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JojoMoyes

Ladernièrelettredesonamant

Traduitdel'anglais(Grande-Bretagne)parAlixPaupy

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ÀCharles,quiamislefeuauxpoudresavecunsimplemessage.

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Joyeuxanniversaire!Tutrouverastoncadeaudanscepaquet,j'espèrequ'ilteplaira…Jepenseàtoiaujourd'huitoutparticulièrement…parcequej'aicomprisque,mêmesijet'aime,je

nesuispasamoureusedetoi.Jen'aipasl'impressionqu'onsoitfaitsl'unpourl'autre.Quoiqu'ilensoit,j'espèrevraimentquetoncadeauteplairaetquetonanniversaireserainoubliable.Unefemmeàunhomme,parlettre

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Prologue

Àplus,bisou.ELLIEHAWORTHREPÈRESESAMISETSEFRAIEUNCHEMINÀTRAVERSLAFOULEQUISEPRESSEDEVANTLE

BAR.Ellelaissetombersonsacàsespiedsetposesontéléphonesurlatable.Sesamissontdéjàbienimbibés–ainsiqu'entémoignentleursvoixfortes,leursmouvementsextravagants,leursrirestonitruantsetlesbouteillesvidesalignéesdevanteux.—Tuesenretard,luifaitremarquerNickyenlevantsamontred'unairfaussementréprobateur.Etne

nousfaispaslecoupde«j'avaisunarticleàterminer».—Uneinterviewaveclafemmed'undéputévolage.Désolée.C'étaitpourl'éditiondedemain,explique

Ellieenseglissantsurlesiègevacant.Elleseverseunfonddebouteilledansunverrevideetpoussesontéléphonesurlatable.—Bon.Lesdeuxmotsénervantsdelasoirée:«Àplus».—Àplus?—Àlafind'untexto.Çasignifie«Àdemain»ou«Àplustarddanslajournée»?S'agit-ild'unede

ceshorriblesexpressionscreusesquineveulentriendiredutout?Nickysepenchesurl'écranlumineux.— Il a écrit «Àplus » et «Bisou ».C'est un peu comme«Bonne nuit ». Je pencherais pour «À

demain».—C'estforcément«Àdemain»,renchéritCorinne.«Àplus»,çaserapportetoujoursaulendemain.

Parfoismêmeausurlendemain,ajoute-t-elleaprèsquelquessecondesderéflexion.—C'esttrèsanodin.—Anodin?—Oui,commequelquechosequ'onpourraitdireàsonfacteur.—Tufaisdesbisousàtonfacteur?Nickysourit.—Pourquoipas?Ilestcanon.Corinneétudieàsontourlemessage.—Jenesaispas…Peut-êtrequ'ilétaitsimplementpressé,ouabsorbéparautrechose.—Ouais.Parsafemme,parexemple.ElliejetteàDouglasunregardcourroucé.—Quoi ? proteste ce dernier. Ce que je veux dire, c'est que tu ne crois pas que tu devrais avoir

dépassédepuislongtempslaphase«décodagedetextos»?Ellieavalesonvind'untraitavantdesepencherverssonami.

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—OK…Situespartipourmefairelaleçon,jecroisquejevaisavoirbesoind'unautreverre.—Ettoi,situesassezintimeavecunhommepourcoucheravecluidanssonbureau,jepensequetu

devraisêtrecapabledeluidemanderdepréciseràquelleheureilveutteretrouverpouruncafé.—Qu'est-cequ'ilyadanslerestedumessage?Parpitié,nemedispasqu'ilestquestiondepartiesde

jambesenl'airdanssonbureau.Ellierécupèresonportableetfaitdéfilerlesmessages.—«Impossibledet'appelerdelamaison.Dublinlasemaineprochainemaisprogrammepasencore

défini.Àplus,bisou.»—Ilseménageplusieursoptions,analyseDouglas.—Àmoinsqu'il…voussavez…qu'iln'aitpasencoredéfinisonprogramme,suggèreNicky.—Danscecas,ilauraitdit:«Jet'appelledeDublin»,oumême:«Jet'emmèneàDublin.»—Est-cequ'ilemmènesafemme?—Jamais.C'estpourletravail.—Ilemmènepeut-êtrequelqu'und'autre,hasardeDouglas,lenezdanssabière.Nickysecouelatêted'unairsongeur.—Toutdemême,lavieétaitplussimplequandleshommesdevaienttéléphonerpournousparler…Au

moins,onavaitletondeleurvoixpourmesurerledegréd'implication.—Oui,ricaneCaroline.Etonpouvaitresterassisespendantdesheuresàcôtédutéléphone,àattendre

uncoupdefil.—Oh,lessoiréesquej'aipassées…—…àvérifierlatonalité…—…etàreposerlecombinéenvitesseaucasoùilseraitjusteentraindem'appeler.Enlesentendantrire,Ellieserendcompteque,aufond,elleesttoujoursdansl'attentedevoirunappel

illuminer le petit écran de son portable – un appel qui, vu l'heure et les circonstances, n'est pas prèsd'arriver.Douglaslaraccompagnechezelle.Ilest leseuldesquatreàvivreencouple,maisLena,safiancée,

occupeunposteimportantdanslesrelationspubliquesetrestesouventaubureaujusqu'à22ou23heures.Ellenevoitpasd'inconvénientàcequ'ilsorteavecsesvieillesamies:ellel'adéjàaccompagnéunefoisoudeux,maislesvieillesplaisanteriesetréférencescommunesinhérentesàquinzeannéesd'amitiésontpourelleunmurinfranchissable;laplupartdutemps,ellelelaissevenirseul.—Alors,mongrand,qu'est-cequit'arrive?demandeEllieencontournantunvieuxcaddieabandonné

surletrottoir.Tun'aspaslâchéunmotdelasoirée.Àmoinsquej'aietoutraté?—Non,pasgrand-chose.Ilhésiteetfourrelesmainsdanssespoches.—Enfait,cen'estpastoutàfaitvrai.Euh…Lenaveutavoirunbébé.Ellieledévisage.—Waouh.

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—Etmoi aussi, se hâte-t-il d'ajouter.Ça fait un bail qu'on en parle,mais on vient tout juste de serendrecomptequelebonmomentn'existepasetqu'onferaitbiendes'ymettredèsmaintenant.—Quelromantisme…— Je suis… je ne sais pas… je suis plutôt content. Vraiment. Lena gardera son travail, et moi je

resteraiàlamaisonpourm'occuperdubébé.Enfin,àconditionquetoutsepassebienet…Elliefaitdesonmieuxpourparlerd'untonposé:—C'estvraimentcequetuveux?—Ouais.De toutefaçon, jen'aimepasmonboulot.Çafaitdesannéesque j'aienvied'arrêter.Lena

gagneunefortuneàelleseule,etjepensequeçameplairaitbiendepassermesjournéesàjoueravecungamin.—Êtreparentneselimitepasàjouer…,commence-t-elle.— Je sais bien. Attention… regarde devant toi, dit-il en lui faisant doucement contourner un tas

d'ordures.Maisjesuisprêt.Jen'aipasbesoindetraîneraubartouslessoirs.Jeveuxpasseràlavitessesupérieure.Çaneveutpasdirequejen'aimepassortiravecvoustrois,maisilm'arrivedemedemandersionnedevraitpas…grandirunpeu.—C'estpasvrai!s'écrieEllieenluiserrantlebras.Tuespasséducôtéobscur!—Disonsquejen'aipaslamêmerelationquetoiàmontravail.Leboulot,c'esttoutetavie,non?—Presque,admet-elle.Ilspoursuiventleurcheminsurquelquesruesensilence,écoutantleshurlementslointainsdessirènes,

les portes qui claquent et les disputes étouffées de la ville. Ellie adore cette heure de la soirée où,entouréedesesamis,ellesetrouvemomentanémentlibéréedesincertitudesquiplanentsursavie.Elleapasséunbonmomentaubarets'apprêteàregagnersonappartementdouillet.Elleestenbonnesanté.Elleaunecartedecréditpleinederessourcesencoreinexploitées,desprojetspourleweek-end,etelleestlaseuledesesamisànepass'êtreencoretrouvélemoindrecheveublanc.Lavieestbelle.—Çat'arrivedepenseràelle?demandeDouglas.—Àqui?—ÀlafemmedeJohn.Tucroisqu'elleestaucourant?Lasimpleévocationdecettefemmesuffitàanéantirsabonnehumeur.—Jenesaispas.Faceausilencedesonami,elleajoute:—Àsaplace,jesuissûrequejem'enseraisaperçue.Ilditqu'elles'intéresseplusauxenfantsqu'àlui.

Parfois,jemedisquepeut-être,quelquepart,elleestcontentedenepasavoiràs'occuperdelui.Tusais,s'occuperdelerendreheureux.—C'estcequ'onappelleprendresesdésirspourdesréalités.—Peut-être.Mais,pourêtretoutàfaithonnête,laréponseestnon.Non,jenepensepasàelle.Etnon,

jenemesenspascoupable.Parcequejenepensepasqueceseraitarrivés'ilsavaientétéheureuxou…disons…connectés.—Vous,lesfemmes,vousavezunevisiontellementbiaiséedeshommes…—Tucroisqu'ilestheureuxavecelle?demandeEllieenétudiantattentivement l'expressiondeson

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visage.—Jen'enaiaucuneidée.Jepenseseulementqu'iln'apasbesoind'êtremalheureuxavecsafemmepour

coucheravectoi.Percevantsonbrusquechangementd'humeur,Ellieluilâchelebraspourrajustersonécharpe.—Tupensesquecequejefaisestmal.Ouquecequ'ilfaitestmal.C'estsorti.Ellesesentd'autantplusblesséequelaremarquevientdeDouglas,celuidesesamisqui

estlemoinspromptàjuger.— Je ne te juge pas. Je pense seulement àLena et à ce que ça signifierait pour elle de portermon

enfant,etl'idéedelatrompersimplementparcequ'ellechoisitd'accorderaubébéuneattentionquejemecroyaisacquise…—Donctuesconvaincuquec'estmal.Douglassecouelatête.—C'estjusteque…Ils'interromptetlèvelesyeuxverslecielnocturne,cherchantsesmots:—Jepensequetudevraisfaireattention,Ellie.Quandjetevoisessayerdedéchiffrerlemoindrede

sesmots,lemoindredesesgestes…C'estdelaconnerie.Tuperdstontemps.Dansmonlivre,leschosessont généralement très simples : quelqu'un t'aime, tu l'aimes en retour, vous sortez ensemble, fin del'histoire.—Tuvisdansunbelunivers,Doug.Dommagequeçaneressemblepasàlaréalité.—OK,changeonsdesujet.Jen'auraispasdûparlerdeçaavecuncoupdanslenez.—Si,réplique-t-ellesèchement.Invinoveritas,commeondit…Trèsbien.Aumoins,jesaiscequetu

penses.Jevaiscontinuerseule.TusaluerasLenademapart.Elleparcourtlesdeuxdernièresruesaupasdecourse,sansseretourneruneseulefoispourvoirson

vieilamiquimarchederrièreelle.LaNationsefaitemballer,cartonaprèscarton,pourêtretransféréverssanouvellemaisonàlafaçade

deverre,surunquairéaménagéflambantneufàl'estdelaville.Lasallederédactionsevide,semaineaprèssemaine:làoùs'entassaientauparavantdespilesimpressionnantesdecommuniqués,dedossiersetde coupures de presse, il n'y a plus que des bureaux vides, des longueurs insoupçonnées de surfacesstratifiées exposées à la lumière crue des néons. Des souvenirs d'histoires passées ont refait surface,tellesdesantiquitésdéterrées lorsdefouillesarchéologiques :drapeauxde jubilés royaux,casquesenmétal cabossé venus de guerres lointaines, certificats encadrés de récompenses depuis longtempsoubliées.Des rangéesdecâblesontétéexposées,descarrésdemoquettearrachésetdes trousbéantsouverts dans les plafonds, suscitant des visites théâtrales d'inspecteurs de l'hygiène et de la sécuritéarmésdecalepins.LaPublicité,lesPetitesAnnoncesetleSportontdéjàdéménagéàCompassQuay.LeSupplémentdusamedi,lesAffairesetlaGestiondesfinancespersonnellespréparentleurtransfertpourlessemainesàvenir.Larubriqued'Ellie–Reportages–suivraaveclesActualitésenuntourdepasse-passe chorégraphié avec soin, si bien qu'alors que l'édition du samedi émanera des vieux bureaux deTurnerStreet,celledulundisortiracommeparmagiedesesnouveauxlocaux.Levieuxbâtimentquiaaccueillilejournalpendantprèsd'unsièclen'estplus«enadéquationavecles

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besoinsdel'entreprise»,pourreprendrecetteexpressiondéplaisante.D'aprèsladirection,ilnereflètepaslanaturedynamiqueetrationaliséedujournalismemoderne.«Onyavaitsurtouttropd'endroitsoùsecacher », ont fait remarquer avec humeur les journaleux, arrachés à leur milieu naturel comme desberniquessecramponnantobstinémentàuneépave.—Ilfautmarquerlecoup,déclareMelissa,rédactriceenchefdesreportages,deboutdanssonbureau

presquevide.Melissaarboreunerobedesoiebordeaux.PortéparEllie,levêtementauraitévoquélachemisedenuit

desagrand-mère;surMelissa,ilressembleexactementàcequ'ilest:delahautecoutureassumée.—Lechangementdelocaux?Elliejetteuncoupd'œilàsonportable,poséàcôtéd'elleenmodesilencieux.Autourd'elle,lesautres

rédacteurssontassissansmotdire,unbloc-notessurlesgenoux.—Oui.L'autresoir,j'aidiscutéavecundesarchivistes.Selonlui,iltraînedanslesarchivesdestasde

vieux documents dont personne n'a pris connaissance depuis des années. Je veux un article sur lesrubriquesfémininesd'ilyacinquanteans.Commentlesattitudesontchangé,lamode,lespréoccupationsdesfemmes.Jeveuxdesétudesdecasmettantenparallèlemonded'hieretmonded'aujourd'hui.MelissaouvreundossieretensortplusieursphotocopiesenformatA3.Elles'exprimeavecl'aisance

dequelqu'unquial'habituded'êtreécouté.—Parexemple,voicicequej'aitrouvédanslecourrierdeslecteurs:«Quepuis-jefairepourquema

femmeapprenneàs'habilleretàsefairebelle?Jegagne1500livresparan,etmacarrièredanslaventecommenceàdécoller.Jereçoisfréquemmentdesinvitationsdemesclients,mais,cesdernièressemaines,j'aidûtouteslesrefuseràcausedemafemmequi,endeuxmots,estundésastreambulant.»Delégersgloussementssefontentendredanslasalle.—«J'aiessayéd'insistergentiment,maiselleprétendqu'ellen'estintéresséeniparlamode,niparles

bijoux,niparlemaquillage.Elleneressemblefranchementpasàlafemmed'unhommequiaréussi,etc'estcequejeveuxqu'ellesoit.»Unjour,JohnaditàEllieque,aprèsavoireulesenfants,safemmeavaitperdutoutintérêtpourson

apparencephysique. Il apresqueaussitôtchangédesujetetn'ena jamais reparlé, commes'il avaiteul'impressionquec'étaitlàunetrahisonplusgraveencorequedecoucheravecuneautrefemme.Ellieluienavaitvoulupourcetinstantdegalanteloyauté,maisunepetitepartied'elle-mêmel'avaitadmirépourcela.L'imageavaitfrappésonimagination:elles'étaitreprésentélafemmedeJohnensouillonvêtued'une

chemisedenuitmaculéedetaches,unbébédanslesbras,lehouspillantpourrien.Elleavaiteuenviedeluidirequ'elleneseraitjamaiscommeçaaveclui.—On pourrait envoyer les questions à un courrier du cœurmoderne, suggéra un rédacteur nommé

Ruperttoutenexaminantlesautresphotocopies.—Jenesuispassûrequecesoitnécessaire.Écoutezlaréponse:«Votrefemmen'apeut-êtrejamais

songé qu'elle était censée faire partie de la vitrine de votre boutique. Peut-être s'imagine-t-elle, enadmettantqu'elle se soitposé laquestion,que,puisqu'elleestmariéeetqu'ellemèneunevie stableetheureuse,ellen'aplusbesoindes'endonnerlapeine.»—Ah,ditRupertdansunsoupir,labéatitudeconjugale…

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—« J'ai remarquéque cela arrivait extrêmementvite aux filles qui tombent amoureuses, tout autantqu'aux femmes qui se laissent aller dans le confort d'un vieux mariage. Un jour, elles sont belles etbrillentcommeunsouneuf,bataillanthéroïquementpourgarderlaligneets'aspergeantanxieusementdeparfum.Un homme leur dit “Je t'aime” et, le lendemain, la fille superbe devient, pour ainsi dire, unesouillon.Unesouillonheureuse.»Desrirespolisetappréciateursfusentuninstantdanslapièce.—Alors?Quelestvotrechoix,lesfilles?Bataillerhéroïquementpourgarderlaligneoudevenirune

heureusesouillon?—Jecroisquej'aivuunfilmquiavaitcetitreiln'yapassilongtemps,ditRupert.Sonsourires'évanouitquandilréalisequelesriressesonttus.—Ilyabeaucoupàfaireàpartirdecematériel,intervientMelissaendésignantsondossier.Ellie,est-

cequetupeuxcreuserunpeul'idéecetaprès-midi?Regardecequetutrouvesd'autreauxarchives.Cequ'oncherchedoit daterd'environquaranteoucinquante ans.Cent ans, ce serait tropéloignédenotreépoque.Nousdevonsmettrelechangementenlumièresanspourautantperdrelelecteur.—Tuveuxquej'aillefouillerdanslesarchives?—Çateposeunproblème?Non, j'adore rester assise pendant des heures dans une cave sombre pleine de papier moisi,

surveilléepardesmaniaquesauteintcadavériqueetàl'espritstalinien.—Pasdutout,répond-ellegaiement.Jesuissûrequejevaistrouverquelquechose.— Prends quelques stagiaires pour t'aider, si tu veux. Onm'a dit qu'il y en avait une ou deux qui

traînaientdansleplacarddelarubriqueMode.Ellieneremarquepasl'expressiondesatisfactionmalveillantequitraverselevisagedesarédactrice

enchefà l'idéed'envoyerdans lesentraillesdu journal ladernière fournéedespseudo-AnnaWintour.Elleesttropoccupéeàpenser:Etmerde!Iln'yapasderéseauausous-sol.—Aufait,Ellie,tuétaisoùcematin?—Quoi?—Cematin.Jetecherchaispourtedonneràréécrirecetarticlesurlesenfantsetledeuil.Personne

n'avaitl'airdesavoiroùtuétaispassée.—J'étaispartiefaireuneinterview.—Avecqui?Un expert en langage corporel aurait aussitôt identifié le sourire de Melissa comme une sorte de

menace.—Uneavocate.J'espéraispouvoirrecueillirquelquesproposédifiantssurlesexismeaubarreau.C'estsortiavantmêmequ'elleserendecomptedecequ'elledisait.—LesexismeàlaCity?Vuetrevu.Faisensorted'êtreàl'heuredemain.Lesinterviewsspéculatives,

c'estsurtontempslibre.OK?—Trèsbien.—Parfait. Jeveuxunedoublepagepour lapremièreéditiondeCompassQuay.Unarticledugenre

«Plusçachange,plusc'estlamêmechose»,dit-elleengriffonnantdanssoncarnetàcouverturedecuir.

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Des préoccupations, des publicités, des courriers des lecteurs… Apporte-moi quelques pages en find'après-midi,quejepuissevoircequetuastrouvé.—D'accord.Elliequittelebureauderrièresescollègues,ungrandsourireprofessionnelauxlèvres.J'aipassélajournéedansl'équivalentmodernedupurgatoire,écrit-elleavantdereprendreunegorgée

devin.Lesarchivesdujournal.Tuasdelachanceden'écrirequedeshistoiresinventées.Il luiaenvoyéunmessagesursoncompteHotmail. Il se faitappelerGrattepapier :uneplaisanterie

entreeux.Ellesemetentailleursursachaise,guettantlesignalderéponsequinesefaitpasattendre:Tuesunehorriblemécréante.J'adorelesarchives.Rappelle-moidet'emmeneràlaBritishNewspaper

Librarypournotreprochainrendez-vousgalant.Ellesourit.Toi,tusaiscequiplaîtauxfemmes.Jefaisdemonmieux.Leseularchivisteàpeuprèshumainquej'aiputrouverm'aconfiéunimmensetasdefeuillesvolantes.

Cen'estpaslapluspalpitantedeslecturesdechevet.Craignantdeparaîtretropsarcastique,elleajouteunsmiley,puissemauditensesouvenantqu'ilaécrit

un essai pour leLiteraryReview en prenant le smiley comme illustration de la dégénérescence de lacommunicationmoderne.C'étaitunsmileyauseconddegré,ajoute-t-elleavantdesefourrerlepoingdanslabouche.Téléphone.Jereviens.L'écrans'immobilise.Téléphone.Safemme?Ilestdansunechambred'hôtelàDublin.Avecvuesurlamer,luia-t-ildit.«Tu

aurais adoré. »Qu'était-elle censée répondre à ça ? «Alors emmène-moi, la prochaine fois » ?Tropdirect.«Jen'endoutepasuneseconde»?Çasemblaitpresquesarcastique.«Oui»,avait-ellefinalementréponduavecunlongsoupirqu'elleseuleavaitentendu.Toussesamisluidisentquec'estentièrementsafaute.Et,pourunefois,ellenepeutpaslescontredire.

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Ellel'arencontrélorsd'unsalondulivredansleSuffolk,oùonl'avaitenvoyéepourinterviewercetauteur qui avait fait fortune avec des thrillers après avoir abandonné des ambitions plus littéraires. Ils'appelait John Armour, et son héros, Dan Hobson, était un amalgame presque caricatural de traitsmasculinsrétrogrades.Ellel'avaitinterrogépendantundéjeuner,s'attendantàunedéfenseombrageusedugenreetpeut-êtreàquelquesrécriminationsàl'encontredel'industriedulivre–elleavaittoujourstrouvélesécrivainspéniblesàinterviewer.Elles'étaitattendueàunhommebedonnant,laquarantaine,empâtéparlesannéespasséesassisàsonbureau.Maislegrandhommebronzéquis'étaitlevépourluiserrerlamainétaitmince,levisageparsemédetachesderousseur,avecdesairsdefermiersud-africainàlapeauburinéeparlesoleil.Ilétaitdrôle,charmant,modesteetattentif.Ilavaitretournél'interviewcontreelle,luiposantdesquestionspersonnellesavantdeluiparlerdesespropresthéoriessurl'originedulangageetdeluiexpliquerpourquoiilpensaitquelacommunicationsetransformaitpeuàpeuenquelquechosededangereusementinformeetlaid.Lorsque lecaféétaitarrivé,elles'était renducomptequ'elleneprenaitplusdenotesdepuisprèsde

quaranteminutes.—Maisvousn'aimezpas leurmusicalité ?demanda-t-elleenquittant le restaurantpour regagner le

salondulivre.L'annéeétaitdéjàbienavancée,etlesoleild'hiverétaitdescenduendessousdesimmeublesbasdela

rueprincipalequisevidait.Ellieavaittropbu:elleavaitatteintcepointoùsabouchesemettaitàparleravant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir à ce qui allait en sortir. Elle regrettait de ne plus être aurestaurant.—Dequelleslangues?—L'espagnol.Etsurtoutl'italien.Jesuissûrequec'estpourçaquej'adorelesopérasitaliensetqueje

nesupportepasceuxenallemand,avectouscessonsdursetgutturaux.Ilméditauninstant,etsonsilenceladésarçonna.Ellesemitàbafouiller:—Jesaisquec'estterriblementdémodé,maisj'adorePuccini.J'adorecesémotionsintenses.J'adore

les«r»roulés,lephrasésaccadé…Savoixmourutdanssagorgequandelleserenditcompteàquelpointelleavaitl'airpédante.Ils'arrêtadansl'embrasured'uneporte,jetauncoupd'œilverslaroutederrièreeux,puisseretourna

verselle.—Jen'aimepasl'opéra.Il l'avait regardée droit dans les yeux en disant cesmots.Commepar défi.Elle avait senti quelque

chosechavirerenelle.C'estpasvrai,songea-t-elle.—Ellie…,dit-ilaprèsqu'ilsfurentrestésplantéslàpendantprèsd'uneminute.C'étaitlapremièrefoisqu'ill'appelaitparsonprénom.— Ellie, je dois récupérer quelque chose à mon hôtel avant de retourner au salon. Vous voulez

m'accompagner?Il n'avait pas encore refermé la porte de sa chambre qu'ils étaient déjà l'un sur l'autre, étroitement

enlacés, leurs bouches se dévorant mutuellement tandis que leurs mains exécutaient une chorégraphiefrénétiquepourlesdéshabiller.

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Plustard,enrepensantàsonattitude,elles'étaitextasiéecommefaceàuneaberration.Descentainesdefois,sonespritavaitrejouélascène,gommanttoutcequecelaavaitsignifiépourelleetl'émotionquil'avait envahie, ne conservant que les détails : ses sous-vêtements, ceux de tous les jours, jetésnégligemmentsurunepresse-pantalon;lafaçondont,unpeuplustard,ilsavaientéclatéd'unrirebêteetincontrôlable,couchésparterresousl'édredonenpatchworkdel'hôtel;commentilavaitjoyeusement,etavecuncharmeindécent,rendusacléàlaréceptionniste.Ill'avaitappeléedeuxjoursplustard,alorsquelechoceuphoriquedecettejournéesechangeaitpeuà

peuenquelquechosedeplusdécevant.—Tusaisquejesuismarié,dit-il.Tuaslumondossierdepresse.J'aipassédesheuresàtapertonnomdanslesmoteursderecherche,répondit-elleensilence.—Jen'aijamaisété…infidèle.J'aiencoredumalàmettredesmotssurcequis'estpassé.—Toutça,c'estlafautedelaquiche,lança-t-elleavecunegrimaceembarrassée.—Tumefaisquelquechose,EllieHaworth.Jen'aipaspuécrireunmotenquarante-huitheures.Tu

m'asfaitoubliertoutcequejevoulaisdire,ajouta-t-ilaprèsunsilence.Alors je suis condamnée, songea-t-elle.Dèsqu'elle avait senti lepoidsde soncorps sur le sien, la

pressiondesabouchesurlasienne,ellesavaitsu–malgrétoutcequ'elleavaitpudireàsesamissurleshommes mariés, malgré tout ce qu'elle avait pu croire – qu'elle n'avait besoin que de la plus petitereconnaissancedesapartpourêtreirrémédiablementperdue.Unanplustard,ellen'avaittoujourspascommencéàchercheruneissuedesecours.Ilsereconnecteprèsdequarante-quatreminutesplustard.Pendantcetemps,elleaquittél'ordinateur,

s'estserviunnouveauverredevinetaerrésansbutdansl'appartementavantdesemettreàrassemblerdeschaussettesorphelinespourlesjeterdanslepanieràlinge.Lorsqu'elleentendle«bip»d'unnouveaumessage,elleseruesursachaise.Désolé.Jenepensaispasqueçaprendraitsilongtemps.J'espèrepouvoirteparlerdemain.Pasd'appelssursonportable,a-t-ilrecommandé.Sesfacturessontdétaillées.Àlahâte,elleécrit:Tuesàl'hôtel?Jepourraist'appelersurletéléphonedetachambre.Luiparlerautéléphoneestunluxe,unerareopportunité.Bonsang,commeelleaenvied'entendresa

voix!J'aiundîner,mabelle.Désolé,jesuisenretard.Àplus,bisou.Etilestdéjàparti.

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Ellie reste là, lesyeux rivés sur l'écranvide.Àprésent, ildoitêtreen trainde traverser l'entréedel'hôtel, charmant au passage les réceptionnistes, avant de grimper dans la voiture que le festival lui aenvoyée.Cesoir,audîner,ilvaimproviserunbrillantdiscoursetferaprofiterdesaprésenceamuséeetvaguementpensive tous ceuxqui auront la chanced'être assis à sa table. Il vivra savie à fond tandisqu'elleresteracoincéeiciavecl'impressiondemettrelasienneensuspens.Maisqu'est-cequ'ellefout?—Maisqu'est-cequejefous?s'exclame-t-elleàvoixhauteenéteignantsonordinateur.Ellecriesafrustrationauplafonddesachambreetselaissechoirsursongrandlitvideetfroid.Elle

nepeutpasappelersesamis : ilsontsubicesconversationsbien tropsouvent,etellesaitdéjàquellesera leur réponse – la seule possible. Les paroles deDoug ont été douloureuses.Mais elle aurait ditexactementlamêmechoseàn'importelequeld'entreeux.Elles'assiedsurlecanapéetallumelatélé.Puissonregardtombesurlapiledepapiersposéeàcôté

d'elle.Elleprendletoutsursesgenoux,maudissantMelissa.«C'estunéchantillonhétérogène,luiaditl'archiviste.Desarticlessansdatenicatégorieapparente.Jen'aipaseuletempsdetoutclasser.Onendéterre tellement comme ça en cemoment…»C'est le seul archiviste demoins de cinquante ans quitravailleaujournal.L'espaced'uninstant,ellesedemandeparquelhasardellenel'ajamaisremarqué.«Regarde là-dedans si tu trouves quelque chose d'utile. » Il s'était penchévers elle avec un air de

conspirateur.«Tupeuxjetertoutcequinetesertpas,maisnedisrienàmonchef.Onenestarrivésàunstadeoùonnepeutplussepermettred'examinerlemoindreboutdepapier.»Elleatôtfaitdecomprendrepourquoi:ilyalàdescritiquesdethéâtre,unelistedepassagerspour

unecroisière,quelquesmenusdedînersdefête…Elleleslitendiagonale,levantdetempsentempslesyeuxsurlatélévision.Iln'yapasgrand-choselà-dedanssusceptibled'intéresserMelissa.Elleparcourtàprésentlecontenud'unechemisedéfraîchiepleinededossiersmédicaux.Uniquement

desmaladiespulmonaires,remarque-t-elledistraitement.Untrucenrapportavecletravailminier.Alorsqu'elles'apprêteàjeterletoutàlapoubelle,sonregards'arrêtesuruncoinbleupâle.Ellelesaisitentrele pouce et l'index et tire du dossier une enveloppe portant une adresse manuscrite. Elle a déjà étéouverte,etlalettrequ'ellecontientestdatéedu4octobre1960:Moncheretuniqueamour,Jepensaistoutcequejet'aidit.J'aicomprisquelaseulefaçond'avancer,c'estquel'undenous

deuxfasseunchoixdifficile.Jen'ai pasautant de forceque toi.Lorsdenotrepremière rencontre, je pensaisque tu étais une

petitechosefragilequejedevaisprotéger.Àprésent,jemerendscomptequejemetrompaissurtoutela ligne. Tu as plus de force quemoi.C'est toi qui parviens à vivre avec la possibilité d'un amourcommecelui-cietlefaitquejamaisonnenouslepermettra.Je te demande de ne pas me juger pour ma faiblesse. La seule façon pour moi de supporter la

situation est d'être dans un endroit où je ne te verrai plus et où je n'aurai plus à redouter det'apercevoirensacompagnie.J'aibesoindemetrouverquelquepartoùlesduresnécessitésdelaviem'empêcherontdepenseràtoi,minuteaprèsminute,heureaprèsheure.Ici,c'estimpossible.

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Jevaisacceptercetravail.Jeseraisurlequainuméro4,àPaddington,à19h15vendredisoir,etrienaumondenepourraitmecomblerplusdejoiequesitutrouvaislecouragedepartiravecmoi.Situnevienspas,jesauraique,quoiquenousressentionsl'unpourl'autre,cen'étaitpasassezfort.

Jene t'enblâmeraipas,monamour. Je saisquecesdernières semainesont faitpeserbeaucoupdepressionsurtesépaules–jelaressensmoi-même.Jenesupportepasl'idéed'avoirputecauserdelapeine.J'attendraisurlequaiàpartirde18h45.Moncœuretmesespoirssontentretesmains.

B.

Ellierelitlalettre.Pouruneraisonquiluiéchappe,elleenaleslarmesauxyeux.Ellen'arrivepasàdétournersonregarddecetteécritureampleetarrondie ; lesmots luisautentauvisageavecuneforceincroyable, plus de quarante ans après avoir été couchés sur le papier. Elle retourne la feuille, puischerchedesindicessurl'enveloppe.Elleestadresséeàlaboîtepostalen°13,àLondres.L'expéditeurpouvaitaussibienêtreunhommequ'unefemme.Qu'as-tufait,BPn°13?demande-t-elleensilence.Puiselleselève,replacesoigneusementlalettredanssonenveloppeetretourneàsonordinateur.Elle

ouvresaboîtemailetrafraîchitlapage.Riendepuislemessagequ'elleareçuà19h45.J'aiundîner,mabelle.Désolé,jesuisdéjàenretard.Àplus,bisou.

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PARTIEI

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Laseulefaçonpourmoidelesupporterestd'êtredansunendroitoùjeneteverraiplusetoùje

n'auraiplusàredouterdet'apercevoirensacompagnie.J'aibesoindemetrouverquelquepartoùlesduresnécessitésdelaviem'empêcherontdepenseràtoi,minuteaprèsminute,heureaprèsheure.Ici,c'estimpossible.Jevaisacceptercetravail.Jeseraisurlequainuméro4,àPaddington,à19h15vendredisoir,et

rienaumondenepourraitmecomblerplusdejoiequesitutrouvaislecouragedepartiravecmoi.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitrepremier

1960—ELLESERÉVEILLE.Il y eut un bruissement de tissu, le raclement des pieds d'une chaise qu'on traîne, puis le cliquetis

caractéristiquedesanneauxderideauquis'entrechoquent.Deuxvoixchuchotant.—JevaischercherM.Hargreaves.Danslebrefsilencequis'ensuivit,ellepritpeuàpeuconscienced'unautreniveausonore–desvoix

étoufféesparladistance,unevoiturequipassaitdanslarue:elleavaitl'impressionétrangequetouscesbruitsprovenaientde loin endessousd'elle.Étendue là, elle les assimilait, les laissant se cristalliser,laissantsonespritreconnaîtrechaqueson.Puisellepritconsciencedeladouleur.Cettedernièrel'envahissaitdoucement,parétapes:d'abordle

longdubras,unesensationaiguëetbrûlantequi irradiaitducoude jusqu'à l'épaule ;puisdans la tête,sourdeetincessante.Lerestedesoncorpsluifaisaitmal,commequandelleavait…Quandelleavait…?—Ilarrivedansdeuxsecondes.Iladitdefermerlerideau.Saboucheétaitsèche.Elleserraleslèvresetavalapéniblementsasalive.Ellevoulaitdemanderde

l'eau,mais lesmots ne sortaient pas. Elle ouvrit les paupières de quelquesmillimètres.Deux formesindistinctessemouvaientautourd'elle.Chaquefoisqu'ellepensaitpouvoirdistinguerdequiils'agissait,ellesbougeaientets'estompaientdenouveau.Dubleu.Ellesétaientbleues.—Tusaisquivientd'arriveràlaréception?—Lafiancéed'EddieCochran,murmural'unedesvoix.Cellequiasurvécuàl'accident.Elleaécrit

deschansonspourlui.Enfin,àsamémoire.—Ellesneserontjamaisaussibonnesquelessiennes.—Elleareçudesjournalistestoutelamatinée.L'infirmièreenchefestauborddelacrisedenerfs.Ellenecomprenaitpasunmotdecequ'ellesdisaient.Ladouleurdanssatêtes'étaitmuéeenunbruit

sourdetlancinant,gagnantenvolumeetenintensitéjusqu'àcequ'ellen'eûtplusd'autresolutionquederefermerlesyeuxetd'attendrequecemartèlement–ouqu'elle-même–disparaisse.Puisleblancsurgitpourl'enveloppercommeunemaréemontante.Avecsoulagement,ellepoussaunsoupirsilencieuxetselaissacoulerdanssonétreinte.—Êtes-vousréveillée,machère?Vousavezdelavisite.Un reflet vacillant apparut au-dessusd'elle, commeun spectre auxmouvements saccadés, partant de

droiteàgaucheàunevitessefulgurante.Ellesesouvintsoudaindesapremièremontreetdelafaçondontelles'étaitamuséeàrefléterunrayondesoleilsurleverre,l'envoyantauplafonddelasalledejeuetlefaisantallerd'avantenarrièrepourexciterlepetitchien.

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Lebleuétait revenu.Elle levoyaitbouger,entendait le froissementde tissuqui l'accompagnait.Puisunemainseposasursonpoignet.Unviféclairdedouleurluifitpousseruncriperçant.—Doucementdececôté,infirmière,grondalavoix.Ellel'asenti.—Jesuisvraimentdésolée,monsieurHargreaves.—Lebrasvaavoirbesoind'unenouvelleopération.Onluiamisdesbroches,maiscen'estpasencore

ça.Une forme sombre planait près de ses pieds. Elle aurait voulu voir les contours de cette ombre se

préciser,maiselledemeuraitindistincte,toutcommelesformesbleues.Sespaupièresserefermèrent.—Vouspouvezresteravecelle,sivousvoulez.Luiparler.Ellevousentendra.—Commentvontses…autresblessures?—Ilyauraquelquescicatrices,j'enaipeur.Surtoutsurcebras-ci.Etelleareçuungroscoupsurla

tête.Illuifaudrasansdouteunmomentavantderedevenirelle-même.Mais,vulagravitédel'accident,onpeutestimerqu'elleaeubeaucoupdechance.Ilyeutunbrefsilence.—Oui.Quelqu'unavaitposéunsaladierdefruitsàcôtéd'elle.Elleavaitrouvertlesyeuxetfixédessustoute

son attention, laissant se cristalliser les formes et les couleurs jusqu'à se rendre compte, avec uneimmense satisfaction, qu'elle était capable de les identifier.Raisins, songea-t-elle. Elle se le répéta,faisantroulerlemotensilencedanssatête:Raisins.Celaluisemblaitd'uneimportancecapitale,commesiçal'aidaitàs'ancrerdanscettenouvelleréalité.Puis,aussivitequ'ilsétaientvenus, lesraisinsétaientrepartis,oblitéréspar lamassebleufoncéqui

venaitdeseposeràcôtéd'elle.Quandlachoses'approcha,ellecrutdécelerunevagueodeurdetabac.Lavoix,lorsqu'elleluiparvint,semblaithésitante,peut-êtremêmeunpeuembarrassée.—Jennifer?Jennifer?Tum'entends?Lesmotsétaientassourdissantsetétrangementenvahissants.—Jenny,chérie,c'estmoi.Ellesedemandas'ilsallaientlalaisserrevoirlesraisins.Celaluisemblaitindispensable;ilsétaient

épanouis,violets,solides.Familiers.—Vousêtessûrqu'ellepeutm'entendre?—Absolument.Mais,audébut,ellesesentirapeut-êtretropépuiséepourcommuniquer.Ils échangèrent quelquesmurmures qu'elle ne put discerner.Ou peut-être avait-elle seulement arrêté

d'essayer.Toutluisemblaitconfus.—Pouvez-vous…,hasarda-t-elledansunsouffle.—Maissoncerveaun'apasétéendommagédansl'accident?Vouspouvezm'assurerqu'iln'yaurapas

de…séquelles…?—Comme je l'ai dit, elle a reçu un gros coup sur la tête,mais il n'y a aucune raisonmédicale de

s'inquiéter.(Unfroissementdepapiersefitentendre.)Pasdefractureducrâne.Pasdelésioncérébrale.Celadit,cetypedeblessureesttoujoursunpeuimprévisible,etlespatientsnesontpastousaffectésdelamêmefaçon.Vousallezjustedevoirêtreunpeu…

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—S'ilvousplaît…,murmura-t-elled'unevoixàpeineaudible.—MonsieurHargreaves!Jecroisqu'elleessaiedeparler!—…veuxvoir…Unvisageapparut,flottantau-dessusdusien.—Oui?—…veuxvoir…Lesraisins,suppliait-elle.Jeveuxseulementrevoirlesraisins.—Elleveutvoirsonmari!s'écrial'infirmièreenselevantd'unbond,triomphante.Jecroisqu'elleveut

voirsonmari!Lesilencesefit,etquelqu'uns'approcha.—Jesuislà,chérie.Toutest…toutvabien.Puislecorpspenchésurelles'éloigna.Elleentenditunemaintapoterundos.—Alors, vousvoyez ?dit une autrevoixmasculine.Elle revient déjà à elle.Vousvoyez ?Chaque

chose en son temps ! Infirmière ? Demandez à ce qu'on prépare un repas pour ce soir. Rien de tropcopieux.Unplatléger,facileàavaler…Et,tantquevousyêtes,vouspourrezpeut-êtrenousapporterunetassedethé.Elleentenditdesbruitsdepass'éloigneretdesvoixquicontinuaientàchuchoteràcôtéd'elle.Alors

queleslumièress'éteignaientdenouveau,sadernièrepenséefut:Monmari?Plus tard,quandon lui révéladepuisquandelleséjournaità l'hôpital,elleeutdumalàycroire.Le

temps était devenu fragmenté, ingérable. Il allait et venait à coups d'heures chaotiques.C'était le petitdéjeunerdumardi.Puisledéjeunerdumercredi.Apparemment,elleavaitdormidix-huitheures–onleluiappritavecunecertainedésapprobation,commesielles'étaitmontréeimpolieens'étantabsentéesilongtemps.Puiscefutvendredi.Unefoisencore.Parfois,toutétaitsombrequandelles'éveillait.Elleremontaitalorsunpeulatêtesurl'oreillerblanc

amidonnépourobserverlesmouvementsapaisantsdel'équipedenuit;lebruissementdechaussonsdesinfirmières qui passaient dans les couloirs, les occasionnelles bribes de conversations entre uneinfirmièreetunepatiente.Ellepouvaitregarderlatélévisionlesoirsiellevoulait,luiavait-ondit.Sonmari payait pour des soins privés – elle pouvait obtenir presque tout ce qu'elle désirait. Elle disaittoujours«non,merci»:letorrentd'informationsquil'assaillaitladéconcertaitsuffisammentpournepasyajouterl'incessantbavardagedelatélévision.Alorsquelespériodesd'éveildevenaientpluslonguesetplusfréquentes,ellesefamiliarisaavecles

visagesdes autrespatientesde lapetite salle.Lavieille femmequioccupait la chambre sur sadroiteavaitdescheveuxd'unnoirdejais,parfaitementépinglésenunesculpturerigidesur lesommetdesoncrâne;elleavaitlestraitsfigésenuneexpressiondevaguedéceptionétonnée.Elleavaitapparemmentjouédansunfilmquandelleétaitjeune,etelleprenaitlapeined'eninformerchaquenouvelleinfirmièrequil'approchait.Elleavaitunevoiximpérieuseetpeudevisiteurs.Danslachambred'enface,ilyavaitune jeune femme potelée qui pleurait toujours en silence au petit matin. Une femme plus âgée à l'airsévère–peut-êtreunenourrice?–luiamenaitdejeunesenfantsuneheurechaquesoir.Lesdeuxgarçonsgrimpaientsurlelitetseserraientcontreellejusqu'àcequelanourriceleurordonnederedescendre,de

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peurqu'ilsne«fassentmalàleurmère».Les infirmières lui disaient les noms des autres femmes, et parfois même les leurs, mais elle ne

parvenaitpasàs'ensouvenir.Ellelesdécevait,songeait-elle.« Votre mari », comme tout le monde l'appelait, venait presque tous les soirs. Toujours vêtu d'un

costumeàlacoupeimpeccable,bleufoncéougris,illuidéposaitsurlajoueunbaiserdepureformeets'asseyait d'ordinaire au bout du lit. Il parlait de la pluie et du beau temps d'un air soucieux, luidemandantcommentelletrouvaitlanourritureetsiellevoulaitqu'illuienvoiequelquechose.Detempsentemps,ilsecontentaitdeluilirelejournal.C'était un bel homme, de peut-être dix ans son aîné, avec le front haut et un regard sérieux aux

paupièrestombantes.Ellesavait,quelquepartaufondd'elle-même,qu'ilétaitbienceluiqu'ilprétendaitêtre, et qu'elle-même était bien son épouse, mais il était déconcertant de ne rien ressentir alors qu'ils'attendait visiblement à une autre réaction. Parfois, elle l'observait à la dérobée, espérant que cetétranger lui devienne soudainement familier.Parfois, quandelle s'éveillait, elle le trouvait assis là, lejournalbaissé,lesyeuxposéssurellecommes'ilressentaitlamêmechose.M.Hargreaves,lemédecin,venaitlavoirtouslesjours.Ilvérifiaitsesdiagrammesetluidemandaitsi

elle pouvait lui donner la date, l'heure, son nom.Désormais, elle ne se trompait plus. Elle parvenaitmêmeà luidireque lePremierMinistrede l'AngleterreétaitMr.Macmillanetqu'elleavaitvingt-septans.Cependant, elle peinait à se remémorer les gros titres des journaux et certains événements datantd'avantsonhospitalisation.—Çavousreviendra,disaitledocteurenluitapotantlamain.N'essayezpasdeforcerleschoses,c'est

déjàtrèsbien.Etpuisilyavaitsamère,quiluiapportaitdespetitscadeaux,dusavon,desshampooingsauxparfums

agréablesetdesmagazines,commepourlapousseràressemblerdenouveauàcellequ'elleétaitcenséeêtre.—Nousnoussommestoustellementinquiétés,Jennychérie!s'exclamait-elleenluiposantunemain

fraîchesurlefront.C'étaitagréable.Lasensationn'étaitpasfamilière,maisnéanmoinsagréable.Parfois,samèresemblait

s'apprêteràluidemanderquelquechose,puismarmonnait:—Ilne fautpasque je te fatigueavecmesquestions.Tout reviendraen tempsetenheure.C'estce

qu'ontditlesmédecins.Tunedoispast'inquiéter.Jenny aurait voulu lui dire qu'elle ne s'inquiétait pas. Elle était bien, dans sa petite bulle. Elle ne

ressentaitqu'unevaguetristesseàl'idéedenepaspouvoirêtrelapersonnequetoutlemondeattendaitqu'elle soit. C'était à ce stade, quand ses pensées devenaient trop confuses, qu'elle se rendormaitinvariablement.Ilsluiannoncèrentenfinqu'elleallaitrentrerchezelleparunmatinsifroidquedescolonnesdefumée

grimpaientdanslecielbleuhivernalau-dessusdelacapitale,commeuneforêtd'arbresfiliformes.Àcetinstant,elleparvenaitdéjààse leverpourfaire le tourde lasalle,échangeantdesmagazinesavec lesautrespatientestandisquecelles-cidiscutaientaveclesinfirmièresouécoutaientlaradio.Elleavaitsubiunenouvelleopérationaubrasqui,luiavait-ondit,étaitenvoiedeguérisonmalgrélalonguecicatricerougeetdouloureusequibarrait sapeauà l'endroitoùonavait inséré labrocheetqu'elle essayaitde

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dissimulersoussamanche.Onluiavaitfaitpasserdesexamenspourtesterlavueetl'audition.Sapeaus'étaitremisedesmyriadesd'écorchurescauséesparlesmorceauxdeverre,etleshématomesavaientfinipar disparaître.Enfin, sa côte et sa clavicule cassées s'étaient suffisamment reconstituées pour qu'ellepuissesecoucherdansdiversesposturessanssouffrirlemartyre.Ilss'accordaienttousàdirequ'elleétait«redevenueelle-même»,commesi,àforcedesel'entendre

dire,elleallaitseremémorercellequ'elleétaitavant.Samèreavaitpassédesheuresàluimontrerdespilesdephotosennoiretblancpourluirenvoyeruneimagedesonexistencepassée.Elleappritqu'elleétaitmariéedepuisquatreans.Ellen'avaitpasd'enfants–àl'intonationdesamère,

elledevinaquec'était làunecausededéceptionpour tout lemonde.EllehabitaitunesuperbemaisondansunbeauquartierdeLondres,avecunegouvernanteetunchauffeur,etellecrutcomprendrequebonnombre de jeunes femmes seraient prêtes à donner leur bras droit pour disposer de la moitié de safortune.Sonmariétaitunimportantexploitantminierets'absentaitsouvent,bienquesondévouementfûttel qu'il avait reporté plusieurs voyagesdepremière importance depuis l'accident.Compte tenu de ladéférence avec laquelle le personnelmédical s'adressait à lui, Jennifer devinait qu'elle avait affaire àquelqu'un de très important et que, par voie de conséquence, elle aussi devait s'attendre à un certainrespect,mêmesicelaluiparaissaitabsurde.Personnen'avaitvraimentparlédecequil'avaitamenéeàl'hôpital,maiselleavaitjetéuncoupd'œil

aux notes du médecin et compris qu'elle avait eu un accident de voiture. La seule fois où elle avaitinterrogé samère à ce sujet, celle-ci s'était empourprée et, posant sa petitemain potelée sur celle deJennifer,l'avaitpriéede«nepasrevenirlà-dessus,machérie.Çaaété…terriblementbouleversant».Soucieuse de ne pas la perturber davantage, la voyant les larmes aux yeux à cette seule évocation,Jenniferétaitpasséeàautrechose.Une jeune fille bavarde aux cheveux orange vif était venue d'un autre service de l'hôpital pour la

coiffer.Aprèsça,luidit-elle,ellesesentiraitbeaucoupmieux.Jenniferavaitperduquelquescheveuxàl'arrièreducrâne–onlesluiavaitraséspourrecoudreuneplaie–,maislajeunefilleluiannonçaqu'ellesavaitdissimuleràmerveillecegenredeblessure.Uneheureplustard,lacoiffeuselevasonmiroirenungestethéâtral.Jenniferobservalajeunefemme

qui la regardait dans la glace. Plutôt jolie, songea-t-elle avec une sorte de satisfaction distante.Contusionnée,unpeupâle,maisunvisageauxtraitsagréables.Monvisage,secorrigea-t-elle.—Avez-vousdumaquillageàportéedemain?demandalacoiffeuse.Jepeuxvousmaquiller,sivotre

bras vous fait toujours mal. Une touche de rouge à lèvres égaie toujours un visage. Ça et quelquespancakes…Jenniferseregardaittoujoursdanslemiroir.—Vouscroyezquejedevrais?—Oh,oui.Unejoliefillecommevous!Jepeuxrendreçatrèssubtil…maiscelavousmettraunpeu

decouleurauxjoues.Nebougezpas,jefaisjusteunsautenbaspourrécupérermatrousse.J'aidesfardsauxcouleurssomptueusesquej'aifaitvenirdeParis,etunrougeàlèvresCharlesoftheRitzquivousiraàravir.—Ehbien,vousvoilàradieuse!C'estagréabledevoirunedamesemaquillerdenouveau.C'est la

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preuvequevousvousreprenezenmain,déclaraM.Hargreaveslorsdesaronde,quelquesheuresplustard.Onahâtederentreràlamaison?—Oui,merci,répondit-ellepoliment.Ellenesavaitcommentluifairecomprendrequ'elleignoraitdequellemaisonils'agissait.Il étudia son visage un instant, décelant peut-être l'incertitude qui se lisait dans son regard. Puis il

s'assitsurleborddesonlitetluiposalamainsurl'épaule.—Jecomprendsquetoutdoitvousparaîtreunpeuconfus,quevousnevoussentezpasencoretoutà

fait vous-même…Mais ne vous en faites pas trop si certaines choses ne sont pas claires. C'est trèscourant d'être un peu amnésique après une blessure à la tête.Votre famille vous apporte beaucoup desoutien,et jesuissûrqu'unefoisquevousserezentouréed'objets familiersetquevousaurezretrouvévotreroutineetvosamis,vostrajetshabituelspourfairelesboutiques,cegenredechoses,toutfiniraparseremettreenplace.Docile,ellehochalatête.Elleavaiteutôtfaitdeserendrecomptequetoutlemondeavaitl'airplus

contentainsi.—J'aimeraisvousrevoird'iciquelquessemaines,quejepuissesurveillerlacicatrisationdecebras.Il

vavousfalloirunpeudekinésithérapiepourenretrouvertoutl'usage.Maisleplusimportant,c'estquevousvousreposiezetnevousinquiétiezderien.D'accord?Ilsepréparaitdéjààpartir.Quepouvait-elleajouter?Sonmarivintlachercherpeuavantl'heureduthé.Lesinfirmièress'étaientalignéesàlaréception,au

rez-de-chaussée,pour luidireau revoir,proprescommedessousneufsdans leurs tabliersamidonnés.Jennifer,toujoursfaibleetmalassurée,luifutreconnaissantelorsqu'illuitenditlebras.—Jevousremerciepourtoutel'attentiondontvousavezentourémafemme.Envoyezlafactureàmon

bureau,sivouslevoulezbien,dit-ilàl'infirmièreenchef.— Ce fut un plaisir, déclara cette dernière, qui lui serra la main en adressant un grand sourire à

Jennifer.Noussommesravisdelavoirenforme.Vousêtessuperbe,madameStirling.—Jemesens…beaucoupmieux.Merci.Elleportaitunlongmanteaudecachemireetunchapeautambourinassorti.Sonmariavaitdemandéà

cequetroisensemblesluifussentenvoyés.Elleavaitchoisi leplusdiscret :ellenevoulaitpasattirerl'attention.Soudain,M.Hargreavespassalatêteparlaportedesonbureau.— Ma secrétaire me dit qu'il y a des journalistes dehors – pour voir la fille Cochran. Peut-être

préférerez-voussortirparlaportedederrièrepourévitertoutceremue-ménage.—Eneffet,ceseraitpréférable.Pourriez-vousenvoyermonchauffeurdel'autrecôté?Après des semaines passées dans la chaleur confinée de sa chambre, l'air extérieur lui parut

incroyablement froid. Elle s'efforça de maintenir l'allure, essoufflée, et se retrouva soudain assise àl'arrière d'une grosse voiture noire, s'enfonçant dans les immenses sièges en cuir. Les portières serefermèrentdansunbruitsourd,etlavoituresemêlaàlacirculationdeLondresavecunronronnementàpeineperceptible.

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Jennifer jeta un coup d'œil par la fenêtre pour voir les journalistes rassemblés sur lesmarches del'hôpitalet lesphotographesemmitouflésquicomparaient leursobjectifs.Unpeuplus loin, lesruesdeLondresétaientbondéesdegenspressés,lecolrelevécontrelevent,lechapeaudefeutrebaissésurlessourcils.—QuiestlafilleCochran?demanda-t-elleensetournantverslui.Ilétaitoccupéàmurmurerdesinstructionsauchauffeur.—Qui?—LafilleCochran.M.Hargreavesaparléd'elle.— Je crois que c'était la fiancée d'un chanteur populaire. Ils ont été impliqués dans un accident de

voitureunpeuavant…—Àl'hôpital,lesinfirmièresneparlaientqued'elle.Ilsemblaitdéjàavoirperdutoutintérêtpourlaquestion.—JevaisdéposerMmeStirlingàlamaison,et,dèsqu'elleserainstallée,jerepartiraiautravail,dit-il

auchauffeur.—Qu'est-cequiluiestarrivé?demanda-t-elle.—Àqui?—Cochran.Lechanteur.Sonmarilaregardalonguement,semblantpeserlepouretlecontre.—Ilestmort,répondit-ilenfin.Puisilseretournaverssonchauffeur.Ellegravitàpaslentsleperrondelagrandemaisonàfaçadedestucblanc.Lorsqu'ellearrivaenhaut

desmarches, laportes'ouvritcommeparmagiedevantelle.Lechauffeurposaprécautionneusementsavalisedansl'entrée,puisseretira.Sonmari,derrièreelle,fitunsignedelatêteàunefemmequisetenaitlà,apparemmentpourlesaccueillir.Cettedernièredevaitavoirunecinquantained'années;elleportaituntablierbleumarine,etsescheveuxbrunsétaientrassemblésàl'arrièredesoncrâneenunchignonserré.— Bienvenue chez vous, madame, la salua-t-elle en lui tendant la main. Nous sommes tellement

heureuxquevoussoyezderetour!Sonsourireétaitfranc,etelleparlaitavecunfortaccentqueJenniferneputidentifier.—Merci,répondit-elle.Elleauraitvouludirelenomdecettefemme,maisellen'osaledemander.Lafemmepritleursmanteauxetdisparut.—Tuesfatiguée?demandasonmarieninclinantlatêtepourmieuxétudiersonvisage.—Non.Non,jevaisbien.Elleregardaautourd'elle,espérantdissimulersondésarroi:elleauraitaussibienpunejamaisavoir

mislespiedsdanscettemaison.—Jedoisrepartiraubureau.JepeuxtelaisseravecMmeCordoza?Cordoza.Cenomluiétaitvaguementfamilier.Elleressentitunpetitaccèsdejoie.MmeCordoza.

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—Toutirabien,merci.Net'inquiètepaspourmoi.—Jeserailàà19heures…Situessûrequeçava…De toute évidence, il avait hâte de partir. Il se pencha, l'embrassa sur la joue et, après une brève

hésitation,s'enalla.Ellerestauninstantdansl'entrée,écoutantlebruitdesespasquidescendaientlesmarchesduperronet

lebourdonnementdumoteurdesagrossevoiturequis'éloignait.Lamaisonluisemblasoudainimmenseetcaverneuse.Elle passa lamain sur le papier peint de soie et tenta de s'habituer à la vue du parquet poli et des

plafonds à la hauteur vertigineuse. Elle ôta ses gants avec des gestes précis etmesurés. Puis elle sepenchapourregarderdeplusprèslesphotographiesposéessurlaconsole.Laplusgrandeétaitunephotodemariageexposéedansuncadreenargentouvragésuperbementpoli.Elleétaitdebout,vêtued'unerobeblanche trèsajustée, levisageenpartiedissimulésousunvoilededentelleblanche,sonmarisouriantlargementàsescôtés.Jel'aivraimentépousé,songea-t-elle.Puis:J'ail'airtellementheureuse.Ellesursauta.MmeCordozaétaitapparuederrièreelleetsetenaitlà,lesmainsserréessursontablier.—Jemedemandaissivousvouliezquejevousserveunpeudethé.Jepensaisquevousaimeriezle

prendreausalon.J'aialluméunfeupourvous.—Ceserait…Jenniferparcourutduregardlesnombreusesportesquis'ouvraientdanslevestibule.Puiselleposade

nouveaulesyeuxsurlaphotographie.Auboutd'unlongmoment,ellerepritlaparole:—MadameCordoza…pourriez-vousmedonnerlebras?Justeletempsdem'asseoir.Jemesensun

peuchancelante.Plustard,elleneputdireexactementpourquoiellen'avaitpasvoulurévéleràcettefemmequ'elleavait

oubliél'agencementdesapropremaison.Elleavaitseulementl'impressionque,sielleparvenaitàfairesemblantetquetoutlemondelacroyait,l'illusionfiniraitpardevenirréalité.Lagouvernanteavaitpréparélesouper:unragoût,avecdespommesdeterreetdebonsharicotsverts.

Ellel'avaitlaissédanslefourdubas,avait-ellepréciséàJennifer.Lajeunefemmedutattendreleretourdesonmaripourposerquoiquecefûtsurlatable:sonbrasdroitétaittoujoursfaible,etelleavaitpeurdelaissertomberlalourdecocotteenfonte.Après le départ de Mme Cordoza, elle avait passé une heure à parcourir la vaste demeure, se

familiarisantaveclesnombreusespièces,ouvrantlestiroirsetregardantlesphotographies.Mamaison,serépétait-elle.Mesaffaires.Monmari.Uneoudeuxfois,elleessayadeseviderl'espritetdelaissersespaslamenerautomatiquementàunesalledebainsouàunbureau,etellefutheureusededécouvrirqu'une partie d'elle-même n'avait pas tout à fait oublié cettemaison. Elle fit un rapide inventaire deslivresdusalon,constatantavecunecertainesatisfactionque,mêmesitantdechosesluiétaientdevenuesétrangères,ellepouvaitseremémorerlesintriguesdebonnombrederomans.Elles'attardalepluslongtempspossibledanssachambre.MmeCordozaavaitdéfaitsavaliseetrangé

toussesvêtements.Deuxgrandsplacardsencastrésdanslemurs'ouvraientpourrévélerdesquantitésdevêtementsimpeccablementrangés.Toutluiallaitàlaperfection,mêmeleschaussureslesplususées.Sabrosseàcheveux,sesparfumsetsespoudresétaientalignéssurunecoiffeuse.Sursapeau,lessenteurs

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étaient agréablement familières.Les couleurs dumaquillage lui allaient bien :Coty,Chanel,ElizabethArden,DorothyGray…Sonmiroirétaitentouréd'innombrablescrèmesetonguentshorsdeprix.Elleouvritun tiroir,oùelledécouvritdesdizainesetdesdizainesde soutiens-gorgeet autres sous-

vêtementsdesoieetdedentelle.Jedoissansdouteattacherbeaucoupd'importanceauxapparences,enconclut-elle.Elles'assitpourcontemplersonrefletdanslemiroiràtroisfaces,puissemitàsebrosserlescheveuxavecdelongsmouvementsréguliers.C'estcequejefaistoujours,songea-t-elleàplusieursreprises.Lorsqu'ellesentaitquecettesensationd'étrangetémenaçaitdelasubmerger,elles'occupaitl'espritavec

de petites tâches : ranger les torchons dans le placard du rez-de-chaussée, sortir des assiettes et desverres.Ilrevintpeuavant19heures.Ellel'attendaitdansl'entrée,fraîchementmaquillée,unelégèretouchede

parfumsurlecouetlesépaules.Elleconstataquecelaluiplaisait–cesemblantdenormalité.Elleluipritsonmanteau,lerangeadanslapenderieetluidemandas'ilvoulaitboirequelquechose.—Ceseraitparfait.Merci,dit-il.Ellehésita,lamainposéesurunecarafe.Ilseretournaetcompritsonindécision.—Oui,c'estça,chérie.Duwhisky.Deuxdoigts,avecdesglaçons.Merci.Àl'heuredusouper, ils'assitàsadroiteà lagrandetableenacajou,dont laplusgrandepartieétait

vide et dépourvued'ornements.Elle servit à la louche le plat fumant dans deux assiettes, qu'il posa àleursplaces respectives.C'estmavie, se surprit-elle àpenser en regardant s'activer lesmainsde sonmari.Voilàcequenousfaisonstouslessoirs.—Jemedisaisqu'onpourraitinviterlesMoncrieffàdînervendredi.Tutesensd'attaque?Elleavalaunepetitebouchéederagoût.—Jepense,oui.—Bien,dit-ilavecunhochementdetête.Nosamisontdemandédetesnouvelles.Ilsserontheureuxde

voirquetues…denouveautoi-même.Elleesquissaunsourire.—Ceserait…sympathique.—Jemesuisditquenousdevrionsresteraucalmependantunesemaineoudeux.Letempsquetute

remettes.—D'accord.—C'esttrèsbon.C'esttoiquil'aspréparé?—Non.C'estMmeCordoza.—Ah.Ilsmangèrentensilence.Ellenebutquedel'eau,M.Hargreavesluiayantdéconseillélesboissonsplus

fortes,maiselleenviaàsonmarileverreposédevantsonassiette.Elleauraitaimépouvoirestompercetinquiétantsentimentd'étrangeté,enatténuerl'impact.—Commentçasepasseà…tonbureau?Ilnelevapaslatêtedesonassiette.

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—Trèsbien. Jevaisdevoirvisiter lesminesdans les semaines àvenir,mais jeneveuxpaspartiravantd'êtresûrquetuvasbien.Biensûr,tuaurasMmeCordozaavectoipourt'aiderenmonabsence.Elleressentitunlégersoulagementàl'idéed'êtreseule.—Jesuissûrequeçavaaller.—Etaprèsça,jemesuisditqu'onpourraitpartirsurlaCôted'Azurpourquelquessemaines.J'aides

affairesàréglerlà-bas,etlesoleilteferadubien.M.Hargreavesaditqueçapourraitaideràta…lacicatrisation…Savoixmourutdanslesilence.—LaCôted'Azur,répéta-t-elle.Elleeutsoudainlavisiond'unfrontdemeréclairéparlalune.Desrires.Destintementsdeverres.Elle

fermalesyeux,souhaitantquecetteimagefugaces'éclaircisse.—J'avaispenséque,cettefois,onpourraityallerrienquetouslesdeux.L'images'étaitévanouie.Elleentendait lesangbattredansses tempes.Restecalme, sedit-elle.Tout

finiraparrevenir.C'estM.Hargreavesquil'adit.—Tuastoujoursl'airheureuse,là-bas.Peut-êtremêmeunpeuplusqu'àLondres.Illevalesyeuxverselle,puisdétournaleregard.Unefoisencore,elleavaitl'impressiond'êtretestée.Elleseforçaàmâcheretàavaler.—Onferacommebontesemblera,dit-elleàvoixbasse.Unlourdsilenceenvahitlapièce,uniquementtroubléparlelentraclementducouteaudesonmarisur

sonassiette.Cebruitluiétaitoppressant;finirsonplatluiparutsoudaininsurmontable.—Enfait,jesuisplusfatiguéequejepensais.Çat'embêteraitbeaucoupsijemontaismecoucher?Ilselevaenmêmetempsqu'elle.—J'auraisdûdireàMmeCordozaqu'unsouperencuisineauraitsuffi.Veux-tuquejet'aideàmonter

l'escalier?—Jet'enprie,net'enfaispaspourmoi,dit-elleendéclinantl'offred'ungestedelamain.Jesuisjuste

unpeufatiguée.Jesuissûrequeçairabienmieuxdemainmatin.À21h45,elle l'entenditentrerdans lachambre.Elles'étaitétenduedans le lit,percevantavecune

étrange acuité la lumière de la lune qui s'immisçait entre les longs rideaux et le bruit lointain de lacirculation, des taxis qui s'arrêtaient pour faire descendre leurs passagers, d'une salutation polie d'unhommequipromenait sonchien.Elle était restée immobile, attendantquequelquechose se remette enplace,quel'aisanceaveclaquelleelles'étaitreplongéedanssonenvironnementphysiqueatteigneenfinsonesprit.Puislaportes'étaitouverte.Iln'allumapaslalumière.Elleentenditleclaquementétouffédescintresdeboisquandilsuspenditsa

veste, puis un léger bruissement lorsqu'il ôta ses chaussures. Soudain, elle se raidit. Son mari – cethomme,cet inconnu–allait s'installerdansson lit.Elleavaitétési focaliséesur l'épreuvede l'instantprésentqu'ellen'yavaitpasmêmesongé.Elles'attendaitàcequ'ildormedanslachambred'amis.Ellesemorditlalèvre,serrantlespaupières,s'obligeantàrespirerlentementpourfeindrelesommeil.

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Ellel'entenditdisparaîtredanslasalledebains,ouvrirlerobinet,sebrosservigoureusementlesdentsetse gargariser. Puis le bruit de ses pas se rapprocha, étouffé par lamoquette, et il se glissa entre lescouvertures,faisantsecreuserlematelasetprotesterlesommier.Pendantuneminute,ilrestacouchélàsansbouger,etJenniferfitdesonmieuxpourgarderunsoufflerégulier.Oh,s'ilteplaît,pasmaintenant,supplia-t-elleensilence.Jeteconnaisàpeine.—Jenny?dit-il.Ellesentitsamainsursahancheetseforçaànepastressaillir.Illasecouatimidement.—Jenny?Elle poussa un long soupir évoquant l'innocent abandon du profond sommeil. Elle sentit sa main

s'immobiliser.Puis,soupirantàsontour,ilselaissatomberlourdementsursesoreillers.

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J'auraisaiméêtreceluiquitesauverait,maisçanevapasêtrepossibleJenet'appelleraipasune

foisquetuaurasreçucettelettre,parcequ'ellerisquedetebouleverseretqueçamedonneraitunemauvaiseimagedetoisijet'entendaispleurer.Jenet'aijamaisvuepleurerenunanetdemi,etc'étaitlapremièrefoisquej'avaisunecopinecommeça.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitre2

DEVANTL'EXPRESSIONMENAÇANTEDESONPATRONETSADÉMARCHEDÉTERMINÉELORSQU'ILTRAVERSASON

bureau,MoiraParkerseditqueM.Arbuthnot,sonrendez-vousde14h30,avaitétébieninspiréd'êtreenretard.Detouteévidence,ladernièreréunionnes'étaitpasbienpassée.Elleselevaenlissantsajupeetluipritsonmanteau,quiavaiteuletempsdesemoucheterdepluiesur

lacourtedistancequ'ilavaiteueàparcourirentresavoitureet lesbureaux.Elledéposasonparapluiedansleporte-parapluiesets'attardaplusquenécessairepoursuspendresoigneusementsonmanteau.Elletravaillaitpourluidepuissuffisammentlongtempspoursavoirquandilavaitbesoindepasserunmomentseul.Elleluiservitunetassedethé–ilenprenaittoujoursunedansl'après-midi,aprèssesdeuxtassesde

cafédumatin–,puis rassembla sespapiers avecuneéconomiedemouvementnéede sesnombreusesannéesd'expérienceetfrappaàlaportedesonbureau.— Je crois queM. Arbuthnot a été pris dans les embouteillages, dit-elle en entrant dans la pièce.

Apparemment,ilyaungrosralentissementsurMaryleboneRoad.Illisaitleslettresàsignerqu'elleavaitdéposéesunpeuplustôtsursonbureau.Visiblementsatisfait,il

sortit sonstylode lapochedesonvestonetapposasasignatureavecdepetitsmouvementssecs.Elleposalatassedethésursonbureauetajoutalecourrieràsapiledepapiers.—J'aiachetélesbilletspourvotrevoyageenAfriqueduSud,etj'aiprislesdispositionsnécessaires

pourqu'onvousréceptionneàl'aéroport.—C'estlequinzedumois.—Oui.Sivousvoulezvérifierlespapiers,jevouslesapporterai.Voicileschiffresdesventesdela

semainedernière.Ledernier totaldessalairesestdanscedossier.Etcomme jenesavaispassivousauriez le tempsdedéjeuneraprès la réunionavec lesconstructeursautomobiles, j'aipris la libertédevouscommanderdessandwichs.J'espèrequeçavousconviendra.—C'esttrèsgentil,Moira.Merci.—Lesvoulez-vousmaintenant?Avecvotrethé?Ilhochalatêteetluiadressaunbrefsourire.Ellefitdesonmieuxpournepasrougir.Ellesavaitque

les autres secrétaires se moquaient d'elle pour ce qu'elles considéraient comme une attitude tropattentionnée envers son patron, sans parler de ses tenues guindées et de samanière un peu rigide detravailler. Mais cet homme aimait que les choses soient faites correctement. Ça, elle l'avait toujourscompris.Cesfillesidiotes,toujoursfourréesdansleursmagazinesouentraindepartagerdesragotsdansles toilettes, ne comprenaient pas le plaisir inhérent au travail bien fait.Elles ne comprenaient pas lasatisfactiond'êtreindispensable.Ellehésitauninstant,puistiraladernièrelettredesondossier.—Lecourrierdel'après-midiestarrivé.Jemesuisditquevousvoudriezvoirceci.C'estencoreune

deceslettresàproposdesouvriersdeRochdale.

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Il fronçalessourcils, faisantdisparaître lepetitsourirequiavait illuminésonvisage.Il lut la lettre,puislarelut.—Quelqu'und'autrea-t-ilvucecourrier?—Non,monsieur.—Archivez-leaveclesautres,ordonna-t-ilenluifourrantdanslamainlafeuilledepapier.Cenesont

quedesinventionsvisantàsemerlapagaille.Lessyndicatssontderrièretoutça.Jeneveuxrienavoiràfaireaveceux.Ellerepritlalettresansunmotetfitminedepartir,puisrevint.—Puis-jevousdemanderCommentvavotrefemme?Heureused'êtresortiedel'hôpital,j'imagine?—Ellevabien,merci.Elleestpresqueredevenuecommeavant.Çaluiafaitunbienfouderentreràla

maison.Elleavalasasalive.—Jesuisraviedel'entendre.Ilnefaisaitdéjàplusattentionàelle–ilparcouraitleschiffresdesventesqu'elleluiavaitlaissés.Un

grandsourire toujourspeintsursonvisage,MoiraParkerplaquasespapierssursapoitrineetregagnasonbureaud'unpasdécidé.Devieuxamis,avait-ildit.Riendetropéprouvant.Deuxdecesamiesluiétaientfamilières,carelles

luiavaientrenduvisiteàl'hôpitaletunefoisencoreaprèssonretouràlamaison.YvonneMoncrieff,unefemmegrandeetminceauxcheveuxbruns,d'unepetitetrentained'années,étaitsonamiedepuisqu'ellesétaientdevenuesvoisinesàMedwaySquare.Sesmanièressarcastiquescontrastaientaveccellesdeleurautre amie, Violet, qu'Yvonne connaissait depuis l'école et qui semblait accepter comme son fardeaul'humourcaustiqueetlesrepartiescinglantesdel'autre.Jenniferavaitd'abordpeinéàsaisirlesréférencescommunesetàcomprendrecequesignifiaientles

nomsqu'elleséchangeaiententreelles,maiselles'étaitsentieàl'aiseenleurcompagnie.Elleavaitapprisà avoir confiance en ses réactions instinctives : les souvenirs ne résidaient pas uniquement dans lecerveau.«J'aimeraispouvoirperdre lamémoire,avaitdéclaréYvonnequandJennifer luiavaitconfiéqu'elle

s'était sentie comme une étrangère en s'éveillant à l'hôpital. Je partirais dans le soleil couchant.J'oublieraisquej'aiépouséFrancis.»ElleétaitpasséechezJenniferpourlarassurer,luidirequetoutallaitbiensepasser.C'étaitcenséêtre

un dîner « tranquille »,mais, en voyant l'après-midi avancer, Jennifer se sentait presque paralysée deterreur.—Iln'yaaucuneraisondetemettredanscetétat,machérie.Tessoiréessontlégendaires.Yvonnes'assitauborddulit,regardantJennifersetortillerpourentreretsortirdetouteunesériede

robes.—Oui.Maispourquoi?Elleessayad'arrangerledevantdesarobe,quifaisaitdesplisdisgracieux.Apparemment,elleavait

perduunpeudepoidsàl'hôpital.

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Yvonneéclataderire.—Oh,pasdepanique !Tun'as rienà faire, Jenny.LamerveilleuseMmeC.va te fairehonneur.La

maisonestbelle.Tueséblouissante.Enfin,tuleserassitutemetsquelquechosesurledos!Ellesedébarrassadeseschaussuresd'uncoupdepiedetétenditseslonguesjambessurlelit.—Jen'aijamaiscomprispourquoituaimaistantrecevoir,reprit-elleeninspectantsamanucure.Nete

méprends pas, j'adore tes dîners,mais toute cette organisation Ce que j'aime dans les soirées, c'est yaller,pas lesdonner.C'estcequedisait toujoursmamèreet, franchement,c'est toujoursd'actualité.Jeveuxbienm'acheterdenouvellesrobes,maism'occuperdescanapésetdesplansdetable?Nonmerci!Jenniferarrangeaaumieuxsondécolletéetsecontempladanslemiroir,se tournantàgauche,puisà

droite.Ellelevalebras.Lacicatrice,enflée,étaitencored'unrosetrèsvif.—Tucroisquejedevraismettredesmancheslongues?Yvonneseredressapourmieuxlaregarder.—Çafaitmal?—Toutmonbrasestdouloureux,maislemédecinm'adonnédescachets.Jemedemandaisjustesila

cicatricen'étaitpasunpeu—Voyante ? acheva Yvonne en fronçant le nez. Je pense que des manches longues conviendraient

mieux,machérie.Letempsqu'elles'atténueunpeu.Etpuisilfaitsifroid…LabrusqueriedesonamieétonnaJennifer,maisellen'enfutpasoffensée.C'étaitlapremièrefoisqu'on

luiparlaitavecfranchisedepuissasortiedel'hôpital.Elleôtasa tenueetpartit fouillerdanssapenderiepourydénicherunerobefourreaudesoiegrège.

Elle ladécrochapour l'examiner.C'étaitunchoixsi tapageurDepuissonretourà lamaison,elleavaittoutfaitpourdisparaîtresousdescouchesdetweedetdesnuancessubtilesdegrisetdebrun,maiscesrobessomptueusesn'avaientcessédeluifairedel'œil.—C'estcegenredevêtement?demanda-t-elle.—Quelgenredevêtement?Jenniferprituneprofondeinspiration.—Quejeported'habitude.C'estàçaquejeressemblais?demanda-t-elleentenantlarobedevantelle.Yvonnesortitunecigaretteetl'alluma,étudiantattentivementl'expressiondeJennifer.—Tuesentraindemedirequetunetesouviensvraimentderien?Jennifers'assitdevantsacoiffeuse.—Presque, avoua-t-elle. Je sais que je te connais. Je sais que je connaismonmari. Je le sens là,

poursuivit-elle en se tapotant la poitrine. Il y a d'énormes vides. Je neme souviens pas de ce que jepensaisdemavie.Jenesaispascommentjesuiscenséemeconduireaveclesgens.Jenesaisplusquijesuis,dit-elleensemordantlalèvre.Leslarmesauxyeux,elleouvrituntiroir,puisunautre,àlarecherched'unmouchoir.Yvonneattendituninstant.Puiselleseleva,traversalapièceets'assitavecellesurlepetittabouretde

lacoiffeuse.—Cen'estrien,machérie,jevaiscomblerlesblancs.Tuescharmanteetdrôle,etturespireslajoie

devivre.Tuasunevieparfaite,unricheetbeaumariquit'adoreetunegarde-robeàfairemourird'envie

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n'importe quelle femme. Ta coiffure est toujours impeccable. Ta taille fait la largeur de lamain d'unhomme.Tueslecloudetouteslesassemblées,etnosmarissontamoureuxdetoiensecret.—Oh,nesoispasridicule.—Je t'assure !Francis t'adore.Dèsqu'ilaperçoit tonpetit sourire friponet tesnattesblondes, je le

voissedemanderpourquoiilaépousécettevieilleJuivegrincheuseetdégingandée.QuantàBill…—Bill?—LemarideViolet.Avanttonmariage,iltesuivaitlittéralementcommeunpetitchien.Heureusement

qu'ilestterrifiépartonmari,sansquoiçafaitdesannéesqu'ilt'auraitkidnappée.Jennifers'essuyalesyeuxavecsonmouchoir.—Tuestrèsgentille.—Pasdutout.Situn'étaispasaussicharmante,jet'auraisfaitliquiderdepuislongtemps.Maistuasde

lachance,jet'aimebien.Ellesrestèrentassisesensilencedurantquelquesminutes.Duboutdel'orteil,Jenniferfrottaitunetache

surlamoquette.—Commentsefait-ilquejen'aiepasd'enfants?Yvonnetiralonguementsursacigaretteetexhalaunimpeccableronddefumée.Puisellejetaunbref

regardàJenniferethaussalessourcils.—Ladernièrefoisqu'onaabordé lesujet, tum'asfait remarquerque,pouravoirdesenfants, ilest

généralement conseillé que le mari et l'épouse vivent sur le même continent. Le tien est souvent endéplacement, ajouta-t-elle avec un petit sourire en coin. Ça fait partie des choses que je t'ai toujoursterriblementenviées.Jenniferlaissaéchapperunpetitrireforcé.Sonamiepoursuivit:—Oh,çavaaller,machérie.Tudevraisfairecequet'aconseillécemédecinridiculementhorsdeprix

etarrêterde te tracasser.Àn'enpasdouter, tuvasavoirune illuminationd'iciquelquessemaineset tesouvenir de tout : les ronflements dégoûtants de ton mari, l'état de l'économie actuelle, celui de tonardoisechezHarveyNichols…Mais,enattendant,profitedetoninnocencetantquetulepeuxencore.—Jesupposequetuasraison.—Bon!Puisquec'estréglé,jepensequetudevraismettrecetrucrose.Tuasuncollierdequartzqui

vamerveilleusementbienavec.Levertémeraudenetemetpasdutoutenvaleur,tesseinsressemblentàdeuxvieuxballonsdégonflés.—Quellebonneamietufais!s'écriaJennifer,etelleséclatèrentderire.Il claqua la porte et laissa tomber son attaché-case sur le sol de l'entrée, amenant l'air glacial de

l'extérieursursonmanteauetsursapeau.Ildénouasonécharpe,embrassaYvonneets'excusapoursonretard.—Réuniondescomptables.Voussavezcommeilssont:intarissablesdèsqu'ilestquestiond'argent.—Oh,Larry, tu devrais les voir quand ils sont entre eux ! Jem'ennuie toujours à en pleurer.Avec

Francis,onestmariésdepuiscinqanset jenesais toujourspasfaire ladifférenceentreundébitetuncrédit. D'ailleurs, il ne devrait pas tarder, ajouta-t-elle en consultant sa montre. Il doit être en train

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d'agitersabaguettemagiqueau-dessusd'unedernièrecolonnedechiffre.LaurenceStirlingsetournaverssonépouse.—Tuesravissante,Jenny.—N'est-cepas?Tafemmen'apasoubliécommentserendreprésentable.—Oui.Oui,c'estcertain.Bien,dit-ilenluipassantlamainlelongdelamâchoire,sivousvoulezbien

m'excuser,jevaisallermerafraîchiravantquenosautresinvitésarrivent.Ilvaencoreneiger,j'aientendulebulletinmétéoàlaradio.—Onvaboireunverreent'attendant,lançaYvonne.Lorsquelaportes'ouvritpourladeuxièmefois,uncocktailbienalcooliséavaitunpeuatténuél'étatde

nerfsde Jennifer.Çavaaller,necessait-ellede se répéter.Yvonne interviendraitpour lui souffler sesrépliquessijamaisellelavoyaitsurlepointdeseridiculiser.C'étaientsesamis.Ilsn'étaientpaslàpourlapiéger.Ilsétaientunenouvelleétapedanssonprocessusdeguérison.—Jenny.Merciinfinimentdenousavoirinvités.VioletFaircloughlaserradanssesbras.Sonvisagegrassouilletdisparaissaitpresqueentièrementsous

unimmenseturban,qu'elledétachaettenditàJenniferavecsonmanteau.Elleportaitunerobedesoieaudécolletéarrondi,tenduecommeunparachutesursalargesilhouette.LatailledeViolet,commeYvonneleferaitremarquerparlasuite,avaitlalargeurcombinéedetouteslesmainsd'unpetitcorpsd'infanterie.—Jennifer!Labeautéincarnée,commetoujours.Unhommedehautetailleauvisagerubicond,sepenchapourl'embrasser.Jenniferétaitébahieparl'improbabilitédececouple.Ellen'avaitpaslemoindresouvenirdeBill,et

trouvaitpresqueamusantel'idéequ'unhommeaussigrandaitpuépouserunefemmeaussipetite.—Entrez,dit-elle,faisantdesonmieuxpourneplusleregarderetcontrôlersonhilarité.Monmariva

descendredansquelquesminutes.Jevaisvousserviràboireenattendant.—«Monmari?»,s'esclaffaBill.Onfaitdanslecérémonieux,cesoir?—Ehbien…,bredouillaJennifer.Çafaitlongtempsquejenevousaipastousvus— Monstre ! s'écria Yvonne en l'embrassant. Tu devrais être gentil avec Jenny, elle est toujours

terriblementfragile.Encemoment,elledevraitêtreétenduedanssachambre,languissante,pendantqu'onsélectionnerait un homme après l'autre pour lui faire manger des grains de raisin. Mais elle tenaitabsolumentàboiredesmartinis.—Ah,ça,c'estlaJennyqu'onconnaîtetqu'onadore!Le sourire admiratif deBill était si insistant que Jennifer jeta un coupd'œil àViolet pour s'assurer

qu'elle n'était pas offensée. Par chance, son amie semblait ne rien avoir remarqué, trop occupée àchercherquelquechoseaufonddesonsacàmain.—J'aidonnétonnuméroàlanouvellenounou,dit-elleenlevantenfinlesyeux.J'espèrequeçanete

dérangepas.Cette femmeestune incompétente, jem'attendsàcequ'elleappelled'uneminuteà l'autrepourdirequ'ellen'arrivepasàtrouverlebasdepyjamadeFrederick–çaouautrechose.JennifersurpritBilllevantlesyeuxaucieleteutunetristeimpressiondedéjà-vu.Ils étaient huit convives : Laurence et Francis présidaient en bout de table ; Yvonne, Jennifer et

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Dominic,unhautgradédelacavalerie,étaientassisducôtédelafenêtreetfaisaientfaceàViolet,BilletAnne, l'épouse de Dominic. Anne était une femme enjouée, bien dans sa peau, qui s'esclaffait auxplaisanteriesdeshommesavecdansleregardunelueurespiègle.Jennifer se surprit à regarder ses amismanger, analysant leurs discussions avec une attention quasi

scientifique, cherchant des indices pour reconstruire leur vie passée.Bill, remarqua-t-elle, se tournaitrarementverssafemmeetneprenaitmêmepaslapeinedeluiadresserlaparole.Violetnesemblaitpass'enrendrecompte,etJennifersedemandasielleétaitréellementinconscientedecetteindifférenceouseulementassezstoïquepourdissimulersonembarras.Yvonne,endépitdesesincessantspersiflagesàl'égarddeFrancis,necessaitdelecouverdesyeux.

Sesplaisanteriesàsesdépensétaienttoujoursaccompagnéesd'unsourirededéfi.C'estleurfaçond'êtreensemble,songeaJennifer.C'estsamanièredeluimontreràquelpointilcomptepourelle.—Jeregrettedenepasavoir investidanslesréfrigérateurs,disaitFrancis.Cematin, j'ai ludansle

journalqu'ilyenauraunmilliondevendusenGrande-Bretagnecetteannée.Unmillion!Ilyacinqans,c'étaitcentsoixante-dixmille.—EnAmérique,çadoitfairedixfoisplus.J'aientendudireque,là-bas,lesgensenchangeaienttous

lesdeuxans,déclaraVioletenharponnantunmorceaudepoisson.Etilssonténormes–deuxfoislatailledesnôtres.Vousimaginez?—ToutestplusgrosenAmérique.Entoutcas,c'estcequ'ilsadorentnousraconter.—Ycomprislesegos,àenjugerparceuxquej'airencontrés,surenchéritDominicd'unevoixforte.Si

onnevousajamaisprésentéungénéralyankee,vousnesavezpascequ'estréellementuninsupportableje-sais-tout.Anneéclataderire:—Ce pauvreDomn'a pas très bien pris que l'un d'eux veuille lui apprendre à conduire sa propre

voiture.—«Ditesdonc, ilssontsacrémentpetits,vosquartiers!Ellessontsacrémentpetites,cesvoitures!

Elles sont sacrément petites, ces rations », singea Dominic. S'ils avaient vu ce que c'était avec lerationnement…Mais,biensûr,ilsn'ontpasidée—Doms'estditqu'ilallaitsepayerunpeusatête,etilaempruntélaMinidemamère.Ilestpasséle

prendreavec.Vousauriezdûvoirça!—«Chez nous, c'est la taille standard, je lui ai dit. Pour les dignitaires étrangers, on a une petite

berline.Ilsonttroiscentimètresdepluspourlesjambes.»Legénéralapresquedûseplierendeuxpourentrerdedans.— J'ai hurlé de rire, s'esclaffa Anne. Je ne sais pas comment Dom a fait pour ne pas s'attirer de

terriblesennuis.— Comment vont les affaires, Larry ? On m'a dit que tu repartais en Afrique dans une ou deux

semaines.Jenniferregardasonmarisecalercontreledossierdesachaise.—Elles vont bien. Plus que bien,même. Je viens de signer un contrat avec un certain constructeur

automobilepourfabriquerdesgarnituresdefreins.Ilreposasafourchetteetsoncouteausursonassiette.

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—Enquoiconsistetontravail,exactement?Jen'aijamaisbiencompriscequ'étaitcenouveauminéralquevousutilisez.— Ne fais pas comme si ça t'intéressait, Violet, dit Bill de l'autre côté de la table. Violet ne se

passionnequepourcequiestroseoubleupasteletquicommencetoutessesphrasespar«Maman».—Celasignifiepeut-être,moncherBill,quel'environnementn'estpasassezstimulantpourelleàla

maison,ripostaYvonne,queleshommessifflèrentaussitôt.LaurenceStirlings'étaittournéeversViolet.—Ilnes'agitpasvraimentd'unnouveauminéral,expliqua-t-il.Ons'ensertdepuisl'Antiquité.Tuas

étudiélaRomeantiqueàl'école?—Sûrement.Mais,bienentendu,j'aitoutoublié,répondit-elleavecunpetitrireperçant.Laurencebaissalavoix,etlatabléesetutpourmieuxl'écouter.—Ehbien,Plinel'Ancienaécritqu'ilavaitvuunhommejeterunmorceaudetissudanslefeuetl'en

sortirquelquesminutesplustardsansqu'ilsoitaucunementconsumé.D'aucunsontparlédesorcellerie,maisPlinesavaitqu'ils'agissaitd'unmatériauextraordinaire.Ilsortitunstylodesapocheetsepenchapourgriffonnerquelquechosesursaserviettedamassée.Puis

illafitglisserversViolet.—Lenomduchrysotile,quiestsavariétélapluscommune,estdérivédugrecchrysos,quisignifie

«or»,ettilos,«fibre».Mêmeàl'époque,ilsavaientconsciencedesonimmensevaleur.Toutcequejefais–enfin,toutcequefaitmonentreprise–,c'estl'extraireetlemoulerpourunemultituded'utilisations.—Vouséteignezlesincendies?—Oui,dit-ilenobservantsesmainsd'unairsongeur.Ouplutôtjefaisensortequ'ilsnes'allumentpas.Danslebrefsilencequis'ensuivit, l'atmosphères'alourditautourde la table.Laurenceposalesyeux

surJennifer,puislesdétourna.—Maisoùsontlesgrossous,monvieux?Pasdanslesnappesignifugées?—Lescomposantsautomobiles.Ilselaissaallercontreledossierdesachaise,etlerestedesconvivessemblasedétendreaveclui.—Onestimeque,d'icidixans,laquasi-totalitédesménagesbritanniquesauraunevoiture,poursuivit-

il.Çafaitunsacrépaquetdegarnituresdefreins.Onestaussiencoursdenégociationaveclescheminsdeferetlescompagniesaériennes,maislesutilisationsdel'amianteblancsontpresqueinfinies.Onenmetdanslaplomberie,laconstruction,latôle,l'isolationBientôt,ilserapartout.—Lematériaumiracle!Ilsemblaittrèsàl'aisequandilparlaitdesesaffairesavecsesamis,bienplusquelorsqu'ilsetrouvait

seulavecelle,songeaJennifer.Luiaussiavaitdûêtrebouleversédelavoirsigravementblesséeetdesavoirque,mêmeàprésent, ellen'était pas encore redevenueelle-même.Elle songeaà ladescriptionqu'Yvonneavaitdonnéed'elledansl'après-midi:superbe,assurée,friponne.Cettefemmemanquait-elleàLaurence?Peut-êtreconscientdesyeuxdeJenniferposéssurlui, il tournalatêteetcroisasonregard.Ellesouritet,aprèsuninstant,illuirenditsonsourire.—Jevousaivus!Larry,tun'aspasledroitdefairedel'œilàtafemme!s'écriaBillenremplissant

leursverres.

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—Biensûrquesi,ilaledroitdefairedel'œilàsafemme!rétorquaFrancis.Aprèstoutcequ'elleatraversé!Commenttutesens,Jenny?Tuessublime.—Çava.Merci.—Jediraismêmequ'ellevaparfaitementbien,sielledonneundîneràpeine–combien?–àpeine

unesemaineaprèsêtresortiedel'hôpital!— Si Jenny ne recevait plus à dîner, je penserais que quelque chose de terrible est arrivé – pas

seulementpourelle,maisàunniveauplanétaire!s'écriaBillenprenantunelonguegorgéedevin.—Quellehorriblehistoire!C'estmerveilleuxdeteretrouvertellequetuétais.—Onétaitaffreusementinquiets.J'espèrequetuasreçumesfleurs,ajoutaAnne.Dominicposasaserviettesurlatable.—Tuterappellesquelquechoseausujetdel'accident,Jenny?—Siçanetedérangepas,jesuissûrqu'ellepréfèrenepass'étendrelà-dessus,répliquaLaurenceen

selevantpourallerchercherunenouvellebouteilledevin.—Biensûr,ditDominicenlevantlamainensigned'apaisement.C'étaitindélicatdemapart.Jennifercommençaàramasserlesassiettes.—Jemesensbien.Vraiment.Seulement,jen'aipasgrand-choseàraconter.Jenemesouviensderien.—Cen'estpasplusmal,fitremarquerDominic.Yvonneallumaunecigarette.—Ehbien,moncherLarry,plustôttufabriqueraslesgarnituresdefreinsdetouteslesvoitures,plus

viteonseraensécurité.—Etplusricheilsera,s'esclaffaFrancis.— Oh, Francis chéri, doit-on vraiment faire revenir la moindre conversation sur des questions

d'argent?—Oui,répondit-ilenchœuravecBill.Jenniferlesentenditéclaterderireens'éloignantverslacuisineavecsapiledevaissellesale.—Alors,ças'estbienpassé,tunetrouvespas?Assiseàsacoiffeuse,elleenlevaitavecprécautionssesbouclesd'oreilles.Danslemiroir,ellevitson

marientrerdanslachambreendesserrantsacravate.Ilôtaseschaussuresetpassadanslasalledebains,laissantlaporteouverte.—Oui,dit-elle.Jesuppose.—Lesplatsétaientsublimes.—Oh,leméritenem'enrevientpas.C'estMmeCordozaquiatoutfait.—Oui,maistuascomposélemenu.C'étaitplussimpledenepaslecontredire.Ellerangeasoigneusementsesbouclesd'oreillesdansleur

écrin.Ellel'entendaitremplirlelavabo.—Jesuiscontentequeçat'aitplu.

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Ellese levaets'extirpaàgrand-peinedesarobe,qu'ellesuspendit.Puiselleentrepritderetirersesbas.Elleenavaitôtéunquandellelevalesyeuxetl'aperçut,plantésurlepasdelaporte.Lesyeuxposés

sursesjambes.—Tuétaistrèsbelle,cesoir,dit-ilàvoixbasse.Elleclignadesyeuxetsehâtad'ôtersonsecondbas.Trèsmalàl'aise,elletenditlebrasdanssondos

pourdégrafersagaine.Ellenepouvaitseservirdesonbrasgauche,tropfaiblepoursetordreenarrière.La tête toujoursbaissée,elle l'entendits'approcher. Ilétait torsenumaisn'avaitpasencoreenlevésonpantalon.Ilseplaçaderrièreelleetluirepoussalamainpourdéfairelui-mêmesagaine.Ilétaitsiprochequ'ellesentaitsonsoufflesurlapeaudesondostandisqu'illibéraitchaquepetitcrochetdesonattache.—Tuestrèsbelle,répéta-t-il.Ellefermalesyeux.C'estmonmari,sedit-elle.Ilm'adore.C'estcequetoutlemondemedit.Noussommesheureux.Ellesentitlacaressedesesdoigtscourirlelongdesonépaule,lecontactdeseslèvressursanuque.—Tuestrèsfatiguée?murmura-t-il.Ellesavaitquec'étaitl'occasion.C'étaitungentleman.Siellerépondaitparl'affirmative,iln'insisterait

paset la laisserait tranquille.Mais ilsétaientmariés.Mariés. Il faudraitbienqu'elles'ysoumetteàunmomentouàunautre.Etpuis,commentsavoir?S'illuidevenaitmoinsétranger,peut-êtreretrouverait-elleunpetitboutd'elle-mêmeElleseretournadanssesbras.Ellenepouvaitsoutenirsonregard,ellenepouvaitl'embrasser.—Passi…passitunel'espas,souffla-t-ellecontresontorse.Ellesentitsapeausurlasienneetfermalesyeuxtrèsfort,espérantretrouveruneimpressionfamilière,

peut-êtremêmeunpeudedésir.Ilsétaientmariésdepuisquatreans.Combiendefoisl'avaient-ilsfait?Ilavaitétésipatientdepuissonretourdel'hôpital.Ellesentitsesmainsglissersurelle,plusassuréesàprésent,etdégrafersonsoutien-gorge.Ellegarda

lespaupièrescloses,plusconscientequejamaisdesonapparence.—Est-cequ'onpeutéteindrelalumière?demanda-t-elle.JeneveuxpasJevoudraisoubliermonbras.

Macicatrice.—Biensûr.J'auraisdûypenser.Elleentenditle«clic»del'interrupteur.Cen'étaitpasréellementsonbrasquiladérangeait:c'étaitlui

qu'elle ne voulait pas regarder. Elle ne voulait pas se sentir aussi exposée, aussi vulnérable sous sonregard.L'instantd'après,ilsétaientsurlelitetilluiembrassaitlanuque,lesmainsimpatientes,lesoufflecourt. Il s'allongea sur elle, la clouant aumatelas. Elle passa les bras autour de son cou, ignorant cequ'elleétaitcenséefaireenl'absencedessentimentsqu'elleavaitattendus.Qu'est-cequim'arrive?sedemanda-t-elle.Commentjefaisais,avant?—Toutvabien?luimurmura-t-ilàl'oreille.Jenetefaispasmal?—Non,répondit-elle.Non,pasdutout.Illuiembrassalesseinsenlaissantéchapperunsourdgémissementdeplaisir.—Enlèveça,dit-ilentirantsurl'élastiquedesapetiteculotte.

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Il la soulagea de son poids pour la laisser descendre le sous-vêtement jusqu'à ses genoux et s'endébarrasserd'uncoupdepied.Ellefutalorsentièrementnue.Onpourraitpeut-être,voulut-elledire,maisilluiécartaitdéjàlesjambes,tentantmaladroitementdes'introduireenelle.Jenesuispasprête.Ellenepouvaitriendire:àprésent,ellenepouvaitplusserefuser.Ilétaitéperdudedésir.Ellegrimaçaet leva lesgenoux,essayantdenepassecrisper.Puis il lapénétraetellesemordit la

joue dans l'obscurité, tentant d'ignorer la douleur et le fait qu'elle ne ressentait rien. Elle voulaitsimplementquecettemascaradeprennefin.LesmouvementsdeLarrygagnèrentenvitesseetenardeur.Ill'écrasaitdetoutsonpoids,sonvisagechaudetmoiteposésursonépaule.Enfin,avecunpetitcrietunepointedevulnérabilitéqu'il ne laissaitparaîtredansaucunautre aspectde sonexistence, il acheva sabesogneetseretira,neluilaissantqu'unemoiteurcollanteentrelescuisses.Elles'étaitmordulajouesifortqu'ellesentaitlegoûtdusangdanssabouche.Ilroulasurlecôté,toujoursessoufflé.—Merci,murmura-t-ildanslenoir.Elleétaitsoulagéequ'ilnepûtpas lavoir,étendue là, le regardperdudans levague, lesdraps tirés

jusqu'aumenton.—Toutvabien,dit-elleàvoixbasse.Lamémoirepouvaitselogerdansd'autreszonesquelecerveau,ellevenaitd'enfairel'expérience.

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Lesjoursheureuxneserontpas…Cen'estvraimentpastoi,c'estmoi.Unhommeàunefemme,parcartepostale

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Chapitre3

—UNPROFIL.D'UNINDUSTRIEL.LeventredeDonFranklinmenaçaitàchaqueinstantdedéborderdesonpantalon.Lesboutonsdesa

chemiseétaienttendusàcraquer,révélantau-dessusdelaceintureuntriangledepeaublafarde.Ilsecalaaufonddesonsiègeetremontaseslunettessursoncrânedégarni.— Le rédac' chef tient à cet article, O'Hare. Il veut quatre pages sur le minéral miracle, pour la

publicité.—Mais,bordel,qu'est-cequejesaisdesminesetdesusines?Jesuiscorrespondantàl'étranger,bon

sang!—Tul'étais,rectifiaDon.Onnepeutplust'envoyeràl'étranger,Anthony,tulesaisbien.Et,pourcet

article,j'aibesoind'unbonjournaliste.Tunepeuxpasrestericiàtraînertoutelajournée.Anthonyselaissatombersurlesiègedel'autrecôtédubureauetsortitunecigarette.Derrièrelerédacteur,àpeinevisibleàtraverslacloisondeverredesonbureau,Phipps,l'assistant-

reporter,arrachatroisfeuillesducylindredesamachineàécrireet,grimaçantderage,lesreplaçasansoublierlepapiercarbone.—Jet'aidéjàvufaire.Tusaisuserdetoncharme.—D'accord,doncilnes'agitmêmepasd'unvraiprofil.Cequetumedemandes,c'estunarticlebidon.

Delapublicitédéguisée.—LasociétéestenpartiebaséeauCongo.Tuconnaisbienlepays.—JesaisquelgenredetypeouvredesminesauCongo.Donluidemandaunecigaretted'ungestedelamain.Anthonyluientendituneetl'alluma.—Inutiledenoircirletableau,cen'estpassiterrible.—Ahnon?—Tuvasinterviewercetypedanssarésidenced'étédusuddelaFrance.SurlaCôted'Azur.Tuvas

passer quelques jours au soleil, déguster un homard ou deux aux frais du journal, et peut-être mêmecroiserBrigitteBardot…Tudevraismeremercier.—EnvoiePeterson.Iladorecegenredetrucs.—Petersonestsurl'affairedumeurtrierd'enfantsdeNorwich.—Murfett,alors.C'estunlèche-bottesdepremière.—MurfettestauGhana,ilcouvrelesévénementsenAshanti.—Lui?s'écriaAnthonyd'unairincrédule.Iln'estmêmepasfoutudecouvrirunebagarred'écoliers

dansunecabinetéléphonique!Commentsefait-ilqu'ils'occupeduGhana?Renvoie-moilà-bas,Don,ajouta-t-ilàvoixbasse.—Non.— Je pourrais être àmoitié fou, alcoolique et enfermé au fond d'une chambre capitonnée, je ferais

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toujoursunmeilleurboulotqueMurfett,ettulesaisparfaitement!—Tonproblème,O'Hare,c'estquetuneconnaispastachance.Écoute,ditDonenbaissant lavoix.

Arrête un peu de gueuler et écoute.Quand tu es rentré d'Afrique, ils ont beaucoup discuté là-haut (ilesquissaungesteendirectiondubureaudurédacteurenchef)pourdéciders'ilsdevaienttedonnertoncongé.Cetincident…Ilss'inquiétaientpourtoi,monvieux.Heureusement,Dieusaitcomment,tut'esfaitbeaucoupd'amisici–desamishautplacés.Ilsonttenucomptedecequetuasvécuetnet'ontpasrayéduregistredupersonnel.Mêmequandtuétaisen…Enfintusais…Anthonynelequittaitpasdesyeux.—Bref.Endeuxmots,ilsneveulentpasquejeteconfieunemissiontrop…tendue.Alorsprends-toi

enmain,parsenFranceetsoisreconnaissantd'avoiruntravailqui tepermetparfoisdedînerdanslescontrefortsdeMonte-Carlo.Etquisait?Tupourraisenprofiterpouremballerunepetitestarlette.Unlongsilences'ensuivit.Constatantqu'Anthonyneparvenaitpasàmanifesterl'enthousiasmederigueur,Donécrasasacigarette.—Tuneveuxvraimentpaslefaire,hein?—Non,Don.Tu lesais trèsbien.Si j'accepteça,c'est laporteouverteauxnaissances,mariageset

décès.—Bonsang,O'Hare,cequetupeuxêtrecontrariant!Iltenditlamainversunefeuilledepapier,qu'ilarrachadelapiqueposéesursonbureau.—OK,alorsprendsça.VivienLeighvatraverserl'Atlantique.Ellecomptecamperdevantlethéâtreoù

joueOlivier.Apparemment,ilrefusedeluiparler,etelleraconteauxjournalistesdelapresseàscandalequ'ellenesaitpaspourquoi.Qu'est-cequetudiraisdedécouvrirs'ilsvontdroitversledivorce?Ettantquetuyes,j'aimeraisunejoliedescriptiondesonstylevestimentaire…Unnouveausilences'installa.Dehors,Phippsarrachatroisnouvellespages,sefrappalefrontetjuraen

silence.Anthonyécrasasacigaretteetjetaunregardnoiràsonsupérieur.—Jevaisfairemesvalises,grogna-t-il.Il y a quelque chose chez les gens très riches qui me donne envie de les faire enrager, songea

Anthonyens'habillantpour ledîner.Celaprovenaitpeut-êtredecetteassurance inhérenteauxhommesrarement contredits, ou desmanières pompeuses de ceuxdont les opinions les plus prosaïques étaientprisestellementausérieux.Aupremierabord,ilavaittrouvéLaurenceStirlingmoinsdéplaisantqueceàquoiils'étaitattendu:

l'hommeavaitétécourtois, ses réponses réfléchies, sonopinionsursesouvriers relativementéclairée.Mais, au cours de la journée,Anthony avait compris qu'il faisait partie de ces hommes qui voulaienttoujours tout contrôler. Plutôt que de solliciter des informations, il parlait aux gens sans attendre deréponse. Il ne s'intéressait pas à ce qui ne touchait pas directement son cercle. Il était ennuyeux etsuffisammentrichepournepasvouloirêtreautrechose.Anthonydonnauncoupdebrosseà saveste, sedemandantpourquoi il avait acceptéd'assister à ce

dîner.Stirlingl'avaitinvitéàlafindel'interviewet,prisaudépourvu,ilavaitétéforcéd'admettrequ'ilneconnaissaitpersonneàAntibesetqu'iln'avaitrienprévupourlasoiréeendehorsd'unrapidecasse-

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croûte au bar de l'hôtel. Il soupçonna ensuite Stirling de l'avoir invité uniquement pour s'assurer qu'ilécrirait un article flatteur. À peine avait-il accepté à contrecœur que Stirling demandait déjà à sonchauffeurdepasserleprendreàl'HôtelCapà19h30.—Sivousvenezseul,vousnetrouverezpaslamaison,avait-ildéclaré.Onnelavoitpasdepuisla

route.Je l'auraisparié, avait songéAnthony.Stirlingne semblaitpasêtre legenred'hommeà réserverun

accueilfavorableauxrencontresfortuites.Leconciergesemblaseréveillerenvoyantlalimousines'arrêterdevantl'hôtel.Luiquiavaitàpeine

levélesyeuxàl'arrivéed'Anthony,ilseprécipitaitpourluiouvrirlaporte,enaffichantsursonvisageunsourireobséquieux.Anthonyl'ignora.Ilgrimpasurlesiègeavantensaluantlechauffeur–augranddésarroidecedernier,

illecompritaprèscoup,mais,àl'arrière,ilseseraitsenticommeunimposteur.IlouvritlafenêtrepourlaisserlabrisetièdedelaMéditerranéeluicaresserlapeautandisquelelongetlentvéhiculenégociaitsoncheminsurdesroutescôtièresquifleuraientbonlethymetleromarin.Sonregardseperditverslescollinesviolettesquis'étendaientà l'horizon.Trophabituéauxpaysagesplusexotiquesde l'Afrique, ilavaitoubliéàquelpointétaientbellescertainesrégionsd'Europe.Iléchangeadesbanalitésaveclechauffeur,luidemandantdesrenseignementssurlesenvirons,pourqui

il avait travaillé et comment était la vie dans la région pour un homme ordinaire. Il ne pouvait s'enempêcher:touteconnaissanceétaitbonneàprendre.Certainesdesesmeilleurespistesluiétaientvenuesdechauffeursetautresserviteursdesgrandsdecemonde.—M.Stirlingestunbonpatron?demanda-t-il.Lechauffeurluijetaunregardencoin,brusquementmoinsdétendu.—Oui,dit-ild'untonquiimpliquaitquelaconversationétaitclose.—Heureux de l'entendre, répliqua Anthony, qui fit en sorte de lui offrir un généreux pourboire en

arrivantdevantlagrandemaisonblanche.Enregardant lavoiturefairele tourdelabâtisseverscequidevaitêtrelegarage,Anthonysesentit

vaguementdéprimé.Taciturnecommeilétait, ilauraitpréférépartagerunsandwichetunjeudecartesaveclechauffeurplutôtquedefairelaconversationàd'ennuyeuxmillionnairesdelaCôted'Azur.Lamaison,unebâtisseduXVIIIesiècle,étaitsemblableàcelledetouthommeriche:démesurée,avec

unefaçadeimmaculéerequérantàelleseulelessoinscontinuelsdeplusieursmembresdupersonnel.Lalargealléegravillonnéeétait impeccable,flanquéedecheminsdallésoùaucunemauvaiseherben'osaitpousser. De grandes fenêtres illuminées brillaient entre leurs volets fraîchement repeints. Un grandescalierdepierremenait lesvisiteursàunimmensevestibuleornéd'imposantescompositionsflorales,oùrésonnaientdéjàlesconversationsdesautresinvités.Anthonygravitlentementlesmarches,toujourstièdesaprèslachaleurtorridedelajournée.Ilyavaitseptautresconvives:M.Moncrieffetsonépouse,quinecessaitdelejaugerduregard;le

maire de la ville, M. Lafayette, avec sa femme et leur fille, une petite brune aux yeux lourdementmaquillés et à l'air espiègle ; M. et Mme Demarcier, un couple de retraités qui occupaient la villavoisine.La femmedeStirling était une jolieblondebienmise, à laGraceKelly.Cegenrede femme,

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admiréedepuistoujourspoursonapparence,n'avaitgénéralementriendebienintéressantàdire.AnthonyespéraitêtreplacéàcôtédeMmeMoncrieff.Sonairévaluateurnel'avaitpasdérangé;aucontraire,illeprenaitcommeundéfi.—Alorscommeça,voustravaillezpourunjournal,monsieurO'Hare?demandalavieilleFrançaise

enleregardantavecattention.—Oui.EnAngleterre.Undomestiqueapparutàsescôtésavecunplateaudeboissons.—Vousavezquelquechosedenonalcoolisé?demanda-t-il.Untonic,peut-être?L'hommehochalatêteetdisparut.—Comments'appellevotrejournal?demandaMmeDemarcier.—LaNation.—LaNation, répéta-t-elle,visiblementdéçue.Jen'enai jamaisentenduparler.Jeconnais leTimes.

C'estlemeilleurjournald'Angleterre,n'est-cepas?—C'estcequecertainspensent.Bonsang,songea-t-il.Faitesquelanourrituresoitbonne.Le plateau d'argent réapparut avec un grand verre de tonic glacé. Anthony tenta d'ignorer les kirs

pétillantsquesirotaient lesautres.Poursechanger les idées, il testasur lafilledumaire lesquelquesphrasesdefrançaisquiluirestaientdulycée;celle-ciluiréponditdansunanglaisimpeccable,àpeineteintéd'undélicieuxaccentfrançais.Tropjeune,songea-t-ilenvoyantlemairefroncerlessourcils.Lorsqueenfinilssemirentàtable,ileutlasatisfactiond'êtreplacéàcôtéd'YvonneMoncrieff.Cette

femme était polie, amusante… et complètement insensible à son charme. Saloperies de mariagesheureux.JenniferStirlingétaitassiseàsagauche,engagéedansuneconversation.—Venez-voussouventici,monsieurO'Hare?demandaFrancisMoncrieff,unhommegrandetmince–

l'équivalentmasculindesafemme.—Non.—VousdevezêtreleplussouventattachéàlaCitydeLondres?—Non.Jenem'occupepasdutoutdeça.—Vousn'êtespasjournalistefinancier?—Jesuiscorrespondant.Jecouvre…l'actualitéetlesconflitsàl'étranger.—TandisqueLarryenestlacause,s'esclaffaMoncrieff.Surquelssujetsécrivez-vous?—Oh,laguerre,lafamine,lesmaladies…Toutcequiprêteàrire.—Jenepensepasqueceschoses-làprêtentàrire,fitremarquerlavieilleFrançaiseensirotantson

vin.—L'andernier,jecouvraislacriseauCongo.—Lumumbaestun fauteurde troubles, lançaStirling.LesBelges sontd'une idiotie etd'une lâcheté

sansnoms'ilsimaginentquelepaysnevapassombrersanseux.—Vouspensezqu'onnepeutpasfaireconfianceauxAfricainspourgérerleurspropresaffaires?—Hierencore,Lumumban'étaitqu'unpostierpiedsnusdanslajungle!DanstoutleCongo,iln'yapas

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unseulNoirquiaitdesqualificationsprofessionnelles,déclarasonhôteenallumantuncigareavantdesoufflerunpanachedefumée.Commentvont-ilsfairetournerlesbanquesunefoisquelesBelgesserontpartis?Etleshôpitaux?Larégionvadevenirunezonedeguerre.Mesminessetrouventsurlafrontièrerhodésienne,etj'aidéjàdûprendredesmesuresdesécuritésupplémentaires.AveclesRhodésiens,bienentendu–onnepeutplusfaireconfianceauxCongolais.Ilyeutunbrefsilence.Anthonysentitunmuscledesamâchoiresecontracternerveusement.Stirlingtapotasoncigare.—Alors,monsieurO'Hare,oùétiez-vousauCongo?—ÀLéopoldville,laplupartdutemps.EtàBrazzaville.—Alorsvoussavezqu'onnepeutpluscontrôlerl'arméecongolaise.—Je sais que l'indépendance est unmomentdifficile pour tout pays.Et que si le lieutenant-général

Janssenss'étaitmontréplusdiplomate,denombreusesviesauraientétéépargnées.Stirlingledévisageaàtraverslafuméedesoncigare.Anthonysavaitqu'ilétaitentrainderevoirson

jugement.—AlorsvousaussivousêteslaisséentraînerdanslecultedeLumumba.Encoreunprogressistenaïf?Sonsourireétaitglacial.—JevoismalcommentlesconditionsdeviedelaplupartdesAfricainspourraientêtrepires.—Alorsvousetmoin'allonspasêtred'accord,rétorquaStirling.Jepensequ'ilyadespeuplespour

quilalibertéestuncadeauempoisonné.Unlourdsilencetomba.Auloin,unemotovrombitengrimpantunecolline.MmeLafayettelevalamain

d'unairinquietpourselisserlescheveux.—Jeneconnaisstrictementrienàcesujet,ditJenniferStirlingenposantproprementsaserviettesur

sesgenoux.—Trop déprimant, acquiesçaYvonneMoncrieff. C'est simple, il y a desmatins où je n'arrive tout

simplementpasàlirelesjournaux.Francisconsultelespagessportivesetlesfinances,etjemecontentedemesmagazines.Laplupartdutemps,nousneprêtonspasattentionauxnouvelles.—MafemmeestimequecequineparaîtpasdanslespagesdeVoguen'estpasunevraienouvelle.Latensionserelâcha.Laconversationrepartit,etlesdomestiquesremplirentlesverres.Leshommes

parlèrent de la Bourse et du développement de la Côte d'Azur : ils se plaignirent des interminablestravaux de construction, des affreux nouveaux venus qui avaient joint le British Bridge Club et del'arrivéemassivedescampeurs–cequiamenalecoupledevieuxFrançaisàdéplorerune«baissedestanding».—À votre place, je ne m'inquiéterais pas trop, ditMoncrieff. Cette année, une cabine de plage à

Monte-Carlo coûte cinquante livres la semaine. Jenepensepasquebeaucoupde campeurs auront lesmoyens.—J'aientendudirequ'ElsaMaxwellavaitproposéderecouvrirlesgaletsdecaoutchoucmoussepour

quelaplagenesoitpastropinconfortablesouslespieds.—Cesontdeterriblesmalheursquevousdevezaffronterici,marmonnaAnthony.Il aurait voulu partir,mais c'était impossible à ce stade du repas. Il se sentait trop loin de ce qu'il

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connaissait,commes'ilvenaitd'êtrelâchédansununiversparallèle.Commentcesgenspouvaient-ilsêtresiimperméablesauxhorreursquisepassaientenAfriquealorsqueleursviesétaientsiclairementbâtiesdessus?Ilhésitauninstant,puisfitungesteàunserveurpourdemanderunverredevin.Personneàtablene

semblaleremarquer.—Alors…vousallezécriredeschosesmerveilleusessurmonmari?MmeStirlingavaitlesyeuxfixéssursamanchette.Lesecondplat,unplateaudefruitsdemer,venait

d'êtredéposédevantlui.Ilrajustasaserviette.—Jenesaispas.Jedevrais?Ilestsimerveilleuxqueça?—D'aprèsnotrecheramiM.Moncrieff,monmariestunmodèledebonnepratiquecommerciale.Ses

usines sont bâties selon les normes les plus rigoureuses. Son chiffre d'affaires augmente année aprèsannée.—Cen'estpascequejevousaidemandé.—Ahnon?—Jevousaidemandés'ilétaitmerveilleux.Ilsesavaitacerbe,maisl'alcooll'avaitréveilléetilsentaitsapeaulepicoter.— Ce n'est pas à moi que vous devriez poser la question, monsieur O'Hare. Une épouse peut

difficilementêtreimpartiale.—Oh,d'aprèsmonexpérience,nuln'estplusbrutaletimpartialqu'uneépouse.—Continuez.—Qui d'autre est capable de connaître lesmoindres défauts d'un homme après seulement quelques

semaines de vie commune et de les énoncer – régulièrement et de mémoire – avec une précisionchirurgicale?—Votrefemmedoitêtreterriblementcruelle.Ellemeplaîtassez.—C'estunefemmed'uneintelligencehorspair.IlregardaJenniferavalerunecrevette.—Vraiment?—Oui.Assezintelligentepourm'avoirquittéilyadesannées.Elleluipassalamayonnaise.Puis,commeilnelaprenaitpas,elleluienmitunebonnecuilleréesurle

côtédesonassiette.—Vousn'étiezdoncpassimerveilleuxqueça,monsieurO'Hare?—Entantquemari?Non.Jenepensepas.Maisdanstouslesautresdomaines,bienentendu,jen'ai

pasmonpareil.Et,degrâce,appelez-moiAnthony.Ilsesentaitcommecontaminéparleurmaniérisme,leurfaçonnégligemmentarrogantedes'exprimer.—Ehbienalors,Anthony,jesuissûrequevousetmonmarialleztrèsbienvousentendre.Ilmesemble

qu'ilaunevisionsimilairedelui-même.ElleposalesyeuxsurStirling,puisreportasonattentionsurAnthony,sonregards'attardantjusteassez

longtempssurluipouramenerlejournalisteàprendreconsciencedecequ'ellen'étaitpeut-êtrepasaussi

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inintéressantequ'ill'avaitcru.Durantleplatprincipal–roulédebœufàlacrèmeetchampignonssauvages–,ilappritqueJennifer

Stirling,néeVerrinder,étaitmariéedepuisquatreans.EllevivaitlaplupartdutempsàLondres,etsonmarifaisaitdenombreuxvoyagesàl'étrangerpourvisitersesmines.IlsserendaientsurlaCôted'Azurpendantlesmoisd'hiver,quelquessemainesenétéetpourd'occasionnellesvacances,quandlasociétédeLondresdevenaitennuyeuse.—Ilyafouleici,dit-elleenjetantuncoupd'œilàlafemmedumaire,assisedel'autrecôtédelatable.

Vousnevoudriezpasvivreicitoutel'année,c'estunvéritablebocalàpoissonrouge.Elleluiracontatoutesceschoses,deschosesquiauraientdûlafairepasseràsesyeuxpouruneriche

épousetropgâtéeparmid'autres.Maisilnotacertainsdétails:JenniferStirlingétaitprobablementunpeunégligéeparsonmarietplusintelligentequesapositionledemandait,etellen'avaitpasencorecomprisceque cette combinaisonpouvait lui faire en l'espaced'un anoudeux.Pour l'heure, seulun éclair detristessedanssonregardsuggéraitunetelleconscience.Elleétaitprisedansuntourbillonsocialsansfinetdénuédesens.Ilsn'avaientpasd'enfants.— J'ai entendu dire que, pour en avoir, il faut que deux personnes se trouvent dans lemême pays

pendantplusieursmoisd'affilée.Ilsedemandasisesmotscontenaientunmessage.Maisellesemblaitcandide,plusamuséequ'attristée

parsasituation.—Vousavezdesenfants,Anthony?demanda-t-elle.—Je…Ilparaîtquej'enaiperduun.Ilvitchezmonex-femme,quifaittoutpours'assurerquejene

viennepascorrompresonéducation.Dès que ces mots franchirent ses lèvres, il sut qu'il était soûl. Sobre, il n'aurait jamais mentionné

Phillip.Cette fois, il surprit quelque chose de sérieux derrière le sourire de Jennifer, comme si elle se

demandaitsielledevaitcompatir.Non,luisignifia-t-ilensilence.Pourdissimulersagêne,ilseversaunautreverredevin.—Çava.Il…—Dans quelle mesure pouvez-vous être considéré comme une influence corruptrice, M. O'Hare ?

demandaMariette,lafilledumaire,depuisl'autrecôtédelatable.—Jepense,mademoiselle,quejesuisplussusceptibled'êtremoi-mêmecorrompu,répliqua-t-il.Sije

n'avais pas décidé par avance d'écrire un profil flatteur deM. Stirling, j'imagine que ces plats et lacompagniedecettetableauraientsuffiàmeséduire.Ilmarquaunepause,puisdemanda:—Quefaudrait-ilpourvouscorrompre,madameMoncrieff?Ilestimaitquecettedernièreétaitlechoixlemoinsrisquépourcegenredequestion.—Oh,çanecoûteraitpasbiencher.Personnen'ajamaisvraimentessayé,répondit-elle.—Quellebêtise!s'exclamatendrementsonmari.Ilm'afalludesmoispourtecorrompre.—Ça,c'estparcequetuasdûm'acheter,monchéri.ContrairementàM.O'Hareiciprésent,tun'avais

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aucuncharme,rétorqua-t-elleenluienvoyantunbaiser.Jenny,enrevanche,estabsolumentincorruptible.Vousnetrouvezpasqu'elledégageuneterrifianteimpressiondebonté?—Nulle âme terrestre n'est incorruptible, déclaraMoncrieff. Il suffit d'en trouver le prix.Même la

douceJennyaunprix.—Non,Francis.M.Lafayetteestnotrevraimodèled'intégrité,ditJenniferd'unairmalicieux.Après

tout,iln'yapasdecorruptiondanslapolitiquefrançaise.— Chérie, je ne crois pas que tu aies les capacités pour parler de politique française, intervint

LaurenceStirling.AnthonyvitunelégèrerougeurmonterauxjouesdeJennifer.—Jedisaisseulement…—Ehbien,nedisrien,lacoupa-t-ilaveclégèreté.Ellecillaetbaissalesyeuxsursonassiette.Ilyeutunbrefsilence.— Je pense que vous avez raison, madame, lui dit galamment M. Lafayette en posant son verre.

Cependant, jepourraisvousdireàquelpointmonrivalà lamairieestunvauriensansscrupules…sivouspayezbien,évidemment.Desriresfusèrent.Souslatable,lepieddeMarietteétaitpressécontreceluid'Anthony.Del'autrecôté,

Jennifer Stirling donnait à voix basse des instructions aux domestiques. Les Moncrieff, quant à eux,étaientplongésdansuneconversationdepartetd'autredeM.Demarcier.Bonsang,songea-t-il.Qu'est-cequejefabriqueaveccesgens?Cen'estpasmonmonde.Laurence

Stirlingparlaitavecemphaseàsonvoisin.Quelcrétin,seditAnthony,conscientquelui-même,avecsafamilleperdue,sacarrièreenchutelibreetsesmoyensplusquelimités,devaitencorepluscorrespondreà cette description.Lamention de son fils, l'humiliation de Jennifer Stirling et la boisson– tout avaitcontribué à assombrir son humeur. Il n'y avait plus qu'une solution : il fit un geste au serveur pourdemanderunnouveauverredevin.LesDemarciers'enallèrentpeuaprès23heures,et lesLafayette lessuivirentdepeu– ilyavaitun

conseilmunicipaldanslamatinée,expliqualemaire.—Nosjournéescommencentplustôtquelesvôtres.VousautreslesAnglaisn'êtespasdeslève-tôt.Illeurserralamainsurl'immenseterrasseoùilss'étaientretiréspourlecaféetlecognac.—Lirevotrearticlem'intéresserait,monsieurO'Hare,ajouta-t-il.Cefutunplaisir.— Tout le plaisir fut pour moi, répliqua Anthony, qui titubait légèrement. Jamais la politique

municipalenem'aautantfasciné.Il commençait à se sentir très aviné. Les mots sortaient de sa bouche avant même qu'il n'ait eu

l'intentiondelesprononcer.Ilbattitdespaupières,conscientdenepasavoirdecontrôlesurlafaçondontses paroles seraient perçues. Il n'avait presque aucun souvenir de cedont ils avaient parlé durant uneheure.LemaireregardaAnthonydanslesyeuxpendantunlongmoment.Puisillâchasamainets'éloigna.— Papa, je vais rester un peu, si tu veux bien. Je suis sûre qu'un de ces charmants messieurs me

ramèneraàlamaison,ditMarietteenjetantunregardsanséquivoqueàAnthony,quihochalatêted'unair

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solennel.—C'estmoiquirisqued'avoirbesoindevotreaidepourrentrer,mademoiselle.Jen'aipaslamoindre

idéedel'endroitoùjemetrouve.JenniferStirlingembrassalesLafayette.—Jem'assureraiqu'ellerentrebien,dit-elle.Merciinfinimentd'êtrevenus.Puiselleajoutaquelquesmotsenfrançaisqu'Anthonynecompritpas.Lanuitétaitfraîche,maisillesentaitàpeine.Ilentendaitdesvaguesquiclapotaientloinencontrebas,

desverresquis'entrechoquaientetdesbribesdeconversationtandisqueMoncrieffetStirlingdiscutaientde marchés financiers et d'opportunités d'investissement à l'étranger, mais il n'y prêtait pas grandeattention,sirotantl'excellentcognacquequelqu'unluiavaitglissédanslamain.Ilavaitl'habitudedeseretrouverseulen terreétrangère,à l'aiseavec lui-même,mais,cesoir-là, ilsesentaitparticulièrementirritable.Ilsetournaverslestroisfemmes,lesdeuxbrunesetlablonde.JenniferStirlinglevaitlamain,peut-

êtrepourleurmontrerunnouveaubijou.Lesdeuxautresmurmuraiententreellesetriaient.Detempsàautre,Mariettelevaitlesyeuxsurluietsouriait.Devait-ilyvoirunelueurdeconspiration?Elleadix-septans,seraisonna-t-il.Tropjeune.Ilentendaitlescigales,lesriresdesfemmes,unairdejazzs'échappantdesprofondeursdelamaison.Il

fermalesyeux,puislesrouvritetconsultasamontre.Uneheureétaitpassée,ilnesavaitpasoù.Ileutladésagréableimpressiondes'êtreassoupi.Danstouslescas,ilétaittempsderentrer.—Je crois, dit-il auxhommesen s'extirpant tantbienquemalde son fauteuil, que jevais rentrer à

l'hôtel.LaurenceStirlingseleva.Ilfumaitunénormecigare.—J'appellemonchauffeur,déclara-t-ilenfaisantunpasversl'intérieurdelamaison.—Non,non,protestaAnthony.L'airfraismeferadubien.Mercibeaucouppourcette…cettesoirée

trèsenrichissante.—Appelez-moi àmon bureau dans lamatinée s'il vous faut d'autres informations. J'y serai jusqu'à

midi.Ensuite,jeparspourl'Afrique.Àmoinsquevousnevouliezm'accompagnerpourvoirlesminesdevospropresyeux?Aprèstout,sivousconnaissezbienlepays,vouspourrezm'êtreutile…—Uneautrefois,réponditAnthony.Stirlingluiserralamain–unepoignéedemainbrèveetferme.Moncrieffl'imita,puisseposaundoigt

surlefrontenunsalutmuet.Anthony commença à s'éloigner vers le portail du jardin. Le chemin était illuminé par de petites

lanternesdissimuléesdanslesplates-bandes.Auloin,ilapercevaitleslumièresdesbateauxsurlevideobscurdelamer.Desmurmuresluiparvenaient,portésparlabrisedepuislaterrasse.—Unhommeintéressant,disaitMoncrieffd'untonquisuggéraitlecontraire.—Çavauttoujoursmieuxqu'unpédantsuffisant,grommelaAnthonyentresesdents.—MonsieurO'Hare?Çavousdérangesijevousaccompagne?Il se retourna en titubant.Mariette se tenait derrière lui, serrant contre elle un petit sac àmain, un

cardigannouésurlesépaules.

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— Je connais le chemin pour aller en ville – il y a un sentier le long de la falaise. J'ai commel'impressionquevousallezvousperdre,toutseul.Ildescenditl'alléegravillonnéed'unpasmalassuré.Lajeunefillepassasamainfineetbronzéesous

sonbras.—Heureusementqu'ilyalalune.Aumoins,onpourravoirnospieds,dit-elle.Ilsmarchèrent en silence.Anthonyavait consciencedu frottementde ses chaussures sur le sol et du

drôledehalètementquiluiéchappaitquandil trébuchaitsurdestouffesdelavandesauvage.Malgrélanuitquiembaumaitetlajoliefilleàsonbras,ilsesentaitnostalgiqued'unechosequ'ilnepouvaitdéfinir.—Vousêtestrèssilencieux,monsieurO'Hare.Vousêtessûrquevousn'êtespasencoreentraindevous

endormir?Unéclatderireleurparvintdepuislamaison.—Dites-moiunechose,dit-il.Vousaimezcegenredesoirée?Ellehaussalesépaules.—C'estunejoliemaison.— Une jolie maison ! Alors c'est ça votre grand critère pour une soirée réussie, mademoiselle

Lafayette?Ellehaussaunsourcil,apparemmentpeutroubléeparsonagressivité.—Appelez-moiMariette.S'ilvousplaît.Dois-jecomprendrequevousnevousêtespasamusé?—Lesgenscommeeux,articula-t-il,conscientqu'ilavaitl'airsoûletquerelleur,medonnentenviede

mefourrerunflinguedanslaboucheetd'appuyersurlagâchette.Ellegloussa.Satisfaitdecetteapparentecomplicité,ils'enflammasurcethème:—Leshommesn'ontqu'unseulsujetdeconversation:quipossèdequoi.Etlesfemmessontincapables

devoirplusloinqueleursfichusbijoux!Ilsontl'argentetlesmoyensdefairetoutcequ'ilsveulent,devoirtoutcequ'ilsveulent,etpourtantpersonnen'alamoindreopinionsurquoiquecesoitquinefassepaspartiedeleurpetitmondeétriqué!Iltrébuchadenouveau,etlamaindeMarietteseraffermitsursonbras.—J'auraispréférépasserlanuitàdiscuteraveclesclochardsdevantl'HôtelCap.Saufquedesgens

commeStirlinglesauraientfaitembarqueretenvoyerdansunendroitoùilsnegâchentpaslepaysage…—J'auraispenséquevousauriezappréciéMmeStirling,legronda-t-elle.Onprétendquelamoitiédes

hommesdelarégionsontamoureuxd'elle.—Unepetitefemmeaufoyerpourriegâtée,voilàcequ'elleest.Onentrouvedans toutes lesvilles,

mademoi…Mariette.Bellecommeuncœur,maisriendanslatête.Ilpoursuivitunmomentsatiradeavantdeserendrecomptequelajeunefilles'étaitarrêtée.Percevant

unchangementdans l'atmosphère, il jetaun regardenarrièreet,quandsavisionseclarifia, il aperçutJenniferStirlingquisetenaitàquelquesmètresdeluisurlechemin.Sescheveuxblondsrenvoyantunelueurargentéesouslalune,elleserraitentresesmainslavestedelinqu'ilavaitlaisséesurlaterrasse.—Vousavezoubliéça,dit-elleenluitendantlevêtement.Samâchoireétaitcrispée,sesyeuxétincelaientdanslalumièrebleue.Ilfitunpasenavantetpritsaveste.

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Elleparlad'unevoixquisemblacouperl'airimmobile:—Jesuisdésoléequenousvousayonstellementdéçu,monsieurO'Hare,etquenotremodedeviesoit

pourvousunetelleoffense.Peut-êtreaurions-nousreçuvotreapprobationsinousavionséténoirsetdanslebesoin.—Jesuisdésolé,dit-ilendéglutissantavecpeine.Je…j'aitropbu.—Detouteévidence.Jevousdemanderaiseulement,malgrél'opinionquevousavezdemoietdema

viedefemmeaufoyerpourriegâtée,denepasvousenprendreàLaurencedansvotrearticle.Puiselleseretournaets'éloignaverslacolline.Tandisqu'ilgrimaçaitetjuraitensilence,sadernièrephraseluiarriva,portéeparlabrise:—Laprochaine foisqu'onvousproposerade subir la compagniedepersonnes si ennuyeuses, vous

trouverezpeut-êtreplussimplederépondre:«Non,merci.»

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Tunemelaissaispastetenirparlamain,pasmêmeparlepetitdoigt,mapetitecaille.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitre4

—JEVAISPASSERL'ASPIRATEUR,MADAME,SIÇANEVOUSDÉRANGEPAS.

Jenniferavaitentendudesbruitsdepassurlepalierets'étaitassisesursestalons.MmeCordoza,l'aspirateuràlamain,s'arrêtasurlepasdelaporte.—Oh!Toutesvosaffaires…Jenesavaispasquevousaviezl'intentionderangercettepièce.Voulez-

vousquejevousaide?Jennifers'essuyalefront,étudiantlecontenudesagarde-robequ'elleavaitétaléautourd'ellesurlesol

delachambre.—Nonmerci,madameCordoza.Continuezvotreménage.Jefaissimplementunpeuderangementpour

retrouvermesaffairesplusfacilement.Lagouvernantehésita.—Sic'estcequevousvoulez…J'iraifairelescoursesquandj'enauraifiniavecl'aspirateur.J'aimis

de la charcuterie au réfrigérateur. Vous avez dit que vous ne vouliez rien de trop lourd pour votredéjeuner.—Çasuffiralargement.Merci.La gouvernante sortit, et le rugissement étouffé de l'aspirateur s'éloigna dans le couloir. Jennifer se

redressaetouvritunenouvelleboîteàchaussures.Ellefaisaitçadepuisdesjours,effectuantsonménagedeprintempsenpleincœurdel'hiver.Elleavaitfaitlesautrespiècesavecl'aidedemadameCordoza,vidantlesétagèresetlesplacards,examinant,empilant,triantavecuneeffrayanteefficacité,estampillantses possessions, imprimant sa façon de faire à une maison qui refusait toujours obstinément de luiappartenir.Çaavait commencécommeunedistraction,unmoyendenepas troppenser à cequ'elle ressentait :

cette impression de remplir un rôle que le reste du monde lui avait assigné. Puis c'était devenu unemanièredes'ancrerdanscettemaison,dedécouvrirquielleétait,quielleavaitété.Elleavaitdécouvertdeslettres,desalbumsetdesphotographiesdesonenfancequiladépeignaientcommeuneenfantrebelleavecdesnattes, juchéesurungrosponeyblanc.Elleavaitdéchiffré lesgribouillagesappliquésdesesannéesd'école, lesplaisanteries légèresdespetitsmotséchangés,etavaitdécouvertavecsoulagementqu'ellesesouvenaitdefragmentsentiersdesonexistence.Ellecommençaitàsereprésenterlefosséquis'étaitcreuséentrecequ'elleavaitété,unecréaturejoyeuse,adoréedetous,peut-êtremêmetropgâtée,etlafemmequ'elleétaitàprésent.Ellesavaitpresquetoutcequ'ilyavaitàsavoirsurelle-même,maiscelanel'aidaitpasàdissiperce

sentimentpermanentdedissociation,cetteimpressiond'avoirétéparachutéedansuneviequin'étaitpaslasienne.—Oh,machérie,toutlemondeacetteimpression,luiavaitditYvonneenluitapotantl'épaulelorsque

Jenniferavaitabordélesujetaprèsdeuxmartinis,laveilleausoir.Jeseraisincapabledetedirecombiendefoisjemesuisréveilléeàcôtédecettebeautéimmaculéequ'estmonmarironflantetpuantl'alcool,etdem'êtredit:«Maiscommentest-cequej'ensuisarrivéelà?»

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Jenniferavaitessayéderire.Personnen'avaitenviedel'entendrepleurnicher.Ellen'avaitpasd'autrechoixquedes'yfaire.Lelendemaindesonpetitdîner,anxieuseetcontrariée,elles'étaitrendueseuleàl'hôpital et avait demandé à s'entretenir avecM.Hargreaves. Il l'avait immédiatement reçue dans sonbureau–moinsparconscienceprofessionnelle, songea-t-elle,queparcourtoisieenvers la femmed'unclientextrêmementfortuné.Saréponse,bienquemoinsdésinvoltequecelled'Yvonne,avaitétépresquesemblable:—Unchocàlatêtepeutvousaffecterdebiendesmanières,avait-ildéclaréenécrasantsacigarette.

Certainespersonneséprouventdestroublesdelaconcentration,d'autresontenviedepleurersansraisonapparenteousontconstammentencolère.J'aieudespatientstrèscalmesquidevenaientviolentsdujouraulendemain.Aprèscequevousavezvécu,ladépressionestuneréactionparfaitementnormale.—Mais il y a plus que ça, monsieur Hargreaves. Je pensais qu'au bout de quelques jours, je me

sentiraisdenouveau…moi-même.—Vousnevoussentezpasvous-même?—Toutmesemblefactice.Déplacé.Parfois,ajouta-t-elleavecunpetitriregêné,j'ail'impressionde

devenirfolle.Ilhochalatêtecommes'ilavaitdéjàentenducesmotsàdenombreusesreprises.—Letempsestlameilleuremédecine,Jennifer.Jesaisquec'estunhorriblelieucommun,maisc'est

vrai.Nevoustracassezpasàessayerdevousconformeràunemanièrecorrectederessentirleschoses.Dans lescasdeblessureà la tête, iln'yapasvraimentde règles.Vousvoussentirezpeut-êtreunpeubizarre–dissociée,commevousdites–pendantunmoment.Enattendant,jevaisvousdonnerquelquescachetsquivousaiderontàvoussentirmieux.Maisessayezdenepastropypenser.Il griffonnaitdéjàuneordonnance.Elle attenditunmoment,prit lepapierqu'il lui tendait et se leva

pourpartir.Essayezdenepastropypenser.Uneheureaprèsêtre rentréechezelle,elleavaitcommencéà trier.Elleavaitunearmoirepleinede

vêtements. Elle avait une boîte à bijoux en noyer recélant une impressionnante quantité de bijouxfantaisie.Elleavaitdouzechapeaux,neufpairesdegantsetdix-huitpairesdechaussures,dénombra-t-elleen rangeant ladernièreboîte.Elleavaitgriffonnéunebrèvedescriptionsurchaqueboîte– tennisbasses,bordeaux et soirée, soie verte. Elle avait soupesé chaque chaussure, tentant d'en arracher dessouvenirsd'occasionspassées.Unefoisoudeux,unevisionfugaceluiavaittraversél'esprit:sonpiedrevêtudesoieverte,descendantd'untaxi–pourallerauthéâtre?–,maiscesimagesétaientterriblementéphémères,s'envolantavantqu'ellen'aitpulessaisir.Essayezdenepastropypenser.Elleétaitentraindereplacerladernièrepairedechaussuresdansleurboîtequandelleaperçutlelivre

depoche.C'étaitune romancehistoriquebonmarché, coincéeentre lepapierde soie et lebordde laboîte.Elleexaminalacouverture,sedemandantpourquoielleneparvenaitpasàsesouvenirdel'histoirecommeçaavaitétélecaspourtantdelivresdesabibliothèque.Je l'ai peut-être acheté avant de renoncer à le lire, se dit-elle en feuilletant les premières pages.

L'histoiresemblaitassezscabreuse.Elleleliraitendiagonaledanslasoiréeetl'offriraitàMmeCordozas'ilneluiplaisaitpas.Elleposaleromansurlatabledenuitetépoussetasajupe.Pourl'heure,elleavaitdes affaires bien plus urgentes à régler, comme ranger tout ce chantier et décider de ce qu'elle allaitpouvoirportercesoir-là.

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Ilyenavaitdeuxdanslecourrierdel'après-midi.Onauraitditdescopiescarbone,songeaMoiraen

leslisant:mêmessymptômes,mêmeplaintes.Ellesprovenaientdelamêmeusine,oùchacundesdeuxhommesavaitcommencéàtravaillerprèsdevingtansauparavant.C'étaitpeut-êtreuncoupdessyndicats,comme l'avait dit le patron,mais il était un peu troublant que le faible goutte-à-goutte de ce genre decorrespondancesoitdevenuaufildesannéesuncourantrégulier.Enlevantlesyeux,ellelevitrevenirdesondéjeuneretsedemandacequ'elledevaitluidire.Ilserrait

lamain deM.Welford, et tous deux avaient aux lèvres le sourire satisfait annonçant un rendez-vousd'affairescouronnédesuccès.Aprèsunedemi-seconded'hésitation,elleglissa lesdeuxlettresaufondd'untiroir.Ellelesmettraitaveclesautres.Aprèstout,ellesavaitcequ'illuiauraitdit.Elle l'observa un instant tandis qu'il raccompagnait M. Welford à l'ascenseur, se remémorant leur

conversation de lamatinée, quand ils étaient encore seuls dans les bureaux. Contrairement aux autressecrétaires,quisemontraientrarementavant9heures,ellearrivaittoujoursuneheureplustôtpourmettreenroutelamachineàcafé,rangerlespapiers,vérifierquedestélégrammesn'étaientpasarrivésdurantlanuitets'assurerquetoutétaitparfaitàl'heureoùsonpatroncommençaitsajournée.C'étaitsontravail.Etpuis elle préférait prendre sonpetit déjeuner à sonbureau : elle s'y sentaitmoins seule que chez elledepuislamortdesamère.Il l'avait convoquée d'un petit geste de la main, debout derrière son bureau. Il savait qu'elle

l'apercevrait:ellegardaittoujoursunœilsurluiaucasoùilauraitbesoindequelquechose.Elles'étaitlevée, avait lissé sa jupeet était entréedans sonbureaud'unpasvif, s'attendant àdevoirprendreunedictéeouàluicommuniquerdeschiffres.Aulieudeça,ilavaittraversélapiècesansmotdireetfermélaportederrièreelle.Elles'étaitefforcéederéprimerunfrissond'excitation:ilnes'étaitjamaisenferméavecelle,pasunefoisencinqans.Inconsciemment,elles'étaitpassélamaindanslescheveux.—Moira,c'estausujetdecedontnousavonsparlé ilyaquelquessemaines,dit-ilàvoixbasseen

s'avançantverselle.Elle le regarda fixement,paralyséeparcetteproximitéetpar la tournure inattenduedesévénements.

Puisellesecoualatête–unpeubêtement,songea-t-elleaprèscoup.—Cedontnousavonsparlé,répéta-t-ilavecunenuanced'impatience,aprèsl'accidentdemafemme.Il

fautquejevérifie.Iln'yajamaisrieneu…Elletentadereprendresesesprits,rajustantmachinalementlecoldesonchemisier.—Oh.Ohnon,monsieur.J'ysuisalléedeuxfois,commevousmel'avezdemandé.Etnon.Iln'yavait

rien.Riendutout.J'ensuiscertaine.Ilhochalatête,l'airunpeurassuré.Puisilluisourit–undesesraressouriresaimables.—Merci,Moira.Voussavezàquelpointjevousapprécie,n'est-cepas?Despicotementsdeplaisirparcoururentl'échinedelasecrétaire.—Ladiscrétionatoujoursétévotrequalitélaplusadmirable,poursuivit-ilenrouvrantlaporte.Elledutavalersasaliveavantderépondre:—Je…Vouspouveztoujourscomptersurmoi.Vouslesavez.—Qu'est-cequit'arrive,Moira?luiavaitdemandél'unedesdactylosquelquesheuresplustard,dans

lestoilettesdesdames.

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Moira s'était alors rendu compte qu'elle chantonnait. Elle avait soigneusement rectifié son rouge àlèvresets'étaitaspergéed'unlégernuagedeparfum.—Tuasl'airduchatquivientd'avalerlasouris.Ungloussementdéplaisantrésonnadanslacabine.—Peut-êtrequeMarioluiaenfinremontésesjuponsdanslasalleducourrier,ditunevoix.—Si tu accordes à ton travail lamoitié du temps que tu consacres à répandre des ragots stupides,

Phyllis, tu pourras peut-être un jour prétendre à un poste plus élevé que celui d'assistante-dactylo,rétorquaMoiraenpartant.Maismêmeleshuéesetleséclatsderirequilasuivirentquandellesortitdestoilettesneparvinrent

pasàgâchersonplaisir.OnavaitaccrochédesguirlandesdeNoëltoutautourdelaplace,avecdegrossesampoulesblanches

en forme de tulipe. Elles étaient suspendues aux lampadaires victoriens et enroulées en spiralesirrégulièresentrelesarbresquibordaientlesjardinscommunautaires.—Ilslesmettentunpeuplustôtchaqueannée,fitremarquerMmeCordozaensedétournantdelalarge

baievitréelorsqueJenniferlarejoignitdanslesalon.Onn'estmêmepasencoreendécembre.—Mais c'est très joli, déclara Jennifer enmettant ses boucles d'oreilles.MadameCordoza, puis-je

vousdemanderdeboutonnermarobederrièrelanuque?Jen'yarrivepas.Son bras allait de mieux en mieux, mais elle n'avait pas encore retrouvé assez de souplesse pour

s'habillerseule.La gouvernante ajusta le col, attacha le bouton couvert de soie bleu nuit et fit un pas en arrière,

attendantqueJenniferseretourne.—Cetterobevousvatoujoursàravir,fit-elleremarquer.Jennifers'étaithabituéeàcesinstantsoùelledevaitseretenirdedemander:«Ahbon?Quandça?»

Elleavaitdécidédelesdissimuler,deconvaincrelemondequ'elleétaitsûredelaplacequ'elleytenait.— Je neme souviens pas exactement de la dernière fois que je l'ai portée,murmura-t-elle d'un air

songeuraprèsquelquessecondesderéflexion.—C'étaitpourvotredînerd'anniversaire.Vousêtesalléeaurestaurant,àChelsea.Jenniferavaitespéréquecetteinformationappelleraitunsouvenir.Maisriennevint.—Ahoui,dit-elleavecunbrefsourire.Çaaétéunetrèsbonnesoirée.—C'estuneoccasionspécialecesoir,madame?Jennifer jeta un coupd'œil à son reflet dans lemiroir au-dessusde la cheminée.Ses cheveux longs

ondulaientendoucesvaguesblondesetsonregardétaitsoulignéd'untraitdekhôlartistementappliqué.—Ohnon,jenecroispas.LesMoncrieffnousontinvitésàsortir.Onvadîner,puisallerdanser.Tout

simplement.—Jevaisresteruneheuredeplus,siçanevousdérangepas.Lesdrapsontbesoind'êtreamidonnés.—Onvouspaiepourvosheuressupplémentaires,n'est-cepas?demandaJennifersansréfléchir.—Biensûr,réponditMmeCordoza.Votremarietvousaveztoujoursététrèsgénéreux.

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Comme Laurence – elle ne parvenait toujours pas à l'appeler Larry, même si tous leurs amis lefaisaient– l'avaitprévenuequ'ilnepourraitpasquitter le travaildebonneheure,elleavaitdécidédeprendreuntaxijusqu'àsonbureauetderepartiravecluipourlasoirée.Ilavaitsembléunpeuréticent,maiselleavaitinsisté.Aucoursdesdernièressemaines,elles'étaitforcéeàsortirunpeuplussouvent,cherchant à retrouver une certaine indépendance. Elle avait fait les boutiques, d'abord avecMmeCordoza, puis toute seule, parcourantKensingtonHighStreet à petits pas, essayant denepas selaisserdésarçonnerparlafoule,levacarmeetlesbousculades.Elles'étaitachetéunchâledansungrandmagasin deux jours auparavant, non pas parce qu'elle en avait particulièrement besoin ou envie,maispourpouvoirrentrerchezelleenayantrempliunobjectif.—Puis-jevousaider,madame?Lagouvernanteluitendaitunmanteaucoupetrapèze,enbrocartémeraude.Elleletintpourpermettreà

Jennifer de l'enfiler facilement, unemanche après l'autre. Il était doublé de soie, et le brocart pesaitagréablementsursesépaules.Jennifertournasurelle-mêmeetremontalecol.—Quefaites-vousd'habitude?demanda-t-elle.Aprèsvotretravailici?Lagouvernantecilla,prisedecourt.—Cequejefais?—Jeveuxdire,oùallez-vous?—Chezmoi.—Retrouver…votrefamille?Jepassetellementdetempsaveccettefemme,songeaJennifer.Etjenesaisriend'elle.—MafamilleestenAfriqueduSud.Mesfillessontadultes.J'aideuxpetits-enfants.—Biensûr.Pardonnez-moi,maisjen'arrivepasencoreàmesouvenirdeschosesaussibienquejele

devrais.Jenemerappellepasvousavoirentendueparlerdevotremari.Lafemmebaissalesyeux.—Ilestmortilyaprèsdehuitans,madame.FaceausilencedeJennifer,elleajouta:—IlétaitcontremaîtreàlamineduTransvaal.Votremarim'aoffertcetravailpourmepermettrede

continueràsubvenirauxbesoinsdemafamille.Jennifereutlesentimentd'avoirétésurpriseentraindefouinerdansuntiroir.— Je suis désolée.Comme je vous l'ai dit,mamémoire n'est plus ce qu'elle était. Je vous enprie,

n'allezpasimaginerquecelareflète…MadameCordozahochalatête.Jennifersesentitrougircommeunepivoine.—Jesuissûrequ'entempsnormalj'aurais…—Iln'yapasdemal,madame,déclaraprudemmentlagouvernante.Jevoisbienque…quevousn'êtes

pasencoretoutàfaitvous-même.Un long moment, elles restèrent là, face à face. La domestique paraissait mortifiée par tant de

familiarité.

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MaisJennifernevoyaitpasleschosesainsi.—MadameCordoza,demanda-t-elle,metrouvez-vousprofondémentchangéedepuismonaccident?Ellevitsoninterlocutriceétudiersonexpressionavantderépondre.—Peut-êtreunpeu.—Pouvez-vousmedireenquoi?La gouvernante semblait gênée, et Jennifer comprit que cette dernière craignait de lui donner une

réponsetropfranche.Maisilétaittroptardpourrevenirenarrière.— S'il vous plaît, dites-moi. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, je vous assure. J'ai

seulement…Toutestdevenusiétrangedepuis…J'aimeraismefaireunemeilleureidéedecequ'étaientleschosesavant.Lagouvernantegardaitlesmainsserréessursontablier.—Vousêtespeut-êtreunpeuplussilencieuse.Unpeumoins…sociable.—Diriez-vousquej'étaisplusheureuseavant?—Madame,s'ilvousplaît…,marmonnaladomestiqueentirantnerveusementsursoncollier.Jene…

Ilfautvraimentquej'yaille.Jem'occuperaidesdrapsdemain,sivousvoulezbien.SanslaisseràJenniferletempsderépondre,lagouvernantes'éclipsa.LeBeachcomber de l'hôtelMayfair était l'undes restaurants les plusprisésde la capitale.Lorsque

Jenniferentra,sonmarisurlestalons,ellecompritlaraisondecettepopularité:àpeinesortiedesruesglacialesdeLondres,elleseretrouvaitsoudaindansunparadistropical.Lebarcirculaireétaitrecouvertdebambou,toutcommeleplafond.Lesolétaitenjoncmarin,desfiletsdepêcheetdesbouéespendaientauxpoutres, et deshaut-parleursdissimulésdansdes rochers facticesdiffusaientdes chantshawaïens,presque couverts par le brouhaha de la foule du vendredi soir.Une fresque représentant une plage desableblancquis'étiraitàl'infinisousuncielbleud'azurcouvraitpresqueentièrementlemurdufond,etun immensebuste de femme, récupéré sur la proued'unnavire, délimitait la partie bar.C'est là qu'ilsrepérèrentBill,occupéàaccrochersonchapeausurl'undesseinssculptésdelafiguredeproue.—Ah,Jennifer…Larry…JevousprésenteOndine,dit-ilavecungrandmouvementdesonchapeau.—Méfie-toi,murmuraYvonneenselevantpourlesaccueillir.Violetestcoincéechezeux,etBillest

déjàrondcommeunequeuedepelle.LaurencelâchalebrasdeJennifertandisqu'onlesmenaitàleurtable.Yvonnes'installaenfaced'elle,

puis fit un petit geste gracieux de la main pour attirer l'attention d'Anne et de Dominic, qui venaientd'arriver.Bill,del'autrecôtédela table,avaitattrapélamaindeJenniferpour l'embrasserquandelleétaitpasséedevantlui.—Bill, franchement, tu es pathétique, soupira Francis en secouant la tête. Si tu continues, j'envoie

chercherViolet.—PourquoiVioletest-ellerestéeàlamaison?demandaJenniferens'asseyant.—Undesesenfantsestmaladeetellenes'estpassentiecapablede laisser lanounous'enoccuper

seule,réponditYvonne,quiparvintenunsimplehaussementdesourcilàexprimertoutcequ'ellepensaitdecettedécision.

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—Parce que « les enfants passent toujours en premier », ânonnaBill en adressant un clin d'œil àJennifer.Surtout,nechangezpas,mesdames,poursuivit-il.Nous,leshommes,avonsconstammentbesoind'attention.—Est-cequ'oncommandeunpichetdequelquechose?Qu'est-cequ'ilsserventdebon,ici?—JevaisprendreunMaiTai,ditAnne.—EtmoiunAnanasRoyal,déclaraYvonneenépluchantlemenu,quiannonçait«cocktailsàbasede

rhum»endessousdel'imaged'unefemmevêtued'unejupedepaille.—Qu'est-cequi te feraitplaisir,Larry?Non,attends, laisse-moideviner.Un«ScorpiondeBali».

Sûrementuntrucavecundardauboutdelaqueue!lâchaBill,quiavaitattrapélacartedesboissons.—Çam'al'airrépugnant.Jevaisprendreunwhisky.—Alors laisse-moi choisir pour la belle Jennifer. Jenny chérie, qu'est-ce que tu dirais d'une Perle

Cachée?Oud'uneFillePerdue?Çatetente?Jenniferéclataderire.—Commetuveux,Bill.—Etpourmoi,jevaisprendreunPauvreDiable,conclut-iljoyeusement.Parcequej'ensuisun.Bon,

quandest-cequ'ondanse?Quelquesverresplustard,lesplatsarrivèrent:porcàlapolynésienne,crevettesauxamandesetsteak

aupoivre. Jennifer, trèsviteenivréepar lapuissancedescocktails, se renditcomptequ'ellepouvaitàpeinepicorerlecontenudesonassiette.Autourd'elle,lasalleétaitdevenuedeplusenplusbruyante:ungroupejouaitdansuncoin,descouplessepressaientsurlapistededanse,etlestabléesrivalisaientdevolumepoursefaireentendre.Leslumièressefirentbientôtplustamisées,unelueurrougeetorémanantdeslampesdetableenverrecoloré.Jenniferreportasonattentionsursesamis.Billnecessaitdeluijeterdes regards en coulisse, comme s'il cherchait constamment son approbation.Yvonne, le bras posé surl'épaule deFrancis, racontait une anecdote.Anne cessa de siroter sa boissonmulticolore pour éclaterd'unrireretentissant.Lasensationrevenaitlentement,aussiinexorablequelamarée:ellen'étaitpasàsaplace.Ellesesentaitcommeenferméedansunebulledeverre,coupéedeceuxqui l'entouraient–elleavait lemaldupays, comprit-elle soudain.Tuas tropbu, semorigéna-t-elle. Imbécile.Elle croisa leregarddesonmarietluisourit,espérantavoirréussiàdissimulersonmalaise.Ilneluirenditpassonsourire.Jesuistroptransparente,songea-t-elletristement.—Alors,quelleestlagrandenouvelle?demandaLaurenceàFrancis.Qu'est-cequ'onestvenusfêter,

exactement?—Est-cequ'onabesoind'unprétextepours'amuser?répliquaBill.Àprésent,ilbuvaitdansl'ananasd'Yvonneàl'aided'unelonguepaillerayée.Celle-cinesemblapasle

remarquer.Ellesecalaaufonddesachaise,fouilladanssonsacàmainetallumaunecigarette.—Biensûrqueoui.—Onavouluvousréuniricicesoir–vous,nosmeilleursamis–pourvousapprendreavanttoutle

mondeque…Francisjetaundouxregardàsafemmeavantdepoursuivre:—…dansenvironsixmois,nousallonsaccueillirunpetitMoncrieff.

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Ilyeutunbrefsilence.Anneouvritdegrandsyeux.—Vousallezavoirunbébé?—Ehbien,unechoseest sûre, c'estqu'onnevapasenacheterun,déclaraYvonne,dont les lèvres

lourdementmaquilléesfrémissaientd'amusement.Annes'étaitdéjàlevéedesachaiseetfaisaitletourdelatablepourprendresonamiedanssesbras.—C'estunemerveilleusenouvelle!Tuasréussi,félicitations!Franciséclataderire.—Oh,croyez-moi,cen'étaitpasgrand-chose.—Eneffet,jen'aipassentigrand-chose!rétorquaYvonne,cequiluivalutunpetitcoupdecoudedans

lescôtes.Jenniferselevaetcontournalatablemachinalement,puissepenchapourembrasserYvonne.— C'est une merveilleuse nouvelle, déclara-t-elle à son tour, sans savoir pourquoi elle se sentait

soudainencoreplusmalàl'aise.Félicitations.—J'auraisvoulute l'annoncerplus tôt,murmuraYvonneenposant lamainsur lasienne,mais jeme

suisditqu'ilvalaitmieuxattendrequeturedeviennes…—Moi-même. Oui, fit Jennifer en se redressant.Mais c'est vraiment formidable, je suis tellement

contentepourtoi!—Votretourviendra,déclaraBillenlesdésignant,elleetLaurence,avecungestethéâtral.Soncolétaitdéfait,sacravatedesserrée.—Vousallezêtrelesseulsàresterenarrière,poursuivit-il.Allez,Larry,ons'active!Onnelaissepas

tomberlesamis!Jennifer, en retournant s'asseoir, se sentit rougir et espéra que la lumière tamisée dissimulerait son

embarras.—Chaquechoseensontemps,Bill,l'interrompitdoucementFrancis.Onamisdesannéesàtrouverle

momentopportun.Mieuxvautprendreletempsdes'amuseravant.—Quoi?Ons'estamusés?s'écriaYvonne.Ilyeutungrandéclatderire.—Exactement.Iln'yapasd'urgence.Jenniferobservasonmaritireruncigaredelapocheintérieuredesonvestonetencouperleboutavec

unelenteurcalculée.—Pasd'urgence,répéta-t-elle.Ilsavaientappeléuntaxipourrentrerchezeux.Deboutsurletrottoirgelé,Yvonneleurfaisaitsigne,le

bras de Francis posé sur ses épaules en un geste protecteur.Dominic etAnne étaient partis quelquesminutesauparavant,etBillétaitoccupéàchanterlasérénadeauxpassantes.—C'estuneexcellentenouvellepourYvonne,non?demanda-t-elle.—Tutrouves?—Ehbien,oui.Pastoi?

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Il regardait par la fenêtre. L'obscurité avait presque entièrement envahi les rues de la ville, àl'exceptiondequelquesrareslampadaires.—Si,dit-il.Unbébé,c'esttoujoursunheureuxévénement.—Billétaitaffreusementsoûl,tunetrouvespas?Ellesortitsonpoudrierpourjeteruncoupd'œilàsonreflet.L'imagequeluirenvoyaitlemiroiravait

enfincessédelasurprendre.—Billestunimbécile,déclarasonmarisanscesserd'observerlesalentours.Auloin,unealarmeretentit.Jenniferrefermasonsacetcroisalesmainssursesgenoux,secreusantla

têtepourtrouverquelquechoseàrépondre.—Est-ceque…Qu'est-cequetuenaspensé?Ilsetournaverselle.Lecôtédroitdesonvisageétaitilluminéparleslampesàsodium,l'autrerestait

plongédansl'obscurité.—Àproposd'Yvonne,précisa-t-elle.Tun'aspasditgrand-chose.Aurestaurant.—JemesuisditqueFrancisMoncrieffétaitunsacréveinard,déclara-t-il.Elledéceladanssavoixuneinfinietristesse.Plus aucunmot ne fut échangé durant le court trajet qu'il leur restait à parcourir.Une fois arrivés à

destination,Laurencepayalechauffeurtandisqu'ellemontaitprudemmentlesmarchessabléesduperron.Lesfenêtresétaientilluminées,projetantunepâlelumièrejaunesurlespavéscouvertsdeneige.C'étaitlaseulemaisonsurlaplacesilencieuseàn'êtrepasencoreplongéedansl'obscurité.Ilestivre,comprit-elleenobservantsonmariquigravissaitlesmarchesd'unpaslourdetinégal.Elletentaenvaindeserappelercombiendewhiskysilavaitbus.Toutelasoirée,elleavaitétéplongéedanssespensées,préoccupéeparl'image qu'elle renvoyait aux autres. Son cerveau avait presque fondu sous ses efforts pour paraîtrenormale.—Tuveuxquejeteserveunverre?demanda-t-elleenentrant.Leursbruitsdepasrésonnèrentdansl'entrée.—Jepeuxfaireduthé,situveux,reprit-elle.—Non,répondit-ilenlaissanttombersonpardessussurunechaise.J'aienvied'allermecoucher.—Danscecas,jepensequejevais…—Etj'aienviequetuviennesavecmoi.Ilenseraitdoncainsi.Ellesuspenditsoigneusementsonmanteaudanslapenderieetlesuivitàl'étage.

Soudain,elleregrettadenepasavoirbudavantage.Elleauraitbienvouluqu'ilssoientplusinsouciants,commeDominicetAnne,quis'étaienteffondrésl'unsurl'autreenriantdanslarue.Maissonmari,ellelesavaitàprésent,n'étaitpasdugenrerieur.Le réveil indiquait 1 h 45. Il ôta ses vêtements, les laissant glisser en un tas informe sur le sol. Il

semblaitsoudainépuisé.Ellecaressal'espoirdelevoirtomberendormi.Ellesedéchaussa,puiscompritqu'elleneseraitpasenmesurededéfaireelle-mêmelecoldesarobe.—Laurence?—Quoi?—Tupourraism'aider…?

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Elle lui tourna ledoset tentadenepasgrimacerensentant sesdoigtsglissermaladroitement sur letissu. Son haleine était chargée de whisky et de la senteur âcre de ses cigares. Il tira sur le bouton,attrapantàplusieursrepriseslespetitscheveuxdesanuque.Elletressaillit.—Merde,fulmina-t-ilenfin,jel'aiarraché.Elle fitglisser la robedesesépaules,et il luiposa lebouton recouvertdesoiedans lecreuxde la

main.—Cen'estpasgrave,murmura-t-elle,essayantdenepasseformaliser.JesuissûrequeMmeCordoza

pourralerecoudre.Elles'apprêtaitàrangerlarobequandilluisaisitlebras.—Laisseça,dit-il.Ill'observait,latêtevacillantlégèrementdedroiteàgauche,lespaupièressefermantàdemisurdes

yeuxauregardéteint.Ilbaissalatête,luipritlevisageentrelesmainsetsemitàl'embrasser.Ellefermales yeux et laissa ses caresses descendre le long de sa nuque et de ses épaules, avec de brusquessaccades lorsqu'il perdait l'équilibre. Puis il la fit basculer sur le lit, ses largesmains posées sur sapoitrine,pesantdéjàsurelledetoutsonpoids.Elleaccueillitpolimentsesbaisers,faisantdesonmieuxpoursurmonterledégoûtqueluiinspiraitsonhaleine.—Jenny,haleta-t-il.Jenny…Aumoins,çan'allaitpasêtrelong.Puiselleserenditcomptequ'ils'étaitarrêté.Elleouvritlesyeuxets'aperçutqu'illadévisageait.—Qu'est-cequit'arrive?demanda-t-ild'unevoixsourde.—Rien.—Ondiraitquecequejefaistedégoûte.Jemetrompe?Ilétaitsoûl,maisilyavaitautrechosedanssonexpression.UneamertumequeJennifernes'expliquait

pas.—Jesuisdésolée,chéri.Jenevoulaispastedonnercetteimpression.Elleseredressasurlescoudes.—Jesuisseulementunpeufatiguée,ajouta-t-elleentendantlamainverslui.—Ah.Fatiguée.Ilss'assirentcôteàcôtesurlelit.Ilsepassalamaindanslescheveux,ladéceptionselisaitsurson

visage. Jennifer se sentait affreusementcoupable,maisaussi, à sagrandehonte, terriblement soulagée.Lorsquelesilencedevintinsupportable,ellelepritparlamain.—Laurence…tupensesquejevaisbien?—Bien?Qu'est-cequec'estcensévouloirdire?Unebouleseformadanssagorge.Ilétaitsonmari:elledevaitpouvoirseconfieràlui.Ellesongeaun

instant àYvonne, pendue au cou de Francis, et aux regards qu'ils ne cessaient de s'échanger, témoinsmuets d'une centaine d'autres conversations auxquelles personne n'avait assisté.Elle songea àAnne etDominic,riantauxéclatsengrimpantdansleurtaxi.—Laurence…

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—Larry!explosa-t-il.Tum'astoujoursappeléLarry!Jenecomprendspaspourquoitun'arrivespasàt'ensouvenir!Elleseplaqualesmainssurlabouche.—Larry,jesuisdésolée.C'estjusteque…jemesenstellementbizarre.—Bizarre?Ellegrimaça.—C'est comme s'il memanquait quelque chose. J'ai l'impression d'être un puzzle dont on a perdu

quelquespièces.Çateparaîtinsensé?S'il teplaît, rassure-moi, lesupplia-t-elleenpensée.Prends-moidans tesbras.Dis-moique jeme

faisdusoucipourrien,quetoutfiniraparrevenir.Dis-moiqueHargreavesavaitraisonetquecetteaffreuse sensation va disparaître. Aime-moi un peu. Serre-moi contre toi jusqu'à ce que j'aiel'impressionquenousnousappartenons.Comprends-moi!Mais,quandelle leva lesyeux, ilavait le regardfixésurseschaussures,abandonnéessur le tapisà

quelquespasdelui.Sonsilence,comprit-ellepeuàpeu,n'étaitpasinterrogateur.Iln'étaitpasévocateurdechosesqu'ilessayaitdecomprendre.Saterribleimmobilitéexprimaitunsentimentbienplussombre:unecolèreàpeinecontenue.Quandilparlaenfin,posément,savoixétaitdeglace:—Quecrois-tuqu'ilmanquedanstavie,Jennifer?—Rien,répondit-elletrèsvite.Riendutout.Jesuisparfaitementheureuse.Je…Elleselevaets'éloignaverslasalledebains.— Ce n'est rien, reprit-elle. Comme l'a dit M. Hargreaves, ça finira par passer. Bientôt, je serai

parfaitementmoi-même.Lorsqu'elles'éveilla,ilétaitdéjàpartietMmeCordozafrappaitdoucementàlaportedelachambre.

Elleouvritlesyeuxetsentituneinquiétantedouleurluitraverserlecrânequandellebougealatête.—Madame?Voulez-vousquejevousapporteunetassedecafé?—Ceseraittrèsgentil,merci,murmura-t-elled'unevoixenrouée.Elleseredressadoucement,plissantlesyeuxdanslalumièrevivedumatin.Ilétait9h45.Dehors,elle

entendait levrombissementd'unmoteur, les raclements sourdsd'unepelle àneige sur le trottoir et lespiaillementsdesmoineauxquisequerellaientparmilesarbres.Lesvêtementséparpillésdanslachambrelaveilleausoiravaientdisparu.Elleselaissaretombersursesoreillers,laissantlesévénementsdelanuitpasséeluirevenirenmémoire.Ils'étaitdétournélorsqu'elleétaitrevenuesecoucher,faisantdesondoslargeetmuscléunebarrière

impénétrable.Elle s'était sentie soulagée,mais égalementunpeudéroutée.Et, à présent, une lassitudemêlée demélancolie s'abattait sur elle. Je dois rattraper ça, songea-t-elle. Je dois me montrer plusgénéreuse.Jel'aiblesséhiersoir.Puisellesesouvintdesparolesdumédecin.Essayezdenepasypenser.MmeCordozafrappaàlaporte.Elleapportaitsurunplateauunetassedecaféetdeuxfinestranchesde

paingrillé.

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—Jemesuisditquevouspourriezavoirfaim.—Oh,vousêtesgentille.Jesuisdésolée.Jedevraisêtredeboutdepuisdesheures.—Jeposeçalà.Lagouvernantedéposasoigneusementleplateausurlecouvre-lit,puismitlatassedecafésurlatable

denuitdeJennifer.—Jevaisresteraurez-de-chausséepournepasvousdéranger.ElleposauninstantlesyeuxsurlebrasnudeJennifer,puisdétournaleregard.Lacicatriceétaitbien

visibleàlalumièrecruedujour.Lorsqueladomestiqueeutquittélapièce,Jenniferaperçutlelivre,ceromansentimentalqu'elleavait

décidédelireoudedonner.Elleprendraitd'abordsoncafé,songea-t-elle,puisellel'emporteraitaurez-de-chaussée.Cela luipermettraitdeseréconcilieravecMmeCordozaaprès leuréchangegênantde laveille.En buvant son café, Jennifer semit à feuilleter distraitement le livre de poche.Cematin-là, sa vue

troubléeluipermettaitàpeinedelire.Soudain,unefeuilledepapierglissadupetitvolume.Jenniferleposasurlatabledechevetetramassalafeuille.Elleladéplialentementetlut:Machérie,Jen'aipasput'obligeràm'écouterquandtuespartieencourant,maissachequejeneterejetais

pas.Tuétaissiloindelavéritéquejepeuxàpeinelesupporter.La vérité, la voici : tu n'aurais pas été la première femmemariée à qui j'aurais fait l'amour. Tu

connais ma situation personnelle et, pour être honnête, ces relations, telles qu'elles étaient, meconvenaient.Jenevoulaisêtreprochedepersonne.Quandnousnoussommesrencontrés, j'aivoulucroireque,avectoi,ceneseraitpasdifférent.Maisquandtuesarrivéedansmachambresamedidernier,tuétaissibelledanstarobe…Etpuistu

m'asdemandédedéfaire ceboutonderrière ton cou.Maisquandmesdoigts ont frôlé tapeau, j'aicomprisàcetinstantquesinousfaisionsl'amour,ceseraitundésastrepournousdeux.Toi,machèrepetite, tu n'as aucune idée de ce qu'une telle trahison t'aurait fait. Tu es une créature honnête etdélicieuse.Mêmesitunet'enrendspascomptepourlemoment,onéprouveuneréellejouissanceàêtrequelqu'undebien.Jeneveuxpasêtreresponsabledetadéchéance.Et moi ? J'ai su dès l'instant où tu as levé les yeux sur moi que, si nous le faisions, je serais

irrémédiablement perdu. Je serais incapable de t'abandonner, comme je l'ai fait avec les autres. Jeserais incapabledesaluerLaurenced'unaimablesignedetêtesi je lecroisaisaurestaurant.Jenesauraisjamaismesatisfaired'unesimplepartiedetoi.Jemesuismentiàmoi-mêmeenvoulantcroirelecontraire.C'estpourcetteraison,machèrepetite,quej'airattachécemauditboutonderrièretoncou. Et c'est pour cette raison que je suis resté éveillé dans mon lit ces deux dernières nuits, mehaïssantpourlaseulechosecorrectequej'aiefaitedemavie.Pardonne-moi.

B.Jennifers'assitsursonlit,nepouvantdétacherlesyeuxdumotquiluiavaitsautéauvisage:Laurence.

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Laurence.Celanepouvaitsignifierqu'unechose.C'étaitàellequecettelettreétaitadressée.

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Jeneveuxpasquetutesentesmal,maisj'aihontedecequis'estpasséentrenous.Çan'auraitpas

dûarriver.Pourêtrejusteenverstoutlemonde,jenepensepasquenousdevrionsnousrevoir.Unhomme(marié)àunefemme,parmail

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Chapitre5

ANTHONY O'HARE SE RÉVEILLA À BRAZZAVILLE. LES YEUX RIVÉS SUR LE VENTILATEUR QUI TOURNAITparesseusementau-dessusdesatête,vaguementconscientdelalumièredusoleilquifiltraitàtraverslesvolets,ilsedemandaunbrefinstantsi,cettefois,ilallaitmourirpourdebon.Satêteétaitcommeprisedansunétau,desflèchesluiperçaientlecrânedepartenpart.Onauraitditquequelqu'unavaitpassélanuità lui taperallégrementsur les reinsavecunmarteau.Ungoût infect luiemplissait labouche,qu'ilavait sèche comme un vieux bout de carton, et il se sentait vaguement nauséeux. Il eut un accès depanique. S'était-il fait tirer dessus ?Avait-il été passé à tabac lors d'une émeute ? Il ferma les yeux,attendant que les bruits de la rue lui parviennent par la fenêtre : les cris des vendeurs ambulants, lebourdonnementomniprésentdelaradioquelesgensécoutaientassisenpetitsgroupes,essayantdesavoiroùallaitéclater leprochaindébordement.Cen'étaitpasuneballe.C'était lafièvrejaune.Cettefois, ilallaityrester.Maisalorsmêmequecetteidéefaisaitsonchemindanssonesprit,ilcompritquequelquechose n'allait pas. Tout était trop calme : pas de vociférations sortant d'une fenêtre ouverte, pas demusique, pas d'odeurs de kwanga cuisant dans des feuilles de bananier. Pas de coups de feu. Pas dehurlementsenlingalaouenswahili.Lesilence.Lescrislointainsdemouettes.Cen'étaitpasleCongo.C'étaitlaFrance.IlétaitenFrance.Sonsoulagementfutdecourtedurée.Unevaguededouleurdéferlaenlui.Lemédecinl'avaitpourtant

prévenu que ce serait pire s'il se remettait à boire, songea-t-il avec la région de son cerveau encorecapable de raisonner froidement. M. Robertson serait heureux de savoir à quel point ses pronosticss'étaientrévélésjustes.Quand il fut àpeuprèscertaind'yparvenir sans secouvrirde ridicule, il se redressa sur son lit. Il

basculalesjambessurlecôtéetselevapours'avancerd'unpashésitantverslafenêtre,laissantdanssonsillageuneodeurrance.Lescadavresdebouteilleséparpilléssurlatableétaientlestémoinsmuetsdelalongue nuit qu'il venait de passer. Il écarta les rideaux de quelques centimètres et aperçut la baieétincelantequis'étendaitencontrebas,baignéed'une lumièred'orpâle.Sur les flancsdescollines, lestoitsrougesdesmaisonsn'étaientpasfaitsdetôlesrouillées,maisdetuilesdeterrecuite;leurshabitantsétaientdesgensenbonnesanté,heureux,quiflânaientsurlefrontdemer,bavardaient,sepromenaient,couraient.Desgensblancs.Desgensriches.Il plissa les yeux.Cette scène était parfaite, idyllique. Il laissa retomber le rideau, tituba jusqu'à la

salledebainsetvomit,penchésurlacuvettedestoilettes,toussantetcrachant,lamentable.Quandilfutdenouveauenmesuredetenirsursespieds,ilpénétradanslacabinededouched'unpasmalassuréets'affalacontrelemur,laissantl'eautièdecoulersurluipendantvingtbonnesminutes,regrettantqu'ellenepuisseemporterlepoisonquicoulaitenlui.Allez,remue-toi!Ils'habilla,appelalaréceptionpourcommanderducaféet,sesentantunpeuplusposé,s'assitdevant

lebureau.Ilétaitpresque10h45.Ildevaitenvoyersacopie,cefameuxprofilsurlequelilavaittravaillélaveille.Ilparcourutlesnotesgriffonnéesdansl'après-midi,tentantdeseremémorerl'issuedelasoirée.Lesouvenir lui revintpeuàpeu, légèrement indistinct.Mariette, levisage levévers lesiendevantcet

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hôtel, réclamant un baiser. Son refus catégorique de lui céder, même si dans le même temps il semaudissait intérieurement: lajeunefilleétaitdésirableetiln'avaitqu'àtendrelebraspourlacueillir.Maisilavaitbesoind'êtreenpaixavecsaconsciencepouraumoinsunetoutepetitechosequ'ilauraitfaitecesoir-là.Oh, bon sang ! Jennifer Stirling, offensée, qui lui tendait sèchement sa veste. Elle avait entendu sa

stupidediatribed'alcoolique.Dequel surnominsultant l'avait-ilaffublée?Unepetite femmeau foyerpourrie-gâtée…sansriendanslatête.Ilfermalesyeux.Leszonesdeguerre,songea-t-il,étaientmoinsdangereuses.Moinscomplexes.Enzonedeguerre,onsavaittoujoursquiétaitl'ennemi.Le café arriva. Il prit une profonde inspiration et se servit une tasse. Puis il saisit le combiné du

téléphoneetdemandaàl'opératricedelemettreencommunicationavecLondres.MadameStirling,Jesuisunmalappris.J'aimeraispouvoirmettremonattitudesur lecomptede la fatigueoud'une

allergieauxfruitsdemer,maisj'aibienpeurqu'ellen'aitétélefruitdelacombinaisondel'alcool,quim'est interdit, et du tempérament colériqued'unhomme socialement inapte. Il n'yapasgrand-chosequevouspuissiezdiredemoiquejen'aipasdéjàcomprisdansmesheuresplussobres.Jevouspriedebienvouloirm'excuser.Sipourmerattraperjepouvaisvousinviteràdéjeuner,vous

etM.Stirling,avantmondépartpourLondres,j'enseraishonoré.

Honteusementvôtre,AnthonyO'Hare.

P.-S.:Jejoinsàcettelettreunecopieduprofilquej'aienvoyéàLondres.Ainsivouspourrezvoir

qu'aumoinsàcetégardj'aiagihonorablement.Anthonyplialafeuillepourlaglisserdansuneenveloppe,qu'ilfermaetretourna.Peut-êtren'avait-il

pasencoretoutàfaitdessoûlé:iln'avaitpassouvenird'avoirjamaisvouluêtrehonnêtedansunelettre.À cet instant, il se rendit compte qu'il n'avait pas d'adresse à inscrire au dos de l'enveloppe. Il se

mauditintérieurementpoursastupidité.Laveilleausoir,c'étaitlechauffeurdeStirlingquiétaitpasséleprendre,etilsesouvenaitàpeinedutrajetduretour–endehorsdesesdiverseshumiliations.Laréceptiondel'hôtelneluifutpasd'ungrandsecours:—Stirling?répétaleconcierged'unairabsent.—Vousleconnaissez?demanda-t-il,labouchetoujourspâteuse.Unhommeriche.Important.—Monsieur,réponditleconcierged'unairlas,toutlemondeiciestricheetimportant.L'après-midi était doux, l'atmosphère presque transparente sous un ciel clair et dégagé. Il se mit à

marcher, suivant la routequ'il avait prise envoiture laveille au soir.Le trajet avait à peineduréunedizainedeminutes:lamaisonnedevaitpasêtretropdifficileàretrouver.Ildéposeraitlalettredevantlaporteets'empresseraitdequitterleslieux.Ilrefusaitdepenseràcequ'ilallaitfaireunefoisderetouràLondres. Depuis son réveil, son corps, qui se souvenait de sa longue histoire d'amour avec l'alcool,

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n'avaitcessédefaireentendreunsourd,unperversronronnementdeconvoitise.Delabière,vite.Duvin.Duwhisky.Sesreinslefaisaientsouffriretiltremblaittoujoursunpeu.Unebonnemarcheluiferaitdubien,sedit-ilensaluantd'unsignedetêtedeuxfemmessouriantessousleurchapeau.Lecield'Antibesétaitbleuvifetlesplagesenvahiesdevacanciersvenuscuireausoleilsurlesable

blanc.Anthonysesouvenaitd'avoirtournéàgaucheaurond-pointetvitquelaroute,bordéedevillasauxtoits couvertsde tuiles,montaitvers lescollines.C'était labonnedirection.À travers sonchapeau, lesoleilfrappaitdursursanuque.Ilenlevasavesteetlajetasursonépauletoutenmarchant.Cefutdanslescollinesderrièrelavillequeleschosessemirentàmaltourner.Anthonyavaitbifurqué

àgaucheaprèsuneéglisequiluiavaitsemblévaguementfamilièreetcommencéàgravirunecolline.Aucoursdel'ascension,lespinsetlespalmierssefirentdeplusenplusraresetfinirentpardisparaître,lelaissantentièrementàdécouvertdanslachaleuraccablantequiseréfléchissaitsurlesrochesblanchesetlegoudron. Il sentit lapeaude sonvisage le tirailler et compritque, le soirvenu,elle serait rougeetdouloureuse.De temps en temps, une voiture passait, projetant de petites pierres dans un ravin de plus en plus

profond.Letrajetluiavaitparusicourtlaveille,dansl'odeurdesherbessauvagesetlabrisetièdeducrépuscule.À présent, les kilomètres s'étiraient devant lui et sa confiance déclina encore quand il futforcéd'admettrequ'ils'étaitsansdouteperdu.DonFranklinauraitbienrigolé, songea-t-ilens'arrêtantpours'essuyer le frontavecsonmouchoir.

Lui qui était capable de tracer sa route d'un bout à l'autre de l'Afrique, de se battre pour passer lesfrontières,ilavaitréussiàseperdresuruntrajetdedixminutesdansuneairedejeupourmillionnaires.Ils'écartapourlaisserpasserunenouvellevoiture,puisplissalesyeuxdanslalumièrequand,avecunlégercrissementdepneus,levéhicules'arrêtaetrevintversluienmarchearrière.YvonneMoncrieff,seslunettesnoiresremontéessurlatête,sepenchaparlafenêtrecôtépassagerdela

DaimlerSP250.—Vousêtesfou?fit-elled'unairjoyeux.Vousallezcuire!Il scruta l'intérieur duvéhicule et vit que JenniferStirling était auvolant.Elle le regardait fixement

derrière d'énormes lunettes de soleil, les cheveux attachés en queue-de-cheval, une expressionindéchiffrablesurlevisage.—Bonjour,dit-ilenôtantsonchapeau,prenantsoudainconsciencedesonvisageluisantetdelasueur

quitrempaitsachemisefroissée.—Quediablefaites-vousaussiloindelaville,monsieurO'Hare?demandaJennifer.Vouschassezle

scoop?Ilfitglissersavestedelindesonépaule,fouilladanssapocheetluimontral'enveloppe.—Je…jetenaisàvousdonnerça.—Dequois'agit-il?—Unelettred'excuses.—Unelettred'excuses?—Pourmonattituded'hiersoir.Ellen'esquissapaslemoindregestepourprendrelalettrequ'illuitendait.—Jennifer,tuveuxquejelaprenne?demandaYvonneMoncrieffenluijetantunregardperplexe.

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—Non.Pouvez-vousmelalire,monsieurO'Hare?demanda-t-elle.—Jennifer!—SiM.O'Harel'aécrite,jesuissûrequ'ilestparfaitementcapabledelalire.Derrièreleslunettesnoires,sonvisageétaitparfaitementinexpressif.Anthonyhésitaunmoment,contemplantlaroutedésertequis'étiraitderrièreluietlevillageinondéde

soleilencontrebas.—Jepréféreraisvraiment…—Encecas, ilnes'agitpasdevraiesexcuses,n'est-cepas,monsieurO'Hare?dit-elledoucement.

N'importequipeutgriffonnerquelquesmots.YvonneMoncrieff, les yeux baissés sur ses mains, secouait la tête. Les lunettes noires de Jennifer

étaienttoujourstournéesverslui;ildistinguaitdanslesverresfuméslerefletdesapropresilhouette.Ilouvritl'enveloppe,ensortitlafeuilledepapieret,aprèsquelquessecondesdeflottement,lutcequ'il

avaitécrit.Surleflancdelacolline,savoixprenaitunerésonanceinhabituelle.Ilachevasalectureetremitlalettredanssapoche.Ilsesentitétrangementgênédanslesilencequis'ensuivit,seulementtroubléparlelégerronronnementdumoteur.—Monmari,ditenfinJennifer,estenAfrique.Ilestparticematin.—Alorsjeseraisenchanté,sivouslepermettez,devousinviteràdéjeuner,vousetMmeMoncrieff.

Undéjeunertardif,ajouta-t-ilenjetantuncoupd'œilàsamontre.—Ceserasansmoi,moncher.Franciss'estmisentêtedemefairevisiterunyachtcetaprès-midi.— On va vous ramener en ville, monsieur O'Hare, dit Jennifer en lui faisant signe de se caser à

l'arrière.Jenevoudraispasêtreresponsabledel'insolationducorrespondantleplus«honorable»devotrejournal,enplusdesoncomaéthylique.Elle patienta tandis qu'Yvonne descendait et rabattait son siège pour laisser monter Anthony, puis

fouilladanslaboîteàgants.—Voilàpourvous,dit-elleenluijetantunmouchoir.Etsavez-vousquevousnemarchiezpasdutout

danslabonnedirection?Noushabitonslà-bas.Elleluimontradudoigtunecollinedistante,touteplantéed'arbres.Illavitesquisserunsourire,juste

ce qu'il lui fallait pour se croire peut-être pardonné, puis les deux femmes éclatèrent de rire.Profondémentsoulagé,AnthonyO'Hareenfonçasonchapeausursatêteetilsdémarrèrent,descendantàtouteallurelarouteétroiteendirectiondelaville.Ils se retrouvèrent coincés dans les embouteillages presque aussitôt après avoir déposé Yvonne à

l'HôtelSaint-Georges.—Nefaitespasdebêtises,leuravait-elleditavecunpetitgested'adieu.Elleavaitparléaveclajoyeuseinsouciancedequelqu'unquisavaitparfaitementquecen'étaitmême

pasenvisageable.Une fois qu'ils furent seuls tous les deux, l'humeur changea. Jennifer Stirling devint silencieuse,

semblant bien plus absorbée par la route que vingt minutes auparavant. Profitant de ce qu'elle étaitconcentréesurlalonguefiledefeuxarrièrequis'étiraitdevantelle,Anthonyjetaitdesregardsfurtifsà

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sonvisageetàsesbrasaubronzagedélicat.Ilsedemanda,l'espaced'uninstant,siellen'étaitpasplusencolèrecontreluiquecequ'elle-mêmeavaitcru.Brisantlesilence,ildemanda:—Combiendetempsvotremariva-t-ilresterenAfrique?—Unesemaine,jesuppose.Ilyresterarementpluslongtemps.Ellesetournaverslafenêtredesaportière,probablementpourvoircequicausaitl'embouteillage.—C'estunsacrévoyagepourunséjouraussicourt.—Vousdevezlesavoir,monsieurO'Hare.—Moi?Ellehaussaunsourcil.—Voussaveztoutsurl'Afrique.Vousl'avezdithiersoir.—Tout?—Parexemple,voussavezquelamajoritédeshommesquiyfontdesaffairessontdesescrocs.—J'aiditça?—ÀM.Lafayette.Anthonys'enfonçaunpeuplusdanssonsiège.—MadameStirling…,commença-t-il.—Oh,nevousenfaitespas.Laurencenevousapasentendu.Francisoui,mais iln'apasbeaucoup

d'affairesenAfrique,doncilnel'apaspristroppersonnellement.Lesvoituresdevanteuxseremirentàavancer.— Laissez-moi vous inviter à déjeuner, dit-il. S'il vous plaît. J'aimerais avoir l'occasion de vous

montrer,mêmel'espaced'unepetitedemi-heure,quejenesuispassiconqueça.—Vouspensezpouvoirmefairechangerd'opinionaussivite?Encorecepetitsourire.—Jesuispartantsivousl'êtes.Emmenez-moioùvousvoulez.Leserveurluiapportaungrandverredelimonade.Elleenbutunegorgée,puissecalaaufonddeson

siègepourcontemplerlefrontdemer.—Jolievue,dit-il.—Oui,admit-elle.Ses cheveux dégringolaient de chaque côté de son visage en vagues blondes et soyeuses qui lui

arrivaientjusteau-dessusdesépaules.Ellen'étaitpassongenre.Ilaimaitlesfemmesàlabeautémoinsconventionnelle, cellesqui recélaient quelque chosedeplus sombre et dont les charmes étaientmoinsévidents.—Vousnebuvezpas?Ilregardasonverre.—Jen'enaipasvraimentledroit.

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—Ordredevotrefemme?—Ex-femme,corrigea-t-il.Etnon,desmédecins.—Alorsvousavezvraimenttrouvélasoiréed'hierinsupportable.Ilhaussalesépaules.—Jen'aipasl'habitudedesortirensociété.—Untouristeoccasionnel.—Jel'admets.Jetrouvelesconflitsarmésbienmoinsintimidants.Elleesquissaunsouriremalicieux.—VousêtesunesortedeWilliamBoot,dit-elle.Perduenterritoireennemidanslabonnesociétédela

Côted'Azur.—Boot…Àlamentiondumalheureuxpersonnaged'EvelynWaugh,ilsesurpritàafficherunvraisourirepourla

premièrefoisdelajournée.—J'auraisméritépiredevotrepart.Unefemmeentradanslerestaurant,serrantcontresalargepoitrineunpetitchienquisemblaitterrorisé.

Ellesefrayauncheminentrelestables,l'airàlafoisdéterminéetépuisé,commes'ilneluirestaitplusquelaforcedeseconcentrersursadestination.Lorsqu'elles'assitàunetablevide,nonloind'eux,ellelaissa échapper un petit soupir de soulagement. Elle posa le chien à ses pieds et l'animal resta là,tremblant,laqueueentrelesjambes.—Alors,madameStirling…—Jennifer.—Jennifer.Parlez-moiunpeudevous,dit-ilensepenchantverselle.—C'estàvousdemeparler.Ouplutôtdememontrer.—Vousmontrerquoi?—Àvousdemeprouverquevousn'êtespassiconqueça.Ilmesemblequevousvousêtesdonnéune

demi-heure.—Ah.Combiendetempsmereste-t-il?Elleconsultasamontre.—Environneufminutes.—Et,pourlemoment,quepensez-vousdemaperformance?—Jenedévoileraimonverdictqu'entempsvoulu.Ilsseturent–lui,pourunefois,nesavaitpasquoidire;quantàJennifer,elleregrettaitprobablement

sondernierchoixdemots.AnthonyO'Haresongeaàladernièrefemmeavecquiilavaiteuunerelation.C'étaitl'épousedesondentiste,unerousseàlapeausifinequ'iln'osaitlaregarderdetropprès,depeurdevoir cequ'il y avait endessous.Elle était uséepar la longue indifférencede sonmari, etAnthonys'étaitdemandésisaréponseàsesavancesavaitétéunactedepurevengeance.—Quefaites-vousdevosjournées,Jennifer?—Jen'osevousledire.

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Ilhaussaunsourcil.—Jeme rends si peuutile que je redoute votre jugement, poursuivit-elle d'un tonqui disait tout le

contraire.—Voustenezdeuxmaisonsàvoustouteseule.—Non.Ici,ilyadupersonnelàtempspartiel.EtàLondresMmeCordozaestbienplusdouéequemoi

pourjouerlesféesdulogis.—Alorsqu'est-cequevousfaites?—J'organisedescocktails,desdîners.Jerendsleschosesplusbelles.Jesuisdécorative.—Vousêtestrèsdouéepourça.—Oh,uneexperte.Çademandedescompétencestrèspointues,voussavez.Ilauraitpupasserlajournéeàlaregarder.Ilyavaitquelquechosequilefascinaitdanslafaçondont

salèvresupérieureseretroussaitlégèrementjusteendessousdesonnez.Cettepartieduvisageavaitunnom,etilétaitcertainque,s'illacontemplaitassezlongtemps,ilfiniraitpars'ensouvenir.—J'aifaitcepourquoij'aiétéélevée.Jemesuistrouvéunhommericheetjelerendsheureux.Son sourire vacilla. Un autre que lui n'aurait peut-être rien remarqué, mais son expérience ne le

trompaitpas:iltouchaitdudoigtquelquechosedepluscomplexequenelesuggéraientlesapparences.—Finalement,jecroisquejevaisprendreunverred'alcool,dit-elle.Vousyvoyezuninconvénient?—Non,bienaucontraire.Celameprofiteraparprocuration.—«Parprocuration»,répéta-t-elleenfaisantsigneauserveur.Ellecommandaunmartiniavecbeaucoupdeglace.—Siçapeutvousrassurer,déclara-t-ild'untonléger,jenesaisrienfaired'autrequemontravail.—Jeveuxbienvouscroire,répliqua-t-elle.Leshommestrouventtoujoursplusfaciledetravaillerque

des'occuperdetoutlereste.—Toutlereste?—Le chaos du quotidien ; les gens qui ont des attitudes qui vous déplaisent ou qui ressentent des

chosesquevousauriezpréféréqu'ilsneressententpas.Autravail,onadesrésultatsconcrets,onestlemaîtredesondomaine.Lesgensfontcequevousleurdemandez.—Pasdansmonmonde,s'esclaffa-t-il.—Peut-être,maisvouspouvezrédigerunarticleetleretrouverdansleskiosqueslejoursuivant,tel

quevousl'avezécrit.Vousn'enêtespasfier?—Audébut,si.Maisvotreenthousiasmes'estompeavecletemps.Dernièrement,jenepensepasavoir

accompli quoi que ce soit dont je puisse être fier. Tout ce que j'écris est éphémère. Le journald'aujourd'huiserviradecornetdefritesdemain.—Ahbon?Alorspourquoitravaillersidur?Ildéglutit,écartantdesonespritl'imagedesonfils.Ilavaitsoudaintrèsenvied'unverre.Ilseforçaà

sourire.—Pour les raisons quevous avez évoquées.C'est tellement plus facile quede s'occuper de tout le

reste.

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Leurs regards se croisèrent. L'espace d'un instant, elle oublia de sourire. Elle rougit légèrement etremualentementsaboissonavecsapiqueàcocktail.—Parprocuration,articula-t-ellelentement.Vousallezdevoirmedirecequeçasignifie,Anthony.Elleavaitprononcésonprénomd'unemanièrequiluisemblatrèsintime.Ilyavaitlàunepromesse:ce

n'étaitpasladernièrefoisqu'elleleprononçait.—Çaveutdire…,commençaAnthony,labouchesèche.Çaveutdireque,parricochet,onéprouvedu

plaisiràtraversceluidequelqu'und'autre.Lorsqu'elle l'eut déposé à sonhôtel, il s'étendit sur son lit et restaprèsd'uneheure à contempler le

plafond. Puis il descendit à la réception, demanda une carte postale et écrivit un mot à son fils, sedemandantsiClarissaallaitprendrelapeinedeleluitransmettre.Quandilregagnasachambre,unpetitmotavaitétéglissésouslaporte:CherBoot,N'étantpasencoretoutàfaitcertainequevousn'êtespasuncon,jesouhaiteraisvousaccorderune

autrechancedem'enconvaincre.Mesprojetspourledînerdecesoirsonttombésàl'eau.Jedîneàl'hôteldesCalypsos,rueSaint-Jacques,à20heures.Ilrelutdeuxfoislebillet,puiscourutaurez-de-chausséepourenvoyeruntélégrammeàDon: IGNOREDERNIERTÉLÉGRAMMESTOPRESTETRAVAILLERSURSÉRIEHAUTESOCIÉTÉ

CÔTED'AZURSTOPINTÉGRERAIDÉTAILSMODESTOPSouriant,ilplialepapieretletenditauréceptionniste,imaginantlatêtequeferaitDonenlelisant,puis

sedemandacommentfairenettoyersoncostumeavantlasoirée.Cesoir-là,AnthonyO'Harefutunmodèledecharmeetd'élégance.Ilfutl'hommequ'ilauraitdûêtrela

veille, peut-êtremême celui qu'il aurait dû être pendant sonmariage. Il semontra spirituel, courtois,galant.Jennifern'était jamaisalléeauCongo–sonmariestimaitquecen'étaitpasunendroitpourunefemmecommeelle–et,probablementenraisond'unbesoinimpérieuxdecontredireStirling,Anthonysedonna pour mission de lui faire aimer ce pays. Il lui parla des larges rues bordées d'arbres deLéopoldvilleetdescolonsbelgesquiimportaienttouteleurnourriture,achetantdesplatssurgelésouenconserveàdesprixindécentsaulieudeprofiterd'unedesplusbellescornesd'abondanceaumonde.Illui raconta la stupeur desEuropéens lorsqu'un soulèvement au sein de la garnison deLéopoldville sesoldaparleurfuiteverslarelativesûretédeStanleyville.Ilvoulaitqu'ellelevoiesoussonmeilleurjour,qu'elleleregardeavecadmirationaulieudemélange

de pitié et d'irritation. Et, soudain, une chose étrange arriva : à force de jouer le rôle de l'inconnucharmant et enjoué, il se sentit devenir cet homme-là. Il songea à sa mère : « Souris, tu seras plusheureux»,luidisait-elletoujoursquandilétaitpetit.Ilnel'avaitpascrue.

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Jennifer,àson tour,semblaitd'humeurbadine.Elleécoutaitplusqu'elleneparlait,commetoutes lesfemmes socialement intelligentes, et lorsqu'elle s'amusait de l'une ou l'autre de ses remarques, il sesurprenaitàdévelopperlesujet,désireuxdel'entendrerire.Ilremarqua,nonsansfierté,qu'ilss'attiraientles regardsadmiratifsde leursvoisins–cecouple terriblement joyeuxde la table16. Curieusement,Jennifernesemblaitpasmalàl'aiseàl'idéed'êtrevueencompagnied'unhommequin'étaitpaslesien.C'étaitpeut-êtreainsiquefonctionnaitlabonnesociétédelaCôted'Azur,songea-t-il–unballetsocialsans fin où l'on se croise et se recroise avec les maris et les femmes des autres. Il préférait ne pasenvisagerl'autrepossibilité:qu'unhommedesastaturenepouvaitêtreperçucommeunrival.Entreleplatetledessert,unhommedehautetaille,vêtud'uncostumeàlacoupeimpeccable,apparutà

leurtable.IlembrassaJennifersurlesdeuxjoues,échangeaavecellequelquesplaisanteries,puisattenditd'êtreprésenté.—Richard,moncher,voiciM.Boot,dit-elleavecungrandsérieux.IltravaillesurunportraitdeLarry

pour un journal anglais. Je lui fournis des détails, et j'en profite pour essayer de lui prouver que lesindustrielsetleursépousesnesontpasaussiennuyeuxqu'illepense.—Personnenepourraitt'accuserd'êtreennuyeuse,Jenny.RichardCase,seprésenta-t-ilenserrantla

maind'Anthony.—Anthony…euh…Boot.Pourcequej'enaivu,lasociétédelaCôted'Azuresttoutsaufennuyeuse.

M.etMmeStirlingsontdeshôtesremarquables,ajouta-t-il,résoluàresterdiplomate.—M.Bootpourraitécrireunarticlesurtoiaussi.Richardpossèdeunhôtelausommetd'unecolline,

précisa-t-elle à l'intention d'Anthony.Celui qui a cette vue fabuleuse. Il est à l'épicentre absolu de labonnesociétédelaCôted'Azur.— Peut-être désirerez-vous séjourner chez nous lors de votre prochaine visite, monsieur Boot, dit

l'homme.—J'apprécieraisbeaucoup,maisj'attendsdevoirsiM.Stirlingaimecequej'aiécritsurluiavantde

songeràremettrelespiedsici,répliqua-t-il.Jenniferetluis'étaientarrangéspourmentionnerLaurenceàdenombreusesreprisesaucoursdudîner,

songea-t-ilaprèscoup,commes'ilséprouvaientlebesoindedresserentreeuxdeuxsaprésenceinvisible.Ce soir-là, elle était rayonnante. Il se dégageait d'elle une vibration, une énergie qu'il pensait n'être

perceptibles que de lui seul.C'est moi que te fais cet effet ? lui demanda-t-il en pensée.Ou est-ceseulementlesoulagementd'avoiréchappéàl'emprisetyranniquedetonmari?EnseremémorantlafaçondontStirlingavaithumiliéJenniferlaveille,illuidemandacequ'ellepensaitpersonnellementdesmarchés financiers,duPremierMinistre etdumariage royal, refusantde la laisser s'en remettre à sonopinion.Ellen'étaitpastrèsaucourantdel'actualité,maislafinessedesonjugementetsonréelintérêtpour ce qu'il avait à dire faisaient d'elle une flatteuse compagnie. Il songea soudain à Clarissa : sesremarques acerbes sur lesgensqui les entouraient, son empressement àdécelerunmanquede respectdanslesgesteslesplusanodins…Celafaisaitdesannéesqu'iln'avaitpasautantappréciéunesoirée.—Jevaisdevoiryaller,déclara-t-elleenjetantuncoupd'œilàsamontre.Lecaféétaitarrivé,accompagnédepetitsfoursdisposésavecsoinsurunplateaud'argent.Anthonyposasaserviettesurlatable,unpeudéçu.—Vousnepouvezpaspartir,répliqua-t-ilavantd'ajouterenhâte:Jenesuistoujourspassûrquevous

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ayezreconsidérévotrepointdevuemeconcernant.—Oh,vraiment?ElletournalatêteetcroisaleregarddeRichardCase,assisaubaravecdesamis.Ildétournaaussitôt

lesyeux,commes'ilavaitétéentraindelesobserver.Elleétudialevisaged'Anthony.Sielle luiavaitfaitpasseruntest, ilsemblait l'avoirréussi.Ellese

penchaversluietbaissalavoix:—Voussavezramer?—Sijesaisramer?Ils descendirent sur le quai. Là, elle scruta longuement les eaux sombres, comme si elle n'était pas

certainedereconnaîtrel'embarcation,puisfinitparluidésignerunpetitcanot.Ilsautaàbordetluitenditlamainpourl'aideràs'installerenfacedelui.Labriseétaitencoretiède,etleslumièresdeslangoustiersleurfaisaientdedouxclinsd'œildanslesténèbres.—Oùva-t-on?Ilôtasaveste,laposasurlebancàcôtédeluiets'emparadesavirons.—Contente-toideramerdanscettedirection.Jetediraiquandonysera.Il rama lentement,écoutant leclapotdesvaguescontre lesbordsde lapetiteembarcation.Elleétait

assiseenfacedelui,unchâleposésurlesépaules.Elleneleregardaitpas,tournéeversl'avantducanotpourvoirversoùelleleguidait.Anthony n'arrivait plus à réfléchir. En temps normal, il aurait développé des stratégies, calculant

soigneusementsoncoup,excitéàlaperspectivedelanuitquil'attendait.Maismêmealorsqu'ilétaitseulaveccette femme,mêmealorsqu'elle l'avait invité surunbateauaubeaumilieud'unemerobscure, iln'étaitpassûrdesavoircommentallaitévoluerlasoirée.—Là,dit-elleentendantledoigt.C'estcelui-ci.—Unpetit bateau, tudisais ? s'écria-t-il en levant lesyeux sur legrandyacht lisse et blancqui se

dressaitdevanteux.—Disonsunassezgrosbateau,concéda-t-elle.Jen'aimepasvraimentlesyachts.Jenemonteàbord

quedeuxoutroisfoisparan.Ils arrimèrent le canot et grimpèrent à bord du yacht. Elle l'invita à s'asseoir sur une banquette

matelassée et, quelques minutes plus tard, émergea de la cabine. Elle avait enlevé ses chaussures,remarqua-t-ilenessayantdedétacherleregarddesespiedsincroyablementmenus.—Jet'aipréparéuncocktailsansalcool,annonça-t-elleenluitendantunverre.Jemesuisditquetune

devaisplusenpouvoirdestonics.Ilfaisaitbon,mêmeaussiloindansleport,etlamerétaitsicalmequeleyachtbougeaitàpeinesous

leurs pieds. Derrière elle, il apercevait les lumières du port et les phares des quelques voitures quiremontaientlaroutecôtière.IlsongeaauCongoeteutlesentimentd'avoirététirédel'enferetpropulsédansunparadistoutdroitsortidesonimagination.Elles'étaitserviunverredemartiniavantdes'asseoiravecgrâce,lesjambesramenéessouselle,sur

labanquettequiluifaisaitface.

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—Alors,commença-t-il,dis-moicommenttuasrencontrétonmari.—Monmari?Est-cequ'ontravailletoujourssurceprofil?—Non.Jesuisjusteintrigué.—Parquoi?—Jemedemandecommentil…Ilsereprit:—J'aimesavoircommentlesgensfinissentensemble.—Jel'airencontréàl'occasiond'unbal–ilfaisaitunedonationpourlesinvalidesdeguerre.Ilétait

assisàmatable,nousavonsparléetilm'ainvitéeàdîner.Voilàtout.—Voilàtout?—Ças'estpassétrèsvite.Auboutdequelquesmois,ilm'ademandéeenmariageetj'aiditoui.—Tuétaistrèsjeune.—J'avaisvingt-deuxans.Mesparentsétaientravis.—Parcequ'ilétaitriche?—Parcequ'ilspensaientquec'étaitunbonparti.C'étaitunhommesolideetdebonneréputation.—Etceschosessontimportantespourtoi?—Nelesont-ellespaspourtoutlemonde?Ellesemitàjouermachinalementavecl'ourletdesajupe.—Maintenant,reprit-elle,àmontourdeposerlesquestions.Combiendetempsadurétonmariage?—Troisans.—Cen'estpastrèslong.—J'aicomprisassezvitequej'avaiscommisuneerreur.—Ettafemmen'apaseutropdepeinequandtuasdemandéledivorce?—C'estellequil'ademandé.Elleledévisagea,etillavitpasserenrevuetouteslesfaçonsdontilauraitpulemériter.—Jen'aipasétéunmarifidèle,ajouta-t-il,sansvraimentsavoirpourquoiilsesentaitobligédelui

avouerça.—Tonfilsdoittemanquer.—Oui.Parfois,jemedemandesij'auraisagicommejel'aifaitsij'avaissuàquelpointilallaitme

manquer.—C'estpourçaquetubois?Ilaffichaunsourirenarquois.—N'essayezpasdemesoigner,madameStirling.J'aiétélepasse-tempsdebeaucouptropdefemmes

pleinesdebonnesintentions.—Quiaditquejevoulaistesoigner?—Tuaspriscetair…charitable.Çamerendnerveux.—Onnepeutpascachersatristesse.

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—Qu'est-cequetusaisdelatristesse?—Jenesuispasstupide.Personnen'atoutcequ'ilveut.Jelesaisaussibienquetoi.—Tonmariatoutcequ'ilpeutsouhaiter.—C'estgentil.—Jenedisaispasçagentiment.Leursregardssecroisèrent,puiselledétournalesyeux.L'atmosphèreétaitdevenueélectrique,comme

si chacun contenait à grand-peine sa colère. Loin des contraintes de la vie réelle sur la terre ferme,quelquechoseentreeuxs'étaitrelâché.J'aienvied'elle,songea-t-il,presquerassuréd'avoiraccèsàundésirsiordinaire.—Tuascouchéaveccombiendefemmesmariées?demanda-t-elled'unevoixquisemblacouperl'air

immobile.Ilfaillitavalerdetravers.—Ilseraitplussimplededirequejen'aipassouventcouchéavecdesfemmescélibataires.Cesderniersmotslalaissèrentsongeuse.—Lepariestmoinsrisquéavecunefemmemariée?—Oui.—Etpourquoiacceptent-ellesdecoucheravectoi?—Jenesaispas.Peut-êtreparcequ'ellesnesontpasheureuses.—Ettulesrendsheureuses?—Aumoinspouruntemps.—Çanefaitpasdetoiungigolo?Ilesquissaunsourire.—Non.Seulementunhommequiaimefairel'amourauxfemmesmariées.Cette fois, le silence qui tomba sembla le pénétrer jusqu'à lamoelle. Il l'aurait bien rompu,mais il

n'avaitpaslamoindreidéedecequ'ilétaitcensédire.—Jenevaispascoucheravecvous,monsieurO'Hare.Illaissalaphraserésonnerplusieursfoisdanssatêteavantd'êtrecertaind'avoirbienentendu.Ilprit

unenouvellegorgéedesoncocktail,essayantdereprendresesesprits.—Çameva.—Vraiment?—Non,répliqua-t-ilenseforçantàsourire.Çanemevapas.Maisjevaismefaireuneraison.—Jenesuispasassezmalheureusepourça.Bon sang, quand elle le regardait, il avait l'impression qu'elle lisait en lui comme dans un livre. Il

n'étaitpassûrd'aimerça.—Jen'aijamaisneserait-cequ'embrasséunautrehommedepuisquejesuismariée.Pasun.—C'estadmirable.—Tunemecroispas.

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—Biensûrquesi.C'estrare.—Maintenant,tudoismetrouverd'unennuimortel.Elleselevapourarpenterlepontduyacht,seretournantversluiquandelleeneutatteintl'extrémité.—Tesfemmesmariées,ellestombentamoureusesdetoi?—Unpeu.—Ellessonttristesquandtulesquittes?—Commentsais-tuquecenesontpasellesquimequittent?Elleattendit.—Jeneleurparleplusaprèsavoirrompu,ajouta-t-ilenfin.—Tufaissemblantdenepaslesvoirquandtulescroises?—Non.Jesuissouventàl'étranger.J'aitendanceànepaspassertropdetempsaumêmeendroit.Et

puis,ellesontleurmari,leurvie…Jenecroispasqu'uneseuled'entreellesaiteuenviedequittersonmari.Jen'étais…qu'unediversion.—Tun'enasaiméaucune?—Non.—Maistuasaimétafemme.—Jelecroyais.Maintenant,jen'ensuisplustrèssûr.—Tuasdéjàaiméquelqu'un?—Monfils.—Quelâgea-t-il?—Huitans.Tuferaisunebonnejournaliste.Elleéclataderire.—Tuasvraimentdumalàsupporterlefaitquejenemerendepasutile,n'est-cepas?—Jepensequetugâchestescapacitésdanslaviequetumènes.—Ah,vraiment?Etcommentvoudrais-tulesmettreàprofit?Elles'avançaverslui.Lalunesereflétaitsursapeaupâle,formantuneombrebleuedanslecreuxde

soncou.Ellefitencoreunpasetbaissalavoix,mêmes'iln'yavaitpersonnepourlesentendre.—Qu'est-cequetum'asdittoutàl'heure,Anthony?«N'essaiepasdemesoigner?»—Pourquoileferais-je?Tum'asdittoi-mêmequetun'étaispasmalheureuse.Lesouffleluimanquait.Elleétaitsiprocheàprésent,sonregardcherchantlesien.Ilavaitl'impression

d'être soûl : ses sensétaientplusaiguisésqued'ordinaire, commesi l'imagedecette femme tentaitdes'imprimerdanssonesprit.Ilhumasonparfum,unefragranceflorale,orientale.—Jepensequeceque tum'as racontéce soir, c'estceque tuauraisdit àn'importe laquellede tes

femmesmariées.—Tutetrompes.Maisilsavaitqu'elleavaitraison.Ilfaisaittoutsonpossiblepournepaspressersabouchecontrela

sienne.Iln'avaitjamaisétéaussiexcitédetoutesavie.

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—Jepensequenouspourrionsnousrendreterriblementmalheureux.Alorsqu'elleprononçaitcesmots,ilsentitquelquechoses'effondreraufonddelui.—Jepensequeçameplairaitbeaucoup.

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JeresteenGrèce.JenerentrepasàLondresparcequetumefaispeur,maisdanslebonsensdu

terme.Unhommeàunefemme,parcartepostale

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Chapitre6

LES DEUX FEMMES TAPAIENT ENCORE AU CARREAU. JENNIFER LES APERCEVAIT DEPUIS LA FENÊTRE DE SACHAMBRE:unebruneetunerousseauxcheveuxenbataille,assisesderrièreunevitredupremierétaged'un immeubleaucoinde larue.Dèsqu'unhommepassaitdevant,elles tapaientà la fenêtre.Puis,s'ilavaitlabêtisedeleverlesyeux,ellesluifaisaientdepetitssignesensouriant.LeurprésencemettaitLaurenceenrage.Unpeuplustôtdansl'année,unprocèsavaitdéjàeulieupour

un cas similaire.Laurence affirmait que leur racolage,malgré sa discrétion, entachait la réputation duquartier.Ilnecomprenaitpaspourquoi,siellesenfreignaientlaloi,personnenebougeaitlepetitdoigtpourlesarrêter.Jennifer,quantàelle,nes'enformalisaitpas.Àsesyeux,lesdeuxfemmesétaientcommeemprisonnées

derrière leur vitre.Un jour, elle leur avaitmême fait signemais n'avait reçupour toute réponsequ'unregardabsentets'étaitempresséedes'éloigner.Endehorsdeça,savieavaitreprisunecertaineroutine.Lematin,elleseréveillaitenmêmetempsque

Laurence,luifaisaitsoncaféetsestoastsetallaitchercherlejournaldansl'entréependantqu'ilserasaitet s'habillait. Souvent, elle se levait même avant lui pour se coiffer et se maquiller afin de paraîtreséduisanteetsoignéepourlesraresoccasionsoùillevaitlesyeuxdesonjournaltandisqu'elles'affairaitdanslacuisineenrobedechambre.Ilétaitplusfaciledecommencerlajournéesanslevoirsoupirerenlaregardantd'unairirrité.Puis ilselevaitdetable, luipermettaitdel'aideràenfilersonpardessuset,peuaprès8heures,son

chauffeurvenaitfrapperquelquescoupsdiscretsàlaported'entrée.Elleluifaisaitdegrandssignesdelamainjusqu'àcequesavoituredisparaisseaucoindelarue.Dixminutesplustard,elleaccueillaitMmeCordoza.Puis,pendantquelavieillegouvernantepréparait

lethéenfaisantd'éventuellesremarquessurlefroiddel'hiver,Jenniferpréparaitlalistedestâchesdelajournée.Enplusdescorvéeshabituelles–l'aspirateur,lapoussièreetlalessive–,ilyavaitsouventunpeudecouture,unboutondemanchetteàrecoudreoudeschaussuresàcirer.ElledemandaitparfoisàMmeCordozadetrieretreplierlecontenuduplacardàlingeoudepolirlaménagèreenargent,assiseàlatabledelacuisine,enécoutantlaradio.Jennifer,pendantcetemps,prenaitsonbainets'habillait.Ellepouvaitensuiteallerfrapperàlaporte

voisinepourboireuncaféavecYvonne,emmenersamèreprendreundéjeunerlégerouhéleruntaxipourse rendre au centre-ville faire quelques achats deNoël.Elle s'arrangeait toujours pour être rentrée endébutd'après-midiettrouvaitalorsunenouvelletâchepourMmeCordoza:allerenbusacheterdutissuàrideauxoupartiràlarecherched'unevariétédepoissonqueLaurenceaimaitparticulièrement.Unjour,elleaccordamêmeunaprès-mididecongéàlagouvernante–touslesprétextesétaientbonspourpouvoirpasserquelquesheuresseuleàlamaisonetseconsacreràlarecherched'autreslettres.Danslesquinzejoursquiavaientsuiviladécouvertedelapremière,elleenavaitdénichédeuxautres.

Elles aussi étaient adressées àuneboîtepostalemais lui étaient clairementdestinées.C'était lamêmeécriture,lemêmestyledirectetpassionné.Lesmotséveillaientenelleunéchosouterrain.Ilsdécrivaientdesévénementsqui,bienqu'oubliés,trouvaientenelleuneprofonderésonance,commeunelourdecloche

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quivibreencorelongtempsaprèsavoircessédesonner.Aucunelettreneportaitd'autresignaturequece«B».Ellelesavaitluesetreluesjusqu'àcequeles

motsfussentgravésdanssonâme.Machèrepetite,Ilest4heuresdumatin.Jen'arrivepasàdormirensachantqu'ilvateretrouvercesoir.J'emprunte

lechemindelafolie,maisjerestecouchélààl'imagineraulitàtescôtés,libredetetoucher,deteserrercontrelui,etjeferaisn'importequoipourquecettelibertésoitmienne.Tuétaissiencolèrequandtum'assurprisChezAlberto,unverreà lamain.Tuasappeléçaune

faiblesse, et je crains quema réponse n'ait été impardonnable. Les hommes se blessent eux-mêmesquandilss'emportentet,aussicruelsetstupidesqu'aientétémesmots,tusaissansdoutequelestiensm'ontblessédavantage.Quandtuespartie,Felipem'atraitéd'imbécile,etilavaitraison.Jetedistoutçaparcequej'aibesoinquetusachesquejevaisdevenirunhommemeilleur.J'arrive

àpeineàcroireque je suisen traind'écrireune telleplatitude.Maisc'est lavérité.Tumedonnesenviededevenirunemeilleureversiondemoi-même.Jesuisrestéassislàpendantdesheuresdevantcettebouteilledewhisky.Etpuis,iln'yapascinqminutes,j'aifiniparmeleverpourlaviderdansl'évier.Jedeviendraiunemeilleurepersonnepourtoi,machérie.Jeveuxvivrecommeunhommebien,je veux que tu sois fière de moi. Si nous n'avons droit qu'à quelques heures, quelques minutesensemble,jeveuxpouvoirgraverlemoindredecesinstantsdansmamémoireavecunenettetéparfaitepourpouvoirm'ensouvenirdansdesmomentscommecelui-ci,quandmonâmeelle-mêmemesembles'assombrir.Resteprèsdeluisituledois,monamour,maisnel'aimepas.Degrâce,nel'aimepas.

Égoïstement,B.

Enlisantcesdernièreslignes,lesyeuxdeJennifers'étaientemplisdelarmes.Nel'aimepas.Degrâce,ne l'aime pas. À présent, tout devenait plus clair : elle n'avait pas créé de toutes pièces la distancequ'elleressentaitentreelle-mêmeetLaurence.C'étaitlaconséquencedirectedesonamourpourunautre.Ces lettresétaientpassionnées :cethommes'étaitouvertàellecommeLaurencen'enaurait jamaisétécapable. En relisant ses messages, elle avait la chair de poule et son cœur battait la chamade. Elleconnaissaitcesmots.Maispasl'histoirequiallaitavec.Sonespritbourdonnaitdequestions.L'aventureavait-elledurélongtemps?Était-ellerécente?Avait-

ellecouchéaveccethomme?Était-cepourcelaqu'ellesesentaitsipeuattiréeparsonmari?Et,plusmystérieuxquetout:quiétaitsonamant?Enquêted'indices,elleavaitdisséquéleslettresavecuneprécisionchirurgicale.Elleneconnaissait

personnedontlenomcommençaitparunB–hormisBilletlecomptabledesonmari,quiseprénommaitBernard,maiselle savait sans l'ombred'undoutequ'ellen'avait jamaisétéamoureusede l'und'eux.Bétait-ilvenulavoirà l'hôpital justeaprèssonaccident,quandlemondeluiapparaissaitencoreflouetindistinct?L'observait-ildeloin,àprésent?Attendait-ilqu'ellerenoueaveclui?Ilexistaitquelquepart.

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Ildétenaitlesréponsesàtoutessesquestions.Jouraprèsjour,elletentaitderevêtirsapersonnalitéd'avant,celled'unefemmequiavaitdessecrets.

Où l'ancienne Jennifer aurait-elle dissimulé ses lettres ?Elle en avait retrouvédeuxglissées entre lespagesd'unlivre,etuneautrepliéeavecsoindansunbasrouléenboule.Toutesétaientcachéesdansdesendroitsoùsonmarin'auraitjamaissongéàregarder.J'étaismaligne,songea-t-elle.Puis,unpeumoinsfière:J'étaissournoise.—Maman, demanda-t-elle un jour pendant le déjeuner, qui conduisait la voiture quand j'ai eumon

accident?MmeVerrinderavaitvivementlevélesyeuxdesonsandwich.Autourd'elles,lerestaurantétaitbondé

de clients encombrés de sacs de courses et de lourdsmanteaux d'hiver, et la salle résonnait de leursbavardagesetdubruitdescouverts.Ellejetaunrapidecoupd'œilauxalentoursavantdesetournerversJennifer,commesilaquestionétait

presquesubversive.—Machérie,a-t-onvraimentbesoindeparlerdeça?Jenniferbutunegorgéedethé.—C'estquejenesaispresqueriendecequis'estpassé.Çam'aideraitsijepouvaisremettreenplace

touteslespiècesdupuzzle.—Tuasfaillimourir.Jen'aipasenvied'yrepenser.—Maisqu'est-cequis'estpassé?Est-cequec'étaitmoiquiconduisais?Samèrebaissalesyeuxsursonassiette.—Jenem'ensouvienspas.—Etsijen'étaispasauvolant,qu'est-cequiestarrivéauconducteur?Sij'aiétéblessée,iladûl'être

aussi!—Jenesaispas.Commentlesaurais-je?Laurences'esttoujoursbienoccupédesonpersonnel,n'est-

cepas?J'imaginequ'iln'apasétégravementblessé:s'ilenavaiteubesoin,Laurenceluiauraitpayédessoins.Jennifer songea au chauffeur qui l'avait ramenée chez elle quand elle était sortie de l'hôpital : une

soixantained'années, l'air fatigué,uneélégantemoustacheetunecalvitie. Iln'avaitpaseu l'aird'avoirsouffertd'ungravetraumatisme–nid'avoirétésonamant.MmeVerrinderrepoussalesrestesdesonsandwich.—Pourquoineluiposes-tupaslaquestion?—Je le ferai, répondit-elleensachantpertinemmentqu'ellen'en ferait rien.Mais ilneveutpasque

j'essaiedemesouvenir.— Eh bien, je pense qu'il a parfaitement raison, ma chérie. Tu devrais peut-être te montrer plus

attentiveàsesconseils.—Maisest-cequetusaisoùj'allais?Samèresemblaitunpeunerveuse,exaspéréeparcetinterrogatoire.—Jen'enaiaucuneidée.Fairelesboutiques,probablement.Écoute,c'estarrivéprèsdeMarylebone

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Road.Jecroisquetuaspercutéunautobus.Ouqu'unautobust'apercutée.C'étaitsiterrible,Jennychérie,nousnenouspréoccupionsquedetonétatdesanté,conclut-elleenserrantleslèvres,indiquantàJenniferquelaconversationétaitclose.Dansuncoindurestaurant,unefemmeenveloppéed'unmanteauvertbouteilleregardaitdanslesyeux

unhommequiluicaressaitlevisageduboutdudoigt.SouslesyeuxdeJennifer,ellepritsoudainledoigtdesoncompagnonentresesdents.Devantl'intimitédésinvoltedecegeste,ellesentitcommeuncourantélectriqueluitraverserlecorps.Personned'autrenesemblaitavoirremarquélecouple.MmeVerrindersetamponnalaboucheavecsaserviette.—Enquoiest-ceimportant,machérie?Lesaccidentsdevoiture,çaarrivetouslesjours.Plusilya

de véhicules sur les routes, plus le danger est important. Je n'ai pas l'impression que la moitié despersonnes qui prennent le volant savent réellement conduire.Contrairement à ton père. Lui, aumoins,étaitunconducteurprudent.Jennifern'écoutaitpas.—Etpuismaintenanttuesguérie,n'est-cepas?Toutvabien?—Çava,réponditJenniferavecungrandsourire.Çavabien.Désormais, lorsque Jennifer sortait le soir avec Laurence, elle se surprenait à observer d'un œil

nouveau leurvastecercled'amisetdeconnaissances.Quand l'attentiond'unhommes'attardait sur elleplusquede raison,elle se trouvait incapabled'endétacher le regard.Était-ce lui?Yavait-il un senscachéderrièrecetteaimablesalutation?S'agissait-ild'unsourireentendu?Si « B » n'était qu'un surnom, il y avait trois hommes possibles. Le premier était Jack Amory, le

directeur d'une compagnie de pièces détachées automobiles, un célibataire qui lui baisait la main demanière ostentatoire à la moindre occasion. Mais il le faisait presque en adressant un clin d'œil àLaurence,sibienqueJennifernepouvaitdéterminers'ils'agissaitounond'uncoupdebluff.Il y avait ensuiteReggieCarpenter, le cousin d'Yvonne, qui se joignait parfois à eux pour le dîner.

C'étaitunjeunehommebrun,auregardfatiguémaispétillantd'humour.Jenniferauraitcrusonmystérieuxcorrespondantplusâgé,maisilétaitcharmant,drôle,etnemanquaitjamaisuneoccasiondes'asseoiràcôtéd'ellequandLaurencen'étaitpaslà.Etpuis,biensûr,ilyavaitBill.Bill,quiracontaitdesblaguescommesiellesn'étaientdestinéesqu'à

sonapprobation.Bill,quidéclaraitenriantqu'ill'adorait,mêmedevantViolet.Sessentimentspourelleétaientincontestables.Maispouvait-elleenavoireupourlui?Elle se mit à faire plus attention à son apparence. Elle se rendait régulièrement chez le coiffeur,

s'achetaitdenouvellesrobesetdevintplusbavarde–«Turedeviens toi-même», luiavaitditYvonned'unairapprobateur.Elles'étaitunpeucachéederrièresesamiesaucoursdespremièressemainesquiavaientsuivisonaccident,maiselleosaitàprésentposerdesquestions.Elle les interrogeaitpolimentmaisavecdétermination,cherchantlafaillequiluiapporteraitquelquesréponses.Detempsàautre,elleglissait des indices dans la conversation, demandant par exemple si quelqu'un voulait unwhisky, puisétudiaitlesvisagesdeshommesàlarecherched'unsignedereconnaissance.Malheureusement,Laurencen'était jamais loin, et elle sedoutaitbienquemêmesi sesallusionsétaientcomprises, sonamantétaitdansl'impossibilitédeluirépondre.

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SiLaurenceavaitremarquéuneintensitéparticulièredanssesconversationsavecleursamis,ilneluifitaucune remarque. Il luien faisait rarement. Ilne l'avaitpasapprochéeuneseule fois,physiquementparlant,depuislesoirdeleurdispute.Ilsemontraitpolimaisdistant.Ilrentraittardlesoiret,lorsqu'elleseréveillait,ilétaitdéjàparti.Plusieursfois,elleétaitpasséedevantlachambred'amisetavaitvudesdrapsfroissésluisignifiant,commeunreprochesilencieux,qu'ilavaitunefoisencorepassélanuitseul.Ellesavaitqu'elleauraitdû le regretterdavantage,maiselleavaitdeplusenplusbesoindese retirerdanssonpetitmondeparallèle,oùellepouvaitréinventersonhistoired'amourmythiqueetpassionnée,etsevoiraveclesyeuxdel'hommequil'adorait.Quelquepart,songeait-elle,Besttoujourslà.Àm'attendre.—Cesdocumentssontàsigner,etdescadeauxsontarrivéscematin.Ilyaunecaissedechampagnede

la part deCitroën, un panier garni des cimentiers de Peterborough et une boîte de chocolats de votrecomptable.Jesaisquevousn'aimezpasleschocolatsfourrés,doncjemedemandaissivousvoulezquejelesdistribuedanslesbureaux.Jesaisqu'ElsieMachzynskiaimetoutparticulièrementlesfondants.Illevaàpeinelesyeux.—Trèsbien.MoiracompritqueM.Stirlingn'avaitpaslatêteauxcadeauxdeNoël.—J'espèrequeçanevousdérangepas,poursuivit-elle,maisj'aiprisunpeud'avanceetj'aiorganisé

quelquespetitesbricolespourlasoiréedeNoël.Vousavezdécidédelafaireiciplutôtqu'aurestaurant,maintenantquelasociétés'esttellementagrandie,alorsj'aicommandéunpetitbuffetdetraiteur.—Bien.Quandlasoiréeaura-t-ellelieu?—Le23.Quandlajournéedetravailseraterminée.—D'accord.Pourquoisemblait-ilsipréoccupé?Simalheureux?Lesaffairesn'avaientjamaisétéaussiflorissantes.

Ilscroulaientsouslescommandes.Mêmeavecleresserrementducréditannoncédanstouslesjournaux,AcmeMineralandMiningaffichait l'undesbilans lespluspositifsdupays. Ilsn'avaientplus reçudelettrescalomnieusesdepuisplusieurssemaines,etcellesdumoisprécédentétaient toujours rangéesaufonddesontiroir,sansqueM.Stirlingenaitprisconnaissance.—Jemesuisaussiditquevousaimeriez…Unbruitlefitsoudainleverlesyeux.Moiraseretourna,inquiète,pourvoirdequoiils'agissait.Elle

était là, dans les bureaux, coiffée d'un petit chapeau rouge de la teinte exacte de ses chaussures, lescheveux parfaitement arrangés en souples vaguelettes blondes. Que faisait-elle ici ?Mme Stirling necessaitderegarderautourd'elle,semblantchercherquelqu'un.M.Stevens, lecomptable,s'avançaversellepourluiserrerlamain.Ilséchangèrentquelquesmotsetsetournèrentdel'autrecôtédelasalle,oùelle-mêmesetrouvaitavecM.Stirling.L'épousedecedernierlevalamainpourlessaluer.Moirasetapotalescheveux.Certainesfemmessemblaienttoujourstoutdroitsortiesdespagesglacées

d'un magazine de mode, et Jennifer Stirling en faisait partie. Moira n'en avait que faire : elle avaittoujourspréféréseconcentrersursontravail,surdesobjectifsautrementplusimportants.Maislorsquecettefemmeentradanslebureau,lapeaurosieparlefroiddudehors,deuxsuperbesdiamantsscintillantàsesoreilles,iln'enfutpasmoinsdifficiledenepassesentirlégèrementinsipideencomparaison.Elle

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ressemblaitàuncadeaudeNoëlparfaitementemballé,unbibelotétincelant.—MadameStirling,saluapolimentMoira.—Bonjour.—Quelleagréablesurprise!M.Stirlingselevapourl'accueillir,unpeumaladroitmaispeut-êtresecrètementravi,commeungamin

malaiméquisefaitapprocherparlaplusjoliefilledel'école.—Voulez-vousquejevouslaisse?demandaMoira,malàl'aise.J'aiquelquesdossiersà…—Ohnon,nepartezsurtoutpaspourmoi!Jen'enaiquepouruneminute.Jepassaisdanslequartier,

poursuivit-elleense tournantvers sonmari, et jevoulais tedemander si tu risquaisde rentrer tardcesoir.Sioui,j'envisageaisdepasserchezlesHarrison.Ilsfontduvinchaud.—Je…Oui,tupeux.Jeteretrouvelà-bassijefinisplustôt.—Formidable.Elledégageaitl'odeurdélicated'unparfumdeNinaRicci.Moiraavaitessayélemêmequelquesjours

auparavantdansunegrandesurface,maisellel'avaittrouvéunpeucher.Àprésent,elleregrettaitdenepasl'avoiracheté.—J'essaieraidenepasfinirtroptard.MmeStirlingn'avaitpasl'airpresséedepartir.Ellese tenait toujoursfaceàsonmarimaissemblait

plusintéresséeparlesautreshommesassisàleurpostedetravail.Ellelesobservait,l'airattentif,commesiellelesvoyaitpourlatoutepremièrefois.—Çafaisaitlongtempsquetun'étaispasvenue,fit-ilremarquer.—Oui,répondit-elle.Sansdoute.Ilyeutunbrefsilence.—Oh,dit-ellebrusquement.Comments'appellentteschauffeurs?Ilfronçalessourcils.—Meschauffeurs?—Jemesuisditqueçateferaitplaisirsij'offraisàchacununpetitcadeaudeNoël,expliqua-t-elle

avecunlégerhaussementd'épaules.Laperplexitéselutsurlevisagedesonépoux.—UncadeaudeNoël ?Ehbien, c'estEric qui a le plus d'ancienneté. Je lui offre unebouteille de

cognacchaqueannéedepuisvingtans.Simonleremplaceàl'occasion.Ilneboitpasd'alcool,doncjeluimetsunpetitextradanssapaiededécembre.Jenepensepasquecesoitunechosedonttuaiesbesoindet'occuper.MmeStirlingsemblaitétrangementdéçue.—C'estquej'aimeraisaiderunpeu…Jevaisacheterlecognac,déclara-t-elleenfinenserrantcontre

ellesonsacàmain.—C'esttrès…prévenantdetapart.L'attentiondeMmeStirlingdéviaverslesbureauxavantdesereportersureux.—Bon,reprit-elle,j'imaginequevousêtesterriblementdébordés.Commejevousl'aidit,jenefaisais

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quepasser.Cefutunplaisirdevousvoir…euh…Sonsourirevacilla.—Moira,intervintM.Stirlingquandlesilencedevintinsupportable.—Oui.Moira.Biensûr.Cefutunplaisirdevousrevoir.—Jereviens,ditM.Stirlingenescortantsafemmeverslasortie.Moiralesregardaéchangerquelquesmots,puis,aprèsunpetitsignedesamaingantée,MmeStirling

tournalestalons.Lasecrétaireprituneprofondeinspiration,tentantderavalersacontrariété.M.Stirlingrestaimmobile

devantlaportedel'ascenseurtandisquesafemmequittaitlebâtiment.Avantdesavoirelle-mêmecequ'ellefaisait,Moiraquittalebureaudesonpatronetseglissaversle

sien.Ellesortituneclédesapocheetdéverrouillaun tiroir, fourrageantparmi lesdiversélémentsdecorrespondancejusqu'àtrouvercequ'ellecherchait.EllefutderetourdanslebureaudeM.Stirlingavantlui.Ilfermalaportederrièreluienjetantundernierregardàtraverslacloisonvitrée,commes'ilespérait

voirsafemmerevenir.Ilsemblaits'êtreadouci.—Donc,dit-ilens'asseyant,unpetitsourireauxlèvres,vousmeparliezdelasoiréedeNoël.Vous

avezprévuquelquechose.Ellepeinaitàrespireretdutavalersasaliveavantdepouvoirs'exprimernormalement.—Enfait,monsieurStirling,ilyaautrechose.Ilvenaitdesortirunelettre,prêtàlasigner.—Pasdeproblème.Dequois'agit-il?—C'estarrivéilyadeuxjours,dit-elleenluitendantuneenveloppeàl'adressemanuscrite.Àlaboîte

postaledontvousm'avezparlé.Devantlesilencedesonpatron,elleajouta:—J'aisurveillélecourrier,commevousmel'avezdemandé.Ilregardafixementl'enveloppe,puislevalesyeuxverssasecrétaire.Ildevintaussitôtpâlecommela

mortetellecrutqu'ilallaits'évanouir.—Vousêtessûre?Cen'estpaspossible.—Maisc'est…—Vousavezdûvoustromperdenuméro.— Je vous assure que c'était la bonne boîte postale ! Numéro 13. Je me suis servie du nom de

MmeStirling,commevousmel'avez…suggéré.Ildéchiral'enveloppeetsepenchasursonbureaupourlirelesquelqueslignesdumessage.Moiraresta

deboutdel'autrecôté,désireusedenepasparaîtretropcurieuse,conscientequel'atmosphèredelapièceétaitsubitementdevenuepesante.Elleredoutaitdéjàcequ'ellevenaitdedéclencher.Lorsqu'ilrelevalatête,ilsemblaitavoirvieillideplusieursannées.Ils'éclaircitlagorge,puisfroissa

la feuille de papier dans son poing et la jeta d'un geste rageur dans la corbeille sous son bureau.L'expressiondesonvisageétaitféroce.

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—Laposteavaitdûl'égarer.Personnenedoitsavoir.Vousm'entendez?Ellereculad'unpas.—Oui,monsieurStirling.Biensûr.—Etfermez-moicetteboîtepostale.—Maintenant?J'aitoujoursmonrapportà…—Cetaprès-midi.Faitestoutcequevousavezàfaire.Maisfermezcetteboîte.Vouscomprenez?—Oui,monsieurStirling.Elleglissasondossiersoussonbrasetsortitdubureau.Ellepritsonsacàmainetsonmanteau,prêteà

serendreaubureaudeposte.Audépart,Jenniferavaitprévuderentrerchezelle.Elleétaitfatiguée,l'incursionsurlelieudetravail

desonmariavaitétéinfructueuseetlapluieavaitcommencéàtomber,faisantcourirlespiétons,lecolrelevéetlatêteenfoncéedanslesépaules.Mais,deboutsurlesmarchesdel'immeubledebureaux,ellen'avaitpuserésoudreàregagnerlamaisonsilencieuse.Elledescenditdutrottoirethélauntaxi,faisantdegrandssignesjusqu'àvoirunelumièrejaunefaireun

écartdanssadirection.Ellegrimpaàbord,chassant lesgouttesdepluiequis'étaientécraséessursonmanteaurouge.—Connaissez-vousunendroitquis'appelleAlberto's?demanda-t-ellelorsquelechauffeursetourna

verselle.—C'estdansquelquartierdeLondres?—Jesuisdésolée,jen'enaiaucuneidée.Jemesuisditquevouspourriezsavoir.Ilfronçalessourcils.—IlyaunclubdecenomàMayfair.Jepeuxvousyemmener,maisjenesuispassûrqu'ilsoitouvert.—Trèsbien,dit-elleens'installantconfortablementsurlabanquette.Letrajetneduraqu'unequinzainedeminutes.Puisletaxis'arrêtaetlechauffeurluimontral'autrecôté

delarue.—C'estleseulAlberto'squejeconnaisse,déclara-t-il.Jenesuispassûrquecesoitunendroitpour

vous,madame.Elleessuyadesamanchelabuéequicouvrait lavitreet jetauncoupd'œil.Unebarrièremétallique

entourait une entrée en sous-sol dont les marches disparaissaient hors de son champ de vision. Uneenseignefatiguéeportaitlenomduclub,etdeuxifsdépenaillésgardaientlaporte,plantésdansdegrandspots.—Vouspensezquec'estlebonendroit?demandalechauffeur.Elleparvintàsourire.—Ehbien,répondit-elle,jenevaispastarderàledécouvrir.Elle paya la course et se retrouva seule, dans le crachin, debout sur le trottoir. La porte était

entrebâillée, maintenue ouverte par une poubelle. En entrant, Jennifer fut assaillie par des relentsd'alcool, de tabac froid, de sueur et deparfumbonmarché.Elle attendit que ses yeux s'habituent à la

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pénombre. À sa gauche, il y avait un vestiaire laissé sans surveillance, une bouteille de bière et untrousseau de clés posés sur le comptoir. Elle suivit un couloir étroit, poussa une porte battante et seretrouva dans une grande salle vide, les chaises empilées sur des tables rondes disposées devant unepetite scène.Allant et venant entre les tables, une vieille femme traînait un aspirateur enmarmonnantentresesdentsd'unairdésapprobateur.Unbaroccupaittoutlemurdufond.Derrière,unefemmefumaitunecigaretteendiscutantavecunhommequigarnissaitdebouteilleslesétagèresilluminées.—Deuxsecondes,ditlafemmeenapercevantJennifer.Jepeuxt'aider,majolie?Jennifersesentitjaugéeparunregardvaguementhostile.—Vousêtesouverts?—Est-cequ'onenal'air?Elleserrasonsacàmaincontresonventre,soudainintimidée.—Jesuisdésolée.Jereviendraiplustard.—Vouscherchezquelqu'un,mapetitedame?demandal'hommeenseredressant.Ilavaitlescheveuxnoirs,lissésenarrière,etlevisagepâleetbouffid'ungrandconsommateurd'alcool

nevoyantpassouventlalumièredujour.Elleledévisageauninstant,incapabledediresicethommeluiétaitfamilier.—Est-ceque…est-cequevousm'avezdéjàvueici?demanda-t-elle.Ilparutvaguementamusé.—Passivousditeslecontraire.—Ici,onn'estpastrèsphysionomistes,surenchéritlafemmeeninclinantlatête.Jenniferavançadequelquespasverslebar.—Connaissez-vousunhommedunomdeFelipe?—Vousêtesqui?demandalafemme.—Je…peuimporte.—Qu'est-cequevousvoulezàFelipe?Leursvisagess'étaientdurcis.—Nousavonsunamicommun,expliqua-t-elle.—AlorsvotreamiadûvousdirequeFelipen'estpasdugenrefacileàtrouver.Ellesemorditlalèvre,sedemandantcequ'ellepouvaitdévoilerdesonhistoire.—Noscontactsnesontpastrès…—Ilestmort,mapetitedame.—Quoi?—Felipe.Mort.Ilyaunnouveaupatron,ici.DestasdegenssontvenusnousraconterqueFelipeleur

devaitciouça,alorsj'aimeautantvousdirequevousn'obtiendrezriendemoi.—Jenesuispasvenuepour…—ÀmoinsdememontrerlasignaturedeFelipesurunereconnaissancededette,vousn'aurezrien.Lafemmeregardaitàprésentsesvêtementsetsesbijouxavecunsouriresuffisant,commesielles'était

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faituneidéetrèsprécisedecepourquoiJenniferétaitlà.—Safamillehéritedesesbiens.Oudecequ'ilenreste.Ycomprissafemme,précisa-t-elled'unton

acerbe.— Je n'ai rien à voir personnellement avec ce Felipe, rétorqua Jennifer d'un air guindé. Je vous

présentemescondoléances.Puis,aussivitequepossible,ellesortitduclubetremontalesmarchesverslalumièregrisedujour.Moirafouillaparmilesboîtesdedécorationsjusqu'àytrouvercequ'ellecherchait,puis triaetétala

leur contenu.Elle fixa deux guirlandes autour de chaque porte, puis s'assit à son bureau pendant prèsd'une demi-heure pour recoller les guirlandes de papier qui s'étaient défaites pendant l'année et lesscotchaau-dessusdesbureaux.Auxmurs,ellepunaisadesmorceauxdeficelleauxquelsellesuspenditles cartes de vœux de leurs partenaires commerciaux. Enfin, elle entoura les appliques de filsd'aluminiumscintillants,s'assurantqueceux-cin'étaientpasassezprochesdesampoulespourrisquerdeprovoquerunincendie.Dehors,leciels'étaitassombrietleslampesàsodiums'étaientpeuàpeualluméessurtoutelalongueur

de la rue. Progressivement, dans le même ordre que tous les autres jours, le personnel des bureauxlondoniensd'AcmeMineral andMining quitta le bâtiment.D'abord Phyllis et Elsie, les dactylos, quipartaient toujoursà17heurestapantesmalgréunsensdelaponctualitébienmoinsdéveloppéquandils'agissaitd'arriverlematin.PuisDavidMoreton,uncomptable,suivideprèsparStevens,quiseretiraitau bar du coin pour se payer quelques bons verres de whisky avant de rentrer chez lui. Les autrespartaientenpetitsgroupes,emmitouflésdansleursécharpesetleursmanteaux,certainsluifaisantunpetitsigneenpassantdevantlebureaudeM.Stirling.FelicityHarewood,lachargéedupersonnel,prenaitlemêmebusqueMoiramaisne luiavaitpasuneseule foisproposéde faire la routeavecelle.LorsqueFelicityavaitétéembauchée,aumoisdemai,Moiras'étaitréjouieàl'idéed'avoirquelqu'unàquiparlersur le trajet du retour, une femme avec qui elle pourrait échanger des recettes de cuisine ou descommentaires sur les événements de la journée dans la foule et la confusion du bus 274.Malheureusement,Felicitypartaittouslessoirssansjeterunregardenarrière.LaseulefoisoùMoiraetsacollègues'étaientretrouvéesdanslemêmebus,cettedernièreavaitgardélatêtefourréedansunlivrede poche durant la plus grande partie du trajet,même siMoira était presque sûre que Felicity savaitpertinemmentqu'elleétaitassiseàpeinedeuxsiègesderrièreelle.M.Stirlingpartità18h45.Ils'étaitmontrédistraitetimpatientpendanttoutl'après-midi,téléphonant

augérantde l'usinepour l'admonesterausujetdes tauxd'absentéismeetannulantuneréunionprévueà16heures.LorsqueMoiraétaitrevenuedubureaudeposte,illuiavaitjetéunregardfurtif,commepours'assurerqu'elleavaitaccomplisamission,puiss'étaitremisautravail.Moirapoussadeuxbureauxvacantscontreunmurdelasalle,nonloindelacomptabilité.Elleyétendit

desnappesdefête,surlesquellesellepunaisaquelquesbrinsdeguirlande.Dansdixjours,songea-t-elle,cestablesaccueilleraientlebuffet;enattendant,elleétaitbiencontented'avoirunendroitoùposerlescadeaux des fournisseurs et la boîte à lettres en carton où l'équipe était censée déposer ses cartes devœux.Lorsqu'elleeutterminé,ilétaitprèsde20heures.Moiraparcourutdesyeuxlesbureauxdéserts,que

seseffortsavaientrendusfestifsetchaleureux,puislissasajupeetselaissaalleràimaginerl'expression

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deplaisirqu'ellepourraitliresurlevisagedesescollèguesquandilspasseraientlaportelelendemainmatin.Elleneseraitpaspayéepourcesheuressupplémentaires,maisc'étaientlespetitsgestesquifaisaient

toute ladifférence.Lesautressecrétairesnese rendaientpascompteque le travaild'uneassistantededirection ne se limitait pas à taper à la machine la correspondance du patron et à s'assurer que lesdossiersétaientenordre.C'étaitunrôlebienplusimportant.Ilnes'agissaitpasseulementdes'assurerquetoutfonctionnaitselonunemécaniquebienhuilée,maisaussidefaireensortequelesemployésaientlesentimentdefairepartied'unefamille.Uneboîteàcartesdevœuxetquelquesjoliesdécorations,voilàcequifinissaitparsouderuneéquipeetparfairedubureauunendroitoùonavaithâted'arriver.LepetitsapindeNoëlqu'elleavaitinstallédansuncoinsemblaitplusàsaplaceiciquechezelle,oùil

n'yavaitplusqu'ellepourenprofiter.Ici,aumoins,beaucoupdegenspouvaientlevoiretl'apprécier.Etsiquelqu'unfaisaituneremarquesurlesravissantesboulesornéesdecristauxdeglaceoul'adorablepetitangeperchéàsonsommet,elleluidiraittranquillement,commesiçavenaitdeluitraverserl'esprit,quecesdécorationsavaientétélespréféréesdesamère.Moiraenfilasonmanteau.Elleressemblasesaffaires,nouasonécharpeetalignasoigneusementson

styloetsoncrayonsursonbureau,prêtspourlelendemain.Elleallajusqu'aubureaudeM.Stirling,sontrousseauàlamain,pourverrouillerlaporte,mais,aprèsuneseconded'hésitation,elleseglissadanslapièceets'approchadelacorbeilleàpapier.Elle retrouva la lettremanuscriteenun instant.Ellehésitaàpeineavantde la ramasser.Puis, après

avoirdenouveauvérifiéàtraverslacloisondeverrequ'elleétaitbienseule,ellelissalepapiersurlebureauetcommençaàlire.Puisellerelut.Dehors,uneclochesonna20heures.Effarouchéeparlebruit,Moiraquittalebureau,posalacorbeille

à l'extérieurà l'intentionde la femmedeménageetverrouilla laporte.Elleplaça la lettreau fonddutiroirdesonbureau,lefermaàcléetglissaletrousseaudanssapoche.Pourunefois,letrajetduretourluisemblatrèscourt.MoiraParkeravaitdequoiméditer.

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J'apprécie ce que tu m'as dit. Mais j'espère que, quand tu liras cette lettre, tu comprendras la

magnanimité[sic]demonremordsetdemesregretspourlafaçondontjet'aitraitéeetlavoiequej'aichoisiedeprendreMarelationavecMestvouéeàl'échecetl'atoujoursété.Jeregretted'avoirmistroisansàmerendrecomptequecequiavaitcommencécommeuneamourettedevacancesauraitdûresteruneamourettedevacances.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitre7

ILSSERETROUVAIENTTOUSLES JOURSPOURS'ASSEOIRAUXTERRASSESDESCAFÉS INONDÉESDESOLEILOUparcourir les collines desséchées dans sa petite Daimler, pique-niquant dans des endroits qu'ilschoisissaientauhasard,sanss'inquiéterderien.ElleluiparlaitdesonenfancedansleHampshire,desbeauxquartiersdeLondres,desponeys,del'internat,ducocondouilletquiavaitétélesienjusqu'àsonmariage.Elleluiracontacomment,dèsl'âgededouzeans,elles'étaitsentieétouffer.Elleavaitbesoindevoirplusgrand,etavaitétédéçueencomprenantquelesvastesétenduesdelaCôted'Azurrecelaientuncerclesocialtoutaussiétriquéetpolicéqueceluiqu'ellevenaitdequitter.Elle lui racontaqu'elle était tombéeamoureuse, àquinzeans,d'ungarçonduvillage.Quand il avait

découvert leur relation, son père l'avait emmenée dans une annexe pour la fouetter avec une paire debretelles.—Pourêtretombéeamoureuse?Commeelleavaitracontél'histoired'untonléger,ilessayaitdenepasmontreràquelpointilenétait

perturbé.—Pourêtretombéeamoureused'ungarçonquin'étaitpasfaitpourmoi.Oh,jesupposequem'élever

n'apasétédetoutrepos.Ilsm'ontditquej'allaisjeterledéshonneursurlafamille.Quejen'avaisaucunsensmoraletque,sijen'yprenaispasgarde,aucunhommedignedecenomnevoudraitm'épouser.Biensûr,ajouta-t-elleavecunpetitrireamer,monpèreentretenaitunemaîtressedepuisdesannées,maisça,cen'étaitpasdutoutlamêmechose.—EtpuisLaurenceestarrivé.—Oui,dit-elleavecunsouriremalicieux.Quellechancej'aieue,n'est-cepas?Il lui raconta savieà la façondecesgensquiconfient leurs secrets lesplusenfouisàd'éphémères

compagnonsdevoyage,audétourd'unwagon:uneintimitélégèreetfranche,reposantsurl'accordtacitequ'ils avaient peu de chances de se revoir un jour. Il lui parla de samission de trois ans en tant quecorrespondantenAfriquecentralepourlaNation:audébut,ilavaitétéheureuxd'échapperaudésastredesonmariage,maisilavaitomisderevêtirl'armurenécessairepoursupporterlesatrocitésdontilavaitété témoin. Au Congo, des milliers de personnes avaient trouvé la mort dans la marche versl'indépendance. Il avait fini par passer toutes ses soirées au Club des correspondants étrangers deLéopoldville, noyant sa douleur dans le whisky ou, pire encore, le vin de palme, jusqu'à ce que lacombinaisondeshorreursqu'ilavaitvuesetd'unaccèsdefièvrejauneeûtpresqueeuraisondelui.— J'ai fait une sorte de dépression nerveuse, expliqua-t-il en tentant d'imiter le ton léger de son

interlocutrice. Évidemment, personne n'a eu l'impolitesse d'appeler ça comme ça. Ils font porter lechapeauàlafièvrejauneetmesupplientdenepasremettrelespiedsenAfrique.—PauvreBoot.— Oui. Pauvre de moi. Surtout que ça donne à mon ex-femme une nouvelle bonne raison de

m'empêcherdevoirmonfils.—Etmoiquipensaisquecen'étaitqu'unepetiteaffaired'infidélitéensérie!Jesuisdésolée,ajouta-t-

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elleenposantlamainsurlasienne.Jetetaquine.Jenevoulaispasterépondreparunebanalité.—Est-cequejet'ennuie?—Non,aucontraire.Jen'aipasl'habitudedepasserdutempsavecunhommequiavraimentenviede

discuteravecmoi.Ilnebuvaitpasd'alcoolensacompagnie,etcelaneluimanquaitplus.Ledéfiqu'ellereprésentaitétait

unbonsubstitutà l'ivresse,et il avaitbesoindecontrôler l'imagequ'il renvoyaitensaprésence. Ilnes'étaitquetrèspeuconfiédepuissonséjourenAfrique,effrayéàl'idéedecequ'ilpourraitrévéler,desfaiblessesqu'ilpourraitexposer,maisilsedécouvraitàprésentunenouvellevolontédeparler.Ilaimaitla façon dont elle le regardait, comme si rien de ce qu'il dirait ne pourrait changer fondamentalementl'opinionqu'elleavaitdelui,commesiriendecequ'illuiconfiaitneseraitplustardutilisécontrelui.—Qu'est-cequiarriveauxancienscorrespondantsquandilssesontlassésdesconflits?demanda-t-

elle.—Ilss'installentdanslesrecoinssombresdelasallederédactionetennuienttoutlemondeavecles

récitsdeleursjoursdegloire.Oubienilsrestentsurleterrainjusqu'àsefairetuer.—Ettoi,tuterangesdansquellecatégorie?—Jenesaispas,répondit-ilencroisantsonregard.Jenemesuispasencorelassédesconflits.Il se laissadoucementhapperpar le rythme tranquillede laCôted'Azur : les longsdîners, le temps

passé en extérieur, les discussions interminables avec des personnes qu'il connaissait à peine. Aprèsn'avoir été que l'ombre de lui-même, il avait commencé à faire de longues marches au petit matin,profitantdel'airmarinetdessalutationsamicalesdegensquin'étaientpasrendusgrincheuxparlagueuledeboisoulemanquedesommeil.Ilsesentaitbiendanssapeaupourlapremièrefoisdepuisplusieursannées.IlignoralestélégrammesdeDon,quilemenaçaientdefunestesconséquencess'ilneluienvoyaitpastrèsviteundossierutilisable.—Tun'aspasaimémonportraitdeStirling?avait-ildemandé.—C'étaittrèsbien,maisonl'apubliémardi!Lecomptableveutsavoirpourquoituenvoiestoujours

desnotesdefraisquatrejoursaprèsl'avoirécrit.Jenniferl'emmenaenviréeàMonte-Carlo,prenantsurlesroutesdemontagnedesviragesvertigineux

tandisqu'ilregardaitsesmainsfinesetnerveusesserréessurlevolant,s'imaginantglisserchaquedoigtdanssaboucheavecrévérence.Ellel'emmenaaucasino,oùiléprouvaunsentimentdetoute-puissancelorsque les quelques sous qu'il avait en poche se changèrent en un gain substantiel à la roulette. Ellemangeadesmoulesdansuncaféenborddemer,lesarrachantdeleurcoquilleavecunetelledélicatessemêléede cruauté qu'il en resta sans voix.Elle s'était si bien insinuéedans son esprit, absorbant toutepenséelucide,quenonseulementilnepouvaitpluspenseràautrechose,maisqu'enplusiln'enavaitpaslamoindreenvie.Durantsesheuresdesolitude, il imaginaitmilleetune issuespossibles.Celafaisaitbienlongtempsqu'ilnes'étaitpassentiaussipréoccupéparunefemme,etcetteidéel'émerveillait.Elleétaitunoiseaurare,véritablementinaccessible.Ilauraitdûabandonnerdepuisdesjours,maisson

pouls s'accélérait chaque foisqu'onglissaitunnouveaupetitmot sous saporte, luiproposantdevenirboireunverreauPiazzaoudepartirenbaladeàMenton…Quelmalcelapouvait-ilfaire?Ilavaittrenteansetnesesouvenaitpasdeladernièrefoisoùilavait

autant ri. Pourquoi ne pourrait-il pas profiter, aumoins pour un instant, de cette gaieté que les autres

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prenaientpouracquise?Lasituationétaitsiéloignéedesonquotidienqu'elleluisemblaitirréelle.Cefutlevendredisoirqu'ilreçutletélégrammequ'ilattendaitetredoutaitdepuisdesjours:sonbillet

detrainpourLondresavaitétéréservépourlelendemain,etilétaitattenduaujournallelundimatin.Enlisant lemessage, il éprouva un certain soulagement : sa relation avec Jennifer Stirling était devenueétrangementdéstabilisante.Entempsnormal,iln'auraitjamaisconsacrétantdetempsetd'énergieàunefemmedontlapassionàsonégardn'étaitpasunefincourued'avance.Laperspectivedenepluslavoirétait certes contrariante, mais une partie de lui voulait revenir à ses vieilles routines, redécouvrir lapersonnequ'ilétaitréellement.Ilsortitsavaliseduplacardet laposasursonlit. Ilallait fairesesbagages,puis il luienverraitun

messagepourlaremercier,suggérantquesijamaisellevoulaitdéjeuneravecluiàLondres,ellepourraittoujoursluitéléphoner.Siellechoisissaitdelecontacterlà-bas,loindelamagiedecetendroit,peut-êtredeviendrait-ellecommetouteslesautres:unedistractionpurementphysique.Alorsqu'ilrangeaitseschaussuresdanssavalise,ilreçutunappelduconcierge.Unefemmel'attendait

àlaréception.—Uneblonde?—Oui,monsieur.—Pourriez-vousmelapasserautéléphone?Ilentenditquelquesmotsenfrançais,puissavoix,unpeuhorsd'haleine,hésitante:—C'estJennifer.Jemedemandaisjuste…situavaisunpetitmomentpourboireunverre.—J'enseraisravi,maisjenesuispastoutàfaitprêt.Tuveuxbienmonterm'attendre?Il rangea sa chambre à la hâte, poussant sous le lit ses affaires éparpillées. Il plaça une feuille de

papierdanssamachineàécrire,commes'ilétaitentraindetravaillersurl'articlequ'ilavaitenvoyéuneheure auparavant. Enfin, il enfila une chemise propre,même s'il n'avait pas le temps de la boutonner.Lorsqu'onfrappadoucementàlaporte,ilouvrit.—Quellecharmantesurprise,dit-il.J'étaisentraindeterminerquelquechose,maisentredonc.Ellerestadeboutdanslecouloir,unpeugênée.Apercevantsontorsenu,elledétournalesyeux.—Tupréfèrespeut-êtrequej'attendeenbas?—Non.Jet'enprie.Jen'enaiquepourquelquesminutes.Elleentraets'avançaaucentredelapièce.Elleportaitunerobecouleurd'orpâle,sansmanches,avec

uncolmandarin.Elleavait lesépaules légèrementrosies làoùlesoleil l'avaitfrappéependantqu'elleconduisait.Sescheveuxretombaientencascadesursesépaules,unpeuébouriffésparlevent,commesielleavaitdûfairelarouteauplusvite.Elleposa lesyeuxsur le litcouvertdeblocs-notes,puissur lavaliseàmoitiépleine.L'espaced'un

instant,ilsfurentintimidésparlapromiscuitédelasituation.Jenniferserepritlapremière.—Tuasl'intentiondem'offriràboire?—Désolé.C'esttrèsimpolidemapart.Ilappelalaréceptionpourcommanderungin-tonic,quiarrivaquelquesminutesplustard.—Oùest-cequ'onva?demanda-t-il.—Commentça?

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—Est-cequej'ailetempsdemeraser?poursuivit-ilenpassantdanslasalledebains.—Biensûr.Vas-y.Il l'avait fait volontairement, songea-t-il après coup. Il l'avait sciemment rendue complice de cette

intimité forcée. Il avaitmeilleuremine : il n'avait plus ce teint jaunâtre etmaladif, et lesmarques defatiguesoussesyeuxavaientdisparu.Ilfitcoulerl'eauchaudeetl'observadiscrètementdanslemiroirtoutensesavonnantlementon.Ellesemblaitdistraite,préoccupée.Tandisquelerasoirluiraclaitlapeau,il lavoyaitfairelescent

pascommeunebêteencage.—Toutvabien?demanda-t-ilenrinçantlalamesousl'eau.—Çava.Elleavaitdéjàbulamoitiédugin-tonicets'enversaunautreverre.Ilfinitdeseraser,s'essuyalevisageets'aspergeadel'after-shavequ'ils'étaitachetéàlapharmacie–

unelotionàl'odeurâcre,avecdesnotesd'agrumeetderomarin.Ilfermasachemiseetajustasoncoldevant le miroir. Il aimait cet instant où convergeaient désir et potentialité. Il se sentait étrangementtriomphant. Il sortitde la salledebainset retrouva Jennifer sur lebalcon.Leciel s'assombrissait, leslumièresdufrontdemers'embrasantdanslecrépuscule.Jennifertenaitsonverredansunemain,l'autrebrasposéd'unemanièreunpeudéfensiveentraversdesataille.Ilfitunpasverselle.—J'aioubliédetedireàquelpointtuesbelle,déclara-t-il.J'aimecettecouleursurtoi.C'est…—Larryrevientdemain.Elles'écartadubalconetseplantadevantlui.—J'aireçuuntélégrammecetaprès-midi.OnrentreàLondresmardi.—Jevois.Elleavaitsurlebrasunlégerduvetblond,quefaisaitfrémirlabrisemarine.Ellelevalesyeuxetplongeasonregarddanslesien.—Jenesuispasmalheureuse,dit-elle.—Jesais.Elleétudiaitsonvisage,unplisérieuxbarrantsonjolifront.Ellesemorditlalèvre,puisluitournale

dosetrestaimmobile.—Leboutonduhaut,fit-elle.—Pardon?—Jenepeuxpasledéfairemoi-même.Quelquechoses'embrasaenlui.Illeressentitpresquecommeunsoulagement:lafemmedontilavait

tantrêvé,qu'ilavaitinvoquéelanuitdanscelit,allaitenfinêtresienne.Sadistance,sarésistance,avaitétésur lepointde lebriser. Ilavaitbesoindecette libération,desesentirépuisé, ladouleurdudésirperpétuelenfinapaisée.Il lui reprit son verre, et elle souleva les cheveux qui lui masquaient la nuque. Obéissant à ses

instructions silencieuses, il leva lesmains vers son cou. Ses doigts, d'habitude si assurés, semblaienthésitants,gourdsetmaladroits.Illesregardabatailler,commes'ilsneluiappartenaientpas,pourdéfaireleboutoncouvertdesoie.Quandenfinilyparvint,ilvitquesesmainstremblaient.Ilsefigeaetposales

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yeuxsursoncou:àprésentdénudé,ilétaitlégèrementpenchéenavant,commepouruneprière.Ilvoulaity poser les lèvres, croyant déjà sentir le goût de cette peaupâle et couverte de taches de rousseur. Ill'effleuraduboutdupouce,tendrement,savourantàl'avancelesplaisirsàvenir.Ellehaletalégèrement,silégèrementqu'illesentitplusqu'ilnel'entendit.Quelquechoseenluis'éteignit.Ilcontempla leduvetmarquant la ligneoù lescheveuxdorésdeJennifer rencontraient lapeaudesa

nuque,etlesdoigtsmincesquilesretenaienttoujours.Ilsutalors,avecunedésespérantecertitude,cequiallaitarriver.AnthonyO'Harefermalesyeuxtrèsfort.Puis,avecuneexquiselenteur,luirefermasarobeetrecula

d'unpas.Elle hésita, comme si elle essayait de comprendre ce qu'il venait de faire, remarquant peut-être

l'absencedesapeaucontrelasienne.Puisellese retourna, lamainposéesur lanuque,comprenantpleinementcequivenaitdesepasser.

Ellel'interrogeaduregard,puisrougit.—Jesuisdésolé,commença-t-il,maisje…jenepeuxpas.—Oh…Elletressaillit.Samainseplaquasursabouche,etuneviverougeurserépanditsursoncou.—Pardon…j'avaiscru…—Non!Tunecomprendspas,Jennifer.Cen'estpasceque…Ellel'écartadesoncheminetattrapasonsacàmain.Puis,sanslui laisserletempsdeprononcerun

mot,elleouvritgrandlaporteetpartitencourantdanslecouloir.—Jennifer!hurla-t-il.Jennifer!Laisse-moit'expliquer!Mais,lorsqu'ilatteignitleseuildelaporte,elleétaitdéjàloin.LetrainpourLyonprogressaitlentementàtraverslacampagnedesséchée,commerésoluàluilaisserle

tempsdepenser à toutes les chosesqu'il avait faites de travers et à toutes celles qu'il n'aurait pas puchangermêmes'ill'avaitvoulu.Régulièrement,ilsongeaitàsecommanderungrandverredewhiskyauwagon-restaurant;ilregardaitlesstewardsparcourirlavoitured'unpasexpert,réglésurlesmouvementsdutrain,etsavaitqu'illuisuffiraitdeleverundoigtpourobtenircetteconsolation.Enyrepensantunpeuplustard,ilfutpresquesûrdesavoircequil'avaitretenu.Le soir venu, il s'installa dans la couchette que le steward lui avait dépliée avec une dédaigneuse

efficacité.Tandisqueletraintraversaitlanuitdansungrondementsourd,ilallumasalampedechevetetsortitlelivredepochequ'ilavaittrouvéàl'hôtel,abandonnéparunautrevoyageur.Ilrelutplusieursfoislamêmepagesanslacomprendreetfinitparreposerlelivre,dépité.Ilyavaitbienunjournalfrançaisdanslacabine,maisl'espaceétaittropétroitpourdépliercorrectementlespages,etlescaractèrestroppetitspourêtrelusàlafaiblelumièredelalampe.Ilsomnolaunpeu,puiss'éveilla,etaufuretàmesurequel'Angleterreserapprochait,l'avenirs'amoncelaitau-dessusdeluicommeungrosnuagenoir.Enfin, lorsque l'aube se leva, il trouva du papier et un stylo. Il n'avait jamais écrit une lettre à une

femme,hormisdecourtesnotesderemerciementsexpédiéesàsamèrepourlespetitscadeauxqu'elleluienvoyaitetlemotd'excusesadresséàJenniferaprèslepremiersoir.Àprésent,saisid'unedouloureusemélancolie,hantéparl'expressionmortifiéequ'ilavaitluedanslesyeuxdelajeunefemme,délivréparla

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perspective de ne jamais plus la revoir, il écrivit librement sa pensée, uniquement désireux des'expliquer:Machérie,Jen'aipasput'obligeràm'écouterquandtuespartieencourant,maissachequejeneterejetais

pas.Tuétaissiloindelavéritéquejepeuxàpeinelesupporter.La vérité, la voici : tu n'aurais pas été la première femmemariée à qui j'aurais fait l'amour. Tu

connais ma situation personnelle et, pour être honnête, ces relations, telles qu'elles étaient, meconvenaient.Jenevoulaisêtreprochedepersonne.Quandnousnoussommesrencontrés, j'aivoulucroireque,avectoi,ceneseraitpasdifférent.Maisquandtuesarrivéedansmachambresamedidernier,tuétaissibelledanstarobe…Etpuistu

m'asdemandédedéfaire ceboutonderrière ton cou.Maisquandmesdoigts ont frôlé tapeau, j'aicomprisàcetinstantque,sinousfaisionsl'amour,ceseraitundésastrepournousdeux.Toi,machèrepetite, tu n'as aucune idée de ce qu'une telle trahison t'aurait fait. Tu es une créature honnête etdélicieuse.Mêmesitunet'enrendspascomptepourlemoment,onéprouveuneréellejouissanceàêtrequelqu'undebien.Jeneveuxpasêtreresponsabledetadéchéance.Et moi ? J'ai su dès l'instant où tu as levé les yeux sur moi que si nous le faisions, je serais

irrémédiablement perdu. Je serais incapable de t'abandonner, comme je l'ai fait avec les autres. Jeserais incapabledesaluerLaurenced'unaimablesignedetêtesi je lecroisaisaurestaurant.Jenesauraisjamaismesatisfaired'unesimplepartiedetoi.Jemesuismentiàmoi-mêmeenvoulantcroirelecontraire.C'estpourcetteraison,machère,quej'airattachécemauditboutonderrièretoncou.Etc'estpourcetteraisonquejesuisrestééveillédansmonlitcesdeuxdernièresnuits,mehaïssantpourlaseulechosecorrectequej'aiefaitedemavie.Pardonne-moi.

B.Illapliasoigneusementetlaglissadanslapocheavantdesachemise,puis,enfin,ils'endormit.Donécrasasacigaretteetrelutletextetapéàlamachinetandisquelejeunehommequisetenait,malà

l'aise,àcôtédesonbureaudansaitd'unpiedsurl'autre.—Tunesaismêmepasécrire«bigamie».Çaneprendqu'unseul«m»!Etcetteintroductionnevaut

rien, poursuivit-il en rayant trois lignes d'un trait de crayon rageur. Un homme épouse trois femmesnomméesHildadansunrayondetroiskilomètres;c'estuncadeau,cettehistoire!Mais,vucommetul'asrédigée,j'auraispréférélireuncompte-rendusurleségoutsmunicipaux!—Jesuisdésolé,monsieurFranklin.—Rienàfoutredetesexcuses!Réécris-moiça!C'étaitpourl'éditionmatinale,etilestdéjà15h40!

Qu'est-cequinevapas,cheztoi?«Bigammie»,nonmaisjetejure!Iljetalafeuilledepapierauvisagedujeunehomme,quilarattrapadejustesseetquittalebureauentoutehâte.—Alors,poursuivitDond'unairexaspéré,elleestoù,cettefoutuechronique?«Lessecretsdugratin

delaCôted'Azur»?

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—Çavient,mentitAnthony.—Tuferaisbiendetegrouiller.Jet'airéservéunedemi-pagedansl'éditiondesamedi.Tuaspasséun

bonmoment,aumoins?—C'étaitsympa.Donledévisageauninstant,latêtepenchéesurlecôté.—Ouais.Çasevoit.Bref.J'aidebonnesnouvellespourtoi.Lesvitresdesonbureauétaientcouvertesd'uneépaissecouchedenicotine,sibienquequiconqueles

frôlaitparmégardeavaitsachemiseirrémédiablementteintéedejaune.Àtraverslafumée,Anthonyjetauncoupd'œil à la sallede rédaction.Cela faisaitdeux joursqu'il sepromenait avec la lettredans sapoche,cherchantunmoyendelaluitransmettre.Ilnecessaitderevoirsonvisage,sarougeurmortifiéequandelleavaitcrucomprendresonerreur.—Tony?—Oui.—J'aidebonnesnouvellespourtoi.—Bien.—J'aiparléaubureaudescorrespondants,etilsontbesoindequelqu'unàBagdad.Pourenquêtersur

untypedel'ambassadepolonaisequisefaitpasserpourunsuperespion.C'estuneaffairesérieuse,monvieux.Justecequ'iltefaut.Çavatesortirdubureaupourunesemaineoudeux.—Jenepeuxpasyallermaintenant.—Tuasbesoindequelquesjours?—J'aidesaffairespersonnellesàrégler.—Est-cequejedoisaussidemanderauxAlgériensderemettreàplustardlecessez-le-feu?Justeau

casoùçaperturberaitlesarrangementsdomestiquesdemonsieurO'Hare?Tutefousdemagueule?—Siçanepeutpasattendre,envoiequelqu'und'autre.Jesuisdésolé,Don.Cederniersemitàjoueravecsonstylo-bille,faisantentendredescliquetisdeplusenplusirréguliers.—Jenecomprendspas.Tupassestontempsàtraînerdanslesbureauxenteplaignantquetuasbesoin

defairedu«vrai»journalisme,etquandjeteconfieunemissionpourlaquellePetersonsecouperaitunbras,turefusesdetebougerlecul!—Jetelerépète,jesuisdésolé.Donenrestabouchebée.Puisilfermalabouche,s'extirpadesonfauteuilettraversalourdementson

bureaupourfermerlaporte.—Tony,dit-ilenserasseyant,c'estunreportagequivautdel'or.Tudevraisêtreemballé.Surtoutque

tuasbesoindecettehistoire.Tuasbesoindeleurmontrerqu'ilspeuventcomptersurtoi.Ils'interrompitpourledévisagerd'unregardpénétrant.—Tuasperdulegoûtdurisque?reprit-il.Tuesentraindemedirequetuveuxrestersurlesarticles

desociété?—Non.C'estjusteque…J'aiseulementbesoind'unpeudetemps.Dons'enfonçadanssonfauteuil,allumaunecigaretteettiraunelonguebouffée.

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—J'ysuis,dit-ilenfin.C'estunefemme.Anthonyneréponditpas.—Doncc'estça.Tuasrencontréunefemme.Etalors,c'estquoi,leproblème?Tunepeuxallernulle

parttantquetunel'aspasbaisée?—Elleestmariée.—Depuisquandçat'arrête?—C'est…C'estsafemme.LafemmedeStirling.—Et?—Elleesttropbienpour…—Pourlui?Nem'enparlepas!—Pourmoi.Jenesaispasquoifaire.Donlevalesyeuxauciel.—Alors ça y est, tu as une conscience ? Jeme demandais bien pourquoi tu avais cet air sinistre,

soupira-t-ilensecouantlatêted'unairnavré.Bon,poursuivit-ilenposantsonstylosurlebureau,voilàcequetuvasfaire: tuvaslavoir, tufaiscequetuasàfaireet tusautesdansl'avionquipartdemainmidi.Jeraconteraiaupatronquetuesparticesoir.Çateva?Etécris-moiunputaindebonarticle.—«Tufaiscequetuasàfaire»?Tonromantismeteperdra,va!—Tuaspeut-êtreuneplusformuleplusélégante?Anthonyvérifiaquelalettreétaittoujoursdanssapoche.—Merci,jetedoisunefièrechandelle!—Tum'endoismêmequatre-vingt-trois,grommelaDon.Trouver l'adressedeStirling avait été un jeud'enfant. Il avait parcouru leWho'sWho du journal et

l'avaittrouvéeenbasdesonentrée,justeendessousde«m»:JenniferLouisaVerrinder,n.1934».Cesoir-là,après le travail, il s'était renduàFitzroviaet s'étaitgarésur laplace,non loinde lamaisonàfaçadedestucblanc.C'étaitunevilladestyleRégence,avecunperronflanquédecolonnesquiluifaisaitpenseraubureau

horsdeprixd'unconsultantdeHarleyStreet.Ilrestaassisdanssavoiture,imaginantcequ'ellepouvaitfairederrièrecesrideaux.Ill'imaginaassiseavecunmagazine,leregardperdudanslevague,songeantàuncertainmomentd'égarementdansunechambred'hôtelenFrance.Vers18h30,une femmed'unâgemoyen sortit de la maison en s'emmitouflant dans sonmanteau, levant les yeux comme pour voir s'ilrisquaitdesemettreàpleuvoir.Ellesenouasurlescheveuxunecapucheétancheetdescenditlarued'unpaspressé.Àl'intérieur,unemaininvisibletiralesrideaux.Bientôt,lasoiréehumidefitplaceàlanuit.AnthonyrestaassisdanssaChrysler,lesyeuxfixéssurlenuméro32.Ilavaitcommencéàs'assoupirquand,enfin,laportes'ouvritdenouveau.Ilseredressasursonsiègeet

lavitfaireunpasau-dehors.Ilétaitprèsde21heures.Elleportaitunerobeblanchesansmanches,unpetitchâlesurlesépaules,etdescendaitlesmarchesd'unpasprudentcommesielleavaitpeurdetomber.PuisStirlingsortitderrièreelleetluiditquelquechosequ'Anthonyn'entenditpas.Ellehochalatête,etlecouplegrimpadansunegrossevoiturenoire.Tandisqu'elledéboîtait,Anthonymitlecontact.Ildémarra

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etsuivitlevéhicule.Ils n'allèrent pas bien loin. Le chauffeur s'arrêta devant un casino de Mayfair pour les laisser

descendre.Jenniferlissasarobeetentraenenlevantsonchâle.Anthony attendit d'être certain que Stirling l'avait suivie, puis arrêta sa vieille Chrysler derrière la

voiturenoire.—Garez-lapourmoi,vousvoulezbien?dit-ilauportierincréduleenluijetantsesclésavantdelui

glisserunbilletdedixshillingsdanslecreuxdelamain.—Monsieur?Puis-jevoirvotrecartedemembre?Iltraversaitlehalld'entréed'unpaspressélorsqu'unhommevêtudel'uniformeducasinol'arrêta:—Monsieur?Votrecartedemembre?LesStirlings'apprêtaientàentrerdansl'ascenseur.IlparvenaittoutjusteàapercevoirJenniferàtravers

lafoule.—Jedoisparleràquelqu'un.Jen'enaiquepourdeuxminutes.—Monsieur,j'aibienpeurdenepouvoirvouslaisserentrersans…Anthony fouilla sespoches, en sortit tout leur contenu–portefeuille, clés,passeport– et ledéversa

danslesmainsouvertesdel'employéducasino.—Tenez,preneztout!Jevousprometsquejen'enaiquepourdeuxminutes.Profitantdecequel'hommeleregardaitfixement,bouchebée,ilsefrayaunchemindanslafouleetse

glissadansl'ascenseuralorsquelesportessefermaient.CommeStirlingsetenaitàdroitedelacabine,Anthonyinclinaleborddesonchapeausursonvisageet

passaderrièrelui.Puis,certaind'êtrepasséinaperçu,ilreculajusqu'àavoirledoscolléàlaparoi.Toutlemondeétaittournéverslesportesdel'ascenseur.Stirling,devantlui,conversaitavecunhomme

qu'ilsemblaitconnaître.Anthonyl'entenditmurmurerquelquesphrasesàbasedemarchésetdecrise,quesoninterlocuteurapprouvaàvoixbasse.Lesangbattaitàsestempes,assourdissant;ilsentaitunfiletdesueurluiruisselerlelongdudos.Jennifertenaitsonsacentresesmainsgantées, levisageimpassible.Seuleunemècheblondes'échappantdesonchignonpermettaitd'affirmerqu'elleétaitbienunêtrehumainetnonquelqueapparitiondivine.—Deuxièmeétage.Les portes s'ouvrirent, laissant sortir deux personnes et entrer un homme. Les passagers restants se

déplacèrent poliment, libérant de la placepour le nouvel arrivant.Stirlingparlait toujours, d'unevoixbasseetsonore.Lasoiréeétaitchaudeet,dansl'espacerestreintdelacabine,Anthonysentaitavecuneacuitéincroyablelescorpsquil'entouraient,lesodeursdeparfumetdelotionscapillairesquiflottaientdansl'airmoite,etlelégercourantd'airquiaccompagnalemouvementdesportes.IllevaimperceptiblementlatêtepourmieuxvoirJennifer.Ellesetrouvaitàmoinsdetrentecentimètres

de lui, si proche qu'il parvenait à discerner la fragrance de son parfum et lamoindre petite tache derousseur sur ses épaules. Il l'observa ainsi jusqu'aumoment où elle tourna la tête… et l'aperçut. Elleouvritdegrandsyeux,rougissante.Sonmariétaittoujoursengrandeconversation.Ellebaissalesyeuxverslesol,puislesreleva.Lesmouvementsconvulsifsdesapoitrinetrahissaient

sonémoi.Leursregardssecroisèrentet,enquelquessecondes,sansprononcerunmot,illuidittout.Illui

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ditqu'elleétaitcequ'illuiétaitarrivédeplusincroyable.Qu'ellehantaitsesjoursetquechaqueémotion,chaqueexpériencequ'ilavaitpuavoirdanssavieétaitinsignifianteàcôtédecequ'ilressentaitpourelle.Illuiditqu'ill'aimait.—Troisièmeétage.Elleclignadesyeuxetilss'écartèrentl'undel'autre,laissantpasserunhommequiquittaitl'ascenseur.

Profitant du mouvement, Anthony sortit la lettre de sa poche. Il fit un pas vers la droite et la glissaderrière ledosd'unhommeen smoking,qui semit à tousser. Ils sursautèrent.Stirlinghocha la tête enréponseàunequelconqueremarquedesoncompagnon,etlesdeuxhommeséclatèrentd'unriresansjoie.Un instant, Anthony se dit que Jennifer n'allait pas prendre l'enveloppe, mais sa main gantée surgitsubrepticementetlalettredisparutdanssonsac.—Quatrièmeétage,annonçalegroom.Restaurant.Tout lemonde sauf Anthony fit un pas en avant. Stirling jeta un regard vers la droite, semblant se

souvenirde laprésencedesafemme,et lapritpar lebras–nonpasparaffection,remarquaAnthony,maispour la contraindre à avancerplusvite.Lesportes se refermèrent sur elle, et il se retrouva seultandisquel'ascenseuramorçaitsadescente.Anthonynes'étaitpasvraimentattenduàuneréponse.Iln'avaitmêmepasprislapeinedevérifierson

courrier.Enquittantsondomicile,déjàenretard,iltrouvadeuxlettresposéessurlepaillasson.Il s'élançasur le trottoir,moitiémarchant,moitiécourant, savalise luibattant les jambes,évitantde

justesse les infirmièreset lespatientsquisortaientde l'immensehôpitalStBartholomew.Ilétaitcenséêtreàl'aéroportd'Heathrowà14h30etn'étaitpascertaindepouvoiryarriver.Lavuedel'écrituredeJenniferluiavaitfaitunchoc,suivid'unevaguedepaniquequandilavaitcomprisqu'ilétaitdéjà11h50etqu'ilavaittoutLondresàtraverser.Postman'sPark.Midi.Évidemment,iln'avaitpastrouvédetaxi.Ilavaitsautédansunmétropourunepartiedutrajetetavait

courupourlereste.Sachemise,propreetrepassée,luicollaitàlapeau;sescheveuxretombaientsursonfrontmoite.—Excusez-moi, souffla-t-il, s'attirant la réprobationd'une femmeensandalesà talonshauts,quidut

s'écarterpourlelaisserpasser.Unbuss'arrêta,vomissantdesfuméesviolettes,etlechauffeursonnalaclochepourannoncerledépart.

Tandisqueleflotdepassagerssedéversaitsurletrottoir,ilhésita,tentantdereprendresonsouffle,etconsultasamontre.12h15.Elleétaitpeut-êtredéjàrepartie.Mais qu'est-ce qui lui avait pris ? S'il ratait son avion, il serait chargé des noces d'or et autres

anniversairespourlesdixannéesàvenir,Donenferaituneaffairepersonnelle.Ilsverraientçacommeunnouvelexempledesonincapacitéàgérerlasituation,uneraisondepluspourconfierlaprochainebonnehistoireàMurfettouàPhipps.Il descendit au pas de course la King Edward Street pour se retrouver, hors d'haleine, dans une

minuscule oasis de paix en plein cœur de la City : le Postman's Park, un petit jardin créé par un

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philanthropevictorienpourrendrehommageauxhérosordinaires.Lesoufflecourt, ils'avançajusqu'aumilieuduparc.Il y avait là une nuée bleue qui se déplaçait doucement. Puis, au fur et à mesure que sa vision

s'éclaircissait,ildistinguadesdizainesdepostiersenuniformebleu.Certainsmarchaient,d'autresétaientétendusdansl'herbeouassissurlebancsituéfaceauxplaquesdecéramiquecommémorantdesactesdebravoure.Les facteursdeLondres,délestésde leurs sacsdecourrier,profitaientdusoleildemidi, enbrasdechemise,bavardant,échangeantdessandwichsousereposantsurl'herbedansl'ombremouchetéedufeuillagedesarbres.Anthony avait repris son souffle. Il laissa tomber sa valise et sortit sonmouchoir pour s'éponger le

front, puis tourna lentement sur lui-même, cherchant à voir derrière les hautes fougères et le mur del'église, scrutant les enclaves ombragées des immeubles de bureaux, fouillant des yeux le parc à larecherched'unerobecouleurd'émeraude,d'unéclairdecheveuxblonds.Ellen'étaitpaslà.Ilregardasamontre.12h20.Elleétaitvenueetrepartie.Elleavaitpeut-êtrechangéd'avis.Stirling

avaitpeut-êtremislamainsurcettefoutuelettre.Ilsesouvintalorsdelasecondeenveloppe,celledeClarisse,qu'ilavaitfourréedanssapocheenquittantlamaison.Illaressortitetlalutrapidement.Ilétaitincapabledeliresonécrituresansentendredanssatêtesavoixacerbeetdésapprobatriceouvisualisersescorsagesblancsbienpropres,toujoursboutonnésjusqu'enhautquandelleétaitensaprésence,commes'ilpouvaitgagnersurelleunquelconqueavantageenapercevantlamoindreparcelledepeau.CherAnthony,Jet'écrispourt'informer,parpurecourtoisie,quejevaismemarier.Ilressentitunevagueindignationdepropriétaireàl'idéequeClarissaeûtputrouverlebonheuravecun

autre.Ill'enavaitcrueincapable.J'ai rencontré un homme correct, patron d'une chaîne de textile, qui accepte de nous prendre en

charge,Phillipetmoi.IlestgentiletcompteéleverPhillipcommesonproprefils.Lemariageauralieuenseptembre.Cen'estpasfacilepourmoid'aborderlesujet,maisilfaudraitqueturéfléchissesaucontactquetusouhaitesmainteniravecnotreenfant.J'aimeraisqu'ilsoitenmesuredevivredansune famille normale, et je crains que ce contact continu et inconstant qu'il entretient avec toi nel'empêchedesefixerconvenablement.Jetepried'ysongeretdemeteniraucourantdetadécision.Nous n'aurons plus besoin d'assistance financière de ta part, puisque Edgar peut entièrement

subvenirànosbesoins.Tutrouverasci-dessousnotrenouvelleadresse.Sincèressalutations,

ClarissaIllutetrelutlalettre,maiscenefutqu'autroisièmepassagequ'ilcompritenfincequ'elleproposait:

Phillip, son fils, allait être élevé par un honnêtemarchand de rideaux, libéré du « contact continu et

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inconstant»desonpère.Lemondes'effondraitsurlui.Prisd'uneenvieirrépressibledeboiredel'alcool,ilaperçutunetavernedel'autrecôtédelarue,àtraverslagrilleduparc.—Oh,bonsang!jura-t-ilàhautevoix,lesmainssurlesgenoux,latêtebaissée.Ilrestalà,pliéendeux,pendantunebonneminute,tentantderassemblersesesprits,laissantsoncœur

reprendreunrythmenormal.Puis,ensoupirant,ilseredressa.Elleétait là.Vêtued'unerobeblancheornéederoses rouges, lesyeuxdissimulésderrièreunepaire

d'immenseslunettesdesoleilqu'elleremontadanssescheveux.Ilsentitunlongsoupirs'échapperdesapoitrine.—Jenepeuxpasrester,commença-t-illorsqu'ileutretrouvél'usagedelaparole.Jedoisprendreun

avionpourBagdad.Ildécolledans…Jenesaispascommentje…Elle était tellement belle, éclipsant les fleurs dans leurs parterres bien entretenus, éblouissant les

facteursquis'arrêtaientpourlacontempler.—Jene…Jepeuxtouttediredansdeslettres.Etquandjeteverrai,je…—Anthony,dit-elle,commepoursepersuaderqu'ilétaitbienlà.—Jereviensdansunesemaine.Situmeretrouvesàmonretour,jepourrait'expliquer.Ilyatantde…Ellefitunpasenavantet, luiprenant levisageentresesmainsgantées, l'attira toutcontreelle.Elle

hésitaletempsd'unbattementdecils,puisposaseslèvressurlessiennes.Ellesétaientchaudes,àlafoistendresetavides.AnthonyoubliasonavionpourBagdad.Iloublialeparc,sonfilsetsonex-femme.Iloublia le reportage qui, d'après son chef, aurait dû le faire trépigner d'excitation. Il oublia que lessentiments, selon sonexpérience, étaientplusmortelsque lesmunitions. Il se laissaaller et fit cequeJenniferluidemandait:s'abandonneràelle,sedonnerlibrement.«Anthony»,avait-elledit.Aveccesimplemot,elle luiavaitfaitdond'elle-même,maisaussid'une

nouvelleversion,revueetcorrigée,desonavenir.

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Toietmoi–terminé.UnefemmeàJeanetteWinterson,partexto

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Chapitre8

UNEFOISENCORE, ILNELUI PARLAITPAS.PARADOXALEMENTPOURUNHOMMESI PEUDÉMONSTRATIF, LES

HUMEURS deLaurenceStirling pouvaient être très changeantes.En silence, Jennifer regardait sonmariprendresonpetitdéjeunerenlisantsonjournal.Elleavaitbeauêtredescendueavantluipourpréparerlepetitdéjeunercommeill'aimait,iln'avaitpaslâchéunmotdepuisqu'ilavaitposélesyeuxsurellepourlapremièrefoiscematin-là,trente-troisminutesauparavant.Ellebaissalesyeuxsursarobedechambre,vérifiasacoiffure.Toutétaitenplace.Sacicatrice,quile

dégoûtait, était dissimulée sous samanche.Qu'avait-elle fait ?Aurait-elle dû l'attendre à l'étage ? Laveille, il était rentré si tard qu'elle n'avait été quebrièvement réveillée par le claquement de la ported'entrée.Avait-elleparlédanssonsommeil?Le tic-tac monotone de la pendule résonnait dans la pièce, seulement couvert par le froissement

intermittentdujournaldeLaurencequandiltournaitlespages.Dehors,elleentenditdesbruitsdepassurle perron, le bref cliquetis du facteur qui glissait le courrier dans la boîte, puis la voix perçante d'unenfantencolèrequipassaitdevantlafenêtre.Ellehasardaquelques remarquesau sujetde laneigeetd'ungros titre sur l'augmentationduprixdu

carburant,maisLaurencesecontentadesoupirerd'unairirrité.Ellesetut.Monamantnem'auraitpastraitéecommeça,sedit-elleensilenceenbeurrantuntoast.Ilm'aurait

souri, m'aurait prise par la taille en passant derrière moi dans la cuisine. En fait, ils n'auraientprobablementmêmepasprislepetitdéjeunerdanslacuisine:il luiauraitapportéaulitunplateaudemets délicieux, l'aurait réveillée en lui tendant son café, et ils auraient échangé de joyeux baisers aumilieudesmiettes.Dansunedeseslettres,ilavaitécrit:Lorsquetumanges,tuteconsacresentièrementàladégustation.Jet'aiobservéelorsdecepremier

dîner,etj'aisouhaitéquetum'accordeslamêmeattention.LavoixdeLaurencelafitsortirdesarêverie:—Cesoir,onprendl'apéritifchezlesMoncrieffavantlasoiréedeNoëldel'entreprise.Tun'aspas

oublié?—Non,répondit-ellesansleverlesyeux.—Jeserairentrévers18h30.Francisnousattendra.Ellesentitsonregards'attardersurelle,commes'ilattendaitunenouvelleréponse,maisellerefusade

direunmot.Puisilpartitautravail,lalaissantdanscettegrandemaisonsilencieuse,avecsesrêvesd'unpetitdéjeunerimaginaire.Tu te souviens de ce premier dîner ? Jeme suis comporté comme un imbécile, ce qui ne t'a pas

échappé.Maistuétaisparfaite,sicharmante,machèreJ.,alorsmêmequejememontraisodieux.

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J'étaissiencolèrecesoir-là…Aveclerecul,jepensequej'étaisdéjàtroublépartaprésence,maisnous,leshommes,sommessilourdauds,siincapablesdevoircequenousavonssouslesyeux…J'aitrouvéplusfaciledefairepassermontroublepourquelquechosedetotalementdifférent.Elle avait découvert sept lettres dissimulées un peu partout dans lamaison ; sept lettres déployant

devantelle l'amourqu'elleavaitconnu, lapersonnequ'elleétaitdevenue.Entreces lignesmanuscrites,ellesevoyaitreflétéesousunemultitudedefacettes:impulsive,passionnée,prompteàs'offusqueretàpardonner.Il semblait être son parfait opposé. Il provoquait, proclamait, promettait. C'était un fin observateur,

autantd'ellequedeschosesquil'entouraient.Ilneluicachaitrien.Ellesemblaitêtrelapremièrefemmequ'ileûtvraimentaimée.Ellesedemandait,enrelisantsesmots,s'ilétaitluiaussisonpremieramour.Quand tu me sondais de ton regard exquisément décadent d'une profondeur infinie, je me suis

souventdemandécequetupouvaisbienvoirenmoi.Àprésent,jesaisquec'estunevisionréductricede l'amour.Toietmoinepouvionscesserdenousaimer,pasplusque laTerrenepouvaitcesserdetournerautourduSoleil.Bienque les lettresne fussentpas toujoursdatées,elleétaitparvenueà lesplacerdansunsemblant

d'ordrechronologique:celle-ciétaitarrivéepeuaprèsleurpremièrerencontre,uneautreaprèsunesortededispute,une troisièmeaprèsdes retrouvaillespassionnées. Il avait formulé le souhaitqu'ellequitteLaurence.Plusieurslettresleluidemandaientexpressément.Apparemment,elleavaitrésisté.Pourquoi?Elle songeaitàprésentàcethommefroiddans lacuisine,ausilenceétouffantdesamaison.Pourquoin'était-ellepaspartie?Elle relisait les sept lettresdemanièreobsessionnelle,ycherchantdes indices, tentantdedécouvrir

l'identité de cet homme. La dernière était datée du mois de septembre, quelques semaines avant sonaccident.Pourquoinel'avait-ilpascontactéedepuis?Detouteévidence,ilsnes'étaientjamaistéléphonéet n'avaient pas de lieu de rendez-vous régulier. Lorsqu'elle s'aperçut que certaines lettres avaient étéadresséesà lamêmeboîtepostale, elle se rendit aubureaudepostepourvoir s'ilyenavaitd'autres.Malheureusement,laboîteavaitétéréaffectéeetiln'yavaitrienpourelle.Elleseforgealaconvictionqu'ilfiniraitparsemanifester.Commentl'hommequiavaitécritceslettres,

l'hommedontlessentimentsétaientsipassionnés,pourrait-ilsecontenterd'attendresansrienfaire?Elleavaitrenoncéàl'idéequecepouvaitêtreBill;pasparcequ'elleétaitincapabledecroirequ'elleaitpuavoirdessentimentspourlui,maisparcequetromperVioletétaitau-dessusdesesforces,sinondecellesdeBill.Restaient JackAmoryetReggieCarpenter,mais JackAmoryvenaitd'annoncer ses fiançaillesavecunecertaineVictoriaNelsondeCamberley,dansleSurrey.MmeCordozaentradanslachambrealorsqueJenniferfinissaitdesecoiffer.—Pourriez-vouspréparermarobedesoiebleunuitpourcesoir?demanda-t-elle.Elleposacontresapeaublancheunerivièredediamants.Iladoraitsoncou:Jen'aijamaispuleregardersansavoirenviedet'embrasserdanslecreuxdelanuque.

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—Jel'aiposéesurlelit.— Je vais la repasser immédiatement,madameStirling, ditMmeCordoza en traversant la chambre

pourramasserlarobe.ReggieCarpenterflirtait.Iln'yavaitpasd'autremotpourça.PenchésurlefauteuildeJenny,lecousin

d'Yvonnenequittaitpasdesyeuxlabouchedelajeunefemme,quisouriaitd'unairmalicieuxcommes'ilspartageaientuneplaisanterie.Yvonne les regarda faire en tendant un verre à Francis, assis un peu plus loin.Elle se pencha pour

murmureràl'oreilledesonmari:—TunepeuxpasenvoyerReggieavecleshommes?DepuisqueJenniferestarrivée,ilestpresque

assissursesgenoux.—J'aiessayé,machérie,maisàpartletraînerparlecoldesachemise,jenevoispascequejepeux

faire.—Alorsoccupe-toideMaureen.Ellesemblesurlepointdefondreenlarmes.Dès l'instant où elle avait ouvert la porte aux Stirling, Yvonne avait été en proie à un mauvais

pressentiment. Jennifer, emmitoufléedansunmanteaudevison, semblaitdéjà trèséméchée ;Laurence,quantàlui,affichaitunairsinistre.Ilyavaitdel'électricitédansl'air.PuisJenniferetReggies'étaientrapprochésdemanièrefranchementexaspérante.—J'aimeraisquelesgensrèglentleursconflitsenprivé,murmurat-elle.—JevaisserviràLarryungrandverredewhisky.Çavaleréchauffer.Iladûpasserunemauvaise

journéeaubureau.Francisselevaenluipressantgentimentlecoude,puiss'éloigna.Lespetitessaucissescocktailavaientàpeineétéentamées.Avecunsoupir,Yvonnepritunplateaude

canapéspourlesproposeràlaronde.—Tiens,Maureen,prends-enun.LapetiteamiedeReggie,âgéedevingtetunans,remarquaàpeinequ'onluiavaitadressélaparole.

Impeccabledans sapetite robede laine couleur rouille, elle était assise avec raideur sur sa chaise etjetaitdes regardsnoirsauxdeuxpersonnes installéesà sadroite,quine luiprêtaientaucuneattention.Jenniferétaitaffaléedanssonfauteuil tandisqueReggie,perchésurunaccoudoir, luiglissaitquelquesmotsàl'oreille.Ilséclatèrentderire.—Reggie?ditMaureen.Tunem'avaispasditqu'onallaitretrouverlesautresenville?—Oh,ilspeuventattendre,répliqua-t-ild'untondédaigneux.—OndevaitlesretrouverauGreenRoom,Baloo.Tuavaisdit19h30.—Baloo?Jenny,quiavaitcesséderire,regardaitfixementReggie.—C'estsonsurnom,ditYvonneenluitendantleplateau.Àlanaissance,c'étaitunbébépoiludesplus

ridicules.Matanteprétendqu'elles'imaginaitavoirdonnénaissanceàunours.—Baloo,répétaJenny.

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—Ouaip.Jesuisdouxetirrésistible,commeungrosnounours.Etjamaisplusheureuxquequandonmeglissedanssonlit…,murmura-t-ild'unaircoquinensepenchantsurelle.—Reggie,jepeuxteparleruneminute?—Pasquandtufaiscettetête,machèrecousine.Jenny,Yvonnes'imaginequejeflirteavectoi.—Ellenefaitpasquel'imaginer,rétorquafroidementMaureen.—Oh, allez,Mo, ne sois pas chiante, protesta Reggie d'une voix dans laquelle, bien que toujours

plaisante,onsentaitpoindreunenoted'irritation.Çafaitlongtempsquejen'aipaseul'occasiondeparleràJenny.Onnefaitquerattraperletempsperdu.—Çafaitsilongtempsqueça?demandainnocemmentJennifer.—Oh,uneéternité…,dit-ilavecardeur.YvonnevitlevisagedeMaureensedécomposer.—Maureen,chérie,tuveuxbienvenirm'aideràpréparerlesboissons?Dieuseulsaitoùmonfainéant

demariaencoredisparu.—Ilestjustelà.Il…—Viens,Maureen.Parici.La jeune femme se laissa entraîner dans la salle à manger et prit la bouteille de crème dementhe

qu'Yvonneluitendait.Ellefrémissaitd'unerageimpuissante.—Qu'est-cequiluiprendàlafin?Cettefemmeestmariée,non?—Jenniferestseulement…Oh,ellenepensepasàmal.—Ellen'arrêtepasdesecolleràlui!Regarde-la!Qu'est-cequ'ellediraitsijemecomportaiscomme

çaavecsonmari?Yvonnejetauncoupd'œilverslesalonoùLarry,affichantuneexpressiondedésapprobationcontenue,

n'écoutaitFrancisqued'uneoreille.Elleneleremarqueraitmêmepas,songea-t-elle.—Jesaisqu'elleesttonamie,Yvonne,mais,pourmoi,c'estunegarceabsolue!—Maureen,jesaisquel'attitudedeReggieestdétestable,maistunepeuxpasparlercommeçademon

amie.Tun'aspasidéedecequ'elleavécu.Passe-moicettebouteille,tuveuxbien?—Etcequ'ellemefaitvivre,alors?C'estterriblementhumiliant!Toutlemondesaitquejesuisavec

Reggie,etilluimangedanslecreuxdelamain!—Jenniferaeuungraveaccidentdevoiture.Ellevientàpeinedesortirdel'hôpital.Elleessaiejuste

deselâcherunpeu.—Ah,ça,pourselâcher,elleselâche…—Mo…—Elleestbourrée.Etelleestvieille.Quelâgeellea?Vingt-sept?Vingt-huitans?Elleaaumoins

troisansdeplusquemonReggie.Yvonneprituneprofondeinspiration.Elleallumaunecigarette,entendituneautreàlajeunefemmeet

refermalaporteàdoublebattant.—Mo…

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—C'estunevoleuse!Elleessaiedemelepiquer!Jelevoisbien…Yvonnebaissalavoix.—Tudoiscomprendre,machérie,qu'ilya flirteret flirter.Reggieet Jennypassentunbonmoment

ensemble,maisnil'unnil'autren'al'intentiondetromperquiquecesoit.Ilsflirtent,oui,maisdansunepiècepleinedegens.Ilsnefontrienpourlecacher.Sic'étaituntantsoitpeusérieux,tucroisvraimentqu'elleferaitçadevantLarry?Elleparvenaitpresqueàseconvaincreelle-même.—Machérie,poursuivit-elleencroquantunenoixdecajou,tuvascomprendreengrandissantqueces

petitesparadessansconséquencefontpartiedujeu.C'estunedesgrandesconsolationsdelaviequandondoitêtrefidèleàunseulhommependantdesannéesetdesannées.Lajeunefemmepritunairrenfrognémaissemblasecalmerunpeu.— Je suppose que tu as raison, dit-elle.Mais je trouve toujours que ce n'est pas une façon de se

comporterpourunedamedignedecenom.Elleouvritlaporteetretournadanslesalon.Yvonnepritunegrandeinspirationetlasuivit.Aufuretàmesurequelesverressevidaient,lesconversationssefaisaientplusbruyantesetanimées.

Francispassadanslasalleàmangerpourrefairedescocktailstandisqu'Yvonneenfilaitdescerisessurdespicsenboispourlesdécorer.Commecettedernières'étaitrenducomptequ'ellesesentaittrèsmalaprèsdeuxverresdignesdecenom,elleétaitpasséeaucuraçaobleuavantdesecontenterd'unsimplejusdejaffa.Iln'yavaitpresqueplusdechampagne.Francisbaissalamusique,dansl'espoirquesesamiscomprendraientets'eniraient,maisBilletReggieremontèrentlesonetsemirententêtedefairedansertoutlemonde.Àunmoment,lesdeuxhommess'étaientmêmeemparésdesmainsdeJenniferpourdanserautourd'elle.Francisétanttropoccupéaveclesboissons,YvonneallaretrouverLaurenceets'assitàcôtédelui.Elles'étaitjurédeluiarracherunsourire.Ilneditrien,maisavalaunelonguegorgéedesaboissonetjetaunbrefregardàsafemmeavantde

détournerlesyeux.Ilbouillaitdemécontentement.—Elleseridiculise,murmura-t-ilentresesdentsquandlesilenceentreeuxdevientinsupportable.C'esttoiqu'elleridiculise,songeaYvonne.—Elle ne fait que s'amuser, dit-elle.Ces dernières semaines n'ont pas été faciles pour elle, Larry.

Elle…elleessaiejustedeprendredubontemps.Quandellelevalesyeuxverslui,ellevitsonregardattentifposésurelle.Ellesesentitunpeugênée.—Tum'as bien dit que lemédecin pensait qu'elle pouvait ne plus être elle-même pendant quelque

temps?ajouta-t-elle.IlleluiavaitditalorsqueJenniferétaittoujoursàl'hôpital–dutempsoùilparlaitencoreauxgens.Ilbutunenouvellegorgéesanslaquitterdesyeux.—Tuétaisaucourant,n'est-cepas?—Aucourantdequoi?LesyeuxdeLarrysondaientlessiens,semblantchercheruneréponse.—Aucourantdequoi,Larry?

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Francisavaitlancéunerumba.Derrièreeux,BillsuppliaitJenniferdebienvouloirdanseraveclui.Laurencevidasonverre.—Rien.Ellesepenchasurluietposalamainsurlasienne.—Çaaétédurpourvousdeux.Vousavezbesoind'unpeudetempspour…EllefutinterrompueparunnouveléclatderiredeJennifer.Reggie,unefleurentrelesdents,l'entraînait

dansuntangoimprovisé.Laurencerepoussadoucementsamain.Bill,horsd'haleine,selaissatomberàcôtéd'eux.—CeReggieenfaitunpeutrop,non?Yvonne,tunedevraispasluiparler?Ellen'osapascroiserleregarddeLaurence,maissavoix,quandilpritlaparole,étaitcalme.—Net'enfaispas,Yvonne,dit-il,leregardfixéauloin.Jevaisréglerça.Peuavant20h30,YvonneretrouvaJenniferdans lasalledebains.Penchéeau-dessusdulavabode

marbre,celle-ciapportaitquelquesretouchesàsonmaquillage.Sonregardseposasursonamiequandelleentra,puisrevintàsonreflet.Sonvisageétaitécarlate,remarquaYvonne.—Tuveuxuncafé?demanda-t-elle.—Uncafé?—Avantd'alleràlasoiréed'entreprise.— Je pense, répliqua Jennifer en se repassant une couche de rouge sur lèvres avec une minutie

inhabituelle,quepouralleràcettepetitefiesta,jevaisplutôtavoirbesoind'unautreverre.—Qu'est-cequetufais?—Jemetsdurougeàlèvres.Qu'est-cequej'ail'airde…—Avecmoncousin.Tutecomportescommeunetraînée.La remarque était sortie plus durement qu'elle l'avait voulu, mais Jennifer ne semblait pas l'avoir

entendue.—Quandest-cequ'onestsortisavecReggiepourladernièrefois?—Quoi?—Ladernièrefoisqu'onestsortisaveclui,c'étaitquand?—Jen'ensaisrien.Peut-êtrequandilestvenuavecnousenFrance,l'étédernier.—Àpartlescocktails,qu'est-cequ'ilal'habitudedeboire?Yvonnepritunegrandeinspirationpournepasperdresoncalme.—Jenny,chérie,tunecroispasquetudevraisyallermollo?—Quoi?—CetrucavecReggie.ÇaénerveLarry.—Oh, il se fichecomplètementdeceque je fais, rétorqua-t-elled'unairdédaigneux.Qu'est-ceque

Reggieal'habitudedeboire?Tudoismeledire.C'esttrèsimportant.—Jenesaispas.Duwhisky.Jenny,est-cequetoutvabienàlamaison?EntretoietLarry?

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—Jenevoispasdequoituparles.—Jememêlesûrementdecequinemeregardepas,maisLarryal'airterriblementmalheureux.—Larry?—Oui.Sij'étaistoi,jenemalmèneraispassessentimentsdelasorte,machérie.Jennysetournaverselle.—Sessentiments?Etmoi?Toutlemondesefoutdecequej'aitraversé!—Jenny,je…—Surtout lui,d'ailleurs.Jesuiscenséefaireavec, lafermeret jouer lesfemmesaimantes.Tantque

Larrynefaitpaslagueule…—Situveuxmonavis…—Non,jevaism'enpasser!Mêle-toidetesaffaires,Yvonne.Vraiment.Lesdeuxfemmesrestèrentimmobiles,faceàface.L'airvibraitautourd'elles,commesiuncoupavait

retenti.Quelquechoseseserradouloureusementdanslapoitrined'Yvonne.—Tusais,Jennifer,cen'estpasparcequetupeuxdeséduiren'importequelhommedanscettepièce

quetuesobligéelefaire,lança-t-elled'unevoixglaciale.—Quoi?Yvonnerajustalesserviettessurleporte-serviettes.—Oh,arrêteavec tes réactionsdepetiteprincessesansdéfense…Onsaitque tuesbelle, Jennifer,

d'accord ?On sait quenosmaris t'adorent.Mais, pour une fois, préoccupe-toi unminimumde ce queressententlesautres.Elleséchangèrentunlongregard.—Alorsc'estcequetupensesdemoi?Quejejouelesprincesses?—Non.Jepensequetujoueslessalopes.Jenniferécarquillalesyeux.Elleouvritlabouche,lareferma,rangeasonrougeàlèvres,redressales

épaulesetfusillaYvonneduregard.Puisellesortit.Yvonnes'assitlourdementsurlalunettedestoilettesets'essuyalenez,lesyeuxfixéssurlaportedela

salledebains,espérantlavoirserouvrir.Voyantqueçan'arrivaitpas,elleselaissatomberlatêteentrelesmains.Quelquesinstantsplustard,elleentenditlavoixdeFrancis:—Çavalà-dedans?Jemedemandaisoùtuétais.Chérie?Lorsqu'ellelevalesyeuxetqu'illutlatristessedanssonregard,ils'agenouillaaussitôtdevantelleen

luiprenantlesmains.—Çava?C'estlebébé?Ilfautquejefassequelquechose?Ellefrissonnaetlelaissaenveloppersesmainsdanslessiennes.Ilsrestèrentainsipendantquelques

minutes,écoutantlamusiqueetlesconversationsquimontaientdurez-de-chaussée,parfoisinterrompuesparlerireaigudeJennifer.Francisluiallumaunecigarette.—Merci.

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Ellepritlacigaretteetinhalaprofondémentavantdeposersursonmariunregardsérieux.—Promets-moiqu'onseraheureuxmêmequandlebébéseralà,Frannychéri.—Qu'est-ce…—Promets-le-moi.—Tusaisbienquejenepeuxpastefaireunetellepromesse,répondit-ilenluicaressantdoucementla

joue.J'aitoujoursmisunpointd'honneuràtetyranniseretàterendremalheureuse.Elleneputs'empêcherdesourire.—Monstre.—Jefaiscequejepeux.Ilselevaetlissasonpantalon.—Écoute,jecroisquetuesépuisée.Jevaismettredehorstoutcebeaumonde,etnouspourronsfiler

aulit.Çateva?—Jemedisparfoisquet'avoirépousén'estpeut-êtrepaslapiredécisiondemavie,aprèstout,luidit-

elletendrementalorsqu'illuitendaitlamainpourl'aideràserelever.L'airdudehorsétaitglacialetlaplacepresquedéserte.L'alcooll'avaitréchauffée;ellesesentaitun

peuétourdie.—Cen'estpasiciqu'onvasetrouveruntaxi,ditjoyeusementReggieenremontantsoncol.Qu'est-ce

quevousallezfaire,lesgars?Sonhaleineformaitunnuagedansl'airfroiddusoir.—Larryaunchauffeur.Sonmariétaitdeboutsurleborddutrottoir,scrutantlapénombredelarue.—Saufqu'ondiraitqu'iladisparu,ajouta-t-elle.Elletrouvasoudainlasituationirrésistibleetfitsonpossiblepours'arrêterdeglousser.—Jeluiaidonnésoncongépourcesoir,murmuraLaurence.Jevaisconduiremoi-même.Nebouge

pas,jevaischercherlesclésdelavoiture.Jennifer resserra sonmanteau autour d'elle. Elle ne parvenait pas à détacher son regard deReggie.

C'étaitlui.Baloo.C'étaitforcémentlui.Ilnel'avaitpasquittéedelasoirée.Elleétaitsûrequ'ilyavaitdesmessagescachésdansnombrederemarquesqu'ilavaitfaites.Çafaitlongtempsquejen'aipaseul'occasiondeparleràJenny.Ellenepouvaitpasl'avoirinventé.Ilbuvaitduwhisky.Baloo.Latêteluitournait.Elleavaittropbu,maiselles'enfichaitéperdument.Elledevaitenavoirlecœurnet.—Onvaêtrehorriblementenretard,grommelalapetiteamiedeReggied'unairsombre.IladressaàJenniferunregardcompliceetconsultasamontre.—Oh,ilsserontsûrementdéjàpartis.Àl'heurequ'ilest,ilsontdûallermanger.—Alorsqu'est-cequ'onfait?—Quisait?répliqua-t-ilenhaussantlesépaules.—Tuesdéjàallédansceclub,Alberto's?demandasoudainJennifer.—Voussavezbienqueoui,madameStirling,réponditReggieavecunlentsourirerusé.

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—Vraiment?Soncœurbattaitàtoutrompre.Ellen'enrevenaitpasquepersonned'autrenel'entendait.—Ilmesemblet'avoirvueChezAlbertoladernièrefoisquej'ysuisallé.Sonexpressionétaitespiègle,presquemalicieuse.—Sacréesoirée,ditMaureend'untonacerbe,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonmanteau.EllefusillaJenniferduregard,commesitoutétaitsafaute.Oh,siseulementtun'étaispaslà,songeaJennifer,lecœurbattant.—Vousn'avezqu'àveniravecnous!s'écria-t-ellesoudain.—Pardon?—ÀlasoiréedanslesbureauxdeLaurence.Ceserasûrementd'unennuimortel,maisvouspourrez

mettreunpeud'ambiance.Veneztouslesdeux!Ilyaurabeaucoupàboire,ajouta-t-elle.Reggiesemblaitenchanté.—Tupeuxcomptersurnous.—J'aimonmotàdirelà-dedans?intervintMaureen,furieuse.—Allez,Mo!Onvas'amuser.Sinon,ceseraseulementtoietmoidansunvieuxrestaurantbarbant.LedésespoirdeMaureense lisaitdanssonregard.Jenniferavaitbeausesentircoupable,elle resta

ferme.Elledevaitsavoir.—Laurence ? appela-t-elle. Laurence chéri ?Reggie etMaureen vont venir avec nous.On va bien

s'amuser,n'est-cepas?Laurencehésitaenhautduperron,lesclésàlamain,leregardpassantdel'unàl'autre.—Formidable!lâcha-t-ilenfinendescendantlesmarchesd'unpastranquille.De toute évidence, Jennifer avait sous-estimé le potentiel de déchaînement de la soirée deNoël de

l'entreprise. Peut-être était-ce à cause de la décoration, des généreuses quantités de boisson et denourriture, ou encore de l'absence prolongée du patron, mais, quand ils arrivèrent, la fête battait sonplein. Quelqu'un avait apporté un gramophone portable, les lumières étaient tamisées et les bureauxavaientétépousséssurlecôtépouraménagerunepistededanse.UnefoulebruyantesedéhanchaitsurduConnieFrancis.—Larry!Tunenousavaispasditquetesemployésavaientungoûtsiprononcépourlafête!s'écria

Reggie.Jennifer abandonna sonmari, resté figé sur le pas de la porte, et partit se mêler aux danseurs. Sa

mauvaise humeur se lisait sur son visage : son lieu de travail, son domaine, son refuge, étaitméconnaissable;ilnecontrôlaitplussonéquipe,etildétestaitça.Sonassistanteselevadesachaise,oùelleavaitdûresterassisetoutelasoirée,etluiadressaquelquesmots.Ilhochalatêteettentadesourire.—À boire ! s'écria Jennifer, désireuse de s'éloigner de lui autant que possible. Bats-toi, Reggie !

Trouve-nousquelquechosedefort!Ellefutvaguementconscientedesquelquesregardssurprisquipassèrentd'elleàsonmarilorsqu'elle

sefrayauncheminaumilieudupersonnel.Beaucoupavaientdesserréleurcravate,levisagerougipar

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l'alcooletladanse.—Bonsoir,madameStirling.Ellereconnutlecomptablequiluiavaitparléaubureauquelquessemainesauparavantetluisourit.Le

visageluisantdesueur,iltenaitparlatailleunefillequigloussaitsoussonchapeaupointu.—Bonsoir!Pouvez-vousnousindiqueroùsetrouventlesboissons?—Là-bas.Prèsdubureaudesdactylos.Onavaitpréparéunegigantesquecuvedepunch.Desgobeletsencartonfurentremplisetpassésau-

dessusdelatêtedesfêtards.ReggieentenditunàJennifer,quilevidaculsecetéclataderirelorsquelapuissanceinattenduedel'alcoollafittousseretcracher.Puisellesemitàdanser,perduedansunemerdecorps, vaguement consciente du sourire de Reggie, de samain qui se posait de temps à autre sur sahanche. Elle aperçut Laurence, posté contre le mur, qui l'observait d'un air impassible. Puis, avecréticence, ils'engageadansuneconversationavec l'undesesemployésparmi lesplusâgéset lesplussobres.Ellenevoulaitpass'approcherdelui.Elleauraitvouluqu'ilrentreàlamaisonetlalaissedanser.EllenevoyaitplusMaureen.Lajeunefemmeétaitpeut-êtrepartie.Leschosessebrouillaient,letempss'étirait,devenaitélastique.Elles'amusait.Elleavaitchaud.Ellelevalesbrasau-dessusdelatêteetselaissa porter par lamusique, ignorant les regards curieuxdes autres femmes.Reggie la fit tourner surelle-même, la faisanthurlerderire.Bonsang,commeelleétaitvivante !Enfin,elleavait l'impressiond'êtreàsaplace.Pourlapremièrefois,ellenesesentaitpascommeuneétrangèredansunmondecenséêtrelesien.LamaindeReggiefrôlalasienne,troublanteetélectrique.Sesregardsétaientdevenuscomplices,son

sourireentendu.Baloo.Ilarticulaquelquechoseensilence.—Quoi?Ellerepoussaunemèchequelasueuravaitcolléesursonvisage.—Ilfaitchaud.J'aibesoind'unautreverre.Samainétaitcommeradioactivesursahanche.Ellesecolladerrièrelui,dissimuléeparlescorpsqui

lesentouraient.Laurenceavaitdisparu.Ildevaitêtredanssonbureau,songea-t-elle.Lalumièreyétaitallumée.Laurence devait détester ça. Il haïssait toute formed'amusement.Et souvent, au cours de cesdernièressemaines,elles'étaitdemandés'ilnelahaïssaitpas,elleaussi.Reggieluiglissaungobeletdanslamain.—Del'air,cria-t-il.J'aibesoind'air!Puisilsseretrouvèrentdanslegrandvestibule,rienquetouslesdeux,danslafraîcheuretlesilence.

Lesbruitsdelafêtes'étaienttuslorsquelaportes'étaitreferméederrièreeux.—Parici,murmura-t-ilenlafaisantpasserdevantl'ascenseur,verslasortiedesecours.Sortonsdans

l'escalier.Il peina à ouvrir la porte,mais ils se retrouvèrent bientôt dans l'air glacial de la nuit, que Jennifer

inspira avidement comme pour étancher une grande soif. En contrebas, elle apercevait la rue et lesoccasionnelsfeuxdestopd'unevoiture.—Jesuistrempé!s'écria-t-ilentirantsursachemise.Etjen'aiabsolumentaucuneidéedel'endroitoù

j'ailaissémaveste!Ellesesurpritàcontemplersoncorps,àprésentclairementdessinéparletissuhumidedesachemise,

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etseforçaàdétournerlesyeux.—Ons'estbienamusés,murmura-t-elle.—Mafoi!Maisjen'aipasvulevieuxLarrydanser.— Il ne danse pas, répondit-elle en se demandant comment elle pouvait l'affirmer avec une telle

certitude.Jamais.Ilsrestèrentuninstantsilencieux,lesyeuxperdusdanslapénombredelaville.Auloin,ilsentendaient

larumeurdelacirculationet,derrièreeux,lebrouhahaétouffédelafête.Elleavaitlesoufflecourt,lecorpstenduparl'anticipation.—Tiens,fitReggie,quivenaitdeprendreunpaquetdecigarettesdanssapocheetdeluienallumer

une.—Jene…Elles'interrompit.Aprèstout,qu'ensavait-elle?Peut-êtreavait-ellefumédescentainesdecigarettes.—Merci.Ellelapritavecprécaution,entredeuxdoigts,avalalafuméeetsemitàtousser.Reggieéclataderire.—Jesuisdésolée,dit-elleavecunsourire.Jesuisnulleàça.—Continuequandmême.Çavatefairetournerlatête.—J'aidéjàlatêtequitourne,répliqua-t-elleensesentantrougir.—C'estd'êtresiprochedemoi,jeparie,souffla-t-ilavecungrandsourireens'approchantd'unpas.Je

medemandaisquandnouspourrionsenfinnousretrouverseuleàseul.Illuifrôlal'intérieurdupoignet.—Cen'estpasfaciledeparlerencodequandtoutlemondeestlà,poursuivit-il.Ellesedemandasielleavaitbienentendu.—Oui,dit-elled'unevoixrauqued'émotion.Oh,monDieu,j'auraisvouluteretrouverplustôt.Çaaété

tellementdur.Jet'expliqueraiplustard,maisilyaeuunmomentoù…Oh,Balooserre-moi.Serre-moifort.—Avecjoie.Ill'enlaça,l'attiranttoutcontrelui.Elleneditrien,necherchantqu'àretrouverlasensationd'êtredans

sesbras.Ellefermalesyeux,respirantl'odeurviriledesasueur,percevantlasurprenanteétroitessedesontorse,prêteàselaissertransporter.Jet'aiattendusilongtemps,luidit-elleensilenceenlevantlevisageverslesien.Il posa ses lèvres sur les siennes et, l'espace d'un instant, elle frémit. Puis son baiser se fit avide,

sauvage.Sesdentsvinrentheurterlessiennesetsalanguesefrayauncheminjusqu'aufonddesabouche,sibienqu'elledutlerepousser.Ilnesemblapass'enformaliser.Sesmainsglissèrentsursesfesses,l'attirantsiprèsdeluiqu'elleput

sentirsonsexepressécontreelle.Illacontemplait,lespupillesdilatéesdedésir.—Tuveuxqu'onaillesetrouverunechambred'hôtel?Ou…ici?Elleleregardalonguement.C'estforcémentlui,sedit-elle.Toutl'indiquait.MaiscommentBpouvait-

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ilêtresi…sidifférentdecequ'ilavaitécrit?—Qu'est-cequ'ilya?demanda-t-il,voyantuneombrepassersursonvisage. Il fait tropfroidpour

toi?Oubienc'estl'hôtelquitedérange?C'esttroprisqué?—Je…Çan'allaitpas.Ellerecula,sedégageantdesonétreinte.—Jesuisdésolée.Jenecroispas…Ellelevalamainàsonfront.—Tuneveuxpasfaireçaici?Ellefronçalessourcils.Puislevalesyeuxverslui.—Reggie,tusaiscequesignifie«décadent»?—Dé-ca…quoi?Ellefermalesyeux,puislesrouvrit.—Ilfautquejem'enaille,marmonna-t-elle.Ellesesentaitsoudainterriblementsobre.—Pourtanttuaimesça,allervoirailleurs.—J'aimequoi?—Ehbien,jenesuispaslepremier…Ellecilla.—Jenecomprendspas.—Oh,nejouepaslesinnocentes,Jennifer!Jet'aivue,tutesouviens?Aveccethomme.ChezAlberto.

J'aibiencompristesallusions,toutàl'heure,devanttoutlemonde.—Cethomme?Iltiraunedernièrefoissursacigarette,puisl'écrasaviolemmentsoussontalon.—C'estquoi,tonpetitjeu?Hein?Jenesuispasdignedetoiparcequejen'aipascompriscemot

stupide,c'estça?—Quelhomme?Ellel'avaitprisparlamanche,incapabledeseretenir.—Dequituparles?Illarepoussafurieusement.—Tuesentraindejoueravecmoi?—Non,protesta-t-elle.Ilfautjustequejesacheavecquitum'asvue.—Bon sang ! Je savais bien que j'aurais dû repartir avecMo quand j'en ai eu l'occasion.Elle, au

moins,ellesaitm'apprécier.Cen'estpasune…uneallumeuse,cracha-t-il.Soudain, sonvisage, rougedecolère, fut inondéde lumière. Jennifer fitvolte-face :Laurencevenait

d'ouvrir laportedesecours. Il restaun instantfigédevant lespectacledesafemmeetde l'hommequis'écartait d'elleprécipitamment.La têtebasse,ReggiepassadevantLaurenceet entradans lebâtimentsansmotdire,ens'essuyantlabouche.

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Jenniferrestaclouéesurplace.—Laurence,cen'estpascequetu…—Retourneàl'intérieur,dit-il.—Je…—Rentre.Toutdesuite.Il parlait à voix basse, apparemment calme. Après une seconde d'hésitation, elle pénétra dans le

bâtiment. Elle s'avança vers la porte des bureaux, se préparant à rejoindre la fête, sous le choc,tremblante,enproieàlaconfusion.Lorsqu'ilspassèrentdevantl'ascenseur,illasaisitparlatailleetluifitfairevolte-face.—Necroispaspouvoirm'humilier,Jennifer,souffla-t-il.—Lâche-moi!—Jeneplaisantepas.Jenesuispasunimbécilequetupeux…—Lâche-moi!Tumefaismal!Ellesedébattit.—Écoute-moi,grinça-t-il,lamâchoireserrée.Jenevaispassupportercepetitmanège,tum'entends?

Jenevaispaslesupporter.Lacolèredanssavoixétaitpalpable.—Laurence!—Larry!Appelle-moiLarry!hurla-t-ilenlevantlepoing.Laportes'ouvrit,etl'hommedelacomptabilitéapparut.Ilriait,lebraspassésurlesépaulesdelafille

detoutàl'heure.Lorsqu'ilsurpritlascène,sonsourires'effaça.—Ah…Onnefaisaitquesortirprendrel'air,monsieur,dit-ild'unairgêné.Laurence lâcha le poignet de Jennifer qui, saisissant sa chance, passa devant le couple et dévala

l'escalierencourant.

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Ilyadeschosesquej'aimetantcheztoi,maisilyaaussideschosesquejedéteste.Etjeveuxque

tusachesquejepensedeplusenplusauxchosesquimegênentcheztoi.Lafoisoùtuastuécehomard.La façonque tuaseuedecrieretde taperdesmainspourque lesvaches s'écartentde la route.

Nous aurions pu nous contenter d'attendre qu'elles aient fini de passer. Nous aurions pu rater lecinémaTamanièrealéatoiredecouperleslégumes.Taperpétuellenégativité.J'ai dû étaler trois couchesdepeintureà l'endroit où tuas écrit tonnuméro sur lemur, au stylo

rouge.Tusavaisquejeredécorais,maisçan'enrestepasmoinsungrosgâchisdepeinture.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitre9

ASSISAUBAR,UNETASSEÀCAFÉVIDEÀLAMAIN,ANTHONYREGARDAITL'ESCALIERQUIMONTAITVERSLA

RUE, attendant de voir une paire de jambes descendre les marches. De temps en temps, un coupledescendaitChezAlberto,seplaignantdelachaleurinhabituellepourlasaisonetdeleurgrandesoif.IlspassaientdevantSherrie,lafilleduvestiaire,quis'ennuyaitferme,avachiesursontabouretavecunlivredepoche.Anthonyétudiaituninstantleursvisages,puisseretournaitverslebar.Ilétait19h15.Danssalettre,elleavaitindiqué18h30.Illaressortitdesapocheetlalissasurle

comptoir,examinantlagrandeécrituretoutencourbesquiconfirmaitqu'elleseraitlà.Jet'embrasse,J.Pendantcinqlonguessemaines,ilsavaientéchangédeslettres.Iladressaitlessiennesaucentredetri

deLangleyStreet,oùelleavaitprislaboîtepostalenuméro13–celledontpersonnenevoulaitjamais,àencroirel'employéedespostes.Ilsn'avaientpusevoirquecinqousixfois,etleursrencontresavaientétébrèves–tropbrèves,restreintesauxraresoccasionsoùsonemploidutempsetceluideLaurenceleleurpermettaient.Maiscequ'iln'avaitpasletempsdeluidireenpersonne,ill'avaitditsurlepapier.Ilécrivaitpresque

touslesjoursetluiracontaittout,sanshonteniembarras.C'étaitcommesiunebrèches'étaitouvertedansunbarrage.Illuidisaitàquelpointelleluimanquait,luiracontaitsavieàl'étrangeretcomment,jusqu'àleur rencontre, iln'avait jamaispuseposer,commes'ildevait toujourssuivreuneconversationqui sepoursuivaitailleurs.Devantelle,ilavaitétalétoussesdéfauts–égoïste,entêté,souventinsensible–etluiavaitmontréà

quelpointsoninfluenceluiavaitpermisdelesadoucir.Illuirépétaitqu'ill'aimait,encoreetencore,sedélectantdel'aspectdesmotssurlepapier.Encomparaison,seslettresàelleétaientbrèvesetpragmatiques.Retrouve-moiàtelendroit,disaient-

elles.Oubien:Pasàcetteheure-là,viensunedemi-heureplustard.Ousimplement:Oui.Moiaussi.Audébut,craignantquecetteconcisionnefûtlerefletdessentimentsqu'elleéprouvaitpourlui,ilavaitpeiné à comprendre comment cesmots pouvaient appartenir à la femme qu'elle était quand ils étaientensemble–affectueuse,taquine,soucieusedesonbien-être.Unsoiroùelleétaitarrivéetrèsenretard–Laurenceétait rentréplus tôtqueprévu,etelleavaitdû

inventeruneamiemaladepourpouvoirsortir–,ellel'avaittrouvéivreethargneuxaubar.—C'estgentildepassermevoir,avait-ilditd'unairsarcastiqueenlevantsonverredanssadirection.Ill'avaitattenduependantdeuxheuresetavaitbuquatredoubleswhiskys.Elleavaitenlevésonfoulardetcommandéunmartini.Puis,unesecondeplustard,elleavaitannuléla

commande.—Tunerestespas?

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—Jen'aipasenviedetevoirdanscetétat.Ils'étaitmisàvociférer,luireprochanttouslesmanquesqu'ilressentaitàcaused'elle–lemanquede

temps,lemanquedemotssurlepapier–,ignorantlamainqueFelipe,lebarman,avaitposéesursonbraspourlecalmer.Sessentimentsleterrifiaient,et,rienquepourça,ilvoulaitlablesser.—C'estquoi,tonproblème?Tuaspeurd'écrirequelquechosedontonpourraitseservircontretoi?Il s'étaitdétestéenprononçantcesmots. Il savaitqu'il avaitperdu toutegrâceà sesyeux,qu'il était

devenul'objetdelapitiéqu'ilavaitsidésespérémenttentédenepaséveillerenelle.Jenniferavaittournélestalonsetremontélesmarchesd'unpasvif,ignorantsessuppliques.Lelendemainmatin,ilavaitlaissédanslaboîtepostaleunmessagecontenantunseulmot.Puis,deux

longuesjournéesplustard,accabléderemords,ilavaitreçuunelettre:Boot.Jenemedévoilepasfacilementparécrit.Pasplusquejenedonnemoncœuraupremiervenu.

Lesphrases,c'est tonmétier,et jechérislemoindremotquetum'envoies.Maisnejugepasdemessentimentsenfonctiondemesréponses.Sij'essayaisd'écrirecommetoi,tuseraistrèsdéçu,j'enaibienpeur.Onsepréoccuperarementde

mon opinion – surtout sur un sujet si important – et j'ai beaucoup demal à l'exprimer. Crois-moiquandjetedisquejesuislà.Aieconfianceenmesactes,enmonaffection.Pourmoi,c'esttoutcequicompte.

J.Ilavaitpleurédehonteetdesoulagementenrecevantlalettre.Plustard,ilsoupçonnaqu'unepartiedu

problème,celledontJenniferneparlaitpas,résidaitdanslefaitqu'ellesesentaittoujourshumiliéeparcequis'étaitpassédanscettechambred'hôtel,malgrétousseseffortspourluiexpliquersesraisons.Endépitdetoutcequ'ilavaitpudire,ildevinaitqu'elleredoutaitden'êtrequ'uneénièmefemmemariéeàsontableaudechasse.—Tapetiteamienevapasvenir?Felipeseglissasur le tabouretvoisin.Peuàpeu, leclubs'était rempli.Les tablesbourdonnaientde

discussions,unpianiste jouaitdansuncoin,etFelipeavait encoreunedemi-heuredevant luiavantdeprendresatrompette.Auplafond,leventilateurtournaitparesseusement,déplaçantàpeinel'airépaisetmoitedelasalle.—Tunevaspasencorefinirdéchiré,hein?—C'estducafé.—Faisgaffe,Tony.—Jet'aiditquec'étaitducafé.—Jeneparlepasdeça.Undecesjours,tuvascoucheravecunefemmedetrop.Unjour,unmariva

venirtefairelapeau.Anthonylevalamainpourcommanderunautrecafé.—Jesuisflatté,Felipe,quemasurvietetienneàcœur,maisjefaistoujourstrèsattentionauchoixde

mespartenaires…

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Ilesquissaunsourireoblique.—Crois-moi, reprit-il, il faut avoir une certaine confiance en son jugement pour laisser undentiste

jouerdelaroulettedanssabouchemoinsd'uneheureaprèsavoir…divertisafemme.Felipeneputréprimerunéclatderire.—T'ashontederien,mec.—Jamais.Parceque,etc'estmondeuxièmement,jenetoucheraiplusauxfemmesmariées.—Plusquedescélibataires?—Non.Plusqu'uneseulefemme.Cettefois,c'estlabonne.—Enattendantlasuivante,oui!s'esclaffaFelipe.Etaprèsça,tuvasmedirequoi?Quetut'esmisà

étudierlaBible?L'ironieétaitlà:plusilluiécrivait,tentantdelaconvaincredelaréalitédesessentiments,pluselle

semblaitpenserquesesmotsnesignifiaientrienpourlui,commes'ilscoulaienttropfacilementdesonstylo.Elle l'avait taquinéplusieursfoisàcesujet,mais ilavaitsenti legoûtâpredelavéritésouslesplaisanteries.Jennifer et Felipe voyaient la même chose : un homme incapable d'aimer vraiment. Un homme qui

désiraitl'inaccessibleletempsqu'illuifallaitpourl'obtenir.—Unjour,Felipe,monami,jepourraistesurprendre.—Tony, ça fait bien trop longtempsque tu t'assieds à cette place. Il n'y a plus de surprises.Tiens,

regarde,quandonparleduloup…Voilàtoncadeaud'anniversaire.Etjolimentemballé.Anthony leva lesyeuxetvitunepaired'escarpinsde soievert émeraudenégocier lesmarches.Elle

progressaitlentement,lamainsurlarampe,commelapremièrefoisqu'ill'avaitregardéedescendrelesmarchesdesonperron,serévélantcentimètreparcentimètrejusqu'àcequesonvisage,rougeetluisantdesueur,setrouveàsahauteur.Enlavoyant,iloubliaunesecondederespirer.—Jesuisdésolée,dit-elleenl'embrassantsurlajoue.Ilrespiraunetièdeboufféedeparfum,sentitl'humiditédesesjouessetransférersurlessiennes.Elle

luiserradoucementlesdoigts.—J'aieu…unpeudemalàvenirici.Onpeuts'asseoirquelquepart?Felipeleurdésignauncoinisolé,etelletentadeseremettredel'ordreàsescheveux.—Jecroyaisquetuneviendraisplus,déclara-t-ilaprèsqueFelipeluieutapportéunmartini.—LamèredeLaurencem'arenduvisiteàl'improviste.Ellen'arrêtaitpasdeparler.J'étaisassiselà,à

l'écouterenservantlethé,etj'aifaillimemettreàhurler.—EtLaurence,ilestoù?Iltenditlamainsouslatableetlarefermasurlasienne.Bonsang,commeilaimaitcettesensation.—ÀParis.Ilarendez-vousavecquelqu'undechezCitroënpourunehistoiredegarnituresdefreins,

ouquelquechosecommeça.—Situétaismafemme,ditAnthony,jenet'abandonneraispasunseulinstant.—Jepariequetuasdéjàfaitcettedéclarationàcellesquim'ontprécédée.—Arrête.J'aihorreurdeça.

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—Oh, ne prétends pas que tu ne t'es pas déjà servi de toutes tesmeilleures répliques sur d'autresfemmes.Jeteconnais,Boot.Tumel'asdittoi-même,tuterappelles?Ilsoupira.—Alors voilà où l'honnêteté nousmène. Je comprendsmieux pourquoi je n'avais jamais eu envie

d'essayer.Il la sentit glisser sur la banquette pour se rapprocher de lui. Elle enroula les jambes autour des

siennes,etquelquechoseen lui sedétendit.Ellebut sonmartini,puisundeuxième,et là,dansceboxdouillet, avecelle tout contre lui, il eut l'impression fugacequ'elle lui appartenait.Legroupe semit àjouer,Felipe à la trompette, et, tandisqu'elle regardait lesmusiciens, levisage radieuxà la lueurdesbougies,ill'observaàladérobée,savourantlamystérieusecertitudequ'elleseraitlaseulefemmejamaiscapabledeluifaireressentirça.—Ondanse?Ilyavaitdéjàdescouplessurlapiste,sebalançantaurythmedelamusiquedansunequasi-obscurité.

Illapritdanssesbras,respirantl'odeurdesescheveux,sentantsoncorpsseserrercontrelesien,etils'autorisaàcroirequ'iln'yavaitqu'euxdeux,lamusiqueetladouceurdesapeau.—Jenny?—Oui?—Embrasse-moi.Tousleursbaisers,depuislepremierqu'ilsavaientéchangéàPostman'sPark,avaientétécachés:dans

savoiture,dansuneruedésertedebanlieue,derrièreunrestaurant.Ilvoyaitdéjàlaprotestationseformersur les lèvresdeJennifer : Ici?Devant touscesgens?Résigné, il attenditde s'entendredireque lerisqueétaittropgrand.Puis,àsagrandestupéfaction,ilvitsonvisages'adoucircommechaquefoisqu'iln'étaitplusqu'àquelquesmillimètresdusien.Elleposalamainsursajoueetl'embrassaavecunmélangedefougueetdetendresse.—Tumerendsheureuse,tusais,murmura-t-elle,avouantàdemi-motqu'ellenel'étaitpasavant.Elleentrelaçasesdoigtsdanslessiens;possessive,sûred'elle.—Jenepeuxpasprétendrequecettesituationmerendheureuse,maistoioui.—Alorsquitte-le.Lesmotsétaientsortisdesaboucheavantqu'iln'aiteuletempsderéfléchir.—Quoi?—Quitte-le.Viensvivreavecmoi.Onm'aoffertuneaffectation.Onpourraitdisparaître.—Arrête.—Quoi?—Deparlercommeça.Tusaisquec'estimpossible.—Pourquoi?demanda-t-il,conscientdutonrevendicateurqu'ilavaitemployé.Jenevoispasenquoi

c'estimpossible.—On…onneseconnaîtpasvraiment.—Si,onseconnaît.Tusaisbienqu'onseconnaît.

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Ilsepenchasurelleetl'embrassaencore.Sentantcettefoisunelégèrerésistance,ill'attiraplusprès,lamainposéesursesreins,etlasentitfondrecontrelui.Lamusiquesemblas'éloigner.Ilrelevad'unemainlescheveuxquiluicouvraientlanuque,sentantsapeaumoiteendessous,ets'arrêta.Elleavaitlesyeuxfermés,latêtelégèrementinclinéesurlecôté,leslèvresàpeineentrouvertes.Puis elleouvrit lespaupières,plongea sesyeuxbleusdans les siens et sourit.Undemi-sourire à se

damner,dans lequelondevinaitunimmensedésir.Combiendefoisdanssavieunhommevoyait-ilunsourirecommecelui-ci?Cen'étaitpasunemimiquedeconsentement,d'affectionoud'obligation.Oui,trèsbien,chéri,sic'estvraimentcequetuveux.JenniferStirlingavaitenviedelui.Elleavaitenviedeluiautantqu'ilavaitenvied'elle.—J'aiterriblementchaud,dit-elledansunsoufflesanslequitterdesyeux.—Alorsallonsprendrel'air.Illapritparlamainpourlaguiderentrelescouplesquidansaient.Illasentaitrire,s'accrocheràsa

chemisedanssondos.Lorsqu'ilsparvinrentàlarelativeintimitéducouloir,ilétouffasonriresouslesbaisers,perdant lesmainsdanssescheveux,pressantses lèvres tièdessouslessiennes.Elle luirenditsonbaiseravecunepassiongrandissante,sansmêmetressaillirenentendantdesgenspasseràcôtéd'eux.Ilsentitdesmainsseglissersoussachemise,etlacaressedesesdoigtssursapeauluiprocuraunplaisirsiintensequ'ilperdituninstantlafacultédepenser.Quefaire?Quefaire?Leursbaiserssefirentplusprofonds, plus passionnés. Il savait que s'il ne la prenait pasmaintenant, il allait exploser. Il s'écartad'elle,lesmainsposéessursonvisage,etcroisasonregardlourddedésir.Sonvisagerougissantétaitlaseuleréponsedontilavaitbesoin.Iltournalatête.Sherrieétaittoujoursplongéedanssonroman,levestiaireétantdésertdanslachaleur

moitedumoisd'août.Ellenelesregardaitmêmepas,blaséepartoutcequ'elleavaitvudanscecouloiraufildesannées.—Sherrie,dit-ilensortantunbilletdedixshillingsdesapoche,qu'est-cequetudiraisd'unepause-

café?Ellehaussaunsourcil,pritlebilletetselaissaglisserdesontabouret.—Dixminutes,répondit-ellesansdétour.PuisJennifer,engloussant,lesuivitdanslevestiaire.Ilentenditsonsouffles'accélérerquandiltirale

rideaunoirdelapetitealcôveaussiloinquepossible.Là,l'obscuritéétaitdouceetcomplète,l'odeurd'unmillierdemanteauxflottanttoutautourd'eux.Lovés

dans les bras l'un de l'autre, ils trébuchèrent contre la tringle à vêtements, les cintres métalliquess'entrechoquantau-dessusd'eux.Ilnelavoyaitpasmaiselleétaitbienlà,faceàlui,ledoscontrelemur,leslèvrescontrelessiennes,murmurantsonnom.Unepartiedeluisavait,mêmeàcetinstant,qu'elleallaitlemeneràsaperte.—Dis-moid'arrêter,murmura-t-il,lamainsursonsein,respirantavecpeine,sachantquec'étaitlàla

seuleéchappatoire.Dis-moid'arrêter.Ellesecoualatêteenunrefusmuet.—Oh,bonsang!dit-ildansunmurmure.Puislapassions'emparad'eux.Lesoufflecourt,ellenoualesjambesautourdessiennes.Ilpassales

mainssoussarobe,effleurantsessous-vêtementsdesoieetdedentelle.Illasentitglisserlesdoigtsdans

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sescheveux,l'autremaintâtonnantàlarecherchedesabraguette.Ilenfutconfusémentchoqué,commes'ils'étaitimaginéquesonsensinnéduprotocoleauraitdûtempérersesardeurs.Letempss'étira,l'airsefitélastique,leurssoufflessemêlèrent.Unbruitdetissufroissésefitentendre.

Leursjambesdevinrentmoites,lessiennesserenforçantpoursoutenirsonpoids.Puis–ômerveille–ilfutsoudainenelle.L'espaced'uninstant,touts'arrêta:sonsouffle,sesgestes,soncœur.Peut-êtremêmelemonde. Il sentit sa bouche ouverte contre la sienne tandis qu'elle reprenait son souffle. Puis ils seremirentenmouvement.Ilnepouvaitpluspercevoirqu'uneseulechose,sourdauxtintementsdescintresquis'entrechoquaient,àlamusiqueétoufféedel'autrecôtédumur,àlasourdeexclamationd'unhommeretrouvantunamidanslecouloir.Iln'yavaitplusqueluietJennifer,sebalançantdoucementd'avantenarrière,puisplusvite.Elleavaitcesséderireetleserraitdeplusenplusfort,leslèvressursapeau,lesouffleàsonoreille.Illasentitseconvulseravecuneviolenceexponentielle,lasentitdisparaîtreauplusprofondd'elle-même.Ilsavaitaufonddeluiqu'ilnedevaitpasfaireunbruit–c'estdumoinscequeluidictaitlepeuderaisonquiluirestait.Uncrimontaitdufonddesagorge.Il l'arrêtanetensoudantseslèvresauxsiennes,absorbantàlafoislesonetleplaisir,qu'ilressentitàl'unissonavecelle.Parprocuration.Puisillareposaausol,lesjambestremblantes.Ilss'appuyèrentl'uncontrel'autre,étroitementenlacés,

etilsentitleslarmesdeJenniferluicoulersurlesjouestandisqu'ellefrissonnait,toutemolleentresesbras.Plustard,ilneputserappelercequ'illuiavaitditàcetinstant.Jet'aime.Jet'aime.Nemelaissejamais partir. Tu es si belle. Il se souvint d'avoir tendrement essuyé ses larmes, de ses murmuresrassurants,desesdemi-sourires,desesbaisers,desesbaisersetsurtoutdesesbaisers.Puis,commeauboutd'unlointaintunnel,ilsentendirentSherrietoussoter.Jenniferdéfroissasarobe,le

laissarefermersachemiseetlepritparlamainpourleguiderverslalumière,verslemonderéel.Lesjambestoujoursengourdies,lesoufflehaletant,ilregrettaitdéjàceparadisobscur.—Quinzeminutes,fitremarquerSherriesansleverlesyeuxdesonromanlorsqueJenniferpassadans

lecouloir.Sarobeétaitimpeccable;seulesacoiffure,légèrementaplatiesurlanuque,pouvaitlaisserdevinerce

quivenaitdesepasser.—Situledis.Ilglissaàlajeunefilleunnouveaubillet.Jennifersetournaverslui,levisagetoujoursécarlate.—Machaussure!s'écria-t-elleenlevantunpiedseulementchausséd'unbas.Elleéclataderire,lamainplaquéesurlabouche.Iltentadeseréjouirdesonairespiègle–ilavait

craintdelavoirsoudainpensiveouprisederemords.—J'yvais,déclara-t-ilenfaisantdemi-tour.—Quiaditquelagalanterieétaitmorte?murmuraSherrie.Enfuretantdansl'obscuritéàlarecherchedel'escarpinvert,ilmitdel'ordreàsescheveux,craignant

d'êtreaussicompromisparsacoiffurequeJennifer. Il luisemblait reconnaître leseffluvesmusquésdusexe,mêlés à des traces de parfum. Il n'avait jamais rien ressenti de tel. Il ferma les yeux un instant,faisantrevivrelasensationde…—Çaalors,madameStirling!

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Il trouvalachaussuresousunechaiseretournéeetentendit lavoixdeJennifer–unbrefmurmuredeconversation.Enémergeant, il aperçutun jeunehommequi s'était arrêtéprèsduvestiaire.Unecigarettevisséeau

coin de la bouche, il tenait par la taille une petite brune qui applaudissait les musiciens avecenthousiasme.—Commentvas-tu,Reggie?demandaJenniferenluitendantunemainqu'ilserrarapidement.Anthonyvitleregarddujeunehommeglisserverslui.—Trèsbien.M.Stirlingvousaccompagne?Ellehésitaàpeine:—Laurenceestenvoyaged'affaires.VoiciAnthony,unami.Ilaeulagentillessedem'emmenerdanser

cesoir.—Enchanté.Anthonyluiserralamainavecungrandsourirequiluifitl'effetd'unegrimace.LedésordredanslacoiffuredeJennifern'échappapasàReggie,quiremarquaaussilalégèrerougeur

desesjoues.Aprèsl'avoirdétaillée,illuijetaunregardentendu.—J'aicommel'impressionqu'ilvous…manqueunechaussure,murmura-t-il.—Ce sontmes chaussures dedanse, expliqua-t-elle, imperturbable. J'aimis les autres auvestiaire,

maisonm'arenduunepairedépareillée.Anthonyluitenditsachaussure.—Jel'aitrouvée.J'airemistonautrepairesoustonmanteau.Sherrie,assisederrièreeux,restaitimpassible,levisagedissimuléderrièresonlivre.Reggieaffichaunpetitsouriresuffisant.Detouteévidence,ilsedélectaitdel'embarrasdanslequelil

venaitdelesmettre.Anthonysedemandasilejeunehommes'attendaitàcequ'ilsluioffrentunverreouluiproposentdesejoindreàeux,maisilpouvaittoujourscourir.Heureusement,lacompagnedeReggieletiraparlebras.—Viens,Reggie.Regarde,Melestlà-bas.—Ledevoirm'appelle.Profitezbiendela…danse.Avecunderniersignedelamain,Reggies'éloigna,slalomantentrelestables.—Merde,marmonnaJennifer.Merde.Merde.Merde.Anthonylapoussadoucementpourlaramenerdanslasalle.—Allonsboireunverre.Ilsseglissèrentdansleurbox.L'extasequ'ilsavaientpartagéedixminutesauparavantn'étaitdéjàplus

qu'unlointainsouvenir.Rienquepourça,AnthonyauraitvouluassommerReggied'uncoupdepoing.Jennifervidad'untraitsonverredemartini.End'autrescirconstances,ilaurait trouvéçaamusant.À

présent,celanefaisaitquetrahirsonanxiété.—Netetracassepaspourça,dit-il.Detoutefaçon,tunepeuxrienfaire.—Maiss'ilenparlaità…—Alorstun'asplusqu'àquitterLaurence.C'estsimple.

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—Anthony…—Tunepeuxplusrevenirverslui,Jenny!Pasaprèsça!Tulesais!Ellesortitsonpoudrieretessuyalemascaraquiluiavaitcoulésouslesyeux.L'airmécontent,ellele

refermabrutalement.—Jenny?—Tu te rends comptede ceque tumedemandes ? Jeperdrais tout.Ma famille… toutemavie. Je

seraisdéshonorée.—Maistum'aurais,moi.Jeterendraisheureuse.C'esttoi-mêmequil'asdit.—Cen'estpaspareilpourunefemme.Jeserais…—Onpourraitsemarier.—TucroisvraimentqueLaurenceaccepteraitledivorce?Tucroisvraimentqu'ilmelaisseraitpartir?

répliqua-t-elle,levisageassombri.—Jesaisqu'iln'estpasbonpourtoi.Moi,jelesuis.Faceàsonsilence,ildemanda:—Tuesheureuseaveclui?C'estça,laviequetuveux?Êtreprisonnièred'unecagedorée?—Jenesuispasprisonnière.Nesoispasridicule.—Tun'enespasconsciente,voilàtout.—Non.C'esttoiquivoiscequit'arrange.Larryn'estpasquelqu'undemauvais.—Tunet'enrendspasencorecompte,Jenny,maistuvasêtredeplusenplusmalheureusesiturestes

aveclui.—Alorsmaintenanttuescartomancien,enplusd'êtregratte-papier?Ilétaittoujourshorsdelui,etçalerendaittéméraire.— Il va t'étouffer, souffler cette étincelle qui fait de toi ce que tu es. Jennifer, cet homme est un

imbécile,unimbéciledangereux,ettuestropaveuglepourlevoir.Ellesetournafurieusementverslui.—Commentoses-tu?Commentoses-tu?Quandilvitqu'elleavaitleslarmesauxyeux,lefeuenluis'éteignit.Ilpritunmouchoirdanssapoche

poursécherseslarmes,maisellearrêtasongeste.—Nefaispasça,murmura-t-elle.Reggienousregardepeut-être.—Jesuisdésolé.Jenevoulaispastefairepleurer.S'ilteplaît,nepleurepas.Ilsrestèrentassislàdansunsilencemorose,lesyeuxrivéssurlapistededanse.—C'esttellementdur,murmura-t-elle.Jemecroyaisheureuse.J'étaistrèssatisfaitedemavie.Etpuis

tuesarrivé,etplusrien…plusrienn'adesens.Toutesceschosesquej'avaisprévues–lesmaisons,lesenfants,lesvacances–jen'enveuxplus.Jenedorsplus.Jenemangeplus.Jepenseàtoitoutletemps.Etmaintenant, je sais que je ne pourrai plusm'empêcher de penser à ça, ajouta-t-elle avec un geste endirectionduvestiaire.Maisenvisagerdelequitterpourdebon,renifla-t-elle,c'estcommecontemplerlefondd'unabîme.—Unabîme?

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Ellesemoucha.—Leprixàpayerpourt'aimerseraitsilourd…Mesparentsmerenieraient.Jepartiraissansrien.Je

nesaisrienfaire,Anthony.Jenesuisbonnequ'àvivrecommejelefais.Etsijen'étaismêmepascapabledetenirtamaison?—Tucroisquej'enauraisquelquechoseàfaire?—Oui.Àterme.Unepetitefemmeaufoyerpourrie-gâtée.C'estcequetupensaisdemoiaudébut,ettu

avaisraison.Monseultalent,c'estdemefaireaimerdeshommes.Salèvreinférieuresemitàtrembler.Ilregretta,furieuxcontrelui-même,d'avoirétésiduravecelle.

Ilsrestèrentassisensilence,regardantFelipejouerdelatrompette,plongésdansleurspensées.—Onm'aproposéunposte,annonça-t-ilenfin.ÀNewYork,auxNationsunies.—Tuvaspartir?s'écria-t-elleensetournantverslui.—Écoute-moi.Pendantdesannées,j'aiétéuneépave.Quandj'étaisenAfrique,jepétaislesplombs,

mais,dèsquejerentraislamaison,jen'avaisqu'uneseulehâte,c'étaitd'yretourner.J'étaisincapabledemeposer,d'échapperàcetteimpressionquej'auraisdûêtreailleurs,entraindefaireautrechose.Etpuisjet'airencontrée,poursuivit-ilenluiprenantlamain.Jecommenceenfinàentrevoirunavenir.J'aienviedemeposer,demebâtiruneviequelquepart.ÊtrejournalisteauxNationsunies,çameconvient.Toutcequejeveux,c'estêtreavectoi.—Maisjenepeuxpas!Tunecomprendspas!—Quoi?—J'aipeur!—Desaréaction?Tucroisquej'aipeurdelui?cracha-t-il,enproieàunebrusquefureur.Tucrois

quejeneseraispascapabledeteprotéger?—Non.Cen'estpasluiquim'effraie.S'ilteplaît,parlemoinsfort.—Alorsc'estàcausedecesgensridiculesquetufréquentes?Leuropiniont'importeàcepoint?Ils

sontsibêtesetinsipides,avec…—Arrête!Çan'arienàvoiraveceux!—Alorsquoi?Dequoituaspeur?—Detoi!Ilenrestabouchebée.—Maisjene…—J'aipeurdecequejeressenspourtoi.Çamefaitpeur,d'aimerquelqu'unàcepoint.Savoixsebrisa.Ellepliasaserviette,latordantentresesdoigtsfragiles.—Jel'aime,maispascommeça.Parfois je l'apprécie,parfois je leméprise,mais,dansl'ensemble,

nouscohabitonsplutôtbien.Jemesuisaccommodéedecettevieetjesaisquejepeuxcontinuerainsi.Tucomprends?Jesaisque jepeuxvivreainsipour le restantdemes joursetqueceneserapassimal.Beaucoupdefemmesn'ontpascettechance.—Etavecmoi?Ellerestasilencieusesilongtempsqu'ilfaillitrépéterlaquestion.

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—Sijem'autorisaisàt'aimer,messentimentspourtoimeconsumeraient.Iln'yauraitplusquetoidansmavie.J'auraisconstammentpeurquetunecessesdem'aimer.Et,situlefaisais,j'enmourrais.Ils'emparadesesmainsetlesportaàseslèvres,ignorantsesmurmuresdeprotestation.Illuiembrassa

leboutdesdoigts.Ilauraitvoulul'avalertoutentière.Ilauraitvoulus'enroulerautourd'elleetnejamaislalaisserpartir.—Jet'aime,Jennifer,dit-il.Jamaisjenecesseraidet'aimer.Jen'aiaimépersonneavanttoietiln'y

aurapersonneaprèstoi.—C'estcequetudismaintenant.—Parcequec'estvrai.Jenevoispascequejepeuxdiredeplus.—Rien.Tuastoutdit.Touscesjolismots,jelesaidéjàsurpapier.Elledégageasamaindelasienneetlarefermasursonverre.Lorsqu'ellerepritlaparole,ellesemblait

separleràelle-même.—Maisçanerendpasleschosesplusfaciles.Elleavaitécartésajambedelasienne.Ilressentitsonéloignementcommeunedouleur.—Qu'est-ceque tuveuxdire?demanda-t-il, luttantpourgarder lecontrôledesavoix.Tum'aimes,

maisc'estsansespoirpournousdeux?Sonvisagesechiffonna.—Anthony,jepensequenoussavonstouslesdeux…Ellen'achevapassaphrase.C'étaitinutile.

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ArthurJamesestpasséde«encouple»à«célibataire».Unhommeàunefemme,parstatutFacebook.(Lenomaétémodifié.)

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Chapitre10

ELLE AVAIT VUMMESTIRLING S'ÉCLIPSER ETM.STIRLING DEVENIR DE PLUS EN PLUS NERVEUX, JUSQU'ÀPOSER violemment son verre pour sortir après eux dans le couloir d'un pas décidé. Frémissanted'excitation,Moira Parker avait été tentée de le suivre, par curiosité, mais elle était assezmaîtressed'elle-mêmepourresterlàoùelleétait.Personned'autrenesemblaitavoirremarquésondépart.Lorsque enfin il revint à la fête, elle l'observa par-dessus les têtes des danseurs, qui montaient et

descendaientaurythmedelamusique.Sonvisagenetrahissaitpasderéelleémotion,maiselledéceladanssonregardunetensionqu'ellen'avaitencorejamaisvue.Ques'était-ilpassédehors?QuefaisaitJenniferStirlingaveccejeunehomme?Une étincelle de satisfaction presque indécente fusa en elle, nourrissant son imagination jusqu'à

l'embrasement. Peut-être avait-il enfin été forcé de voir son épouse comme la créature égoïste qu'elleétait?Moirasavaitque, lorsque le travailaurait repris, il suffiraitdequelquesallusionsbienplacéespourquetoutlemondeaubureaucommentâtlaconduiteoutrageusedecettefemme.Elleneputcependants'empêcherdesonger,avecunesoudainemélancolie,qu'onparleraitaussinécessairementdeM.Stirling.Laperspectivedevoircethommebrave,digneetstoïquedevenirlacibledesragotsdessecrétairesluiserraitlecœur.Commentpourrait-ellel'humilierdansleseulendroitsurTerreoùildevaitêtreconsidérécommeau-dessusdetous?Moira resta figée, impuissante, de l'autre côté de la pièce, effrayée à l'idée d'aller réconforter son

patronmaissidétachéedesfestivitésqu'elleauraitaussibienpusetrouverdansuneautrepièce.Ellelevit s'approcher du bar improvisé et, avec une grimace, accepter un gobelet rempli d'une espèce dewhisky.Illevidaculsecetendemandaunautre.Aprèsuntroisième,iladressaunsignedetêteàceuxquil'entouraientetpartits'isolerdanssonbureau.Moira se fraya un chemin à travers la foule. Il était 23 h 15.Lamusique s'était arrêtée, et les gens

commençaient àpartir.Ceuxquine rentraientpas chezeux sepréparaientvisiblement à aller ailleurs,loinduregardindiscretdeleurscollègues.Derrièreleportemanteau,Stevensembrassaitàpleinebouchecettejeunedactylorousse,commesipersonnenelesvoyait.Lajupedelafilleétaitremontéejusqu'àmi-cuisse, et il tiraitmaladroitement sur le porte-jarretelles couleur chair qu'il venait de dévoiler.Moiraremarquaquelegarçonducourriern'étaitpasremontéaprèsavoiraccompagnéElsieMachzynskiàsontaxi ; elle se demanda ce qu'elle pourrait plus tard insinuer auprès d'Elsie pour lui faire comprendrequ'elle savait tout,mêmesipersonned'autrene l'avait remarqué.Étaient-ilsdonc tousobsédéspar lesplaisirscharnels?Lessalutationsformelles,lesconversationspoliesdetouslesjoursneservaient-ellesqu'àcouvrirunenaturebachiquedontelle-mêmeétaitamputée?—OnvaauCat'sEyeClub.Tuviensavecnous,Moira?Tuveuxtelâcherunpeu?—Oh,elleneviendrapas,ricanaFelicityHarewoodd'unairsiméprisantque,l'espaced'uninstant,

Moiraenvisageadetouslessurprendreenrépondant:«Oui,avecplaisir.»MaislalumièreétaitalluméedanslebureaudeM.Stirling.Moirafitdonccequetouteassistantede

directiondignedecenomauraitfait:ellerestaaprèstoutlemondepourfaireleménage.

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Ilétaitprèsd'uneheuredumatinquandelleeutenfinterminé.Ellen'avaitpasnettoyélesbureauxtoute

seule : la nouvelle comptable lui avait tenu le sac-poubelle pendant qu'elle jetait les bouteilles vides.Quantauchefdesventes,ungrandSud-Africain,ilavaitaidéàrassemblerlesgobeletsenchantantàtue-têtedanslestoilettesdesdames.Puisilsétaientpartis,laissantMoiralessiverlesol,arméed'unebrosseetd'unepelleàpoussière,et ramasser leschipset lescacahuètesécraséesquiavaientglisséentre lesdallesdulinoléum.Leshommessechargeraientderemettrelesmeublesenplacequandilsreviendraientaubureau.Hormisquelquesscintillantesguirlandesd'aluminium,l'endroitavaitpresqueretrouvél'aspectd'unlieudetravail.Ellese tournavers lesapinquifaisait tristemine,sesdécorationsbriséesoudisparues,puisvers la

petite boîte à vœux, écrasée comme si quelqu'un s'était assis dessus, le papier crépon se détachanttristementsur lescôtés.Heureusement,samèren'étaitplus làpourvoirsesprécieusesboulesdeNoëltraitéesavecautantdenégligence.Ellefinissaitd'emballer ladernièrequandelleaperçutM.Stirling. Ilétaitassisdanssonfauteuilde

cuir,latêteentrelesmains.Surlatableàcôtédelaporte,elleavaitrassemblélesfondsdebouteille.Presqueimpulsivement,elleversadansunverredeuxdoigtsdewhiskyetallafrapperàlaportedesonbureau.Ilavaitgardésacravate,toujoursélégantmêmeàcetteheuretardive.—Jeviensdefinirleménage,annonça-t-elled'unepetitevoixlorsqu'illevaverselleunregardétonné.Detouteévidence,iln'avaitpasremarquéqu'elleétaittoujourslà.—C'esttrèsgentildevotrepart,Moira,murmura-t-il.Merci.Ilpritleverredewhiskyetlevida,pluslentementcettefois.Moirajaugeal'aireffondrédesonpatron,letremblementdesesmains.Ellerestadeboutaucoindeson

bureau, certaine pour une fois qu'elle y avait sa place. Sur le sous-main, en piles bien nettes, étaientposées les lettres qu'elle lui avait déposées plus tôt dans la journée afin qu'il les signe. Elle avaitl'impressionquedesmoiss'étaientécoulésentre-temps.—Vousenvoulezunautre?demanda-t-elle.Ilenresteunpeudanslabouteille.—Jepensequej'aieumadose.Unsilences'éternisa.—Qu'est-cequejesuiscenséfaire,Moira?Ilsecoualatête,commeenproieàunelutteintérieure.—Jeluidonnetoutcequ'elleveut.Tout!Ellen'ajamaismanquéderien,gémit-ild'unevoixbrisée.Il

paraît que les temps changent.Les femmes veulent autre chose…Dieu sait quoi. Pourquoi tout doit-iltoujourschanger?—Pastouteslesfemmes,dit-elleàvoixbasse.Beaucoupdefemmestrouventcelamerveilleuxd'avoir

unmaricapabledesubveniràleursbesoins.Unhommeetunfoyerdontellespeuventprendresoin.—Vouscroyez?Ilsemblaitépuisé,lesyeuxcernésderouge.—Jelesais,assura-t-elle.Moi-même,jerêved'unhommeàquijeserviraisàboirequandilrentreà

lamaison le soir, àqui jepourrais cuisiner etque jedorloteraisunpeu. Je…Ce seraitmerveilleux !

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conclut-elle,rougissante.—Alorspourquoi…Ils'interrompitetsoupira.— Monsieur Stirling, dit-elle soudain, vous êtes un patron formidable. Un homme formidable.

Vraiment.Votrefemmeaunechanceincroyabledevousavoir.Ilfautqu'ellelesache.Etvousneméritezpas…Vousn'avezpasmérité…Savoixsebrisa.Ellesavait,alorsmêmequ'elleparlait,qu'elleallaitàl'encontred'unaccordtacite.— Je suis désolée, reprit-elle quand le silence se fit interminable.Monsieur Stirling, je ne voulais

pas…—Est-cequequ'unhommeesttoujoursunhommes'ilabesoind'uneépaulepourpleurer?demanda-t-

ild'unevoixsibassequ'elleduttendrel'oreillepourl'entendre.Leslarmesauxyeux,ellesentitnaîtreenelleunsentimentplussombre.Toutdoucement,elles'avança

versluietpassaunbrasautourdeseslargesépaules.Oh,cettesensation!Ilétaitgrandetfort,etsavesteluiallait sibien…Ellesavaitqu'elle se rejoueraitcet instant,encoreetencore,pour le restantdesesjours. Cette liberté de le toucher, de sentir son corps sous ses doigts…Elle en défaillait presque deplaisir.Commeilnefaisaitrienpourl'arrêter,ellesepenchaunpeuet,retenantsonsouffle,posalatêtesurson

épaule. Un geste de réconfort, de solidarité. C'était du moins ce qu'il allait penser, songea-t-elle, aucombledel'allégresse.Ellesouhaita,rienqu'uninstant,quequelqu'unlesprenneenphotosiintimementenlacés.Puisilrelevalatête,etellefutprised'unbrusquesursautd'inquiétude–etdehonte.—Jesuisdésolée…Jevais…Elleseredressaenbafouillant.Maisilposalamainsurlasienne.Tiède.Avided'elle.—Moira,dit-il,lesyeuxmi-clos,lavoixrauquededésespoiretdedésir.Puisilpritsonvisageentresesmainsetl'attiraverslesienpourl'embrasser.Elleneputcontenirun

halètement,àlafoischoquéeetravie,puisluirenditsonbaiser.Cen'étaitqueledeuxièmehommequ'elleembrassait,maisl'expériencen'avaitriendecomparableaveccequ'elleavaitconnu,magnifiéepardesannéesdepassionnonpartagée.Soncorps luiparut s'embraser, sonsangsemettreàbouillirdanssesartèresetsoncœurvouloirs'extrairedesapoitrine.Ellesentitqu'illafaisaitbasculersurlebureau,sesmainssursoncoletsapoitrine,sonsouffletiède

sur sa clavicule. Inexpérimentée, elle ne savait que faire de sesmains et de ses jambes,mais elle sesurpritàs'agripperàlui,désireusedelesatisfaire,perduedansdenouvellessensations.Jet'adore, luidit-elleenpensée.Prendscequetuveuxdemoi.Mais,mêmealorsqu'elles'abandonnaitauplaisir,Moirasavaitqu'unepartd'elle-mêmedevaitrester

suffisammentlucidepoursesouvenir.Mêmealorsqu'ill'enveloppait,lapénétrait,sajuperetrousséesurses hanches, une bouteille d'encre luimeurtrissant l'épaule, elle savait qu'elle ne représentait pas unemenacepourJenniferStirling.LesJenniferdecemondeseraienttoujourslepremierprixetlesfemmescommeellelelotdeconsolation.MaisMoiraParkeravaitunavantage:ellesavaitapprécierleschosesd'une manière que Jennifer Stirling, comme toutes celles à qui on avait toujours tout donné, necomprendrait jamais. Elle savait que même une courte nuit pouvait être le plus précieux de tous lestrésors, que ce serait le point d'orgue de sa vie amoureuse, et qu'une partie d'elle-mêmedevait rester

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suffisammentlucidepourrangercesouvenirdansunendroitsûr.Ainsi,unefoisqueceseraitterminé,ellepourraitlerevivrelorsdeseslonguessoiréesdesolitude.Quandilrentrachezlui,ellel'attendait,assisedansl'immensepiècequiservaitdesalon.Elleportait

unmanteautrapèzeentweedcouleurframboiseetunchapeauassorti,sonsacàmainetsesgantsnoirsvernisélégammentposéssursesgenoux.Elleentenditlavoitures'arrêter,vitleslumièress'éteindreetseleva.Elle tira le rideaudequelquescentimètreset l'observa,assissur lesiègeduconducteur, laissantcourirsespenséesaveclemoteurquis'éteignait.Ellejetaunregardàsesvalisesposéesderrièreelleets'éloignadelafenêtre.Il entra en jetant sonpardessus sur la chaiseduvestibule.Elle entendit ses clés tomberdans lebol

prévuàceteffetsurlaconsole,puislefracasd'unobjetheurtantlesol.Laphotodemariage.Ilhésitauninstantdevantlaportedusalon,puisl'ouvritetl'aperçut.—Jepensequejedoispartir,dit-elle.Ellevitsonregards'attardersurlavaliseposéeàsespieds,celle-làmêmedontelles'étaitserviepour

quitterl'hôpital,delonguessemainesauparavant.—Tupensesquetudoispartir.Ellepritunegrandeinspiration.Etprononçalesmotsqu'elleavaitrépétéspendantdesheures:—Cettesituationnousrendmalheureuxtouslesdeux.Tulesaisaussibienquemoi.Ilpassadevantelleets'arrêtaaubarpourseservirunwhisky.Àsafaçondetenir lacarafe,ellese

demandacombiendeverres il avaitbusdepuisqu'elleavaitquitté la soirée. Ilprit leverredecristalouvragé et se laissa lourdement tomber dans un fauteuil. Puis il leva les yeux sur elle et la sonda duregardpendantplusieursminutes.Nerveuse,ellesemitàsedandinerd'unpiedsurl'autre.—Alors…,dit-ilenfin.Tuasd'autresprojets?Desprojetsquiterendraientplusheureuse?Il parlait d'un ton sarcastique, déplaisant ; la boisson avait libéré quelque chose en lui. Mais elle

n'avaitpaspeur,libéréeparlacertitudequecethommen'étaitplussonavenir.Ilssedéfiaientduregard,deuxcombattantscoincésdansunepéniblebataille.—Tuesaucourant,n'est-cepas?demanda-t-elle.Ilbutunegorgéedewhisky,sansquittersonvisagedesyeux.—Dequoisuis-jeaucourant,Jennifer?Ellepritunegrandeinspiration.—Tusaisquej'enaimeunautre.Etquecen'estpasReggieCarpenter.Queçan'ajamaisétélui.Toutenparlant,ellejouaitnerveusementaveclefermoirdesonsacàmain.—Jel'aicompriscesoir.Reggieétaituneerreur,unesimplediversion.Maistoi,tun'aspascesséde

m'envouloir.Tu es en colère contremoidepuis que je suis sortie de l'hôpital.Parceque tu sais, toutcommemoi,qu'ilyaunhommequim'aimeetquin'apaspeurdeme ledire.C'estpourçaque tunevoulaispasquejeposetropdequestions.C'estpourçaquemamère–entreautres–atellementinsistépourquej'accepteleschosestellesqu'ellesétaient,sanschercherplusloin.Tunevoulaispasquejemesouvienne.Tunel'asjamaisvoulu.Elles'étaitenpartieattendueàlevoirexploserdecolère.Maisilsecontentadehocherlatête.Puis,

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alorsqu'elleretenaitsonsouffle,illevasonverre.—Etdonc…cetamant,àquelleheurearrive-t-il?Ilregardasamontre,puisesquissaungesteendirectiondesvalises.—Jesupposequ'ilvapasserteprendre.—Il…,commença-t-elleavantdedéglutiràgrand-peine.Je…Cen'estpascommeçaque…—Alorstuvasleretrouverquelquepart.Ilétaittellementcalme.Ilsemblaitpresques'amuser.—Çavabienarriver,oui.—Çavabienarriver,répéta-t-il.Danscombiendetemps?—Je…jenesaispasoùilest.—Tunesaispasoùilest.Laurencevidasonverreetselevaentitubantpours'enservirunautre.—J'aiperdulamémoire,tulesaistrèsbien.Maisleschosesmereviennentpeuàpeu.Ellesnesont

peut-êtrepasencoretrèsclairesdansmatête,maisjecomprendsmieuxpourquoijenemereconnaispasdanstoutça,dit-elleenembrassantlapièced'ungestecirculaire.Çanemeconvientpasparcequejesuisamoureused'unautre.Alorsjesuisvraimentdésolée,maisjedoism'enaller.C'estlachoselaplusjusteàfaire.Pournousdeux.Ilhochalatête.—Puis-jetedemandercequecethomme–tonamant–adeplusquemoi?Leréverbèredevantlamaisonsemitàclignoter.—Jenesaispas,admit-elle.Jesaisseulementquejel'aime.Etqu'ilm'aime.—Oh, tu le sais,vraiment?Etqu'est-ceque tu saisd'autre?Où ilvit ?Cequ'il faitdans lavie?

Commentilvasubveniràtesbesoins,avectesgoûtsextravagants?S'ilvat'offrirdenouvellesrobes?Tepayerunegouvernante?Desbijoux?—Ceschoses-lànem'intéressentpas.—Ellest'intéressaient,avant.—J'aichangé.Toutcequejesais,c'estqu'ilm'aime,etc'esttoutcequicomptevraiment.Tupeuxte

moquerdemoiautantquetuveux,Laurence,maistunesaispas…Ilbonditdesonfauteuil,etelleserecroquevilladanslesien.—Jesaistoutdetonamant,Jenny!hurla-t-il.Ilsortitdesapocheunelettrefroisséeetlabranditdevantsesyeux.—Tuveuxvraimentsavoircequit'estarrivé?Tuveuxvraimentsavoirquiesttonamant?Leregardassassin,ils'époumonaitencrachantdesrafalesdepostillons.Ellesefigea,lesoufflebloquédanssapoitrine.—Cen'estpaslapremièrefoisquetumequittes.Oh,non!Jelesais,toutcommejesaisqu'ilexiste,

parcequej'aitrouvésalettredanstonsacaprèsl'accident!Ellereconnutl'écriturefamilièresurl'enveloppeetsetrouvaincapabled'endétacherlesyeux.

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—Çavientdelui.Iltedemandedeleretrouver.Ilveuts'enfuiravectoi.Rienquevousdeux.Loindemoi.Pourbâtirunenouvellevieensemble.Ilgrimaçait,àlafoisdecolèreetdechagrin.—Çaterevientmaintenant,machérie?Illuijetal'enveloppe,qu'elleramassa,lesmainstremblantes.Ellel'ouvritetlut:Moncheretuniqueamour,Jepensais toutceque je t'aidit. J'aicomprisque la seule façond'avancer,c'estque l'und'entre

nousprenneunegravedécision.Jevaisacceptercetravail.Jeseraisurlequainuméro4,àPaddington,à19h15vendredisoir…—Çateditquelquechose,pasvrai,Jenny?—Oui,murmura-t-elle.Desimagesluirevenaient.Descheveuxnoirs.Unevesteenlinfroissée.Unpetitparcremplid'hommes

enbleu.Boot.—Oui,çateditquelquechose?Çaterevient?—Oui,çamerevient…Ellepouvaitpresquevoirsonvisage.Ilétaitsiprocheàprésent.—Pastout,ondirait.—Qu'est-cequetu…—Ilestmort,Jennifer.Ilestmortdanslavoiture.Tuassurvécuàl'accident,ettonamiestmort.Mort

surlecoup,d'aprèslapolice.Personnenet'attenddehors.Iln'yapersonneàlagaredePaddington.Iln'yapersonnepourserappeleràtonsouvenir.Lapiècesemitàvaciller.Ellel'entendaitparler,maislesmotssemblaientvidesdesens.—Non,dit-elled'unevoixtremblante.—Oh, j'ai bien peur que si. Je pourrais sûrement retrouver les articles de journaux, s'il te faut des

preuves.Tesparentsetmoiavonstenutonnomsecret,pourdesraisonsévidentes.Maisilsontrapportésamort.—Non.Ellelerepoussa,frappantsontorseenrythme:non,non,non.Ellerefusaitdel'entendre.—Ilestmortsurlecoup.—Arrête!Arrêtededireça!Ellesejetasurlui,furieuse,incontrôlable,hurlante.Elleentendaitsaproprevoixcommevenuedetrès

loin,sansmêmeserendrecomptequ'ellecouvraitlecorpsetlevisagedeLaurencedecoupsdepoings.Desmainspuissantesluiattrapèrentfinalementlespoignetspourl'immobiliser.Cequ'ilvenaitdedireétaitirréversible.

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Mort.Elleselaissaretomberdanssonfauteuilet,enfin,illarelâcha.Elleavaitl'impressiond'avoirrétréci,

commesilapièceautourd'elles'étaitagrandiepourl'avaler.Moncheretuniqueamour.Ellebaissalatêtepourneplusvoirquelesol,etdeslarmesroulèrentsursonvisagepourvenirs'écrasersurl'épaistapisduséjour.Unlongmomentplustard,ellelevalesyeuxverslui.Ilavaitlespaupièrescloses,commesilascène

luiétaitintolérable.— Si tu savais tout, commença-t-elle, si tu voyais que je commençais à me souvenir, pourquoi…

pourquoinepasm'avoirdévoilélavérité?Iln'étaitplusencolère.Ils'assitdanslefauteuilquiluifaisaitface,soudaintrèsabattu.—Parce que j'espérais…Quand j'ai compris que tu ne te souvenais de rien, j'ai cru qu'onpourrait

oubliertoutça.J'espéraisqu'onpourraitcontinuercommesiderienn'était.Moncheretuniqueamour.Ellen'avaitnullepartoùaller.Bootétaitmort. Il étaitmortdepuis ledébut.Elle se sentait stupide,

dépossédée,commeuneadolescentequiseseraitinventétouteunehistoired'amour.—Etpuis,fitlavoixdeLaurence,brisantlesilence,jenevoulaispasquetuvivesavecsamortsurla

conscience.Sanstoi,ilseraitencoreenvieàl'heurequ'ilest.Ladouleurfutsiintensequ'elleeutl'impressiond'êtreécartelée.—Quoiquetupuissespenser,Jennifer,c'estpourtonbienquej'aifaitça.Le temps passa. Plus tard, elle fut incapable de dire s'il s'était agi d'heures ou de minutes. Puis

Laurence se leva. Il seversaun autreverredewhisky, qu'il but aussi facilementque si ç'avait étédel'eau.Puisilposadélicatementsonverresurleplateaud'argent.—Alors,qu'est-cequisepasse,maintenant?demanda-t-ellesourdement.—Jevaismecoucher.Jesuisépuisé.Illuitournaledosetfitquelquespasverslaporte.—Jetesuggèredefairelamêmechose,ajouta-t-ilavantdedisparaître.Après son départ, elle resta un long moment assise dans son fauteuil, écoutant son pas lourd et

irréguliersedéplacersurleparquetdel'étage,lecraquementdusommierquandilsecoucha.Ilétaitdanslachambreàcoucher.Sachambreàelle.Ellerelutlalettre.Elleylutunavenirquineseraitpaslesien.Unamoursanslequelellen'avaitpaspu

vivre. Elle lut lesmots d'un homme qui l'avait aimée plus que lui-même était capable de le dire, unhommedontelleavaitinvolontairementcausélamort.Ellerevitenfinsonvisage:animé,pleind'espoir,pleind'amour.JenniferStirlingselaissaglissersurlesoletseroulaenboule,lalettreserréecontresapoitrine.Puis,

ensilence,ellesemitàpleurer.

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CherJ…Je saisque j'ai étévacheet j'en suisdésolée. Je saisque tu rentresdemain,mais jene

seraipaslàpourt'accueillir.Davidetmoiallonsnousmarierà***,etnousnenousreverronsplus.Quelquepartaufonddemoi,jet'aimeencore,maisj'aimeDavidencoreplus.Bye,G***Unefemmeàunhomme,parlettre

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Chapitre11

IL LES REPÉRA DERRIÈRE LA VITRINE, EN PARTIE OBSCURCIE PAR LA BUÉEMALGRÉ LA CHALEUR DE CETTE

SOIRÉEdefind'été.Sonfils,assiscontrelavitre,lisaitlemenuenbalançantlesjambes.Ils'arrêtasurletrottoir, remarquant comme sa silhouette s'était allongée, comme les rondeurs de l'enfance avaientdisparu.Ildistinguaitdéjàl'hommequesonfilsallaitdevenir.Anthonysentitsoncœurseserrer.Ilcalasonpaquetsoussonbrasetentra.C'était Clarissa qui avait choisi l'endroit, un grand bistrot animé où les serveuses portaient des

uniformes à l'ancienne et des tabliers blancs. Elle l'avait appelé un salon de thé, comme si le mot«bistrot»l'embarrassait.—Phillip?—Papa?Ils'arrêtadevantleurtable,ravidevoirlegarçonluisouriredèsqu'illereconnut.—Clarissa,salua-t-ilpoliment.Ellesemblemoinsencolère,songea-t-ilaussitôt.Cesdernièresannées,ilavaitlusursonvisageune

tension perpétuelle qui avait attisé sa culpabilité chaque fois qu'il l'avait revue. À présent, ellel'examinaitavecunesortedecuriositéattentive,commeonsurveilleunanimalquipourraitsanspréveniressayerdemordre:prudemmentetàdistance.—Tuasl'aird'êtreenforme,dit-il.—Merci.— Et toi, tu as poussé comme un champignon, ajouta-t-il à l'intention de son fils. Bon sang, j'ai

l'impressionquetuasprisquinzecentimètresendeuxmois!—Troismois.Et, à son âge, c'est parfaitement normal, fitClarissa avec unemouedésapprobatrice

qu'illuiconnaissaitbien.Aussitôt, il songeaà Jennifer. Il nepensaitpas l'avoirdéjàvuedéformer les lèvresdecette façon ;

peut-êtreétait-ceincompatibleaveclaformedesabouche.—Ettoi,tuvas…bien?demanda-t-elleenluiservantunetassedethé,qu'ellefitglisserverssoncôté

delatable.—Trèsbien,merci.Jetravailledur.—Commetoujours.—Oui.Ettoi,Phillip?Commentçasepasseàl'école?Sonfilsétaittoujoursabsorbédanslalecturedumenu.—Phillip,répondsàtonpère.—Çava.—Super.Tuastoujoursdebonnesnotes?—J'aiapportésonbulletinscolaire,annonçaClarissaenluitendantlepapierqu'ellevenaitd'extraire

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desonsacàmain.Jemesuisditqueçapourraitt'intéresser.Anthony prit connaissance, avec une fierté inattendue, des compliments qui soulignaient les « réels

efforts»decet«élèveagréable».—Ilestcapitainedel'équipedefootball,ajoutaClarissa,incapablededissimulersasatisfaction.—Bienjoué,dit-ilentapotantl'épauledesonfils.—Etilfaitsesdevoirstouslessoirs.J'yveillepersonnellement.Phillipneleregardaitplus.Edgaravait-ildéjàremplilevideenformedepèrequ'ilcraignaitd'avoir

laissé dans la vie de Phillip ? Jouait-il au cricket avec lui ? Lui lisait-il des histoires ? Anthony serembrunit et prit une gorgée de thé, tentant de reprendre ses esprits. Puis il appela une serveuse etcommandauneassiettedepetitsgâteaux.—Laplusgrossequevousayez.Onaquelquechoseàfêter.—Ilnevarienmangercesoir,objectaClarissa.—Pourunefois…Elledétournalesyeux,semblantreteniràgrand-peineunerépliquecinglante.Autour d'eux, le brouhaha parut s'intensifier. Les pâtisseries arrivèrent sur un plateau à plusieurs

niveaux.Anthonyvitleregarddesonfilsglisserverslesfriandisesetluifitsignedeseservir.—Onm'aproposéunnouveauposte,annonça-t-illorsquelesilencesefittroppesant.—ÀlaNation?—Oui, mais à NewYork. Leur attaché de presse auxNations unies prend sa retraite, et ils m'ont

proposédeprendresaplacepourunan.Jedisposeraisd'unappartementdefonctionenpleincœurdelaville.Il avait eu peine à le croire lorsque Don lui avait appris la nouvelle. C'était une preuve de leur

confianceenlui,avaitditcedernier.Et,s'ils'ensortaitbien–quisait?–dansunan,àlamêmeépoque,ilseraitpeut-êtredenouveausurlaroute.—C'estformidable.Clarissasélectionnaunpetitgâteauàlacrèmeetleposasursonassiette.—Jenem'yattendaispas,maisc'estuneopportunitéàsaisir.—Oui.C'estvraiquetuastoujoursaimévoyager.—Ilnes'agitpasdevoyager.Jevaistravaillerenville.Lanouvelleavaitpresqueétéunsoulagement.Aumoins,iln'auraitplusàseposerdequestions:grâce

àceposte,Jenniferpourraitl'accompagneretbâtiravecluiunenouvellevie…et,siellerefusait,mêmes'ilpréféraitnepasenvisagercettepossibilité,cetravailluioffriraituneéchappatoire.Londresétaitdéjàinextricablementliéàleurrelation:lavilleregorgeaitd'endroitsimprégnésdesouvenirscommuns.—Jereviendraidetempsentempsdansl'année,etjesaiscequetum'asditàcesujet,maisj'aimerais

luiécrire.—Jenesaispas…—J'aimeraisparleràPhillipdemavielà-bas.Ilpourrapeut-êtremêmemerendrevisitequandilaura

unpeugrandi.

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—Edgarpensequ'ilvautmieuxpourtoutlemondequeleschosesrestentsimples.Iln'aimepasles…complications.—Edgarn'estpaslepèredePhillip.—Ilestautantunpèrequetul'asétéparlepassé.Ilssefusillèrentduregard.Phillip,assisensilenceaveclesmainssouslescuisses,n'avaitpastouchéàsongâteau.—Neparlonspasdeçamaintenant.C'estl'anniversairedePhillip.Tuveuxvoirtoncadeau,fiston?

demanda-t-ilenaffectantunejoiequ'ilneressentaitpas.Sonfilsneréponditpas.Bonsang,songeaAnthony.Qu'est-cequ'onestentraindeluifairesubir?Il

ramassasouslatableungrandpaquetrectangulaire.—Tupeuxattendrelegrandjourpourl'ouvrir,maistamèrem'aditquevous…quevousalliezsortir

demain,alorsjemesuisditquetupréféreraisl'avoirmaintenant.Illuitenditlepaquet.Philliplesaisitetjetaàsamèreunregardinquiet.—Jesupposequetupeuxl'ouvrir,puisquetun'auraspasbeaucoupdetempsdemain,dit-elleavecun

semblantdesourire.Sivousvoulezbienm'excuser,jevaismerepoudrerlenez.Illaregardas'éloignerentrelestables,sedemandantsiceséchangesladémoralisaientautantquelui.

Peut-être était-elle partie chercher une cabine téléphonique d'où appeler Edgar pour se plaindre del'attitudedéraisonnabledesonex-mari.—Vas-y,dit-ilàsonfils.Ouvre-le.Libéréduregarddesamère,Phillipsemblareveniràlavie.Ildéchiralepapiermarronetsefigea,

émerveillé,envoyantcequ'ilrecelait.—C'estunHornby,précisaAnthony.Cequisefaitdemieuxsurlemarché.C'estleFlyingScotsman,

tuenasdéjàentenduparler?Philliphochalatête.—Ily aunebonne longueurde rail, et j'ai demandéauvendeurdem'ajouterunepetitegare etdes

bonshommes.Ilssontdanscesac.Tupensesquetusauraslemonter?—JedemanderaiàEdgardem'aider.Anthonyeut l'impressionderecevoiruncoupdepieddans lescôtes. Ilserra lesdents,s'obligeantà

ignorerladouleur.Aprèstout,cen'étaitpaslafautedugarçon.—Oui,grinça-t-il.Jesuissûrqu'ilt'aidera.Unsilences'installa.PuislamaindePhillipémergeadesouslatable,attrapasongâteauetlefourra

danssabouche–ungestedepuregourmandise.Puisilenchoisitunautre,unpetitfourauchocolat,etluifitsuivrelemêmecheminenadressantàsonpèreunclind'œildeconspirateur.—Alors?Tuestoujourscontentderevoirtonvieuxpère?Phillip s'approchade luiet luiposa la tête sur lapoitrine.Anthony le serradanssesbras, respirant

l'odeur de ses cheveux, tentant désespérément de faire abstraction de l'attachement viscéral qu'ilressentaitpourlui.—Tuesguéri?demandalegarçonenreprenantsaplace.

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Illuimanquaituneincisive.—Pardon?Phillipentrepritdesortirlalocomotivedesaboîte.—Mamanaditquetun'allaispasbien,quec'estpourçaquetunem'aspasécrit.—Oui.Jevaismieux.—Qu'est-cequis'estpassé?—J'ai…j'aivudeschosestrèspéniblesquandj'étaisenAfrique.Deschosesquim'ontbouleversé.Je

suistombémalade,alorsj'aiétéunpeuidiotetj'aitropbu.—C'étaitvraimentidiot.—Oui.Oui,c'estvrai.Çan'arriveraplus.Clarissarevintàlatable.Ilfutchoquédevoirqu'elleavaitlenezgonfléetlesyeuxcernésderouge.Il

tentaunsourireetenreçutuntristeenretour.—Iladoresoncadeau,ditAnthony.—Ehbien,ça,c'estducadeau!Ellecontemplauninstant la locomotiveflambantneuve,pour leplusgrandbonheurdesonenfant,et

ajouta:—J'espèrequetuasditmerci,Phillip.Anthonydéposaunpetitgâteaudansuneassiette,qu'iltenditàClarissa,puisenpritunpourlui.Ilavait

l'impressiondejouerdanslareprésentationdénaturéed'uneparfaitepetiteviedefamille.—Laisse-moiluiécrire,reprit-ilaprèsunbrefsilence.—J'essaiedenousbâtirunenouvellevie,Anthony,murmura-t-elle.J'essaiederepartirdezéro.Ellelesuppliaitpresque.—Ceneseraitquedeslettres,soupira-t-il.Ilséchangèrentunlongregarddepartetd'autreduplateauenFormica.Àcôté,leurfilsfaisaittourner

lesrouesdesonnouveautrain,imitantavecbonheurleronflementdelalocomotive.—Unesimplelettre.Iln'yariendeperturbantlà-dedans.Jennifer déplia le journal que Laurence venait de poser et l'ouvrit à plat sur la table. Par la porte

ouvertedelacuisine,ellelevoyaitquirajustaitsacravatedevantlemiroirduvestibule.— N'oublie pas le dîner de ce soir. Les femmes aussi sont invitées, donc tu devrais peut-être

commenceràréfléchiràcequetuvasporter.Commeellenerépondaitpas,ilrépétad'unairirrité:—Jennifer?Ledînerdecesoir.Onserasousunemarquise.—Enunejournée,jesuisàpeuprèssûrequej'aurailetempsdechoisirunerobe,répliqua-t-elle.Deboutsurlepasdelaporte,ilfronçalessourcilsenvoyantcequ'ellefaisait.—Qu'est-cequetufaisavecça?—Jelislejournal.

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—Cen'estpasvraimentdetonressort,si?Tesmagazinesnesontpasarrivés?—J'aiseulement…euenvied'essayerdem'instruireunpeu.Decomprendrecequisepassedansle

monde.—Jenevoispascequipourraitt'intéresserlà-dedans.EllejetaunregardàMmeCordoza,quilavaitlavaisselleenfaisantminedenepaslesécouter.— Je lisais un article, dit-elle en pesant bien ses mots, sur le procès des éditeurs de L'Amant de

ladyChatterley.C'estfascinant.Lesyeuxtoujoursbaisséssursonjournal,ellesentitplusqu'ellenevitlemalaisedeLaurence.—Jenevoisvraimentpaspourquoi tout lemondeenfaitune tellehistoire,poursuivit-elle.Cen'est

qu'unlivre.D'aprèscequej'aicompris,cen'estqu'unehistoired'amourentredeuxpersonnes.— Eh bien, tu n'as pas compris grand-chose. Ce roman est une immondice.Moncrieff l'a lu et l'a

qualifiédesubversif.MmeCordozarécuraitunepoêleavecunevigueurinjustifiée.Elles'étaitmiseàfredonnerdoucement.

Dehors,leventseleva,envoyantvoleterdesfeuillesroussesdevantlafenêtredelacuisine.—Nousdevrionsêtrecapablesdejugerdeceschosesparnous-mêmes.Aprèstout,noussommestous

adultes.Queceuxquitrouventcelivreoffensantsecontententdenepaslelire.—Oui.Situveux.Net'amusepasàdiscuterdetespseudo-opinionsaudînerdecesoir.Personnelà-

basn'auraenvied'entendreunefemmepontifiersurdessujetsdontellenesaitrien.Jenniferpritunegrandeinspirationavantderépondre.— Eh bien, je demanderai à Francis de me prêter son exemplaire. Ainsi, je pourrai parler en

connaissancedecause.Qu'est-cequetuenpenses?Laurenceneputdissimulersonmépris.—Jetetrouvetrèsirritabledepuisquelquesjours,déclara-t-ilenattrapantsonattaché-case.J'espère

quetusaurasterendreunpeuplusagréablecesoir.Silalecturedujournaltemetdanscetétat,jemeleferaidésormaislivreraubureau.Ellenese levapaspour l'embrassersur la joue,commeelle l'aurait faitautrefois.Ellesemordit la

lèvre et resta penchée sur son journal jusqu'à entendre la porte claquer, signeque sonmari était partitravailler.Pendant trois jours, elle n'avait presque pas mangé ni dormi. Souvent, la nuit, elle restait éveillée

jusqu'auxpetitesheuresdumatin,s'attendantàcequ'unemalédictionbibliquesurgîtdel'obscuritépours'abattresurelle.Elleéprouvaituneragesilencieuseàl'égarddeLaurence,qu'ellevoyaitàprésentavecles yeuxd'Anthony, se surprenant à partager son avis accablant. Puis elle haïssaitAnthonypour avoiréveillé en elle ces sentiments à l'encontre de sonmari, d'autant plus furieuse qu'elle ne pouvait le luireprocher. La nuit, elle se souvenait desmains d'Anthony sur sa peau, de sa bouche sur la sienne, ets'imaginaitluifairedeschosesqui,àlalumièredumatin,lafaisaientrougirdehonte.Enuneoccasion,confuse, désespérée, elle était venue se coller tout contre sonmari, glissant une jambe pâle entre lessiennes,l'embrassantjusqu'àleréveillertoutàfait.Scandalisé,illuiavaitdemandécequiluiprenaitetl'avait repoussée. Il lui avait tourné le dos, la laissant verser dans son oreiller de muettes larmesd'humiliation.

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Durantceslonguesheuresd'insomnie,prisedanslaconflagrationtoxiquedudésiretdelaculpabilité,elle voyait défiler des possibilités sans fin : elle pouvait tout quitter et s'arranger pour surmonter ledéshonneur, laperte financièreet l'angoissede sa famille ; ellepouvaitavoiruneaventure, trouverunmoyen pour vivre sa relation avec Anthony en parallèle de leurs vies ordinaires. Après tout,ladyChatterleyn'étaitpaslaseuleàl'avoirfait.Auseindeleurcercled'amis,denombreuseshistoiresdecegenrecirculaient.Ellepouvaitaussi toutarrêteretêtreunebonneépouse.Sisonmariagebattaitdel'aile, c'était parce qu'elle n'ymettait pas assez du sien. Elle pouvait tourner la chose comme elle levoulait,touslesmagazinesfémininsledisaient.Ellepouvaitsemontrerunpeuplusaimable,unpeuplusaimante,sefaireplusbelle.Ellen'avaitqu'àcesser,commedisaitsamère,deconsidérerquel'herbeétaitplusvertedanslejardind'àcôté.Elleavaitatteintledébutdelafile.—Voilàpourmoncourrier,dit-elle.Etpourriez-vousvérifierlecontenudemaboîtepostale?Stirling,

boîtenuméro13.Ellen'étaitpasrepasséeàlapostedepuislederniersoirChezAlberto,seconvainquantquec'étaitla

meilleurechoseàfaire.CequisepassaitavecAnthony–ellen'osaitappelerça«uneaventure»–étaitdevenutroppassionnel.Ilsdevaientprendreunpeudereculpouryréfléchiràtêtereposée.Mais,aprèslaréflexionblessantedesonmaricematin-là,sadéterminations'étaiteffondrée.Elle luiavaitécritenhâte,penchéesurlepetitsecrétairedusalonpendantqueMmeCordozapassaitl'aspirateur.Ellel'avaitsuppliédelacomprendre.Ellenesavaitquefaire:ellenevoulaitpasleblesser…maisellenepouvaitpasvivresanslui:Jesuismariée.Unhommequiabandonnesonmariage,c'estunechose,maisunefemme?Pourle

moment,jenepeuxrienfairedemalàtesyeux:tuvoislemeilleurdanstoutcequejefais.Maisjesaisqu'unjourviendraoùtonregardvachanger.Jeneveuxpasquetuvoiesenmoitoutcequetuasmépriséchezlesautres.C'étaitconfus,désordonné;sonécritureétaitpresqueillisible.Laguichetièreluipritlalettreetrevintavecuneautre.Lasimplevuedesonécrituresuffisaitàfairechavirersoncœur.Sesphrasesétaientsibientournées

qu'ellepouvaitencores'enréciterdespassagesentiersdanslenoir,commedelapoésie.Sansprendreletempsdequitterlecomptoir,elleouvritl'enveloppe,faisantunpasdecôtépourlaisserpasserlesuivant.Cettefois,cependant,lesmotsn'étaientpastoutàfaitlesmêmesqued'ordinaire.Siquelqu'unremarqualaparfaiteimmobilitédelafemmeblondeaumanteaubleu,oulafaçondontelle

seretintaucomptoirenachevantdeliresalettre,cettepersonneétaitprobablementtropoccupéeavecsesproprescolisetformulairespouryprêterbeaucoupd'attention.Maissonchangementd'attitudeétaitfrappant.Ellerestalàquelquesinstantsdeplus,puisfourralalettredanssonsacd'unemaintremblanteetsortitlentement,d'unpashésitant,danslarueinondéedesoleil.Elle erra tout l'après-midi dans les rues du centre de Londres, passant devant les vitrines sans

réellementlesvoir.Incapablederentrerchezelle,elleattenditsurlestrottoirsbondésdelacapitalequesespenséess'éclaircissent.Desheuresplustard,quandenfinellepassalaported'entrée,MmeCordoza

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l'attendaitdanslevestibule,unerobesurchaquebras.—Vousnem'avezpasditquellerobevousvoulezporterpourledînerdecesoir,madameStirling.J'ai

repassécesdeux-làaucasoùl'uned'ellesvousconviendrait.Jenniferrestauninstantsurleseuil,laissantlalumièredoréedusoleildeseptembresedéverserdans

l'entrée.Puisellefermalaporte,etlatristepénombrerepritsesdroits.—Merci.Ellepassadevantlagouvernanteetentradanslacuisine.L'horlogeindiquaitpresque17heures.Était-il

entraindefairesesvalises?Jenniferserralalettreentresesdoigts.Ellel'avaitreluetroisfois.Ellevérifialadate:oui,c'étaitbien

cesoir.Commentavait-ilpuprendreunetelledécisionsirapidement?Commentavait-ilpulaprendretout court ?Elle semaudit den'avoir pas récupéré la lettre plus tôt, den'avoir pas eu le tempsde leconjurerderéfléchir.Jen'ai pasautant de forceque toi.Lorsdenotrepremière rencontre, je pensaisque tu étais une

petitechosefragilequejedevaisprotéger.Àprésent,jemerendscomptequejemetrompaissurtoutela ligne. Tu as plus de force quemoi.C'est toi qui parviens à vivre avec la possibilité d'un amourcommecelui-cietlefaitquejamaisonnenouslepermettra.Je te demande de ne pas me juger pour ma faiblesse. La seule façon pour moi de supporter la

situation est d'être dans un endroit où je ne te verrai plus et où je n'aurai plus à redouter det'apercevoirensacompagnie.J'aibesoindemetrouverquelquepartoùlesduresnécessitésdelaviem'empêcherontdepenseràtoi,minuteaprèsminute,heureaprèsheure.Ici,c'estimpossible.Ellenecessaitd'oscillerentredessentimentscontradictoires:parmoments,elleétaitfurieusecontre

luipouravoirvoululuiforcerlamain;l'instantd'après,elleétaitsaisiedeterreuràl'idéedelevoirs'enaller.Queressentirait-elleensachantqu'ellenelereverraitjamais?Commentpourrait-ellecontinueràmenercettevieenayanteuunaperçudel'alternativequ'illuiproposait?Jevaisacceptercetravail.Jeseraisurlequainuméro4,àPaddington,à19h15vendredisoir,et

rienaumondenepourraitm'apporterplusdebonheurque si tu trouvais lecouragedepartiravecmoi.Situnevienspas,jesauraique,quoiquenousressentionsl'unpourl'autre,cen'étaitpasassezfort.

Jene t'enblâmeraipas,monamour. Je saisquecesdernières semainesont faitpeserbeaucoupdepressionsurtesépaules–jelaressensmoi-même.Jenesupportepasl'idéed'avoirputecauserdelapeine.Elleavait été trophonnêteavec lui.Ellen'auraitpasdû lui avouer saconfusion, ses insomnies.S'il

l'avaitcruemoinsmalheureuse,iln'auraitpaséprouvélebesoind'agirainsi.Sachequetutiensmoncœuretmesespoirsentretesmains.

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Etpuisilyavaitça:sonimmensetendresse.Anthony,quinepouvaitsupporterl'idéedefaired'elle

moinsquecequ'elleétait,quivoulaitlaprotégerdesespiressentiments,luioffraitdeuxéchappatoires:partiravecluiouresterlàoùelleétait,irréprochable,ensesachantaimée.Qu'aurait-ilpufairedeplus?Commentpouvait-elleprendreunedécisionaussimonumentaleenaussipeudetemps?Ellesongeaà

serendrechezlui,maisellen'étaitpassûredel'ytrouver.Ellesongeaàserendreaujournal,maisellecraignait d'être reconnue par un échotier et de devenir un objet de curiosité ou, pire encore, del'embarrasser.Etquepourrait-elledirepourlefairechangerd'avis?Cequ'ilavaitécritétaitvrai:iln'yavaitpasd'autreissuepossible.Iln'yavaitpasmoyendetoutarranger.—Oh.M.Stirlingaappelépourprévenirqu'ilpasseravousprendrevers18h45.Ilvatravaillerun

peutardaubureau.Ilaenvoyésonchauffeurcherchersonsmoking.—D'accord,réponditJenniferd'unairabsent.Prised'unbrusquemalaise,elles'appuyaàlabalustrade.—MadameStirling,toutvabien?—Çava.—Vousavezl'airépuisée.MmeCordozaposadélicatementlesrobessurlachaisedel'entréeetaidaJenniferàôtersonmanteau.—Dois-jevousfairecoulerunbain?Jepeuxvousservirunetassedethépendantquelabaignoirese

remplit,sivousvoulez.Ellesetournaverslagouvernante.—Oui.Jesuppose.Vousavezdit18h45,n'est-cepas?Ellecommençaàmonterl'escalier.—MadameStirling?Lesrobes?Laquelle?—Oh,jenesaispas.Choisissez.Étenduedanssabaignoire,ellesentaitàpeinel'eauchaudequil'entourait,stupéfiéeparlatournuredes

événements.Jesuisunebonneépouse,sedisait-elle.Jevaismerendreàcedîner, jeserai jovialeetentraînante,jenepontifieraipassurdeschosesdontjenesaisrien.QueluiavaitécritAnthony,unefois?Qu'onressentaituneréellejouissanceàêtrequelqu'undebien.

Mêmesitunet'enrendspascomptepourlemoment.Ellesortitdubain.Elleneparvenaitpasàsedétendre.Elleavaitbesoindesechangerlesidées.Elle

regrettasoudaindenepasavoirdequoisedroguerets'endormirpourlesdeuxheuresàvenir.Oumêmepourlesdeuxprochainsmois,songea-t-elletristementens'enveloppantd'uneserviette.Elleouvritlaportedelasalledebains.Là,surlelit,MmeCordozaavaitétalélesdeuxrobes.Celle

degaucheétaitlarobebleunuitqu'elleavaitportéelesoirdel'anniversairedeLaurence.Ç'avaitétéunejoyeuse soirée au casino. Bill avait gagné des sommes folles à la roulette et avait tenu à payer lechampagneàtoutlemonde.Elleavaittropbu,avaitétépompetteetincapabled'avalerquoiquecesoitde solide.Mais, à présent, dans la chambre silencieuse, elle se souvint d'autresmomentsde la soiréequ'elleavait sagementoblitérésde samémoire.Elle se souvintdeLaurence,qui luiavait reprochéde

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dépenser tropd'argent en jetons. Il lui avaitmurmuréqu'elle l'embarrassait– jusqu'à cequ'Yvonne luidemande,avecsadélicatessehabituelle,denepasêtreaussibougon.Ilvat'étouffer,soufflercetteétincellequifaitdetoicequetues.Ellelerevit,deboutdevantlaportedelacuisinecematin-là.Qu'est-cequetufaisavecça?J'espèrequetusaurasterendreunpeuplusagréablecesoir.Puissesyeuxseposèrentsurl'autrerobe:dubrocartorpâle,sansmanches,avecuncolmandarin.La

robequ'elleportaitlesoiroùAnthonyO'Hareavaitrefusédefairel'amouravecelle.C'était comme si un lourd brouillard venait de se lever. Elle abandonna sa serviette et enfila la

première tenuequi lui tombasouslamain.Puisellesemitàentasserdesaffairessur le lit.Dessous-vêtements.Deschaussures.Deschaussettes.Qu'est-cequ'onpouvaitbienmettredanssavalisequandonpartaitpourtoujours?Sesmainstremblaient.Elleattrapamachinalementlavaliseposéeenhautdel'armoireetl'ouvrit.Elle

y jetadesvêtementsauhasard,prised'unesortedefrénésie,craignantd'être incapabledecontinuersielles'arrêtaitpourréfléchir.—Vousallezquelquepart,madame?Vousvoulezquejevousaideàfairevosvalises?MmeCordozavenaitd'apparaîtresurlepasdelaporte,unetassedethéàlamain.Jennifersursautaetseretourna,tentantvainementdedissimulerlavalisederrièreelle.—Non…non.J'emporteseulementquelquesvêtementschezMmeMoncrieff.Poursanièce.Destenues

quejeneporteplus.—Ilyadanslabuanderiedesaffairesquinevousvontplus.Vousvoulezquejevouslesmonte?—Non.Jem'enchargeraimoi-même.MmeCordozajetauncoupd'œilderrièreelle.—Maisc'estvotrerobedorée.Vousl'adorez.—MadameCordoza,s'ilvousplaît,vousvoulezbienmelaissertriermapropregarde-robe?lança-t-

elled'untonsec.Lagouvernantetressaillit.—Jesuisdésolée,madameStirling,murmura-t-elleavantdeseretirerdansunsilenceblessé.Jennifersemitàpleurer,secouéed'affreuxsanglots.Ellerampasurlecouvre-lit,lesmainssurlatête,

etsemitàhurler.Ellenesavaitplusquoifaire.Àchaqueseconded'indécision,c'étaittoutsonavenirquisejouait.Elleentenditlavoixdesamère,vitsonexpressionhorrifiéeàl'annoncedudéshonneurdelafamille,lesmurmuresàlafoischoquésetravisàl'église.Ellecontemplalaviequ'elleavaitplanifiée,lesenfantsquiauraientsûrementtempérélafroideurdeLaurence,quil'auraientobligéàsedétendreunpeu. Elle entrevit une série de chambres de location exiguës, Anthony travaillant toute la journée, lalaissantseuleetangoisséedansunpaysétranger.Ellelevitselasserd'elledanssesvêtementsmiteux,posantdéjàlesyeuxsuruneautrefemmemariée.Jamaisjenecesseraidet'aimer.Jen'aiaimépersonneavanttoietiln'yaurapersonneaprèstoi.Quandellerelevalatête,MmeCordozasetenaitauboutdulit.Elles'essuyalesyeuxetlenez,prêteàluiprésentersesexcuses,puiss'aperçutquelagouvernanteétait

entraindeluifairesavalise.

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—Jevousaimisvoschaussuresplatesetvotrepantalonmarron.Iln'apastropbesoind'êtrerepassé.Jennifer,toujoursprisedehoquets,laregardaitfixement.—Etpuisdessous-vêtementsetunechemisedenuit.—Je…jene…MmeCordozacontinuades'affairer:ellesortitdesvêtementsdelavalise,lespliadansdupapierde

soie et les replaça avec un soin empreint de respect, commeunemère d'occupant de son nouveau-né.Jenniferétaithypnotiséeparlemanègedecesmainsquilissaientetordonnaient.—MadameStirling,déclaraMmeCordoza sans lever lesyeux, jenevousenai jamaisparlé,mais

quand jevivaisenAfriqueduSud,onavaitpourcoutumedecouvrir les fenêtresdecendresquandunhommemourait. Quandmonmari est mort, mes fenêtres sont restées claires. En fait, je les ai mêmenettoyéespourlesfairebriller.Certained'avoircapté toute l'attentiondeJennifer,ellepoursuivitsa tâche.Leschaussuresàprésent,

placéessemellecontresemelledansunpetitsacdecoton,soigneusementcaléesaufonddelavaliseavecunepairedetennisblanchesetunebrosseàcheveux.—J'aimaismonmariquandnousétionsjeunes,maiscen'étaitpasunhommegentil.Envieillissant,il

s'estmontrédemoinsenmoinsprévenantenversmoi.Quandilestmortsansprévenir,Dieumepardonne,j'aieulesentimentqu'onvenaitdemelibérer.Ellehésita,leregardperdudanslavaliseàmoitiéfaite.—Siquelqu'unm'enavaitdonnél'occasion,ilyadesannées,jeseraispartie.Jen'auraispasratéla

chancedevivreuneautrevie.Ellerangealesdernièrespetitesaffairesetfermalecouvercle,serrantlesbouclesdechaquecôtédela

poignée.—Ilest18h30.M.Stirlingaditqu'ilrentraitvers18h45,aucasoùvousl'auriezoublié.Sansajouterunmot,elleseredressaetquittalapièce.Jenniferconsultasamontre,puisfinitdes'habiller.Elletraversalapièceaupasdecourse,enfilanten

toutehâtelapairedechaussureslaplusproche,puisseruaverssacoiffeusepourfouilleraufondd'untiroiràlarecherchedel'argentqu'ellegardaittoujoursencasd'urgencedansunbasrouléenboule.Ellefourralesbilletsdanssapoche,ainsiqu'unepoignéedebaguesetdecolliersrécupérésdanssaboîteàbijoux.Enfin,elleattrapasavaliseetdévalal'escalier.MmeCordozaluitenditsonimper.—C'estsurNewCavendishStreetquevousaurezleplusdechancesdetrouveruntaxi.Jevousaurais

biensuggéréPortlandPlace,maisilmesemblequelechauffeurdeM.Stirlingpassetoujoursparlà.—NewCavendishStreet.Ni l'uneni l'autrenebougea,effrayées,peut-être,par leurpropreaudace.PuisJennifer fitunpasen

avantetserraimpulsivementsagouvernantedanssesbras.—Merci.Je…—J'informeraiM.Stirlingque,àmaconnaissance,vousêtespartiefairelesboutiques.—Oui.Oui,merci.Puis elle sortit dans l'air du soir, qui semblait soudain chargé de possibilités. Elle descendit

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prudemmentlesmarchesduperron,cherchantdesyeuxlalumièrejauneetfamilièred'untaxi.Puisellepartitencourantdanslavillequis'assombrissait.Ellesesentaitcommesoulagéed'unimmensefardeau:ellen'étaitplusMmeStirling.Elleétaitlibrede

s'habiller, de se conduire et d'aimer comme elle voulait. Elle se rendit compte, dans un vertiged'allégresse,qu'ellen'avaitpaslamoindreidéedequietoùelleseraitdansunan,etcettepenséelafitpresqueéclaterderire.Danslesruesfourmillantesdepiétonspressés,lesréverbèress'allumaientpeuàpeu.Jennifercourait,

savaliseluibattantlesjambes,lecœurcognantdanslapoitrine.Ilétaitpresque18h45.Elles'imaginaLaurence arriver à lamaison et l'appeler d'un air irrité, etMmeCordoza nouer son foulard sous sonmentonendéclarantquemadameétaitpartiefairelesboutiques.Ilmettraitbienunedemi-heureavantdecommenceràs'inquiéter,maiselleseraitdéjàsurlequai.J'arrive, Anthony, lui dit-elle en silence. La boule qui se forma dans sa gorge devait être de

l'excitation,oudelapeur,oubienencoreuneenivrantecombinaisondesdeux.Le va-et-vient incessant des voyageurs l'empêchait de bien voir. Ils passaient devant lui en un flot

continu, se faisant des signes les uns aux autres, si bien qu'il ne savaitmême plus ce qu'il cherchait.Anthony,deboutàcôtéd'unbancenfer,sesvalisesàsespieds,consultasamontrepourlamillièmefois.Ilétaitprèsde19heures.Sielleavaitchoisidevenir,elleauraitdéjàdûêtrelà…Illevalesyeuxsurlepanneaud'affichage,puissetournaversletrainquidevaitl'emmeneràHeathrow.

Pasdepanique,monvieux,sedit-il.Elleviendra.—Vousattendez le trainde19h15,monsieur?fitderrière lui lavoixduchefdegare. Ilpartdans

quelquesminutes.Sic'estlevôtre,jevousconseilledemonteràbord.—J'attendsquelqu'un.Ilnequittaitplusdesyeuxleportillonautomatique,àl'autreboutduquai.Unevieillefemmesetenait

là, fouillant ses poches à la recherche d'un billet perdu depuis longtemps.Elle secoua la tête d'un airdépité, semblant suggérer que ce n'était pas la première fois que son sac àmain avalait un documentimportant.Deuxporteursdiscutaient.Personned'autren'approchait.—Letrainnevapasvousattendre,monsieur.Leprochainestà21h45,siçapeutvousaider.Il semit à faire les cent pas entre deux bancs en fer, essayant de ne plus regarder samontre. Il se

remémoral'expressiondesonvisagecesoir-làChezAlberto,quandelleluiavaitditqu'ellel'aimait.Iln'avaitpasdécelélamoindretracededuplicitédanssonregard,rienquelapluspurehonnêteté.Elleétaitincapabledementir.Iln'osapassongeràcequeçaluiferaitdeseréveilleràsescôtéstouslesmatins,àlapureallégressedesesavoiraiméd'elleetd'êtrelibredel'aimerenretour.Lalettrequ'illuiavaitenvoyée,avecsonultimatum,avaitétéunparifou,mais,cefameuxsoir,ilavait

été forcé de reconnaître qu'elle avait raison : ils ne pouvaient pas continuer ainsi. La force de leurssentiments aurait fini par se muer en quelque chose de toxique. Ils auraient fini par s'en vouloirmutuellementpourleurincapacitéàaccomplircedontilsrêvaienttant.Silepirearrivait,serépétait-ilencoreetencore,aumoinsaurait-ilagidemanièrehonorable.Mais,aufonddelui,ilnepensaitpasquelepirearriverait.Elleviendrait.Toutcequ'ilsavaitd'elleluilaissaitàpenserqu'elleviendrait.Il consulta de nouveau samontre et se passa lamain dans les cheveux, puis leva les yeux vers les

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banlieusardsquivenaientdepasserleportillonautomatique.«Çateferadubien,luiavaitditDon.Çat'empêcheradet'attirerdesennuis.»Ils'étaitdemandésisonchefn'étaitpassecrètementsoulagédel'envoyerauboutdumonde.Tuaspeut-êtreraison,Don,songea-t-ilens'écartantpourlaissermonterdansletrainunpetitgroupe

d'hommesd'affairesagités.Ilmeresteunquartd'heurepourledécouvrir.C'étaitàpeinecroyable.Ils'étaitmisàpleuvoirpeuaprèsqu'elleeutatteintNewCavendishStreet,le

cielayantviréàl'orangeboueux,puisaunoir.Commepourobéiràunordretacite,touslestaxisétaientprisd'assaut.Elleleurfaisaitquandmêmesigne,àtouthasard.Vousnecomprenezpasquec'esturgent?avait-elleenviedeleurcrier.Maviedépenddecettecourse!La pluie était devenue torrentielle ; elle tombait en rideaux, comme une tempête tropicale. Des

parapluiessedéployaientautourd'elle,manquantdel'éborgnertandisqu'ellerestaitplantéesurleborddutrottoir,d'abordunpeumouillée,puiscarrémenttrempée.Alorsquelapetiteaiguilledesamontres'approchaitdoucementduchiffresept,lefrissond'excitation

dudébuts'étaitchangéenunepanique indicible.Ellen'allaitpasyêtreà temps.D'un instantà l'autre,Laurenceallaitpartiràsarechercheet,mêmeenabandonnantsavalise,ellenepouvaityarriveràpied.Comme une marée, l'angoisse montait en elle tandis que les véhicules passaient en un courant

ininterrompu,projetantdegrandesgerbesd'eausurlespassantsinattentifs.Ce fut en apercevant l'homme à la chemise rouge qu'elle entrevit la solution. Elle se mit à courir,

bousculantlesgenssursonpassage,oublieuseduqu'en-dira-t-on.Ellesuivitunitinérairefamilierjusqu'àtrouver la rue qu'elle recherchait, puis posa sa valise en haut de l'escalier et dévala lesmarches, lescheveuxvoletantderrièreelle,pourentrerdansleclubassombri.Felipesetenaitderrièrelebar,essuyantdesverres.L'endroitétaitdésertetsemblaitpétrifiédansune

étouffanteatmosphèred'immobilité,malgrélamusiquequipassaitenarrière-fond.—Iln'estpaslà,mapetitedame,déclaraFelipesansmêmeleverlesyeux.—Jesais.Elleétaittellementhorsd'haleinequ'ellepouvaitàpeineparler.—Maisc'estterriblementimportant.Vousavezunevoiture?Leregardqu'illuiadressan'avaitriend'amical.—Peut-être.—Est-cequ'ilseraitpossiblequevousm'emmeniezàlagare?ÀPaddington?—Vousvoulezquejevousconduisequelquepart?Ilpritletempsdedétaillersesvêtementsdégoulinants,sescheveuxtrempésetplaquéssursoncrâne.—Oui.Oui!Jen'aiqu'unquartd'heure.Jevousensupplie.Ilsemblaitréfléchir.Elleremarquaungrandverredewhiskyàmoitiévideposédevantlui.—S'ilvousplaît!Jenevousdemanderaispasçasicen'étaitpasterriblementimportant.C'estpour

retrouverTony,ajouta-t-elleensepenchantverslui.Écoutez,j'aidel'argent…Ellefouilladanssespochesàlarecherchedesesbilletsetlessortit,humidesetfroissés.

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Ilpassalamainparuneporteouvertederrièreluietsortituntrousseaudeclés.—Jeneveuxpasdevotreargent.—Merci,oh,merci,souffla-t-elle.Faitesvite!Onamoinsd'unquartd'heure.LavoituredeFelipen'étaitgaréequ'àquelquesmètresdelà,maisquandilsl'atteignirent,ilétaitaussi

trempéqueJennifer.Ilpritplacesansprendrelapeinedeluiouvrir,lalaissantbatailleraveclapoignéedesaportièreetjetersavalisedégoulinantesurlesiègearrière.—S'ilvousplaît!Allez-y!cria-t-elleenécartantdesmèchesmouilléesdesonvisage,maisilrestait

immobilesurlesiègeduconducteur,apparemmentperdudanssespensées.Oh,bonsang,nesoyezpassoûl,l'adjura-t-elleensilence.S'ilvousplaît,nemeditespasmaintenant

quevousnepouvezpasconduire,quevousn'avezplusd'essenceouquevousavezchangéd'avis!—S'ilvousplaît.Jen'aipasbeaucoupdetemps!dit-elleenessayantdemaîtriserl'angoissedanssa

voix.—MadameStirling?Avantquejevousconduise…—Oui?—Ilfautquejesache…Tony,c'estquelqu'undebien,mais…—Jesaisqu'ilaétémarié.Jesaispoursonfils.Jesaistout!s'écria-t-elleimpatiemment.—Ilestplusfragilequ'illelaisseparaître.—Quoi?—Neluibrisezpaslecœur.Jenel'aijamaisvucommeçaavecunefemme.Sivousn'êtespassûrede

votredécision,sivouspensezqu'ilyaunechance,mêmeinfime,pourquevousreveniezversvotremari,jevoussuppliedenepasfaireça.Lapluietambourinaitsurletoitdelapetitevoiture.Elleposalamainsurlebrasdubarman.—Jenesuispas…Jenesuispascellequevouscroyez.Vraiment.Illuijetaunregardoblique.—Je…veuxseulementêtreaveclui.Jelaissetouttomberpourlui.C'estlui.C'estAnthony,murmura-

t-elle,etsespropresmotsluidonnèrentenviederirepourdéjouerlapeuretl'angoissequilatenaillaient.Maintenant,partons!Jevousensupplie!—OK,fit-ilenmanœuvrantviolemmentlevéhicule,faisantcrisserlespneus.Onvaoù,déjà?Ilpritladirectiond'EustonRoad,puisfrappaleboutond'allumagedesessuie-glaces.Jennifersongea

distraitement aux fenêtres étincelantes de propreté de Mme Cordoza, puis ressortit la lettre de sonenveloppe.Moncheretuniqueamour,Jepensais toutceque je t'aidit. J'aicomprisque la seule façond'avancer,c'estque l'und'entre

nousprenneunegravedécision…Jevaisacceptercetravail.Jeseraisurlequainuméro4,àPaddington,à19h15vendredisoir.—Quainuméroquatre!hurla-t-elle.Onaonzeminutes.Vouspensezqu'onva…

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PARTIEII

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INDÉSIRABLE–NEVIENSPASUnhommeàunefemme,mariéedelaguerre,partélégramme

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Chapitre12

Été1964

L'INFIRMIÈRE TRAVERSAIT LENTEMENT LE SERVICE, POUSSANT UN CHARIOT DE GOBELETS EN CARTON

CONTENANTdespilulesmulticolores.L'occupantedulit16Cmurmura:—Oh,monDieu,pasencore…—Allons,onnevapasfaired'histoires,n'est-cepas?susurral'infirmièreenposantunverred'eausur

latabledechevet.—Sij'avaleencoreundecescachets,jevaismemettreàdélirer.—Peut-être,maisnousdevonsempêcherlatensionderemonter,n'est-cepas?—Nousdevons?Jenesavaispasquec'étaitcontagieux…Assisesurlachaiseàcôtédulit,JenniferpritleverreetletenditàYvonneMoncrieff,dontleventre

ronds'élevaitcommeundômesouslescouvertures,étrangementdéconnectédurestedesoncorps.Yvonnesoupira.Elleglissalespilulesdanssaboucheetlesavaladocilement,puisadressaunsourire

sarcastiqueàlajeuneinfirmièredelamaternité,quis'approchaitdéjàdelaprochainepatiente.—Jennychérie,mets aupointunpland'évasion. Jene supporteraipasdepasseruneautrenuit ici.

Touscesgrognements,cesgémissements…Tun'ycroiraismêmepassijeteracontais.—JecroyaisqueFrancisallaittemettredansunserviceprivé.—Ilachangéd'avisenapprenantquejerisquaisderestericipendantdessemaines.Tusaiscommeil

surveille ses dépenses. « Ma chérie, quel est l'intérêt d'une chambre individuelle alors que tu peuxrecevoirlesmêmessoinsgratuitement?Enplus,ici,tupourrasbavarderaveclesautresfemmes.»Ellefitlagrimaceentournantlatêteverslagrossefemmeauvisageconstellédetachesderousseurqui

occupaitlelitvoisin.—Parceque,tuvois,j'aitellementdechosesencommunavecLiloLil!Treizeenfants!Treize!Moi

quipensaisêtreunmonstreavectroisbébésenquatreans,penses-tu!Jenesuisqu'uneamatrice!—Jet'aiapportédenouveauxmagazines,annonçaJenniferenlessortantdesonsac.—Oh,Vogue.Tuesunamour,maisjevaisdevoirtedemanderdeleremporter.Jevaismettredesmois

avantdepouvoirrentrerdanslemoindrepetithautqu'ontrouveentreleurspages,etçavamedéprimer.Je vaisme faire ajuster une nouvelle gaine dès le lendemain de l'accouchement…Allez, raconte-moiplutôtquelquechosed'intéressant!—D'intéressant?—Quevas-tufairedetasemaine?Tun'imaginespaslatorturequec'estd'êtrecoincéeicidepuisdes

jours,gavéedepuddingaulait,aveclatailled'unebaleineetpaslamoindreidéedecequipeutbiensepasserdanslemonde!—Oh…riendebienexcitant.Ce soir, onaune réceptionà jene saisquelle ambassade…J'aurais

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préféréresteràlamaison,maisLarrytientabsolumentàcequejel'accompagne.IlyaeuuneconférenceàNewYork sur lesmaladies liées à l'amiante, et il veut aller leur dire que leDr Selikoff, qui est àl'originedetoutça,n'estqu'unimposteur.—Maislescocktails,lesjoliesrobes…—Non,j'avaisplutôtenviedemeblottirdevantlatéléenregardantTheAvengers. Ilfait tropchaud

pourcegenredemondanités…—Ah,nem'enparlepas!J'ail'impressiondeportersurmoiunpetitcalorifèreàcetendroitprécis,

soupira-t-elle en se tapotant le ventre. Oh ! Je savais bien qu'il y avait une chose dont je voulaisteparler!MaryOdinestpasséemevoirhier,etilparaîtqueKatherineetTommyHoughtonsesontmisd'accordpourdivorcer.Ettunedevinerasjamaiscequ'ilsfont!Jennifersecoualatête.—Undivorceàl'hôtel.Apparemment,ilaacceptédesefaire«surprendre»dansunechambred'hôtel

avec une autre femme. Ainsi, ils seront libérés de leur mariage sans devoir passer par les délaishabituels.Maisattends,tunesaispaslameilleure…—Non?—D'aprèsMary,lafemmequiaacceptéd'êtrepriseenphotoavecluiestvéritablementsamaîtresse!

CettepauvreKatherinepensequ'ilpaiequelqu'unpourlefaire.Quantàlalettred'amourquiluisertdepreuve,illuiaracontéqu'ilavaitdemandéàuneamiedel'écrirepourqueçaaitl'airplusauthentique.N'est-cepaslachoselaplusatrocequetuaiesjamaisentendue?—Atroce.—JepriepourqueKatherineneviennepasmevoir,carjesaisquejeseraisincapabledegarderle

secret.Pauvrefemme!Toutlemondeestaucourantsaufelle.Jenniferpritunmagazineetlefeuilleta,commentanttellerecetteoutelmodèlederobepourdistraire

sonamie.Puiselleserenditcomptequ'Yvonnenel'écoutaitpas.—Çane va pas ? s'enquit-elle en posant lamain sur la couverture.Tuveuxque j'aille te chercher

quelquechose?—Surveille-lepourmoi,tuveuxbien?Lavoixd'Yvonneétaitcalme,maissesdoigtsenflésbattaientnerveusementsurlesdraps.—Quiça?—Francis.Ilfautquejesaches'ilreçoitdesvisitesinhabituelles.Defemmes,précisa-t-elle,levisage

résolumenttournéverslafenêtre.—Oh,jesuissûrequeFrancis…—Jenny?Fais-lepourmoi,d'accord?Ilyeutuncourtsilence.Jennifers'intéressasoudainàunfilcollésursajupe.—Biensûr.—Bon, fitYvonne, désireuse de changer de sujet, dis-moi ce que tu vas porter ce soir. Je vaisme

répéter,maisjen'attendsplusqu'unechose,c'estderetrouverdesvêtementscivils.Tusaisquemespiedsontdoublédevolume?Siçacontinue,jevaissortird'icienbottesencaoutchouc.Jenniferselevaetpritsonsac,qu'elleavaitlaissésurledossierd'unechaise.

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—Oh,j'aifaillioublier:Violetaditqu'ellepasseraitaprèsl'heureduthé.—MonDieu…Encoreuncompte-rendudesterriblesproblèmesdeconstipationdupetitFrederick…—Jeviendraitevoirdemainsij'ailetemps.—Amuse-toibien,machérie.Jedonneraischerpourassisteràuneréceptionaulieud'êtrecoincéeici,

àsubirlesjacasseriesdeViolet,soupiraYvonne.Passe-moicetexemplairedeQueenavantdepartir,tuveuxbien?Qu'est-cequetupensesdelacoiffuredeJeanShrimpton?ÇaressembleunpeuàcellequetuavaispourcetaffreuxsouperchezMaisieBarton-Hulme.Jenniferentradans lasalledebains, ferma laporteàcléet laissasa robedechambreglisseràses

pieds.Elleavaitpréparélesvêtementsqu'ellecomptaitportercesoir-là:unerobetrapèzedesoiebrute,d'unejoliecouleurbordeaux,avecunchâleensoie.Elleallaitsefaireunchignonetmettrelesbouclesd'oreillesenrubisqueLaurence luiavaitoffertespourson trentièmeanniversaire. Il seplaignaitde lavoirrarementlesporter.S'ildépensaitdel'argentpourelle,disait-il,lemoinsqu'ellepouvaitfaireétaitdelemontrer.Unefoissonchoixarrêté,elles'étendraitdanssonbain.Elleensortiraitjusteàtempspoursevernir

lesongles,puis s'habillerait et, à l'heureoùLaurence rentrerait à lamaison, elle apporterait la touchefinale à son maquillage. Elle ferma les robinets et observa son reflet dans le miroir de l'armoire àpharmacie,essuyantleverrecouvertparlabuée.Ellesecontemplaainsijusqu'àcequelabuéerevienne.Puiselleouvritl'armoireetfouillaparmilesflaconsbrunsquis'entassaientsurlerayonduhautjusqu'àavoirtrouvécequ'ellecherchait.ElleavaladeuxpilulesdeValium,qu'ellefitdescendreavecl'eauduverre à dents.Elle hésita devant le pentobarbital,mais renonça : elle voulait être en état de boire del'alcool.Elleentradanslabaignoireenentendantclaquerlaported'entrée,signequeMmeCordozaétaitrentrée

duparc,etselaissaglisserdansl'eauchaudeetréconfortante.Laurenceavaitappelépourprévenirqu'ilseraitdenouveauenretard.Elles'assitsurlesiègearrièrede

la voiture tandis qu'Eric, le chauffeur, négociait les rues brûlantes et desséchées pour s'arrêter enfindevantlesbureauxdesonmari.—Voulez-vousattendredanslavoiture,madameStirling?—Oui,merci.Elleregardalejeunehommegravirlesmarchesd'unpasvifetdisparaîtredanslebâtiment.Ellen'avait

plus envie d'entrer dans les bureaux. Elle y faisait de rares apparitions lorsque Laurence insistait, àl'occasionderéceptionsoupoursouhaiterunjoyeuxNoëlaupersonnel,mais l'endroit lamettaitmalàl'aise.L'assistantededirectionlaregardaittoujoursd'unairdédaigneux,commesielleluiavaitfaitdutort. Peut-être était-ce le cas. Ces derniers temps, elle avait du mal à savoir ce qu'elle avait fait detravers.Laportes'ouvritdevantLaurence,impeccabledanssoncostumedetweedgrisfoncé.Sanstenircompte

de la température, Laurence Stirling portait toujours ce qu'il estimait approprié. Il trouvaitincompréhensibleslesnouvellesmodesmasculines.—Ah,tueslà,dit-ilenseglissantàcôtéd'ellesurlabanquettearrière,apportantavecluiunebouffée

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d'airchaud.—Oui.—Toutvabienàlamaison?—Toutvabien.—Est-cequelegarçonquidevaitlessiverleperronestpassé?—Justeaprèstondépart.—Jevoulaisrentrerà18heures…Mauditsappelstransatlantiques.Ilslespassenttoujoursplustard

queprévu.Ellehochalatête.Ellesavaitquesonmarin'attendaitpasuneréponse.Ilss'engagèrentdanslacirculationdusoir.Del'autrecôtédeMaryleboneRoad,Jenniferentraperçutle

mirage vert de Regent's Park ; non loin de là, des jeunes filles marchaient en petits groupes sur lestrottoirsbrûlants,s'arrêtanttouslestroispaspouréchangerdejoyeusesexclamations.Dernièrement,elles'était mise à se sentir vieille face à ces poupées filiformes, avec leurs minijupes bleues et leurmaquillageeffronté.Ellesnesemblaientpassesoucierlemoinsdumondedecequ'onpensaitd'elles.Elles n'ont probablement que dix ans demoins quemoi, songeait Jennifer,mais, à côté, j'ai l'air

d'êtredelamêmegénérationquemamère.—Oh.Tuasmiscetterobe-là,fitremarquerLaurenced'unevoixlourdededésapprobation.—J'ignoraisquetunel'aimaispas.—Je n'ai pas d'avis particulier sur la robe en elle-même. Je pensais seulement que tu aurais voulu

porterquelquechosequitedonneraitl'airunpeumoins…maigre.Çan'enfiniraitjamais:mêmequandellepensaitavoirprotégésoncœurd'unecuirasseindestructible,

iltrouvaittoujoursmoyendelapercer.Elledéglutit.—Maigre.Merci.Maisjenepensepaspouvoiryremédiermaintenant.—Nefaispastantd'histoires.J'aimeraissimplementquetufassesplusattentionàtaprésentation.Ettu

pourraismettreunpeuplusdecettechoseque tu t'étales sur levisage, ajouta-t-il en lui jetantunbrefregardcritique.Tuasl'airépuisée.Ils'installaconfortablementsurlabanquetteetallumauncigare.—Allons,Eric,plusvite.Jeveuxêtrearrivépour19heures.Avecunronronnementdocile,levéhiculeaccéléra.Jennifersetournaverslesruesencombréesetne

ditplusrien.Gracieuse.Calme.D'humeurtoujourségale.C'étaitainsiqueladécrivaientsesamis,ainsiqueceuxde

Laurence et ses associés.Mme Stirling, ce parangon de vertu féminine, d'une dignité parfaite, jamaisenclineàl'excitationetàl'hystériecommetantd'autresépousesmoinsdignesdecenom.Parfois,lorsquecescompliments luiétaientadressésàportéedevoixdeLaurence,celui-ci s'esclaffait :«Une femmeparfaite ? Si seulement ils savaient, hein, chérie ? » Les hommes riaient poliment, et Jennifer aussisouriait. Souvent, ces soirées se terminaient mal. Par moments, en surprenant les regards fugacesqu'échangeaientYvonneetFrancisaprèsuneremarquetranchantedeLaurence,ellesoupçonnaitqueleur

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relationavaitdûfairel'objetdespéculationsprivées.Maispersonnenel'interrogeait.Aprèstout,lavieconjugaled'unhommeneregardaitquelui.YvonneetFrancisétaientdebonsamis,tropbienélevéspours'immiscer.—EtvoicilacharmanteMmeStirling.Quellebeauté!s'exclamal'attachésud-africainenluiprenant

lesmainspourl'embrassersurlesdeuxjoues.—Pastropmaigre?demanda-t-elled'unairinnocent.—Jevousdemandepardon?—Non,rien,sourit-elle.Vousêtesterriblementélégant,Sebastian.Lemariagevousréussit.—Malgrétoutesmesmisesengarde,hein?lâchaLaurenceavecunepetitetapedansledosdujeune

homme.LesdeuxhommeséclatèrentderireetSebastianThorne,rayonnantcommeunhommetoujoursenlune

demiel,souritfièrement.—Paulineestlà-bas,sivousvoulezluidirebonjour,Jennifer.Jesaisqu'elleahâtedevousvoir.—J'yvais,dit-elle,heureusedepouvoiréchapperàsonmariaussitôtdanslasoirée.Excusez-moi.Quatreansavaientpassédepuisl'accident.QuatreansdurantlesquelsJenniferavaitvécuavecledeuil,

laculpabilitéetlaperted'unehistoired'amourdontellenesesouvenaitqu'àmoitié,ets'étaitépuiséeenvainpoursauversonmariage.Danslesraresoccasionsoùelles'étaitautoriséeàysonger,elleavaitdécidéqu'unesortedefolieavait

dû s'emparer d'elle après avoir trouvé ces lettres. Elle se souvenait de ses efforts frénétiques pourdécouvrirl'identitédeBoot,desonimprudentemépriseavecReggie,etavaitpresquel'impressionquecesévénementsétaientarrivésàquelqu'und'autre.Ressentirunepareillepassion,éprouverundésiraussiintenseluiétaitdevenuinimaginable.Longtemps,elleavaitétérepentante.Elleavait trahiLaurence,etsonseulespoirderédemptionétaitdeseracheterauprèsde lui.C'était lemoinsqu'ilpouvaitattendred'elle.Elles'étaitatteléeà la tâcheetavaitbannidesonesprit toutepenséepourunautrequelui.Leslettres,cellesquirestaient,étaientdepuislongtempsconsignéesdansuneboîteàchaussuresdissimuléeaufonddesagarde-robe.Àprésent,elleregrettaitdenepasavoirsuquelacolèredeLaurenceseraitsicorrosive,sidurable.

Elleneluiavaitdemandéqu'unpeudecompréhension,unedeuxièmechance,maisilavaitprisunplaisirpresquesadiqueà lui rappeler toutes lesoffensesqu'elle luiavait faitsubir. Iln'aimaitpasmentionnerexplicitementsatrahison–aprèstout,celaimpliquaitunepertedecontrôledesapart,etellecomprenaitàprésentqueLaurenceéprouvaitunbesoinmaladifdecontrôlertouslesaspectsdesonexistence–,maistous les moyens étaient bons pour lui rappeler quotidiennement ses faiblesses. La façon dont elles'habillait.Lafaçondontelletenaitlamaison.Sonincapacitéàlerendreheureux.Ellesedisaitparfoisqu'elleallaitlepayerpourlerestantdesesjours.Depuisunanenviron,ilsemontraittoutdemêmemoinslunatique.Ellelesoupçonnaitd'avoirprisune

maîtresse.Cettepenséenelacontrariaitpas,bienaucontraire:elleétaitsoulagée.Sesexigencesétaientdevenues moins pressantes, moins épuisantes. Ses piques verbales semblaient presque machinales,commeunehabitudetropenracinéedontonneprendpasletempsdes'affranchir.LeValium l'aidait à tenir, commeM.Hargreaves l'avaitpromis.Et si ses sentimentsétaientdevenus

étrangementplats,ellesedisaitquec'étaitprobablement leprixàpayerpourallermieux.Oui,comme

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Laurenceleluifaisaitsouventremarquer,elleétaitparfoisennuyeuse.Ellenepétillaitpeut-êtreplusàlatable du dîner, mais au moins, grâce à ses pilules, elle ne fondait plus en larmes à des momentsinopportunsetparvenaitsanstropdemalàtrouverlesommeil.Ellenecraignaitpluslessautesd'humeurdesonmarietpouvaitsurmontersondégoûtquand ils'approchaitd'elle lesoir.Et,surtout,ellen'étaitplustenailléeparladouleurpourtoutcequ'elleavaitperduettoutcedontelleétaitresponsable.Non. Jennifer Stirling traversait ses journées avecmajesté, impeccablement coiffée etmaquillée, un

charmantsouriresurlevisage.Digne,d'humeurégale,Jenniferdonnaitlesdînerslesplusraffinés,tenaitparfaitementsamaison,avaittouslesmeilleurscontacts.Uneépouseidéalepourunhommedesaqualité.Etilyavaitdescompensations.Elleyavaitdroit.—Jesuiseuphoriqueàl'idéequ'onpossèdenotrepropremaison,déclaraPaulineThorne.Vousn'avez

pasressentilamêmechosequandvousetM.Stirlingétiezjeunesmariés?—Jenemerappellepas.Elle jeta un coup d'œil à Laurence, qui conversait avec Sebastian en soufflant la fumée de son

sempiternelcigare.Desventilateursvrombissaientparesseusementauplafond;lesfemmessetenaientendessousparpetitsgroupes,couvertesdebijoux,setamponnantlecouavecdefinsmouchoirsdedentelle.PaulineThornesortitunpetitportefeuillerenfermantdesphotographiesdeleurnouvellemaison.—Onachoisiunmobiliermoderne,expliqua-t-elle.Sebastianm'alaisséefaireàmonidée.Jennifersongeaàsapropredemeure,seslourdsmeublesd'acajou,sondécorsinistre.Elleadmirales

chaisesblanchesetimmaculéesdesclichés,tellementlissesqu'onauraitditdescoquillesd'œuf,lestapisdecouleursvives,lesœuvresd'artmodernesurlesmurs.Laurenceestimaitquesamaisondevaitêtrelerefletdesapersonnalité.Il lavoyaitmajestueuse,empreinted'unsentimenthistorique.Enregardantlesphotographies,Jenniferserenditcomptequ'elletrouvaitçapompeux,rétrograde.Étouffant.Puisellesereprit.Beaucoupdegensrêveraientdevivredansunemaisoncommelamienne,songea-t-elle.—LesphotosvontparaîtredansYourHouse lemoisprochain.LamèredeSebesthorrifiée.Chaque

foisqu'elleposeunpieddansnotre salon, elleditqu'elle a l'impressionde s'être fait enleverpardesextraterrestres.(Lajeunefemmeéclataderire,etJennifersourit.)Quandjeluiaiannoncéquejepensaisconvertir l'une des chambres en nursery, elle a répliqué que, à en juger par le reste du décor, j'allaisprobablementpondreunbébédansunœufenplastique.—Vousdésirezdesenfants?—Pastoutdesuite.Pasmêmeavantunbonmoment…ElleposalamainsurlebrasdeJennifer.—J'espèrequevousneserezpasgênéesijevousparledeça,maisonvientderentrerdelunedemiel.

Avantquejeparte,mamèrem'afaitsongranddiscours.Voussavez…quejedoismesoumettreàSeb,queçapourraitêtre«unpeudéplaisant».Jennifercilla.—Ellepensaitvraimentquejeseraistraumatisée.Maiscen'estpasdutoutcommeçaqueçasepasse,

n'est-cepas?Jenniferbutunegorgéedesoncocktail.—Oh,suis-jeterriblementindiscrète?

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—Pasdu tout, répondit poliment Jennifer, soupçonnant sonvisaged'afficher une terrifiante absenced'expression.Voulez-vousunautreverre,Pauline?demanda-t-ellequandelleeutretrouvél'usagedelaparole.Jecroisquelemienestvide.Elles'installasurlesiègedestoilettesetouvritsonsacàmain.Elledévissalebouchondelapetite

bouteillebruneetpritunnouveaucomprimédeValium.Unseul,etpeut-êtreunautreverre.Puisellerestaassiseuninstant,attendantquesonrythmecardiaquerevienneàlanormale,etouvritsonpoudrierpourrafraîchirunmaquillageencoreimpeccable.Pauline avait semblé blessée quand Jennifer était partie, comme si celle-ci venait de traiter ses

confidences avec dédain. Pauline se comportait commeunepetite fille tout excitée d'avoir été admisedanslemondedesadultes.Avait-elleressenti lamêmechosepourLaurence?sedemanda-t-elle tristement.Parfois,ellepassait

devantlaphotodemariagequitrônaitdansl'entréeetavaitl'impressiondevoirdesétrangers.Laplupartdutemps,elleessayaitdel'ignorer.Quandelleétaitdansunmauvaisétatd'esprit,commeLaurenceleluireprochait souvent, elle avait envie de crier à cette jeune fille aux grands yeux naïfs de ne jamais semarier.Àprésent,beaucoupdefemmess'enpassaient.Ellesavaient leurcarrière, leurargent,etnesesentaient pas obligées de faire attention à tout ce qu'elles disaient ou faisaient pour ne pas blesser lasusceptibilitéduseulhommedontl'opinionsemblaitimporter.ElleessayadenepasimaginerPaulineThornedansdixans,lorsquelesmotsd'adorationdeSebastian

auraientétéoubliésdepuislongtempsetquelesexigencesdutravail,desenfants,lessoucisd'argentousimplementlaroutinequotidienneauraienteuraisondesafraîcheur.Ellenedevaitpasêtreaigrie.Elledevaitlaisserlajeunefillevivresonbonheur.Aprèstout,sonhistoirepouvaitévoluerdifféremment.Elleprituneprofondeinspirationetseremitdurougeàlèvres.Quandellerevintàlafête,Laurenceétaitpasséàunautregroupe.Ellerestasurlepasdelaporte,le

regardants'inclinerdevantunejeunefemmequ'elleneconnaissaitpas.Ilécoutaitattentivementcequ'elleracontait,sanslaquitterdesyeux.Puisellefituneremarque,ettousleshommess'esclaffèrent.Laurenceluiglissaquelquesmotsà l'oreille, et ellehocha la têteen souriant.Elledevait le trouverabsolumentcharmant.Ilétait21h50.Elleauraitaimépartir,maisellesavaitqu'ilvalaitmieuxnepaspressersonmari.Ilsne

s'eniraientquelorsqu'ilseraitprêt.Leserveurs'approchaetluiprésentaunplateaud'argentchargédeflûtesdechampagne.—Madame?Samaisonluisemblaitsoudainàunedistanceimpossibleàcouvrir.—Merci,dit-elleenprenantunverre.C'estalorsqu'ellel'aperçut,enpartiedissimuléderrièrelespalmiersenpot.Sonregardpassad'abord

sur lui sans le voir, puis une petite voix lui souffla qu'elle avait autrefois connu un homme dont lescheveux trop longs retombaient ainsi sur le col de sa chemise. Il y avait eu une période – un anauparavant,peut-êtremêmeplus–oùellel'avaitvupartout:sontorse,sescheveux,sonrire,transplantéssurd'autreshommes.Son interlocuteur éclata de rire, secouant la tête comme pour le supplier de ne pas continuer. Ils

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trinquèrent.Puisilseretourna.LecœurdeJennifercessadebattre.Lapiècesemblasefiger,puiss'incliner.Ellenesentitpassaflûte

luiglisserentrelesdoigts,nefutquevaguementconscientedubruitdeverrebriséquirésonnadanslevaste atrium, du bref silence qui s'ensuivit, des bruits de pas d'un serveur qui s'empressait de venirnettoyer. Elle entendit Laurence, à quelques pas de là, émettre une remarque désobligeante. Elle étaitclouéesurplace.Puisleserveurluiposalamainsurlebras.—Reculez,madame,s'ilvousplaît,reculez.Lapièces'emplitdenouveaudumurmuredesconversations.Lamusiquecontinua.Et,alorsqu'ellele

dévisageait,l'hommecroisasonregard.

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Unconseil:laprochainefoisquetusorsavecunemèrecélibataire,n'attendspasdesmoispourte

faireprésenteràsonfils.N'emmène pas ledit fils jouer au foot. Ne t'amuse pas à jouer les familles heureuses dans une

pizzeria.Nedispasdes trucsdugenre«Qu'est-cequ'ons'amusebien tousensemble»avantde tebarrerparceque,commetuledissibien,TUN'ASJAMAISÉTÉSÛRDEL'AIMERVRAIMENT.Unefemmeàunhomme,parcartepostale

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Chapitre13

—JENE SAIS PAS. JE PENSAISQU'ON ENAVAIT FINIAVECCETTE PARTIEDUMONDE.POURQUOI VOULOIR Yretourner?—C'estunegrossehistoire,etjesuislemeilleurpourlejob.—TufaisdubonboulotauxNationsunies.Lepatronestsatisfait.—MaislavraiehistoiresepasseauCongo,Don,tulesais.Malgré sapromotionaupostede rédacteurenchef, lebureaudeDonFranklinet l'homme lui-même

avaient peu changé depuis qu'Anthony O'Hare avait quitté l'Angleterre. Chaque année, Anthony étaitrentré pour rendre visite à son fils et faire une apparition en salle de rédaction, et chaque année lesfenêtres étaient un peu plus imprégnées de nicotine et les immenses piles de coupures de pressevacillaientdavantage.—J'aimeceschosestellesqu'ellessont,disaitDonàquivoulaitl'entendre.Etpuis,d'abord,qu'est-ce

quejeferaisd'unevueplusclairesurcettepluiedéprimante?Celadit,lebureaumiteuxetjonchédepaperassesdeDonétaituneanomalie.LaNationévoluait.Ses

pagesétaientplusépaissesetplusbrillantes,adresséesàunlectoratplusjeune.Ilyavaitdesarticlesdefondregorgeantd'astucesbeautéetdediscussionssur lesdernierscourantsmusicaux,descourriersdelecteurs sur lacontraception,une rubrique«potins»détaillant lesaffairesd'adultèredescélébrités…Dans lesbureauxdu journal, aumilieudeshommesauxmanchesdechemise retroussées,des fillesenjupecourtefaisaient laqueueà laphotocopieuseetseretrouvaientenpetitsgroupesdanslescouloirs,interrompant leurs conversations pour jeter des coups d'œil aguicheurs sur son passage. Les filles deLondresétaientdevenuespluseffrontées.Anthonyétaitrarementseullorsdesesvisitesenville.— Tu le sais aussi bien que moi. Personne ici n'a mon expérience de l'Afrique. Et ce n'est plus

uniquement le personnel du consulat américain qui est pris en otage, ce sont tous les Blancs sansdistinction.Ilsepassedeschosesterriblesdanslepays–lesleadersSimbasemoquentdecequefontles rebelles. Allez, Don ! Tu ne vas pas me dire que Phipps est le meilleur pour ce boulot ? OuMacDonald?—Jenesaispas,Tony.— Crois-moi, les Américains n'apprécient pas que leur missionnaire, Carlson, soit montré partout

commeunemonnaied'échange.Onparled'uneopérationdesauvetage,ajouta-t-ilenbaissantlavoix.Lenomquicircule,c'est«Dragonrouge».—Tony, jenesaispassi lepatronveutenvoyerquelqu'unlà-baspour lemoment.Cesrebellessont

fousàlier.—Quiademeilleurscontactsquemoi?QuiensaitplusquemoisurleCongo,surlesNationsunies?

J'aipasséquatreansdansce labyrinthe,Don,quatreputainsd'années !Tuasbesoindemoi là-bas.Etmoi,j'aibesoind'yaller.Il vit queDon était sur le point de se laisser fléchir. L'autorité que lui avaient value ses années de

terrainetsonapparencepolicéeajoutaientunpoidscertainàsesrevendications.Pendantquatreans, il

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avaitfidèlementrapportélestoursetdétourspolitiquesquis'étaientjouésdanslelabyrinthedesNationsunies.Lapremièreannée,iln'avaitpenséqu'àseleverlematinetfairesontravail.Puis,denouveau,ilavait

dûcombattrecetteimpressiontenacequelavraiehistoire,quesavraievie,sedéroulaitailleurs,loindel'endroitoù il se trouvait.Àprésent, leCongomenaçaitd'imploser,vacillant aubordduchaosdepuisl'assassinatdeLumumba,etsonchantdesirène,autrefoisunmurmuredistant,devenaitinsistant.—Lesrèglesdujeuontchangélà-bas,ditDon.Jen'aimepasça.Jenesuispassûrqu'ilfailleenvoyer

quiquecesoitdanscepaystantquelasituationnes'estpasstabilisée.Malheureusement,Donconnaissaitaussibienqu'Anthonylamalédictiondesreportagesdeguerre:ça

vousdonnaitunenotiontrèsmanichéennedubienetdumal;çavousfaisaitmonterl'adrénalineetvousemplissait de sentiments passionnés, de désespoir, de camaraderie… Il était très facile de se laisserconsumer,maisquiconqueyavaitgoûtééprouvaitparlasuitelesplusgrandesdifficultésàsavourerleseffortsbanalsd'unevieordinaireàlamaison.Touslesmatins,Anthonypassaitdescoupsdefiletépluchaitlesjournaux,interprétantlesévénements.

Cette crise allait prendre une ampleur historique : il le sentait dans ses tripes. Il devait se rendre surplace, lasentir, lafairerevenirsur lepapier.Pendantquatreans, ilavaitétécommemort.Il luifallaitêtreaucœurdel'actionpoursesentirrevivre.Anthonysepenchasurlebureau.—Écoute,Philmorem'aditquelechefm'avaitdemandéexpressément.Tuasenviedeledécevoir?Donallumaunenouvellecigarette.—Biensûrquenon.Maisiln'étaitpaslàquandtuas…Iltapotasacigarettesurlebordd'uncendrierquidébordaitdéjà.—Alorsc'estça?Tuaspeurquejedisjoncteencore?LepetitriregênédeDonluiconfirmatoutcequ'ilavaitàsavoir.—Jen'aipasbuunverredepuisdesannées.Jesuisclean.Etjevaismefairevaccinercontrelafièvre

jaune,sic'estçaquit'inquiète.—C'estpourtoiquejem'inquiète,Tony.C'estrisqué.Écoute.Qu'est-cequetufaisdetonfils?—Iln'arienàvoirlà-dedans.Avecunpeudechance,ilrecevaitdeuxlettresparan.Clarissanepensaitqu'aubiendePhillip,bien

sûr:ilvalaitmieuxpourluidenepastropsubirlaperturbationd'unface-à-faceavecsonproprepère.—Laisse-moipartirtroismois.Toutseraterminéàlafindel'année.C'estcequetoutlemondedit.—Jenesaispas…—Est-ceque j'ai une seule foisdépasséundélai ?Est-ceque jen'ai pas rapportédes tasdebons

articles?Pourl'amourdeDieu,Don,tuasbesoindemoilà-bas.Lejournalabesoindemoilà-bas.Ilfautquelqu'unsurplacequiconnaîtlarégion.Quelqu'unquiadescontacts.Imagineunpeu:«NotrereporterauCongoaumomentdelalibérationlesotages».Allez,fais-lepourmoi,Don!—Tuasencorelabougeotte,hein?—Jesaisoùilfautquejesois.Dongonflalesjouescommeunhamster,puissoufflabruyamment.

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—OK.Jevaisenparleraugrandpatron.Jeneteprometsrien…maisjeluiparlerai.—Merci,ditAnthonyenselevantpourpartir.—Tony.—Quoi?—Tuasl'airenpleineforme.—Merci.—Jelepense.Çatediraitd'allerboireunverrecesoir?Toi,moietquelquesvieuxamis?Millerest

enville.Onpourraitallerseprendrequelquesbières–oubiendel'eauavecdesglaçons,duCoca,toutcequetuveux.—J'aiprévud'alleràuneréceptionavecDouglasGardiner.—Ah?—Àl'ambassaded'AfriqueduSud.Ilfautbienquej'entretiennemescontacts.Donhochalatête,résigné.—Gardiner,hein?Dis-luidemapartqu'ilécritcommeunpiedgauche.Deboutàcôtéduplacardauxfournitures,Cheryl,lasecrétaire,luiadressaunclind'œillorsqu'ilpassa

devant elle en sortant. Un véritable clin d'œil. Anthony O'Hare se demanda à quel point les chosesavaientchangédepuissondépart.—Unclind'œil?Tony,vieuxbrigand,tuaseudelachancequ'ellenet'aitpasentraînéavecelledans

ceplacard!—Jenesuispartiquequelquesannées,Dougie.C'esttoujourslemêmepays.—Non, fitDouglasenembrassant lapiècedu regard.Non,cen'estplus lemêmepays.Londresest

devenulecentredumonde.Toutsepasseici,monvieux.L'égalitéhomme-femmen'enestquelamoitié.Ilyavait,Anthonydevaitlereconnaître,unfonddevéritédanscequ'avaitditDouglas.Mêmel'aspect

extérieurdelavilleavaitchangé:nombreusesétaientlespetitesruesquiavaientdisparu,toutcommelesfaçadesdécrépitesauxlignesélégantesetleséchosdespénuriesdel'après-guerre.Toutcelaavaitlaisséla place à des enseignes au néon, des boutiques de prêt-à-porter pour femmes avec des noms commePartyGirlouJetSet,desrestaurantsexotiquesetdesgratte-ciel.Chaquefoisqu'ilrevenaitàLondres,Anthony se sentait un peu plus étranger : ses points de repère habituels s'évanouissaient, et ceux quirestaientseretrouvaientdansl'ombredelaPostOfficeTowerouautresréalisationsfuturistesdumêmearchitecte.L'immeubleoùilavaitvécuavaitétédétruitpourêtreremplacéparuneconstructiond'allurebrutaleetmoderniste.Lejazzclubd'Albertos'étaitmétamorphoséenbarrock'n'roll.Mêmelesvêtementsétaient plus tapageurs. Les gens de sa génération, enmarron et bleumarine, semblaient plus vieux etdépassésqu'ilsnel'étaientenréalité.—Alors…Çatemanqued'êtresurleterrain?—Non.Toutlemondedoitdéposerlesarmesunjouroul'autre,pasvrai?Etunechoseestsûre,c'est

qu'il y a des tas de femmes sublimes dans ce boulot. EtNewYork, c'est comment ?Qu'est-ce que tupensesduprésidentJohnson?—Cen'estpasunKennedy,c'estcertain…Maisqu'est-cequetufaismaintenant?Tut'incrustesdansla

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hautesociété?—Les tempsont changédepuisque tu esparti,Tony.Les infidélitésdes femmesd'ambassadeur, ça

n'intéressepluspersonne.Maintenant,iln'yenaplusquepourlespopstars–lesBeatlesetCillaBlack.Paslemoindrepedigree.Lescarnetsmondainssontdevenustrèségalitaires.Soudain,unbruitdeverrebrisé résonnadans lavastesalledebal.Lesdeuxhommes interrompirent

leurconversation.—Oups.Quelqu'unabuunverredetrop,fitremarquerDouglas.Certaineschosesnechangerontpas:

cesdamesnetiendrontjamaisl'alcool.—Parcontre, j'ai l'impressionquecertaines fillesdu journaln'auraientaucunmalàme faire rouler

souslatable,fitremarquerAnthonyavecunfrisson.—Toujourssobre?—Depuisplusdetroisans.—Tun'auraispastenuaussilongtempssitufaisaismonboulot.Çatemanque?—Touslesjours.Douglas, qui avait cessé de rire, regardait derrière lui. Anthony jeta un coup d'œil par-dessus son

épaule.—Tudoisparleràquelqu'un?demanda-t-ilensedécalantpolimentsurlecôté.—Non,réponditDouglasenplissantlesyeux.Jecroyaisquecettefemmemeregardait,maisjepense

quec'estpourtoi.Elleteditquelquechose?Anthonyseretourna–eteutcommeuneabsence.Puisl'évidencelefrappa,avecl'inévitablebrutalité

d'unboulet de destruction.Bien sûr qu'elle était là.La seule personne à qui il avait essayéde nepaspenser.Laseulepersonnequ'ilavaitespéréneplusjamaisrevoir.IlétaitrevenuenAngleterrepourunpeumoinsd'unesemaine,etelleétaitlà.Lepremiersoiroùilsortait.Il étudia sa robe rouge sombre, sa posture presque parfaite qui la démarquait de toutes les autres

femmesdelapièce.Lorsqueleursyeuxserencontrèrent,ellesemblavaciller.—Ahnon,cen'étaitpaspourtoi,ditDouglas.Regarde,ellepartverslebalcon.Hé,jesaisquic'est.

C'est…Ilclaquadesdoigts.—Stirling.LafemmedeStirling.Lemagnatdel'amiante.Çatedérangesi j'yvais?Çapourraitme

faireunparagraphe.Ilyaquelquesannées,cettefemmeétaitunesacréehôtesse.IlsvontsûrementmettreunarticlesurElvisPresleyàlaplace,maisonnesaitjamais…Anthonydéglutit.—Biensûr.Ilredressasoncol,pritunegrandeinspirationetsuivitsonamiàtraverslafoule.—MadameStirling.Elle leur tournait ledos,perduedans lacontemplationdes ruesencombréesdeLondres.Sacoiffure

étaitunevéritablesculpturedebouclessatinées,etelleavaitornésoncoud'uncollierderubis.Elleseretournalentement,etsamainselevaverssabouche.

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Çadevait finirpararriver, sedit-il.Mais lavoirainsi,êtreobligéde la rencontrer, luipermettraitpeut-êtreenfindetournerlapage.Malheureusement,iln'avaitpaslamoindreidéedecequ'ilpourraitluidire.Allaient-ils s'engager dans un échangepoli ?Allait-elle se trouver une excusepour s'éloigner etpasserdroitdevantluisansmêmeseretourner?Était-ellegênéedecequis'étaitpassé?Sesentait-ellecoupable?Était-elletombéeamoureused'unautre?Ilétaitassaillidepenséescontradictoires.Douglasluitenditlamain,qu'elleserra,maissesyeuxrestaientfixéssurAnthony.Elleétaitlivide.—MadameStirling?DouglasGardiner,de l'Express.Nousnous sommes rencontrés àAscot, ilme

semble,l'étédernier.—Ahoui,dit-elle.Savoixtremblait.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Je…je…—Vousallezbien?Vousêtesatrocementpâle.—Je…Jemesensunpeufaible.—Voulez-vousquej'aillecherchervotremari?proposaDouglasenluiprenantlecoude.— Non ! s'écria-t-elle. Non. Juste un verre d'eau, demanda-t-elle en s'efforçant de reprendre son

souffle.Sivousvoulezbien.DouglasadressaàAnthonyunregardencoulisse.Qu'est-cequisepasseici?—Tony…tuveuxbienresteruneminuteavecMmeStirling?Jereviens.Douglass'éloigna,etlorsquelaporte-fenêtreserefermaderrièrelui,étouffantlamusique,ilsnefurent

plusquetouslesdeux.LesyeuxdeJenniferétaientgrandsouverts,effrayants.Ellesemblaitincapabledeparler.—C'estsiterriblequeça?Demevoir,jeveuxdire?demanda-t-ilsansparveniràréprimerlalégère

agressivitédesavoix.Elle cilla, détourna les yeux, puis le regarda de nouveau, comme pour s'assurer qu'elle n'était pas

victimed'unehallucination.—Jennifer?Tuveuxquejem'enaille?Jesuisdésolé.Jenevoulaispastedéranger.MaisDougie…—Onm'adit…Onm'aditquetu…quetuétaismort,articula-t-ellealorsquelesmotss'étranglaient

danssagorge.—Mort?—Dansl'accident.Elle transpirait, le teint pâle et cireux. L'espace d'un instant, il se demanda si elle n'allait pas

s'évanouir.Ils'avançaverselleetlapilotaversleborddubalcon,enlevantsavestepourluipermettredes'asseoirdessus.Elleselaissatomber,latêteentrelesmains,etémitunsourdgémissement.—Tunepeuxpasêtrelà.Onauraitditqu'elleseparlaitàelle-même.—Quoi?Jenecomprendspas.Ilsedemandasiellen'étaitpasdevenuefolle.Ellelevalesyeux.

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—Onétaitenvoiture.Ilyaeuunaccident…Çanepeutpasêtretoi!Cen'estpaspossible!Sonregarddescenditverslesmainsd'Anthony,commesielles'attendaitàlesvoirdisparaître.—Unaccident ? répéta-t-il en s'agenouillant à côté d'elle. Jennifer, la dernière fois que je t'ai vue,

c'étaitdansunclub,pasdansunevoiture.Ellesecouaitlatête,apparemmentperdue.—Jet'aiécritunelettre…—Oui.—…pourtedemanderdepartiravecmoi.Ellehochalatête.—Etjet'aiattendueàlagare.Tun'espasvenue.Jemesuisditquetuavaispristadécision.Puisj'ai

reçutalettre,qu'onm'afaitsuivre,oùtuinvoquaisàplusieursrepriseslefaitquetuétaismariée.Ilparvenaità formulerposément lesévénements,commesiçan'avaitpaseu lamoindre importance,

commes'iln'avaitattenduqu'unevieilleamie.Commesisonabsencen'avaitpasgâchésavie,ruinésonbonheur,pendantquatrelonguesannées.—Maisj'étaispartieteretrouver.Ilsseregardèrentlonguement.Puiselles'enfouitdenouveaulevisageentrelesmains,lesépaulesagitéesdesoubresauts.Ilseleva,

jeta un bref regard en direction de la salle de bal illuminée, et lui posa la main sur l'épaule. Elletressaillit,commes'ilvenaitdelabrûler.Ilpercevaitleslignesdesondosàtraverssarobe,etsagorgeseserra.Ilétaitincapabledepenserclairement.Incapabledepensertoutcourt.—Etpendanttoutcetemps,murmura-t-elleenlevantversluidesyeuxembuésdelarmes,pendanttout

cetemps…tuétaisenvie.—J'aicru…quetunevoulaispaspartiravecmoi.—Regarde!Elleremontasamanche,dévoilantlalignedentelée,argentée,quiluiparcouraitlebras.—J'aiétéamnésique.Pendantdesmois.Jen'aiencorequetrèspeudesouvenirsdecettepériode.Il

m'aditquetuétaismort.Ilm'adit…—Maistun'aspaslumonnomdanslesjournaux?J'yécrisdesarticlespresquequotidiennement.—Jenelispaslesjournaux.Plusmaintenant.Àquoibon?Anthonychancelaàsontour,touteslesimplicationsdecequ'ellevenaitderacontercommençantàfaire

leurchemindanssonesprit.Jennifersetournaverslaporte-fenêtre,renduepresqueopaqueparlabuée,puiss'essuyalesyeuxduboutdesdoigts.Illuioffritsonmouchoir,qu'elleprittimidement,commesielleavaitpeurd'entrerencontactavecsapeau.—Jenepeuxpasresterdehors,dit-elleunefoisqu'elleeutretrouvésoncalme.Lemascaraluiavaitlaisséunetracenoiresousunœil,maisilrésistaàl'impulsiondel'essuyer.—Ilvasedemanderoùjesuispassée.Denouvellesmarquesde fatigue lui étaient apparues sous les yeux ; la fraîcheurde son teint s'était

dissipée, révélant une tension nouvelle. Ses airs de petite fille s'étaient évanouis, supplantés par une

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circonspectionqu'ilneluiconnaissaitpas.Ilneparvenaitplusàdétournerlesyeuxdesonvisage.—Commentpuis-jetejoindre?demanda-t-il.—Tunepeuxpas.Ellesecoualatête,semblantvouloirseclarifierlesidées.—JesuisauRegentHotel,dit-il.Appelle-moidemain.Ilsortitdesapocheunecartedevisite,oùilgriffonnaunnuméro.Elles'emparaduboutdecartonetleregardafixement,commepourenimprimertouslesdétailsdanssa

mémoire.—Etvoilà,ditDouglasenapparaissantentreeux,unverred'eauàlamain.Votremariestentrainde

parleràquelqu'un,justederrièrelaporte-fenêtre.Jepeuxl'appeler,sivousvoulez.— Non… Non, ça va aller. Merci infiniment, dit-elle après avoir bu une gorgée. Je dois y aller,

Anthony.Cettefaçondeprononcersonnom…Anthony.Ilserenditcomptequ'ilsouriait.Elleétaitlà,àquelques

centimètresdelui.Ellel'avaitaimé,elleavaitportésondeuil.Elleavaitessayédelerejoindrecesoir-là.C'étaittouteladétressedequatreannéesquivenaitd'êtrebalayéeenquelquessecondes.—Maisalors,vousvousconnaissez?Commedetrèsloin,AnthonyentenditlavoixdeDouglas,levitfaireungesteendirectiondelaporte-

fenêtre.Jenniferbuvaitsonverred'eausanslequitterdesyeux.Ilsavaitque,danslesheuresàvenir,ilpleureraitletempsperduetmaudiraitcemauvaiscoupdusortquilesavaitcondamnésàvivresiloinl'undel'autre.Mais,enattendant,ilnepouvaitressentirqu'unejoieimmenseàl'idéequecequ'ilavaitcrudisparupourtoujoursvenaitdeluiêtrerendu.Ilétaittempsqu'elles'enaille.Elleseleva,selissalescheveux.—Est-cequej'ail'air…bien?—Tues…—Vousêtessublime,madameStirling.Commetoujours,fitDouglasenouvrantlaporte.Elleesquissaunpetitsourire.Cequ'Anthonyylisaitétaitdéchirant.Enpassantdevantlui,elletendit

unemainfineetluitouchalebrasjusteau-dessusducoude.Puiselleregagnalasalledebal.Douglashaussaunsourcillorsquelaportesefutreferméesurelle.—Nemedispasquec'estunedetesconquêtes?Vieillecanaille!Tuarrivestoujoursàtesfins,hein?Anthonyn'avaitpasquittélaportedesyeux.—Non,dit-ilàvoixbasse.Pastoujours.Jennifernelâchapasunmotdurantlecourttrajetjusqu'àchezeux.Laurenceavaitproposéderamener

uncollèguequ'elleneconnaissaitpas,cequiluilaissaitleloisirderesterassisesansriendirependantqueleshommesparlaient.—Bien sûr,PipMarchantva recommencer avec ses coups tordus.Tout son capital est attaché àun

uniqueprojet.—Ilestotagedesafortune.Commesonpère.

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—Jesuissûrquesionremonteassezloindanslesancêtresdecettefamille,ontomberasurlabulledesmersduSud.—Onenretrouveramêmeplusieurs!Toutesrempliesd'airchaud.L'habitacledelagrossevoiturenoireétaitemplidelafuméedeleurscigares.Laurenceétaitvolubile

et avait des avis très arrêtés, comme souvent quand il était entouré d'hommes d'affaires ou imbibé dewhisky.Jenniferl'entendaitàpeine,toujoursfrappéedestupeur.Elleregardaitlesruesdésertes,maisnevoyaitpaslabeautéduquartiernilesrarespassantsrentrantchezeuxd'unpastraînant.Anthonyétaitlaseulevisionquis'imposaitàsesyeux.Sonregardbrunplantédanslesien,sonvisageunpeuplusridémaispeut-êtreplusbeau,plusdétendu.Ellecroyaitencoresentirlachaleurdesamainsursonépaule.Commentpuis-jetejoindre?Cesquatredernièresannées,ilavaitétévivant.Ilavaitvécu,respiré,buducafé,tapéàlamachine.Il

étaitvivant.Elleauraitpuluiécrire,luiparler.Partiraveclui.Elle avala sa salive, essayant de contenir la tempête qui faisait rage en elle. En temps voulu, elle

songeraitàcequil'avaitamenéeàcettesituation,àseretrouverlà,danscettevoiture,avecunhommequifaisaitsoigneusementabstractiondesaprésence.Maiscen'étaitpaslemoment.Lesangbouillonnaitdanssesveines.Vivant,chantait-il.Lavoitures'arrêtasurUpperWimpoleStreet,etEricdescenditdevoiturepourouvrirlaportièrecôté

passager.Lebusinessmandescenditensoufflantlafuméedesoncigare.—Mercibeaucoup,Larry.Tuserasauclubcettesemaine?Jet'inviteàdîner.—J'attendsçaavecimpatience.L'hommemarcha lourdement jusqu'à sa porte, qui s'ouvrit devant lui comme si quelqu'un l'attendait.

Laurenceregardasoncollèguedisparaître,puissetournaverssonchauffeur.—Àlamaison,s'ilvousplaît,Eric.Ilchangeadepositionsurlabanquette,etJennifersentitsonregardseposersurelle.—Tuesbiensilencieuse.Ildonnaittoujoursàsesremarquesuntondésapprobateur.—Vraiment?Jenepensaispasavoirquoiquecesoitàajouteràvotreconversation.—Oui,bon.Dansl'ensemble,cen'étaitpasunemauvaisesoirée.—C'estvrai,dit-elleàvoixbasse.C'étaitmêmeunetrèsbonnesoirée.

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Jesuisdésolé,maisjedoisrompreavectoi.Net'enveuxpas,cen'estpastafaute.Daveaditqu'il

aimeraitavoirsachanceavectoi.Mais,s'ilteplaît,évite,parcequeçam'obligeraitàterevoir.Unhommeàunefemme,partexto

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Chapitre14

Àtonhôtel,àmidi.J.ANTHONYREGARDAITFIXEMENTLEBILLET,AVECSONUNIQUELIGNEDETEXTE.

—Onmel'adélivréenpersonnecematinmême.Cheryl, la secrétaire, se tenait devant lui, un stylo entre l'index et le majeur. Ses cheveux courts,

incroyablementblonds,étaienttellementépaisqu'ilsedemandauninstantsielleportaituneperruque.—J'hésitaisàt'appeler,maisDonm'aditquetuviendrais.—Oui.Merci,dit-ilenpliantlemotavecsoinpourleglisserdanssapoche.—Adorable.—Qui…moi?—Tanouvellecopine.—Trèsdrôle.—Non,jelepensevraiment.Maisjel'aiquandmêmetrouvéebeaucouptropchicpourtoi.Elles'assitsurleborddesonbureau,levantlesyeuxversluiàtraversdescilsinvraisemblablement

maquillés.—Tuasraison,elleestbeaucouptropchicpourmoi.Etcen'estpasmacopine.—Ohoui,j'oubliais.TuenasdéjàuneàNewYork.Celle-ciestmariée,non?—C'estunevieilleamie.—Moiaussi,j'aidevieuxamisdanscegenre-là.Tul'emmènesenviréeenAfrique?—JenesaismêmepassijeparsenAfrique.Ils'appuyaaudossierdesachaise,croisantlesdoigtsderrièrelatête.—Etjetetrouvetrèsindiscrète.—Ontravailledansunjournal,aucasoùtunel'auraispasremarqué.L'indiscrétion,c'estnotreboulot.Iln'avaitpasdormidelanuit,toussessensétaientenalerte.Ilavaitarrêtédechercherlesommeilà

trois heures du matin et était parti s'asseoir au bar de l'hôtel, buvant café sur café, se rejouant leurconversation,essayantdedonnerunsensàcequ'elleavaitdit.Aupetitmatin,ilavaiteuunmalfouàseretenirdeprendreuntaxietd'allerseposterdevantsamaisonpourleseulplaisirdesavoirqu'elleétaitdedans,àquelquesmètresàpeine.J'étaispartieteretrouver.Cherylleregardaittoujours.Iltapotaduboutdesdoigtssurlebureau.—Àmonavis,répliqua-t-ilenfin,toutlemondes'intéressebeaucouptropauxaffairesdesautres.—Ah,alorsilyabienquelquechoseentrevous!Tusaisquelessecrétairesontouvertlesparisàce

sujet?

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—Cheryl…—Quoi?Iln'yapasgrand-choseàfairedanslesbureauxàcetteheureavancéedelanuit!Etd'abord,

qu'est-cequ'ilyadanscettelettre?Tudoislaretrouveroù?Uncoinsympa,j'espère!Est-cequec'estellequipaietout,vuqu'elleestpleineauxas?—Bonsang,Cheryl!—Entoutcas,ellen'avraimentpasl'habituded'envoyerdesmotsdoux.Dis-luique,laprochainefois,

ilvaudraitmieuxqu'elleenlèvesonalliance.Anthonysoupira.—Jeunefille,vousgâchezvotretalentdanscemétierdesecrétaire.—Situmedissonnometquetumefaisgagnerlepari,murmura-t-elle,jepartagemesgainsavectoi.

Ilyadéjàunjolipactole!— Mais qu'on m'envoie en Afrique, bon sang ! À côté de toi, l'unité d'interrogatoire de l'armée

congolaisen'estqu'uneformalité!Elleéclataderireavantderetourneràsamachineàécrire.Ildéplia lemotde Jennifer.La simplevuedecetteécriture ronde luiévoqua laFranceet lespetits

messagesglisséssoussaporteaucoursd'unesemaineidyllique,desannéesauparavant.Aufonddelui,ilavaitlaconvictionqu'ellelecontacterait.Ilsursautaens'apercevantqueDonvenaitd'entrer.—Tony.Lechefveuttedireunmot.Danssonbureau.—Maintenant?— Non. Mardi dans trois semaines. Oui, maintenant. Il veut discuter de ton avenir. Et non,

malheureusement,tunevaspastefairevirer.Jepensequ'ilessaiedesavoirs'ilpeutounont'envoyerenAfrique.Commeilnerépondaitpas,Donluiassenaunepetitetapesurl'épaule.—Ohé?Tucomprendscequejetedis?Ilfaudraitaumoinsquetuaiesl'airdesavoircequetufais!Anthonyl'entendaitàpeine.Ilétaitdéjà11h15.Lerédacteurenchefn'étaitpasdugenreàaimerfaire

leschosesàlava-vite,et ilétaitprobablequ'ilseretrouveraitcoincédanssonbureaupourunebonneheure.IlsetournaversCherylenselevant.—Blondie,fais-moiunefaveur:appellemonhôtel,dis-leurqu'unecertaineJenniferStirlingdoitme

retrouveràmidi,etdemande-leurdel'informerquejeseraienretardmaisqu'ellenedoitpaspartir.Jeserailà.Ellenedoitpartirenaucuncas.Cherylluidécochaungrandsourire.—MadameJenniferStirling?—Jelerépète,c'estunevieilleamie.AnthonyremarquaqueDonportaitsachemisedelaveille.Commetoujours.—Bonsang,soupiracedernierensecouantlatête.EncorecetteStirling?Tuasàcepointenviede

t'attirerdesennuis?—Cen'estqu'uneamie.—Etmoi,jesuisTwiggyLawson.Allez.VaexpliquerauGrandChefBlancpourquoiildoitt'autoriser

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àtesacrifierauxrebellesSimba.Il constata, soulagé, qu'elle était toujours là. L'heure de leur rendez-vous était passée depuis trente

bonnesminutes.Elles'étaitinstalléeausalondel'hôtel,unepiècesurchargéededentellesetdemouluresenplâtres,qui luifaisaitpenserauglaçaged'ungâteaudeNoël tropdécoréetoùlaplupartdes tablesétaientoccupéespardevieillesveuvesquis'exclamaient,sidéréesparlacruautédumondemoderne.—J'aicommandéduthé,annonça-t-ellelorsqu'ils'assitàsatableens'excusantpourlacinquièmefois.

J'espèrequeçanetedérangepas.Ses cheveux étaient défaits. Elle portait un pull noir et un pantalon ajusté couleur fauve. Elle avait

minci,probablementpoursuivrelamode.Il faisait toutsonpossiblepour respirernormalement. Il s'était tantde fois imaginéces retrouvailles

passionnées, cet instant de grâce au cours duquel il la serrerait dans ses bras.Àprésent, il se sentaitvaguementprisàcontre-piedparlecalmequ'elleaffichaitetlasolennitédel'endroit.Uneserveusearrivaenpoussantunchariotoùellepritunethéière,unpotdelait,depetitssandwichs

depainblanc,destasses,dessoucoupesetdesassiettes.Ilpourraitprobablementfourrerquatredecessandwichsdanssaboucheenmêmetemps.—Merci.— Tu ne prends… pas de sucre, dit-elle en fronçant les sourcils, comme si elle s'efforçait de se

souvenir.—Non.Ilssirotèrentleurthé.Àplusieursreprises, ilouvrit labouchepourdirequelquechose,maisrienne

vint.Ilnecessaitdeluijeterdesregardsfurtifs,remarquantdeminusculesdétails.Laformefamilièredesesongles.Sespoignets.Safaçondeseredresserrégulièrement,commesiunepetitevoixintérieureluirappelaitdesetenirdroite.—Hier,çaaétéuntelchoc,dit-elleenfinenposantsatassesursasoucoupe.Je…jedoisteprésenter

mesexcusespourmoncomportement.Tuasdûtedirequej'étaisdevenuefolle.—C'est parfaitement compréhensible.Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un homme revenu

d'entrelesmorts.Elleeutunpetitsourire.—C'estvrai.Leursregardssecroisèrent,puissedétournèrent.Elleseresservitdethé.—Oùest-cequetuvis,maintenant?—J'étaisàNewYork.—Pendanttoutcetemps?—Jen'avaispasvraimentderaisonderentrer.Unlourdsilences'installadenouveau,qu'ellefinitparbriser:—Tuasl'airenforme.Enpleineforme.Elle avait raison. Il était impossible de restermiteux envivant enplein cœur deManhattan. Il était

rentré enAngleterre cette année-là avecunegarde-robepleinedebons costumes et touteune sériede

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bonneshabitudes:rasagesàchaud,chaussurescirées.Ilavaitmêmecessédeboiredel'alcool.—Tuescharmante,Jennifer.—Merci.TuesenAngleterrepourlongtemps?—Jenepensepas.Jenedevraispastarderàrepartiràl'étranger,annonça-t-ilenscrutantsonvisage

pourvoirl'effetquelanouvelleauraitsurelle.Maisellesecontentad'attraperlepotdelait.—Non,dit-ilenlevantlamain.Pasdelait,merci.Ellesefigea,semblantdéçued'avoiroubliécedétail.—Qu'est-cequelejournaltepropose?demanda-t-elleenposantunsandwichsuruneassiette,qu'elle

fitglisserverslui.— Ils aimeraient que je reste ici,mais je veux retourner enAfrique.Les choses sont devenues très

compliquéesauCongo.—Ilesttrèsdangereuxdeserendrelà-basencemoment,non?—Cen'estpaslaquestion.—Tuveuxêtreaucœurdesévénements.—Oui.C'estunehistoireimportante.Etj'aihorreurd'êtresédentaire.Cesdernièresannéesontété…Ilcherchauneexpressionrelativementinoffensive.CesannéesàNewYorkm'ontaidéànepasperdrelaraison?Àexisterloindetoi?M'ontempêchédemejetersurunegrenadedansunchampdebataille?—…utiles,acheva-t-ilenfin.Monchefavaitprobablementbesoindemevoirsousunjournouveau.

Mais,maintenant,j'aienviedebouger.Dereveniràcequejefaisdemieux.—Etiln'yapasdesendroitsplussûrsoùtupourraissatisfairecetteenvie?—Est-cequej'ail'aird'unhommequiaenviedepassersavieàjoueravecdestrombonesouàclasser

desarchives?Elleesquissaunpetitsourire.—Ettonfils?—Jel'aiàpeinevucesdernièresannées.Samèrepréfèrequejenememêlepasdesonéducation,

répondit-il enavalantunegorgéede thé.UneaffectationauCongone feraitpasunegrossedifférence,puisqu'oncommuniqueessentiellementparcourrier.—Cedoitêtretrèsdur.—Oui.Oui,c'estdur.Unquatuoràcordess'étaitmisàjouerdansuncoin.Jennifertournalatête,cequiluidonnaquelques

secondes pour la contempler librement. Ce profil, cette légère inclinaison de la lèvre supérieure…Quelquechoseenluiseserra,etilsutavecundouloureuxpincementaucœurqu'iln'aimeraitplusaucunefemmecommeilaimaitJenniferStirling.Quatreannéesn'avaientpassuffiàlelibérerd'elle,etdixautresn'auraientprobablementpasplusd'effet.Lorsqu'elleseretournaverslui,ilcompritqu'ilnepouvaitrienlui dire sans tout lui révéler, étalant ses tripes sur la table comme un homme atteint d'une blessure

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mortelle.—TuasaiméNewYork?demanda-t-elle.—Çavalaittoujoursmieuxquederesterici.—Oùvivais-tu?—ÀManhattan.TuconnaisNewYork?—Pasassezpourmefaireunevéritableidéedel'endroitdonttuparles,admit-elle.Etest-ceque…tu

t'esremarié?—Non.—Tuasunepetiteamie?—J'aifréquentéquelqu'un.—UneAméricaine?—Oui.—Mariée?—Non.Unefoisn'estpascoutume.Ellerestainexpressive.—C'estsérieux?—Çaresteencoreàdéfinir.Elles'autorisaunsourire.—Tun'aspaschangé.—Toinonplus.—Si,murmura-t-elle.Ilvoulait latoucher.Ilvoulaitbalayerleserviceàthédecettefoutuetable,sepenchersurelleet la

prendre dans ses bras. Il se sentait soudain furieux, entravé par la solennité de cet endroit ridicule.Jennifer avait eu une attitude étrange la veille,mais, aumoins, ses émotions tumultueuses avaient étéréelles.—Et toi?Lavieaétébonnepour toi?demanda-t-il enconstatantqu'ellen'avaitpas l'intentionde

reprendrelaparole.Ellesirotasonthé.Ellesemblaitpresqueléthargique.—Silavieaétébonne?Elleréfléchitlonguement.—Àlafoisbonneetmauvaise.Commepourtoutlemonde.—TuesretournéesurlaCôted'Azur?—Pasquandjepouvaisl'éviter.«Àcausedemoi?»,voulut-ildemander.Ellenesemblaitpasavoirenviedeparlerspontanément.Où

étaitpassésonesprit?Sapassion?Cette impressionqu'ellecontenaitenelleunechosequimenaçaitsans cesse d'exploser en dehors, que ce soit un éclat de rire inattendu ou une rafale de baisers ? Salumières'étaitéteinte,enfouiesousunecoucheglacialedebonnesmanières.

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Danssoncoin,lequatuoràcordess'arrêtaentredeuxmouvements.Anthonysesentaitenproieàunefrustrationgrandissante.—Jennifer,pourquoim'avoirdemandédevenirici?Lerougeauxjoues,ellesemblaitépuisée,presquefiévreuse.—Jesuisdésolé,poursuivit-il,maisjeneveuxpasdecessandwichs.Jeneveuxpasresterassislàen

écoutantcettefoutuemusique.Sij'aigagnéquoiquecesoitàêtremortàtesyeuxpendantquatreans,c'estpeut-êtreledroitdenepasêtreobligédeprendrelethéenéchangeantdesbanalités.—Je…j'avaisseulementenviedetevoir.—Tusais,quandjet'aiaperçuedel'autrecôtédelasallehiersoir,j'étaistoujoursfurieuxcontretoi.

Pendanttoutcetemps,j'aicruquetul'avaischoisi,luietsontraindevie,plutôtquemoi.J'aiimaginénosdisputes,jet'aiengueuléeenpenséepournepasavoirréponduàmesdernièreslettres…—S'ilteplaît,arrête,dit-elleenlevantlamainpourl'interrompre.—Et puis, le jour où je te retrouve, tume dis que tu as essayé de partir avecmoi. Et toutesmes

convictionsdecesdernièresannéessontbalayéesd'unreversdelamain–toutcequej'aitenupourvrai.—Neparlonspasdeça,Anthony.Pasdecequiauraitpu…Elleposalesmainsàplatsurlatable,commesielleétalaitdescartes.—Je…jenepeuxpas.Ilsétaientassisfaceàface,lafemmeimpeccablementvêtueetl'hommeàlamâchoirecrispée.Unrire

amer faillit lui échapper quand il songea que, vus de l'extérieur, ils devaient avoir l'air suffisammentmalheureuxpourêtreuncouplemarié.—Dis-moiunechose,reprit-il.Pourquoiluies-tusifidèle?Pourquoies-turestéeavecunhommequi,

visiblement,estincapabledeterendreheureuse?Ellelevalesyeuxverslui.—Parcequej'aiétéinfidèle,jesuppose.—Ettut'imaginesque,desoncôté,iln'estpasallévoirailleurs?Ellesoutintuninstantsonregard,puisjetauncoupd'œilàsamontre.—Ilfautquej'yaille.Ilgrimaça.—Jesuisdésolé.Jenediraiplusrien.J'aijustebesoindesavoir…—Cen'estpasàcausedetoi.Vraiment.Jedoisallerquelquepart.—Biensûr.Jesuisdésolé.C'estmoiquiétaisenretard.Jesuisdésolédet'avoirfaitperdretontemps.Il ne parvenait pas à dissimuler la colère dans sa voix. Ilmaudissait son patron pour lui avoir fait

perdre cette précieusedemi-heure, semaudissait lui-mêmepour ce qu'il savait déjà être uneoccasionperdue…etpours'êtrelaisséalleràs'approcherd'unechosequiavaittoujourslepouvoirdelebrûler.Ellese levapourpartir,etunserveurapparutpour l'aideràenfilersonmanteau. Ilyaurait toujours

quelqu'unpourluivenirenaide,songea-t-ildistraitement.Elleétaitcegenredefemme.Lui-mêmerestaitfigé,coincéderrièrelatable.S'était-iltrompésurelle?Avait-ilsurestimél'intensitédeleurbrèveliaison?Cetteidéel'attristait.Il

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se sentait sali, comme si le souvenir de quelque chose de parfait venait d'être entaché, remplacé parquelquechosed'inexplicableetdedécevant.Leserveursoulevasonmanteauparlesépaules.Elleglissalesbrasdanslesmanches,unàlafois,la

têtebasse.—Alorsc'esttout?—Jesuisdésolée,Anthony.Ilfautvraimentquej'yaille.Ilseleva.—Onnevaparlerderien?Aprèstoutcequis'estpassé?As-tuseulementpenséàmoi,pendanttoutes

cesannées?Avantqu'ilnepûtajouterunmot,elletournalestalonsetdisparut.Pourlaquinzièmefois,Jenniferaspergead'eaufroidesesyeuxrougesetbouffis.Lemiroirdelasalle

debainsluirenvoyaitl'imaged'unefemmevaincueparlavie,siéloignéedelapimbêchequ'elleavaitétécinqansauparavantquecesdeuxversionsd'elle-mêmenesemblaientpasapparteniràlamêmeespèce.Ellesuivitduboutdesdoigts l'ombrequis'étalait soussesyeux, lesnouvelles ridesde fatiguequi luimarquaientlefront,etsedemandacequ'Anthonyavaitvuenlaregardant.Ilvat'étouffer,soufflercetteétincellequifaitdetoicequetues.Elleouvrit l'armoireàpharmacieetposa lesyeuxsur la rangéedepetitesbouteillesbrunes.Ellene

pouvaitluidireque,avantdelerencontrer,elleavaiteusipeurqu'elleavaitprisdeuxfoisladosedeValium recommandée. Elle ne pouvait lui dire qu'elle l'avait entendu parler comme à travers unbrouillard,qu'elles'était sentiesidissociéede la réalitéqu'elleavait tout justeétécapablede tenir lathéière.Ellenepouvait luidirequ'êtreaussiprochede lui, aupointdedistinguerchaque lignedesesmainsetl'odeurdesonparfum,l'avaitparalysée.Jennifer ouvrit en grand le robinet d'eau chaude. L'eau se déversa dans la bonde, éclaboussant son

pantalonclair.EllepritunebouteilledeValiumsurlerayonduhautetdévissalebouchon.«Tuasplusde forcequemoi.C'est toiquiarrivesàvivreavec lapossibilitéd'unamourcomme

celui-cietlefaitquejamaisonnenouslepermettra.»Jenesuispasaussifortequetulecroyais,Boot.ElleentenditlavoixdeMmeCordozamonterdurez-de-chausséeetverrouillalaportedelasallede

bains.Puiselleposalesdeuxmainssurlereborddulavabo.Est-cequej'ensuiscapable?Ellelevaleflaconetlevidadanslabonde,regardantl'eauemporterlespetitscomprimésblancs.Puis

elle ouvrit le suivant, prenant à peine le tempsd'envérifier le contenu.Ses « petites aides ».Tout lemondeenprenait,avaitdéclaréYvonneavec insouciance lapremière foisqueJennifer,assisedanssacuisine,avaitfonduenlarmessanspouvoirs'arrêter.Lesmédecinsnedemandaientqu'àleurenprescrire.Çadompteraitunpeusesémotions.Elles sont tellement domptées que je ne ressens plus rien, songea-t-elle en attrapant un troisième

flacon.Puislerayonduhautfutvide.Jennifersecontempladanslemiroirtandisque,dansungargouillis,le

derniercomprimédisparaissait.

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Il y avait du grabuge à Stanleyville. Une note était arrivée du journal, informant Anthony que les

rebellescongolaisdel'arméeSimbas'étaientmisàrassemblerdenouveauxotagesàl'hôtelVictoria,enreprésaillescontrelesforcesdugouvernementcongolaisetleursmercenairesblancs.Elledisait:Faistesvalises.Lerédacteurencheftedonnesonfeuvert.Avecordrequetunetefassespastuerou

capturer.Pourlapremièrefois,Anthonyneseprécipitapasaubureaupourvérifier lesdernièresdépêches.Il

n'appelapassescontactsdesNationsuniesoudel'armée.Ilrestaétendusurlelitdesachambred'hôtel,songeantàunefemmequil'avaitaiméassezfortpourquittersonmarietqui,enl'espacedequatreans,s'étaitévaporée.Ilsursautalorsqu'onfrappaàsaporte.Lafemmedechambresemblaitvouloirfaireleménagetoutes

lesdemi-heures.Elleavaitl'habitudeagaçantedesiffloterentravaillant,sibienqu'ilnepouvaitjamaisfaireabstractiondesaprésence.—Revenezplustard,grommela-t-ilenroulantsurlecôté.Était-ceseulementlechocdelevoirenviequil'avaitlittéralementbouleversée?S'était-elleensuite

renducomptequelessentimentsqu'elleavaitautrefoiséprouvéspourluis'étaientévanouis?L'avait-ellesimplementretrouvépourlaforme,commeoninviteunvieilamiàprendrelethé?Ellen'avaitjamaisfaitd'entorseauxbonnesmanières.On frappadenouveau, timidement.C'étaitpresqueplusexaspérantque si cette fille s'était contentée

d'ouvrir laportepourentrer.Aumoins, il aurait euunebonne raisonde lui crierdessus. Il se levaetouvritlaporte.—J'aimeraisvraiment…Jennifersetenaitdevantlui,leregardbrillant.—Touslesjours,dit-elle.—Quoi?—Touslesmois.Touslesjours.Touteslesheures.Ellefitunepause,puisajouta:—Pendantquatreans.Autourd'eux,lecouloirétaitsilencieux.—Jetecroyaismort,Anthony.J'aiportétondeuil.J'aiportéledeuildelaviequej'avaisespérévivre

avec toi. J'ai lu et relu tes lettres jusqu'à ce qu'elles tombent en poussière. J'avais ta mort sur laconscience,jemedétestaistellementquejeparvenaisàpeineàsurvivre.Sansles…Ellesereprit:—Etpuis,lorsd'uncocktailoùjen'avaismêmepasenvied'aller,jet'aivu.Toi.Et tumedemandes

pourquoijevoulaisterevoir?Elleinspiraprofondément,commepourreprendresesesprits.Desbruitsdepasrésonnèrentàl'autreboutducouloir.Illuitenditlamain.

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—Entre,dit-il.—Jenepouvaispasrestersansrienfaireàlamaison.Jedevaisteparleravantqueturepartes.Ilreculad'unpaspourlalaisserentrerdanslagrandechambredouble,dontlestandingtémoignaitde

sapromotionauseindujournal.Ilétaitheureux,pourunefois,del'avoirlaisséeenordre,unechemiserepassée sur le dossier d'une chaise, une élégante paire de chaussures contre lemur. La fenêtre étaitouverte,laissantentrerlebruitdelarue;ilallalafermer.Jenniferposasonsacsurlachaiseetmitsonmanteaupar-dessus.—Ilyaduprogrès,dit-il,unpeugêné.LapremièrefoisquejesuisrevenuàLondres,j'aieudroitàun

hôtelbonmarchésurBayswaterRoad.Tuveuxboirequelquechose?Elles'assitàlapetitetable.Ilsesentaitétrangementmalàl'aise.—Tuveuxque j'appelle la réceptionpourqu'onnous apportequelque chose ?Ducafé, peut-être ?

poursuivit-il.Bonsang,commeilvoulaitlatoucher.—Jen'aipasdormi,dit-elleensefrottanttristementlevisage.Quandjet'aivu,j'étaisincapablede

penserclairement.Depuis,j'essaiedecomprendrecequis'estpassé.Plusrienn'adesens.—Cetaprès-midi-là,ilyaquatreans,tuétaisenvoitureavecFelipe?—Felipe?Ellesemblaitperplexe.—MonamideChezAlberto.Ilestmortdansunaccidentdevoiture,àpeuprèsaumomentoùjesuis

parti.Cematin,j'airetrouvélescoupuresdepresse.Ilyestfaitmentiond'unepassagèreinconnue.C'estlaseuleexplicationquej'aitrouvée.—Jenesaispas.Commejetel'aidithier,ilyatoujoursdesévénementsdontjenemesouvienspas.

Sijen'étaispastombéesurteslettres,j'auraisaussibienpunejamaismesouvenirdetoi.J'auraispunejamaissavoir…—Maisquit'aditquej'étaismort?— Laurence. Non, ne prends pas cet air-là. Il n'est pas cruel à ce point. Je pense qu'il croyait

sincèrementquetul'étais.Ellemarquaunecourtepause.—Ilsavaitqu'ilyavait…quelqu'unavecmoi,tucomprends.Ilalutadernièrelettre.Aprèsl'accident,

iladûfairelerapprochement…—Madernièrelettre?—Celleoùtumedemandaisdeteretrouveràlagare.Jel'avaissurmoipendantl'accident.—Jenecomprendspas…Cen'étaitpasmadernièrelettre…—Arrête,lecoupa-t-elle.S'ilteplaît…C'esttrop…—Alorsqu'est-cequis'estpassé?Elleledévisageaitintensément.—Jennifer,je…Elles'avançasiprèsdeluique,mêmedanslapénombre, ilputdistinguersursonvisagelamoindre

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tachede rousseur, lemoindrecil fuseléenpointenoireassezacéréepourpercer lecœurd'unhomme.Elleétaitlàtoutenétantlointaine,semblantseprépareràprendreunedécision.—Boot,dit-elledoucement,es-tuencoreencolèrecontremoi?Boot.Ilavalasasalive.—Commentlepourrais-je?Ellelevalesmainspoursuivreduboutdesdoigtslestraitsdesonvisage,silégèrementqu'ellelefrôla

àpeine.—Est-cequ'onafaitl'amour?Illadévisagea.Ellecilla.—Jenem'ensouvienspas.Jeneconnaisquetesmots.—Oui.Savoixsebrisa.—Oui,onl'afait,reprit-il.Ilsentitsesdoigtsfraissursapeauetsesouvintdesonparfum.—Anthony,murmura-t-elle.Ilyavaituneimmensedouceurdanssamanièredeprononcersonnom,uneinsoutenabletendressequi

disaittoutl'amourqu'elleavaitéprouvéetdontelleavaitbrutalementétédépossédée,commelui.Ellepressasoncorpscontrelesien;ilsentitlesoupirquilatraversa,puissonsoufflesursabouche.

Autourd'eux, l'atmosphèresemblasefiger.Elleavaitposé les lèvressur lessiennes,etquelquechosecédasoudainenlui.Ilsesurpritàhaleteretserenditcompteavechorreurqu'ilavaitlesyeuxpleinsdelarmes.—Jesuisdésolé,murmura-t-il,mortifié.Jesuisdésolé.Jenesaispas…pourquoi…—Jesais,dit-elle.Jesais.Elle noua les bras autour de son cou, embrassant les larmes qui lui roulaient sur les joues, lui

murmurantdesmotsdoux.Ilssecollèrentl'unàl'autre,enivrés,désespérés,incapablesdecroirecequiétait en train de se passer. Le temps se brouilla, les baisers se firent plus passionnés, les larmesséchèrent.Illuifitpassersonpullpar-dessuslatêteetrestalà,presquedésarmé,tandisqu'elledéfaisaitles boutons de sa chemise. Puis il sentit sa peau contre la sienne. Ils se laissèrent tomber sur le lit,enroulés l'un autour de l'autre, avec des gestes qui, sous l'emprise de la passion, semblaient aussisauvagesquemaladroits.Ill'embrassa,etsutqu'ilessayaitdeluidirelaprofondeurdesessentiments.Etalorsqu'ilseperdaiten

elle, qu'il sentait ses cheveux balayer son visage et son torse, ses lèvres et ses doigts sur sa peau, ilcompritsoudainpourquoicertainsavaientlaconvictionquel'êtreaiméfaisaitpartied'eux-mêmes.Elleétaitvivantesous lui ;elleenflammaitsessens. Ilembrassa lacicatricequicourait jusqu'àson

épaule,ignorantsaréticence,jusqu'àcequ'elleacceptecequ'illuidisait:cettestrieargentéeétaitbelleàsesyeux.C'étaitlapreuvedesonamourpourlui.Lapreuvequ'elleavaitvoululerejoindre.Ill'embrassaparcequ'iln'yavaitaucunepartied'ellequ'ilnevoulaitpassoulager,aucunepartied'ellequ'iln'adorait

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pasdéjà.Il regarda le désir monter en elle comme un don partagé, l'infinie variété d'expressions qui lui

traversaientlevisage;illavitenferméedansunelutteinterne,et,quandellerouvritlesyeux,ilsesentitvéritablementheureux.Lorsqu'iljouit,ilpleuraencore,parcequ'unepartiedeluiavaittoujourssu,mêmes'ilavaitchoiside

ne pas y croire, qu'il existait une chose capable de lui faire éprouver de pareilles sensations.Avoirretrouvécettechoseétaitplusquecequ'ilavaitjamaispuespérer.—Jeteconnais,murmura-t-elle,sapeaumoitecontrelasienne,deslarmesluiroulantdanslecou.Je

teconnaisvraiment.Un court instant, il fut incapable de répondre, les yeux levés vers le plafond, sentant l'air refroidir

autourdelui,lesjambesdeJenniferserréesenuneétreintehumidecontrelessiennes.—Oh,Jenny,souffla-t-il.Jesuistellementheureux.Une fois qu'elle eut repris son souffle, elle se redressa sur un coude et le contempla longuement.

Quelquechoseenelleavaitchangé:sestraitss'étaientdétendus,lesmarquesdefatigueavaientdisparuautourde sesyeux. Il lapritdans sesbras, la serrant si fort contre luiqu'il eut l'impressionque leurscorpsnefaisaientplusqu'un.Ilsesentitdurcirdenouveau,etellesourit.—Jevoudraisbienajouterquelquechose,maisjenetrouveriend'assez…retentissant.Sonsourireétaitradieux:rassasié,aimant,peut-êtremêmeunpeusurpris.—Jenemesuisjamaissentiecommeçadetoutemavie,dit-elle.Ilsseregardèrent.—Si?demanda-t-elle.Ilhochalatête.—Situledis…,reprit-elle,leregardperduauloin.Merci.Iléclataderire,etelleselaissatomberengloussantsursonépaule.Quatreannéesdesavievenaientdedisparaître.Ilvoyait,avecuneclarténouvelle,lechemindesavie

future.IlresteraitàLondres.IlrompraitavecEva,sapetiteamiedeNewYork.C'étaitunefillejoyeuseetsympathique,maisilsavaitàprésentquetoutessesliaisonsdesquatredernièresannéesn'avaientétéquedepâlessubstitutsvisantàremplacer lafemmeétendueàsescôtés.Jenniferquitteraitsonmari. Ilprendraitsoind'elle.Ilsn'allaientpasratercettedeuxièmechance.IleutunevisionsoudainedeJenniferavecsonfils,toustroissortantenfamille,etl'avenirsemblas'illuminerdepromessesimprévues.Sespensées furent interrompues lorsqu'elle luiembrassa le torse, l'épauleet lecouavecune intense

concentration.—J'espèrequetuterendscompte,dit-ilenlafaisantroulersousluipourqueleursjambessoientde

nouveauentrelacéesetsaboucheàquelquescentimètresde lasienne,qu'onvadevoir le refaire.Justepourêtresûrsquetut'ensouviendras.Elleneditrien,secontentantdefermerlesyeux.Cettefois,illuifitl'amourtoutdoucement.Soncorpsdialoguaitaveclesien.Ilsentitdisparaîtreles

inhibitionsdeJennifer,etleurcœurbattreàl'unisson.Ilmurmurasonnomunmilliondefois,simplementpourleplaisir.Illuirévélatoutcequ'ilavaittoujoursressentipourelle.

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Lorsqu'elle lui avoua qu'elle l'aimait, ce fut avec une intensité qui lui coupa le souffle. Le reste dumonderalentitetseresserrajusqu'àcequ'iln'yaitplusqu'euxdeux,dansunentremêlementdedraps,debras,dejambes,decheveuxetdesoupirs.—Tueslaplusexquise…Ilcontemplasesyeuxgrandsouverts,commençantàcomprendrecequ'elleavaitvécu.—Jeferaisçaavectoiplusd'unecentainedefoisjustepourleplaisirderegardertonvisage.Elleneréponditpas.—Parprocuration,dit-ilsoudain.Tutesouviens?Plustard,ilfutincapablededirecombiendetempsilsétaientrestéslà,étendustouslesdeux,comme

si chacun voulait absorber l'autre à travers sa peau. Il entendait lemurmure de la rue, d'occasionnelsbruitsdepasdanslecouloir,unevoixquirésonnaitauloin.Ilsentaitlerythmedesonsoufflecontresapoitrine. Il l'embrassa sur le haut du crâne, passant les doigts dans ses cheveux emmêlés. Il se sentitapaisécommejamais,unapaisementquiserépandaitauplusprofonddelui.Jesuischezmoi,sedit-il.Enfin.Elleremuaentresesbras.— Commandons quelque chose à boire, suggéra-t-il en lui déposant un baiser sur la clavicule, le

menton,lepointdejonctionentrelamâchoireetl'oreille.Onvafêterça.Thépourmoi,champagnepourtoi.Qu'est-cequetuendis?Ilvitalorsuneombre importune luipasserdans le regard ;sespenséess'envolaientquelqueparten

dehorsdelapièce.—Oh!s'écria-t-elleens'asseyanttoutedroite.Quelleheureest-il?Ilconsultasamontre.—Ilest16h20.Pourquoi?—Oh,non!Jedoisêtreenbasàlademie!Elleétaitdéjàsortiedulit,sebaissantpourramassersesaffaires.—Pourquoi?—MmeCordoza.—Qui?—Magouvernante.Elledoitmeretrouverlà.Jedoisallerfairelesboutiques.—Alorssoisenretard.C'estsiimportantqueça,defairelesboutiques?Jennifer,ilfautqu'onparle…

qu'ondécidedecequ'onvafaire.JedoisdireàmonchefquejeneparsplusauCongo.Elleserhabillaitsansélégance,commesiseulelavitessecomptait:lesoutien-gorge,lepantalon,le

pull.Lecorpsqu'ilvenaitdefairesien,disparutàsavue.—Jennifer?Ilselaissaglisserdulit,enfilasonpantalonetbouclasaceinture.—Tunepeuxpaspartircommeça.Elleluitournaitledos.—Ilfautqu'ondiscutedecertaineschoses,ilfautrégler…

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—Iln'yarienàrégler.Elleouvritsonsacàmain,sortitunebrosseetattaquasescheveuxàpetitscoupsénergiques.—Jenecomprendspas.Lorsqu'elleseretournaverslui,sonvisages'étaitfermé.—Anthony,jesuisdésolée,maisnous…nousnepouvonspasnousrevoir.—Quoi?Ellesortitsonpoudrieretessuyalemascaraquiluiavaitcoulésouslesyeux.—Tunepeuxpasdireçaaprèscequ'onvientdefaire!Tunepeuxpastoutarrêtercommeça!Qu'est-

cequisepasse,bordel?—Ça va aller, dit-elle, le port rigide.Tu peux tout surmonter. Écoute, je… je dois y aller. Je suis

sincèrementdésolée.Puisellesortit,attrapantaupassagesonsacetsonmanteau.Laporteserefermaderrièreelleavecun

«clic»sonore.Anthonycourutaprèselleetrouvritviolemmentlaporte.—Nefaispasça,Jennifer!Nemequittepasencoreunefois!Sa voix résonna dans le couloir déjà vide, l'écho rebondissant sur les portes closes des autres

chambres.—Cen'estpasunjeu!Jenevaispast'attendreencorequatreans!Il resta unmoment figé par le choc. Puis, jurant comme un charretier, il repartit en trombe dans sa

chambrepourenfileràgrand-peinesachemiseetseschaussures.Ilattrapasavesteetsortitencourantdanslecouloir,lecœurbattantàtoutrompre.Ildévalal'escalier

quatreàquatre,arrivantdans l'entréeenmême tempsque l'ascenseur.Elleétait là, ses talonsclaquantdurementsurlesoldemarbre,parfaitementcalme,àdesannées-lumièredelafemmequ'elleavaitétéàpeinequelquesminutesauparavant.Ils'apprêtaitàcriersonnomquandilentenditl'appel:—Maman!Jennifers'accroupit, lesbrasdéjà tendus.Unefemmed'unecinquantained'annéesmarchaitverselle,

tenantuneenfantparlamain.LapetitefilleselibéradesapoignepoursejeterdanslesbrasdeJennifer,quilasouleva.Savoixsurexcitéerésonnadanslehall:—OnvachezHamleys?MmeCordozaaditqu'onyallait!—Oui,machérie.Onyva.Jedoisjusteréglerquelquechoseàlaréception.Ellereposal'enfantetlapritparlamain.Puispeut-êtresentit-ellesonregardposésurelle,carquelque

choseluifittournerlatêtealorsqu'elles'avançaitverslecomptoir.Ellel'aperçut.Elleplongealesyeuxdanslessiens,etilperçutdanssonregardcommeunelueurd'excuse–etdeculpabilité.Elledétournalesyeux,griffonnaquelquechose,puissetournaversleréceptionniste.Aprèsquelques

mots échangés, elle poussa la porte vitrée pour sortir dans le soleil de l'après-midi, la petite fillejacassantàsescôtés.Anthonypritlamesuredecequ'impliquaitcettesituation.Ilattenditqu'ellesaientdisparu,puis,comme

ausortird'unrêve,posasavestesursesépaules.

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Ils'apprêtaitàsortirquandleréceptionnisteseruaverslui.—MonsieurBoot?Ladamem'aditdevousdonnerça,annonça-t-ilen lui fourrantdans lamainun

petitmorceaudupapieràlettresdel'hôtel.Ildéplialemessageetlut:Pardonne-moi.Ilfallaitseulementquejesache.

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Nous ne concevons pas en notre cœur de prendre mari mais recommandons fortement cette vie

solitaire.LareineÉlisabethIreauprinceÉricdeSuède,parlettre

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Chapitre15

MOIRAPARKER ENTRA DANS LE BUREAU DES DACTYLOS ET ÉTEIGNIT LE TRANSISTOR POSÉ EN ÉQUILIBREINSTABLEsurunepiledebottinstéléphoniques.—Eh!protestaAnnieJessop.J'étaisentraind'écouter!— Il est malvenu de faire beugler des musiques populaires dans les bureaux, répliqua fermement

Moira.M.Stirlingneveutpasêtredéconcentréparuntelvacarme.Ceciestunlieudetravail.C'étaitlaquatrièmefoisdelasemaine.—Displutôtunfunérarium.Oh,s'ilteplaît,Moira!Onn'aqu'àseulementbaisserleson.Çanousfait

passerletemps.—Travaillerdurfaitpasserletemps.Elleentenditl'éclatderireméprisantetlevaunpeupluslementon.—Il serait tempspourvousde comprendreque chezAcmeMineralandMining, seule une attitude

professionnellevousapporteradel'avancement.—Çaoupassersouslebureau,murmuraquelqu'underrièreelle.—Jevousdemandepardon?—Rien,mademoiselleParker.Vousavezpeut-êtreenvied'écouterlesbonnesvieilleschansonsdela

guerre?Çavousferaitplaisir?«Onirapendr'notrelingesurlaligneSiegfried…»Unnouveléclatderiresefitentendre.—JevaisdéposercetransistordanslebureaudeM.Stirling.Vousn'aurezqu'àluidemandercequ'il

préfère.Elleperçutquelquesmurmureshostilesentraversantlebureau,maisfitcommesiderienn'était.Avec

l'expansiondel'entreprise,lescritèresdesélectiondupersonnels'étaientconsidérablementassouplis.Denosjours,pluspersonnen'avaitderespectpourlahiérarchie,l'éthiquedutravailoucequeM.Stirlingavaitaccompli.Souvent,Moiraétaitd'unehumeursimassacrantedanslebusqui laramenaitchezellequ'elleétaitdéjàarrivéeavantmêmequesontricotn'aitcommencéàladistraire.Parfois,onauraitditqu'iln'yavaitqu'elleetM.Stirling–etpeut-êtreaussiMmeKingston, lacomptable–qui savaient setenir.Et leurs vêtements ! On les appelait des poupées, et c'était terriblement approprié : pimpantes et

pomponnées,videsetinfantiles,lesdactylospassaientbienplusdetempsàsongeràleurapparence,avecleursminijupesetleurmaquillageridicule,qu'às'occuperdeslettresqu'ellesétaientcenséestaper.Rienquelaveille,Moiraavaitdûleurenrenvoyertrois.Desfautesd'orthographe,desdatesoubliées,etmêmedes«meilleuressalutations»làoùelleavaitexpressémentdemandédes«sincèressalutations».Quandelleluienavaitfaitlaremarque,Sandraavaitostensiblementlevélesyeuxauciel.Avecunsoupir,Moiracalaletransistorsoussonbraset,remarquantaupassagequelaportedubureau

deM.Stirlingétaitrarementferméeàl'heuredudéjeuner,elletournalapoignéeetentra.MarieDriscollétaitassiseenfacedelui–passurlachaisequeprenaitMoiralorsqu'ellenotaitsous

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sadictée,maissursonbureau.C'étaitunevisionsiahurissantequ'ellemitunmomentàcomprendrequ'ilavaitfaitunpasenarrièreenlavoyantentrer.—Ah.Moira.—Jesuisdésolée,monsieurStirling.Jenesavaispasquevousaviezdelavisite.Ellejetaàlajeunefilleunregardacéré.Qu'est-cequ'ellecroyaitêtreentraindefaire?Lemondeétait

doncdevenufou?—Je…jevousapportecetransistor.Lesfillesl'écoutentbeaucouptropfort.Jemesuisditquesielles

devaientenrendrecompteauprèsdevous,çapourraitlesfaireréfléchir.—Jevois,dit-ilens'asseyantderrièresonbureau.—Ilm'asembléqu'ellesrisquaientdevousdéranger.Ilyeutunlongsilence.Marienesemblaitpasdécidéeàbouger,secontentantdetirerd'unairabsent

surunfilprisdansletissudesajupe–quiluiarrivaitàmi-cuisse.Moiraattenditqu'elles'enaille.MaisM.Stirlingparla:— Je suis content que vous soyez venue. Je voulais justement vous parler en privé.Mademoiselle

Driscoll,pouvez-vousnouslaisseruneminute?Visiblementàcontrecœur,lajeunefilleselaissaglisserausoletpassad'unpasraidedevantMoira,la

défiantduregardaupassage.Elleétaittropparfumée,songeaMoira.Laporteserefermaderrièreelle,etilsnefurentplusquetouslesdeux.Ellepréféraitça.M.Stirlingluiavaitfaitl'amourdeuxfoisdanslesmoisquiavaientsuivicettefameusepremièrefois.

Bon,«fairel'amour»étaitpeut-êtreunelégèreexagération:lesdeuxfois,ilavaitétésoûl,ç'avaitétépluscourtetpluspragmatiquequelapremièrefois,etiln'enavaitpasreparlélelendemain.Puis,malgrésestentativespourluifairesavoirqu'ellenelerepousseraitpas–lessandwichsmaison

qu'elledéposaitsursonbureau,sacoiffureparticulièrementsoignée–,çan'étaitplusarrivé.Maisellesavaitàprésentqu'elleétaituniqueàsesyeuxetavaitsavourécesecretquandsescollèguesparlaientdupatronàlacantine.Ellecomprenaitlatensionqu'ildevaitressentir,confrontéàunesituationsidélicate,etmêmealorsqu'elleauraitvouluqueleschosessoientdifférentes,ellerespectaitsonadmirableretenue.LorsdesraresoccasionsoùJenniferStirlingétaitpasséeaubureau,ellenes'étaitplussentieintimidéeparlecharmedecettefemme.Situavaisétéuneépousedignedecenom,iln'auraitjamaiseubesoindesetournerversmoi.MmeStirlingavaitétéincapabledevoircequisedéroulaitjustesoussonnez.—Asseyez-vous,Moira.Elle s'assit dans une posture bien plus convenable que celle de la fille Driscoll, positionnant ses

jambes avec soin, regrettant soudain de ne pas avoirmis sa robe rouge. Il aimait la voir la porter, ill'avait dit plusieurs fois.Derrière la porte, elle entendit des rires et sedemandadistraitement si elless'étaientprocuréunnouveautransistor.—Jevaisdireàces fillesdecessercetaffreuxvacarme,murmura-t-elle. Jesuissûrequ'ellesvous

empêchentdevousconcentrer.Ilnesemblaitpasl'entendre,occupéàbrasserdespapierssursonbureau.Lorsqueenfinillevalatête,

ilnecroisapassonregard.

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—JevaisfaireévoluerMarie,aveceffetimmédiat…—Oh,jepensequec'estunetrèsbonne…—…pourfaired'ellemonassistante.Ilyeutunbrefsilence.Moirafittoutsonpossiblepournepasmontreràquelpointelleétaitcontrariée.

Lachargede travail s'étaitalourdie, sedit-elle. Ilpouvaitestimerqu'unesecondepairedemainsétaitnécessaire,c'étaitcompréhensible.—Mais où s'installera-t-elle ? demanda-t-elle. Il n'y a de place que pour un seul bureau à côté du

vôtre.—J'ensuisconscient.—JesupposequevouspourriezdéplacerMaisie…—Ce ne sera pas nécessaire. J'ai décidé d'alléger votre charge de travail. Vous allez… passer au

servicedactylo.Ellenepouvaitpasavoirbienentendu.—Leservicedactylo?—J'aiprévenulacomptabilitéquevousgarderezlemêmesalaire,doncceseraunebonnechosepour

vous,Moira.Vouspourrezpeut-êtreavoirunevieendehorsdubureau.Unpeuplusdetempspourvous.—Maisjeneveuxpasplusdetempspourmoi.—Allons,nefaitespastantd'histoires.Commejel'aidit,vousconserverezvotresalaireetvousaurez

autoritésurlesfillesduservice.Jeferaiensortequ'elleslecomprennentbien.Aprèstout,vousavezditvous-mêmequ'ellesavaientbesoindequelqu'unquipuisselesprendreencharge.—Maisjenecomprendspas…Elleseleva,lesdoigtsserréssurletransistor.Unesoudainepaniqueluinouaitlagorge.—Qu'est-cequej'aifaitdemal?Pourquoimeretirermontravail?Ilsemblairrité.—Vousn'avezrienfaitdemal.Lestempschangent,etjeveuxrafraîchirunpeuleschoses.—Rafraîchirunpeuleschoses?—Marieestparfaitementcompétente.—MarieDriscollvareprendremontravail?Maisellenesaitriendel'organisationdubureau.Ellene

saitpascomment réservervosbilletsd'avion,neconnaîtpas lesnumérosde téléphone, ignore toutdusystèmederémunérationrhodésien…Ellepasselestroisquartsdesontempsauxtoilettesàserepoudrerlenez.Etelleestenretard!Toutletemps!Rienquecettesemaine,j'aidûlaréprimanderdeuxfois.Vousavezvuleschiffressurlapointeuse?—Jesuissûrqu'elleapprendratrèsvite.Cen'estqu'untravaild'assistante,Moira.—Mais…—Jen'aivraimentpas le tempsd'endiscuter.S'ilvousplaît,videzvos tiroirscetaprès-midi, et la

nouvelleorganisationentreraenvigueurdèsdemain.Il sortit un cigare de sa boîte, marquant ainsi la fin de la conversation.Moira se leva, les jambes

tremblantes.Legoûtamerdelabileluimontaitdanslagorge,elleentendaitlesangbattreàsestempes.

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Elleavaitl'impressionquelebureaus'effondraitsurelle,briqueaprèsbrique.Elleentenditrésonnerleclaquementsecducoupe-cigares.Elle s'avança lentement vers la porte et l'ouvrit.Au brusque silence qui s'installa à l'extérieur, elle

compritquelesautresavaientsucequisepassaitavantqu'elle-mêmesoitmiseaucourant.Elle revit les jambes de Marie Driscoll, étendues sur son bureau. Des jambes longues, fuselées,

mouléesdansuncollantgrotesque.Commentdiableunefemmepouvait-elleporterdescollantsbleuroiaubureauets'attendreàêtrepriseausérieux?Elle saisit prestement son sac àmain posé sur son bureau etmarcha vers les toilettes d'un pasmal

assuré,sentantlesregardsdescurieuxetlessouriresnarquoisdesmoinscompatissantsbrûlerledosdesoncardiganbleu.—Moira!Tachansonpasseàlaradio!«Can'tgetusedtolosingyou»…—Oh,Sandra,nesoispassiméchante…Ilyeutunéclatderireretentissant,etlaportedestoilettesserefermasurelle.Deboutaumilieudupetitterraindejeu,Jenniferobservaitlesnounousfrigorifiéesbavarderentreelles

au-dessusdeleurslandausSilverCross,écoutantlescrisdesbambinsquiseheurtaientetseculbutaientcommeautantdequillessurlesol.MmeCordoza avait bien proposé d'emmenerEsmé au parc,mais Jennifer lui avait dit qu'elle avait

besoindeprendrel'air.Pendantquarante-huitheures,ellen'avaitpassuquoifaire,sentanttoujourssescaressessursoncorps, repensantsanscesseàcequ'elleavait fait.Ellesesentaitpresqueécraséeparl'énormité de ce qu'elle avait perdu, mais elle ne pouvait plus s'anesthésier au Valium : elle devaits'efforcerdetoutressentir.Safilleseraitlàpourluirappelerqu'elleavaitfaitlebonchoix.Ilyavaittantde choses qu'elle aurait voulu lui dire. Mais, même en se répétant qu'elle n'avait pas consciemmententreprisdeleséduire,ellesavaitqu'ellesementaitàelle-même.Elleavaitvouluunepetitepartdelui,unbeau,unprécieuxsouvenir,àemporteravecelle.Commentaurait-ellepusavoirqu'elleouvraituneboîtedePandore?Pireencore,commentaurait-ellepuimaginerqu'ilenseraitsianéanti?L'autresoir,àl'ambassade,ilavaitparusicalme.Ilnepouvaitpasavoirsouffertautantqu'elle.Elle

l'avaitcruplusfort.Mais,àprésent,ellenepouvaits'empêcherdepenseràlui,àsavulnérabilité,àsesprojets pleins d'optimisme. Et au regard qu'il avait posé sur elle quand elle avait traversé le hall del'hôtelpourretrouversafille.Elle entendit sa voix, perdue et angoissée, résonner dans le couloir derrière elle :Ne fais pas ça,

Jennifer!Jenevaispast'attendreencorequatreans!Pardonne-moi,luidisait-elleensilence,unmillierdefoisparjour.MaisLaurencenem'auraitjamais

laissésagarde.Tunepeuxpasmedemanderdel'abandonner.Tuesbienplacépourlecomprendre.Régulièrement,elles'essuyait lesyeux,blâmant leventouquelquepoussières'étantmystérieusement

glissée sous sa paupière. Elle se sentait à vif, consciente du moindre changement de température,ballottéepardesémotionstempétueuses.Laurencen'estpasunhommemauvais,serépétait-ellesansrelâche.C'étaitunbonpère,àsamanière.

Et, s'il avait dumal à être tendre avec Jennifer, comment l'en blâmer ?Combiend'hommes avaient laforcedepardonneràleurfemmed'êtretombéeamoureused'unautre?Parfois,elles'étaitdemandés'ilne

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seseraitpaslasséd'elleetn'auraitpaschoisidelalaisserpartirsiellen'étaitpastombéeenceinteaussivite.Maiselle-mêmen'ycroyaitpas:Laurencenel'aimaitpeut-êtreplus,maisiln'auraitjamaisacceptédelasavoirentraindemenersavieailleursetsanslui.Etelleestmaconsolation.Elle poussa sa fille sur la balançoire, regardant les jambes de la fillette s'élever vers le ciel, ses

cheveuxvoleterdanslabrise.C'étaitdéjàtellementplusquecequ'avaientbeaucoupdefemmes.CommeAnthonyleluiavaitditautrefois,c'étaitunréelréconfortdesavoirqu'onavaitfaitcequiétaitjuste.—Maman!DorothyMoncrieffavaitperdusonchapeau.Jenniferfutbrièvementdistraiteparlarecherche,faisantle

tour des balançoires et du tourniquet avec les deux fillettes, regardant sous les bancs jusqu'à ce qu'onrepèrelecouvre-chefsurlatêted'unautreenfant.—C'estmaldevoler,déclaraDorothyd'unairsolenneltandisqu'ellesretraversaientleterraindejeu.—Oui,ditJennifer,maisjenepensepasquecepetitgarçonl'aitvolé.Ilnesavaitprobablementpas

quec'étaitletien.—Situnesaispascequiestbienetcequiestmal,c'estquetuesstupide,affirmaDorothy.—Stupide,répétaEsméavecdélice.—Oui,c'estpossible,ditJennifer.Ellerenoual'écharpedesafilleetlesrenvoyajouer,cettefoisdanslebacàsable,avecl'interdiction

formelledesejeterdusable.TrèscherBoot,écrivit-elledansuneautredesmilliersdelettresimaginairesqu'elleavaitrédigéesces

deuxderniersjours,s'ilteplaît,nem'enveuxpas.Ilfautquetusachesquesij'avaislapossibilitédetesuivre,jeleferaissanshésiter…Elle ne lui enverrait pas de lettre.Qu'y avait-il à dire de plus que ce qu'elle avait déjà dit ? Il me

pardonneraavecletemps,songea-t-elle.Ilauraunebellevie.Elle essayade fermer son esprit à la questionqui s'imposait à elle : comment allait-elle survivre ?

Commentcontinueràvivrealorsqu'ellesavait?Ellesortitsonmouchoirdesapocheetsetamponnalesyeux,sedétournantpournepasattirerl'attention.Aprèstout,peut-êtreallait-ellerendreunepetitevisiteàsonmédecin.Illuifallaitjusteunpeud'aidepouraffronterlesjoursàvenir.Soudain,sonattentionfutattiréeparunesilhouetteenveloppéede tweedqui traversait lapelouseen

directionde l'airede jeu.La femmemarchaitd'unpas lourdetdéterminé, avecune régularitépresquemécaniquemalgrélaboue.Ellereconnut,stupéfaite,lasecrétairedesonmari.MoiraParkermarchadroitsurelle,s'arrêtantsiprèsqueJenniferdutfaireunpasenarrière.—MademoiselleParker?Lasecrétaireavaitleslèvresserrées,leregardluisant.—Votregouvernantem'aindiquéoùvoustrouver.Puis-jevousdireunmot?—Euh…oui.Biensûr.Ellesetournabrièvementverslesenfants:—Meschéries?Dottie?Esmé?Jevaisunpeuplusloin.Lespetitesfilleslevèrentàpeinelesyeux,puisseremirentàcreuser.

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Elless'éloignèrentdequelquespas,Jennifersepositionnantdemanièreànepasquitterlesenfantsdesyeux.ElleavaitpromisàlanounoudesMoncrieffqu'elleramèneraitDorothyàlamaisonpour16heures,etilétaitpresque15h45.Ellesecomposaunsourire.—Quesepasse-t-il,mademoiselleParker?Moiraglissalamaindansunsacàmainfatiguéetensortitunépaisdossier.—C'estpourvous,dit-elled'untonsec.Jennifer prit le dossier. Elle l'ouvrit et posa aussitôt la main sur une pile de papiers que le vent

menaçaitd'emporter.—N'enperdezpasunseul.C'étaitunordre.—Jesuisdésolée…Jenecomprendspas.Qu'est-cequec'est?—Lesgensqu'ilapayéspourqu'ilssetaisent.CommeJennifernesemblaittoujourspassaisir,Moirapoursuivit:—Lemésothéliome.Unemaladiedespoumons.Voicilalistedesouvriersdontilaachetélesilence

pourdissimulerlamaladiemortellequ'ilsontcontractéeentravaillantpourlui.Jenniferseposalamainsurlefront.—Quoi?—Votremari.Ceuxquisontdéjàmortssontenbasdelaliste.Leursfamillesontdûsignerdescontrats

lesobligeantàsetaires'ilsvoulaienttoucherleurargent.Jenniferpeinaitàcomprendrecequecettefemmeluiracontait.—Morts?Dequelscontratsparlez-vous?—Illesaforcésàprétendrequ'iln'étaitpasresponsable.Ilaachetéleursilence.LesSud-Africains

n'ontpresquerienreçu.Lesouvriersdesusinesanglaisesontcoûtébienpluscher.—Maisl'amiantenefaitdemalàpersonne.CenesontquedescalomniesdecesNew-Yorkaisquien

veulentàsoncommerce.C'estLaurencequimel'adit.Moiranesemblaitpasl'écouter.—Ils sont tous là,parordre alphabétique,poursuivit-elle.Vouspouvezparler aux familles, sivous

voulez.Lesadressesfigurentenhautdechaquepage.Ilestterrifiéàl'idéequelesjournauxs'emparentdel'information.—Cenesontquelessyndicats…Ilm'adit…—Lesautrescompagniesontlemêmeproblème.J'aiécoutéquelquesconversationstéléphoniquesqu'il

aeuesavecGoodasbest, enAmérique. Ils financentdesétudesayantpourobjectifde faire croirequel'amianteestinoffensive.LasecrétaireparlaitsivitequeJenniferenavaitletournis.Ellejetauncoupd'œilauxdeuxenfants,qui

s'étaientmisesàsejeterdespoignéesdesable.—Ce serait sa ruine siquiconquedécouvrait cequ'il a fait, ajouta lourdementMoiraParker.Ça se

sauraunjouroul'autre.C'estinévitable.Toutfiniraparsesavoir.Jennifertenaitledossierduboutdesdoigts,commesiluiaussipouvaitêtrecontaminé.

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—Pourquoimedonnez-vousça?Qu'est-cequivousfaitpenserquejepourraisvouloirdumalàmonmari?L'expression deMoira Parker changea du tout au tout. Elle avait presque l'air coupable, les lèvres

serréesenunemincelignerouge.—Àcausedeça.EllesortitdesonsacunefeuilledepapierchiffonnéeetlafourradanslamaindeJennifer.—C'estarrivéquelquessemainesaprèsvotreaccident.Ilnesaitpasquejel'aigardée.Jenniferdéplialafeuille,leventlafaisantclaquercontresesdoigts.Ellereconnutaussitôtl'écriture.Jemesuisjurédeneplustecontacter.Maissixsemainesontpassé,etjenemesenspasmieux.Être

loin de toi – à des milliers de kilomètres – ne m'apporte aucun réconfort. Le fait de ne plus êtretourmentépartaproximité,placédevantlapreuvequotidiennedemonincapacitéàobtenirlaseulechosequejeveuxvraiment,nem'apasaidéàcicatriser.Çan'afaitqu'empirerleschoses.Monavenirs'étenddevantmoicommeuneroutedéserteetsombre.Jenesaispasceque j'essaiede tedire,Jennychérie.Maissi tuasneserait-ceque l'impression

fugaced'avoirprislamauvaisedécision,sachequemaporteesttoujoursgrandeouverte.Et si tupensesavoir fait lebonchoix, sacheaumoinsqu'il ya, quelquepart dans lemonde,un

hommequit'aimeetquicomprendàquelpointtuesprécieuse,intelligenteetdouce.Unhommequit'atoujoursaiméeetqui,poursonplusgrandmalheur,t'aimeratoujours.

TonB.Jennifer,lesyeuxrivéssurlalettre,sesentitdevenirblafarde.Elleregardaladate.Prèsdequatreans

auparavant.Justeaprèsl'accident.—Vousditesquec'étaitLaurencequil'avait?MoiraParkerregardaitlesol.—Ilm'ademandédefairefermerlaboîtepostale.—Ilsavaitqu'Anthonyétaitenvie?Jennifertremblait.—Jenesaisriendetoutça.MoiraParkerremontalecoldesonmanteau.Mêmeencescirconstances,elleparvenaitàprendreun

airdésapprobateur.QuelquechosesedurcitenJennifer.Elleavaitl'impressionquesachairsepétrifiaittoutautourdece

noyaudur.MoiraParkerrefermasonsacàmain.—Faitescequevousvoulezdecesdocuments.J'estimequecelanemeconcerneplus.Enmarmonnanttouteseule,ellerepartitàtraversleparc.Jenniferselaissatombersurunbanc,sans

prendre garde aux deux enfants qui se frottaient joyeusement du sable dans les cheveux. Elle relut lalettre.

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Elle ramena Dorothy Moncrieff à sa nounou, puis demanda à Mme Cordoza si elle voulait bien

emmenerEsméàlaconfiserie.—Achetez-luiunesucette,etpeut-êtreaussiunpetitsachetdebonbons.Elle restaà la fenêtrepour les regarderdescendre la rue, sa fille faisantàchaquepasunpetitbond

d'excitation.Unefoisqu'elleseurenttournéaucoin,elleouvritlaportedubureaudeLaurence.C'étaitunepièce dans laquelle elle entrait rarement et d'où Esmé était bannie, de peur que ses petits doigtsinquisiteursnesepermettentdedéplacerl'undesesnombreuxobjetsdevaleur.Aprèscoup,ellenesutplusexactementpourquoielleyétaitentrée.Elleavait toujoursdétestécette

pièce:lessinistresrayonnagesd'acajouencombrésdelivresqueLaurencen'avaitjamaisouverts,l'odeurpersistantedefuméedecigare,lestrophéescélébrantdesexploitsqu'ellenepouvaitreconnaîtrecommetels–Businessmande l'année,MeilleurTireur,TraqueaucerfdeCowbridge1959,Trophéedegolf1962.Lui-mêmes'y installait rarement : cen'étaitqu'undécor,unepièceoù ilpromettait à ses invitésmâlesdepouvoir«échapper»auxfemmes,unrefugedanslequelilprétendaittrouverlapaix.Deuxfauteuilsconfortablesétaientplacésdepartetd'autredelacheminée,leursassisesàpeineusées.

En huit ans, jamais un feu n'avait brûlé dans l'âtre. Sur le buffet, les verres de cristal taillé n'avaientjamaisvulacouleurdubonwhiskyquiemplissaitlacarafeposéejusteàcôté.LesmursétaientcouvertsdephotosdeLaurenceserrantlamainàd'autreshommesd'affaires,àdesdignitairesenvisite,auministresud-africainduCommerce,auducd'Édimbourg…CettepièceétaitunmuséeàlagloiredeLaurence,oùtoutétaitfaitpourdonnerauxautreshommesdenouvellesraisonsdel'admirer.Jenniferrestaplantéesurlepasdelaporte,àcôtéd'uncaddiedegolfhorsdeprix.Unnœud,duret

serré,s'étaitformédanssapoitrine.Ellepritunclubdegolfets'avançaaucentredelapièce,laissantéchapperunlégerhalètement,commeunsportifauboutd'unelonguecourse.Puiselle leva leclubau-dessusdesatête,semblantvouloirmimerunswingparfait,etlelaissaallerdetoutessesforcescontrelacarafedewhisky.Deséclatsdeverres'envolèrentàtraverstoutelapièce.Ellefrappaencore,heurtantlesmurs, fracassant lescadres, cabossant les trophées, s'attaquantaux livres reliésdecuir, aux lourdscendriersdecristal.Ellefrappaviolemment,méthodiquement,safrêlesilhouetteaniméeparunecolèrequi,mêmealors,continuaitdegrandirenelle.Ellefittomberleslivresdeleursrayons,volerenéclatslescadresposéssurlacheminée.Seservant

duclubcommed'unehache,elleentaillalemassifbureauvictorien.Ellefrappa,lesoufflecourt,jusqu'àcequesesbrasluifissentmaletquetoutsoncorpsfûtbaignédesueur.Enfin,quandiln'yeutplusrienàcasser,ellesefigeaaucentredelapièce,duverrebrisécrissantsoussessemelles,écartantunemèchedesonfrontmoiteenparcourantsonœuvreduregard.L'adorable Mme Stirling, au tempérament si doux. Si constante, si calme… Dépourvue de toute

passion.JenniferStirlinglaissatomberleclubàsespieds.Puiselles'essuyalesmainssursajupe,d'oùelleôta

unpetitéclatdeverre,etquittalapièceenfermantsoigneusementlaportederrièreelle.Mme Cordoza était assise dans la cuisine avec Esmé lorsque Jennifer annonça qu'elles allaient

ressortir.—Votrefilleneveut-ellepasprendresongoûter?Ellevaavoirfaim.

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—J'aipasenviedesortir,protestaEsmé.—Ceneserapaslong,moncœur,ditcalmementJennifer.MadameCordoza,vouspouvezprendrele

restedelajournée.—Maisje…—Vraiment.C'estmieuxcommeça.Ellepritsafilledanssesbras,lavalisequ'ellevenaitdefaireetlesbonbonsdanslesachetenpapier

marron,ignorantl'airperplexedelagouvernante.Puisellesortit,descenditlesmarchesethélauntaxi.Àpeineentrée,elle l'aperçut,deboutdevant laportedesonbureau,occupéàparleravecune jeune

femme.Elleentenditunesalutationetsapropreréponsemesurée,vaguementsurprisedeprendrepartàunéchangeaussinormal.—Commeelleagrandi!Jenniferbaissalesyeuxsursafille,quijouaitnerveusementavecsoncollierdeperles,puissetourna

verslafemmequivenaitdeparler.—Sandra,c'estbiença?fit-elle.—Toutàfait,madameStirling.—ÇavousdérangeraitbeaucoupdelaisserEsméjouerquelquesminutesavecvotremachineàécrire

pendantquejefaisunsautaubureaudemonmari?Esméfutenchantéequ'onlalaisselibredes'amuseravecleclavier,aussitôtentouréed'attentionspar

une nuée de femmes roucoulantes, ravies d'avoir une bonne raison d'interrompre leur travail. Jenniferrepoussa les mèches de cheveux qui lui retombaient sur le visage et se dirigea vers le bureau deLaurence,s'arrêtantdansl'espaceréservéàsasecrétaire.—Jennifer,fit-ilenhaussantunsourcil.Jenet'attendaispasici.—Justeunmot?—Jedoispartirà17heures.—Ceneserapaslong.Il lui fit signed'entrerdanssonbureau, ferma laportederrière luiet lui indiquaunechaise. Ilparut

légèrementirritéquandellerefusades'asseoir,etselaissatomberlourdementdanssonfauteuildecuir.—Ehbien?—Qu'est-cequejet'aifaitpourquetumehaïssesautant?—Quoi?—Jesuisaucourantpourlalettre.—Quellelettre?—Cellequetuasinterceptéeaubureaudeposte,ilyaquatreans.—Oh,ça,siffla-t-ild'unairméprisant.Ilaffichaitl'expressiond'unhommeàquionvientderappelerqu'ilaoubliédeprendreunpetitquelque

chosechezl'épicier.—Tusavaistoutettum'aslaisséecroirequ'ilétaitmort.Tum'asfaitcroirequej'enétaisresponsable!

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—Jepensaisqu'ill'était.Maistoutça,c'estdupassé.Jenevoispasl'intérêtdedéterrercettevieillehistoire.Ilsortituncigaredelaboîteenargentposéesursonsous-main.Ellesongeauninstantàlaboîtecabosséedanssonbureauàlamaison,étincelantedeverrebrisé.—Tum'astorturée,jouraprèsjour,tum'aslaisséemepunirmoi-même.Qu'est-cequej'aibienpute

fairepourmériterça?Iljetasonallumettedanslecendrier.—Tusaistrèsbiencequetum'asfait.—Tum'asfaitcroirequejel'avaistué,Laurence!—Jenesuispasresponsabledecequetuascru.Bref,commejel'aidit,c'estdel'histoireancienne.Je

nevoisvraimentpaspourquoi…—Cen'estpasdel'histoireancienne.Parcequ'ilestrevenu.Elleavaitenfincaptésonattention.Devinantquesonassistantedevaitécouterderrièrelaporte,ellene

levapaslavoix.—Etjeparsaveclui.EtavecEsmé,bienentendu.—Nesoispasridicule.—Jesuissérieuse.—Jennifer,aucuntribunaldecepaysnelaisseraituneenfantàlagarded'unemèreadultère–surtoutsi

celle-ciestincapabledevivresansunearmoireàpharmaciepleinedepilules.LeDrHargreavespourratémoignerdetaconsommationexacte.—Jenelesaiplus,cespilules.Jelesaijetées.—Vraiment ? fit-il en jetant un nouveau coup d'œil à samontre. Félicitations.Donc tu as passé…

vingt-quatreheuressansaidepharmaceutique?Jesuissûrqueletribunaltrouveraçaadmirable.Iléclataderire,satisfaitdesaréponse.—Ettupensesqu'iltrouveratoutaussiadmirableledossiersurlamaladiedupoumon?Ellenotalasoudainecrispationdesamâchoire,l'éclaird'incertitudequipassadanssonregard.—Quoi?—Tonancienneassistantemel'adonné.J'ailalistedetesemployésquisonttombésmaladesoumorts

cesdixdernièresannées.Dequoi s'agit-il,déjà?Ah,oui :mé-so-thé-liome,articula-t-elle, commesielledécouvraitlemotpourlapremièrefois.Ildevintsipâleàcesmotsqu'ellecrutqu'ilallaitdéfaillir.Ilselevaetmarchaverslaporte.Ill'ouvrit,

jetauncoupd'œilàl'extérieuravantderepousserlebattantd'ungesteferme.—Dequoituparles?—J'aitouteslesinformations,Laurence.J'aimêmelespapiersdelabanqueattestantlesvirementsque

tuaseffectués.Ilouvritviolemmentuntiroiretenfouillalecontenu.Quandilrelevalatête,ilsemblaitébranlé.Ilfit

unpasverselle,l'obligeantàcroisersonregard.—Situmeruines,Jennifer,tuteruinesaussi.

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—Tucroisvraimentquejemesouciedeça?—Jamaisjenedivorcerai!—Trèsbien,dit-elle,saproprerésolutionraffermieparletroubledesonmari.Voilàcequ'onvafaire.

EsméetmoiallonsnousinstallerquelquepartàLondres,ettupourrasvenirlavoir.Toietmoineseronsmarietfemmequedenom.Tuvasmeverserunepensionraisonnablepourl'élever,et,enretour,jeferaiensortequecespapiersnesoientjamaisrenduspublics.—Tuessaiesdemefairechanter?— Oh non, je suis bien trop stupide pour ça, Laurence, comme tu me l'as rappelé un nombre

incalculablede fois cesdernières années.Non, je tedécris seulement cequeva êtremavie.Tupeuxgardertamaîtresse,tamaison,tafortuneet…tafameuseréputation.Aucundetescollèguesenaffairesn'abesoindelesavoir,maisjeneremettraiplusjamaislespiedsdanslamêmemaisonquetoi.Iln'avaitjamaisimaginéqu'elleétaitaucourantpoursamaîtresse.Uneexpressionderageimpuissante

selutsursonvisage,ainsiqu'uneterribleanxiété.Puisiltentad'esquisserunsourireconciliant.— Jennifer, tu es bouleversée. Cet homme qui revient d'entre les morts, ça a dû te faire un choc.

Pourquoinepasrentreràlamaison,oùonpourrareparleràtêtereposée?— J'ai déposé les papiers chez une personne de confiance. Si quoi que ce soitm'arrivait, je lui ai

donnémesinstructions.Ilnel'avaitjamaisregardéeavecuneexpressionsihaineuse.Elleserralesdoigtssursonsacàmain.—Tun'esqu'uneputain,dit-il.—Avectoi,j'enaiétéune,approuva-t-ellecalmement.Puisquecen'estpasparamourquej'aipartagé

tonlit.On frappa à la porte, et la nouvelle assistante entra. Le regard de la jeune fille, qui passait

alternativementdel'unàl'autre,futpourJenniferunemined'informations.Ellerepritcourage.—Bon,jecroisquec'esttoutcequej'avaisàtedire.Jevaistelaisser,chéri.Elles'approchadeluietl'embrassasurlajoue.—Jet'appellerai.Aurevoir,mademoiselle…Elleattendit.—Driscoll,ditlajeunefille.—Driscoll,répéta-t-elledansunsourire.Biensûr.Elle passa devant la jeune assistante, prit sa fille par lamain et, le cœur battant, ouvrit la porte à

doublebattant, s'attendantàchaque instantàentendresavoix l'appeler,sonpas résonnerderrièreelle.Elledévalalesdeuxvoléesdemarchesetretrouvaletaxiquil'attendait.—Onvaoù?demandaEsmétandisqueJenniferlasanglaitsurlesiègeàcôtéd'elle.Lapetitefillegrignotaitunepoignéedebonbons,sonbutinamasséauprèsdessecrétaires.Jennifersepenchapourouvrirlapetitefenêtreetcriersadestinationauchauffeur,d'unevoixfortepour

couvrirlebruitdelacirculation.Ellesesentaitsoudainlégère,triomphante.—AuRegentHotel,s'ilvousplaît.Aussivitequepossible.

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Plustard,enrepensantàcetrajetdevingtminutes,elleserenditcomptequ'elleavaitregardélesruesencombréesetlesvitrinesmulticoloresaveclesyeuxd'unetouriste,d'unecorrespondanteétrangère,dequelqu'un qui ne les avait encore jamais vues. Elle ne retint que quelques détails et une impressiondominante,sachantqu'elleallaitpeut-êtreneplus jamais lesrevoir.Savie tellequ'elle l'avait toujoursconnueétaitterminée,etelleavaitenviedechanter.C'estainsiqueJenniferStirlingavaitditaurevoiràsonanciennevie,auxjournéespasséesàarpenter

cesrues,chargéedesacspleinsd'objetsquinesignifiaientplusrienpourelledèssonretourchezelle.C'étaitàcetendroitprécis,prèsdeMaryleboneRoad,qu'elleavaitressenti,jouraprèsjour,unnœudseserrerdanssapoitrineenapprochantdecettemaison,quin'étaitpluspourelleunfoyermaisuneprison.Ellepassaenunéclairdevantsademeuresilencieuse,unmondeoùellen'avaitvécuqu'intérieurement,

sachantqu'iln'yavaitaucunepenséequ'ellepouvaitexprimer,aucuneactionqu'ellepouvaitaccomplirsanss'attirerlacritiqued'unhommequ'elleavaitrendusimalheureuxqu'ilmettaitunpointd'honneuràlapunir sans cesse par son silence, ses continuelles humiliations et cette ambiance glaciale qu'il faisaitrégnerdanslamaison,mêmeaucœurdel'été.Unenfantpouvaitvousprotégerdeça,maisseulementjusqu'àuncertainpoint.Etmêmesisafuitela

faisait tomberdans ledéshonneurauxyeuxde sonentourage, aumoinspourrait-elleprouverà sa fillequ'il existait d'autres façons de vivre. Des façons de vivre qui ne vous contraignaient pas à vousanesthésierouàvousexcuserd'exister.Elleaperçutlafenêtreoù,autrefois,lesprostituéess'étaientexhibées.Lesfillesquitapaientaucarreau

avaient disparu depuis longtemps. J'espère que vous menez une vie meilleure là où vous êtes, leursouhaita-t-elleensilence.J'espèrequevousvousêteslibéréesdecequivousretenaitici.Toutlemondeméritecettechance.Esmé suçotait toujours ses confiseries, observant les rues noires demonde par la fenêtre de l'autre

portière.Jenniferpassalebrassurlesépaulesdelafilletteetl'attiracontreelle.L'enfantdéballaunautrebonbonetlefourradanssabouche.—Maman,oùonva?— Retrouver un ami, et puis on part à l'aventure, mon cœur, répondit-elle, débordant soudain

d'excitation.Ellenepossédaitrien,songea-t-elle.Rien.—Àl'aventure?—Oui.Uneaventuredanslaquellej'auraisdûmelancerilyalongtemps,trèslongtemps.L'articlesurlesnégociationsdedésarmementneferaitpasungrostitre,songeaitDonFranklintandis

quesonassistantcherchaitdesalternatives.Ilregrettaitquesafemmeaitmisdesoignonscrusdanssessandwichsaupâtédefoie.Ilsluidonnaienttoujoursdesaigreursd'estomac.—Siondécaledececôtélaréclamepourledentifrice,onpourraitremplircetespaceavecl'histoire

duprêtredansant,suggéral'assistant.—Jedétestecettehistoire.—Etlacritiquedethéâtre?—Déjàpagedix-huit.

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—Regardezà10heures,patron.Sanscesserdesemasserl'estomac,Franklinlevalesyeuxpourvoirunefemmetraverseràlahâteles

bureauxdu journal.Elleportaituncourt trench-coatnoiret tenaitpar lamainunegamineauxcheveuxblonds.Donétaitmalàl'aisedevoirunepetitefilledanslesbureauxd'unjournal.Cen'étaitpasnormal.Lafemmes'arrêtapourdemanderquelquechoseàCheryl,quifitungestedanssadirection.Uncrayonaucoindelabouche,illaregardas'approcher.—Jesuisdésoléedevousdéranger,maisjedoisparleràAnthonyO'Hare,dit-elle.—Etvousêtes?—JenniferStirling.Uneamie.Jesuisalléeàsonhôtel,maisonm'aditqu'ilétaitparti.Ellesemblaittrèsinquiète.—C'estvousquiavezdéposéunpetitmotilyaquelquesjours,sesouvintCheryl.—Oui,ditlafemme.Don remarqua lamanière dontCheryl la dévisageait.L'enfant tenait à lamain une sucette déjà bien

entamée,quiavaitlaisséunetracecollantesurlamanchedesamère.—Ilestpartipourl'Afrique,annonça-t-il.—Pardon?—Partipourl'Afrique.Lafemmes'immobilisa,toutcommelafillette.—Non,lâcha-t-elled'unevoixbrisée.Cen'estpaspossible.Iln'avaitpasencoredécidés'ilpartait.Donpritlecrayondanssaboucheethaussalesépaules.—L'actualitén'attendpas. Ilestpartihier,par lepremieravion.Levoyageva luiprendrequelques

jours.—Maisjedoisabsolumentluiparler.—Iln'estpasjoignable.IlvoyaitCherylquil'observaitd'undrôled'air.Deuxautressecrétairesmurmuraiententreelles.Lafemmeavaitpâli.—Ildoitsûrementyavoirunmoyendelecontacter.Ilnepeutpasêtrepartipourlongtemps.—Ilpeutêtren'importeoù.C'estleCongo.Iln'yapasletéléphone.Ilenverrauntélégrammedèsque

possible.—AuCongo?Maispourquoiest-ilpartisivite?demanda-t-elledansunmurmure.—Quisait?répliqua-t-ilen lui jetantunregard lourddesens.Quelqu'unl'apeut-êtrepousséàs'en

aller.Cheryltraînaittoujoursàproximité,faisantminedetrierunepiledepapiers.La femme semblait à présent incapable d'avoir une pensée claire. Elle porta lamain à son visage.

L'espaced'uninstant,ilcrutqu'elleallaitfondreenlarmes–ets'ilexistaitpirechoseàsesyeuxqu'uneenfantdansunesallederédaction,c'étaitbienunefemmeenpleursaccompagnéed'uneenfantdansunesallederédaction.Cependant,ellepritunegrandeinspirationetseraffermit.

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—Sivousentrezencontactaveclui,pourriez-vousluidemanderdemepasseruncoupdefil?Ellefouilladanssonsac,d'oùellesortitundossierpleindedocumentsainsiqueplusieursenveloppes

froissées.Ellehésita,puisfourralesenveloppesdansledossier.—Etdonnez-luicecidemapart.Ilcomprendra.Ellegriffonnaunpetitmotsursonagenda,arrachalapageetlaglissasouslerabatavantdedéposerle

dossiersurlebureau,justedevantelle.—Biensûr.Ellel'attrapaparlebras.Elleportaitunebaguesertied'undiamantdelatailleduKoh-i-Noor.—Vousleluitransmettrez?C'estvraimentimportant.C'estmêmeunequestiondevieoudemort.—Jecomprends.Maintenant,sivousvoulezbienm'excuser,jedoismeremettreautravail.Onatous

desdélaisàtenir,ici.—Jesuisdésolée,s'excusa-t-elle,l'airconfus.S'ilvousplaît,assurez-vousseulementqu'ilrécupèrece

dossier.S'ilvousplaît.Donhochalatête.Elleattendituninstant,sansquittersonvisagedesyeux,essayantpeut-êtredeseconvaincrequ'ilallait

tenir parole. Puis, embrassant la salle d'un dernier regard, comme pour s'assurer que O'Hare n'étaitvraimentpaslà,ellerepritsafilleparlamain.—Jesuissincèrementdésoléedevousavoirdérangés.Lorsqu'elle regagna la sortie d'un pas lent, comme si elle ne savait pas où aller, elle semblait

étrangementpluspetitequ'aumomentoùelleétaitentrée.Lesquelquespersonnesrassembléesautourdubureaularegardèrents'enaller.—AuCongo,ditCherylaprèsquelquessecondes.—Bon, il faut boucler la page 4, déclaraDon sans lever les yeuxde son bureau.Allons-y pour le

prêtredansant.Cene fut que trois semainesplus tardquequelqu'un eut l'idéede ranger sonbureau.Aumilieudes

vieillesépreuvesetdesfeuillesdecarbonebleufoncétraînaitundossierenpiteuxétat.—C'estqui,«B»?demandaDora, lasecrétaire intérimaire,ensoulevant lacouverture.C'estpour

Bentinck?Iln'estpaspartiilyadeuxmois?Cheryl, qui se bagarrait au téléphone à propos des frais d'un voyage, haussa les épaules sans se

retournermaisposalamainsurlecombiné.— Si tu ne sais pas à qui ça appartient, dit-elle en posant la main sur le combiné, descends les

documents aux archives. C'est là que jemets tout ce qui traîne. Comme ça, Don ne peut pas te crierdessus.Enfin, si, il trouvera toujoursquelquechoseà te reprocher, ajouta-t-elle aprèsune secondederéflexion,maispasd'avoirmalclassélespapiers.Ledossieratterritdoncsur lechariotdestinéauxarchives,avec lavieilleéditionduWho'sWhodu

journal,etfutengloutidanslesentraillesdubâtiment.Iln'enressortiraitplusavantquarantelonguesannées.

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PARTIEIII

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Toietmoi,CterminéUnhommeàunefemme,partexto

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Chapitre16

2003

Mardi?AuRedLion?Çatedit?Bisous,John.ELLE PATIENTE UNE BONNE DEMI-HEURE AVANT DE LE VOIR ARRIVER DANS UN COURANT D'AIR FROID, SE

répandantenexcuses.Uneinterviewpourlaradioadurépluslongtempsqueprévu.L'ingénieurdusonétaitunanciencamaradedefacquiavouluprendredesesnouvelles.Ç'auraitétéimpolidepartirtoutdesuite.Par contre, ça n'a rien d'impoli deme laisser poireauter toute seule dans un pub, rétorque-t-elle

intérieurement.Maiscommeelleneveutpasgâcherl'ambiance,ellesourit.—Tuescharmante,dit-ilenluicaressantlajoue.Tuesalléechezlecoiffeur?—Non.—Ah.Alorsc'esttoncharmehabituel.Etvoilà.Unesimplephrase,etsonretardestoublié.Ilporteunechemisebleufoncéetunevestekaki.Ellel'adéjàtaquinéaveccettetenue,disantquec'est

l'uniformedesécrivains:raffiné,discretetcoûteux.C'estainsiqu'ellel'imaginelorsqu'ellen'estpasaveclui.—Alors,Dublin?C'étaitcomment?—Pressé.Pressant,dit-ilendénouantsonécharpe.J'aicenouvelagent,Ros,quisecroitobligéede

me caser quelque chose dans lemoindre petit créneau de quinzeminutes. Sérieusement, elle amêmeprévudespauses-pipi.Elleéclatederire.—Tuboisquelquechose?demande-t-ilenavisantsonverrevide.Sansattendresaréponse,ilfaitsigneauserveur.—Vinblanc.Ellen'avaitpasprévud'enprendreunautre;elleessaiederéduiresaconsommation,mais,maintenant

qu'ilestlà,sonestomacfaitdesnœudsqueseull'alcoolpourradénouer.Illuiparledesonvoyage,deslivresqu'ilavendus,desnouveauxaménagementssurlefrontdemerde

Dublin.Elle le regarde.Elle a luquelquepart qu'onnevoit vraimentunepersonnequedans les troispremières minutes suivant la rencontre. Par la suite, il ne s'agit plus que d'une impression basée surl'opinionqu'ons'estfaitedecettepersonne.Cetteidéeluiapporteunpeuderéconfortlesmatinsoùelleseréveilleaveclagueuledebois,levisagebouffiparl'alcool.Tuserastoujoursbeauàmesyeux, luidit-elleenpensée.—Ducoup,tunetravaillespasaujourd'hui?

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Elleseremetaveceffortdanslaconversation.—Non,c'estmonjourdecongé.J'aitravaillédimanchedernier,tutesouviens?Maisjevaisquand

mêmepasseraubureau.—Tutravaillessurquoi?—Oh,riendebienpalpitant.J'aitrouvéunelettreintéressanteauxarchives,etjevoulaisapprofondir

mesrecherchesaucasoùilyenauraitd'autresdanslamêmeveine.—Unelettre?—Oui.Ilhaussaunsourcil.—Riendespécial,vraiment,dit-elleenhaussantlesépaules.Unvieuxcourrier.De1960.Elle ne sait pas vraiment pourquoi, mais elle est réticente à lui dévoiler les émotions brutes qui

s'étalentsurcettepage.Elleapeurqu'ilyperçoiveunmessagecaché.—Ah, les années 1960. J'aime beaucoup écrire sur cette période. Il y avait tellement d'interdits, à

l'époque…C'estterriblementefficacepourcréerdelatension.—Delatension?—Entrecequ'onvoudraitfaireetcequenousautoriselasociété.Ellebaisselesyeuxsursesmains.—Ouaip.Jeconnaisbienlesujet.—Repousserleslimites…Touscescodesdeconduiterigides…—Redis-moiça,susurre-t-elleencroisantsonregard.—Arrête,murmure-t-ilensouriant.Pasaurestaurant.Vilainefille.Lepouvoirdesmots.Ilsefaitavoirchaquefois.Ellesentlapressiondesajambesurlasienne.Aprèsledéjeuner,ilsirontàsonappartementetelle

l'aurapourelleseulependantaumoinsuneheure.Cen'estpasassez,çanel'estjamais,maissongeràsoncorpscontrelesiensuffitdéjààl'étourdir.—Tuas…toujoursenviedemanger?demande-t-ellelentement.—Çadépend…Leursyeuxseperdentdansleregarddel'autre.Pourelle,iln'yaplusqueluidanscepub.Ils'agitesursachaise.—Oh,avantquejen'oublie,jeparsenvoyageàpartirdudix-sept.—Encoreunetournéepromotionnelle?Souslatable,ilserresesjambesentrelessiennes.Elleatouteslespeinesdumondeàseconcentrer

sursesmots.—Tutefaisvraimentexploiterparteséditeurs.—Non,dit-ild'unevoixneutre.Jeparsenvacances.L'espaced'unefractiondeseconde,toutsefige.Puisellearrive.Unevraiedouleur,commeuncoupde

poing,justesouslescôtes.Toujoursl'endroitleplussensible.

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—C'estbienpourtoi,dit-elleenramenantlesjambessoussachaise.Tuvasoù?—ÀlaBarbade.—ÀlaBarbade!s'écrie-t-elle,incapablededissimulersasurprise.LaBarbade. Ce n'est pas une semaine de camping enBretagne. Ce n'est pas le cottage d'un cousin

éloignésouslapluieduDevon.LaBarbade,cen'estpaslacorvéehabituelledesvacancesenfamille.C'estleluxe,lesableblanc,lafemmeenbikini.LaBarbade,c'estunedestinationdeplaisir,quiimpliquequeleurmariagevauttoujoursquelquechose,qu'ilspourraientfairel'amour…—Je ne suis pas sûr d'avoir accès à Internet, et ce ne sera pas facile de téléphoner.Enfin, comme

d'habitude.—Silenceradio,donc.—Quelquechosecommeça.Ellenetrouverienàrépondre.Ellesesaitfurieusecontrelui,maisellesaitégalementqu'ellen'apasle

droitdel'être.Aprèstout,ilneluiajamaisrienpromis.—Maistoutdemême…Devraiesvacancesavecdesenfantsenbasâge,çan'existepas,déclare-t-il

enportantsonverreàseslèvres.Iln'yaqueledécorquichange.—Vraiment?—Tu n'imagines pas la quantité de trucs qu'il faut trimballer.Des landaus, des chaises hautes, des

couches…—Non,jen'aipasidée.Ils restèrent assis en silence jusqu'à l'arrivée du vin. Il lui sert un verre. Le silence s'étire, devient

envahissant,catastrophique.—Jenepeuxrienchangeraufaitquejesuismarié,Ellie,dit-ilenfin.Jesuisdésolésiçatefaitdela

peine,maisjenepeuxpasannulermesvacancessimplementparceque…—…çamerendjalouse,achève-t-elle.Elledétestecepourquoiellepasse.Ellesedétesteelle-mêmepour resterassise là,sans rienfaire,

commeuneadoquifaitlagueule.Maiselleesttoujoursentraindeprendreconsciencedesimplicationsde cesvacances à laBarbade : pendant deux semaines, elle vapasser son temps à essayer denepasl'imaginerentraindefairel'amouràsafemme.C'estàcemoment-làquejedevraispartir,sedit-elleenprenantsonverre.C'estàcemoment-làque

toutepersonnesenséerassemblecequiluirestedefierté,déclarequ'elleméritemieuxetsorttrouverunhommeprêtàpasserdutempsavecelle–etpasseulementpourquelquesdéjeunersàlava-vite.—Tuveuxtoujoursm'emmenercheztoi?Il l'observeattentivement.Touten lui semble luiprésenterdesexcuses,parfaitementconscientdece

qu'illuifaitsubir.Cethomme.Cechampdemines.—Oui,dit-elle.Ilyaunehiérarchieauseindujournal,etlesarchivistesnesetrouventpastrèsloindubas.Pastoutà

fait aussi bas que le personnel de cantine ou les agents de sécurité, mais loin en dessous deschroniqueurs, des rédacteurs et des reporters, qui constituent le visage de la publication. Ils sont le

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personnel de soutien, invisibles, sous-estimés, là pour répondre aux requêtes des employés plusimportantsqu'eux.Maispersonnenesembleavoirexpliquécesnotionsàl'hommeautee-shirtàmancheslongues.— On ne prend aucune demande aujourd'hui, déclare-t-il en désignant une affichette manuscrite

scotchéesurcequifutautrefoislecomptoir:Désolé – pas d'accès aux archives avant lundi. La plupart des requêtes peuvent être soumises en

ligne–essayezsad'abord,etappelezle3223encasd'urgence.Lorsqu'ellerelèvelesyeux,iln'estdéjàpluslà.Ellepourraits'enoffusquermaisellepensetoujoursàJohn,àsafaçondesecouerlatêteenenfilantsa

chemise,uneheureauparavant.—Waouh!avait-ilditenrajustantsatenue.Jen'avaisencorejamaisfaitl'amouravecunefemmeen

colère.—Oh,çava!avait-ellerétorqué,beaucoupplusdésinvoltequ'uneheureauparavant.Étenduesurlacouette,elleregardaitlesnuagesgrisd'octobrepasseràtraverslalucarne.—C'esttoujoursmieuxquedenepasfairel'amouravecunefemmeencolère,fit-elleremarquer.—Çam'aplu,murmura-t-ilensepenchantsurellepourl'embrasser.J'aimel'idéequetutesersdemoi.

Quejenesuisquel'objetdetonplaisir.Elle lui jetaunoreiller auvisage. Il affichaitdenouveaucetteexpression,cet air tendre, commeun

souvenirpersistantdecequivenaitdesepasserentreeux.Ilm'appartient.—Tupensesqueceseraitplusfacilesinousneprenionspasautantdeplaisirensemble?demanda-t-

elleenrepoussantlesmèchesdecheveuxquiluitombaientdevantlesyeux.—Ouietnon.Parcequesansça,tuneseraispaslà?Elleseredressa,soudainmalàl'aise.—Bon!fit-ellevivement.Ellel'embrassasurlajoue,puis,pourfairebonnemesure,surl'oreille.—Ilfautquejefileaubureau.Fermeàcléenpartant,dit-elleendisparaissantdanslasalledebains.Conscientede lastupéfactiondeJohn,elleverrouilla laportederrièreelleetouvrit le robinetd'eau

froidepourlafairecouleràgrandbruit.Elles'assitsurleborddelabaignoireet l'écoutatraverserlesalon,probablementpourretrouverseschaussures,puisentenditdesbruitsdepasdel'autrecôtédelaporte.—Ellie?Ellie?Elleneréponditpas.—Ellie,jem'envais.Elleattendit.—Onsereparleplustard,mabelle.

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Ilfrappadeuxcoupsàlaporte,puiss'enalla.Ellerestaassiselàunebonnedizainedeminutesaprèsavoirentenduclaquerlaported'entrée.L'archiviste réapparaît alors qu'elle s'apprête à partir. Il porte des boîtes de dossiers empilées en

équilibreinstableets'apprêteàouvrirlaporteenlapoussantavecsondospourdisparaîtredenouveaudanslesentraillesdubâtiment.—Toujourslà?—Vousavezmalorthographié«essayezça»,fit-elleremarquerendésignantlepanonceau.Ilyjetteunvagueregard.—Ah,lepetitpersonneln'estpluscequ'ilétait,pasvrai?rétorque-t-ilenseretournantverslaporte.—Non,nepartezpas!S'ilvousplaît!Ellesepenchesurlecomptoirenbrandissantledossierqu'illuiaconfié.—Ilfautquejevoiecertainsdevosjournauxdesannées1960.Etjevoulaisaussivousdemanderune

chose : est-ce que vous vous souvenez de l'endroit où vous avez trouvé les papiers que vousm'avezdonnés?—Vaguement.Pourquoi?—Je…Ilyavaitquelquechosededans.Unelettre.Jemedisaisqueçapourraitfaireunbonarticlesi

j'avaisdequoiétofferunpeu.Ilsecouelatête.—Jenepeuxpasfaireçamaintenant,désolé–avecledéménagement,onestdébordés.—Jevousensupplie!Ilfautquej'aierédigéquelquechosed'icilafinduweek-end.Jesaisquevous

êtestrèsoccupé,maisj'aiseulementbesoinquevousmemontriezoùchercher.Jemechargedureste.Ilalescheveuxemmêlés,etsontee-shirtàmancheslonguesestcouvertdepoussière.Cethommen'a

riend'unarchiviste–ilaplusunetêteàsurfersurlesbouquinsqu'àlesempiler.Ilpousseunprofondsoupiretlaissetombersesboîtessurlebordducomptoir.—OK.Quelgenredelettre?—Celle-ci,dit-elleensortantl'enveloppedesapoche.—Iln'yapasbeaucoupd'indications,déclare-t-ilaprèsunrapidecoupd'œil.Uneboîtepostaleetune

initiale.Ilparled'untontrèssec.Elleregrettesaremarqueausujetdesonorthographe.—Jesais.Maisjemedisaisquesivousenaviezd'autresici,jepourrais…—Jen'aipasletempsde…—Lisez-la,insiste-t-elle.Allez-y.Lisez-la…Elles'interromptense rendantcomptequ'elleneconnaîtpassonnom.Elle travaille icidepuisdeux

ans,etellenesaitmêmepascomments'appellentlesarchivistes.—Rory.—Moi,c'estEllie.

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—Jesais.Ellehausselessourcils.—Ici,onaimebienmettreunvisagesurunesignature.Et,croyez-leounon,onseparleaussientre

nous.Ilbaisselesyeuxsurlalettre.—Jesuistrèsoccupé…Etlacorrespondancepersonnelle,cen'estpasvraimentcequinousintéresse.

Jenesaismêmepascommentcelle-ciaatterriici.—Rienquedeuxminutes!insiste-t-elle.S'ilvousplaît,Rory!Il soupire, sort la lettrede l'enveloppe et la lit, enprenant tout son temps.Quand il a terminé, il la

regarde.—Osezmedirequevousn'êtespasintrigué!Ilhausselesépaules.—Vousl'êtes,dit-elleavecungrandsourire.Jesuisprêteàleparier!L'airrésigné,ilouvrelecomptoiretluifaitsignedepasser.—Vousaurezlesjournauxqu'ilvousfautsurlecomptoirdansdixminutes.J'aimistouteslesfeuilles

volantesdansdessacspourlesjeter,maisallez-y,fouillez,vouspourrezpeut-êtrereconstituerlepuzzle.Jevousdemandeseulementdenepasenparleràmonchef.Etnecomptezpassurmoipourvousaider.Voilàprèsdetroisheuresqu'elleestenbas.Elleaoubliélesjournauxdesannées1960ets'estassise

surunecaisseretournéedansuncoindusous-solpoussiéreux,remarquantàpeineleshommesquipassentàcôtéd'elleendéplaçantdesboîtesétiquetéesÉlection1967,CatastrophesferroviairesouJuin-juillet1982.Lesmainsnoirciesdepoussièreetdevieilleencre,elleépluchelecontenudessacs-poubelle,enextraitdesramesentièresdepapierpoussiéreux,distraitepardespublicitéspourdesremèdescontrelerhume, des toniques et des marques de cigarettes depuis longtemps oubliées, les mains noircies depoussière et devieille encre.Elle empile lespapiers autourd'elle enpiles chaotiques, à la recherched'unefeuillemanuscrite,depluspetitformatquelesautres.Elleestsiabsorbéeparlatâchequ'elleenoublie de regarder si elle a reçu des messages sur son portable. Elle en oublie même, l'espace d'uninstant, l'heure qu'elle a passée chez elle avec John et qui, en temps normal, aurait dû accaparer sespenséespendantplusieursjours.Au-dessusd'elle,cequirestedelasallederédactionesteneffervescence,digérantetrecrachantles

nouvelles,écrivantdesarticlesentiersavantdelesrejeterenfonctiondesdernièresmisesàjourdesfilsd'information.Dans lesilenceet lapénombredusous-sol, lecalmeest telqu'onpourraitaussibiensetrouversurunautrecontinent.Auxalentoursde17h30,Roryapparaîtavecdeuxgobeletsdethé.Illuientendun,puissoufflesurle

sienens'appuyantsurunfichiervide.—Alors,qu'est-cequetutrouves?—Rien.Destasdetoniquesrévolutionnaires,desrésultatsdematchsdecriquetàneplussavoirqu'en

faire,maispaslamoindrelettred'amour.—Leschancesétaientinfimes.

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—Jesais.Cen'étaitqu'unedeces…Elleportelegobeletàseslèvres.—Jenesaispas.Jel'ailue,etelleestrestéeimpriméeenmoi.Jevoulaissavoircequis'étaitpassé.

Ettoi,commentsepasseledéménagement?Ils'assiedàson toursurunecaisse. Ila lesmainsencrasséesdepoussière,etune tracenoiresur le

front.—Presquefini.Jen'arrivepasàcroirequemonchefaitrefusédelaisserlespross'enoccuper.Lechefarchivistetravaillaitaujournaldepuisdestempsimmémoriaux,etsacapacitéàétablirladate

exacteden'importequeljournalàpartirdelaplusvaguedescriptionétaitdevenuelégendaire.—Pourquoi?Ilsoupira.—Ilavaitpeurqu'ilsnerangentunfichieraumauvaisendroitouqu'ilsneperdentuncarton.Jen'aipas

arrêtéde luidireque,de toute façon, toutva finirnumérisé,maisvous savezcomment il est avec lescopiespapier…—Ilyacombiend'annéesdejournauxici?—Simamémoireestbonne,ilyaquatre-vingtsansdejournauxarchivésetsoixanteansdecoupures

de presse et documents associés. Et ce qui me fait le plus peur, c'est qu'il connaît l'emplacement dumoindredossier.Elliecommenceàreplacerlespapiersdansundessacs.—Jedevraispeut-êtreluiparlerdecettelettre.Quisait,ilpourraitpeut-êtremedirequil'aécrite.—Seulementsiçanetedérangepasdedevoirlarestituer.Ilnesupportepasl'idéedesedébarrasser

dequoiquecesoit.Aveclescollègues,onfaitsortirlebazarendoucedèsqu'ilrentrechezlui,sinononauraitdequoiremplirplusieursautrespiècescommecelle-ci.S'ilapprendquejet'aidonnécedossierdevieuxpapiers,ilvasûrementmevirer.Ellegrimace.—Alorsjenesauraijamais,soupire-t-elled'unairthéâtral.—Tunesaurasjamaisquoi?—Cequiestarrivéàmesamantsmaudits.Roryréfléchituninstant.—Àmonavis,elleaditnon.—Quelromantiquetufais…—Elleavaittropàperdre.Ellepenchelatêtedecôtéetleregarded'unairsongeur.—Etpuisd'ailleurs,reprend-elle,qu'est-cequiteditquelalettreétaitadresséeàunefemme?—Lesfemmesnetravaillaientpasàl'époque,si?—Lalettredatede1960.Cen'étaitplusvraimentletempsdessuffragettes.—Remontre-la-moi,dit-ilentendantlamain.Bon,admettons,elleavaitpeut-êtreuntravail.Maisil

mesemblequeçaparled'unvoyageentrain.Jepensequ'unefemmeseraitmoinssusceptibled'annoncer

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qu'ellepartprendreunnouveauposte.Ilrelitlemessageensoulignantdudoigtcertainspassages.—Tuvois,illuidemandedelesuivre.Unefemmen'auraitpasdemandéàunhommedelasuivre.Pas

àl'époque.—Tuasunevisiontrèsstéréotypéedeshommesetdesfemmes…—Non.J'aiseulementpassébeaucoupdetempsimmergédanslepassé,réplique-t-ilenembrassantla

salled'ungestecirculaire.Et,crois-moi,cen'étaitpasdutoutlemêmepays.—Mais,siçasetrouve,cettelettren'estpasdutoutadresséeàunefemme,plaisante-t-elle.Elleest

peut-êtreadresséeàunautrehomme.—Peuprobable.Ilmesemblequ'àl'époquel'homosexualitéétaitillégale.Ilyauraitdesréférencesà

unsecret.—Maisilyadesréférencesàunsecret.—Cen'estqu'unebanalehistoired'adultère.C'estévident.—Ahbon?C'estl'expériencequiparle?—Ah,ah!Paslamienne,non.Illuirendlalettreetboitunegorgéedethé.Iladelongsdoigtscarrés.Desmainsdetravailleurmanuel,pasd'archiviste,songe-t-elledistraitement.

Maisàquoisontsupposéesressemblerlesmainsd'unarchiviste?—Alorstun'asjamaiseuderelationavecunepersonnemariée?Àmoinsquetunesoismariémais

n'aiesjamaiseud'aventure?demande-t-elleenjetantuncoupd'œilfurtifàsonannulaire.—Nil'unnil'autre.Jen'aijamaiseud'aventure.Enfin,pasavecunepersonnemariée.Jen'aimepasme

compliquerlavie.Ilfaitunvaguesignedetêteendirectiondelalettre,qu'elleestentrainderangerdanssonsac.—Ceschoses-làneseterminentjamaisbien.—Quoi?Touterelationamoureusequin'estpassimpleetsanshistoireestvouéeàfinirentragédie?Elleestsurladéfensive,celas'entenddanssavoix.—Cen'estpascequej'aidit.—Si.Tupensesqu'ellearefusédelesuivre.Ilterminesonthé,écrasesongobeletetlejettedanslesac-poubelle.—Onfermedansdixminutes.Tuferaisbiend'emportercequit'intéresse.Montre-moicequetun'as

paseuletempsd'examiner,j'essaieraidelemettredecôté.Pendantqu'ellerassemblesesaffaires,ilajoute:—Etoui,pourcequevautmonavis,jepensequ'ellearefusédelesuivre…Sonexpressionestindéchiffrable.—…maispourquoiserait-ceforcémentlapireissuepossible?conclut-il.

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Jet'aimequandmême.Jet'aimeraismêmes'iln'yavaitpasdemoi,pasd'amouroupasdevie–je

t'aime.ZeldaàScottFitzgerald,parlettre

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Chapitre17

ELLIEHAWORTHVITUNRÊVE.ELLESELERÉPÈTESOUVENTAURÉVEIL,SURTOUTLELENDEMAIND'UNECUITE

au vin blanc, quand elle commence à déprimer dans son parfait petit appartement que personne nedérange en son absence. (Elle a secrètement envie d'un chat, mais elle a peur de devenir un clichéambulant.)Sesarticlesdefondsontpubliésdansunjournalnational,elleadescheveuxfacilesàcoiffer,des courbes juste là où il faut et est assez jolie pour attirer l'attention des hommes et s'en prétendreoffensée.Elle a la langue bien aiguisée – trop, à en croire samère –, l'esprit vif, plusieurs cartes decréditetunepetitevoiturequ'elleparvientàréparersansaidemasculine.Lorsqu'elletombesurd'ancienscamaradesd'école,ellepeutlireunecertaineenviedansleurregard:ellen'apasencoreatteintl'âgeoùl'absenced'unmarietd'enfantscommenceàêtrevuecommeundéfaut.Quandellerencontreunhomme,ellelevoitcochermentalementlalistedesesqualités–superboulot,jolisnibards,sensdel'humour–commesielleétaituntrophée.Etmêmesi,depuispeu,elleserendcomptequelerêvecommenceàs'effondrer,queletranchantpour

lequel elle était réputée au bureau s'est émoussé depuis l'entrée en scène de John, que leur relationautrefois stimulante s'est mise à la consumer d'une manière peu enviable, elle a choisi de ne pas yregarderdetropprès.C'estfacilequandonestentourédegensquinousressemblent,dejournalistesetd'écrivains qui boivent beaucoup, font la fête, ont des aventures désastreuses et des partenairesmalheureuxàlamaisonqui,fatiguésdeleurnégligence,irontfatalementvoirailleurs.Ellefaitpartiedeleur groupe, de leur cohorte, vivant la vie des pages glacées des magazines, une vie qu'elle avaitrecherchéedès l'instant où elle avait su qu'elle voulait écrire.Elle a du succès, elle est célibataire etégoïste.EllieHaworthestaussiheureusequ'ellepeutl'être–quequiconquepourraitl'être,étantdonnélescirconstances.Après tout, on ne peut pas tout avoir, se dit Ellie quand, parfois, elle se réveille en tentant de se

rappelerlerêvequ'elleestcenséevivre.—Joyeuxanniversaire,vieillebique!CorinneetNicky,quil'attendaientdanslecafé,luifontdegrandssignesentapotantunechaisetandis

qu'elleserueàl'intérieur,sonsacvolantderrièreelle.—Viens,viens!Tuessuperenretard!Onestcenséesêtreauboulot,là!—Désolée.J'aiétéunpeuretenue.Elleséchangentunregard,etellecomprendqu'elleslasoupçonnentd'avoirpassédutempsavecJohn.

Ellepréfèrenepas leur avouerque, en réalité, elle attendait le facteur.Elle voulait voir s'il lui avaitenvoyéquelquechose.Maintenant,ellesesentbêted'avoirprisvingtminutesderetardpourretrouversesamies.—Alors,qu'est-cequeçafaitd'êtreaussivieille?Nickys'estcoupélescheveux.Ilssonttoujoursblonds,maiscourtsetébouriffés.Elleal'aird'unange.—Jet'aiprisunlattesanssucre.J'imaginequ'àpartirdemaintenant,tuvasdevoirsurveillertaligne.

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—Oh,çava!Trente-deuxans,c'estlebelâge.Enfin,c'estcequejemerépète.—Jen'aipashâted'yarriver,ditCorinne.Quelquepart,àtrenteetunans,onatoutjustepassétrente

ans;techniquement,onestpresqueencoredanslavingtaine.Maistrente-deux,çam'al'airhorriblementprochedetrente-cinq.—Et trente-cinq n'est qu'à un pas de quarante…, surenchéritNicky en vérifiant sa coiffure dans le

miroirderrièrelabanquette.—Joyeuxanniversaireàvousaussi,railleEllie.—Mais tu sais qu'on t'aimera toujours,même quand tu seras vieille et seule, avec tes rides et tes

grossesculottescouleurchair!Sesamiesdéposentdeuxsacssurlatable.—Voilàtescadeaux.Mais,jetepréviens,ilsnesontpaséchangeables.Ellesontfaitdeschoixparfaits,commeseulessaventlefairedevieillesamies.Corinneluiaacheté

deschaussettesdecachemiregriscolombe,sidoucesqu'Ellieadumalàrésisteràl'enviedelesenfilersurplace.Nicky,quantàelle,luioffreunbonpourunsoindansunsalondebeautéauxtarifsprohibitifs.—C'estpourunmasqueanti-âge,dit-elled'unairtaquin.C'étaitçaouleBotox.—Etonsaitcommetuaspeurdespiqûres.Ellie se sent soudain débordante d'amour et de gratitude envers ses amies. Nombreuses ont été les

soiréesoùchacuneaavouéconsidérerlesdeuxautrescommesanouvellefamilleetaconfiésapeurdelesvoirtrouverchaussureàleurpiedenpremier,lalaissantseulecélibataire.Nickyaunnouveaucopainqui,unefoisn'estpascoutume,sembleprometteur:ilestsolvable,sympathique,etselaissejusteassezdésirerpournepasperdretoutintérêtàsesyeux–elleapassédixansàfuircommelapesteleshommesquisemontraienttropprévenants.Corinne,quantàelle,vientdesortird'unerelationd'unan.Ilétaittrèsgentil,expliquait-elle,mais ilsétaientdevenuscommefrèresetsœurs,«et jepensaisqueçan'arrivaitqu'auxcouplesmariésavecenfants».Ellesneparlentjamaissérieusementdeleurpeurd'avoirratéletrainqueleursmèresetleurstantesne

manquentjamaisuneoccasiondeleurrappeler.Ellesévitentdepenserquelaplupartdeshommesdeleurentouragesontencoupleavecdesfemmesquiontcinqàdixansdemoinsqu'elles.Ellesrientbeaucoupdelavieillesse.Ellescollectionnentlesamisgaysquileurpromettentdeleurfairedesenfantssi,«dansdixans»,ilssontencoretousdeuxcélibataires–cequenil'unnil'autrenecroitpossible.—Qu'est-cequ'ilt'aoffert?—Quiça?demandeinnocemmentEllie.—MonsieurLivredePoche.Àmoinsquesoncadeaunesoitlaraisonquit'afaitarriverenretard?—ElleadéjàreçusapiqûredeBotox,glousseCorinne.—Vousêtesdégueulasses.Elleavaleunegorgéedecafétiède.—Je…jenel'aipasencorevu.—Maisilt'invitequandmêmequelquepart?demandeNicky.—Jesuppose.Elleestsoudainfurieusecontresesamies,parcequ'elleslaregardentd'unairapitoyéetparcequ'elles

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ontdéjà toutcompris.Elleest furieusecontreelle-mêmepouravoiromisdeprépareruneexcusepourJohn.Elleluienveutd'avoirbesoind'uneexcuse.—Est-cequ'ilt'aappeléeaumoins?—Non.Maisiln'estque8h30…Ohmerde,j'aiuneréunionderédactionà10heuresetjen'aipasune

seulebonneidée!—Oh,qu'ilaillesefairevoir!lanceNickyensepenchantsurellepourlaserrerdanssesbras.Onva

t'offrir unpetit gâteaud'anniversaire, pasvrai,Corinne ?Nebougepas, je vais te chercherunde cesmuffinsavecduglaçage.Onvasefaireunpetitgoûterd'anniversaireenavance.C'estalorsqu'elleentendlasonnerieétoufféedesonportable.Ellel'ouvred'ungeste.Joyeuxanniversaire,mabelle.Lecadeauarriveplustard.Bisou.—C'estlui?demandeCorinne.—Oui,dit-elledansungrandsourire.Moncadeauvaarriverplustard.—Commelui,grogneNickyenrevenantàlatableaveclemuffin.Ilt'emmèneoù?—Euh…ilnel'apasprécisé.—Faisvoir,intervientNickyenattrapantleportable.Qu'est-cequec'estcensévouloirdire?—Nicky…,commenceCorinneavecunenuanced'avertissementdanslavoix.—«Lecadeauarriveplustard.Bisou.»C'estsacrémentvague,tunetrouvespas?—C'estsonanniversaire.—Exactement.Etc'estpourçaqu'onnedevraitpasavoiràdéchiffrer lesmessagesmerdiquesd'un

connard.Ellie–chérie–qu'est-cequetufousaveclui?Ellieestpétrifiée.Nickyvientdebriserl'accordtaciteselonlequelilnefautjamaisdiredemald'un

petitami,peuimporteàquelpointunerelationeststupide.Lesamiesdoiventsesoutenir.Ellesdoiventexprimersubtilement leur inquiétude.Ellesnedoiventpasdiredes trucsdugenre :«Qu'est-ceque tufousaveclui?»—Çava,dit-elle.Vraiment.Nickyladévisage.—Ellie, tu as trente-deux ans.Tu es dans une relation – une relation amoureuse – avec cet homme

depuispresqueunan,ettoutcequ'ilt'envoiepourtonanniversaire,c'estunminablepetittextoquisous-entendpeut-être quevous allez coucher ensemble àunedate indéterminée.Lesmaîtressesne sont pascenséesrecevoirdelalingeriehorsdeprix?Unweek-endàParisdetempsentemps?Corinnefaitlagrimace.—Jesuisdésolée,Corinne,mais,pourunefois,j'aienviededirelavérité.Ellie,chérie,entrenous,

c'estàlavieàlamort.Mais,franchement,qu'est-cequecetterelationt'apporte?Elliebaisselesyeuxdanssoncafé.Toutleplaisirdesonanniversaireestentraindes'évanouir.—Jel'aime,dit-ellesimplement.—Etlui,ilt'aime?

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ElliesentmonterenelleunebrusquevaguedehaineenversNicky.—Est-cequ'ilsaitquetul'aimes?Est-cequetuescapabledeleluidire?Ellelèvelesyeux.—Jen'airienàajouter,ditNicky.Autourd'elles,lecaféestdevenutrèssilencieux.Maispeut-êtren'est-cequ'uneimpression.Ellieremuesursachaise.CorinnefusilletoujoursNickyduregard.Celle-cihausselesépaulesettendàElliesonmuffin.—Bref.Joyeuxanniversaire,hein?Quelqu'unveutunautrecafé?Arrivéeà sonbureau,Ellie seglissedevant sonordinateur.Pasdenote laprévenantquedes fleurs

l'attendent à la réception, pas de chocolat ni de champagne. Il y a dix-huit mails dans sa boîte, sanscompterlesspams.Samère–quis'estachetéunordinateurilyaunanetponctuechacunedesesphrasespar un point d'exclamation – lui a écrit un message pour lui souhaiter un joyeux anniversaire ! etl'informerquelechienvabiendepuisqu'onluiaremislahancheenplace!etquel'opérationacoûtépluscherquecelledegrand-mèreHaworth!!!Unsecrétaire luiaadresséunmémopour lui rappelerl'heure de la réunion du matin, et Rory, l'archiviste, lui a envoyé un message pour lui demander dedescendreausous-soldanslajournée,maispasavant16heures;avant,ilsseraientaunouveaubâtiment.Rien de la part de John. Un peu dépitée, elle grimace en voyantMelissa traverser à grands pas lesbureaux,suiviedeprèsparRupert.Ellevaavoirdesproblèmes,comprend-elleenfouillantdanslespapiersquiencombrentsonbureau.

Elles'esttellementlaisséabsorberparcettelettrequ'ellen'apresquerienàprésenterpourl'éditionde1960,etsurtoutpasunseuldesexemplescontrastésqu'ademandésMelissa.Ellesemauditd'êtrerestéesilongtempsaucafé,sepasselamaindanslescheveux,attrapeledossierleplusproche–poursauverlesapparences–etfileàlaréunion.—Bon!Lespagessantésontàpeuprèsbouclées,n'est-cepas?Oùenestcesujetsurl'arthrite?Je

voulais un encadré sur les remèdes alternatifs. Personne ne connaît une célébrité qui souffriraitd'arthrite?Çamettraitunpeudeviedanslesillustrations,ellessontassommantes.Elliejouenerveusementavecsespapiers.Ilestpresque11heures.Qu'est-cequeçaluiauraitcoûtéde

luienvoyerdesfleurs?S'ilavaittellementpeurqueçanesevoiesurlerelevédesacartedecrédit,iln'avaitqu'àpayerlefleuristeenliquide;ill'avaitdéjàfait.Ses sentiments pour elle refroidissent peut-être. Le voyage à la Barbade est sûrement un moyen

d'essayerde renoueravecsa femme.Luiparlerdesesvacances,cedoitêtreunemanière lâchede luifairecomprendrequ'elleamoinsd'importancequ'avant.Ellefaitdéfilerlesmessagessauvegardésdanssonportable,tentantdedétecterunrefroidissementnotabledanssescommunications.Joliarticlesurlesvétéransdeguerre.Bisou.Librepourledéjeuner?Jeserailàvers12h30.J.

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Tuesplusqueça.Peuxpasteparlercesoir.T'enverraiunmessageauréveil.Bisou.Impossiblededéceler lemoindrechangementde tonavecsipeudematière.Elliepousseunsoupir,

découragéeparsesproprespenséesetpar lescommentaires tropfrancsdesonamie.Qu'est-cequ'ellefoutaveclui?Elleneluidemandepasgrand-chose.Pourquoi?Parcequ'elleapeur,sielleendemandeplus,qu'ilnesesenteacculéetquetoutnesebriseautourd'eux.Elleatoujourssuàquois'entenir.Ellenepeutpasprétendreavoirétémenéeenbateau.Maiscombiendemiettespeut-elleespérergrappiller?C'estunechosede savoirqu'onest aimépassionnément etque seules les circonstancesvous séparent.Maisquandiln'yamêmepasçapourfairevoguerlenavire…—Ellie?—Hum?Ellelèvelatêteetvoitdixpairesd'yeuxposéessurelle.—Tuallaisnousfairepartdetesidéespourl'éditiondelundiprochain,ditMelissa,leregardaussi

videqueperçant.Lespages«hieretaujourd'hui».—Oui,marmonne-t-elleensepenchantsurledossierposésursesgenouxpourdissimulersarougeur.

Oui…Ehbien,jemesuisditquecepourraitêtreamusantdepréleverdirectementlesvieillesrubriques.Ilyavaitdéjàuncourrierducœuràl'époque,donconpourraitcompareretmettreencontrastehieretaujourd'hui.—Oui,ditMelissa.C'estcequejet'aidemandédefairelasemainedernière.Tudevaismeprésenter

lerésultatdetesrecherches.— Oh. Oui, pardon. Les pages sont toujours aux archives. Avec le déménagement, les archivistes

deviennentunpeuparanos,ilsveulentêtresûrsdesavoiroùsetrouventlesdocuments,bégaie-t-elle.—Pourquoinepasavoirfaitdephotocopies?—Je…—Ellie,tuprendsduretard.Tuauraisdûbouclerçadepuislontemps.LavoixdeMelissaestglaciale.Lesautresrédacteursbaissentlatête,nevoulantpasêtretémoinsde

l'inévitabledécapitation.—Tuveuxsansdoutequejeconfielatâcheàquelqu'und'autre?Unestagiaire,peut-être?Ellesait,seditEllie,quedepuisdesmois,cetravailn'estqu'uneombresurleradardemajournée.

Elle sait que j'ai l'esprit ailleurs – dans le lit aux draps froissés d'une chambre d'hôtel, dans unepensiondefamillecachéeàlacampagne,menantuneconversationparallèleavecunhommequin'estpaslà.Rienn'existeendehorsdelui,etellealutoutçasurmonvisage.Melissalèvelesyeuxauciel.Ellieserendcompte,dansunéclairdelucidité,delaprécaritédesasituation.—Je,euh…j'aimieuxàproposer,dit-ellesoudain.Jemesuisditqueçateplairaitdavantage.Elletendàsachefl'enveloppequi,parchance,étaitnichéeaumilieudesespapiers.—J'aiessayédetrouverquelquespistesàcesujet.Melissalitlacourtelettreetfroncelessourcils.—Est-cequ'onsaitquil'aécrite?

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—Pasencore,maisj'ytravaille.Jepensequeçaferaitunsuperarticlesijepouvaisdécouvrircequileurestarrivé.S'ilsontfiniensemble.Melissahochelatête.—Oui.Çam'atoutl'aird'unehistoired'adultère.Scandaledanslesannées1960,hein?Onpourrait

s'en servir comme prétexte pour parler de l'évolution des mentalités. Est-ce que tu penses bientôtretrouvercesgens?—Jetâteleterrain.—Découvrecequis'estpassé.S'ilsontétéostracisés.—S'ilssonttoujoursmariés,c'estpossiblequ'ilsneveuillentpasdepublicité,faitremarquerRupert.

Àl'époque,cegenred'histoireétaitbienplusgravequ'aujourd'hui.—Offre-leur l'anonymats'il le faut,ditMelissa,mais,dans l'idéal, j'aimeraisavoirdesphotos–au

moinsdatantdelamêmepériodequelalettre.Çadevraitlesrendreplusdifficilementidentifiables.—Jenelesaipasencoretrouvés,préciseEllie,quisentquecen'estpasunebonneidée.—Maistuvaslestrouver.Sibesoin,prendsundecesnouveauxjournalistespourt'aider.Ilssontdoués

pourmenerl'enquête.Et,oui,jeveuxçapourlasemaineprochaine.Maisd'abordtrouve-moicespagesdecourrierdeslecteurs.Jeveuxdesexemplesàdisposersurunedoublepage,etjelesveuxpourlafindelajournée.OK?Onserevoitdemain,mêmeheure.Elle s'éloignedéjàvers laporteàgrandesenjambées, sescheveuxparfaitementcoiffés rebondissant

souplementsursesépaulesàlafaçond'unepubpourunshampooing.—Maisvoilàlachampionned'orthographe!Elle le retrouveassisà lacafétéria. Il retire sesécouteursquandelle s'installeen facede lui. Il est

plongédanslalectured'unguidedel'Amériquelatine.Uneassiettevideposéedevantluil'informequ'iladéjàmangé.—Rory,jesuisdanslamerde.—Tuasécrit«anticonstitutionnellement»avecquatre«l»?—J'ai laissémaboucheparler touteseuledevantMelissaBuckingham,etmaintenant jedoisétoffer

l'histoired'amourdusièclepoursarubrique.—Tuluiasparlédelalettre?—J'aiétépriseaudépourvu,ilfallaitbienquejesortequelquechose.Lafaçonqu'elleavaitdeme

regarder…J'aicruquej'allaisêtretransféréeauxavisdedécès.—Ehbien,çaprometd'êtreintéressant.— Je sais. Et avant ça, je dois lire tout le courrier des lecteurs des années 1960 et trouver leur

équivalentmoralaujourd'hui.—C'estsimple,non?—Oui,maisçaprenddutempsetj'aidestasd'autreschosesàfaire,mêmesansdevoirdécouvrirce

quiestarrivéànosmystérieuxamants.Jesupposequetunepeuxrienpourmoi?ajoute-t-elleavecunsourirepleind'espoir.—Désolé.Moiaussi,jesuisdébordé.Maisjetesortirailesjournauxde1960enredescendant.

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—C'esttonboulot,proteste-t-elle.Ilsourit.—Ouaip.Etécrireetfairedesrecherches,c'estletien.—C'estmonanniversaire.—Alorsbonanniversaire!—Oh,commetuescharitable!—Ettoi,tuestrophabituéeàobtenirtoutcequetuveux.Illuisourit,etelleleregarderamassersonlivreetsonlecteurMP3.Puisillasalueets'éloigneversla

porte.Tun'imaginespasàquelpointtutetrompes,songe-t-ellealorsquelebattantserefermederrièrelui.J'ai25ansetunassezbontravail,maispasassezbienpayépouravoirtoutcequejeveux–une

maison,unevoitureetunefemme.—Mais bien sûr, on s'en achète une avec la maison et la voiture, murmure Ellie devant la page

défraîchie.Oupourquoipasaprèslelave-linge?Ildevraitpeut-êtrerevoirsespriorités.J'ai constaté que beaucoup de mes amis se sont mariés et que leur niveau de vie a chuté

considérablement.Jesorsassezrégulièrementavecunefilledepuistroisans,etj'aimeraisbeaucoupl'épouser.Jeluiaidemandédepatienterencoretroisansavantqu'onpuissesemarieretprofiterd'unmeilleurconfort,maisellerefusedem'attendreaussilongtemps.—Troisans!s'exclameEllie.Jenelablâmepas.Tuneluidonnespasvraimentl'impressiond'êtrele

grandamourdetavie,tunecroispas?Soit on semarie cette année, soit elle refuse dem'épouser. Je trouve son attitude déraisonnable,

puisqu'elle sait pertinemment qu'elle aurait un niveau de vie plutôt bas. Pensez-vous qu'il y aitd'autresargumentsquejepourraisajouteràceuxquejeluiaidéjàprésentés?—Non, marmonne-t-elle en glissant une autre vieille page de papier journal sous le couvercle du

photocopieur.Jecroisquetuasététrèsclair.Elleretourneàsonbureau,s'assiedetressortdesondossierlalettrefroissée.Moncheretuniqueamour…Situnevienspas,jesauraique,quoiquenousressentionsl'unpour

l'autre, ce n'était pas assez fort. Je ne t'en blâmerai pas, mon amour. Je sais que ces dernièressemainesontfaitpeserbeaucoupdepressionsurtesépaules–jelaressensmoi-même.Jenesupportepasl'idéed'avoirputecauserdelapeine.

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Ellerelitlesmots,encoreetencore.Mêmeaprèstantd'années,leurpassion,leurforceétaienttoujours

palpables. Pourquoi devoir subir le suffisant « elle sait pertinemment qu'elle aurait un niveau de vieplutôtbas»quandonpeutavoirun«sachequetutiensmoncœuretmesespoirsentretesmains»?Elleespèrequelapetiteamiedupremiercorrespondantaeulabonneidéedes'échapper.Ellievérifieàtouthasardqu'ellen'apasreçuunnouveaumailouuntexto.Elleatrente-deuxans.Elle

aimeunhommemarié.Sesamisontcommencéàsuggérerquecettesituationétaitridiculeetqu'elleétaitridicule,elleaussi,parlamêmeoccasion.Ellelesdétesteparcequ'ellesaitqu'ilsontraison.Ellemâchouilleleboutd'uncrayon,prendlaphotocopieducourrierdeslecteursetlarepose.Puiselleouvreunnouveaumessagedanssaboîtemailet,avantdepouvoirtropyréfléchir,elletape:Leseulcadeauquejeveuxvraimentpourmonanniversaire,c'estdesavoirquejecomptepourtoi.J'ai

besoinqu'onaituneconversationhonnêteetdepouvoirtedirecequejeressens.J'aibesoindesavoirsionaunavenirensemble.Elleajoute:Je t'aime, John. Je t'aimeplusque j'ai jamais aimépersonnede toutemavie, et ça commence àme

rendredingue.Ellea les larmesauxyeux.Elleapproche lepointeurde la sourisde«Envoyer».Lapiècesemble

rétrécirautourd'elle.EllenevoitplusniCaroline,larédactricesanté,quiparleautéléphoneàquelquesmètres à peine, ni le nettoyeur de vitres dans sa nacelle vacillante de l'autre côté de la fenêtre, ni lerédacteurdesactualitésquisedisputeavecundesesreportersquelquepartàl'autreboutdelasalle,niladalledemoquettemanquanteàsespieds.Ellenevoitplusquelecurseur,sesmots,sonavenirmisànusurl'écrandevantelle.Jet'aimeplusquej'aijamaisaimépersonnedetoutemavie.Sijefaisçamaintenant,sedit-elle,ladécisionseraprisepourmoi.Ceseramafaçondeprendrele

contrôle.Etsijen'obtienspaslaréponsequejeveux,aumoins,ceseraclair.Sonindexestcrispésurleboutondelasouris.Et jene toucherai jamaispluscevisage,n'embrasserai jamaisplusces lèvres,ne sentirai jamais

pluscesmainssurmoncorps.Jenel'entendraijamaisplusdire«EllieHaworth»commesilesmotseux-mêmesétaientprécieux.Letéléphonedesonbureausemetàsonner.Ellesursauteetregardel'appareild'unairabsent,commesielleavaitoubliéoùellesetrouvait,puis

s'essuielesyeuxdudosdelamain.Elleseredresseetdécrochelecombiné.—Allô?

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—Eh,lafilledontc'est l'anniversaire,ditRory.Descendsauxcachotsàl'heuredelafermeture.J'aipeut-être quelque chose pour toi. Et apporte-moi un café, tant qu'à faire. Pour mes bons et loyauxservices.Ellereposelecombiné,retourneàsonordinateuretcliquesur«Annuler».—Alors, qu'est-ce que tu as trouvé ? demande-t-elle en lui tendant une tasse de café par-dessus le

comptoir.Ilestcouvertdepoussière,etelleadumalàs'empêcherdeluipasserlamaindanslescheveuxpour

l'endébarrasser,commeavecunenfant.Maisill'adéjàtrouvéecondescendanteaumoinsunefois,etellenevoudraitpasrisquerdel'offenserencore.—Tuasapportédusucre?—Non.Jenepensaispasquetuenprenais.—Jen'enprendspas.Écoute,poursuit-il àvoixbasseensepenchant sur lecomptoir.Lechef rôde

danslesparages.Jedoisresterdiscret.Tufinisàquelleheure?—N'importequand.J'aipresquebouclécequej'avaisàfaire.Ilsepasselamaindanslescheveux.Lapoussièreformeunnuageautourdelui.—J'ail'impressiond'êtreunpersonnagedeSnoopy.Lequelc'était,déjà?Ellesecouelatête.—Pigpen!sesouvient-il.Celuiquia toujoursde lapoussièrequivoleautourde lui…Ondéplace

toute la journée des caisses qui n'ont pas bougé depuis des décennies. J'ai dumal à croire qu'on aitvraimentbesoindescomptes rendusparlementairesde1932,quoique le chef endise.Bref.LeBlackHorse?Dansunedemi-heure?—Lebar?—Oui.—C'estquej'aipeut-êtreprévuquelquechose…Ellevoudraitbienluidemander:«Tunepeuxpassimplementmedonnercequetuastrouvé?»Mais

elleserendcompteàquelpointcelasembleraitingrat.—Onn'enauraitquepourdixminutes.Detoutefaçon,jedoisretrouverdesamisaprès.Maisçanefait

rien.Çapeutattendredemain,situpréfères.Elle pense à son téléphone, muet et accusateur, dans sa poche arrière. Quelle serait l'alternative ?

CouriràlamaisonetattendreuncoupdefildeJohn?Uneautresoiréepasséeassisedevantlatéléensachantquelemondetournequelquepartsanselle?—Oh,etpuispourquoipas?Unpetitverrenemeferapasdemal.—Jet'offriraiundemi-panaché.Soyonsfous!—Unpanaché!Waouh!Bon,jeteretrouvelà-bas.Illuidécocheungrandsourire.—Jeserail'hommeavecundossiermarqué«Topsecret».—Ahoui?Moi,jeserailafemmecriant:«Offre-moiuneboissondignedecenom,rapiat!C'estmon

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anniversaire.»—Pasd'œilletrougeàlaboutonnière?Justepourquejepuisset'identifier?—Pasdesignedereconnaissance.Commeça,c'estplusfacilepourmoideprendrelafuitesijen'aime

pascequejevois.Ilhochelatêted'unairapprobateur.—C'estraisonnable.—Etjen'aipasdroitàunindicesurcequetuastrouvé?—Sijeteledisais,ceneseraitpasunevraiesurprised'anniversaire!Surcesmots,ilpasseuneporteets'enretournedanslesentraillesdujournal.Les toilettesdes femmes sontvides.Elle se lave lesmains, remarquantquedepuisque les joursdu

bâtimentsontcomptés,lacompagnieneprendpluslapeinederemplirlesdistributeursdesavonoudetampons.La semaine prochaine, chacun devra venir au bureau avec son petit rouleau de papier toilette,

soupçonne-t-elle.Ellejetteuncoupd'œilàsonreflet,seremetunpeudemascaraetestompelespochesqu'elleasous

lesyeux.Ellesemetdurougeàlèvres,puisl'enlève.Elleal'airfatiguée,maiselleseditquelalumièreestcrueetqu'ilnes'agitpasdel'inévitableconséquenced'avoirunandeplus.Puiselles'assiedàcôtédulavabo,sortsonportabledesonsacettapeunmessage:Justepoursavoir…“Àplustard”,çaveutdirecesoir?J'essaiedem'organiser.E.Trèsbien:çaneluidonnepasl'aircollante,nipossessive,nimêmedésespérée.Çasous-entendqu'elle

estunefemmeoccupée,avecbeaucoupdepropositionsetdechosesàfaire,toutenimpliquantqu'ellelefera passer en priorité si nécessaire. Elle tripote son téléphone pendant encore cinq bonnes minutes,s'assurantqueletonestparfaitementadéquat,puisenvoiesontexto.Laréponsearrivepresqueinstantanément.Soncœurfaitunbond,commetoujoursquandellesaitque

c'estlui.Difficileàdirepourlemoment.Jet'appelleplustardsijepensepouvoirvenir.J.Uneragesoudainel'envahit.C'esttout?Elleaenviedeluihurlerdessus.C'estmonanniversaire,etle

mieuxquetupuissesfaire,c'est«Jet'appelleplustardsijepensepouvoirvenir»?Ellerépondenappuyantrageusementsurlespetitestouches:Pasdeproblème,Jevaissortirdemoncôté.

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Et,pourlapremièrefoisdepuisdesmois,EllieHaworthéteintsontéléphoneetlerangedanssonsac.Ellepasseplusdetempsqueprévuàtravaillersurl'articleducourrierdeslecteurs,rédigel'interview

d'une femme dont l'enfant souffre d'une forme d'arthrite juvénile et, lorsque enfin elle arrive auBlackHorse, Rory est déjà là. Elle l'aperçoit à l'autre bout de la salle, les cheveux débarrassés de leurpoussière,etsefraieunpassageàtraverslafoule,s'excusantpourlesespacesmalnégociés,déjàprêteàluidire«Désolée,jesuisenretard»,quandelleserendcomptequ'iln'estpasseul.Elleneconnaîtpaslesgensattablésaveclui:ilsnesontpasdujournal.Ilsetientaumilieudugroupe,riantetdiscutant.Levoirainsi,horscontexte,ladésarçonne.Ellesedétournepourrassemblersesesprits.—Eh!Ellie!Ellesecomposeunsourireetseretourne.Illèvelamain.—Jenet'attendaisplus.—J'aiétéretenue.Désolée.Ellerejointlegroupeetsaluelatablée.—Laisse-moit'inviterpourtonanniversaire.Qu'est-cequiteferaitplaisir?Elleaccepte la rafalede« joyeuxanniversaire»de tousces inconnusetéchangeaveceuxquelques

souriresembarrassés,regrettantd'êtrevenue.Raconterdesbanalitésàdesinconnusnefaisaitpaspartiedumarché.Ellehésiteàrepartir,maisRoryestdéjàaubarpourluicommandersaboisson.—Vinblanc,dit-ilenrevenantavecunverre.J'auraisbienprisduchampagne,mais…—Maisj'aitropl'habituded'obtenircequejeveux.Iléclatederire.—Touché.—Merciquandmême.Illaprésenteàsesamis,débitantunesériedeprénomsqu'elleoublieavantmêmequ'ilaitterminé.—Donc…,dit-elle.—Passonsànosaffaires.Excusez-nousuninstant!Ilss'isolentdansuncoinmoinsfréquentéetmoinsbruyant.Commeiln'yaqu'unseulsiègeàleurtable,

illuifaitsignedes'yinstallerets'assiedsursestalonsàcôté.IlouvresonsacàdosetensortundossiermarquéAmiante/étudedecas:symptômes.—Etçam'intéresseparceque…—Patience,rétorque-t-ilenluitendantledossier.J'airéfléchiàlalettrequ'onatrouvéeladernière

fois. Elle était aumilieu d'un tas de papiers sur l'amiante, c'est bien ça ? Eh bien, il y a des tas dedossierssurl'amianteenbas,principalementsurlesactionsenjusticedecesdernièresannées,maisj'aidécidédecreuserunpeuplusloinetj'aitrouvédesdocumentsbienplusanciens,datantàpeuprèsdelamême période que ceux que je t'ai donnés la dernière fois. Je pense qu'ils ont dû être séparés de cepremierdossier,dit-ilenfeuilletantlespagesdesesdoigtsexperts.Et,ajoute-t-ilensortantunechemiseplastifiée,j'aitrouvéça.Lecœurd'Ellies'arrête.Deuxenveloppes.Lamêmeécriture.Lamêmeadresse,uneboîtepostaledu

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bureaudepostedeLangleyStreet.—Tulesaslues?Ilsourit.—J'ail'airdesavoirrésisteràlatentation?Biensûrquejelesailues.—Jepeux?—Vas-y.Lapremièreindiquepourtoutedate«vendredi».Je comprends ta peur d'être mal comprise, mais je t'assure qu'elle est infondée. Oui, j'ai été un

imbécileChezAlberto,etjenepourraijamaisrepensersansrougiràcequejet'aidit,maiscenesontpas tes mots qui ont provoqué ma colère. C'est leur absence. Ne vois-tu pas, Jenny, que je suiscondamnéànevoirque lemeilleurdans toutceque tu fais, toutceque tudis?Mais lecœurd'unhomme, tout comme lanature,ahorreurduvide.Puisquenous sommes sipeu sûrsdecequenotrerelationimpliquevraimentetquenousnepouvonsparlerdelàoùellevanousmener,toutcequ'ilmereste,hommeidiotetfaiblequejesuis,c'estdepouvoirmerassurersurcequ'ellepeutsignifier.J'aiseulementbesoindet'entendredirequ'ellesignifiepourtoilamêmechosequepourmoi:enunmot,tout.Sicesmotst'effraienttoujoursautant,jet'offreuneoptionplussimple.Réponds-moisimplement,en

unmot:oui.Lasecondelettreestdatéemaisnecomportepasdesalutation.L'écriture,bienquereconnaissable,est

griffonnée,commesil'auteurdelalettrel'avaitécriteàlava-vite,sansavoirprisletempsd'yréfléchir.Jemesuisjurédeneplustecontacter.Maissixsemainesontpassé,etjenemesenspasmieux.Être

loin de toi – à des milliers de kilomètres – ne m'apporte aucun réconfort. Le fait de ne plus êtretourmentépartaproximité,placédevantlapreuvequotidiennedemonincapacitéàobtenirlaseulechosequejeveuxvraiment,nem'apasaidéàcicatriser.Çan'afaitqu'empirerleschoses.Monavenirs'étenddevantmoicommeuneroutedéserteetsombre.Jenesaispasceque j'essaiede tedire,Jennychérie.Maissi tuasneserait-ceque l'impression

fugaced'avoirprislamauvaisedécision,sachequemaporteesttoujoursgrandeouverte.Et si tupensesavoir fait lebonchoix, sacheaumoinsqu'il ya, quelquepart dans lemonde,un

hommequit'aimeetquicomprendàquelpointtuesprécieuse,intelligenteetdouce.Unhommequit'atoujoursaiméeetqui,poursonplusgrandmalheur,t'aimeratoujours.

TonB.—«Jenny»,dit-il.Ellienerépondpas.—Ellen'estpasvenue,ajoute-t-il.—Ouaip.Tuavaisraison.

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Ilouvrelabouchepourparler,maisquelquechosedanssonexpressionlefaitpeut-êtrechangerd'avis.—Jenesaispaspourquoi,soupire-t-elleenfin,maisçamerendunpeutriste.—Aumoins,tuastaréponse.Etunindicepourlaretrouver,situveuxvraimentécrirecetarticle.—«Jenny»,dit-elled'unairsongeur.C'estunpeumaigre,commeindice.—Maisc'estladeuxièmelettrequ'ontrouveaumilieudedossierssurl'amiante,doncelleyestpeut-

êtreliée.Çapourraitvaloirlecoupdeparcourirattentivementlesdeuxdossiers.Justepourvoirs'ilyaautrechose.—Tuasraison.Elleprendledossier,replacesoigneusementlalettredanslapochetteplastiqueetglisseletoutdans

sonsac.—Merci,dit-elle.Vraiment.Jesaisquetuestrèsoccupéencemoment,etj'apprécietonaide.Il l'observe longuement, un peu à la façon d'un étudiant qui scanne un document à la recherche

d'informations. Lorsque John la regarde, songe-t-elle, c'est toujours avec l'air de vouloir tendrements'excuserpourcequ'ilssontdevenus.—Tuasvraimentl'airtriste.—Oh… J'espérais juste un happy end, soupire-t-elle avec un sourire forcé. Quand tu as dit avoir

trouvéquelquechose,jem'attendaisàunepreuvequetouts'estbienterminé.—Ilnefautpasquetuprennescettehistoiretropàcœur,dit-ilenluiserrantlebras.—Oh,cen'estpasimportant,vraiment,réplique-t-ellebrusquement,maisçaauraitmieuxservilesujet

sionavaitputerminersurunenotepositive.Sicettehistoiren'apasunefinheureuse,Melissapourraitmêmerefuserquej'écrivel'article.Ellerepousseunemèchedecheveuxtombéedevantsonvisage.—Tu sais comment c'est…, poursuit-elle. « Il faut que ce soit optimiste…Les lecteurs lisent déjà

assezdemisèredanslespagesd'actualité.»—J'ail'impressiond'avoirgâchétonanniversaire,dit-iltandisqu'ilstraversentlebar.Poursefaireentendre,ildoitsebaisseretluicrierdansl'oreille.—Net'enfaispas,hurle-t-elleenretour.C'estunefinconformeàlajournéequej'aipassée.—Reste avec nous, proposaRory en l'arrêtant, lamain posée sur son coude.Onva à la patinoire.

Quelqu'uns'estdésisté,donconaunticketenrab.—Lapatinoire?—Pourrigoler.—J'aitrente-deuxans!Jenepeuxpasalleràlapatinoire!Àsontour,ilparaîtincrédule.—Oh…Trèsbien,fait-ilavecunsignedetêtecompréhensif.Onnevoudraitpasquetutecasseslecol

dufémurenglissantdetondéambulateur.—Jecroyaisquelapatinoire,c'étaitpourlesenfants.Lesados.—Alorsvousêtesunepersonnetrèspeuimaginative,mademoiselleHaworth.Allez,finistonverreet

viensavecnous.Amuse-toiunpeu.Àmoinsquetunepuissesvraimentpastelibérercesoir.

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Ellecherchesonportableàtâtons,aufonddesonsac,tentéedelerallumer.MaiselleneveutpaslirelesinévitablesexcusesdeJohn.Elleneveutpasquelerestedelasoiréeportelacouleurdesonabsence,desesmots,desonmanque.—Sijemecasseunejambe,dit-elle,jet'obligeparcontratàm'ameneretàmeramenerdutravailpour

lessixmoisàvenir.—Çapourraitêtreintéressant,sachantquejen'aipasdevoiture.Çateva,sijeteportesurmondos?Iln'estpasdutoutsongenre.Ilestsarcastique,unpeuombrageux,etprobablementplusjeunequ'elle

deplusieursannées.Ellelesoupçonned'avoirunsalairelargementinférieurausienetdevivreencoreencolocation.Iln'apeut-êtremêmepassonpermis.Maisellenevaprobablementpasrecevoirdemeilleureproposition à 19 h 15, le jour de son trente-deuxième anniversaire, et Ellie vient de décider que lepragmatismeestunevertutropsouventsous-estimée.—Etsijemefaiscouperlesdoigtsparunpatinàglace,tudevrast'asseoiràmonbureaupourécrireà

maplace.—Tun'asbesoinqued'undoigtpourça.Oudetonnez.Bonsang,vousautres,lesgratte-papier,vous

nereculezdevantaucuncapricedediva.Allez,toutlemonde!Onsedépêchedefinirsonverre!Ondoityêtreàlademie.En sortant du métro, plus tard dans la soirée, Ellie comprend que ses douleurs dans les côtes ne

proviennentpasdupatinage–bienqu'ellenesoitpastombéeaussisouventdepuisl'âgeoùelleapprenaitàmarcher–,maisdufaitqu'elleaitriàgorgedéployéependantprèsdedeuxheures.Patinerestamusant,grisant, et elle s'est rendu compte en faisant ses premiers pas sur la glace qu'elle s'offre rarement leplaisirdeseperdredansunesimpleactivitéphysique.Rorypatinetrèsbien,commelaplupartdesesamis.—On vient là tous les hivers, avait-il dit en désignant d'un geste la piste temporaire, inondée de

lumièreetentouréed'immeublesdebureaux. Ils installent lapisteennovembre,etonvientàpeuprèstouslesquinzejours.C'estplusfacilequandonaunpeubuavant.Onestplusdétendu.Viens…laissepartirtesjambes.Penche-toiunpeuenavant.Ilavaitpatinéà l'enversdevantelle, lesbras tenduspour luipermettredes'yaccrocher.Quandelle

étaittombée,ilavaitéclatéderire,sanspitié.Elleavaittrouvélibérateurd'êtreavecunepersonnedontl'opinion lui importait peu : si ç'avait été John, elle aurait craint que le froid de la glace ne lui fasserougirlenez.Etelleauraitappréhendétoutelasoiréelemomentoùilauraitdûpartir.Ilssontarrivésdevantsaporte.—Merci, dit-elle à Rory. La soirée avait plutôt mal commencé, mais j'ai fini par passer un bon

moment.—C'étaitlemoinsquejepuissefaire,aprèsavoirruinétonanniversaireaveccettelettre.—Oh,jevaism'enremettre.—Quil'eûtcru?EllieHaworthauncœur.—Non,cen'estqu'uneaffreuserumeur.

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—Tut'ensorsbien,tusais,dit-il,unsouriredansleregard.Pourunepetitevieille.Elleveutluidemanders'ilparledupatinage,maiselleasoudainpeurdecequ'ilpourraitrépondre.—Charmant,réplique-t-elle.—Tues…Iljetteunregardverslebasdelarue,verslastationdemétro.Ellesedemandeuninstantsielledoitl'inviteràentrer.Mais,alorsmêmequ'ellel'envisage,ellesait

queceseraituneerreur.Sa tête,sonappartement,savie, toutestremplideJohn.Iln'yapasdeplacepourcethomme.Cequ'elleressentpourluin'estqu'uneamitiéfraternelle,peut-êtrejusteunpeutroubléeparlefaitqu'ilnesoitpastoutàfaitlaid.Ilétudiedenouveausonvisage,etelleal'impressiondéroutantequesonhésitationestinscritesurson

front.—Ilfautquej'yaille,dit-ilenfaisantungesteendirectiondesesamis.—Oui,dit-elle.Encoremerci.—Pasdeproblème.Onsevoitautravail.Ill'embrassesurlajoue,puisseretourneetpartentrottinantverslastationdemétro.Elleleregarde

s'éloigner,sesentantétrangementprivéedequelquechose.Elliegrimpelesmarchesduperronetsortsaclé.Ellevarelirelanouvellelettreetfouillerparmiles

papiers,à la recherched'indices.Ellevaêtreproductive.Ellevacanalisersesénergies.Ellesentunemainseposersursonépauleetfaitunbond,étouffantuncri.Johnsetientunemarchederrièreelle,unebouteilledechampagneetunbouquetridiculementgrandàla

main.— Je ne suis pas là, dit-il. Je suis dans le Somerset, en train de donner un cours à un groupe

d'écrivains.Ilsn'ontaucuntalent,etaumoinsundemesélèvesestunraseuraustyleinterminable.Puisilresteplantélàpendantqu'elleseremetdelasurprise.—Tupeuxdirequelquechose,tusais…Tantquecen'estpas«Va-t'en».Ellerestemuette.Ilposelesfleursetlechampagnesurunemarcheetlaprenddanssesbras.Sonbaiserestchaud;ill'a

attenduedanssavoiture.—Jesuisrestéassislàpendantprèsd'unedemi-heure.Jecommençaisàpaniquer.Jemesuisditquetu

n'allaispasrentrer.Toutenellesemetàfondre.Ellelaissetombersonsacetseblottitcontrelui.Ilprendsonvisagefroid

entresesmainschaudes.—Joyeuxanniversaire,dit-ildansunsoufflequandilsseséparentenfin.—DansleSomerset?bafouille-t-elle,unpeuétourdie.Çaveutdire…?—Onatoutelanuit.C'estsontrente-deuxièmeanniversaire,l'hommequ'elleaimeestlàavecduchampagneetdesfleurs,et

ilvapasserlanuitavecelle.—Alors,jepeuxrentrer?demande-t-il.

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Elle fronce les sourcils, l'air de dire : « Tu as vraiment besoin de poser la question ? » Puis elleramasselesfleurs,lechampagne,etfinitdegrimperlesmarches.

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Mardi, je suis occupé. Et, à vrai dire, je n'ai pas tellement envie de te revoir… Je crois qu'être

honnêteavectoidèsmaintenantseramoinsinsultantquedenousretrouversimplementpourconvenirdeneplusserevoir.Unhommeàunefemme,parmail

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Chapitre18

—ELLIE?JEPEUXTEDIREUNMOT?

La jeune femmeglisse son sac sous sonbureau, lapeauencorehumidede ladouchequ'elle aprisemoins d'une demi-heure auparavant, la tête ailleurs. La dure voix deMelissa, qui l'appelle depuis lebureauàparoideverre,estunretourbrutalàlaréalité.—Biensûr.Ellehochelatêteetsouritobligeamment.Quelqu'unadéposéuncafésursonbureau;ilesttièdeet,de

touteévidence,déjàlàdepuisunmoment.Ilyaunpetitmotendessous,adresséàJayneTorvill,quidit:«Déjeuner?»Ellen'apasletempsdecomprendrelaplaisanterie.Elleenlèvesonmanteauenhâteetentredansle

bureaudeMelissa,remarquantavecdésarroiquelarédactriceenchefesttoujoursdebout.Elles'assiedsurlebordd'unechaiseetpatienteunmoment,letempsqueMelissacontournesonbureaupours'asseoirà son tour.Sous son jean envelours et son col roulénoirs, elle a les bras et le ventre toniquesd'unefemmequis'adonneauPilatesplusieursheuresparjour.Elleporteuncollierquelesmagazinesdemodequalifieraientsûrementdebijou«statement»–cequi,Ellielesoupçonne,n'estquelenouveautermeàlamodepourdire«gros».Melissalaisseéchapperunlégersoupiretlaregardelonguement.Sesyeuxsontd'uneétonnantecouleur

violette,etElliesedemandeuninstantsielleneportepasdeslentilles:sonirisestdelacouleurexactedesoncollier.—Cen'estpasuneconversationquej'aimeavoir,Ellie,maisjenepeuxplusfermerlesyeux.—Ah?—Ilest10h45.—Oh.Oui,je…—J'appréciequema rubrique soit perçue comme la section la plusdétenduede laNation,mais je

pensequ'onesttousd'accordsurlefaitque,après9h45,jeveuxvoirtouslesmembresdemonéquipederrièreleursbureaux.—Oui,je…—J'aimelaisseràmesrédacteursletempsdebiensepréparerpourlesréunions:lirelesjournauxdu

jour,fairedesrecherchesenligne,discuterentreeux,s'inspirermutuellement…Ellepivotelégèrementsursonsiègepourconsulterunmail.—Assister à ces réunions est un privilège, Ellie, reprend-elle. Une chance que beaucoup d'autres

rédacteursseraientravisd'avoir.Etj'aidumalàcomprendrecommenttutrouvesletempsdetepréparersituteglissesdanslesbureauxdixminutesàpeineavantledébutdelaréunion.Elliesesentrougir.—Etaveclescheveuxhumides,desurcroît.—Jesuissincèrementdésolée,Melissa.J'aidûattendreleplombieret…

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—Çasuffit,Ellie,l'interrompt-ellefroidement.Jepréféreraisquetuévitesd'insultermonintelligence.Etàmoinsquetunetrouveslemoyendemeconvaincrequetuasunplombieràattendrepresquechaquejourdelasemaine,j'aibienpeurdedevoirconclurequetuneprendspascetravailtrèsausérieux.Ellieavalesasalive.—GrâceànotreprésencesurInternet,lesrédacteursdecejournaln'ontplusmoyendedissimulerleur

incompétence.Laperformancedechaquejournalistepeutêtreévaluée,nonseulementenfonctiondelaqualité de leur travail sur nos pages imprimées,mais aussi par le nombre de vues qu'obtiennent leursarticlesenligne.Taperformance,Ellie,conclut-elleenconsultantunpapierposésursonbureau,achutédeprèsdequarantepourcentenunan.Ellie ne peut rien dire.Elle sent sa gorge s'assécher.Les autres rédacteurs ont déjà commencé à se

rassembler devant le bureau de Melissa, armés de blocs-notes surdimensionnés et de gobelets enplastique. Elle les voit l'observer à travers la cloison de verre, certains curieux, d'autres vaguementembarrassés, comme s'ils savaient ce qui est en train de se passer. Elle se demande un instant si sontravailaétéunsujetdediscussionentreeuxetsesenthumiliée.Melissasepenchesursonbureau.—Quandjet'aiengagée,tuavaislaniaque.Tuavaistoujoursuntraind'avance.C'estpourçaqueje

t'ai choisieparmi tousces reporters régionauxqui, très franchement, auraientvendupèreetmèrepourêtreàtaplace.—Melissa,j'ai…—Jeneveuxpassavoircequisepassedanstavie,Ellie.Jeneveuxpaslesavoirsituasdessoucis

personnels,siundetesprochesestmort,situasdesmontagnesdedettes.Jeneveuxmêmepassavoirsitu as unemaladie grave. Je veux seulement que tu fasses le travail pour lequel on te paie.Depuis letemps, tu dois être au courant que lemondede la presse ne pardonne rien. Si tu ne sors pas de bonsarticles,çase répercutesur leschiffresdediffusionetonperdnospublicitaires.Et, sanspublicitaire,toutlemondeperdsontravail,certainsplustôtqued'autres.Jemesuisbienfaitcomprendre?—Parfaitement,Melissa.—Bon.Jenepensepasqu'ilyaitlemoindreintérêtàcequetuassistesàlaréuniond'aujourd'hui.Tu

règlestesproblèmes,etjetevoisdemainenréunion.Commentavancecetarticlesurleslettresd'amour?—Bien.Oui.Elleselève,essayantd'avoirl'airdesavoircequ'ellefait.—Bien.Tupourrasmemontrerçademain.Ets'ilteplaît,ensortant,disauxautresd'entrer.Peuaprès12h30,elledévalelesquatreétagesendirectiondesarchives,l'humeurtoujoursmaussade,

les joies de la veille au soir déjà oubliées. Les archives ont pris l'aspect d'un entrepôt désert. Lesrayonnagessontvides toutautourducomptoir, l'affichettemalorthographiéeaétéarrachée,seulsdeuxmorceauxderubanadhésifrestentenplace.Derrièrelesportesbattantes,elleentenddesraclementsdemeublesqu'ondéplace.Lechefarchivistefaitcourirsondoigtlelongd'unelistedechiffres,depetiteslunettesperchéesauboutdunez.—Est-cequeRoryestlà?—Ilestoccupé.

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—Est-cequevouspourriezluidirequejen'auraipasletempsdedéjeuneraveclui?—Jenesaispasoùilest.EllecraintqueMelissaneremarquesonabsence.—Est-cequevouspensezlecroiser?Jevoudraisqu'ilsachequejedoissortirpourenquêtersurcet

article.Vouspourrezluidirequejepasseraiauxarchivesenfindejournée?—Vousdevriezpeut-êtreluilaisserunmessage.—Maisvousvenezdemedirequevousnesavezpasoùilest.Illèvelesyeuxverselle,lessourcilsfroncés.—Navré,maisnoussommesdanslesdernièresétapesdudéménagement.Jen'aipasletempsdejouer

lescoursiers,grogne-t-ild'unairimpatient.—Trèsbien.Alorsjedoisremonterjusqu'auservicedupersonneletleurfaireperdreleurtempspour

leurdemandersonnumérodeportable?Toutçapourqueluineperdepassontempsàm'attendrepourrien?Illèveunemainapaisante.—Jeluidiraisijelecroise.—Ohnon,nevousembêtezpas.Désoléepourledérangement.Ilsetournelentementversellepourladévisageravecuneexpressionquesamèreauraitqualifiéede

vieillotte.—Nous,auxarchives,représentonspeut-êtreunepertedetempsetd'espacepourvousetceuxdevotre

espèce,mademoiselleHaworth,mais,àmonâge,jenevaispasm'amuseràjouerleslarbins.Désolésivotreviesociales'entrouvecontrariée.Elliesesouvientalors,avecunsursaut,decequeRoryluiavaitaffirmélorsdesapremièreincursion

danslesentraillesdujournal : lesarchivistessont touscapablesdemettreunvisagesurunesignature.Elleneconnaîtpaslenomdecethomme.Ellerougitetlelaissedisparaîtredel'autrecôtédesportesbattantes.Elles'enveutdes'êtrecomportée

commeuneadotyrannique,etenveutauvieilhommedes'êtremontréaussipeucoopératif.Elleestencolèreparcequel'avertissementdeMelissal'empêchedeprofiterd'unagréabledéjeuneràl'extérieurenunejournéequiavaitpourtantsibiencommencé.Johnétaitrestéchezellejusqu'àprèsde9heures.LetrainduSomersetn'arrivaitpasavant11h15,avait-ilprécisé,aussin'avait-ilpasbesoindesepresser.Elleluiavaitfaitdesœufsbrouilléssurdestoasts–c'étaitpresqueleseulplatqu'ellesavaitcuisiner–ets'étaitassiseavecluisurlelit,picorantbéatementdesmorceauxdanssonassiettependantqu'ilmangeait.Cen'étaitque ladeuxièmenuitqu'ilspassaient ensembledepuis ledébutde leur relation,depuis ce

fameuxsoiroùilluiavaitavouéqu'ellel'obsédait.Cettenuitavaitétécommecelledespremiersjours:il s'étaitmontré tendre, affectueux, comme si ses vacances imminentes le rendaient plus sensible à cequ'elleressentait.Ellen'avaitpasessayéd'enreparler:sielleaapprisunechoseaucoursdecetteannéepasséeaveclui,

c'est de vivre le moment présent. Elle laisse l'instant l'envahir, refusant d'assombrir son bonheur ensongeantàcequ'ilvaluicoûter.Lachuteviendra–ellevienttoujours–,maiselleaprisl'habitudedecollectersuffisammentdebonssouvenirspouramortirlechoc.

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Deboutdansl'escalier,ellesongeauvisageendormideJohnsurl'oreiller,àsesbrasnuscouvertsdetachesderousseur,enroulésautourd'elle.Parfait.Unepetitevoixenellesedemandesiunjour,s'ilprendletempsd'yréfléchir,ilserendracomptequetouteleurviepourraitêtreàl'imagedecesnuits.LebureaudepostedeLangleyStreetn'estqu'àquelquesminutesentaxi.Avantdequitterlebureau,elle

prendsoindeprévenirlasecrétairedeMelissa.— Voilà mon numéro de portable, au cas où elle voudrait me joindre, dit-elle, dégoulinante de

courtoisieprofessionnelle.Jereviensdansuneheure.C'est l'heuredudéjeuner,mais lebureaudeposteestpresquevide.Elleseplaceà l'avantd'unefile

inexistanteetattendsagementquelavoixélectroniqueappelle«Numéro4,s'ilvousplaît».—Est-cequejepourraisparleràquelqu'unausujetdesboîtespostales,s'ilvousplaît?—Uninstant.Laguichetièredisparaît,puisrevientenluiindiquantuneporte,àl'autreboutdubureaudeposte.—Margievavousrecevoirlà-bas.Une jeune femmepasse la tête par la porte en question.Elle porte un badge à son nom, une grosse

chaîneenoravecuncrucifixetdestalonssihautsqu'Elliesedemandecommentellepeuttenirdebout,sansparlerd'allerautravail.Elleluisourit,etElliesongeàquelpointilestdevenurarequ'unepersonnevoussourieenville.—Laquestionvavoussemblerunpeuétrange,commenceEllie,maisya-t-ilmoyendesavoirlenom

d'unepersonnequialouéuneboîtepostaleilyaplusieursannées?—Lesboîtespostaleschangenttrèssouventdelocataire.Vousparlezd'ilyacombiendetemps?Elliesedemandecequ'ellepeutrévélerdesonhistoire,maispuisqueMargiesemblesympathique,elle

adopte le tonde laconfidence.Ellesort les lettresdesonsac, toujourssoigneusementenferméesdansleurpochetteplastique.—Cesontdeslettresd'amourquejeviensdetrouver.Ellessontadresséesàuneboîtedecebureaude

poste,etjevoulaislesrestituer.Elleacaptél'intérêtdeMargie.Cettehistoiredoitlachangeragréablementdespaiementsd'allocations

etdesretoursdecatalogues.—BPnuméro13,annonceEllieendésignantl'enveloppe.LevisagedeMargies'illumine.—Latreize?—Çavousditquelquechose?—Ohqueoui.Margieserreuninstantleslèvres,commesiellesedemandaitcequ'elleavaitledroitdedivulguer.—Cetteboîtepostaleestdétenuepar lamêmepersonnedepuisaumoinsquaranteans !Çan'a rien

d'inhabituelensoi,mais…—Maisquoi?—Maisellenereçoit jamaisde lettre.Pasuneseule.Oncontacterégulièrement la titulairepour lui

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proposerdefermerlaboîte,maiselletientàlagarderouverte.Alorsonluiaditquec'étaitsonproblèmesiellevoulaitjetersonargentparlesfenêtres.Ellejetteuncoupd'œilàlalettre.—Unelettred'amour,vousdites?Oh,commec'esttriste!—Pouvez-vousmedonnersonnom?demandeEllie,unnœuddansl'estomac.Cettehistoireétaitencoremeilleurequetoutcequ'elleavaitimaginé.Lafemmesecouelatête.—Désolée,jenepeuxpas.Laprotectiondesdonnées…—Oh,jevousensupplie!Ellevoitdéjàl'expressiondeMelissasiellerevientaujournalaveccequiressemblefortàunamour

interditquiduredepuisquaranteans.—S'ilvousplaît…Vousn'imaginezpasàquelpointc'estimportantpourmoi.—Jesuisdésolée,vraiment,maisjerisquemaplace.Elliejureentresesdentsetjetteunregardenarrière:unefileestsoudainapparuederrièreleguichet.

Margiesetourneverssaporte.—Merciquandmême,ditEllie,sesouvenantjusteàtempsdesesbonnesmanières.—Àvotreservice.Derrièreelle,unpetitenfantpleure,essayantd'échapperàsonlandau.—Attendez,ditsoudainEllieenfouillantdanssonsac.—Oui?Ellesourit.—Est-cequejepeux…luilaisserunmessage?ChèreJennifer,Jevouspriedepardonnermadémarchequevoustrouverezpeut-êtrecavalière,maisjesuistombée

surdeslettresquivousappartiennent,etjeseraisheureusedevouslesrestituer.Vouspouvezmecontacteraunuméroci-dessous.Sincèressalutations,

EllieHaworthRory relit lemessage, assis avecEllie à une tabledubar qui fait face à laNation. Il fait déjà très

sombre,bienqu'onsoittôtdanslasoirée,etdescamionsdedéménagementstationnenttoujoursdevantlejournal,deshommesenbleudetravailmontantetdescendantlesgrandesmarchesdel'entréeàlalumièredeslampadaires.Celafaitmaintenantdessemainesqu'ilsfontpartiedudécor.—Qu'est-cequ'ilya?Tupensesqueletonn'estpasbon?—Non.Ilestassisàcôtéd'ellesurlabanquette,lajambecaléecontrelepieddelatable.

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—Alorsquoi?Tuasencorefaitcetrucavectonvisage.Ilsourit.—Jen'ensaisrien,nemedemandepas…Jenesuispasjournaliste,moi.—Allez…Qu'est-cequeçaveutdire,cetteexpression?—Ehbien,tun'aspasl'impressiond'êtreunpeu…—Quoi?—Jenesaispas…C'esttellementpersonnel,cettehistoire…Tuvasdemanderàcettefemmedelaver

sonlingesaleenpublic.—Pourcequ'onensait,ellepourraitêtreraviedel'opportunité.Çapourraitêtrepourellel'occasion

deleretrouver,dit-elleavecunoptimismeunpeuprovocateur.—Oubienelleestmariée,etçafaitquaranteansqu'elleetsonmariessaientdeseremettredecette

liaison.—Çam'étonnerait.Etd'ailleursqu'est-cequiteditqueceseraitdulingesale?Ilssesontpeut-être

retrouvés.Ilsl'ontpeut-êtreeu,leurhappyend.— Et elle a gardé sa boîte postale ouverte depuis quarante ans ? Ça n'a pas pu bien se terminer,

affirme-t-ilenluirendantsalettre.Elleestpeut-êtremêmedevenuefolle.—Oui,biensûr,êtreamoureuxdequelqu'un,c'estunepreuvedefolie.—Garderuneboîtepostaleouvertependantquaranteanssansrecevoirlamoindrelettre,c'esttoutde

mêmeàlalimited'uncomportementnormal.Là, il marque un point, concède-t-elle. Mais l'image de Jennifer et de sa boîte vide a frappé son

imagination.Et,plusimportant,l'histoireprometdedonnermatièreàuntrèsbonarticle.—J'ypenserai,dit-elle,omettantdementionnerqu'elleadéjàposté labonnecopiedela lettredans

l'après-midi.—Etsinon,embraie-t-il,tuaspasséunbonmomenthiersoir?Pastropcourbaturée?—Quoi?—Lapatinoire.—Ah.Oui,unpeu.Elle déplie les jambes, sentant la tension dans ses cuisses, et rougit un peu quand leurs genoux se

frôlent.Ilspartagentàprésentdepetitesblaguesd'initiés:elleestJayneTorvill,lagrandepatineuse;ilestunmodestearchiviste,seulementlàpourexaucersesquatrevolontés;illuienvoiedesmessagesavecdesfautesd'orthographedélibérées:Silvousplé,eskelagrandedammeviendrasboireunveraveclemaudestearchiviste?—Onm'aditquetuétaisdescenduemevoirauxarchives.Elleleregarde,etilsouritdeplusbelle.Ellefaitlagrimace.— Ton chef est un vieux grincheux. Vraiment. On aurait dit que je lui demandais de sacrifier son

premier-né,alorsquetoutcequejevoulais,c'étaitqu'iltetransmetteunmessage.

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—Ilesttrèsgentil,ditRoryenfronçantlenez.Ilestseulementstressé.Trèsstressé.Cedéménagementestsadernièremissionavantqu'ilprennesaretraite,etilaquarantemilledocumentsàtransporterdansl'ordre,sansparlerdeceuxqu'onscannepourlesfichiersnumériques…—Onesttousdébordés,Rory.—Ilveutquetoutsoitparfait.Ilestdelavieilleécole,ilnejurequeparlepapier.Jel'aimebien,tu

sais.Iln'yenaplusbeaucoup,descommelui.ElliepenseàMelissa,àsonregardfroidetàsestalonshauts,etnepeutqu'acquiescer.—Ilsaittoutcequ'ilyaàsavoirsurcebâtiment.Tudevraisallerluiparler,undecesjours.—Biensûr.Parceque,detouteévidence,ilaeuungroscoupdecœurpourmoi!—Jesuissûrqu'ilt'auraitadoréesituluiavaisparlégentiment.—Commejeteparleàtoi,tuveuxdire?—Non.Gentiment.—Etquandilseraparti,tuvoudrasprendresaplace?—Moi?s'étonneRoryenportantsonverreàseslèvres.Non.Jeveuxvoyager.EnAmériqueduSud.

Pourmoi,cetravailétaitcenséêtreunpetitboulotsaisonnier.Etpuis,jenesaispascomment,jemesuisrenducomptequej'étaisdéjàlàdepuisdix-huitmois.—Tueslàdepuisdix-huitmois?—Tuveuxdirequetunem'avaisjamaisremarqué?Ilprendunairfaussementblessé,etellerougitde

plusbelle.—C'estjusteque…jetrouveétrangedenepast'avoircroisépendanttoutcetemps.—Vousautres,lespisse-copie,vousnevoyezquecequevousavezenviedevoir.Noussommesvos

laquaisinvisibles,nousn'existonsquepourvousservir.Ilsouritetparlesansamertume,maiselleaconsciencedudésagréablefonddevéritéquisous-tendses

propos.—Donc jesuisunepisse-copieégoïsteet indifférente,aveugleauxbesoinsdesvrais travailleurset

cruelleenversleshonnêtesvieillards,dit-elled'unairsongeur.—Engros,oui.Puisillaregardedanslesyeux,etsonexpressionchangeradicalement.—Qu'est-cequetuvasfairepourteracheter?demande-t-il.Elle éprouve une surprenante difficulté à soutenir son regard.Tandis qu'elle réfléchit à une réponse

appropriée,lasonneriedesontéléphoneretentit.—Désolée,marmonne-t-elleenfouillantdanssonsac.ElleouvreleSMS.Voulaistefaireunpetitcoucou.Parsenvacsdemain,t'appelleraienrentrant.Prendssoindetoi,J.Elle est déçue. « Un petit coucou », après toutes ces confidences sur l'oreiller ? Après leurs

retrouvaillespassionnéesdelaveille?Ilvoulaitjustelui«faireunpetitcoucou»?

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Ellerelitlemessage.Ilneluiditjamaisgrand-chosepartexto,ellelesait.Illuiaexpliquédèsledébutquec'était troprisqué,aucasoùsafemmeluiemprunteraitsonportableavantqu'iln'aitpueffacer lesmessagesincriminants.Maisilyaunecertainetendressedans«prendssoindetoi»,n'est-cepas?Ilsesouciedesonbien-être.Ellesedemandesoudainàquelpointelledéformesesmessages, trouvantunemultitudedesignificationscachéesderrièrelemoindremotqu'illuienvoie.D'ordinaire,ellepensequ'ilssontsibienconnectésl'unàl'autrequ'ellecomprendsanspeinetoutcequ'ilveutvraimentluidire.Maisparfois,commeaujourd'hui,elledoutequ'ilyaitréellementquoiquecesoitderrièrelesabréviations.Commentrépondre?Ellepeutdifficilementluiécrire«bonnesvacances»alorsqu'elleluisouhaitede

passer le pire moment de sa vie : que sa femme soit victime d'une intoxication alimentaire, que sesenfants pleurent sans arrêt et que lamétéo se dégrade demanière spectaculaire, les confinant dans unhôtelmiteux.Ellevoudraitqu'ilpassedeuxsemainesassissurunechaiseàpenseràelle,rienqu'àelle…Toiaussi,prendssoindetoi.Lorsqueenfinellelèvelesyeux,Roryestentraind'observerlemanègedesdéménageurs,faisantmine

denepass'intéresseraudramequisedéroulejusteàcôtédelui.—Désolée,dit-elleenfourrantsontéléphonedanssonsac.Letravail.Ellenesaitpasvraimentpourquoielleamenti.Aprèstout,Roryn'estqu'unami.Alorspourquoinepas

luiparlerdeJohn?—D'après toi, pourquoi on n'écrit plus de lettres d'amour comme celles-ci ? demande-t-elle en en

sortantunedesonsac.Jeveuxdire,biensûr,ilyalestextos,lesmails,maispersonnenelesrédigeaussibien.Pluspersonnen'écritcommenotreamantmystère.Lescamionssontpartis.La façadedu journalestblancheet immaculée, sonentrée formeungouffre

sombre sous la lumière des lampadaires, et le personnel restant est profondément enfoui à l'intérieur,opérantdeschangementsdedernièreminuteàlaunededemain.—Ilyenapeut-êtrequilefont,réplique-t-il.Oupeut-êtreque,situesunhomme,ilestimpossiblede

savoircequetuescensédire.LasalledegymdeSwissCottagenese trouveplusàproximitédeleursdomiciles,seséquipements

sontrégulièrementhorsd'usageetsaréceptionnistetellementgrincheusequ'ellessedemandentsouventsiellen'apasétépostéelàparlaconcurrence,maisniEllieniNickyn'ontjamaisprislapeinedemettrefinàleurabonnementpourchercherunenouvellesalle.C'estdevenuleurlieuderencontrehebdomadaire.Ilyaquelquesannées,elless'essoufflaientenchœursurlesvéloselliptiquesousesoumettaientauxsoinsd'un coach privé à l'air dédaigneux.À présent, après quelques longueurs dans la petite piscine, elless'installentdanslesaunapendantquaranteminutespourdiscuter,étantparvenuesàseconvaincrequelachaleurest«bonnepourlapeau».Nickyarriveenretard:ellesepréparaitpouruneconférenceenAfriqueduSudetaétéretenueplus

longtempsqueprévu.Ellesnesefontjamaislamoindreremarquesurleursretardsrespectifs,suivantlaconvention tacite que tout inconvénient causé par la carrière de l'une ou de l'autre n'est pas à luireprocher.D'ailleurs,Ellien'ajamaisbiencomprisenquoiconsistaitletravaildeNicky.

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—Ilvafairechaud,enAfriqueduSud?demande-t-elleenajustantsaserviettesurlebancbrûlantdusaunatandisqueNickys'essuielesyeux.—Probablement,mais je n'aurai pas vraiment le temps d'en profiter.Ma nouvelle patronne est une

accro au travail. J'espérais prendre une semaine de vacances après la conférence, mais elle prétendqu'ellenepeutpassepasserdemoiici.—Elleestcomment?—Oh,elleest trèsbien,ellen'essaiepasdesefairepousserunepairedetesticulesouquoiquece

soit.L'ennui,c'estqu'ellenecomptepassesheuresetqu'ellenevoitpaspourquoilerestedumonden'enferaitpasautant.JeregrettelevieuxRichard.J'aimaisbiennoslongsdéjeunersduvendredi.—Jeneconnaispluspersonnequiaitunepause-déjeunercorrecte.—À part vous autres, les journaleux. Je croyais que ton travail ne consistait qu'en déjeuners bien

arrosésavectescontacts.—Trèsdrôle.Pastantquej'aimachefsurledos.Elleluiracontesaconvocationdumatin,etlesgrandsyeuxdeNickys'emplissentdecompassion.— Méfie-toi, dit-elle. J'ai comme l'impression que tu es dans son collimateur. Cet article que tu

prépares,çaavance?Ellevatelâcheraprèsça?—Jenesaispassiçavaaboutir.Jen'aiplustrèsenviedemeservirdecesdocuments.Elles'interromptuninstantpoursemasserlepied.—Ces lettres sont si belles, reprend-elle. Et vraiment intenses. Si quelqu'unm'avait écrit ça, je ne

voudraispasqueçaparaissedansunjournal.Elleentendl'échodelavoixdeRorydanslasienne,etserendcomptequ'ellenesaitpluscequ'elle

doitpenser.Ellenes'étaitpaspréparéeàlevoirtantdétesterl'idéequeceslettressoientpubliées.ElleesthabituéeàcequetoutlemondeàlaNationpartagelemêmeétatd'esprit.—Personnellement,sionm'avaitécritcettelettre,j'enauraisfaitdesagrandissementspourl'afficher

surtouslesmursdelaville,ditNicky.Jeneconnaispluspersonnequirédigedeslettresd'amour.Masœur en recevait quand son fiancé est parti à Hong Kong dans les années 1990, au moins deux parsemaine.Ellem'enamontréune.Enfin,ajoute-t-elleavecunpetitricanement,laplupartdisaientjusteàquelpointsonpetitculluimanquait.Ellescessèrentderirequanduneautrefemmeentradanslesauna.Elleséchangèrentdessourirespolis

etlafemmepritplacesurlebancleplushaut,étalantsoigneusementsaserviettesouselle.—Oh,j'aivuDougleweek-enddernier.—Ah,commentilva?Iln'apasencoreengrosséLena?—Enfait,ilademandédetesnouvelles.Ilapeurquetuneluienveuilles.Ilm'aditque,luiettoi,

vousvousétiezdisputés.Lasueuracoulédanslesyeuxd'Ellie,etcequiluirestedemascaralabrûleatrocement.—Oh,çava.Ilaseulement…Ellejetteuncoupd'œilfurtifàl'autrefemme,surlebancduhaut.—Ilvitdansunautremonde.—Oui,unmondeoùpersonnen'ajamaiseudeliaisonextraconjugale.

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—Etilacommencéà…àmejuger.Onn'étaitpasd'accordausujetdelafemmedeJohn.—Pourquoi?Unpeugênée,Ellieremuesursaserviette.—Nevousenfaitespaspourmoi,s'esclaffel'autrefemme.Cequ'onentenddanscettepiècenesort

pasdecettepièce.Ellesluisourientpoliment,etElliebaisselavoix:—Iladitquejenememontraispasassezattentiveàcequ'ellepouvaitressentir.—Pourmoi,c'estplutôtàJohndes'eninquiéter.— Oui, mais tu connais Doug, l'homme le plus gentil de la planète, soupire Ellie en écartant ses

cheveuxdesonvisage.Iln'apastoutàfaittort,maiscen'estpascommesijelaconnaissais,lafemmedeJohn.Cen'estpascommesic'étaitunevraiepersonne.Alorspourquoijedevraism'inquiéterpourelle?Elledétient la seulechoseque jeveuxvraiment, la seulechosequime rendraitheureuse.Et,de toutefaçon,ellenepeutpasêtrevraimentamoureusedelui,tunecroispas?Sinon,elleferaitplusattentionàsesenvies,àsesdésirs.S'ilsétaientsiheureux,ilneseraitpasavecmoi,pasvrai?Nickysecouelatête.—Jenesaispas.Quandmasœuraeusongamin,ellen'apaseulesidéesclairespendantsixmois.—Leurplusjeuneapresquedeuxans.Elledevine lehaussementd'épaulesmoqueurdeNicky.C'est lemauvaiscôtédesvraisamis : ilsne

vouslaissentjamaisvousentireràboncompte.—Tusais,Ellie,ditNickyens'installantplusconfortablementsurlebanc,lesmainscaléesderrièrela

tête,d'unpointdevuemoral,jen'aipasd'avisàdonner,maispourcequiestdumoral,çan'apasl'aird'allerfort.—Jesuisparfaitementheureuse,rétorqueEllie,aussitôtsurladéfensive.Nickyhausseunsourcil.—D'accord,concèdeEllie.Jesuisàlafoisplusheureuseetplusmalheureuseavecluiquejenel'ai

jamaisétéavecaucunhomme,situvoiscequejeveuxdire.Contrairementàsesdeuxmeilleuresamies,Ellien'ajamaisvécuencouple.Jusqu'àsestrenteans,elle

arangé«lemariage»et«lesenfants»–qu'ellemetdanslemêmepanier–danslalistedeschosesàremettrepourplustard,bienaprèsavoirdémarrésacarrière,entreboireavecmodérationetcontracterunplanderetraite.Ellenevoulaitpasfinircommecertainesfillesdesonlycée,épuiséesdepousserdeslandausàmêmepasvingt-cinqansetdépendantesfinancièrementd'unmariqu'ellessemblaientmépriser.Sondernierpetitamis'estplaintd'avoirpassélaplusgrandepartiedeleurrelationàlasuivrependant

qu'ellecouraitpartouten«aboyantcommeunroquetdanssonportable».Elleatrouvéçatrèsdrôle,cequil'aencoreplusénervé.Mais,depuissestrenteans,lasituationestdevenueunpeumoinsamusante.Lorsqu'ellerendvisiteàsesparentsdansleDerbyshire,cesderniersfontdevisibleseffortspournepasévoquerdevantelleunéventuelfiancé,sibienquec'estdevenuuneautreformedepression.Elleaimeresterseule,leurdit-elle,ainsiqu'àtouslesautres–etc'étaitlavéritéjusqu'àcequ'ellerencontreJohn.—Ilestmarié,chérie?demandelafemmeàtraverslavapeur.EllieetNickyéchangentunregardencoin.

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—Oui,ditEllie.—Siçapeutvousréconforter,jesuismoiaussitombéeamoureused'unhommemarié.Onvafêternos

quatreansdemariagemardiprochain.—Félicitations,disent-ellesenchœur,bienqu'Ellietrouvelemotincongruendetellescirconstances.—Onestplusheureuxquejamais.Biensûr,safillerefusecatégoriquementdeluiadresserlaparole,

maistantpis.Onestheureux,c'esttoutcequicompte.—Ilamiscombiendetempsavantdequittersafemme?demandeEllieenseredressant.L'inconnuerassemblesescheveuxenqueue-de-cheval.Ellen'apasdeseins,etilaquandmêmequittésafemmepourelle,songeEllie.—Douzeans,répond-elle.Ducoup,onn'apaspuavoird'enfants,mais,commejeviensdeledire,ça

valaitlecoup.Onesttrèsheureux.—Jesuisraviepourvous,ditEllietandisquelafemmeredescendverslasortie.Laporte deverre s'ouvre, laissant entrer un courant d'air froid.Puis elles se retrouvent denouveau

seulesdanslacabinechaudeetobscure.Unbrefsilences'installe.—Douze ans ! s'exclameNicky en s'essuyant le visage avec sa serviette. Douze ans d'attente, une

belle-fille qui ne veut rien avoir à faire avec elle et pas d'enfants. Eh bien, je parie que tu te sensvachementréconfortée!Deuxjoursplustard,letéléphonesonne.Ilest9h15,etEllieestdéjàderrièresonbureauaujournal.

Elle se lèvepour répondre,demanièreà ceque sachef lavoieen trainde travailler.ÀquelleheureMelissaarrive-t-elleau travail?Ellesemble toujoursêtre lapremièrearrivéeet ladernièrepartie,etpourtantsescheveuxetsonmaquillagesonttoujoursparfaitsetsestenuescoordonnéesavecsoin.Ellielasoupçonned'avoiruneséancedecoachingpersonnelà6heuresdumatin, suivied'unbrushingdansunsalondecoiffuresélectuneheureplustard.Melissaa-t-elleunevieprivée?Quelqu'unluiaparléd'unepetitefille,maisEllieadumalàycroire.—LaNation,dit-elleenjetantunregarddistraitverslebureauauxcloisonsdeverre.Melissafaitlescentpasentéléphonant,sepassantunemaindanslescheveux.—Bonjour,ai-jebienaffaireàEllieHaworth?Unevoixdistinguée,vestiged'unâgerévolu.—Oui.C'estelle-même.—Ah.Jecroisquevousm'avezenvoyéunelettre.JemenommeJenniferStirling.

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Qu'est-cequej'aifaitdemal?Jeudi,tudisaisqueturefusaisdemelaisserpartir.Cesonttesmots,

paslesmiens.Etensuite,plusrien.J'aimêmecruquetuavaiseuunaccident!S***m'aditquetuavaisdéjàfaitçaetjen'aipasvoululacroire,maismaintenant,jemesensvraimentidiote.Unefemmeàunhomme,parlettre

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Chapitre19

ELLEMARCHED'UNBONPAS,LATÊTEBAISSÉECONTRELAPLUIEBATTANTE,SEMAUDISSANTDEN'AVOIRPAS

PENSÉ à prendre un parapluie.Des taxis passent dans le sillage des bus aux vitres couvertes de buée,projetantdegrandesgerbesd'eausurleborddutrottoir.ElleestdanslequartierdeStJohn'sWoodparunsamediaprès-midipluvieux,tâchantdenepaspenserauxplagesdesableblancdelaBarbade,àunegrandemaincouvertedetachesderousseurétalantdelacrèmesurledosd'unefemme.Cetteimagelahante littéralementdepuissix jours–depuisqueJohnestparti.Leclimatexécrable lui fait l'effetd'unpied-de-nezdudestin.L'immeublesedressedevantelle,lelongd'unlargetrottoirbordéd'arbres.Ellegravitentrébuchantles

marchesdepierreduperron,presseleboutondel'interphoneetattend,sautillantimpatiemmentd'unpiedsurl'autre.—Oui?Lavoixestclaire,moinschevrotantequ'ellel'aimaginée.ElleremercielescieuxqueJenniferStirling

aitproposédelarencontreraujourd'hui:l'idéedepasserunsamedientiersanssontravailnisesamies,quisemblenttoutesdébordées,laterrifie.Encorecettemaincouvertedetachesderousseur.—C'estEllieHaworth.Jeviensvousremettrevoslettres.—Ah.Entrez.Jesuisauquatrièmeétage.Vousdevrezpeut-êtreattendrel'ascenseurunmoment.Ilest

terriblementlent.C'estlegenredebâtimentoùelleentrerarement,dansunquartierqu'elleconnaîtàpeine:toussesamis

occupentdesappartementsrécents,avecdepetitespiècesetunparkingsouterrain,oudesmaisonnettesmitoyennesserréescommedessardines.Cequartiersent levieilargentetsemblehorsdutemps.Il luifaitpenseraumot«douairière»,queJohnadoreglisserdanssesromans,etellesourit.L'entréeesttapisséed'unemoquetteturquoise,unecouleurd'unautreâge.Larampecuivréequisuitles

marchesdemarbreporte lapatineprofonded'unpolissagefréquent.Elleaunepenséepourlespartiescommunes de sonpropre immeuble, avec ses piles de courrier abandonné et ses vélos qui traînent aumilieuducouloir.L'ascenseur monte en grinçant les quatre étages avec une majestueuse lenteur, et la libère dans un

couloircarrelé.—Ilyaquelqu'un?appelle-t-elleenvoyantuneporteouverte.Plustard,ellenesaurapasdirecequ'elles'étaitimaginé:unevieillefemmevoûtéeauregardbrillant,

unchâlesurlesépaules,dansunappartementpleinàcraquerdepetitsanimauxenporcelaine.JenniferStirlingn'arienàvoiraveccettefemme.Elledoitavoirunesoixantained'années,maissasilhouetteestminceet toujoursdroite.Seuls sescheveuxargentés, coupésencarrédégradé, trahissent sonâge.ElleporteunpullencachemirebleufoncéetunevesteenlainecintréesurunpantalonàlacoupeimpeccablequiluifaitpluspenseràduDriesvanNotenqu'àduMarks&Spencer.Uneécharpevertémeraudeestnouéeautourdesoncou.—MademoiselleHaworth?

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Ellesentquecettefemmel'aobservéeavecattention,peut-êtremêmeévaluée,avantdeprononcersonnom.—C'estmoi,dit-elleenluitendantlamain.Jevousenprie,appelez-moiEllie.Le visage de la femme se détend légèrement.Quel qu'ait été le test, elle semble l'avoir passé avec

succès–dumoinspourlemoment.—Entrezdonc.Vousvenezdeloin?Ellie la suit dans son appartement.Une fois encore, ce qu'elle voit ne correspondpas du tout à ses

attentes.Paslemoindrebibelotanimalier.Lapièceestgrande,lumineuseetpeumeublée.Leplancherdeboisclairestagrémentédequelquesgrandstapispersans,etdeuxsofasdamasséssefontfacedepartetd'autred'unetablebasse.Lesraresautresélémentsdemobiliersontéclectiquesetraffinés:unechaisedanoise aux lignes modernes qu'Ellie soupçonne de valoir une fortune, et une petite table anciennemarquetéedenoyer.Desphotosdefamilleetdejeunesenfants.—Quelbelappartement ! s'écrieEllie,quines'est jamais intéresséeà ladécorationmaisquivient

soudaindedécouvrirdansquelgenred'intérieurelleaenviedevivre.—C'est joli, n'est-ce pas ? J'ai emménagé ici en…1968, je crois.C'était un vieil immeuble assez

miteuxàl'époque,maisjemesuisditqueceseraitunbelendroitpourélevermafille,puisqu'ilfallaitqu'elle vive en ville. Cette fenêtre a une vue sur Regent's Park. Puis-je vous débarrasser de votremanteau?Voulez-vousunpeudecafé?Vousavezl'airtrempéejusqu'auxos.EllieprendplacesurlesofatandisqueJenniferStirlingdisparaîtdanslacuisine.Surlesmurs,dela

pluspâlenuancedecrème,sontaccrochésquelquesgrandstableauxd'artmoderne.EllieregardeJenniferStirlingrevenirdanslapièce,etserendcomptequ'ellen'estpassurprisequecettefemmeaitpuinspirerunetellepassionàsonmystérieuxcorrespondant.Aumilieudesphotosdisposées sur la table se trouve leportrait d'une femme incroyablementbelle,

posantà la façondesmodèlesdeCecilBeaton ;unpeuplus loin, lamême femme,peut-êtrequelquesannéesplustard,baisselesyeuxsurunnouveau-né,levisagemarquéparl'épuisement,l'émerveillementetl'allégressequesemblentpartagertouteslesjeunesmamans–sescheveuxsontcoiffésàlaperfection,bienqu'ellevienned'accoucher.— C'est très gentil de votre part de vous donner tout ce mal. Je dois dire que votre message m'a

intriguée.EllesertuncaféàEllieets'assiedenfaced'elle,remuantlecontenudesapropretasseàl'aided'une

petitecuillerenargentornéeauboutdumanched'ungraindecaféenémailrouge.Bonsang,seditEllie.Ellealatailleplusfinequelamienne.—Jesuiscurieusedesavoirdequellelettreils'agit.Jenepensepasavoirjetéquoiquecesoitpar

accident. J'ai tendance à déchiqueter tous mes vieux papiers. Mon comptable m'a offert une de cesmachinesinfernalesàNoëldernier.—Enfait,cen'estpasvraimentmoiquil'aitrouvée.UnamitriaitlesarchivesdujournallaNation,et

ilesttombésurundossier.JenniferStirlingsemblesoudainétrangementtendue.—Et,dedans,ilyavaitceci.Avecmilleprécautions,Elliesortdesonsaclapochetteenplastiquecontenantlestroislettresd'amour.

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EllelestendàMmeStirlingsansquittersonvisagedesyeux.—Jevouslesauraisbienenvoyéesparlaposte,poursuivit-elle,mais…JenniferStirlingtientleslettresàdeuxmains,avecrévérence.—Jen'étaispassûre…deceque…enfin,jenesavaispassivousteniezàlesretrouver.Jenniferneditrien.Brusquementmalàl'aise,Ellieboitunegorgéedecafé.Ellenesaitpaspendant

combiendetempsellerestelà,àsirotersoncafé,maisellefinitpardétournerleregardsansvraimentsavoirpourquoi.—Oh,si,j'ytiensbeaucoup.LorsqueEllieellelèvelesyeux,Jenniferesttransfigurée.Ellenepleurepastoutàfait,maiselleale

visageblêmed'unepersonneassaillieparuneviveémotion.—J'imaginequevouslesavezlues.Elliesesentrougir.—Jesuisdésolée.Ellessetrouvaientdansundossierquin'avaitrienàvoir.Jenesavaispasqueje

finiraispardécouvrirleurpropriétaire.Jelesaitrouvéestrèsbelles,ajoute-t-ellemaladroitement.—Oui,elles lesont,n'est-cepas?Ehbien,EllieHaworth, iln'yapasbeaucoupdechosesquime

surprennentencoreàmonâge,mais,aujourd'hui,vousavezréussi.—Vousn'allezpasleslire?—Inutile.Jelesconnaisparcœur.Elliesaitdepuis longtempsque le talent leplus importantd'unbonjournalisteestdesavoirse taire.

Mais,àprésent,elleestdeplusenplusmalàl'aisefaceàcettevieillefemmequisemblepartieloin,trèsloind'ici.—Jesuisdésoléesijevousaicontrariée,dit-elleprudemmentlorsquelesilencedevientoppressant.

Jenesavaispastropquoifaire,puisquejenesavaispasquelleétaitvotre…—…situation,achève-t-elle.Ellesourit,etEllienepeuts'empêcherd'admirersonsuperbevisage.—C'esttrèsdiplomatiquedevotrepart.Maisiln'yapasdequoiêtreembarrassée.Monmariestmort

il y a des années. Ça fait partie des choses dont on ne nous parle jamais et qu'on n'apprend qu'envieillissant,dit-elleavecunpetitsourireironique:leshommespartentbeaucoupplustôtquenous.Pendant quelques minutes, elles écoutent la pluie tomber et les bus tourner au croisement dans un

crissementdepneus.—Alors, demande enfinMmeStirling, dites-moi une chose, Ellie : pourquoi avoir déployé de tels

effortspourmerapporterceslettres?Elliesedemandesielledoitparlerdel'article.Soninstinctluisouffledes'abstenir.—Parcequejen'aijamaisrienludetel?JenniferStirlingl'observeattentivement.—Et…parcequemoiaussi,j'aiunamant,ajoute-t-ellesanssavoirpourquoi.—Un«amant»?—Ilest…marié.

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—Ah.Alorsceslettresontfaitéchoàvotrehistoirepersonnelle.—Oui.Toutevotrehistoirem'aparlé.Vouloirunechosequinousestinterdite.Etnepaspouvoirdire

cequ'onressentréellement.Ellieabaissélesyeuxetparleàsesgenoux.—L'hommeavecquij'aicetterelation,John…Jenesaispasvraimentcequ'ilenpense.Onneseparle

jamaisdel'histoirequenousvivons.—C'estcequefontlaplupartdesgens,faitremarquerMmeStirling.—Maisvotreamantvousparlaitdesessentiments.Boot.—Oui.Denouveau,lavieillefemmesembleseperdredansunautretemps.—Ilmedisaittout.C'estunechosestupéfiantederecevoircegenredelettre.Desesavoiraiméeaussi

intensément.Ilatoujoursétédouéaveclesmots.Lapluiedevient torrentielleetgrondecontre lesfenêtres ;enbas,dans larue,desgenssemettentà

crier.—Jesaisqueçavavousparaîtreétrange,maisj'étaispresqueobsédéeparvotrehistoired'amour.J'ai

désespérément souhaité que vous l'ayez retrouvé. Il faut que je vous demande, vous êtes-vous…vousêtes-vousunjourremisensemble?Lesexpressionsmodernesluisemblentdéplacées,inappropriées.Elliesesentsoudainintimidée.Ilya

quelquechosed'inélégantdanssaquestion,songe-t-elle.Elleestalléetroploin.Justeaumomentoùelles'apprêteàs'excuseretàs'enaller,JenniferStirlingprendlaparole:—Voulez-vousuneautretassedecafé,Ellie?Jenepensepasquecesoitunebonneidéedepartirsous

cedéluge.Assise sur son canapé recouvert de soie, son café refroidissant sur ses genoux, Jennifer Stirling lui

racontel'histoired'unejeuneépousepartieenvacancesdanslesuddelaFranceetd'unmariqui,selonelle,n'étaitprobablementpaspirequetouslesautresmarisdel'époque.C'étaitunhommedesontemps,àquionavaitapprisqu'exprimersesémotionsétaitunsignedefaiblesse,uneindignité.Elleluiparleaussid'unautrehomme,aucaractèrediamétralementopposé:unêtrebourru,intransigeant,passionné,torturé,quil'atroubléedèsleurpremièrerencontre,lorsd'undînerauclairdelune.Ellieestcaptivée,desimagespleinlatête,tâchantdenepaspenseraumagnétophonequ'elleaallumé

danssonsac.Maisellenesesentplusaussiindélicate.MmeStirlingluiparleavecanimation,commes'ils'agissait d'un récit qu'elle rêvait de raconter depuis des dizaines d'années.Elle lui expliquequ'elle areconstituétoutel'histoireaufildesannées,etEllie,bienqu'ellenecomprennepastoutàfait,n'osepasl'interromprepourluidemanderdeclarifier.JenniferStirlingluiracontelebrusqueternissementdesapetiteviedorée,lesnuitssanssommeil, la

culpabilité, la terrifiante fascination de l'interdit, la terrible impression que la vie que l'onmène n'estpeut-êtrepaslabonne.Enl'écoutant,Elliesemordillelesongles,sedemandantsic'estcequepenseJohnen ce moment même, sur une lointaine plage inondée de soleil. Comment peut-il aimer sa femme etentreteniruneliaisonavecuneautre?Commentpeut-ilnepasressentircetteterriblefascination?

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L'histoire devient plus sombre, la voix plus basse. Elle lui parle d'un accident de voiture sur unechaussée humide, d'un innocent tué et de ces quatre années durant lesquelles elle a vécu comme unesomnambule,tenantseulementgrâceauxpilulesetàlanaissancedesafille.Elles'interromptuninstant,attrapequelquechosederrièreelleetluitenduncadre.Surlaphoto,une

grande femme blonde pose debout, en short, entre les bras d'un homme. Deux enfants et un chien setraînentàsespiedsnus.OnpourraitcroireàunepublicitépourCalvinKlein.—Esménedoitpasêtrebeaucoupplusâgéequevous,dit-elle.EllevitàSanFranciscoavecsonmari,

unmédecin.Ilssonttrèsheureux.Enfin,pourautantquejesache,ajoute-t-elleavecunpetitsourire.—Est-cequ'elleestaucourant?Pourleslettres?Ellie pose doucement le cadre sur la table basse, essayant de ne pas jalouser Esmé pour sa

spectaculairehéréditéetsavieapparemmentenviable.Cettefois,MmeStirlinghésiteavantderépondre.— Je n'ai raconté cette histoire à personne. Quelle fille a envie d'entendre que samère a aimé un

hommequin'étaitpassonpère?Puisellerelateunerencontrefortuite,quelquesannéesplustard,etlemerveilleuxchocdedécouvrir

qu'elleétaitlàoùelleétaitcenséeêtre.—Jenesaispassivouspouvezcomprendre…Pendantsi longtemps, jenemesuispassentieàma

place…Etsoudain,Anthonyestapparuetj'aieucettesensation,explique-t-elleensetapotantlesternum.Cettesensationd'avoirtrouvémaraisond'être.C'étaitlui.—Jevois,ditEllie.Elleestperchéetoutaubordducanapé.LevisagedeJenniferStirlingsembleilluminédel'intérieur.

Soudain,Elliecroitvoirdanslavieillefemmelajeunefillequ'elleaété.—Jeconnaiscettesensation.—Cequiétaitterrible,évidemment,c'étaitquemêmeenl'ayantretrouvé,jen'étaispaslibredepartir

aveclui.Àl'époque,undivorceétaituneaffairetrèssérieuse.C'étaitterrible.Ontraînaitvotrenomdanslaboue.Jesavaisquemonmarimedétruiraitsij'essayaisdepartir.EtjenepouvaispasquitterEsmé.Lui–Anthony–avaitdûabandonnersonfils,etjepensequ'ilnes'enestjamaisremis.—Doncvousn'avezjamaisvraimentquittévotremari?demandeEllie,profondémentdéçue.— Je l'ai quitté, grâce à ce dossier que vous avez trouvé. Il avait cette drôle de vieille secrétaire,

MlleMachin– jen'ai jamaispumerappeler sonnom,ajoute-t-elleavecunegrimace. Jecroisqu'elleétaitamoureusedelui.Etpuis,pourjenesaisquelleraison,ellem'aoffert lemoyendeledétruire.Ilsavaitquej'étaisintouchableunefoisenpossessiondecespapiers.Elledécritsarencontreaveclasecrétairesansnom,lechocdesonmarilorsqu'elleluiavaitrévéléce

qu'ellesavait.—Ledossiersurl'amiante.Cedossierluiavaitparutellementinoffensif,sonpouvoirenvoléavecletemps.—Bien sûr, à l'époque, personne ne savait pour l'amiante. On pensait que c'était la découverte du

siècle.Çaaétépourmoiunchocterriblededécouvrirquel'entreprisedeLaurenceavaitdétruitautantdevies.C'estpourçaquej'aicréélafondationaprèssamort.Pouraiderlesvictimes.Regardez.

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Elleouvresonsecrétaireetensortunebrochureproposantuneaidejuridiqueauxpersonnessouffrantdemésothéliomeaprèsavoirétéexposésàdel'amiantedanslecadredeleuractivitéprofessionnelle.—Iln'yaplusbeaucoupd'argentdanslescaisses,maisonoffretoujoursuneaidejuridique.J'aides

amisavocatsquiproposentgratuitementleursservices,icietàl'étranger.—Vousaveztoujoursl'argentdevotremari?—Oui.C'étaitnotrearrangement.J'aiconservésonnometsuisdevenueauxyeuxdumondeunedeces

épouses recluses qui ne sortent jamais avec leur mari. Tous nos amis ont cru que je renonçais auxmondanitéspourmeconsacreràl'éducationd'Esmé.Cen'étaitpasinhabituelàl'époque,voussavez.EtLaurences'estcontentéd'emmenersamaîtresseàmaplaceàtouslesévénementsmondains.Elleéclatederireetsecouelatête.—Celapouvaitseconcevoir,àl'époque.Ellies'imagineaubrasdeJohnlorsdelasoiréedelancementd'unlivre.Ilatoujoursfaittrèsattention

ànepaslatoucherenpublic,ànedonneraucunindiceconcernantleurrelation.Elleasecrètementespéréqu'ils seraient un jour surpris en train de s'embrasser, ou que leur passion serait si apparente qu'elledeviendraitl'objetderacontarspréjudiciables.EllerelèvelatêteetsurprendleregarddeJenniferStirling,posésurelle.—Encoreunpeudecafé,Ellie?Vousn'êtespaspresséed'allerautrepart?—Jeveuxbienunpeudecafé,merci.Etj'aimeraisbeaucoupsavoircequis'estpassé.Sonexpressionsetransforme.Sonsourires'éteint.Unbrefsilences'installe.—IlestrepartiauCongo,dit-elle.Ilavaitl'habitudedevoyagerdanslesendroitslesplusdangereux.

LesBlancsn'yétaientpasensûretéàl'époque,etiln'étaitpastrès…Elleneparaîtmêmepluss'adresseràEllie.—Leshommessontsouventbienplusfragilesqu'ilsenontl'air,n'est-cepas?Elliedigèrel'information,essayantdesurmonterl'amèredéceptionqu'ellesentmonterenelle.Cen'estpastavie,sedit-ellefermement.Cen'estpastatragédie.—Comments'appelait-il?JemedoutebienqueBootn'étaitpassonvrainom.—Non.C'étaitnotrepetiteblague.Vousavez luEvelynWaugh?Ils'appelaitAnthonyO'Hare.C'est

très étrangedeprononcer sonnomaprès tout ce temps.C'était l'amourdemavie,mais je n'ai aucunephotodelui,ettrèspeudesouvenirs.Sansmeslettres,j'auraispucroirequej'avaistoutimaginé.C'estpourcelaquejevoussuistellementreconnaissantedemelesavoirrapportées.Elliealagorgenouée.Letéléphonesonne,lesfaisantsursauter.—Excusez-moi,ditJennifer.Elle sort dans l'entrée, décrocheun téléphone.Ellie l'entend répondre, lavoix très calme,pleinede

distanceprofessionnelle.—Oui,dit-elle.Oui,onlefaittoujours.Quanda-t-ilétédiagnostiqué?…Jesuisdésolée…Elliegriffonnesursonbloc-noteslenomd'AnthonyO'Hareetlerangedanssonsac.Ellevérifieque

sonmagnétophonetournetoujours,quelemicroesttoujoursenplace.Satisfaite,elleresteunpeuassise,

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regardant les photos de famille, puis comprend que Jennifer va être occupée un bonmoment.Cela nesemble pas juste de bousculer une personne qui, de toute évidence, est aux prises avec une terriblemaladiedespoumons.Ellearracheunepagedesonbloc,gribouilleunpetitmotetreprendsonmanteau.Elleseposteuninstantàlafenêtre.Dehors,letempss'estéclairci;lesflaquessurletrottoirbrillentd'unbleuéclatant.Puiselles'approchedelaporteetresteplantéelà,sonpetitmotàlamain.—Pouvez-vouspatienteruninstant?demandeJenniferavantdeposerlamainsurlecombiné.Jesuis

désolée,ajoute-t-elleàl'intentiond'Ellie.Çarisquedeprendreunmoment.Autondesavoix,Elliecomprendqu'ellesnepourrontpaspoursuivreleurconversationaujourd'hui.—Quelqu'undoitdemanderdesdommagesetintérêts.—Pourra-t-onsereparler?murmureEllieenluitendantlemorceaudepapier.Voicimescoordonnées.

Jeveuxvraimentsavoir…Jenniferhochelatête,toujoursabsorbéeparsaconversationtéléphonique.—Oui.Biensûr.C'estlemoinsquejepuissefaire.Etmerciencore,Ellie.Lajeunefemmes'apprêteàpartir,sonmanteausurlebras.Puis,alorsqueJenniferremetlecombinéà

sonoreille,elleseretournedenouveau.—Dites-moijusteunechose–trèsvite.Quandilestreparti,qu'est-cequevousavezfait?JenniferStirlingrabaisselecombiné,leregardclairetcalme.—Jel'aisuivi.

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Iln'yapaseulamoindreliaisonentrenous.Situtentesdesuggérerlecontraire,j'expliqueraitrès

clairementquetuastoutimaginé.Unhommeàunefemme,parlettre,1960

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Chapitre20

—MADAME?VOULEZ-VOUSBOIREQUELQUECHOSE?Jenniferouvrit lesyeux.Depuisprèsd'uneheure, elle serrait à s'en fairemal les accoudoirsde son

fauteuil tandis que l'aéroplane de la BOAC poursuivait sa course tressautante en direction duKenya.Elle-mêmen'avaitjamaisbeaucoupaimél'avion,maislesincessantesturbulencesdecevoyageavaientsibien fait monter la tension dans le Comet que même les vieux habitués de ces vols long-courriersgrinçaientdesdentsàchaquesoubresaut.Ellegrimaçaensentantsesfessessesouleverdesonsiège,etuncrideterreurretentitàl'arrièredel'avion.Lafuméedescigarettesalluméesàlahâteavaitcréédanslacabineuneétrangeatmosphèrebrumeuse.—Oui,dit-elle.S'ilvousplaît.—Jevaisvousendonnerundouble,ditl'hôtesseavecunclind'œil.L'arrivéevaêtremouvementée.Jenniferavalaundemi-verreenuneseulegorgée.Elleavaitlesyeuxsecsaprèsunlongpéripledeprès

de quarante-huit heures. Avant son départ, elle avait passé plusieurs nuits sans dormir à Londres, sedemandant si ce qu'elle s'apprêtait à faire était une pure folie, comme le reste dumonde semblait lecroire.—Vousenvoulezun?L'hommed'affairesassisàcôtéd'elleluitenditunepetiteboîte,lecouvercleinclinéverselle.Ilavait

lesmainstrèslargesetlesdoigtscommedessaucisses.—Merci.Qu'est-cequec'est?Despastillesàlamenthe?Ilsouritsoussonépaissemoustacheblanche.—Oh,non,dit-ilavecunfortaccentafrikaans.C'estpoursecalmerlesnerfs.Vousrisquezd'enavoir

bientôtbesoin.Elleretirasamain.—Non,merci.Unjour,quelqu'unm'aditqu'enavionilnefallaitpasavoirpeurdesturbulences.—Ilaraison.Cesontdesturbulencesausolqu'ilfautseméfier.Voyantqu'elleneriaitpas,ill'observauninstant.—Oùallez-vous?Faireunsafari?—Non. JedoisattraperunecorrespondancepourStanleyville.Onm'aditqu'iln'yavaitpasdevol

directdepuisLondres.—AuCongo?Mais,madame,qu'allez-vousfairelà-bas?—J'essaiederetrouverunami.—AuCongo?répéta-t-ild'unairincrédule.—Oui.Il laregardaitcommesielleétaitfolle.Elleseredressadanssonsiège,relâchanttemporairementsa

prisesurlesaccoudoirs.

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—Vousnelisezpaslesjournaux?—Unpeu,maispascesderniersjours.J'aiété…trèsoccupée.— Très occupée, hein ? Ma petite dame, vous devriez faire demi-tour et rentrer directement en

Angleterre.Jesuisprêtàparierquevousn'arriverezjamaisauCongo,ajouta-t-ilavecunpetitrire.Ellesedétournadeluipourregarderparlehublot.Desnuagesetdesmontagnesenneigéess'étendaient

auloin.Ellesedemandasoudains'ilyavaitlamoindrechancepourque,àcetinstantprécis,ilsetrouvâtjuste là, dix mille pieds en dessous d'elle. Vous n'avez pas idée du chemin que j'ai déjà fait, luirépondit-elleensilence.Deuxsemainesauparavant,JenniferStirlingétaitsortied'unpasmalassurédesbureauxdelaNation.

Là, debout sur lesmarches, serrant la petitemain potelée de sa fille dans la sienne, elle s'était renducomptequ'ellen'avaitpaslamoindreidéedecequ'elleallaitpouvoirfaire.Unventviolents'étaitlevé,faisant tourbillonner des feuilles dans le caniveau, leur trajectoire hasardeuse reflétant la sienne.CommentAnthonypouvait-ilavoirdisparu?Pourquoin'avait-illaisséaucunmessage?Ellesesouvintdesadétressedans lehallde l'hôteletcraignitdedeviner laréponse.Lesmotsdecegros journalisterésonnaientencoredanssatête.Lemondesemblaitvaciller.L'espaced'uninstant,ellecrutqu'elleallaits'évanouir.PuisEsméseplaignitd'avoirenviedefairepipi.Lademandeimmédiateetconcrètedelafillettelatira

desatorpeur.ElleserenditauRegentHotel,commesiuneinfimepartd'elle-mêmes'imaginaitqu'ilseraitplusfacile

pourluidelatrouvers'ilchoisissaitderevenir.Elleavaitbesoindecroirequ'iltenteraitdelaretrouver,qu'ilvoudraitsavoirqu'elleétaitenfinlibre.Laseulechambredisponibleétaitunesuiteauquatrièmeétage,qu'elles'empressad'accepter.Laurence

n'oserait pas ergoter sur des questions d'argent. Et tandis qu'Esmé regardait sagement la télévision,s'interrompantdetempsàautrepoursautersurlegrandlitdouble,ellepassalerestedelasoiréeàfairelescentpas,cherchantdésespérémentunmoyendefaireparvenirunmessageàunhommeperduaubeaumilieudesvastesétenduesdel'Afriquecentrale.Enfin, lorsqueEsmé se fut endormie, roulée en boule à côté d'elle sous la couverture de l'hôtel, le

poucedanslabouche,Jenniferrestacouchéelààlaregarder,écoutant lesbruitsdelaville,retenantàgrand-peine des larmes d'impuissance, essayant en désespoir de cause de lui envoyer unmessage partélépathie.Boot.S'il teplaît,entends-moi.Il fautquetureviennesmechercher.Jenepeuxpasfaireçatoute

seule.Ledeuxièmeet le troisièmejour,ellepassalamajeurepartiedesontempsàs'occuperd'Esmé.Elle

l'emmenavisiterlemuséed'HistoirenaturelleetprendrelethéàFortnum&Mason;ellesachetèrentdesvêtementsdanslesboutiquesdeRegentStreetetcommandèrentauroom-servicedessandwichsaupouletrôtipourledîner,qu'onleurmontasurunplateaud'argent.Régulièrement,Esmédemandaitoùétaientsonpapa et Mme Cordoza. Jennifer la rassurait, lui disait qu'elle les reverrait bientôt. Elle étaitreconnaissante du courant continu de petites requêtes, la plupart du temps réalisables, que sa fille luiformulait, et des routines imposées par le thé, le bain et la sieste. Mais le soir, dès que la fillettes'endormait,ellefermait laportedelachambreetse laissaitenvahirparunesombreterreur.Qu'avait-

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ellefait?Àchaqueheurequipassait,elleprenaitunpeuplusconsciencedel'énormitédesesactes–et,paradoxalement,deleurfutilité.Elleavaitfaitunecroixsurtoutesonexistence,emmenésafilledansunechambred'hôtel…Ettoutçapourquoi?Elle appela la Nation deux fois encore. Elle avait parlé à l'homme bourru au gros ventre ; elle

reconnaissaitàprésentsavoix,samanièreabruptedes'exprimer.Il luirépétad'unevoixexcédéequ'ilpasserait le message à O'Hare dès que celui-ci donnerait signe de vie. La deuxième fois, elle eutclairementl'impressionqu'ilnedisaitpaslavérité.—Maisildoitbienêtrearrivé,àl'heurequ'ilest?Lesjournalistesneseretrouventpastousaumême

endroit?Personnenepeutluifaireparvenirunmessage?—Jene suispas secrétaire. Jevousaiditque je luipasseraivotremessage, et je le ferai,mais le

Congoestunezonedeguerre.J'imaginequ'ilad'autrespréoccupations.Etilavaitraccroché.Leursuitedevintunebullecoupéedumonde,avecpouruniquesvisiteurslafemmedechambreet le

garçonduroom-service.Jennifern'osaitappelerpersonne,quecefussentsesparentsousesamis,carellenesavaitpasencorecomments'expliquer.Elles'efforçaitdemanger,parvenaitàpeineàdormir.Aufuretàmesurequesaconfiancesedissipait,sonanxiétécroissait.Deplusenplus,ellesedisaitqu'ellenepouvaitpasresterseule.Commentsurvivrait-elle?Ellen'avait

jamaisrienfaittouteseule.Laurenceallaits'arrangerpourl'isolerdetous.Sesparentsallaientlarenier.Tous les jours, elle combattait la tentation de commander une boisson alcoolisée pour estomper sonsentimentdeterreurgrandissante.Et,touslesjours,lapetitevoixquirésonnaitdanssatêtesefaisaitunpeuplusdistincte:TupeuxtoujoursrevenirversLaurence.Quelleautreoptions'offraitàelle,elledontl'uniquetalentétaitd'êtredécorative?Dans ces hauts et ces bas, dans ce fac-similé surréaliste d'une vie normale, les jours passèrent. Le

sixièmejour,elleappelachezelle,devinantqueLaurenceseraitautravail.MmeCordoza,quiréponditàladeuxièmesonnerie,futbouleverséeparl'évidentedétressedelajeunefemme.—Oùêtes-vous,madameStirling?Laissez-moivousapportervosaffaires.Laissez-moivoirEsmé.

Oh,j'aiétésiinquiète!Jenniferfaillitsemettreàpleurerdesoulagement.En moins d'une heure, la gouvernante arriva à l'hôtel avec une valise remplie de ses affaires.

M.Stirling, luiapprit-elle,n'avait rienditendehorsdu faitqu'ellenedevaitpass'attendreàavoirdumondeàlamaisonpendantquelquesjours.—Ilm'ademandéderangerlebureau.Etquandjesuisentréedanslapièce…(Ellelevalamainàson

visage,l'airhorrifiée.)Jen'aipassuquoipenser.—Toutvabien.Vraiment.Jennifernepouvaitserésoudreàluiexpliquercequis'étaitpassé.—Je serais heureusedevous aider comme je peux, poursuivitMmeCordoza,mais je ne crois pas

qu'il…Jenniferluiposasurlebrasunemainapaisante.—Toutvabien,madameCordoza.Croyez-moi,onaimeraittouteslesdeuxvousavoiravecnous,mais

jepensequeceseraitdifficile.Etpuis,unefoisquetoutseseraunpeutassé,Esméiraàlamaisonrendrevisiteàsonpère,doncilvaudraitpeut-êtremieuxpourtoutlemondequevoussoyezsurplacepourvous

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occuperd'elle.Esmé montra à Mme Cordoza tous ses nouveaux vêtements et se blottit sur ses genoux. Jennifer

commandaduthéetleservitàsagouvernante,échangeantavecelledessouriresgênés.—Mercid'êtrevenue,ditJenniferquandMmeCordozaselevapourpartir.Elleavaitlesentimentqu'onvenaitdeluiretirerquelquechosedeprécieux.—Tenez-moiaucourantdecequevousdéciderezde faire,demanda lagouvernanteenenfilant son

manteau.ElleregardaitfixementJennifer,leslèvrespincéesenuneligneanxieuse.Lajeunefemme,prised'une

impulsionsoudaine,fitunpasenavantetlapritdanssesbras.Lagouvernanteluirenditpuissammentsonétreinte,commesielleessayaitdeluitransmettreunpeudesaforce,commesielleavaitcomprisàquelpointJenniferenavaitbesoin.Ellesrestèrentlongtempsenlacéesaumilieudelapièce.Puis,peut-êtreunpeugênée,lagouvernanterecula.Elleavaitlesyeuxrouges.—Jene reviendrai jamais,déclaraJennifer,entendant sespropresmots frapper l'air immobileavec

uneforceinattendue.Jetrouveraiunendroitoùvivre.Maisjenereviendraipas.Lavieillefemmehochalatête.—Jevousappelledemain,dit-elleengriffonnantunpetitmotsur lepapierà lettresdel'hôtel.Vous

pouvezdireàLaurenceoùnoussommes.Ilvautprobablementmieuxqu'illesache.Cettenuit-là,aprèsavoircouchéEsmé,elleappelatouslesjournauxdeFleetStreetpourdemandersi

ellepouvaitenvoyerdesmessagesàleurscorrespondantsétrangers,aucasoùcesdernierstomberaientsurAnthonyenAfriquecentrale.Elleappelaunonclequiavaitautrefoistravaillélà-bas,etluidemandas'il se souvenait des noms de quelques hôtels. Elle passa des appels via l'opérateur international endirection de deux hôtels, un à Brazzaville, l'autre à Stanleyville, et laissa des messages auxréceptionnistes.L'und'euxluiréponditd'untonplaintif:—Madame,nousn'avonspasdeBlancsici.Ilyadesémeutesdansnotreville.—S'ilvousplaît,dit-elle, rappelez-vousseulementsonnom.AnthonyO'Hare.Dites-lui«Boot», il

comprendra.Elleavaitenvoyéunnouveaupetitmotaujournal,espérantqu'illuifûttransmis:Jesuisdésolée.S'ilteplaît,reviens-moi.Jesuislibreetjet'attends.Elle l'avaitdéposéà la réception,songeantque,unefoisqu'ilseraitparti, lesortserait jeté.Ellene

devaitpaspenseràsonparcours,ellenedevaitpastenterdedeviner,durantlesjoursoulessemainesàvenir,oùsoncourrierétaitarrivé.Elleavaitfait toutsonpossible, ilétaitgrandtempsàprésentdeseconcentrer sur la construction de sa nouvelle vie. Elle devait se tenir prête aumoment où l'un de sesnombreuxmessagesluiparviendraitenfin.M.Grosvernorsouriaittoujours.Çaressemblaitàunrictusnerveux,etellefaisaitdesonmieuxpour

l'ignorer.C'étaitleonzièmejour.—Jevousdemanderaiseulementd'apposervotresignatureici,dit-ilendésignantl'emplacementd'un

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doigtsuperbementmanucuré,etlà.Etpuis,biensûr,vousaurezbesoindelasignaturedevotremariici.Ilsouritdenouveau,leslèvrestremblantlégèrement.—Oh,vousn'aurezqu'àleluienvoyerdirectement,dit-elle.LesalondethéduRegentHotelétaitbondédegentilshommesàlaretraiteetdefemmesfatiguéesde

fairelesboutiquesencemercrediaprès-midipluvieux.—Jevousdemandepardon?—Jenevisplusavecmonmari.Nouscommuniquonsexclusivementparcourrier.Ilsemblaatterré.Sonsouriredisparut.Ilattrapalespapiersposéssursesgenoux,commes'ilessayait

dereprendrelecoursdesespensées.— Je crois que je vous ai déjà donné son adresse. La voilà, dit-elle en désignant une des lettres

constituantledossier.Noussommestoujoursd'accordpouremménagerlundiprochain?Mafilleetmoisommesfatiguéesdevivreàl'hôtel.MmeCordozaavaitemmenéEsméfairedelabalançoire.Ellevenaitquotidiennementàprésent,durant

lesheuresdebureaudeLaurence.«Ilyasipeuàfairedanscettemaisondepuisquevousn'êtespluslà»,avait-ellesoupiré.Jenniferavaitvus'éclairerlevisagedelavieillegouvernantequandelleavaittenuEsmédans ses bras, et senti qu'elle préférait de loin être avec elles à l'hôtel que dans la grandemaisonvidedusquare.M.Grosvernorfronçalessourcils.—Ah,madameStirling,pouvez-vousseulementpréciser…Vousditesquevousnevivrezpasdansla

propriété avec M. Stirling ? C'est que le propriétaire est un homme respectable. Il pensait louerl'appartementàunefamille.—Noussommesunefamille.—Maisvousvenezdedire…—MonsieurGrosvernor,nousallonspayervingt-quatrelivresparsemainepourcettelocation.Jesuis

une femmemariée. Jesuis sûrequ'unhomme telquevousconviendraque la fréquenceà laquellemonmarietmoichoisissonsdenousvoirneregardepersonned'autrequenous.Illevalamainensignedeconciliation,unerougeurserépandantsursanuque,etsemitàbafouillerdes

excuses:—C'estseulementque…IlfutsoudaininterrompuparunefemmequicrialenomdeJennifer.Cettedernièreseretournasursa

chaiseetvitYvonneMoncriefftraverserlesalondethépleinàcraquer,sonparapluiedégoulinantdéjàfourréentrelesmainsd'unserveurpeuméfiant.—Tevoilà!—Yvonne,je…—Oùétais-tupassée?Jen'avaispaslamoindreidéedecequit'étaitarrivé!Jesuissortiedel'hôpital

lasemainedernière,ettasatanéegouvernanten'apasvoululâcherunmot!EtpuisFrancism'adit…Elles'interrompit,comprenantàquelpointelleavaitparléfort.Toutelasalles'étaittue,etdesvisages

attentifss'étaienttournésverselles.—Vousnousexcuserez,monsieurGrosvernor?Detoutemanière,ilmesemblequ'onenavaitterminé,

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ditJennifer.Lenotaire,déjàdebout,refermasamalletted'ungestethéâtral.—J'enverraicespapiersàM.Stirlingdansl'après-midi.Jevousrecontacteraiensuite.Surcesmots,ils'éloignaendirectionduhalld'entrée.Dèsqu'ilfutparti,Jenniferposalamainsurlebrasdesonamie.— Je suis désolée, dit-elle. J'ai des tas de choses à t'expliquer. Tu as le temps demonter dansma

suite?Yvonne Moncrieff avait passé quatre longues semaines à l'hôpital : deux semaines avant et deux

semaines après la naissance de bébéAlice. Puis, une fois rentrée chez elle, elle avait été si épuiséequ'elle avait mis encore une semaine à se rendre compte qu'elle n'avait pas vu Jennifer depuis uneéternité. Par deux fois, elle était venue sonner chez ses voisins pour se faire entendre dire queMmeStirlingn'étaitpaslàpourlemoment.Quelquesjoursplustard,elleavaitdécidédedécouvrirparelle-mêmecequisetramait.—Tagouvernanten'afaitquemerépéterdeposerlaquestionàLarry.—Jesupposequ'illuiademandédeneriendire.—Àquelsujet?Yvonnejetasonmanteausurlelitets'assitsurunfauteuiltapissé.—Qu'est-cequetufaisici?Tut'esdisputéeavecLarry?Des ombres mauves cernaient les yeux d'Yvonne, mais sa coiffure était toujours parfaite. Elle lui

semblaitdéjàétrangementdistante,commeunereliqued'uneautrevie.—Jel'aiquitté,annonça-t-elle.Lesgrandsyeuxd'Yvonnescrutèrentsonvisage.—Larryestvenusesoûlercheznous,avant-hiersoir.Cen'étaitpasjoli.Jemesuisditquec'étaità

causedesaffaires,etjesuismontéemecoucheraveclebébépourlaisserleshommesparlerentreeux.QuandFrancism'arejointe,j'étaisàmoitiéendormie,maisilm'aditque,d'aprèsLarry,tuavaisunamantetquetuavaisperdulatête.Jecroyaisavoirrêvé.—Ehbien,ditlentementJennifer,c'étaitenpartievrai.Yvonneseplaqualamainsurlabouche.—Oh,monDieu!PasReggie!Jennifersecoualatêteetparvintàsourire.—Non.Puisellepoussaunlongsoupir.—Yvonne,tum'asterriblementmanqué.J'avaistellementenviedeteparler…Elleracontal'histoireàsonamie,éludantcertainsdétailsmaisrelatantunegrandepartiedelavérité.

C'étaitYvonne,après tout.Lesmots,dans leurgrandesimplicité, semblaientdémentir l'énormitédecequ'elleavaitvécudurantlessemainespassées.Toutavaitchangé.Tout.—Maisjeleretrouverai,conclut-elleavecpanache.Jesaisquejeleretrouverai.Jedoisseulement

toutluiexpliquer.

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Yvonnel'avaitécoutéeattentivement,etJenniferfutfrappéededécouvriràquelpointsaprésence,safranchiseetsessarcasmesluiavaientmanqué.Enfin,Yvonneeutunfaiblesourire.—Jesuissûrequ'iltepardonnera,dit-elle.—Quoi?—Larry.Jesuissûrequ'iltepardonnera.—Larry?répétaJenniferenreculantsursonsiège.—Oui.—Maisjeneveuxpasqu'ilmepardonne!—Tunepeuxpasfaireça,Jenny.—Ilaunemaîtresse.—Oh,tupeuxt'endébarrasser!Cen'estqu'unesecrétaire,pourl'amourduciel!Dis-luiquetuveux

remettrelescompteursàzéro.Dis-luiqu'iln'aqu'àenfaireautant.Jenniferenbafouillaitpresque:—Maisjeneveuxplusdelui,Yvonne.Jeneveuxplusêtresonépouse.—Tupréfèresattendreunmisérablepetitreporterquipourraittrèsbiennejamaisrevenir?—Oui.Yvonnesortitunpaquetdecigarettesdesonsac,enallumauneetsoufflaunelongueboufféedefumée

aumilieudelapièce.—EtEsmé?—Quoi,Esmé?—Commentva-t-ellegrandirsanssonpère?—Elleauratoujourssonpère.Ellelevoittoutletemps.Enfait,ellevaresteràlamaisonceweek-

end.Jeluiaiécrit,etilm'arépondupourconfirmer.—Tusaisque lesenfantsdeparentsdivorcés subissentde terriblesmoqueriesà l'école?Lapetite

Allsopnevapasbiendutout.—Onnevapasdivorcer.Sescamaradesn'ensaurontrien.Yvonnetiraitfurieusementsursacigarette.— S'il te plaît, dit Jennifer d'une voix plus douce, essaie de comprendre. Je ne vois pas pourquoi

Laurenceetmoinepourrionspasvivreséparément.Lasociétéévolue.Nousnesommespasobligésderesterenfermésdansunesituationqui…JesuissûrequeLaurenceserabienplusheureuxsansmoi.Etcettedécisionnedevraitpasbouleverserlereste.Pasvraiment.Toietmoipouvonsresteramiescommetoujours. En fait, je me disais qu'on pourrait peut-être sortir les enfants ensemble cette semaine. OnpourraitlesemmeneraumuséedeMadameTussauds.Jesaisqu'EsméatrèsenviederevoirDotie…—Aumusée?—OudanslesjardinsbotaniquesdeKew.Maisjenesuispassûrequeletemps…—Arrête,l'interrompitYvonneenlevantunemainélégante.Arrête.Jeneveuxpasécouterunmotde

plus.Tueslafemmelaplusextraordinairementégoïstequejeconnaisse.

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Elleécrasasacigarette,selevaetpritsonmanteau.—Enquoicrois-tuquelavieconsiste,Jennifer?Unesortedecontedefées?Tut'imaginesqu'onn'en

apastoutesras-le-boldenosmaris?Tucroispouvoirnousdemanderderestersansriendirependantque tu te pavanes comme si… comme si tu n'étais même pas mariée ? Si tu veux te vautrer dans ladécadencemorale,libreàtoi,maistunedoispast'attendreàcequ'oncautionnetonattitude!Jenniferenrestabouchebée.Yvonnesedétourna,commesiellenepouvaitmêmepluslaregarder.—Etjeneseraipaslaseuleàpenserça.Jetesuggèredebienréfléchiràcequetuvasfaire.Ellepliasonmanteausursonbrasetquittalapièce.Troisheuresplustard,Jenniferavaitprissadécision.Àmidi, l'aéroport d'Embakasi était une véritable fourmilière.Après avoir récupéré sa valise sur le

tapisroulant,Jennifersefrayauncheminverslestoilettes,s'aspergealevisaged'eaufroideetenfilaunchemisierpropre.Elles'attacha lescheveux, lanuquedéjàmoiteàcausede lachaleur.Quandelle futressortiedestoilettes,sonchemisierluicollaaudosauboutdequelquessecondes.L'aéroportgrouillaitdevoyageursquisetenaientengroupesouenfilesindisciplinées,s'invectivantles

uns lesautres.Jennifer restaun instantpétrifiée, regardantpasserdes femmesafricainesauxvêtementscolorés,chargéesdevalisesetd'immensessacsdelingequ'ellesfaisaienttenirenéquilibresurleurtête.Des hommes d'affaires nigériens fumaient dans un coin, la peau luisante, tandis que de petits enfantsslalomaientencourantentrelesgensassisparterre.Unefemmepoussantunepetitebrouettesefrayaitunpassage au milieu de la foule en vendant des boissons. Les panneaux des départs annonçaient queplusieursvolsétaientenretard,maisnedonnaientaucuneindicationcomplémentaire.Parcontrasteaveclacacophoniequirégnaitdanslebâtiment,l'extérieurétaitsilencieux.Lemauvais

temps s'était éclairci, la chaleur ayant fait disparaître toute l'humidité restante, si bien que Jenniferpouvaitapercevoirdesmontagnesmauvesàl'horizon.Lapisteétaitdéserte,àl'exceptiondel'avionquil'avaitamenée;endessous,unhommesolitairepassaitlebalaid'unairméditatif.Del'autrecôtédelabâtissemoderneet rutilante,onavaitbâtiunpetit jardinde rocailleagrémentédecactusetdeplantesgrasses. Elle admira les blocs de roche arrangés avec soin, s'émerveillant que quelqu'un se fût donnéautantdemaldansunendroitsichaotique.LesguichetsduBOACetde l'EastAfricanAirwaysétaient fermés,sibienqu'elledut retraverser la

fouledansl'autresens.Ellecommandaaubarunetassedecafé,dénichaunetableets'assit,entouréedevalisesetdepanierstressés,sousleregardsinistred'uncoqueletdontonavaitliélesailesàl'aided'unecravated'écolier.Qu'allait-ellebienpouvoir lui dire ?Elle l'imaginadansunclubde correspondants étrangers, àdes

kilomètresducœurdel'action,oùlesjournalistesseretrouvaientpourboireetdiscuterdesévénementsdujour.Serait-ilentraindeboiredel'alcool?Lemondeétaitpetit, luiavait-ildit.UnefoisarrivéeàStanleyville,elletrouveraitbienquelqu'unquileconnaîtrait.Quelqu'unquiseraitenmesuredeluidireoù il était. Elle se vit arriver, épuisée, à son club, une image récurrente qui lui avait permis de tenirdurantcesderniersjours.Ellelevoyaitclairement,deboutsousunventilateur,discutantavecuncollègue.Elleimaginasonahurissementlorsqu'ilseretourneraitpourl'apercevoir.Ellecomprendraitsasurprise:aucoursdesdernièresquarante-huitheures,elle-mêmes'étaitàpeinereconnue.

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Rien dans sa vie ne l'avait préparée à ce qu'elle venait de faire ; rien n'avaitmême indiqué qu'elleseraitcapabledelefaire.Etpourtant,dès l'instantoùelleétaitmontéedanscetavion,malgrésapeur,elles'étaitsentieétrangementenivrée,commesiellevenaitseulementdedécouvrircequec'étaitqu'êtrevivante. Elle avait alors ressenti, peut-être à cause de ce court instant d'exaltation, un lien étrange senouerentreelleetAnthonyO'Hare.Elleletrouverait.Elleavaitprissavieenmainaulieudeselaisserballotterparlesévénements.Elle

allait déciderde sonpropre avenir.Elle se retintdepenser àEsmé, sedisantque ses efforts seraientrécompensésquandellepourraitenfinlaprésenteràAnthony.Finalement,un jeunehommerevêtud'unbeluniformebordeauxpritplacederrière lecomptoirde la

BOAC.Elleabandonnasoncaféettraversalehallaupasdecourse.—IlmefautunbilletpourStanleyville,dit-elleencherchantdel'argentdanssonsac.Leprochainvol.

Vousvoulezvoirmonpasseport?Lejeunehommeladévisagea.—Non,madame,dit-ilenremuantviolemmentlatêtededroiteàgauche.PasdevolpourStanleyville.—Maisonm'aditqu'ilyavaitunelignedirecte.—Jesuisdésolé.TouslesvolspourStanleyvilleontétéannulés.Ellerestafigéelà,muettedefrustration,jusqu'àcequ'ilserépète,puistraînasavalisejusqu'auguichet

delaEAA.Lajeunefillederrièrelecomptoirluidonnalamêmeréponse.—Non,madame.Lesvolsentrantssontannulésàcausedestroubles,dit-elleenroulantses«r».—Etquandvont-ilsreprendre?C'estuneurgence,jedoisabsolumentmerendreauCongo.Lesdeuxmembresdupersonneléchangèrentunregard.—PasdevolversleCongo,répétèrent-ils.Ellen'étaitpasvenuesiloinpourseretrouverbloquéefaceàdesregardsvidesetdesrefus.Jenepeuxpasl'abandonnermaintenant.Au-dehors,lebalayeurcontinuaitàparcourirlapiste.C'estalorsqu'elleaperçutunhommeblancquiremontaitleterminald'unpasvif,undossierdecuiràla

main, arborant la posture bien droite de la haute administration.La sueur avait forméun triangle plusfoncédansledosdesavestedelinbeige.Ilcroisasonregard,bifurquaets'avançaverselle.—MadameRamsey?dit-ilenluitendantlamain.JesuisAlexanderFrobisher,duconsulat.Oùsont

vosenfants?—Non.Jem'appelleJenniferStirling.Il refermalaboucheet ladévisagea,semblantsedemandersielleaussi l'avaitprispourunautre. Il

avaitlevisagebouffi,cequiluifaisaitpeut-êtreparaîtreplusvieuxqu'ill'étaitréellement.—Mais j'ai besoindevotre aide,monsieurFrobisher, poursuivit-elle. Il faut absolument que jeme

rendeauCongo.Savez-voussijepeuxprendreuntrainjusqu'àStanleyville?Onm'aditqu'iln'yavaitpasd'avions.Enfait,jen'aipaspuobtenirbeaucoupd'informations.Elleétaitconscientequesonproprevisageluisaitàcausedelachaleuretquesacoiffureavaitdéjà

commencéàsedéfaire.

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Lorsqu'ilpritlaparole,cefutcommes'ilessayaitd'expliquerquelquechoseàundésaxé:—Madame…—Stirling.—MadameStirling,personnenevaauCongo.Vousn'êtespasaucourantqu'ilya…—Oui,jesaisqu'ilyadesconflits.Maisjedoisretrouverquelqu'un,unjournalistequiestarrivéilya

peut-êtredeuxsemaines.C'estd'uneimportancecapitale.Ils'appelle…—Madame, il n'y a plus de journalistes auCongo, dit-il en déchaussant ses lunettes.Avez-vous la

moindreidéedecequis'ypasse?—Unpeu.Enfaitnon,jevoyageaisdepuisl'Angleterre.J'aidûprendreuncheminasseztortueux.—LesÉtats-Unis,ainsiquenotregouvernement,ontprispartàlaguerre.Ilyaencoretroisjours,nous

étions en crise avec trois cent cinquante otages blancs, y compris des femmes et des enfants, quipouvaientêtreexécutésàtoutmomentparlesrebellesSimba.DestroupesbelgeslescombattentdanslesruesdeStanleyville.Onarapportélamortdeprèsd'unecentainedecivils.Ellel'entendaitàpeine.—Maisjepeuxpayer…etjepaierai,quoiqu'ilencoûte.Jedoisallerlà-bas.Illapritparlebras.—MadameStirling, jevousdisquevousnepourrezpasaller auCongo. Iln'yapasde trains,pas

d'avions,pasderoutes.Lestroupesontétéacheminéesparpontaérien.Et,mêmes'ilyavaitunmoyendetransport, jenepermettraispasqu'uncitoyenbritannique–une femme,quiplusest–pénètredansunezonedeguerre.Ilgriffonnaquelquesmotssursoncalepin.—Jevoustrouveraiunendroitoùpatienteretvousaideraiàréservervotrevolderetour.L'Afrique

n'estpasunendroitpourunefemmeblancheseule.Ilpoussaunsoupirépuisé,commesiellevenaitd'ajouterunnouveaupoidsàsonfardeau.Jenniferréfléchissait.—Combiendegenssontmorts?—Onnesaitpas.—Avez-vousleursnoms?—Pourlemoment,jen'aiqu'unelistedesplusrudimentaires.Elleestloind'êtreexhaustive.—S'ilvousplaît.Soncœurs'étaitpresquearrêtédebattre.—S'ilvousplaît,laissez-moilavoir.Jedoissavoirs'ilest…Ilsortitdesondossierunefeuilledepapierfroissétapéàlamachine.Elle parcourut la liste, les yeux si fatigués que les noms, inscrits par ordre alphabétique, se

brouillaient.Harper.Hambro.O'Keefe.Lewis.Lesienn'étaitpaslà.Lesienn'étaitpaslà.EllerelevalesyeuxversFrobisher.—Avez-vouslesnomsdesotages?

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—MadameStirling,nousnesavonsmêmepascombiendecitoyensbritanniquessetrouvaientdanslaville.Regardez.Ilsortituneautrefeuilleetlaluitendit,écrasantdesamainlibreunmoustiquequis'étaitposésursa

nuque.—C'estlederniercommuniquéenvoyéàlordWalston.Ellesemitàlire,lesphrasesluisautantauvisage:Cinq mille morts rien qu'à Stanleyville… Nous pensons qu'il reste environ vingt-sept citoyens

britanniquesdansleterritoirecontrôléparlesrebelles…Nousnepouvonsdonneraucuneindicationsurl'heure à laquelle nous atteindrons les zones où se trouvent les Britanniques, même si nous lesconnaissionsavecunquelconquedegréd'exactitude.—Ilyadessoldatsbelgesetaméricainsdanslaville.IlssontentraindereprendreStanleyville,et

nousavonsunavionpoursecourirceuxquileveulent.—Commentpuis-jesavoirs'ilestsecouru?Ilsegrattalatête.—Vous ne pouvez pas. Certaines personnes semblent ne pas vouloir qu'on les sauve. Ces gens-là

préfèrentresterauCongo.Ilspeuventavoirleursraisons.Ellesongeasoudainaugrosrédacteurdujournal.«Quisait?Quelqu'unl'apeut-êtrepousséàs'enaller.»—Sivotreamiveutsortirdelaville,ilensortira,dit-ilens'essuyantlevisageavecsonmouchoir.S'il

veutrester,ilestparfaitementpossiblequ'ildisparaisse–auCongo,iln'yariendeplusfacile.Jennifers'apprêtaitàparlermaisfutinterrompueparunsourdmurmurequiserépandaitdansl'aéroport

tandisque,par lesportesd'arrivées,unefamillefaisaitsonentrée.Toutd'abordapparurentdeuxpetitsenfants,muets, lesbraset la têtebandés, le regardétonnammentgrave.Unefemmeblonde, lessuivait,serrantunbébédanssesbras,lesyeuxhagards,lescheveuxsalesetlevisagemarquéparl'épuisement.Lorsqu'ellelesaperçut,unefemmebienplusâgéeselibéradubrasdesonmariquilaretenait,passadel'autrecôtédelabarrièreet,gémissante,lesattiracontreelle.Lafamillebougeaàpeine.Puislajeunemère,tombantàgenoux,semitàpleurer,laboucheformantungrand«o»dedouleur,latêteposéesurl'épaulerebondiedelavieillefemme.Frobisherrangeasespapiersdanssondossier.—LesRamsey.Excusez-moi.Jedoism'occuperd'eux.— Ils y étaient ? demanda-t-elle en regardant le grand-père prendre la petite fille sur ses épaules.

Pendantlemassacre?Àlavuedesenfants,deleurvisagefigéparlechoc,elleavaitsentisesentraillessetordre.Illaregardad'unairsévère.—MadameStirling,s'ilvousplaît,vousdevezrentrer,maintenant.Cesoir,ilyaunaviondelaEast

AfricanAirwaysquipartpour l'Angleterre.Alors,àmoinsquevousn'ayezdesamisbienplacésdanscetteville,jenepeuxquevousencourageràleprendre.

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EllemitdeuxjourspourrentreràLondres.Puis,dèscetinstant,sanouvelleviecommença.Yvonnetint

parole:ellenelarecontactapas,etl'uniquefoisoùJennifertombasurViolet,celle-cisemblasimalàl'aise qu'elle n'eut pas le cœur à la poursuivre. Cette froideur la toucha moins qu'elle aurait pu s'yattendre:lesdeuxfemmesappartenaientàsonanciennevie,qu'elleavaitdéjàpeineàreconnaîtrecommeayantétélasienne.Presquetouslesjours,MmeCordozaluirendaitvisiteàsonnouvelappartement,trouvantsanscesse

denouvellesexcusespourpasserdutempsavecEsméouaiderJenniferauxtâchesménagères.Lorsd'unaprès-midipluvieux, tandisqu'Esmé faisait la sieste, Jennifer parlad'AnthonyàMmeCordoza, qui seconfiaunpeuplusausujetdesonmari.Puis,enrougissant,elleévoquaunhommesympathiquequiluiavaitenvoyédesfleursdepuisunrestaurant,àdeuxruesdelà.—Jenevoulaispasl'encourager,dit-elledoucementenfaisantsonrepassage,maisaprèstout…Laurencecommuniquaitparpetitsmots,seservantdeMmeCordozacommeémissaire.J'aimerais emmenerEsméaumariagedemoncousinàWinchester samediprochain. Je la ramènerai

pour19heures.Sesmots étaient distants, formels,mesurés. Parfois, en les lisant, Jennifer s'étonnait d'avoir pu être

mariéeàcethomme.Chaquesemaine,ellese rendaitaubureaudepostedeLangleyStreetpourvoirs'iln'yavait riende

nouveaudanslaboîtepostale.Et,chaquesemaine,ellerentraitchezelleenessayantdenepasselaisserdémonterparle«non»delaguichetière.Elleemménageadanssonappartementde locationet,quandEsméentraà l'école,ellepritun travail

bénévoleauBureaud'aidesocialedesonquartier,laseuleorganisationquinesemblaitpassesoucierdesonmanqued'expérience.Elleapprendrait sur le tas, avaitdit sonsuperviseur.«Et, croyez-moi,vousapprendrezvite.»Moinsd'unanplus tard,on luioffritunpostesalariéauseindumêmebureau.Elleconseillaitlesgenssurdesproblèmespratiquestelsquelagestiondeleurargent,lesconflitsdelocation–ilyavaitbientropdemauvaispropriétaires–ouladivisionducerclefamilial.Au début, cette incessante litanie de problèmes, cettemarée demisère humaine, l'avait découragée,

maispeuàpeu,enprenantdel'assurance,elles'aperçutqu'elleétaitloind'êtrelaseuleàavoirgâchésavie. En remettant les choses en perspective, elle découvrit qu'elle était heureuse de ce qu'elle étaitdevenueetressentaitunecertainefiertéquandquelqu'unrevenaitpourluidirequ'ellel'avaitunpeuaidé.Deuxansplustard,Esméetelledéménagèrentdenouveau.JenniferavaitachetéledeuxpiècesdeSt

John'sWoodavecl'argentfourniparLaurenceetl'héritaged'unetanteéloignée.Lessemainesdevinrentdesmois,puisdesannées,etelleenvintàaccepter l'idéequ'AnthonyO'Harenereviendraitpas. Ilnerépondraitpasàsesmessages.Ellenes'étaitlaissésubmergerparledésespoirqu'enuneseuleoccasion,lejouroùlesjournauxavaientrapportélesdétailsdumassacredel'HôtelVictoria,àStanleyville.Puiselleavaitdéfinitivementcessédelirelapresse.Ellen'avaitappelélaNationqu'uneseulefois.Unesecrétaireavaitrépondu,et,quandelleavaitdonné

son nom, espérant vaguement qu'Anthony serait là, elle avait entendu : « C'est encore cette

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MmeStirling?»Etlaréponse:«Cen'estpascelleàquiilnevoulaitpasparler?»Elleavaitreposélecombiné.Sept ans plus tard, elle revit sonmari.D'un commun accord, ils venaient d'inscrire Esmé dans une

pension du Hampshire, un vaste bâtiment de brique rouge à l'architecture chaotique d'une maison decampagnetrèsaimée.Jenniferavaitprisunaprès-mididecongépourl'emmener,etellesfirentroutedanssanouvelleMini.Elleportaituntailleurbordeauxets'attendaitpresqueàcequeLaurenceluifasseuncommentairedésagréableàcesujet–iln'avaitjamaisaimécettecouleursurelle.S'ilteplaît,abstiens-toidevantEsmé,leconjura-t-elleensilence.S'ilteplaît,restonscourtois.Mais l'homme assis dans le hall du collège n'avait rien de commun avec le Laurence dont elle se

souvenait.Enfait,ellenelereconnutpasimmédiatement.Ilavaitleteintgrisâtre,lesjouescreuses;ilsemblaitavoirvieillidevingtans.—Salut,papa,fitEsméenl'étreignant.IladressaunsignedetêteàJennifer,maisneluitenditpaslamain.—Jennifer,dit-il.—Laurence,répondit-elle,toujourssouslechoc.La rencontre fut brève. La directrice, une jeune femme au regard calme et évaluateur, ne fit aucune

allusionaufaitqu'ilsavaientfournideuxadressesdifférentes.Celadoitdevenirdeplusenpluscommun,songeaJennifer.Aucoursdelasemaine,elleavaitreçuaubureaupasmoinsdequatrefemmesquicherchaientàquitter

leursmaris.—Nousferonstoutnotrepossiblepourqu'Esméfasseiciunagréableséjour,déclaraMmeBrowning.Elleaunregarddoux,seditJennifer.—Toutsepassevraimentmieuxquandlesfilleschoisissentelles-mêmesdevenirenpension,etj'ai

crucomprendrequ'elleadéjàdesamiesici,doncjesuissûrequ'ellesesentiratrèsvitechezelle.— Elle lit beaucoup de romans d'Enid Blyton, indiqua Jennifer. Je la soupçonne de penser que, à

l'internat,onpassesontempsàorganiserdesbanquetsdeminuitdanslesdortoirs.—Oh, il y enaparfois.C'est àpeuprèsdansce seulbutque la confiserie estouverte levendredi

après-midi.On tendà fermer l'œil,àconditionquecenesoitpas tropbruyant.Onaimeque les fillesdécouvrentquelquesavantagesàlavieenpension.Jennifersedétendit.C'étaitLaurencequiavaitchoisi l'école,maissescraintessemblaient infondées.

Les quelques semaines à venir allaient être difficiles, mais elle s'était habituée aux absences d'Esmélorsquecelle-cipassaitlanuitchezLaurence,etelleavaitsontravailpours'occuperl'esprit.Ladirectriceselevaetluitenditlamain.—Jevousremercie.Bienévidemment,nousvousappelleronsencasdeproblème.Lorsquelaporteserefermaderrièreeux,Laurencesemitàtousser–unetouxdure,sèche,quiluifit

serrerlamâchoire.Ellevoulutdirequelquechose,maisillevalamaincommepourluidemanderden'enrienfaire. Ilsmarchèrent lentementvers l'escalier,côteàcôte,commes'ilsnes'étaient jamaisséparés.

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Elle aurait pu presser l'allure, mais cela lui aurait semblé trop cruel : Laurence, essoufflé, étaitvisiblementauborddumalaise.Enfin, incapablede le supporterplus longtemps,ellearrêtaune jeunefillequipassaitetluidemandadebienvouloirluichercherunverred'eau.Quelquesminutesplustard,lafillerevint,etLaurences'assitlourdementsurunechaiseenacajoudanslecouloirlambrissé.Jennifertrouvalecouragedeleregarderlonguement.—Est-cequec'est…?commença-t-elle.—Non, dit-il en finissant son verre d'eau avant de prendre une longue et douloureuse inspiration.

Apparemment,cesontlescigares.Jesuisbienconscientdel'ironiedelasituation.Elles'assitàcôtédelui.—Tudoissavoirquej'aiprisuneassurance.Vousnemanquerezderien,Esméettoi.Elleluijetaunregardsceptique,maisilsemblaitréfléchir.—Onaélevéunegentillepetitefille,dit-ilenfin.Parlafenêtre,ilsvoyaientEsmédiscuteravecdeuxautresfillessurlapelouse.Puis,commerépondant

àunsignalqu'ilsn'entendirentpas,lestroisgaminessemirentàcourirdansl'herbe,leursjupesvolantauvent.—Jesuisdésolée,dit-elleenseretournantverslui.Pourtout.Ilreposasonverreetselevaavecpeine.Ilrestalàunebonneminute,luitournantledos,observantles

fillettesquijouaientau-dehors,puisseretournaet,sanscroisersonregard,hochalégèrementlatête.Elleleregardapasserlagrandeported'unpasraideettraverserlapelousepourretrouversamaîtresse

quil'attendaitdanssavoiture.Safille,quil'avaitaccompagné,luifitdegrandsgestesd'adieuquandlaDaimleravecchauffeurremontal'allée.Deuxmoisplustard,Laurenceétaitmort.

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Jetehaisetjesaisquetum'aimestoujoursbienmaisjenet'aimepasjemefichedecequetesamis

débilesdisenttumefaistetoucherlesmainspourdesraisonsstupidestudisaccidentellementquetum'asprisdanstesbrasjenet'aimeraiplusjamaisjamaisjeTEHAISJETEHAISPLUSQUETOUTDANSCEPUTAINDEMOOOONDEjepréféreraismetaperunearaignéeouunratplutôtquetoituestropmocheetgros!Unefemmeàunhomme,parmail

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Chapitre21

LAPLUIEN'APASCESSÉDETOMBERDETOUTELASOIRÉE;DESNUAGESSOMBRESFILENTSURL'HORIZONDELA

VILLEavantdesefaireavalerparlanuit.Ledélugecontinuelconfinelesgensdansleursappartements,étouffe les rues, si bien que les seuls bruits audibles à l'extérieur sont des dérapages occasionnels depneus sur la chaussée mouillée, le gargouillis des gouttières pleines ou le pas rapide d'un passantsolitaire,presséderentrerchezlui.Il n'y a aucunmessage sur son répondeur, et pas lamoindre enveloppe lumineuse sur l'écrande son

portable.Sesmailsselimitentautravail,àdespubspourdesgénériquesduViagraetàunmessagedesamèreluiracontantdanslesmoindresdétailslerétablissementduchienaprèssonopérationdelahanche.Assiseentailleursurlecanapé,Elliesirotesontroisièmeverredevinrougeenrelisantleslettresqu'elleaphotocopiéesavantdelesrestituer.Celafaitmaintenantquatreheuresqu'elleaquittél'appartementdeJennifer Stirling, mais son esprit est toujours en ébullition. Elle imagine ce Boot, téméraire, le cœurbrisé,partiauCongoàuneépoqueoùlesEuropéenss'yfaisaientmassacrer.«J'ailulesrapportssurlestueries,etilyaeutoutunhôteldevictimesàStanleyville,avaitditJennifer.J'enaipleurédeterreur.»Elle la voit se rendre au bureau de poste semaine après semaine, attendant en vain une lettre quin'arriveraitjamais.Unelarmes'écrasesursamanche,etellerenifleenl'essuyant.Leurhistoired'amourvalaitvraimentledétour,songe-t-elle.Il s'agissait d'un homme qui avait ouvert son cœur à la femme qu'il aimait ; il avait cherché à la

comprendre et tenté de la protéger, des autres comme d'elle-même. Et quand, au bout du compte, ilsn'avaientpaspuêtreensemble,ils'étaitretiréàl'autreboutdumondeets'étaitsacrifié,lalaissantportersondeuilpendantquarantelonguesannées.Etmoi,sedit-elle,qu'est-cequej'ai?Unhommequimefaitl'amourunefoistouslesdixjourset

m'envoiequelquesmessagesévasifs.J'aitrente-deuxans,macarrièrepartenvrille,mesamissaventquemaviesentimentaleestvouéeàl'échec.J'aideplusenplusdemalàmeconvaincrequejemènel'existencequejemesuischoisie.Il est 21 h 15. Elle sait qu'elle devrait arrêter de boire,mais elle est triste, en colère et d'humeur

autodestructrice.Elle se sert unautreverre, versequelques larmeset relit une fois encore ladernièrelettre.CommeJennifer,elleamaintenantl'impressiondeconnaîtrecesmotsparcœur.Ilstrouventenelleuneterriblerésonance:Êtreloindetoi–àdesmilliersdekilomètres–nem'apporteaucunréconfort.Lefaitdeneplusêtre

tourmentépartaproximité,placédevantlapreuvequotidiennedemonincapacitéàobtenirlaseulechosequejeveuxvraiment,nem'apasaidéàcicatriser.Çan'afaitqu'empirerleschoses.Monavenirs'étenddevantmoicommeuneroutedéserteetsombre.EllepourraitpresquetomberamoureusedeceBoot.EllesereprésenteJohn,l'entendluiprononcerces

mots,et,l'alcoolaidant,lesdeuxhommessefondentl'undansl'autre.Commentéleversavieau-dessus

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du quotidien et la rendre épique ? Pour ça, il faut sûrement avoir le courage d'aimer. Elle sort sonportabledesonsac,sentantseglisserenellequelquechosedesombreetde téméraire.Ellerédigeunmessage,lesdoigtspressantmaladroitementlestouches:Appelle-moi,s'ilteplaît.J'aibesoindet'entendre.Elleappuiesur«Envoyer»,prenantdéjàlamesuredel'énormitédesonerreur.Ilrisqued'êtrefurieux.

Oudenepasrépondre.Ellesedemandecequiestlepire.Latêteentrelesmains,ellesemetàpleurer.PourBoot,pourJennifer,pour lesoccasionsqu'onrateet lesviesqu'onsabote.Ellepleureaussipourelle-même,parcequepersonnenel'aimerajamaiscommecethommeaaiméJenniferetparcequ'elleseditqu'elleestentraindegâchercequiauraitpuêtreunevieagréablebienqu'ordinaire.Ellepleureparcequ'elle est soûle, toute seuledans sonappartement, et que l'undes rares avantages àvivre seule, c'estjustementdepouvoirpleurersansretenuequandonenaenvie.Elle sursaute en entendant la sonnette de l'entrée, lève la tête et se fige jusqu'à ce que la sonnerie

retentissedenouveau.L'espaced'unbrefinstantdefolie,elleimaginequec'estJohn,enréponseàsonmessage.Soudaingalvanisée,ellecourtaumiroirdel'entrée,frottantfrénétiquementlesmarbruresrougessursonvisage,etdécrochel'interphone.—Allô?—Alors,madameje-sais-tout,commenttuorthographies«visiteurimportun»?Elleclignedesyeux.—Rory.—Mauvaiseréponse.Ellesemordlalèvreets'appuiecontrelemur.Unbrefsilences'installe.—Tuesoccupée?Jepassaisjustedanslecoin.Ilparled'untonjoyeux,exubérant.—Bon,d'accord…J'aifaitungranddétourpourvenirjusqu'ici.—Monte.Elleraccrocheetvas'aspergerlevisaged'eaufroide,peinantàsurmontersadéceptionalorsqu'ilétait

tellementévidentqueçan'auraitpaspuêtreJohn.Elle l'entend monter les marches quatre à quatre, puis pousser la porte d'entrée qu'elle a laissée

entrebâillée.—Jesuisvenut'obligeràsortirprendreunverre.Oh!Ilaperçoitlabouteilledevinvide,puis,unesecondeplustard,sonvisage.—Ah.Troptard.Elleparvientàesquisserunsouriresansconviction.—Jen'aipaspasséunesupersoirée.—Ah.—Jecomprendraisituveuxt'enaller.

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Ilporteuneécharpegrisequiressembleàducachemire.Elle-mêmen'ajamaiseudepullencachemire.Commenta-t-ellepuatteindrel'âgedetrente-deuxanssansavoirdepullencachemire?—Jenesuispassûred'êtredetrèsbonnecompagniecesoir.Ilposedenouveaulesyeuxsurlabouteilledevin.—Ehbien,Haworth,dit-ilendénouantsonécharpe,c'estunechosequinem'ajamaisarrêtéejusqu'ici.

Etsij'allumaislabouilloire?Ilfaitbouillirdel'eauetfouilledanslesplacardsdelaminusculecuisinejusqu'àtrouverdessachets

dethé,dulaitetdescuillers.EllepenseàJohnquiafaitexactementlamêmechoseilyaàpeineunesemaine,etàcesouvenirellealeslarmesauxyeux.PuisRorys'assiedenposantunetassedevantelleet,pendantqu'elleboit,plusvolubilequed'ordinaire,illuiracontesajournéeetluiparledel'amiavecquiilvientdeboireunverreetquiluiasuggéréuntrajetinéditàtraverslaPatagonie.L'amienquestion–illeconnaîtdepuisl'enfance–estdevenuunesortedevoyageurdecompétition.—Tuvoislegenre.Tuluidisquetuasl'intentiond'allerauPérou,et il terépond:«Oh,oubliele

MachuPicchu,j'aipassétroisnuitsaveclespygméesdanslajungled'Atacanta.Ilsm'ontcuisinéundeleursparentsquandons'estretrouvésenpénuriedeviandedebabouin.»—Charmant,dit-elle,rouléeenboulesurlecanapé,satasseserréecontreelle.—Ilestsympa,maisjedoutedepouvoirlesupporterpendantsixmois.—Tuparspoursixmois?—J'espère.Ellesesentébranléeparunnouveauséismedetristesse.Certes,Roryn'estpasJohn,maisçaluiafait

dubiend'avoirunhommeavecquisortirlesoirdetempsentemps.—Alors,qu'est-cequit'arrive?demande-t-il.—Oh…J'aieuunedrôledejournée.—Maisonestsamedi!Jecroyaisquelesfillescommetoipassaientlajournéeàéchangerdespotins

enécumantlesboutiquesdechaussures.—Non,aujourd'hui,jen'aipasfaitdanslecliché.JesuisalléevoirJenniferStirling.—Qui?—Lafemmedeslettres.Lasurpriseselitsurlevisagedujeunehomme.Ilsepencheenavant.—Lavache!Alorsellet'avraimentappelée!Qu'est-cequis'estpassé?Brusquement,c'estplusfortqu'elle,elleseremetàpleurer.—Jesuisdésolée,murmure-t-elleencherchantàtâtonsunpaquetdemouchoirs.Jesuisdésolée.Jene

saispaspourquoijesuisaussiridicule.Ellesentsamainseposersursonépaule,sonbrasseglisserautourd'elle.Ellesentsurluiuneodeur

debar,dedéodorant,decheveuxpropresetd'extérieur.—Eh,dit-ildoucement.Çaneteressemblepas.Qu'est-cequetuensais?songe-t-elle.Personnenesaitcequimeressemble.Moi-même,jenesuis

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passûredelesavoir.—Ellem'atoutraconté.Toutesonhistoired'amour.Oh,Rory,c'estàvousbriserlecœur.Ilssesont

tellementaimés,maisilsn'ontpascessédesemanquerjusqu'àcequ'ilmeureenAfriqueetqu'ellenelerevoieplusjamais.Ellepleuresifortquelesmotssontpresqueinaudibles.Illaserredanssesbras,latêtepenchéeversellepourmieuxl'entendre.—C'estdeparleràunevieilledamequit'arenduesitriste?Unamourbriséquidated'ilyaquarante

ans?—Tuauraisdûêtrelà.Tuauraisdûl'entendre…Elleluiraconteunepartiedel'histoireets'essuielesyeux.—Elleestsibelle,sigracieuseetsitriste…—Toiaussi,tuesbelle,gracieuseettriste.Bon,peut-êtrepasgracieuse…Elleposelatêtesursonépaule.—Jen'auraisjamaiscruquetuétais…Neleprendspasmal,Ellie,maisjesuissurpris.Jenepensais

pasquetupouvaisêtreaffectéeparceslettres.—Iln'yapasqueleslettres,renifle-t-elle.Ilattend.Ils'installeplusconfortablementsurlecanapé,maissamainresteposéesursanuque.Ellese

rendcomptequ'elleneveutpasqu'ill'enlève.—Alors?Savoixestdouce,interrogative.—J'aipeur…—De?—J'aipeurquepersonnenem'aimejamaiscommeça,murmure-t-elle.L'alcool l'a rendueplus téméraire.Sonregardà luis'estadoucietsonsouriresarcastiqueadisparu,

comme par compassion. Il la regarde, et elle se tamponne les yeux. Un instant, elle pense qu'il val'embrasser,maisilsecontentedes'emparerd'unelettrepourlalireàhautevoix:Enrentrantàlamaisoncesoir,jemesuislaisséprendredansunerixedevantunpub.Deuxhommes

sebagarraient,encouragéspardessupportersivresmorts.Soudainj'aiétéprisdansleurvacarmeetleurconfusion,aumilieudesjuronsetdesbouteillesquivolaient.Unesirènedepolicearésonnéauloin.Leshommessesontéparpillésdanstouteslesdirections,desvoituresfaisaientdesécartspouréviterlabagarre.Et,aumilieuduchaos,laseulechosequimevenaitàl'esprit,c'étaitlafaçondontlecoindetaboucheremontequandtusouris.Etj'aieul'incroyablesensationque,àcetinstantprécis,tupensaisaussiàmoi.Çadoit teparaître fou ;peut-êtrepensais-tuau théâtre,à lacriseéconomique,ouà t'acheterde

nouveauxrideaux.Maisj'aisoudaincompris,aumilieudecepetittableaudefolie,qu'avoirquelqu'unquivouscomprend,quivousdésire,quivousvoitcommeunemeilleureversiondevous-même,estledonleplusextraordinairequisoit.Mêmesinousnesommespasensemble,savoirque,pourtoi,jesuiscethomme,estpourmoiunimmenseréconfort.

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Ellea fermélesyeuxpourécouter lavoixdeRory,qui litdoucementcesmots.Elle imagineceque

Jenniferadûressentirensesachantaussiaimée,adorée,désirée.Jenesaispascommentj'enaigagnéledroit.Mêmemaintenant,jen'aipastoutàfaitl'impression

delemériter.Maislachancedepouvoirimaginertonbeauvisage,tonsourire,enmedisantqu'unepartiepourraitunjourm'appartenir,estprobablementlameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.Rorys'esttu.EllierouvrelesyeuxetvoitceuxdeRoryàquelquescentimètres.—Pourunefemmeintelligente,dit-il,tuesremarquablementbouchée.D'unreversdepouce,illuiessuieunelarmequicoulesursonvisage.—Tunesaispas…,commence-t-elle.Tunecomprendspas…—Jecroisquej'ensaisassez.Avantqu'ellenepuisseajouterunmot,ill'embrasse.Ellesefigeuninstant,etcettemaincouvertede

tachesderousseurrevientlatourmenter.Pourquoidevrais-jeêtrefidèleenversunhommequiestsûremententraindes'envoyerenl'airsous

lestropiquesàcetinstantprécis?Puis la bouchedeRory se pose sur la sienne, sesmains sur sonvisage, et elle lui rend sonbaiser,

résolue à garder l'esprit vide, à profiter simplement de ces bras qui la serrent, de ces lèvres sur lessiennes.Effacetout,lesupplie-t-elleensilence.Réécriscettepage.Elles'agite,vaguementsurprisedepouvoiràcepointdésirercethommeendépitdesondésespoir.Puiselleestn'estpluscapabledepenseràquoiquecesoit.Elleseréveilledevantdeuxpairesdecilsnoirs.Qu'est-cequ'ilssontnoirs!sedit-elle,plongéedans

undemi-sommeil.CeuxdeJohnsontcouleurcaramel,etilauncilblancdanslecoinextérieurdel'œildroit.Elleestàpeuprèssûred'êtrelaseulepersonneaumondeàl'avoirremarqué.Desoiseauxchantent.Unevoiturefaitvrombirsonmoteur.Ilyaunbrasposésursahanchenue.Ilest

étonnammentlourd,et,quandelleveutseretourner,unemainserefermeuninstantsursafesse,commepar réflexe, pour l'empêcher de s'en aller. Elle ne quitte pas ces cils des yeux, se remémorant lesévénementsde la soirée.Roryet elle, sur le soldevant soncanapé.Luiquiva chercher la couette envoyant qu'elle a froid. Ses cheveux, épais et doux entre ses doigts, son corps, étonnamment large, au-dessusd'elle,sonlit,satêtedisparaissantsouslacouette.Parcourued'unlégerfrisson,elleneparvientpasencoreàdéterminercequ'elleressent.John.Untexto.Ducafé, songe-t-elle, cherchant un repère sûr.Du café et des croissants.Elle se glisse hors de son

étreinte,lesyeuxtoujoursfixéssursonvisageendormi.Elleluisoulèvelebrasetlereposedoucementsur la couverture. Il s'éveille, et elle se fige. Elle lit un instant dans ses yeux le reflet de sa propreconfusion.

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—Bonjour,dit-il,lavoixenrouéedesommeil.Àquelleheuresesont-ilsenfinendormis?Vers4ou5heuresdumatin?Ellesesouvientd'avoirri

avecluienvoyantlejourselever.Ilsefrottelevisageetseredressemaladroitementsurlecoude.Sescheveuxsontdresséssurlecôtédesatête,sonmentonrendurugueuxparsabarbenaissante.—Quelleheureilest?—Presque9heures.Jevaisdescendrechercherduboncafé.Ellereculeverslaporte,conscientedesanuditédanslalumièretropvivedumatin.—Tuessûre?crie-t-iltandisqu'elledisparaît.Tuneveuxpasquej'yaille?—Non,non,dit-elleensautantdanslejeanqu'ellevientdetrouverdevantlaportedusalon.Çava.—Noirpourmoi,s'ilteplaît.Ellel'entendserenfoncerdanslesoreillersenmarmonnantquelquechoseausujetd'unemigraine.SaculotteestpartiesecoincersouslelecteurDVD.Ellelaramasseenhâteetlafourredanssapoche.

Puisellesepasseuntee-shirtpar-dessuslatête,enfilesavesteet,sansmêmes'arrêterpourjeteruncoupd'œil à son reflet, dévale l'escalier.Ellemarched'unpas vif vers le café du coin, composant déjà unnumérosursonportable.Réveille-toi.Décroche.Ellefaitlaqueuedevantlecomptoir.Nickydécrocheàlatroisièmesonnerie.—Ellie?—Oh,monDieu,Nicky.J'aifaitquelquechosed'affreux.Ellebaisselavoixpournepassefaireentendredelapetitefamillequivientd'entrerderrièreelle.Le

pèreestsilencieux,etlamèretentededirigerdeuxpetitsenfantsversunetable.Leursvisagespâlesauxyeuxcernéstémoignentd'unenuitblanche.—Nequittepas,jesuisàlagym.Jesors.Àlagym?À9heures,undimanchematin?ElleentendderrièrelavoixdeNickylarumeurlointaine

delacirculation.—Affreuxcomment?Unmeurtre?Unviolsurmineur?Tun'aspasappelélafemmedeMachinpour

luidirequetuétaissamaîtresse?—J'aicouchéaveccetypeduboulot.Bref silence aubout du fil.Ellie lève les yeuxpourvoir la serveusequi la regarde enhaussant les

sourcils.Elleposelamainsurletéléphone.—Oh.DeuxgrandsAmericanos,s'ilvousplaît.Unnoiretunavecdulait.Etdescroissants.Deux–

non–trois.—L'hommedesarchives?—Oui.Ils'estpointéhiersoir,j'étaisbourrée,jemesentaiscommeunemerde,etilm'aluunedeces

lettresd'amour,et…jenesaispas…—Etalors?—Etalorsj'aicouchéavecunautre!—C'étaitsiaffreuxqueça?

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LesyeuxdeRory,pétillantd'amusement.Satêtepenchéecontresesseins.Sesbaisers.Sesbaiserssansfin.—Non.C'était…plutôtbien.Vraimentbien.—Ettonproblème,c'estque…?—JesuiscenséeêtreavecJohn.LaserveuseéchangeunregardaveclePèreÉpuisé.Elleserendcomptequ'ilssonttousdeuxentrain

del'écouter.—Sixlivressoixante-trois,ditlafilleavecunpetitsourire.Elliecherchedelamonnaiedanssapocheetseretrouveavecàlamainsaculottedelaveille.LePère

Épuisésemetàtousser–àmoinsqu'ilnedissimuleunéclatderire.Elles'excuse,levisagebrûlant,tendsamonnaieàlaserveuseetserendauboutducomptoirpourattendresoncafé,latêtebasse.—Nicky…—Oh,pourl'amourduciel,Ellie!Tucouchesavecunhommemariéquicouchesûrementencoreavec

safemme.Ilnetefaitaucunepromesse,net'emmènejamaisnullepart,n'apasprévudelaquitter…—Tun'ensaisrien.—Jelesais.Jesuisdésolée,machérie,maisjeseraisprêteàpariermonhorriblemaisontroppetiteet

totalement hypothéquée.Alors si tumedis que tu viens de coucher avecunbeaumec, bon aupieu etcélibataire,quit'apprécieetquial'airdevouloirpasserdutempsavectoi, jenevaispasmemettreàchercherduProzac.OK?—OK,acquiesceEllieàvoixbasse.—Maintenant,turentrescheztoi,tuleréveillesettut'offresavecluilapartiedejambesenl'airdeta

vie.PuistumeretrouvesavecCorinnedemainmatinaucaféettunousracontestout.Elle sourit. Comme ce serait bien de pouvoir fêter le fait d'être avec quelqu'un, au lieu de devoir

perpétuellements'enjustifier.EllepenseàRorycouchédanssonlit.Rory,avecsestrèslongscilsetsesdouxbaisers.Serait-cesi

maldepasserlamatinéeaveclui?Elleprendlescafésetrentrechezelle,surprisedevoirsesjambesmarchersivite.—Nebougepas ! crie-t-elle en arrivant enhautde l'escalier, sedéchaussantd'un coupdepied. Je

t'apportelepetitdéjeuneraulit!Elle pose le café sur le sol et entre dans la salle de bains. Elle essuie le mascara sous ses yeux,

s'aspergelevisaged'eaufroideetsevaporisedeparfum.Puis,commesurlecoupd'unepenséesoudaine,elleouvrele tubededentifriceetarrached'uncoupdedentsunmorceaudepâtedela tailled'unpetitpois,qu'ellesepassedanslabouche.—C'estpourque tuarrêtesdemevoircommeune femmebrutale, égoïsteet sanscœur,dit-elle.Et

aussi pour que tu me doives un café au travail. Mais ne t'en fais pas, je reviendrai demain à monpersonnagehabitueldejournalistefroideetégocentrique.Ellesortdelasalledebains,sebaissepourramasserlescaféset,toutsourires,entredanslachambre.

Lelitestvideetdéfait.Ilnepeutpasêtredanslasalledebains,ellevientd'ensortir.

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—Rory?appelle-t-elledanslesilence.—Jesuislà.Savoixprovientdusalon.Elletraverselecouloir.—Tuétaiscenséresteraulit,legronde-t-elle.Cen'estpasvraimentunpetitdéjeuneraulitsitu…Deboutaucentredelapièce,iltermined'enfilersaveste.Ils'estrhabillé,aremisseschaussuresetmis

del'ordreàsescheveux.Elles'arrêtesurlepasdelaporte.Ilnelaregardepas.—Qu'est-cequetufais?demande-t-elleenluitendantlecafé.Jecroyaisqu'onallaitprendrelepetit

déjeuner.—Oui,ehbien,jeferaismieuxdem'enaller.Uncourantfroidlatraversedepartenpart.Quelquechosenevapas.— Pourquoi ? dit-elle en se forçant à sourire. Je ne suis pas partie plus d'un quart d'heure. Tu as

vraimentunrendez-vousà9h20undimanchematin?Ilbaisselesyeuxsursespieds,semblecherchersesclésaufonddesespoches.Illestrouveetlesfait

sauterdanssamain.Quandenfinilrelèvelatête,sonvisageestinexpressif.—Tu as reçu un coup de fil quand tu étais sortie. Il a laissé unmessage. Je n'avais pas l'intention

d'écouter,maiscen'estpasfaciledefaireautrementdansunsipetitappartement.Elliesentunblocfroidetdurs'installeraucreuxdesonestomac.—Rory,je…Illèvelamain.—Je t'aiditquejen'aimaispas leshistoirescompliquées.Ycompris…coucheravecquelqu'unqui

entretientuneliaisonavecquelqu'und'autre.Ilpassedevantelle,ignorantlecaféqu'elletienttoujoursàlamain.—Àplustard,Ellie.Elleentendlebruitdesespass'évanouirdansl'escalier.Ilneclaquepaslaporte,maiscelle-ciaune

façontristementdéfinitivedeserefermerderrièrelui.Ellesesentengourdie.Elleposedoucementlecafésurlatable.Puis,auboutd'uneminute,s'avanceverslerépondeuretappuiesur«Play».LavoixdeJohn,basseetmélodieuse,emplitlapièce:«Ellie,jenepeuxpasparlerlongtemps.Jevoulaisjustesavoirsituallaisbien.Jenesaispastropce

quetuasvoulumedirehiersoir.Tumemanquesaussi.Êtreavectoimemanque.Maisécoute…s'ilteplaît,nem'envoieplusdemessages.C'est…(Unbrefsoupir.)Écoute, je terecontactedèsqu'on…dèsquejeserairentré.»Lebruitducombinéquiretombe.Ellie laisse cesmots résonner dans l'appartement silencieux, puis se laisse tomber sur le canapé et

resteparfaitementimmobiletandisquelecaférefroiditàcôté.

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CherM.B.Re:48,avenueT.[…]jecomprendsdoncquel'achatdelamaisonseferaàvotrenomuniquementetn'enverraiplus

decorrespondanceàsigneràvotreadresseactuellejusqu'àvotreretourle14.Lettreouverteparerreurparunefemme

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Chapitre22

À:PhillipO'Hare,[email protected]:EllieHaworth,[email protected] trouverez peut-être cette prise de contact un peu cavalière, mais j'espère que, en tant que

journaliste,vouscomprendrezmarequête.J'essaiederetrouverlatraced'uncertainAnthonyO'Hare,etjeviensdedénicherunarticleduTimesdemaidernieroùvousindiquezquevotrepèreportelemêmenom.CetAnthonyO'Hare doit avoir séjourné àLondres au début des années 1960 et passé beaucoup de

tempsàl'étranger,plusparticulièrementenAfriquecentrale,oùilaputrouverlamort.Jenesaisquetrèspeudechosesàsonsujet,hormislefaitqu'ilavaitunfilsdumêmenomquevous.Sivousêtescefilsousivoussavezcequ'ilestdevenu,pourriez-vouss'ilvousplaîtmerépondrepar

retourdemail?Luietmoiavonsuneamiecommunequil'aconnuilyadesannéesetquiaimeraitsavoircequ'ilestdevenu.J'aiconsciencequeleschancessontfaibles,carc'estunnomassezcourant,maistoutel'aidequejepeuxtrouverseralabienvenue.

Bienàvous,EllieHaworth

LE NOUVEAU BÂTIMENT SE TROUVE DANS UN QUARTIER DE LA VILLE QU'ELLIE N'A PLUS REVU DEPUIS LE

TEMPS OÙ il n'était qu'un ramassis aléatoire d'entrepôts décrépits et d'affreuses échoppes de plats àemporter.Elleauraitpréférémourirdefaimplutôtqued'yacheterquoiquecesoit.Toutcequisetrouvaitdans ce kilomètre carré a été rasé, balayé et remplacé par de grands squares immaculés, des bornesmétalliques et des immeubles de bureaux flambant neufs, dont beaucoup portent encore, sous formed'échafaudages,lesmarquesdeleurnaissanceprématurée.On leur aorganiséunevisiteguidéepour les familiariser avec lesnouveauxbureaux,ordinateurs et

systèmes téléphoniquesavant l'emménagement finaldu lundi.Ellie suit songroupeà travers lesdiversdépartements du journal tandis qu'un jeune homme armé d'un porte-bloc et d'un badge indiquant«coordinateurdetransfert»leurparled'airesdeproduction,dehubsd'informationetdetoilettes.Ellieécoute son interlocuteur d'une oreille distraite, et observe les diverses réactions desmembres de sonéquipe, et notamment l'excitation de certains parmi les plus jeunes, qui aiment les lignes lisses etmodernesdubureau.Melissa,quin'enestvisiblementpasàsapremièrevisite,ajoutedetempsàautredesinformationsqu'ellejugeindispensables.—Làc'estsûr,iln'yaplusd'endroitsoùsecacher!plaisanteRupertenembrassantduregardlevaste

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open-spacesobreetimmaculé.Ellieperçoitderrièrelaplaisanteriel'amerconstatdelaréalité.LebureaudeMelissa,quioccupele

coinsud-ouest,estentièrementvitréetsurplombetoutle«hub»delarédaction.Personned'autredansledépartementn'a sonproprebureau,unedécisionqui est apparemment restéeen traversde lagorgedecertainsdesescollègues.—Etvoilàoùvousserezinstallés.Touslesrédacteurssontrassemblésautourd'ununiquebureau,uneimmensetableovaledontlecentre

vomitdescâblesreliésàuneséried'ordinateursàécranplat.—Quiestplacéoù?demandel'undeschroniqueurs.Melissaconsultesaliste.—J'ytravaille.Certainesplacessontencoreindéterminées.MaisRupert, tueslà.Arianna,ici.Tim,

prèsdecettechaise.Edwina…Elleindiqueuneplaceàchacun.ÇarappelleàEllielessportsencommunàl'école:lesoulagementde

ceuxquiétaientchoisisetautorisésàrejoindreuneéquipeou l'autre.Saufquepresque tous lessiègessontprisetqu'elleesttoujoursdebout.—Euh…Melissa?hasarde-t-elle.Jesuiscenséem'installeroù?—Certainsdevrontpartagerunbureau.Ceseraituneperted'espaced'attribueràtoutlemondeunposte

detravailàpleintemps,déclare-t-ellesansmêmelaregarder.Elliesentsesorteilssecrisperdansseschaussures.—Tuesentraindemedirequejen'auraipasmonproprecoindebureau?—Non,jedisquecertainespersonnesvontdevoirsepartagerunpostedetravail.—Maisjesuislàtouslesjours.Jenevoispascommentçapourraitfonctionner.Elle devrait prendreMelissa à part pour lui demander pourquoiArianna, qui n'est là quedepuis un

mois, serait prioritaire pour l'attribution d'un bureau. Elle devrait chasser de sa voix cette légèreintonationangoissée.Elledevraitlafermer.—Jenecomprendspaspourquoijeseraislaseulerédactricedelarubriqueànepas…—Commejel'aidit,Ellie,cetteorganisationestprovisoire.Maisilyauratoujoursuneplacequelque

partpourtepermettredetravailler.Bon.Poursuivonsversl'espacedespagesd'actualité.Lesmembresdeceservicevontemménagerlemêmejourquenous…Laconversationestclose.Ellieserendcomptequesesactionsontchutébienplusbasquecequ'elle

croyait.Ellecroiseleregardd'Arianna.Lapetitenouvelledétourneaussitôtlesyeuxetfaitsemblantdeliredesmessagessursonportable.Lesarchivesnesontplusensous-sol.Lenouveau«centrederessourcesetd'informations»setrouve

deuxétagesau-dessusdessallesderédaction,dansunatriumaucentreduquelestdisposéeunecollectionde plantes en pots gigantesques et étrangement exotiques. Il y a un îlot aumilieu, derrière lequel elleaperçoitlegrincheuxarchivisteenchef,occupéàparleràvoixbasseavecunhommebienplusjeunequelui.Elleadmireuninstantlesrayonnages,proprementdivisésendeuxzonesbiendistinctes,numériqueetdocumentsimprimés.

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Globalement, la nouvelle salle est l'antithèse absolue des anciennes archives, avec leurs espacesconfinésetpoussiéreux,leurodeurdejournauxmoisisetleursanglesmorts.Elleestvictimed'unsoudainaccèsdenostalgie.Ellenesaitpasexactementpourquoielleestvenue.Ellecherche instinctivementà se rapprocherde

Rory,peut-êtreparcequ'elleabesoindesavoirsielleestenpartiepardonnée,peut-êtreparcequ'elleabesoindeparleràquelqu'undeladécisiondeMelissaconcernantsonbureau.Ilestleseulauquelellepeutseconfier.L'archivistelarepère.—Pardondevousdéranger,dit-elleenlevantlamain.Jenefaisquejeteruncoupd'œil.—Sic'estRoryquevouscherchez,annonce-t-il,ilestauvieuxbâtiment.Savoixn'estpashostile.—Merci,dit-elle,essayantd'apporteràsavoixuneintonationcontrite–illuisembleimportantdene

s'aliénerpersonned'autre.C'estmagnifique.Vousavez…faituntravailformidable.—C'estpresquefini,dit-ilavecunsourire.Il sembleplus jeunequand il sourit,moinsaccablédesoucis.Sursonvisage,elleentrevoitquelque

chosequ'ellen'aencorejamaisremarqué:dusoulagement,maisaussidelagentillesse.Commeonpeutsetrompersurlesgens!songe-t-elle.—Jepeuxvousaider?—Non,je…Ilsouritdenouveau.—Commejeviensdevousledire,ilestàl'ancienbâtiment.—Merci.Je…jevaisvouslaisser.Jevoisquevousêtesoccupé.Elle s'avance vers une table, s'empare d'une photocopie du guide d'utilisation des archives, le plie

soigneusementetleglissedanssonsacenpartant.Elle reste assise tout l'après-midi derrière son bureau bientôt obsolète, à taper le nom d'Anthony

O'Hare dans diversmoteurs de recherche. Elle l'a déjà fait de nombreuses fois,mais elle nemanquejamais de s'étonner devant le nombre impressionnant d'homonymes qui existent, ou ont existé, dans lemonde.Ilyadesadolescentssurdesréseauxsociaux,desAnthonyO'HaremortsdepuisdessièclesetenterrésdansdescimetièresenPennsylvanie,tirésdel'anonymatpardesgénéalogistesamateurs.Ilyaunphysicien travaillant enAfrique du Sud, un auteur de fantasy auto-publié, une victime d'une agressiondansunbaràSwansea.Chaquefoisqu'elleen trouveunnouveau,ellese renseignesursonâgeetsonidentité,justeaucasoù.Sonportablesonne,l'avertissantd'unmessagereçu.EllevoitlenomdeJohnet,confusément,regrette

quecenesoitpasRory.—Réunion.LasecrétairedeMelissaestdeboutdevantsonbureau.Dsl, je n'ai pas pu beaucoup te parler l'autre soir. Je voulais seulement que tu saches que tu me

manques.Hâtedetevoir.J

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—Oui,désolée,dit-elle.Lasecrétairenebougepas.—Pardon.J'arrive.Ellerelitattentivementlemessage,tâchantdes'assurerque,pourunefois,elleneseconstruitpasune

montagned'interprétationscapillotractéesàpartird'ungravillon.Maisc'estécritnoirsurblanc:Jevoulaisseulementquetusachesquetumemanques.Ellerassemblesespapierset,lesjouesenfeu,entredanslebureaudeMelissajusteavantRupert.Ilest

importantdenepasentrerendernier.Elleneveutpasêtre laseulerédactriceànepasavoirdesiègedanslebureaudeMelissa.Elle s'assied en silence tandis qu'on dissèque les articles des jours à venir. Les humiliations de la

matinée sont oubliées. Même le fait qu'Arianna soit parvenue à interviewer une actrice notoirementrecluseneladécontenancepas.Lesquelquesmotsquiviennentdetomberàl'improvistesursesgenouxtournentetretournentdanssonesprit:Jevoulaisseulementquetusachesquetumemanques.Qu'est-cequeçaveutdire?Elleoseàpeineimaginerquesesespoirspuissentenfindevenirréalité.

L'épousebronzéeenbikiniabeletbiendisparudutableau.Lamainfantomatiqueauxtachesderousseur,étalantl'huilesolaire,estremplacéeparunpoingrageur.EllesereprésenteJohnetsafemmesedisputanttoutaulongdevacancesqu'ilsavaientsecrètementconsidéréescommeladernièretentativedesauvetagedeleurmariage.Ellelevoitépuiséetfurieux,secrètementraviderecevoirsonmessage,mêmes'ildoitluirappelerdeneplusluienenvoyer.Ne rêve pas trop, se raisonne-t-elle. Tout le monde en a marre de son partenaire à la fin des

vacances.Peut-êtrecherche-t-il seulementà s'assurer sa fidélité.Mais,mêmealorsqu'elle s'interroge,ellesaitquelleversionelleveutcroire.—EtEllie?L'histoiredeslettresd'amour?Oh,merde!Elleremuelespapiersposéssursesgenouxetadopteuntonconfiant:—J'aiobtenudestasd'informations.J'airencontrélafemme.Ilyadequoiécrireplusieurscolonnes.—Bien.Melissahausseélégammentlessourcils,l'airétonnée.—Mais… (Ellie avale sa salive.) Je ne sais pas exactement de quoi on peut se servir… Ça me

semble…unpeudélicat.—Ilssonttouslesdeuxvivants?—Non.Luiestmort.Oudumoinsc'estcequ'ellecroit.

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—Alorschangelenomdelafemme.Jenevoispasoùestleproblème.Tutesersdelettresqu'elleaprobablementoubliéesdepuislongtemps.— Non, je ne crois pas, répond Ellie en essayant de bien choisir ses mots. En fait, elle semble

terriblement bien s'en souvenir. Du coup, je pensais que ce serait peut-être mieux si je m'en servaiscommeaccrochepourétudierlelangagedel'amour.Tusais,commentleslettresd'amourontévoluéavecletemps.—Sansinclurelesvéritableslettres?—Non.Ellie se sent profondément soulagée. Elle ne veut pas que les lettres de Jennifer soient rendues

publiques. Elle la revoit encore, assise dans son canapé, le visage radieux tandis qu'elle raconte unehistoirequ'elleagardéepourellependantdesdizainesd'années.Elleneveutpasajouterquoiquecesoitàsonsentimentdeperte.—Enfin,jepourraispeut-êtretrouverd'autresexemples…—Pourmardi?—Ildoitbienyavoirdeslivres,descompilations…—Tuveuxqu'onpubliedesdocumentsdéjàparus?Autourd'elles,unlourdsilenceesttombé.C'estunpeucommesiMelissaBuckinghametelle-mêmese

trouvaient enfermées dans une bulle toxique. Elle comprend alors que plus rien de ce qu'elle dira nepourrasatisfairecettefemme.—Depuisletempsquetutravailleslà-dessus,laplupartdesautresrédacteursontsortitroisarticlesde

deuxcentsmots,assèneMelissaentapotantlebureauduboutdesonstylo.Écris-moicetarticle,Ellie,poursuit-elled'unevoixglaciale.Écris-le,necitepaslesnoms,ettoncontactnesaurajamaisdequelleslettresils'agit.Et,vutoutletempsquetuaspassédessus,j'espèrequetontravailseraextraordinaire.Elleadresseunsourireétincelantaurestedel'assistance.—Bien.Poursuivons.Jen'aipasreçudelistepourlespagesSanté.Quelqu'unenaune?Alors qu'elle sort du bâtiment, elle l'aperçoit soudain. Il partage une plaisanterie avec Ronald, le

vigile,puisdescendlesmarchesd'unpaslégerets'éloignesouslapluie,latêtebaisséecontrelefroid.—Eh!s'écrie-t-elleencourantpourlerattraper.Iltournelatête.—Salut,dit-ild'untonneutre.Ilsedirigedroitverslastationdemétroetneralentitpasl'allureendescendantlesmarches.—Jemedisais…çatediraitd'allerboireunverre,vitefait?—Jesuisoccupé.—Tuvasoù?Elle doit élever la voix pour se faire entendre dans le tonnerre des bruits de pas, maudissant

l'acoustiquevictorienneduréseausouterrain.—Aunouveaubâtiment.

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C'est l'heure de pointe.C'est tout juste si ses pieds ne se soulèvent pas du sol tandis que lamaréehumainel'entraîneaubasdel'escalier.—Ehbien!Tunelésinespassurlesheuressupplémentaires!—J'essaieseulementd'aiderlechefàterminerleboulot,histoirequ'ilnes'épuisepascomplètement.—Jel'aivuaujourd'hui.FaceausilencedeRory,elleajoute:—Ilaététrèsgentil.—Ouais.C'estquelqu'undetrèsgentil.Elleparvientàresteràsahauteurjusqu'àcequ'ilsatteignentlestourniquets.Là,ilfaitunpasdecôté

pourlaisserpasserd'autresgens.—C'estidiot,vraiment,dit-elle.Onpassetouslesjoursdevantdesgenstrèssympathiquessansmême

sedire…—Écoute,Ellie,qu'est-cequetuveux?Elle semord la lèvre.Autourd'eux, lamassedesbanlieusards se séparecomme leseauxde lamer

Rouge pour les éviter. Certains, les écouteurs vissés sur les oreilles, expriment ouvertement leurmécontentement face aux obstacles humains qui leur barrent le passage. Ellie passe samain dans sescheveuxhumides.—Jevoulaisjustetedirequej'étaisdésolée.Pourl'autrematin.—Pasdeproblème.— Si, justement.Mais c'est…Écoute, ce qui s'est passé, ça n'a rien à voir avec toi. Je t'apprécie

vraiment.Maisc'estquelquechoseque…—Tusaisquoi?Çanem'intéressepas.C'estbon,Ellie.Restons-enlà.Il passe le tourniquet. Elle le suit. Elle a le temps d'apercevoir son expression en une fraction de

secondeavantqu'ilseretourne,etsesentterriblementmal.Elleseplacederrièreluisurl'escalator.Depetitesperlesdepluieparsèmentsonécharpegrise,etelle

résisteàgrand-peineàlatentationdelesbalayerd'unreversdelamain.—Rory,jesuisvraimentdésolée.Illèveverselleunregardglacial.—Ilestmarié,hein?—Quoi?—Ton…ami.C'estassezévident,vucequ'ilt'adit.—Nemeregardepascommeça.—Commequoi?—Jen'aipasfaitexprèsdetomberamoureuse.Illaisseéchapperunrirebrefetdéplaisant.Ilsontatteintlebasdel'escalator.Ilaccélèrel'allure,la

forçantàtrottinerpourresteràsahauteur.Letunnelsentlerenferméetlecaoutchoucbrûlé.—Jen'aipasvouluça.—Tuasfaitunchoix.Onatoujourslechoix.

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—Alors tu n'as jamais été transporté par quelque chose ? Tu n'as jamais cédé à un élan vraimentirrésistible?Ilsetourneverselle.—Biensûrquesi.Maissiycédersignifieblesserquelqu'un,jepréfèrem'abstenir.Ellesesentrougir.—Ehbien,quelêtreexceptionneltues!—Non.Pasplusquetun'esunevictimedescirconstances.J'imaginequetusavaisdèsledébutqu'il

étaitmariéetquetuaschoisidecontinuermalgrétout.Tuauraispurefuser.—Jen'aipaseucetteimpression.—«C'était plus grand que toi etmoi », déclame-t-il d'un ton sarcastique. Je pense que ces lettres

d'amourt'ontplusaffectéequetunelecrois.—Oh,d'accord,trèsbien,monsieurlepragmatique.Tantmieuxpourtoisituescapabled'ouvriretde

fermer tes sentiments comme des robinets. Oui, je me suis laissé entraîner ! Oui, c'était immoral. Etmalavisé.Maisj'airessentiquelquechosedemagique,et…Maisnet'enfaispas,j'enpaieleprix.—Peut-être,mais tu n'es pas la seule. Tout acte a ses conséquences, Ellie. Pourmoi, lemonde se

divise en deux groupes : ceux qui sont capables de comprendre ça et de prendre leurs décisions enconnaissancedecause,etceuxquisuiventl'impulsiondumoment.—Oh,bonsang!Est-cequ'aumoinstuterendscompteàquelpointtuasl'airpédant?hurle-t-elle,à

peineconscientedescurieuxquidéfilentdevanteuxpours'engouffrerdanslestunnelsdeslignesDistrictetCircle.—Oui.—Et,danstonunivers,personnen'aledroitàl'erreur?—Uneseule.Onadroitàuneseuleerreur.Sonregardseperdauloinetilserrelamâchoire,commes'ilhésitaitàluiconfierquelquechose.Puis

ilseretournepourluifaireface.—Jemesuisdéjàretrouvédumauvaiscôtédecegenred'histoire,tupiges?J'aiaiméunefillequia

trouvéquelqu'und'autreàquiellen'apaspurésister.C'était«plusgrandqueluietelle».Enfin,çal'aétéjusqu'àcequ'illaplaque,biensûr.Jel'ailaisséerevenirdansmavie,etellem'ablesséunesecondefois.Alorsoui,j'aiuneopinionsurcesujet.Ellierestefigéesurplace.Elleperçoitconfusémentunevaguedebruitetuneexplosiond'airchaudet

mouvanttandisqu'unerameapproche.Despassagersseruentenavant.—Tu saisquoi ?dit-il, levant lavoixpour couvrir levacarme. Jene te jugepaspour être tombée

amoureusedecethomme.Quisait?C'estpeut-êtrel'amourdetavie.Peut-êtrequesafemmeserabienmieuxsanslui.Peut-êtrequetouslesdeux,vousêtesvraiment«faitsl'unpourl'autre».Mais,danscecas,tuauraisdûmedire«non».Soudain,elleaperçoitunechoseinattendue:uneémotionpuissante,àvif,quipasseenunéclairsurson

visage.—Voilàcequej'aidumalàavaler.Tuauraisdûmerepousser.C'étaitlachoselaplusjusteàfaire.D'un bond léger, il entre dans la rame bondée juste à l'instant où les portes se referment. Lemétro

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démarredansungémissementassourdissant.Elleleregardes'éloignerderrièrelavitreilluminéejusqu'àcequ'ildisparaisse.Lachoselaplusjustepourqui?Hey,bébé,J'aipenséàtoitoutleweek-end.C'estcomment,lafac?Barryn'arrêtepasdedirequetoutesles

filles qui partent à l'université finissent par se trouver un nouveau mec, mais je lui ai dit qu'ilracontaitdes conneries. Il est seulement jaloux. Il est sortiaveccette fillede l'agence immobilièremardidernier,etellel'alaisséenplanentreleplatetledessert.Elleaditqu'elleallaitserepoudrerlenez,etelles'estbarrée!Ilestrestéassislàvingtminutesavantdes'enrendrecompte.Onabienrigolé…J'auraisvouluquetusoislà,bébé.Lesnuitssontlonguessanstoi.Écris-moivite.Clive.Assise aumilieude son lit, uneboîte à chaussurespoussiéreuse sur lesgenoux,Ellie a étalé autour

d'elle toute la correspondance de ses années d'adolescence. Elle s'est mise au lit à 21 h 30, tentantdésespérémentdetrouverunmoyendesauversonarticlesansexposerJenniferàlavuedupublic.EllepenseàClive,sonpremieramour,lefilsd'unarboriculteurquiétaitenclasseavecelle.Àlafindulycée,ilsavaientdiscutépendantdesheurespourdécidersiouiounonelleiraitàlafac,ets'étaientjuréque,quoiqu'ilarrive,çan'affecteraitpasleurrelation.Celle-ciavaitencoretenutroismoisaprèssondépartpourBristol.Ellesesouvientquelesentimentd'exaltationqu'elleressentaitaudébutenvoyantapparaîtresaMinicabosséedans leparkings'étaitvitechangéenunvaguemalaise,puisenunesombre tristessequandelleavaitcomprisqueleseulsentimentqu'illuirestaitpourlui,c'étaitlasensationd'êtreretenuecontresongrédansuneviedontellenevoulaitplus.CherClive,J'ai passé la plus grande partie de la nuit à chercher commentm'y prendre sans trop nous faire

souffrir,toicommemoi.Maisiln'yapasdemanièrefaciledeCherClive,C'estunelettretrèsdifficileàécrire,maisjedoismelancerettedirequejeCherClive,Jesuisvraimentdésolée,maisjeneveuxplusquetureviennes.Mercipourtouscesbonsmoments.

J'espèrequ'onpourraresterbonsamis.Ellie

Elle frôle du bout des doigts ses essais raturés, pliés en une pile bien propre au milieu d'autres

courriers.Aprèsavoirreçusadernièrelettre,ilavaitfaittroiscentcinquantekilomètresenvoiturerienque pour le plaisir de la traiter de salope en personne. Elle se souvient d'y avoir été curieusementinsensible,peut-êtreparcequ'elleétaitdéjàpasséeàautrechose.Àlafac,elleavaitentrevuunenouvelleexistence,loindelapetitevilledesajeunesse,loindesClive,desBarry,dessamedissoiraupubetde

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cettevieoùtoutlemondeteconnaît,saitcequetuasfaitàl'école,cequefonttesparentsetaentenduparlerdelafoisoùtuaschantéàlachoraleetoùtuasperdutajupe.Onnepeutvraimentseréinventerqueloindechezsoi.Quandellerevientvoirsesparents,ellesesent toujoursunpeuétoufféepar leurhistoirecommune.ElleboitsonthéetsedemandecequeCliveestdevenu.Iladûsemarier,songe-t-elle,etildoitêtre

heureux : il n'a jamais été du genre à se prendre la tête. Elle suppose qu'il a deux enfants et que lemeilleurmoment de sa semaine est toujours le samedi soir passé au pub avec des potes qu'il connaîtdepuisl'écoleprimaire.Biensûr,aujourd'hui, lesClivedecemonden'écriventplusde lettres. IlsenvoientdesSMS.Çava,

bébé?Ellesedemandesielleauraitpumettrefinàleurrelationpartexto.Elleregardelelitvideautourd'elle,lesvieilleslettresétaléessurlacouette.Ellen'apasrelucellesde

JenniferdepuissanuitavecRory:ellessontmaintenant inextricablement liéesàsavoix.Ellesongeàl'expressiondesonvisagedanslemétro.Tuauraisdûmedirenon.Puisc'estlevisagedeMelissaquiluiapparaît,etelleessaiedenepasenvisagerlapossibilitéderetourneràsonanciennevie.Ellepeutéchouer. Elle n'en est pas très loin. Elle se sent comme en équilibre au sommet d'un précipice. Lechangementestproche.Lasonneriedesonportableretentit.Presquesoulagée,elles'allongesurlelitpourl'attraper,enfonçant

songenoudansunepiledepapierscouleurpastel.Pasderéponse?Ellerelitettape:Désolée.Jecroyaisquetunevoulaispasquejetecontacte.Leschosesontchangé.Tupeuxmediretoutcequetuveux.Ellelitlesmotsàhautevoixdanslesilencedelapetitepièce,àpeinecapabled'encroiresesyeux.Ça

peutdoncarriverendehorsdescomédies romantiques?Cessituations,cellesque tout lemonde tented'éviter,serésolventdoncvraimenttoutesseules,commeparenchantement?Ellesevoitdéjàaucafé,dans un avenir indéterminé, en train d'annoncer fièrement à Nicky et Corinne : « Oui, bien sûr qu'ilemménageici.Justeletempsdetrouverquelquechosedeplusgrand.Onvaprendrelesenfantsunweek-end sur deux. » Elle le voit rentrer à la maison le soir, laissant tomber son sac pour l'embrasserlonguement dans l'entrée. Le scénario est si improbable qu'elle se met soudain à paniquer. Est-cevraimentcequ'elledésire?Puiselleseréprimandepourcetinstantdedoute:biensûrqueoui,c'estcequ'elleatoujoursvoulu.Sicen'étaitpaslecas,ellen'auraitpasressentiçapendanttoutcetemps.Tupeuxmediretoutcequetuveux.

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Restecalme,sedit-elle.Rienn'estencorejoué.Ilt'asouventdéçue.Samains'abaissesurlespetitestouches,planeau-dessusduclavier,indécise.D'accord,maispascommeça.Jesuiscontentedesavoirquenousallonspouvoirparler.Elleréfléchituninstant,puispoursuit:Jetrouveçaunpeugrosàavaler.Maistum'asmanqué.Appelle-moiàtonretour.E.Elles'apprêteàposersontéléphonesursatabledenuitlorsqu'ilsonnedenouveau.Tum'aimesencore?Sonsoufflesebloqueuninstantdanssagorge.Oui.Elleenvoiesaréponseavantmêmed'yavoirréfléchi.Elleattendquelquesminutes,maisnereçoitrien

en retour.Alors, sans savoir si elle est heureuseou triste,Ellie se cale contre sesoreillers, face à lafenêtre,etseperddanslacontemplationdececarrédecielnoiretvide,regardantlesavionsclignoterensilencedansl'obscurité,s'éloignantversdesdestinationsinconnues.

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J'aiessayédetefairecomprendrecequejepensaispendantcevoyagedePadmaàMilan,maistu

t'escomportécommeunenfantgâtéet jen'aipasvouluteblesser.Cen'estquemaintenantquej'entrouvelecourage,carjesuisloindetoi.Lemomentestdoncvenudet'annoncerque–etcrois-moiquandjetedisquepourmoiaussi,c'esttrèssoudain–jevaisbientôtmemarier.AgnesvonKurowskyàErnestHemingway,parlettre

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Chapitre23

RORYSENTUNEMAINSEPOSERSURSONÉPAULEETRETIREUNDESESÉCOUTEURS.

—Thé.Il hoche la tête, coupe la musique et glisse son lecteur MP3 dans sa poche. Les camions de

déménagementontfinileurtravail;seuleslescamionnettesdelaNationsontencoreàlatâche,allantetvenantàtouteallureentrelesanciensetlesnouveauxlocauxpourlivrerdescartonsoubliés,depetiteschosesvitalesà la surviedu journal.C'est jeudi.Dimanche, lesdernierspaquetsaurontété livrés, lesderniersmugset tassesdethéexpédiés.Lundi, laNationdémarreraunenouvelleviedanssesbureauxflambantneufsetlevieuxbâtimentserapréparépourladémolition.Dansunan,unimmeublemoderneenverreetmétalauraprissaplace.Rorys'assiedàl'arrièredelacamionnetteàcôtédesonchef,quicontempled'unairrêveurlavieille

façadedemarbrenoir.L'enseignemétalliquedujournal,unpigeonvoyageurposéenhautdesmarches,estentraindesefairedétacherdesonsocle.—Drôledevision,n'est-cepas?Rorysoufflesursonthé.—Çadoitvousfairebizarre,aprèstoutcetemps.—Pasvraiment.Toutaunefin.Ilyaunepartiedemoiquiseréjouitdepouvoirpasseràautrechose.Roryboitunegorgée.—C'estunechoseétrangequedepasser ses journéesaumilieudeshistoiresdesautres, reprend le

vieilarchiviste.Ondiraitquelamienneaétésuspendue.Rory a l'impression d'entendre parler un tableau. C'est improbable. Fascinant. Il pose son thé pour

l'écouter.—Vousn'êtespastentéd'écrirevotreproprehistoire?—Non,répondsonchefd'unairdédaigneux.Jenesuispasécrivain.—Alorsqu'est-cequevousallezfaire?—Jenesaispas.Voyager,peut-être.Jepourraispartircommetoi,avecmonsacàdos.Les deux hommes sourient à cette idée. Ils ont travaillé ensemble en silence pendant des mois, ne

s'adressant la parole qu'en cas de besoin,mais la fin imminente de leur tâche les rend à présent plusbavards.—Monfilspensequejedevraislefaire.—Jenesavaispasquevousaviezunfils!s'exclameRory,incapablededissimulersasurprise.—J'aimêmeunebelle-fille.Ettroispetits-enfantstrèsmalélevés.Rorydoitsoudainremettreenquestiontoutcequ'ilpensaitsavoirdesonchef.Cedernierfaitpartiede

cesgensquidégagentuneimpressiondeprofondesolitudeetqu'onpeineàimaginerenchefdefamille.—Etvotrefemme?

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—Elleestmorteilyalongtemps.Ilarépondud'untonneutre,maisRorysesentmalàl'aise,commes'ilvenaitdedépasserunelimite.Si

Ellieétaitlà,sedit-il,ellen'auraitpashésitéàluidemandercequiétaitarrivéàsafemme.SiEllie était là,Rory aurait préféré disparaître dans un coin éloigné des archives plutôt que de lui

adresser la parole. Il ne veut plus la voir. Il ne veut plus penser à elle. Il ne veut plus songer à sescheveux, à son rire, à sa manière de froncer les sourcils quand elle réfléchit. À son corps sous sescaresses,étrangementdocile.Étrangementvulnérable.—Alors,c'estpourquand,cegrandvoyage?Rorys'arracheàsespensées.Onluitendunlivre,puisunautre.CesarchivessontunvéritableTardis:

toutessortesdechosesnecessentd'yapparaître,sortiesdenullepart.—J'aienvoyémonpréavishier.Jen'aiplusqu'àmetrouverunbilletd'avion.—Tacopinevatemanquer?—Cen'estpasmacopine.—Ahnon?Jepensaisquetul'aimaisbien.—C'étaitlecas.—J'aitoujourseul'impressionquevousétieztrèscomplices.—Moiaussi.—Alorsoùestleproblème?—Elleest…pluscompliquéequ'elleenal'air.—Commetouteslesfemmes,rétorquelevieilhommeavecunsouriresansconviction.—Oui…Sansdoute.Maisjen'aimepaslescomplications.—Lescomplicationsfontpartiedelavie,Rory.Onfinittousparfairedescompromis.—Pasmoi.L'archivistehausseunsourcil.Unpetitsouriresedessinesursonvisage.—Quoi?s'écrieRory.Vousn'allezpasmefairelaleçonsurlesoccasionsmanquées,façonWerther's

Original,etmeracontercommentvousregrettezdenepasavoirfaitleschosesautrement?Ilaparléplussèchementqu'ilauraitvoulu,maisc'estplusfortquelui.Ilsemetàremuerdescartonsà

l'intérieurdelacamionnette.—Detoutefaçon,marmonne-t-il,çanesertàrien.Jevaispartir.Jen'aipasbesoindecomplications.—Non.Roryluijetteunregardobliqueetsurprendl'expressionmalicieuseduvieilhomme.— Ah non, ne commencez pas à vous attendrir ! J'ai besoin de me souvenir de vous comme d'un

horriblevieuxcasse-pieds.L'horriblevieuxcasse-piedslaisseéchapperunpetitrire.—Jen'oseraispas.Bon,allonsinspecterunedernièrefoislecoindesmicrofichesetembarquonsle

serviceàthé.Ensuite,jet'inviteàdéjeunerettupourrasnepasmeparlerdecequis'estpasséentretoietcettefilleque,visiblement,tun'aimespasbeaucoup.

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Devantl'immeubledeJenniferStirling,letrottoirprenduneteintegrisclairsouslesoleilhivernal.Unbalayeurmunicipal longe la bordure, ramassant habilement les ordures à l'aide d'une paire de pinces.Elliesedemandequandelleavupourladernièrefoisunbalayeurdanssonproprequartier.L'ampleurdelatâchelesaprobablementdécouragés:saruen'estqu'unramassisd'enseignesderestaurationrapideetdeboulangeriesbonmarché,leurssacsenpapieràrayuresrougesetblanchesvoletantjoyeusementdanstoutlevoisinage,témoinsmuetsd'unenouvelleorgiedesucreetdegraissessaturées.—C'estEllie.EllieHaworth,crie-t-elledansl'interphone.Jevousailaisséunmessage.J'espèreque

çanevousdérangepassije…—Ellie,ditJenniferd'unevoixchaleureuse.Jem'apprêtaisàdescendre.Tandisquel'ascenseurdescendsanssepresser,ellepenseàMelissa.Incapabledetrouverlesommeil,

EllieétaitarrivéeauxbureauxdelaNationpeuaprès7h30.Ilfallaitqu'elletrouveunmoyendesauversonarticlesurleslettresd'amour;enrelisantlespetitsmessagesdeClive,elleavaitcomprisqu'ellenepouvait pas revenir à son ancienne vie. Elle écrira cet article. Elle obtiendra de Jennifer Stirling lesinformations manquantes et se débrouillera avec. Elle est enfin redevenue elle-même : concentrée,déterminée.Çal'aideànepaspenserauchaosdesaviesentimentale.Enarrivantaubureau,elleavaitétéchoquéededécouvrirqueMelissaétaitlà.Lasallederédaction

étaitdéserte,àl'exceptiond'unefemmedeménagequipoussaitmollementunaspirateurentrelestablesrestantes.LaportedubureaudeMelissaétaitgrandeouverte.—Jesais,mapuce,maisNinavat'emmener.Melissa jouait nerveusement avec ses cheveux. Les mèches brillantes et souples, illuminées par le

soleilbasdel'hiver,setordaiententreseslongsdoigtsminces.— Non, je te l'ai dit dimanche soir. Tu te souviens ? C'est Nina qui t'emmène et qui revient te

chercher…Jesais…Jesais…maismamandoitaller travailler.Tusaisqu'il fautque je travaille,machérie…Elles'assit,latêteposéesurlamain,sibienqu'Ellieduttendrel'oreillepourentendrelasuite:—Jesais,jesais.Jeviendrailaprochainefois.Maistutesouviens,jet'aiexpliquéqu'ondéménageait

lesbureaux.C'esttrèsimportant.Mamannepeutpas…Ilyeutunlongsilence.—Daisychérie,tuveuxbienmepasserNina?…Jesais.Passe-la-moijusteuneminute…Oui,jete

reparleaprès.Passe-moi…EllelevalesyeuxetaperçutEllie.Celle-ci,gênéed'avoirétésurpriseàl'écouter,détournaaussitôtle

regardetdécrochasonpropretéléphone,commesielleaussiétaitoccupéeàpasseruncoupdefiltoutaussiimportant.Quandellerelevalesyeux,laportedubureaudeMelissaétaitfermée.C'étaitdifficileàdireàcettedistance,maiselleavaitl'impressionqu'elleavaitpleuré.—Ehbien,quellebonnesurprise!JenniferStirlingporteunechemisedelinàlacoupeimpeccableetunjeanindigo.Moiaussi,jeporteraidesjeansquandj'auraisoixanteans,songeaEllie.

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—Vousavezditquejepouvaisrevenir.—Bien sûr. Je dois admettre que j'ai éprouvé un plaisir coupable àm'épancher auprès de vous la

semainedernière.C'estunvraibonheurpourmoidevousparler,carvousmefaitesunpeupenseràmafille.Ellememanque.Às'entendreainsicomparéeàlafemmeCalvinKleindelaphotographie,Elliesesentparcourued'un

ridiculefrissondefierté.Elleessaiedenepastroppenserauxraisonsquil'amènentici.—Dumomentquejenevousdérangepas…— Pas du tout. Du moment que les divagations d'une vieille femme ne vous ennuient pas trop. Je

comptaisallermepromenersurPrimroseHill.Voulez-vousm'accompagner?Ellessemettentenrouteetparlentunpeuduquartier,desendroitsoùellesontvécuetdeschaussures

d'Ellie,queMmeStirlingavoueluienvier.—Mespiedssonthideux,déclare-t-elle.Quandj'avaisvotreâge,onlescoinçaittoutelajournéedans

desescarpins.Votregénérationesttellementplusdécontractée.—Oui,maismagénérationn'aurajamaisvotreélégance.EllesongeàlaphotodeJenniferenjeunemaman,avecsacoiffureetsonmaquillageirréprochables.—Oh,onn'avaitpasvraimentlechoix.C'étaituneaffreusetyrannie.Laurence–monmari–nem'aurait

jamaispermisdemefaireprendreenphotosijen'avaispasétéparfaite.Ellesembled'humeurpluslégèreaujourd'hui,moinsaffligéeparlarésurgencedesessouvenirs.Elle

marched'unpasvif, commeune femmebienplus jeune, etEllie doit parfois trottinerpour rester à sahauteur.— Je vais vous raconter quelque chose : il y a quelques semaines, je suis descendue faire des

commissions,etilyavaitunefilleavecunpantalonquiétaitclairementunbasdepyjamaetunepairedecesénormesbottesenpeaudemouton…Commentlesappelez-vous,déjà?—DesUgg.—C'estça,dit joyeusementJennifer.Deschosesaffreuses.Quandje l'aivueachetersabouteillede

laitdanscette tenue,avec sescheveuxqui rebiquaientà l'arrièrede la tête, je l'ai terriblementenviéepoursaliberté.Jedevaisavoirl'aird'unevéritablealiénée,plantéelààlaregarder,ajoute-t-elleenriantàcesouvenir.Danushka,lacaissière,m'ademandécequecettepauvrefillem'avaitfait…Aveclerecul,jemerendscomptequemonexistenceétaitterriblementrigide.—Puis-jevousdemanderunechose?—Jesupposequevousallezlefaire,répondJenniferavecunlégersourire.—Est-cequ'ilvousarrivedevoussentirmalparrapportàcequis'estpassé?Votreliaison?—Vousvoulezsavoirsijeregretted'avoirfaitdumalàmonmari?—Jesuppose,oui.—Etc'est…parpurecuriosité?Oucherchez-vousl'absolution?—Jenesaispas.Probablementlesdeux,murmureEllieenserongeantunongle.Jepensequemon…

John…vapeut-êtrequittersafemme.Unbrefsilences'installe.Ellessontarrivéesàl'entréedePrimroseHill.Jennifers'arrête.—Iladesenfants?

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Ellienelèvepaslesyeux.—Oui.—C'estunegranderesponsabilité.—Jesais.—Etvousavezpeur.Ellietrouvealorslesmotsqu'ellen'asudireàpersonned'autre:—J'aimeraisêtresûredefairecequiestjuste.Queçavaenvaloirlapeine,malgrétouteladouleur

quejevaiscauser.Qu'ya-t-ilchezcettefemmequilarendincapabledementir?ElliesentleregarddeJenniferposésur

elle.Ellearaison,ellecherchel'absolution.EllesesouvientdesmotsdeBoot:Tumedonnesenviededevenirunhommemeilleur.Elleaussiveutdevenirunemeilleurepersonne.Elleneveutpasêtrelàavecunemoitiédesonespritquisedemandequellespartiesdecetteconversationellevapouvoirpilleretpublierdansunjournal.ToutessesannéespasséesàécouterlesproblèmesdesautresontdonnéàJenniferuneexpressionde

neutralitéavisée.Lorsqueenfinelleprendlaparole,Elliesentbienqu'elleachoisisesmotsavecsoin:—Jesuissûrequevousallezpouvoirréglerçaensemble.Vousavezseulementbesoind'êtrehonnêtes

l'unenversl'autre.Parfaitementhonnêtes.Maisvousdevezsavoirquevousn'obtiendrezpastoujourslesréponsesquevousattendez.C'estcequim'estrevenuenrelisantleslettresd'Anthonyaprèsvotredépart,lasemainedernière.Iln'yavaitpasdepetitsjeuxentrenous.Jen'aijamaisrencontrépersonne–avantouaprèslui–avecquijepouvaisêtreaussihonnête.EllesoupireetfaitsigneàElliedepasserleportail.Ellescommencentàgravirlesentiermenantau

sommetdelacolline.—Malheureusement,iln'yapasd'absolutionpourlesgenscommenous,Ellie.Laculpabilitévapeut-

être jouerun rôlebienplus importantdansvotrevie futurequecequevousauriezvoulu.Cen'estpaspourrienquelapassionbrûle,et,quandils'agitd'uneliaisonadultère,iln'yapasquelesprotagonistesquisonttouchés.Pourmapart,jemesenstoujourscoupabledumalquej'aifaitàLaurence…Jemesuistrouvédesraisonsàl'époque,maisjevoismaintenantquecequis'estpassé…nousafaitdumalàtous.Mais…celuipourquijemesuistoujourssentieleplusmal,c'estAnthony.—Vousalliezmeraconterlafindel'histoire.LesouriredeJennifers'efface.—Àvraidire,Ellie,cen'estpasunefinheureuse.Elle lui raconte son voyage avorté enAfrique, ses longues recherches, le silence assourdissant d'un

hommequil'avaitpourtanthabituéeàluidirecequ'ilressentait,etenfinlaconstructiondesanouvellevieàLondres,seule.—Etc'esttout?—Enquelquesmots,oui.—Pendanttoutescesannées,vousn'avezjamais…iln'yajamaiseupersonned'autre?JenniferStirlingsouritdenouveau.—Si,parfois. Je suishumaine.Mais jediraisque jenemesuis jamais impliquée sentimentalement

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avecquiconque.AprèsBoot,je…jenevoulaisplusvraimentêtreprochedequiquecesoit.Pourmoi,iln'yaeuquelui.Etpuis,j'avaisEsmé,ajouta-t-elleensouriant.Unenfantestuneformidableconsolation.Elles ont atteint le sommet de la colline. Tout le nord de Londres s'étend en dessous d'elles. Elles

respirentprofondément,lesyeuxtournésversl'horizonlointain.Larumeurdelacirculationetlescrisdespromeneursdechiensetdesenfantsleurparviennentcommeétouffésparladistance.—Puis-jevousdemanderpourquoivousavezgardélaboîtepostaleouvertetoutescesannées?Jennifers'appuiesurledossierd'unbancdeferforgéetréfléchitavantderépondre:—Çavavoussemblerstupide,maisnousnousétionsdéjàmanquésdeuxfois,vouscomprenez,etles

deux fois àquelquesheuresprès.Cette fois, jeme suis sentieobligéedemettre toutes les chancesdenotrecôté.Fermercetteboîtereviendraitàadmettrequetoutestterminé.Ellehaussetristementlesépaulesetpoursuit:—Chaqueannée,jemedisqu'ilest tempsd'arrêter.Maislesannéespassentsansmêmequejem'en

rendecompte,etjenel'aijamaisfait.Jemedisquecen'estqu'unpetitplaisirinoffensif.—Alors c'était vraiment sa dernière lettre ? demandeEllie avec un geste vague en direction de St

John'sWood.Vousn'avezplusjamaisentenduparlerdelui?Commentavez-voussupportél'idéedenepassavoircequiluiestarrivé?—Pourmoi,ilyavaitdeuxpossibilités.OubienilétaitmortauCongo,cequiétait,àl'époque,une

perspectivetropinsurmontablepourêtreenvisagée.Oubien,commejelesoupçonne,ils'estsenti tropblessépourrevenirversmoi.Ilacruquejen'allaisjamaisquittermonmari,oupiétinersessentiments,etjepensequenosretrouvaillesluionttropcoûté.Malheureusement,jen'aipascomprisàquelpointavantqu'ilnesoittroptard.—Vousn'avezjamaisessayéderetrouversatrace?Undétectiveprivé?Despetitesannonces?—Ohnon,jen'auraispasfaitça.Ilauraitsuoùjemetrouvais.Jeluiavaisclairementfaitpartdemes

sentiments, et jedevais respecter les siens.Vous savez, ajoute-t-elle en regardantEllied'unairgrave,vous ne pouvez pas forcer quelqu'un à vous aimer. Peu importe à quel point vous le désirez. Parfois,malheureusement,leschosesnesepassentpascommeonveutquandonveut.Leventsoufflefortàcettealtitude:ils'insinuedanssoncol,forçantlemoindreinterstice.Ellieglisse

lesmainsdanssespoches.—D'aprèsvous,qu'est-cequivousseraitarrivés'ilvousavaitretrouvée?Pour la première fois, Jennifer Stirling a les larmes aux yeux. Scrutant l'horizon, elle secoue

imperceptiblementlatête.—Lesjeunesn'ontpaslemonopoledescœursbrisés,voussavez.Ellecommenceàredescendredoucementlechemin,dissimulantainsisonvisage.Lesilencequis'étire

avantqu'elleseremetteàparlerimprimeaucœurd'Ellieunepetitedéchirure.—J'aiapprisilyalongtemps,Ellie,quelejeudes«si»estunjeutrèsdangereux.Est-cequ'onpeutsevoir?JOnpeutseservirdenosportables?

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J'aibeaucoupàtedire.Ilfautqu'onsevoie.LesPercivalssurDerryStreet.Demain,13heures.Percivals?!?Cen'estpastongenre.Jesuispleindesurprisesencemoment.JAssiseàunetablerecouverted'unenappedelin,Elliefeuillettelesnotesqu'elleaprisesdanslemétro.

Ellesaitaufondd'ellequ'ellenepeutpasseservirdecettehistoire.Ellesaitaussique,siellenelefaitpas, sa carrière à la Nation est terminée. Par deux fois, elle a songé à se rendre en courant àl'appartementdeStJohn'sWoodpourtoutavoueràlavieilledame,lasuppliantdelalaisserracontersatragique histoire d'amour dans le journal.Mais chaque fois elle revoit le visage de Jennifer Stirling,entendsavoix:Lesjeunesn'ontpaslemonopoledescœursbrisés,voussavez.Elleregarded'unairabsentleplatencéramiqueblancheremplid'olivesqu'onaposésursatable.Elle

n'apasd'appétit.Siellen'écritpascetarticle,elleperdsontravail.Siellel'écrit,elleperdsonintégrité.Elleregrette,unefoisencore,denepaspouvoirparleràRory.Ilsauraitsûrementcequ'ilconvientdefaire.Ellealadésagréableintuitionquecelanecorrespondraitpasàcequ'elleenvisagedefaire,maisellesaitqu'ilauraitraison.Sespenséessepourchassentl'unel'autre,argumentetcontre-argument.JenniferStirlingnelitprobablementpaslaNation.Ellepourraittrèsbiennejamaissavoircequetu

asfait.Melissachercheuneexcusepourtefoutreàlaporte.Tun'aspasvraimentlechoix.PuislavoixdeRory,sardonique:Tutefousdemoi?Son estomac se serre douloureusement – une sensation bien trop familière à son goût ces derniers

temps.Unepenséeluivientàl'esprit:sielleparvientàdécouvrircequiestarrivéàAnthonyO'Hare,Jenniferserabienobligéedeluipardonner.Audébut,elleserapeut-êtrecontrariée,maisfinalementelleserendrasûrementcomptequ'Ellieluiafaituncadeau…Laréponseàtoussesproblèmesvientdeluitomberdu ciel : elle le trouvera.Ça lui prendrapeut-êtredix ans,mais elledécouvrira cequi lui estarrivé.L'espoirestmince,maisilsuffitàluiremonterlemoral.Jesuisàcinqminutes.Tueslà?JOui.Unetableaurez-de-chaussée.Unverrefraist'attend.EInconsciemment,ellesepasselamaindanslescheveux.EllenecomprendtoujourspaspourquoiJohn

n'apasvouluserendreàsonappartement.L'ancienJohninsistaittoujourspourl'yretrouverdirectement.C'étaitcommes'ilétaitincapabledevraimentluiparleroudelavoiravantd'avoirévacuéaulittoutelatensionaccumulée.Durantlespremiersmoisdeleurrelation,elleavaittrouvécelaflatteur.Puis,aufildutemps,deplusenplusirritant.Maintenant,unepetitepartied'elle-mêmesedemandesicerendez-vousaurestaurantn'estpasunemanièrede luiannoncerqu'ilestprêtà lavoirà l'extérieur.ToutsembleavoirchangédemanièresiradicalequelenouveauJohnluisembleparfaitementsusceptibledeluifaireunesortededéclarationpublique.Elleremarqueleshabitsluxueuxdesgensassisauxtablesvoisines,etses

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orteilssecrispentàcettepensée.—Qu'est-cequiterendsinerveuse?luiademandéNickycematin-là.Çaveutdirequetuaseuceque

tuvoulais,non?—Oui,jesais.Ellel'aappeléeà7heures,remerciantlecield'avoirdesamiescomprenantqu'uneurgenceromantique

étaituneraisonlégitimedetéléphoneràuneheureaussimatinale.—C'estjusteque…—Tun'esplustoutàfaitsûredevouloirdelui.—Si!s'est-elleécriéeenfusillantletéléphoneduregard.Biensûrquejeveuxencoredelui!C'est

justequetoutchangetellementvitequejen'aipaseuletempsdemefaireàl'idée.—Alorstuferaismieuxdet'yfairetrèsvite.Siçasetrouve,ilvasepointeràl'heuredudéjeuneren

traînantderrièreluideuxvalisesetsesgaminshurlants.PouruneraisonquiéchappetoujoursàEllie,Nickya trouvél'imagesiamusantequ'elles'estmiseà

glousserjusqu'àcequeçaendevienneunpeuagaçant.Ellie avait l'impressionqueNickyne lui avait toujours pas pardonnéd'avoir « tout foutu en l'air »,

comme elle disait, avecRory. «C'est un gentil garçon, lui a-t-elle dit à plusieurs reprises.Avec lui,j'auraisétéheureused'alleraubar.»Traduction:Nickyn'accepterajamaisdesortiraubaravecJohn.Ellenepourraitjamaisluipardonnerd'êtrelegenred'hommecapabledetrompersafemme.Ellejetteuncoupd'œilàsamontre,puisfaitsigneauserveurdeluiapporterundeuxièmeverredevin.

Ilavingtminutesderetard.Enn'importequelleautreoccasion,elleauraitruminésacolèreensilence,maiselleestsinerveusequ'unepetitepartd'elle-mêmesedemandesiellenevapassimplementsemettreàvomiren l'apercevant.Oui,c'est toujoursunebonne façond'êtreaccueilli.Puiselle lève lesyeuxetaperçoitunefemmedeboutdel'autrecôtédelatable.Sapremièrepenséeestqu'ils'agitd'uneserveuse,puisellesedemandepourquoiellene luiapporte

passonverredevin.Puiselleserendcomptequenonseulementlafemmeporteunmanteaubleumarineenlieuetplacedel'uniformedesserveuses,maisqu'enplusellelaregardeunpeutropfixement,commequelqu'unquinevapastarderàsemettreàchantertoutseuldanslebus.—Bonjour,Ellie.Ellieclignedesyeux.—Jesuisdésolée,dit-elleaprèsavoirparcourumentalementletrombinoscopedesescontactsrécents

etn'avoirtrouvéaucunecorrespondance.Est-cequ'onseconnaît?—Ohoui,jecroisbien.JesuisJessica.Jessica.Çaneluiditrien.Joliecoupedecheveux.Bellesjambes.Peut-êtreunpeufatiguée.Bronzée.

Laréponseluiexplosealorsauvisage.Jessica.Jess.Lafemmeremarquesastupeur.—Oui,jemedisaisbienquemonnomvousdiraitquelquechose.Çavousarrangeaitbiendenepas

avoirdevisageàmettredessus,pasvrai?Çavouspermettaitdenepastroppenseràmoi.JesupposequelefaitqueJohnsoitmarién'étaitàvosyeuxqu'unpetitinconvénient.Ellieaperdul'usagedelaparole.Elleremarqueàpeinelesautresclientsquiseretournent,ayantperçu

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lesétrangesvibrationsémanantdelatable15.JessicaArmourfaitdéfilerdesmessagessurunportableétrangementfamilier.Ellehausseletonpour

enfairelalecture:—«Jemesensd'humeurcoquineaujourd'hui.Viens.Débrouille-toicommetuveux,maisviens.Tune

leregretteraspas.»Hum!Oh,et là,unbon :«Jedevrais rédiger l'interviewde la femmedudéputé,maisjen'arrêtepasderepenseràmardidernier.Vilaingarçon!»Oh,etmonpréféré:«SuisalléechezVictoria'sSecret.Photoenpiècejointe…»Quandellerelèvelesyeux,savoixtrembled'unerageàpeinecontenue.—Pasfacilederivaliserquandondoitgérerdeuxenfantsmaladesetlestravauxdelamaison.Mais,

oui,mardi12.Jemesouviensdecejour-là.Ilestrentréavecunbouquetdefleurspours'excuserdesonretard.Ellieouvrelabouche,maisaucunmotn'ensort.Ellerougitjusqu'àlaracinedescheveux.—J'aifouillédanssontéléphonependantlesvacances.Jemedemandaisàquiiltéléphonaitdepuisle

bar,et j'ai trouvévotremessage.«Appelle-moi,s'il teplaît.J'aibesoinde t'entendre.»Commec'esttouchant,ricane-t-elle.Ilpensequ'onluiavolésonportable.Ellieaenviederampersouslatable.Ellevoudraitrapetisserjusqu'àdisparaître.—J'aimeraisvoussouhaiterdefinirtristeetseule.Mais,enfait,j'espèrequevousaurezunjourdes

enfants, Ellie Haworth. Vous saurez alors ce que ça fait d'être vulnérable. Devoir se battre, êtreconstammentsurlequi-vive,toutçapourêtreàpeuprèssûrequevosenfantsgrandissentavecunpère.Pensez-ylaprochainefoisquevousachèterezdelalingerietransparentepourdivertirmonmari.Surcesmots,JessicaArmours'éloigneàtraverslestablesetsortdanslesoleildemidi.Toutlemonde

s'estpeut-êtretudanslerestaurant;Ellien'ensaitrienàcausedestintementsdanssesoreilles.Enfin,lesjouesenfeu,lesmainstremblantes,ellefaitsigneauserveurd'apporterl'addition.Quand il s'approche, ellemarmonne quelque chose à propos d'une affaire urgente. Elle ne sait pas

vraimentcequ'elledit:savoixnesembleplusluiappartenir.—L'addition?demande-t-elle.Ilfaitungesteendirectiondelaporte.Sonsourireestcompatissant.—Paslapeine,madame.Cettefemmearéglélanote.Ellierentreàpiedautravail,ignorantlacirculation,lesbanlieusardsquisebousculentsurletrottoir,

lesregardsaccusateursdesvendeursdejournauxderue.Ellevoudraits'enfermer,seule,danssonpetitappartement, mais la précarité de son emploi le lui interdit. Elle traverse les bureaux, terriblementconscienteduregarddesautres,convaincueauplusprofondd'elle-mêmequelemondeentierpeutliresahontesursonvisage,commesitoutel'histoireyétaitinscriteenlettresdefeu.—Çava,Ellie?Tuesatrocementpâle…La têtedeRupertvientd'émergerdederrière sonécran.Onacolléunautocollant«à incinérer»à

l'arrièredesonordinateur.—Malàlatête,répond-elled'unevoixrauque.—Terriadescachetspourça–elleadescachetspourtout,cettefille,dit-ilavantdedisparaîtrede

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nouveauderrièresonécran.Ellies'assiedàsonbureauetallumesonordinateurpourconsultersesmails.Levoilà:Aiperdumonportable.Enachèteunautreàl'heuredudéjeuner.T'enverraimonnouveaunuméropar

mail.JC'estarrivédanssaboîtederéceptionpendantsoninterviewdeJenniferStirling.Ellefermelesyeux

detoutessesforcestandisquelascènerepasseenboucledanssonesprit:lamâchoireserréedeJessicaArmour, son regard terrifiant, ses cheveux hérissés autour de son visage, la colère et la douleur quiémanaientd'elle.Aufond,Ellienepeuts'empêcherdesongerque,end'autrescirconstances,elleauraitaimé le styledecette femme,etpeut-êtremêmeappréciédeboireunverreavecelle.En rouvrant lesyeux, elle espère presque que lesmots de John auront disparu. Elle refuse de voir l'image qu'ils luirenvoientd'elle-même.Ellea l'impressiondes'éveillerd'unrêveparticulièrementréaliste,unrêvequiauraitdurétouteuneannée.Ellemesuresoudainl'étenduedesonerreur.Elleeffacelemessage.—Tiens,ditRupertendéposantunetassedethésursonbureau.Çavatefairedubien.Rupertne fait jamaisde théàpersonne.Par lepassé, lesautres rédacteursont tenudesparis sur le

tempsqu'illuifaudraitpourserendreàlacafétéria.Ellienesaitpassielledoitsesentirtouchéeparcetactedecompassioninaccoutuméouredouterlaraisonpourlaquelleilpensequ'elleenabesoin.—Merci,dit-elleenprenantlatasse.Alors que son collègue part se rasseoir, elle aperçoit un nom familier sur un autre mail : Phillip

O'Hare.Soncœurs'arrêtedanssapoitrine,oubliantprovisoirementl'humiliationqu'ellevientdevivre.EllecliquesurlelienetvoitquelemessagevientduPhillipO'HarequitravaillepourleTimes.Bonjour,Jesuisunpeuconfusàlalecturedevotremessage.Pourriez-vousm'appeler?Elles'essuielesyeux.Letravailestlaréponseàtout,sedit-elle.Letravailesttoutcequimereste.

Elledécouvriracequiestarrivéàl'amantdeJennifer,etJenniferluipardonnerapourcequ'elles'apprêteàfaire.Ellecomposelenuméroinscritenbasdumail.Unhommedécrocheàladeuxièmesonnerie.Enfond

sonore,elleentendlebourdonnementfamilierd'unesallederédaction.—Bonjour,dit-elled'unevoixtimide.IciEllieHaworth.Vousvenezdem'envoyerunmail.—Ah.Oui.Ellie.Uneminutes'ilvousplaît.Ilalavoixd'unhommed'unequarantained'années.UnevoixquiressemblevaguementàcelledeJohn.

EllechassecettepenséeetentendPhillipO'Hareposerlamainsurlecombinépourprononcerquelquesmotsinintelligibles.Puisilrevient:—Pardon.Letravail.Écoutez,mercidem'avoirrappelé…Jevoulaisseulementvérifierunechose.Où

avez-vousditquevoustravailliez?LaNation?—Oui.

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Saboucheestdevenuesèche.Ellesemetàbredouiller:—Maisjetiensàvousassurerquesonnomnevapasforcémentapparaîtredansmonarticle.Jeveux

justeseulementdécouvrircequ'ilestdevenupourunedesesamiesqui…—LaNation?—Oui.Unbrefsilence.—Etvousditesvouloirdécouvrircequ'estdevenumonpère?—Oui,répond-elled'unevoixmourante.—Etvousêtesjournaliste?—Jesuisdésolée,dit-elle.Jenevoispasoùvousvoulezenvenir.Oui,jesuisjournaliste.Toutcomme

vous.Vousêtesen traindemedirequevousnevoulezpasdonnerd'informationsàunconcurrent?Jevousaiditque…—MonpèreestAnthonyO'Hare.—Oui.C'estceluiqueje…L'hommeauboutdufiléclatederire.—Vousn'êtespasjournalisted'investigation,j'imagine?—Non.Ilmetunmomentàs'enremettre.—MademoiselleHaworth,monpèretravailleàlaNation.Votrejournal.Depuisplusdequaranteans.Ellies'immobilisesursachaise.Elleluidemandederépéter.—Jenecomprendspas,bafouille-t-elleenselevant.J'aifaitunerecherchedesignature.J'aifaitdes

tasderecherches.Jen'airientrouvé.SeulementvotrenomdansleTimes.—C'estparcequ'iln'écritpas.—Alorsqu'est-cequ'il…—Monpèretravailleauxarchives.Depuis…1964.

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[…] toujours est-il que coucher avec toi et gagner le prix Somerset-Maugham, ce n'est pas

compatible.Unhommeàunefemme,parlettre

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Chapitre24

—ETDONNEZ-LUICECIDEMAPART.ILCOMPRENDRA.

JenniferStirlinggriffonnaunpetitmotsursonagenda,arrachalapageetlaglissasouslacouverturedudossier,qu'elleposasurlebureaudusecrétairederédaction.—Biensûr,ditDon.Elles'avançaversluietluiserralebras.—Vousleluitransmettrez?C'estvraimentimportant.C'estmêmeunequestiondevieoudemort.—J'ai compris.Madame, si vousvoulezbienm'excuser, je doisme remettre au travail.C'est notre

heurelapluschargéedelajournée.Onatousdesdélaisàtenir,ici.Donvoulaitqu'ellesortedesonbureau.Ilvoulaitquel'enfantsortedesonbureau.LevisagedeJennifersechiffonna.—Jesuisdésolée.S'ilvousplaît,assurez-vousseulementqu'ill'ait.S'ilvousplaît.Bonsang,ilvoulaitseulementqu'elles'enaille.Ilétaitincapabledelaregarderenface.—Je…jesuisdésoléedevousavoirdérangé.Elleparutsoudainmalàl'aise,commesiellevenaitdeprendreconscienceduspectaclequ'elleoffrait.

Elle attrapa lamainde sa fille avant de s'éloigner à contrecœur.Les quelques personnes rassembléesautourdubureaularegardèrentpartirensilence.—AuCongo,ditCherylaprèsuninstant.—Ondoitbouclerlapage4,ditDonenfixantobstinémentlebureau.Vapourleprêtredansant.Cherylnelequittapasdesyeux.—Pourquoituluiasditqu'ilétaitpartiauCongo?—Tuvoulaisquoi?Quejeluidiselavérité?Qu'ilestplongédansunesaloperiedecomaéthylique?Cherylsemitàmordillersonstylo,leregardperduendirectiondesportesbattantes.—Maiselleavaitl'airtellementtriste…—Ellepeut.Elleestlacausedetoussesennuis.—Maistunepeuxpas…LavoixdeDonexplosadanslasallederédaction:—Ladernièrechosedontcegarçonabesoin,c'estquecettefemmereviennefoutrelebordeldanssa

vie!Tucomprendsça?C'estunservicequejeluirends.IlarrachadudossierlepetitmotdeJenniferetlejetadanslacorbeille.Cherylglissasonstyloderrièrel'oreille,jetaàsonchefunregardsévèreets'enallaverssonbureau.Donprituneprofondeinspiration.—Bon,est-cequ'onpeutenfiniraveclaviesentimentaledeO'Hareetseremettreàl'histoiredece

foutuprêtredansant?Unvolontaire?Qu'onm'envoieunecopiefissa,sinonleslivreursdejournauxvont

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partiravecuneliassedepagesblanchesdemainmatin!Dans le lit voisin, un homme toussait – une toux continue et saccadée, comme s'il avait une arrête

coincée en travers de la gorge. Il le faisaitmême dans son sommeil.AnthonyO'Hare laissait le bruits'estomperdansunlointainrecoindesaconscience,commetoutlereste.Ilavaitcompriscommentfaire.Commentfairedisparaîtreleschoses.—Vousavezdelavisite,monsieurO'Hare.Lebruitdesrideauxtirés,lalumièredujourquiserépandaitàl'intérieur.Lajolieinfirmièreécossaise.

Desmainsfraîches.Àchaquemotqu'elleprononçait,onauraitditqu'elles'apprêtaitàluifaireuncadeau.Jevaisvousfaireunepetitepiqûre,monsieurO'Hare.Dois-jedemanderàquelqu'undevousaideràalleraulavabo,monsieurO'Hare?Vousavezdelavisite,monsieurO'Hare.Unvisiteur?Uninstant,unelueurd'espoirvacilla;puisilentenditlavoixdeDonderrièrelesrideaux

etserappelaoùilétait.—Nefaitespasattentionàmoi,majolie.—Biensûrquenon,répliqua-t-ellesagement.Unvisagelunaireetrougeaudapparutquelquepartauniveaudesespieds.—Alors,ontraîneaulit?—Trèsdrôle,marmonnaAnthony,lavoixétoufféeparsonoreiller.Iltentadeseredresser.Toutsoncorpsluifaisaitmal.Ilclignadesyeux.—Jedoissortird'ici.Savisions'éclaircissait.Donétaitdeboutaupieddulit,lesbrascroisés,poséssursongrosventre.—Tunevasnullepart,fiston.—Jenepeuxpasresterici.Savoixsemblaitmonterdirectementdesapoitrine.Ellecroassaitetcrissaitcommeuneroueenbois

dansuneornière.—Tunevaspasbien,Tony.Ilsveulentévaluerlesfonctionsdetonfoieavantdetelaisserpartir.Tu

nousasfichuunetrouillebleue.—Qu'est-cequis'estpassé?Ilnesesouvenaitderien.Donhésita,semblantréfléchiràcequ'ilpouvaitsepermettrederévéler.—Tun'es pas venu au bureau deMarjorie Spackman pour la grande réunion.À 18 heures, comme

personnen'avaitdetesnouvelles,j'aieuunmauvaispressentiment.J'aiconfiélesrênesàMichaelsetjesuispasséàtonhôtel.Jet'aitrouvécouchéparterre,pasbeauàvoir.Tuavaisencoreplussaleminequemaintenant,etcen'estpaspeudire.Ilsesouvint.LebarduRegentHotel.Leregardcirconspectdubarman.Ladouleur.Leséclatsdevoix.

Levoyagesansfinpourremonterjusqu'àsachambre,s'accrochantauxmurs,titubantdanslesescaliers.Lesbruitsd'objetsbrisés.Puisplusrien.—J'aimalpartout.

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—Tum'étonnes.Dieuseulsaitcequ'ilst'ontfait.Quandjet'aivuhiersoir,tuavaisl'aird'uncoussinàépingles.Desaiguilles.Desvoixpaniquées.Ladouleur.Oh,bonsang,ladouleur.—Qu'est-cequis'estpassé,O'Hare?Danslelitvoisin,l'hommes'étaitremisàtousser.—C'estcettefemme?Ellet'aencoreplaqué?Donétaitphysiquementmalà l'aise lorsqu'ils'agissaitdeparlerdesentiments.Çasemanifestaitpar

unejambequitressautait,unemainquipassaitetrepassaitsursacalvitie.Nemeparlepasd'elle.Nemefaispaspenseràsonvisage.—Cen'estpassisimple.—Alorsqu'est-cequis'estpassé,bordel?Aucunefemmenevautdesemettredansdesétatspareils,

fitDonenembrassantd'ungestelachambred'hôpital.—Je…jevoulaisjusteoublier.—Alorstrouve-toiuneautrefemme.Unequetupeuxvraimentavoir.Tut'enremettras.Àforcedelerépéter,celafiniraitpeut-êtrepararriver.Lesilenced'Anthonydurajusteassezlongtempspourdécevoirtoussesespoirs.Pardonne-moi.Ilfallaitseulementquejesache.—Despapillonsattirésparlaflamme.Onatousconnuça.Pardonne-moi.Anthonysecoualatête.—Non,Do.Pascommeça.—C'esttoujours«pascommeça»quandc'esttoiqui…—Siellenepeutpaslequitter,c'estparcequ'ilneluilaisserajamaislagardedesafille.Lavoixd'Anthony,soudainplusclaire,résonnadanslepetitespaceclosparlesrideaux.Rienqu'une

seconde,l'hommedulitd'àcôtécessadetousser.Anthonyvitsoncheffroncerlessourcilsensaisissanttoutcequecettephraseimpliquait.—Ah,fit-ild'unaircompatissant.Dur.—Oui.LajambedeDonseremetàtressauter.—Maiscen'estpasuneraisonpouressayerdesesoûleràmort.Tusaiscequelesmédecinsontdit?

Lafièvrejaunet'abousillélefoie.Bousillé,O'Hare.Encoreunebeuveriecommecelle-là,ettu…Anthonysesentitsoudaininfinimentépuisé.Ilseretournasursonoreiller.—Net'enfaispas,çan'arriveraplus.Àsonretourdel'hôpital,Donrestaassisunebonnedemi-heureàsonbureau,songeur.Autourdelui,

commetouslesjours,lasallederédactions'éveillaitlentement,telungéantendormiquirevientàlavieàcontrecœur:desjournalistesparlaientautéléphone,desnouvellessesoulevaientetretombaientsurleslistesd'information,despagesétaientmisesenforme,launesefaisaitmaquetter…

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Ilsefrottalamâchoireduplatdelamainetappelasasecrétaire.—Eh,Blondie!Trouve-moilenumérodemachinStirling.L'hommeàl'amiante.Cheryll'écoutaensilence.Quelquesminutesplustard,elleluitendaitlenuméroqu'elleavaitrecopié

depuisl'annuairedubureau.—CommentvaAnthony?—D'aprèstoi?Il tapota sur le bureau du bout de son stylo, toujours plongé dans ses pensées. Puis, lorsque sa

secrétairesefutéloignée,ildécrochaletéléphoneetdonnasesindicationsaustandard.Ils'éclaircitlagorge,malàl'aisepourparlerautéléphone.—J'auraisvouluparleràJenniferStirling,s'ilvousplaît.IlsentaitleregarddeCherylposésurlui.—Puis-jeluilaisserunmessage?…Quoi?Ahbon?Oh…Jevois.Unepause.—Non,cen'estpasgrave.Navrédevousavoirdérangé,dit-ilenraccrochant.—Qu'est-cequis'estpassé?demandaCheryl,deboutdevantsonbureau, lesurplombantdetoutesa

hauteursursesnouveauxtalons.Don?—Rien,répliqua-t-ilenseredressant.Oublieça.Vamechercherunsandwichaubacon,tuveuxbien?

Etn'oubliepaslasauce.Jenepeuxpaslemangersans.Ilroulalenuméroenbouleetlejetadanslacorbeilleposéeàsespieds.Lapeineétaitplusforteencorequesiquelqu'unétaitmort;lanuit,ellerevenaitparvagues,implacable

etdestructrice.Ilrevoyaitsonvisagechaquefoisqu'ilfermaitlesyeux,sespaupièresclosesdeplaisir,sonaircoupableetdésespéréquandellel'avaitaperçudanslehalldel'hôtel.Sonvisageluidisaitqu'ilsétaientperdusetqu'ellesavaitdéjàcequ'elleavaitfaitenleluidisant.Etelleavaitraison.Ill'avaitd'abordhaïepourl'avoirlaisséreprendreespoirsansluiavouertoutela

vérité sur sa situation. Pour être entrée de nouveau dans son cœur, par effraction, tout en sachantpertinemmentqu'il n'y avait paspour eux lamoindre chance.Quedisait le dicton ?C'est l'espoir quinoustue.Sessentimentspassaientd'unextrêmeàl'autre.Illuipardonna.Iln'yavaitmêmerienàpardonner.Elle

l'avaitfaitparceque,commelui,ellen'auraitpaspunepaslefaire.Etparcequec'étaittoutcequ'ellepouvait raisonnablement espérer obtenir de lui. J'espère que ce souvenir te permettra d'avancer,Jennifer,parcequemoi,ilm'adétruit.Il combattait la certitude que, cette fois, il n'y avait pour lui plus rien à espérer. Il se sentait

physiquement diminué, fragilisé par ses choix désastreux. Son esprit affûté en était émoussé,saluciditéembrumée;ilnepercevaitplusquelapulsationrégulièredelaperte,unbattementcontinuelidentiqueàceluiquil'avaitpoursuivicejour-là,àLéopoldville.Jenniferneseraitjamaissienne.Ilsavaientétéàdeuxdoigtsdes'appartenir,maiselleneseraitjamais

sienne.Commentvivreaveccettecertitude?Au petitmatin, il envisagea unmillier de solutions. Il exigerait que Jennifer obtienne le divorce. Il

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feraitsonpossiblepourlarendreheureusesanssafille,parlapureforcedesavolonté.Ilengageraitlemeilleuravocat.Illuiferaitd'autresenfants.IlaffronteraitLaurence–danssesrêveslesplusfous,illuisautaitmêmeàlagorge.MaisAnthonyavaittoujoursétésolidairedesautreshommes,et,mêmeàcetinstant,ilcomprenaitau

fonddeluicequeLaurenceavaitpuressentirenapprenantquesafemmeenaimaitunautre–sansparlerdedevoirlaissersonenfantauxmainsdel'hommequilaluiavaitvolée.Anthonylui-mêmes'enétaitsentiestropié, même s'il n'avait jamais éprouvé pour Clarissa les sentiments qu'il nourrissait à l'égard deJennifer.Ilpensaitàsonfils,tristeetsilencieux,àlaculpabilitéquin'avaitjamaiscessédeleronger,etsavait que, s'il imposait cela àuneautre famille, tout lebonheurqu'ils construiraient reposerait sur labasemouvante du chagrin. Il ne pouvait pas retourner là-bas. Il ne pouvait pas se replonger dans laroutine de New York, dans ces journées rythmées par les allers-retours entre son appartement et lebâtimentdesNationsunies:toutyseraitcorrompu,imprégnédusouvenirdeJennifer,desonparfum,dugoûtdesachair,del'idéequ'elleétaitlà,quelquepart,àvivre,àrespirersanslui.Sapeines'étaitaccruedepuisqu'ilsavaitqu'ellel'avaitdésiréautantquelui:àprésent,sacolèrenesuffisaitplusàchasserdesespenséeslafemmequ'ilaimait.Pardonne-moi.Ilfallaitseulementquejesache.Ildevaitallerdansunendroitoùilserait incapabledepenser.Poursurvivre, ildevaits'exilerenun

lieuoùlasurvieseraitsaseulepréoccupation.Lejouroùl'hôpitalacceptaenfindelelaissersortir,aveclesrésultatsdesesexamensetdefunestes

prédictionssurcequiluiarriveraits'ilavaitlemalheurdeboireencore,cefutDonquivintlechercher.—Onvaoù?IlregardaDonchargersapetitevalisedanslecoffredesavoiture,etsesentitcommeunréfugié.—Tuvienschezmoi.—Quoi?—C'estVivquiadécidé,précisa-t-ilenévitantsonregard.Ellepensequetuasbesoinderéconfort

domestique.Tuparles!C'esttoiquipensesquejenepeuxpasresterseul.—Jenecroispasqueje…—Iln'yapasàdiscuter,répliquaDonens'installantsurlesiègeduconducteur.Maisjetepréviens,je

ne suis pas responsable de la qualité de la nourriture. Ma femme connaît déjà mille et une façonsd'incinérerunevacheet,pourautantquejesache,ellen'enestencorequ'àsesbalbutiements.Ilétaittoujoursdéconcertantd'observeruncollèguedetravaildansuncontextedomestique.Avecles

années, même s'il avait déjà rencontré Viv – une petite femme rousse, aussi vive que Don étaitrenfrogné–endiversesoccasionsprofessionnelles,Anthonyavaittoujourseul'impressionqueDon,plusquequiconque,vivaitvéritablementdansleslocauxdelaNation.Ilsemblaitypasserchaqueheuredechaque jour. Son bureau, avec ses énormes piles de papiers, ses notes griffonnées à la va-vite et sescartesépingléesauhasardsurlesmurs,étaitsonhabitatnaturel.Dondanssamaisonavecdeschaussons

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envelours,lespiedsposéssuruncanapé,Donredressantdesbibelotsouallantchercherdesbouteillesdelait…çaallaitàl'encontredesloisdelanature.Malgrétout,samaisonavaitquelquechosedereposant.C'étaitunemaisonmitoyennedestyleTudor,

située en grande banlieue, assez vaste pour ne pas donner à Anthony l'impression d'être de trop. Lesenfants étaient grands et avaient quitté le nid, ce qui faisait que, en dehors de quelques photographiesencadrées,iln'yavaitrienpourluirappelersonpropreéchecentantqueparent.Viv l'accueillit en l'embrassant sur les deux joues, en se gardant bien de toute allusion au contexte

douloureux.—Jemesuisditquevousaimeriezjoueraugolfcetaprès-midi,entregarçons,dit-elle.Cequ'ilsfirent.Dons'avéraêtreunsimauvaisgolfeurqu'Anthonycompritaprèscoupquecelaavaitdû

êtrelaseuleactivitémasculineàlaquelleseshôtesavaientpenséquin'impliquaitpasdeconsommerdel'alcool.DonneparlapasuneseulefoisdeJennifer.Ilétaitcependantinquiet,Anthonylevoyaitbien:ilfaisaitdeconstantesréférencesàlasantéd'Anthonyetauretouràlanormale,quellequ'ellesoit.Iln'yeutpasdevinsurlatableaudéjeunerniausouper.—Alors,quelestleprogramme?demandaAnthony,assissuruncanapédusalon.Auloin,ilsentendaientVivfairelavaisselleenchantantaveclaradio.—Demain,onseremetautravail,déclaraDonensefrottantleventre.Letravail.Unepartiedeluivoulutdemanderenquoicelaconsisterait,maisiln'osapas.Ilavaitdéjà

échouéunefoisàlaNationetcraignaitqueladeuxièmen'eûtétélafoisdetrop.—J'aidiscutéavecSpackman.Oh,merde.Onyest.—Tony,ellen'estpasaucourant.Personneenhautn'estaucourant.Anthonyclignadesyeux.— Au bureau, il n'y a que nous. Moi, Blondie et quelques rédacteurs que j'ai dû prévenir de ton

absencequandont'aemmenéàl'hôpital.Ilsvontsetaire.—Jenesaispasquoidire.—Pourchanger.Bref.Donallumaunecigaretteetsoufflaunlongnuagedefumée.Sonregard,presquecoupable,croisacelui

d'Anthony.—Elleestd'accordavecmoisurlefaitqu'ilfailleterenvoyersurleterrain.Anthonymituninstantàcomprendrecequ'ildisait.—AuCongo?—Tueslemeilleurpourcetravail.LeCongo.—Maisjedoissavoirunechose…,poursuivitDonentapotantsacigaretteau-dessusd'uncendrier.—Jevaisbien.— Laisse-moi finir. J'ai besoin de savoir que tu vas prendre soin de toi. Je ne veux pas avoir à

m'inquiéter.

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—Pasd'alcool.Pasd'imprudences.J'aiseulement…j'aiseulementbesoindefaireceboulot.—C'estcequejepensais.MaisDonnelecroyaitpas–Anthonylevoyaitbiendanssonregardfuyant.Ilmarquaunepause.—Jemesentiraisresponsables'ilt'arrivaitquoiquecesoit,conclut-il.—Jesais.MaisAnthonysavaitqu'ilnepouvaitpaslerassurer.Commentl'aurait-ilpu?Ilnesavaitpaslui-même

s'ilallaitsurvivreàlaprochainedemi-heure,alorsquipouvaitdirecequ'ilallaitdevenirenpleincœurdel'Afrique?LavoixdeDon interrompit lecoursde sespenséesavantque la réponsenedevînt tropévidente. Il

écrasasacigarette.—Lefootcommencedansuneminute.ChelseacontreArsenal.Çatedit?Ils'extirpadesonfauteuilpourallumerleposteenacajouquitrônaitdansuncoindelapièce.—Jevaistedonnerunebonnenouvelle,ajouta-t-il:tunepeuxplusattrapercettesaloperiedefièvre

jaune.Quandonaétéaussimaladequetoi,apparemment,onestimmuniséàvie.Anthonyregardaitsanslevoirl'écranennoiretblanc.Comments'immunisercontretoutlereste?Ilsseretrouvèrentdanslebureaudurédacteurenchefdesaffairesétrangères.PauldeSaint,unhomme

grand,aristocratique,auxcheveuxcoiffésenarrièreetauxairsdepoète romantique,étudiaitunecarteétaléesurlebureau.—LegrosdesévénementssepasseàStanleyville.Ilyaaumoinshuitcentsnon-Congolaisretenusen

otages,laplupartauVictoriaHotel,etpeut-êtremilledeplusdanslesenvirons.Pourl'instant,leseffortsdiplomatiquespourlessauverontéchoué.Ilyatellementdedissensionsinterneschezlesrebellesquelasituationévolueàtouteheureetqu'ilestpresqueimpossibled'enavoirunevisionexacte.C'estlechaoslà-bas,O'Hare.Jusqu'àilyapeut-êtresixmois,j'auraispuvousaffirmerquelasûretéd'unhommeblancétaitgarantiemalgrétoutcequisepassaitentrelesautochtones.Maintenant,j'aibienpeurqu'ilsnes'enprennentauxcolons.D'affreuseshistoirescirculentàce sujet– rienquenouspouvonspublierdans lejournal.Lesviolsn'ensontqu'unepartie,ajoute-t-ilaprèsunsilence.—Commentpuis-jerentrerdanslazone?—C'est notre premier problème. J'en ai parlé avecNicholls, et lemeilleur passage devrait être la

Rhodésie–ou laZambie,comme ilsappellentmaintenant lapartienord.L'hommequenousavonssurplaceessaiedevoustrouverunpassageparlaterre,maislaplupartdesroutesontétédétruites.Çavousprendraplusieursjours.TandisquePaulparlaitlogistiqueavecDon,Anthonyselaissabercerparlaconversation.Ilconstata,

non sansunecertaine reconnaissance,quenon seulementunedemi-heure entièrevenait depasser sansqu'ilpenseuneseulefoisàelle,maisaussiquecettehistoirecommençaitàl'intéresser.Ilsentaitmonterenluiuneexcitationmêléedenervosité.Ledéfidetraverserunterrainhostileluiplaisait.Iln'avaitpaspeur.Quepouvait-illuiarriverdepire?Qu'avait-ilàperdre?IlfeuilletalesdossiersquelesecrétairedePauldeSaintluiavaitconfiés:lecontextepolitique,l'aide

que les communistes avaient apportée aux rebelles et qui avait tellement eu le don d'agacerlesAméricains,l'exécutiondePaulCarlson,lemissionnaireaméricain.Enlisantlesrapportsdebasesur

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les exactions des rebelles, il serra lamâchoire : ces comptes rendus le ramenaient en 1960, dans lestroubles qui avaient accompagné le bref règne de Lumumba. Il les lisait cependant avec une certainedistance,commesil'hommequiavaitétélà-bas–l'hommetellementébranléparcequ'ilavaitvu–étaitunparfaitétranger.—Alorsc'estentendu,onréservedèsdemainunbilletpourleKenya?NotrecontactdeSabenanous

dira s'il existe des vols internes vers le Congo. Dans le cas contraire, on te dépose à l'aéroport deSalisburyettupasseslafrontièrerhodésienne.D'accord?—Est-cequ'onsaitquelscorrespondantsontréussiàpasser?—Onnereçoitpasbeaucoupd'informations.Jesupposequelescommunicationssontdifficiles.Mais

OliverasortiunarticledansleMailaujourd'hui,etj'aientendudirequeleTelegraphpréparaitquelquechosed'énormepourdemain.Laportes'ouvrit.LevisagedeCheryl,l'airanxieux,s'encadradansl'embrasure.—Onestoccupés,Cheryl,fitDond'untonsec.—Pardon,dit-elle,maistonfilsestlà.Anthonymitplusieurssecondesàcomprendrequec'étaitàluiqu'elles'adressait.—Monfils?—Jel'aiinstallédanslebureaudeDon.Anthonyseleva,encroyantàpeinesesoreilles.—Excusez-moiuninstant,souffla-t-ilavantdesuivreCherylàtraverslasallederédaction.Il le sentait : ce choc viscéral qui l'ébranlait dans les rares occasions où il pouvait voir Phillip,

constatantàquelpointsonfilsavaitchangédepuissadernièrevisite,percevantlesnombreuxcentimètresqu'ilavaitpriscommeautantdereprochesmuetspoursonabsence.Ensixmois,lasilhouettedePhillips'étaitallongéed'unemanièreimpressionnante,luidonnantl'allure

dégingandée d'un adolescent qui a grandi trop vite. Assis derrière le bureau, replié sur lui-même, ilressemblait à un grand point d'interrogation. Il leva la tête lorsqu'Anthony entra, dévoilant un visageblafard,desyeuxcernésderouge.Anthonyrestafigésurlepasdelaporte,tentantdedevinerlesraisonsdelapeinequis'inscrivaitsurle

visagepâledesonfils.Quelquepartaufondde lui, ilneputs'empêcherdesedemander :Est-cequec'estencoremafaute?Sait-iloùm'ontmenémesderniersexcès?Suis-jeunratéàsesyeux?—C'estmaman,murmuraPhillip.Ilclignafurieusementdesyeuxets'essuyalenezdureversdelamain.Anthonyfitunpasverslui.Legarçonsedépliasoudainetsejetaavecuneforceinattenduedansles

brasdesonpère.Anthonysesentitagrippé,lesmainsdePhillips'accrochantàsachemisecommes'ilnevoulaitplusjamaislelaisserpartir.Ilposadoucementlamainsurlatêtedesonfils,dontlecorpsmaigreétaitsecouédeprofondssanglots.LapluietambourinaitsifortsurletoitdelavoituredeDonqu'ilétaitpresqueimpossibledepenser.

Presque, mais pas tout à fait. Durant les vingt minutes qu'il leur avait fallu pour traverser lesembouteillagesdeKensingtonHighStreet,lesdeuxhommesétaientrestésassissansriendire,Dontirant

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nerveusementsursacigarette.—Probablementunaccident,ditenfinDonensuivantdesyeuxl'interminablefiledefeuxarrièrequi

s'étiraitdevanteux.Ungros.Ondevraitprévenirlejournal,ajouta-t-ilsansmanifesterlemoinsdumondel'intentiondesegareràcôtédescabinestéléphoniques.CommeAnthonyne répondaitpas,Donsemità tripoter la radio ;puis il abandonna,vaincupar les

parasites.Ilcontemplauninstantleboutdesacigaretteettiraunebouffée,lafaisantrougeoyer.—DeSaintaditqu'onavaitjusqu'àdemain.Sionattendpluslongtemps,leprochainvolestdanscinq

jours.Ilparlaitcommes'ilsavaientunedécisionàprendre.—Tupeuxtoujoursyaller,reprit-il,etonterappellerasisonétatsedétériore.—Ils'estdéjàdétérioré.LecancerdeClarissaavaitétéfulgurant.—Ellenepasserapaslasemaine.—Saletédebus!Regarde-moiça,ilprendlamoitiédelaroute!Donabaissasavitreetjetasonmégotsurlaruedétrempée.Ilbalayalesgouttesdepluiesursamanche

avantderefermer.—Àpropos,commentestsonmari?—Jenel'airencontréqu'unefois.Jeneveuxpasresteraveclui.S'ilteplaît,papa,nem'obligepasàresteraveclui.Phillip s'était agrippé à sa ceinture comme à une bouée de sauvetage. Lorsque Anthony l'avait

finalementramenéàlamaisondeParsonsGreen,ilavaitcontinuéàsentircetteétreintelongtempsaprèsl'avoirdéposé.«Jesuissincèrementdésolé»,avait-ilditàEdgar.Lemarchandderideaux,plusvieuxqu'il l'aurait

cru,l'avaitdévisagéd'unairsuspicieux,commes'ilcherchaitl'insultecachéedanslesmotsd'Anthony.—JenepeuxpasallerauCongo.C'était sorti. C'était presque une libération. Comme recevoir la peine demort après des années de

grâcesrejetées.Donsoupira.Anthonynesutsic'étaitdedéceptionoudesoulagement.—C'esttonfils.—C'estmonfils.Il luiavaitpromis :«Oui,biensûrque tupeuxresteravecmoi.Biensûr.Toutvabiensepasser.»

Mais,mêmeenprononçantcesmots,iln'avaitpassaisil'ampleurdecequ'ildevraitabandonner.Lacirculationreprit,d'abordaupas,puisunpeuplusvite.Donnerepritlaparolequ'unefoisarrivéàChiswick:—Tusais,O'Hare,çapourraitêtreunebonnechose.C'estpeut-êtremêmepourlemieux.Aprèstout,

Dieuseulsaitcequiauraitput'arriverlà-bas.Illuijetaunregardenbiaisetpoursuivit:—Etpuis…quisait?Unefoisquelegarçonauraprissesmarques,tupourraisrepartirsurleterrain.

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Onpourraitleprendreàlamaisonpendanttonabsence.Vivs'enoccuperait.Ilseplairaitcheznous.Oh,merde!ajouta-t-il,prisd'unepenséesubite.Tuvasdevoirtetrouverunemaison!Tunepeuxplusvivreàl'hôtel.Anthony laissa Don parler tout seul, étalant devant lui cette nouvelle vie hypothétique comme des

articles sur une page, lui faisant des promesses, tentant de le réconforter, d'étouffer le battement dutambourquirésonnaittoujoursquelquepartdansleszoneslesplussombresdesonâme.Onluiavaitaccordédeuxsemainesdecongéexceptionnelpoursetrouverunendroitoùvivreetpour

accompagnersonfilsdansl'épreuvedelamortetdel'austèresolennitédel'enterrement.Phillipn'avaitjamaispluspleurédevantlui.Ilavaitmanifestéunplaisirpoliendécouvrantlapetitemaisonmitoyennequ'Anthonyavaitachetéeausud-ouestdeLondres–procheàlafoisdesonécoleetdechezDonetViv,quis'étaitjetéeavecdélicedanslerôledelabonnetanteprotectrice.Puisils'étaitassisenposantàsespiedssatristepetitevalise,commes'ilattendaitd'autresinstructions.Edgarn'appelapasuneseulefoispourprendredesesnouvelles.Anthonyavait l'impressiondevivreavecunétranger :Phillipétaitsidésireuxdeplaire,commes'il

craignaitd'êtrerenvoyéaupremierfauxpas.Anthonyfaisaittousleseffortsdumondepourluimontreràquelpointilétaitravidel'avoir,maisilavaitlasecrèteimpressiond'avoirtrompéquelqu'un,des'êtreemparéd'unechosequ'ilneméritaitpas.Ilsesentaitincapabled'aiderlegarçonàsurmontercettepeinequisemblaitl'accabler,luiquiparvenaitàpeineàsurvivreàlasienne.Ils'efforçaderéapprendrelesaptitudespratiqueslesplusélémentaires.Ilenvoyaleursvêtementsàla

laverie automatique et emmena Phillip chez le coiffeur. Comme ses talents de cuisinier se limitaientessentiellementàlacuissondesœufsdurs,ilsdescendaienttouslessoirsaucaféducoinpourunrepascopieuxàbasedesteaks,detourtesauxrognons,delégumestropcuitsetdepuddingsàlavapeurnageantdansunepâlecrèmeanglaise.Phillipdisaittoujoursquetoutétait«délicieux,merci»,commesimangerlà-bas était le plus grand cadeau qu'on pût lui faire. De retour à la maison, Anthony traînait souventdevantlaportedelachambredesonfils,sedemandants'ildevaitentrerousiavouersatristesseneferaitqu'empirerleschoses.Ledimanche,ilsétaientinvitéschezDon.Vivleurservaitunrôtiavecsagarniture,puisinsistaitpour

lesfairejoueràdesjeuxdesociétéaprèsqu'elleeutdébarrassélatable.AnthonyavaitmalaucœurenvoyantlegarçonsourireauxtaquineriesdeViv,àsoninsistanceobstinéepourqu'ilsejoigneàeux,àsavolontédel'incluredanscetteétrangefamilleétendue.Unsoir,enmontantenvoiture,tandisquePhillipfaisaitsigneàViv,quileurenvoyaitdesbaisersparla

fenêtre,ilvitunelarmesolitaireroulersurlajouedugarçon.Ilagrippalevolantàdeuxmains,paralyséparl'ampleurdesesresponsabilités.Ilnesavaitquedire.Quepouvait-ilapporteràPhillipalorsqu'ilnesepassaitpasuneheuresansqu'ilsedisequ'ilauraitmieuxvalupourluiqueClarissafûtcellequiavaitsurvécu?Cettenuit-là,ils'assitaucoindufeu,regardantàlatélévisionlespremièresimagesdelalibérationdes

otagesdeStanleyville.Leurssilhouettesflouesémergèrentd'unaviondel'arméepourserassemblersurleTarmac.Lestroupesbelgesontpusécuriserlavilleenquelquesheures.Ilestencoretroptôtpourcompterles

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victimes,maislespremiersrapportssuggèrentqu'aumoinsunecentained'Européensonttrouvélamortdurantlacrise.Beaucoupn'ontpasétérecensés.Iléteignit la télévisionet restahypnotisépar l'écran longtempsaprèsque lepointblanceutdisparu.

Puisilmontaàl'étage,hésitantdevantlaportedesonfils,écoutantlebruitcaractéristiquedessanglotsétouffés.Ilétait22h15.Anthonyfermauninstantlesyeux,puislesrouvritetpoussalaporte.Sonfilssursautaetglissaquelque

chosesouslecouvre-lit.Anthonyallumalalumière.—Fiston?Silence.—Qu'est-cequ'ilya?—Rien.Legarçonserecomposa,s'essuyantlevisage.—Çava.—Qu'est-cequetucaches?demanda-t-ild'unevoixdouceens'asseyantsurleborddulit.Phillipétaitchaudetmoite.Ilavaitdûpleurerpendantdesheures.Anthonysesentitsoudainécrasépar

soninaptitudeàêtreunpère.—Rien.—Laisse-moivoir.Iltiradoucementsurlacouverture.C'étaitunpetitcadreargentérenfermantunephotodeClarissa,les

mainsposéesfièrementsurlesépaulesdesonfils,ungrandsourireauxlèvres.Le garçon frissonna. Anthony posa la main sur la photographie et essuya du pouce les larmes qui

s'étaientécraséessurleverre.J'espèrequ'Edgarasulefairesourirecommeça,sedit-il.—C'estunejoliephoto.Tuvoudraisqu'onlametteenbas?Surlacheminée,peut-être?Àunendroit

oùtupourraislaregarderdèsquetuenauraisenvie?Il sentait le regard de Phillip s'attarder sur son visage. Il se préparait peut-être à encaisser un

commentaire acerbe, une charge résiduelle de ressentiment, mais Anthony ne quittait pas des yeux leportrait de la femme au sourire radieux. Ce n'était pas elle qu'il voyait. C'était Jennifer. Il la voyaitpartout.Illaverraittoujourspartout.Reprends-toi,O'Hare.Ilrenditleportraitàsonfils.—Tu sais…c'est normald'être triste.Vraiment.On a le droit d'être triste quandonperdquelqu'un

qu'onaime.Ildevaitabsolumentleluifairecomprendre.Savoixsebrisa.Quelquechosedeprofondémentenfoui

enluitentaitderemonteràlasurface.Illuttaitpournepasselaissersubmerger.—Enfait,moiaussi,jesuistriste,avoua-t-il.Terriblementtriste.Perdrequelqu'unqu'onaime,c'est…

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c'estinsupportable.Jecomprendsça.Ilattirasonfilscontrelui,baissantlavoixenunmurmure:—Maisjesuissicontentquetusoislà,parcequejepense…jepensequetoietmoiallonspouvoir

surmonterçaensemble.Qu'est-cequetuendis?La têtedePhillip seposasur sapoitrine.Unbrasminceseglissadanssondos. Il sentit son fils se

détendreetleserrafortcontrelui.Ilsrestèrentlà,enveloppésparlapénombreetlesilence,chacunperdudanssespensées.Anthony n'avait pas compris que la semaine où il devait reprendre le travail coïnciderait avec les

vacancesscolairesdesonfils.Vivproposaaussitôtd'accueillirPhillippourlafindelasemaine,maiselle serait en visite chez sa sœur jusqu'au mercredi. Par conséquent, pour les deux premiers jours,Anthonyduttrouverd'autresarrangements.—Ilpeutveniraubureaupourservirlecafé,ditDon.Serendreunpeuutileaveclathéière.Connaissantl'opiniondeDonsurlesinterférencesdelaviedefamilleaveccelledujournal,Anthony

luifutreconnaissant.Ilavaitdésespérémentattendudeseremettreautravail,deretrouverunsemblantdevie.IlétaittouchantdeconstateràquelpointPhillipavaithâted'accompagnersonpère.Anthonys'assitàsonnouveaubureauetparcourut les journauxdumatin. Iln'yavaitpaseudeposte

disponible dans la rubrique d'informations locales, aussi était-il devenu journaliste itinérant – un titrehonorifiquecréétoutspécialementpourlerassurer,soupçonnait-il.Ilbutunegorgéedecaféetgrimaça.Commed'habitude, il était infect.Phillippassaitdebureauenbureauenproposantdu thé, trèsélégantdans lachemisequ'Anthony luiavait repassée lematinmême.Avecbonheur,celui-ci se renditcomptequ'ilsesentaitchezlui.C'étaitlàquesanouvelleviecommençait.Toutallaitbiensepasser.Ilsallaients'ensortir.Ilrefusaitderegarderverslebureaudescorrespondantsétrangers.IlnevoulaitpassavoirquiilsavaientenvoyéàStanleyvilleàsaplace.—Tiens.DonluijetaunexemplaireduTimes,oùunarticleétaitentouréenrouge.—Fais-moiuneréécriturerapidedel'articlesurlelancementspatialaméricain.Onn'obtiendrapasde

nouvelle déclaration des États-Unis à cette heure, mais ça nous fera au moins une petite colonne enpage8.—Combiendemots?—Deuxcents,ditDonavecunaird'excuse.Jetetrouveraimieuxplustard.—Çamevatrèsbien.Il le pensait vraiment. Son fils souriait en portant son plateau avec d'infinies précautions. Il jeta un

regardàsonpère,quiluiadressaunsignedetêteapprobateur.Ilétaitfierdesongarçon,iladmiraitsoncourage.C'étaitvraimentmerveilleuxd'avoirquelqu'unàaimer.Anthonytiraversluisamachineàécrireetglissadesfeuillesdecarboneentrelespages.Unepourle

rédacteurenchef,unepourlecorrecteur,unepourlui.Laroutineavaitsoncharme.Il tapasonnomenhautdelapage,écoutantleclaquementsatisfaisantdeslettresd'acierfrappantlepapier.Illutetrelutl'articleduTimesenprenantquelquesnotessursoncarnet.Ilfitunsautauxarchives,d'où

il sortit le dossier sur les missions spatiales, et parcourut les coupures les plus récentes. Il prit de

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nouvellesnotes.Puisilposalesdoigtssurlestouchesdesamachine.Rien.C'étaitcommesisesmainsrefusaientdetravailler.Ilécrivitunephrase.Elleétaitplate.Ilarrachalesfeuillesetenenrouladenouvellessurlecylindre.Il tapauneautrephrase.Elleétaitplate. Il en tapauneautre.Çaallaitbien finirparprendre forme.

Maislesmotsrefusaientobstinémentdeserangercommeill'auraitvoulu.C'étaitunephrase,certes,maispas du genre de celles qui pourraient trouver leur place dans un grand titre de la presse quotidiennenationale.Ilseremitentêtelarèglepyramidaledujournalisme:lesinformationsfondamentalesdanslapremièrephrase,puisdesdétailsdemoins enmoins importants au fil du texte.Rares étaient ceuxquilisaientunarticlejusqu'aubout.Çanevenaitpas.À12h15,Donapparutprèsdelui.—Alors,cetarticle?Anthonys'étaitrenversécontreledossierdesachaise,latêteentrelesmains,entouréd'unejonchéede

papierschiffonnés.—O'Hare?Tuesprêt?—Jen'yarrivepas,Don,dit-ild'unevoixrauque,incrédule.—Quoi?—Jen'yarrivepas.Jenepeuxplusécrire.—Nesoispasridicule.Qu'est-cequec'est?L'angoissedelapageblanche?Tuteprendspourqui,

F.ScottFitzgerald?Ilramassaunepagefroisséeetlalissasurlebureau.Ilenprituneautre,lalutetlarelut.—Tuenasbavécesdernierstemps,dit-ilenfin.Tuassûrementbesoindevacances.Ilparlaitsansconviction.Anthonyvenaitderentrerdecongé.— Ça va te revenir, ajouta-t-il. Non, ne dis rien. Détends-toi. Je vais confier ce travail à Smith.

Aujourd'hui,repose-toi.Çafiniraparrevenir.Anthonyposalesyeuxsursonfils,quitaillaitdescrayonspourObits.Pourlapremièrefoisdesavie,

onluiconfiaitdesresponsabilités.Pourlapremièrefoisdesavie,sonsalaireétaitvital.LamaindeDonsursonépauleluisemblaitpeserunetonne.—Maisqu'est-cequejevaisbienpouvoirfairesiçanemerevientpas?

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PourunIrlandais,couriraprèsunefilledeSanDiego,c'estunpeucommeessayerd'attraperune

vague avec ses mains… impossible… Parfois, il faut seulement savoir larguer les amarres ets'émerveiller.Unhommeàunefemme,partexto.

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Chapitre25

ELLIERESTEÉVEILLÉEJUSQU'À4HEURESDUMATIN.CELAN'ARIEND'UNEÉPREUVE:POURLAPREMIÈREFOIS

depuis desmois, elle considère la situation avec lucidité. Elle passe le début de la soirée pendue autéléphone, le combiné coincé sur l'épaule, les yeux rivés à l'écran de son ordinateur. Elle envoie desmessages,demandedesfaveurs.Elleflatte,ellecajole,ellene tolèreaucunrefus.Lorsqueenfinelleaobtenu ce qu'elle voulait, elle s'assied à son bureau en pyjama, s'attache les cheveux et commence àécrire.Elletapetrèsvitesursonclavier,lesmotssemblantcoulernaturellementdesesdoigts.Pourunefois,ellesaitexactementcequ'elleaàdire.Elleretravaillechaquephrasejusqu'àenêtreparfaitementsatisfaite;elleremanielesinformationsdefaçonàenmaximiserl'impact.Unefois,enserelisant,ellesemetàpleurer.Plusieurs fois,elleéclatederire.Elle retrouveenelle-mêmeunefemmequ'ellepensaitavoir perdue depuis longtemps.Une fois son travail terminé, elle en imprime deux copies et s'endortcommeunepierre.Pendantdeuxheures.À7h30,elleestaubureau.ElleveutattraperMelissaavantquequiconquesoit

arrivé.Elles'estdouchéepourbienseréveiller,abudeuxexpressosbienserrés,aprissoindesesécherlescheveux.Elledéborded'énergie ; lesang luibouillonnedans lesveines.Elleestdéjàassiseàsonpostede travailquandMelissa,unsacàmainhorsdeprixbalancésur l'épaule,ouvre laportedesonbureau.Lorsquesasupérieurehiérarchiques'installe,Ellieconstatelelégertempsd'arrêtqu'ellemarquequandellecomprendqu'ellen'estpasseule.Ellieterminesoncafé,puisfaitunsautauxtoilettespourvérifierqu'ellen'arienentrelesdents.Elle

porteunchemisierblancparfaitementrepassé,sonplusbeaupantalonetdesescarpins.Elleressembleàunegrandepersonne,commesesamisn'auraientpasmanquédeluidireenriant.—Melissa?—Ellie.Melissa, stupéfaite, parvient tout de même à faire passer dans sa voix une légère intonation de

reproche.Ellien'entientpascompte.—Jepeuxtedireunmot?Melissaconsultesamontre.—Justeun,alors.JedoisappelerlaChinedanscinqminutes.Ellie s'assieden faced'elle.LebureaudeMelissaapresqueétéentièrementvidé, à l'exceptiondes

quelquesdossiersnécessairesàl'éditiondujour.Seulerestebienenévidencelaphotodesafille.—C'estausujetdemonarticle.—Tuvasmedirequetunepeuxpaslefaire?—Oui.Melissasembles'êtrepréparéeàcetteréponse:elleestdéjàsurlepointd'éclaterdecolère.

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—Ehbien,Ellie,cen'estvraimentpascequej'avaisenvied'entendre.Onaleweek-endlepluschargédelaviedujournal,ettuaseudessemainespourlefaire.Tuneterendsvraimentpasserviceenvenantmevoiràce…—Melissa…S'ilteplaît.J'aidécouvertl'identitédel'homme.—Et?Melissa hausse les sourcils comme seules peuvent le faire les femmes épilées au fil par une

professionnelle.—Iltravailleici.Onnepeutpasseservirdeseslettresparcequ'iltravaillepournous.Lafemmedeménagepassel'aspirateurdevantlaportedubureau,sonsourdvrombissementnoyantun

instantlaconversation.—Jenecomprendspas,ditMelissalorsquelebruits'éloigne.—L'hommequiaécritceslettresd'amourestAnthonyO'Hare.Melissaluirenvoieunregardvide.Elliecomprend,gênée,quemêmelarédactriceenchefn'apasla

moindreidéedequiilest.—Lechefarchiviste.Iltravailleenbas.Outravaillait.—Celuiquialescheveuxgris?—Oui.—Oh.Elleestsipriseaudépourvuqu'elleoublieuninstantd'êtreencolèrecontreEllie.—Çaalors,dit-elleenfin.Quiauraitpudeviner?—Jesais.Ellesyréfléchissentuninstantdansunsilencepresquecomplicejusqu'àcequeMelissa,sesouvenant

peut-êtredesonpersonnage,dérangedespapierssursonbureau.—Mais,aussifascinantequecettecoïncidencepuisseêtre,Ellie,ellenenoussauvepasd'untrèsgros

problème:nousavonsuneéditioncommémorativequidoitpartiràl'impressioncesoiravecuntroudedeuxmillemotsàlaplacedel'articleprincipal.—Non,ditEllie.Iln'yapasdeproblème.—Nemeressorspascetrucsurlelangagedel'amour.Jeneveuxpasd'unarticlerecyclantdes…—Non,ditEllieunefoisencore.Jel'aifait:deuxmillemotsoriginaux.Voilàmonarticle.N'hésitepas

àmediresitupensesqu'ilabesoind'êtreremanié,d'accord?Çavasijerepassedansuneheure?Melissa semble déstabilisée. Ellie lui tend les pages et la regarde parcourir la première, le regard

brillantcommechaquefoisqu'ellelitquelquechosequil'intéresse.—Quoi?Oui.Bien.Peuimporte.Tâched'êtrerevenuepourlaréunion.Elliecombatl'enviedelancersonpoingenl'airensortantdubureau.Résisteràlatentationn'estpassi

difficile:enéquilibreinstablesursestalonshauts,elleparvientàpeineàremuerlesbras.Elleluiaenvoyéunmaillaveilleausoir,etilaacceptésansdiscuter.Cen'estpourtantpassongenre

d'endroit:d'ordinaire,ilnejurequeparlesrestaurantsélégantsetdiscrets.ChezGiorgio,enfacedela

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Nation, on sert des œufs, des frites et du bacon de provenance inconnue à des tarifs défiant touteconcurrence.Quand elle arrive, il est déjà assis à une table, très élégant dans sa vestePaulSmith et sa chemise

claire,détonnantétrangementaumilieudesouvriersdubâtimentquicomposentlaclientèlehabituelle.—Jesuisdésolé,dit-ilavantmêmequ'elles'assoie.Jesuisvraimentdésolé.Elleaprismonportable.

Jecroyaisl'avoirperdu.Ellealuquelquesmessagesquejen'avaispassupprimésetatrouvétonnom…lereste…—Elleauraitfaitunebonnejournaliste.Ilsembleuninstantdistraitetfaitsigneàlaserveusedecommanderunautrecafé.Detouteévidence,

sespenséessontailleurs.—Oui.Oui,jesuppose.Ellies'assiedetprend le tempsd'observerattentivement l'hommeassisenfaced'elle, l'hommequia

hantésesrêvespendanttouteuneannée.Sonhâlenedissimulepaslescernesmauvesquis'étalentsoussesyeux.Ellesedemandedistraitementcequis'estpassélaveilleausoir.—Ellie,jepensequeceseraitunebonneidéedefaireunepause.Justepourquelquesmois.—Non.—Quoi?—C'estfini,John.Ilnesemblepasaussisurprisquecequ'elleauraitcru.Ilchoisitbiensesmotsavantderépondre.Puis:—Tuveux…tuesentraindemedirequetuveuxqu'onarrête?—Ehbien,ilfautvoirleschosesenface:nousnevivonspasunegrandehistoired'amour,si?Malgréelle,elleestdéçuedenepaslevoirprotester.—Jetiensàtoi,Ellie.—Mais pas assez. Tu ne t'intéresses pas àmoi, àma vie.À notre vie. Je ne crois pas que tume

connaissesréellement.—Jesaistoutcequej'aibesoinde…—Comments'appelaitmonpremieranimaldecompagnie?—Quoi?—Alf.Monhamster.Oùest-cequej'aigrandi?—Jenecomprendspaspourquoitumedemandesça.—Qu'est-cequetuattendaisdemoi,endehorsdenospartiesdejambesenl'air?Il jette un regard furtif aux alentours. Les ouvriers assis à la table derrière eux sont devenus

étrangementsilencieux.—Quiétaitmonpremierpetitami?Quelestmonplatpréféré?—C'estridicule,grogne-t-ilenserrantleslèvres,prenantuneexpressionqu'elleneluiconnaîtpas.—Non.Laseulechosequit'intéressechezmoi,c'estlavitesseàlaquellejemedéshabille.

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—C'estcequetupenses?—Est-cequetut'esdéjàpréoccupédecequejeressentais?Decequejevivais?Exaspéré,illèvelesdeuxmains.—Bonsang,Ellie,arrêtedetefairepasserpourunevictime!Nefaispascommesij'étaisunaffreux

séducteurettoiuneviergeeffarouchée.Est-cequetum'asparléuneseulefoisdesentiments?Est-cequetum'asdituneseulefoisquecen'étaitpascequetuvoulais?Tut'estoujoursfaitpasserpourunefemmemoderneetindépendante.Unepetitepartiedejambesenl'airquandtuenasenvie.Lacarrièreavanttout.Tuétais…impénétrable,finit-ilparajouteraprèsunebrèvehésitation.Lemotlablesseétrangement.—Jemeprotégeais,c'esttout.—Etjesuiscensélesavoircomment?Partélépathie?Tutrouvesqueça,c'estêtrehonnête?Ilsemblesincèrementchoqué.—Jevoulaisjusteêtreavectoi.—Maistuvoulaisplusqueça…Tuvoulaisunevraierelation.—Oui.Illaregardecommes'illavoyaitpourlapremièrefois.—Tuespéraisquejequittemafemme.—Biensûr.Auboutducompte.Etjepensaisquesijetedisaiscequejeressentaisréellement,tume

quitterais.Derrièreeux,lesouvriersseremettentàparler.Ellecomprendàleursregardsfurtifsqu'ilssontentrain

deparlerd'eux.Ilpasselamaindanssescheveuxblond-roux.—Ellie, dit-il, je suis désolé. Si j'avais su que tu ne pouvais pas supporter ça, je n'aurais jamais

commencé.Etvoilàlavérité.Cellequ'ellearefuséd'admettrependantunan.—Alorsc'esttout?Elle se lève pour partir. Lemonde s'est effondré et, étrangement, elle fait un pas hors des gravats.

Toujoursdebout.Sansuneégratignure.—Toietmoi…,dit-elle.Malgrélesmétiersdecommunicantsquenousexerçons,nousnenoussommes

jamaisparlé.Quelleironiedusort!Ellerestedeboutuninstantsurletrottoirdevantlecafé,sentantl'airfroidsursapeauetl'odeurdela

ville luiemplir lesnarines.Ellesortsonportabledesonsac, tapeunmessage, l'envoieet,sansmêmeattendreuneréponse,traverselarue.Ellenejettepasunseulregardenarrière.Melissapasseàcôtéd'elledansl'entrée,sestalonsclaquantavecélégancesurlesoldemarbrepoli.

Elle est plongée dans une discussion avec le directeur général,mais elle s'interrompt en arrivant à lahauteurd'Ellie.Elleluiadresseunsignedetête,lescheveuxrebondissantsurlesépaules.—Çam'aplu.

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Lajeunefemmerespireenfin.Ellenes'étaitpasrenducomptequ'elleretenaitsonsouffle.Puis Melissa s'engouffre dans l'ascenseur en reprenant sa conversation, et les portes se referment

derrièreelle.Lesarchivessontdésertes.Elliepousse laportebattanteetdécouvrequeseulsquelques rayonnages

poussiéreux sont encore debout. Plus de périodiques, plus de magazines, plus de vieux volumes duHansard.Elleécoutecliqueterlestuyauxdelachaudièrequicourentauplafond,puisgrimepar-dessuslecomptoir,laissantsonsacsurlesol.Lapremièrepièce,cellequiacontenuprèsd'unsiècledecopiesreliéesdelaNation,estentièrement

vide,àl'exceptiondedeuxcartonsposésdansuncoin.Lasalleluifaitl'effetd'unecaverne.Lebruitdesespasrésonnesurlecarrelagetandisqu'elles'avanceverslecentre.LasalledescoupuresdepressedeAàMestvide,elleaussi. Ilne resteplusque lesétagères.Les

fenêtres, six pieds au-dessus du sol, semblent projeter des particules de poussière scintillante autourd'ellequandelle sedéplace.Mêmesi les journauxontdisparu, l'air est infuséde l'odeurbiscuitéeduvieuxpapier.D'humeurfantasque,ellecroitpresqueentendreleséchosdeshistoirespasséessuspenduesdans l'air – centmille voix qui se sont tues à jamais.Des vies bouleversées, perdues, brisées par ledestin.Dissimuléesdansdesdossiersquepersonneneprendralapeined'ouvriravantlesiècleprochain.Elle se demande quels autres Anthony et Jennifer sont inhumés entre ces pages, leurs vies attendantsagement d'être bousculées par accident ou par coïncidence. Dans un coin, une chaise à pivot bienrembourréeporte l'étiquette«Archivesnumériques».Elle s'enapproche, la fait tournerdansun sens,puisdansl'autre.Ellesesentsoudainridiculementfatiguée,commesil'adrénalinequil'aalimentéecesdernièresheures

s'étaitépuisée.Elles'assiedlourdement,danslatiédeuretlesilence.Pourlapremièrefoisdepuiscequiluisembleuneéternité,Elliesesentpaisible.Toutenelleestcalme,tranquille.Ellelaisseéchapperunlongsoupird'aise.Elle se réveille en entendant le cliquètement de la porte, ignorant combien de temps elle est restée

endormie.AnthonyO'Hareluitendsonsacàlamain.—C'estàvous?Elleseredresseavecpeine,désorientée,unpeuétourdie.L'espaced'uninstant,ellenesesaitplusoù

ellesetrouve.—Oh,monDieu!Jesuisdésolée.Ellesefrottelevisage.—Vousn'allezpastrouvergrand-choseici,luidit-ilenluirestituantsonsac.Ilobservesonvisagechiffonné,sesyeuxrétrécisdesommeil.—Toutestpartidanslenouveaubâtiment.Jesuisjustevenurécupérerlesdernièrestassesdethé.Et

cettechaise.—Oui…trèsconfortable.J'aidumalàlaquitter…Oh,merde,quelleheureilest?

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—Ilest10h45.—Çava…Laréunionestà11heures.Ellebafouilleencherchantautourd'ellesesaffairesinexistantes.Puisellesesouvientdelaraisonqui

l'a amenée ici. Elle s'efforce de rassembler ses pensées,mais elle ne sait pas comment avouer à cethomme ce qu'elle doit lui dire. Elle l'observe à la dérobée, apercevant un autre homme derrière lescheveuxgrisetleregardmélancolique.Ellelevoitmaintenantàtraverssesmots.Elleserresonsaccontreelle.—Euh…Roryestdanslecoin?Rorysaura.Rorysauraquoifaire.Lesourirequ'illuiadresseestuneexcusemuette.—J'aibienpeurqu'ilnesoitpaslàaujourd'hui.Ildoitêtrechezluientraindesepréparer.—Sepréparer?—Poursonvoyage.Vousétiezaucourantqu'ilpartait?—J'espéraisqu'ilneleferaitpastoutdesuite.Elleprendunmorceaudepapierdanssonsacetgriffonneunpetitmot.—J'imagineque…vousn'avezpassonadresse?—Sivousvoulezbienentrerdanscequirestedemonbureau,jevousdéterreraiça.Jenepensepas

qu'ils'envoleavantunebonnesemaine.Quandilseretourne,ellepeineàreprendresonsouffle.—Enfait,monsieurO'Hare,iln'yapasqueRoryquejevoulaisvoir.—Oh?Ilestmanifestementsurprisdel'entendreprononcersonnom.Ellesortledossierdesonsacetleluitend.—J'aitrouvéquelquechosequivousappartient.Ilyaquelquessemaines.Jevousl'auraisbienrestitué

plustôt,maisj'aiseulement…Jusqu'àhiersoir,jenesavaispasquec'étaitàvous.Elle le regardedéplier lescopiesdes lettres.Sonvisagese transformequand il reconnaît sapropre

écriture.—Oùavez-voustrouvéça?—Ici,répond-elletimidement,craignantl'effetquecetteinformationrisquedeluifaire.—Ici?—Enterré.Dansvosarchives.Ilregardeautourdelui,commesilesrayonsvidespouvaientluiapporterl'explicationquiluimanque.—Jesuisdésolée.Jesaisqueceslettressont…personnelles.—Commentavez-voussuquec'étaientlesmiennes?— C'est une longue histoire, dit-elle, le cœur battant. Mais vous devez savoir une chose. Jennifer

Stirlingaquittésonmarilelendemaindujouroùellevousavuen1964.Elleestvenueici,aujournal,etonluiaassuréquevousétiezpartienAfrique.

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Ilnebougepasd'uncil,entièrementconcentrésursesmots.Ill'écoutesiattentivementqu'ilenvibrepresque.—Elleatentédevousretrouver.Elleaessayédevousdirequ'elleétaitenfinlibre.Ellie est un peu effrayée par l'effet que cette information semble avoir surAnthony. Pâle comme la

mort,ils'assiedsurlachaise,haletant.Maisilesttroptardpourrevenirenarrière.—Toutças'est…,commence-t-il, l'air troublé,si loinduravissementàpeinedissimulédeJennifer.

Toutças'estpasséilyasilongtemps…—Jen'aipasterminé,l'interrompt-elle.S'ilvousplaît.Ilattend.—Siceslettresnesontquedescopies,c'estparcequej'aidûrestituerlesoriginaux.Elleluitendlenumérodeboîtepostale,lamaintremblante,aussinerveusequ'excitée.Elleareçuuntextodeuxminutesavantdedescendreauxarchives:Non,iln'estpasmarié.Pourquoicettequestion?—Jenesaispasquelleestvotre situationpersonnelle.Vous trouverezsansdouteque jememontre

horriblementintrusive.Jesuispeut-êtreentraindecommettreunegraveerreur.Maisvoicisonadresse,monsieurO'Hare.Illaprend.—C'estlàqu'ilfautquevousécriviez.

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Un jour, quelqu'un de sagem'a dit qu'écrire est dangereux, car on n'est jamais sûr que lesmots

seront lus dans l'esprit avec lequel ils ont été écrits. Alors je vais rester simple. Je suis désolée.Vraimentdésolée.Pardonne-moi.S'ilyaunmoyendetefairechangerd'opinionàmonsujet,ilfautquejelesache.Unefemmeàunhomme,parlettre

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Chapitre26

ChèreJennifer,Est-cevraimenttoi?Pardonne-moi.J'airéécritcettelettreunebonnedouzainedefois,maisjene

saispasquoidire.AnthonyO'Hare.

ELLIERANGELESNOTESSURSONBUREAU,ÉTEINTSONORDINATEURET,ENFERMANTSONSAC,TRAVERSELA

sallederédaction.Elleadresseun«aurevoir»silencieuxàRupert,toujourspenchésurl'interviewd'unauteurqui–ils'enestplainttoutl'après-midi–estd'unennuimortel.Ellieademandéexpressémentànepas écrire dans la rubrique littéraire pour lemoment. Elle vient de boucler son article sur lesmèresporteusesets'envoledèsdemainpourParis,oùelledoitinterviewerunetravailleusebénévolechinoisequin'aplusledroitderentrerdanssonpaysàcausedesremarquescontroverséesqu'elleafaitesdansundocumentairebritannique.Ellevérifiel'adresse,puiscourtattrapersonbus.Alorsqu'ellesecaleaufonddu siège, son esprit est tout aux informations contextuelles qu'elle a rassemblées pour son article, lesorganisantdéjàenparagraphes.Plustard,elledoitretrouverCorinneetNickydansunrestaurantlargementau-dessusdeleursmoyens.

Douglas les accompagne. Il s'est montré si gentil quand elle l'a appelé la veille… Elle s'est sentieridicule de ne pas lui avoir adressé la parole pendant tout ce temps. Après quelques secondes deconversation,Ellieacomprisqu'ilétaitaucourantdecequis'étaitpasséavecJohn.SiCorinneetNickyselassentdeleurtravailactuel,unecarrièretoutetracéelesattendàlaNation,dit-elle.—Etnet'inquiètepas,jenevaispast'infligerledécorticagedemessentiments,a-t-elledéclaréquand

ilacceptadelavoir.—Merciinfiniment!—Maiscesoir,c'estmoiquit'inviteàdîner,luidit-elle.Pourm'excuser.—Pasdesexeentreamis?—Seulementsitacopineparticipe.Elleestplusbellequetoi.—J'étaissûrquetudiraisça.Ellesouritenraccrochantletéléphone.CherAnthony,Oui,c'estbienmoi.Quelquepuisseêtrece«moi»,comparéàcellequetuasconnueautrefois.Je

devinequetuesaucourantquenotreamiejournalistem'aparlé.J'aitoujoursdumalàcomprendrecequ'ellem'araconté.Maisdanslaboîtepostale,cematin, ilyavait ta lettre.Àlavuedetonécriture,quaranteansse

sonteffacés.Est-cequeçateparaîtfou?Letempspassén'étaitplusrien.J'aidumalàcroirequejetiensàlamainunelettrequetuasécriteilyaàpeinequelquesjours.J'arriveàpeineàimaginerce

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quecelasignifie.Ellem'aunpeuparlédetoi.Jesuisrestéeassiseàl'écouter,osantàpeinesongerquejepourrais

avoirl'occasionderesterassiseàteparler.J'espèrequetuesheureux.

JenniferC'est le bon côté des journaux : deuxbons articles d'affilée, et vous voilà devenu le grand sujet de

conversation de la salle de rédaction, le centre des bavardages et de l'admiration. Votre article estreproduitsurInternet,publiéensimultanéàNewYork,enAustralie,enAfriqueduSud…Toutlemondeaime son article.C'est exactement le genredematériaupour lequel ils peuvent trouver unmarché.Enquarante-huitheures,elleareçudescentainesdemailsdelecteursluiracontantleurspropreshistoires.Unagentlittérairel'avaitappeléepourluidemandersielleavaitsuffisammentdematièrepourenfaireunlivre.PourMelissa,Ellienepeutplus rienfairede travers.Elleest lapremièrepersonneversquiellese

tourne en réunion s'il y a un bon article demillemots à attribuer.Deux fois cette semaine, ses petitsarticles sont passés à la une. Dans un journal, c'est l'équivalent de gagner à la loterie : sa nouvellevisibilitéfaitqu'elleestplusdemandée.Ellevoitpartoutdebonssujetsdechronique.Elleestdevenueunaimantàcontactsetàreportages.Elleestassiseàsonbureaudès9heuresettravaillejusqu'audébutdelasoirée.Cettefois,ellesaitqu'ilnefautpasgâchersachance.Son espace sur le grand bureau ovale est blanc et immaculé. Au-dessus est installé un écran haute

résolutiondedix-septpouces,nonréfléchissant,ainsiqu'untéléphoneavecsonnominscritsurlenumérodeposte.Rupertneluioffreplusdetassesdethé.ChèreJennifer,Jeteprésentemesexcusespourcetteréponsetardiveetcequipeut,àtesyeux,passerpourdela

réticence.Cela faitdesannéesque jen'aiplusposé laplume sur lepapier,àpartpour signerdesfacturesouenregistreruneplainte. Jene saispasquoidire.Pendantdesdizainesd'années, jen'aivécuqu'àtraverslesmotsdesautres;jelesrange,lesarchive,lescopieetlesclasse.Jelesprotège.Jecroisquej'aioubliélesmiensdepuislongtemps.L'auteurdeceslettresmefaitl'effetd'unétranger.Tuasl'airsidifférentedelafillequej'aivueauRegentHotel.Etpourtant,partoutestesqualités,

tuesvisiblementlamême.Jesuisheureuxquetuaillesbien.Jesuisheureuxd'avoireul'occasiondeteledire.J'auraisbiensollicitéunerencontre,maisj'aipeurquetunemetrouvesbiendifférentdel'hommedonttutesouviens.Jenesaispas.Pardonne-moi.

Anthony

Deux jours auparavant, Ellie avait entendu une voix un peu essoufflée crier son nom alors qu'elledescendait pour la dernière fois l'escalier des anciens locaux du journal. Elle s'était retournée pour

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apercevoirAnthonyO'Hare enhautdesmarches. Il tenait une feuilledepapieroùétait griffonnéeuneadresse.Elleétaitremontéepourluiépargneruneffortsupplémentaire.—Jevoulaisvousdireunechose,EllieHaworth,dit-ild'unevoixpleinedejoie,d'appréhensionetde

regret.Ne lui écrivez pas.Ça vaudrait sûrementmieux si, vous savez, si vous alliez juste le voir.Enpersonne.Cher,trèscherBoot,Mavoixvientd'exploserenmoi!J'ail'impressiond'avoirvécuundemi-sièclesanspouvoirparler.

J'ai passé ma vie à tenter de limiter les dégâts, à vouloir séparer ce qui était bon de ce qui mesemblait détruit. C'était ma pénitence pour ce que j'avais fait. Et maintenant… maintenant ? J'aisubmergédeparolescettepauvreEllieHaworthjusqu'àcequ'ellemeregardedansunsilenceatterré,et je l'ai vue sedire :“Oùestpassée ladignitéde cette vieille femme?Commentpeut-elleparlercommeunegaminedequatorzeans?”Jeveux teparler,Anthony. Je veux teparler jusqu'àcequenousperdionslavoix.J'aiquaranteansdeconfidencesàrattraper.Commentpeux-tumedirequetunesaispas?Tunepeuxpasavoirpeur.Commentpourrais-tume

décevoir?Aprèstoutcequis'estpasséentrenous,commentpourrais-jeressentirautrechosequ'uneimmensejoieenayantsimplementlachancedeterevoir?Mescheveuxsontgris.Lesridessurmonvisage sont emphatiques, déterminées. J'ai des douleurs, des articulations rouillées, et mes petits-enfantsrefusentdecroirequejen'aipasconnuletempsdesdinosaures.Nous sommes vieux, Anthony.Oui. Et nous n'avons plus quarante ans devant nous.Mais si tu es

toujourslà,quelquepart,situesprêtàmelaisserremplacerlavisionquetuaspeut-êtreencoredecettefillequetuasconnue,jeseraisheureusedefairelamêmechosepourtoi.

Jennifer

JenniferStirlingestdeboutaumilieudelapièce,vêtued'unesimplerobedechambre,coifféeaveclaraiesurlecôté.—Regardez-moi,dit-elled'unairdésespéré.Quellehorreur !Quellehorreurabsolue ! Jen'arrivais

pasàdormirhier soir, jen'ai trouvé le sommeilquevers5heures.Résultat : jen'aipasentendumonréveiletj'airatémonrendez-vouschezlecoiffeur!Ellieladévisage,ébahie.Ellenel'ajamaisvuecommeça.Elletrembled'anxiété.Sansmaquillage,ses

expressionssemblentenfantines,sonvisagevulnérable.—Vous…vousêtestrèsjolie.—J'aiappelémafillehiersoir,voussavez,etjeluienaiunpeuparlé.Jeneluiaipastoutraconté,

biensûr.Jeluiaiditquej'allaisrencontrerunhommequej'avaisaiméilyalongtemps.Est-ceunaffreuxmensonge?—Non,ditEllie.—Voussavezcequ'ellem'aenvoyéparmail,cematin?Ceci.Elle lui tendunepage imprimée,unecopied'unarticleparudansun journalaméricain,ausujetd'un

couplequis'estenfinmariéaprèsunerupturedequaranteansdansleurrelation.

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—Qu'est-cequejesuiscenséefairedeça?Est-cequevousavezdéjàluunehistoireaussiabsurde?Savoixsebrise.—Àquelleheuredevez-vousleretrouver?—Midi.Jeneseraijamaisprête.Jedevraisannuler.Ellieselèveetallumelabouilloire.—Allezvoushabiller.Vousavezquaranteminutes.Jevousemmène.—Vousmetrouvezridicule,n'est-cepas?C'estlapremièrefoisqu'EllievoitenJenniferautrechosequelafemmelapluscalmedel'univers.—Unevieilledameridicule,voilàcequejesuis.Commeuneadoavantsonpremierrendez-vous.—Non,ditEllie.—C'étaittrèsbienquandilnes'agissaitquedelettres,ditJennifer,ignorantsaréponse.Jepouvaisêtre

moi-même. Je pouvais être cette personne dont il se souvient. J'étais si calme et rassurante…Maismaintenant…Maseuleconsolation,c'étaitdesavoirqu'ilyavaitcethomme,quelquepart,quim'aimait,quivoyait lemeilleurenmoi.Mêmedurantnotrehorribledernière rencontre, je savaisqu'ilvoyaitenmoiunechosequ'ildésiraitplusquetoutaumonde.Alorss'ilétaitdéçuenmevoyant,ceseraitencorepirequesionnes'étaitjamaisretrouvés.Bienpire.—Montrez-moisalettre,ditEllie.—Jenepeuxpasfaireça.Vousnepensezpasque,parfois,ilvautmieuxs'abstenir?—Lalettre,Jennifer.Jenniferprendl'enveloppesurlebuffet,laretientunmoment,puislaluidonne.TrèschèreJennifer,Unvieilhommeest-ilcensépleurer?Jesuisassislà,àlireetàrelirelalettrequetum'asenvoyée,

et j'ai toutes lespeinesdumondeàcomprendrequemavievientdeprendreuntoursi inattendu,siheureux.Ceschoses-lànesontpascenséessepasser.J'aiapprisàmecontenterdesbonheurslesplusordinaires :mon fils, ses enfants, une vie agréable bien que tranquille. Survivre.Oh, oui, toujourssurvivre.Et maintenant toi. Tes mots, tes émotions ont éveillé une avidité en moi. A-t-on le droit d'en

demanderautant?Oserai-jeterevoir?Ledestinaétésicruel,unepartiedemoicroittoujoursquenos retrouvailles sont impossibles. Jevaisme retrouver terrassépar lamaladie,heurtéparunbus,avalétoutrondparlepremiermonstremarinsortidelaTamise.(Oui,jevoistoujourslavieengrostitres…)Cesdeuxdernièresnuits,j'aientendutesmotsdansmonsommeil.J'entendstavoix,etçamedonne

envie de chanter. Jeme souviens de choses que je pensais avoir oubliées. Je souris à desmomentsincongrus, effrayant ma famille au point qu'on se demande dans mon entourage si je ne suis pasdevenusénile.Lajeunefillequej'aivueladernièrefoisétaitbrisée;savoirquetuesparvenueàtebâtirunetelle

vie a remis en question toute ma vision du monde. Finalement, l'univers n'est peut-être pas si

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malveillant. Ilapris soinde toietde ta fille.Tunepeux imaginer la joiequeçam'aapporté.Parprocuration. Jenepeuxpasenécriredavantage.Alors jeme lance,avecappréhension :Postman'sPark.Mardi.Midi?

TonBootDeslarmesbrillentdanslesyeuxd'Ellie.—Voussavezquoi?dit-elle.Jenepensevraimentpasquevousayezmatièreàvousinquiéter.AnthonyO'Hare,assissurunbancdansunparcqu'iln'aplusvisitédepuisquarante-quatreans,avecà

lamainunjournalqu'ilnelirapas,serendcompte,unpeusurpris,qu'ilsesouvientdesdétailsdechaqueplaquecommémorative.«MaryRogers,stewardessduStella,s'estsacrifiéeendonnantsabouéedesauvetageetensombrant

volontairementaveclenavire.»«WilliamDrake a perdu la vie en sauvant d'un grave accident une damedont les chevaux s'étaient

emballésàHydePark.»«JosephAndrewFord,asauvésixpersonnesd'unincendiesurGraysInnRoadmaisaététuéparles

flammeslorsdesondernieractehéroïque.»Ilestassislàdepuis11h40.Ilest12h07.Ilportesamontreàsonoreilleetlasecoue.Aufonddesoncœur,ilavaitcesséd'ycroire.Comment

aurait-ilpucontinueràespérer?Sionpasseassezdetempsdanslesarchivesd'unjournal,onserendcomptequelesmêmeshistoiresnecessentdeserépéter,encoreetencore:lesguerres,lesfamines,lescrisesfinancières, lesamoursperdues, lesfamilleséclatées.Lamort.Lescœursbrisés.Raressont lesdénouements heureux. Tous les bonheurs que j'ai connus n'étaient que de petits bonus, se dit-ilfermementtandisquelesminutespassent.Cettephraseluiestdouloureusementfamilière.Lapluie tombeplus fort,et lepetitparcs'estvidé. Ilestseuldans l'abri.Au loin, ilaperçoit la rue

principale,lesvoituresquipassentenprojetantdesgerbesd'eausurlespassantsimprudents.12h15.AnthonyO'Hareénumèredanssatêtetouteslesraisonsqu'ilad'êtreheureux.Sonmédecinn'enrevient

pasqu'ilsoitencoreenvie.Anthonylesoupçonned'avoir longtempscherchéàseservirdeluicommed'unesortedeparabolepoursensibiliserlesautrespatientsauxdommagesdufoie.Sasantéinsolenteestundéfiàl'autoritédumédecinetàlamédecineengénéral.Ilsedemandeuninstants'ildevraitvraimentse remettre à voyager. Il ne tient pas particulièrement à retourner auCongo,mais l'Afrique duSud letente.Peut-êtreleKenya.Enrentrantchezlui,ilferadesprojets.Ilsedonneradequoiréfléchir.Il entend le crissement des freins d'un bus, le cri furieux d'un coursier à bicyclette.Ça lui suffit de

savoirqu'ellel'aaimé.Qu'elleestheureuse.Çadevraitluisuffire,n'est-cepas?L'undesavantagesdu

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grandâge,c'estlacapacitéàmettreleschosesenperspective,c'estbienconnu.Ilaautrefoisaiméunefemme,etcettefemmel'aaiméplusqu'ill'acru.Voilàtout.Çadevraitluisuffire.12h21.Puis, alorsqu'il s'apprête à se lever et àplier son journal sous sonbraspour rentrer, il voit qu'une

petitevoitures'estarrêtéeprèsdel'entréeduparc.Ilattend,dissimulédansl'ombredel'abri.Quelquesminutespassent.Puislaportières'ouvreetunparapluieensurgit.Leparapluiesedresse,et

Anthonyaperçoitunepairedejambesdissimuléeendessous,ainsiqu'unimperméablenoir.Lasilhouettesepenchepourdirequelquesmotsauconducteur,puislesjambesentrentdansleparcetsuiventl'alléeétroite,marchanttoutdroitendirectiondel'abri.AnthonyO'Hare se rendcomptequ'il s'est levé,qu'il a lissé savesteet s'estpassé lamaindans les

cheveux. Ilnepeutdétacher lesyeuxdeceschaussures,deceportde tête reconnaissableentremille,mêmesousceparapluie.Ilfaitunpasenavant,ignorantcequ'ilestcensédire,cequ'ilestcenséfaire.Soncœurs'estlogéquelquepartaufonddesagorge.Unchantrésonneàsesoreilles.Lespieds,revêtusde collants noirs, s'arrêtent devant lui. Le parapluie se lève lentement. Et elle apparaît, inchangée,ridiculementinchangée,unsourirejouantaucoindeslèvreslorsquesesyeuxrencontrentlessiens.Ilaperdul'usagedelaparole.Ilpeutseulementlaregardertandisquesonnomrésonneàsesoreilles.Jennifer.—Bonjour,Boot.Assisedanslavoiture,Ellieessuied'unreversdemanchelabuéequiobscurcitlavitrecôtépassager.

Elles'estgaréesurunstationnementinterdit,s'attirantsansdoutelacolèredesdieuxduparking,maiselles'enfiche.Ellenepeutpasbouger.ElleobservelaprogressionrégulièredeJennifersurlesentier,perçoitunelégèrehésitationdansson

allure,révélatricedesespeurs.Pardeuxfois, lavieillefemmeluiademandédelaramenerchezelle,arguantqu'ellesétaientenretard,quetoutétaitperdu,inutile.Ellieafaitlasourdeoreille.Elleachanté«lalalalalalala»jusqu'àcequeJennifer,avecunemauvaisehumeurinhabituelle,luirétorquesèchementqu'elleétaitunefille«assommanteetridicule».ElleregardeJenniferavancersoussonparapluie,craignantdelavoirfairedemi-tourets'enfuir.Toute

cettehistoireluiaapprisquel'âgeneprotègepasdeshasardsdel'amour.ElleaécoutélesdivagationsdeJennifer, allant et venant frénétiquement entre triomphe et désastre, entendu ses propres analysesinterminablesdesmoindresmessagesdeJohn,sonproprebesoindésespéréderendrebonneunechosequi,manifestement,nel'étaitpas.MaisAnthonyO'Haren'avaitriendecommunavecJohnArmour.Elle essuie de nouveau la vitre et voit Jennifer ralentir, puis s'arrêter. Il émerge alors de l'ombre,

étrangementplusgrandqu'ilsemblaitl'êtreauparavant,s'inclinantlégèrementpoursortirdel'abriavantdeseredresserfaceàelle.Ilssefontface,lafemmeminceenimperméableetl'archiviste.Mêmeàcettedistance, Ellie voit bien qu'ils ont tout oublié de la pluie, du joli petit parc, des regards curieux desobservateurs.Leursyeuxse sontcroisésetne sequittentplus, commes'ilspouvaient rester là,deboutdanscetteallée,pourunmillierd'années.Jenniferlaissetombersonparapluie,penchelatêtesurlecôtéetlèvetendrementlamainàsonvisage.Puis,souslesyeuxd'Ellie,AnthonylèvelamainàsontouretpresselapaumedeJennifercontresajoue.

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EllieHaworthlesobserveencoreuninstant,puiss'éloignedelavitre,laissantlabuéeluiobscurcirlavue. Elle passe sur le siège du conducteur, semouche et tourne la clé dans le contact. Lesmeilleursjournalistessaventquandseretirer.Lamaisonestsituéedansuneruevictorienne,sesfenêtresetsesportesencadréesdepierresblanches,

ses rideaux dépareillés trahissant le nombre de ses propriétaires. Ellie coupe le contact, descend devoitureets'avanceverslaported'entrée,examinantlesnomssurlesdeuxsonnettes.Surcelledurez-de-chaussée, iln'yaque lesien.Elleestunpeusurprise :elleavaitcruqu'ilvivaitencolocation.Mais,aprèstout,quesait-elledesavieavantqu'ilarriveaujournal?Riendutout.Elleamisunecopiedel'articledansunegrandeenveloppemarron,avecsonnomécritdessus.Ellele

glissedanslafentedelaboîteauxlettres,laissantleclapetretomberbruyamment.Puiselleretourneàlaported'entrée,grimpeets'assiedsurlepilierdebriquesquilasoutient,l'écharperemontéesurlevisage.Elleestdevenuetrèsdouéepourresterassise.Elles'estdécouvertunejoienouvelleàregarderlemondetournerautourd'elle.Illefaitsouventd'unemanièredesplusinattendues.Del'autrecôtédelarue,unefemmecorpulentefaitdegrandssignesàunadolescentquis'éloigne.Il

met sa capuche et ses écouteurs sans jeter un regard en arrière. En bas de la rue, deux hommes sontappuyéscontrelecapotrelevéd'unegrossevoiture.Ilsdiscutententreeux,sansprêtergrandeattentionaumoteur.—Tuasmalorthographié«Ruaridh».Elleseretourneetlevoitappuyécontrel'encadrementdelaporte,sonarticleàlamain.—Cen'estpaslapremièrechosequejefaisdetravers,réplique-t-elle.Ilportelemêmetee-shirtàmancheslonguesquelapremièrefoisqu'ilssesontparlé,adouciparles

annéesd'usure.Elleserendcomptequ'elleaimesafaçonsimpledes'habiller.Elleconnaîtlasensationdecetee-shirtsoussesdoigts.—Belarticle,dit-ilenlevantlejournal.«CherJohn…Cinquanteansdelettresderupture».Jevois

quetuesredevenuel'enfantprodigedelarédaction.—Pourlemoment.Enfait,dit-elle,ilyenaunelà-dedansquej'aiinventée.C'estquelquechoseque

j'auraispudire.Sij'avaiseul'occasion.Ilsemblenepasl'avoirentendue.—EtJennifert'alaisséeteservirdelapremière.—Demanièreanonyme.Oui.Elleaétégéniale.Jeluiaitoutraconté,etelleaétésuper.Levisagedujeunehommeresteégal,serein.Tuasentenducequej'aidit?demande-t-elleensilence.—Jepensequ'elleétaitunpeuchoquée,mais,aprèstoutcequis'estpassé,jenecroispasqu'ellem'en

aitvoulu.—Anthonyestpasséhier.Ilétaitmétamorphosé.Jenesaispaspourquoiilestvenu.Jecroisqu'ilavait

justeenviedeparleràquelqu'un.Ilavaitunechemiseneuveetunecravate,sesouvient-ilenhochantlatêted'unairsongeur.Etils'estfaitcouperlescheveux.Elliesouritmalgréelle.

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Danslesilence,Ruaridhs'étire,deboutsurleperron,lesmainscroiséesau-dessusdelatête.—C'estchouette,cequetuasfait.—J'espère,dit-elle.J'aimecroirequequelqu'unaeudroitàsonhappyend.Unvieilhommepasseavecsonchien,leboutdunezcouleurderaisinrouge,ettoustroismurmurent

unesalutation.Lorsqu'ellelèvelesyeux,Ruaridhfixesespieds.Elleleregarde,sedemandantsic'estladernièrefoisqu'ellevalevoir.Jesuisdésolée,luidit-elleenpensée.—Jet'inviteraisbienàrentrer,dit-il,maisjesuisentraindefairemesvalises.Jen'aipasbeaucoupde

temps.Ellelèveunemainàsonvisage,tâchantdenepastrahirsadéception.Elledescenddupilier,letissude

sonpantalonaccrochantlégèrementlasurfacerugueuse,etjettesonsacsursonépaule.Ellenesentplussespieds.—Alors…tuvoulaisquelquechose?Àpartjouerleslivreusesdejournaux?Il commence à faire froid. Elle glisse lesmains dans ses poches. Il la regarde, l'air d'attendre une

réponse.Elleapeurdeparler.S'ilditnon,elleserasansdouteanéantie.C'estpourçaqu'elleamisdesjoursavantd'oservenir.Mais,aprèstout,ellen'arienàperdre.Ellenevajamaislerevoir.Elleprendunegrandeinspiration.—J'auraisvoulusavoir…situvoulaism'écrire.—T'écrire?—Pendanttonvoyage.Ruaridh,j'aimerdé.Jenesuispasendroitd'exigerquoiquecesoitdetapart,

mais tumemanques.Tumemanquesvraiment.Je…j'aimerais justecroirequecen'estpasfini.Qu'onpourrait…s'écrire.—S'écrire?—Juste…quetumedonnesdetesnouvelles.Cequetufais.Commentçasepasse.Oùtues.Savoixparvientassourdieàsesoreilles.Ilamislesmainsdanssespoches,etsonregardseperdauboutdelarue.Ilnerépondpas.Lesilence

s'éternise.—Ilfaitfroid,dit-ilenfin.Unblocdeglaceseformeaucreuxdel'estomacd'Ellie.Notrehistoireestterminée.Iln'aplusrienàmedire.Iljetteunregardpar-dessussonépaule,l'airgêné.—Jelaisselachaleursortirdelamaison.Elleestincapablededireunmotdeplus.Ellehausselesépaules,commepouracquiescer,secompose

unsourirequiressemblesansdouteàunegrimace.Puis,alorsqu'elletournelestalons,ilajoute:—Tupourraisentreretmefaireuncafépendantquejetriemeschaussettes.D'ailleurs,tumedoisun

café,simessouvenirssontbons.Quandelle se retournevers lui, levisagedeRuaridh s'est commedégivré.Onest encore loind'une

expressionchaleureuse,maisonestsurlabonnevoie.—Ah,et tupourraispeut-être jeteruncoupd'œil àmonvisapéruvien, tantque tuyes,histoirede

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vérifierquetoutestcorrectementorthographié.Ellel'observelonguement,deseschaussettesàsescheveuxchâtainstroplongspourêtrebiencoiffés.—IlnefaudraitpasquetuconfondestonPatallactaavectonPhuyupatamarca,s'esclaffe-t-elle.Illèvelesyeuxaucielensecouantdoucementlatête.Puis,essayantdedissimulersonsourireéclatant,

Ellielesuitàl'intérieur.

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Remerciements

En dehors de la lettre tirée de l'intrigue du roman, toutes les lettres de rupture qui ouvrent chaquechapitresontréelles.La plupartm'ont été généreusement fournies en réponse àmes nombreux appels, et, dans le cas de

correspondancesjamaispubliéesàcejour,j'aimodifiél'identitédel'expéditeuretdudestinatairepourprotégerlesinnocents(etlesmoinsinnocents).Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux personnes qui m'ont aidée à rassembler cette

correspondance. Un grand merci à Brigid Coady, Suzanne Parry, Kate Lord Brown, Danuta Kean,LouiseMcKee,SuzanneHirsh,FionaVeacock,ainsiqu'àcesâmesfortesetgénéreusesquim'ontenvoyéleurspropreslettresderupturemaisontpréférégarderl'anonymat.J'aimerais également remercier JeanetteWinterson, leshéritiersdeF.ScottFitzgerald et lesPresses

UniversitairesdeNouvelle-Angleterrepourm'avoirautoriséeà reproduire lacorrespondance littérairedontjemesersdanscelivre.Merci comme toujours à la formidable équipe deHachette :mon éditrice,CarolynMays, ainsi que

FrancescaBest,EleniFostiropoulos,LucyHaleetHazelOrmepoursesimpressionnantescompétencesdecorrectrice.Merci également à l'équipe de Curtis Brown, tout particulièrement mon agent, Sheila Crowley.

J'adresse aussi ma reconnaissance à la British Newspaper Library de Colindale, une ressourceincroyablepourlesécrivainscherchantàs'immergerdansunautremonde.Merciàmesparents,JimMoyesetLizzieSanders,ainsiqu'àBrianSanders.Tousmesremerciements

auxmembresduWriter'sBlock,qui futune sourceconstantede soutienetm'a fourniun tasdebonnesraisonsdeprocrastiner.Enfin,ungrandmerciàmafamille,Charles,Saskia,HarryetLockie.

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JojoMoyesestromancièreetjournaliste.Elleatravailléàlarédactiondel'Independentpendantdix

ansavantdeseconsacrerà l'écriture.Ses romansontétésaluésunanimementpar lacritiqueet luiontdéjàvaludenombreusesrécompenseslittéraires.EllevitenAngleterre,dansl'Essex,avecsonmarietsestroisenfants.

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