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LE CARACTÈRE RELIGIEUX liE LA DIPLOMATIE DU MOYEN AGE Dans le mouvement qui porte de nos jours un grand nombre de savants à écrire l'histoire diplomatique, on ne s'est pas arrêté à l'étude de la diplomatie moderne, dont les origines remontent au xvi 0 siècle; on a étudié jusqu'aux relations internationales des peuples européens au moyen âge, où l'on a pu découvrir e l'origineÀes traditions nationales dans la politique extérieure avant la Révolution C'est à l'étonnement général que les idées d'un Philippe-Au- guste et d'un Philippe le Bel, en matière de politique extérieure, ont apparu peu différentes dans leurs lignes générales des idées d'un Henri IV et d'un Richelieu. Mais si le fond des projets des grands hommes d'État qui dirigèrent la politique extérieure de la France, a peu varié depuis des siècles, la manière d'établir la puissance de la patrie restant la môme, le caractère de la diplo- matie qu'ils servaient s'est profondément altéré. Les relations internationales des peuples sont la plus haute expression du degré de civilisation que ces peuples ont atteint. Il semble donc naturel que , les nations de l'Europe, ayant modifié leur état social d'âge en âge , le caractère de la diplomatie européenne se soit transformé proportionnellement. La manière dont se négociait et se concluait un traité de paix au xur sièclb, ne ressemble pas à celle usitée de nos jours, ni un ambassadeur de cette époque à un ambassadeur contemporain. 1) Tel est le titre d'une étude publiée par M. Albert Sorel en 1882 HIST. DIPL. b Document

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LE CARACTÈRE RELIGIEUX

liE

LA DIPLOMATIE DU MOYEN AGE

Dans le mouvement qui porte de nos jours un grand nombrede savants à écrire l'histoire diplomatique, on ne s'est pas arrêtéà l'étude de la diplomatie moderne, dont les origines remontentau xvi0 siècle; on a étudié jusqu'aux relations internationalesdes peuples européens au moyen âge, où l'on a pu découvrire l'origineÀes traditions nationales dans la politique extérieureavant la Révolution

C'est à l'étonnement général que les idées d'un Philippe-Au-guste et d'un Philippe le Bel, en matière de politique extérieure,ont apparu peu différentes dans leurs lignes générales des idéesd'un Henri IV et d'un Richelieu. Mais si le fond des projets desgrands hommes d'État qui dirigèrent la politique extérieure dela France, a peu varié depuis des siècles, la manière d'établir lapuissance de la patrie restant la môme, le caractère de la diplo-matie qu'ils servaient s'est profondément altéré. Les relationsinternationales des peuples sont la plus haute expression dudegré de civilisation que ces peuples ont atteint. Il semble doncnaturel que, les nations de l'Europe, ayant modifié leur état sociald'âge en âge , le caractère de la diplomatie européenne se soittransformé proportionnellement.

La manière dont se négociait et se concluait un traité de paixau xur sièclb, ne ressemble pas à celle usitée de nos jours, ni unambassadeur de cette époque à un ambassadeur contemporain.

1) Tel est le titre d'une étude publiée par M. Albert Sorel en 1882HIST. DIPL. b

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2 REVUE D'hIsTOIRE DIPLOMATIQUE

Aujourd'hui la religion est absente de l'prganisalion politiqued'un État. Au moyen age, ce fut le contraire: l'État s'est déve-loppé à l'ombre de l'Église.

Nous croyons qu'on ne saurait donner à la religion une impur-Lance trop grande en parlant de la vie publique aux xi' xii 6 etX(IL° siècles.

M. Achille Luchaire dans son boa livre sur les u Institutionsmonarchiques de la Franco sous les premiers Capétiens' », amis en relief le caractère sacerdotal de nos vieux rois. Et demôme la première chose qui frappe quand on étudie l'histoiredes négociations diplomatiques aux xiIe et xut° siècles de noireère, est leur caractère religieux.

Nous observons le môme fait dans l'antiquité. Aux premierstemps des cités, les relations internationales eurent un caractèreexclusivement religieux. « Il y avait, dit M. Fustel de Cou-langes, dans les villes italiennes, des collèges, de prêtres quiprésidaient à toutes les cérémonies sacrées auxquelles donnaientliju les relations internationaks '. n Ces mêmes collèges seretrouvent sous d'autres noms dans l'histoire de Sparte etd'Athènes. Pour faire une convention entre deux cités, il nesuffisait pas d'une parole donnée, il fallait un acte religieux. Touttraité était marqué par un sacrifice aux dieux. On immolait unevictime, d'où l'expression, frapper un chevreau, icere, Itoedus oufoedus. « Les Grecs s'exprimaient d'une manière analogue, ilsdisaient faire les libations, csv3açO. C'étaient toujours desprêtres qui, se conformant au rituel, accomplissaient la céré-monie du traité. On les appelait féciaux en Italie, spendophoresou porte-libations chez les Grecs '. n Pour donner une garantieaux engagements pris, on cherchait à invoquer des divinités quifussent communes aux deux cités '.

Aux xii0 et xni' siècles de l'ère moderne, à une époque où les

1) Tome 1, p. 3840.2) La

M Cité antique, p. 194. Voyez encore, sur les fétiaux et leurs attribu-

tions, ommsen, Histoire romaine, trad. Alexandre, t. 1, p. 232, et Bouché-Leclercq, Manuel des Institutions romaines, p. 5414

3) La Cité antique, p. 248.4) La Cité antique p. 249.

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CARÂCTBE DE L!, DiPLOMATIE DU MOYEN AGE 3

règles du droit publie européen n'étaient, pas encore établies ',la religion était le seul lien qui unit les peuples d'Occident. Elleprésida tout naturellement à leurs rapports et fut invoquée pourservir de garantie aux contrats internationaux.

On ne s'étonnera pas si nous appuyons les quelques faits quisuivent d'exemples empruntés exclusivement au règne de Phi-lippe le Bel; ayant souteniu à l'École des Chartes une thèse surla politique extérieure de Philippe 1V, nous avons étudié avecsoin la diplomatie de cette époque. D'ailleurs, au point de vueoù nous nous plaçons, ce qui sera vrai pour la fin du mu e siècle,le sera à plus forte raison pour l'âge précédent.

Un document inédit d'une réelle valeur, que nous publions icipour la première fois, et dont nous devons la communication ànotre savant collègue à la Bibliothèque de l'Arsenal, M. llenryMartin, nous a permis de connaître les détails des cérémoniesqui accompagnèrent la conclusion de la paix d'Arras, scellée en1435. Il nous montre que vers la fin de la guerre de Cent Ans,par conséquent vers la fin du moyen âge, le caractère général dela diplomatie ne s'était pas encore sensiblement modifié.. De lasorte nous aurons peut-être en quelques pages 'suffisammentmontré edmbien à travers tout le moyen Age le caractère généralde la diplomatie européenne est resté profondément religieux.

En premier lieu, il faut remarquer que c'est sous la médiationpontificale, ou, lorsqu'il était possible, sous la haute médiationd'un concile de l'Église que se sont conclus la plupart des traités.

Mais voyons les négociations diplomatiques jusque dans Ictusdétails.

Le lieu où se réunissent les ambassadeurs de plusieurs États,où un souverain reçoit les représentants qui lui sont envoyés; oùse rédigent les traités importants, où une convention internatio-nale reçoit officiellement et publiquement sa mise à exécution,doit être, au moyen âge, un lieu consacré par la religion. C'estune église ou une chapelle, quelquefois simplement une sacristie,

1) « La fin du xiie siècle vit jeter les premiers fondements d'un droit public'uropéen. » Boutaric, La Franco sous Ph'Wppe le Bel, p. 379.

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4 REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE

pour le moins un palais.épiSCOpal ou la grande salle d'une abbaye.

L'importance du lieu choisi est proportionnée à celle de l'acteaccompli. Les traités solennels sont promulgués dans le choeurilluminé dune église cathédràle.

En 1298, Édouard Ir, roi d'Angleterre, reçoit k Londres lesambassadeurs du roi de France. Vous penéez qu'il leur donnera

• audience dans son palais? point. il les. recevra, k deux reprisesdifférentes, dans le palais archiépiscopal de l'archevêque d'Yorkt.Une année plus tard, il reçoit une nouvelle ambassade françaisedans la chapelle du palais archiépiscopal de Cantorbéry .Philippe le Bel h son tour donne audience aux messagers(lu roi d'Angleterre dans la sacristie de la Sainte-Chapelle duPalais'.

Quand, en 1297, Gui de Dampierre, comte de Flandre, for-mule au regard des nations de l'Europe sa protestation solen-nelle contre son suzerain le roi de France, c'est « à Bruges, en

plein choeur de l'église Saiut-Donatien, après vêpres, en pré-sence des doyens et chanoines du chapitre, des chapelains etautres

Le traité d'alliance entre Gui de Dampierre et le roi d'Angle-terre avait été scellé le 2 février de la môme année dans la cha-pelle de Notre-Dame de Walshingbam'.

Quand le roi d'Angleterre remet entre , les mains du roi deFrance son autorité sur la Guyenne, cette remise solennelle a lieu

• dans ]a cathédrale de Bordeaux, le 2 mai 4294 6 ; et quand, neufannées pins tard, en 4303, Philippe le Bel restitue la Guyenne kÉdouard d'Angleterre, cette restitution est faite au nom, du roi

f) Le 33 mars et le 3 avril 1298. Actes' notariés de Tend de VercellesOng. Trésor des Chartes, J, 632, n" 25 et 26.

2) Le 12juiLlet 1299, procès-verbal de Guillaume de Rives, clerc du diocèse,de Rouen, notaire. Ong Trésor des Charles, J, 632, n° 34.

3) Cependant Philippe le Bel, qui est un novateur, dôroge parfois à la règletraditionnelle: nous le voyons recevoir des ambassadeurs au Louvre.

4) Procès-verbal de Situe" Paul, notaire public de Courtrai, ap. van denBnrsche, Philippe le Bel et Gui de Dampierre, P. 138 el. 139, cf. Kervyn deLettenhove, Etudes sur i'hitoirc du XIII' siècle, p. 27.

5) Acte notarié conservé aux Archives de Ruppelmonde, cité par Kenvyn deLettenhove, Études..., P. 27.

6) Acte du 8 juin 129(, ap; Collection des bec. inédîts, Champollion

Figeac, t. 11, p. 149.

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CARACTÈRE DE LA DIPLOMATIE Ut MOYEN AGE 5

de France par l'archidiacre de l'église de Lisieux, dans l'égliseSaint-Émilien de Bordeaux'.

En octobre 1311, le jour de la fête Saint-Remi, les alliancesentre le comte de Bar et s l'université de Toul n furent juréessolennellement par le comte et son consul d'un côté, parle maire et la majeure partie des échevins de l'autre, en l'égliseSaint-Gengoul de Toul'.

Les exemples sont innombrables, ce sont les exceptions qu'ilfaudrait citer. Antérieurement à Philippe le Bel, on n'en trouve-rait guère. Même sous le règne de ce roi, qui brisa si souventavec les traditions du passé, elles sont rares et le plus souventexpliquées par les circonstances ambiantes'.

Non seulement les actes publics marquant les relations inter-nationales avaient pour théâtre un lieu consacré par la religion,mais encore des évêques étaient placés à la tête des ambassadesQuand ce n'était qu'une députation de peu d'importance, desclercs se trouvaient toujours au nombre des messagers. Quelque-fois, tous les messagers étaient des clercs'.

Il va sans dire que dans les actes, évêques et clercs ont lapréséance.

Un prêtre, avec le titre particulier de chapelain, était attachék toute députation'. Son rôle était d'accomplir les cérémoniesreligieuses auxquelles donnaient lieu la négociation et la conclu-sien des traités.

Les entrevues d'ambassadeurs, conclusions de traités, discus-sions entre représentants de plusieurs couronnes étaient placéesle plus souvent sous le patronage et la haute direction d'un pré-lat. On choisissait de préférence l'évêque du diocèse - dans lequelon se trouvait . Comme ce prélat ne prend pas une part active

1) Acte notarié, On g. Trésor des Chartes, J, 633, f022.2) Bib. Net ., Collection de Lorraine, vol. 243, n° I. -3) Edo,iard par exemple, en campagne contre les Eeossais, reçoit les

ambassadeurs français, les clercs Guillaume de Beaufort, Jean de Forestet Clément de Saulx, dans son camp devant Edimbourg (1298, 19 août). Actenotarié conservé au Tresor des Charles, J, 632, n° -17,

4) Voyez la noie précédente.) Cf. BibI, p at., Fonds lat. 9783, journal du Trésor, de mars 1298 à décembre

1301 la répartition des fonds consacrés aux ambassades.6) Voyez, par exemple,, le traité de Vincennes (2 mars 1295), par lequel

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6 REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE

aux négociations, son nom n'est pas mentionné directement dansles procès-erbaur, mais nous avons eu plus d'une fois pard'autres textes l'indication de sa présence .

Une fois cette assemblée, au milieu de laquelle nous aperce-vons des archevêques et des évêques, réunie dans un lieu consa-cré par la religion, une église, une chapelle, la salle dominicaled'un monastère, on n'aborde la discussion des points en litigequ'après avoir accompli quelque cérémonie d'un caractère reli,gieux et mêlée d'oraisons. Lorsqu'on est arrivé à la conclusiondu traité de paix, si ce traité a quelque importance, on se réunitdans le choeur d'une église; richement pavoisé, brillant de millelumières. Les évêques apparaissent dans leurs habits pontificaux.Le sacrifice de la messe est entendu aux sons des grandes orgueset des chants sacrés ; puis, les prières faites d'un communaccord, un prélat donne à tous, au nom du souverain pontife,l'absolution. Il n'est pas rare de soir les principaux négociateurss'approcher de la table sainte. Enfin, après avoir touché la croixet les évangiles, chacun, au nom du prince qu'il représente, jurela fidèle observance du traité conclu'.

Les négociateurs choisissaient de préférence pour l'accomplis-sement d'un acte important une fête religieuse.

Le 2 mars 1295, Philippe IV, roi de France, et Othon IV,comte palatin de Bourgogne, conclurent à Vincennes un accorddont les conséquences auraient pu être considérables. Par cetraité Othon IV fiançait sa fille Jeanne à l'un des fils de Phi-lippe le Bel et remettait au roi de France la souveraineté et l'ad-ministration de la comté de Bourgogne'. Le traité fut scellé enprésence de Simon, évêque de Paris, qui présidait aux négocia-tions comme évêque du diocèse où elles avaient lieu, de Gilles,

Othon, 1V, comte de Bourgogne, confie au roi do Franco l'administration do lacomté de Bourogne (Franche-Comté). Il est rédigé en présence de l'évêquede Paris, « ... m cujus tcrritorio son ditione prefata donatio l'acta fuit. » Ap.Dom Plancher, }iix(. de Bourgogne, t. Il. Preuves, p. LXXXIX. -

t) Voyez à la conclusion traité de Paris, 20 ma' 1303, présence de Gilles,archevêque de Narbonne, qui n'est pas mentionnée dans le procès-verbal.

2) Voyez comme pièce justificative c ces détails, le cérémonial de la paird'Arras dont nous publions le compte-rendu quelques lignes plus bas.

3) CC. Dom Plancher, Hist. de Bourgogne, t. U, preuves, p. LXXXIX.

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CARACTÈRE DE LA DIPLOMATIE DI! MOYEN AGE 7

évêque de Narboiine, et de Nicolas, évêque d'Évreux. On Fac-compagna d'actes publics qui l'authentiquaient, et des «solen-nités d'usage en ces circonstances 1 ' accomplies par l'évêque deParis.

Quelles étaient ces solennités?Le fragment de chronique que nous publions et qui relate avec

détails la conclusion de la paix d'Arras, par les représentants deCharles VII, roi de Francé, et de Philippe le Bon, due de Bour-gogne, le 21 septembre 1435, va nous les révéler.

C'est une page qu'il est permis d'attribuer à Gantier Van denVliet, moine de l'abbaye de Korsendonck 2 en Flandres. Elle aété retrouvée dans un manuscrit flamand du xv t siècle, con-servé à la bibliothèque de l'Arsenal sous le numéro 532.

Elle y est placée entre un opuscule de saint Augustin sur lavanité du monde et un fragment de Hugues de Saint-Victor.Nous en donnons la traduction en publiant an bas (le la page letexte original.

Les passages intéressants des quelques pages écrites par Vanden VIiet sont ceux qui nous laissent entrevoir le détail des céré-monies qui entourèrent la conclusion du traité.

C'est un point sur lequel, comme toujours, les autres chroni-queurs sont muets. Au contraire, la liste des personnages quifurent présents à ce grand événement, et surtout le traité lui-même, sont tronqués Nous renvoyons faux chroniques d'En-guerrand de Monstrclet, remarquablement complètes sur cesdeux points'.

Le vingt-et-un septembre, disent ces chroniques, jour deNostre Dame, en l'église de Sainct-Vaast, les cardinaulx deSaincte-Croix et de Cipprc, ensemble les ambassadeurs de

t) « ... Ac adhibitis solemnitatibus que soient.Episcopus par-isien.sis estsujet de la phrase.

2) Cf. Henry Martin, Catalogue des n.çs. de la Bibliothèque de l'Arsenalt. Ï, P. 392, sur Gautier van den Vliet, voyez Paquet, Histoire littéraire desPays-Bas, 11, 389.

Une discussion sur la valeur de cette attribution ne serait pas à sa placedans la Revue (l'histoire diplomatique.

3) Ed. l3uchon, Paris, 1826, t. VITE, p. 469.

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S REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE

Nostre Sainet Père et du sainet concile et le duc', et aussytous les princes et ambassades de Franco, de quelque partqu'ils fussent, et inesmernent tous les aultres princes, comtes,barons et chevaliers et escuyers qui en la ville estoient, furent1k assemblés ; et 1k fut chantée une belle messe par les chantresde la chapelle et là fut consacrée très heureuse paix, pour leroyaulme de France I.

Mais laissons la parole au moine de Korsendonck.u Voici les noms des évêques et signeqrs qui se réunirent à

Arras pour conclure un traité (le paix et (l'alliance entre Je roi deFrance et le duc de Bourgogne, l'an de grâce 4435 le vingtièmejour de septembre la cinquième année du pontificat du papeEugène.

De la part de notre seigneur le Pape étaient venus Nicolas,cardinal de Sainte-Croix, de l'ordre des chartreux, docteur del'université de Bologne ; S. É. le cardinal de Chypre, fils duroi de Chypre, u ambassadeur du sainci concile de BasIc»Louis d'A]eman, cardinal archevêque d'Arles; Bertrand de Ca-doéne, évêque d'Uzès ; Mathieu del Carotte, évêque d'Albenga;Philippe de Levis, évêque d'Eause; Ludovic de Amaral, évêquede Viseu; Jean de Gavre, évêque de Cambrai; Hugues deCayeu, évêque d'Arras; Jean Juvénal des Ursins, évêque deBeauvais; Jean de Corbie, évêque d'Auxerre; Fabhé de Vézelay;l'abbé de Mont-Saint-Eloy ;rnessire Nicolas Lazoly (C lequel étoitau sainct concile de la part le roi de Pologne n; messire Gods-cale, de l'ordre des chartreux, doyen (le l'université de Liège;

Ïsti sont domini spirituaes et temporales qui congregati fuerunt in Atrahatoad fciendam pacein et coneordiam inter Regem Franeie et ducem Burgundie,arino Dotnini W CCCC O XXXV, XXa die septernbris pontificatus domrn,Eurrenii parti, anno quinto.

parte doinini pape fuerunt Domines Nycoaus cardinalis Sancte Crueis,professus dowus Boiionic; ordinis carthusiensium; Dominiis cardinalis Cipri,filins regisCipri arehiepiseopus de Ar{elJis episeopus de Zun episeopus deAlbyngien; episcopus de Drosse; episcopus de Visier ; episcopus clonera-censis ; episeopus Atrahatencis; episcopus de Bevays; episenpus van Oursore:alibas de Vedelay abbas van Mens Sintetoy; Dominus Nicolaus Lazo]y ex

1) Concile de Bâle, 1434-1443.2) Pliiippe le Bon, due de Bourgogne.3) Moiistrelet, cd. cil., t. VIII, p. T58.

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CARACTÛRE DE LA DIPLOMAflE DU MOYEN AOE

Les représentants du roi de France étaient Charles, duc deBourbonnais et d'Auvergne; Regnault, archevêque de Reims;Arl.hus, comte de Richement, connétable do France; Louis (leBourbon, comte de Vendôme; Christofle (le Harcourt;

« D'Angleterre étaient venus le cardinal de Romseter; hanKemp, archevêque d'York; G. Alnewick, évêque de Norwich;Th. Rodburn, évêque de S. Davids, et beaucoup d'autres doc-teurs, chevaliers et seigneurs; le comte de Hontiton; le comte deSuffolk;

Les représentants de, la couronne de Bourgogne étaient le sireduc de Bourgogne; le duc de Gueldre ; Jean VIII de Heinsherg,évêque de Liège; le comte de Vaudemond; le comte d'Estampes;le damoiseau (le Clèves; le comte de Nassau; le comte de Meurs;le comte de Saint-Paul; Jean de Luxembourg, comte de Ligny;le fils du roi d'Arragon; Jean de Nassau; Thibaud de Saint-Paul;le comte de Falkeuberg.

« En premier lieu S. É. le cardinal de Chypre célébra lamesse et, au pied de l'autel, demanda au duc de Bourgognes'il était bien décidé à observer fidèlement le serment qu'il allaitprêter. Celui-ci répondit gracieusement que telle était son inten-tion.

u La même question fut posée au comte de Richemond, conné-table, et au duc de Bourbonnais, chancelier de France, au comtede Vendôme, à Christofle de Harcourt, et à quelques autres:

Poloflia; Dorninus Godscalcus prier damna Leodii, ordinis carthusiensiurn..Francigenc, Dcuriinus dux Borbonii, Arehieptscopus remensis , cornes (te

Ritsemont, cornes de Vindomme, Christoforus van tiercort;Anglici, dorninus cardinatis de Romseter; Arehiepiscopus de Iorc; episcopus

van Norrwiic, episco os van Sint Dariic, item mutti ahi doctores, milites etdomieelli; cornes de Jontiton; cornes rie Suffolk;

I&e parte duels Burgunctie, Dominos duix Burgundie; dux Getrie; episcopusteodiensis; cornes de Wedernont ; cornes de Stampes; domicettus elivensis;cornes van Nassouwen; cornes de Morsa; cornes van Sirnpol; cornes vert Lini;Filius principis van Arangen; Juliennes van Nassouwen; Tybant van Sympol;cornes de Fatzenhorch.

In primis dominos cardinalis C y pri cetebravit mlssarn et in principio misse,interrogavit dorninum ducem Eurgundie an iuramentum per cura factum veltetservare, et habere ratura et lirmu,n. Qui graciose respondit Ita vaRié lihenter.Simili modo interrogati cornes de Ritsernont, connestatius re"is Francie, duxBorhonii, dominos canceltarios Francie, cornes de Vindornme, ebristoforus vanHercort, et plures alit dornini responderunt unanimiter Ita Jibenter et flrrnumtenorein titteraruin inde confeotaruin et legeridarum.

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10 REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE

tons répondirent que ]dur volonté était d'observer loyalement lestraités qui allaient être faits et proclamés.

Le sacrifice de la messe terminé, le cardinal de Chypre, qVCC

respect et piété, posa une croix d'or sur la tête du duc de Bour-gogne; et le duc, après s'être approché de la sainte communion,fit, sur la prière du cardinal, la promesse publique d'oublier àj amais de quelle manière était mort son père le due de Bourgogne,Jean sans Peur. Pour l'amour de Dieu, il pardonna k tous ceuxqui avaient trempé dans le crime et promit d'écarter de sa nié-moire tous les faits y attenant.

Puis le connétable et le chancelier de Franco, joignant leursmains sur la croix d'or qui avait touché la tête du duc de Bour-gogne, lui demandèrent humblement pardon au nom du roi deFrance.

Le duc de Bourbonnais demanda pardon en son nom propre.dans le cas où il aurait été coupable en quelque chose.

Beaucoup d'autres seigneurs agirent de même.Après quoi le cardinal de Sainte-Croix, posant ses mains sur

la tête du duc de Bourgogne, lui donna l'absolution du souverainpontife, le cardinal de Chypre lui donna l'absolution au nom (lusaint concile de Bâle.

Les cardinaux firent de même pour les autres seigneurs pré-sents.

Ces cérémonies terminées, on lut les lettres d'absolution desdeux cardinaux, puis on en vint aux lettres qui marquaient la

Item finita missa prefatus cardinalis super cervical bene aptum docenter etreverenter eol!oeavit auream orucem. Et cd finem illius venerabile Eucha-ristie sacramentum. Hequisitusque dominus dux Burgundie sponte et publicsjui'avit et promisit, nec in perpetoum nullo umquam tempore mentionnaisefore facturum de morte patris sui. lndulsitque propter Deum omnibus quiquoquo modo roi fuerunt, omniaque actitata et facta eirca inortem ilium dirai-sit .

Postea connestallus et dux Borbonli ponentes Inanus suas simul vinctassuper crucem predictam pecierunt humiliter a duce Burgundie veniam ex parteregis Francie.

Postes dux Borbonii per se et pro se veniam peciit in casu quo

forsan ipse in aliquo retis aut culpabilis existeret.Similique modo mufti

ai

u domini peeierunt.Deinde cardinalis sancte Crucis positâ manu suâ super .capot ducis Bur-

gundie ipsum absolvit ex parte siimmi pontifleis. Similiter curdinatis Cypriipsum ahsok'it ex parte saoul concilii l3asitiensis, et ceteros conventus abusdominos.

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CARACTÈRE DE LA DIPLOMATIE DU MOYEN AGE

paix conclue entre le roi de France et le duc de Bourgogne, auxconditions suivantes

Le roi de France cède au dûc de Bourgogne et à ses enfants,pour les posséder perpétuellement, les comtés de Boulogne, deMâcon et d'Auxerre, et lui donne la somme de quatre cent millecouronnes, au titre de soixante-quatre couronnes pour le mare;il lui cède en outre le comté de Ponthieu et toutes les cités, villeset forteresses sur la Somme jusqu'à l'Artois; Tournay exceptéil lui donne les seigneuries de Montdidier, de Péronne et deJloye; enfin, il lui donne, en compensation des colliers et bijouxprécieux perdus lors de l'assassinat du duc de Bourgogne, cin-quante mille couronnes de la valeur des précédentes. -

En outre, pour le salut et la rédemptioh de l'âme dii feu ducJean de Bourgogne, le roi de France devra fonder en la cha-pelle de l'église de Montereau où le duc fut d'abord enseveli,une messe basse de requiem qui sera dite chaque jour perpé-tuellement et rentée jusques à la somme de vingt livres par anchaque livre étant de la valeur de vingt couronnes.

Et sur le pont de Montereau, où fut commis l'assassinat, serafaite, édifiée et bien entaillée et entretenue à toujours, une bellecroix, aux dépens du roi.

Le roi de France s'engage également à fonder, hors la ville deMontereau, tin nouveau monastère de l'ordre des chartreux,

- qu'habiteront douze moines et qui sera doté d'une rente perpé-

Quibus sic peractis lecte fuerunt Jittere horum dorninorum eardinalium.Deinde littere continentes conclusionem paris et concordie factaruin cura satin-factione subsequenti

In prirnis dominas rex Francie dat domino diici Burgundie, comitatuin deBeIonien, van Maten, van Asseenrre, pro se et iberis suis, quos umquamhabebit, et omnibus temporibus vite ipsorum. Deinde rex Francie pers&vetdictô duci l3urgundie summam 1111G M coronarum, LX1111 cornons in mnrka.

Item dut adbue coinitatum van Ponthieu, et omnia eppida, villagia, castraa Summû descendo asque ad Arthesiain, sert Tornacum non includitur.

Item postea dat rex eidem dominium van Monclidier, van Peronne, vanRoeyen, in perpetuum. Et pro torqueis et alus clenodiis argenteis tum perditisL° ceronas, ut supra.

item pro salute anime ac liberatione foudabit ne dotabit rex in capella eccle-sic de Menstruel, ubi primitus sepultus fuit, imam missam perpetuam derequiem sine cantu, omnrmi die, pro XX libris, XX eronster pro libra. Et superpentem ubi interfectus fuit, eriget mx crucem lapideam, in memoriam talis facti.hem postes fundabit et dotaNt rex unum novum menasterium ordinis carthu-

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12 REVUE D'HISTOIRE DIPLOMATIQUE

tuelle dé huit cents livres, de la même valeur que ]es précédentes;et en l'église des chartreux de Bijou, en laquelle gît et reposeà présent le corps du feu duc Jean, sera fondée par le roi unehaute messe de requiem, qui se dira chaque jour perpétuelle-ment, laquelle fondation sera dotée de rentes jusques k lasomme de cent livres par an.

Le roi de France cède au comte d'Étampes le comté de Gien(sur-Loire) et la seigneurie de Dourdan; en outre, il lui donne,et à son frère le comte de Nevers, la somme de soixante (mille)couronnes, que leur mère, Mtm° d'Artois, perdit en la cité deRouen la couronne au titre de soixante-quatre couronnes pourle marc.De même le roi s'engage à dédommager convenablementdivers seigneurs, des bijoux perdus lors de l'assassinat du duc deBourgogne. Dès qu'ils eurent entendu la lecture du traité de paix,les ambassadeurs anglais se retirèrent, sans demander congé etsans attendre que l'on s'occupât de leurs affaires. Mais les cardi-naux leur firent parvenir les préliminaires d'un traité à négocierle premier janvier le roi de Franco céderait au roi d'Angleterrele duché de Normandie et une partie du duché de Gien, la seigneu-rie de Calais et le comté de Séez, à la condition que le roi d'Angle-terre tiendrait ces fiefs du roi de France. Celui-ci était égalementdisposé, si la chose plaisait au roi d'Angleterre, à lui donnersa fille en mariage convenablement dotée. »

Telles sont les circonstances dans lesquelles fut conclu l'un

siensium pro duodecim monachis habitantibr,s, in arum s ac perpetuisredditibus VilIt libris ut supra, extra cis'itatem Menstruel. Deindè rox adhucfundahit an dotabit in ecelesiâ carthusiensium, quâ modo sepultus est, unamniissamperpetuam eum cantu. pro C puant, [v]el C libris, pouut ut supra.

Item dabit rex comiti d'Estampes eomitaturr, van Gyen et dominlunl VanDordan et LX enrouas pro se et fratre sue, quas mater eorum amisit iIi CiVi-tale van Bvame, et LX!1H enronas pro ,narkû.

item de alus elenodiis diversoruin dominorum item perditis quando interfec-tus luit, satisfaeiet et providebit rex rationahiliter, bono modo.

Item Aiigtici recesserunt sine Iicentia non habita conclusione de negoessuis ; sed demini cardinales miserunt eis unam ordinutionem ciron quam, dcli-berationem protulerunt osque ad primuni diem Januarii. Ordinatio autemsequil ur.

Ite,n rex Franeie offert regi Anglie ducatum Normanie et partem ducalusvan Oyenen item don,inium van Caleys, et comitatum van Xyes; sed pros-cripta rex Ang]ie haberet n feodum a rege Francie.

Item si regi Anglie plaeuerit accipere fihiam rogis Francie ineonjugem,abitur eidem sine eontradiet,one, an egregie et decenter dotabltur.(CI.

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CARACTkfir DE LA DIPLOMATIE DU MOYEN AGE 13

des traités les plus importants de l'histoire du moyen age. Lapaix d'Arras amena la fin de la grande lutte qui déchirait laFiance depuis si longtemps la lutte des Armagnacs et des Bour-guignons; elle décida la fin de la guerre de Cent Ans.

Nous avons dit, et ou vient de le voir, qu'au moyen âge, lesrelations entre deux couronnes ennemies se rétablissaient d'or-dinaire sous la hante médiation du Souverain Pontife, qui, de lasorte, prenait naturellement la direction des négociations. Bienque Philippe le Bel eût été eu lutte presque constante avec ]apapauté, il ne négligea pas, au cours de ses longues et labo-rieuses discussions avec la couronne d'Angleterre, d'avoirrecours k l'intervention des légats pontificaux.

Jusqu'au xin6 siècle , la seule diplomatie connue en Europefut la diplomatie pontificale, s'occupant surtout d'affaires reli-gieuses beaucoup aussi de politique. Il était inévitable, quandau xiite siècle naquit une diplomatie européenne, que celle-rilui empruntât une organisation et des formes admirablementappropriées au caractère de l'époque. Telle est la première raisondu caractère religieux de la diplomatie au moyen age. La secondeest plus profonde. Nous l'avons indiquée en commençant. Aujour-d'hui un État est comme une personne morale qui doit avoir desidées de loyauté et d'honneur. Une fois que les représentants d'ungouvernement ont mis leur signature au bas d'un traité, une na-tion tout entière se considère comme liée, et reste fidèle aux enga-gements pris.., pendant quelques années. Au moyen âgel'homme,et par conséquent l'État, ne croyait pouvoir ôtre engâgé que parune promesse faite devant Dieu. La religion était le grand liencommun. Quoi d'étonnant que les traités fussent négociés et con-clus à l'ombre de l'Église, entourés des cérémonies sacrées, con-firmés par le serment religieux.

Bib, de ['Arsenal, mss. 532 fus 177 et 178. - Nous nous sommes inspiré pournotre traduction du traité rapporté en français par Monstrelet, op. cil.,P. 493 et suiv.

ANGERS, UIP. SURfIN ET GR, RUE CARNIER, 4.

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