de sa chemiseet se leva sur les genoux.
— J'ai une déclaration à faire !Plongeant ses yeux dans les
siens, refermant ses deux mains sursa chemise, elle prit une profondeinspiration.
— Je veux vous épouser. Jeveux être votre femme, votreduchesse, pour affronter le mondeà vos côtés. Je veux porter vos
enfants.Elle imprégna cette dernière
phrase de toute la conviction dansson âme.
Il s'immobilisa. Elle tira et ils'approcha plus près jusqu'à ce queses jambes frappent le lit. Il setenait directement devant elle alorsqu'elle était agenouillée, genouxlargement espacés, sur le bord dumatelas.
— Plus important que tout.Elle marqua une pause pour
inspirer de nouveau; les yeux dans
les siens, elle écarta les mains surson torse.
— Je vous veux. Maintenant.Au cas où il n'aurait pas encore
compris son message, elle ajouta :— Ce soir.Devil sentit le désir monter en
flèche, triomphant, impérieux.Douloureusement conscient desmains d'Honoria glissant sur sontorse gonflé, il s'obligea àdemander :
— En êtes-vous sûre ?L'exaspération brilla dans les
yeux d'Honoria ; il secoua la tête.— Je parle de ce soir.Du reste, il ne doutait pas.Son exaspération ne disparut
pas.— Oui ! dit-elle — et elle
l'embrassa.Il réussit à ne pas enrouler ses
bras autour d'elle et l'écraser,réussit à s'accrocher farouchementà ses rênes alors qu'elle mettait ses bras autour deson cou, se collait contre lui avec un
abandon total et l'incitaitouvertement à la posséder. Ilreferma les mains sur sa taille, lastabilisant — puis il répondit à soninvitation. Elle s'ouvritinstantanément à lui, sa bouche sefaisant plus molle, une doucecaverne à remplir, à explorer, àrevendiquer.
Elle l'accueillit et le retint, pritson souffle, puis le lui rendit. Devilenvoya fureter ses mains, ses doigtsse raffermissant, ses poucespressant l'intérieur du haut de ses
cuisses. Sa chemise de nuit étaitune simple toile de soie fine ; illaissa ses mains tomber, dessinantses cuisses lisses avant de refermerune main sur chaque genou.Lentement, il fit glisser ses doigtsvers le haut, sentant la soieeffleurer sa peau satinée, ses poucestraçant des cercles paresseux àl'intérieur de ses cuisses. De plus enplus haut, centimètre parcentimètre, il leva les mains — leslongs muscles de ses cuisses setendirent, puis se contractèrent,
puis tremblèrent.Il s'arrêta, les pouces juste sous
ses douces bouclettes. Se retirant deleur baiser, il l'observa — etattendit qu'elle soulève lespaupières. Quand elle le fit, ilemprisonna son regard dans le sien— et dessina deux autres cercles.Elle frissonna.
— Une fois que je vousprendrai, il ne sera plus possible derevenir en arrière.
La détermination flamboya,bleu acier dans ses yeux.
— Alléluia.Leurs lèvres se rencontrèrent de
nouveau; Devil desserra sonemprise sur ses rênes. Le désir,brûlant et urgent, monta entre eux ;la passion arriva dans son sillage.
Honoria sentit le changementen lui, sentit ses muscles sedurcirent, sentit ses mains,agrippant encore ses cuisses, seresserrer. Un frisson d'excitationparcourut ses muscles tendus. Il leslibéra. Une main effleura l'étenduede son derrière ; sa peau devint
fiévreuse sous son toucher. Il lacaressa en formant des cercles lentset sensuels — les sens d'Honoriarépondirent, distraits par la soie sedéplaçant entre la main de Devil etsa peau nue.
Puis, sa main devint plusferme, prenant ses fesses en coupe— au même instant, elle sentit sonautre main glisser entre ses cuissesécartées.
La tête de Devil s'inclina au-dessus de la sienne; son baiserdevint plus exigeant. Il la caressa à
travers la soie fine, touchant etpalpant et excitant jusqu'à ce que lasoie colle comme une deuxièmepeau, atténuant son toucher,exacerbant les sens d'Honoria. Ellese raidit, le bout de ses doigtss'enfonçant dans les muscles du dosde son partenaire. Elle sentit lamain de Devil se déplacer ; un longdoigt s'inséra en elle, explorantavec douceur, puis d'une manièreplus délibérée.
Soudainement, elle ne pouvaitplus respirer. Elle recula avec un
halètement — il la laissa aller, sesmains la quittant. Attrapant sataille, il la renversa sur le lit.
— Attendez.Devil traversa la pièce jusqu'à
la porte de son salon d'habillage,l'ouvrit, confirma que Sligo nel'avait pas attendu, puis laverrouilla. Retraversant la chambreà grandes enjambées, il retira sonmanteau d'un haussementd'épaules et le lança sur le fauteuil.Défaisant les plis compliqués de sacravate d'un coup de poignet, il tira
sur la bande d'un mètre delongueur à son cou, puis retira songilet et l'envoya rejoindre sonmanteau avant de détacher sesmanchettes et d'enlever sa chemise.La flamme de la bougie sur lacommode dora les muscles de sondos, puis il se tourna et prit lechandelier.
Vautrée, essoufflée, sur le lit deDevil, Honoria le regarda pendantqu'il allumait les deux candélabresà cinq branches sur le manteau dela cheminée. Se concentrant sur
chaque mouvement gracieux, sur ladanse des flammes sur sa silhouettedécoupée, elle retint ses pensées,trop scandaleuses pour les mots.L'anticipation monta en flèche ;l'excitation passa comme un frissonsur sa peau. Ses poumons avaientcessé de fonctionner ; unedélicieuse panique tendait chacunde ses nerfs.
Laissant l'unique bougie sur lemanteau de la cheminée, Devilemporta un candélabre d'un côtédu lit, tirant la table de nuit en
avant afin que la lumière desbougies tombe sur les couvertures.Clignant des paupières, conscienteque sous la lumière elle paraissaitpresque nue, Honoria le regardapendant qu'il installait le deuxièmecandélabre de la même façon surl'autre table de nuit à l'opposé. Ellefronça les sourcils.
— Ne fàit-il pas habituellementnuit ? Je veux dire, n'est- ce pasnormalement sombre ?
Devil rencontra son regard.— Vous avez oublié quelque
chose.Honoria n'arrivait pas à trouver
ce que c'était et n'était pas certainede s'en soucier ; son regard s'attardasur son torse alors qu'il marchaitvers le lit, baigné de la lueur dorée.Il s'arrêta à ses pieds, puis se tournaet s'assit. Pendant qu'il retirait sesbottes, elle se distrayait avec sondos. Ses coupures et ses érafluresavaient guéri; elle tendit une mainpour en dessiner une. La peau deDevil dansa sous sa caresse ; ilmarmonna quelque chose dans sa
barbe. Honoria sourit et écarta lesdoigts — il se leva, jetant un regarden arrière vers elle avant d'enleverson pantalon. Il s'assit pour leretirer par les pieds ; Honoria fixales longs muscles larges encadrantson épine dorsale, se terminant surdeux creux jumeaux sous sa taille. Ilse pencha et des muscles bougèrent; la vue était presque aussi belle queson torse.
Libéré de sa dernière entrave,Devil se tourna à moitié et retombasur le lit. Il savait ce qui se
produirait — pas Honoria. Avec uncri vaillamment étouffé, elle roulasur lui, dans ses bras, sans aucuneprise sur les draps glissants. Il lasouleva par-dessus lui, ses jambess'emmêlant aux siennes, sachevelure formant une flaque surson torse nu.
Il s'attendait à ce qu'elle soitchoquée, à ce qu'elle hésite — cedevait être la première fois qu'elletouchait un homme nu. Le chocétait certainement présent — il levit dans son expression abasourdie
; l'hésitation suivie — elle ne duraqu'une fraction de seconde.
L'instant suivant, leurs lèvres serencontrèrent — il n'y avait plus dedifférence entre son baiser à lui etson baiser à elle. Il sentit ses mainssur son torse, l'explorantavidement; il dévora sa bouche —et il sentit ses doigts s'enfoncer plusprofondément. Il écarta les mainssur les globes fermes de sonderrière et il la tint contre lui,apaisant la douleur palpitante deson érection sur son ventre souple.
Elle frémit, chaude et impatiente,la mince soie ne faisant pasobstacle aux sensations.
Certaines femmesressemblaient à des chattes, d'uneséduction qui se dérobait — elleétait beaucoup trop audacieusepour être une chatte. Elle étaitexigeante, agressive, résolue, nonseulement prête à se battre pour lelibérer de ses rênes, mais lesdétruisant. Provoquantdélibérément son désir, ses démons— toute la possessivité dans son
âme. Ce qui, étant donné qu'elleétait vierge, se qualifiait commeétant une ignoble folie.
Respirant de manièreirrégulière, il se retira de leurbaiser.
— Pour l'amour de Dieu,ralentissez !
Captivée par ses proprescaresses sur son mamelon plat,Honoria ne leva pas les yeux.
— J'ai vingt-quatre ans ; j'aiperdu assez de temps.
Elle se contorsionna ; Devil
grinça des dents.— Vous avez vingt-quatre ans ;
vous devriez être plus avisée. Vousdevriez au moins avoir une petitedose d'instinct de préservation.
Résolue à s'empaler sur sondestin, elle semblait n'avoir aucuneidée qu'il pouvait lui faire très mal,que sa force écrasait la sienne, qu'ilétait beaucoup plus dur qu'elle.
Elle était décidée à apprendre— ses mains se tendirent plus bas,explorant les rides sur son ventre.Devil sentit monter le désir, à
pleine puissance, affamé — tropfort pour elle. Libérant ses fesses, illa saisit par le haut de ses bras.
Juste au moment où ellel'empoigna.
L'onde de choc qui le parcourutfit presque voler en éclat samaîtrise de soi. Il se figea. Toutcomme Honoria. Elle regarda sonvisage — il fermait les yeux, sonexpression taillée au couteau. Avecprécaution, elle courba de nouveaules doigts, complètement fascinéepar sa découverte. Comment
quelque chose d'aussi dur, si rigide,si anguleux et si manifestementmâle au sens primitif, pouvait-ilêtre lisse comme la soie, si doux ?Encore une fois, elle toucha la têtedoucement arrondie — c'étaitcomme caresser de l'acier chaud àtravers la plus fine des soies pêche.
Devil gémit; il tendit la main etla referma sur celle d'Honoria —pas pour l'éloigner, mais pourrecourber ses doigts plus serrés.Avec enthousiasme, elle obéit à sesinstructions muettes, à l'évidence
bien plus à son goût que ralentir.Il lui permit de le caresser
jusqu'à ce qu'il pense que samâchoire allait se briser — il dût luiéloigner la main. Elle lutta contrelui, se tortilla sur lui, sa chairdouce, chaude et couverte de soiefrémissant sur son érection àprésent douloureuse.
Avec un juron, il lui attrapa lesmains, une dans chacune dessiennes et roula, l'emprisonnantsous lui. Il ancra ses mains au lit etl'embrassa, profondément et encore
plus intensément, laissant sonpoids retomber complètement surelle — jusqu'à ce qu'elle n'eut plusde souffle pour le combattre, deforce pour le défier.
Ils s'immobilisèrent tous lesdeux ; à cet instant, elle était offerteà lui, échauffée, les cuissesouvertes, douces et accueillantes,ses hanches un berceau dans lequelil était déjà allongé. Tout ce qu'ilavait à faire était de tendre la mainet de déchirer la soie mince entreeux, puis plonger son membre
palpitant dans sa douceur et laprendre.
Simple.Grinçant des dents, Devil lui
lâcha les mains et se releva. Ilrecula. Genoux écartés, il s'assit surses chevilles au centre du lit.Emprisonnant son regard dans lesien, il lui fit signe de venir avec sesdeux mains.
— Approchez.Les yeux d'Honoria
s'arrondirent; ils scrutèrent lessiens, puis tombèrent — mâchoire
serrée, il subit son regardscrutateur, vit la question vieillecomme le monde se former dansses yeux.
Étourdie, pas seulement parcequ'elle était à court de souffle,Honoria se contenta de cligner despaupières, puis leva les yeux surson visage. Il ressemblait à un dieu,assis sous la lueur des bougies, samasculinité si ouvertementaffichée. La lumière douce doraitles muscles de ses bras, son torse —et le reste de son corps. Elle prit
une profonde inspiration; son poulsrésonnait dans ses oreilles.Lentement, elle se leva sur uncoude, puis libéra ses jambes desplis de sa chemise de nuit et sereleva sur ses genoux, face à lui.
Il lui prit les mains et l'attiraplus près, puis il referma ses mainsautour de sa taille et la souleva.Alors qu'il la déposait à cheval surses cuisses, Honoria fronça lessourcils en le regardant.
— Si vous me dites que nousdevons attendre, je vais crier.
Les lignes de son visageparaissaient plus dures que legranit.
— Vous allez crier, de toutefaçon.
Elle fronça davantage lessourcils — et vit ses lèvrestressaillir.
— De plaisir.L'idée était nouvelle pour elle
— elle s'interrogeait encore lorsqueDevil l'attira plus près. Agenouilléecomme elle l'était, ses hancheseffleurèrent le ventre de Devil.
— Embrassez-moi.Il n'eut pas à le demander deux
fois; volontiers, elle enlaça son coude ses bras et déposa ses lèvres surles siennes.
Une main sur son dos pour latenir droite, Devil intensifia lebaiser, faisant glisser son autremain vers le haut, sur le ventreferme d'Honoria avant de larefermer sur son sein. La chair déjàsurchauffée enfla et durcit; il pétritet l'entendit gémir. Il se retira deleur baiser; elle laissa sa tête
retombée en arrière, la courbeexposée de sa gorge une offrandequ'il ne refusa pas. Il fit courir desbaisers chauds sur sa veinepalpitante ; elle s'approchalentement, pressant son sein dansla paume de Devil.
L'inclinant vers l'arrière, ilbaissa la tête. Elle s'immobilisa, sarespiration difficile. Un long coupde langue mouilla la soie couvrantun mamelon. Elle haleta quand leslèvres de Devil touchèrent lesommet ruché — il téta légèrement
et la sentit fondre.Il ne se rappelait même pas la
dernière fois qu'il avait fait l'amourà une vierge — même alors, quiquelle put être, elle n'avait pas étéune femme de vingt-quatre ansélevée dans la noblesse capabled'un enthousiasme inattendu. Iln'entretenait aucune illusion sur ledegré de difficulté que présenteraitla demi-heure suivante ; pour lapremière fois dans sa longuecarrière, il pria pour être assez fortpour savoir s'y prendre — avec elle
et la passion qu'elle déchaînait enlui. Tête penchée, il tortura unmamelon au bouton ferme, puistourna son attention vers soncompagnon.
Enfonçant ses doigts dans lehaut de ses bras, Honoria haleta etvacilla. Avec ses os transformés enmiel chaud, sa poigne faiblit, lamain de Devil dans son dos et letiraillement excitant de ses lèvresfurent tout ce qui la garda debout.Chaudes et mouillées, ses lèvres, sabouche, se déplacèrent sur ses
seins, excitant d'abord un sommetdouloureux, puis l'autre jusqu'à cequ'ils soient tous les deux gonflés àbloc. Elle mourrait d'envie de letoucher, de laisser ses mainsexplorer, mais elle n'osait paslâcher. Les lèvres de Devilquittèrent les siennes ; une secondeplus tard, ses dents effleuraient unmamelon plissé.
Une sensation aiguë latransperça; elle lâcha un cri étouffé.Ses lèvres revinrent, apaisant sachair, puis il téta avec force — et la
chaleur en elle monta. Vague aprèsvague, elle réagissait à son appel,une envie primaire s'accumulant,enflant, montant plus forte quejamais. Avec un long gémissementsoupiré, elle se balança vers l'avant,vers son baiser.
Il l'attrapa, la stabilisa pendantque ses mains parcouraient soncorps, paumes chauffées la brûlant.Chaque courbe qu'elle possédait, ildessina ; chaque centimètre carréde sa peau picotait, puis mourraitd'envie d'en avoir plus. Son dos, ses
cotes, la courbe de son ventre, leslongs muscles de ses cuisses, sesbras, ses fesses — rien n'échappait àson attention; la peau d'Honoriaétait rougie, couverte d'une finecouche de sueur quand il souleva lebord de sa chemise de nuit.
Le frisson qui la secoua arrivad'un point enfoui en elle, un adieufinal à la vierge qu'elle était, maisne serait plus. Les mains de Devil selevèrent, et il libéra ses lèvres. Sousle poids de ses paupières, Honoriavit la soie dans ses mains, déjà au-
dessus de sa taille. Prenant avecdifficulté une immense boufféed'air qui, malgré ses efforts, futinsuffisante pour calmer sa têteétourdie, elle leva les bras. Lachemise la quitta dans unmurmure. Elle fit écran aux bougiesalors qu'elle flotta au-delà du lit ;elle suivit sa chute, sentant le vent,puis les mains de Devil sur sa peau.
Il referma ses bras sur elle.Elle était entourée de passion,
de peau chaude, de muscles durs ;ses poils emmêlés noirs comme la
nuit râpaient ses mamelonsdevenus sensibles. Des lèvres durestrouvèrent les siennes, exigeantes,autoritaires, dévorant ses sens —aucune capitulation exigée, sanssonger à faire de quartier — il allaitla prendre, corps et âme, etdavantage.
Pendant un instant, l'attaque lapropulsa devant, puis elle frissonnadans ses bras, arqua les pieds contrela marée de désir — et répondit àses demandes avec ses propresexigences.
La passion vibra, augmenta, sedéploya entre eux ; écartant lesdoigts, elle en enfonça les boutsdans son torse et sentit ses musclesse tendre. Elle l'embrassa avec uneferveur égale à la sienne, révélantl'urgence qui croissait entre eux,savourant la poussée d'adrénalineenivrante, le tourbillon croissant deleur désir.
L'excitation tournoyait alorsque leurs lèvres fusionnaient,chaque souffle de l'un appartenantà l'autre, langues entremêlées. Elle
plongea dans sa chaleur, n'enperdit pas une miette et la sentit lasubmerger. Les mains de Devil laparcouraient, avec autant de hâteque ses lèvres, ses paumes fermessculptant, ses doigts, dansant etpossédant. Toujours à genoux, lescuisses refermées de chaque côtédes siennes, les hanches presséescontre son abdomen, elle sentit sesmains pliées et prendre sonderrière en coupe. L'une y resta, latenant droite, l'autre glissa plus bas,les longs doigts explorant.
Ils découvrirent sa chaleur etglissèrent plus loin, poussant entreses cuisses, fouillant les plis chaudset glissants, les caressant, puispoussant plus avant.
Et plus loin encore,l'enflammant.
La violente poussée de flammesl'embrasa ; elle avait mal et ellebrûlait. La seule réaction de Devilfut d'intensifier leur baiser, laretenant prisonnière pendant queles flammes rugissaient. Ses doigtscaressaient lentement,
délibérément — les flammesdevinrent plus intenses, formant unvoile, puis un mur, explosantfinalement en un brasier, alimentépar le besoin pressant.
Le brasier vibrait au rythme desbattements de son cœur; le mêmerythme résonnait dans ses veines,ses oreilles, un désir en cadence lapoussant en avant.
Brusquement, Devil se retira deleur baiser. Ses doigts la quittèrent ;il prit ses fesses en coup avec les
deux mains.— Laissez-vous glisser.Honoria n'arrivait pas à croire à
la puissance de l'obsession quis'emparait d'elle — elle avait besoinde lui en elle plus qu'elle avaitbesoin de respirer. Même encore...Elle secoua la tête.
— Vous n'allez jamais pouvoirvous insérer.
Ses mains se firent plus fermessur ses hanches.
— Glissez, c'est tout.
Elle s'exécuta, s'enfonçant plusbas avec ses mains pour la guider.Elle sentit la première caresse deson membre, chaud et dur, ets'arrêta. Il glissa ses doigts entre sescuisses et l'ouvrit ; elle sentit lapremière intrusion de son corps enelle. Reprenant son souffle dans unhalètement étouffé, elle plongeaplus bas et sentit la tête arrondieglisser à l'intérieur.
Il était gros, beaucoup plus grosqu'elle ne s'y était attendue. Elle
aspira ; sous le poids de ses mains,elle s'enfonça encore davantage.Dur comme du fer forgé, chaudcomme de l'acier non éteint, il sepoussa en elle. Elle secoua encore latête.
— Ça ne fonctionnera pas.— Oui, ça ira.— Elle sentit ses mots vibrer en
elle; il était, si possible, plus tenduqu'elle, des muscles durs comme leroc et qui oscillaient.
— Vous allez vous distendre
pour m'accueillir — le corps desfemmes est ainsi conçu.
C'était lui, l'expert. Dans lemaelstrom des émotions quil'assaillaient — l'incertitude, ledésir et le besoin étourdissant sejoignaient à des restes lointains demodestie, tout cela subsumé sousl'envie la plus désespérée qu'elleeut jamais connue —, Honorias'accrocha à ce fait. Le brasier enelle enfla ; elle descendit.
Et s'arrêta.
Immédiatement, Devil lasouleva, sans perdre tout à fait sachaleur collante.
— Laissez-vous de nouveautomber lentement.
Elle continua jusqu'à ce que sonhymen entrave encore une fois leurprogression. Sous ses mains, ellerépéta la manœuvre encore etencore.
Elle était chaude et très serrée;une fois qu'elle put bougerlibrement, il effleura sa tempe de
ses lèvres.— Embrassez-moi.Elle leva immédiatement la tête
— lèvres gonflées entrouvertes —,impatiente de continuer. Il prit sabouche avec voracité, s'efforçant dêtenir la bride à la violente passionqui le poussait, combattant pourrester maître de lui- même assezlongtemps pour éviter à Honoriaune douleur inutile. Il allait déjà lafaire suffisamment souffrir.
Dans le sillage de cette pensée
arriva l'acte. Un puissant coup dehanche vers le haut, minuté pourrencontrer le glissement d'Honoriavers le bas, appuyé par la pressionde ses mains sur les hanches de sacompagne, et ce fut réussi. Ilrompit son hymen avec ce seulmouvement, plongeantprofondément dans son corps, laremplissant, l'étirant.
Elle cria, le son étouffé par leurbaiser. Son corps se raidit ; celui deDevil également.
Centrant son attentionuniquement sur elle, attendantqu'elle se détende, le premier signed'acceptation qui viendrait, il lesavait, Devil se refusafarouchement l'envie primitive dese perdre dans sa chaleur, de pillerla douceur brûlante qui l'enserrait,d'apaiser ce besoin impérieux.
Leurs lèvres s'étaient séparées ;ils respiraient tous les deuxirrégulièrement. Sous ses cils, il laregarda humecter ses lèvres avec salangue.
— Était-ce le cri dont vousparliez ?
— Non.Il effleura le coin de ses lèvres
avec les siennes.— Il n'y aura plus de douleur ;
à partir de maintenant, vous crierezuniquement de plaisir.
Plus de douleur. Ses sens àfleur de peau, surchargée desensations, Honoria ne pouvaitqu'espérer. Le souvenir de labrûlure aiguë qui l'avaittranspercée était si intense qu'elle
la sentait encore. Néanmoins, avecchaque respiration, chaquebattement de cœur, la chaleur deDevil et le feu qui l'envahissaitsoulageaient sa souffrance. Elleessaya de changer de position ; lesmains de Devil se raffermirent, latenant immobile.
— Attendez.Elle devait obéir. Jusqu'à cet
instant, elle n'avait pas aimé se voirsi totalement sous son contrôle. Ladure réalité palpitante qui l'avaitconquise, l'avait intimement
remplie, affectait complètementson esprit. La vulnérabilité lasubmergea, une onde de choc enelle, allant jusqu'à...
Ses sens se centrèrent surl'endroit où ils s'étaient unis. Elleentendit gémir Devil. Clignant despaupières, elle leva les yeux ; lessiens étaient fermés, ses traitscomme la pierre. Sous ses mains,les muscles de ses épaules étaienttendus, pris dans un combatfantôme. À l'intérieur d'elle, lapalpitation régulière de sa
masculinité émettait de la chaleuret un sentiment d'urgence à peinecontenu. La douleur avait disparu.A cette pensée, ce qui restait de sanervosité s'en alla doucement ; lesderniers vestiges de sa résistancetombèrent. Avec hésitation, leregard sur le visage de Devil, elle sedégagea délicatement de sonétreinte et se leva lentement sur sesgenoux.
— Oui.L'unique mot était lourd
d'encouragement.
Il l'arrêta à l'endroit précis au-delà duquel leur contact cesserait.Elle sentit son impatience, la mêmeurgence impérieuse qui montait enelle ; elle n'eut pas besoin d'unedirective pour replonger aveclenteur vers le bas, captivée par lasensation de sa dureté d'acierglissant, lisse et chaude,profondément en elle.
Elle recommença, et encore, latête tombant en arrière pendantqu'elle glissait sensuellement,ouvrant totalement ses sens,
savourant chaque minuteinterminable. Plus requises commeguides, les mains de Devilvagabondèrent, revendiquant sesseins, les courbes pleines de sesfesses, l'arrière sensible de sescuisses. Toute gêne, toute réticenceavaient disparu; levant la tête,Honoria drapa ses bras autour deson cou et chercha ses lèvres avecles siennes. Le glissement de leurscorps, s'unissant dans un rythmevieux comme la lune, paraissaitdélicieusement juste. Elle lui offrit
sa bouche; alors qu'il la prenait, elleresserra ses bras, se pressant contrelui, attirée par la promessecontenue dans son corps puissant,demandant ouvertement plus.
Il se retira de leur baiser ; ellevit briller ses yeux sous ses cils.
— Est-ce que ça va ?Ses mains dessinaient des
cercles hypnotisant sur sonderrière. Au sommet de sa montée,Honoria soutint son regard — etlentement, se concentrant sur ladure rigidité l'envahissant, elle
s'enfonça.Elle sentit le tremblement
frissonnant de Devil et vit samâchoire se serrer. Ses yeuxjetèrent des éclairs. Trèsaudacieuse, elle lécha la veinepalpitant à la base de sa gorge.
— En fait, je trouve ceciplutôt...
Elle était à ce point essouffléeque ses mots tremblaient.
— Étonnant?La voix de Devil était un
grondement presque trop bas pour
être entendu.Prenant une respiration
pressante, Honoria ferma les yeux.— Captivant.Son rire était si grave qu'elle le
sentit dans sa moelle.— Faites-moi confiance.Ses lèvres tracèrent la courbe
de son oreille.— Il y a beaucoup plus de
plaisir à venir.— Ah, oui, murmura Honoria,
essayant désespérément des'accrocher à la réalité. Je crois que
vous prétendez être passé maîtredans cet exercice.
Aspirant une courte boufféed'air, elle se leva sur lui.
— Cela fait-il de moi votremaîtresse ?
— Non.Devil retint son souffle
pendant quelle glissait,douloureusement lentement, versle bas.
— Cela fait de vous mon élève.Cela ferait d'elle son esclave,
mais il n'avait aucune intention de
lui dire cela, ni que si elle y mettaitdu zèle, ce lien pourrait biens'appliquer des deux côtés.
Au cours de son glissementsuivant, elle pressa plus bas ; ildonna de petits coups plusprofondément. La respirationd'Honoria stoppa; instinctivement,elle se resserra autour de lui. Devilserra les dents pour réprimer ungémissement.
Yeux ronds, elle leva les yeuxvers lui, la respiration superficielleet rapide.
— C'est... très étrange... de vousavoir... en moi.
Ses seins se levant et s'abaissanten effleurant le torse de Devil, ellehumecta ses lèvres.
— Je ne pensais vraiment pas...que vous pourriez entrer dans cetespace.
La mâchoire de Devil se serra— tout comme chacun de sesautres muscles. Après un momentde silence tendu, il réussit à dire :
— Je vais occuper tout l'espace ;plus tard.
— Plus...Ses yeux s'arrondirent — il
n'attendit pas plus. Il prit ses lèvresdans un baiser ravageur et, ancrantles hanches d'Honoria contre lui, illa fit basculer sur les oreillers.
Il avait choisi leur précédenteposition pour rompre son hymen,posant une limite à la profondeurqu'il pouvait atteindre, utile étantdonné la puissance de ses pulsions.Cependant, le temps des limitesétait révolu; son rapideréarrangement la fit atterrir sur le
dos parmi les oreillers, les hanchesde Devil entre ses cuisses, sonmembre encore en elle.
Elle se raidit quand son poidsl'emprisonna ; instantanément, illeva le torse et les épaules,redressant les bras, les mainss'enfonçant dans le duvet dechaque côté. Leur baiserinterrompu, les yeux d'Honorias'ouvrirent brusquement.
Il retint son regard dans le sien.Lentement, délibérément, il seretira d'elle, puis, ployant l'échine
d'un geste fluide, il la pénétra.Impitoyablement, centimètre
par centimètre, il la posséda;chauffé et glissant, son corpsl'accueillait, s'étirait pour leprendre. Il regarda ses yeuxs'élargirent, le gris bleu sechangeant en argent, puis éclatantquand il poussa vivement plusprofondément. Il s'enveloppa danssa douceur, s'enfonçant en ellejusqu'à la garde, donnant de petitscoups sur sa matrice. Il s'arrêtaenchâssé en elle ; elle le retint dans
un étau brûlant et soyeux.Regards plongés l'un dans
l'autre, ils restèrent tous les deuximmobiles.
Honoria ne pouvait pasrespirer, il la remplissait sicomplètement; elle pouvait sentirson battement régulier à la base desa gorge. Le dévisageant, elle vit leslignes dures se déplacer, les traitsacérés par la passion contenue. Unconquérant baissa les yeux sur elle,des yeux vert foncé bordés d'argent— le conquérant à qui elle s'était
donnée. Un sentiment depossessivité la submergea ; soncœur se gonfla, puis s'envola.
Il attendait — quoi? Un signede reddition? À cette pensée, lacertitude s'épanouit en elle; unemerveilleuse assurance la remplit.Elle sourit — lentement,complètement. Ses mains étaientvenues se poser sur ses avant- bras,les levant, elle attira son visage versle sien. Elle l'entendit gémir àl'instant où leurs lèvres setouchèrent. Il descendit sur ses
coudes, ses mains chassant lescheveux d'Honoria d'un coup depoignet, puis encadrant son visage.
Il intensifia leur baiser et lessens d'Honoria partirent en vrilles ;le corps de Devil bougea sur elle, enelle et le plaisir s'épanouit.
Comme des vaguess'accumulant sur le rivage, ilss'élevèrent ensemble. Lessensations enflaient comme lamarée montante, roulant encoreplus haut. Elle saisit son rythme etl'adopta, laissant son corps
l'accueillir, le tenant avec forcependant une fraction de secondeavant de le libérer à contrecœur.Encore et encore, ils s'enlacèrentdans cette étreinte intime ; chaquefois, chaque coup irrésistiblementapprofondi la poussa plus haut,plus loin, vers un rivage qui luifaisait signe et qu'elle percevait àpeine. Son esprit et ses sensfusionnèrent, puis s'envolèrent, prisdans un vol étourdissant. Lachaleur et la lumière se répandirenten elle, courant dans chaque veine,
irradiant chaque nerf. Puis, lachaleur se changea en feu et lalumière en gloire incandescente.
Alimentée par les efforts deleurs corps, par chaque inspirationhaletante, chaque douxgémissement, chaque grognementguttural, la tempête d'étoilesaugmenta, devint plus grosse, plusvive, plus intense.
Elle explosa entre eux —Honoria se perdit dans cetteénergie primitive de feu et delumière et dans la merveilleuse
sensation à couper le souffle.Aveugle, elle ne pouvait pas voir;sourde, elle ne pouvait pasentendre. Tout ce quelle pouvaitfaire était sentir — sentir ses mainssous les siennes et savoir qu'il setrouvait avec elle, sentir la chaleurqui la remplissait et savoir qu'ellelui appartenait, ressentir l'émotionqui les tenait, solidement forgéepar les rayons du soleil en feu — etsavoir que rien sur terre ne pourraitjamais changer cela.
Le feu du soleil s'éteignit, et ils
revinrent lentement sur terre, auxplaisirs terrestres des draps de soieet des oreillers moelleux, auxmurmures ensommeillés et auxbaisers repus et au confort de leursbras enlacés.
Devil remua alors que la dernièrebougie étouffait. Avant même derelever la tête, il avait assimilé lefait qu'il y avait une femme,dormant du sommeil de lapersonne comblée, plus ou moinssous lui. Avant de dégager ses
épaules d'elle et de la regarder, il serappela qui était cette femme.
Ce fait accrut l'émotion qui letenait; son regard parcourut sonvisage, délicatement rosi, lèvresenflées légèrement entrouvertes.Ses seins nus s'élevaient etretombaient ; elle étaitprofondément endormie. Letriomphe rugit en lui ; uneautosatisfaction béate parada à sasuite. Avec un large sourire dontelle se serait sûrement offusquée, sielle avait été en état de le voir, il se
délogea en faisant attention à nepas la réveiller.
Il avait essayé de le faire plustôt, avant de succomber ausommeil, mais elle s'étaitfarouchement accrochée à lui etavait marmonné un ordre, et iln'avait pas eu la force suffisantepour désobéir. Malgré son poids,elle avait voulu prolonger leurintimité, un objectif contre lequel ilne pouvait pas s'insurger avecconviction.
Leur intimité avait été
spectaculaire. Exceptionnelle.Suffisamment remarquable pourmême le surprendre. Il s'installa surle ventre, sentant le poids légerd'Honoria sur son flanc. Lasensation provoqua son effetinévitable ; avec détermination, ill'ignora. Il avait tout le temps etbien plus pour explorer lespossibilités — le reste de sa vie, enfait. L'anticipation avait remplacé lafrustration ; depuis le début, il avaitsenti en elle une ouverture sous-jacente, une tendance sensuelle rare
chez les femmes de son rang.Aujourd'hui, il savait qu'elle étaitréelle, il s'assurerait de ladévelopper; sous sa tutelle, elles'épanouirait. Ensuite, il aurait toutle temps et plus pour recueillir lesfruits de sa maîtrise de soi, de sessoins, de son expertise pourassouvir ses sens en elle, avec elle— pour faire d'elle son esclave.
Tournant la tête sur sonoreiller, il examina son visage.Levant une main, il repoussadoucement une mèche égarée sur
sa joue ; elle parla d'une voixnasillarde, puis elle se contorsionnasur le côté, se blottissant contre lui,une main se tendant, venant seposer sur son dos.
Devil s'immobilisa; l'émotionqui le remuait était inconnue de lui— elle lui coupa le souffle et lelaissa curieusement faible.Étrangement bouleversé. Fronçantles sourcils, il tenta de la mettre enperspective, mais elle s'était déjàcalmée. Elle ne l'avait pas quitté,mais elle avait plongé en lui, dans
les profondeurs où de tellesémotions résidaient.
Chassant la sensation, il hésita,puis, très délicatement, il glissa unbras autour de la taille d'Honoria.Elle soupira dans son sommeil et serecroquevilla plus lourdementcontre lui. Lèvres se recourbantdoucement, Devil ferma les yeux.
Quand il s'éveilla de nouveau, ilétait seul dans son lit. Clignant des
paupières pour dissipercomplètement le sommeil, il fixal'espace vide à côté de lui, l'œillamentablement incrédule. Puis, ilferma les yeux, laissa retomber satête sur les oreillers et il grogna.
Que cette femme aille au diable— ne savait-elle pas... À l'évidence,non — c'était une règle del'étiquette des épouses qu'il allaitdevoir lui enseigner. Elle n'était pascensée quitter leur lit avant lui —moment où elle ne serait pluscapable de le faire elle-même.
C'était ainsi que les choses étaient.Seraient. A partir de maintenant.
Ce matin, cependant, il allaitdevoir aller faire une longuepromenade.
Chapitre 17
Le succès entraîne le succès. Plus tard
le lendemain soir, alors qu'il
ouvrait la porte de son vestibule,
Devil réfléchit à cette maxime. Il
avait assez réussi sur plus d'un
front pour célébrer; seul un point
majeur sur son programme
personnel restait en suspens — et il
accomplissait de lents progrès
même de ce côté.
Soulevant un chandelier quil'attendait, il se dirigea vers labibliothèque, la traversantdirectement jusqu'à son bureau.Une lettre pliée était déposéedessus en évidence. Il brisa le sceauordinaire. Sous la lumièrevacillante des bougies, il lutrapidement l'unique feuille et lesdocuments joints, puis il sourit.Heathcote Montague, sonreprésentant d'affaires, avait,comme d'habitude, bien fait les
choses.Devil retira les deux
reconnaissances de dettes qu'ilavait arrachées au vicomte Bromleyce soir-là de la poche de son gilet etles laissa tomber sur le buvard ;choisissant une clé sur la chaîne desa montre, il ouvrit le tiroir dumilieu de son bureau, dévoilantune pile de douze autresreconnaissances de dette portant lasignature de Bromley. Les siennesallèrent les rejoindre — toutcomme les six reconnaissances de
dette discrètement achetées parMontague d'autres gentlemen qui,ayant vu Bromley s'incliner devantlui, avaient été trop heureux deconvertir les promesses du vicomteen argent sonnant.
Feuilletant la pile, Devil calculale total, puis le compara avecl'évaluation de la valeur réelle deBromley effectuée par Montague. Iln'était pas difficile de mesurer lasituation dans laquelle se trouvaitmaintenant le vicomte — dans lafange, en bonne voie de se
retrouver voguant désespérément àla dérive sur la rivière du Crédit.Exactement là où il le voulait.
Avec un sourire satisfait, Devilrangea la lettre et lesreconnaissances de dettes dans letiroir du bureau, le verrouilla, puisse leva. Reprenant le chandelier, ilquitta la bibliothèque et se dirigea àl'étage. Pour célébrer une victoirequ'il avait déjà remportée.
La maison était silencieuseautour de lui pendant qu'il avançait
à pas rapides vers sa chambre.Quand il atteignit sa porte,l'anticipation lui avait enfoncé seséperons dans les côtes ; il étaitexcité au plus haut point. Ouvrantla porte, il entra, la refermaderrière lui, ses yeux fouillantimmédiatement les ombres sur sonlit.
Un instant plus tard, son poingentra en contact avec les panneauxde chêne ; il jura — violemment.Elle n'était pas là.
Respirant profondément, il setint totalement immobile, le regardsur les couvertures non déplacées,s'efforçant de libérer son esprit deson brouillard de déception, defrustration — et d'un malaisepersistant au centre de son torse. Illui fallait réfléchir. Encore.
Traversant jusqu'à la commode,il posa bruyamment le chandelierdessus ; et il jeta un regardrenfrogné vers le lit. Une tensionfamilière se saisit de lui.
Devil jura. Fermant les yeux, illança une seule imprécationdétaillée parfaitement applicable,puis ses traits se durcissant, il retirason manteau d'un coup d'épaule. Illui fallut moins d'une minute pourse déshabiller. Enfilant un peignoir,il baissa brièvement les yeux sur sespieds nus. Il hésita, puis serra laceinture de son long peignoir.Refroidir son sang surchauffépourrait aider. Laissant la bougievacillant sur sa commode, il ferma
sa porte et avança à grandesenjambées et détermination le longdes corridors sombres.
Il avait fini de réfléchir. Peuimporte les raisons d'Honoria pourne pas être dans son lit à l'attendre,comme il avait fantasmé toute lasoirée, il ne souhaitait pas lesconnaître. Il n'allait pas argumenterni même discuter. Toutefois, pasmême une ex-vierge de fraîche datede vingt- quatre ans, bien éduquée,élevée dans la noblesse ne pouvait
imaginer qu'une fois suffisait. Qu'ilpouvait survivre jusqu'à leur nuitde noces en vivant comme avant —pas après avoir goûté à son corps, àsa passion, au défi que représentaitsa débauche spontanée.
Alors qu'il passait au pasdevant ses ancêtres, Devil leur jetaun regard aux paupières plissées. Ilquitta la galerie, puis tourna àgauche dans le corridor menant auxappartements d'Honoria.
Et entra en collision avec un
spectre en satin ivoire.Elle aurait rebondi sur lui s'il ne
l'avait pas attrapée, l'emprisonnantcontre lui. Son corps la reconnutinstantanément. Le désir letransperça douloureusement, sescourbes enveloppées de satin lecaressant et faisant naître la viedans son membre palpitantpendant qu'il jonglait avec elle. Soncri instinctif ne franchit pas sonpremier halètement — il l'arrêta,scellant ses lèvres avec les siennes.
Instantanément, elle sedétendit, gigotant pour libérer sesbras, puis lui enlaçant le cou. Elle sepressa plus près, l'embrassant à sontour, le provoquant ouvertement.Elle offrit sa bouche — il la pritavec avidité. Oscillant d'unemanière séductrice, elle caressa sontorse avec ses seins ; un bras seresserrant autour d'elle, Devilferma sa main sur une des sphères,la découvrant déjà gonflée, sonsommet comme un caillou durcontre sa paume.
Avec un halètement, elles'affaissa sur lui, un abandonattendrissant si délicieux que la têtede Devil se mit à tourner. Les mainsd'Honoria glissèrent sous sonpeignoir, cherchant les muscles deson torse, ses doigts s'entremêlantaux poils serrés. Chaque toucherétait passionné, empreintd'urgence, de la même urgence quicourait dans les veines de Devil.
Ravalant une plainte rauque,Devil prit son derrière en coupe etla tira avec force contre lui. Il la
souleva, inclinant ses hanches afinque son érection douloureusemonte fortement contre elle. D'ungeste évocateur, il la fit bougerd'avant en arrière, sa langueimitant le rythme ; elle ferma leslèvres et le retint, chaude etmouillée, douce et glissante.
La tentation délibérée, lapromesse flagrante de sa caresseintime, déchaîna violemment sesdémons ; le léger tiraillementquand ses doigts trouvèrent laceinture de son peignoir fit
résonner un signal d'alarme.Abasourdi, la démarche
chancelante, et sa maîtrise de soiréduite en miettes, Devil futincapable de rassembler assez deforce même pour émettre ungémissement en son for intérieur.Elle allait le tuer. La porte de lachambre à coucher de sa mère étaitde l'autre côté du corridor.
Si elle avait été plusexpérimentée, il aurait été tenté dele faire quand même — d'installerses fesses sur le dessus de la petite
table près de la porte de sa mère etde s'enfouir entre ses cuisses. Leplaisir illicite, sachant qu'ilsn'auraient pas osé émettre un son,les aurait tendus comme un ressorttous les deux.
Cependant, ils l'étaient déjàassez — et même si elle pouvaitsupporter cette position, elle nepourrait jamais garder le silence.Elle avait crié la nuit précédente,plus d'une fois, un sondouloureusement doux delibération féminine. Il voulait
l'entendre encore — et encore. Cesoir. Maintenant. Mais, pas ici.
Interrompant leur baiser, Devilla souleva dans ses bras.
— Que...— Chut, dit-il d'une voix
sifflante.Son peignoir s'était ouvert ; s'il
avait attendu une seconde de plus,elle l'aurait touché — et Dieu seulsavait ce qui aurait pu se passeralors.
Avançant à grands pas dans lecorridor, il se dirigea vers les
appartements d'Honoria.Jonglant avec elle, il ouvrit tout
grand la porte de son boudoir etentra. Il se tourna pour fermer laporte ; Honoria se trémoussa dansses bras jusqu'à ce qu'elle soit étiréecontre lui, les bras autour de soncou. La porte verrouillée, Devil seretourna — et se retrouvadirectement dans son baiser.
Il la déposa sur ses pieds ;abandonnant toute modération, illaissa ses mains agir à leur guise.Elles connaissaient déjà Honoria —
intimement — et voulaient laconnaître davantage. Les caressesqu'il exerça sur elle étaient criantes,expressément dosées pour fairemonter son désir en flèche. Il suivit;pour se protéger, il para les mainsd'Honoria. Leurs caresses — cellesde Devil atteignant leur but, cellesd'Honoria un peu moins —tournèrent vite en jeu passionné ethaletant, alimentant rapidementl'incendie qui les tenait déjà en sonpouvoir.
Avec un bruit perçant de
frustration, Honoria se retira deleur baiser.
— Je veux...— Pas ici, dit Devil en
martelant les mots. La chambre àcoucher.
Il prit de nouveau sa bouche ; lejeu reprit, ni l'un ni l'autre n'ayantenvie de se libérer.
De désespoir, avec un bruitressemblant de près à un cri,Honoria s'arracha aux mainsvagabondes de Devil. Sa peau étaitembrasée, en feu, son corps au
moins autant. S'il ne la comblait pasbientôt, elle allait défaillir.Attrapant l'une de ses mains, elle letraîna jusqu'à la porte de sachambre. Ouvrant la poignée, ellelâcha sa main et entra.
Stoppant dans la petite nappede lumière du clair de lune filtrantpar la fenêtre, elle lui fit face; tirantsur la boucle de déshabillétransparent pour la défaire, elleretira le vêtement fin d'unhaussement d'épaules. Alors qu'iltombait en flaque à ses pieds, elle
tendit les mains — Devil avaitfermé la porte, puis s'était arrêté.Elle sentit son regard, chaudcomme le soleil, glisser sur soncorps, encore couvert par le douxsatin.
Devil garda sa main sur lemétal froid de la poignée ets'accrocha à cet instant comme unhomme qui se noie. Il essaya de separler de maîtrise de soi et de serappeler qu'il ne l'avait prise qu'unefois, qu'elle pouvait encoreressentir une certaine sensibilité,
qu'elle aurait certainement besoinde temps pour s'ajuster à soninvasion. Les faits s'enregis- trèrentdans son cerveau éveillé, la petiteparcelle qui fonctionnait toujours.Le reste était centré sur elle, sur ladouleur palpitante dans son bas-ventre — sur son besoin désespéréde la posséder.
Sa chemise de nuit était unefascinante création — du satinsolide avec des fentes montantjusqu'à ses hanches. La longue lignede ses jambes était apparue
brièvement, terriblementattrayante, puis elle s'était arrêtéeet la jupe était retombée biensagement en ligne droite — uneillusion de féminité vertueuse.
Les doigts d'Honoria dansèrentdans un geste de supplication —lentement, il s'avança, laissanttomber son peignoir au sol derrièrelui. Nu, il ignora ses mains, luipermettant de le toucher commeelle le souhaitait. Avec les siennes,il prit son visage en coupe, puis,langoureusement, faisant durer le
moment jusqu'à ce qu'ils tremblenttous les deux, il inclina la tête etdéposa ses lèvres sur les siennes.
Il l'embrassa passionnément,voracement — avec détermination— il devait garder le contrôle delui-même. Il banda ses musclesquand les mains d'Honoriaglissèrent sur sa taille. Elless'interrompirent, l'agrippantpendant qu'elle acceptait sonbaiser, s'ouvrant à lui sans retenue.Puis, elle fit glisser ses mains surson dos; elle se pressa brièvement
contre lui, puis, à l'étonnement deDevil, elle s'écarta. Intrigué, il lalâcha.
Le regard voilé, mystérieux, ellelui prit la main et le guida vers le lità baldaquin. Stoppant à côté, elle seplaça face à lui ; les yeux sur lui,elle leva les mains et ouvrit lesfermoirs qui retenaient sa chemisede nuit aux épaules. Elle glissa,dévoilant les globes tout enrondeur de ses seins, ivoire pâlesous la faible lueur de la lune. Levêtement se rassembla autour de sa
taille ; en remuant, elle le libéra, lelaissant tomber au sol dans unmurmure.
Sans aucune trace de réticence,de fausse timidité ou de gêne —d'une manière si directe qu'il en eutle souffle, et bien plus encore,coupé —, elle s'approchadavantage. Elle plaça ses mains surses cotes, puis les fit glisser vers lehaut ; elle s'étira avec sensualitécontre lui et l'enlaça par le cou,levant ses lèvres vers son baiser,pressant ses seins sur son torse,
enfonçant ses hanches dans sescuisses.
S'offrant à lui.Devil sentit quelque chose
exploser en lui.Il tendit la main vers elle, et elle
fut là — il ne savait pas trop s'ill'avait attirée avec force ou si elles'était elle-même pressée davantagesur lui. Les lèvres d'Honoria étaientsous les siennes, ouvertes etimpatientes ; leurs languess'entremêlèrent, invoquant tous lesdémons de la passion qui existent.
Rien d'autre n'importait.L'apothéose, la satisfaction,
était leur seul but — la seule penséedans leurs cerveaux enfiévrés. Devilsavait que ses chevaux s'étaientemballés, mais il ne put rassemblerassez de volonté pour tirer sur leursrênes. Elle dominait ses sens, saforce, chaque particule de saconscience; ses besoins, accruspresque jusqu'au délire, étaient lacontrepartie parfaite aux siens.
Le désir de s'unir coulaitviolemment en eux, une force
puissante, féroce. Elle battait dansleurs veines, trouvait à s'exprimerdans leurs respirations haletantes ;elle mettait dans chaque toucher,chaque caresse audacieuse unplaisir si intense qu'il approchait ladouleur.
Se retirant légèrement sur unhalètement, Honoria leva un genousur le lit ; Devil la souleva et ladéposa dessus, lui permettant del'attirer sur elle. Il la laissa sentirson poids, se délectant de ladouceur souple des bras qu'elle
glissa autour de lui, de son corpsondulant sous le sien. Elle écarta lescuisses ; il recula juste assez pourtendre la main et la caresser,touchant l'humidité de son désir, lachaleur de son excitation.
Une supplique incohérentefranchit ses lèvres; elle relevalégèrement les hanches en guised'invitation sans équivoque. Sesmains s'aventurèrent plus bas ; ellesatteignirent les cotes de Devil avantqu'il puisse les attraper, une dans
chacune des siennes, après s'êtreinstallé complètement sur elle, seshanches bercées entre ses cuisses.
Les yeux d'Honoria, brillantssous ses paupières lourdes,rencontrèrent les siens.Délibérément, Devil ancra lapremière main, puis l'autre, dechaque côté de la tête d'Honoria. Ilavait dépassé le stade de laréflexion, était bien au-delà detoute idée de maîtrise de soi — laforce qui l'incitait à poursuivre le
consumait, le poussaitirrésistiblement à la posséder.Complètement. Entièrement.
La chaleur fluide entre sescuisses baignait son membrepalpitant ; il ouvrit ses cuisses pluslargement en donnant de petitscoups — elle obéit, mais mêmeavec ce geste, elle réussit à lesecouer, installant ses hanches plusprofondément, parfaitementpositionnées pour sa pénétration,laissant ses cuisses se détendre,
attendant, ouvertes. Vulnérable.L'invitant à la prendre.
L'émotion qui le submergea futsi puissante, si profonde que Devildut fermer brièvement les yeux, seprotégeant de la tempête. Lesrouvrant, inspira profondément,son torse se pressant sur ses seins,et il pencha la tête vers elle.
Leurs lèvres se touchèrent, puisfusionnèrent ; leurs feux respectifss'embrasèrent. D'un puissant coupde hanche, il s'unit à elle — etl'explosion commença.
Il bougea sur elle, en elle ; ellebougea sous lui, autour de lui. Lecorps d'Honoria le caressait de tantde manières, il ne fit plus ladistinction entre lui et elle.
Il poussa profondément en elleet sentit son excitation montée,sentit le début du vol passionné.
Honoria s'y abandonna, serendit à la chaleur élémentaire quibrûlait entre eux. Elle lesconsumait, un feu pur qui réduisaiten cendres toute comédie, nelaissant que la vérité et l'émotion
forgées dans ses flammes ardentes.Elle le sentit en elle et l'acceptaavec enthousiasme, le prenant enelle, tous les deux possédés par l'unet possédant l'autre. L'explosiond'étoiles se prépara et s'approcharapidement; leurs corps allant à sarencontre, courant vers leursdestins.
Puis, elle s'abattit sur eux. Elleles prit dans sa chaleur, dans sescharmes insatiables, une sensationsi délicieuse qu'Honoria cria. Elle leserra fortement, et il était avec elle.
Ensemble, ils s'envolèrent,haletèrent, puis se fracturèrent —dans un vide désintéressé d'unepaix douloureuse au-delà del'atteinte des sens humains.
Devil revint en premier dans lemonde mortel. Lentement, chaquemuscle lourd de désir assouvi, il sesouleva et disposa les oreillersautour d'eux. Son regard parcourutlevisage d'Honoria, serein, brillantdoucement. Délicatement, il lissa
ses cheveux, faisant passer sesdoigts dans la masse soyeuse, lalaissant couler à travers pours'allonger sur le lin frais. Pendantde longs moments, silencieux etimmobile, il observa son visage.Puis, son regard glissa,vagabondant sur son corps, la peaupâle luisante sous la lumièreargentée.
Quelques secondes plus tard, iltendit la main vers les couvertures,les releva jusqu'au mentond'Honoria. Il se réinstalla à côté
d'elle, un bras derrière la tête, unpli emmêlant ses sourcils noirs.
Il était dans cette positionlorsqu'Honoria remua ; sous seslourdes paupières, elle examina sonvisage, ses traits sombres dessinéspar le clair de lune. Il semblaitpensif. Elle-même pensive, ellelaissa son regard courir sur la vasteétendue de son torse, les poilsfoncés ombrageant sa largeur,chaque bande de muscle nettementdéfinie. Les couverturesatteignaient sa taille ; sous elles,
elle pouvait sentir la dureté de sajambe légèrement couverte de poilsà côté d'elle., Elle sourit, un chat savourant sacrème. Sa peau était agréablementrosie, ses membres délicieusementalourdis. Elle se sentait en paix,épanouie — possédée.Profondément, complètementpossédée. Cette seule penséeprovoqua un frisson de plaisir enelle.
La journée était derrière elle.L'incertitude troublante qui s'était
emparée d'elle à la minute où elleavait regagné sa chambre aprèss'être hâtée comme une servantedévergondée dans les corridorssous la demi-lumière de l'aubeavait disparu, éradiquée par lapassion de la nuit. Ses lèvres serecourbèrent ; elle pouvait encoresentir son feu intérieur. À cettepensée, elle leva les yeux — Devill'observait.
Son hésitation était palpable,puis il changea de position, levantune main pour soulever une mèche
de cheveux sur le front d'Honoria.— Pourquoi n'étiez-vous pas
dans mon lit ?Elle soutint son regard, même
si ses yeux étaient trop dansl'ombre pour qu'elle les voie.
— Je ne savais pas si vousvouliez que j'y sois.Fugitivement, le pli sur sonfront s'approfondit, puis
s'évanouit. Cependant, ses lèvres nese courbèrent pas quand, d'undoigt, il effleura doucement la jouede sa compagne.
— Je vous veux, et je veux quevous soyez là.
Les mots graves scintillèrentpresque sous le clair de lune ;Honoria sourit.
— Demain.Elle l'entendit soupirer et vit sa
grimace rapide.— Malheureusement pas.Il s'allongea, les yeux toujours
sur elle.Bien que j'aimerais bien
davantage t'avoir dans mon lit,jusqu'à ce que nous nous marrions,
je vais devoir supporter lesrestrictions du tien.
Il souleva un pied, prouvantque même s'il était haut sur lesoreillers, il touchait le pied du lit.
Honoria fronça les sourcils.— Pourquoi në pouvons-nous
pas dormir dans votre lit?— Les convenances.Elle ouvrit de grands yeux.— Ceci respecte les
convenances ?Son geste large englobait sa
présence nue qui occupait la moitié
de son lit.— On ne peut pas vous voir
vous promenant dans les corridorsen peignoir chaque matin — lesserviteurs n'approuveraient pas.S'ils me voient me promener enpeignoir, ils accepteront cettevision avec un aplomb sans faille —il s'agit, après tout, de ma maison.
— Hum.Se tortillant, Honoria s'installa
sur le flanc, lui tournant le dos.— Je suppose que vous
connaissez toutes les bonnesprocédures.
Elle le sentit bouger ; uneseconde plus tard, des membreschauds l'entourèrent. La barbenaissante sur sa mâchoire râpa sonépaule dénudée ; ses lèvrestouchèrent son oreille.
— Croyez-moi.Il s'installa derrière elle.— Et en parlant de bonnes
procédures, je devrais envoyer unenote au journal The Gazette,
annonçant la date de notremariage.
Honoria observa les ombres.— Quand devrait-il avoir lieu ?Il lui embrassa la nuque.— C'est à vous de le dire, mais
j'avais espéré le 1er décembre.Dans quatre semaines. Honoria
fronça les sourcils.— J'ai besoin d'une robe.— Vous pouvez commander à
n'importe quelle couturière ; ellesse bousculeront pour avoir cet
honneur.— Celestine ira très bien.— Honoria ne voyait aucune
raison de ne pas se prévaloir duflair de Celestine uniquement parcequ'il avait obtenu l'attention de lacouturière.
— Tous les autresarrangements, vous pouvez leslaisser à Maman* et à mes tantes.
— Je sais, répondit Honoriaavec chaleur. J'ai passé une matinéepitoyablement embarrassante —
votre mère a décidé de rendrevisite à une vieille gouvernante quidirigeait la Maison quand vosparents se sont mariés. Toute laconversation concernait les «comment » et les « où » del'organisation d'un mariage àSomersham.
Devil rigola.— Comment savait-elle ?— Je l'ignore, mentit Honoria.C'était, elle en était certaine, à
cause de ces moments où elle s'étaitempourprée de manière étrange et
inexplicable.— Je vais devoir écrire à
Michael.— Je vais lui écrire demain ;
donnez-moi votre lettre et jel'inclurai avec la mienne.
Devil observa l'arrière de la têted'Honoria.
— Au fait, j'ai parlé au vieuxMagnus ce matin.
Honoria se retourna d'unmouvement.
— Grand-père?Incrédule, elle le dévisagea.
— Pourquoi ?Devil leva les sourcils.— Il est le chef de votre famille.— Vous n'avez pas besoin de sa
permission pour m'épouser.— Non.Ses lèvres se retroussèrent en
un sourire en coin.— Cependant, les Anstruther-
Wetherby et les Cynster ont unlong passé en commun. Nousmarquons des points les uns contreles autres depuis que l'Arche aaccosté.
Honoria étudia son visage.— Comment a-t-il pris la
nouvelle ?Devil afficha un large sourire.— Avec philosophie, en fin de
compte. Il savait que vous viviezdans mon foyer, de sorte que celan'a pas été une complète surprise.
Honoria plissa les yeux, puislui tourna le dos sur un « hum »bien senti.
Le sourire de Devil reprit desproportions plus modestes. Sepenchant en avant, il planta un
baiser derrière l'oreille d'Honoria.— Dormez ; vous aurez besoin
de votre énergie.Ses mots contenaient une nette
promesse. Souriant, Honoriadéposa sa joue sur son oreiller, elleblottit son dos contre le torse deDevil — et fit ce qu'on lui avaitordonné.
Le lendemain, leurs lettres àMichael furent dûment expédiées.Le surlendemain, un avisannonçant le mariage d'HonoriaPrudence Anstruther-Wetherby,
fille aînée de Geoffrey Anstruther-Wetherby et de sa femme Heatherde Nottings Grange au Hampshire,à Sylvester Sébastian Cynster, ducde St-Ives, apparut dans TheGazette. Le mariage allait avoir lieu
le 1er décembre à la MaisonSomersham.
Malgré que la haute société sepréoccupait de quitter Londres, lanouvelle se répandit comme unetraînée de poudre. Honoria renditgrâce que les seuls événementssociaux à venir d'ici là consistaient
en de petits thés triés sur le voleten après-midi et en fêtes«informelles» — des adieux auxamis avant que la société ne seretire dans les comtés pour lachasse et par la suite dans leursdomaines pour Noël. Les houssesavaient été installées sur les lustres— la haute société quittait Londreset n'y reviendrait qu'en février.
Comme elle et Devil l'avaientprédit, sa mère et les autres damesCynster se lancèrent à corps perdudans l'organisation du mariage avec
un plaisir non dissimulé. Ladouairière prévint Honoria que latradition familiale voulait que lafiancée, tout en prenant toutes lesdécisions importantes, n'eût pas ledroit de lever le petit doigt — sonunique rôle, selon tous lespréceptes, était de paraître à sonavantage et de tenir son maritranquille. Honoria décida vite quebeaucoup de choses plaidaient enfaveur de cette tradition.
Devil observa le tout à distance,rassuré par son empressement à
accepter son rôle d'épouse. Elleavait déjà impressionné ses tantes ;sous leurs encouragements, elle pritles rênes matriarcales — sa mèreétait follement heureuse.
Après cinq jours d'activitésfrénétiques, ils furent prêts àquitter Londres ; la dernière tâchede Devil consista à harponner levicomte Bromley.
Quand l'énormité de ses pertes,la nature périlleuse de ses finances,lui furent entièrement expliquées,Bromley, un homme endurci,
haussa philosophiquement lesépaules et se résigna aux conditionsde Devil. Il était en position devérifier la véracité de la rumeurdéshonorable de Lucifer pouridentifier le Cynster impliqué etd'apprendre tous les faits. Ilconsentit à faire tout cela — au plustard le 1er février.
Satisfait à tous les niveaux,Devil mit de côté son brassard noiret, sa fiancée à son bras, il se retira àla Maison Somersham.
Chapitre 18
La salle de bal de la Maison
Somersham était pleine à craquer.
Le soleil d'après-midi se déversait
par les longues fenêtres, accrochant
l'éclat des boucles et des coiffes des
demoiselles et des douairières, des
séducteurs et des voyous, des
gentlemen et des matrones
hautaines. Des robes de toutes les
teintes rivalisaient avec des bijoux
brillants et des yeux qui l'étaient
tout autant. La fine fleur de la
haute société était présente, son but
: voir, assister, apprécier.
— C'est la dernière femmemariable des Anstruther- Wetherbyet elle est riche comme ce n'est paspermis ; cela ne ressemble-t-il pas àDevil d'avoir une telle perle luitomber du ciel ?
— Un si beau couple; Celestinea dessiné sa robe expressément.
Entourée de tels commentaires,de félicitations et de vœux debonheur, Honoria circulait parmi la
foule, souriant, inclinantgracieusement la tête, échangeantles paroles attendues avec ceuxvenus la voir se marier.
Elle était à présent la duchessede St-Ives. Les derniers mois deréflexion, les récentes semainesd'activités frénétiques avaientculminé vers un service simpledans la chapelle sur les terres.L'église était bondée, l'excédentd'invités l'encerclant comme unemer de joyaux. MonsieurMerryweather les avait déclarés
mari et femme, puis Devil avaitréclamé son baiser — un baiserdont elle allait se souvenir toute savie. Le soleil avait percé aumoment où la foule avait affluévers eux, formant une longue allée.Baignés sous la lumière du jour, ilsavaient couru sous le regard deleurs amis jusqu'à la salle de bal.
Le banquet de mariage avaitdébuté à midi; il était maintenantprès de quinze heures. Lesmusiciens se reposaient — on avaitprogrammé seulement six valses,
mais elle en avait déjà dansé plus.La première avait été avec Devil,une expérience émouvante. À la fin,elle n'avait plus de souffle, mais ellese vit réclamer par Vane, puisRichard, suivi d'Harry, de Gabrielet de Lucifer coup sur coup. Sa têtetournait lorsque la musique s'étaitenfin arrêtée.
Survolant la foule du regard,Honoria repéra Devil en train dediscuter avec Michael et son grand-père, assis près de l'immense foyer.Elle se dirigea vers eux.
Amelia bondit devant elle.— Vous devez amener Devil
pour couper le gâteau. Ils installentles tréteaux au centre de la pièce —tante Helena a dit que Devil seplierait à cela plus facilement sivous le lui demandiez.
Honoria rit.— Dites-lui que nous arrivons.Ravie de participer, Amelia
partit vivement.Devil la vit bien avant qu'elle le
rejoigne ; Honoria sentit sonregard, chaud, s'attardant sur elle
avec possessivité, pendant qu'elles'occupait des demandescontinuelles de son attention.
Se joignant à lui, elle croisabrièvement ses yeux — et sentit satension devenir plus forte, sentitl'anticipation la parcourir,l'étincelle avant la flamme. Ilsavaient partagé un lit pendantquatre semaines, néanmoinsl'excitation était encore présente, laperte de souffle soudaine, le videdouloureux du désir, le besoin dedonner et de prendre. Elle se
demanda si l'émotion allait un jourdisparaître.
Sereinement, elle inclina la tête,saluant son grand-père. Sur l'ordrede Devil, ils s'étaient rencontrésbrièvement à Londres ; concentréesur son avenir, elle se surprit àtrouver très facile de pardonner lepassé.
— Eh bien, madame la duchesse!
En s'adossant, Magnus leva lesyeux vers elle.
— Voici ton frère qui se
présentera à la prochaine élection.Que penses-tu de cela, hein ?
Honoria releva la tête versMichael; il répondit à sa questioninexprimée.
— St-Ives l'a suggéré.Il regarda Devil.Qui haussa les épaules.— Carlisle se proposait
d'avancer votre nom, ce qui mesuffit. Avec le soutien combiné desAnstruther-Wetherby et desCynster, vous devriez obtenir unesolide circonscription électorale.
Magnus grogna.— Il recevra un siège assuré,
sinon j'en connaîtrai la raison.Honoria sourit largement ;
s'étirant, elle planta un baiser sur lajoue de Michael.
— Félicitations, murmura-t-elle.Michael lui rendit son baiser
affectueux.— Et à toi.Il lui pressa la main, puis la
libéra.— Tu as pris la bonne décision.Honoria arqua un sourcil, mais
elle souriait. Se retournant, ellerencontra le regard de Magnus.
— Je suis venue reprendre monmari, monsieur. Il est temps decouper le gâteau.
— C'est vrai ? Eh bien, amène-le.
Magnus agita la main d'unemanière encourageante.
— Je ne voudrais pas rater cephénomène : un Cynster à laremorque d'une Anstruther-Wetherby.
— Précisément.Devil croisa le regard de
Magnus, l'assurance du conquérantdans les yeux alors qu'il levait lamain d'Honoria à ses lèvres. Il setourna vers elle.
— Venez, ma chérie.Il gesticula en direction du
centre de la pièce.— Vos désirs les plus simples
sont pour moi des ordres.Honoria lui jeta un regard
sceptique de biais.
— Vraiment?— Indubitablement.Avec une efficacité bien rodée,
Devil la guida à travers la foule.— En fait, médita-t-il, sa voix
devenant plus grave enronronnant, je m'attends à réaliserun bon nombre de vos désirs avantque la nuit s'achève.
Souriant sereinement, Honoriaéchangea des hochements de têtesavec la duchesse de Leicester.
— Vous me faites rougir.
— Les jeunes mariées sontcensées rougir; ne vous l'ont-ellespas dit ?
Les mots de Devil tombèrentdans son oreille.
— D'ailleurs, vous êtescharmante quand vous rougissez.Saviez-vous que votre rougeurs'étend jusqu'à...
— Vous voilà, mes chéris !Au soulagement d'Honoria, la
douairière apparut à côté d'eux.— Si vous voulez bien vous
tenir derrière le gâteau. Il y a uncouteau qui vous attend.
Elle les chassa de l'autre côté dela table ; la famille et les invités seregroupèrent autour. Leur gâteaude noces était installé à la placed'honneur, sept étages de gâteauaux fruits couverts de massepain etdécorés de dentelles très élaborées.Sur le dessus se tenait un cerf,pirouettant sur le blason desCynster.
— Doux Jésus !
Devil cligna des paupièresdevant la création.
— C'est le travail de madameHull, murmura Honoria.Souvenez-vous de le mentionnerplus tard.
— Faites place ! Faites place !Le tapage inattendu fit se
retourner tout le monde. Honoriavit un long paquet mince agitédans les airs. Les gens aux abordsde la foule rirent ; lescommentaires volèrent. Un
corridor s'ouvrit, permettant aumessager de passer. Il s'agissait deLucifer, sa mission consistant àlivrer le paquet à Vane, deboutdevant la table à l'opposé de Devil.
Avec un excès de cérémonies,Vane accepta le paquet — une épéedans son fourreau — l'inversant etle présentant à Devil.
— Votre arme, monsieur le duc.Les rires éclatèrent dans la salle
de bal.Son sourire plus que
démoniaque, Devil tendit la mainvers la garde. La lame — son sabrede cavalerie — sortit en chuintantde sa gaine. Au son desapplaudissements et de toutessortes de folles suggestions, il lebrandit — un boucanier, un pirateau cœur élégant de la haute société.Puis, ses yeux rencontrèrent ceuxd'Honoria. Un pas rapide, et il setint derrière elle, ses bras s'étirantautour d'elle.
— Refermez vos mains sur lapoignée.
Perplexe, Honoria s'exécuta,agrippant le manche aux striesépaisses de la poignée avec ses deuxmains. Devil enveloppa ses mainsavec les siennes — Honoria sesentit soudainement faible.
Un petit rire grave et douxrésonna dans son oreille droite.
— Exactement comme la nuitdernière.
La nuit dernière — quand ilavait partagé son ultime soiréed'homme non marié avec sescousins. Apercevant Webster
apportant un baril de brandy dansla bibliothèque, Honoria s'étaitrésignée à passer seule sa dernièrenuit de célibataire. Elle s'était miseau lit et avait tenté de s'endormir,seulement pour découvrir qu'elles'était déjà trop habituée à accueillirun grand corps chaud et très fermedans le lit à côté d'elle. Ce mêmegrand corps chaud et très fermes'était glissé silencieusement danssa chambre à coucher au petitmatin — et sous les couvertures.Elle avait fait semblant de dormir,
puis avait décidé que se causer dutort en voulant se venger n'était pasamusant. Elle avait fait connaîtreses désirs.
Seulement pour se voir informépar un petit rire grave et endormiqu'il était trop enivré pour lachevauchée. Malin comme il était,il avait suggéré qu'elle le monte —et il avait entrepris de lui enseignercomment faire. Une leçon qu'ellen'oublierait jamais.
Ce n'est que lorsque,totalement épuisée, comblée
jusqu'au bout des orteils, elle s'étaiteffondrée sur lui et qu'elle l'avaitvu prendre les rênes, la pousser àcontinuer, la posséder sientièrement qu'elle avait presqueperdu l'esprit qu'elle avait comprisque, fidèles au reste de leurs corps,les mâles Cynster avaient aussi latête dure. Ils n'étaient pas obtus nibouchés, ils avaient simplement latête dure.
Les souvenirs affluèrent en elle,la laissant affaiblie. Tournantlégèrement la tête, elle rencontra
les yeux de Devil — et futextrêmement contente de ne pasavoir aperçu son petit souriresatisfait de vainqueur la nuitdernière ; elle l'avait suffisammentsous les yeux aujourd'hui. Il luifallut un immense effort pourredresser l'échine et refermer lesmains, sous les siennes, autour dela poignée du sabre sans repenser àce que cela lui rappelait. Inspirantprofondément, elle investit sonregard de la mise en garde la plussérieuse qui fut en son pouvoir,
puis elle regarda le gâteau. Avecson assistance, elle leva le sabre trèshaut.
La lame s'abaissa en chantant ;guidant le mouvement debalancier, Devil la tira en arrière,s'assurant que le sabre coupe unetranche nette dans chacun des septétages. Des bravos et desapplaudissements éclatèrent detous les côtés ; des commentairesgrivois volèrent.
Les genoux faibles, Honoriapria avec ferveur pour que tout le
monde présent croie que cescommentaires étaient la cause deses joues en feu. Elle pria encoreplus ardemment que personne saufle séducteur qu'elle avait épousé neremarque exactement où le boutarrondi à l'extrémité de la poignéedu sabre s'était finalement posé.Cernés par la foule derrière eux, ilsavaient été incapables de reculerassez loin ; le bouton au bout de lapoignée avait glissé dans le creuxentre ses cuisses.
Et pour une fois, elle ne pouvait
pas le blâmer — l'immobilité quis'était emparée de lui, l'inspirationrapide qui siffla à son oreille,l'exonérait; il était aussi bouleverséqu'elle. Leurs regards serencontrèrent — celui d'Honoriaétait-il aussi visiblement rempli dedésir que le sien ? Avec précaution,il lui retira l'épée de sa poignerelâchée et la tendit à Vane — puisil baissa vivement la tête et effleurases lèvres en disant :
— Plus tard.Les mots chuchotés
constituaient une promesse ;Honoria frissonna et sentit untremblement similaire le secouer.Encore une fois, leurs yeux secroisèrent — ils clignèrent tous lesdeux des paupières, inspirèrent —et se tournèrent de côté, mettantune distance entre leurs corpssurexcités.
Dans un brouillard, Honoria fitla tournée de ses parentsAnstruther-Wetherby — les oncleset les tantes qu'elle n'avait jamaisconnus, les cousins qui la
regardaient à présent avec un airqui ressemblait à du respect mêléd'admiration. Ce fut unsoulagement de retourner dans lecercle des Cynster, aux sourireschaleureux et ouvertementaffectueux, aux hochements de têterassurants et au soutien inlassable.Elle s'arrêta à côté de Louise;Arthur se tenait près d'elle.
Arthur prit la main d'Honoria.— Vous faites une belle
duchesse, ma chère.Malgré les rides que le chagrin
avait gravées sur son visage,lorsqu'il porta sa main à ses lèvres,Honoria aperçut brièvement legentleman insouciant à l'élégancenonchalante qu'il avait dû être unjour.
— Sylvester est un hommechanceux.
— Je suis certaine que votreneveu apprécie Honoria comme ilse doit, intervint Louise entre eux.
Arthur sourit — un sourire lenttypique des Cynster.
— On n'a jamais dit de lui qu'il
était balourd.Il regarda au-delà d'Honoria.— Ah, voici Charles.Honoria se retourna, saluant
majestueusement Charles alorsqu'il se joignait à eux.
— Et voici lady Perry !Louise posa une main sur le
bras d'Arthur.— Honoria, veuillez nous
excuser. Nous devons parler àmadame la comtesse avant qu'elles'en aille.
Avec un sourire pour Honoria
et un « Charles » froid à son fils,Arthur céda aux ordres de safemme et la guida à travers la foule.
S'inclinant avec politesse,Charles les regarda partir, puis setourna vers Honoria.
— Je suis heureux de bénéficierd'un instant pour discuter avecvous, madem...
Ses traits se durcirent.— Madame la duchesse.Honoria ne fit pas confiance à
son sourire. Leurs rencontressubséquentes n'avâient pas dissipé
son antipathie instinctive. Il était leseul Cynster à lui faire cet effet —tous les autres, elle les aimaitspontanément.
— J'avais espéré avoir le plaisirde danser avec vous, monsieur,mais je crois que toutes les dansessont terminées.
— Il haussa un sourcil,l'arrogance hautaine étant l'un desrares traits des Cynster qu'ilpossédait. Il lissa son brassard noir.
— J'ai bien peur que vousoubliiez, madame la duchesse, que
je suis encore en deuil. Les autres,évidemment, ont oublié Tolly, maissa perte me touche encoreénormément.
Se mordant la langue, Honoriainclina brièvement la tête. De tousles Cynster présents, seuls Charleset son père portaient encore lebrassard noir.
— Cependant, je crois que desfélicitations sont de rigueur*.
L'étrange phrase de Charles fiten sorte qu'elle le regarda avecétonnement. Il hocha la tête
dédaigneusement.— Je suis certain que vous vous
rappelez en substance notrepremière conversation ; à lalumière des réserves que je vousavais exprimées alors, j'espère trèssincèrement que vous n'enviendrez pas à regretter votrenouvel état.
Honoria se raidit.Scrutant la foule, Charles ne le
remarqua pas.— Toutefois, bien que ce soit
possible, je vous souhaite bien du
plaisir ; si le fait d'avoir connuSylvester toute sa vie me rendhésitant quant à sa constance, jevous demande de croire que cedétail ne diminue en rien lasincérité de mes espoirs pour votrebonheur.
— Néanmoins, si je vouscomprends correctement, vous necroyez pas ce bonheur probable.
Honoria le regarda pendantque ses mots le pénétraient —lentement, Charles reporta sonregard sur le visage d'Honoria. Ses
yeux étaient pâles, froids,étrangement inexpressifs.
— Vos actions ont été des plusimprudentes. Vous n'auriez pas dûépouser Sylvester.
Honoria ne sut jamais quelleaurait pu être sa réponse à uneaffirmation aussi scandaleuse —Amelia et Amanda, toutes les deuxencore aux oiseaux, arrivèrent à lahâte dans un bruissement de jupesen mousseline.
— Tante Helena dit que vousdevriez allez à la porte; certains
invités commencent à partir.Honoria hocha la tête. Du coin
de l'œil, elle vit Charles reculer.— Avec votre permission,
madame la duchesse.Sur une demi-révérence pour
elle et un bref hochement de têtepour ses demi-sœurs, il tourna lestalons et s'en alla.
Amanda fit la grimace dans sondos, puis passa son bras sous celuid'Honoria.
— Il est tellement guindé, il neprend plaisir à rien.
— Pompeux, déclara Amelia,prenant l'autre bras d'Honoria.Maintenant, où devriez-vous vousplacer, croyez-vous ?
La courte journée de décembretirait rapidement à sa fin; quandl'horloge dans l'escalier sonna cinqcoups, il faisait complètement nuitdehors. Debout sur le porche à côtéde Devil, saluant de la main ladernière des voitures quis'éloignaient, Honoria soupira enson for intérieur. Rencontrant lesyeux de Devil, elle sourit et se
retourna vers le vestibule. Ilaccorda son pas au sien,emprisonnant sa main, ses longsdoigts s'entremêlant aux siens. Laplupart des membres de la famillerestaient jusqu'au lendemain ; ilss'étaient retirés dans le salon, leslaissant seuls pour faire leshonneurs. Juste avant la porte,Devil stoppa.
Honoria s'arrêta forcémentaussi et leva la tête.
Un sourire lent l'accueillit.Levant sa main, Devil effleura ses
jointures d'un baiser.— Eh bien, ma chère duchesse ?De son autre main, il lui releva
le menton — et encore ;automatiquement, elle se redressasur ses orteils.
Il pencha la tête et l'embrassa,doucement au début, puis pluspassionnément. Quand il releva latête, ils étaient de nouveau tous lesdeux excités.
Honoria le regarda en clignantdes yeux.
— Il y a encore le dîner.
Le sourire de Devil s'épanouit.— Ils ne s'attendent pas à nous
voir, lui dit-il en l'attirant au-delàdu seuil. C'est le moment où nousnous esquivons.
Les lèvres d'Honoria formèrentun « oh » silencieux ; le vestibule,vide à l'exception de Websteroccupé à refermer la porte,suggérait que son mari avait,comme d'habitude, bien compris laprocédure.
Quand il haussa un sourcil, elleacquiesça d'un signe de tête;
calmement sereine, elle monta lesmarches à côté de lui. Ils s'étaientretirés ensemble pour la nuit assezsouvent au cours des dernièressemaines pour qu'elle ne ressentepas la moindre appréhension.
Une situation qui dura jusqu'enhaut de l'escalier. C'est là qu'elletourna à droite, vers le corridor quimenait à ses appartements.
La poigne de Devil sur sa mainl'arrêta net. Elle se tourna avecétonnement — seulement pour levoir hausser un sourcil, le regard
très vert. Il secoua la tête.— Plus désormais.Elle fut frappée de
compréhension. Honoria hocha latête. Tête haute, apparemmentassurée, elle le laissa la guider àtravers la galerie, dans le corridordes appartements ducaux. En sonfor intérieur, ses nerfs s'étaientréveillés, virevoltant en spirales demoins en moins grandes jusqu'à cequ'ils forment des nœuds serrés.
C'est ridicule, se dit-elle, et elles'efforça d'ignorer la sensation.
Elle était allée dans lesappartements de la duchesse uneseule fois, pour approuver lanouvelle palette de couleurs —crème riche, topaze doux et vieilor, complétant la chaleureusepatine du chêne poli. Ouvrant laporte d'Honoria, Devil la fit entrer;elle cligna des paupières devant laflambée qui l'accueillit.
Des candélabres allumésornaient la coiffeuse, le manteaude la cheminée, une commode, unbonheur-du-jour installé contre un
mur et une série de carafonsdevant une fenêtre. Sous leur éclat,la pièce lui apparaissait assezsemblable à la dernière fois qu'ellel'avait vue avec son immense lit àbaldaquin à la place d'honneurentre les longues fenêtres. Les seulsnouveaux objets étaient une urnede fleurs, des jaunes et desblanches, posée sur l'une descommodes, ses brosses en argentluisant sur la coiffeuse polie, ainsique sa chemise de nuit en soieivoire et son peignoir assorti
disposés sur le lit.
Cassie avait dû les mettre là ;Honoria n'y avait certainement paspensé. Elle se demanda si lescandélabres étaient égalementl'idée de Cassie — puis elleremarqua que Devil ne semblaitpas surpris. Avançant lentementdans la pièce, l'amenant avec lui, ils'arrêta en face du foyer et l'attiraavec douceur dans ses bras.
Tout doute sur ses intentionss'envola devant son baiser, plein dedésir à peine contenu et d'uneardeur qui embrasa Honoria. Elles'affala contre lui, sa réactioninstantanée la poussant à prendrele plaisir qu'il offrait et à lui rendreau centuple. La tête lui tournait, etses membres s'étaient transformésen guenille quand il leva la tête.
— Venez. Nos enfants peuventnaître dans votre lit — nous lesengendrerons dans le mien.
Il la souleva dans ses bras ;
Honoria l'enlaça par le cou. D'unlong pas impatient, il la portajusqu'à une porte en lambris laisséeentrouverte, la poussa d'un coupd'épaule, exposant un courtcorridor menant à sa proprechambre.
— Pourquoi tout cela ?demanda-t-elle. Les candélabres ?
Devil lui jeta un coup d'œil ; lecorridor était faiblementéclairé, mais elle vit briller sesdents.
— Une tactique de diversion.
Elle aurait exigé des précisions,mais toutes pensées de candélabreslui sortirent de la tête pendant qu'illa transportait dans sa chambre.
Sa chambre à Londres étaitgrande — celle-ci était immense. Lelit qui s'élevait contre le mur àproximité était le plus gros qu'ellen'avait jamais vu. De longuesfenêtres s'alignaient des deux côtéset remplissaient le mur en face dulit; cette pièce se trouvait au boutd'une aile — avec les tenturesouvertes, elle était inondée par le
clair de lune, transformant les vertspâles de l'ameublement en argentsourd.
Devil la porta autour du lit et ladéposa sur ses pieds là où la lunejetait une bande de lumièrechatoyante sur le plancher. Sa robede mariée, une succession de largesdentelles Mechlin, brillait ettremblait. Il se redressa, son regardattiré à l'endroit où la dentelle sesoulevait et s'abaissait ; il prit unedouce sphère en coupe et la sentitse raffermir. Ses doigts fouillèrent,
trouvant le sommet se durcissant etle caressant jusqu'à ce qu'il adoptela dureté d'un caillou. Le soufflemanqua à Honoria; ses paupièrestombèrent alors qu'elle oscillaitvers lui. Devil la soutint contre sontorse, sa main toujours sur son sein,le pétrissant délicatement. Ellechangea de position nerveusement,se tournant afin qu'il puisseatteindre son dos.
— Les lacets sont dissimuléssous la dentelle.
Devil sourit et se mit au travail,
une main caressant d'abord un sein,puis l'autre, les lèvres faisantremonter des baisers sur un côté desa gorge. Quand le dernier nœudde dentelle fut libéré et que la robe,avec son assistance, glissa au sol,Honoria était molle et souple entreses bras, s'arquant vers lui. Ill'adorait ainsi, tendre et femme,abandonnée, mais en touteconnaissance de cause — plus tard,elle serait encore plus éperdue,mais à ce moment-là, elle neconnaîtrait plus rien d'autre que la
fièvre chantant dans ses veines.Tendant les bras autour d'elle, ilremplit ses deux mains avec sesseins couverts par une simplecouche de soie vaporeuse — undoux murmure d'appréciationéchappa à Honoria. Quand il frottales sommets ruchés entre son pouceet son index, elle bougea leshanches d'une manière séduisantecontre lui.
— Pas encore, chuchota-t-il. Cesoir devrait être une expérience quevous n'oublierez jamais.
— Oh?L'unique syllabe fut prononcée
dans un souffle. Elle se tourna et,lui enlaçant le cou, se pressa contrelui.
— Qu'avez-vous l'intention defaire ?
Il sourit, lentement.— Élargir vos horizons.Elle tenta de prendre un air
hautain, mais ne réussit qu'à avoirl'air fascinée. Devil recula d'un pas,retirant d'un haussement d'épaulesson veston et son gilet. Il les laissa
tomber et tendit les bras vers elle.Elle se blottit dedans comme lasirène qu'elle était — la sirène qu'ilavait, au cours des dernièressemaines, libérée des entraves desconvenances. Elle était encorelargement innocente de tellementde façons, néanmoins, ellemaîtrisait tout ce qu'il lui enseignaitavec un enthousiasme sans réservequi le laissait parfois faible. À sonavis, son point de vue étant colorépar l'expérience, les années à venirse présentaient sous le meilleur des
jours.Il était impatient de vivre
chacun d'eux. En ce moment, ilavait hâte à cette nuit.
Les lèvres d'Honoria étaientouvertes sous les siennes, sa languetournant, incitant, excitant. Elles'étira contre lui, sur ses orteils, soncorps protégé uniquement par safine chemise.
Laissant le désir mener le bal, illa moula contre lui, permettant àses mains de la reconnaître. Quandil glissa ses paumes sous le dos de
sa chemise, sa peau était couverted'une légère sueur.
Deux minutes surchauffées plustard, la chemise flottait au sol pourformer une flaque, ignorée, sous leclair de lune.
Devil intensifia leur baiser —Honoria l'imita, le poussant, lepressant. Ses mains glissèrent de lanuque de Devil et commencèrent àvagabonder, s'écartant sur sontorse, puis fouillant à travers les plisde sa chemise pour pétrir lesmuscles de son dos, puis se
refermant sur sa taille, ses hanches,tombant plus bas.
Brusquement, Devil changea deposition, emprisonnant ses mains,les ramenant de force dans le dosd'Honoria, les coinçant dans l'unedes siennes. Leur baiserininterrompu, il l'attiraénergiquement contre lui, luipermettant de sentir sa puissance,lui dévoilant le charme irrésistiblede sa propre vulnérabilité. Ill'inclina légèrement vers l'arrière,par-dessus le bras dans son dos, ses
hanches fortement pressées sur lessiennes. Elle gémit, le son piégédans leur baiser, et elle secontorsionna — pas pour gagner saliberté, mais pour se rapprocher.
Le mouvement agité de seshanches contre lui fut plus qu'il neput en supporter. Interrompantleur baiser, il la souleva dans sesbras et la déposa sur les draps ensoie. Elle s'étira, les yeux sur lui, sesmains explorant.
Il recula rapidement, hors de saportée.
— Si vous m'aimez, gardez vosmains pour vous.
Il avait fantasmé sur cette nuittoute la semaine précédente ; s'ilpermettait à l'enthousiasmed'Honoria d'avoir le dessus sur lui— comme cela avait été le cas plusd'une fois — , il n'aurait aucunepossibilité de transformer cefantasme en réalité.
S'étirant voluptueusement,drapant ses bras au-dessus de satête, Honoria fixa sur lui un regardsensuel.
— Je veux seulement voustoucher.
Elle le regarda retirer sacravate.
— Vous avez aimé ça hier soir.— Cette nuit sera différente.Les yeux de Devil la quittèrent
momentanément pendant qu'ilôtait sa chemise. Honoria sourit,changeant de position d'unemanière attirante sous le feu de sonregard, savourant le sentiment depuissance que sa fascination pourson corps nu lui offrait. Il lui avait
fait comprendre très clairementqu'il aimait la voir nue, totalementnue, sans aucune trace de modestie.Être nue à ce point avait étédifficile au début, mais lafamiliarité et son obsessionconstante avaient développé laconfiance d'Honoria de sortequ'être nue, d'une manièreluxurieuse, scandaleuse, luisemblait à présent naturel —comme cela devrait être — dumoins entre eux.
— Comment ? s'enquit-elle
quand il s'assit sur le lit pour retirerses bottes.
Il lui jeta un bref coup d'œil,son regard glissant sur ses seins,puis sur son ventre et ses cuisses.
— Cette nuit, je tirerai monplaisir en vous prodiguant duplaisir.
Honoria le dévisagea enréfléchissant. Il pouvait la fairecrier — crier et gémir et sangloterde plaisir. Elle était novice — ilétait le maître.
— Qu'avez-vous l'intention de
faire, exactement ?Il sourit largement et se leva,
déboutonnant son pantalon.— Vous verrez, ou plutôt,
corrigea-t-il, sa voix devenant plusgrave, vous le sentirez.
L'anticipation bouillant dansses veines augmenta brusquement;les nerfs d'Honoria tressautèrent.Cette tension familière la tenaitencore une fois en son pouvoir, unagréable étau la serrant fort. Uneseconde plus tard, aussi nu qu'elle,il avança sur le lit en rampant
comme un prédateur.Primitivement mâle, en érectioncomplète, sur les mains et lesgenoux, il l'enfourcha, puis abaissason corps sur le sien.
Le souffle manqua à Honoria.Les yeux grand ouverts, elleobserva les siens, brillant sous lafaible lumière. Puis, les paupièresde Devil tombèrent et il baissa latête; ses lèvres trouvèrent lessiennes.
Son baiser explorateurl'atteignit profondément — au
fond d'elle où résidait son moidévergondé. Il l'appela et elle vint,cherchant avec enthousiasme à luidonner du plaisir. Elle s'ouvrit àlui, l'incitant à venir en elle, soncorps mollissant sous le sien ; ellemurmura son nom et changea deposition sous lui, mais il ne fitaucun mouvement pour laprendre. Les mains de Devil serefermèrent sur les siennes, une dechaque côté de sa tête; pendant quele baiser se poursuivait, la peaud'Honoria brûlait sous sa caresse.
Impérieuse, elle s'arqua sous lui,mais son poids la piégeait ; sesjambes à l'extérieur des siennes, illa retenait immobile, ne luiaccordant aucun apaisement de lapassion qui grandissait entre eux.
Puis, ses lèvres la quittèrent,faisant remonter des baisers chaudssur la hauteur de sa gorge.Haletante, Honoria pressa la têtedans ses oreillers, impatiente d'enobtenir plus. Il bougea, et ses lèvresdessinèrent sa clavicule, puisrevinrent en passant par son épaule
et le haut de son sein. Il répéta lamanœuvre, cette fois en suivant lacourbe de son bras jusqu'à soncoude, puis sur son poignet enterminant enfin avec le bout de sesdoigts. Chatouillée par ses lèvres,par l'écorchure de son torse et deson menton sur sa peau lisse,Honoria gloussa ; elle vit sonsourcil s'arquer, mais il ne dit rien,levant simplement la maind'Honoria et la drapant par-dessussa propre épaule. Il recommençatout l'exercice avec son autre bras
jusqu'à ce que, lui aussi, aillerejoindre son compagnon.Refermant les doigts sur sa nuque,elle s'installa confortablement dansl'attente et patienta pour voir cequi se passerait ensuite.
Ses lèvres sur ses seins luiprocuraient une sensationfamilière, agréable et remplie depromesses. Quand sa bouche sereferma sur un mamelon et qu'iltéta, elle haleta ; la caressecontinua, chaude et mouillée,provoquant un incendie dans ses
veines. Elle gémit, ses hanchesremuant avec agitation, cherchant.Toutefois, il s'était déplacé plus bas; elle ne pouvait pas entrer encontact avec cette partie de sonanatomie plus sensible à lapersuasion. Un pressentiment se fitjour en elle — son « cette nuit »serait une affaire de longue durée.
Il lui avait dit plus d'une foisqu'elle se précipitait trop, que, sielle le laissait faire durer le temps,les sensations s'amélioreraient —plus accentuées, plus intenses.
Comme elle avait déjà peine à faireface à ce qu'elle ressentait déjà, ellen'était pas du tout certaine que «plus lentement » était une si bonneidée. Il y était habitué — pas elle.Elle n'était même pas sûre quel'exercice ait le même effet sur luique sur elle : éblouissant l'esprit,faisant voler en éclat son âme, luitordant le cœur.
Ses lèvres abandonnèrent sesseins; haletante, elle attendit, puisle sentit enfouir son nez sous leurrondeur. Ses lèvres balayèrent son
ventre sensible et jusqu'au creux àsa taille.
Elle était tellement prise par sesnouvelles sensations, par lepicotement chaud sur sa peau qu'illa retourna sur le ventre avantqu'elle ait l'occasion de protester. Ilchangea de position, se levant au-dessus d'elle, puis abaissant soncorps de tout son long sur elle. Seslèvres trouvèrent sa nuque — ilcommença à couvrir son dos debaisers, doux et chauds sur sesépaules, se changeant en
mordillements alors qu'ildescendait. Le feu de la passiond'Honoria s'était transformé encharbons ardents, mais il se ravivade plus belle quand il atteignit lerenflement de ses fesses,l'anticipation le faisant exploser denouveau. Elle se tortilla, reprenantsa respiration par petitshalètements doux. Un bras lourdautour de sa taille la gardaitimmobile ; lorsqu'il poussa sur sesgenoux pour les écarter largementet les retint ainsi, Honoria prit une
bouffée d'air tremblante — etattendit. Il était allongé à côtéd'elle, ne pesant plus de son poidssur elle. L'air frais caressait sa peauchauffée ; elle avait envie qu'il larecouvre de son corps. L'attentes'intensifia ; elle l'incita par savolonté à se déplacer et à venir seplacer entre ses cuisses.
Au lieu, elle sentit le douxfrôlement de ses cheveux et lalégère écorchure de sa barbenaissante quand il déposa unerangée de baisers chauds à l'arrière
d'une de ses cuisses. Il rendithommage au point sensible àl'arrière de son genou, d'abord un,puis l'autre, puis remonta le longde l'autre cuisse. Honoria expiralentement et attendit qu'on luipermette de se tourner de l'autrecôté.
L'instant suivant, elle inspiraavec un bruit de sifflement — etencore. Ses mains serrèrentl'oreiller. Muette d'étonnement,elle sentit les minuscules et tendresbaisers parsemer inexorablement
l'intérieur d'une cuisse. Sa peaufrissonna et tressaillit ; alors que lesbaisers s'approchaient avecrégularité de l'endroit où ellebrûlait, elle laissa échapper un petitcri perçant, étouffé dans l'oreiller.
Elle sentit plutôt qu'elleentendit le rire grave. Il basculapar-dessus elle et répéta l'exercicesur l'intérieur de son autre cuisse.Honoria grinça des dents, décidée àne pas reproduire son cri ; tout soncorps tremblait sous le désir quimontait. Quand il atteignit la limite
de son sentier, pressant un dernierbaiser qui s'attardait sur la peau quin'avait jamais senti les lèvres d'unhomme, elle soupira — puis ellehurla quand sa langue lécha lachair tendre et palpitante — justeune fois, mais ce fut plus quesuffisant.
Il semblait le croire aussi ; il seretira, la faisant rouler sur le dos,son poing la clouant encore unefois au lit pendant que ses lèvresrevenaient sur les siennes, sonbaiser brûlant, l'incendiant —
exactement comme elle le désirait.Enroulant ses bras autour de soncou, Honoria répondit à son feuavec sa propre flamme, à sa passionpar le désir dans un délire debesoin montant en flèche. Cettefois, les cuisses d'Honoria étaientlargement ouvertes et il étaitallongé entre elles ; elle pouvaitsentir son membre palpitantdonner de petits coups sur sacuisse.
Brusquement, il recula, semettant à genoux. Hébétée, elle le
vit prendre un oreiller épais. Lasoulevant, il le coinça sous seshanches, puis se penchant sur elle,il retrouva ses lèvres. Quand ilreleva la tête, elle haletaitd'impatience, chaque nerf de soncorps en vie, chaque veine en feu.Une main était sur un de ses seins ;vivement, il baissa la tête et tétajusqu'à ce qu'elle gémisse.
— Je vous en prie, maintenant.Honoria tendit les bras vers lui,
mais il changea de position.— Bientôt.
Il ramena encore une fois soncorps sur le sien, mais trop bas — satête était devant ses seins. Il lapachaque sommet brûlant jusqu'à cequ'elle ne puisse plus le supporter,puis fit descendre des baisersjusqu'à son nombril. Il dessina uncercle autour du bouton avec salangue, puis il donna de petitscoups ; les poussées lentes etrépétitives amenèrent des larmesde frustration dans ses yeux. Elle setortilla et s'arqua, ses hanches sesoulevèrent très haut sur l'oreiller.
— Bientôt.Il murmura le mot sur la peau
sensible de son ventre et le fitsuivre d'un baiser. Et d'un autre etencore un autre, descendantlentement; quand le premier baisertomba parmi ses douces bouclettes,les yeux d'Honoria s'arrondirentbrusquement.
— Devil ?Les sensations la parcourant ne
ressemblaient à rien de ce qu'elleavait déjà expérimenté, elles étaientplus aiguës, plus fortes, plus
violentes. D'autres baiserssuccédèrent au premier et ellehaleta, mains tendues, les doigtss'entremêlant dans la chevelure deDevil.
— Oh mon Dieu !L'exclamation lui fut arrachée
quand les lèvres de Deviltouchèrent sa douceur. La brusqueexplosion de sensations suffit àtransformer son cerveau enbouillie.
— Non.Elle secoua la tête.
— Bientôt, vint la réponse.Les lèvres de Devil laissèrent sa
chair enflée pour faire courir desbaisers sur l'intérieur de ses cuisses,les soûle- vant alors qu'il glissaitencore plus bas, drapant un genousur chacune de ses épaules.
Frôlant l'abrutissement,Honoria sentit le souffle de Devilcaresser sa chair palpitante. Ellen'était plus capable de parler; elleallait mourir. D'excitation — d'unplaisir si intense qu'il étaiteffrayant. Agrippant les draps
convulsivement, elle inspira avecdifficulté et secoua la tête avecviolence.
Devil n'en fit pas de cas.Délibérément, il déposa ses lèvressur sa chair douce, chaude etenflée, caressant intimementchaque repli souple ; un sonétranglé, ni petit cri ni hurlement,fut sa récompense. Il trouva sonpetit bout palpitant, déjà enflé etdur; il le lapa délicatement, faisanttourner sa langue, d'abord de cecôté, puis de l'autre, autour du
point sensible. Il ne fut pas étonnépar le silence subséquent; il pouvaitentendre sa respiration irrégulière,pouvait sentir la tension qui latenait. Comme d'habitude, elle seprécipitait — il entreprit de laralentir, la ramenant à un niveauoù elle pouvait apprécier sonexpertise, savourer tout ce qu'ilpouvait lui offrir au lieu de volertête première vers son destin.
Il répéta ses caresses, encore etencore, jusqu'à ce qu'elle soitfamilière avec chaque nouvelle
sensation. Sa respiration se fit pluslente, s'approfondit; son corps seramollit sous les mains de Devil.Elle gémit doucement et se tortillasous sa poigne, mais elle ne lecombattait plus ; elle flottait, lessens éveillés par chaque caresseexplicite, réceptifs aux plaisirs qu'ilsouhaitait lui faire connaître.Ce n'est qu'une fois qu'il eutdéployé chaque parcelle de sonexpertise considérable qu'il ouvritla porte et lui fit découvrir tout cequi pouvait être. Avec ses lèvres et
sa langue, il continua à luiprodiguer des caresses qui la firentmonter au ciel, l'ancrant à lui avecune intimité qui ne pouvait pas êtrereniée. Encore et encore, elle s'élevatrès haut ; encore et encore, il laramena. Ce ne fut que lorsqu'elle neput en supporter davantage, aumoment où sa respiration devintfrénétique et que chaque muscle deson corps trembla en suppliantd'être apaisé, qu'il lui permit des'envoler librement, la remplissant
avec sa langue. Il la dégusta,prenant du plaisir à son goûtpiquant et chaud, laissant l'essencede sa compagne s'infiltrer dans sesos. Quand la dernière de ses vaguesde frisson mourut, il se levalentement au- dessus d'elle.
Écartant ses cuisses en pressantdessus, il s'installa entre elles —d'un seul coup lent et puissant, il laremplit, sentant sa douceur,glissante et chaude, s'élargir pourl'accueillir, sentant son corps
s'ajuster à son invasion, à être à lui.Elle était totalement détendue,
complètement ouverte ; il bougeaen elle, plongeant avec puissance,non surpris quand, à peinequelques moments plus tard, elleremua et, yeux brillants sous despaupières alourdies, se joignit à luidans sa danse. Il l'observa jusqu'à cequ'il soit certain qu'elle était aveclui, puis, fermant les yeux, laissantsa tête retombée en arrière, il seperdit en elle.
L'explosion qui les fit quitter lemonde des mortels fut plus fortequ'aucune autre qu'avait ressentieDevil auparavant — exactementcomme il savait que cela seproduirait.
Des heures plus tard, il se réveilla.Honoria était allongée, douce etchaude, à côté de lui, ses cheveuxen une masse emmêlée sur sonoreiller. Devil se permit un sourire— un sourire de conquérant — puisil se dirigea avec précaution vers le
bord du lit.Dans la chambre d'Honoria, lesbougies brûlaient encore. Réchauffépar le souvenir récent, il marcha àpas de loup, nu, vers la série decarafons devant la fenêtre. Du vincoupé d'eau avait été laissé là enattente avec de la nourritureappropriée. Il versa un verre de vinet en avala la moitié, puis il soulevale couvercle d'un plateau, grimaçaet le replaça. Il avait faim, mais pasd'aliments.
À cette pensée, il entendit un
bruit derrière lui ; pivotant, ilregarda Honoria sortir de sachambre en clignant des paupières.
Enveloppée dans un despeignoirs de Devil, la main au-dessus de ses yeux, elle plissa lespaupières en le regardant.
— Que faites-vous ?Il leva le verre.Baissant la main, elle s'avança,
fermant le peignoir d'une main.— Je vais en prendre aussi.Dans le jardin en bas, tout était
calme et silencieux. Au loin dans la
végétation touffue, six pairesd'yeux ébahis regardaient fixementla fenêtre illuminée de la chambreà coucher de la duchesse, voilée parune gaze en dentelle. Six hommesvirent Devil se retourner et leverson verre en guise de salut; tous lessix perdirent le souffle quandHonoria le rejoignit. La pensée dece qui se passait dans cette chambrebrillamment éclairée traversait lessix cerveaux.
Ils observèrent, en retenantleur souffle, lorsqu'Honoria, vêtue
d'un peignoir flottant, les cheveuxformant une auréole autour de satête, accepta le verre de Devil etbut. Elle lui remit le verre ; Devil levida d'un trait. Déposant le verre, ilbaissa la tête alors qu'Honoria seblottissait dans ses bras.
Les yeux écarquillés, les sixregardèrent leur cousin et safemme partager un baiserétonnement long et profond ; cinqremuèrent, mal à l'aise, lorsqu'il setermina, puis furent frappés destupeur, paralysés de nouveau,
quand Honoria leva les mains etlaissa tomber son peignoir. Sonombre fusionna de nouveau aveccelle de Devil, les bras d'Honoriaautour de son cou, la tête de Devilse penchant vers elle alors qu'ilsreprenaient leur baiser.
Le silence revint sur le parterresauvage — même pas un hibou nehulula. Puis, la tête de Devil se leva.Le bras autour d'Honoria, leursombres ne formant toujours qu'un,ils s'éloignèrent de la fenêtre.
— Dieu !
L'exclamation stupéfaited'Harry disait tout.
Les yeux de Richard pétillaient.— Vous ne vous étiez pas
sérieusement imaginé que Devils'était marié uniquement pourassurer sa succession ?
— De toute évidence, observasèchement Gabriel, la succession necourt aucun danger. S'ils se sontrendus aussi loin en cinq heures,alors les chances sont bonnes pournotre pari pour la Saint-Valentin.
Le petit rire grave de Vane
sortit de l'ombre.— J'hésite à le mentionner,
mais je ne crois pas que Devil acommencé du début il y a cinqheures.
Quatre têtes se retournèrentvers lui.
— Ah ha !Lucifer se tourna vers son frère.— Dans ce cas, je vais
assurément tenter ma chance pourla Saint-Valentin. S'il est avantagédès le départ, il aura profité de plusde trois mois pour réaliser l'exploit ;
c'est plus que suffisant.— Exact.Gabriel accorda son pas à celui
de Lucifer alors que le groupe setournait vers la maison. Leurpromenade impromptue avait étéinopinément révélatrice.
— Etant donné la réputation deDevil, il est juste de supposer quen'importe qui pourrait en déduireautant, alors nous n'avons pas àtrop nous inquiéter d'accepter desparis contre la Saint-Valentin entant que limite de la conception.
— Je pense, dit Richard, suivantdans le sillage de Gabriel, que nousdevrions nous montrer trèsprudents pour ne pas laisser lesdames apprendre l'existence denotre livre de paris; elles ont peu dechance d'apprécier notre intérêt.
— Trop vrai, répondit Harry, sejoignant à la petite bande à traversles buissons. La moitié femelle del'espèce a une vision distinctementbiaisée de ce qui est important dansla vie.
Vane les regarda partir, puis
leva les yeux sur les fenêtresbrillamment éclairées dans l'aileest. Après un moment, son regardse reporta sur les fenêtres sombresde la grande chambre à coucher aubout de l'aile. Silencieux etimmobile dans l'obscurité, ilréfléchit à cette vue, son petitsourire s'élargissant. Les mainsdans les poches, il se retourna — etse figea. Ses yeux, ajustés àl'obscurité, repérèrent la silhouettecarrée d'un homme progressantlentement dans la végétation
touffue, se dirigeant vers la maison.Puis, la tension quitta ses
épaules. Mains toujours dans lespoches, il continua à avancernonchalamment.
— Quoi de neuf, Charles? Tuprends une bouffée d'air frais ?
La lourde silhouette s'arrêtabrusquement, se retournantvivement vers lui. Puis, Charlesinclina la tête.
— Comme tu le dis.La question à savoir si Charles
avait surpris le spectacle ducal
brûlait les lèvres de Vane ; latendance de Charles à sermonnerfit en sorte que ses mots nefranchirent pas ses lèvres.Accordant son pas à celui deCharles qui gagnait le sentiermenant à la maison, il demandaplutôt :
— Tu envisages de resterquelques jours ?
— Non.Charles avança de quelques pas
avant d'ajouter :— Je vais rentrer en ville
demain. As-tu une idée des plansde retour de Sylvester ?
Vane secoua la tête.— Je n'ai rien entendu à ce
sujet, mais je serais étonné de lesvoir avant Noël. La fête se tiendraici, comme d'habitude.
— Vraiment?Il y avait une surprise sincère
dans la voix de Charles.— Donc, Sylvester a l'intention
d'adopter le rôle de « chef defamille » à tous les niveaux ?
Vane lui jeta un regard froid.
— Quand ne l'a-t-il pas fait ?Charles hocha vaguement la
tête.— Vrai, très vrai.——————————
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Chapitre 19 — Quand, des années plus tard,
Honoria repensa aux premiers moisde son mariage, elle se demandaquel destin bienveillant avaitdécrété qu'ils devaient se marier le
1er décembre. La saison étaitparfaite, réglée avec précision surses besoins — décembre et janvier,froids et enneigés, gardaient lasociété à distance ; la semaine deNoël, lorsque toute la familledescendit, fut un interludeheureux. Ces tranquilles moisd'hiver lui donnèrent le temps des'adapter, d'endosser son rôle de
duchesse de St-Ives, d'apprendre cequ'il fallait pour poursuivre sa vie.
Prendre les rênes du foyerducal s'avéra assez facile en soi. Lepersonnel était excellent, bienformé et bien disposé ; elle affrontapeu de difficultés. Cependant, lesdécisions qui lui incombaientétaient variées, touchant les vachesjusqu'aux plates-bandes en passantpar les conserves et le linge demaison. Pas seulement pour laMaison, mais pour les trois autresrésidences qu'entretenait son mari.
La logistique organisationnellel'occupait beaucoup. Dans laparenté, on comptait sur elle pourjouer la chef de famille, un rôleexigeant, toutefois satisfaisant.
Tout cela et plus devinrent sonlot au cours de ces premiers moisde décembre et de janvier,néanmoins, tout au long de cettepériode, l'aspect de sa vie quiforçait sa plus profonde attentionrestait son interaction avec Devil.
À exactement quoi s'était-elleattendue, elle n'aurait su le dire —
elle s'était engagée dans le mariagesans une opinion ferme de cequ'elle voulait en tirer au-delà dufait même de se réclamer de ce rôlede duchesse, de la mère des enfantsde Devil. Ce qui laissait beaucoupde choses à décider, comme ellel'avait découvert au cours de ceslongues semaines tranquilles. Pourtous les deux.
Plus d'une fois, lorsque leursvolontés s'affrontaient dans la viequotidienne, leurs regards serencontraient, et elle voyait dans le
sien une expressiond'appréhension, de calcul, deréflexion — et savait que les mêmesémotions se voyaient dans sespropres yeux.
Il y eut des ajustements dansd'autres domaines également.Comme trouver du temps pour êtreseuls, pour se sentir à l'aise encompagnie l'un de l'autre, pourdiscuter d'une myriade d'affairestouchant leur existence à présentmutuelle, tout cela en tenantcompte de leurs personnalités, de
leurs rangs et de ce qu'ils pouvaienttous les deux accepter. Certainschangements vinrentnaturellement, sans effort conscient; d'autres nécessitèrent descompromis des deux parties.
Et si leurs nuits continuaientd'être une arène de tous les instantsoù les limites avaient déjà étéétablies, où ils avaient déjà prisleurs décisions, même là, alors queleur besoin physique l'un pourl'autre demeurait — une passionconstante insatiable — chaque nuit
qui passait, leur engagementévoluait, devenait plus profond,plus fortement investi designification.
Lorsque janvier déclina et quele dégel s'installa, ils étaient tous lesdeux conscients non seulement duchangement, mais de la création dequelque chose de nouveau, unecertaine entité palpable, une toiledélicate dans laquelle ils vivaient.Ils n'en discutaient pas et n'yfaisaient jamais allusion.Néanmoins, elle en avait
conscience chaque minute de lajournée — et elle savait qu'il lesentait aussi.
— J'ai envie de faire unepromenade.
Assise à une table près d'unefenêtre, une pile de comptes demarchands devant elle, Honorialeva la tête pour voir Deviltraverser sans se presser le salon dufond.
Il fit courir son regard sur elle,puis le reporta sur son visage.
— Le trajet sera difficile, trèslent. As-tu envie de prendre lerisque ?
La glace sur les routes et lemauvais temps en général avaientmis leur veto aux promenades àcheval au cours des dernièressemaines. Cependant, le soleilbrillait aujourd'hui — et si c'étaitlui qui le suggérait, la promenadedevait de nouveau être sûre.
— Je vais devoir me changer.Délaissant ses comptes sans
hésiter, Honoria se leva.
Devil sourit.— Je vais amener les chevaux à
la porte latérale.Dix minutes plus tard, ils
étaient partis. En parfaite amitié, ilstraversèrent les champs de Devil,prenant une route indirecte vers unmonticule à proximité. Ils revinrentpar le village, s'arrêtant pourbavarder avec monsieurPostlethwaite, comme toujoursdans le jardin du presbytère. De là,leur trajet vers la maison se déroulasur la piste passant à travers la
forêt.Atteignant la ligne droite en
haut du monticule, ils se turent,ralentissant la cadence d'un petitgalop à la marche.Ils dépassèrent l'endroit où Tollyétait tombé ; rejoignant la piste ducottage, Devil tira sur les rênes.
Il jeta un coup d'œil à Honoria— s'arrêtant à côté de lui, ellesoutint son regard. Il scruta sesyeux, puis, sans un mot, engageaSulieman dans la piste étroite.
En hiver, le cottage et la
clairière paraissaient très différents.Le sous-bois était encore dense,impénétrable, mais les arbresavaient perdu leurs feuilles. Untapis touffu brun mouchetérecouvrait la terre, étouffant lebruit des sabots. Le cottage étaitplus propre, mieux rangé, la pierredevant la porte brossée ; une mincevolute de fumée s'élevait de lacheminée.
— La résidence de Keenan.Devil mit pied à terre et attacha
les rênes à un arbre, puis il rejoignit
Honoria.Alors qu'il la soulevait pour la
faire descendre, elle se rappela àquel point elle s'était sentiebouleversée la première fois où sesmains s'étaient refermées sur sataille. Aujourd'hui, son toucherétait rassurant, un contactchaleureusement familier.
— Sera-t-il à l'intérieur ?— Peu probable. En hiver, il
passe ses journées au village.Il attacha bien les rênes
d'Honoria et, ensemble, ils
marchèrent vers le cottage.— Est-ce que ça va si nous
entrons ?Devil hocha la tête.— Keenan n'a pas de véritable
maison; il vit simplement dans lescottages que je lui fournis et ilmaintient mes forêts en bon état.
Ouvrant la porte, il partitdevant; Honoria le suivit. Ellel'observa traverser la petite pièce,son pas allongé ralentissant quandil s'approcha de la paillassesurélevée sur laquelle Tolly était
mort. Il s'arrêta à son pied, baissantles yeux sur la simple couverturegrise, sa face comme un masque depierre.
Cela faisait longtemps qu'ellen'avait pas vu son visage ainsi —ces jours-ci, il lui cachait rarementses émotions. Elle hésita, puiss'avança, arrêtant à côté de lui.C'était sa place — parfois, il avaitbesoin qu'elle le lui rappelle. Ce buten tête, elle glissa ses doigts sur lapaume de Devil. Sa main restamolle, puis se referma, fortement,
fermement.Quand il continua à fixer le lit
qui ne révélait rien, Honorias'appuya contre lui. Cela fit l'affaire— il la regarda brièvement, hésita,puis leva le bras et l'attira contrelui. Et il reporta son regard enfronçant les sourcils sur la paillasse.
— Six mois se sont écoulés, etnous ne l'avons pas encore coincé.
Honoria posa la tête contre sonépaule.
— Je n'imagine pas que la barreCynster est du genre à accepter la
défaite.— Jamais.— Bien, alors.Elle leva les yeux et vit le pli
sur son front s'approfondir.Il rencontra son regard, le pli
torturé obscurcissant ses yeux.— Ce quelque chose que j'ai
oublié, cela concernait la façon dontTolly est mort. Quelque chose quej'ai remarqué, un truc dont jedevrais me souvenir.
Il reporta son regard sur lapaillasse.
— Je n'arrête pas d'espérer quecela me revienne.
L'intensité dans ses yeux, sesparoles, excluait toute tentativelégère de réconfort. Une minuteplus tard, Honoria sentit le torse deDevil se gonfler et son bras seresserrer brièvement autour d'elle,puis il la libéra et désigna la porte.
— Venez ; rentrons à la maison.Ils retournèrent lentement à
cheval dans le crépuscule naissant.Devil ne mentionna pas denouveau l'assassin de Tolly; ils se
séparèrent dans le vestibule, lui sedirigeant vers la bibliothèque,Honoria montant l'escalier,songeant à prendre un bain avantle dîner.
Habituée à ses humeurs commeelle l'était à présent, elle le sutimmédiatement lorsqu'il aborda denouveau le sujet. Ils se trouvaientdans la bibliothèque, lui dans unfauteuil bien rembourré, elle sur laméridienne, sa broderie sur lesgenoux. Le feu brûlait vivement,réchauffant la pièce; les rideaux
étaient tirés pour la nuit. Websteravait fourni un verre de brandy àDevil, puis s'était retiré ; ladouairière était montée.
Derrière ses cils, Honoria vitDevil boire une longue gorgée deson brandy, puis la regarder.
— Je devrais retourner àLondres.
Elle releva la tête, scruta sonvisage, puis demanda posément :
— Quelle information avez-vous reçue à propos de la mort deTolly qui nécessite notre retour
maintenant ?Devil plongea son regard dans
le sien. Elle le soutint sansdétourner les yeux, calmement,sans défi, même lorsque les yeuxverts se plissèrent et que ses lèvresse compressèrent. Puis, il grimaçaet s'adossa confortablement aufauteuil, son regard se déplaçant auplafond. Mettant de côté son petitpoint, Honoria patienta.
Devil réfléchit longtemps etsérieusement, puis médita encore,néanmoins, elle était sa duchesse —
et trop intelligente et têtue pouravaler n'importe quelle couleuvre.Il baissa le regard sur son visage.
— Le vicomte Bromley travailleprésentement pour moi.
Honoria plissa le front.— Est-ce que je le connais ?— Il n'est pas le genre de
gentleman que vous devezconnaître.
— Ah, ce genre de gentleman.— Précisément. Le vicomte
s'active en ce moment à découvrirla vérité sur la «rumeur
déshonorante de Lucifer ». Il doitprésenter un rapport la semaineprochaine.
— Je vois.Sourcils froncés, Honoria
regarda le feu, puis, distraitement,rassembla ses soies.
— Nous n'avons pasd'obligations officielles ici — je vaisparler à madame Hull et à Websterimmédiatement.
Elle se leva, puis jeta un coupd'œil par-dessus son épaule.
— Je suppose que nous
partirons demain ?Devil soutint son regard
exorbité pendant un moment lourdde sens, puis il soupira et inclina latête.
— Demain. Après le déjeuner.Avec un hochement de tête,
Honoria se détourna ; Devilregarda ses hanches se balancerpendant qu'elle marchait vers laporte. Quand elle se referma surelle, il vida son verre — et sedemanda, non pour la premièrefois, ce qu'il lui avait pris
exactement.
— De combien Bromley a-t-ilexcédé sa limite ?
Vane posa la question alorsqu'il prenait ses aises sur la chaisedevant le bureau de Devil. Levicomte Bromley était parti à peineune minute plus tôt, le teintdécidément vert.
Reverrouillant lesreconnaissances de dettes duvicomte dans le tiroir de sonbureau, Devil annonça une somme ;
les yeux s'agrandissant, Vane siffla.— Tu l'as vraiment eu en grand.Devil haussa les épaules.— J'aime faire les choses à fond.La porte s'ouvrit ; levant la tête,
Devil déduit de l'expressiondistraite dans ses yeux qu'Honoriaavait surpris sa dernière remarque.Le sourire de Devil quand il croisason regard était ouvertement celuid'un séducteur.
— Bonjour, ma chérie.Honoria cligna des paupières,
puis inclina la tête
majestueusement.Il l'observa pendant qu'elle
échangeait des salutations avecVane; elle était habillée pour sortird'une pelisse dorée en mérinos, unbonnet de velours avec un bordruché suspendu par ses rubans danssa main. La même main, gantée decuir de chevreau ivoire, portait unmanchon de velours doré doubléde duvet de cygne; la faceintérieure du col relevé de sapelisse était garnie de la mêmematière coûteuse. Ses cheveux
étaient coiffés en un chignonélégant sur sa tête — ce n'était plusle fouillis entremêlé de ce matinlorsqu'il l'avait laissée dans leur lit.Le souvenir provoqua une doucechaleur, dont il insuffla son sourireen toute connaissance de cause.
Rangeant la clé du tiroir dubureau dans la poche de son gilet, ilavança paresseusement jusqu'à elle,avec une satisfaction suffisante. Ellese tourna pendant qu'il approchait— et arqua les sourcils.
— Le vicomte avait-il
l'information que vous attendiez ?Devil s'arrêta, les yeux calmes
sur les siens. Il n'avait pas à leregarder pour être conscient del'étonnement de Vane.
— Il se trouve que non.Bromley a besoin de plus de temps.
— Et vous le lui avez accordé ?Après une infime hésitation,
Devil hocha la tête.Honoria haussa les sourcils.— Si le vicomte est aussi lent,
n'y a-t-il personne d'autre que vouspourriez employer à sa place ?
— Ce n'est pas si simple.Devançant la question qu'il
pouvait voir dans ses yeux, Devilpoursuivit :
— Bromley a certains attributsqui le rendent idéal pour le travail.
Honoria eut l'air encore plusétonnée.
— Je l'ai aperçu seulementbrièvement, mais il ne m'a pas semblé être le genre à inspirerune grande confiance.
Elle marqua une pause, plissant
légèrement le front, levant les yeuxvers le visage de Devil qui ne luiapprenait rien.
— Maintenant que noussommes ici, ne pourriez-vous pasvous passer de Bromley et enquêtervous-même sur la question? Il y adéjà une foule importante de gensen résidence ici ; si vous me dites ceque vous avez besoin de savoir, jepourrais bien être capable de ledécouvrir moi-même.
Vane s'étrangla — et essaya dedéguiser la chose en toux.
Honoria le dévisagea;accrochant le regard de Vane, Devilfronça les sourcils.
Remarquant la communicationsilencieuse, Honoria plissa les yeux.
— Sur quoi, exactement,Bromley enquête-t-il ?
La question ramena le regarddes deux hommes sur son visage ;Honoria les rencontra, lit leurréponse instinctive et leva lementon. Devil regarda le spectacleà peine une seconde, puis il jeta unregard lourd de sens à Vane.
D'un air mielleux, Vane sourit àHonoria.
— Je vais vous laisser à vosquestions.
Elle lui présenta sa main surlaquelle il s'inclina, puis avec unregard éloquent pour Devil, il setourna vers la porte.
Pendant qu'elle se refermait surlui, Devil baissa les yeux dans ceuxd'Honoria. L'expression de safemme exprimait unedétermination inébranlable.
— Vous n'avez pas besoin de
connaître les détails de la tâche deBromley.
Il se serait approché davantage,mais sa tranquille dignité le retint.Elle scruta ses yeux — ce qu'elle ylut, il ne sut le dire ; malgré tout, ilétait conscient d'une admirationd'un genre qu'il n'aurait jamais cruressentir pour une femme — ilespéra avec ferveur qu'elle n'étaitpas visible.
Honoria se redressa, sonmenton se relevant un tout petitpeu.
— Je suis votre femme, votreduchesse. Si quelque chose menacenotre famille, je dois le savoir.
Devil remarqua son insistance ;elle ne détourna pas la tête, maiscontinua à l'affronter avec unedétermination inflexible.
Le moment s'étira, chargéd'électricité, pénible sous ladiscussion muette. Elle remettaitson autorité en question et elle lesavait —, mais elle ne reculeraitpas. Ses yeux l'exprimaient trèsclairement.
Devil plissa les paupières.— Vous êtes une femme
extrêmement obstinée.Avec morgue, Honoria haussa
un sourcil.— Vous le saviez avant notre
mariage.Il hocha la tête avec brusquerie.— Malheureusement, ce trait
était partie intégrante del'ensemble.
Son ton sec la piqua au vif;Honoria leva le menton.
— Vous m'avez acceptée, pour
le meilleur et pour le pire.Les yeux de Devil lancèrent des
éclairs.— Vous avez fait la même
chose.Encore une fois, leurs regards
s'affrontèrent; après un moment desilence tendu, Honoria, trèslentement, haussa un sourcilimpérieux. Devil regarda lespectacle avec un agacement nondéguisé — puis, avec ungrondement sourd, il désigna laméridienne.
— La question est loin deconvenir aux oreilles d'une dame.
Dissimulant son triomphe,Honoria s'assit docilement ; Devils'installa à côté d'elle. Brièvement,avec concision, il lui révéla lanature de la rumeur de Lucifer — lefait qu'un nombre de contacts avaitrapporté qu'un Cynster fréquentaitles « palais ».
— Les palais ?Honoria paraissait déroutée.La mâchoire de Devil se serra.— Les bordels ; d'un genre
extrêmement sélect.Honoria le regarda dans les
yeux.— Vous ne croyez pas qu'il
s'agisse d'un membre de la barreCynster.
Une affirmation et non unequestion; d'un air sévère, Devilsecoua la tête.
— Je sais que ce n'est pas l'unde nous. Aucun d'entre nous nepasserait le seuil d'un tel endroit.
Il ne vit aucune raison d'édifierHonoria des détails de ce qui
transpirait dans les « palais » — safemme n'avait pas besoin deconnaître les pires excès de laprostitution.
— Il est possible que Tolly ysoit allé par curiosité et pendantqu'il y était, il ait vu ou entenduquelque chose qui l'a transformé enmenace pour quelqu'un.
Il rencontra le regardd'Honoria.
— Les clients des « palais » sontnécessairement riches, la plupartsont puissants dans le véritable sens
du mot. Le genre d'hommes qui ontdes secrets à cacher et la capacité deréduire au silence ceux qui lesdécouvrent.
Honoria examina son visage.— Pourquoi avez-vous besoin
de Bromley ?Les lèvres de Devil se tordirent.— Malheureusement, les
opinions de la barre Cynster sur cesujet particulier sont largementconnues. Les propriétaires agissentavec prudence ; aucun de nous n'apu obtenir de réponse.
Après un moment, Honoriademanda :
— Pensez-vous réellement quec'était Tolly ?
Devil rencontra son regard etsecoua la tête.
— Ce qui laisse...Il fronça les sourcils, puis
grimaça.— Mais je le crois encore moins
que Tolly.Ils restèrent songeurs, puis
Honoria centra son regard — etaperçut l'horloge.
— Doux Jésus, je vais être enretard.
Reprenant son manchon, elle seleva.
Devil l'imita.— Où allez-vous ?— Rendre visite à Louise, puis
je suis attendue chez ladyColebourne pour déjeuner.
— Pas une allusion sur tout cecià Louise, ni à Maman*.
Le regard que lui jeta Honoriaétait affectueusementcondescendant.
— Bien sûr que non.Elle se tourna vers la porte —
Devil l'arrêta d'un doigt sous sonmenton, la retournant face à lui,inclinant sa tête vers le haut. Ilregarda dans ses yeux, attenditjusqu'à ce qu'il voie qu'elle étaitbien consciente de lui, puis ilpencha la tête et posa ses lèvres surles siennes.
Comme baiser, il s'agissait d'unmurmure, d'une caresseterriblement excitante, légèrecomme une plume, trop
chimérique pour satisfaire,néanmoins trop réel pour êtreignoré.
Quand il releva la tête, Honoriacligna vivement des paupières, puiselle vit son sourire et s'arrêta justeavant de lui lancer un regardmauvais. Elle se redressa et inclinamajestueusement la tête.
— Je vous souhaite une bonnejournée, mon seigneur.
Devil sourit, lentement.— Profitez de votre journée, ma
dame.
Tout au long de l'après-midi,Honoria maudit son mari — et leseffets de son baiser démoniaque quiperduraient. Incapable d'expliquerles tremblements occasionnels quila secouaient, elle fut obligée de seprêter à la suggestion de Louise etde boire un verre de ratafia pouréloigner son frisson. Assise sur laméridienne dans le salon de Louise,les jumelles sur des tabourets à sespieds, elle saisit l'occasion de lanceren l'air l'idée qui avait pris racinedans son esprit.
— Je songe à donner un bal.Elle ressentait qu'il était
impératif de revendiquerpubliquement sa place de nouvelleduchesse de St-Ives — un balimpromptu* semblait la solutionparfaite.
— Un bal ?Les yeux d'Amanda
s'arrondirent. Elle pivota pour faireface à sa mère.
— Serons-nous autorisées à yassister ?
Observant les visages
rayonnants de ses filles, Louises'efforça de dissimuler son sourire.
— Tout dépend de deux choses: si vous êtes invitées et du type debal.
Amanda et Amelia pivotèrentpour regarder de nouveau Honoria; elle fit semblant de ne pas leremarquer et elle s'adressa à Louise.
Je pense qu'il devrait s'agir d'unbal impromptu* — seulement pourla famille et les amis.
Louise hocha la tête.— La haute société n'est pas
encore très présente en ville ; celane conviendrait pas du tout que laduchesse de St-Ives organise sonpremier bal officiel lorsque lamoitié de la société se trouveencore sur le terrain de chasse.
— En effet, cela équivaudrait àun faux pas social. Une façoncertaine de dépiter les grandesdames*. Trop d'entre elles seraientoffensées, si je tenais mon premierbal officiel maintenant, mais un balimpromptu* ne devrait provoqueraucun courroux.
Louise se cala dans son fauteuil,gesticulant avec magnanimité.
— Comme les affaires ont exigévotre retour en ville, personne neremettra en question votre droit àun petit divertissement informel.Et, bien sûr, Helena n'est pasencore ici ; vous ne pourriez pastenir votre premier bal officiel sanselle.
— Précisément.Honoria hocha la tête; la
douairière était allée rendre visite àdes amis, et on ne l'attendait pas ici
avant le début de la saisonproprement dit.
— Et si c'est seulement pour lesamis...
— Et la famille, ajouta Louise.— Alors, médita Honoria, il
pourrait se tenir très bientôt.Amanda et Amelia
contemplèrent l'expression distanted'Honoria, puis celle de leur mère.
— Mais serons-nous invitées ?gémirent-elles.
— Honoria cligna despaupières et les observa avec une
surprise apparente.— Doux Jésus ! Vous avez
relevé vos cheveux !Louise rit ; les jumelles
gratifièrent Honoria d'une grimace,puis elles bondirent de leurstabourets pour l'encadrer sur laméridienne.
— Nous promettons d'être desmodèles de décorum.
— Les jeunes filles les plusconvenables que vous n'avez jamaisvues.
— Et nous avons amplement de
cousins avec qui danser, alors vousn'aurez pas besoin d'être tout letemps en train de nous trouver despartenaires.
Honoria observa leurs yeuxbrillants et se demanda quelleserait leur opinion sur leurssplendides cousins une fois qu'ellesles verraient sous leur véritablejour, dans leur cadre normal,arpentant une salle de bal de lahaute société. Son hésitation luimérita deux regards misérablementimplorants ; elle rit.
— Bien sûr, vous serez invitées.Elle posa brièvement son
regard sur un visage follementheureux, puis sur l'autre.
— Toutefois, ce sera à votremaman de décider si vous devez yassister ou non.
Elles regardèrent Louise; ellesourit affectueusement, maisfermement à ses filles.
— Je ferai connaître madécision après en avoir discuté avecvotre père, mais étant donné quevous serez présentées cette saison,
un bal familial impromptu*,particulièrement à la Résidence St-Ives, offrirait un excellent débutpour votre année.
— L'enthousiasme monta enflèche; les jumelles rayonnaient deplaisir.
Les laissant aux petits oiseaux,harcelant déjà Louise pour leursrobes de bal, Honoria se rendit à lamaison de ville de lady Colebournepour participer à un déjeuner aumilieu d'un groupe de jeunesfemmes. Toutes réserves restantes à
propos de la nécessité de son balfurent rapidement apaisées.Considérant les lueurs qui étaientapparues dans de trop nombreuxyeux devant la nouvelle que sonmari était rentré en ville, ungentleman marié à présent,beaucoup plus sûr en matière debadinages amoureux que leséducteur célibataire qu'il avait été.
Souriant sereinement, Honoriasongea à revendiquer son droit depropriété sur lui aussi. Peut-être àl'aide d'un tatouage ? — sur son
front et une autre partie pertinentede son anatomie.
Les épouses de la haute sociétéqui s'ennuyaient pouvaientregarder ailleurs pour se divertir.Devil lui appartenait — elle dutcombattre une forte envie de ledéclarer publiquement.
Quand elle grimpa dans savoiture pour rentrer à GrosvenorSquare, une possessivité persistantes'était fermement emparée d'elle.La force de ce sentiment labouleversa, mais elle ne savait que
trop bien ce qui l'avait provoqué.Au sein de la haute société, il yavait plus d'une manière de perdreun mari. Elle n'avait pas repensé àla possibilité de le perdre depuis lanuit de l'orage, lorsqu'elle s'étaitréveillée pour le découvrir dans sachambre. Malgré ses craintes et lefait que Sligo et l'écuyer en chef deDevil avaient partagé ses soupçons,rien d'autre ne s'était produit — ilsemblait à présent que Devil avaiteu raison et que la désintégrationde son phaéton n'avait été qu'un
accident insolite.Le regard fixé sur le spectacle
des rues, Honoria sentit monterune détermination totalementinattendue. Elle la reconnut pour cequ'elle était — cela l'étonna, maiselle ne la combattit pas. Trop degens lui avaient affirmé que c'étaitson destin d'être son épouse.
Ce qui signifiait qu'il était à elle— elle avait l'intention que celareste ainsi.
Devil prit le déjeuner avec des
amis, puis il alla faire un tour chezWhite's. C'était leur troisième jourdans la capitale ; malgré qu'il aitpris épouse, le mode de vieconfortable des jours anciensreprenait discrètement sa place.
— La seule différence,expliqua-t-il à Vane alors qu'ilsentraient lentement dans la salle delecture, est que je n'ai plus à medépenser pour ce qui est deréchauffer mon lit.
Vane sourit largement.Donnant un petit coup sur le coude
de Devil, il désigna deux fauteuilsinoccupés.
Ils s'installèrent dans un silencecomplice derrière des journaux.Devil contempla le sien, sans levoir. Son esprit était entièrementoccupé par sa femme et sonentêtement. Comment il en étaitvenu précisément à épouser laseule femme parmi des millions quisoit imperméable à l'intimidation, ill'ignorait. Le destin, se rappela-t-il,avait réglé la question — son seulchoix semblait d'espérer que le
destin lui fournirait également lesmoyens de savoir s'y prendre avece l l e sans endommager ce petitquelque chose subtil qui grandissaitentre eux.
Cela était unique, du moinsselon son expérience. Il ne pouvaitpas le définir, ne pouvait même pasle décrire — ilsavait seulement que c'étaitprécieux, trop inestimable pour lemettre en danger.
Honoria aussi était tropinestimable pour risquer de la
perdre, à n'importe quel niveau, den'importe quelle façon.
Il plissa le front devant sonjournal — et se demanda ce qu'ellefaisait.
Tard cet après-midi là, s'étantséparé de Vane, Devil rentra d'unpas paresseux à la maison dans lecrépuscule naissant. Il traversaPiccadilly et tourna sur BerkeleyStreet.
— Hé ! Sylvester !Devil s'arrêta et pivota, puis il
attendit pendant que Charles le
rejoignait avant de repartir. Charlesaccorda son pas au sien; il avait sesappartements dans Duke Street,juste au-delà de Grosvenor Square.
— De retour dans tes vieuxrepaires, si je comprends bien?
Devil sourit.— Comme tu le dis.— Je suis étonné; je pensais que
le Leicestershire te retiendrait unpeu plus longtemps. Ils ont uneexcellente chasse, ai-je entendu.
— Je ne suis pas allé au Lodgecette saison.
Le Manoir Lodge était lepavillon de chasse ducal.
— J'ai chassé avec la meute deSomersham, mais les sorties n'enont pas valu la peine.
Charles sembla perplexe.— Tante Helena se porte-t-elle
bien ?— Parfaitement.Devil lui jeta un regard de biais
; ses lèvres tressaillirent.— J'ai eu d'autres distractions à
ma portée.— Oh?
— Je me suis marié, tu tesouviens ?
Les sourcils de Charles sehaussèrent brièvement.
— Je n'avais pas imaginé que lemariage entraînerait deschangements dans tes habitudes.
Devil se contenta d'unhaussement d'épaules. Ilscontournèrent Berkeley Square,puis tournèrent dans une ruelle quipassait entre deux maisons, reliantla place à Hays Mews.
— Je comprends donc
qu'Honoria est demeurée àSomersham ?
Devil plissa le front.— Non. Elle est ici, avec moi.— Ah oui ?Charles cligna des paupières.
Après un moment, il murmura :— Je dois me souvenir de lui
présenter mes respects.Devil inclina la tête, ne voulant
pas engager Honoriadans des transports de joie. Il savaitparfaitement bien comment sesautres cousins voyaient Charles;
pour sa part, il avait toujours tentéla tolérance. Ils poursuivirent leurroute, s'arrêtant enfin au coin deGrosvenor Square. Duke Streetétait devant ; Devil ne se trouvaitqu'à quelques mètres de sa porte.
Brusquement, Charles pivotapour le regarder en face.
— J'hésite à faire allusion à unequestion aussi délicate, mais je sensqu'il me faut parler.
Froidement, Devil haussa lessourcils — et s'accrocha fermementà sa tolérance.
— Amener Honoria à Londres,si tôt dans son nouveau rôle, exigerd'elle d'approuver tes liaisons pluslarges quelques mois après tonmariage, est inutilement cruel. Ellen'a peut-être pas l'expérience ducomportement dans la hautesociété, mais son intelligence est, jecrois, supérieure. Elle comprendrasans aucun doute que tu accordeston attention ailleurs. Les femmessont sensibles à de telles affaires —si tu l'avais laissée à Somersham,elle ne serait pas exposée à une
telle blessure.Sans expression, Devil baissa les
yeux sur Charles; il avait perducontact avec sa tolérance — au lieu,il s'efforçait de réprimer saformidable colère. Si Charlesn'avait pas été de la famille, il seraiten train de s'étouffer avec sespropres dents. Il lui fallut un effortconcerté pour ne pas gronder enmontrant ses crocs.
— Tu te trompes sur laquestion, Charles. C'était le souhaitd'Honoria de m'accompagner, un
souhait que je n'ai vu aucune raisonde ne pas accorder.
Son ton rigoureusement calmefit se raidir Charles ; son regardaurait fait geler les feux de l'enfer.
— De plus, tu semblesfonctionner sur une méprise ; en cemoment, je n'ai aucune intentionde chercher une « liaison plus large». Ma femme retient mon intérêt àl'exclusion de toutes les autres.
C'était la vérité, littéralement,affirmée plus clairement qu'il avaitpermis à son propre esprit de le
découvrir.Charles cligna des paupières —
il paraissait stupéfait.Les lèvres de Devil se tordirent
en une froide grimace dedénigrement de soi.
— En effet, il y a plus à dire enfaveur du mariage que moi-mêmeje ne l'avais prévu. Tu devraisessayer — je le recommande en tantqu'expérience stimulante.
Avec un bref hochement detête, il se dirigea à grandesenjambées vers sa porte, laissant
Charles, dénué d'expression,fixer son dos.
Chapitre 20
Le lendemain matin, dès qu'il fut
libéré de ses affaires les plus
urgentes, Devil grimpa les marches
jusqu'au petit salon.
Honoria leva la tête lorsqu'ilentra; elle sourit chaleureusement.
— Je pensais que tu seraisoccupé pendant des heures.
— Hodben est en route pourrentrer à la Maison.
Devil avança paresseusementjusqu'à la méridienne ets'assit sur un appui-bras à côtéd'elle. Posant son bras sur ledossier, il ramassa une des listes surles cuisses d'Honoria.
— Nos invités ?Elle jeta un petit coup d'œil.— Ce sont les parents. Voici
celles des amis.Devil accepta les listes et les lut
attentivement. Ils avaient discuté
de son idée d'un bal impromptu* lesoir précédent. Calculant que cetévénement la garderait occupée —détournerait son attention deBromley et de ses activités —, ilavait volontiers donné son accord.
— Tu pourrais ajouter quelquespersonnes.
Honoria prit un crayon etgribouilla docilement pendant qu'ildébitait une petite série de nomsde son cru. Quand il dit «Chillingworth », elle leva la tête,étonnée.
— Je pensais que le comten'était pas un de tes préférés ?
— Au contraire, c'est monpremier préféré.
Devil sourit, l'un de ses souriresde prince des ténèbres.
— Qui pourrais-je torturer si jen'avais pas Chillingworth àproximité ?
La réponse d'Honoria se lutdans ses yeux, mais elle laissa lecomte sur la liste. Chillingworthpouvait se défendre.
— Je me suis demandé, dit
Devil en observant le profild'Honoria, si tu étais libre pour unepromenade en voiture.
Honoria releva la tête, son brasfrôlant la cuisse de Devil. Ses yeuxs'arrêtèrent brièvement sur lessiens, puis elle grimaça.
— Je ne peux pas.Elle désigna le matériel
d'écriture sur la table.— Si le bal doit se tenir
vendredi prochain, je dois expédierles invitations aujourd'hui.
Devil n'avait jamais écrit une
invitation à un bal de sa vie. Il étaitsur le point de suggérer qu'ilpourrait apprendre quand Honoriapoursuivit :
— Louise amène les jumellespour m'assister.
— Dans ce cas, je vais te laisserà tes projets.
Ses doigts suivirent le contourde la joue d'Honoria pendant qu'ilse levait, puis il sourit et gagnarapidement la porte ; Honoria leregarda la refermer derrière lui.Elle fixa les panneaux avec une
expression mélancolique, puis ellegrimaça et retourna à ses listes.
Le lendemain matin, quand laporte du boudoir s'ouvrit, Honoriareleva la tête avec un sourireenthousiaste.Seulement pour découvrir quec'était Vane qui sollicitait uneaudience de sa part.
— Devil a dit que je voustrouverais ici.
Souriant d'une façoncharmante, il s'avança lentement.
— J'ai une demande à vousprésenter.
La lueur dans son regarddonnait à entendre ce que devraitêtre précisément cette requête;Honoria l'observa avec unedésapprobation de chef de famille.
— Qui? demanda-t-elle.— Lady Canterton. Et Harry a
suggéré lady Pinney.Honoria soutint son regard
pendant un moment lourdde sens, puis elle tendit la mainvers son crayon.
— Je vais envoyer desinvitations aujourd'hui.
— Merci.— À une condition.Elle leva la tête juste à temps
pour apercevoir la méfiances'infiltrant dans ses yeux.
— Quelle condition ?Il y avait une trace de dureté
dans la question ; Honoria l'ignora.— Chacun de vous dansera une
fois avec chacune des jumelles.— Les jumelles?Vane la dévisagea.
— Quel âge ont-elles ?— Dix-sept ans. Elles seront
présentées cette année — leurpremier bal sera celui de Cevendredi.
Vane frissonna.Honoria haussa un sourcil.— Eh bien ?Il la regarda, une résignation
sans joie dans les yeux.— Très bien, une danse
chacune. Je vais informer Harry.Honoria hocha la tête.Ses prochains visiteurs
suivirent coup sur coup, tous avecla même mission. Gabriel succéda àVane ; Lucifer vint ensuite. Ledernier à passer la porte du petitsalon fut Richard.
— Je sais, dit Honoria, tendantla main vers sa liste largementamendée. Lady Grey.
— Lady Grey ? Richard cilla.Pourquoi lady Grey ?
Honoria cligna à son tour. Ellel'avait vu s'esquiver furtivement aubal d'Horatia avec la beauté à la
chevelure sombre et à la peaud'albâtre.
— N'est-elle pas...Elle gesticula avec son crayon.— Ah, non.Le large sourire de Richard
rappelait Devil dans ses piresmoments.
— C'était l'an passé. J'allaisdemander lady Walton.
Demander, comme un cadeau.Et, comme un cadeau,lady Walton tomberait sans aucun
doute, comme un fruit mûr sur sesgenoux. Honoria décida qu'il étaitinutile de désapprouver; elle ajoutalady Walton à sa liste.
— Et je prometsscrupuleusement d'inviter Amandaet Amelia.
— Bien.Honoria leva la tête à temps
pour être témoin de la révérenceinsouciante de Richard.
— Une très bonne idée, ce balque vous organisez.
Il marqua une pause à la porte,un sourire de Cynster aux lèvres.
— Nous cherchions tous unefaçon de démarrer la saison. Rienne pourrait surpasser votre balimpromptu*.
Honoria lui lança un regardd'avertissement; en rigolant, ilpartit.
Elle poursuivit sa planification,essayant de ne pas écouter les pasderrière la porte, de ne pas sedemander si Devil passerait pour
apprendre les choix de ses cousins,pour s'informer de ses activités,pour partager ses nouvelles.
Il ne le fit pas.
Quand elle pénétra dans le boudoirle lendemain matin, elle fut raviede trouver Devil encore là, sirotantson café et lisant attentivement TheGazette. Sa place était à présent àl'autre extrémité de la table, uneétendue d'acajou poli entre eux. Ens'assoyant, elle le gratifia d'unsourire rayonnant par-dessus
l'argenterie.Devil le lui rendit, l'expression
de joie plus évidente dans ses yeuxque sur ses lèvres. Pliant TheGazette, il le mit de côté.
— Comment vos plansavancent-ils ?
Bien qu'il ait dîné à la maison laveille, il avait été préoccupé par sesaffaires ; il était venu au lit tard, laconversation très loin de son esprit.
Entre des gorgées de son thé etdes bouchées de sa rôtie, Honoria le
mit au courant.Il écouta attentivement, offrant
ses commentaires, terminant par :— Vous lancez une nouvelle
mode, vous savez. J'ai déjà entendudeux autres hôtesses qui prévoientdes divertissements impromptus*prématurés.
Souriant d'un air épanoui,Honoria haussa les épaules.
— Là où vont les St-Ives, lesautres suivront.
Il sourit avec plaisir, puis sesyeux plongèrent dans les siens.
— J'ai fait amener les chevauxde la Maison. Il fait beau dehors; jeme demandais si vous aimeriezaller faire un tour.
Le cœur d'Honoria bondit —leurs heures en privé luimanquaient terriblement.
— Je...— Je vous demande pardon,
Votre Seigneurie.Se retournant, Honoria regarda
pendant que madame Hullexécutait une petite révérence pourDevil, puis elle se tourna vers elle.
— Les traiteurs sont arrivés,madame. Je les ai fait entrer dans lesalon.
— Oh, oui.La joie se dégonflant comme un
ballon piqué par une aiguille,Honoria sourit faiblement.
— Je les rejoins très bientôt.Les fleuristes étaient également
attendus ce matin, tout comme lesmusiciens.
Madame Hull se retira ;Honoria pivota pour rencontrer lesyeux de Devil.
— J'avais oublié. Le menu dudîner doit être décidé aujourd'hui.Je n'aurai pas le temps de monter àcheval ce matin.
Avec un sourire affable, Devilagita la main avec dédain.
— C'est sans importance.Honoria retint un froncement
de sourcils — son sourire n'avaitpas atteint ses yeux. Cependant,elle ne trouvait rien d'approprié àdire ; avec un sourire contrit, elle seleva.
— Avec votre permission.
Devil inclina la tête, son souriresuperficiel toujours en place. Ilregarda partir Honoria, puis déposasa tasse et se leva. Lentement, unpli sur son front remplaça sonsourire. Il avança dans le vestibule;derrière lui, Webster donnait desordres pour que le salon soitdégagé. Un instant plus tard, ilapparut à son coude.
— Dois-je envoyer cherchervotre cheval, Votre Seigneurie ?
Devil se concentra et découvritque son regard était posé sur
l'escalier que venait d'emprunterHonoria.
— Non.Quand il montait seul, il partait
tôt, avant que les autres n'aientcommencé à s'agiter. Ses traits sedurcissant, il se retourna vers labibliothèque.
— Je serai occupé pour le restede la matinée.
Le jour du bal impromptu de laduchesse de St-Ives se leva, froid etdégagé. Dans le parc, une légère
brume s'enroulait sous les arbres ;des cris perçants d'oiseaurésonnaient dans le calme.
Devil avançait sur la piste brunpâle désertée, le bruit sourd dessabots de son cheval tambourinantdans ses oreilles. Il montait avec unabandon résolu, vite, néanmoins enparfait contrôle, son corps et celuide sa monture en harmonie pleined'aisance alors qu'ils flottaient dansla froideur du matin. Au bout de lapiste, il relança la tête de l'alezanqui s'ébrouait de l'autre côté — et
ils revinrent encore plus vite.Approchant la fin de la piste, il
ralentit, s'arrêtant devant unbosquet de chênes. Le cheval aularge torse, conçu pour l'endurance,souffla avec force et baissa la tête.Devil relâcha les rênes, son torse segonflant pendant qu'il inspiraitprofondément.
Il n'y avait personne en vue,rien que les arbres et les pelousesbien entretenues. L'odeur piquantede l'herbe mouillée s'éleva quandl'alezan changea de position, puis
s'installa pour brouter. Devil emplitde nouveau ses poumons et sentitle froid atteindre son cerveau. Et,comme il arrivait souvent pendantces moments de solitude, sonmalaise, le trouble persistant qui lerongeait depuis des jours secristallisa, se clarifia. Ce qu'il vitclairement n'était pasencourageant.
La pensée qu'il était agacé parceque sa femme était trop occupée àorganiser son bal pour avoir dutemps pour lui ne passait pas bien
— néanmoins, nier sa jalousie,l'attente, le désir d'être avec elleétait vain. Même maintenant, ilpouvait sentir l'émotion mauvaisebouillonner en lui. Pourtant, iln'avait aucune cause juste deplainte. Les duchesses étaientcensées donner des bals. Honoriaagissait précisément comme unefemme le devrait — elle n'avaitprésenté aucune revendicationgênante, aucune demanded'attention de sa part qu'il nesouhaitait pas accorder. Elle n'avait
même pas accepté l'attention qu'ilétait plus que volontiers prêt à luiaccorder.
Ce fait lui restait sur le cœur.Profondément.
Fronçant les sourcils, Devilremua les épaules. Il se montraitdéraisonnable — il n'avait eu aucundroit de s'attendre à ce que safemme soit différente, se comporteselon un code singulier — qu'il nepouvait, même maintenant, définir.Néanmoins, c'était précisément cequ'il voulait, le désir au cœur de
son insatisfaction.De son propre chef, son esprit
évoqua le moment où, dans lecottage de son forestier, elle s'étaitappuyée sur lui. Il avait baissé latête, vu la chaleur et lacompréhension dans ses yeux etsentit son poids, léger, féminin,contre lui. Et il se rendit compte detout ce qu'il avait aujourd'hui dontTolly ne profiterait jamais, nepourrait pas expérimenter.
Il prit une profonde inspiration; l'air froid et vif coula dans ses
veines. Il voulait Honoria — l'avaitvoulue dès le départ —, mais sondésir n'était pas tout à fait ce qu'ilavait cru. Le désir physique, le désirde posséder, le désir de protéger, lebesoin d'obtenir sa loyauté, sonengagement — tous avaient étésatisfaits. Que restait-il ?
Quelque chose, certainement —quelque chose d'assez fort, d'assezpuissant pour le perturber,l'obséder, pour miner sans effort samaîtrise de soi habituellementinattaquable. Quelque chose au-
delà de son expérience.
Les sourcils arqués, il réfléchit àcette conclusion et ne peut ydéceler d'erreur. Les lèvresadoptant un pli ferme, il reprit sesrênes. Il n'allait pas trouver la paixvéritable jusqu'à ce qu'il satisfassece désir-là aussi.
Lui et son alezan s'étaientcalmés. Se penchant en avant, iltapota le cou élégant de son chevalet enfonça les talons.
L'alezan s'avança docilement,
passant en douceur à un petit galopbondissant.
L'écorce de l'arbre devantlequel ils s'étaient tenus vola enéclats. Le son atteignit Devil ; jetantun regard en arrière, il vit la lésionfraîche dans le tronc, au niveau deson torse. Au même instant, une«toux» révélatrice lui vint auxoreilles.
Il ne s'arrêta pas pour menerson enquête ; il ne tira pas sur lesrênes jusqu'à ce qu'il eut rejoint leportail du parc où d'autres se
rassemblaient maintenant pourleur promenade matinale.
Devil stoppa pour laisserl'alezan se remettre. Les pistoletsétaient interdits dans le parc. Lesgardiens étaient exemptés, mais surquoi tireraient-ils — des écureuils?
L'alezan s'était calmé; d'uncalme mortel lui-même, Devilreprit la route de GrosvenorSquare.
Le bal impromptu de la duchessede St-Ives fut une somptueuse
réussite. Tenue, non dans la grandesalle de bal, mais dans la salle demusique relativement intime, lasoirée déborda de rires, de danseset d'une gaieté naturelle que l'on nerencontrait pas souvent dans leslimites rigides de la haute société.
De nombreux convives, biensûr, étaient des parents ; les autres,des connaissances de longue date.Le ton fut donné dès le début,quand le duc et la duchessemenèrent la compagnie dans unevalse énergique à couper le souffle.
Tous les cent invités saisirent lemessage et entreprirent des'amuser dans l'atmosphèredétendue, avec le champagne quicoulait à flot, l'excellent dîner et lacompagnie tout aussi formidable.Quelque cinq heures après l'arrivéedes premiers convives, les derniersinvités, las, mais souriant, prirentcongé. Webster ferma la ported'entrée, puis mit les verrous.
Au centre du vestibule, Devilbaissa la tête vers Honoria,appuyée sur son bras. Les lumières
dansaient encore dans ses yeux. Ilsourit.
— Un succès éclatant, machérie.
Honoria lui rendit son sourire,déposant sa tête sur son bras.
— Cela s'est bien passé, je crois.— En effet.Sa main couvrant la sienne où
elle était posée sur sa manche,Devil la fit pivoter vers labibliothèque. Ils avaient prisl'habitude d'y terminer leurs soiréesen sirotant du brandy, échangeant
des commentaires. Ils s'arrêtèrentsur le seuil; les valets de pied et lesservantes ramassaient les verres etreplaçaient les meubles. Devil jetaun coup d'œil à Honoria.
— Ce soir, peut-être devrions-nous boire notre digestif en haut.
Honoria hocha la tête. Devilaccepta un candélabre allumé deWebster ; ensemble, ilscommencèrent à monter.
— Amelia et Amanda étaientépuisées.
— Pour la toute première fois
de leur vie.Honoria sourit
affectueusement.
— Elles ont dansé toutes lesdanses, sauf les valses. Et ellesl'auraient fait si elles l'avaient pu.
Levant les yeux, elle remarquale léger froncement de sourcilsgâchant le séduisant visage de sonmari ; regardant en avant, ellesourit en son for intérieur. Laprésence des jumelles avaitdéclenché une réaction intrigante
chez leurs cousins mâles — desregards répressifs avaient été derigueur*. Elle pouvait prévoircertaines scènes intéressantes àmesure que la saison se déroulerait.
Cette pensée lui rappela uneautre scène intéressante, une àlaquelle elle avait participé.
— Au fait, je vous prévienshonnêtement que je n'inviterai plusChillingworth si vous vouscomportez comme vous l'avez faitce soir.
— Moi!
L'air innocent que lui offritDevil n'aurait pas fait honte à unchérubin.
— Ce n'est pas moi qui aicommencé.
Honoria fronça les sourcils.— Je voulais dire vous deux —
il n'était pas mieux.— Je ne pouvais pas
décemment le laisser s'en tirerlorsqu'il a porté atteinte à macapacité à vous satisfaire.
— Il ne l'a pas fait ! C'est vousqui avez déformé ses mots de cette
façon.— C'était ce qu'il voulait dire.— Quoi qu'il en soit, vous
n'avez pas à l'informer queje...
Honoria s'interrompit, les jouesen feu — encore. Elle surprit lalueur dans les yeux verts de Devil.Retirant sa main de sous la sienne,elle le poussa; il ne chancela mêmepas.
— Vous êtes incorrigible.Soulevant ses jupes, elle monta
les dernières marches.
— J'ignore pourquoi vous avezinsisté pour l'inviter quandl'ensemble de votre conversation aété une litanie d'insultes à peinevoilées.
— Voilà pourquoi.Reprenant son bras, Devil le
passa sous le sien pendant qu'ilstraversaient la galerie.
— Chillingworth est la pierre àaiguiser parfaite pour affûter monesprit ; sa peau est aussi dure que lecuir d'un rhinocéros.
— Hum!
Honoria garda le menton dansles airs.
— Je l'ai quand même laissévalser avec vous.
— Seulement parce que j'ai faiten sorte qu'il soit impossible pourvous d'agir autrement.
Elle s'était servi de la valse pourséparer les deux voyous quis'affrontaient en duel — sanssuccès, comme il l'était apparu.
— Honoria, si je ne veux pasque vous valsiez avec un gentlemanen particulier, vous ne le ferez pas.
Elle releva la tête, le désaccordaux lèvres. La signification sous-jacente de ses mots fit son chemin ;elle rencontra son regard — etdécida qu'il était plus sûr desimplement en douter.
Quand elle regarda en avant,Devil sourit. Il avait aimé la soiréesans aucune réserve; mêmel'émergence des jumelles en tantqu'Aphrodite en herbe ne pouvaitpas ternir son humeur détendue.Alors qu'ils se dirigeaient vers lesappartements ducaux, il glissa son
bras autour d'Honoria et l'attiracontre lui.
Honoria le laissa faire, profitantde sa proximité. Elle demeuraitperplexe quant à sa relation avecChillingworth. Pendant qu'ellevalsait avec Vane, elle avait sondéson opinion ; il avait souri.
— S'ils n'étaient pas si occupésà être rivaux, ils seraient amis.
Leur rivalité, à présent qu'ellela voyait de près, n'était pasentièrement facétieuse, néanmoins,elle n'était pas sérieuse non plus. À
distance, cependant, ils donnaientl'impression de deux ennemismortels.
— Charles est-il toujours aussisombre ?
Elle avait remarqué qu'ill'observait pendant qu'elle dansaitavec Chillingworth; son expressionavait été étrangement vide.
— Charles? En voilà un quin'approuvera pas votre innovation ;la gaieté sans entrave n'a jamais étéson point fort.
— Vos autres cousins se sont
délectés de la « gaieté sans entrave».
Honoria lui lança un regardlourd de sous-entendus.
— Totalement sans entrave.Chaque membre de la barre
Cynster, à l'exception de Devil,avait disparu des festivités à unmoment donné, réapparaissantplus tard avec des sourires satisfaitsdu chat ayant avalé la souris.
Devil sourit largement.— Gabriel a offert ses
félicitations avec le ferme espoir
que vous transformerez votre balimpromptu en événement annuel.
Honoria ouvrit grand les yeux.— Y a-t-il vraiment autant de
dames accommodantes au sein dela haute société ?
— Vous seriez étonnée.Devil ouvrit sa porte en grand.Honoria lui jeta un regard
éloquent, puis, nez en l'air, passa leseuil avec élégance. Cependant, ellesouriait en avançant avec grâceplus loin dans la pièce, illuminéepar un feu brûlant joyeusement
dans l'âtre. Le candélabre levé trèshaut, dissipant les ombres, Deviltraversa jusqu'à la commode,déposant le chandelier à côté d'unplateau en argent contenant uncarafon en cristal et deux verres.
Versant du brandy dans unverre, il le tendit à Honoria. Leréchauffant entre ses mains, ellealla d'un pas joyeux jusqu'aufauteuil près du foyer et se laissatomber sur ses coussins bienrembourrés. Levant son verre, elleinspira les vapeurs.
Et se figea. Elle cligna despaupières. Par-dessus le bord deson verre, elle vit Devil s'emparerdu deuxième verre, à moitié remplide liquide ambre. Il le leva.
— Non !Son cri fébrile l'incita à se
retourner. Mais le verre toujourslevé — à tout moment, il allaitavaler sa première lampéehabituelle.
Honoria lâcha son verre ; iltomba, le liquide ambreéclaboussant le tapis aux couleurs
de joyaux. Les cordes vocalesparalysées, elle se lança sur Devil,frappant le verre pour le libérer desa main. Il vola en éclat sur lacommode.
— Que...Devil la souleva, la faisant
pivoter loin des éclats quipleuvaient. Le visage blême,Honoria s'accrocha à lui, le regardfixé sur le liquide dégouttant sur lacommode.
— Qu'y a-t-il ?Devil la dévisagea ; quand elle
ne répondit pas, il balaya lachambre du regard, puis, agrippantses bras, il la déposa à côté de lui etexamina son visage.
— Quoi?D'une respiration tremblante,
elle le regarda en face. Elle avala.— Le brandy.Sa voix était faible,
tremblotante ; elle prit une autrerespiration difficile.
— Amandes amères.Devil se transforma en glaçon
— littéralement. Le froid s'insinuadans ses pieds et se propagea versle haut, figeant un muscle aprèsl'autre jusqu'à ce qu'il soittotalement frigorifié. Ses mainsglissèrent sur Honoria alors qu'ellese pressait plus près, passant sesbras autour de lui, la serrant si fortqu'il pouvait à peine respirer.Respirer était en effet un effort.Pendant un instant, il cessa
complètement — à l'instant où ilcomprit qu'il lui avait remis unverre de poison. Ses entrailles seserrèrent violemment. Il ferma lesyeux, posant sa joue sur les bouclesd'Honoria, fermant les bras sur elle.Son parfum monta jusqu'à lui; ilresserra son étreinte, sentant soncorps, chaud et vivant, contre lesien.
Soudain, Honoria releva la tête,lui frappant presque le menton.
— Vous avez presque été tué !
Il s'agissait d'une accusation.L'expression rebelle, elle serra songilet et tenta de le secouer.
— Je vous l'ai déjà dit, je vous aiprévenu ! C'est vous qu'ils essaientde tuer.
Une conclusion qu'il pouvaitdifficilement remettre en question.
— Ils n'ont pas réussi. Grâce àvous.
Devil s'efforça de la ramenerdans ses bras. Honoria résista.
— Vous étiez à une gorgée de la
mort ; je vous ai vu !Ses yeux étaient brillants de
fièvre, ses joues rouges.Devil réprima un juron — pasenvers elle, mais contre son assassinpotentiel.
— Je ne suis pas mort.— Mais vous avez failli l'être !Ses yeux s'illuminèrent de
flammes bleues.— Comment osent-ils ?Devil savait reconnaître l'état
de choc dans la voix quand il
l'entendait.— Nous sommes tous les deux
en vie.Ses paroles d'apaisement
tombèrent dans l'oreille d'unesourde ; Honoria s'éloigna d'unmouvement brusque et commençaà se promener de long en large.
— Je n'arrive pas à y croire !Elle lança une main en l'air.— Cela ne pas va pas du tout !Devil la suivit alors qu'elle
marchait vers le lit.
— Je ne le permettrai pas — jel'interdis ! Vous m’appartenez — ilsne peuvent pas vous avoir.
Elle pivota vivement; ledécouvrant près d'elle, elle agrippales revers de son gilet.
— M'entendez-vous?’Ses yeux étaient deux larges
soucoupes argentées, luisantes delarmes.
— Je ne vais pas vous perdre,vous aussi.
— Je suis ici ; vous ne me
perdrez jamais.Devil glissa ses bras autour
d'elle; elle était tellement tenduequ'elle tremblait.
— Faites-moi confiance.Elle scruta ses yeux ; des larmes
ornaient ses cils.— Etreignez-moi, ordonna-t-il.Elle hésita, puis obéit,
desserrant lentement ses poings,glissant ses bras autour de lui. Elleposa la tête contre son épaule, maiselle resta tendue, raide —déterminée.
Encadrant la mâchoired'Honoria, Devil leva son visage,baissant les yeux sur ses joues pâles,sur ses yeux inondés de larmes,puis il inclina la tête et embrassases lèvres serrées.
— Vous ne me perdrez jamais,murmura-t-il. Je ne vous quitteraijamais.
Un frisson la parcourut. Cilstrempés baissés, Honoria leva levisage, offrant ses lèvres. Devil lesprit, ensuite sa bouche. La caresses'éternisa, s'approfondit, lentement,
virevoltant inéluctablement vers lapassion. Il avait besoin d'elle — elleavait besoin de lui — une assertionde la vie pour éloigner le spectre dela mort.
Honoria s'écarta juste assezlongtemps pour enlacer son cou.Elle s'accrocha à lui, à la viedébordante imprégnée dans leurbaiser. Les bras de Devil referméssur elle, son torse dur contre sesseins, son pouls battant un rythmesourd, répétitif qui résonnait enelle. Sa tension protectrice se
modifia, se transforma; elle sepressa contre lui. Elle répondit àson baiser et le désir monta, pas enpassion frénétique, mais en uneprésence impossible à renier quicroissait. Comme une rivièrelibérée, elle montait en eux,fusionnant en un torrent,emportant toute pensée, toutevolonté consciente, les poussant enavant, les incitant, non pas àdésirer, mais à désirer donner.
Aucun des deux ne remit enquestion son bien-fondé, ni
n'essaya de le combattre — uneforce plus qu'assez puissante pourrejeter la mort qu'ils venaientd'affronter. S'abandonnant, à elle,l'un à l'autre, ils se déshabillèrent, àpeine conscients des vêtements quijonchaient le plancher. Le contactde la peau contre la peau chaude,de mains exploratrices, des lèvres etdes langues qui caressaient,jouaient avec leurs sens, alimentantle crescendo en plein essor.
Nus, excités, ils s'installèrentsur le lit, membres entremêlés, puis
se séparant, seulement pour serapprocher intimement denouveau. De doux murmuress'élevèrent, le grondement grave deDevil sous les halètementsessoufflés d'Honoria. Le tempss'étira; avec des yeux fraîchementouverts et des sens intensifiés, ilsapprirent à se connaître comme sic'était la première fois. Devilrevisita chaque courbe douce,chaque centimètre de la peau ivoired'Honoria, chaque point palpitant,chaque zone érogène. Non moins
ensorcelée, Honoria redécouvritson corps dur, sa force, saperception, son expertise infaillible.Sa volonté à la satisfaire — égaléeuniquement par celle d'Honoria àfaire de même pour lui.
Le temps se suspendit pendantqu'ils exploraient, se prodiguant duplaisir l'un à l'autre, leurschuchotements se transformant encris légers et en gémissements àmoitié réprimés. Ce n'est quelorsqu'il n'y eut plus rien à donnerque Devil s'allongea, soulevant
Honoria par-dessus lui.L'enfourchant, elle s'arqua et le priten elle, plongeant lentement,savourant chaque seconde jusqu'àce qu'il soit enfoui en elle.
Le temps s'interrompit.Pendant un instant précieux, ilresta suspendu entre eux,tremblant, gorgé de sensation. Leregard plongé l'un dans l'autre, ilsrestèrent immobiles, puis Honorialaissa tomber ses paupières. Lecœur battant la chamade,entendant — ressentant — le pouls
de Devil qui résonnait en elle, ellesavoura la force qui l'avait envahie,reconnaissant silencieusement lepouvoir qui s'était lové en elle. Souselle, Devil ferma les yeux, l'espritinondé de la douceur qui l'avaitaccueilli, qui le tenait maintenant sipuissamment qu'il ne pouvait passe libérer.
Ensuite, ils bougèrent, leurscorps en parfaite communion, leursâmes liées au-delà de la volonté oude la pensée. Trop expérimentéspour se hâter, ils se délectèrent de
chaque étape sur cette longueroute, jusqu'à ce que les portes duparadis s'ouvrent devant eux.Ensemble, ils entrèrent.
— En aucune circonstance,madame la duchesse ne doit êtrelaissée sans surveillance.
Devil répéta son ordre avec unregard vide, fixé objectivement surles trois serviteurs alignés devantlui sur le tapis de la bibliothèque.
Les trois — Webster, droitcomme un i, l'expression plus
imperturbable que jamais, madameHull, debout avec raideur, leslèvres pincées d'inquiétude et Sligo,son visage plus mélancolique quejamais — paraissaient incertains.
À contrecœur, Devil rectifia :— Sauf dans nos appartements.C'était là que se trouvait
Honoria en ce moment et, si l'onpouvait se fier à l'expérience, là oùelle resterait pendant encorequelques heures. Elle étaitprofondément endormie quand ill'avait quittée — après avoir
pleinement assouvi ses sens et lessiens ; l'exercice lui avait laissé unsentiment accru de vulnérabilité,plus que jamais auparavant.Cependant, elle se trouvait ensécurité dans leurs pièces, étantdonné le valet de pied fortementcharpenté posté à quelques pas dela porte.
— Quand je m'absente de lamaison, Webster, vous ne laissezentrer personne d'autre que mestantes ou Vane. Si quelqu'un vienten visite, madame la duchesse est
indisposée. Nous ne recevrons pasdans un proche avenir ; pas tantque cette affaire ne sera pasrésolue.
— En effet, Votre Seigneurie.— Vous et madame Hull vous
assurerez que personne n'al'occasion de toucher à toutenourriture ou aux provisions.Incidemment, le regard de Devil sefixa sur le visage de Webster, avez-vous vérifié le reste du brandy ?
— Oui, Votre Seigneurie. Lereste de la bouteille n'était pas
contaminée.Webster se redressa.— Je peux vous affirmer, Votre
Seigneurie, que je n'ai pas rempli lecarafon de spiritueux empoisonnés.
Devil rencontra son regarddirectement.
— Ainsi l'ai-je supposé. Jecomprends que nous n'avons pasengagé de nouveaux employésrécemment ?
La raideur de Webster diminua.— Non, Votre Seigneurie.
Comme nous en avons l'habitude,
nous avons amené la plupart de nosgens de Somersham pour nousaider hier soir, des gens déjàfamiliers avec nos façons de faire. Iln'y avait aucun étranger parmi lepersonnel, monsieur.
Fixant son regard sur un pointau-dessus de la tête de Devil,Webster poursuivit :
— Hier soir, chaque membredu personnel avait une activitéprescrite à accomplir pratiquementà chaque instant.
Webster laissa tomber son
regard pour rencontrer les yeux deDevil.
— Le fin mot de l'histoire estqu'aucun membre de notrepersonnel ne s'est absenté de sestâches assez longtemps pouratteindre vos appartements etrevenir sans être repéré. Nousdevons supposer, je crois, qu'uninvité au courant de la localisationdes appartements ducaux aintroduit le poison, mon seigneur.
— Tout à fait.
Devil avait déjà réfléchi à cettequestion, à cela et à bien davantage; il reporta son regard sur Sligo.
— Toi, Sligo, tu accompagnerasmadame la duchesse partout oùelle ira. Si elle décidait de sepromener en public, tu serais à côtéd'elle, pas derrière elle.
Il soutint posément le regard deSligo.
— Tu dois la protéger de ta vie.Sligo hocha la tête ; il devait sa
vie plusieurs fois à Devil et ne
voyait rien d'étrange à cetterequête.
— Je vais m'assurer quepersonne ne s'approche d'elle.Cependant..., ajouta-t-il en fronçantles sourcils, si je dois rester avecmadame la duchesse, qui sera avecvous?
— J'ai déjà affronté la mort ; cen'est pas différent cette fois-ci.
— Si je puis suggérer, VotreSeigneurie, intervint Webster. Aumoins un valet de pied...
— Non.— L'unique mot coupa net
toute protestation. Devil regardafranchement ses serviteurs.
— Je suis tout à fait capable deme protéger moi-même.
Son ton ne souffrait aucunecontradiction; naturellement,personne n'osa. Il les congédia d'unsigne de tête.
— Vous pouvez partir.Il se leva pendant qu'ils
sortaient en file par la porte ;Webster et Sligo s'en allèrent, mais
madame Hull s'attarda. Quand,lèvres serrées, elle le regarda, Devil,résigné, arqua un sourcil.
— Vous n'êtes pas réellementinvincible, vous savez.
Les lèvres de Devil se tordirentavec ironie.
— Je sais, Hully, je sais. Maispour l'amour de Dieu, ne le ditespas à madame la duchesse.
Apaisée par son utilisation dusurnom qu'il lui donnait enfant,madame Hull renifla.
— Comme si c'était possible.
Contentez-vous de vous occuper àdécouvrir qui est cette personne quia perdu tout bon sentiment aupoint de verser du poison dans cecarafon — nous prendrons soin demadame la duchesse.
Devil la regarda partir et sedemanda si l'un ou l'autre des troisavait la moindre idée de tout cequ'il confiait à leur garde. Il leuravait dit la vérité — il avait affrontéla mort de nombreuses fois. Lamort d'Honoria, il ne pouvait pasdu tout l'affronter.
— Je place ma confiance en vouspour garantir qu'il n'arrive rien demal à Sa Seigneurie.— Marchant de long en largedevant les fenêtres du boudoir,Honoria parcourut du regard lestrois serviteurs alignés sur le tapis— Webster, madame Hull et Sligo.
— Je présume qu'il vous a déjàentretenu de l'incident d'hier soir ?
Les trois hochèrent la tête;Webster agit comme porte-parole.
— Sa Seigneurie nous a donnél'ordre de nous assurer que cet
incident ne se répéterait pas,m'dame.
— Je suis certaine qu'il l'a fait.Devil avait quitté la maison
avant son réveil, un événementqu'il avait lui-même retardé. Ill'avait gardée éveillée jusqu'au petitmatin — elle ne l'avait jamaisconnu aussi exigeant. Quand ill'avait secouée pour la réveiller àl'aube, elle s'était appliquée de toutson cœur à apaiser son considérableappétit, supposant, avec la petitepart de son esprit qu'elle contrôlait
encore, que c'était la réalisationtrop longtemps ignorée de sapropre mortalité qui lui avaitdonné un tel appétit de vivre.
Elle s'était attendue à discuterde l'incident scandaleux du poisonavec lui en prenant le petitdéjeuner — au lieu, elle avaitcarrément raté ce repas.
— Ce n'est pas mon intentionde neutraliser les ordres de SaSeigneurie; tout ce qu'il a décrétédoit être fait. Cependant...,marquant une pause, elle jeta un
coup d'œil aux trois visages devantelle, suis-je en droit de supposerqu'il ne vous a donné aucun ordrepour sa propre protection ?
Webster grimaça.— Nous avons bien émis la
suggestion, madame;malheureusement, Sa Seigneurie aopposé son veto à cette idée.
— Ferme, corrobora Sligo, sonton disant clairement ce qu'ilpensait de cette décision.
Les lèvres de madame Hullformèrent une mince ligne nette.
— Il a toujours étéextrêmement têtu.
— En effet.D'après la façon dont les trois
l'observaient, Honoria savait qu'ellen'avait qu'à prononcer un mot.Cependant, dans ce contextequelque peu délicat, elle ne pouvaitpas, en toute conscience, contredireles ordres de son mari. Elle regardaWebster.
— À quelle suggestion SaSeigneurie s'est-elle opposée ?
— J'ai suggéré un valet de pied
comme garde, madame.Honoria haussa les sourcils.— Nous avons d'autres
hommes qui conviennent à notreemploi, n'est-ce pas ; des hommesqui ne sont pas des valets de pied ?
Webster cilla une foisseulement.
— En effet, madame. Allant desaides-majordomes aux garçons desarrière-cuisines.
— Et il y a aussi les valetsd'écurie et les palefreniers, ajoutaSligo.
Honoria hocha la tête.— Très bien.Elle rencontra chaque paire
d'yeux.— Pour préserver ma paix
d'esprit, vous vous assurerez detoujours être en position de me direoù est Sa Seigneurie à tout momentquand il est absent de la maison.Rien, cependant, ne doit être faitqui est contraire aux désirsexprimés par Sa Seigneurie.J'espère que c'est clair ?
Webster exécuta une révérence.
— En effet, madame. Je suis
certain que Sa Seigneuries'attendrait à ce que nous fissionstout en notre pouvoir pour vousempêcher de vous inquiéter.
— Précisément. Maintenant,avez-vous la moindre idée del'endroit où il se trouve en cemoment ?
Webster et madame Hullsecouèrent la tête. Sligo regarda leplafond.
— Je crois, dit-il — il se balança
légèrement sur ses orteils — que lecap'taine est avec m'sieur Vane.
Baissant le regard, il rencontracelui d'Honoria.
— A ses appartements dansJermyn Street, m'dame.
Les yeux d'Honoria, toutcomme ceux des deux collègues deSligo, exprimaient leur question ;les propres yeux de Sligos'arrondirent.
— Un garçon d'écurie devaitaller par là porter un message,m'dame.
— Je vois.Pour la première fois depuis
qu'elle avait senti les amandesamères, Honoria ressentit un légersoulagement. Elle avait des alliés.
— Penses-tu que ce garçond'écurie pourrait encore être entrain de voir à ses affaires quand SaSeigneurie quittera son cousin?
Sligo hocha la tête.— C'est très probable, m'dame.Honoria hocha elle aussi la tête,
avec fermeté, en les congédiant.— Vous avez vos ordres, les
miens et ceux de Sa Seigneurie. Jesuis certaine que vous lesexécuterez avec zèle.
Sligo hocha la tête;madame Hull fit une petiterévérence. Webster s'inclinatrès bas.
— Vous pouvez vous fier à nous,madame la duchesse.
Chapitre 21
Vane dévisagea Devil, une horreur
non feinte sur le visage.
— Combien exactement y a-t-ileu d'attentats à ta vie ?
Devil haussa les sourcils.— Si la supposition d'Honoria
est correcte, trois. Il n'y a toujoursrien pour suggérer que l'on atrafiqué mon phaéton, mais étantdonné ces deux autres épisodes, jesuis enclin à penser qu'elle pourraitavoir raison.
Ils se trouvaient dans le salonde Vane; assis à table, Devil levaune chope de bière et prit une
bonne lampée.Debout devant les fenêtres,
Vane le dévisageait encore.— Le phaéton, le poison ; quel
était le troisième ?— Quelqu'un a tiré une balle
sur moi dans le parc hier matin.— Tu étais sorti tôt ?Devil hocha la tête. Le regard
de Vane perdit toute expression ; ilse retourna et fixa le vide par lafenêtre. Devil patienta. Après lesévénements dramatiques de laveille, il se sentait mortellement
calme. Entre les moments où ilavait fait l'amour à sa femme, ilavait passé la nuit à réfléchir. Frôlerla mort était une merveilleusefaçon de faire le point — depresque perdre Honoria avaitéradiqué toute comédie, mis aujour toutes les raisons rationnellesqu'il avait utilisées pour justifierleur mariage en les exposantcomme les fausses excuses qu'ellesétaient. Ce qu'il ressentait pour safemme n'avait rien à voir avec lalogique.
Brusquement, il changea deposition et jeta un coup d'œil àVane — puis, en son for intérieur, ilsecoua la tête d'un air moqueur.Envers lui-même. Chaque fois queses pensées ne faisaient qu'effleurercette question — cette émotionqu'il ne pouvait pas, ne voulait pasdéfinir —, il reculait, s'éloignaitlentement. Ce sentimentinnommable lui laissait une telleimpression de vulnérabilité qu'iltrouvait presque impossible del'accréditer, encore moins
d'admettre son existence. Il ouvraitun trou béant dans ses défenses ; saréaction instinctive était de rebâtirses murs à toute vitesse.
Cependant, il allait devoirl'affronter bientôt. L'insécuritéattendait, du plomb dans sesentrailles ; l'incertitude le rendaitfou. Honoria avait de l'affectionpour lui — la nuit dernière l'avaitprouvé. Elle se souciait peut-êtremême de lui à la manière desfemmes parfois, à un niveaudifférent de l'intérêt sexuel. Sur un
autre plan. Il avait désespérémentbesoin de le savoir.
Le découvrir sans poser dequestions, sans révéler son intenseintérêt envers la réponse était undéfi auquel il avait l'intention deconsacrer toute son attention — dèsqu'il se serait occupé de sonassassin potentiel.
Qui avait presque assassiné safemme.
Il leva la tête lorsque Vane seretourna, le dévisageant avec uneexpression inquiète.
— C'est extrêmement sérieux.Vane commença à faire les cent
pas.— Pourquoi seulement à
Londres ?Il jeta un coup d'œil à Devil.— Il n'y a pas eu d'autres
événements suspects à la Maison ?Devil hocha la tête.— Londres, parce que c'est plus
sûr — il y a plus de monde dans lesalentours. Cambridgeshire est unecampagne plate, et mes champssont plutôt bien remplis par mes
ouvriers.— Cela ne nous a pas aidés à
localiser le meurtrier de Tolly.Devil baissa les yeux, faisant
tournoyer la bière dans sa chope.— Pour saboter ton phaéton, ils
ont dû pénétrer dans tes écuriessans se faire repérer, connaître tavoiture et la façon d'organiser letout pour soupçonner un accident,ce qui présuppose une certaineconnaissance de tes habitudes deconduite. Et la personne qui a versédu poison dans le carafon —
l'expression sombre, Vanerencontra le regard de Devil —,celle-là devait savoir où se trouventles appartements ducaux ainsi queta méthode particulière de boire.
Devil hocha la tête.— S'ils ne l'avaient pas su, ils
auraient été beaucoup pluscirconspects avec le dosage — il yen avait assez dans une seulegorgée pour assommer un bœuf, cequi explique pourquoi Honoria l'adétecté aussi facilement.
— Donc, dit Vane, qui que cesoit savait toùt cela, mais...
Il s'interrompit et regardaDevil.
Qui grimaça.— Mais ignorait qu'Honoria
partage mon brandy tout autantque mon lit.
Vane grimaça à son tour.— Moi-même, je l'ignorais, de
sorte que cela ne nous aide pas àréduire les rangs.
Il marqua une pause, puisdemanda :
— Donc, Tolly a été tué parcequ'il venait te prévenir ?
Lentement, Devil hocha la tête.— Cette hypothèse donne une
logique à ce qu'il a dit au cottagetout autant, sinon mieux, que lesautres.
Les deux se turent, puis Vanedemanda :
— Que vas-tu faire ?— Faire?Devil haussa les sourcils.— Exactement ce que
j'envisageais de faire, seulement
avec les deux yeux grands ouverts.— Et avec moi pour surveiller
tes arrières.Devil sourit.— Si tu insistes.C'était une boutade habituelle
entre eux ; un peu de la tension deVane disparut. Il s'assit sur la chaiseen face de Devil.
— Alors, Bromley a-t-il enfinmis dans le mille ?
— Pas encore, mais il penseavoir mis la main sur une cartegagnante. Il est passé hier avec une
offre de rencontre — la tenancièreen question exigeait certainesgaranties. Je lui ai dit ce quellepouvait obtenir; il est parti négocierune heure et une date.
— Le lieu ?— Le palais lui-même.Vane plissa le front.— Tu iras ?Devil haussa les épaules.Je peux comprendre pourquoi
elle veut qu'il en soit ainsi.— Cela pourrait être un piège.— Peu probable; elle a plus à
perdre en s'opposant à moi que lecontraire. Et Bromley est trop éprisde ses habitudes confortables pourencourager la fourberie.
Vane ne parut pas convaincu.— Je n'aime pas cela du tout.Vidant sa chope, Devil hocha la
tête.— Non, mais je préférerais ne
pas rater un seul indice, fauted'avoir regardé.
Il jeta un coup d'œil à Vane.— Je ne me souviens toujours
pas de cette chose que j'ai oubliée à
propos du meurtre de Tolly.— Tu es toujours convaincu que
c'est quelque chose de vital ?— Oh oui.L'expression grave, Devil se
leva.— C'était quelque chose de
tellement vital que je l'aiparticulièrement remarqué, mais lamort de Tolly l'a complètementeffacé de mon esprit.
Vane grimaça.— Cela te reviendra.Devil rencontra son regard.
— Toutefois, cela me reviendra-t-il à temps ? Des pas fermes s'approchèrent dupetit salon; Honoria quitta lafenêtre et s'assit sur la méridienne.Elle avait passé la journée àanalyser méthodiquement lestentatives d'assassinat sur Devil. Etelle avait atteint l'uniqueconclusion logique. Bien que sonpremier mouvement fût deprésenter ses découvertes à Devil,une réflexion plus approfondie lui
avait suggéré qu'il pourrait ne pas,dans ce cas, accepter facilement sonrésultat. Après avoir beaucouppensé, elle avait envoyé unmessage à la seule personne à quielle faisait entièrement confiance.
Son «entrez» coïncida avec uncoup péremptoire. La porte s'ouvrit; Vane entra d'un pas nonchalant.Son regard la trouva ; refermant laporte, il s'avança, sa démarcherappelant le pas de prédateur deDevil.
— Comment allez-vous ?
Honoria grimaça.— Je suis affolée.Il hocha la tête et s'installa dans
le fauteuil en face d'elle.— Comment puis-je vous être
utile ?Un sourcil s'arqua.— Votre mot mentionnait que
l'affaire était urgente.Lèvres pressées, Honoria
examina son visage.— J'ai réfléchi à tout ce qui s'est
passé. Il doit exister une raisonpour laquelle quelqu'un tente de
tuer Devil.Le regard sur son visage, Vane
hocha la tête.— Continuez.— Je connais un seul motif
impérieux reliant Devil à unepersonne qui en saurait assez pourtrafiquer son phaéton et verser dupoison dans son brandy. L'héritage; qui, après tout, est plus queconsidérable. Cela pourrait aussiexpliquer que les attaques ontcommencé uniquement lorsqu'il estdevenu évident que nous allions
nous marier.La lumière se fit sur le visage
de Vane.— Bien sûr. Je me concentrais
sur Tolly ; je n'ai pas songé à cetangle.
— Vous êtes d'accord ?Honoria se pencha en avant.— Vous êtes d'accord qu'il doit
s'agir de Richard ?Vane la dévisagea avec un
étonnement né del'incompréhension.
— Richard ?
Honoria plissa le front.
— L'héritier de Devil.— Ah.Rapidement, Vane scruta le
visage d'Honoria.— Honoria, votre logique est
impeccable; malheureusement,Devil a négligé de vous donner tousles détails nécessaires pour enarriver au bon résultat.
Il hésita, puis secoua la tête.— Je suis désolé, mais ce n'est
pas à moi de vous expliquer quoique ce soit ; vous allez devoir ledemander à Devil.
Honoria le regarda directementdans les yeux.
— Lui demander quoi ?Les yeux de Vane se durcirent.— Lui demander qui est son
héritier.— Ce n'est pas Richard ?Lèvres pressées, Vane se leva.— Je dois partir, mais
promettez-moi de révéler vos
conclusions à Devil.Les yeux d'Honoria lancèrent
des éclairs.— Je peux vous donner une
certitude absolue sur cette question.— Bien.Vane rencontra son regard.— Si cela peut rendre les choses
plus faciles, je parierais qu'il a déjàsuivi la même ligne de pensées.
— Vous pensez qu'il sait ?Honoria tendit sa main.— Il sait, mais comme il agit
avec de telles affaires, il ne dira rienjusqu'à ce qu'il en soit certain,jusqu'à ce qu'il ait la preuve.
Vane lâcha la main d'Honoria.— Avec votre permission, j'ai
une idée à suivre ; plus vite nousfournissons à votre mari la preuvedont il a besoin, plus vite nousserons libérés de ce meurtrier.
Réticente à contribuerpotentiellement à retarder cetobjectif, Honoria hocha la tête et lelaissa partir. Longtemps après quela porte se fut refermée sur lui, elle
resta assise à fixer les panneaux,incapable de comprendre rien àrien de ce qui se passait.
Les Cynster — une loi en soi.— Hum.Dégoûtée, elle se leva et se
rendit à l'étage pour se changer.
Monsieur le duc de St-Ives dîna à lamaison ce soir-là. Honoria patientajusqu'à ce qu'ils se retirent, puis elleenleva sa robe, enfila sa chemise denuit, se précipita comme unefemme de chambre enthousiaste
dans la chambre à coucher ducale,laissa tomber son peignoir, sedéchaussa d'un coup de pied et filasous les couvertures.
De l'autre côté de la pièce,occupé à dénouer sa cravate, Devilregarda son manège avec intérêt —un intérêt quelle ignora. Appuyéesur les oreillers, elle fixa son regardsur son visage.
— J'ai réfléchi.Les mains de Devil
s'immobilisèrent, puis tirèrent surle lin blanc autour de son cou.
Déboutonnant son gilet, ils'approcha du lit.
— À quel sujet ?— À propos de qui voudrait
votre mort.Il retira son gilet d'un
haussement d'épaules, puis s'assitsur le lit pour retirer ses bottes.
— En êtes-vous venue à uneconclusion ?
— Oui, mais Vane m'a dit quema conclusion n'était pas bonne.
Devil leva la tête.— Vane?
Honoria expliqua.— Naturellement, je pensais
que Richard était votre héritier.— Ah.Devil laissa tomber sa
deuxième botte. Il se leva, ôta sachemise et son pantalon, puis seglissa sous les couvertures. Honoriaroula contre lui ; il l'installa à sescôtés.
— Je suppose que j'aurais dûvous informer de cela.
Honoria plissa les paupièresdans l'obscurité ; elle était
presque certaine qu'il souriait.— J'ai le sentiment que vous
auriez dû. Qu'y a-t-il que je ne saispas ?
Devil s'installa confortablementsur les oreillers.
— Connaissez-vous le surnomde Richard ?
— Scandai?Devil hocha la tête.— Comme le mien qui est une
version écourtée de « ce DevilCynster», celui de Richard estégalement tronqué.
Son sobriquet complet est « lescandale qui n'a jamais eu lieu ».
— Il est un scandale ?— Richard est mon frère, mais
il n'est pas le fils de ma mère.Honoria cilla.— Ah.Puis, elle plissa le front.— Mais vous vous ressemblez
tellement.— Nous ressemblons à mon
père — vous avez vu son portrait.Seule notre chevelure — et dansmon cas, mes yeux — nous vient de
nos mères respectives; celle deRichard avait également lescheveux foncés.
Il s'agissait d'un scandale degrande importance — Richard étaitplus jeune que Devil. Néanmoins,Honoria n'avait pas décelé lemoindre souffle de désapprobationdans aucun des échanges de lahaute société avec Richard Cynster.
— Je ne comprends pas.Elle leva la tête juste à temps
pour voir les dents de Devil briller.— La vérité sur la naissance de
Richard est un secret depolichinelle depuis trois décennies— c'est de l'histoire ancienne.Maman*, bien sûr, a joué le rôle-clé.
Honoria croisa les bras sur letorse de Devil et fixa son regard surson visage.
— Racontez-moi.Devil referma ses bras autour
d'elle.— Lorsque j'avais trois ans, on a
demandé à mon pèred'entreprendre une missiondiplomatique dans les
Highlands. Il y avait eu une vaguede mécontentements, et les expertsde la Cour voulaient faire cliqueterles sabres sans dépêcher de troupes.Envoyer un Cynster était considérécomme la meilleure solution derechange. Maman a décidé de nepas l'accompagner. On lui avait dità ma naissance qu'elle ne pourraitplus avoir d'enfant, de sorte qu'ellese montrait affreusementsurprotectrice avec moi, à mongrand dégoût. Donc, mon père estparti seul pour le Nord. Le laird
chez qui on l'avait envoyé pour...Il marqua une pause, cherchant
ses mots.— L'intimider? suggéra
Honoria.Devil hocha la tête.— Ce laird, un rouquin, s'était
marié récemment; un mariagearrangé avec une beauté des Basses-Terres d'Écosse.
— Évidemment que ce devaitêtre une beauté, marmonnaHonoria.
Devil lui jeta un coup d'œil.
— Nous autres Cynster avonsdes normes, vous savez.
Honoria lui donna un petitcoup sur le torse.
— Hum. Que s'est-il passéensuite ?
— Assez bizarrement, nousn'en sommes pas très sûrs. Noussavons que la mission de mon pèrea été un succès ; il est rentré à lamaison après quatre semaines.Richard est apparu douze mois plustard.
— Douze mois ?
— Sa mère est morte quelques
mois après sa naissance. Si elle aavoué ou si son mari a simplementsupposé que Richard n'était pas àlui à cause de sa tignasse, nousl'ignorons. Cependant, il n'y avaitaucun doute, même à ce moment-là, que Richard était de mon père —il me ressemblait parfaitement aumême âge et il y se trouvait assezde gens autour pour s'en souvenir.Peu importe, le sort de Richard aété scellé quand Webster l'a
ramassé devant la porte d'entrée —une voiture s'était présentée, lepaquet emmailloté déposé et leschevaux fouettés immédiatementpour reprendre la route. Pas demessage, uniquement Richard.Webster l'a amené à l'intérieur, etRichard a commencé à brailler sansdifférer.
»Le son était épouvantable — jem'en souviens parce que je nel'avais jamais entendu avant.Maman me brossait les cheveuxdans la chambre d'enfant; nous
l'avons perçu jusque-là haut. Elle alaissé tomber la brosse et s'estprécipitée en bas. Elle est arrivéeavant moi. J'ai atteint le dernierpalier pour la voir fondre surWebster et mon père, quiessayaient de faire taire Richard.Maman* l'a cueilli directementdans leurs bras — elle a roucoulé, etRichard a cessé de pleurer. Elle asimplement souri — de toutes sesdents —, tu sais comment elle peutêtre.
Le menton sur le torse de Devil,
Honoria hocha la tête.— J'ai immédiatement compris
que Richard était un cadeau du ciel;Maman* était tellement absorbéepar lui qu'elle a oublié les nœudsdans ma chevelure. À partir de là,Richard a eu mon soutien plein etentier. Mon père s'est avancé — jepense qu'il s'apprêtait à tenter uneexplication — ; avec le recul, je suisdésolé de ne pas l'avoir entendu,bien que je ne l'aurais pas compris àl'époque. Cependant, Maman* lui adit tout de suite à quel point il avait
été brillant de lui avoir procurél'unique, la seule chose importantequ'elle désirait véritablement : unautre fils. Naturellement, mon pères'est tu. Depuis, Maman a balayétoutes les objections ; elle était laduchesse de mon père depuis cinqans etelle était une puissance socialeéminente. Elle a décrétépubliquement que Richard était sonfils ; personne n'a eu l'audace, nialors ni maintenant, de lacontredire.
Honoria entendit le souriredans sa voix.
— Il n'y a aucun doute qu'avoirRichard à élever a vraiment renduMaman* heureuse. L'affaire n'ablessé personne ; mon père l'areconnu et a assuré son avenir dansson testament.
Devil inspira profondément.— Et voilà l'histoire « du
scandale qui n'a jamais eu lieu ».Honoria resta allongée sans
bouger; la main de Devil lui caressales cheveux.
— Donc, vous savez à présentque Richard n'est pas mon héritier.
Sa main glissa sur sa nuque.— Il n'est pas celui qui tente de
me tuer.Honoria écouta les battements
réguliers du cœur de Devil. Elle seréjouissait qu'il ne s'agisse pas deRichard — elle l'aimait bien et ellesavait que Devil éprouvaitbeaucoup d'affection pour lui. Sanslever la tête, elle murmura :
— Votre mère est une femmefascinante.
Devil roula et la fit basculersous lui ; sur les coudes, il repoussadélicatement les cheveux sur sonvisage.
— Elle fascinait certainementmon père.
Honoria sentit les yeux de sonmari sur son visage, puis il penchalégèrement la tête. Ses lèvresfrôlèrent les siennes.
— Exactement comme maduchesse me fascine.
Ce furent les dernières parolessensées prononcées cette nuit-là.
Il lui fallait avoir une longue etsérieuse conversation avec sonmari. Enveloppée dans un peignoirivoire translucide garni de plumes,Honoria fit les cent pas dans lachambre ducale et attendit sonapparition.
Ils s'étaient rejoints au petitdéjeuner et encore une fois audîner, mais elle pouvaitdifficilement l'interroger devant lesserviteurs. Il était en ce momentchez White's pour rencontrer levicomte Bromley. Elle le savait, il le
lui avait dit. Ce qu'il ne lui avait pasdit c'était sur qui portaient sessoupçons.
Comme Richard était illégitime,il ne pouvait pas hériter, pas avecautant de mâles légitimes dans lafamille. Après avoir appriscomment Richard avait reçu sonsurnom, elle n'avait pas eu besoinde demander qui était son héritier.Au cours des semaines qui avaientsuivi leur mariage, elle avaitquestionné Horatia à propos dupère de Devil — en passant,
Horatia avait mentionné queGeorge, son mari, le père de Vane,était à peine un an plus jeune quele père de Devil. Ce qui signifiaitque, Richard n'y ayant pas droit,George était l'héritier de Devil, etVane le suivait en lice.
Même dans ses rêves les plusfous, elle ne pouvait pas imaginerGeorge dans le rôle du vilain. Deville traitait comme un père desubstitution, une affection queGeorge lui rendait ouvertement. Etle dévouement de Vane envers
Devil ne laissait aucune place audoute. Donc, le tueur n'était pasl'héritier de Devil, mais dès qu'elleavait attiré l'attention de Vane surce point, il avait vu la lumière, unelumière aveuglante.
Avec un grondement frustré,Honoria donna un coup de pied surle bord à plumes de son peignoirpour l'écarter.
— Donc, qu'y a-t-il à propos del'héritier qui rend tout évident ?
Devil le savait ; Vane étaitconvaincu que ce dernier avait
suivi le même raisonnement pourarriver à la réponse.Vraisemblablement, comme il nes'agissait pas de l'héritier, uncertain processus d'éliminationjetait l'éclairage sur le véritableassassin. Qui était...
Honoria regarda brièvementl'horloge. Et elle essaya de ne paspenser à l'autre raison qui la faisaitmarcher de long en large,impatiente de poser les yeux denouveau sur son mari. Quelqu'un
tentait de le tuer. Cette maisonétait leur refuge sûr; il était ensécurité ici. Mais, dehors...
Elle le voulait ici, éloigné dudanger entre ses bras.
Honoria frissonna ; elle enroulases bras autour d'elle et, fronçantles sourcils, regarda encorel'horloge. Serrant les lèvres, elle sedirigea vers la porte. L'ouvrant, elleécouta ; comme l'horloge sur lemanteau de la cheminée lui avaitdéjà indiqué, l'horloge dans
l'escalier ronronna, puis carillonna.Douze coups graves résonnèrentdans la maison. Minuit — et Deviln'était toujours pas de retour.
Elle refermait la porte quand leheurtoir cogna à la porte d'entrée— des appels brefs, péremptoires.Honoria s'arrêta, le pli sur son fronts'approfondissant. Qui viendraitleur rendre visite à minuit? Devilpossédait sa clé, donc...
Le sang quitta son Visage. Lecœur lui manqua, puis commença à
s'emballer. Elle avait parcouru lamoitié du corridor avant decomprendre qu'elle avait bougé.Puis, elle ramassa ses jupes et fila àtoute vitesse.
Elle courut dans la galeriejusqu'en haut des marches.Essoufflée, elle serra la large rampeet regarda en bas.Webster ouvrit la porte en grand,dévoilant une silhouette obscure.Le personnage s'avança d'un pas ; lalumière émanant des lampes du
vestibule jeta des reflets dorés surles mèches châtaines de Vane.
Il tendit sa canne à Webster.— Où est Devil ?Acceptant la canne, Webster
ferma la porte.— Sa Seigneurie n'est pas
encore rentrée, monsieur.— Ah non ?Même de sa place en haut de
l'escalier, Honoria perçutl'étonnement de Vane.
— Je crois qu'il est allé chez
White's, monsieur.— Oui, je sais.Vane semblait distrait.— Je suis parti avant lui; je
devais rendre visite à un ami, maisil avait l'intention de suivre aussitôtmon exemple. J'avais pensé qu'ilserait ici maintenant.
Le cœur battant, Honoriaregarda les deux hommes sedévisager — le spectre noir qu'elleavait tenu à distance toute lajournée virevolta soudainement
plus près. Elle se pencha sur larampe.
— Vane?Il leva la tête, puis cilla.
L'étonnement quitta d'un bond sonvisage, le laissant curieusementinexpressif. Webster jeta un coupd'œil aussi, mais il baissaimmédiatement le regard.
Vane s'éclaircit la gorge etessaya de ne pas centrer sonattention sur elle.
— Oui, Honoria ?
— Partez à sa recherche. S'ilvous plaît ?
Les derniers mots étaientlourds d'une peur latente.
Vane tenta un vaguefroncement de sourcils.
— Il est probablement tombésur des amis et a été retardé.
Honoria secoua violemment latête ; en son for intérieur, unepanique familière se développait.
— Non, il s'est passé quelquechose. Je le sais.
Ses doigts se resserrèrent sur larampe ; ses jointures blanchirent.
— Je vous en prie, partezmaintenant !
Vane tendait la main pourrecevoir sa canne avant même queles derniers mots d'Honorias'estompent — l'émotion insuffléedans son «je vous en prie» étaitpersuasive. Contaminé parl'inquiétude d'Honoria, sa peurécrasant toutes excuses logiquesque son esprit concoctait librement,
Vane se tourna vers la porte.Webster, réagissant à une
vitesse similaire, l'ouvrit.Rapidement, Vane descendit lesmarches. Son pas s'allongeant, ilretraça mentalement la routehabituelle de Devil de sa maison àson club préféré. Dix mètres au-delà des marches, Vane se rappelala ruelle entre Berkeley Square etHays Mews. Jurant, il partit encourant.
À l'intérieur de la Maison St-
Ives, Honoria serrait la rampe etcombattait sa panique. Refermantla porte, Webster jeta un bref coupd'œil dans sa direction.
— Avec votre permission,madame, je vais prévenir Sligo.
Honoria hocha la tête.— Faites, je vous prie.Elle se souvint quelle avait
ordonné qu'on surveille Devil — desoulagement, elle agrippa cettebouée et s'y accrocha. Sligo leprotecteur, Sligo le vigilant, allaits'assurer que son « cap'taine » était
bien gardé.Sous elle, la porte de feutre vert
s'ouvrit à la volée, s'écrasant contrele mur. Sligo se précipita dans levestibule, ouvrit cette porte aupassage et courut en bas desmarches. Alors qu'il disparaissait,Honoria sentit que la petite bouée àlaquelle elle s'était accrochée luiétait arrachée des mains — et ellese retrouva encore une fois en traind'affronter le trou noir quecreusaient ses peurs.
- Ha!Devil ne perdit pas son souffle à
mettre plus de vigueur dans son cri— la ruelle était longue et étroite ;il n'y avait pas de fenêtres dans leshauts murs de briques. Brandissantla mince lame de sa canne-épée endessinant un grand arc, il saisitl'occasion où ses trois agresseursreculèrent pour tendre la main ettirer le corps affaissé sur les pavésde la ruelle pour le placer sous sagarde.
Laissant de l'espace à ses pieds,
il se redressa immédiatement, épéedardant en avant et en arrière, lapointe d'acier flairant le sang. Dansson autre main, il tenait unfourreau vide, la canne rigide unrepoussoir contre une autre arme.Avec un sourire féroce, il gesticulaavec la canne.
— Bien, gentlemen ? Qui sera lepremier ?
Son regard de défi balaya levisage des hommes envoyés pour letuer. Ils avaient attendu jusqu'à cequ'il entre dans l'allée, avançant à
grandes enjambées, pensant à autrechose. Deux l'avaient suivi àl'intérieur, le troisième avait bloquél'autre extrémité. Les trois étaientdes brutes musclées, massives —des matelots à en juger par leursvêtements mal ajustés. Les troisportaient des épées — pas deslames minces comme celle qui lesgardait à distance, mais de longuesarmes droites à une lame.
Le regard calme et l'expressionprovocante, Devil cherchamentalement une issue. Et n'en
découvrit aucune. La chance —sous la forme de deux gros barilsabandonnés dans la ruellehabituellement vide, et un passantqui avait pourchassé les matelotsdans le passage faiblement éclairé— l'avait maintenu en vie jusqu'ici.Avec un cri, l'homme s'était lancésur la paire, éveillant leurattention. L'intervention del'homme tenait plus de l'héroïsmeque de la sagesse ; après avoirmomentanément lutté avec lui, unmarin avait levé son bras et, avec la
poignée de son épée, il l'avaitfrappé.
Mais à ce moment-là, Devilavait le dos au mur, l'épée dégainéeet la canne en main, les barils toutde suite à sa gauche restreignant lefront qu'il devait défendre.
— Venez, les défia-t-il, leurfaisant signe de la main. Pas besoind'hésiter devant la mort.
Leurs yeux se déplacèrent del'un et à l'autre, chacun attendantde voir qui serait le premier. C'étaitson seul espoir — les maintenir
dans cet état d'indécision. Du coindes yeux, il surveillait les bouts dela ruelle, éclairés par les lueurs dela rue et de la place au-delà. Siquelqu'un passait, son ombre seraitprojetée dans la ruelle — il allaitdevoir retenir ses agresseursjusqu'à ce que cela se produise, etalors il pourrait appeler à l'aide.Malheureusement, il était minuitpassé dans un quartier derésidences en vogue alors que lasaison n'avait pas encore débuté. Ily avait peu de personnes aux
alentours.Des pieds se déplacèrent sur les
pavés ; le plus imposant des marins,celui directement devant Devil,tenta un coup tranchant. Devil lepara, attrapant la lame avec sacanne, l'épée sifflant en avant pourentailler l'avant-bras de l'homme.Avec un juron, l'agresseur bonditen arrière, la mine renfrognée, lesyeux porcins évaluant la situation.
Devil pria pour qu'il neréfléchisse pas trop — un contre un,il pouvait gagner ou les tenir à
distance pendant une éternité. Ilsétaient tous plus lourds, mais ilétait plus grand et il avait uneportée plus longue et plus souple.S'ils se précipitaient sur lui tous enmême temps, ils l'emporteraient.En effet, il ne comprenait paspourquoi ils ne l'avaient pas déjàécrasé ; malgré son manteau noir,sa cravate blanche comme neige etses manchettes blanches letransformaient en cible très visible.Puis, il les vit tous les trois échangerun autre regard méfiant; il trouva
l'inspiration. Il sourit, démoniaque.— L'enfer n'est pas un si
mauvais endroit, fiez-vous à maparole. Diaboliquement chaud, biensûr, et la douleur ne finit jamais,mais je peux vous garantir qu'onvous fera une place à tous les trois.
Ils échangèrent un autreregard, puis le chef tenta unricanement très peu réussi.
— Vous ressemblez p't-être àSatan, mais z'êtes pas lui. Z'êtesseulement un homme, vot' sangcoulera librement. C'pas nous qui
d'vons mourir ce soir.Il jeta un coup d'œil aux deux
autres.— V'nez, finissons-en.Sur ces mots, il leva son épée.Son préavis, bien sûr, n'était pas
des plus avisés. Devil les affronta,devant et à droite ; le marin à sagauche, entravé par les barils, restaen arrière d'une manière prévisible.Des étincelles volèrent quand uneépée croisa l'acier joliment trempéde la canne et s'éloigna dans unglissement; bloquant l'assaut du
chef avec sa canne, Devil la fitsuivre d'un rapide coup qui perça lachair.
Il dégagea le fer, bloquantsimultanément le deuxième coupdu chef; l'épée, maniée avec force,fit une embardée sur le bois poli etfrappa sa main, serrée dessus. Lacoupure n'était pas grave, il était entrain de reculer à ce moment-là,mais la canne devint rapidementcollante sous ses doigts. Étouffanttoute réaction à la blessure, Devillança sa mince lame vers le chef.
L'homme bondit en arrière alorsque la pointe fine piquait son torse.
Devil jura ; l'homme à sagauche se rapprochait, impatient deprendre part à l'assassinat. Les troistueurs se regroupèrent, levantchacun leur arme.
— Salut ! Tiens bon !Une grande silhouette bloquait
la lumière de Hays Mews. Des pasqui accouraient résonnèrent entreles murs ; une seconde silhouettesuivit la première.
Devil saisit l'occasion, frappant
le chef avec précision.
L'homme cria, puis recula enchancelant, serrant son bras droit.Son épée tomba de ses doigtsinertes. Le fracas consterna sescompagnons — ils regardèrentautour d'eux, puis lâchèrent leurs armes. Tous lestrois pivotèrent et s'enfuirent.
Devil se lança à leur poursuite— et trébucha sur la forme affaisséede l'homme qui devait le sauver
gisant encore immobile à ses pieds.Vane, son propre fourreau et
son épée en main, s'arrêta endérapant à côté de lui.
— Qui diable étaient-ils ?Côte à côte, les cousins
regardèrent les trois ombres deforte carrure disparaître sous lalueur de Berkeley Square. Devilhaussa les épaules.
— Nous ne nous sommes pasprésentés.
Vane baissa la tête.— Tu en as eu un.
Se penchant, il tourna l'hommesur le dos.
— Non.Devil examina son bon
Samaritain comateux.— Il a essayé d'aider et il a reçu
un rude coup sur l'oreille pour sapeine. Étrange à dire, je pense qu'ils'agit d'un de mes valets d'écurie.
Haletant, Sligo les rejoignitbruyamment. Son regard balayaDevil, puis il s'affala contre le mur.
— Vous allez bien ?Devil haussa les sourcils, puis
rengaina sa canne-épée, remettantla lame en place d'un clic.Transférant la canne d'apparenceinnocente dans sa main droite, ilexamina la gauche.
— À part une coupure, qui nesemble pas grave.
— Dieu merci.Appuyé contre le mur, Sligo
ferma les yeux.— La patronne ne me l'aurait
jamais pardonné.Devil fronça les sourcils —
d'abord vers Sligo, puis Vane.
Son cousin examinait les troisépées abandonnées.
— Drôle d'histoire.Se penchant, il les ramassa.— Pas l'arme clandestine
habituelle.Devil prit une des épées et la
soupesa.— Étrange, en effet. Elles
ressemblent à de vieilles armesdistribuées par la cavalerie.
Après un moment, il ajouta :— Vraisemblablement, ils
savaient que je porte une canne-
épée et que j'allais l'utiliser.— Ils savaient également qu'ils
devraient être trois pour faire leboulot.
— N'eut été de lui, Devilindiqua l'homme au sol, ils auraientréussi.
Il se tourna vers Sligo.— As-tu une idée de la raison
de sa présence ici ?Le ton de la question était doux
; Sligo resta dans l'ombre et hochala tête.
— Sûrement sorti pour la
soirée et en route pour rentrer. Ilvous a vu avec les autres ; vous êtesassez facile à reconnaître.
— Hum. Tu ferais mieux de leramener à la maison et t'assurerqu'on le soigne. Je vais le voirdemain : un dévouement venant àpoint nommé comme ça ne devraitpas rester sans récompense.
Prenant note mentalementd'expliquer au second valet d'écuriequ'il avait eu un soir de congé,Sligo souleva l'homme et le déposasur son épaule: Tout en nerfs et
habitué à de tels fardeaux, ils'avança dans la ruelle, progressantrégulièrement d'un pas lourd.
Devil et Vane le suivirentparesseusement. Alors qu'ilssortaient de la ruelle, Devil jeta uncoup d'œil à Vane.
— En parlant d'événementsopportuns, qu'est-ce qui vous aamené ici tous les deux ?
Vane rencontra son regard.— Ta femme.Les sourcils de Devil
s'arquèrent.
— J'aurais dû le deviner.— Elle était paniquée lorsque je
suis parti.Vane le regarda brièvement.— Elle s'inquiète pour toi.Devil grimaça ; Vane haussa les
épaules.— Elle saute peut-être aux
conclusions, mais celles-ci se sonttrop souvent avérées. J'ai décidé dene pas discuter. La ruelle était unendroit évident pour uneembuscade.
Devil hocha la tête.
— Très évident.Vane regarda devant lui; Sligo
se frayait un chemin autour deGrosvenor Square. Vane ralentit.
— Honoria t'a-t-elle parlé deton héritier ?
Devil lui jeta un regard de biais.— Oui.Les yeux se plissant, Vane lui
rendit son regard.— Depuis combien de temps le
sais-tu ?Devil soupira.— Je ne le sais toujours pas, je
le soupçonne. Je ne peux pas direprécisément quand je l'ai compris ;j'ai juste soudainement vu lapossibilité.
— Alors?Les traits de Devil se
contractèrent.— Alors, je veux découvrir ce
que je peux de cette tenancière,vérifier ce détail, le cas échéant.Bromley a Confirmé l'endroit et lemoment de cette rencontre.Après... Il grimaça. Nous avonsbien peu de preuves — nous
devrons peut-être l'amener à sedévoiler.
— Un piège ?Devil hocha la tête.L'expression de Vane se durcit.— Avec toi comme appât ?Ils avaient atteint les marches
de la Maison St-Ives. Devil leva latête vers sa porte.
— Avec moi — et HonoriaPrudence — en tant qu'appât.
La suggestion stupéfia Vane ;quand il reprit ses esprits,Devil grimpait les marches.
Webster ouvrit la porte au momentoù Sligo, transportant son fardeau,l'atteignait.
Ouvrant largement la porte,Webster appela pour demanderune assistance, puis il aida Sligo.
Faisant les cent pas dans lagalerie, se tordant les mains devantson impuissance frustrante,Honoria entendit le chahut. Dansun bruissement de soie et deplumes, elle se précipita vers larampe. Le spectacle qu'elle eutsous les yeux n'était pas destiné à
la rassurer.Webster et Sligo transportaient
un corps.Honoria pâlit. Pendant un
instant, son cœur s'arrêta; sapoitrine se serra si fortement, ellene put plus respirer. Puis, elleréalisa que le corps n'était pas celuide Devil — une vague desoulagement étourdissante lafrappa. L'instant suivant, son maripassa le seuil de sa maison, commetoujours d'une élégance ineffable.Vane suivit.
Il transportait trois épées et sacanne de marche.
Devil portait sa canne à bout enargent. La canne était striée de sang; le dos de sa main gauche étaitrouge vif.
Honoria oublia tout et tout lemonde. Dans un murmure de soie,des plumes s'éparpillant dans sonsillage, elle vola en bas desmarches.
Sligo et deux valets de piedavaient pris en charge le valet
d'écurie inconscient; Websterrefermait la porte. Ce fut Vane quila vit en premier ; il poussalégèrement sur le coude de Devil.
Devil leva la tête — et ce futtout juste s'il réussit à ne pas àrester bouche bée. Le peignoir de safemme n'était pas transparent, maislaissait peu de place à l'imagination; la soie douce et très fine collaitaux courbes délicatement arrondieset aux longs membres minces.Brusquement, son visage se ferma;
réprimant un juron, il se dirigea àpas pressés vers l'escalier. Il n'eutque le temps de lancer sa canne àWebster avant qu'Honoria se jettecontre lui.
— Où êtes-vous blessé ? Ques'est-il passé ?
Dans tous ses états, elle fitcourir ses mains sur son torse,cherchant des blessures. Ensuite,elle tenta de s'écarter et del'examiner.
— Je vais bien.
De son bras droit, Devill'emprisonna contre lui. Lasoulevant, il poursuivit sonascension, son corps la dissimulantau vestibule à l'étage inférieur.
— Mais vous saignez !Honoria se tortilla, s'efforçant
de voir s'il y avait des plaies.— Une simple égratignure —
vous pourrez vous en occuper dansnotre chambre.
Devil souligna grassement lestrois derniers mots. Atteignant le
haut des marches, il jeta un coupd'œil à Vane en bas.
— Je te reverrai demain.Vane rencontra son regard.— A demain.— La plaie se trouve-t-elle sur
votre main ou votre bras?Honoria se renversa à moitié
dans les bras de Devil, essayant devoir.
Devil ravala un juron.— Sur ma main. Restez
tranquille.Resserrant son étreinte, il se
dirigea vers leurs appartements.— Si vous prenez l'habitude de
vous affoler en attendant que jerentre, vous devrez investir dansdes vêtements de nuit plusappropriés.
Le commentaire sévère ne fitaucune impression sur laconscience d'Honoria.
Résigné, Devil la déposa dansleur chambre et s'abandonna àl'inévitable. Retirant docilement sachemise, il s'assit à un bout du lit etla laissa baigner la coupure. Il
répondit à toutes ses questions —franchement ; elle allait entendreles détails de sa femme de chambrele lendemain de toute façon.
Madame Hull apparut avec unpot de baume et des bandages. Ellese joignit à Honoria et claqua lalangue en le regardant. Ensemble,elles bandèrent la coupure avecdeux fois plus de bandelettes quenécessaire. Il garda toutefois lalangue dans sa bouche et se soumithumblement; madame Hull lui jetaun œil méfiant quand elle partit.
Honoria continua à jacasser, sa voixcrispée et fébrile, le regard nerveux.
— Des épées ! Quel genre devoyous attaquent des gentlemenavec des épées ?
Elle gesticula furieusement.— Cela ne devrait pas être
permis.Devil se leva, attrapa sa main et
la traîna à travers la pièce. Il s'arrêtadevant la commode, versa deuxverres de brandy et, les prenanttous les deux d'une main, ilremorqua Honoria derrière lui — sa
litanie d'exclamations se tarissantgraduellement — jusqu'au fauteuilen face du feu. Se laissant tomberdessus, il attira sa femme sur sescuisses, puis lui tendit un verre.
Elle se tut en l'acceptant. Puis,elle frissonna.
— Buvez-le.Devil guida le verre jusqu'à ses
lèvres.Le prenant délicatement entre
ses mains, Honoria but une gorgée,puis une deuxième. Ensuite, elletrembla, ferma les yeux et s'appuya
contre lui.Un bras autour d'elle. Devil la
tint près de lui.— Je suis encore ici.Il pressa ses lèvres sur sa tempe.— Je vous ai dit que je ne vous
quitterais pas.Inspirant avec difficulté,
Honoria se blottit plus près,reposant sa tête dans le creux deson épaule.
Devil patienta jusqu'à ce qu'elleait vidé son verre, puis la transportadans leur lit, la soulageant de son
peignoir avant de la déposer entreles draps. Quelques moments plustard, il la rejoignit, l'attirant dansses bras. Et il entreprit de luiprouver de la façon la plusconvaincante qu'il connaissait qu'ilétait encore vigoureux et entier,bien en vie.Honoria dormit tard le lendemainmatin, néanmoins, elle fut loin dese sentir revigorée lorsqu'elles'éveilla. Après le thé et une rôtieapportés sur un plateau dans sachambre, elle se dirigea vers son
petit salon. Sa tête lui semblaitconfuse, son esprit encore nerveux.S'installant sur la méridienne, elleprit son ouvrage de broderie.Quinze minutes plus tard, ellen'avait toujours pas brodé un seulpoint.
Soupirant, elle mit le canevasde côté. Elle se sentait aussi fragileque la délicate dentelle qu'ellecréait. Ses nerfs étaient tendus; elleétait convaincue que l'oragecouvait, perturbant son avenir,attendant de tout balayer et
frapper — et de lui enlever Devil.Il comptait tellement pour elle.
Il était le centre de son existence —elle ne pouvait pas imaginer vivresans lui, tout tyran arrogant qu'ilétait. Ils évoluaient si bien ensemble,pourtant quelqu'un n'était pascontent qu'il en soit ainsi.
Cette pensée lui fit froncer lessourcils. Elle pouvait imaginer cethomme comme un nuage noir,soufflant toujours plus haut,néanmoins, ce n'était qu'unhomme.
Elle s'était réveillée tôt pourdécouvrir Devil assis à côté d'ellesur le lit, lui caressant les cheveux.
— Reposez-vous, avait-il dit.Aucune raison pour vous de vouslever et commencer votre journée.
Il avait scruté son visage, puisl'avait embrassée.
— Prenez soin de vous. Jedésapprouverais vous retrouver indisposée et blême.
Avec un sourire de travers, il seleva.
— Serez-vous dans les environs? avait-elle demandé.
— Je serai de retour pour dîner.C'était bien beau, mais le dîner
n'arriverait pas avant des heures.Honoria fixa la porte. Quelque
chose était sur le point de seproduire — elle le sentait dans sesos. Un frisson lui traversa l'échine ;elle trembla, mais elle n'abandonnapas ses pensées troublantes.Néanmoins, elle ne pouvait penserà aucune action, rien qu'ellepouvait faire pour contrer le
danger imminent. Elle étaitimpuissante. Sans défense.
Un petit coup à la porteinterrompit sa sombre rêverie.Sligo entra, portant un plateau enéquilibre.
— Madame Hull s'est dit quevous aimeriez peut-être un peu deson thé spécial. Elle le prépare elle-même, ça oui.
Il déposa son fardeau sur latable basse et servit adroitementune tasse.
La réaction immédiate
d'Honoria fut un refus catégorique— son estomac lui semblait aussifragile que son état mental. L'odeurapaisante qui s'éleva de la vapeurlui fit changer d'avis.
— De la camomille, voilà ce quec'est.
Sligo lui tendit la tasse.Honoria l'accepta et but, puis se
souvint du valet d'écurie.— Comment se porte Carter ?— Mieux. Il a une bosse de la
taille d'un œuf, mais le cap'taine l'aremercié tout spécialement ce
matin ; Carter dit qu'il la sent àpeine maintenant.
— Bien. Je t'en prie, transmets-lui aussi mes remerciements.Honoria but. Carter avait-il lamoindre idée de l'endroit d'oùvenaient les hommes qui ontattaqué Sa Seigneurie ?
Sligo joua avec le napperon surle plateau.
— Pas en tant que tel. Il a biendit qu'ils ressemblaient à desmatelots.
Honoria fixa son regard sur son
visage.— Sligo, Carter a-t-il surpris
quelque propos que ce soit?Sligo changea de position.— Il a entendu dire par les
deux qu'il a suivis qu'ils allaient serencontrer plus tard à l'Anchor'sArms.
— À l'Anchor's Arms ?— Une taverne près des docks.Un démon poussa Honoria à
agir ; elle l'ignora.— Sa Seigneurie a-t-elle été
informée des souvenirs de Carter ?
— Non, m'dame. Carter arepris tous ses esprits il y aseulement une heure.
Honoria choisit la voie de lasagesse.
— Rapporte immédiatementl'information de Carter à SaSeigneurie.
Sligo se mordit la lèvre etdéplaça son poids d'une jambe àl'autre.
Honoria observa ses traits quine payaient pas de mine alors quel'incrédulité s'emparait d'elle.
— Sligo, où est-il ?Sligo se redressa.— Le cap'taine a dû
comprendre notre plan. Quand lesgars se sont préparés à le suivre cematin, il les a semés. Vite fait, bienfait.
— Bien fait !Honoria s'assit droite comme
un i.— Il n'y a rien de bien là-
dedans.Et voilà qu'ils se retrouvaient
ici avec une piste potentiellement
précieuse à explorer, et son maris'était lui-même mis hors service.Loin de leurs yeux vigilants. Elleremit sa tasse de thé à Sligo, sefélicitant en son for intérieur de nepas l'avoir lancé. Elle n'avait pasencore perdu l'esprit au point dedevenir hystérique parce qu'unepersonne tentait de tuer Devil aucœur de Londres pendant lajournée. Elle voulait, par contre,que cet assassin en puissance soitattrapé sans délai. Les yeux plissés,elle examina Sligo.
— Où monsieur le duc prend-ilhabituellement son déjeuner ?
— À l'un de ses clubs, m'dame— White's, Waitier's ou Boodles.
— Envoie des valets de piedl'attendre à chacun des trois. Ilsdoivent informer monsieur le ducimmédiatement à son arrivée que jedésire lui parler dès que possible.
— Très bien, m'dame.
Chapitre 22
Quand quatorze heures sonnèrent,
Honoria avait commencé à
marcher de long en large. À seize
heures, elle convoqua Sligo.
— As-tu localisé Sa Seigneurie?
— Non, m'dame. J'ai des
hommes chez White's, Waitier's etBoodles ; nous le saurons dès qu'ilse montrera.
— Carter reconnaîtrait-il lesvoyous qu'il a suivis ?
— Pour sûr il les reconnaîtrait,c'est ce qu'il dit.
— Combien de temps lesbateaux restent-ils habituellementau port ?
— Deux à trois jours aumaximum.
Honoria inspira profondément.— Fais amener la voiture, celle
qui ne porte pas de blason.Sligo cilla.— M'dame?— Je présume que Carter est
assez remis pour nous aider ?— Nous aider ?Le visage de Sligo se vida de
toute expression.Honoria plissa le front.— Pour identifier les hommes
qui ont attaqué monsieur le ducs'ils se trouvaient à l'Anchor'sArms.
— L'Anchor's Arms?
— L'horreur remplaça l'airabsent de Sligo.
— Vous ne pouvez pas allez là-bas, m'dame.
— Pourquoi pas ?— Vous... vous ne pouvez pas,
c'est tout. C'est une taverne desdocks, pas le genre d'endroit oùvous vous sentiriez à l'aise.
— En ce moment, mon confortn'a pas grand importance.
Sligo se désespéra.— Le cap'taine n'approuverait
pas.
Honoria le cloua sur place d'unregard tout aussi menaçant queceux du maître de Sligo.
— Sligo, votre cap'taine n'estpas ici. Il s'est défait de sa laisse et ilest parti Dieu sait où. Nousdétenons actuellement uneinformation qui, si nous agissonspromptement, pourrait identifierson assassin en puissance. Si nousattendons jusqu'à ce que votrecap'taine daigne revenir, notreoccasion aura peut-être mis lesvoiles avec la marée du soir. En
l'absence de Sa Seigneurie, nous —toi et moi — accompagneronsCarter à l'Anchor's Arms. J'espèreque je me suis bien fait comprendre?
Sligo ouvrit la bouche — puis lareferma.
Honoria hocha la tête.— La voiture. Je vais me
changer.Dix minutes plus tard, vêtue de
sa robe de voyage brun foncé, elletraversa la galerie. Madame Hull setenait à côté des marches.
— Je vous demande pardon,madame, mais j'ai su que vousplanifiez aller visiter cette aubergeprès des docks. Un quartierterriblement dur, celui-là. Nepensez-vous pas, peut-être, qu'ilvaudrait mieux attendre...
— Madame Hull, vous nepouvez pas vous attendre à ce queje permette à l'assassin potentiel demon mari de continuer à le traquerpartout par manque d'un peu decourage. L'Anchor's Arms est peut-être bien tout ce que vous craignez,
mais je suis certaine que jesurvivrai.
Madame Hull grimaça.— J'f'rais la même chose moi-
même, m'dame — mais le maîtrene va pas aimer cela du tout.
Honoria commença àdescendre l'escalier. Websterattendait sur le palier ; il accordason pas au sien.
— J'aimerais suggérer,madame, que vous me permettiezd'y aller à votre place. Si nousdécouvrons les canailles qui ont
attaqué Sa Seigneurie, Sligo et moiles persuaderons de revenir ici etde s'entretenir avec Sa Seigneurie.
— Voilà!Madame Hull, suivant sur les
talons d'Hornoria, se pencha enavant.
— Il y a plus d'une façon derécurer un chaudron.
Honoria s'arrêta sur la dernièremarche. Sligo patientaitdebout près de la colonne del'escalier.
— Webster, ni vous ni Sligo ne
pouvez susciter une motivationsuffisante pour garantir lacoopération de tels hommes. Sinous les dénichons à l'Anchor'sArms, j'ai l'intention de leur offrirune récompense assez considérables'ils me révèlent sous serment lenom de l'homme qui les a engagés. Ils ne me craindront pasparce que je suis une femme ; ilsréfléchiront à ma proposition.Quand ils demanderont leurargent, je me rendrai à Child's
Bank. Monsieur Child m'assisteradans les négociations.
Elle marqua une pause, leregard effleurant chaque visageinquiet.
— Bien qu'il soit peu probableque Sa Seigneurie approuve maparticipation, moi, je n'approuvepas que quelqu'un essaie de le tuer.J'aimerais mieux affronter lemécontentement de Sa Seigneurieque risquer sa mort.
Elle descendit la marche.— Je vous mets dans la
confidence parce que je vous suisreconnaissante du souci que vousmontrez. Je suis, cependant,déterminée à suivre mon plan.
Après une minusculehésitation, Webster la suivit.
— En effet, madame. Mais jevous en prie, soyez prudente.
Sur un hochement de tête pleinde morgue, Honoria passa la porteavec élégance et descendit lesmarches. Sligo dut se précipiterpour ouvrir la porte de la voiture,car à ce moment-là, il ne restait
plus un seul valet de pied oud'écurie à la Maison St-Ives.
L'ennui avec le plan d'Honoriadevint évident dès l'instant où ilsatteignirent l'Anchor's Arms dansune rue étroite et crasseuse près desdocks. Un brouillard sulfureux,dense et épais, couronnait lesavant-toits de la taverne. Ungrondement de voix masculinesfiltra par la porte ouverte, ponctuépar d'occasionnels petits crisféminins.
Sligo et Carter avaient voyagésur la voiture; descendantlestement sur les pavés, Sligo jetaun coup d'œil aux alentours, puisouvrit tranquillement la portière.
Le visage éclairé par l'une deslampes du véhicule, Honoria arquaun sourcil.
— Il y a un problème.— Un problème ?Honoria jeta un coup d'œil par
la porte de la taverne. Les rabats encuir de la voiture étaient baissés surles fenêtres.
— Quel problème ?— L'endroit n'est pas sûr,
répondit Sligo en scrutant lesombres. Nous aurions dû amenerplus d'hommes.
— Pourquoi? Je vais rester icipendant que toi et Carter entrez. Siles hommes sont là, faites-les sortir.
— Qui va vous protéger lorsquenous serons dans la taverne ?
Honoria cligna des paupières.— John Coachman est sur le
toit.Alors même qu'elle prononçait
ces mots, le malaise de Sligo lagagna.
Il hocha la tête.— Il aura les mains pleines avec
son équipage. Si quelqu'unsouhaitait s'emparer de vous, il luisuffirait d'effrayer les chevaux. Et jene veux pas envoyer Carter seul. Sices hommes sont présents, ilpourrait ne pas revenir.
Honoria comprit; néanmoins,elle devait découvrir si les hommesétaient là.
— Je vais venir avec vous. Ce
n'est pas particulièrement bienéclairé ; si je reste dans l'ombre,personne ne m'accorderad'attention.
Sur ces mots, elle quitta sonsiège.
Sligo resta bouche bée —Honoria se renfrogna et il abaissales marches. Vaincu, il lui tendit lamain pour l'aider à descendre, puisfit signe à Carter de s'approcher.
— Si nous marchons devant,épaule contre épaule, on vousremarquera moins, m'dame.
Honoria hocha brièvement latête. Elle suivit sur les talons deSligo pendant que lui et Carterpassaient le seuil de la taverne.
Ils pénétrèrent dans une salle àplafond bas remplie de fumée —un silence de mort tomba. Toutesles conversations étaientsuspendues, instantanémentinterrompues. Sligo et Carters'arrêtèrent ; Honoria sentit qu'ilsse mettaient sur la défensive. Deshommes se prélassaient, affalés sur
un long comptoir ; d'autres étaientinstallés sur des bancs grossiersautour de tables rudimentaires.Toutes les têtes se tournèrentbrusquement dans leur direction ;des yeux habitués à examiner lesombres se centrèrent sans difficultésur elle. L'expression sur certainsvisages était étonnée ; la plupartdevinrent rapidement calculateurs.
D'autres prirent un airmalveillant. Le danger, palpable,écoeurant, pesait sur l'atmosphère
enfumée. Honoria le goûta, lesentit ramper sur sa peau.
Le barman, un individu à l'airstressé, réagit en premier.
— Vous êtes venu au mauvaisendroit.
Il les chassa de la main.— Nous n'avons pas ce que
vous voulez.— Allons, allons.Un bras costaud l'arrêta net. Un
corps assorti au bras se levapesamment de son banc.
— Ne sois pas si pressé, Willie.Qui peut dire ce que veut cetteélégante ?
Le regard concupiscent quiaccompagnait ces mots, dirigé surHonoria, la convainquit que lebarman avait raison.
— C'est vrai. La dame entre ici,elle doit savoir c'qu'elle veut.
Un autre grand sourire deterrassier, aussi large qu'unremorqueur, tomba à ses pieds.
— Plusieurs d'entre nous ici ont
p't'être c'qu'elle veut.Honoria le regarda dans les
yeux.— Vous avez tout à fait raison.La seule façon de s'en sortir
était par la ruse pure et effrontée.Repoussant Carter, elle s'avança.
— Vous pourriez très bienpouvoir m'assister. Cependant —elle laissa son regard survoler lestables —, je dois vous prévenir quemon mari et ses cousins — la barreSinistre, comme on les appelle —sont présentement en route pour
venir ici. Tous les six.Elle contempla le terrassier.— Ils sont tous plus grands que
vous.Elle se tourna vers le barman.— Je me permets de dire que
vous pouvez imaginer commentleur groupe a reçu son nom. Etmaintenant, ils ont découvert quetrois de vos clients ont attaqué l'und'eux hier soir. Ils viennentchercher vengeance, mais quand ilsarriveront ici, ils ne perdront pas detemps à vérifier les identités.
Le barman et les clientss'efforcèrent de comprendre sesparoles ; Honoria soupira en son forintérieur.
— Je pense qu'ils vont démolircette taverne, et tout le mondeprésent aussi.
Les terrassiers se hérissèrent ;des grognements rebelles volèrent.
— Si c't'une bagarre qu'ycherchent, y l'auront, déclara unvieux loup de mer musclé.
— Je vais me plaindre au juge,
bêla le barman.Honoria zieuta les terrassiers
d'un œil calculateur.— Six, tous plutôt costauds. Et...Elle regarda le barman.— Ai-je mentionné que mon
mari est duc ?Le visage de l'homme perdit
toute expression; elle sourit.— Son surnom est Devil. Ses
cousins Lucifer et Démonl'accompagneront.
Elle jeta un regard scrutateur àtravers la porte ouverte.
— Je n'ai pas vu le gardedehors.
Les terrassiers échangèrent desregards. Des récits de raidsorganisés par les mâles les moinscivilisés de la société étaient banals;les classes les plus pauvresessuyaient le plus fort des ravagesdestructeurs de cette sorte. La foulede l'Anchor's Arms était trop âgéepour risquer de voir leurs crânesfendus inutilement.
L'homme qui avait parlé enpremier la regarda avec défi.
— Qu'est-ce que vous fichez ici,alors ? Une duchesse et tout?
Honoria leva le nez sur lui.— Mon cher homme, vous avez
sûrement entendu dire que l'onexige des duchesses qu'elless'occupent de bonnes œuvres ?Sauver l'Anchor's Arms est mabonne action du jour.
Elle marqua une pause.— À condition, bien sûr, que
vous me disiez ce que j'ai besoin desavoir.
Le terrassier jeta un coup d'œil
à ses copains — plusieurshochèrent la tête. Toujours méfiant,il se retourna vers elle.
— Comment on sait qu'si onvous aide, vous pourrez empêcherc'Devil de tout casser d'toute façon?
— Vous ne le savez pas.Honoria soutint son regard.— Vous pouvez seulement
espérer.— C'est quoi qu'vous voulez
savoir ? dit une voix venue du fondde la pièce.
Honoria leva la tête.— Trois matelots se sont
rencontrés ici récemment. Je doisleur parler. Carter, décris les deuxque tu as vus.
Carter obéit; ils étaientplusieurs à se les rappeler.
— Ici hier soir, descendus duRising Star.
— Le Rising Star a levé l'ancrec'matin pour Rotterdam.
— Vous en êtes sûr ?La confirmation lui parvint de
plusieurs endroits dans la salle.
Le silence tomba. Lourd, froid,il glaça l'atmosphère. Avant mêmede se retourner, Honoria sut queDevil était arrivé.
Elle pivota pour lui faire face —et arrêta juste à temps sonclignement de paupières. Au lieu,elle avala. C'était lui, mais pasl'homme qu'elle voyaithabituellement. Celui-ci remplissaitl'espace devant la porte de saprésence menaçante ; uneagressivité à peine contenueémanait de lui par vagues. Sa tenue
élégante ne contribuait en rien àdissi- muler sa puissante carrure, ni le faitqu'il était parfaitement disposé àannihiler tout et tous ceux quiétaient assez imprudents pour luien fournir le moindre prétexte. Ilcorrespondait à l'image qu'elleavait créée de lui.
Ses yeux, froids et inexpressifs,la quittèrent, survolant la salle,recelant non pas un défi, mais unepromesse, une intention que
chaque homme pouvait ressentir.Vane se tenait à son côté ; à euxdeux, ils donnaient l'impressionque la taverne étaitinconfortablement bondée.
Alors que le regard de Devils'attachait au barman aux yeuxronds, Honoria fit apparaître unsourire et s'engagea dans la brèche.
— Vous voilà, mon seigneur.J'ai bien peur que les hommes quevous cherchez ne soient pas ici ; ilsont pris la mer ce matin.
Devil ne cilla pas. Son regard seposa sur le visage d'Honoria — desflammes remplacèrent la glace dansses yeux, mais ils demeuraientétrangement vides. Un sourcils'éleva un tout petit peu.
— Vraiment?L'unique mot, prononcé de sa
voix grave, ne donna aucun indicesur ses pensées. Pendant un instantdonné, la taverne au complet retintson souffle. Puis, il hocha la tête endirection du barman.
— Dans ce cas, veuillez nousexcuser.
Sur ces mots, Devil pivota,attrapant le bras d'Honoria, lapropulsant au-delà du seuil, lasoulevant à travers la portière de lavoiture que se hâta d'ouvrir Sligo etla mit à l'abri à l'intérieur.
D'un mouvement, Vane sortitde la taverne derrière eux ; il surgità côté de l'épaule de Devil alors quecelui-ci s'arrêtait brièvement, unebotte sur les marches de la voiture.
— Je vais prendre la voiture delouage.
Vane désigna de la têtel'endroit où attendait une petitevoiture.
L'expression sévère à l'extrême,Devil hocha la tête — il suivitHonoria dans la voiture. Sligoclaqua la portière ; John Coachmandonna un petit coup de poignet auxrênes.
Il fallut trois minutes de silencetendu avant que le conducteur
manœuvre la voiture pour la sortirde la rue étroite. Et une demi-heurede plus, également dans le silence,avant qu'il s'arrête dans GrosvenorSquare. Devil descendit. Il patientajusqu'à ce que Sligo descende lesmarches, puis il tendit la main.Honoria posa la sienne dedans ; ill'aida à descendre et la guida enhaut de l'escalier de la maison
Webster ouvrit la porte, sonsoulagement si intense qu'il sevoyait sur son visage. Puis, il
remarqua celui de son maître —immédiatement, son expressionredevint imperturbable.
Pénétrant d'un pas élégant dansle vestibule, ses doigts sur un brasdonnant plus l'impression detoucher la pierre que la chairhumaine, Honoria garda la têtehaute.
Devil s'arrêta dans le halld'entrée.
— Si vous voulez bienm'excuser, ma chère, je dois parler
à Sligo.Son ton était froid, monocorde
et pas tout à fait assuré, sa surfaceglaciale agitée par une rage à peineréprimée.
— Je vais vous rejoindre souspeu. En haut.
Pour la première fois ce soir-là,Honoria vit clairement son visage,éclairé par le lustre très haut au-dessus de leurs têtes. Plus pâle qued'habitude, chaque trait durnettement dessiné, le tout pas plus
animé qu'un visage de mort danslequel ses yeux brûlaient d'unelumière étrangement sombre. Ellerencontra carrément son regardnoir.
— Sligo agissait sur mes ordres.Devil arqua un sourcil,
l'expression froide.— Vraiment?Honoria observa ses yeux, puis
inclina la tête. Et elle pivota versl'escalier. Dans son humeuractuelle, en dire plus long seraitcontre-productif.
Raide, Devil la regarda monter.Quand elle disparut de sa vue, ilreporta son regard sur Sligo.
— Dans la bibliothèque.Sligo se précipita à l'intérieur ;
Devil le suivit plus lentement.Passant le seuil, il marqua unepause; un valet de pied referma laporte. Sligo se tenait au garde-à-vous d'un côté du bureau. Devilpermit au silence de s'étirer avantd'effacer la distance entre eux.
Normalement, il se serait assis àson bureau; ce soir, la rage qui le
consumait ne lui laissait aucunrepos. Il s'arrêta devant les longuesfenêtres donnant sur la courobscure.
Des mots remplissaient soncerveau, se battaient pour obtenirla priorité dans sa bouche, un délirevociférant de fureur réclamant àgrands cris de s'exprimer. Lamâchoire serrée, il s'efforça de laretenir. Il ne se rappelait pas avoirjamais auparavant ressenti une tellerage — si lourde de tension qu'ilétait glacé jusqu'à la moelle, si
puissante qu'il pouvait à peine lacontenir.
Il jeta un coup d'œil à Sligo.— Un valet de pied qui est
tombé sur moi par hasard m'ainformé au St-James que madamela duchesse était en route pourl'Anchor's Arms. Avant que j'aie puappeler une voiture de louage, troisautres employés de ma maison sontapparus, apportant des nouvellessimilaires. Il semble qu'une bonnemoitié de mon personnelparcourait les rues à ma recherche,
au lieu d'obéir à mes ordres et deprotéger ma femme! Comment diablea-t-elle entendu parler de l'Anchor'sArms en premier lieu ?
Sligo tressaillit.— Elle m'a posé la question, je
lui ai répondu.— Par tous les saints, à quoi as-
tu pensé en l'amenant là-bas ?La porte s'ouvrit au plus fort de
son rugissement. Deviljeta un regard furieux à Webster.
— Je ne souhaite pas êtredérangé.
— En effet, Votre Seigneurie.Webster contourna la porte, la
tint ouverte pour madame Hull,puis la referma.
— Madame Hull et moidésirions nous assurer que vous nepartiez pas avec de fausses idées.
— Il est extrêmement difficiled'être entraîné par de fausses idéesen découvrant ma femme dans unetaverne des docks.
Les mots étaient tranchantscomme le verre; Webster pâlit, maispersévéra.
— Je pense que vous voulezapprendre comment tout cela s'estproduit, mon seigneur. Sligo n'apas agi seul. Nous connaissionstous, moi-même, madame Hull etSligo, l'intention de madame laduchesse. Nous avons chacun tentéde la dissuader, mais ayant écoutéses raisons, nous ne pouvions paslégitimement nous mettre entravers de son chemin.
Les poings fermés si fortementqu'ils lui faisaient mal, la mâchoirecontractée presque au point de plus
s'ouvrir, Devil parla à travers sesdents serrées.
— Quelles raisons ?Webster détailla le plan
d'Honoria ; madame Hull tira auclair ses raisons.
— Totalement compréhensible,à mon avis.
Elle renifla d'une manièredéfensive.
— Elle était inquiète ; nousl'étions tous. Cela paraissait unechose parfaitement logique à faire.
Devil ravala la tirade qui bonditsur ses lèvres. Sa colère brûlante,bouillonnant sous la mince façadede comportement civilisé, il plissales yeux vers eux.
— Sortez ! Tous autant que vousêtes.
Ils partirent, refermantdoucement la porte. En seretournant brusquement, Devil fixason regard dans la nuit. Sligon'approuvait pas les femmes de lahaute société, Webster était d'un
dévouement guindé à l'extrême etmadame Hull était ultraconservatrice — néanmoins, ilsavaient tous été subornés par safemme. Et ses raisons.
Depuis qu'il avait épouséHonoria Prudence Anstruther-Wetherby, il était dans les raisonsjusqu'au cou — ses raisons à elle.Lui aussi avait des raisons — debonnes raisons logiques, solides.Cependant, ce n'était pas avec sonpersonnel qu'il avait besoin de les
partager. Étant arrivé à cetteconclusion, Devil tourna les talonset sortit avec raideur de labibliothèque.
Marchant à grandes enjambéesvers les appartements ducaux, il sefit la réflexion qu'Honoria avaitréussi à protéger de sa colère sestrois comparses, sans même êtreprésente. Évidemment, s'il avait pulaisser libre cours à une partie de lafureur bouillante tournoyant en luien la faisant passer sur eux, elle ne
serait pas sur le point de l'affronterelle-même.
Dans l'état actuel des choses...Atteignant l'extrémité du
corridor, il ouvrit violemment laporte, puis la fit claquer derrièrelui.
Honoria ne sursauta même pas.Elle se tenait devant le foyer, têtehaute, une déterminationinébranlable dans chaque trait. Lesjupes de sa robe de voyage bruneétaient dorées par le feu dans sondos ; ses soyeuses boucles châtaines
sur sa tête brillaient. Ses mainsétaient lâchement entrelacéesdevant elle ; son visage était pâle,mais calme, ses yeux ronds, le bleugris ne montrant aucun signed'agitation. Son menton jolimentrond d'Anstruther-Wetherby étaitdécidé.
Délibérément, Devil avançaavec raideur vers elle, observantson menton se relever alors qu'ellegardait les yeux sur lui. Il s'arrêtadirectement devant elle.
— Vous m'avez donné votre
parole que vous ne poursuivriez pasactivement l'assassin de Tolly.
Calmement, Honoria arqua unsourcil.
— L'assassin de Tolly ; je n'aifait aucune promesse de rester à nerien faire pendant que quelqu'unessayait de vous tuer.
Des ombres bougèrent dans lesyeux assombris de Devil. Il penchala tête.
— Très bien, vous pouvez mefaire cette promesse maintenant.
Honoria se redressa. Devil la
surplombait encore.— Je ne peux pas faire ça.Les yeux, à peine deux fentes,
plus noirs que verts, il s'approcha.— Vous ne pouvez pas, ou vous
ne voulez pas ?Honoria tint bon.— Je ne peux pas.Les yeux dans les siens, sa
mâchoire se serra lentement.— Et je ne veux pas. Vous ne
pouvez pas sérieusement vousattendre à cela de ma part.
Pendant trois battements de
cœur, Devil soutint son regard.— Je suis mortellement sérieux.Il s'appuya d'une main sur le
manteau de la cheminée, son corpsse rapprochant, son visage près decelui d'Honoria.
— Les femmes — les épouses— sont censées demeurertranquillement assises à la maison àbroder et non pourchasseractivement des bandits. Elles sontcensées être à la maison quand leursmaris rentrent et non en train deflirter avec le danger sur les docks !
Fermant brièvement les yeux, ils'efforça de réprimer son envie derugir. Puis, il retint le regardd'Honoria et poursuivit :
— Je veux votre promesse quevous ne vous adonnerez plus à desescapades comme celled'aujourd'hui, que vous resterez ensûreté chez nous et que vous nevous soucierez plus de suivre lapiste du meurtrier de qui que ce soit.
Les yeux plongés dans les siens,il leva un sourcil noir.
— Eh bien?
Honoria soutint calmement sonregard.
— Eh bien, quoi ?Devil réussit tout juste à retenir
un rugissement.— Eh bien, donnez-moi votre
promesse !— Quand les poules auront des
dents !Les yeux d'Honoria jetèrent des
éclairs.— Je ne resterai pas docilement
assise pendant qu'une personnetente de vous enlever à moi. Je suis
v o t r e duchesse — pas unespectatrice désintéressée. Je ne vaispas broder tranquillement enattendant des nouvelles quandcelles-ci pourraient annoncer votremort. En tant qu'épouse, j'ai ledevoir de vous aider — si, dans cecas, cela signifie emprunter unevoie dangereuse, qu'il en soit ainsi.
Son menton, relevé haut ensigne de défi, s'éleva encore d'uncran.
— Je suis une Anstruther-Wetherby ; je suis tout aussi
capable d'affronter le danger et lamort que vous. Si vous vouliez unefemme docile et complaisante, cen'est pas moi que vous auriez dûépouser.
Momentanément abasourdi,davantage par sa véhémence queses paroles, Devil la dévisagea.Ensuite, le pli sur son fronts'approfondissant, il secoua la tête.
— Non.Honoria plissa le front à son
tour.— Non, quoi ?
— Non à tout ce qui a été dit,mais non plus particulièrement aufait qu'il est de votre devoir dem'assister dans la chasse aumeurtrier. En tant qu'épouse, vousn'avez d'autres devoirs que ceuxque je juge appropriés. À mes yeux,il n'y a rien — aucun devoir,aucune raison — qui pourraitjustifier de vous mettre en danger.
Leurs visages étaient éloignésde quinze centimètres; si Honoria
n'avait pas senti là fureur étrangléequi s'était emparée de son grandcorps, qui irradiait de lui, ellen'aurait pu rater la note tranchantedans ses mots. Ses yeux seplissèrent.
— Cela, je ne l'accepte pas.Elle n'avait pas l'intention de
plier devant sa rage.Les lèvres de Devil se
recourbèrent légèrement ; sa voix,quand il parla, était grave ethypnotique.
— Cela, vous allez l'accepter.
Ce fut pour elle un effort de nepas frissonner, de détourner sonregard du sien avec soumission, ceregard si pénétrant, si convaincantqu'il ressemblait à une forcephysique. Par pure volonté, par purentêtement, Honoria rencontraposément ce regard intimidant.
— Vous avez tort sur tous lespoints. J'ai perdu d'autrespersonnes avant contre des forcesque je ne pouvais pas influencer ; jen'ai pas pu les aider, je n'ai pas pules sauver.
Sa mâchoire se contracta;momentanément, elle serra lesdents.
— Je ne vais pas rester là sansréagir et permettre qu'on vousenlève à moi.
Sa voix trembla; des éclairsargentés illuminèrent les yeux deDevil.
— Bon sang ! Vous pensez queje vais permettre qu'on m'élimine ?
— Pas intentionnellement,mais c'est moi qui ai détecté lepoison.
Devil chassa ce fait d'un geste.— C'était ici.Il observa son visage, ses yeux.— À l'intérieur de cette maison,
vous pouvez surveiller mes arrièresautant que vous le désirez, maisvous resterez hors d'atteinte dudanger. Vous avez parlé de devoir— c'est mon devoir de vousprotéger et non l'inverse.
Honoria s'apprêta à hocher latête; Devil attrapa son menton aubout de sa main et emprisonna sonregard dans le sien.
— Promettez-moi que vousferez ce que je demande.
Honoria inspira aussiprofondément que sa poitrineserrée le lui permettait, puis elle fitsigne que non.
— Non; laissez le devoir decôté, nous avons parlé de raisons,une raison qui justifie toutes mesactions pour sauvegarder votre vie.
Elle parla doucement, dans unsouffle; elle devait lui fairecomprendre.
— Ma raison en est une qui ne
souffrira aucune objection.Le visage de Devil se durcit. Sa
main retomba ; il recula. Les yeuxplongés dans les siens, Honorias'accrocha à ce contact, refusant dele laisser se retirer totalementderrière son masque. Elle inspirarapidement et lâcha les mots :
— Je vous aime, plus que je n'aijamais aimé personne. Je vous aimeprofondément, au-delà de la raison.Et je ne pourrais jamais vous laisserpartir, vous laisser enlever à moi ;cela équivaudrait à laisser partir la
vie, parce que vous êtes la vie pourmoi.
Devil s'immobilisa. Pendant uninstant déchirant, il regardaHonoria dans les yeux; ce qu'il y vitlui serra le cœur. Il s'arracha à sonregard et se détourna brusquement.Il marcha à grands pas vers la porte,puis s'arrêta. Les mains roulées enboule sur ses flancs, le torse segonflant, il laissa tomber sa tête enarrière et fixa le plafond. Ensuite,en expirant, il baissa la tête. Il parlasans se retourner.
— Votre raison n'est pas assezbonne.
Honoria leva le menton.— Elle l'est pour moi.— Bon sang, femme !Furieux, Devil se tourna vers
elle.— Par tous les saints, comment
imaginez-vous que je suis censéfonctionner, sachant que, à toutmoment, vous pourriez flirter avecDieu sait quel danger — tout celaau nom de ma protection ?
Sa voix s'éleva jusqu'à un
beuglement qui secoualittéralement le lustre. Gesticulantviolemment, il marcha férocementde long en large, comme un félinde la jungle pris au piège.
— Avez-vous la moindre idéede ce que j'ai éprouvé lorsque j'aiappris où vous vous trouviezaujourd'hui ?
Brillants sous l'accusation, lesyeux de Devil parcoururentHonoria.
— Pouvez-vous même imaginerce que j'ai ressenti quand j'ai passé
la porte de cette taverne ?Il s'arrêta directement devant
elle.Honoria retint son souffle au
moment où ses yeux se fixèrent surles siens.
— Savez-vous ce qui aurait puse produire dans un tel endroit ?
Sa voix s'était calmée, il avaitadopté un ton de froide prophétie.
— Ils auraient pu frapper Sligoet Carter à coups de couteau, lestuer sans scrupule. Ensuite, ils vousauraient violée, l'un après l'autre. Si
vous aviez survécu, ils vousauraient tranché la gorge.
Devil parla avec une convictionferme ; c'était la vérité — une véritéqu'il avait dû affronter. Les musclesde ses épaules remuèrent ; il seraidit, réprimant la rage qui lefaisait réagir, s'accrochantfarouchement à la réalité de lafemme debout devant lui, mince,droite et indemne. Une secondeplus tard, il se surprit à tendre lamain vers elle — brusquement, il sedétourna, recommençant à
arpenter la chambre, puis il s'arrêta.Dos à Honoria, il prit respira
avec difficulté.— Comment diable croyez-
vous que je me serais senti alors !, siquelque chose vous était arrivé ?
Il marqua une pause, puisdéclara d'un ton neutre :
— Je ne peux pas vousencourager à braver le danger pourm o i . Vous ne pouvez pas medemander cela.
Le silence tomba ; Devil reportason regard sur Honoria.
— Me donnerez-vous votreparole que vous ne vous mettrezplus consciemment en danger?
Honoria soutint son regard,puis, lentement, elle hocha la tête.
— Je ne peux pas.Il regarda immédiatement
devant lui, sa fureur clairementdessinée sur les lignes rigides deson dos, nettement exprimée dansun seul juron violent.
— Je ne peux tout simplementpas.
Honoria écarta les mains.
— Je ne veux pas me montrertêtue, mais vous devez voir que jene peux pas...
Ses mots furent noyés sous unrugissement à moitié étranglé;l'instant suivant, Devil ouvrit laporte avec violence. Honoria seraidit.
— Où allez-vous ?— En bas.— Ne vous avisez pas de partir.S'il le faisait, reviendrait-il ?— Je n'ai pas terminé...La main sur la poignée de
porte, Devil se tourna, l'empalantsous son regard vert.
— Si je ne pars pas, vous nepourrez pas vous asseoirconfortablement pendant unesemaine.
Avant qu'elle puisse réagir, ilclaqua la porte. Honoria écouta sespas, inhabituellement lourds etvaincus. Elle resta debout devant lefeu, le regard fixé sans les voir surles panneaux de la porte pendanttrès longtemps.
Une fois dans la bibliothèque, Devilse lança dans un fauteuil. Uninstant plus tard, il bondit etcommença à faire les cent pas. Il nes'adonnait jamais à cette activité —l'action était trop indicatrice à songoût d'une perte de maîtrise de soi.S'il continuait ainsi, il allait tracerune piste dans le tapis. Lâchant ungémissement interminable, il laissatomber sa tête en arrière et seconcentra sur sa respiration,laissant sa rage impuissante secalmer. Dans le fatras d'émotions
qui tourbillonnait en lui, toutappelait la femme qu'il avait prisepour épouse.
Sa mâchoire et ses poings seserrèrent ; encore une fois, ils'obligea à se délasser. Un par un,ses muscles tendus se relâchèrent; ilfinit par se détendre. Les yeuxtoujours clos, il regarda en lui,passant ses réactions au crible pourvoir ce qui se cachait dessous.
Quand il vit de quoi il s'agissait,il ne fut pas impressionné.
Honoria gérait le
développement inattendubeaucoup mieux que lui. Mais alors,elle l'avait déjà vécu, bien qu'avecmalheur. Il n'avait jamais rienexpérimenté de semblable avant.
En fait, il n'avait pas connu lavéritable peur, même sur le champde bataille. Il était un Cynster ; ledestin prenait soin des Cynster.Malheureusement, il n'était pasassez optimiste pour supposer quela bienveillance du destin s'étendaitaux épouses Cynster. Ce quil'amenait à combattre une frayeur
qu'il ignorait totalement commentvaincre.
Expirant lentement, il ouvrit lesyeux. Écartant les doigts, il lesexamina. Ils étaient presque stables.Ses muscles, tendus pendant silongtemps, lui semblaient glacés àprésent.
Il jeta un coup d'œil au carafon,puis grimaça. Reportant son regardsur les flammes dansantjoyeusement dans l'âtre, il marquaune pause, puis, délibérément,ouvrit la porte à sa mémoire. Et il
laissa les paroles d'Honoria leréchauffer.
Il fixa les flammes si longtempsque lorsqu'il poussa un long soupiret se tourna vers la porte, ellesdansaient encore devant ses yeux.
Honoria frissonnait sous lescouvertures non familières de sonlit. Après un débat mental, elleétait retournée dans sesappartements, s'était dévêtue etglissée entre les draps. Elle n'avaitpas dîné — non que cela importait ;
elle avait perdu l'appétit. Allait-ellele retrouver un jour, cela restait àdiscuter, mais si elle pouvaitrevivre sa scène avec Devil, elle nechangerait pas un mot de ce qu'elleavait dit.
Sa déclaration avait éténécessaire — elle ne s'était pasattendue à ce qu'il l'apprécie. Elleignorait totalement comment ilconcevait sa révélation — il s'étaitdétourné d'elle à l'instant où il avaitvu la confirmation de ses parolesdans ses yeux.
Fronçant les sourcils, elle fixal'obscurité en essayant, pour laénième fois, de trouver un senslogique à sa réaction. En surface, ilétait apparu sous son jour habituelde tyran dominateur, exigeant sansfaire de quartiers qu'elle tombesous ses ordres, recourant àl'intimidation quand elle avaitdéfendu sa position. Néanmoins,tout ce qu'il avait dit ne concordaitpas avec ce portrait — la simplepensée qu'elle soit en danger l'avaitinquiété à un degré remarquable.
On aurait presque dit que...L'idée nébuleuse tourna en
rond dans sa tête et la suivit dans lesommeil.
Elle s'éveilla pour découvrirune très grande ombre planant au-dessus d'elle.
— Bon sang de femme stupide,que diable fichez- vous ici ?
Son ton indiquait clairementque la question était rhétorique;Honoria réprima vaillamment ungloussement. Il donnaitl'impression d'être une véritable
victime — pauvre mâle contrarié —et non l'un des hommes les pluspuissants du pays. Ses yeuxs'ajustèrent à la pénombre et elle levit, mains sur les hanches, secouerla tête. Puis, il se pencha vers elle.
Il défit les couvertures, puis ilpressa sur le matelas moelleux etglissa ses mains sous elle. Il lasouleva aisément ; Honoria joua lesmortes.
— Et une foutue chemise denuit.
Le dégoût dans sa voix donna
mal à la mâchoire d'Honoria.— Qui diable croit-elle être ?Il passa la porte du petit
corridor en l'ouvrant d'un coupd'épaule; quelques secondes plustard, très délicatement, elle futdéposée sur son lit. Honoria décidaqu'un murmure et un petitgigotement étaient requis pour plusd'authenticité.
— Hum, fit-il.Elle écouta les bruits familiers
pendant qu'il se déshabillait, sonesprit lui fournissant la vision de ce
qu'elle ne pouvait pas voir.Le soulagement qu'elle ressentit
quand il se glissa dans le lit à côtéd'elle, se recroquevillant contre elle,chaud, ferme, d'une soliditérassurante, lui serra le cœur. Endouceur, il faufila un bras autour desa taille ; sa main s'insinuadélicatement entre ses seins, seslongs doigts se refermant avecpossessivité sur le plus bas.
Elle le sentit pousser un long etprofond soupir ; ce qui restait detension en lui disparut.
Quelques minutes plus tard,avant qu'elle puisse décider si elledevait ou non «se réveiller», larespiration de Devil devint pluspaisible. Souriant, s'émerveillantencore, Honoria ferma les yeux.
Chapitre 23
Le lendemain matin, Honoria se
réveilla tard, seule, Devil parti
s'occuper de ses affaires depuis
longtemps. Son énergie infatigable
la frappa comme une injustice —
les événements de la nuit l'avaient
épuisée. Son regard, vague, tomba
sur la pièce de soie ivoire décorant
le tapis aux teintes riches. Sa
chemise de nuit.
Ils s'étaient engagés dans unelutte à minuit — à moitiéendormie, elle avait été hésitante àabandonner la chaleur de lachemise de nuit. Lui, cependant,avait insisté, puis compensé demanière admirable. Mêmemaintenant, elle se sentaitagréablement réchauffée, endedans comme en dehors.
Souriante, elle s'enfonça davantagedans le lit, se délectant dusentiment persistant de chaleurcomblée.
Qui avait fait le premier pas,elle l'ignorait et ne s'en souciait pas; ils s'étaient tournés l'un versl'autre pour laisser leurs corpssceller leur engagement silencieuxselon lequel, peu importe lesdifférences, ils restaient mari etfemme, leur alliance solide commele roc, aussi durable que la Maison.
La porte de ses appartements
s'entrouvrit ; Cassie jeta un coupd'œil à l'intérieur, puis entra d'unpas affairé.
— Bonjour, m'dame.Elle ramassa la chemise de nuit.— Il est presque onze heures.— Onze heures ?Honoria ouvrit grand les yeux
d'un clignement de paupières.— Webster veut savoir si vous
désirez qu'on vous garde quelquechose pour le petit déjeuner.Comme vous avez raté le dîner, ettout.
Honoria se redressa.— Nous avons mangé plus tard.Une heure après que sa
chemise de nuit avait touché le sol,l'esprit de Devil s'était tourné versla nourriture. Elle dormaitprofondément à ce moment-là; ils'était aventuré dans les cuisines,puis l'avait impitoyablementharcelée pour qu'elle se réveille,insistant pour qu'elle avale desmorceaux de poulet, de jambon etde fromage, en faisant passer letout avec du vin blanc.
— Il y a du kedgeree, des œufsà la coque et des saucisses.
Honoria plissa le nez.— Je vais prendre un bain.La baignoire convenait à son
humeur ; paresseuse, elle n'était pasencline à bouger. Elle regardaitfixement à travers la vapeur,revoyant la précieuse soirée — etelle entendit en esprit, au cœur dela nuit, la voix grave, assouvie,repue de son mari alors qu'ils'effondrait à côté d'elle.
— Vous ne pouvez pas craindre
de me perdre à moitié plus quemoi, j'ai peur de vous perdre.
Cela avait été admis àcontrecœur ; il pensait qu elle étaitdéjà endormie.
Pourquoi aurait-il plus peur dela perdre qu'elle le perdre lui ?
Les minutes s'écoulèrentlentement, l'eau se refroidissant, etelle n'avait toujours trouvé qu'uneseule réponse. Alors qu'elle sortaitde la baignoire, son moral grimpaen flèche — elle se sermonnasévèrement au cours de la demi-
heure suivante sur l'imprudence desauter aux conclusions,particulièrement comme celles-là.
Elle se retira dans son petitsalon, mais elle n'arrivait pas àrester en place, passant sans but dela fenêtre au foyer, consumée parl'envie de revoir son mari. Deregarder dans son visage ; desonder ses yeux clairs. MadameHull monta une théière remplie.Reconnaissante, elle accepta unetasse, mais elle refroidit pendantqu'elle fixait le mur.
Louise et les jumellesprocurèrent une distraction qui futla bienvenue ; elles arrivèrent pourle déjeuner, les filles impatientes dedécrire leurs dernières robesneuves. Honoria joua avec saportion de poisson cuit à la vapeuret écouta d'une oreille distraite. Elleavait annulé tous ses autres rendez-vous, même si l'annonce que lanouvelle duchesse de St-Ives étaitindisposée allait certainementmener à des hypothèses.
Dans ce cas-ci, une hypothèse
était exacte. Elle avait hésité àlaisser cette pensée se former dansson esprit, mais elle semblaitmaintenant ne faire aucun doute.Sa lourdeur chaque matin, sonappétit fragile, tout cela attestait dufait.
Elle portait l'enfant de Devil.Cette pensée en soi la grisait de
bonheur, la remplissait d'une joieanticipée teintée seulement d'uneinquiétude compréhensible. Lavéritable peur n'avait aucunechance de s'imposer, pas avec Devil
et sa famille l'entourantconstamment.
Comme pour souligner ce fait,accompagnée des jumelles sur lesmarches de l'entrée, Louise lui jetaun regard affectueux.
— Vous avez l'air bien, mais sivous avez des questions, noussommes là, moi ou Horatia ouCelia; nous sommes toutes passéespar là avant vous.
— Oh, oui.Honoria rougit — elle ne l'avait
pas dit à Devil ; elle ne pouvait
vraiment pas l'apprendre à sestantes en premier.
— C'est-à-dire... Si...Elle gesticula vaguement.En souriant, Louise lui tapota le
bras.— Pas si, ma chère. Quand.Sur un hochement de tête et un
salut de la main, elle partit, lesdeux jumelles à la traîne derrièreelle.
Montant l'escalier, Honoria sedemanda comment annoncer lanouvelle à Devil. Chaque fois
qu'elle s'imaginait en train de lefaire, le spectre de son assassinatpotentiel s'interposait.
Ils se rapprochaient du but;avant de la quitter ce matin, Devillui avait révélé que lui et Vanecherchaient une preuve, laquelleprécisément, il ne l'avait pas dit. Ilavait promis de tout lui dévoiler cesoir. La dernière chose dont ilsavaient besoin en ce moment étaitune distraction — annoncer lanaissance imminente de leurhéritier créerait tout un émoi,
centrant l'intérêt farouche de lasociété sur eux.
Pénétrant dans le boudoir,Honoria secoua la tête en son forintérieur. Elle allait informer Devilde sa paternité imminente aprèsqu'ils auraient attrapé son assassinen puissance. Jusque-là, sa sécuritéla consumait toute entière — sonenfant lui-même ne comptait pasplus que lui pour elle.
D'ailleurs, elle voulait quel'annonce soit un événementheureux, un moment mémorable
entre eux qui ne serait pas éclipsépar un tueur.
Alors qu'elle s'installaitconfortablement dans saméridienne, Webster frappa etentra.
— Un message, madame.Il lui présenta un plateau en
argent.Soulevant une feuille pliée,
Honoria vit les lettres noires,classiques, précises, pas l'écritureextravagante de son mari.
— Merci, Webster.
Brisant le sceau ordinaire, ellereplaça le coupe-papier sur leplateau et hocha la tête pour luisignifier son congé. Webster seretira pendant qu'elle dépliait lanote.
À Sa Seigneurie, Madame laDuchesse de St-lves :
Si vous souhaitez enapprendre davantage surcelui qui veut du mal àvotre mari, rendez-vousimmédiatement au numérodix-sept, Green Street.Venez seule — ne révélez
votre mission à personneou tout sera perdu. Surtout,détruisez ce mot afin quepersonne ne tombe dessuspar hasard et vous suive,effrayant le petit oiseau quiaurait murmuré à votreoreille.
Une personne qui vous veut dubien.
Pendant un long moment, Honoriafixa la note, puis elle la relut.Ensuite, respirant régulièrement,elle s'enfonça de nouveau sur sa
méridienne.Devil ne voudrait pas qu'elle y
aille. Mais, si elle n'y allait pas ?Il y avait clairement une
menace potentielle pour elle, maiscela, elle le chassa du revers de lamain ; ce qui était beaucoup pluspertinent, c'était la façon dontDevil réagirait. Non que, bien sûr,une telle considération pencheraitdans la balance — sa peur à elleétait plus convaincante que lasienne.
Jetant un coup d'œil à l'écriture
noire et épaisse de la note, ellegrimaça. Les paroles de Devilprononcées la nuit précédenterejouèrent dans son esprit ; si elleles avait bien comprises, alors sapeur était un reflet de la sienne. Iln'y avait qu'une émotion quipouvait susciter une telle crainte.Cette émotion, s'il la ressentait,exigeait quelle la prenne enconsidération, qu'elle s'en soucie.La même émotion la poussait àaller dans Green Street. Commentconcilier les deux ?
Cinq minutes plus tard, elle seleva et s'installa à son bonheur-du-jour. Quinze minutes plus tard, ellesecoua le sable sur sa lettre, la pliaet la ferma avec le sceau que luiavait donné Devil — le cerfgalopant des Cynster imposé sur leschevrons des Anstruther-Wetherby. Soufflant sur la cire, ellese leva, traversa la pièce et tira lacordelette de la cloche trois fois.
Sligo répondit à ses appels.— Oui, m'dame ?Honoria jeta un œil sur
l'horloge du manteau de lacheminée. Presque quinze heures.
— Où se trouve Sa Seigneurieen ce moment ?
— Chez White's avec maîtreVane.
Sligo sourit presque.— Il n'a pas essayé de semer les
hommes que j'ai envoyés sur sestalons aujourd'hui.
— Bien.Honoria tendit sa lettre.— Je veux que ceci soit livré en
mains propres à Sa Seigneurie le
plus vite possible.— Tout de suite, m'dame.Acceptant la lettre, Sligo se
tourna vers la porte.— Et demande à Webster
d'appeler une voiture de louagepour moi.
— De louage, m'dame ?Sligo se retourna, l'expression
attentive.— John Coachman peut vous
amener la voiture en moins dedeux.
— Non.
Honoria mit une note d'autoritédans sa voix.
— Une voiture de louage. Je nevais pas très loin, il n'est pasnécessaire de sortir la voiture.
Avec un hochement de têtemajestueux, elle donna son congé àSligo.
— Dis à Webster que jesouhaite partir dans dix minutes.
Sligo s'en alla. Honoria prit lalettre de « la personne qui luivoulait du bien ». Elle la regardabrièvement de nouveau, puis la
repliant soigneusement, elle montaà l'étage.
Dix minutes plus tard, vêtue desa pelisse dorée et serrant unréticule orné de perles ivoire, elles'installa dans un coin de la voiturede louage. Le valet de pied exécutaune révérence et s'apprêta à fermerla portière. Elle lui fut arrachée desmains — Sligo entra en toute hâtedans le carrosse, puis il se ratatinadans l'autre coin. Honoria ledévisagea.
— Où est ma lettre ?
Sligo la regarda comme unepoule enfermée avec une renarde.
— Elle est en route ; j'ai envoyéDaley la livrer. Il verra à ce qu'ellese retrouve entre les mains de SaSeigneurie, exactement commevous le vouliez.
— Vraiment ? Et que fais-tu ici?
— Ah...Sligo cligna des paupières.— J'ai pensé que c'tait pas bien
qu'vous partiez seule ; vouspourriez vous perdre, n'étant pas
habituée à Londres et tout.Lèvres serrées, Honoria replaça
ses jupes.— Je ne vais qu'à quelques rues
d'ici rendre visite à uneconnaissance.
Sligo avala.— Quoi qu'il en soit, m'dame,
j'vous accompagne — si cela nevous dérange pas.
Levant la tête, Honoria était surle point de l'informer que oui, celala dérangeait, quand le doutes'installa en elle.
— Sa Seigneurie t'a-t-elleordonné de rester avec moi ?
D'un air sombre, Sligo hocha latête.
Honoria soupira.— Très bien, mais tu devras
demeurer dans la voiture.La trappe au-dessus s'ouvrit ; le
cocher scruta l'intérieur.— Allons-nous quequ'part? Où
souhaitez-vous seulement utilisermon carrosse pour bavarder ?
Honoria le fit taire d'un regard.— Green Street. Conduisez
lentement ; je vous préviendraiquand il faudra arrêter.
— Comme vous voulez.Le cocher laissa retomber la
trappe; un instant plus tard, ilsétaient partis.
Son grand-père habitait GreenStreet, au numéro treize. Lenuméro dix-sept se situait plus prèsdu parc. Le cocher fit avancer seschevaux au pas ; Honoria examinales façades. Le numéro dix-septabritait une élégante résidence, lademeure d'un gentleman. Elle
patienta jusqu'à ce qu'ils soientrendus deux maisons plus loinavant de déclarer :
— Demande au cocher de segarer. Attends-moi ici.
Sligo transmit ses ordres. Lecocher s'arrêta ; Sligo bonditen bas et aida Honoria à descendre.À côté de la voiture de louage,dissimulée au numéro dix-sept del'autre côté de la route, Honoriafixa sur Sligo un regard autoritaire.
— Attends-moi ici, à l'intérieurdu carrosse.
Sligo cilla.— Ne devrais-je pas vous
accompagner à la porte ?— Sligo, il s'agit de Green
Street et non Billingsgate. Turesteras dans la voiture.
Mélancoliquement, Sligo hochala tête ; Honoria patienta jusqu'à cequ'il est regagné son siège, puis elletourna les talons, revint un peu surses pas et traversa rapidement larue.
Vivement déterminée, ellemonta les marches du numéro dix-
sept. Tendant le bras vers leheurtoir, elle se figea, la main enl'air. Le marteau de porte en cuivreétait une sylphide — une sylphidenue. Honoria fronça les sourcils,puis referma sa main gantée sur lasilhouette indiscrète et frappa à unrythme impérieux.
Elle patienta, serrant sonréticule, essayant de ne pas penseraux jurons que son mari proféreraitlorsqu'il lirait sa lettre — elle espéraque le comité de White'scomprendrait. Puis, des pas
s'approchèrent de l'autre côté de laporte. Pas le pas mesuré d'unmajordome stylé, mais unedémarche lente et familière deprédateur. Avant même l'ouverturede la porte, Honoria sut qu'elle nese retrouverait pas devant unmajordome.
Quand elle vit qui tenait laporte grande ouverte, sa mâchoirese décrocha.
Tout comme celle du comte deChillingworth.
Pendant un instant, ils restèrent
plantés comme des piquets à sedévisager. La tête d'Honoriatournait sous le tourbillon depossibilités et d'hypothèses quivolaient en tout sens.
Ensuite, Chillingworth serenfrogna.
— Pour l'amour de Dieu, nerestez pas là comme ça ! Quelqu'unpourrait vous voir.
Honoria cligna des yeuxhagards et resta clouée sur place.Étouffant un grognement,Chillingworth lui saisit le bras et la
tira à l'intérieur. Il referma la porte,puis lui fit face.
Bien qu'il ne soit pas aussigrand que Devil, Chillingworthn'était pas un petit homme. Dans lecouloir étroit, Honoria futextrêmement consciente de ce fait.Se redressant, ignorantcomplètement de ce qui se passait,elle fixa sur lui un regardimpérieux.
— Où est votre majordome ?
Chillingworth lui répondit par un
regard impénétrable.— Mon majordome est sorti.
Tout comme le reste de monpersonnel.
Les yeux d'Honorias'arrondirent; d'un air sombre,Chillingworth secoua la tête.
— Je ne peux pas croire quevous êtes sérieuse.
Il scruta son visage, ses yeux.Honoria leva le menton en signe dedéfi.
— Evidemment, je suis sérieuse.L'expression de Chillingworth
afficha un mélange d'incrédulité etde désillusion, puis il se durcit pourformer un masque très semblable àcelui de son rival. Avec aisance, ilhaussa les épaules.
— Si vous insistez.Sans plus de cérémonie, il
pencha la tête vers celle d'Honoria.Poussant un petit cri étranglé,
elle recula brusquement et lefrappa.
Juste avant quatorze heures, Devilavait distraitement grimpé les
marches de White's. Sur le seuil, ilavait littéralement foncé sur Vane.
— Te voilà !Vane était retombé sur ses
talons.— Où diable étais-tu ? Je t'ai
cherché partout.Devil avait souri.— Etonnant que tu ne m'aies
pas trouvé alors, parce que c'est làque j'étais. Partout.
Plissant le front, Vane ouvritles lèvres — Devil chassa saquestion d'un geste de la main.
— As-tu mangé ?Le front toujours marqué d'un
pli, Vane hocha la tête. Devil tenditsa canne au portier; Vane l'imita.
— Je vais parler pendant que tumanges.
La salle à manger étaitagréablement bondée decompagnons gentlemen s'attardantsur leur brandy. Servi avec uneremarquable rapidité, Devil attaquasa sole — et leva un sourcilinquisiteur.
Vane grimaça en direction des
corps qui les entouraient.— Je vais te le dire plus tard.Devil hocha la tête et se
consacra à son repas, contentd'avoir un prétexte pour ne pasparler. Expliquer pourquoi il avaitpassé toute la matinée à parcourirla ville, faisant courir les deuxpalefreniers que Sligo avait lancéssur sa piste, était au-dessus de sesforces. Il se doutait que ce seraittoujours au-dessus de ses forces —sa détresse ne s'améliorait pas avecle temps. Et il pouvait difficilement
dire à Vane qu'il évitait sa femmeparce qu'elle lui avait dit qu'ellel'aimait.
L'avait dit, l'avait déclaré entermes non équivoques avec uneconviction absolue. Marquant unepause, Devil avala la moitié de sonverre de vin.
C'était un truc grisant, savoirque votre femme ressentait cela. Àvotre sujet. Qu'elle affronterait ledanger sans ciller et qu'elle refusaitde reculer, même lorsqu'elle faisaitface à une intimidation suffisante
pour briser un sergent de troupe —tout cela parce quelle vous aimait.
Il n'y avait qu'un inconvénient,qu'un hic.
Avalant une nouvelle gorgée devin, il revint à sa sole. Et audilemme avec lequel il s'étaitdébattu toute la matinée. S'ilrévélait à Honoria ce qu'il ressentaitface à son amour, s'il commençaitmême seulement par prêterattention à sa déclaration, iladmettrait simultanément lavalidité
de sa «justification» pour aller à larencontre du danger. Ce qui étaitune chose qu'il ne pourrait jamaisfaire.
En temps de crise, en ce qui leconcernait et, il en était très certain,en ce qui concernait ses ancêtres, lesépouses Cynster étaient censées seretirer dans le donjon pour y resteren sécurité pendant que leurs marisdéfendaient les murailles.Apparemment, la vision d'Honoriadifférait — elle voulait occuper lesmurailles avec lui.
Il comprenait son opinion — ilne pouvait tout simplement pasl'accepter.
Expliquer cela ne sera pas facile,pas même après qu'il aurait avouéce qu'il se sentait obligé par sonhonneur de confesser.
Se sentir vulnérable était déjàassez pénible — admettre savulnérabilité, à haute voix, enparoles était infiniment pire. Et,une fois prononcées, ces paroles nepouvaient pas être retirées. Il allait,essentiellement, lui donner carte
blanche* d'un genre qu'il n'avaitjamais utilisé avant. Étant donné safaçon de réagir au fait qu'il courraitun danger, il n'était pas du toutcertain que ce soit sage.
Il ignorait si elle se doutait deson état — il savait par contre qu'ilne pouvait pas compter sur ellepour rester dans une bienheureuseignorance très longtemps. Pas sonHonoria Prudence. Ce qui signifiaitque la seule façon pour lui de lagarder hors de danger consistait à lamettre hors de danger — en
pendant le meurtrier de Tolly parles pieds.
Repoussant son assiette, ilregarda Vane.
— Qu'as-tu appris ?Vane grimaça.— Allons dans le fumoir.
Ils dénichèrent un coin désertet s'installèrent; Vane commençasans préambule.
— C'est simple, j'avais raison.Ma source a vérifié chaque...
— Pardonnez-moi, monsieur leduc.
Ils levèrent la tête tous les deux; un des valets de pied du club setenait près du coude de Devil,tendant un plateau portant unenote pliée.
— Ceci est arrivé il y a uninstant, monsieur le duc. L'homme
s'est montré très insistant pourqu'on vous le remetteimmédiatement.
— Merci.Prenant la lettre, Devil brisa le
sceau, hochant distraitement la têtepour lui donner son congé.Dépliant la note, il la lut — Vanevit son visage se durcir.
Les yeux de Devil revinrent seposer sur le début de la lettre ; levisage impassible, il la relut.
— Qu'est-ce ? demanda Vanequand Devil releva la tête.
Les sourcils de Devils'arquèrent.
— Quelque chose est survenu.Il ne croisa pas le regard de
Vane.— Un fait nouveau inattendu.Repliant la lettre, il se leva.— Tu vas devoir m'excuser — je
vais t'envoyer chercher dès que jeserai libre.
Sur ce, il se retourna et,rangeant la lettre dans une poche, ils'éclipsa.
Abasourdi, Vane fixa le vide
derrière lui. Puis, son visage sedurcit.
— Honoria Prudence — dansquoi diable vous êtes- vous fourréemaintenant ?— Non ! Attendez ! Vous nepouvez pas simplement sortircomme ça par la porte.
— Pourquoi pas ?Honoria pivota vivement.Tenant une compresse froide
sur le pont de son nez,Chillingworth la suivit dans lecouloir.
— Parce que cela n'a pas desens de prendre des risquesinutiles. Votre mari ne va déjà pasapprécier, cela ne rime à riend'empirer les choses.
Déposant la compresse sur latable d'entrée, il la détailla duregard.
— Votre bonnet n'est pas droit.Lèvres pressées, Honoria pivota
pour se regarder dans la glace.Ajustant son bonnet, elle étudia lereflet de Chillingworth. Il étaitencore très pâle ; elle n'était pas
certaine que ce soit sage de lelaisser — ses serviteurs n'étaientpas encore rentrés. D'un autre côté,elle pouvait comprendre soninsistance à la voir partir sansretard.
— Voilà!Elle se tourna.— Cela reçoit-il votre
approbation ?Chillingworth plissa les yeux.— Ça ira.Il rencontra son regard.— Et n'oubliez pas, montrez
cette note à Devil dès que vous leve r r e z . N'attendez pas qu'il ledemande.
Honoria leva le menton.Chillingworth la considéra avec
une désapprobation évidente.— Je remercie le ciel que vous
lui apparteniez plutôt qu'à moi.Attendez ici pendant que je vérifies'il y a quelqu'un dans les environs.Comme votre grand-père ou sonmajordome.
Honoria le regarda ouvrir laporte ; debout sur la première
marche, il jeta un coup d'œil desdeux côtés de la rue.
— La voie est libre.Chillingworth tint la porte
ouverte.— À part votre carrosse, il n'y a
personne en vue.Tête haute, Honoria sortit avec
grâce, puis s'arrêta etregarda derrière elle. Elle fronça lessourcils.
— N'oubliez pas de vousallonger avec les pieds plus hautsque la tête. Et pour l'amour de
Dieu, remettez cette compressesinon votre œil sera plus amochéque nécessaire.
Pour la deuxième fois ce jour-là, la mâchoire de Chillingworth sedécrocha. Momentanément. Puis, illui lança un regard furieux.
— Doux Jésus, femme — partez!
Honoria cligna des paupières.— Oui, eh bien, prenez soin de
vous.Sur ce, elle se tourna et
descendit vivement les marches.
Atteignant la chaussée, elle vit savoiture de louage qui attendait. Ellejeta un coup d'œil de l'autre côté —un carrosse noir roula lentement aucoin dans Green Street. Derrièreelle, le loquet de Chillingworths'enclencha. Il était seize heurespassées ; le crépuscule tombait.Comme Chillingworth l'avait dit, iln'y avait personne dans lesenvirons. Avec un soupir en son forintérieur, Honoria s'avança sur lachaussée.
Elle ne vit pas la silhouette
sombre, vêtue de noir qui émergeade l'escalier de service à côté desmarches de Chillingworth. Ellen'eut aucun soupçon, aucunpressentiment de danger quandl'individu s'approcha, se dessinantderrière elle. Un harnais cliqueta,des sabots claquèrent quand lavoiture noire s'arrêta à sa hauteur,bloquant le cocher. Honoriaregarda le carrosse — un drap noirtomba sur elle, la coupant de lalumière, l'enveloppant dans ses plisimpénétrables. Elle haleta et
agrippa le tissu, seulement pour lesentir s'enrouler autour d'elle. Elleouvrit la bouche pour crier ; unemain ferme se referma sur seslèvres.
Honoria se figea. Un bras durcomme l'acier passa autour de sataille et la souleva.
Elle ne se démena pas, maisattendit patiemment que Devil ladépose. Il le fit enfin — sur le siègedu carrosse. La voiture fit uneembardée et prit de la vitesse.
— Attendez!
Toujours enveloppée dans cequ'elle supposa être la cape deDevil, Honoria se débattit pour selibérer.
— Et Sligo ?Silence.Puis :— Sligo?Devil avait l'air de ne pas en
croire ses oreilles.— Vous lui avez ordonné de me
surveiller, vous vous souvenez ?Honoria lutta avec la cape.
L'instant suivant, elle fut soulevée
— elle lâcha un souffle explosif etdécouvrit son mari l'observant avecune expression qu'elle ne pouvaitpas du tout déchiffrer.
— Il est dans la voiture delouage à.m'attendre.
Devil la dévisagea, puis,fronçant les sourcils d'un airhébété, il secoua la tête.
— Attendez ici.Il donna un petit coup sur la
trappe et ordonna à JohnCoachman de se ranger, puis ildescendit d'un bond. Honoria
l'entendit avancer à grands pas surla chaussée. Elle ne pouvait rienvoir ; les volets étaient baissés.
Deux minutes plus tard, lavoiture s'inclina fortement lorsqueSligo se précipita derrière.
— Tourne dans le parc jusqu'àce que j'ordonne autrement.
Devil ouvrit violemment laportière, monta, referma, puisreprit sa place à côté d'elle.
Le carrosse bondit; Devilrencontra le grand regardtotalement franc d'Honoria. Il
inspira prudemment, essayant demasquer la tension qui le tenaitencore.
— Il vaudrait peut-être mieuxque vous m'expliquiez ce qui sepasse.
A l'évidence, il avait commisune horrible erreur — il ne voulaitpas qu'elle devine ce qu'il avaitpensé, ce qu'il avait ressenti quandil avait vu Chillingworth, vêtuseulement d'une chemise, regarderpar sa porte, puis qu'elle était sortied'un pas dansant, se tournant pour
prononcer quelques derniers motsavant de partir sans se presser.
Dans les profondeurs de sacachette, il n'avait pas été capablede distinguer ses paroles ; sonimagination, cependant, lui avaitsoufflé assez de mots avec desgestes pour les accompagner. Satrahison l'avait glacé; la pensée quesa déclaration d'amour avait étésans valeur — de simples mots sanssignification — l'avait frappé aucœur. Une rage noire l'avaitconsumée, bien au-delà d'une
simple colère; il pouvait à peine sesouvenir l'avoir suivie. Il pouvait serappeler le moment où il l'avaittenue emprisonnée devant lui — etil avait pensé qu'il serait facile demettre fin au tourment avantmême qu'il commence. Le souvenirle laissait glacé, alors même que lesoulagement l'envahissait. Laculpabilité concernant son manquede confiance le faisait souffrir enson for intérieur.
Honoria l'observait, un pli seformant entre ses yeux. Devil
s'éclaircit la gorge.— Sligo a dit que vous aviez
reçu une note ?Il lança la question pour la faire
parler — au lieu, elle plissaincontestablement le front.
— Je vous ai parlé de la notedans ma lettre.
Devil cligna lentement despaupières.
— Quelle lettre ?Fourrageant dans son réticule,
Honoria tira une feuille du fouillis.— J'ai reçu ceci...
Devil la prit et la lut, puis il luijeta un regard accusateur.
Elle leva le menton.— Elle disait de venir
immédiatement, alors je vous aiécrit une lettre pour vous expliqueret j'ai demandé à Sligo de la livrer ;il savait que vous étiez chezWhite's. J'ignorais que vous luiaviez donné l'ordre de rester avecmoi; il a envoyé Daley livrer malettre afin de pouvoir obéir à vosordres.
Devil fronça les sourcils, puis
baissa les yeux sur la note.— Je n'ai pas reçu votre lettre;
j'ai dû partir avant l'arrivée deDaley.
L'admission passa ses lèvres
avant même qu'il ait réfléchi.— Mais...Le front d'Honoria formait une
masse de plis.— Si vous n'avez pas reçu ma
lettre, pourquoi êtes-vousici?
Devil s'immobilisa. Une minutes'écoula ; lentement, il leva la têteet rencontra le regard intriguéd'Honoria. Elle scruta son visage —brusquement, il baissa la tête.
— Je suis venu parce que j'aireçu ceci.
Il s'obligea à sortir la note pliéede sa poche. Il ne voulait pas la luiremettre, mais sa franchise, sonhonnêteté — son amour — ne luilaissaient aucun choix. Le cœur
comme un poids lourd dans sapoitrine, il la lui tendit.
Honoria déplia la note, puis lalut. Quand elle arriva à la fin, ellemarqua une pause, la respirationmal assurée. Un étau serraitdouloureusement sa poitrine ; soncœur battait lourdement. Sans leverla tête, elle relut la note.
Pendant qu'elle analysait ce quiavait dû se passer, ses mains, pliantla note, tremblèrent — elle s'efforçade les stabiliser. Puis, trèslentement, elle releva la tête — et
regarda Devil droit dans les yeux,ces yeux qui voyaienthabituellement trop de choses, maispouvaient aussi être aveuglés par lafureur. Le temps s'étira; elle le fixadans les yeux, ses yeux à ellesuppliants et incrédules.
— Ce n'est pas vrai; je ne feraisjamais cela. Vous savez que je ne leferais pas.
Dans un murmuredouloureusement doux, elle ajouta :
— Je vous aime.Devil ferma les yeux.
— Je sais.Sa mâchoire se contracta ; une
rage sauvage tourbillonna en lui,dirigée vers son assassin enpuissance qui avait touché le seulpoint véritablement vulnérable desa cuirasse, le seul défaut dans sonarmure — et il avait blesséHonoria. Il inspira à fond ; ouvrantles yeux, il les plongea dans lessiens.
— Je n'ai pas réfléchi, j'ai réagi.Quand j'ai reçu cette note, j'étaisincapable de réfléchir. Puis, je vous
ai vu sortir de chez Chillingworth...Il s'interrompit; sa mâchoire se
contracta davantage, mais ils'obligea à soutenir le regardd'Honoria.
— Je suis attaché à vous, beaucouptrop.
Ses mots touchèrent Honoria;ce qu'elle vit dans ses yeux effaça sadouleur. L'étau autour de sapoitrine se desserra ; elle inspiraprofondément.
— Ce n'est que justice.Se déplaçant sur la banquette,
elle glissa ses bras autour de lui etposa sa tête contre son torse.
— Je vous aime tellement quej'en ai mal, moi aussi.
S'il ne pouvait pas prononcerles mots, elle les diraitpour lui ; la vérité était là, brillantdans ses yeux. Les bras de Devil serefermèrent sur elle, puisl'enserrèrent douloureusement;après un moment, il posa sa jouesur ses boucles. Il était tellementtendu, ses muscles tressaillaient.
Graduellement, pendant que le
carrosse roulait, elle sentit sa tension le quitter, sentitles muscles de ses bras se détendre.
La chaleur de Devil l'enveloppa; son cœur battait calmement soussa joue. Il prit une profonderespiration, puis expira lentement ;ses longs doigts trouvèrent sonmenton et inclinèrent son visagevers le haut.
Leurs yeux se rencontrèrent etrestèrent accrochés, puis il baissa latête. Les cils d'Honoria tombèrent
quand les lèvres de Devileffleurèrent les siennes dans unbaiser indiciblement doux.
Il recula, arquant un sourcil.— J'imagine que vous n'avez
pas envie de me raconter ce quis'est passé?
Pas un ordre ni une exigence,une simple requête d'un tonnaturel ; Honoria ne put retenir ungrand sourire.
— En fait, Chillingworth s'estmontré très insistant pour que jevous rapporte tout, ce qui doit être
une première.— Très probable. Commencez
au début — quand vous avezfrappé à sa porte. Vous attendait-il?
— Pas tout à fait.Honoria se redressa en se
tortillant.— Lui aussi avait reçu une
lettre, je l'ai vue. Écrite de la mêmemain que les nôtres.
Elle plaça la note qu'elle tenaitencore à côté de celle déposée surla banquette près de Devil.
— Vous voyez? On ne peut pasdire s'il s'agit d'un homme ou d'unefemme.
— Hum... donc, il savait quevous veniez pour le voir ?
— Non.Honoria parla distinctement,
attentive aux instructions deChillingworth — et aux tendancesnaturelles de son mari.
— Sa lettre émanait d'unemystérieuse inconnue, lui donnantrendez-vous pour cet après-midi.Elle était très... — elle esquissa un
geste vague — émoustillante.Les yeux de Devil se plissèrent.— Ce que vous voulez dire par
là est que Chillingworth brûlaitd'impatience de commencer; qu'a-t-il dit lorsque vous êtes arrivée à saporte ?
Honoria lança à Devil unregard malicieux.
— En fait, je pense qu'il étaitencore plus étonné que moi. Il étaitpresque désapprobateur.
Devil arqua les sourcils d'un airsceptique.
— Et?— Ce qui a suivi est ma faute,
en fait ; il m'a dit que je ne pouvaispas vraiment être sérieuse.Naturellement, je l'ai assuré ducontraire.
— Et?
Honoria soutint le regard deDevil.
— Il a essayé de m'embrasser,et je l'ai frappé.
Devil cilla — et cilla encore.— Vous l'avez frappé ?Honoria hocha la tête.
— Michael m'a montrécomment m'y prendre avant de mepermettre de devenir gouvernante.
Elle plissa le front.— Je suppose que j'aurai dû me
servir de mon genou, mais je n'y aipas songé sur le moment.
Devil réussit tout juste à ne pass'étrangler de rire.
— Je pense, dit-il d'une voixpas tout à fait calme, queChillingworth est probablementtrès reconnaissant que vous l'ayezfrappé.
Honoria était inhabituellementgrande et Chillingworth était pluspetit que lui. Les lèvres de Deviltressaillirent.
— Je dois me souvenir del'informer qu'il l'a échappé belle.
Honoria fronça les sourcils.— Oui, eh bien...
malheureusement, ce n'est pas tout.Quand je l'ai frappé, son nez acommencé à saigner.
C'en était trop ; Devil succombaà de grands éclats de rire.
— Oh, mon Dieu, dit-il lorsqu'il
put de nouveau parler. PauvreChillingworth.
— Il a semblé penser de même,lui aussi. Son gilet était abîmé.
Une main pressée contre sescôtes douloureuses, Devilemprisonna la main gauched'Honoria dans son poing.
— Vous avez dû vous servir devotre gauche.
Honoria hocha la tête.— Comment le savez-vous ?Le grand sourire de Devil
exprimait la joie maligne à l'état
pur.— Je l'ai surpris avec une
gauche à Eton, il s'est passé lamême chose. Il a saigné comme uncochon.
— Précisément.Honoria soupira.— J'ai bien peur qu'il se sente
plutôt exploité.— Je peux l'imaginer.Le ton de Devil se durcit ;
Honoria leva des yeux inquisiteurs.Il rencontra son regard.
— Lui et moi allons devoir
démêler tout cela.Honoria se redressa.— Que voulez-vous dire ?Les lèvres de Devil s'adoucirent
alors qu'il l'attirait de nouveauentre ses bras.
— Simplement, que nous allonsdevoir nous assurer que noshistoires sont identiques au cas oùquelqu'un aurait remarqué quelquechose ou lancerait des rumeurs.
Il attira Honoria plus près.— Ne vous inquiétez pas, je ne
vais certainement pas provoquer
un homme parce que ma femme luia mis le nez en sang.
Honoria plissa le front.— Oui, mais est-il probable
qu'il vous provoque parce que je luiai mis le nez en sang ?
Le torse de Devil trembla.— Je pense vraiment que cela
n'est pas très probable.Souriant, il inclina le visage
d'Honoria vers lui.— Vous êtes une femme
remarquablement pleine deressources, vous savez.
Elle cligna des paupières sur sesyeux arrondis.
— Naturellement... j'ai étéélevée en Anstruther- Wetherby.
Souriant, Devil baissa la tête.— Vous avez été élevée pour
devenir une Cynster.Il l'embrassa — et continua à le
faire. Le carrosse roula lentementdans l'obscurité naissante, à traversles ombres tranquilles sous lesarbres.
Essoufflée quelques instantsplus tard, Honoria découvrit que
lui aussi pouvait se montrer pleinde ressources.
— Ciel !Elle avait à peine assez de
souffle pour murmurer les mots.— Nous ne pouvons pas...Ses mains se refermèrent avec
force sur les poignets de Devil ; satête retomba en arrière pendantqu'elle s'efforçait de respirer.
— Où sommes-nous ?— Dans le parc.Concentré sur ce qu'il faisait,
Devil ne leva pas la tête.
— Si vous regardez dehors,vous verrez un certain nombre decarrosses roulant lentement autourde la piste.
— Je ne peux pas croire...Une poussée de plaisir arracha
cette pensée à l'esprit d'Honoria ;elle s'efforça de retenir ungémissement. L'idée qui remplaçala première lui fit cligner despaupières sur des yeux ronds.
— Et John, et Sligo ?Sur un halètement, elle
rencontra les yeux de Devil.
— Ne se rendront-ils pascompte de rien ?
Le large sourire sur les lèvresde son mari ne pouvait être décritque comme démoniaque.
— Tout est une question deminutage ; faites-moi confiance, ilsne sentiront rien.
Ce fut le cas, mais il en alla toutautrement pour elle etlui.
On aurait dit que des heuress'étaient écoulées — un nombreinfini de minutes extrêmement
silencieuses et ponctuées dehalètements plus tard — quand,affalée sur le torse de Devil,Honoria se tortilla, puis se tortillaencore. Plissant le front, elle sereleva en position assise et examinales boutons du veston de Devil.
— Horribles choses, ilss'enfoncent dans ma chair.
Elle fit tourner les boutons denacre.
— Ils ne sont pas aussi gros queceux qu'arborait Tolly, mais ils sontassez pires comme ça.
Les yeux de Devil, fermés dansune paix bienheureuse, s'ouvrirentbrusquement.
— Quoi?— Ces boutons, ils sont trop
gros.— Non, qu avez-vous dit
d'autre ?Honoria plissa davantage le
front.— Qu'ils ressemblent à ceux
qu'avait Tolly sur son manteau ?Devil regarda fixement au loin,
puis il ferma les yeux — et referma
ses bras autour d'Honoria, l'attirantplus près.
— C'est ça.Il prononça les mots dans sa
chevelure.— C'est ce que j'essayais de me
rappeler à propos de la mort deTolly.
Honoria l'étreignit.— Le bouton faisant dévier la
balle ? Est-ce que ça aide ?Le menton posé dans ses
cheveux, Devil hocha la tête.— Ça aide. C'est le dernier clou
dans le cercueil de mon assassin enpuissance.
Honoria tenta de regarder levisage de Devil, mais il la serrait detrop près.
— Vous êtes certain de sonidentité ?
Devil soupira.— Au-delà de tout doute.Trois minutes plus tard, leurs
vêtements une fois de pluscorrectement mis, le duc et laduchesse de St-Ives se remirent enroute vers Grosvenor Square.
Chapitre 24
Vane attendait dans la
bibliothèque au moment où
Honoria et Devil entrèrent. Il scruta
leurs visages, puis se détendit.
— La fin approche.Devil installa Honoria sur la
méridienne, puis il s'assit à côtéd'elle.
Vane prit place dans le fauteuil.— Que s'est-il passé ?Devil lui relata un compte-
rendu sérieusement censuré,présentant seulement la notequ'avait reçue Honoria.
— Celle que j'ai reçue étaitrédigée de la même main.
Vane examina la feuille, puisplissa le front.
— La plume ! Il se sert toujoursde ces plumes larges afin que sonécriture paraisse plus grasse. Nousle tenons !
— Oui et non. Tout ce que nousavons découvert restecirconstanciel. Étant donné ce queje me suis rappelé aujourd'hui...
— Et mes nouvelles, quç je net'ai pas racontées, interrompitVane.
— Mettons tout cela ensemble,poursuivit Devil, et l'identité dumeurtrier est évidente. L'évidence,par contre, ne constitue pas unepreuve.
Vane grimaça ; l'expression deDevil était morose. Honoria les
regarda tour à tour.Mais qui est-ce ?Quand ils la contemplèrent
avec des yeux vides, elle grinçapresque des dents.
— Vous ne me l'avez pas encoredit.
Devil cligna des paupières.— Mais c'est vous qui me l'avez
dit. Vous avez été la première àl'exprimer en mots.
— Je pensais qu'il s'agissait deRichard, vous vous rappelez ? Vousm'avez tous les deux affirmé que
j'avais tort.— Bien, c'était vrai, dit Vane. Ce
n'est pas Richard.— Vous avez suggéré que le
meurtrier était mon héritier.Devil attendit jusqu'à ce que
Honoria regarde dans sa direction.— Effectivement, ce l'est.Les yeux d'Honoria
s'arrondirent brusquement. Elle jetaun coup d'œil à Vane, puis reportason regard sur Devil.
— Mais... vous voulez direGeorge ?
— George?— Père?Devil et Vane la dévisagèrent.— Pourquoi George ? demanda
Devil. Il n'est pas mon héritier.— Non?Ce fut au tour d'Honoria de les
considérer.— Mais Horatia m'a appris qu'il
avait à peine un an de moins quevotre père.
— C'est le cas, corrobora Vane.— Doux Jésus !Les yeux d'Honoria ne
pouvaient pas s'élargirentdavantage.
— Combien de squelettesCynster y a-t-il ? George est-il unautre Cynster comme Richard ?
— Vous avez raté un pointessentiel : George et Arthur sontjumeaux.
Devil surprit le regardd'Honoria.
— Arthur est le jumeau le plusâgé ; et, non, ce n'est pas lui nonplus.
— Charles ?
L'expression d'Honoria devintimpassible, puis se durcit.
— Comme...Pendant une longue minute, les
mots lui manquèrent, puis ses yeuxlancèrent des éclairs.
— Comme c'est lâche.Elle rencontra les yeux de
Devil.— Il a tué son frère cadet.— Demi-frère, rectifia Devil.
Comme il le faisait toujoursrapidement remarquer. Il a aussiessayé de me tuer.
— Plusieurs fois, intervintVane.
— Il a aussi tenté de vousassassiner.
Devil tendit la main vers celled'Honoria.
— Et on dirait à présent qu'ils'est définitivement débarrassé deson ancien homme de confiance,Holthorpe.
Devil et Honoria regardèrentVane.
— Qu'as-tu découvert?demanda Devil.
— Encore une preuvecirconstancielle, mais j'ai faitvérifier toutes les listesd'embarquement — aucunHolthorpe n'a pris le bateau pourl'Amérique, ni nulle part ailleurs.Holthorpe n'a jamais quittél'Angleterre.
Devil plissa le front.— Commençons au début.
Tolly a quitté Mount Street le soirprécédent sa mort. Pour autantqu'on puisse le dire, il est rentré àpied. Ses appartements étaient
situés sur Wigmore Street, de sortequ'il a dû marcher devant cheznous. Selon Sligo, il s'est annoncé eta découvert que j'étais parti pour laMaison. Il a poursuivi sa route debonne humeur...
— Et il s'est arrêté voir Charles,dit Vane. Au coin de Duke Street.
— Étant donné la disparitiond'Holthorpe, cela semble unesupposition raisonnable.
Le pli sur le front de Devils'approfondit.
— Vraisemblablement, Tolly a
appris quelque chose, possiblementsurpris des propos — quelque chosequi lui a dit que Charles planifiaitmon assassinat. Considérons celacomme allant de soi ; que feraitTolly ?
— Accuser Charles, réponditVane. Tolly ne se serait pas arrêtépour réfléchir au danger — il étaittrop franc et honnête et naïf pourimaginer que les autres pouvaientl'être moins.
— Nous allons supposer queCharles ne s'est pas rétracté et que
Tolly est donc parti.— Probablement en révélant
assez de choses en le quittant poursceller le sort d'Holthorpe.
Vane avait l'air sombre.— Le lendemain matin, dès
qu'il a pu, Tolly s'est mis en routepour la Maison.
— Cependant, Charles aemprunté la voie la plus rapide ;nous savons qu'il l'a fait. Nousn'avons pu dénicher personne quipouvait replacer Charles près de lapiste lorsque Tolly a reçu la balle,
mais nous avons prouvé demanière exhaustive que personned'autre ne se trouvait dans lesenvirons. Aucun autre gentlemann'est arrivé de Londres ce jour-là.
Devil jeta un regard à Vane.— Exact. Donc, Charles a tiré
sur Tolly...— C'est cela que j'avais oublié.
Le bouton sur le manteau de Tolly.Vane parut perplexe.— Qu'en est-il ?Devil soupira.— Le coup qui a tué Tolly était
quasi parfait — la seule raison pourlaquelle il n'est pas mortimmédiatement d'un trou dans lecœur est que l'un de ses boutons demanteau — Devil jeta un coupd'œil aux boutons de son propremanteau — comme ceux-ci,seulement plus larges, a fait dévierla balle.
Il rencontra les yeux de Vane,puis regarda brièvement Honoria.
— L'unique véritable talent deCharles est qu'il est un tireur d'éliteexceptionnel.
— Particulièrement avec unpistolet à long canon.
Vane hocha la tête.— D'accord ; donc, Tolly est
mort. Charles « arrive » à la Maisonet joue le rôle du frère en deuil lelendemain.
— D'une façon trèsconvaincante.
Le visage de Devil se durcit.— Il a dû recevoir un foutu
choc lorsqu'il a compris que Tollyavait survécu assez longtemps pourte parler.
Devil hocha la tête.— Cependant, il a gardé le
silence et a continué son jeu, auxfunérailles de Tolly et tout.
— Toutefois, le plus grand chocest venu après.
Vane regarda Devil et Honoriatour à tour.
— Charles a appris que tu allaisépouser Honoria.
Honoria fronça les sourcils.— En fait, non. Pas à ce
moment-là. Je l'ai repoussé.Quand Devil la regarda avec sa
question dans les yeux,elle grimaça.
— Il est venu me voir dans lepavillon d'été après la veilléemortuaire. Il a offert de m'épouserà votre place, supposant que je mesouciais de protéger mon nom.
— Il a quoi ?Devil la dévisagea.Honoria haussa les épaules.— Je lui ai dit que je n'avais
aucune intention de vous épouser,ni qui que ce soit d'autre.
— Il vous a cru, dit Vane. Il a
été décontenancé plus tard, au balde Maman, quand Gabriel et moiavons suggéré que vous aviezchangé d'avis.
Devil jeta un coup d'œil àHonoria.
— Pas précisément étonnant. Ilnous avait arrêtés dans le parc peude temps auparavant, et vous luiavez presque garanti que vouspartiez pour l'Afrique quelquessemaines plus tard.
Honoria haussa de nouveau lesépaules.
— Et, dit Vane, c'est là que lesattaques sur toi ont commencé.
— Votre accident de phaéton.Honoria pâlit.Devil lui pressa la main.— Une première tentative
impulsive. J'ai été très occupé aprèscela, puis notre mariage est arrivé.
Honoria frissonna.— Je viens de me rappeler :
Charles m'a prévenue le jour de nosnoces que je n'aurais pas dû vousépouser.
Devil l'attira contre lui.
— Pendant notre séjour à laMaison, il n'a rien tenté.
— Trop dangereux, dit Vane.Trop probable de s'y faire repérer.
Devil regarda Honoria.— Cependant, dès que nous
sommes revenus en ville, il acommencé à complotersérieusement. Premièrement, il aessayé de me convaincre de vousrenvoyer à la Maison.
Ses lèvres tressaillirent.— J'ai bien peur de lui avoir
révélé avec précision la place que
vous occupiez dans mon affection.Donc, à partir de ce moment-là,vous vous retrouviez aussi dans samire ; il n'allait pas risqué unhéritier posthume.
Se tournant vers Vane, Devilrata l'expression étonnéed'Honoria.
— L'épisode du brandy estarrivé ensuite, puis les troismatelots avec des épées quiconnaissaient la route que jeprenais pour rentrer chez moi. Lesdeux tentatives étaient tout à fait
dans les cordes de Charles.Vane soutint le regard de Devil.— Le brandy aurait dû
t'achever, tu sais.Sentant qu'Honoria frissonnait,
Devil jeta à son cousin un regardd'avertissement.
— Mais cela n'a pas été le cas,alors il s'est entêté. Les marins, jesoupçonne, représentaient uneoccasion qu'il ne pouvait pas laisserpasser ; il m'a assez souventaccompagné à la maison à pied en
rentrant de chez White's.Vane fronça les sourcils.— Et qu'en est-il de cette
histoire avec les palais? Commentcela cadre-t-il ?
Devil grimaça.— Il se pourrait que cela n'ait
rien à voir, mais je parierais qu'ils'agira de Charles, en fin decompte. Peu importe, je vais ledécouvrir ce soir.
— Ce soir? Vane cilla. Avectout le reste, j'avais oublié. En quoiconsiste notre plan ?
Devil regarda brièvementHonoria; absorbée par ses proprespensées, elle finit par sentir sonregard sur elle. Levant la tête, ellerougit.
— Je me rappelais simplement,dit-elle, ses yeux fixés sur ceux deDevil, une chose que lady Herring amentionnée.
Le visage de Devil perdit touteexpression.
— Lady Herring ?Honoria hocha la tête.— Elle a dit que Charles l'avait
abordée, quelque chose à propos deremplacer son dernier amant. Ellel'a rejeté, d'après ce qu'elle a dit,avec beaucoup de mépris.
— Hum.Devil semblait songeur.Vane secoua la tête.— Cela n'aurait pas du tout
aidé Charles. Il a toujours étécontrarié par tes succès; dans cedomaine-là aussi, apparemment.
Le regard que Devil lui lançaafficha sèchement sa réprobation;Vane se contenta de hausser les
sourcils.— Cela pourrait expliquer
pourquoi il a commencé àfréquenter les palais; ledéroulement des événements setient. Un Cynster ne pourrait pasfréquenter de tels endroits sans quenous en entendions vite parler, etnous l'avons su peu de temps aprèsles funérailles de Tolly.
Devil hocha la tête.— Mais je veux tout de même
en avoir la certitude.— Quand la réunion a-t-elle
lieu ?— À minuit.Vane regarda l'horloge.— Je vais conduire, Sligo peut
suivre derrière. Lucifer montera lagarde dans la rue, Scandai sera aucoin.
Devil le dévisagea ; Vanehaussa les sourcils.
— Tu ne t'imaginais passérieusement que nous telaisserions entrer là-dedansnonchalamment sans factionnaires?
Honoria garda les lèvresfermement pressées sur la réponseque Devil n'apprécierait pas, elle lesavait, dans ce cas-ci : «Dieu mercipour la barre Cynster» n'était pas cequ'il pensait.
Devil se renfrogna.— Quoi d’autre as-tu organisé?— Rien.L'expression de Vane était
bénigne.— Cependant, il est inutile en
ce bas monde d'imaginer que nousallons laisser Charles tenter un
autre coup facile contre toi. Si tumeurs, il sera le chef de famille ;aucun de nous ne peut supportercette idée.
Devil jeta un œil à Honoria ;devant son silence, il reporta sonregard sur Vane.
— D'accord. Toutefois, je neveux pas voir la cavalerie chargeravant que la trompette résonne.Nous devons laisser Charlespoursuivre son grand plan sansréserve et lui donner assez de cordepour se pendre.
— Son grand plan.Vane jeta un coup d'œil sur la
note sur ses cuisses.— Est-ce de cela qu'il s'agit ?Devil hocha la tête.— Ça concorde. Je m'étais
inquiété du fait que toutes lesautres tentatives étaient tropsimples, trop spontanées, toutsimplement pas comme Charles. Tusais comment il pense. Tout planconçu par lui est alambiqué etcompliqué. Il est également très
conservateur, rigide socialement.Ce dernier effort porte sa marquepartout. Complexe, lourdd'intrigues et solidement ancré surla vision que la société a de moi,d'Honoria et de Chillingworth.
— Chillingworth ? répliquaVane en fronçant les sourcils.Pourquoi lui ?
— Parce qu'il semble êtrel'aiguillon parfait.
— Pourquoi?Devil sourit — un sourire
glacial.— Provoquer ma colère.Vane cligna des paupières, se
rappelant la note qu'avait reçueDevil, le mot qu'on ne lui avait paspermis de voir. Son expressions'éclaircit brusquement.
— Oh.— En effet. Cette fois, Charles
s'est surpassé, c'est un très bonplan. Il aurait pu fonctionner.
Devil regarda brièvementHonoria.
— Si les choses avaient étéautrement.
Examinant ses yeux, elle haussaun sourcil.
— Je ne suis pas très familièreavec les processus mentaux deCharles; pourriez-vous m'expliquerson grand plan?
Les lèvres de Devil tressaillirent; levant la main d'Honoria, ileffleura ses jointures d'un baiser.
— Charles doit me tuer — etmaintenant, vous aussi — pour
prendre le titre. Il a tenté d'éviterune action directe ; le phaéton, lebrandy, les marins, il n'y a aucunefaçon de les relier à lui. Cependant,de telles méthodes hasardeusesn'ont pas réussi. Donc, considérezceci : il a besoin que nous mourionspour une raison. Après la mort deTolly, un tir accidentel sur un seuld'entre nous déclencherait unscandale.
— Personne n'avalerait celadeux fois, intervint Vane. Et il saitque le reste de notre bande ne
laisserait pas passer ta mort dansdes circonstances suspectes.
— Ce qui explique pourquoi ils'est concentré sur un type de mortpour nous deux que la société vacroire sans le moindre scrupule etplus important encore, que lafamille va non seulement accepter,mais travailler de concert avec luipour le cacher.
La mâchoire se Vane se serra.— Je n'aime pas ce que je
pense, mais si c'est ce qu'il a mis enplace, il nous a très bien compris.
Devil hocha la tête.— Il est intelligent. Pas sage,
mais intelligent.— Je ne comprends toujours
pas, dit Honoria. Quelle estexactement cette mort que Charlesa prévue pour nous ?
Devil la regarda avec uneexpression froide.
— Charles me connaît depuistoujours. Il connaît montempérament, l'ampleur de niarage ; il a une bonne idée de ce qui
pourrait la déclencher. Avec sestrois notes structurées avec soin, ils'est organisé pour que je vous voiesortir de la maison deChillingworth.
— J'avais compris cela.— De là, il se fie à moi — et à
ma rage — pour préparer le terrain.Il compte sur moi pour jouer à fondle rôle du mari furieusement jaloux,afin qu'il puisse nous tuer tous lesdeux et rendre mon tempéramentsuffisamment bien connuresponsable du fait.
Honoria soutint son regard.— Il va donner l'impression
que vous m'avez tuée dans unerage de jalousie et qu'ensuite vousvous êtes suicidé ?
Devil hocha la tête.Honoria plissa les yeux, puis ils
lancèrent des éclairs. Son mentonse raffermit.
— Charles, déclara-t-elle, n'estclairement pas un Cynster.
Elle regarda Devil.— Comment prévoyez-vous
l'attraper ?
— De la seule façon possible, enl'obligeant à se dévoiler.
— Donc, quelle sera notreintervention suivante ?
Vane rendit la note à Devil.— Il s'agit d'établir nos propres
plans, qui doivent inclure lesbonnes actions pour faire croire àCharles que son plan réussit. Danstoute bonne pièce, le méchant ne serévèle qu'à la dernière scène;Charles n'apparaîtra pas à moinsque nous, les victimes prévues,jouions correctement les scènes
précédentes.Devil jeta un coup d'œil à Vane,
se penchant en avant, résolu, puisregarda Honoria, patientantcalmement à côté de lui. Il sourit,froidement.
— Nous avons déjà complété lascène d'ouverture dans notremélodrame. Pour la suivante...À dix-huit heures le lendemainmatin, couronnées par la brume,deux grandes silhouettes, pistoletsen main, s'affrontèrent dansPaddington Green. Leurs seconds
se tenaient à l'écart ; un morceaublanc flotta vers le sol. Deux coupsde feu retentirent. Un des héross'effondra; l'autre, vêtu de noir,attendit pendant que le médecinfondait sur son patient, puis tendaitle pistolet au second avant de sedétourner rapidement.
Lui et son second remontèrentdans un carrosse noir non identifiéet quittèrent la scène. La troisièmescène de la tragédie se joua plustard ce matin-là.
Les bonnes gens faisant leur
promenade matinale dansGrosvenor Square — les bonnesd'enfants avec leurs petits, lesgouvernantes et les jeunesdemoiselles, les vieux comme lesjeunes — furent tous témoins duspectacle inattendu du carrosse devoyage des St-Ives roulant sur laplace. Il s'arrêta devant la MaisonSt-Ives ; une armée de valets depied descendit pour attacher desmontagnes de bagages.
Amusés, plusieurs regardèrenten s'interrogeant, puis la porte
s'ouvrit; monsieur le duc de St-Ives,le visage de marbre, apparut,guidant une femme lourdementvoilée. Étant donné sa grande taille,peu ne reconnurent pas sa duchesse; sa manière de se comporter avecraideur et son port de tête fiermenèrent la plupart à imaginerqu'il y avait eu un genre debrouille, possiblement une rupturescandaleuse dans ce qui jusque-làavait présenté l'apparence d'unerelation remarquablementheureuse.
Devant une foule d'yeux ronds,le duc aida de la main la duchesse àmonter dans le carrosse et la suività l'intérieur. Un valet de piedreferma la portière ; le cocherfouetta ses chevaux.
La rumeur s'envola, par desmurmures prononcés avec degrands yeux, des confidenceschuchotées échangées derrièred'élégantes mains gantées, bienavant que la voiture eût quitté lesquartiers à la mode. Les St-Ivesavaient abandonné Londres
subitement, juste avant le début dela saison. Que devait penser lahaute société ?
D'une manière prévisible, lahaute société pensa — et dit —précisément ce que l'on attendaitd'elle.
Quatre puissants chevaux noirsentraînèrent rapidement le carrossedes St-Ives dans Cambridgeshire.S'appuyant sur l'épaule de Devil,Honoria regarda la campagne quidéfilait à toute vitesse.
— J'ai bien réfléchi.Devil ouvrit les yeux assez
longtemps pour les baisser sur elle.— Oh?— Nous allons devoir donner
un bal officiel dès notre retour enville. Pour dissiper l'impressionerronée que nous avons pris tant depeine à créer.
Les lèvres de Deviltressaillirent.
— Vous devrez inviterChillingworth, bien sûr.
Honoria lui jeta un regard
d'avertissement.— Je suppose que c'est
inévitable.— Tout à fait.Devil admira la faible lueur du
soleil jouant sur les traitsd'Honoria.
— En passant, je devrais vousprévenir que, malgré l'heuretardive hier soir — minuit —, il estpossible qu'une personne m'ait vuau palais.
La preuve avait été faite que leCynster inconnu était bien Charles ;
l'histoire de la tenancière avait ététotalement convaincante.
Honoria leva une épaulehautaine.
— Si quiconque songe à mementionner votre présence là-bas,je peux vous assurer qu'on sera reçutrès froidement.
Observant l'inclinaisonimpérieuse de son menton, Devildécida qu'il était peu probable quemême la moins sensible des languesde vipères ose tenter le coup — safemme était rapidement en train de
devenir une chef de famille aussiintimidante que sa mère.
— Croyez-vous que quelqu'unvous épiait ce matin à PaddingtonCreep ? demanda Honoria.
— Gabriel a repéré un typeressemblant au nouvel homme deconfiance de Charles, Smiggs.
— Donc, vous présumez queCharles sait que vous etChillingworth, vous vous êtesrencontrés ?
— C'est un pari raisonnable.Devil l'installa plus
confortablement contre lui.— Essayez de vous reposer.Quand elle lui jeta un regard
inexpressif, il ajouta :— Demain sera peut-être
épuisant.Honoria fronça vaguement les
sourcils.— Je ne m'endors pas.Elle détourna les yeux et rata
donc la grimace exaspérée de Devil.Après un moment, il risqua un :— Je me disais seulement...— Quand pensez-vous que
Charles fera son apparition ?Devil soupira en son for
intérieur.— Soit ce soir, auquel cas il
viendra à la maison et annoncera saprésence, soit pendant la journéedemain, auquel cas il ne viendrapeut-être pas.
Quand allait-elle lui annoncer ?— Je vais envoyer deux
palefreniers à Cambridge afin qu'ilsnous préviennent dès l'instant deson arrivée.
— Pensez-vous qu'il
empruntera sa route habituelle ?— Il n'a aucune raison d'agir
autrement.Observant son profil,
remarquant son menton ferme,pour ne pas dire déterminé, Devildéclara :
— À propos, peu importe cequi se passe, vous devez avant toutgarder une chose en tête.
Inclinant la tête, Honoria clignades paupières en le considérant.
— Quoi?— Vous devez obéir à mes
ordres sans poser de question. Et sije ne suis pas là, alors j'ai votrepromesse que vous ferez ce queVane te demande, sans, ce faisant,lui donner un mal de tête.
Honoria scruta ses yeux, puisregarda devant.
— Très bien. Je vais respectervos décrets. Et ceux de Vane envotre absence.
Devil l'attira de nouveau contrelui et effleura ses cheveux de seslèvres.
— Merci.
Sous son apparente assurance,il était profondément mal à l'aise.Le besoin de permettre à Charlesd'agir et par conséquent des'incriminer lui-même, d'avoir àsuivre son jeu et donc se retrouverdans une bataille sans aucun planétait déjà assez risqué; laparticipation d'Honoria rendaitcela mille fois pire. Resserrant sonétreinte, il posa sa joue sur sescheveux.
— Nous allons devoir travaillerensemble — se reposer l'un sur
l'autre et sur Vane — si nousvoulons mettre des bâtons dans lesroues de ce drôle de pistolet.
Honoria pressa ses mains surcelles de Devil posées à sa taille.
— Hum. Étant donné quel'arme préférée de Charles est lepistolet, nous aurons besoin de plusque des bâtons.
Devil ferma les yeux et priaqu'ils n'auraient pas à en arriver là.À son soulagement, Honorias'endormit, bercée par lesoscillations du carrosse et la douce
lumière du soleil baignant lacampagne. Elle s'éveilla alors que lavoiture s'arrêtait devant lesmarches d'entrée de la Maison.
— Oh, hum.Réprimant un bâillement,
Honoria permit à Devil de lasoulever hors du véhicule.
Webster était là pour lesaccueillir.
— Pas d'ennuis, VotreSeigneurie ?
— Aucun, répondit Devil enbalayant la cour du regard. Où est
Vane ?Vane était parti pour
Cambridgeshire dès l'instant où ilsavaient quitté Paddington Green;Webster et madame Hull avaientdéserté Grosvenor Square à l'aube.
— Des problèmes avec lemoulin à vent de Trotter's Field.
Webster ordonna aux valets depied de s'occuper des bagages.
— Maître Vane était ici lorsqueKirby l'a rapporté ; il est allévérifier.
Devil rencontra le regardd'Honoria.
— Je devrais y aller pour voirce qui se passe. Ce n'est qu'àquelques champs d'ici, je ne seraipas absent longtemps.
Honoria le congédia d'un signede la main.
— Allez et secouez les puces devotre démon noir. Il aprobablement senti votre retour ;vous le trouverez en train depiétiner le pâturage avecimpatience.
Devil rigola. Emprisonnant samain, il pressa ses lèvres sur sonpoignet en guise de baiser.
— Je serai de retour en moinsd'une heure.
Honoria le regarda partir àgrandes enjambées, puis, avec unsoupir de contentement, monta lesmarches de sa maison. Et c'était sonfoyer — elle le sentit dès qu'elleentra.
Lançant son bonnet, elle sourità madame Hull, passant avec unbol de bulbes épanouis pour le
salon. Inspirant profondément, ellesentit une force calme l'envahir —la force des générations de femmesCynster.
Elle but le thé dans le petitsalon du fond, puis agitée, elle sepromena dans les pièces du rez-de-chaussée, se refamiliarisant avec lesdifférentes vues. Revenant dans levestibule, elle marqua une pause. Ilétait trop tôt pour se changer pourdîner.
Deux minutes plus tard, ellegrimpait les marches du pavillon
d'été. S'installant sur le canapéd'osier, elle contempla la maison,l'imposante façade qui l'avait tantimpressionnée à première vue. Sesouvenant de la manière dont Devill'avait tirée à sa suite ce jour-là, ellesourit. La pensée de son mariaugmenta son agitation ; il étaitparti depuis presque une heure.
Se levant, elle abandonna lepavillon d'été et se dirigea vers lesécuries. Il n'y avait personne dansles environs quand elle pénétradans la cour, mais l'endroit n'était
jamais laissé sans employé. Lespalefreniers devaient être en trainde s'occuper du bétail primé de sonmari ; les hommes plus âgésapportaient probablement leur aidepour réparer le moulinendommagé. Melton, cependant,était certainement caché quelquepart; il viendrait si elle appelait,mais autrement il avait tendance àrester hors de vue.
Honoria entra dans le bâtimentprincipal des écuries — ni Devil niSulieman ne s'y trouvaient.
Imperturbable, elle passa les cinqminutes suivantes à communieravec sa jument. Puis, elle entenditle bruit de sabots. Levant la tête,elle écouta — un cheval pénétrabruyamment dans la cour.Souriant, elle offrit à la jument unedernière pomme séchée, puiss'époussetant les mains sur sesjupes, revint rapidement sur ses pasdans l'écurie et tourna dans la coursous l'entrée en arche.
Et fonça sur un homme.Elle retomba sur ses pieds, les
yeux écarquillés, un petit cri coincédans sa gorge.
— Mes excuses, ma chère. Je nevoulais pas vous faire sursauter.
Avec un bref sourired'autodénigrement, Charles reculad'un pas.
— Ah...Une main pressée sur son cœur
palpitant, Honoria ne trouva rien àdire. Où était Devil? Et Vane? Eux,qui devaient la mettre au courantdu plan ?
— Je... heu...
Charles fronça les sourcils.— Je vous ai véritablement
bouleversée. Je vous prie dem'excuser. Cependant, j'ai bienpeur d'apporter de gravesnouvelles.
Le sang quitta le visaged'Honoria.
— Quelles nouvelles ?— J'ai bien peur...Lèvres pincées, Charles balaya
son visage du regard.— Il s'est produit un accident,
dit-il enfin. Sylvester est blessé, il
vous demande.Honoria ouvrit grand les yeux
et scruta son visage. Était-ce vrai —où était-ce la première répliquedans sa scène finale ? Si Devil étaitblessé, elle s'en foutait — elle iraitle retrouver, peu importe ce qui sepassait. Mais Charles mentait-il?Elle calma sa respiration et tenta dedompter son cœur battant.
— Où ? Où est-il ?— Au cottage dans la forêt.Elle cilla.— Celui où Tolly est mort ?
— Hélas, oui.Charles avait l'air sombre.— Un endroit malheureux.En effet, mais le moulin à vent
brisé se trouvait dans la directionopposée.
— Oh mon doux.S'efforçant de n'afficher aucune
expression, Honoria se tordit lesmains, quelque chose qu'elle n'avaitjamais fait avant dans sa vie. Enl'absence de Devil et Vane, elledevrait elle-même écrire la scène.Les tactiques dilatoires venaient en
premier.— Je me sens très faible.Charles plissa le front.— Il n'y a pas de temps pour
cela.Quand elle tituba d'un côté et
s'affaissa sur le mur de l'écurie, lepli sur son front s'approfondit.
— Je n'aurais pas pensé quevous étiez du genre à avoir desvapeurs.
Malheureusement, Honoriaignorait complètement cequ'entraînaient les vapeurs
lorsqu'on y succombait.— Que... qu'est-il arrivé ? À
Devil ?— On lui a tiré dessus.Charles se renfrogna pour
afficher une émotion qui àl'évidence devait donnerl'impression d'une affection enversson cousin.
— Manifestement, une canailletenant rancune à la famille se sertde la forêt pour se couvrir.
La canaille était en face d'elle;Honoria s'efforça de cacher sa
réaction.— Quelle est la gravité de sa
blessure ?— Sévère, lui dit-il en tendant
la main vers elle. Vous devez venirrapidement, Dieu seul sait combiende temps il survivra.
Il agrippa son coude ; Honoriacombattit l'envie impulsive de lelibérer d'une torsion. Puis, ellesentit la force dans la poigne et nefut pas certaine de pouvoir yarriver. La soulevant à moitié,Charles la propulsa dans les
écuries.— Nous devons nous dépêcher.
Lequel est votre cheval ?Honoria secoua la tête.— Je ne peux pas monter à
cheval.Charles lui lança un regard
sévère.— Que voulez-vous dire ?Les femmes enceintes ne
montaient pas à cheval. Honoriacilla, les yeux inexpressifs.
— J'ai peur des chevaux.Autant qu'elle pût s'en
souvenir, Charles ne l'avait jamaisvu monter.
— Et les chevaux de Devil sontimpossibles.
Elle réussit à libérer son coudeen le remuant.
— Nous allons devoir prendrele cabriolet.
— Le cabriolet !La mine renfrognée de Charles
était tout à fait sincère.— Il n'y a pas de temps pour
cela !— Mais... mais... alors, je ne
pourrai pas y aller ! Honoria setenait au milieu de l'écurie et lefixait avec
impuissance. Pathétiquement,Charles lui décocha un regardmauvais ; elle se tordit les mains.
Il grinça des dents.— Oh, d'accord !Il se précipita hors de l'écurie et
se dirigea vers l'étable. Honorias'arrêta dans la cour.' Dès queCharles disparut dans l'étable, ellefouilla, parcourant des yeux lescours adjacentes, scrutant la faible
lumière en face du bâtiment del'écurie. Où était Melton ? Puis, elleentendit le grondement de roues.
— Bon sang !Elle se hâta de retraverser la
cour. Son rôle était clair : elle devaitse conformer au plan de Charles etle laisser s'in- criminer lui-même.La panique mettait ses nerfs enboule et lui chatouillait l'épinedorsale ; mentalement, elle laraidit. Ils devaient attraper Charles— il était comme une épéesuspendue au-dessus de leurs têtes ;
celle de Devil, la sienne et del'enfant qu'elle portait. Cependant,comment Devil allait-il la sauver s'ilignorait où elle se trouvait ?Faiblement, elle s'affaissa contre lemur de l'écurie.
Et elle vit Melton dans lesombres de l'écurie directement enface.
Honoria ravala un cri de joie ;elle se hâta de retirer touteexpression de ses traits alors queCharles manœuvrait le légercabriolet hors de l'étable.
Il lui lança un regard noir.— Venez tenir les brancards
pendant que je vais chercher uncheval.
Adoucissant la ligne de sonmenton, dissimulant toute trace derésolution, Honoria obéitmollement. Charles entra dansl'écurie; Honoria jeta un coup d'œilau bâtiment opposé. La casquettede Melton était tout juste visible àtravers la porte ouverte de l'écurie ;il collait aux ombres d'un côté del'entrée.
Puis, Charles fut de retour,guidant un puissant cheval gris.
— Tenez les brancards stables.Honoria les laissa tomber une
fois, puis bouscula furtivement lecheval de sorte qu'il les libéra d'uncoup d'épaule. Le visage fermésombrement, Charles travaillacomme un forcené, bouclant leharnais, clairement conscient dutemps qui s'écoulait. Honoriaespéra avec ferveur qu'elle avaitévalué correctement cettecommodité et que Devil ne se
déciderait pas pour une promenadeplus longue.
Charles tira sur la dernièreboucle, puis se tint en retrait,balayant le cabriolet du regard.Pendant un instant, son expressionfut spontanée — le sourire quitordit ses lèvres, suintantl'anticipation, Honoria aurait pus'en passer. À cet instant, elle vit letueur derrière le masque.
Melton était peut-être vieux,mais son ouïe était fine, ce quiexpliquait comment il réussissait à
éviter Devil. Honoria fixa surCharles son regard le plusimpuissant.
— Keenan est-il avec Devil ?Elle gardait une expression
vague, distraite.— Vous avez bien dit qu'il se
trouvait dans le cottage de Keenan,non ?
— Oui, mais Keenan n'y estpas.
Charles démêla les rênes.— Vous voulez dire qu'il est
seul ?
Les yeux d'Honoria devinrenttrès grands.
— Il se meurt tout seul dans lecottage de Keenan ?
— Oui !Charles lui attrapa le bras et la
mit presque de force dans lecabriolet.
— Il se meurt là-bas pendantque vous avez une crise d'hystérieici.
Il poussa les rênes dans sesmains.
— Nous devons nous dépêcher.
Honoria patienta le temps qu'ilmonte sur son alezan, se tournantvers l'entrée des écuries avant dedemander :
— Retournez-vous là-basdirectement ?
Charles la regarda avec un plisur le front.
— Directement?Elle désigna le cabriolet.— Eh bien... Ceci ne passe pas
sous l'arche dans le mur ; je vaisdevoir le laisser près du portailprincipal et ensuite trouver la piste
cavalière menant au cottage.Charles grinça distinctement
des dents.— Je ferais mieux, dit-il en
articulant lentement, de rester avecvous. Ou bien vous pourriez vousperdre.
En silence, Honoria hocha latête. Docilement, elle fit claquer lesrênes et mit le cabriolet en marche.Elle avait fait tout ce qu'elle avaitpu — elle avait retardé le départpar tous les moyens qu'elle avaitosé employer. Le reste dépendait de
Devil.
Chapitre 25
Devil sut que quelque chose
clochait terriblement à l'instant où
il repéra Melton, debout sous
l'arche de la cour d'écurie, agitant
violemment sa casquette. En jurant,
il donna un coup de talons dans les
flancs de Sulieman; l'exclamation
de Vane mourut derrière lui, puis
des sabots retentirent avec fracas
alors que Vane suivait dans son
sillage.
— Qu'y a-t-il ? demanda-t-il enarrêtant Sulieman dans unglissement.
Melton serrait sa casquette surson torse.
— Maître Charles. Votre dameest partie avec lui ; il lui a dit qu'onvous avait tiré dessus et que vous
étiez en train d'agoniser dans lecottage de Keenan.
Devil jura.— Depuis combien de temps ?— Cinq minutes, pas plus. Mais
vot' dame est intelligente, elle ainsisté pour prendre le cabriolet.
— Le cabriolet ?Devil se carra sur son cheval.— Charles est parti avec elle ?— M'ouais, il voulait s'assurer
qu'elle ne perdait pas son chemin.Faisant claquer ùne porte
mentale sur la peur glaciale qui
hurlait en lui, Devil jeta un coupd'œil à Vane.
Tu viens ?— Rien au monde ne pourrait
m'en empêcher.Ils se rendirent directement au
cottage ; il n'y avait personne.Attachant leurs chevaux au fond dela piste cavalière menant au sud, àl'opposé de celle qu'emprunteraientCharles et Honoria, ils partirent enreconnaissance. Dans le boisé enface de la chaumière, ilsdécouvrirent un fossé, assez
profond pour les dissimuler. Ilformait un cercle autour de laclairière de chaque côté de la pistedepuis la route. Ils réfléchissaient àla meilleure façon de l'utiliserlorsque le bruit de sabots serapprocha. Se précipitant dans lefossé, ils observèrent la scène.
Charles arriva à cheval. Ildescendit près de l'écurie, vérifiaqu'Honoria le suivait toujours, puisguida sa bête à l'intérieur.
Stoppant son cabriolet devantle cottage, Honoria n'esquissa pas
un geste pour en descendre. Dèsl'instant où Charles quitta sa vue,elle regarda éperdument autourd'elle. Son geste et son expressionexprimaient une peur véritable.
Dans le fossé à vingt-cinqmètres plus loin, Devil juradoucement.
— Cette fois, je vais te vaincre !Il n'osa pas agiter la main ; il
parierait toute sa fortune queCharles était venu armé. Lui-mêmeet Vane tenaient des armeschargées dans les mains, mais il ne
voulait pas de tirs alors qu'Honoriase trouvait dans la ligne de feu.
Époussetant ses mains, Charlessortit de l'écurie. Il plissa le frontlorsqu'il aperçut Honoria encoredans le cabriolet, les rêneslâchement tenues entre ses mains.
— J'aurais cru que vous auriezété impatiente de voir votre mari.
Il désigna la maisonnette.Honoria rencontra son regard
froid.— J'ai hâte de le voir.Elle savait au fond d'elle-même
que Devil n'était pas dans lecottage — pendant un instantfugitif, elle pensa qu'il se trouvaitdans la forêt, près, mais elle n'avaitrien repéré. Cependant, il devaitêtre en route — et elle était alléeassez loin avec Charles. Ce dernierralentit, le pli sur son fronts'intensifiant.
Inspirant profondément,Honoria redressa les épaules.
— Toutefois, il n'est pas dans lecottage.
Charles s'immobilisa ; pendant
un moment, son visage n'exprimarien. Puis, ses sourcils se haussèrentavec une supérioritécondescendante.
— Vous êtes trop bouleversée.S'avançant à côté du cabriolet,
il tendit la main vers son bras.— Non!Honoria recula brusquement.
Les traits de Charles semodifièrent. Ce qu'elle vit dans sesyeux lui fit ravaler sa panique ; cen'était pas le moment de perdre latête.
— Nous sommes au courant.Avez-vous pensé que nous necomprendrions pas ? Nous savonsque vous avez essayé de tuer Devil; nous savons que vous avez tuéTolly.
Charles marqua une pause ;pendant qu'elle l'observait, levernis de civilisation s'écaillacouche après couche sur son visage,exposant une expression de calculfroid, morte à toute émotionhumaine.
— Savoir, dit Charles, la voix
anormalement égale, ne voussauvera pas.
Honoria le croyait — sonunique espoir était de l'inciter àcontinuer à parler jusqu'à l'arrivéede Devil.
— Nous savons à propos devotre homme de confiance,Holthorpe, et à propos des marinsque vous avez envoyés sur la pistede Devil, à propos du poison dansle brandy.
Que savaient-ils d'autre? Sa
litanie ne retiendrait pas Charleslongtemps. Gonflée à bloc par lapeur, elle inclina la tête et fronçales sourcils.
— Nous savons tout ce quevous avez fait, mais nous ignoronspourquoi. Vous avez tué Tolly afinqu'il ne puisse pas prévenir Devilque vous planifiez de l'assassiner.M a i s pourquoi êtes-vous aussidéterminé à vous emparer du titre?
Désespérée, elle rappela à sa
mémoire tout ce qu'elle avaitressenti jusque-là à propos deCharles, chaque indice intuitifqu'elle avait glané.
— Ce n'est pas pour l'argent,vous êtes déjà assez riche. Vousdésirez le titre, mais vous méprisezla famille. Pourquoi, alors, voulez-vous en devenir le chef ?
Elle marqua une pause,espérant qu'il lirait un véritableintérêt sur son visage. — Quelprofond motif vous guide ?
Charles l'observa sansexpression; Honoria sentit soncœur ralentir. Puis, il haussa unsourcil dans le style typiquementarrogant des Cynster.
— Vous êtes très perspicace, machère.
Il sourit, une légère courbe surses lèvres.
— Et, comme vous allez bientôtmourir, je suppose qu'il n'y a pas demal à vous le dire.
Il la regarda droit dans les yeux.
— Mon nom peut bien êtreCynster, je ne serai jamais l'und'eux ; je me suis toujours senti plusproche de la famille de ma mère. Ilssont tous morts aujourd'hui.
Appuyant fortement une mainsur le cabriolet, Charles fixa la forêtavec des yeux brillants.
— Je suis le dernier desButterworth, une race infinimentsupérieure, non qu'un Cynsterl'admettrait.
Ses lèvres se recourbèrent d'unair moqueur.
— Bientôt, ils n'auront plus lechoix. Une fois que je prendrai lesrênes, je prévois modifiercomplètement la famille, passeulement en ce qui concerne lecomportement associé à notre nom,mais le nom aussi, je le changerai.
Il regarda Honoria.— Il n'y a rien pour m'arrêter.Honoria le fixa, bouche bée de
stupéfaction. Souriant, Charleshocha la tête.
— Oh oui : cela peut se faire.Cependant, c'était ainsi que les
choses devaient être. LesButterworth étaient destinés àdevenir la lignée principale; mamère devait être duchesse. C'est laraison pour laquelle elle a épouséArthur.
— Mais...Honoria cilla.— Quand est-il...— Du père de Sylvester ?L'expression de Charles se fit
irritée.— Maman ne s'attendait pas à
grand-chose de lui. Quand elle a
épousé Arthur, tout semblait clair :Arthur viendrait qu'à hériter, puisson fils. Moi.
Son front s'assombrit.— Ensuite, cette traînée
d'Helena a balancé ses hanches etoncle Sébastian s'y est laisséprendre, et Sylvester est né.Cependant, même alors, ma mèresavait que tout finirait bien — aprèsDevil, Helena ne pouvait plus avoird'autres morveux ; restait monpère, puis moi, les prochains enligne.
Charles retint le regardd'Honoria prisonnier.
— Voulez-vous savoir pourquoij'ai laissé courir pendant silongtemps ? Pourquoi ai-je attendupour me débarrasser de Sylvester ?
Honoria hocha la tête.Charles soupira.— J'expliquais ce point
particulier à Maman, à son portrait,quand Tolly est venu chez moi cesoir-là. Je ne l'ai pas entendu — cecrétin d'Holthorpe l'a laissé entrersans se faire annoncer. C'est assez
juste qu'en raison de sa paresse,Holthorpe a dû mourir.
La voix de Charles avait prisune intonation méchante ; il cilla,puis recentra son regard surHonoria.
— Comme je l'ai dit à Maman,j'avais besoin d'une raison; je nepouvais pas simplement tuerSylvester et espérer que personnene le remarquerait. Quand il étaitjeune, Vane l'accompagnait partout— les accidents que j'ai manigancésn'ont jamais réussi. J'ai patienté,
mais ils sont toujours restés intimes.Pire, Richard s'est joint à eux, puisles autres.
Les lèvres de Charles seretroussèrent.
— La barre Cynster.Sa voix se raffermit, ses traits se
durcirent.— Ils sont une épine dans mon
pied depuis des années. Je veuxSylvester mort d'une façon qui lessevra, eux et les autres membres dela famille, de leur admiration. Jeveux le titre, je veux le pouvoir.
Ses yeux brillèrent.— Sur eux tous.Brusquement, son visage
changea, ses traits se vidant detoute expression.
— J'ai promis à Maman dem'emparer du titre, même si ellen'est plus ici pour en être témoin. Ilest écrit depuis toujours que lesButterworth doivent triompher; jelui ai expliqué pourquoi j'avaisattendu si longtemps et pourquoi jepensais que peut-être, avec Devildevenant si agité, que le moment
pût enfin être venu.Encore une fois, il revivait son
passé ; Honoria demeura assiseparfaitement immobile, satisfaitede voir son attention ailleurs.L'instant suivant, il se tournaférocement vers elle.
— Mais ensuite, vous êtesarrivée, et le temps m'abrusquement manqué !
Honoria recula ; le chevalchangea de position, sa robetremblant. Les yeux de Charlesflamboyaient ; pendant un instant,
elle crut qu'il allait la frapper.Au lieu, avec un effort visible,
il s'écarta, s'efforçant de maîtriserses traits. Quand ils redevinrentcalmes, il continua sur le ton de laconversation.
— Initialement, je vous ai jugéetrop intelligente pour vous laisserprendre aux trucs de Devil.
Il lui jeta un regard de mépris.— J'avais tort. Je vous ai
prévenue qu'épouser Sylvester étaitune erreur. Vous perdrez la vie àcause de cela, mais vous avez été
trop stupide pour écouter. Je nevais pas risquer d'être davantageéloigné de mon but. Arthur estvieux, il ne causera pas d'ennuis.Toutefois, si vous et un fils quevous porteriez surviviez à Devil, jedevrais avoir affaire à tous lesautres — ils ne quitteraient jamaisle fils de Devil du regard !
Serrant fortement l'arrière ducabriolet, Honoria garda les yeuxfixés sur ceux de Charle et priapour que Devil ou Vane soit arrivéà temps pour avoir entendu au
moins une partie de sa tirade. Ilavait pris la corde qu'elle lui avaittendue et s'était rué, en déroulantassez pour se pendre avec deux fois.
Charles inspira profondémentet détourna les yeux, vers la forêt. Ilse redressa ; lâchant le cabriolet, iltira sur son manteau pour leremettre en place.
Honoria saisit l'occasion pourregarder autour d'elle : elle avaittoujours le sentiment quequelqu'un les observait. Toutefois,pas même une brindille ne remua
dans les bois.Elle avait atteint son principal
objectif. Sa disparition et sa mortdonneraient suffisamment depreuves de la culpabilité de Charles; Melton pourrait témoigner queCharles l'avait attirée ailleurs par laruse. Devil serait en sécurité —libéré de Charles et de sesinterminables machinations.Cependant, elle préférait de loinêtre en vie pour partager lescélébrations et profiter de leurenfant. Elle ne voulait absolument
pas mourir.Charles se saisit d'elle —
Honoria hurla. Lâchant les rênes,elle se débattit, mais il étaitbeaucoup trop fort. Il la traîna horsdu cabriolet.
Ils luttèrent, dansant dans lesfeuilles tapissant la clairière. Enrenâclant, le cheval gris recula ;Charles se cogna contre le cabriolet.La bête bondit, le cabriolet lesuivant dans un bruit de ferraille.Honoria le vit partir, prise par uneimpression de déjà-vu. Un autre
cheval gris détalant avec un autrecabriolet, cette fois la laissant enrade avec le meurtrier et non avecsa victime. Elle devait devenir saprochaine victime.
Refermant un bras autour de sagorge, Charles la remit debout entirant.
— Charles !Le rugissement de Devil
remplit la clairière; Honorias'évanouit presque. Elle regardafrénétiquement autour d'elle ; la
tenant devant lui, Charles la fittourner d'un côté, puis de l'autre,mais il ne put localiser la positionde Devil. Charles jura ; l'instantd'après, Honoria sentit le canon durd'un pistolet pressé sous son seingauche.
— Sors, Sylvester; ou biendésires-tu voir ta femme recevoirune balle sous tes yeux ?
Poussant la tête en arrière,Honoria eut un aperçu du visage deCharles, exultant, les yeux brillant
de folie. Affolée, elle essaya de sedébattre ; Charles lui serra la gorge.Levant le coude, il l'obligea à leverle menton ; elle dut s'étirer sur lebout de ses orteils, perdant pied.
— Devil ?Honoria parla au ciel.— Ne vous avisez pas de sortir,
m'entendez-vous? Je ne vous lepardonnerai jamais si vous le faites,alors ne le faites pas.
La panique la saisit, enfonçantses griffes très profondément ; des
ombres noires dansèrent' devantses yeux.
— Je ne veux pas que vous mesauviez. Vous aurez d'autresenfants, il est inutile de me sauver.
— Sa voix se brisa; elles'étrangla dans ses larmes. Unrugissement sourd lui emplit lesoreilles. Elle ne voulait pas êtresauvée si le prix en était sa vie à lui.
Dans le fossé, Devil vérifia sonpistolet. Vane, les sourcilsatteignant presque la ligne de ses
cheveux, le fixa.— D'autres enfants?Devil jura entre ses dents.— Elle choisit le bon moment
pour annoncer son état.— Tu le savais ?— L'une des premières
conditions requises pour être duc :tu dois être capable de compter.
Le visage sombrement fermé,Devil coinça son pistolet sous saceinture dans son dos et replaçason manteau.
— Va à l'autre bout du fossé,
au-delà de la piste.Honoria jacassait d'une
manière hystérique ; il ne pouvaitpas se laisser aller à l'écouter. Ilsortit la flasque de Tolly de sapoche; il la portait sur lui depuisque Louise la lui avait rendue, unsouvenir de son cousin pas encorevengé. Travaillant fiévreusement, ilpoussa pour faire entrer la flasquedans la poche intérieure gauche deson manteau; jurant doucement, ildéchira la doublure avecprécaution — enfin, la flasque
glissa à l'intérieur. Replaçant sonmanteau, il vérifia la position de laflasque. Vane le dévisagea.
— Je n'arrive pas à y croire.— Crois-le, lui conseilla Devil.Il leva la tête; Honoria était
encore noyée sous son propredéluge de paroles. Charles, lepistolet sur le sein d'Honoria,fouillait la forêt du regard.
— Je suppose qu'il est inutiled'essayer de te convaincre de nepas le faire ?
— Dans son dos, Vane vérifiait
son pistolet. Devant le silence deDevil, il soupira.
— Je le pensais bien.— Sylvester?— Ici, Charles.La réponse permit à Charles de
se placer face à leur directiongénérale.
— Lève-toi. Et n'apporte pas depistolet.
— Tu comprends bien, sifflaVane en se tortillant sur le ventre,que cette folle idée à toi a le
potentiel d'entamer la réputationd'invincibilité tant vantée de lafamille ?
— De quelle façon ?Devil déboutonna son manteau,
s'assurant que les boutonspendaient bien loin de son côtégauche.
— Lorsque Charles te tuera, jevais tuer Charles, puis ta mère vame tuer pour avoir laissé Charles tetuer. Cette folie dont tu fais preuvesemble prête à compter la mort de
trois d'entre nous en un seul coup.Devil grogna.— Tu commences à parler
comme Honoria.— Une femme de bon sens.Se préparant à se lever, Devil
jeta un dernier regard à Vane.— Tu couvres mes arriéres?Vane rencontra son regard.— Ne le fais-je pas toujours ?Puis, il pivota ; accroupi très
bas, il se dirigea vers l'autreextrémité du fossé.
Devil le regarda partir, inspiralonguement, puis se leva.
Charles le vit — il resserra saprise sur Honoria.
— Lâche-la, Charles.Devil conserva une voix calme ;
la dernière chose qu'il voulait étaitde faire paniquer Charles — celuisur qui il comptait pour tirer droitau but.
— C'est moi que tu veux et paselle.
Il commença à venir vers eux,passant par-dessus les sous-bois
broussailleux, évitant les nouveauxjoncs et les jeunes arbres. Il neregarda pas Honoria.
— Retournez-vous en ! cria-t-elle. Allez-vous-en !
Sa voix se brisa sur un sanglot.— Je vous en prie... non.Elle pleurait sérieusement.— Non... Non !Secouant la tête, elle ravala ses
sanglots, les yeux suppliants, savoix s'estompant.
Devil avança d'un pas régulier.Il approcha du bord de la clairière
et Charles sourit — un petit souriresatisfait et victorieux. Brusquement,il repoussa violemment Honoria.
Elle cria en tombant; Devilentendit le bruissement des feuillesquand elle tenta frénétiquement delibérer ses pieds de ses jupes.Calmement, il mit le pied dans laclairière.
Charles leva le bras, visa avecsoin — et le tira dans le cœur.
L'impact fut plus importantqu'il s'y était attendu; il le fit sebalancer sur ses talons. Il recula en
chancelant, resta suspendu,immobile, pendant une fraction deseconde — la seconde pendantlaquelle il réalisa qu'il était toujoursen vie, que Charles s'en était tenu àses habitudes et avait visé son cœuret non sa tête, que la flasque deTolly avait été bien réagi àl'épreuve — puis, il se laissatomber, glissant sa main droitedans le dos de son manteau ens'affaissant. Il atterrit sur sa hancheet son épaule gauche ; sous lui, samain droite tenait son pistolet, déjà
libéré de sa ceinture. Avec art, ilgémit et roula sur le dos, ses bottesétant les plus proches de Charles.Tout ce qu'il fallait maintenant étaitqu'Honoria — pour une fois dans savie — se comporte comme il lesouhaitait.
Elle le fit ; son hurlement noyapresque le bruit du coup de pistolet— l'instant suivant, elle se lança detout son long sur lui. Des larmescoulant à flot sur ses joues, ellesanglota et l'examina avecdésespoir — cherchant la blessure
qu'il n'avait pas.Incapable de réfléchir, ayant
perdu toute capacité à fonctionnerrationnellement, Honoria repoussale manteau de Devil d'un côté — etne trouva rien d'autre qu'unechemise blanche intacte couvrantune chair ferme et chaude.
Haletante, la gorge irritée parson cri, la tête résonnantdouloureusement, elle ne réussitpas à comprendre. Devil était mort— elle venait de le voir recevoirune balle. Elle replaça son manteau
— une tache mouillée commençaità se répandre. Ses doigtstouchèrent le métal.
Elle s'immobilisa. Puis, ses yeuxse posèrent rapidement sur ceux deDevil ; elle vit le vert briller sous seslongs cils. Sous sa main, son torse sesouleva très légèrement.
— Une scène tellementémouvante.
Honoria tourna la tête. Charlesse rapprocha paresseu- sement, s'arrêtant à dix pas d'elle. Il
avait lâché le pistolet dont il s'étaitservi pour tirer sur Devil; dans samain gauche se trouvait unedeuxième arme plus petite.
— Dommage d'y mettre fin.Souriant encore, Charles leva
son pistolet, le pointant sur le seind'Honoria.
— Charles !Le cri de Vane fit brusquement
pivoter Charles. Devil roula à demi,se relevant sur son coude gauche,libérant son bras droit, envoyantsimultanément valser Honoria sur
le sol, la protégeant de son corps.La tête de Charles se tourna
vivement; ses lèvres serecourbèrent sous un grondementféroce. Il leva son pistolet. Et ilmarqua une pause infime d'uneseconde pour viser correctement.
Ni Devil ni Vane n'hésitèrent.Deux coups retentirent; Charles futsecoué une fois. L'expression surson visage en était une destupéfaction. Il recula enchancelant ; son bras retombamollement. Le pistolet glissa de ses
doigts; ses yeux se fermèrent —lentement, il s'effondra au sol.
Devil pivota vivement — unedouleur cuisante le frappa àl'oreille.
— Comment osez-vous ?Les yeux d'Honoria lançaient
des flammes.— Comment osez-vous sortir
comme ça pour vous faire tuer!Agrippant sa chemise, elle
tenta de le secouer.— Si jamais vous me refaites
cela...
— Moi ? Et vous ? Vous enallant joyeusement avec unmeurtrier. Je devrais vous chaufferles fesses, vous enfermer dans votrechambre...
— C'est sur vous qu'il a tiré ; j'aifailli mourir !
Honoria lui frappa durement letorse.
— Comment diable pensez-vous que je peux vivre sans vous,homme impossible !
Devil lui jeta un regard furieux.— Foutrement mieux que moi,
je pourrais vivre sans vouslLa voix de Devil s'était élevée
jusqu'à devenir un rugissement.Leurs regards s'affrontèrent,brûlants de fureur possessive.Honoria scruta ses yeux; il fouillales siens. Simultanément, ilscillèrent.
Honoria respira avec peine,puis elle lança ses bras autour delui. Devil essaya de s'accrocher à sajuste colère, puis il soupira etl'enveloppa de ses bras. Ellel'étreignait avec tant de force qu'il
pouvait à peine respirer. Il l'attirasur ses cuisses. Il lui caressa lescheveux.
— Je suis encore ici. Je vous aidit que je ne vous quitterais jamais.
Après un moment, il demanda :— Est-ce que tout va bien ?
Pour vous deux ?Honoria leva la tête, ses yeux
bleu-gris dans l'eau ; ellescruta son visage, puis hoqueta.
— Nous allons bien.— Vous ne vous êtes pas
blessée lorsque vous êtes tombée ?
Elle secoua la tête.— Je ne crois pas. Rien ne
semble clocher.Devil plissa le front.— Je vais vous ramener à la
maison.À madame Hull, qui
connaissait ce genre de choses.
— Mais, d'abord...Il jeta un coup d'œil à Charles,
étalé sur les feuilles.Honoria regarda, puis, en
reniflant, elle redressa ses jupes
d'un coup de poignet et s'efforça dese mettre debout. Devil l'aida, puisse leva. Inspirant profondément, ilavança d'un pas — Honoria lesuivit de près. Devil hésita, puispassa un bras autour d'elle et sentitle sien se glisser autour de sa tailleà lui. Ensemble, ils se rendirent àl'endroit où Vane se tenait, baissantles yeux sur Charles.
Deux balles l'ayant déchiréd'angles différents avaient fait unebouillie du torse de Charles. Il futimmédiatement évident qu'il ne
survivrait pas. Cependant, il n'étaitpas encore mort.
Quand Devil s'arrêta à côté desa hanche droite et baissa la tête, lespaupières de Charlespapillonnèrent.
— Comment? murmura-t-ild'une voix rauque.
Devil sortit la flasque de Tollyde sa poche. Elle ne contiendraitplus jamais de liquide ; la balle avaitpercé un côté et s'était logée dansl'autre. Il la tint en l'air.
Charles la fixa. La lumière se fit
en lui; ses traits se tordirent.— Donc, dit-il dans un
halètement, chaque mot était uncombat. Mon petit demi-frère agagné en fin de compte. Il étaittellement décidé à te sauver...
Une toux l'interrompit.Devil dit doucement :— Tolly était un bien meilleur
homme que toi.Charles essaya de ricaner.— Si j'étais toi, dit Vane,
j'utiliserais le temps qu'il me restepour faire la paix avec Dieu. Que le
ciel en soit témoin, tu ne la ferasjamais avec les Cynster.
Sur ces mots, il s'éloigna.L'expression dédaigneuse,
Charles ouvrit la bouche pourcommenter — ses traits secontorsionnèrent, ses yeuxs'ouvrirent grand. Il se raidit. Puis,ses paupières retombèrent; sa têteroula mollement d'un côté.
Honoria resserra son étreintesur Devil, mais elle ne détourna pasles yeux du visage de Charles.
— Est-il mort ?
Devil hocha la tête.— C'est fini.Un bruit de sabots approcha,
venant du sud. Vane sortit ducottage et regarda Devil. Devilhaussa les épaules. Ils sedéplacèrent pour intercepter lesnouveaux venus. Honoria avançaavec Devil ; elle n'était pas encoreprête à le lâcher.
Des cavaliers apparurent sur lapiste cavalière, avançant vivementsur leurs montures. L'instantsuivant, la clairière débordait de
Cynster.— Que faites-vous ici ?
demanda Devil.— Nous sommes venus aider,
répondit Richard du ton de celuiqui est offusqué qu'on lui pose laquestion.
Il regarda le corps étalé sur lesol.
— Hum. On dirait que vousvous en êtes sortis sans nous. Ilétait tellement certain qu'il tefaisait faire ses quatre volontés, il aquitté Londres avant toi.
— Et maintenant ?Gabriel, son cheval attaché à un
arbre, vint les rejoindre.— Tu ne peux pas
sérieusement songer à faire croire àun accident.
Lucifer le suivait de près.— A part tout le reste, moi,
pour commencer, je refuserai netd'assister aux funérailles deCharles.
Harry s'aligna à côté de Vane.— Tout à fait. Et si tu peux
digérer le fait que Charles soit
enterré à côté de Tolly, moi je ne lepeux pas.
— Alors, que faisons-nous ducorps, mon frère ?
Richard haussa les sourcils endirection de Devil.
Ils considérèrent tous Devil.Honoria leva la tête, mais il
portait son masque. Il lui jeta uncoup d'œil, puis regarda le cottage.
— Nous ne pouvons pas courirle risque de l'enterrer : quelqu'unpourrait tomber sur sa tombe parhasard.
Son regard s'attarda sur lecottage, puis balaya la forêt autourd'eux.
— Il n'a pas beaucoup plu. Laforêt est assez sèche.
Vane examina la chaumière.— La maison t'appartient, après
tout ; personne ne le saurait, saufKeenan.
— Je vais m'occuper de Keenan; il y a une veuve au village qui atrès envie de le prendre commechambreur.
— Oui.
Richard ôta son manteau d'uncoup d'épaule.
— Nous allons devoir démolirle toit et pousser les murs afin devoir à ce que tout brûle assez bien.
— Nous ferions mieux de nousy mettre.
Gabriel scruta le ciel.— Nous allons devoir nous
assurer que le feu est éteint avantde partir.
Honoria les observa pendantqu'ils retiraient leurs manteaux,leurs gilets et leurs chemises, Devil
et Vane compris. Richard et Gabrieldénichèrent des haches dansl'écurie; Harry et Lucifer guidèrentles chevaux plus loin, amenantl'alezan loué de Charles avec eux.
— Libérez-le dans les champsles plus proches de CambridgeRoad, cria Devil dans leurdos.Harry hocha la tête.
— Je le ferai ce soir.Quelques moments plus tard,
le son des haches mordant dans lebois vieilli remplit la clairière.Devil et Vane prirent chacun une
main de Charles ; ils traînèrent lecorps dans le cottage. Honoria lessuivit. Du seuil, elle les observapendant qu'ils manipulaientCharles pour le déposer sur lapaillasse nue sur laquelle Tollyétait mort.
— Des plus appropriés.Vane s'épousseta les mains.
Honoria recula d'un pas — un éclatde bois vola devant son visage.
— Quedia...Richard, hache en main, lui
lança un regard mauvais, puis leva
la tête.— Devil!Il n'eut pas besoin d'expliquer
le problème. Devil se matérialisa etfronça les sourcils devant Honoria.
— Que diable faites-vous ici ?Assoyez-vous.
Il pointa le rondin de l'autrecôté de la clairière — le mêmerondin où il l'avait fait attendre, sixmois auparavant.
— Là-bas, en sécurité et hors denotre chemin.
Ces six mois avaient vu
beaucoup de changements.Honoria tint bon. Elle regarda au-delà de son torse nu et vit Vane,d'un seul coup, réduire en miettesun tabouret bancal.
— Que faites-vous avecl'ameublement ?
Devil soupira.— Nous allons faire tomber cet
endroit sur le corps de Charles;nous avons besoin de beaucoup decombustible pour que le feu brûleassez longtemps pour agir commebûcher funéraire.
— Mais…— Honoria recula et regarda le
cottage, les larges demi- rondinsformant les murs, les poutresépaisses sous les avant-toits.
— Vous avez bien assez de bois,vous n'avez pas besoin d'utiliserl'ameublement de Keenan.
— Honoria, l'ameublementm'appartient.
— Comment savez-vous queKeenan n'y est pas attachémaintenant ?
Avec entêtement, elle soutint
son regard. Devil pressa les lèvresensemble.
Le menton d'Honoria seraffermit.
— Il faudra deux minutes pourle sortir. Nous pouvons nous servirdes couvertures pour le couvrir,puis Keenan pourra l'emporter plustard.
Devil lança les mains en l'air etse retourna vers le cottage.
— D'accord, d'accord, maisnous allons devoir nous dépêcher.
Vane se contenta de le
dévisager lorsque Devil luiexpliqua. Il secoua la tête, mais il nediscuta pas. Lui et Devildéplacèrent les pièces les pluslourdes; Honoria rassembla les pluspetits articles dans des paniers etdes sceaux. Harry et Luciferrevinrent — et n'en crurent pasleurs yeux. Honoria enrôlarapidement Lucifer; Harrys'échappa sous le prétexte d'allerchercher les chevaux de Devil etVane pour les amener dans un lieudans le sens contraire du vent.
Pendant que Richard et Gabrielaffaiblissaient les joints, le tas depossessions de Keenan augmenta.Enfin, Harry, qu'Honoria avait saisiau collet et envoyé vider l'écurie, seprésenta avec une vieille toile ciréeet une lampe poussiéreuse. Il plaçala lampe sur la pile, puis jeta la toilecirée d'un coup de poignet sur letout.
— Voilà ! Terminé.Il regarda Honoria, non en
signe de défi, ni d'irritation, maisd'espoir.
— Maintenant, vous pouvezvous asseoir. Hors du chemin.
Avant qu'elle puisse répondre,Lucifer tira le gros fauteuil sculptéde sous la toile cirée, ramassa lecoussin à pompons et le gonfla.Toussant violemment, il le laissaretomber et lui offrit une révérencesans vigueur, mais extravagante.
— Votre fauteuil, madame. Jevous en prie, prenez place.
Que pouvait-elle dire ?Sa légère hésitation fut trop
pour Gabriel qui s'avançait d'un pasnonchalant pour remettre sa hacheà son frère.
— Pour l'amour de Dieu,Honoria, assoyez-vous avant denous rendre fous.
Honoria le gratifia d'un regardhautain, puis en balayantmajestueusement les alentours desyeux, elle s'installa. Elle putpresque entendre leurs soupirs desoulagement.
Dès lors, ils l'ignorèrent, tant
qu'elle restait dans le fauteuil.Quand elle se leva et fit quelquespas, simplement pour se délier lesjambes, elle fut immédiatementassaillie par des regards auxsourcils froncés — jusqu'à ce qu'ellese rassoit.
Rapidement, efficacement, ils'démolirent le cottage. Honoria lesobserva de son perchoir royal — lasuperficie de torses masculinsbronzés, brillants tous sous la sueurhonnête, les muscles se contractant
et bougeant pendant qu'ilsforçaient sur des poutres et deschevrons, étaient une révélation, àtout le moins. Elle était intriguée dedécouvrir que sa sensibilité auspectacle était gravementrestreinte.
Seul le torse nu de son maril'émouvait — ce spectacleparticulier avait encore le pouvoirde la clouée sur place, de rendre sabouche soudainement sèche. Unechose qui n'avait pas changé en sixmois.
Entre eux, peu d'autres chosesétaient pareilles. L'enfantgrandissant en elle entraînerait ceschangements à l'étape suivante —le début de leur branche de lafamille. Le premier enfant de lafuture génération.
Devil vint une fois de plus lavoir lorsqu'ils eurent allumé le feu.Honoria leva la tête, souriant àtravers ses larmes.
— Juste la fumée, dit-elle enréponse à son regard.
Avec un «whoosh» inattendu,
les flammes s'échappèrent par letoit effondré. Honoria se leva ;Devil replaça le fauteuil sculptésous la toile cirée, puis lui prit lamain.
— Il est temps de rentrer à lamaison.
Honoria lui permit de l'amener.Richard et Lucifer restèrent pours'assurer que le feu s'éteindrait.Harry partit à cheval, tirantderrière lui la bête louée parCharles. Les autres se frayèrent unchemin dans les bois, montant à
cheval sous les ombres quis'allongeaient. Devant Devil,Honoria s'appuya contre son torseet ferma les yeux. Ils étaient ensécurité — et en route vers lamaison.
Des heures plus tard, immergéedans la baignoire ducale jusqu'aumenton, apaisée par la vapeurparfumée, Honoria entenditsoudain des bruissements rappelantdes souris.
Entrouvrant les yeux, elle vit
Cassie sortir en hâte, refermant laporte derrière elle.
Elle aurait plissé le front, maisc'était trop d'efforts. Quelquesminutes plus tard, le mystère futrésolu. Devil grimpa dans labaignoire. Elle était bien assezgrande pour eux deux — il l'avaitfait concevoir tout spécialement.
— Aarrghhh.S'enfonçant dans l'eau, Devil
ferma les yeux et s'appuya sur lebord de la baignoire.
Honoria l'examina — et elle vit
la fatigue, la lassitude profonde etvieille comme le monde, lesderniers jours gravés sur son visage.
— Il fallait qu'il en soit ainsi,murmura-t-elle.
Il soupira.— Je sais. Mais il était de la
famille. J'aurais préféré un scénariodifférent.
— Vous avez fait ce qui devaitl'être. Si les actes de Charles avaientété révélés, la vie d'Arthur et deLouise aurait été ruinée, sans parlerde Simon, des jumelles et des
autres ; les chuchotements lesauraient suivis toute leur vie. Lasociété n'est jamais juste.
Elle parla doucement, laissantle poids de la vérité faire sonpropre chemin, accorder sonréconfort inhérent.
— De cette façon, je présumeque Charles va simplementdisparaître ?
— Inexpliquablement.Après un moment, Devil ajouta
:— Vane va attendre quelques
jours, puis il va s'occuper de Smiggs; la famille sera globalementmystifiée. La disparition de Charlesdeviendra un mystère non résolu.Son âme peut trouver la paixqu'elle peut, enterrée dans la forêtoù Tolly est mort.
Honoria plissa le front.— Nous allons devoir dire la
vérité à Arthur et à Louise.— Hum.Les yeux de Devil brillèrent
sous ses cils.— Plus tard.
Levant un bras, il tendit lamain vers le savon, puis l'offrit àHonoria.
Ouvrant les yeux, elle clignades paupières, puis le prit. Souriantdoucement, elle se mit à genouxentre les jambes pliées de Devil.Ceci comptait parmi ses passe-temps favoris — savonner sontorse, laver son corps magnifique.Faisant rapidement mousser lesavon dans le tapis de poils serréssur son torse, elle écarta les mains,caressant chaque bande de muscles
lourds, sculptant chaque épaule,chaque bras avec amour.
« Je vous aime, je vous aime. »Le refrain chantait dans sa tête ;
elle laissa ses mains prononcer lesmots, donner une voix à lamusique, imprégner chaquetoucher, chaque caresse de sonamour. Les mains de Devil selevèrent en réaction, parcourant sescourbes, prenant paresseusementpossession de chacune d'elles,orchestrant un accompagnement àsa chanson.
Elle l'avait laissé utiliser lesavon sur elle une seule fois ; lachambre avait fini par êtrecomplètement inondée. À sagrande joie perpétuelle, la maîtrisede soi de Devil était plusimportante que la sienne.
Une large paume s'étala sur sonventre délicatement arrondi.Levant la tête, Honoria surprit lalueur de ses yeux verts sous ses cils; elle fonça les sourcils.
— Vous le saviez.Un sourcil s'arqua à sa manière
arrogante habituelle; ses lèvres serecourbèrent lentement.
— J'attendais que vous mel'annonciez.
Elle haussa des sourcilshautains.
— La Saint-Valentin estcélébrée demain, je vous le dirai àce moment-là.
Il sourit — de son sourire depirate.
— Nous allons devoir imaginerune cérémonie appropriée.
Honoria surprit son regard —et s'efforça de ne pas sourire enretour. Elle se hissa sur une cuissedure comme le roc.
— Hum. Tournez-vous.Elle savonna son dos, puis ses
cheveux et l'obligea à passer la têtesous l'eau pour se rincer. Elleretourna s'asseoir devant lui, entreses cuisses, dos à lui, savonnant unelongue jambe quand Devil sepencha en avant, ses bras serefermant autour d'elle. Il enfouit
son nez dans son oreille.— Êtes-vous certaine d'aller
bien ?— Je me porte parfaitement
bien, tout comme votre fils. Arrêtezde vous inquiéter.
— Moi, arrêter de m'inquiéter ?Il grogna. En voilà une bonnevenant de vous.
Lâchant sa jambe, Honoriasourit et s'installa confortablement,s'abandonnant avec délice à lasensation de chaleur du mur solide
et mouillé que représentait sontorse contre ses épaules et son dos.
— Oh, j'ai cessé de m'inquiéterpour vous.
Devil donna libre cours à unson excessivement sceptique.
— Bien, réfléchissez.Honoria gesticula avec le
savon.— Seulement récemment, vous
avez été projeté hors d'un phaétonen désintégration, empoisonné,attaqué à l'épée et aujourd'hui, on
vous a tiré dans le cœur. Et vousêtes encore ici.
Elle écarta grandement les brasdans un geste théâtral.
— Devant une invincibilitéaussi virulente, c'est à l'évidence uneffort perdu que de m'inquiéterpour vous. Le destin, m'a-t-on ditassez souvent, prend trèsclairement soin des Cynster.
Derrière elle, Devil sourit. Ellecesserait de se faire du souci pourlui le même jour où il nes'inquiéterait plus pour elle.
Refermant les mains autour de sataille, il l'éloigna, puis attira seshanches de nouveau sur lui.
— Je vous ai dit que vous étiezdestinée à devenir une épouseCynster ; un mari invincible était àl'évidence requis.
Il souligna son point endonnant de petits coups entre sescuisses, son érection s'enfonçant dequelques centimètres terriblementexcitants dans ce paradis familier.
Lâchant le savon par-dessus lebord de la baignoire, Honoria
s'arqua — et l'entraîna plusprofondément en elle.
— Je vous préviens, lepersonnel va commencer à se poserdes questions si nous devons denouveau repeindre le plafond dedessous.
— Est-ce un défi ?Elle sourit.— Oui.Il rigola, le son si grave qu'il
résonna dans ses os.— Pas une seule éclaboussure,
l'avertit-elle.
— Vos désirs sont des ordres.Ce fut le cas ; il releva le défi —
de toutes les façons — la berçantentre ses hanches jusqu'à ce qu'elleeut l'impression de devenir folle.Ses mains la parcourent, caressantses seins gonflés, excitant sesmamelons douloureux. Les légèresondulations causées par leursmouvements léchaient les sommetssensibles, une sensation subtile etcomplètement insoutenable. Unedouce fièvre se développa,chauffant sa peau, donnant
l'illusion que l'eau tiède était froide,la marquant de sa propre nudité,rendant sa peau sensible àl'abrasion rêche du corps de Devilparsemé de poils se frottant siintimement contre elle.
Régulièrement, la fièvre monta;Honoria déplaça ses genoux àl'extérieur de ceux de Devil. Elletenta de se lever plus haut — il laretint en bas, ses mains seraffermissant sur ses hanches.
— Pas d'éclaboussures, vousvous souvenez ?
Elle ne put que haleter quand illa tira plus bas, sa dureté chaudepressant plus profondément. Troiscoups restreints, néanmoinspuissants plus tard, sa fièvreexplosa. Elle haleta son nom alorsque ses sens s'envolaient ; yeuxfermés, elle savoura le vol, restabrièvement suspendue dans le videaltruiste à son apogée, puisredescendit lentement sur terre.
Il ne s'était pas joint à elle ; sesbras vinrent se poser autour d'elle,la tenant en sécurité pendant
qu'elle reprenait ses sens.Parfaitement satisfaite, Honoriasourit et l'étrei- gnit en son forintérieur avec autant depossessivité qu'il l'avait étreinte. Iln'avait pas dit qu'il l'aimait, maisaprès tout ce qui était arrivé,elle,n'avait pas besoin d'entendreles mots. Il en avait dit assez etcomme tout Cynster, ses actionsparlaient plus fort que tout.
Elle était à lui; il était à elle —elle n'avait besoin de rien d'autre.Ce qui avait grandi entre eux, ce
qui grandissait en elle, était à eux— leur vie à partir de maintenant.Pendant que ses pieds mentauxretouchaient terre, elle se concentraet le caressa, avec expertise,intimement — avecencouragement.
Et elle sentit ses muscles secontracter. Brusquement, il lasouleva loin de lui ; l'instantsuivant, il se leva et l'enleva dansses bras. Alors qu'il sortait de labaignoire et se dirigeait vers leurchambre, les yeux d'Honoria
s'ouvrirent grand.— Nous sommes encore
mouillés !— Nous sécherons bien assez
vite, répondit son maricomplètement excité.
Ce fut le cas pendant qu'ilsroulaient, se tortillaient,s'entremêlaient parmi les drapssoyeux dans une merveilleuseaffirmation de la vie et de l'amourqu'ils parta- gaient. Plus tard, alorsqu'il était allongé sur le dos,Honoria s'endormit profondément
et rapidement sur son torse et leslèvres de Devil formèrent unsourire en coin. Les véritablesCynster — tous les hommes —mouraient dans leur lit. Réprimantun petit rire, il baissa les yeux sur safemme. Il ne pouvait pas voir sonvisage. Délicatement, il la déplaçasur le côté, l'installant contre lui ;elle se blottit plus près, sa mainglissant sur son torse. Il effleura satempe de ses lèvres et referma lesbras sur elle.
« Posséder et chérir » était la
devise familiale — cela faisait aussipartie des vœux du mariage. Un deses ancêtres avait payé une sommeatroce pour l'y faire inclure. Ayantépousé Honoria Prudence, Devilpouvait comprendre pourquoi.
La partie possession était trèsagréable; la partie chérir — l'amour,ne jamais lâcher prise — étaitencore mieux.
Épilogue
MaisonSomersham,CambridgeshireSeptembre1819
La barre Cynster siégeait.
Ils étaient tous présents, seprélassant dans la bibliothèque,langoureusement à l'aise comme
autant de prédateurs bien nourris.Devil avait repoussé sa chaise loinde son bureau et appuyé une bottesur un genou pour former unberceau de fortune pour sonhéritier. Sébastian Sylvester JeremyBartholomew Cynster. La vedetteprincipale de ce rassemblement duclan avait été baptisée plusieursheures auparavant ; il se faisait àprésent mouiller la tête dans untemple différent.
Vane était installé dans lefauteuil près du bureau; Gabriel et
Harry occupaient la méridienne.Lucifer était vautré dans unfauteuil près de l'âtre, Richard, lereflet de son compagnon. Chacuntenait un verre ballon de brandyrempli du meilleur qu'avait à offrirmonsieur le duc de St-Ives; uneatmosphère .somnolente deprofonde satisfaction masculineimprégnait la pièce.
Le staccato du cliquetis detalons féminins dans le vestibulefut le premier signe du sort quifrappait. Puis, la porte s'ouvrit
brusquement ; Honoria entra avecgrâce. Un regard sur son visage, uncoup d'œil sur ses yeux lançant deséclairs suffirent à les informer quequelqu'un était dans les ennuisjusqu'au cou.
Tranquille dans sa certitudeque, peu importe ce qui avait excitésa colère, il se devait d'êtreinnocent, Devil lui offrit un sourirevague. Honoria lui répondit par unbref hochement de tête sérieux etmenaçant ; quand les autres firentmine de se lever, elle agita la main
pour qu'ils restent assis. Jupesbruissant, elle traversa la pièce,puis pivota vivement devant lebureau de Devil. Croisant les bras,elle les affronta, son regarddistribuant impartialement sacolère. Seul Devil était à l'abri.
— Il a été porté à monattention, entonna Honoria, sesmots secs et précis, qu'une série deparis — je pense que le terme est «livre des paris »? — ont étéadministrés sur la question de nonpas la date de la naissance de
Sébastian, ce qui aurait déjà étéassez grave, mais sur la date de saconception.
Son regard se posa sur Gabriel ;elle haussa les sourcils.
— Est-ce exact ?Gabriel la considéra avec
lassitude; une légère teinte colorases joues maigres. Il jeta un coupd'œil à Devil, qui se contenta delever ses sourcils noirs. Plissant lefront, Gabriel regarda Honoria.
— Votre information estcorrecte.
— Vraiment ?Les yeux d'Honoria brillèrent
comme de l'acier.— Et combien précisément
avez-vous gagné, tous ensemble ?Gabriel cilla. A sa gauche,
Sébastian gazouilla — il étaitinutile de chercher de l'aide auprèsde Devil ; monsieur le duc de St-Ives était fou de son fils tout autantque de sa femme. En périphérie desa vision, Gabriel vit des couleurs serassembler en phalange près de laporte — les partisanes d'Honoria,
leurs mères. Plus près de lui, ilsentit la tension d'Harry. Vanechangea de position, décroisant lesjambes; Richard et Lucifer seredressèrent tous les deux dansleurs fauteuils. Gabriel n'eutaucune difficulté à interpréter leursmessages silencieux.
Ce qui était très bien — cen'étaient pas eux qui affrontaient lacolère de madame la duchesse deSt-Ives.
— Sept mille six cent quarante-trois livres sterling.
Les sourcils d'Honorias'envolèrent. Puis, elle sourit.
— Monsieur Postlethwaite seratrès content.
— Postlethwaite?Le ton de Richard reflétait leur
malaise s'accroissant vivement.— Qu'a-t-il à voir là-dedans ?Les yeux d'Honoria
s'arrondirent.— L'église du village a besoin
d'un nouveau toit. MonsieurPostlethwaite est dans tous ses états
depuis un moment; le plomb dequalité est de plus en plus cher. Et,bien sûr, comme nous dotons lachapelle ici, il n'aimait pas l'idéed'aborder le sujet avec nous.
Gabriel jeta un coup d'œil àVane ; Vane regarda Richard qui,lui, considérait Harry. Luciferpencha un regard incrédule versson frère. Les mâchoiresdouloureuses, Devil garda la têtebaissée, le regard fixé sur lecomportement de chérubin de son
fils.Ce fut Vane qui mit le pied
dans l'engrenage.— Donc?L'unique syllabe était
imprégnée d'une supérioritéimpossible à défier ; avec touteautre femme, cela aurait pufonctionner.
Honoria tourna simplement latête, regarda Vane droit dans lesyeux, puis se retourna vers Gabriel.
— Vous ferez don de tous lesprofits de votre entreprise, avec
tout intérêt accru, à monsieurPostlethwaite pour qu'il l'utilisecomme il juge convenable. Commevous étiez responsable de cetristement célèbre livre, je voustiendrai garant de rassembler lesfonds et de les transmettre aupasteur.
Son ton imitait celui d'un jugeprononçant une sentence — il nelaissait aucune place à la discussion.
— De plus, comme pénitencefinale, vous assisterez tous à laconsécration.
Elle marqua une pause ; sonregard balaya l'assemblée.
— J'espère m'être bien faitcomprendre ?
Ses yeux les défiaient de lacontredire; chacun y songea —aucun ne le fit.
Vivement, Honôria hocha latête.
Sébastian pleura, unavertissement éloquent de sa faimimminente. Honoria perditimmédiatement tout intérêt enversles paris, les toits de plomb et la
spéculation indélicate. Se tournant,elle tendit les bras avec autorité ;Devil lui confia leur fils, un sourireimpie illuminant ses yeux,soulevant les coins de ses lèvres.
Avec Sébastian sur son épaule,Honoria se dirigea vers la porte,ignorant totalement les cinq grandshommes devant qui elle passa. Ellesortit gracieusement de la pièce, lesdames refermant les rangs derrièreelle.
Six hommes la regardèrentpartir — un avec une brillante
fierté, les cinq autres avec uneappréhension née du malaise. Ilspayèrent sans un mot. MonsieurPostlethwaite fut enchanté.
Un mois plus tard, ilsassistèrent à la consécration; chacunprononça une prière pour que ledestin ne dirige pas tout de suiteson attention dans leur direction.
Malheureusement pour eux, ledestin n'écoutait pas.