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© Christophe Prévost, 2019 La culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique : Une étude du Vieux-Québec Mémoire Christophe Prévost Maîtrise en sociologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada

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Page 1: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

© Christophe Prévost, 2019

La culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique : Une étude du Vieux-Québec

Mémoire

Christophe Prévost

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

Page 2: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

La culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique

Une étude du Vieux-Québec

Mémoire

Christophe Prévost

Sous la direction de :

Dominique Morin, directeur de recherche

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iii

RÉSUMÉ

Peu d’études sociologiques se sont intéressées aux travailleurs en tourisme, qui sont pourtant en première ligne

de l’accueil des touristes et des acteurs clés de l’expérience touristique. Ceci peut s’expliquer par la difficulté

d’appréhender un secteur professionnel composé d’une myriade d’emplois sans liens apparents entre eux. La

sociologie des professions, à travers la notion de culture professionnelle, permet pourtant de dépasser cette

vision éclatée de l’emploi en tourisme et de rechercher l’existence de traits communs à tous ces travailleurs. En

analysant les parcours d’engagement des travailleurs en accueil touristique, ainsi que leurs rapports aux

touristes et au lieu touristique en tant qu’éléments clés de cette culture, ce mémoire vise à appréhender

l’expérience du travail en tourisme comme un tout homogène, sans considération pour les emplois touristiques

pris indépendamment. L’analyse des discours de quinze travailleurs en accueil touristique du site patrimonial

du Vieux-Québec a permis de mettre à jour l’existence d’une culture professionnelle commune, et donc d’un

groupe professionnel de travailleurs en tourisme. Malgré des niveaux d’engagement et des parcours

professionnels variés, la plupart des travailleurs en accueil touristique partagent des savoirs liés au lieu, à la

culture, et à l’histoire locales. Mobilisés dans des actes d’accueil mettant en avant le caractère hospitalier de la

relation de service en tourisme, ces savoirs-connaissances ont comme finalité d’offrir une expérience touristique

originale et unique aux visiteurs, et ce quel que soit le type d’emploi occupé. Autre point commun, le lieu

touristique est le sujet d’une représentation commune, en tant que lieu de travail et que produit à vendre, ce qui

le dévalue pour un usage autre que professionnel. Sans être exhaustifs, ces points communs permettent

d’aborder les travailleurs en tourisme comme un groupe professionnel homogène, lié par une même réalité

professionnelle et une même culture, et ce malgré des emplois disparates.

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iv

ABSTRACT

Few sociological studies have focused on tourism workers, who are at the forefront of welcoming tourists and

key elements of the tourism experience. This can be explained by the difficulty of apprehending a professional

sector composed of a myriad of jobs without apparent links between them. The sociology of professions, through

the notion of professional culture, nevertheless allows us to go beyond this exploded vision of employment in

tourism, and to seek the existence of common traits for all these workers. By analyzing the commitment of

workers in tourism hospitality, as well as their relationship to tourists and the tourist site as key elements of this

culture, this thesis aims to apprehend the experience of tourism work as a homogeneous whole, without

consideration for tourism jobs taken independently. Analysis of the speeches made by fifteen workers in the

tourism hospitality in the Old Québec heritage site revealed the existence of a common professional culture, and

therefore of a professional group of tourism workers. Despite varying levels of commitment and career paths,

most tourism workers share knowledge of local place, culture, and history. Mobilized in acts of hospitality

highlighting the hospitable nature of the service relationship in tourism, the goal of this knowledge is to offer an

original and unique tourism experience to visitors, regardless of the type of job occupied. Another common point,

the touristic place is the subject of a common representation, as a place of work and that of a product to be sold,

which prevents from making use of it other than professional. Without being exhaustive, these common points

make it possible to approach tourism workers as a homogeneous occupational group, linked by the same

professional reality and the same culture, despite disparate jobs.

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v

TABLES DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ............................................................................................................................................................ iii

ABSTRACT ........................................................................................................................................................ iv

TABLES DES MATIÈRES ................................................................................................................................... v

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX ............................................................................................................... x

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ xi

INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 1

CHAPITRE 1 : CULTURE PROFESSIONNELLE ET ACCUEIL TOURISTIQUE .............................................. 6

1. Le travail en tourisme .............................................................................................................................. 6

1.1. La sociologie des professions ....................................................................................................... 6

1.2. La segmentation professionnelle .................................................................................................. 7

1.3. La culture professionnelle .............................................................................................................. 9

2. La notion de relation de service ........................................................................................................... 10

2.1. La relation de service au centre de la profession ...................................................................... 10

2.2. Des publics et des services.......................................................................................................... 11

3. Engagement et attachement ................................................................................................................. 13

3.1. L’engagement ................................................................................................................................ 13

3.2. L’attachement professionnel ........................................................................................................ 14

4. L’accueil touristique .............................................................................................................................. 15

4.1. La relation de service en tourisme .............................................................................................. 15

4.1.1. Centralité et spécificités de la relation de service dans le tourisme ........................................ 15

4.1.2. Licence et mandat des travailleurs en accueil touristique ....................................................... 16

4.2. L’accueil dans la relation de service en tourisme ...................................................................... 17

4.2.1. Accueillir n’est pas servir : les deux faces de la relation de service ....................................... 17

4.2.2. La nature hospitalière de la relation de service en tourisme ................................................... 19

4.3. L’accueil en pratique : implications et dimensions de l’acte d’accueil .................................... 21

4.3.1. De l’hostis à l’hospes, l’acte d’accueil comme reconnaissance de l’étranger ......................... 21

4.3.2. Reconnaissance, hospitalité et maternage : les trois dimensions de l’accueil ........................ 22

4.4. L’accueil, un acte volontaire et gratuit? ...................................................................................... 26

5. Hypothèses et limites ............................................................................................................................ 27

5.1. L’hospitalité comme « clé de voûte » de l’expérience du travail en tourisme ......................... 27

5.2. Rapport aux autres et culture professionnelle ........................................................................... 28

CHAPITRE 2 : LE LIEU TOURISTIQUE .......................................................................................................... 30

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1. Les travailleurs en tourisme dans leur rapport au lieu ....................................................................... 30

1.1. Morphologie, physiologie et valence territoriale. ....................................................................... 31

1.2. Des entreprises touristiques intégrées au lieu ........................................................................... 32

1.3. La monofonctionnalité du quartier urbain .................................................................................. 33

2. Présentation du lieu touristique ........................................................................................................... 33

2.1. Trois grands types (et représentations) de l’espace touristique .............................................. 34

2.1.1. L’enclave touristique ............................................................................................................... 34

2.1.2. Le Central Tourist District (CTD) ............................................................................................ 35

2.1.3. La bulle touristique.................................................................................................................. 36

2.2. Typologie des lieux touristiques .................................................................................................. 37

2.3. Les « suggestions » du lieu touristique ...................................................................................... 39

2.4. Des pratiques associées aux lieux… ........................................................................................... 40

2.5. … et des travailleurs attachés aux pratiques ............................................................................. 41

3. L’arrondissement historique du Vieux-Québec .................................................................................. 42

3.1. Morphologie de l’arrondissement historique ............................................................................. 42

3.1.1. Topographie, architecture et valeur patrimoniale.................................................................... 42

3.1.2. Structure sociodémographique ............................................................................................... 43

3.1.3. Un espace enclavé? ............................................................................................................... 47

3.2. Aspects physiologiques ............................................................................................................... 48

3.3. Valence territoriale du Vieux-Québec : le point de vue des résidents ..................................... 49

3.4. Le Vieux-Québec en pratique : les attraits de l’arrondissement historique............................. 50

4. Hypothèses et limites ............................................................................................................................ 51

4.1. Centralité du lieu touristique dans le travail en tourisme .............................................................. 51

4.2. Centralité du rapport au lieu dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil

touristique ....................................................................................................................................................... 52

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE .................................................................................................................... 53

1. Question de recherche et objectifs ...................................................................................................... 53

2. Méthode d’enquête ................................................................................................................................ 54

2.1. Entrevues semi-dirigées ............................................................................................................... 54

2.2. Le guide d’entretien ...................................................................................................................... 54

2.3. Critères de sélection, recrutement et échantillon ...................................................................... 56

2.4. Analyse des données .................................................................................................................... 58

3. Portée et limites de l’étude .................................................................................................................... 59

4. Présentation des participants ............................................................................................................... 60

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CHAPITRE 4 : PARCOURS D’ENGAGEMENTS EN TOURISME .................................................................. 65

1. L’entrée en tourisme .............................................................................................................................. 65

1.1. L’entrée par l’orientation scolaire en tourisme .......................................................................... 65

1.2. L’entrée par immersion ................................................................................................................. 67

1.3. « Héritage familial » ....................................................................................................................... 70

1.4. La « voie de garage » .................................................................................................................... 71

2. L’attachement professionnel ................................................................................................................ 72

2.1. L’attachement au tourisme ........................................................................................................... 72

2.1.1. L’attachement « passionnel » .............................................................................................. 72

2.1.2. L’attachement de raison économique ................................................................................ 74

2.2. L’attachement au Vieux-Québec .................................................................................................. 76

2.3. L’attachement à l’organisation ..................................................................................................... 77

2.4. L’attachement utilitaire ................................................................................................................. 78

3. Travailler en tourisme ou pour le tourisme, les deux dimensions de l’engagement en tourisme .. 80

3.1. Travailler en tourisme ................................................................................................................... 80

3.1.1. L’engagement inconditionnel .................................................................................................. 81

3.1.2. L’engagement circonstanciel .................................................................................................. 81

3.2. Travailler pour le tourisme ........................................................................................................... 82

3.2.1. L’engagement professionnel ................................................................................................... 82

3.2.2. L’engagement utilitaire ............................................................................................................ 82

CHAPITRE 5 : SAVOIRS, CONNAISSANCES ET ACCUEIL DES TOURISTES ........................................... 85

1. Savoirs et savoir-faire dans la culture des travailleurs en accueil touristique ................................ 85

1.1. Des savoirs sous forme de connaissances ................................................................................ 85

1.2. L’acte d’accueil ou le savoir-faire touristique ............................................................................ 87

1.3. Attentes perçues et spécialisations ............................................................................................ 88

2. Les savoirs-connaissances des travailleurs en accueil touristique ................................................. 92

2.1. Le savoir personnel ...................................................................................................................... 92

2.2. Le savoir institutionnel ................................................................................................................. 94

2.3. Le savoir « professionnel » .......................................................................................................... 95

2.4. Spécialisation, complémentarité et cloisonnement des savoirs .............................................. 97

3. La relation de service en tourisme ..................................................................................................... 100

3.1. Une clientèle en situation de secondarité ................................................................................. 100

3.2. Les deux faces de la clientèle touristique : un client ou un usager ? .................................... 102

3.2.1. Le touriste comme client ....................................................................................................... 102

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3.2.2. Le touriste comme usager .................................................................................................... 103

3.2.3. L’interaction avec un public : le cas d’Alexandre .................................................................. 104

3.3. Une relation de service de nature conditionnelle ..................................................................... 105

4. La pratique de l’accueil ....................................................................................................................... 107

4.1. La reconnaissance ...................................................................................................................... 108

4.2. L’hospitalité ................................................................................................................................. 110

4.2.1. Une hospitalité conditionnelle ............................................................................................... 110

4.2.2. Les deux raisons d’être de l’hospitalité ................................................................................. 112

4.2.3. Hospitalité et conscience de groupe ..................................................................................... 114

4.3. Le maternage ............................................................................................................................... 115

4.3.1. Divers degrés de maternage ................................................................................................ 115

4.3.2. Un maternage circonstanciel ................................................................................................ 116

4.3.3. Un maternage professionnel ................................................................................................. 118

4.3.4. L’excès de maternage ou le maternage anomique ............................................................... 120

CHAPITRE 6 : LE RAPPORT AU LIEU ......................................................................................................... 122

1. Des usages du lieu touristique ........................................................................................................... 122

1.1. Le quartier touristique, un lieu de résidence pour les travailleurs du secteur? .................... 122

1.2. Un certain manque d’intérêt récréatif ........................................................................................ 123

1.3. Opportunisme et altruisme dans l’usage du lieu...................................................................... 124

1.4. Bulle touristique et brouillage des temps sociaux ................................................................... 126

2. La structure du lieu au cœur de son usage ....................................................................................... 127

2.1. Le tourisme, un frein à l’établissement dans le quartier : une morphologie non adaptée à la

vie résidentielle......................................................................................................................................... 127

2.1.1. Une offre de services trop limitée ......................................................................................... 127

2.1.2. Omniprésence des touristes et besoin de coupure............................................................... 129

2.2. Une physiologie sociale teintée par le tourisme ...................................................................... 130

2.2.1. Une mobilité interne limitée par l’achalandage touristique .................................................... 130

2.2.2. Quartier ouvert et mobilité intersectorielle ............................................................................ 131

3. Les représentations du quartier ......................................................................................................... 132

3.1. Le lieu touristique comme produit à vendre ............................................................................. 132

3.2. Une extension du lieu de travail ................................................................................................. 134

3.3. Primarité et secondarité dans le lieu touristique...................................................................... 135

4. Les valeurs du lieu touristique ........................................................................................................... 136

4.1. Valence territoriale ...................................................................................................................... 136

4.2. Professionnalité du lieu touristique et engagement ................................................................ 137

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ix

CHAPITRE 7 : LA CULTURE PROFESSIONNELLE DES TRAVAILLEURS EN ACCUEIL TOURISTIQUE,

BILAN ET RÉFLEXIONS ............................................................................................................................... 139

1. Groupe et culture professionnelle ...................................................................................................... 139

1.1. Un groupe objectif… ................................................................................................................... 139

1.2. … à la subjectivité limitée ........................................................................................................... 140

2. Segmentation de la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique ..................... 141

2.1. Segmentation hétéronome ......................................................................................................... 141

2.2. Segmentation organique ............................................................................................................ 142

2.3. Segmentation agonistique.......................................................................................................... 143

3. Les trois figures des travailleurs en accueil touristique .................................................................. 143

3.1. Le professionnel du tourisme .................................................................................................... 144

3.2. Le professionnel de l’accueil ..................................................................................................... 145

3.3. Le « passager clandestin » ......................................................................................................... 146

CONCLUSION ................................................................................................................................................ 148

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................... 154

ANNEXES ...................................................................................................................................................... 158

Annexe 1 : Typologie des lieux touristiques .............................................................................................. 158

Annexe 2 : Carte du Vieux-Québec ............................................................................................................. 160

Annexe 3 : Guide d’entretien ....................................................................................................................... 161

Annexe 4 : Lettre de sollicitation ................................................................................................................. 165

Annexe 5 : Formulaire de consentement .................................................................................................... 166

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x

LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX

Tableau 1 : Distinction des différents types de lieux touristiques ..................................................................... 38

Tableau 2 : Occupations professionnelles des résidents des quartiers centraux, 2016 ................................... 45

Tableau 3 : Secteurs d’activité des travailleurs du Vieux-Québec, 2016 ......................................................... 46

Tableau 4 : Motivations des résidents du Vieux-Québec à s’établir dans ce secteur ...................................... 50

Tableau 5 : Caractéristiques des participants .................................................................................................. 58

Tableau 6 : Types d'engagements en tourisme ............................................................................................... 83

Tableau 7 : Idéaux-types des travailleurs en tourisme ................................................................................... 144

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xi

REMERCIEMENTS

Je voudrais avant tout remercier les participants à cette recherche, qui ont bien voulu répondre à mes questions

malgré leur emploi du temps chargé. Merci d’avoir éclairé ma vision de votre réalité, et j’espère sincèrement que

ce mémoire saura rester fidèle à vos propos.

Merci à tous les professeurs de l’Université Laval qui ont accepté de me faire confiance en m’offrant diverses

tâches en tant qu’assistant, qu’il s’agisse de les épauler dans leurs cours ou dans leurs recherches. Votre aide

m’a permis de concilier efficacement travail et étude, et m’a grandement aidé à la réalisation de ce mémoire. Je

remercie donc sincèrement Charles Fleury, Yvan Comeau, Guy Frechet, Sophie Lauzier et Nancy Côté, qui

m’ont aidé à faire de ce mémoire une réalité.

Bien sûr, je remercie du fond du cœur Dominique Morin, mon directeur, sans qui non seulement cette recherche

n’aurait jamais débuté, mais surtout n’aurait jamais abouti! Merci pour tes encouragements, tes conseils, et ton

aide tout au long de ces années, je t’en suis à jamais reconnaissant.

Je tiens également à remercier ma famille au sens large. À ma mère qui, malgré la distance, a toujours su nous

venir en aide quand nous en avions besoin. À Johane et Martin, pour leur support durant toutes ces années, et

surtout pour vous être occupés des enfants à plusieurs reprises afin de nous aider à avancer nos projets de

recherche.

Et bien sûr merci à ma famille proche. À Laurence, sans qui jamais je n’aurais entrepris ni terminé cette aventure.

Ces dernières années n’ont pas toujours été faciles, mais tu as toujours su me pousser à aller de l’avant, à

redoubler d’efforts pour arriver aujourd’hui à finaliser ce projet. Merci d’être à mes côtés et de partager ma vie.

Enfin, à Mael et Anaé, vous qui avez su compliquer la réalisation de ce mémoire à bien des niveaux, mais qui

avez été, et serez toujours, ma plus grande source de satisfaction et de motivation.

À William (finalement, je l’aurais fait mon ami!).

Page 12: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

1

INTRODUCTION

En 2017, le tourisme représentait à l’échelle mondiale environ 118 millions d’emplois directs, soit un total de

3,6 % de la main-d’œuvre mondiale. Avec les emplois indirects et induits1, ce sont plus de 313 millions de

personnes qui vivent du tourisme à travers le monde, soit près de 10% de la population mondiale (WTTC, 2018),

un chiffre qui ne cesse d’augmenter et dont les prévisions atteignent plus de 400 millions pour la prochaine

décennie. Au Canada, en 2015, 708 000 emplois directement liés au tourisme ont été recensés, ce qui occupe

environ 4 % de la population du pays. De manière indirecte, ce chiffre monte à 1,78 million d’emplois, soit 10 %

de la main-d’œuvre totale2. En ce qui concerne le Québec, le Conseil Québécois des Ressources Humaines en

Tourisme estime à 344 494 le nombre de personnes qui travaillaient pour ce secteur en 2012 (CQRHT, 2015).

En l’absence de données plus récentes, il y a fort à parier que ce chiffre est lui aussi en hausse constante.

Mais que signifient véritablement ces chiffres? Que signifie, au juste, travailler en tourisme? Répondre à ces

question est d’autant plus compliqué qu’une des particularités de ce secteur est que ses emplois sont très

variés : sur les 345 000 personnes travaillant dans le secteur touristique au Québec, environ 54 % officiaient

dans le sous-secteur de la restauration, 17 % dans les loisirs et le divertissement, 15 % dans le transport, 11 %

dans l’hébergement et 3 % dans les services de voyages (CQRHT, 2015).

Emplois directs, indirects et induits, sous-secteurs d’emplois… l’emploi touristique est donc relativement difficile

à cerner dans sa globalité. Si l’on rajoute à cela les différences régionales, le poids différent du tourisme dans

l’économie locale ou nationale selon les régions ou les pays, les différents types de clientèles, ou encore les

statuts d’emploi (temps plein ou temps partiel, permanents ou saisonniers…), il va sans dire que dresser un

portrait des travailleurs en tourisme à travers le monde relève de la gageure.

Pourtant, la notion de tourisme, la pratique touristique et les représentations associées au tourisme sont

aujourd’hui des lieux communs. Les éléments qui constituent le tourisme (le voyage, les destinations, etc.), les

valeurs qui lui sont associées (le plaisir, la découverte, le jeu, etc.), voire les effets positifs ou négatifs du

tourisme (conséquences économiques, environnementales, politiques et sociales), sont bien connus. Et

pourtant, l’élément vital de l’offre touristique, sans qui le tourisme pourrait difficilement avoir lieu, les personnes

qui font vivre les destinations touristiques, et plus particulièrement les personnes qui travaillent dans ce secteur,

sont à plusieurs égards méconnues. Il semble même exister une certaine difficulté à considérer ces personnes

1 Les emplois indirects sont ceux générés par la demande des entreprises touristiques : en faisant appel à divers fournisseurs, celles-ci créent des emplois dans ces entreprises, sans que celles-ci ne soient liées directement au tourisme. Les emplois induits sont ceux générés par les revenus liés au tourisme : par exemple, grâce au salaire perçu dans son emploi en tourisme, un serveur va acheter des biens et des services et par là même générer de l’emploi. Les effets du tourisme sont donc induits par le pouvoir d’achat qu’ il offre aux populations locales (Vellas, 2011). 2 RH Tourisme Canada, http://cthrc.ca/fr/labour_market_information/fast_facts, consulté le 05 avril 2018.

Page 13: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

2

dans une totalité, puisque quand il s’agit de considérer ce secteur dans une optique de gestion des ressources

humaines, par exemple, il est généralement analysé à l’aune des sous-secteurs qui le composent, comme la

restauration, l’hôtellerie, la vente de détail, etc.

Tout cela est d’autant plus paradoxal qu’à l’heure actuelle, dans une ville comme Québec par exemple, il est

assez courant d’entendre dire que la main-d’œuvre touristique se fait rare, que le secteur touristique a du mal à

embaucher, qu’il est difficile pour les entreprises touristiques de garder leur personnel, etc. La rétention du

personnel touristique est devenue un enjeu important dans l’offre touristique, mais il n’y a pourtant aucune

conception unanime de la nature et la définition de cette population, de ce qui fait son unité irréductible à une

somme de travailleurs. Les travailleurs du tourisme ne sont en effet jamais considérés comme un ensemble

partageant une même réalité, mais comme des employés de sous-secteurs que l’on peut retrouver dans des

contextes divers, sans aucun lien avec le tourisme et ce qui fait la spécificité du travail dans ce secteur. Il existe

donc une certaine confusion entre le tourisme comme activité, perçu comme un tout relativement homogène et

intégré, et le tourisme en tant que secteur d’activité professionnelle, perçu quant à lui comme un agrégat de

divers sous-secteurs aux réalités diverses. Pourtant, le tourisme ne possède-t-il pas des caractéristiques

suffisamment particulières, ne serait-ce qu’en termes de types de clientèle – les touristes – ou de genre

d’environnement – le lieu touristique – pour que l’on puisse penser que travailler dans ce secteur,

indépendamment de tout autre sous-secteur d’activité, puisse faire l’objet d’une expérience professionnelle

commune? Et d’un point de vue plus pragmatique, s’il existe des problèmes quant à la rétention ou la formation

du personnel dans ce secteur, les décideurs et les gestionnaires n’auraient-ils pas intérêt à considérer ces

travailleurs d’une autre manière, en les appréhendant comme des travailleurs du tourisme plutôt que des

employés de la restauration, de l’hôtellerie, du divertissement ou de tout autre secteur connexe ?

C’est à ces questions que ce mémoire désire apporter des éléments de réponse, en répondant en fait à une

seule question : peut-on considérer que les travailleurs en tourisme, indépendamment de leurs types

d’emplois, forment un groupe professionnel relativement homogène et intégré, partageant une réalité et

une même culture professionnelle? Évidemment, la portée limitée de ce mémoire ne peut pas répondre à

cette question pour les 345 000 employés du tourisme au Québec, encore moins le 1,78 million de personnes

qui travaillent, de près ou de loin dans ce secteur à travers le monde. Je présente ici une étude exploratoire, sur

quelques travailleurs en tourisme dans quelques sous-secteurs d’activités suffisamment proches et dans un lieu

suffisamment restreint pour se prêter au jeu de la comparaison. L’objectif de ce mémoire était avant tout

d’explorer une intuition sociologique voulant que la relation de service auprès des mêmes touristes, et en

particulier la pratique de l’accueil dans un même lieu intègre les travailleurs qui y participent dans une culture

professionnelle ne devant pas être confondue avec une culture d’entreprise ou d’organisation.

Page 14: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

3

Les deux premiers chapitres, qui dressent la problématique de cette recherche, présenteront cet angle

d’approche, et donc le cadre d’analyse qui permettra d’aborder les travailleurs en tourisme sans s’enfermer dans

l’étude de l’activité professionnelle. Pour cela, j’ai décidé de ne pas produire une sociologie du travail qui m’aurait

possiblement amené à étudier les pratiques des uns et des autres dans le cadre de leur emploi, mais plutôt de

m’orienter vers la sociologie des professions, notamment vers les travaux de la seconde école de Chicago.

Nous verrons donc dans le premier chapitre comment ce courant sociologique permet de dépasser

l’hétérogénéité des emplois touristiques, en considérant que les travailleurs de ce secteur partagent une réalité

suffisamment homogène pour être considéré comme un groupe professionnel. Nous verrons en effet, à travers

la notion de segmentation professionnelle, qu’un groupe professionnel peut être fragmenté en divers

sous-groupes, sans que cela n’affecte son unité, qui elle est observable à travers la notion de culture

professionnelle. Nous aborderons ensuite la notion de relation de service, centrale en sociologie des

professions, mon étude étant centrée sur les travailleurs en accueil touristique, ainsi que celles de parcours

d’engagement et d’attachement professionnel, afin de mieux saisir ce que signifie travailler en tourisme.

Comment et pourquoi les travailleurs en tourisme se retrouvent à œuvrer dans ce secteur d’activité, et pourquoi

y restent-ils ou s’en écartent-ils? Enfin, nous aborderons plus en détail l’accueil touristique comme pratique

incontournable dans la relation de service en tourisme, qui impose des droits et des devoirs – licence et

mandat – des travailleurs de ce secteur, indépendamment du type d’emploi. Nous nous intéresserons également

aux implications et à la signification de l’acte d’accueil, principalement à travers les travaux de Gouirand (1998,

1994, 2011), qui a théorisé l’accueil et ses dimensions.

Le deuxième chapitre de problématique présente l’autre élément central, selon moi, du travail en tourisme, à

savoir le lieu touristique. Un petit détour en sociologie urbaine est nécessaire pour présenter les concepts de

morphologie et de physiologie sociales, ainsi que de valence territoriale, qui aident à mieux saisir les modes

d’être et les valeurs associées au lieu touristique par les travailleurs en tourisme. Nous traiterons ensuite la

particularité des lieux touristiques en tant que lieux de secondarité (Rémy et Voyé, 1992) et de l’intrication

possible entre entreprise et lieu touristique pour les travailleurs, afin de mieux saisir la place que peuvent avoir

ces lieux dans la culture professionnelle de cette population. Les lieux touristiques, en tant qu’enclaves ou bulles

touristiques (Rémy, 1994, Judd, 2004), présentent aussi des caractéristiques n’étant pas sans impact sur les

représentations et les usages du lieu. Nous verrons également que tous les lieux touristiques ne sont pas les

mêmes, dans la mesure où ils ne suggèrent pas tous les mêmes pratiques, ce qui nous amènera à mieux nous

situer dans un type de lieu et de pratique. Ce second chapitre se termine par une caractérisation du quartier du

Vieux-Québec, et plus précisément de ses particularités morphologiques et physiologiques, de la valence lui

étant attribuée par ses résidents et des pratiques touristiques qui lui sont associées, qui en font principalement

un lieu de découverte, ce qui n’est pas sans influence sur l’usage que les travailleurs en tourisme peuvent en

avoir.

Page 15: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

4

Le troisième chapitre explique le choix de la méthode d’entrevue semi-dirigée et la question de recherche, puis

présente l’élaboration du guide d’entretien et de la grille d’analyse dont nous nous sommes servis. Une

présentation détaillée des participants rencontrés pour cette étude complète ce chapitre consacré à la

méthodologie de notre enquête.

La présentation des résultats commencera au quatrième chapitre. Les parcours d’engagement des participants

ainsi que les éléments principaux auxquels ceux-ci sont attachés dans l’exercice de leur activité professionnelle

sont analysés afin de comprendre la place que prend le tourisme pour les individus qui travaillent dans ce

secteur. Cette partie répond à la question de savoir si, pour eux, le fait de travailler en tourisme est avant tout

une réalité, un choix, s’il fait partie d’un parcours d’engagement cohérent (Becker, 2006), ou au contraire s’il

est – comme semblent le penser les gestionnaires de ce secteur – un attribut secondaire d’un certain genre

d’emploi. Cela nous amènera une distinction importante dans la compréhension de la culture professionnelle de

ces travailleurs : la différence d’engagement entre les personnes qui travaillent en tourisme, et celles qui

travaillent pour le tourisme.

Le cinquième chapitre répertorie en premier lieu les savoirs et savoir-faire mobilisés par les travailleurs en

tourisme rencontrés qui apparaissent transversaux à tous leurs sous-secteurs d’emploi. Les savoir-faire sont

ensuite analysés à travers la notion d’accueil, en considérant d’un seul regard l’ensemble des emplois étudiés.

Nous y verrons comment l’accueil se pratique en tourisme, à travers les trois dimensions de l’accueil distinguées

par Gouirand (1988, 1994, 2011) : la reconnaissance, l’hospitalité et le maternage.

Le sixième chapitre traite enfin du rapport des travailleurs au lieu touristique du Vieux-Québec, d’abord à

travers les usages du lieu, puis dans ses représentations. L’examen des raisons qui motivent à l’usage du lieu

et des situations dans lesquelles celui-ci est plutôt évité est nécessaire pour comprendre les représentations et

la valence territoriale qu’accordent les travailleurs en accueil touristique au Vieux-Québec. Nous verrons

notamment comment la représentation du lieu touristique comme lieu de travail entraîne une sorte de brouillage

entre secondarité et primarité, au point de rendre le lieu touristique difficilement supportable, malgré une valence

territoriale positive exprimée dans les discours et les pratiques de l’accueil touristique.

Pour clore l’analyse des discours des participants, le septième chapitre propose un bilan, appuyé par la

construction d’une typologie des travailleurs en accueil touristique, distingués en fonction de leur niveau

d’engagement, des savoirs et savoir-faire mobilisés dans leur travail d’accueil et de leur rapport au lieu. Malgré

une certaine difficulté pour eux à se considérer subjectivement comme un groupe professionnel, certains

éléments objectifs nous permettent malgré tout de considérer l’existence d’un groupe partageant une culture

professionnelle particulière.

Enfin, après un retour sur les principaux résultats de ce mémoire, la conclusion nous permettra de pousser un

peu plus loin la réflexion sur le modèle d’analyse présenté ici. Nous verrons dans quelle mesure le fait de

Page 16: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

5

considérer la population des travailleurs en tourisme à travers le cadre social et le cadre physique de leur

profession, selon une approche à la fois interactionniste et « environnementale » du rapport au milieu

professionnel, pourrait s’adapter à l’analyse d’autres professions segmentées. Pour terminer, nous verrons

brièvement comment cette recherche permet de penser autrement le travail en tourisme, ce qui porte à réfléchir

à des pistes de solution innovantes pour faire face aux problèmes de gestion du personnel touristique, tant en

ce qui a trait à la formation qu’à la rétention du personnel.

Page 17: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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CHAPITRE 1 : CULTURE PROFESSIONNELLE ET ACCUEIL

TOURISTIQUE

L’étude du travail en tourisme n’est pas une chose aisée, dans la mesure où ce secteur est composé d’une

grande diversité d’emplois plus ou moins spécialisés, plus ou moins centrés sur le service à la clientèle, dans

des sous-secteurs variés et dans des lieux forts différents les uns et des autres. Et bien qu’il ne soit pas rare

d’entendre parler de la main-d’œuvre touristique ou des emplois touristiques, lorsqu’il s’agit de s’intéresser de

plus prêt à ces emplois, le réflexe semble être de ne regarder que les sous-secteurs d’emplois, comme la

restauration, l’hôtellerie, la vente de détail, etc. N’est-il pas possible cependant, voire même souhaitable, de

considérer les travailleurs en tourisme comme un ensemble relativement homogène et intégré?

Proposer une telle perspective est l’objet de ce premier chapitre. Puisque nous abordons l’étude de métiers qui

ne sont pas institués, comme en droit ou en médecine, il nous est apparu pertinent de commencer par nous

intéresser à un champ particulier de la sociologie du travail, celui de l’étude des professions, qui, à la suite de

Hughes (1958) puis de Goffman (1968), s’est spécialisée dans l’étude des petits métiers. Nous verrons donc

dans cette première partie comment le concept de culture professionnelle et les notions de relation de service

et d’accueil permettent d’aborder les travailleurs en tourisme selon un angle commun, plutôt qu’en restant

cantonné dans l’étude de chaque emploi particulier.

1. Le travail en tourisme

1.1. La sociologie des professions

De nombreux emplois propres au tourisme tels que ceux de la restauration, de l’hébergement, des services de

voyages, des loisirs et du divertissement ont une particularité intéressante d’un point de vue sociologique, qui

est qu’ils ne demandent bien souvent que peu de formation. Ces emplois s’apparentent à ce que Hughes appelle

des jobs3, c’est-à-dire des occupations dont la charge n’est que temporaire et pour lesquels « il suffit de se

présenter au bon moment et au bon endroit quand on a besoin de main-d’œuvre d’un certain âge, sexe, et peut-

être degré d’intelligence » (Hughes, 1958, p. 34).

Jusque dans les années 1950 aux États-Unis, et même 1980 en France (Cartier, 2005), l’étude de ce type

d’occupations n’était même pas digne d’intérêt. Le courant fonctionnaliste alors dominant dans l’étude de

l’emploi, incarné entre autres par Carr-Saunders, Parsons ou Merton (Champy, 2009), considérait que l’étude

de professions conçues comme « une communauté relativement homogène dont les membres partagent

3 À ce propos, il n’est pas rare d’entendre guides ou serveurs, entre autres, se plaindre du regard des autres, qui leur demandent de manière récurrente : « quand comptes-tu trouver un vrai emploi? ». Bien que pour eux leur emploi soit plus qu’une occupation, cela montre à quel point, du point de vue de la société, ce ne sont en général pas des emplois, encore moins des professions.

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7

identité, valeurs, définition des rôles et intérêts » (Goode, 1957, cité par Strauss, 1992, p. 67) était la seule

pertinente. Les seules professions à l’étude avant cette période étaient des occupations reconnues, comme

celle des médecins ou des avocats. Dans la perspective fonctionnaliste,

[…] les professions (…) se prévalent d’un monopole d’exercice, qu’elles défendent en contrôlant le contenu des compétences revendiquées, la transmission des savoirs et la socialisation des membres, les règles éthiques présidant à leur mise en œuvre, la valeur sociale et économique de leur activité. Elles concernent des travailleurs ayant un haut niveau d’expertise, bénéficiant d’une grande autonomie dans l’accomplissement de leurs tâches, formant une sorte d’élite professionnelle située à un haut niveau de l’échelle du prestige et des rémunérations (Demazière & Gadea, 2009, p. 19).

Cette conception des professions est toutefois rejetée par Hughes et les sociologues de la seconde école de

Chicago, tels que Becker ou Strauss, dans la mesure où elle « […] reproduit la rhétorique professionnelle de

ceux qui tendent à présenter leur travail comme une profession, c’est-à-dire comme une activité noble,

prestigieuse et désintéressée, conforme aux normes sociales en vigueur » (Dubar & Tripier, 1998, p. 88).

Hughes veut, quant à lui, montrer « […] que les problèmes fondamentaux que les hommes rencontrent dans

leur travail sont les mêmes, qu’ils travaillent dans un laboratoire illustre ou dans la cuve d’une conserverie »

(1951, cité par Dubar & Tripier, 1998, p. 80). Dès lors, la voie à l’étude des « petits travaux » est ouverte, en

leur donnant une légitimité équivalente, comme objets de recherche, aux grandes professions habituellement

étudiées : « Cette comparaison aide aussi à se délivrer d’un regard condescendant et misérabiliste sur les

métiers modestes en montrant que les professions n’ont pas le monopole du professionnalisme et qu’on trouve

du désintéressement, des compétences techniques, des règles éthiques dans des métiers de bas

statut » (Cartier, 2005, p. 41).

La posture théorique de la présente étude s’inscrit dans la ligne de cette conception des professions, ce qui

permet de considérer les travailleurs en tourisme comme un groupe professionnel relativement homogène,

malgré la non-reconnaissance de statut professionnel et l’éclatement de ce secteur en une pluralité de « jobs ».

Cependant, la simple adhésion à cette approche ne permet pas encore de dépasser le problème de

l’hétérogénéité des types d’emplois, et surtout des tâches liées au tourisme. Pour cela, la perspective de la

segmentation professionnelle est intéressante, puisqu’elle permet d’expliquer comment des emplois

apparemment similaires peuvent avoir des pratiques et des représentations différentes, sans pour autant nuire

à une certaine unité professionnelle. Dans le cas du tourisme, il y a agrégat de segments de différentes

professions dans la formation d’un groupe induit par l’intégration dans un secteur d’activité.

1.2. La segmentation professionnelle

Pour Strauss, une profession ne serait pas forcément une structure homogène, dans laquelle la diversité et la

différenciation entre les membres ne seraient que des variations ou des ruptures temporaires par rapport à un

modèle, articulé autour d’un « noyau central » (Strauss, 1992). Il faut au contraire prendre en considération le

Page 19: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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fait que les professions sont souvent divisées en différentes parties, qui varient en fonction des objectifs et des

finalités qui leur sont accordées. Selon lui, « […] l'hypothèse de l'homogénéité relative à l'intérieur d'une

profession n'est pas absolument utile : les identités, ainsi que les valeurs et les intérêts, sont multiples, et ne se

réduisent pas à une simple différenciation ou variation. Ils tendent à être structurés et partagés ; des coalitions

se développent et prospèrent en s'opposant à d'autres » (Strauss, 1992, p. 68).

Il propose alors d’appeler segments ces différents groupements au sein d’une profession, et d’étudier les

professions non pas tant en ce qu’elles ont d’homogène, mais en tenant compte de l’hétérogénéité des valeurs

et des intérêts, ainsi que des objectifs propres à chaque segment au sein d’une même profession. Au final, nous

dit Strauss, une profession est « une agrégation de segments poursuivants des objectifs divers, plus ou moins

subtilement maintenus sous une appellation commune à une période particulière de l’histoire » (Strauss, 1992,

p. 68).

Pour Champy, qui réactualise en quelque sorte les travaux de Strauss et des interactionnistes, cette

segmentation s’articule autour de trois logiques différentes « qui se distinguent tant dans la façon que les

professionnels activent la culture4, que par leurs implications sur la solidarité à l’intérieur de la profession, et sur

la capacité de cette dernière à apparaître comme un tout à l’extérieur » (Champy, 2012, p. 129). Ces trois

logiques sont :

• La segmentation hétéronome : cette différenciation professionnelle repose sur la répartition

géographique ou encore selon la stratification sociale des personnes, notamment des clients pour des

professions qui impliquent une relation de service (Champy, 2012, p.129). En effet, il existe une

différence entre individus d’une même profession en fonction du lieu d’exercice ou de la clientèle à

laquelle ils ont affaire : par exemple, l’exercice d’un serveur dans un relais routier entre Val-D’Or et

Rouyn-Noranda, bien qu’exerçant le même métier qu’un serveur dans un grand restaurant de Montréal,

sera différent sur bien des points.

• La segmentation organique : il s’agit ici d’une conséquence de la division du travail, nécessaire par

le fait qu’il est impossible pour les membres d’une même profession de connaître et de maîtriser tous

les savoirs et savoir-faire. Pour les interactionnistes, celle-ci relève de la division technique du travail.

Pour Champy, elle relève également de la division morale en raison de la hiérarchisation du personnel.

Selon lui, « dans cette forme de segmentation, l’unité tient (…) à la complémentarité des membres du

métier » (Champy, 2012, p.133). Elle « constitue un facteur de cohésion, de coopération, d’échanges

et de solidarités entre ses membres » (Champy, 2012, p.134).

• La segmentation agonistique : il s’agit d’une segmentation concurrentielle, basée sur les conflits

généralement issus de la segmentation organique ou bien à propos des valeurs au sein d’une même

4 Le concept de culture, et plus précisément de culture professionnelle, sera défini de manière plus détaillée dans la prochaine section.

Page 20: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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profession. Mais selon Champy, ceci n’est pas antinomique de l’unité, car cette segmentation permet

à une profession de se remettre en question et de changer ses pratiques ou d’en accepter de nouvelles.

C’est donc là encore une segmentation fonctionnelle tout comme la précédente.

Une profession n’est donc pas un ensemble homogène, mais au contraire une agrégation de segments

professionnels, dont la logique de différenciation repose sur des facteurs divers, tels que les intérêts et les

objectifs, les pratiques, les compétences et les savoirs mobilisés, le lieu géographique, le type de clientèle, les

valeurs ou encore les conflits. On comprendra donc l’intérêt de cette conception des professions dans l’étude

des travailleurs en tourisme.

1.3. La culture professionnelle

Si cette perspective en termes de segmentation permet de saisir un groupe professionnel aussi disparate que

celui des travailleurs en tourisme dans une perspective globale, elle ne permet pas pour autant de dépasser

son hétérogénéité. En effet, cette conception suggère de considérer les professions comme des ensembles qui,

malgré les différences internes, se reconnaissent une certaine unité, ne serait-ce qu’en se définissant comme

un groupe professionnel particulier, même s’il n’existe pas d’ordre professionnel les représentants. Ce n’est pas

le cas dans le tourisme, qui regroupe divers emplois comme des serveurs, des réceptionnistes, des vendeurs,

qui sont autant de groupes professionnels potentiels. Or, un des postulats de départ de ce travail est qu’il existe

une unité professionnelle non pas à travers l’emploi occupé – à comprendre ici comme un ensemble de tâches

prescrites – mais à travers le rapport au tourisme comme secteur d’activité. Dès lors, ce postulat repose sur

l’existence de ce que l’on peut appeler une « profession touristique », forte d’une certaine unité et de certaines

caractéristiques professionnelles.

Comment rendre compte de l’unité de ce groupe? Une chose est sûre, ce ne sera pas au niveau des pratiques

propres à chaque groupe occupationnel que cela se fera, car comme Champy l’explique, « il serait vain de

chercher une unité directement au niveau des pratiques, trop hétérogènes pour cela. L’unité doit être cherchée

à un autre niveau, celui d’une culture commune aux membres de la profession, système intégré de valeurs, de

savoirs et de savoir-faire que les professionnels mobilisent de façons diverses » (Champy, 2012, pp. 125-126).

C’est donc à travers l’étude d’une culture professionnelle commune que j’ai décidé d’étudier les travailleurs en

tourisme. Je pense en effet que malgré les différences en termes d’emplois et de tâches, un grand nombre de

travailleurs de ce secteur partagent les mêmes valeurs, les mêmes représentations concernant leur travail, ainsi

qu’un certain nombre de compétences et de connaissances communes.

Pour Hughes et Redfield cependant, la culture professionnelle est avant tout locale dans la mesure où elle met

« l’accent sur les processus intersubjectifs : les cultures sont construites localement à travers des expériences

partagées » (Champy, 2012, p. 111). Chaque culture est donc analysée en rapport à son environnement direct,

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et non pas de manière macrosociologique. Mais cette perspective ne permet pas de rendre compte d’une culture

partagée par différents segments au sein d’une même profession, qui ne partagent pas forcément le même

environnement, comme dans le cas de la segmentation hétéronome. Il serait même facile de prétendre que

chaque segment détient sa propre culture, ses propres pratiques et ses propres expériences. Dès lors, si on

considère notre sujet d’étude, nous pourrions retourner à dire que chaque emploi lié au tourisme possède sa

propre culture, ce qui invaliderait d’entrée de jeu l’analyse.

Cependant, cette limite est dépassée par Champy, pour qui il n’est pas impossible qu’une culture professionnelle

unique donne lieu à des pratiques diversifiées. Pour cela, il faut « reconnaître, dans une tradition non

déterministe des institutions comme celle de Mauss et de Fauconnet (1901), qu’une même culture peut donner

lieu à des activations diverses, permet de concilier prise en compte de la diversité des pratiques et objectivation

de l’unité de la culture » (Champy, 2012, p. 126).

Cette approche s’applique alors à s’intéresser davantage aux « valeurs, savoirs et savoir-faire » (op.cit. p.126)

qu’aux pratiques communes des membres d’une même profession, et au final à l’unité derrière l’apparente

hétérogénéité des segments professionnels. En outre, pour les « jobs » de l’industrie touristique, la mobilité des

travailleurs d’un emploi à l’autre ne se fait pas sans transfert et communication de valeurs, savoirs et savoir-

faire.

Le risque demeurait néanmoins de ranger toutes les personnes qui travaillent de près ou de loin dans le tourisme

en un même groupe, avec une même culture, et de sombrer dans des généralités difficilement vérifiables sur le

terrain. Étant donné que la portée de ce mémoire ne permet pas d’observer l’existence d’une telle culture

commune pour tous les travailleurs de ce secteur, et encore moins pour tous ceux qui travaillent de manière

indirecte pour le tourisme, il a été important de faire certains choix, et partant de commencer en étudiant des

individus ayant des emplois certes différents, mais avec tout de même certains points communs.

2. La notion de relation de service

2.1. La relation de service au centre de la profession

Bien qu’une culture unique puisse donner lieu à des pratiques diversifiées, il n’en reste pas moins que celle-ci

doit reposer sur une base commune, une réalité partagée par tous. Dans le cas présent, il s’agit du tourisme,

bien sûr, mais le fait de partager cet univers de référence ne suffit pas pour postuler qu’il existe une culture

commune à la majorité des travailleurs en tourisme. Il existe un nombre très important d’emplois dans ce

domaine, avec des tâches sans véritable rapport ou point commun entre elles. Entre le travail dans un bureau

d’information touristique et celui dans la cuisine d’un restaurant fréquenté par les mêmes touristes, par exemple,

il est difficile d’apercevoir de l’unité au-delà de celle du lieu touristique, de sa clientèle, et des variations

saisonnières de son affluence. Pour cette raison, j’ai décidé de m’appliquer à l’étude d’une partie seulement des

travailleurs en tourisme, dont le vécu professionnel se concrétise notamment autour de la relation de service.

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Théorisée en grande partie par Goffman (1968) dans la dernière partie du livre Asiles, la relation de service est

centrale dans l’étude des professions. D’abord parce qu’en étudiant des occupations comme celle de médecins,

d’avocats, ou encore de concierges, la sociologie interactionniste de l’école de Chicago s’est fortement attelée

à l’étude de groupes professionnels dont la spécificité réside dans le contact avec la clientèle (Ughetto, 2004).

Mais aussi parce que « […] le contact avec le public et le pouvoir exercé sur lui constituent des caractères assez

importants pour que tous ceux qui en font l’expérience puissent être groupés en une catégorie spéciale »

(Goffman, 1968, p. 378). Goffman met alors à part, dans son analyse des professions, certains groupes de

travailleurs comme les femmes de ménage, car il considère qu’elles rendent un service à un patron, pas un

public. C’est cet aspect de contact avec un public qui, pour Goffman et par la suite toute la sociologie des

relations de service, revêt un caractère particulier, qu’il est impératif de prendre en compte.

Je me suis donc exclusivement attaché à l’étude des travailleurs en contact avec la clientèle, que j’ai par ailleurs

décidé d’appeler simplement les travailleurs en accueil touristique. De cette manière, sont bien sûr évacués tous

les travailleurs dont le travail est induit par le tourisme, de l’autre ceux qui travaillent dans des lieux touristiques,

mais qui n’ont pas de contact avec la clientèle. Ainsi, il ne sera pas question ici des cuisiniers ou des plongeurs

en restauration, du personnel d’entretien dans les hôtels, ou de tout autre emploi qui ne soit en contact direct

avec les touristes5.

2.2. Des publics et des services

Autre point important : tous les « publics » ne sont pas les mêmes, et tous les services offerts non plus. D’un

côté, il existe des services standardisables, des services qui nécessitent une certaine compétence technique et

qui s’adressent à des groupes d’individus, des usagers. Ce type de service est celui que l’on retrouve par

exemple offert par les services administratifs, les services de transport en commun ou encore les centres de

téléphonie, et même les comédiens (Goffman, 1968). De l’autre, il existe des services dits relationnels, qui

impliquent une relation de face à face, et qui s’adressent à des clients (Borzeix, 2000). Ces services sont ceux

offerts par les médecins et les avocats dans le cadre de professions instituées et reconnues, mais aussi des

plombiers, des électriciens et, plus proche de cette recherche, des concierges, des serveurs ou des vendeurs.

Ces travailleurs sont ce que Goffman appelle des réparateurs, dont le rôle est de régler les problèmes des

usagers.

Cette dernière qualification n’est pas anodine, que ce soit dans le langage de Goffman ou dans le cadre de ce

travail. En effet, pour Goffman, qui s’intéresse dans son ouvrage aux professions de la médecine, « l’idée de

5 Loin de nier l’intérêt de cette population, et conscient de l’importance de la clientèle et des contacts informels qu’il peut y avoir avec celle-ci, il a fallu faire des concessions dans le cadre de ce travail, car je n’aurais pas pu documenter l’ensemble des travailleurs en tourisme. J’ai donc fait le choix de ne m’intéresser qu’aux travailleurs en accueil, sans pour autant penser les autres types d’emplois soient dénués d’intérêts dans une recherche sur la culture professionnelle des travailleurs en tourisme. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique soit plus ou moins partagée par des travailleurs du tourisme pour qui la relation de service à un public ne fait pas partie des principales attributions de tâches.

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professionnel appelle celle de service et inversement : le service apparaît comme résultant de la décision

d’individus de se placer dans les mains de spécialistes plus compétents qu’eux pour résoudre une difficulté

qu’ils n’ont pas su solutionner par eux-mêmes » (Ughetto, 2004, p. 6). Outre le fait que selon Goffman la notion

de professionnalisation est amplement liée à celle de service6, ce dernier implique donc la résolution d’un

problème ou d’une difficulté par les employés du secteur de service concerné. Gadrey résume cette relation, et

par là même définit ce qu’est une relation de service :

Les relations de service – on utilise parfois le singulier « la relation de service », qui signifie implicitement un plus haut degré d’abstraction et de généralité – sont des relations qui se nouent entre des individus, et parfois entre des organisations (mais cela n’empêche pas que certains individus soient plus directement concernés), à l’occasion d’une prestation de service délivrée par les uns (A) à l’intention des autres (B) et le plus souvent à la demande de (B), à propos d’un problème ou d’une réalité (C) sur laquelle on demande à A d’intervenir (Gadrey, 1994, p. 382).

Le prestataire de service est donc censé intervenir sur un problème, régler une situation que le client ne peut

résoudre par lui-même. Pour ce faire, il dispose d’« une compétence ésotérique et efficace » (Gershuny, cité

par Ughetto, 2004, p.6), un savoir particulier qui doit être reconnu – sans être connu – et respecté par le client,

que le professionnel va mettre en œuvre pour résoudre le problème vécu par ce dernier. Cette résolution de

problème peut alors être d’ordre matériel, comme la réparation d’un appareil électrique pour un électricien, ou

immatériel, par exemple le préposé au guichet dans une banque qui règle les problèmes financiers de clients

ou le vendeur dans une grande surface qui aide le client à se diriger lorsque celui-ci ne trouve pas le produit

désiré. En tourisme, c’est à l’agent d’accueil de remplir ce rôle comme nous l’explique Partlow à propos d’un

hôtel comme le Ritz-Carlton. Expliquant que certaines entreprises touristiques comme cet hôtel de luxe ont

compris l’importance de la notion d’accueil, il souligne qu’elles encouragent et forment leur personnel de manière

à ce que celui-ci soit prêt à « faire tout son possible pour résoudre immédiatement tout problème » (Partlow,

1993, p. 21).

C’est donc à travers ces notions de savoir et de savoir-faire, ainsi que par rapport à la centralité de la notion de

relation de service, que j’ai décidé d’orienter ma réflexion pour comprendre comment se constitue la culture

professionnelle des travailleurs en tourisme, ou plutôt des travailleurs en accueil touristique. Le postulat de

départ ici est donc que ces travailleurs sont dépositaires de connaissances et de compétences faisant défaut à

une clientèle particulière, les touristes, et que ces derniers leur font confiance pour combler leurs lacunes et

6 À la suite des travaux de Hughes, un des questionnements majeurs liés à la sociologie des professions fut d’abord de comprendre ce qu’était une profession, mais surtout de comprendre pourquoi et comment à certains moments de son histoire, un groupe occupationnel décide de faire valoir son savoir et son savoir-faire et ainsi de se professionnaliser, c’est-à-dire de passer à un statut reconnu et institutionnalisé. Dans ce contexte, il est clair que la question de la professionnalisation est centrale. Cependant, dans le cadre de la présente étude, celle-ci est d’un intérêt secondaire : seulement je ne m’intéresse pas ici à la question de la professionnalisation, mais en plus, à ma connaissance, aucune démarche n’a été adoptée dans le sens d’une professionnalisation des métiers du tourisme, mis à part chez les guides

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agrémenter leur séjour. Il s’agirait donc de compétences et de connaissances non pas spécialisées à une tâche

ou un emploi précis, mais transversales à l’ensemble des travailleurs en contact avec la clientèle touristique.

3. Engagement et attachement

Toutefois, comprendre les savoirs et les savoir-faire en lien avec l’accueil des touristes ne semble pas suffisant

pour saisir dans son ensemble la culture professionnelle de ces travailleurs. Et surtout, ces aspects ne

permettent pas à eux seuls d’expliquer pourquoi certaines personnes en viennent à travailler dans ce secteur

d’activité, à s’impliquer suffisamment pour développer une culture particulière. Pour cela, je pense qu’il est

important de ne pas chercher uniquement à comprendre comment certains individus finissent à travailler en

tourisme, mais plutôt pourquoi ils décident – si toutefois la notion de choix s’applique à leurs parcours – de

s’engager dans une telle trajectoire professionnelle. Ce point est d’autant plus important à mon sens que pour

qu’une culture professionnelle prenne corps, il faut avant tout que certains individus se reconnaissent en elle, et

donc il faut que certains individus soient engagés dans ce secteur, qu'ils développent une certaine conscience

professionnelle. Et pour comprendre cela, je me suis intéressé d’une part à l’engagement en tourisme, d’autre

part à ce que j’appelle « l’attachement professionnel ».

3.1. L’engagement

La notion d’engagement employée dans ce mémoire est empruntée à Becker, qui s’y intéresse en tant que

trajectoire d’activité cohérente (Becker, 2006). Selon lui, un individu entre dans une telle trajectoire lorsque ses

actions, même si elles peuvent paraître ne pas véritablement faire sens, sont orientées vers un but unique et

cohérent. Dans cette perspective, un individu peut changer d’activité tout au long de son parcours professionnel

et cela n’enlève en aucun cas la cohérence de sa démarche, tant que celle-ci reste dans le cadre de

l’accomplissement d’un objectif particulier : « Une personne demeurant dans la même profession peut s'engager

dans beaucoup d'activités différentes au cours de sa carrière. Celles-ci ont en commun le fait qu'elles sont

perçues par les acteurs comme des activités poursuivant un même but, malgré leur diversité

apparente » (Becker, 2006, p.3).

Cet engagement n’est pas forcément un acte conscient, et dépend pour Becker de différents facteurs qui vont

influencer la prise de décision des individus7. Ces différents facteurs permettent entre autres d’expliquer les

7 Pour Becker ces facteurs sont :

- l’« existence d’attentes culturelles généralisées » envers certains actes relatifs à l’engagement, notamment professionnel, qui pénalisent socialement ceux qui ne les respectent pas ;

- la « transaction bureaucratique impersonnelle », lorsque l’individu risque d’être pénalisé financièrement ou au niveau des avantages acquis dans le cas du non-respect de son engagement ;

- l’« ajustement individuel aux positions sociales », lorsqu’une personne adopte un comportement pour s’adapter à une certaine situation, se fermant les portes à une autre position ;

- lorsque les acteurs, jouant un rôle aux yeux des autres, se retrouvent comme « enfermés » dans leur rôle et sont obligés de le suivre, s’engageant à être la personne qu’ils ont d’abord présentée aux autres. (Becker, 2006, pp.5-6)

Cependant j’ai pris le parti ici de ne pas vraiment m’attacher à l’étude de ces facteurs, ce qui aurait rendu l’analyse des parcours professionnels trop complexe, sachant que cette recherche s’intéresse plus particulièrement à la culture professionnelle.

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14

« paris » que prennent certains individus dans leurs trajectoires, notamment professionnelles, et de comprendre

comment ils finissent par s’engager dans une profession ou une autre.

En ce qui concerne les travailleurs en accueil touristique, j’ai fait le choix de m’intéresser aux trajectoires à

proprement parler, afin de comprendre comment certains individus se retrouvent engagés dans ce que l’on

pourrait appeler une carrière en tourisme. Ainsi, plus qu’aux facteurs qui influencent la prise de décision des

individus, je me suis principalement intéressé à la formation suivie en amont des premiers emplois en tourisme,

et éventuellement durant ces emplois. Comprendre la formation scolaire ou professionnelle des travailleurs en

accueil touristique constitue selon moi une porte d’entrée suffisante à la compréhension de la trajectoire, dans

la mesure où si dès le départ le choix de travailler dans ce secteur est affirmé, la cohérence est d’emblée

présente. Au contraire, en l’absence de formation préalable, il est intéressant de comprendre sur quels aspects

repose la cohérence de leur trajectoire.

3.2. L’attachement professionnel

J’ai également fait le choix de m’intéresser à ce que l’on pourrait appeler « l’attachement professionnel »8 des

travailleurs en accueil touristique. À quoi sont « attachés » ces travailleurs, quels aspects jugent-ils centraux

dans leur décision de demeurer dans leur profession?

Cette notion part du principe que, pour que les travailleurs en tourisme s’engagent dans une trajectoire d’activité

cohérente dans ce domaine, il faut que quelque chose les retienne, une chose à laquelle ils sont suffisamment

attachés pour justifier cet engagement. Est-ce le tourisme et la perspective de pratiquer des activités

touristiques ? Est-ce le contact avec les touristes ? Est-ce le lieu touristique, l’aspect financier, le rythme de

travail, etc.? Sans tomber dans une approche psychologique des motivations au travail en tourisme, cette notion

nous permet de dégager les éléments importants dans l’exercice de la profession pour les personnes

interrogées.

Et selon moi, un des principaux facteurs qui peut expliquer l’engagement en tourisme, un des éléments centraux

qui justifie également l’attachement à ce secteur se trouve dans la notion d’accueil.

8 La notion d’attachement a longuement été étudiée en psychologie, notamment par des auteurs comme Fried (1963) ou Giuliani (2002)

en ce qui a trait à l’attachement au lieu, Deasey et Laswell (1985) ou Hubiak et Banning (1994) concernant l’attachement au travail.

Cependant, bien que ces travaux soient fortement intéressants, considérant qu’il s’agit là d’une perspective psychologique qui ne

s’applique pas forcément à mon cadre d’analyse, j’ai décidé de ne pas développer cette notion outre mesure, ceci permettant également

d’alléger la problématique.

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4. L’accueil touristique

4.1. La relation de service en tourisme

4.1.1. Centralité et spécificités de la relation de service dans le tourisme

Le tourisme est un secteur d’activité dans lequel l’immatérialité du service est des plus importantes : pas de bien

à réparer (Goffman, 1968), rien de véritablement tangible, si ce n’est d’offrir une expérience au touriste9. Lors

d’une conférence sur l’usage du patrimoine comme attraction touristique donnée à l’Université Laval10, Dean

MacCannell a par exemple expliqué la spécificité du tourisme à cet égard : il s’agit d’un des seuls secteurs

marchands dont le produit vendu est une image mentale, une expérience, un souvenir. Le produit vendu (le

patrimoine, l’expérience touristique, le plaisir, la détente…) ne se ramène pas chez soi : on en garde une

représentation, une photographie, éventuellement un souvenir matériel comme un vêtement, un porte-clés, une

tasse à café… mais jamais le produit en tant que tel. S’appuyant sur la définition de la culture touristique11 de

Trottier, Laplante en vient à la même conclusion. Selon lui :

L’expérience touristique est, en quasi-totalité, une expérience symbolique. Les principaux "produits" offerts et consommés sont immatériels : beauté d’un paysage, plaisir d’une rencontre, aventure d’une expédition, découverte d’un coin enchanteur, etc. Très souvent même, les produits matériels sont aussi symboliques : la chambre d’un hôtel est souvent plus qu’un lit pour dormir ; on cherche une belle vue, un décor particulier, des services spéciaux, etc. […] Bref, le touriste consomme surtout des produits immatériels, intangibles et, donc, plus symboliques que réels durant son voyage (Laplante, 1996, p. 98).

Pour être pleinement vécue, cette expérience symbolique a cependant besoin d’être interprétée, et plus

particulièrement lorsqu’elle implique une mise en contact avec le patrimoine ou la culture locale. Que ce soit par

l’entremise d’un guide ou d’une brochure, d’un résident, d’un serveur ou d’un vendeur, l’expérience touristique

passe par une interprétation des lieux touristiques, ce qui offre au touriste un sentiment d’« authenticité », qu’elle

soit réelle ou factice12. Cette interprétation des lieux permettra au visiteur de vivre une expérience touristique

qui autrement ne serait qu’un déplacement dans l’espace : pour être touristique, un lieu doit d’être mis en scène

et expliqué par des experts, individus ou institutions qui possèdent le « savoir ésotérique » (Ughetto, 2004)

nécessaire à un usage et une interprétation touristique. En fait, pour reprendre les termes de Lanquar et Hollier :

Le produit touristique est un assemblage complexe d’éléments tangibles et de services concrets dont on convient qu’il se décompose entre :

9 On m’objectera ici que, par exemple, le service aux tables dans un restaurant est un acte tangible, physique même puisqu’il y a l’acte de porter les assiettes, servir et débarrasser les tables, etc. À cela je répondrais qu’il s’agit là du service offert dans le cadre du sous-secteur de la restauration, pas du tourisme. Le tourisme, c’est toute l’expérience qui entoure ce service matériel, c’est le contexte dans lequel celui-ci prend place, c’est le cadre dans lequel la relation de service a lieu. 10 Cette conférence est disponible ici : https://vimeo.com/124417830 11 Pour Louise Trottier, la culture touristique (celle du touriste) est « comme un interstice dans la vie réelle des individus qui se déguisent en touristes et en hôtes pour jouer à la rencontre interculturelle sur une scène éphémère. Les masques des uns et des autres cependant ne trompent personne mais donnent du piquant à la rencontre comme au bal masqué » (Trottier, cité par Laplante, 1996, p. 96) 12 C’est ce que MacCannell (1999) appelle la staged-authenticity, c’est-à-dire une authenticité plus ou moins factice qui se donne à voir en spectacle pour le touriste, mais qui n’est qu’un reflet négocié, selon la culture originale et les désirs des touristes, de la véritable culture locale.

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- Un patrimoine de ressources naturelles, culturelles, artistiques, historiques ou technologiques […]

- Des équipements qui deviennent […] des motifs de voyage et de fidélisation de la clientèle […]

- Des facilités d’accès qui sont en relation avec le mode de transport que va utiliser le touriste pour se rendre à la destination choisie […]

- De l’information, avant la décision d’achat, après la décision d’achat avant le voyage, pendant et après le voyage. […] (Lanquar & Hollier, 2001)

La relation de service en tourisme n’implique donc pas la vente ou la réparation d’un produit matériel, ni même

la commercialisation d’un service. Elle repose avant tout sur une expérience, caractérisée par l’interaction entre

d’un côté des agents qui possèdent un savoir sur les lieux, les attractions ou le patrimoine, et de l’autre des

individus qui désirent en connaître davantage pour en profiter pleinement. Ainsi, alors que selon Goffman (1968)

la relation de service « traditionnelle » met en contact un client ou un usager et un professionnel sur la base de

la résolution d’un problème, elle ne repose en tourisme sur aucun problème tangible, si ce n’est pour le touriste

celui de la méconnaissance d’un lieu qu’il vient découvrir ou pratiquer13.

Une autre spécificité de la relation de service en tourisme est que le touriste, venant juste « profiter » et « avoir

du bon temps », est décontracté (supposément du moins), ce qui peut avoir un impact sur la nature de la

relation : nous ne sommes pas ici dans une relation de tension ou de stress. Cette relation est également diffuse

et semble dépasser le cadre de la relation professionnelle, dans la mesure où le touriste satisfait n’est plus tant

celui qui est convenablement servi que celui qui est pleinement accueilli. Il est donc important de mettre un peu

d’ordre ici et de voir quelles sont les prérogatives et les obligations des travailleurs en accueil touristique.

4.1.2. Licence et mandat des travailleurs en accueil touristique

En jetant les bases de la sociologie des professions, Hughes (1958) développe également les concepts de

licence et de mandat pour expliquer les droits et obligations qui accompagnent l’établissement d’une profession

reconnue, comme celle de médecin ou d’avocat. Ce qu’il nous dit est que chaque profession, en cherchant à

légitimer son statut, cherche à s’instaurer le droit (licence) de pratiquer son savoir et son savoir-faire. Ceci est

supposé arriver à une situation de monopole de la pratique, quiconque pratiquant sans avoir la licence reconnue

par la profession étant alors considéré comme un imposteur ou un charlatan. En contrepartie, les professionnels

sont également soumis à des obligations (mandat), qui assurent d’une part que le travail est bien fait, d’autre

part qu’il n’y aura pas d’abus dans l’exercice des fonctions. Disons donc, pour illustrer, qu’un médecin à la

licence de soigner les malades et de pratiquer la médecine, mais il a le mandat de respecter le secret

professionnel et de rechercher toutes les voies possibles pour arriver à la guérison de ses patients, en plus

d’afficher ses diplômes sur le mur de son cabinet pour assurer sa clientèle qu’il n’usurpe pas sa position.

13 Cette méconnaissance des lieux est par ailleurs centrale dans la nature de la relation de service en tourisme, ce que nous verrons plus bas lorsque sera abordée la question de l’hospitalité touristique

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Si on essaye de dégager les droits professionnels des travailleurs en tourisme, apparaît en priorité celui

d’accueillir une clientèle étrangère au lieu visité, et d’être en première ligne dans la présentation de la culture

du pays, de la région, de la ville d’accueil. Ils ont le droit d’être les premiers « interprètes » de cette culture,

d’être en quelque sorte les ambassadeurs de leur pays, de leur région, de leur ville, aux yeux d’étrangers venus

vivre une expérience touristique. Ils ont le droit de jouer un rôle autrefois primordial, celui d’offrir l’hospitalité au

voyageur, ce qui dans l’antiquité apportait un certain prestige14.

Sans chercher à faire un inventaire exhaustif des obligations auxquelles sont tenus les travailleurs en tourisme,

on peut tout de même dire que la première est d’ordre technique, et concerne le bon déroulement du service

pour lequel ils sont employés et rémunérés d’une part, et sollicités par les clients d’autre part. Ainsi, en fonction

du domaine particulier dans lequel le travailleur se trouve (vente, hôtellerie, restauration, etc.), il aura avant toute

chose à « bien faire » son travail : le serveur devra bien prendre les commandes et servir les tables ; le

réceptionniste devra bien réserver et distribuer les chambres, ou encore répondre au téléphone ; le vendeur

devra bien mettre le magasin en place et faire payer les clients pour les marchandises achetées ; le guide devra

raconter la vraie histoire derrière les lieux ou les objets, avec plus ou moins de détails, etc.

Une seconde obligation, plus ou moins tacite, est celle de faire passer du « bon temps » au touriste. Celui-ci

vient en effet dans un lieu de secondarité avec pour idée de passer un moment agréable, se détendre ou

s’amuser, découvrir de nouvelles choses selon des modalités liées au plaisir et au jeu. Le travail de l’agent

d’accueil est donc de mettre en œuvre toutes ses compétences, tant techniques que relationnelles, pour rendre

plaisante l’expérience touristique du visiteur, afin que celui-ci reparte satisfait de sa destination. Cependant, en

l’absence de statut professionnel, rien n’oblige ce travailleur (conscience professionnelle ou mandat) à satisfaire

à cette exigence, qui n’est à aucun moment explicitement formulée. L’accueil en tourisme reste néanmoins une

composante centrale dans la relation de service qu’il est important de bien préciser.

4.2. L’accueil dans la relation de service en tourisme

4.2.1. Accueillir n’est pas servir : les deux faces de la relation de service

L’analyse en termes de licence et de mandat dans l’accueil marchand15, touristique ou non, marque la différence

entre service et accueil. Gouirand (1988) et Leblanc (2000a, 2000b, 2003) ont démontré que ces deux aspects

de la rencontre entre un touriste et son hôte ne renvoient ni aux mêmes obligations ni à la même interaction.

Les deux se vivent complètement différemment d’un côté comme de l’autre.

14 Les notions d’accueil et d’hospitalité seront développées plus bas. 15 Il va de soi que l’accueil considéré dans cette étude est exclusivement de type marchand. Il ne sera en aucun cas question de l’accueil des touristes par la population locale ou la famille, qui renvoie à un autre type d’hospitalité qui ne sera pas abordé ici.

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L’accueil, tout d’abord, est ce que Seydoux considère comme :

L’ensemble des comportements, des politiques et des techniques mis en œuvre pour réussir l’approche du touriste, dans le sens d’une relation humaine de qualité, dans le but de satisfaire sa curiosité, ses besoins, goûts et aspirations, et dans la perspective de développer un climat de rencontre et d’échange de nature à stimuler la connaissance, la tolérance et la compréhension entre les êtres. Substance principale du tourisme et son unique facteur humain, l’accueil, réminiscence de l’hospitalité ancienne adaptée à la société moderne, inspire et conditionne la conception des équipements, des services, de l’animation et de l’atmosphère de toute activité touristique. À ce titre, il crée un tissu humain et psychologique visant à favoriser le bien-être de l’homme, du moment où celui-ci entend parler d’une destination potentielle jusqu’au moment où il quitte son lieu de séjour (Seydoux, 1983, p. 218).

Pour Balfet, cité par Leblanc (2000b, p. 199), l’accueil représente l’« ensemble des activités, marchandes ou

non, dont la finalité principale est l’accueil des individus hors de leur domicile principal dans un référentiel

utilitaire ou de loisirs ». Gouirand quant lui à se réfère à l’accueil comme à « […] une médiation qui comprend

un ensemble d’attitudes, de gestes et de choses qui fait passer une personne ou une idée de l’extérieur à

l’intérieur d’un lieu ou d’une communauté, et qui transforme l’étranger en une personne ou une idée, connue et

acceptée » (Gouirand, 1994, p. 11).

On le voit donc, l’accueil est avant tout l’aspect relationnel entre des individus qui se trouvent dans une relation

de service. Il n’est pas question ici de compétence technique16, de rapport instrumental ou de « savoir

ésotérique » (Ughetto, 2004), mais uniquement de la relation entre deux individus. En fait, il y a acte d’accueil

dès lors qu’il y a contact entre deux ou plusieurs personnes, et ce pour toute la durée de ce contact (Gouirand,

1988).

La notion de service renvoie quant à elle à une tout autre réalité. Offrir un service, c’est « […] se substituer à

celui à qui on l’a fourni, on supplée à son impossibilité, à son indisponibilité, à son ignorance et à sa volonté »

(Gouirand, 1994, p. 13). Celui-ci « relève de la prestation et tend à la satisfaction d’un besoin par

l’accomplissement parfait d’une tâche » (Gouirand, 1988, p. 25). Cette notion appuie donc principalement sur le

caractère technique de la relation de service, sur-le-champ des compétences et du savoir-faire, mais un savoir-

faire qui s’applique à la réalisation spécifique d’une tâche, comme prendre une commande et amener les plats

pour un serveur, ou gérer l’attribution des chambres pour un réceptionniste d’hôtel. Ces tâches répondent à un

besoin du touriste qu’il est dans l’incapacité de remplir : la bienséance l’empêche d’aller chercher ses plats dans

la cuisine, comme elle l’empêche de choisir sa chambre et d’aller chercher sa clé derrière le comptoir (Gouirand,

1988, 1994). Malgré tout la frontière entre service et accueil reste floue, à un point tel qu’il est facile, pour les

clients, de confondre mauvais service et mauvais accueil, alors que les deux ne sont pas forcément liés

(Gouirand, 1988, 1994 ; LeBlanc, 2000a).

16 Bien que l’accueil, comme tout travail en contact avec une clientèle, nécessite de bonnes habiletés relationnelles.

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Une autre différence se retrouve dans le caractère contraint du service qui s’oppose au caractère volontaire de

l’accueil17. En effet, la serviabilité du prestataire de service reste un acte volontaire (Gouirand, 1994). Celui-ci

peut très bien ne pas faire preuve de la moindre compassion pour son client, s’appliquer à accomplir la tâche

pour laquelle il est rémunéré sans dépasser ses prérogatives. Après tout, son seul mandat explicite est de servir

les gens. Gouirand (2011) nous explique à ce sujet qu’il existe de nombreux freins à l’accueil, liés tant à la

personnalité de l’agent d’accueil qu’à des situations de conflits de travail ou de valeurs entre lui et les clients.

Malgré tout, un bon accueil étant le gage d’un service de qualité et l’aspect principalement recherché dans

l’accueil touristique (Seydoux, 1983 ; Gouirand, 1988, 1994 ; LeBlanc, 2000a, 2003 ; De Grandpré et al. 2012),

les hôtes engagés dans une relation de service en tourisme dépassent très souvent volontairement « ce qui est

normalement prévu dans l’acte de production d’un service » (Leblanc, 2003, p. 4). Le mandat tacite de la relation

de service en tourisme est celui de « bien » servir son client et cela nécessite un minimum d’hospitalité qui n’a

pas forcément son pendant dans une relation entre prestataires de service standardisés et leurs usagers ou

leurs publics.

4.2.2. La nature hospitalière de la relation de service en tourisme

Bien comprendre la notion d’accueil et ce qu’elle implique, notamment en termes de pratiques, nécessite de

s’intéresser à celle d’hospitalité, d’abord parce que cette notion est liée à l’aspect volontaire de l’accueil

(Seydoux, 1983), et ensuite parce que depuis des siècles en Occident, l’accueil est un acte hospitalier, c’est-à-

dire un acte « de partage et de sacrifice » (Gouirand, 2011, p. 83). L’accueil est en effet, un peu paradoxalement,

contraint depuis la Haute-Antiquité par les « lois de l’hospitalité » : « […] À une époque où le droit international

n’existait pas et où malgré l’inconfort des routes et des moyens de transport, il y avait tout de même de nombreux

voyageurs, il fallait, en l’absence d’auberges, assurer la sécurité et la survivance de ceux qui étaient hors de

leur pays d’origine. Rejeter le voyageur aurait été le vouer à une mort certaine » (Gouirand, 2011, p.83).

Dans la Grèce antique, « pour se faire admettre sous condition dans une cité, l’étranger doit trouver un

accueillant, un guide, qui va l’introduire et le protéger ; c’est l’origine des proxènes » (Grassi, 2004, p. 37). Le

proxène était donc le principal hôte d’accueil de la cité, sans qui le visiteur étranger ne pouvait se voir assurer

sa sécurité. À travers lui et la proxénie, un contrat était passé entre l’État et l’individu étranger, qui permettait à

ce dernier d’être « reçu, reconnu, accepté, surtout protégé, et [il pouvait] alors s’engager dans une relation »

(Grassi, 2004, p.37)18.

17 Ce point est cependant à nuancer, comme nous le verrons par la suite. 18 Un fait intéressant est que ce qu’il est coutume d’appeler l’accueil antique, celui régi par les « lois de l’hospitalité » est un acte gratuit, mais qui ne consiste pas uniquement à offrir le gîte et le couvert à son visiteur. Souvent, le premier geste d’accueil consistait à laver les pieds de ce dernier, fatigué par un long voyage. Ensuite, le repas était offert, sans même demander les raisons du voyage, sa provenance ou autre questions personnelles : celles-ci ne venaient qu’une fois le voyageur repus. Ensuite venait le temps de la discussion, si le voyageur le souhaitait et de l’offre d’un lit pour se reposer. Parfois même, et selon la littérature plus souvent qu’on ne pourrait croire, jusqu’au « partage » des femmes de la maison, qu’elles soient épouses ou filles (Gouirand, 2011).

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Selon Gouirand et Seydoux, ces lois ont traversé le temps jusqu’à nous pour dicter la conduite à suivre face à

un étranger, et surtout un étranger dans le besoin. Or, n’avons-nous pas dit plus haut que le touriste est, dans

la relation de service, ce client dont le principal problème qui nécessité d’être résolu est d’être loin de chez lui,

dans un environnement étranger, inconnu et qui nécessite une certaine interprétation? « Offrir » l’hospitalité au

touriste, c’est donc aujourd’hui encore assurer sa sécurité, son intégrité, et plus important encore à notre époque

qu’en ces temps reculés, la qualité de son séjour.

L’hospitalité, et par extension l’accueil, se sont grandement transformés avec le temps. La plus grande

transformation concerne la marchandisation de l’accueil, qui de gratuit19 est devenu payant, et même, nous

l’avons vu, le produit central de la relation de service (Seydoux, 1983 ; King, 1995 ; Boyer, 2011; Gouirand,

2011). Mais aussi – et c’est quelque part un paradoxe si l’on considère le fait que travailler en tourisme ne

constitue pas en soi une profession – il s’est professionnalisé : il est progressivement devenu un acte pris en

charge par des personnes possédant, plus ou moins officiellement, le savoir et le savoir-faire nécessaire à

l’accueil de populations étrangères. Il existe aujourd’hui des écoles hôtelières ou des formations en tourisme qui

apprennent ce qui autrefois était dicté par la tradition et le « savoir-vivre ». L’apparition des premiers hôtels et

des restaurants dans le courant du XIX° siècle, destinés non plus à accueillir toutes sortes de voyageurs,

itinérants, pèlerins et autres commerçants, mais bien les premiers touristes aristocrates, notamment en France

et en Suisse, ainsi qu’une bourgeoisie marchande et voyageuse ont, à ce niveau, complètement bouleversé l’art

de recevoir (Seydoux, 1983 ; King, 1995).

Il est toutefois important de mentionner – afin de ne pas sombrer dans la nostalgie d’un accueil « authentique »

et « véritable »20 – qu’en se transformant, l’accueil s’est également fortement amélioré dans son offre de

sécurité, de confort et d’attention à la satisfaction du visiteur. Tout au long du Moyen-Âge, bien que les

expériences fussent bien différentes d’un pays ou d’une région à l’autre, l’accueil en auberge était pour le moins

précaire : partage de chambre voire de lit – si on peut aujourd’hui appeler lit une paillasse pleine de puces –

insécurité21, prostitution, etc. Avec l’apparition des premiers palaces au milieu du XIX° siècle, les progrès des

moyens de transport, le développement de la société industrielle, l’apogée de la bourgeoisie, la fin des grandes

aristocraties et la naissance du tourisme (Seydoux, 1983, p.158), l’accueil d’étrangers dans des établissements

et des lieux y étant destinés a été transformé dans un processus d’amélioration et de codification pour le bien-

19 Gouirand nous explique même que parfois, dans le cadre de l’hospitalité monastique notamment, les moines offraient non seulement le gîte, mais aussi le couvert, et ce sur une durée indéterminée (il nous rapporte le cas d’un voyageur resté plus de sept ans ainsi dans un monastère). Parfois même les moines donnaient de l’argent au visiteur pour que celui-ci puisse continuer son voyage (Gouirand, 2011). 20 Boorstin (1971) par exemple en vient à regretter le temps où le tourisme n’existait pas, le voyage étant l’apanage des aventuriers et autres commerçants au long court. Le simple fait de prendre le bateau pouvait alors vous mener à la mort ou l’amputation pour cause de gangrène ou de scorbut, ou encore traverser une forêt vous faisait courir le risque de vous faire détrousser et/ou assassiner. 21 Il existait par exemple, du XVII° au XIX° en Hollande, une route parsemée d’auberges tenues en fait par « des associations de bandits de grand chemin qui pouvaient s’y réfugier ou s’y embusquer pour attendre leur proie » (Gouirand, 2011, p. 153).

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être de la clientèle. En posant les premiers jalons de l’accueil marchand, l’hôtellerie alors émergente a également

posé les bases de l’accueil contemporain.

Aujourd’hui, l’accueil se veut avant tout une relation de face à face entre un hôte d’accueil et un visiteur dans

laquelle l’hôte va faire tout son possible pour satisfaire ce dernier. Dans l’accueil marchand, le visiteur est en

position de force, ayant la possibilité de choisir une autre destination ou une autre place où rester, ce qui pousse

l’hôte à servir avec déférence, à dépasser les attentes du visiteur et toujours essayer de lui faire plaisir (King,

1995 ; Gouirand, 2011). De cela dépend bien souvent le retour ou non du touriste, et l’image qu’il ramène avec

lui de son lieu de séjour et partage avec son entourage. Un adage en tourisme, issu du marketing, nous dit qu’«

un client satisfait va le dire à 2 personnes, alors qu’un client mécontent va le dire à 10 ». Avec le développement

des réseaux sociaux et de sites comme Trip-Advisor ou Yelp, ce coefficient aurait même tendance à augmenter

puisque le commentaire d’un client mécontent peut être lu par un nombre incalculable de personnes. Et si

auparavant le manque d’hospitalité pouvait jeter le déshonneur ou la honte sur un individu, aujourd’hui, il risque

plus fortement d’influer négativement sur la fréquentation et par ricochet sur les revenus liés au tourisme, non

seulement pour l’établissement où l’hospitalité fait défaut, mais aussi pour l’ensemble de la destination.

4.3. L’accueil en pratique : implications et dimensions de l’acte d’accueil

4.3.1. De l’hostis à l’hospes, l’acte d’accueil comme reconnaissance de l’étranger

Avant de montrer comment se caractérise l’accueil moderne pratiqué en tourisme, il est important de souligner

les implications de cet acte pour la mise en rapport de ceux qui le pratiquent. Car il ne s’agit pas d’un acte neutre

et sans conséquence, surtout en ce qui concerne celui qui se fait accueillir. L’accueil est comme toute relation

de service, qui « […] n’ont de sens qu’en tant que relations sociales interactives dans lesquelles des acteurs

sociaux agissent les uns vis-à-vis des autres, ou les uns sur les comportements des autres » (Gadrey, 1994, p.

383). Mais il a ceci de particulier, et notamment en ce qui concerne la notion d’hospitalité qui l’entoure, de mettre

en contact deux individus qui, dans la langue française, ne sont pas distingués l’un de l’autre. Il s’agit d’une

relation entre deux dits hôtes : celui qui reçoit et celui qui est reçu. En effet, en français il n’existe pas de

distinction entre ces deux mots, qui renvoient tous deux à la même racine étymologique : « Le mot "hôte" vient

d’hospitem, accusatif de hospes. Mais hospes a une étrange parenté étymologique avec hostis, l’étranger,

l’ennemi. […] À l’origine des deux mots, hospes et hostis, on trouve le verbe hostire, "traiter d’égal à égal",

"compenser", "payer de retour" » (Grassi, 2004, p. 35).

Ainsi, la racine du mot hôte est la même que celle qui a donné naissance à la fois au mot hospitalité (hospes),

et hostilité (hostis). Pourquoi une telle ambiguïté? Différents auteurs, et en particulier Gouirand (1988, 1994,

2011) et Grassi (2004), ont montré que l’acte d’accueil permet à l’étranger de changer de statut, de passer de

celui d’ennemi à celui de personne accueillie, acceptée. En fait, à travers l’accueil, les différences entre la

personne qui visite et celle qui accueille sont supposées être nivelées ou compensées et chacun est censé être

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traité « d’égal à égal ». Ainsi, l’accueil fait entrer l’ennemi-étranger dans le cercle des connaissances, et en fait,

au moins le temps de la visite, un membre de la communauté : « L'accueil est une médiation qui comprend un

ensemble d'attitudes, de gestes, et de choses qui fait passer une personne ou une idée de l'extérieur à l’intérieur

d'un lieu ou d'une communauté, et qui transforme l'étranger en une personne ou une idée, connue et acceptée »

(Gouirand, 1994, p. 11).

L’accueil dépasse donc l’acte de recevoir le visiteur, de lui offrir le gîte et le couvert et donc le simple

service : c’est un acte d’intégration, d’acceptation de l’autre et de dépassement de ses différences.

Il est à noter également que le terme étranger est ici employé en un sens très large de personne que l’on ne

connaît pas, et non pas au sens d’étranger à la nation. La personne étrangère est une personne qui ne fait pas

partie du cercle des connaissances, que ce soit au sens restreint de la famille et des amis, ou au sens large de

personne que l’on connaît, comme des voisins, des clients réguliers… Cette distinction est intéressante pour

mon propos, car d’un côté elle permet de faire entrer dans la catégorie des individus au statut d’hostis toutes

les personnes non connues, et d’un autre elle permet de faire une distinction entre les travailleurs en accueil

non touristique, qui servent par exemple une clientèle locale d’habitués et les travailleurs en tourisme qui plus

généralement servent une clientèle étrangère au lieu constituée de personnes qu’ils ne reverront probablement

jamais.

Il est aussi important de souligner que l’étranger du tourisme n’est pas l’étranger-immigrant décrit par

Schutz (2003). En effet, ne cherchant à s’intégrer que le temps de sa visite, le visiteur ne cherche pas à passer

du statut de spectateur désintéressé à celui de membre possible du groupe d’accueil : jamais il ne sera un acteur

de ce groupe, dans un environnement social étranger et possiblement hostile qu’il est forcé d’interpréter à la

lumière de son propre modèle culturel. Le touriste est même souvent dans une position de force économique,

en raison de la marchandisation de l’accueil qui lui permet en général de conserver son identité. S’il est jugé, ce

sera en tant que touriste, ce qui peut avoir une connotation fortement négative (Urbain, 1993), mais qui ne

génère pas de conflit identitaire : une fois rentré chez lui, il retrouve sa routine, son milieu, ses référents culturels.

4.3.2. Reconnaissance, hospitalité et maternage : les trois dimensions de l’accueil

Faire passer l’étranger à l’intérieur du cercle des connaissances, à travers l’acte d’accueil, nécessite un certain

protocole, un ensemble de gestes plus ou moins précis qui font passer l’individu accueilli par trois stades, chacun

le faisant entrer plus profondément vers l’intérieur du cercle. Ces trois stades, ou dimensions, de l’accueil, sont

ce que Gouirand (1988) nomme la reconnaissance, l’hospitalité et le maternage22. Elles sont par ailleurs ce à

quoi s’attend le touriste lorsqu’il est accueilli.

22 Leblanc (2000b), ayant repris et opérationnalisé ces trois dimensions de l’accueil, en arrive quant à lui à la conclusion que l’acte d’hospitalité et de reconnaissance ne sont généralement pas distingués par les personnes que l’on accueille, et fusionne donc ces deux

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23

La reconnaissance – La reconnaissance doit être comprise comme l’idée de reconnaître quelqu’un ou quelque

chose en tant que « pouvant ou devant être ou ne pas être accueilli » (Gouirand, 2011, p. 60). Elle est la première

dimension de la relation de service : première en temps, c’est-à-dire dans la chronologie de l’accueil, mais aussi

première en importance, car il s’agit du « […] moment crucial où tout peut basculer dans un sens ou dans

l’autre » (Gouirand, 2011, p. 61). Plus que les autres dimensions, celle-ci constitue « l’attente majeure de celui

que l’on accueille » (Gouirand, 1988, p. 1), et sa présence ou son absence peut faire de la relation de service

un succès ou un échec, voire une situation conflictuelle.

Selon Gouirand (2011, pp. 75-79), à travers cette dimension de la reconnaissance, celui qui arrive et se fait

accueillir désire avant tout trois choses :

a) Être reconnu comme un être humain : il ne s’agit donc pas ici de se souvenir d’une personne que

l’on a déjà vu, mais de reconnaître un étranger que l’on aperçoit pour la première fois. Omettre de le

saluer, de prendre conscience de sa présence, c’est avant tout ne pas reconnaître son statut d’être

humain qui en est digne. Pire encore que de se faire rabaisser de statut socio-économique, cela

équivaut à se faire rabaisser au statut de « non-être ».

b) Être reconnu comme celui qu’on a conscience d’être : chaque personne qui se fait accueillir

possède une certaine conscience de soi, de son statut. En se faisant accueillir, chacun désire que ce

statut soit reconnu, soit respecté. Il ne s’agit pas forcément ici du statut socio-économique non plus,

mais de la conscience de soi à ce moment précis de l’accueil. C’est par ailleurs une des sources de

conflits dans la relation de service, que ce soit en tourisme ou tout autre domaine. En se faisant

accueillir, le touriste à conscience de lui en tant que tel, et en tant qu’étranger dans un environnement

possiblement hostile, et désire être accueilli selon ce statut23. Un usager d’un service public, ou un

client de grande surface aura une conscience de soi différente dans son interaction avec l’agent

d’accueil, et ses attentes en termes de reconnaissance seront bien différentes elles aussi.

c) Être reconnu comme celui que l’on désire accueillir. En se faisant accueillir, l’hôte doit sentir que

sa présence ne dérange pas, qu’il est le bienvenu et que c’est un plaisir pour celui qu’il l’accueille de

le recevoir sous son toit. Il ne suffit donc pas d’être reconnu, il faut aussi que cette reconnaissance

paraisse franche et plaisante pour celui qui reçoit, car « c’est par le désir de l’autre que l'on prend

conscience de soi et de sa propre valeur » (Gouirand, 2011, p. 79).

dimensions en une seule, qu’il nomme la reconnaissance d’hospitalité. Par souci de simplification cependant, il ne sera fait référence ici qu’à la conceptualisation de Gouirand qui éclaire suffisamment mes propos. 23 Bien sûr, le statut socio-économique entre bien souvent en ligne de compte, dans la mesure où une personne possédant de fortes ressources financières et sociales et qui fréquente un hôtel de luxe s’attendra à un certain type d’accueil en fonction de son statut, alors qu’une personne plus modeste, fréquentant un établissement avec une offre de service moins conséquente s’attendra à un accueil peut être moins protocolaire.

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24

Cette dimension de reconnaissance est donc la première et la plus importante dans l’acte d’accueil, car c’est

par elle que l’autre, le client ou l’usager, est reconnu en tant qu’être humain, que personne, qu’individu24. « C’est

cette reconnaissance qui le fait exister, qui lui donne conscience d’être lui-même, qui l’aide à se reconnaître lui-

même » (Gouirand, 2011, p.79). Il ne s’agit donc pas uniquement d’un acte de politesse : c’est aussi et surtout

un acte qui permet à l’autre de se sentir exister en tant que personne, et pas uniquement en tant que monade,

comme un individu perdu dans la masse.

Concrètement, cette dimension prend la forme d’un bonjour, d’un sourire, parfois même d’un regard, qui indique

à la personne accueillie que l’on a pris conscience de sa présence. Une poignée de main, reconnaître le touriste

et l’appeler par son nom lorsqu’il revient plusieurs fois, faire preuve de politesse et essayer de parler la langue

du visiteur sont également des pratiques qui vont faire acte de la reconnaissance du touriste. Ces gestes vont

montrer à ce dernier que l’on désire véritablement le voir, que l’on est honoré de sa présence (Leblanc, 2000b).

Ces gestes de reconnaissance sont « le moment crucial de la « consommation touristique » : « Quant au

sourire, partie intégrante du langage corporel et représentant le « geste d’accueil » par excellence, il ne saurait

ici nous laisser indifférents, tant son message peut être grand : reconnaissance, appréciation, admiration,

compréhension, satisfaction, encouragement » (Seydoux, 1983, p. 119).

À partir de ces gestes, la relation d’accueil, caractérisée et distinguée de celle de service par l’humanisation des

rapports interpersonnels, commence véritablement.

L’hospitalité – Second moment de l’accueil, celui de l’hospitalité correspond aux « attitudes et actions [qui] vont

découler de l’acceptation et de l’intégration du sujet qui aura été reconnu comme pouvant être accueilli »

(Gouirand, 2011, p. 62). Ces attitudes et ces actions, loin d’être anodines, vont permettre le changement de

statut du touriste, le faisant passer de celui d’étranger-ennemi à celui d’ami, d’hostis à hospès.

Auparavant, offrir l’hospitalité, c’était avant tout aider quelqu’un loin de chez lui pour des questions de sécurité,

l’étranger-voyageur se trouvant généralement dans des environnements hostiles. Selon Gouirand, même si

aujourd’hui cette question de sécurité n’est plus vraiment d’actualité, la plupart des destinations touristiques

étant relativement sécuritaires pour l’étranger-touriste, cette thématique n’est pas pour autant complètement

obsolète :

Celui qui se déplace de nos jours, dans une société ou un environnement qu’il ne connaît pas, court les mêmes dangers que le voyageur antique du désert. La moindre erreur peut avoir des conséquences incalculables : une démarche mal faite, un document mal rempli, une imprudence dans la rue, une adresse que l’on ne connaît pas ou que l’on ne trouve pas et même le manque d’une place de parking. Même si ce n’est pas un drame, elle fait d’un homme qui a tout

24 C’est par ailleurs ici encore la différence entre l’accueil de clients et d’usager, ainsi qu’entre les services relationnels et standardisables (Goffman, 1968), les usagers étant plus souvent considérés comme des numéros qui reçoivent un service standard (dans le cas des administrations par exemple) ou un public (c’est le cas des artistes), là où les services relationnels s’adressent à des individus traités comme des « clients ».

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matériellement pour être heureux, un être anxieux et malheureux. […] Être hospitalier aujourd’hui, c’est aider l’étranger à survivre dans la jungle moderne de nos villes et de notre organisation (Gouirand, 2011, p. 94).

Après avoir été reconnu en tant que touriste, ce dernier désire donc se voir offrir une hospitalité garante de sa

sécurité physique et de sa tranquillité d’esprit. Pour cela, il désire être accepté, « […] être intégré au groupe,

faire partie du clan » (op.cit. p. 95). Bien que généralement factice, cette intégration à la communauté visitée

n’est pas moins garante du plaisir du touriste : chacun sait, visiteur comme hôte ou population d’accueil, que

l’authenticité de leur relation et des évènements qui agrémentent le séjour touristique est le fruit d’une mise en

scène (staged-authenticity), mais cela n’empêche pas le sentiment d’intégration et de plaisir du touriste

(MacCannell, 1999).

En offrant l’hospitalité au touriste-étranger, « le commerçant et plus spécialement l’hôtelier vont prendre en

charge celui qu’ils ont reconnu comme étant leur client et à ce titre lui conférer des droits et agir avec lui selon

un ensemble de rites commerciaux connus depuis toujours » (Gouirand, 2011, p. 62). Dès lors, l’hospitalité

devient un « ensemble de droits, devoirs et avantages dont va jouir l’étranger anonyme à qui la reconnaissance

a conféré un nouveau statut » (Gouirand, 2011, p. 63). Ainsi, au même titre que le professionnel de l’accueil est

censé être soumis à une licence et des mandats, le touriste est lui aussi assujetti, à travers l’acte d’hospitalité,

à ces deux concepts. L’hospitalité dans l’accueil touristique semble donc être le point central de la définition des

droits, devoirs et avantages des travailleurs, et donc de la licence et du mandat, aussi bien des visiteurs que

des hôtes d’accueil.

Dans les pratiques, l’hospitalité va se traduire par des gestes simples montrant à l’hôte que celui-ci est bienvenu.

Il s’agira alors de s’intéresser à lui, de l’aider à régler ses problèmes, de le mettre à l’aise pour discuter, ou

encore de lui offrir un cadeau, de lui montrer qu’il a de l’importance et de le traiter comme quelqu’un de la famille

(Leblanc, 2000b). Ces gestes d’hospitalité vont montrer au touriste qu’il est reconnu pour ce qu’il est – sans le

préjugé généralement négatif qui accompagne cette notion (Urbain, 1993) – mais aussi que sa présence est

appréciée, désirée, recherchée. Cette « notion d’hospitalité se traduit par le sentiment d’appartenance »

(Gouirand, 1988, p. 1), appartenance à la communauté, lorsque le visiteur est traité comme on traite un membre

de sa propre famille.

Le maternage – Troisième et dernière dimension indispensable à l’accueil, le maternage est la « conséquence

directe de l’appartenance » (Ibid.), ainsi que la matérialisation des droits, devoirs et avantages du visiteur : après

avoir été reconnu comme être humain et s’être vu offert l’hospitalité, celui-ci espère voir se concrétiser son

sentiment d’appartenance à la société visitée, notamment à travers sa prise en charge par ses hôtes d’accueil.

C’est donc le moment où le visiteur est véritablement pris en charge par celui qui l’accueille : il « […] guide son

client, lui donne des conseils, l’aide à choisir » (Gouirand, 2011, p. 63). Cela ne nécessite normalement pas de

grandes dépenses en énergie ou en ressources : il s’agit uniquement d’offrir à celui que l’on accueille ce dont il

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a besoin, ce qu’il désire : « le maternage de l’accueil est la volonté de veiller à ce que celui qui est accueilli ait

ce dont il a besoin : ce peut être un toit, un repas ou un mot aimable, ce qui bien souvent est le plus important »

(Gouirand, 2011, p. 99). Cela se concrétise par la résolution des problèmes, la mise hors de danger du visiteur :

« le maternage joue un rôle de cloison perméable mais filtrante entre la réalité, dure, agressive et sans pitié, et

le cocon familial doux, rassurant, sécurisant. L’être materné n’est en contact qu’avec le bon côté de la vie.

Toutes les difficultés lui sont évitées […] » (Gouirand, 1988, p. 2).

La meilleure illustration du maternage est celle des clubs de voyages ou des hôtels tout inclus : ici le touriste est

entièrement pris en charge dès son arrivée, parfois même avant. Il n’a pas à se soucier de se loger, se nourrir,

les choix de visites et de sorties sont faits pour lui. Coupé de la dure réalité de l’extérieur25, il ne risque rien, est

entièrement materné par ses hôtes. Sans aller jusqu’à ces extrêmes, le maternage est présent dans de

nombreux aspects de l’accueil, quand un bagagiste se charge de nos affaires à l’hôtel, quand un réceptionniste

s’occupe de nous réserver un billet de bus ou nous réserve une place pour un spectacle, lorsque le serveur du

restaurant nous appelle un taxi et lui explique où nous désirons aller parce que nous ne parlons pas la langue

locale, etc.

Cependant, le maternage est aussi parfois source de conflits, principalement en cas d’abus de la part de

l’accueilli, qui peut penser que cet état est un dû. C’est alors ce que Gouirand appelle la « dictature de l’accueil »

(2011, p. 101), lorsque les touristes exigent de leurs hôtes, voire de la population locale, que tout soit arrangé

afin de satisfaire à leurs besoins. Cette situation arrive notamment dans des endroits hautement touristiques,

tellement organisés pour l’accueil de touristes que le moindre manquement peut engendrer un conflit, le

maternage étant au final le principal service attendu et un devoir pour les hôtes d’accueil.

4.4. L’accueil, un acte volontaire et gratuit?

Reconnaissance, hospitalité et maternage sont indissociables : s’il une seule vient à manquer, alors il n’y a plus

d’accueil, uniquement une relation de service tel que décrit plus haut. L’accueil nécessite un certain engagement

de la part de l’hôte d’accueil, une certaine vocation à accueillir et aussi à aider l’étranger, une volonté de lui faire

passer un temps agréable et de le faire entrer dans le cercle des connaissances. On pourrait donc penser que

cet accueil et la notion d’hospitalité antique qui l’encadre ne sont plus véritablement possibles dans un contexte

de marchandisation de l’offre touristique. Étant un gage de qualité (LeBlanc, 2000a ; De Grandpré et al., 2012),

l’accueil n’est en effet plus accessoire, mais central, et donc de volontaire il passerait à forcé. C’est par exemple

le cas dans de grands hôtels comme le Ritz-Carlton qui imposent à leur personnel un certain standard en termes

d’accueil et de maternage (Partlow, 1993). Celui-ci fait partie du mandat explicite des employés de ces chaînes

25 Cet excès de maternage est par ailleurs largement critiqué par le courant matérialiste, qui dénonce les touts inclus, clubs de vacances et autres centres de villégiatures comme des espaces d’hyperréalité, des espaces de simulacres et de simulation (Baudrillard, 1981; Boorstin, 1971; Eco, 1985).

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d’hôtels, et tout manquement est passible de licenciement ou de mise à pied. Même chose dans les tout-inclus

et les clubs de vacances, qui forment leurs personnels à l’accueil, avec des standards en termes de façon de

s’adresser aux clients, de postures et de sourires.

Toutefois, l’accueil n’est pas antinomique de l’hospitalité commerciale. Et si certaines chaînes hôtelières, par

exemple, ont standardisé l’accueil, il ne faut pas perdre de vue que la majorité des entreprises touristiques sont

des commerces qui emploient un nombre réduit de personnel : au Québec en 2011, 57% des entreprises

touristiques étaient des entreprises familiales et presque toutes sont des établissements uniques26, et donc

possiblement sans politique officielle ni formation concernant les façons d’accueillir la clientèle. Dès lors, chacun

est libre de choisir27 entre une relation de service plus ou moins standardisée ou ce que l’on peut appeler une

relation d’accueil : servir le client sans dépasser les prérogatives exigées par les aspects techniques du travail,

ou bien profiter de l’échange en face à face avec le client pour lui proposer une expérience plaisante, en prendre

soin et lui offrir plus qu’un service, une sorte de réminiscence de l’accueil antique.

5. Hypothèses et limites

5.1. L’hospitalité comme « clé de voûte » de l’expérience du travail en tourisme

La question de l’accueil en tourisme est donc centrale pour une meilleure compréhension des individus qui

travaillent dans ce secteur : on ne peut comprendre l’expérience de travail en tourisme sans tenir compte de cet

aspect relationnel, car il est à la base non seulement de ce que vit le travailleur en tourisme, mais aussi de

l’expérience touristique dans son ensemble. L’hospitalité est au fondement même du tourisme, faisant de cet

hostis, cet étranger-ennemi, possiblement hostile et dangereux, un hospès, un hôte, une personne que l’on

accueille et que l’on intègre à la communauté. Sans hospitalité, il ne saurait y avoir d’accueil touristique, tout au

plus des voyages qui perdraient de leur signification, car il n’y aurait personne pour expliquer les lieux, les

coutumes, les cultures, l’histoire. À travers l’acte d’accueil, les travailleurs en accueil touristique ne font pas

qu’offrir aux touristes des services tels que le gîte et le couvert, ou encore vendre des souvenirs ou proposer

des transports : ils sont des informateurs, et même les premières sources d’informations pour les visiteurs, car

ils sont présents tout au long de l’expérience des touristes : à l’hôtel, au restaurant, dans les boutiques, dans

les différentes excursions. Ils sont en première ligne en ce qui concerne le passage d’informations des lieux

visités, et sont ce que l’équipe M.I.T. appelle des passeurs d’altérités (M.I.T., 2002), des agents d’interprétations

de la culture locale et ils véhiculent cette culture, la transmettent aux visiteurs.

26 Portrait synthèse des entreprises touristiques – secteur hébergement, loisir et transport, tourisme Québec, juin 2014 (https://www.tourisme.gouv.qc.ca/publications/media/document/etudes-statistiques/portrait-synth-entreprises-tour.pdf), consulté le 16 janvier 2017. 27 Cette liberté de choix est toutefois limitée en situation de marché et de concurrence, puisque la qualité de l’accueil détermine en partie le revenu voire la survivabilité d’une entreprise.

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Mais ce passage d’altérité, cette volonté de faire entrer le visiteur à l’intérieur du cercle, de le materner, de

l’informer, de lui faire plaisir n’est pas forcément complètement volontaire, et peut être contrainte par le contexte

économique, le modèle organisationnel les prérogatives de travail, au moins dans certaines entreprises. Dès

lors, un constat s’impose à nous, et sur ce constat repose une autre hypothèse : bien que certains travailleurs

en accueil touristique fassent ce que l’on pourrait appeler une sorte de maternage forcé, il existe une part de

ceux-ci qui prennent plaisir à offrir l’hospitalité aux touristes, à les accueillir, à les aider, les informer, les

materner. Et loin d’être anodine, cette considération est cruciale pour la compréhension de l’engagement en

tourisme et de la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique.

5.2. Rapport aux autres et culture professionnelle

Pour aller plus loin encore dans la réflexion, je pense également que le rapport aux autres, et plus précisément

aux touristes, est central dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique. Celle-ci ne se

traduirait donc pas tant à travers les aspects techniques du travail en tourisme, que par le type de clientèle

servie – ici des personnes en situation de secondarité – et par l’importance accordée à l’accueil.

Dans la mesure où le tourisme est un milieu où les conditions de travail sont relativement précaires, en raison

de la saisonnalité, des horaires coupés, du travail de soir et en fin de semaine, des salaires relativement bas et

du manque de protection sociale, je pense donc que les personnes qui s’engagent dans ce domaine recherchent

autre chose que les attraits économiques.

Partant du principe que le travail en accueil touristique demande généralement peu de compétences

techniques28 puisqu’il s’agit bien souvent de travaux non qualifiés, que les salaires sont relativement bas, mais

que les emplois touristiques – comme tous les emplois en services à la clientèle – demandent de fortes habiletés

sociales (Whyte, 1946), j’émets ici l’hypothèse que la dimension sociale du travail 29 est celle qui est la plus

exigeante pour ce type de travailleurs. Dès lors, je pose le postulat que le rapport aux autres, et donc la notion

d’accueil, est au centre de la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique.

5.3. Limites : généralisation des résultats et « gratuité » de l’accueil

Avant de présenter la place du lieu dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil, je pense qu’il est

important de préciser qu’à mon avis, le lieu touristique joue un rôle central sur la nature de l’accueil et sa

28 Loin de moi la prétention ici de dire que travailler en accueil est à la portée de tout le monde et que cela ne nécessite aucune compétence, mais juste que le niveau de technicité requis n’est pas élevé, par rapport à certains métiers qui nécessitent de longues formations. Pour avoir travaillé en service plusieurs années, je sais que ce genre d’emplois requiert tout de même certaines compétences, et qu’ils ne sont pas à la portée de tout le monde, notamment en termes d’habiletés relationnelles. 29 Cette hypothèse renvoie notamment à la figure de l’homo-sociologicus présentée par Paugam (2007), qui repose sur l’affirmation de soi au travail à travers les relations sociales et l’importance accordée aux relations humaines, tout autant que le sentiment s’appartenance. Cette figure s’oppose par ailleurs à l’homo-faber (réalisation de soi à travers l’expertise technique, le sentiment d’utilité lié l’accomplissement d’une tâche) et à l’homo-oeconomicus (le rapport utilitaire au travail, avec une grande importance de celui-ci comme ressource financière).

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29

centralité pour les travailleurs. Ainsi, il est important de préciser que les résultats de ce mémoire concernant la

place de l’accueil ne prétendent pas à une validité en tout lieu. Dans un lieu différent, la place de l’accueil pourrait

être complètement différente elle aussi. Ainsi, si l’on prend un lieu comme une station de ski, au lieu d’avoir un

groupe professionnel lié par une culture centrée autour de la notion d’accueil comme je le postule ici, il est

probable que l’on retrouverait plutôt ce que j’appellerais une « communauté de pratique ». Dans ce cas de figure,

je pense que la culture professionnelle serait moins centrée sur l’accueil, les touristes étant secondaires – voire

même en situation de conflit d’usage du lieu touristique – par rapport à la pratique sportive. Il est donc important

de préciser qu’en l’état actuel de la recherche, les propos tenus ici concernant la centralité de l’accueil dans la

culture professionnelle des travailleurs en tourisme ne prétendent pas à l’universalité, mais s’appliquent d’abord

au Vieux-Québec, et éventuellement aux lieux dont la vocation est d’offrir un espace de découverte, comme

c’est le cas ici et dans la plupart des villes touristiques, nous le verrons dans la prochaine partie.

Une seconde limite tient à la généralisation du caractère gratuit du maternage, tel que présenté plus haut. Le

tourisme reste une activité marchande, et en tant que telle, la relation de service qui le caractérise est une

relation marchande elle aussi. En l’occurrence, au Québec, et même dans toute l’Amérique du Nord, le service,

notamment en restauration, est fortement rémunéré par les pourboires, ce qui pose un biais important

concernant la « gratuité » de l’acte d’accueil et à plus forte raison du maternage. On m’objectera alors que la

présentation du maternage est par trop « romantique », trop idéale pour prendre place de cette façon. Nous

verrons qu’entre la prestation totale antique et la relation marchande moderne, il existe une autre façon de

qualifier l’accueil touristique. Sans être totalement inclusive et gratuite, la relation de service en tourisme n’en

reste pas moins une source de reconnaissance et de satisfaction, aussi bien pour les visiteurs que pour les

travailleurs de l’accueil, qui ne se limite pas à un échange marchand.

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30

CHAPITRE 2 : LE LIEU TOURISTIQUE

Bien que l’accueil soit central dans la relation de service en tourisme, je ne pense pas que ce concept permette

à lui seul d’expliquer en quoi consiste la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique. Nous

l’avons vu, l’accueil touristique est particulier en raison de la nature de la clientèle, une clientèle touristique qui

a des attentes bien particulières et que les travailleurs en accueil ont le mandat plus ou moins explicite

d’accueillir « comme il faut ». Mais, clientèle mise à part, le cadre de l’activité professionnelle est à mon avis

tout aussi central. Ce qui signifie que tout autant que l’accueil, il faut se poser la question de la place que prend

le lieu touristique dans l’exercice d’une profession touristique, et partant dans la culture professionnelle des

travailleurs en accueil touristique. Car, en effet, « le tourisme est assurément affaire de lieux, de lieux rêvés et

imaginés, de lieux habités et pratiqués ; il constitue l’une des modalités inventées par les hommes pour passer

d’un registre à l’autre, c’est-à-dire du rêve à la réalité, mais aussi du quotidien au hors quotidien » (Knafou,

2012, p. 10).

C’est donc le travail en tourisme dans son rapport au lieu que nous allons présenter dans cette partie, en nous

intéressant d’abord à la définition d’un lieu touristique. Nous verrons ensuite qu’il existe différents types de lieux,

qui suggèrent notamment différentes pratiques, ce qui peut avoir une certaine influence sur la représentation du

lieu et sur ses usages, et donc sur sa place dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil. Pour

terminer, afin de mieux cibler notre étude, nous verrons les spécificités du Vieux-Québec dans sa structure à la

fois physique et démographique, ainsi que dans son offre touristique. Tout cela nous éclairera sur la nature

particulière du lieu touristique, qui n’est pas vraiment un lieu comme les autres, et nous permettra de mieux

saisir son importance dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique.

1. Les travailleurs en tourisme dans leur rapport au lieu

Une étude sur le tourisme ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le lieu, et sur le rapport

qu’entretiennent les acteurs du tourisme avec le lieu touristique, qui est au centre de toute activité touristique.

Et cette centralité du lieu touristique, si elle est assez bien documentée du point de vue des touristes, fait

pourtant relativement défaut lorsqu’il s’agit de réfléchir l’autre pendant du tourisme, celui de l’offre, celui du

travail et des gens qui vivent du tourisme.

Mais comment rendre compte alors du rapport que peuvent entretenir les travailleurs en accueil touristique avec

le lieu, quel angle adopter? La première chose est à mon avis de réfléchir au lieu touristique en tant que tel,

indépendamment de toute relation que les travailleurs peuvent entretenir avec. Donc la première question qui

se pose vraiment est : qu’est-ce qu’un lieu touristique?

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1.1. Morphologie, physiologie et valence territoriale.

Une approche intéressante pour comprendre ce que sont les lieux touristiques est de considérer, à la suite

d’Halbwachs et de Mauss, l’espace social comme un corps composé de différentes parties en interaction. Il faut

donc considérer ces lieux en tenant compte d’un côté de leurs caractéristiques matérielles, leur morphologie, et

de l’autre le rapport de ces lieux avec le reste de l’ensemble urbain, leur physiologie (Halbwachs, 1968 ; Raulin,

2007 ; Stébé & Marchal, 2010).

Morphologie sociale – d’abord utilisé par Durkheim puis développé par Halbwachs, le concept de morphologie

sociale « […] a pour objet d’étudier le « corps matériel », la grandeur ou le volume, la figure spatiale, la densité

des groupes, leurs changements de formes et leurs mouvements dans l’espace […] » (Halbwachs, 1972, cité

par Raulin, 2007, p. 82). Il s’agit donc du cadre à la fois social et matériel de l’espace, considérant celui-ci

comme un corps, chaque partie ayant ses particularités, ses attributs. Certains auteurs comme Raulin (2007)

ont par la suite développé ce concept pour l’étude particulière des formes urbaines, ce qui permet de rendre

compte de « la composition des groupes sociaux, leur distribution territoriale, la nature des équipements, les

souvenirs attachés à tel ou tel lieu comme autant de « facteurs actifs » qui vont affecter les conditions de mise

en œuvre des actions humaines » (Stébé & Marchal, 2010, p. 35). Il s’agit donc ici d’étudier la structure d’un

lieu urbain, son architecture, ses infrastructures et ses commerces, ainsi que la densité de population ou encore

la structure socioprofessionnelle des différents quartiers. À travers ce concept de morphologie urbaine,

« l’espace matériel apparaît […] comme un cadre qui unifie le groupe social en contribuant à stabiliser non

seulement sa mémoire propre mais aussi, d’une façon plus large, son identité » (Stébé & Marchal, 2010, p. 38).

Physiologie urbaine – complémentaire à la morphologie, la physiologie urbaine s’intéresse à la façon « dont

les citadins habitent une ville », et notamment comment ceux-ci se déplacent dans la ville, comment ils passent

d’un quartier à un autre, d’un cadre matériel et social à un autre. Selon Raulin (2007), « […] cette circulation ou

ces déplacements ne sont pas anodins : ils reflètent l’extrême interdépendance qui existe entre les différentes

parties de ce corps » (p. 84). La physiologie urbaine rend donc compte de l’espace dans son aspect cinétique,

dans sa relation avec les autres espaces de l’agglomération, ainsi que des mouvements qui s’opèrent dans et

entre ces lieux. Ce concept « désigne toutes les formes d’interdépendance entre les différents secteurs urbains,

en termes de perception ou de fonction, prenant acte du fait qu’un secteur ne peut se qualifier qu’en relation à

un autre » (Raulin, 2007, p. 208).

Valence territoriale – la morphologie et la physiologie des espaces urbains marquent leur valence territoriale30

des espaces urbains, à savoir le « caractère d’attraction ou de répulsion qu’un quartier ou secteur urbain

présente et qui influe sur sa fréquentation, sa réputation, sa valeur foncière » (Raulin, 2007, p. 208). Chaque

30 En psychologie, le terme valence est utilisé pour désigner la « propriété d’un stimulus ou d’un objet qui fait qu’il est recherché ou fui, ou encore ressenti comme plaisant ou déplaisant », (Bloch, 1997, p. 1358).

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32

quartier ayant ses caractéristiques morphologiques et physiologiques, les individus ont une représentation des

lieux, des quartiers, qui s’exprime en termes d’attraction ou de répulsion. Ainsi, certains quartiers sont

recherchés alors que pour d’autres, tout est mis en œuvre pour les éviter, jusqu’à faire des détours pour ne pas

avoir à y mettre les pieds, ou encore certains lieux seront appréciés dans des occasions précises, alors que

d’autres seront fréquentés quotidiennement. La valence territoriale est donc la valeur accordée aux différents

quartiers d’une ville, en fonction des sensations de bien-être ou de mal-être qui lui sont associées.

L’intérêt de ces trois concepts – morphologie, physiologie et valence – est qu’ils permettent de rendre compte

de l’expérience de travail en tourisme en milieu urbain, dans la mesure où celle-ci prend corps dans un espace

particulier, le lieu touristique, qui est généralement entièrement voué au tourisme. Partant de l’hypothèse que le

rapport au lieu touristique est un élément central dans cette expérience et dans la culture professionnelle des

travailleurs en accueil touristique, il est donc nécessaire de comprendre comment cet espace s’agence avec le

reste de la ville, ainsi que la manière dont il est perçu et vécu par cette population. D’autant plus qu’à mon avis,

l’expérience de travail en tourisme ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise.

1.2. Des entreprises touristiques intégrées au lieu

La morphologie d’un espace urbain prend en considération les différentes infrastructures du lieu ainsi que ses

commerces. Dans cette perspective, l’entreprise touristique fait partie du lieu touristique, espace de sens et

d’interaction partagé par les travailleurs. De plus, et contrairement à des espaces de travail fermés sur eux-

mêmes comme une usine ou un immeuble de bureaux, les entreprises touristiques sont des lieux ouverts sur

l’extérieur, d’autant plus qu’ils ont besoin d’une certaine visibilité pour attirer la clientèle31. Dès lors, sortir du

milieu de travail « direct », à savoir celui de l’entreprise, plonge dans ce que ce qu’on pourrait appeler le milieu

de travail « indirect », celui du quartier touristique, qui est un espace partagé à la fois par le résident, le visiteur

et le travailleur, chacun ayant son usage du lieu, et possiblement ses représentations et son rapport identitaire.

Les commerces de souvenirs, les restaurants thématiques, les hôtels, les évènements, les spectacles de rue,

toutes les infrastructures et les entreprises touristiques participent également à créer une « ambiance

touristique » à l’échelle du quartier. En croisant, en sortant du travail, une population touristique provenant de

diverses régions du monde ou de milieux socio-économiques variés, en traversant cette ambiance particulière

liée à l’omniprésence du tourisme, les travailleurs en tourisme ne sortent pas vraiment de leur cadre de travail

en sortant de l’entreprise. De surcroît, le lieu touristique permet éventuellement au travailleur de rester au même

endroit pour ses activités extra-professionnelles, comme aller prendre un verre, faire les magasins, ou encore

dans certains endroits comme les stations de ski ou balnéaires, faire du ski ou du surf, et de se mêler à la

population touristique une fois son travail terminé. En prolongeant, en quelque sorte, l’expérience de travail en

31 Nombreux sont par exemple les restaurants qui emploient des hôte(sse)s d’accueil, dont le rôle est de rester à l’entrée pour attirer les clients en leur présentant le menu.

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33

dehors des murs de l’entreprise, le rapport au le lieu touristique est donc potentiellement un élément important

dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil.

1.3. La monofonctionnalité du quartier urbain

Aborder le rapport au lieu touristique en termes de morphologie, physiologie et valence territoriale est d’autant

plus pertinent si l’on considère, à la suite de Rémy et Voyé, que l’agglomération32 – ici la ville de Québec – dans

laquelle se trouve le lieu touristique est un espace fragmenté, fractionné en différents quartiers plus ou moins

spécialisés. En effet, l’urbanisation qui a suivi l’industrialisation – « définie comme un processus intégrant la

mobilité spatiale à la vie quotidienne » (Rémy et Voyé, 1992, p. 59) – a entraîné une monofonctionnalisation

des quartiers urbains : les quartiers se sont diversifiés et spécialisés, rendant les fonctions d’habitations

spécifiques à des secteurs particuliers de la ville, alors que les fonctions de travail ou d’amusement se retrouvent

dans d’autres quartiers, chacun offrant un type d’activité privilégié. Ainsi, « ces divers phénomènes de

spécialisation de l’espace rendent la mobilité spatiale nécessaire pour ceux qui veulent utiliser les différents

équipements » (Op.cit., p. 84).

Dans un contexte urbain, le lieu touristique a une place particulière puisqu’il se retrouve séparé du reste de la

ville et de la quotidienneté des citadins. Et cette séparation est autant symbolique qu’elle peut être spatiale, car

il existe de nombreux cas, comme à Québec, où le lieu touristique est un lieu à part de la ville, un lieu dans

lequel on « entre », à la fois physiquement et symboliquement. Dans le cas de Québec cet acte d’entrer dans

l’arrondissement historique – principal quartier touristique de la ville – est ainsi grandement symbolisé par le

passage des fortifications en Haute-Ville. Cette rupture symbolique se concrétise également à travers le mode

d’être dans les lieux : aux lieux de primarité, voués au sérieux, à la réalisation de tâches essentielles telles que

travailler, dormir, s’opposent dans la ville urbanisée des lieux de secondarité, c’est-à-dire des lieux voués au

jeu, à l’amusement, au rejet, en quelque sorte, du sérieux du quotidien (Rémy, 1994). Les lieux touristiques font

partie de ces espaces de secondarité pour Rémy, car ce sont des endroits où vont les touristes pour fuir la

quotidienneté.

2. Présentation du lieu touristique

Comprendre la structure d’ensemble dans laquelle s’insère le lieu touristique ne permet pas encore de rendre

compte de ces espaces ni de saisir l’importance qu’ils peuvent avoir dans la culture professionnelle des

travailleurs en accueil touristique. D’autant que les lieux touristiques ne sont pas forcément tous identiques, ne

proposent pas les mêmes activités, le même cadre, ni le même rapport au lieu. C’est pourquoi il importe de

32 Pour Rémy et Voyé, l’agglomération « […] suppose un espace à forte densité d’habitat, dont on définit la périphérie mouvante, à partir des rythmes de croissance, cette périphérie se développant, en chiffres relatifs, plus rapidement que les zones intérieures de l’agglomération et plus rapidement aussi que les zones qui lui sont extérieures. Ainsi considérée, l’agglomération devient une unité de base pour comprendre la dynamique de distribution interne des activités et des populations. » (Remy & Voyé, 1992, p. 69).

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présenter plus précisément ce qu’est un lieu touristique, en commençant par les représentations dont il peut

être l’objet.

2.1. Trois grands types (et représentations) de l’espace touristique

Un espace touristique est un « lieu créé ou investi par le tourisme et transformé pendant au moins un temps par

la présence de touristes » (M.I.T., 2002, p. 300). À l’origine, il s’agissait de lieux choisis par les voyageurs issus

de l’élite urbaine européenne durant le Grand Tour britannique, ainsi que par les voyageurs « romantiques ».

D’ailleurs, le rôle de ces derniers « fut […] considérable pour identifier les lieux remarquables, les lieux « beaux »

(Duhamel, 2003, p. 60), et donc les lieux à visiter. D’abord lieux naturels, historiques ou culturels, de nombreuses

infrastructures se sont ajoutées avec le temps, et le tourisme, devenu une pratique de plus en plus populaire,

transforma l’espace pour pouvoir accueillir un nombre croissant de visiteurs33. Et alors que certains lieux se sont

transformés et adaptés au tourisme, certains ont été créés de toutes pièces pour accueillir une population

touristique. Aujourd’hui encore, de nombreux pays, de nombreuses régions et de nombreuses villes à travers le

monde continuent de modifier certains lieux ou de créer de nouveaux espaces pour attirer les visiteurs du monde

entier et leurs devises.

Pratique issue de l’urbanité, le tourisme participe grandement à véhiculer celle-ci à travers le monde. En

s’imposant à travers le monde, le tourisme transforme les espaces en leur donnant la plupart des attributs des

milieux urbains (Stock & Lucas, 2012). Les lieux touristiques sont pensés pour accueillir une population

principalement urbaine, et donc agencés de la même façon que la plupart des espaces urbains. Ainsi plusieurs

types de lieux touristiques ont vu le jour depuis les origines du tourisme, et chaque type est associé à une

représentation plus ou moins négative.

2.1.1. L’enclave touristique

Pour certains auteurs affiliés aux courants matérialistes et poststructuralistes (Harvey, Boorstin, Baudrillard,

Eco, etc.), les lieux touristiques sont généralement considérés comme des enclaves, des lieux fermés dans

lesquels tout est mis en œuvre pour décourager le touriste d’en sortir, et surtout pour l’encourager à consommer.

Ces lieux sont pour eux tous identiques, copiés selon le même modèle et offrant partout à travers le monde les

mêmes décors, les mêmes services, le même environnement (Harvey, 2011; Sorkin, cité par Judd, 2003, p. 23).

Bien qu’il s’agisse là d’une conception particulière des lieux touristiques, liée à une critique du capitalisme et de

la postmodernité, ces enclaves existent bel et bien et se sont développées aux États-Unis en raison d’une

criminalité élevée durant la seconde moitié du 20° siècle, et de la volonté de certains « maires-messies » de

rendre leurs villes attractives (Judd, 2003). Grâce à des investissements à la fois publics et privés, ils auraient

33 Pour une histoire plus approfondie du tourisme, je renvoie ici aux ouvrages de Marc Boyer (2011), Saskia Cousin et Bertrand Réaud (2009), ou encore John Urry (1990).

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alors agencé des espaces sécuritaires pour ces populations, autour d’infrastructures telles que les fronts de

mer, les centres de congrès ou les grands centres commerciaux, sortes d’espaces « fortifiés », ilots de sécurité

que l’on retrouve même dans les villes les plus criminalisées.

Ces espaces sont généralement considérés comme des « prisons dorées » dans lesquelles les touristes se font

présenter une réalité déformée, une hyperréalité propre à la civilisation moderne occidentale, surtout aux États-

Unis où par souci de performance et de consommation on essaierait toujours d’offrir plus au détriment du vrai

(Eco, 1985). Ce sont donc des lieux simulés (Baudrillard, 1981), construits pour la consommation en raison du

conditionnement total de l’espace – tout est accessible à un seul endroit – et du temps – l’espace est agencé

de telle manière que l’on ne voit pas le temps passer, par exemple - qui donnent en représentations des

évènements qui ne sont qu’un reflet de la réalité, des pseudo-event34 (Boorstin, 1971). Ces évènements mettent

en scène une authenticité factice, qui n’est que le reflet des cultures locales adaptées aux attentes des touristes,

plutôt que la véritable culture qu’ils viennent pourtant visiter (MacCannell, 1999).

Le modèle de ce type de lieux touristiques est par exemple la ville de Las Vegas aux États-Unis, ou encore les

clubs de vacance du genre Club Méditerranée, qui sont des espaces fermés, uniformisés, orientés vers la

consommation des touristes.

2.1.2. Le Central Tourist District (CTD)

Cette conception des lieux touristiques comme des enclaves ne fonctionne cependant pas dans toutes les

situations. Ainsi, au lieu de considérer les quartiers touristiques comme des espaces entièrement clos et

contrôlés, l’équipe Mobilité, Itinéraires, Territoires (M.I.T.) en France montre au contraire comment le tourisme

fait partie d’une urbanité nouvelle, participant à la redéfinition de la ville et de ses usages. Dans cette

configuration, le tourisme et les touristes n’évoluent pas forcément dans des enclaves, mais plutôt dans ce que

Duhamel et Knafou appellent des Central Tourist District (CTD), en référence au Central Business District (CBD)

que l’on trouve dans toutes les grandes villes. Selon ces auteurs,

Le CTD peut ne pas être constitué d’un lieu unique et ne pas se présenter sous une forme compacte : l’espace touristique central est généralement beaucoup plus étalé, voire plus étiré selon une direction dominante. Le CTD présente aussi la spécificité de ne pas être identifiable par un paysage spécifique (la forêt de tours pour le CBD), mais de devoir son identité à la présence significative et donc aisément repérable des touristes. Autrement dit, le CTD est avant tout l’espace des pratiques affirmées, qui cumule lieux de visite, de déambulation, d’achat, de restauration et, pour partie de résidence (Duhamel & Knafou, 2007a, p. 49).

34 Le terme de pseudo-event renvoie à une mise en scène d’évènements supposément traditionnels ou historiques, simulés pour une population désireuse de vivre l’expérience de l’altérité et de l’aventure sur commande, tout en restant en sécurité, sans sortir de leur zone de confort : « [le touriste américain] croit que l’exotisme comme la banalité peuvent surgir à la demande ; que des vacances à proximité de chez lui vont lui fournir le charme du Vieux-Monde et qu’à l’opposé, en choisissant les hôtels appropriés, il pourra jouir au cœur de l’Afrique du même confort que chez lui » (Boorstin, 1971, p. 128).

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Ici, le quartier touristique n’est plus « exclusif » au tourisme. Il est la partie centrale dans laquelle prennent place

les activités touristiques, mais le touriste n’y est pas enfermé. Il a au contraire la liberté de – et est même parfois

encouragé à – déambuler dans le reste de la ville. La fonction de consommation, bien qu’elle ne soit pas absente,

n’est pas centrale dans cette conception du quartier touristique. Ce qui l’est, c’est le regroupement de touristes

et de pratiques touristiques, qui donne son identité au lieu. Ce qui fait que ces lieux deviennent touristiques vient

donc plus de la « vocation » ou des « suggestions » du lieu, de sa nature et de ses attraits que d’une volonté

toute mercantile et capitaliste, même si cette dimension ne peut être niée. Par exemple, dans le cas des villes

touristiques, c’est la redécouverte du patrimoine, le goût pour la modernité et la participation aux évènements

qui entraîne une mise en tourisme de ces lieux (Duhamel & Knafou, 2007a). Le tourisme s’est « inséré » comme

fonction secondaire de la ville, et ce processus ne répond pas forcément à une volonté pernicieuse de contrôle

des masses touristiques, mais bien plus de mise en valeur touristique en vue de rendre la ville attractive et de

répondre aux attentes d’une société pour laquelle ces espaces font partie des impératifs d’une vie qui s’affirme

aussi en dehors de la sphère du travail35.

Ce type d’espaces touristiques se retrouve surtout dans des villes historiques comme Paris, Rome ou Berlin,

qui n’ont pas vraiment de quartier fermé, d’enclaves touristiques. Le tourisme s’y génère en fonction de l’attrait

de certains lieux historiques et se retrouve en divers endroits de la ville, par exemple le long de la Seine à Paris,

sur la colline Montmartre, etc.

2.1.3. La bulle touristique

Ces deux représentations de l’espace touristique, l’une très critique et l’autre bien plus réservée, ne permettent

pas de rendre compte de toutes les configurations, et surtout ne s’adaptent pas vraiment à des villes comme

Québec. Pour cela, il existe une troisième représentation du lieu touristique qui est celle de la bulle touristique

(Remy, 1994), ou touristic bubble (Judd, 2003), qui rend compte du caractère pernicieux du phénomène

d’enclave, mais considère malgré tout l’espace touristique urbain comme un lieu en contact avec le reste de la

ville, et rend donc un peu plus compte de la physiologie urbaine. Ici le quartier touristique est isolé du reste de

la ville, mais il reste en contact avec elle, et les individus, les touristes, sont entièrement libres, voire encouragés

à en sortir pour aller visiter les autres quartiers, qu’ils soient espaces résidentiels, professionnels ou

commerciaux. Cette image de la bulle offre une vision plus perméable de l’espace touristique qui encourage le

touriste à quitter le confort et la sécurité de cette zone pour s’aventurer dans les endroits de la ville

principalement fréquentés par les locaux, du moins en certains endroits.

Malgré tout, Judd insiste sur l’importance de ce qu’il nomme la régulation dans l’agencement touristique des

villes, que ce soit la « (1) régulation des visiteurs pour protéger la ville ; (2) régulation de la ville au bénéfice des

35 Pour ce propos, je renvoie aux travaux de Dumazedier sur la société des loisirs (Dumazedier, 1962).

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visiteurs et de l’industrie du tourisme ; (3) régulation du marché de l’emploi au bénéfice du capital, de l’emploi

et du lieu ; et (4) régulation de l’industrie au bénéfice du lieu, des consommateurs et de l’emploi » (Judd, 2003,

p. 242). Il s’agit donc ici d’une conception très gestionnaire du quartier touristique, une façon de concevoir

l’espace de manière rationnelle, et de considérer le lieu touristique comme un lieu de consommation, un espace

de marché et de régulation, aussi bien de l’industrie que des populations.

Rémy, quant à lui voit dans ces bulles des lieux de secondarité, des lieux dédiés au jeu, à l’amusement et au

plaisir des touristes, des lieux « […] où ils peuvent entretenir collectivement leur mise à l’écart du quotidien […] »

(Remy, 1994, p. 357). Ce sont ce qu’il nomme des lieux transitionnels dans la mesure où « la bulle touristique

permet de créer des espaces où l’individu est à la fois chez lui et ailleurs » (op.cit. p.363). Ces espaces

permettent également à l’individu d’échanger avec les populations locales et de découvrir l’altérité, même si ces

contacts se font parfois au détriment de l’une ou de l’autre partie. D’un autre côté, étant en dehors des lieux de

primarité des locaux, la bulle touristique présente plusieurs avantages selon Rémy, qui ne voit donc pas que du

négatif dans ce caractère « enclavé » du lieu touristique :

Une plus grande intégration spatiale et sociale n’aurait pas les mêmes vertus. D’une part, la séparation permet aux gens du cru d’avoir leur « quant-à-soi » et leur latéralité. D’autre part, elle constitue la qualité de la zone d’accueil pour les touristes, pour qui une ambiance de vacances est d’autant mieux affirmée que le travail ainsi que les contraintes de la vie quotidienne sont mis à l’écart du scénario (Rémy, 1994, p.66).

Bien que fermées, les bulles touristiques sont donc à considérer avec l’environnement qui les entoure, que ce

soit les populations locales ou la structure spatiale dans son ensemble.

Ce type et cette conception des lieux touristiques s’appliquent bien mieux, à mon avis, aux villes nord-

américaines, et bien sûr à la ville de Québec, qui concentre la très grande majorité des attractions touristiques

dans le Vieux-Québec, qui est, nous le verrons plus bas, un espace relativement enclavé du reste de la ville.

Mais cette bulle touristique reste perméable et les touristes peuvent facilement en sortir pour aller visiter des

endroits moins touristiques.

2.2. Typologie des lieux touristiques

On le voit, les différentes configurations des lieux touristiques entraînent des considérations idéologiques

relativement variées. La difficulté de considérer les lieux touristiques de manière homogène tient au fait que

tous ces lieux ne sont pas les mêmes, et notamment au regard de leur morphologie. Et là encore, rendre compte

des différents types de lieux touristiques n’est pas une chose aisée, en témoigne la profusion de typologies,

dont les critères varient d’un auteur ou d’une école à l’autre. Parmi ces typologies, celle de l’équipe M.I.T., et

plus particulièrement Duhamel (2003), est ici la plus pertinente pour mon propos.

Cette typologie repose sur trois caractéristiques principales des lieux touristiques à savoir :

- (1) la présence ou l’absence de capacité d’accueil;

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- (2) la présence ou l’absence de population locale;

- (3) des fonctions urbaines et touristiques diversifiées, c’est-à-dire un usage de l’espace exclusivement

touristique, ou un partage des fonctions entre tourisme et autres secteurs d’activités et de pratiques36.

Ces critères leur ont permis de dégager quatre types de lieux touristiques : les sites, les comptoirs, les stations

et les villes touristiques (tableau 1).

Tableau 1 : Distinction des différents types de lieux touristiques

Présence ou absence de capacité d’accueil

Présence ou absence de population locale

Fonctions urbaines et touristiques diversifiées

Site touristique - - -

Comptoir touristique + - -

Station touristique + + -

Ville touristique + + +

Source : Stock (2002), cité dans (M.I.T., 2002, p. 220)

Site touristique – ce sont des lieux de passage. Les sites ne proposent pas d’hébergement et ne sont habités

par aucune population locale. Ce sont une grotte, un chemin de pèlerinage, une plage, un monument, lieux qui

n’existent que pour le temps d’une visite, et qui, une fois les heures de visites terminées, ne présentent plus

d’activité.

Comptoir touristique – ces lieux sont créés par et pour le tourisme, sans population locale non plus, mais qui

proposent tout de même un hébergement. C’est le cas des parcs d’attractions comme Disneyland, des hôtels

« tout-inclus », de stations de ski créées à partir de rien.

Station touristique – lieux qui ont une population locale, qui proposent de l’hébergement, mais dont la fonction

est uniquement de fournir des services touristiques, sans autres services annexes, industrie ou centre

d’attractivité.

Ville touristique – c’est le type de lieux qui nous intéresse ici puisque c’est le cas de la ville de Québec. Ils

possèdent une capacité d’accueil, une population locale, mais ne sont pas entièrement tournés vers le tourisme

et le tourisme n’y est pas exclusif, c’est-à-dire que les pratiques suggérées par le lieu ne sont pas d’un seul

ordre : le tourisme n’est qu’une fonction parmi d’autres dans la ville.

Une seconde typologie (cf. annexe 1) s’appuie sur la distinction entre lieux créés par le tourisme, comme le

comptoir, la station ou la station-ville, et ceux investis par celui-ci, comme le couple ville-station, la ville ou le

36 Ce dernier critère renvoie plus particulièrement à la monofonctionnalité de l’espace décrite par Rémy et présentée plus haut, qui est une caractéristique de la ville touristique, présentée plus bas.

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village touristifié, la ville ou le village à fonction touristique, ou encore la ville ou le village étape. Cette typologie

permet de faire la distinction entre les différents types de villes touristiques, et de voir que Québec, comme la

plupart des grandes villes du monde, est une ville à fonction touristique, dans la mesure où l’insertion de cette

fonction s’est faite « sans modification de la structure urbaine d’ensemble ».

Ces typologies sont intéressantes, car elles situent la morphologie urbaine dans laquelle se trouvent les

travailleurs en accueil touristique dans le Vieux-Québec : ils travaillent dans des lieux qui n’ont pas été

entièrement créés ou subvertis par le tourisme comme une ville touristifiée, ou des enclaves touristiques, des

lieux dont, à l’échelle de l’agglomération, la fonction touristique n’est qu’une parmi d'autres. À Québec comme

dans la plupart des grandes villes, il y a eu « insertion d’une fonction touristique dans l’espace (et)

territorialisation touristique de certains secteurs de la ville », sans que cette insertion n’apporte de « modification

fondamentale de la structure urbaine d’ensemble » (M.I.T., 2002, p. 222).

2.3. Les « suggestions » du lieu touristique

Bien que pertinente d’un point de vue morphologique, ces typologies ne rendent pas vraiment compte de la

physiologique urbaine, et notamment de tout ce qui concerne la façon d’habiter, ou plutôt la façon de pratiquer

le lieu touristique. Pourtant le tourisme est aussi affaire de pratiques, elles-mêmes associées aux lieux :

Ces lieux – les espaces touristiques – sont révélateurs de nous-mêmes, lorsque nous les visitons ; mais ils sont également révélateurs de ceux qui les habitent comme de ceux qui les aménagent et les exploitent pour, justement, accueillir les touristes. Car, malgré les inévitables redondances d’un site touristique à l’autre, chacun est marqué par une géographie et des attraits qui lui sont particuliers et qui déterminent sa vocation (Beaudet, Cazelais, & Nadeau, 1999, p. 7).

Par vocation, il faut comprendre ici les propositions du lieu, en fonction de sa géographie et de ses attraits, en

termes d’activités et de pratiques. Mais plutôt que de parler de vocation des lieux, je préfère suivre l’équipe

M.I.T. encore une fois, pour qui les lieux touristiques suggèrent des pratiques à leurs visiteurs. Ces suggestions

sont de trois ordres, qui répondent à trois besoins individuels : le repos, le jeu, et la découverte37.

Chaque lieu touristique serait donc plus ou moins adapté à un type de suggestion : la plage pour le repos, la

montagne pour le jeu, la ville pour la découverte par exemple. À Québec comme dans la plupart des villes

touristiques, les suggestions répondraient à trois ressorts fondamentaux : « la redécouverte du patrimoine, le

goût pour la modernité qui ne s’est presque jamais démenti et qui, à nouveau, s’exprime dans de grandes

réalisations architecturales et urbanistiques, enfin, la participation à de grands évènements qui permettent

37 L’équipe M.I.T. suit ici la pensée de Dumazedier (1962), pour qui le loisir n’est tant voué à la récréation, c’est-à-dire au ludique, à la fête et à l’amusement, qu’à la recréation, c’est-à-dire à la récupération des forces de travail d’une part, mais aussi à l’épanouissement personnel à travers des types d’activités qui ne sont pas liées au travail, mais qui permettent d’apprendre et de vivre de nouvelles choses. À travers le loisir, l’individu se recréé, il s’invente à nouveau en quelque sorte. Également, pour Dumazedier, le loisir possède trois dimensions qui sont le divertissement, la détente et le développement, qui sont très proches des trois types de suggestions mentionnées par l’équipe M.I.T.

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d’alimenter cette modernité urbaine et aux touristes de partager lieux et moments de la vie en ville » (Duhamel

& Knafou, 2007b, p. 10).

Ainsi, les lieux touristiques rempliraient plus ou moins les mêmes fonctions d’une place à une autre, avec les

mêmes « redondances » dans l’agencement ou les services offerts. Chacun apporterait également son lot de

spécificités au regard de ses attraits naturels et, éventuellement, des activités proposées par le lieu. À la fois

espace mental, espace de désir et espace de services (Beaudet et al., 1999), le lieu touristique ne fait donc pas

que remplir certaines fonctions utilitaires comme l’hébergement et la restauration : il possède également une

dimension symbolique, qui conduit à un certain usage du lieu, un rapport à la fois pratique et symbolique. Et ces

suggestions et ces pratiques, tout comme la représentation symbolique du lieu touristique, ne sont pas sans lien

avec ce que nous avons défini plus haut comme la valence territoriale du quartier touristique, tant pour les

touristes et résidents que pour les travailleurs.

2.4. Des pratiques associées aux lieux…

Chaque lieu touristique serait donc propice à un certain type de pratiques, à entendre ici comme « ce que fait

un touriste pendant son déplacement, combinaison de la mise en acte de ses intentions et des réponses qu’il

apporte aux suggestions du lieu » (M.I.T., 2002, p. 300). Les stations de sports d’hiver seront donc par exemple

plus adaptées à des pratiques ludiques et sportives à travers le ski principalement, donc des pratiques plus

orientées vers le domaine du jeu. Les stations balnéaires, avec les plages principalement, invitent à la détente

et au repos. Les villes touristiques se prêtent la plupart du temps à des pratiques liées à la découverte.

Mais si chaque lieu touristique suggère son lot de pratiques, que celles-ci soient de l’ordre du repos, du jeu ou

de la découverte, tous les lieux ne proposent pas une seule activité, et donc un seul rapport à l’espace. Selon

l’équipe M.I.T., ces rapports aux lieux varient en fonction des pratiques, mais aussi des projets des individus.

Ces « projets touristiques » sont définis comme « l’intentionnalité qui préside aux pratiques, ce qu’on prévoit de

faire » (M.I.T., 2002, p. 119), et même si les pratiques diffèrent parfois du projet initial, c’est malgré tout ce

dernier qui motive les individus à choisir telle ou telle destination pour leurs pratiques touristiques.

Ces projets seraient principalement de deux ordres, qui correspondraient par ailleurs à deux types de touristes :

« Le premier type de touriste se fonde sur la fonctionnalité du lieu. Le manque d’engagement dans le lieu permet

de se concentrer sur la distance par rapport aux lieux de domicile et sur les pratiques récréatives. Un second

exemple pointe davantage la recherche du « lieu de mémoire » individuel, la recherche d’un lieu familier »

(M.I.T., 2002, p. 119).

Nous avons donc ici deux rapports au lieu, qui déterminent plus ou moins d’un côté les projets, et de l’autre les

pratiques touristiques. En effet, le premier type de touriste qui a un rapport très fonctionnel au lieu oriente ses

projets de manière à profiter des infrastructures proposées par le lieu touristique, qui elles-mêmes permettent

de profiter des activités que le lieu offre en fonction de sa « vocation » exprimée plus haut. Ainsi, il choisira une

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station de ski pour pratiquer ce sport, il ira dans une station au bord de la mer pour profiter de la plage, faire des

sports nautiques par exemple. Ses pratiques seront dès lors plus liées au jeu et à la découverte. Le second type

recherchera plus ce qui lui est familier. Alors que le premier se nourrit de la distance au lieu d’origine, celui-ci

va chercher à prolonger son univers du quotidien pour se reposer. « "Voir quelque chose de différent du lieu

quotidien" est corollaire avec un lieu non familier ; "se reposer" va de pair avec un lieu familier » (M.I.T., 2002,

p. 122).

2.5. … et des travailleurs attachés aux pratiques

Les lieux touristiques sont donc en grande partie liés aux pratiques qui leur sont associées pour les touristes,

mais également pour les travailleurs en tourisme. Dans une étude sur les employés de centres de villégiature

(resorts) à Hawaii, Adler et Adler (2004) montrent en effet à quel point les activités hors travail sont importantes

pour la majorité des employés. En comparant les employés de six centres de villégiature sur l’île d’Hawaii, ces

auteurs mettent à jour quatre types de travailleurs en tourisme, dont trois ont ce qu’on pourrait appeler un rapport

pratique au lieu : ils ne vivent pas leur travail uniquement en termes d’expérience professionnelle, mais aussi

pour ce qu’il offre en termes de pratiques extra-professionnelles.

Adler et Adler identifient ces types de travailleurs selon le degré d’indépendance par rapport au lieu. D'un côté,

certains travailleurs sont considérés comme « piégés » par le lieu (trapped laborers) et forment deux types

particuliers :

- les locaux qui ont grandi sur l’île et qui y vivent généralement toute leur vie;

- les nouveaux immigrants, principalement des Philippins, qui sont arrivés ici pour travailler et qui

s’achètent une voire plusieurs maisons, font venir leur famille et s’établissent durablement.

De l’autre côté se trouvent les travailleurs temporaires (transients laborers), généralement issus du continent et

qui sont également séparés en deux catégories :

- les seekers, que l’on pourrait traduire par les saisonniers, qui ne restent volontairement que le temps

de la saison et qui travaillent en général au service à la clientèle aux restaurants, réceptions, bars, à la

piscine ou à la salle de sport;

- les managers, qui se font muter régulièrement, le tourisme étant un secteur où la mobilité

professionnelle est bien souvent synonyme de mobilité géographique.

Parmi ces quatre groupes de travailleurs en tourisme, seuls les nouveaux immigrants ne semblent pas donner

d’importance aux pratiques suggérées par le lieu, puisque la plupart de leurs activités hors travail consistent à

regarder la télévision et faire des activités en famille. Pour ce qui est des autres, les attraits et les activités

proposées par le lieu touristique sont très importants, même si pour les locaux le lieu dans son ensemble importe

plus en tant que lieu d’appartenance et identitaire que dans sa « touristicité ». Quant aux managers, bien qu’ils

Page 53: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

42

n’aient pas beaucoup de temps à consacrer aux loisirs et aux pratiques touristiques, ceux-ci tentent tout de

même de profiter de ce que le lieu peut offrir, au moins dans le cadre de leur travail. Cela prend alors la forme

d’une partie de golf en guise de réunion de travail par exemple. Pour la grande majorité des seekers enfin, ce

sont ces activités extra-professionnelles qui importent le plus, comme le surf, explorer la nature, faire la fête, et

profiter des lieux comme le font les touristes. Pour beaucoup, le travail n’a de valeur qu’utilitaire dans la mesure

où il permet de passer le reste du temps à surfer et vivre près de la plage.

De leur côté, Paget et Mounet (2010) montrent bien comment les employés de prestataires de sports d’hiver

s’accommodent d’emplois relativement précaires et très flexibles en contrepartie de la possibilité de profiter de

rabais et de temps libres pour pratiquer le sport proposé par l’entreprise et d’une grande autonomie dans le

travail. Selon ces auteurs, il existe dans ce type d’entreprises un « brouillage des temps sociaux » entre temps

de travail et de loisir, principale raison de l’implication des employés, et ce malgré des conditions de travail

relativement précaires. Bien que les auteurs, qui se concentrent sur une analyse en termes de sociologie du

travail et des organisations, ne le mentionnent pas vraiment, on peut tout de même voir dans cette situation une

mise à profit du lieu touristique par les travailleurs en tourisme, ce qui témoigne de l’importance du lieu dans

l’exercice de l’activité professionnelle.

Ce que nous montrent ces exemples est donc que le lieu touristique, en tant que lieu de pratique, semble jouer

un rôle central dans l’expérience de travail en tourisme, et donc dans la culture professionnelle des travailleurs.

Il est donc maintenant important de décrire le lieu dans lequel prend place cette étude, à savoir le Vieux-Québec.

3. L’arrondissement historique du Vieux-Québec

Le secteur du Vieux-Québec étant celui qui centralise la grande majorité de l’activité touristique à Québec, il est

important de bien saisir ses particularités pour mieux comprendre celles des personnes qui y travaillent.

Comment se présente-t-il, quelles sont ses attractions, ses suggestions, quelles activités y sont proposées?

Sans une réponse préalable à ces questions, il semble assez délicat, pour ne pas dire impossible, de

comprendre la culture professionnelle des travailleurs qui, chaque jour, viennent faire vivre le tourisme dans ce

quartier.

3.1. Morphologie de l’arrondissement historique

3.1.1. Topographie, architecture et valeur patrimoniale

Inscrit depuis le 3 décembre 1985 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le quartier du Vieux-Québec

constitue l’un des principaux attraits touristiques de la ville de Québec, voir du Québec tout entier dans la mesure

où il s’agit du seul site culturel québécois à être inscrit sur cette liste prestigieuse. Cet honneur vient du fait qu’il

Page 54: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

43

s’agisse de la seule ville dont les fortifications sont encore intactes en Amérique du Nord38. Mais le quartier

historique s’étend toutefois en dehors des murs, avec l’inclusion du Petit-Champlain, du Vieux-Port et des

plaines d’Abraham notamment. Le Vieux-Québec est un triangle qui s’étend, au nord, des jardins Saint-Roch

au Vieux-Port, en longeant l’avenue Charest et en passant par la gare du Palais et le marché du Vieux-Port,

s’étirant ensuite vers le sud le long du boulevard Champlain jusqu’à hauteur des escaliers Frontenac, qui

amènent aux plaines d’Abraham, pour enfin remonter aux jardins en longeant cette fois l’avenue Honoré-Mercier

et la côte d’Abraham, en passant devant le parlement (annexe 2).

Jusque dans les années 1960, le Vieux-Québec était relativement délabré. Ce n’est qu’à partir de son inscription

en tant que site patrimonial et du travail conjoint de la ville et du ministère de la Culture – à travers l’Entente de

développement culturel et du programme d’intervention et de revitalisation de bâtiments patrimoniaux – que ce

secteur de la ville a commencé à être mis en valeur. Dans un souci de revitalisation et de patrimonialisation39,

le Vieux-Québec – dont la population chutait alors au profit des zones périphériques, se retrouvant habité par

une population souvent seule et précaire dont des chambreurs – a été transformé de manière à mettre en avant

son architecture et sa valeur patrimoniale (Berthold, 2016).

Cela n’a pas été sans conséquence en ce qui concerne la morphologie du quartier. Tout d’abord, le programme

de restauration architectural a entraîné la reconstitution de plusieurs monuments historiques. Mais surtout,

beaucoup de bâtiments, et notamment dans le secteur du Petit-Champlain, ont été restaurés de façon à montrer

les différents types architecturaux et les différents matériaux utilisés aux différentes époques de la colonisation.

Ainsi, des sites comme la Place Royale font aujourd’hui office de musées à ciel ouvert, avec leurs lots de guides

qui déambulent accompagnés de groupes de nationalités et de tailles diverses. Ceux-ci expliquent pourquoi tel

toit est en acier, tel autre en ardoise, pourquoi les fenêtres sont composées de vitres de petits formats… C’est

en fait tout l’arrondissement du Vieux-Québec qui est aujourd’hui aménagé de manière à valoriser l’histoire, le

patrimoine et la culture française en Amérique du Nord, dont la ville de Québec se veut la fière représentante.

3.1.2. Structure sociodémographique

Les conséquences de la touristification du Vieux-Québec ne sont pas uniquement matérielles ou architecturales.

En changeant de « fonction », l’arrondissement historique a également vu sa structure sociodémographique et

économique, et donc sa morphologie sociale, se transformer. Tout d’abord, la population résidente a fortement

diminué, passant de 10 604 habitants en 1951 (Berthold, 2013) à 4750 habitants en 2016 (Statistiques Canada,

2016). Bien que les raisons de cette diminution soient variées40, la réhabilitation du quartier s’est accompagnée

38 http://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/patrimoine/unesco.aspx, consulté le 6 décembre 2016. 39 Bien que cela ne soit mon propos ici, il est à noter que cela ressemble aux pratiques des « maires-messies » abordés par Judd (2003) et dont il fait référence plus haut. 40 Notons ici, en guise d’exemples, le départ des populations ouvrières et des cols blancs en banlieue, ainsi que le déplacement du campus de l’Université Laval du Vieux-Québec vers Sainte-Foy dès 1950.

Page 55: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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de destructions et reconstructions de logements, entraînant la relocalisation d’une bonne partie de la population

vers les autres secteurs de la ville. Cette réhabilitation, la rénovation des logements ainsi que l’inscription de

l’arrondissement historique au patrimoine mondial de l’UNESCO, ont entraîné une hausse importante du prix de

l’immobilier : « en 2011, le prix de vente des copropriétés du Vieux-Québec était, en moyenne, 22 % plus élevé

que celui des logements comparables des autres quartiers centraux de Québec » (Berthold, 2016). En 2016, la

valeur moyenne des logements dans le Vieux-Québec était de 366 571 $. En comparaison, à Saint-Roch, la

valeur moyenne des logements était de 241 740 $ (+51,6 %), et à Saint-Sauveur de 250 631 $ (+46,2 %)

(Statistiques Canada, 2016). De plus, alors que l’économie du quartier reposait essentiellement sur du

commerce de détail et de proximité, c’est aujourd’hui le tourisme qui est la principale ressource économique de

ce secteur.

Du point de vue de la structure sociodémographique du quartier, ce qui nous intéresse en premier lieu ici est de

comprendre qui sont les résidents du quartier, et surtout dans quels secteurs d’activités ils travaillent.

Considérant que ce quartier est le principal lieu touristique de la ville, la question qui se pose est donc de savoir

si les résidents du quartier sont également ceux qui vivent, professionnellement, du tourisme.

L’emploi des personnes résidentes

Les données du recensement de 2016 nous indiquent qu’une proportion relativement importante des résidents

du Vieux-Québec travaillent dans des secteurs d’activité professionnelle proches du tourisme (tableau 2)41. En

additionnant les emplois possiblement42 liés au tourisme (hébergement et restauration, commerce de détail,

arts, spectacles et loisirs et industrie de l’information et l’industrie culturelle), cela représente 34,3 % des

résidents du Vieux-Québec. Ces industries représentant donc environ un tiers des emplois occupés par les

résidents du quartier, il serait facile de penser que les travailleurs en tourisme sont en grande partie issus du

quartier. Ce pourcentage reste tout de même dans la moyenne des quartiers centraux de la ville, puisqu’à part

Montcalm, et dans une moindre mesure le Vieux-Limoilou, les pourcentages de résidents de Saint-Sauveur

(31,4 %), Saint-Roch (34,2 %) et Saint-Jean-Baptiste (38 %) travaillant dans ces industries est relativement

similaire.

41 J’ai ici compilé les données du recensement concernant l’emploi des résidents du site patrimonial du Vieux-Québec, en agrégeant les

données des aires de diffusion de ce secteur de la ville (huit aires au total), excluant les aires de diffusion correspondant aux secteurs au Cap-Blanc et à la Colline Parlementaire, qui font partie du quartier municipal, mais pas du site patrimonial. J’ai ensuite comparé ces données à celles des aires de diffusion agrégées des autres quartiers centraux de la ville (Montcalm, Saint-Sauveur, Vieux-Limoilou, Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste). Les données analysées sont celles de la population active totale âgée de 15 ans et plus selon l'industrie, selon le système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN) 2012. 42 Rien ne permet d’assurer que les personnes travaillant dans ces industries œuvrent véritablement en tourisme. Il se peut, par exemple, que certains résidents travaillent dans un restaurant en Basse-Ville ou dans un commerce de Sainte-Foy. Cependant, le tourisme est fortement lié à tous ces secteurs, donc il est possible que dans un tel quartier ces industries soient liées au tourisme.

Page 56: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

45

Tableau 2 : Occupations professionnelles des résidents des quartiers centraux, 2016

Saint Roch

Saint-Jean-Baptiste

Saint-Sauveur

Montcalm Vieux-

Limoilou

Site patrimonial

Vieux-Québec

Administrations publiques

475 (10,7 %)

445 (11,5 %)

825 (9,7 %)

1475 (15,1 %)

1265 (9,8 %)

255 (14,2 %)

Soins de santé et assistance sociale

430 (9,7 %)

345 (8,9 %)

990 (11,7 %)

1265 (12,9 %)

1925 (14,9 %)

220 (12,3 %)

Services professionnels, scientifiques et techniques

475 (10,7 %)

380 (9,8 %)

740 (8,7 %)

1195 (12,2 %)

1045 (8,1 %)

165 (9,2 %)

Hébergement et restauration

680 (15,3 %)

700 (18,1 %)

975 (11,5 %)

840 (8,6 %)

1545 (11,9 %)

235 (13,1 %)

Commerce de détail 400

(9,0 %) 410

(10,6 %) 1055

(12,4 %) 830

(8,5 %) 1390

(10,8 %) 215

(12,0 %)

Arts, spectacles et loisirs 195

(4,4 %) 225

(5,8 %) 350

(4,1 %) 310

(3,2 %) 480

(3,7 %) 125

(7,0 %)

Industrie de l'information et industrie culturelle

245 (5,5 %)

135 (3,5 %)

290 (3,4 %)

260 (2,7 %)

430 (3,3 %)

40 (2,2 %)

Autres professions43 1540

(34,7 %) 1235

(31,9 %) 3255

(38,4 %) 3605

(36,9 %) 4850

(37,5 %) 535

(29,9 %)

Total 4440

(100,0 %) 3875

(100,0 %) 8480

(100,0 %) 9780

(100,0 %) 12930

(100,0 %) 1790

(100,0 %)

Total des emplois liés au tourisme44

1520 (34,2 %)

1470 (38,0 %)

2670 (31,4 %)

2240 (23,0 %)

3845 (29,7 %)

615 (34,3 %)

Source : Recensement 2016 de Statistiques Canada, Données-échantillon (25 %)

On peut également observer que le quartier compte un pourcentage relativement élevé de personnes travaillant

dans le secteur de l’hébergement et de la restauration (13,1 %), dans les commerces de détail (12 %), mais

surtout dans le domaine des arts, spectacles et loisirs (7 %). Concernant ce dernier secteur, il est important de

noter que celui-ci, bien que lié au tourisme, possède très vraisemblablement une identité, une culture et des

caractéristiques suffisamment fortes pour que les personnes qui y œuvrent ne se considèrent pas comme

travaillant en tourisme, mais plutôt comme des artistes. Cela peut sembler trivial, mais pourtant, en termes de

culture professionnelle, cela peut avoir une très grande importance pour ces personnes.

43 Ces autres professions sont : agriculture, foresterie, pêche et chasse - extraction minière, exploitation en carrière, et extraction de pétrole et de gaz - services publics – construction - fabrication - commerce de gros - transport et entreposage - finance et assurances - services immobiliers et services de location et de location à bail - gestion de sociétés et d'entreprises - services administratifs - services de soutien, services de gestion des déchets et services d'assainissement - services d'enseignement - autres services (sauf les administrations publiques). 44 Il s’agit des industries de l’hébergement et de la restauration, du commerce de détail, des arts, spectacles et loisirs, et de l’industrie de l’information et l’industrie culturelle.

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Autre fait notable, bien que l’hôtellerie et la restauration représentent la deuxième industrie (autres emplois mis

à part) de ce quartier, cette industrie emploie 15,3 % des résidents de Saint-Roch et 18,1 % des résidents de

Saint-Jean-Baptiste, ce qui en fait la principale industrie employant les résidents de ces quartiers. Considérant

que le Vieux-Québec concentre un nombre important d’hôtels et de restaurants cela peut sembler relativement

paradoxal. Le contraste est encore plus grand dans l’industrie de l'information et l’industrie culturelle : seuls

2,2 % des résidents du site patrimonial travaillent dans ce domaine, contre une proportion de 3,7 % pour

l’ensemble des autres quartiers centraux, pourcentage qui monte à 5,5 % des résidents de Saint-Roch. Il s’agit

même du plus bas taux comparé aux autres quartiers. Là encore, ceci est relativement paradoxal considérant

que le tourisme est un secteur qui nécessite un nombre important de personnes travaillant dans ces industries.

Pour le moment, rien ne semble distinguer les résidents du site patrimonial du Vieux-Québec par rapport aux

autres quartiers de la ville. Ainsi, la question demeure, pour le moment, entière : les travailleurs en tourisme

sont-ils principalement des résidents du quartier?

L’emploi au cœur du site patrimonial du Vieux-Québec

Afin de mieux comprendre si les travailleurs en accueil touristique étaient également des résidents du quartier

touristique, je me suis également intéressé à l’emploi dans ce secteur de la ville, donc aux travailleurs du quartier

et non pas uniquement à l’emploi des résidents45 (tableau 3).

Tableau 3 : Secteurs d’activité des travailleurs du Vieux-Québec, 2016

Fréquence Pourcentage

Administrations publiques 3 295 22,5%

Soins de santé et assistance sociale 2 900 19,8%

Services professionnels, scientifiques et techniques 915 6,3%

Hébergement et restauration 3 340 22,8%

Commerce de détail 1 145 7,8%

Arts, spectacles et loisirs 790 5,4%

Industrie de l'information et industrie culturelle 310 2,1%

Autres professions46 1 945 13,3%

Total 14 640 100,0%

Total des emplois liés au tourisme 5 585 38,1%

Source : Recensement 2016 de Statistiques Canada, Données-échantillon (25 %), données compilées par le Service de la planification de l’aménagement et de l’environnement de la Ville de Québec

45 Le Service du développement économique et des grands projets de la Ville de Québec a accepté de me fournir les données relatives à l’emploi au cœur du site patrimonial du Vieux-Québec. Là aussi, les données sont issues du recensement de 2016 et concernent la population active totale âgée de 15 ans et plus selon l'industrie, selon le système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN) 2012. 46 Ces autres professions ne sont malheureusement pas spécifiées sur le rapport, il n’en est par ailleurs pas fait mention, mais nous pouvons penser que certaines d’entre elles sont malgré tout liées au tourisme.

Page 58: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

47

Il est d’abord intéressant de comparer le nombre de personnes qui viennent travailler sur le site patrimonial du

Vieux-Québec au nombre de résidents : alors que la population active de 15 ans et plus du Vieux-Québec est

de 1 800 travailleurs, ce sont 14 640 personnes qui viennent y travailler. Il y a donc dix fois plus de travailleurs

dans ce quartier que de population en âge de travailler. On comprend donc dès à présent que les travailleurs

en tourisme viennent principalement des autres quartiers de la ville, ou même encore de sa périphérie.

Concernant les emplois liés au tourisme, alors que selon les données du recensement 615 résidents seulement

travaillent plus ou moins dans ce secteur, ce nombre atteint 5 585 personnes actives dans cette industrie. Ce

sont donc environ 4 970 travailleurs en tourisme qui proviennent de l’extérieur du quartier.

Bien que le pourcentage total de personnes venant travailler dans le quartier dans des emplois liés au tourisme

(38,1 %) n’est pas si différent du pourcentage de résidents (34,3 %), on s’aperçoit tout de même que les seuls

secteurs de l’hébergement de la restauration représentent 22,8 % des travailleurs du quartier, soit presque 10

points de pourcentages de plus que la population résidente. Inversement, les emplois en arts, spectacles et

loisirs (5,4 %) et dans le commerce de détail (7,8 %) occupent une place moins importante que si l’on considère

la population résidente. Enfin, si le pourcentage de personnes travaillant dans l’industrie de l’information et

l’industrie culturelle est équivalent à celui de la population résidente (2,1 %), on s’aperçoit tout de même que

cela représente 310 emplois dans ce quartier, alors que seulement 40 résidents ont déclaré travailler dans ces

domaines. Finalement, ce chiffre est même plus élevé que ce que l’on trouve chez les résidents des autres

quartiers mis à part le Vieux-Limoilou (430 personnes).

Ce qu’il faut donc retenir ici est que la très grande majorité des travailleurs en tourisme du Vieux-Québec

viennent d’autres quartiers de la ville. Malgré l’importance de l’emploi touristique dans ce quartier, très peu de

résidents travaillent dans ce domaine. Évidemment, les raisons peuvent être très variées, et en particulier le

peu de logements disponibles dans ce quartier ainsi que leur prix jouent potentiellement un rôle très important

ici. Cependant, étant donné que la plupart des travailleurs en tourisme viennent d’autres quartiers de la ville, il

importe de comprendre comment ceux-ci se représentent le lieu touristique, qui n’est donc pas, a priori, un lieu

de résidence. Comment intègrent-ils ces différentes modalités d’être dans le lieu touristique, entre primarité

professionnelle et non résidentielle, et secondarité dans un lieu qui semble principalement voué au travail? Mais

cela aussi amène à s’interroger sur le rapport entretenu avec les aspects physiologiques, leurs façons de passer

d’un lieu à l’autre, leur façon de considérer le lieu touristique en lien avec la façon d’y circuler, pour ceux qui

viennent chaque jour y travailler.

3.1.3. Un espace enclavé?

Un autre aspect morphologique à prendre en compte pour comprendre le rapport entretenu avec le lieu

touristique tient plus de l’agencement de ce lieu par rapport au reste de la ville. En effet, bien que

l’arrondissement historique ne soit pas uniquement cantonné derrière les fortifications, il n’en reste pas moins

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48

enclavé de manière moins apparente, mais tout aussi « efficace » par trois grands axes autoroutiers : au nord

le boulevard Charest menant à l’autoroute du même nom, à l’ouest la rue Honoré Mercier menant à l’autoroute

Dufferin-Montmorency, à l’est le boulevard Champlain. De ce fait, passer de l’arrondissement historique au

quartier Saint-Jean-Baptiste, à l’ouest de la rue Honoré-Mercier – qui reste un quartier avec beaucoup de

commerces et de restaurants, mais moins achalandé et surtout moins touristique – se fait en traversant une

avenue à quatre voies et soumise à un fort trafic autoroutier. Même chose pour aller dans le quartier Saint-Roch,

qui est de l’autre côté d’une grande artère.

Malgré tout, bien qu’il soit le plus populaire, le Vieux-Québec n’est pas le seul site à vocation touristique de la

ville de Québec, ce qui nuance ce caractère d’enclave. Pour commencer, les deux quartiers cités plus haut, à

savoir Saint-Jean-Baptiste et Saint-Roch, s’ouvrent à une clientèle touristique de par leur offre variée de

restaurants, bars, boutiques et hôtels ou auberges. Mais à part les quartiers centraux, d’autres secteurs de la

ville comme les sites patrimoniaux de Charlesbourg, de Sillery, de Beauport ou encore de l’Île-d’Orléans sont

également mis en valeur par le guide officiel de la ville de Québec (2015). Il existe également d’autres attraits

en périphérie de la ville comme la réserve indienne de Wendake ou les chutes Montmorency.

Le Vieux-Québec n’est donc pas une enclave touristique fermée sur elle-même et isolant les touristes du reste

de la ville. Mais certains aspects propres à cette représentation de l’espace touristique sont tout de même bien

présents, comme les pseudo-évènements que sont les fêtes de la Nouvelle-France principalement, ou encore

à l’hyperréalité qu’a engendrée la muséification du Petit-Champlain. Malgré cela, le visiteur est encouragé à

sortir de la zone touristique, à arpenter les rues des autres quartiers ou encore à sortir de la ville pour aller dans

des lieux aux attraits divers, comme ceux propres au jeu (sports de glisse l’hiver par exemple, au

Mont-Saint-Anne ou à Stoneham) ou à la découverte (Wendake, chutes Montmorency, etc.) Il serait donc

préférable, à mon avis, de considérer que la ville de Québec possède un Central Tourist District (CTD) qui s’étale

en dehors du Vieux-Québec, jusque dans Saint-Roch, la Grande-Allée, le faubourg Saint-Jean-Baptiste et tous

les quartiers centraux. Dans ce CTD, le quartier du Vieux-Québec qui nous intéresse ici s’apparente quant à lui

à une bulle touristique, en raison de son enclavement, représenté par les fortifications, et à son confinement

derrière des axes routiers.

3.2. Aspects physiologiques

Cet aspect morphologique du quartier n’est pas sans importance au regard de sa physiologie. En effet, malgré

sa fermeture apparente, le Vieux-Québec est ouvert et en interaction avec le reste de la ville, ce dont témoignent

les données sur les travailleurs du quartier. Comme nous l’avons vu plus haut, la plupart d’entre eux n’y résident

pas, ce qui implique pour eux un déplacement quotidien pour se rendre sur leur lieu de travail. Ce point est

important, car a priori, le Vieux-Québec serait un lieu de primarité en tant que lieu du travail, mais aussi un lieu

de secondarité, puisqu’une fois sortis du travail, les travailleurs ne se retrouvent pas immédiatement dans

Page 60: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

49

l’espace du quotidien. Il y aurait donc une double modalité d’être dans ce lieu pour les travailleurs, entre primarité

professionnelle (mais pas résidentielle) et secondarité une fois le travail terminé47.

En tant que lieu touristique, le Vieux-Québec est principalement fréquenté par une population en vacances,

souvent étrangère, ou d’une autre province ou encore d’une autre région du Québec. Bien que les chiffres soient

très difficiles à établir en raison de la confusion entre touristes et excursionnistes notamment, ou entre les

personnes qui reviennent plusieurs fois dans l’année, le Comité des Citoyens du Vieux-Québec estimait, à partir

des données de statistiques Canada, la fréquentation touristique à 2 000 000 de touristes par an, dont 59,8 %

du Québec, 15,7 % du reste du Canada, 12,7 % des États-Unis et 11,8 % d’ailleurs dans le monde. À cela, il

faut ajouter pas moins de 24 000 voitures, 230 autobus et 1000 camions qui entrent quotidiennement dans le

Vieux-Québec (Comité des Citoyens du Vieux-Québec, 2007). Cela fait de ce secteur de la ville un espace

vraiment particulier, avec un achalandage international important, ce qui n’est certainement pas sans influencer

la valence territoriale du site pour les travailleurs qui, chaque jour, doivent se rendre sur les lieux de travail à

travers cette circulation. De même, il se peut fortement que cet achalandage ait une influence sur le rapport au

lieu en tant que lieu possible d’habitation.

3.3. Valence territoriale du Vieux-Québec : le point de vue des résidents

Ces caractéristiques morphologiques et physiologiques du Vieux-Québec jouent certainement un rôle important

dans la détermination de la valence territoriale associée au lieu, c'est-à-dire sur l’appréciation ou la dépréciation

de celui-ci, le sentiment de plaisir ou de déplaisir qui lui est associé. Et bien qu’à ma connaissance aucune étude

ne parle de cette valence concernant les travailleurs en tourisme, le rapport de recherche de la phase II des

États généraux du Vieux-Québec (Berthold, 2010) nous donne un aperçu de celle des résidents.

En partant des motivations des résidents à habiter dans le Vieux-Québec, on peut en effet se faire une idée de

cette valence territoriale. On constate alors qu’en 2005, 42 % des ménages mentionnaient la proximité avec leur

lieu de travail comme raison de leur installation dans le Vieux-Québec, alors que 31 % évoquaient la proximité

des services. Mais surtout, 61 % des participants évoquaient en 2005 la « beauté du site » et 73 % parlaient du

« cadre de vie » comme d’une motivation à s’établir ici (tableau 4).

On le voit donc, avant l’aspect utilitaire du quartier, le choix de s’établir dans l’arrondissement historique est

surtout lié à des représentations positives en termes de mode de vie. Le quartier est recherché pour son aspect

plaisant, tant au niveau esthétique que pour la « qualité de vie », dont la proximité des services – qui s’est

toutefois dégradée depuis 2005 (Berthold, 2016) – et du travail font potentiellement partie. La question qui se

47 Cela est également vrai pour bon nombre de personnes qui travaillent dans des secteurs variés, pas uniquement en tourisme. Cependant, le fait de travailler dans un lieu de secondarité comme un lieu touristique peut éventuellement accentuer le mode d’être secondaire, beaucoup plus que pour des personnes qui, une fois leur travail terminé, se retrouvent dans une zone industrielle ou commerciale par exemple.

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pose donc ici est de savoir si ces motivations à vivre dans le Vieux-Québec sont les mêmes que celles qui

poussent les travailleurs en tourisme à exercer ici.

Tableau 4 : Motivations des résidents du Vieux-Québec à s’établir dans ce secteur

Nés ou mariés dans le quartier 1 %

Proximité des services 31 %

Proximité du travail 42 %

Beauté du site 61 %

Cadre de vie 73 %

Source : Berthold (2010)

3.4. Le Vieux-Québec en pratique : les attraits de l’arrondissement historique

Les lieux touristiques sont recherchés pour leurs attraits et les pratiques qu’ils suggèrent, et ce tant pour les

touristes que pour les travailleurs (Adler et Adler, 2004 ; Paget et Mounet, 2010). En ce qui concerne

l’arrondissement historique du Vieux-Québec, les attraits mis de l’avant par le guide officiel de la ville sont avant

tout « son charme européen, son histoire, sa culture et son accent » (Québec, 2015, p. 12). Notons au passage

que ce qui est spontanément mis en valeur est le fait que Le Vieux-Québec soit l’une des « 20 destinations les

plus romantiques au monde » (Québec, 2015, p. 12), et que parmi les dix activités « incontournables » à faire à

Québec, cinq sont directement liées à l’arrondissement historique (Vieux-Québec, fortifications, Place Royale,

Vieux-Port, tourisme religieux, dont notamment la Basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec et l’église

Notre-Dame-des-Victoires, toutes deux dans le Vieux-Québec, et la colline Parlementaire), et une en bordure

(Plaines d’Abraham).

La plupart des attractions proposées sont donc de l’ordre de la visite culturelle et historique : visiter les musées,

marcher dans les rues, observer les monuments, prendre un tour guidé à pied ou en calèche… Si l’on suit la

typologie proposée par l’équipe M.I.T., les activités suggérées sont donc principalement de l’ordre de la

découverte, voire du repos, laissant peu de place au jeu. En fait, il est peu fait mention du côté festif du Vieux-

Québec, qui par ailleurs ne l’est pas tant, la plupart des bars et des clubs étant situés plus du côté de la Grande-

Allée. Cela répond d’ailleurs à une préoccupation de la population formulée en 1977 par le comité des Citoyens

du Vieux-Québec : « pas plus que le centre-ville (…) on ne doit pas [sic] transformer [l’]arrondissement

[historique de Québec] en ‘red light’ et drainer vers ce secteur toute la fonction de divertissement de la région

de Québec »48.

48 Archives de la Ville de Québec, Fonds du Comité des citoyens du Vieux-Québec, Mémoire du Comité des citoyens du Vieux-Québec au sujet du projet de contingentement concernant les groupes d’usage : hébergement, restauration et divertissement, du ministère des Affaires culturelles du Québec, septembre 1977, p. 9., cité par Berthold (2010, p. 55).

Page 62: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

51

En fait, la principale dimension festive de ce secteur de la ville est assurée par la tenue de grands évènements,

comme les Fêtes de la Nouvelle-France, le Festival d’été, le Carnaval, le Cirque, les feux d’artifice Loto-Québec,

le Red Bull Crashed-Ice, le tour cycliste ou encore la course de ski de fond intra-muros… à cela s’ajoutent une

pléthore de spectacles à l’Espace 400e, à l’Agora, dans les salles de spectacles. On trouve également des

spectacles de rue, des musiciens principalement, donc des activités qui requièrent rarement la participation des

spectateurs. Il s’agit plus de spectacles que d’activités ludiques, ce qui peut avoir un effet important sur la

valence attribuée au lieu par les travailleurs en tourisme, puisqu’ici le lieu touristique ne suggère pas de pratiques

particulières, comme du ski ou du surf par exemple. Ainsi la principale suggestion du Vieux-Québec semble plus

tenir de la découverte que du repos ou du jeu. Cela a certainement un impact sur la perception du lieu touristique,

son utilisation et sur le partage de pratiques entre travailleurs, qui pourraient être constitutif d’une culture

professionnelle dépassant le cadre du travail.

4. Hypothèses et limites

4.1. Centralité du lieu touristique dans le travail en tourisme

Certaines hypothèses ont déjà été plus ou moins formulées tout au long de ce chapitre, mais il est important de

faire un court bilan avant de continuer. La première hypothèse est que le lieu touristique joue un rôle essentiel

pour ceux qui travaillent en tourisme que ce soit en tant que motivateur initial du choix de travailler en tourisme,

soit en tant que justificatif au choix de rester dans ce secteur d’activité. Il est donc important de comprendre la

place du lieu dans les parcours d’engagement que nous avons abordé en première partie de ce mémoire. Selon

moi, le lieu est central à ce niveau, car c’est lui qui attire en premier lieu les travailleurs, au moins autant sinon

plus que la possibilité d’échanger avec une clientèle touristique.

Le lieu jouerait donc un important rôle dans l’emploi touristique en tant que « condition de travail », tout autant

que certains avantages sociaux peuvent motiver à travailler dans la fonction publique par exemple. Cela

suppose donc que l’expérience de travail en tourisme dépasse le seul cadre de l’entreprise et s’ancre dans un

ensemble plus vaste, ici le quartier. Et c’est donc ici une seconde hypothèse qui est que le lieu touristique est

pour les travailleurs de ce secteur une extension du lieu de travail, ce qui a possiblement une influence très

grande sur les modalités d’être, le lieu touristique étant à cheval entre primarité et secondarité.

Enfin, une troisième hypothèse est que le lieu touristique n’est pas un lieu de résidence, comme cela a été

montré par les statistiques, mais pas pour des raisons économiques. Selon moi, le lieu touristique, parce qu’il

est une extension du lieu de travail, ne peut pas être vécu autrement que comme cela et nécessite, dans une

optique de coupure avec le travail, de résider en dehors du quartier. L’omniprésence du tourisme, de la

population touristique, et le sentiment de ne pas sortir du travail jouent, selon moi, un rôle important dans le

choix résidentiel des travailleurs en tourisme. Nous nous interrogerons donc sur cette question et essaierons de

Page 63: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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voir quels sont les incitatifs (prix du loyer, achalandage, vie de quartier, coupure du travail, etc.) à s’installer hors

des murs du Vieux-Québec.

4.2. Centralité du rapport au lieu dans la culture professionnelle des travailleurs en accueil

touristique

Une autre hypothèse – et peut-être la plus importante en ce qui a trait au lieu – est qu’il existe un rapport au lieu

particulier des travailleurs en tourisme, qui est partagé non seulement par les travailleurs d’un même type

d’emplois, mais également par la majorité des travailleurs en tourisme, quelle que soit cet emploi ou leur

fonction. Dans la mesure où le travail en tourisme dépasserait le simple cadre de l’entreprise, je pense que le

lieu touristique, dans lequel s’ancre l’expérience de travail, est une part importante de la culture professionnelle.

La connaissance et les usages du lieu sont selon moi autant d’aspects qui entrent dans les savoirs, savoir-faire

et représentations associées à la culture professionnelle des travailleurs en tourisme, à tout le moins ici des

travailleurs en accueil.

4.3. Limites : spécificités des suggestions du lieu et des aspects morphologiques et

physiologiques

Cela a été dit à plusieurs reprises jusqu’à présent, chaque lieu touristique possède des particularités qui lui sont

propres, ses suggestions, son histoire, ses pratiques, etc. Ainsi une des principales limites de ce mémoire tient

également à ces particularités. Il nous est en effet impossible de prétendre que les résultats présentés plus bas

sont représentatifs de tous les travailleurs en tourisme à travers monde. Sans même parler du monde entier, il

est difficile de prétendre que les travailleurs en accueil touristique dans un lieu comme Stoneham, qui est

spécialisé dans le ski et les sports d’hiver, ont un rapport au lieu identique à ceux de Québec, tout comme ceux

de Petite-Rivière-Saint-François par exemple.

Une autre limite tient à la morphologie et la physiologie d’un lieu comme le Vieux-Québec, bien différente par

exemple d’une station touristique bien plus enclavée, ou d’une ville plus ouverte comme Paris. Dans une ville

comme Québec, le quartier touristique est une part seulement d’un espace qui propose de nombreuses autres

activités, de nombreuses autres façons d’être et de vivre. La centralité du lieu touristique dans l’expérience de

travail peut donc être largement moindre que dans une station ou tout autre espace enclavé et multifonctionnel,

ce qui enlèverait énormément de force à ma démonstration. Cependant, je pense que malgré la

monofonctionnalité du lieu touristique, celui-ci n’en est pas moins important et central dans l’expérience de

travail en tourisme. Quoi qu’il en soit, cette étude reste ancrée dans un contexte doublement particulier, celui

d’une ville touristique et plus précisément du Vieux-Québec, et ne prétend donc pas à une validité qui

dépasserait ce seul cadre.

Page 64: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE

1. Question de recherche et objectifs

Afin d’apporter une réponse aux questions qui animent ce mémoire, il m’est apparu important de concentrer

mon attention sur trois aspects du travail en accueil touristique. La première question à laquelle ce mémoire

apportera des éléments de réponse est celle de l’engagement en tourisme. Comment les individus qui travaillent

dans ce domaine, en particulier ceux qui sont en contact direct avec la clientèle, en arrivent-ils là? Existe-t-il un

« parcours type » qui amène les individus à s’engager dans une carrière en tourisme? Ou encore, pour

reprendre les termes de Becker (2006), quels sont les éléments qui font du parcours professionnel des acteurs

en tourisme une trajectoire cohérente? Pour répondre à cette première question, il est donc nécessaire de

s’intéresser au parcours scolaire et professionnel des individus et de voir comment ils en sont arrivés à travailler

dans ce domaine, et les raisons qui les poussent à rester ou bien à arrêter. Il est aussi question de voir si

l’accueil, le tourisme, la figure du touriste et le lieu touristique occupent une place centrale dans les parcours

professionnels des participants à l’étude.

Une fois traitée la question de l’engagement en tourisme, une deuxième interrogation concernera la culture

professionnelle de ces travailleurs en accueil touristique. Est-il possible de caractériser une telle culture ?

Rappelons ici que la notion de culture professionnelle renvoie principalement aux valeurs, aux savoirs et aux

savoir-faire mobilisés par les professionnels dans l’exercice de leur emploi (Champy, 2012, pp. 125-126). Quels

sont donc ces savoirs et savoir-faire mobilisés par ces travailleurs et sont-ils homogènes ? Les mêmes

représentations associées à l’accueil et au lieu touristique sont-elles partagées par les participants, peu importe

le type d’emploi considéré ? Enfin leur degré d’engagement joue-t-il un rôle dans la mobilisation des savoirs et

dans les représentations associées à l’accueil et au lieu touristique ?

La question principale à laquelle ce mémoire tente de répondre est donc la suivante : existe-t-il un groupe

professionnel de travailleurs en accueil touristique, sans égard au type particulier d’emploi, partageant

une même culture professionnelle s’exprimant à travers des savoirs, des savoir-faire et des

représentations de l’accueil et du lieu touristique ?

Cette étude s’efforce de dépasser l’idée que le travail en tourisme ne puisse être appréhendé qu’à travers des

types d’emplois que l’on retrouve dans des secteurs d’activités autres que le tourisme. En général, et c’est le

cas si l’on se réfère aux données sur le tourisme, disponibles sur le site du Centre Québécois de Ressources

Humaines en Tourisme (CQRHT), le travail en tourisme est sectorisé en différents segments – hébergement,

Page 65: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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restauration, loisirs et divertissements, services de voyage et transport49. Et bien qu’il soit vain de nier qu’il existe

des différences entre ces segments, la tendance à occulter le rapport au tourisme dans l’appréhension de cette

population nous prive néanmoins d’une vision globale et intégrée de son expérience aidant à repenser l’accueil,

et partant l’offre touristique.

2. Méthode d’enquête

2.1. Entrevues semi-dirigées

Puisqu’il s’agit de mettre l’accent sur cette expérience et sur les représentations associées aux lieux et à

l’accueil, j’ai choisi de conduire des entrevues semi-dirigées. Cette méthode m’a en effet semblé la plus

appropriée pour mettre en lumière les éléments d’une culture professionnelle, dans la mesure où elle est

particulièrement adaptée lorsque « […] l'on cherche à appréhender et à rendre compte des systèmes de valeurs,

de normes, de représentations, de symboles propres à une culture ou à une sous-culture » (Michelat, 1975,

p. 230).

J’ai également fait quelques observations in situ, c’est-à-dire dans le Vieux-Québec, mais il est vite apparu que

cela n’avait pas grand intérêt au regard des représentations des acteurs. Cependant, celles-ci m’ont permis de

me rendre compte des pratiques d’accueil, et de la façon de traiter le client. Ces observations ont été faites de

manière informelle et n’ont pas donné lieu à l’élaboration d’un guide d’observation. Elles ont servi à valider

certains constats, notamment au regard des pratiques, et à vérifier les écarts entre les discours des participants

et leurs pratiques. Le discours s’est par ailleurs généralement vu validé par les observations. J’ai aussi travaillé

en accueil touristique, en tant que serveur, durant plusieurs années, notamment dans le secteur du Petit-

Champlain faisant partie du Vieux-Québec. J’ai donc pu observer et vivre certains des rapports au lieu et aux

autres décrits plus bas, ce qui m’a aidé pour l’analyse.

2.2. Le guide d’entretien

Le guide d’entretien élaboré pour cette recherche est centré sur l’engagement, l’accueil et le rapport au quartier

(voir annexe 3). Je pensais axer mon travail sur l’intégration au lieu et au tourisme, mais je me suis vite rendu

compte que cela menait vers une impasse, notamment en raison du fait que le sentiment d’intégration ne

semblait pas véritablement apparaître à travers le discours des participants. Par exemple, la partie du schéma

d’entrevue sur le rapport au quartier est découpée en deux, selon que le répondant habite ou non dans le

quartier, ce qui ne s’est pas avéré vraiment pertinent, d’autant que seulement deux participants résident dans

le Vieux-Québec. D’autres thèmes ont également été abordés différemment de la façon dont ils sont présentés

dans le guide, mais celui-ci est apparu suffisamment exhaustif pour que je n’aie pas à le modifier outre mesure.

49 http://cqrht.qc.ca/portrait-de-lindustrie-touristique/donnees-sur-lemploi-en-tourisme/, consulté le 24 janvier 2017.

Page 66: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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Ainsi, bien que certains thèmes ou aspects qui apparaissent dans le guide – comme la centralité et la finalité du

travail50, les pratiques hors travail51 ou la séparation des questions en fonction du lieu de résidence – n’aient

pas été développés outre mesure, aucun ajustement n’a été apporté au guide d’entrevue qui a été utilisé tel que

présenté en annexe. Ce guide est donc composé de deux blocs principaux :

- un premier bloc abordant principalement les questions de l’engagement en tourisme et des pratiques

d’accueil. Ce bloc est lui-même séparé en deux parties, la première s’intéressant au parcours et aux

motivations à travailler en tourisme, l’idée principale étant ici de laisser les participants s’exprimer sur

les raisons les ayant poussés à travailler puis à rester, ou non, dans ce domaine. Il est donc question

du parcours professionnel, des facteurs amenant à travailler en tourisme, de la place de ce dernier

dans le travail, des obstacles vécus dans les parcours professionnels, des modèles d’engagement, de

la projection dans l’avenir, etc. Quant à la seconde partie, celle-ci permet d’aborder la place de l’accueil

dans l’emploi en tourisme, son importance d’un point de vue professionnel et personnel ainsi que les

pratiques d’accueil dans le cadre du travail;

- un second bloc abordant la question du rapport au quartier du Vieux-Québec. Cette partie du guide

s’intéresse à l’importance du lieu touristique pour les travailleurs en tourisme, l’objectif étant d’amener

le participant à parler de sa connaissance du lieu touristique et de son rapport à celui-ci, des

représentations qui lui sont associées, ainsi que de la place du quartier dans le choix professionnel. Il

est également question de l’usage du quartier touristique, en tant que lieu de résidence, lieu de sortie,

etc.

Les thèmes abordés avaient pour objectif de faire ressortir l’implication des participants dans le tourisme en tant

que secteur d’activité professionnelle, ainsi que de voir la place que prenaient l’accueil – et plus spécifiquement

l’accueil de touristes – et le lieu touristique dans le choix de travailler dans ce domaine. Centrer mon guide sur

ces thèmes m’a permis de faire ressortir une relation au tourisme, aux touristes et au lieu touristique partagée

une majorité de participants, et, partant, de faire apparaitre les éléments d’une culture professionnelle commune,

ancrée dans ces aspects de leur activité professionnelle.

Au total le guide ne comprend que 5 questions, qui servent uniquement de fil conducteur lors d’entrevues

menées à la manière de discussions, préférant laisser les participants s’exprimer et aborder les thèmes comme

50 Ces thèmes étaient originellement inspirés des travaux de Mercure et Vultur sur la signification du travail (Mercure et Vultur, 2010), j’ai rapidement abandonné cette voie : non seulement celle-ci n’était pas si importante dans mon travail, mais surtout je me suis rapidement heurté à l’incompréhension des participants quand je leur demandais de classer en termes d’importance relative et absolue, de centralité, etc. 51 La réflexion à la base de cette thématique était de voir si les travailleurs en tourisme avaient des activités hors travail qui pouvait les rapprocher encore plus du tourisme. Cependant, après quelques entrevues, il est rapidement apparu que cette voie m’amenait vers une impasse peu concluante, et ne venant que complexifier inutilement l’analyse des verbatim. Cela aurait peut-être été plus probant dans une station touristique, afin de voir si les travailleurs en tourisme profitent de la station pour pratiquer les activités proposées dans ce lieu, comme le ski ou le surf. Dans un lieu comme la Ville de Québec, qui n’est pas exclusivement touristique, les activités sont trop disparates et dépendent d’un nombre trop important de facteurs pour être véritablement analysées dans le contexte de ce mémoire.

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bon leur semble. Ainsi, durant les entrevues, le rapport au quartier pouvait très bien être abordé avant le thème

de l’accueil selon la direction que prenait spontanément la conversation. En utilisant le guide de cette manière,

j’ai pu cibler de plus en plus efficacement mes questions, ce qui a permis, au fur et à mesure des entrevues,

d’aller rechercher l’information de manière concise, limitant fortement les d’échanges peu féconds. Ceci fut un

atout dans ce travail, notamment au regard des exigences de recrutement et du contexte dans lequel un grand

nombre d’entrevues se sont déroulées.

2.3. Critères de sélection, recrutement et échantillon

Initialement, ce mémoire ne devait traiter que des travailleurs du quartier du Petit-Champlain à Québec, mais la

difficulté à recruter dans les établissements touristiques de ce secteur m’a rapidement motivé à étendre mon

terrain de recherche. Cela n’a pas posé de problèmes en ce qui concerne la portée de cette recherche, dans la

mesure où le Petit-Champlain est un secteur du Vieux-Québec, qui reste le secteur le plus touristique de la ville,

et qui possède toutes les caractéristiques d’une bulle touristique, telle que décrite dans la première partie.

Concernant les participants, deux critères se sont imposés à moi dès le début de cette étude : il était important

qu’ils soient des travailleurs en accueil, et donc en contact avec la clientèle touristique, et qu'ils travaillent en

tourisme de manière permanente, ou du moins récurrente. J’ai donc essayé de ne pas faire d’entrevues avec

des travailleurs étudiants à temps partiel ou des saisonniers, considérant que leur situation en tourisme n’était

qu’un passage avant de trouver un emploi dans un domaine lié à leurs études. Deux répondantes étudiantes

ont toutefois été interrogées, mais principalement dans une perspective de contrôle, afin de m’assurer

d’éventuelles différences entre les divers types de travailleurs. Celles-ci occupaient tout de même des emplois

à temps plein en tourisme au moment de l’entrevue, et ce, de manière récurrente.

Pour le reste, je ne me suis pas véritablement astreint à des critères trop stricts, notamment en termes de sexe

et d’âge. L’emploi en tourisme, surtout en restauration, en hébergement et en vente étant majoritairement

féminin, je m’attendais à avoir plus de femmes que d’hommes, ce qui est arrivé puisque j’ai interrogé dix femmes

et cinq hommes. Cinq des participants ont moins de 35 ans, dont deux sont dans la vingtaine, six ont entre 36

et 50 ans, et quatre ont plus de 50 ans.

Enfin, mon objectif était de recruter trois guides, trois serveurs, trois réceptionnistes d’hôtel, trois vendeurs et

trois agents d’accueil d’office de tourisme. Ces emplois semblaient pertinents pour ce travail, puisqu’on les

retrouve à chaque étape de l’expérience des touristes et qu’ils possèdent tous un minimum d’interaction avec

les touristes. Ce sont également des emplois qui sont relativement courant en tourisme, surtout dans un lieu

comme le Vieux-Québec qui compte un nombre important d’hôtels, de restaurants, de tours guidés et de

boutiques. Malheureusement, le recrutement des agents d’office du tourisme s’est révélé plus compliqué

qu’envisagé, ayant dû attendre trop longtemps une réponse favorable de l’office de tourisme de Québec

concernant la sollicitation de ses employés, puis devant attendre que ces derniers me contactent pour une

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entrevue, ce qui n’est finalement jamais arrivé. Les autres participants ont été recrutés par sollicitation sur les

lieux de travail, avec l’autorisation des propriétaires ou responsables du personnel.

À noter qu’aux fins du recrutement, mis à part l’office de tourisme, diverses associations touristiques ont été

contactées, ainsi que l’association des gens d’affaire du Petit-Champlain. La plupart n’ont pas donné suite à

mes requêtes, et l’office de tourisme ne m’a recontacté que trop tard durant le processus de recrutement. Par

ailleurs, et il m’est rapidement apparu qu’il n’y avait qu’un intérêt limité pour moi de passer par ce genre

d’organisme pour mon recrutement. En effet, afin d’avoir un panel suffisamment diversifié de participants, il a

semblé plus pertinent de passer directement par les travailleurs en me présentant sur les lieux de travail. J’ai

donc principalement effectué du porte-à-porte auprès des différentes entreprises touristiques du Vieux-Québec,

qu’il s’agisse de restaurants, d’hôtels, de musées, d’agences de guides, etc.

Au moment des entrevues, quatre participants travaillaient dans des boutiques de souvenirs ou de vêtements

(trois en tant que responsables/gérants, une en tant que vendeuse), trois comme guides dans un musée, trois

en tant que serveurs dans des restaurants (dont une responsable), trois dans des hôtels (une gérante et deux

concierges), une était barmaid dans un pub, et enfin il y avait un guide indépendant. Six des participants

travaillaient dans le Petit-Champlain, quatre sur la rue Sainte-Anne en Haute-Ville, quatre sur la rue Saint-Jean

en Haute-Ville également, à l’intérieur des remparts, et le guide indépendant travaillait dans la rue, donc dans

tout le secteur du Vieux-Québec, et même au-delà.

En raison des circonstances entourant les modalités d’entrevues, et qui sont présentées plus en détail un peu

plus bas lorsqu’il sera question des limites de cette étude, les entrevues sont d’une durée moyenne d’environ

40 minutes. Cette durée relativement courte s’explique principalement par le fait que la plupart des entrevues

ont été réalisées soit sur les lieux de travail, pendant les heures de travail, les participants demandant parfois

des pauses pour s’occuper des clients, soit dans des cafés proches de leurs lieux de travail, avant ou après

leurs services, ou encore durant leurs pauses. Malgré cela, le fait d’avoir un guide d’entrevue permettant de

cibler les thèmes importants sans avoir à suivre un canevas trop strict, tel que mentionné plus haut, m’a permis

d’aller rapidement rechercher l’information nécessaire et de m’assurer que tous les aspects importants de cette

recherche soient couverts durant les entrevues.

Le tableau suivant présente le profil des participants à l’enquête en indiquant pour chacun le pseudonyme, l’âge,

le type d’emploi occupé et dans quel type d’établissement, ainsi que la formation. Ceux-ci sont classés par ordre

alphabétique.

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Tableau 5 : Caractéristiques des participants

Pseudonyme Âge Type d'emploi Type

d'établissement Formation

Alexandre 44 Guide de rue Indépendant Cégep sciences humaines/certificat en tourisme

Alice 53 Gérante Hôtel Baccalauréat en informatique

André 55 Serveur Restaurant Baccalauréat en géodésie

Ariane 32 Serveuse Restaurant DEC en travail social

David 40 Guide Musée Formation de guide

Diane 55 Guide Musée Maîtrise en ethnologie

Florence 33 Chef concierge Hôtel DEC en tourisme

Florian 42 Vendeur/gérant Boutique de souvenirs

Technique en génie civil, technique en métiers d'arts

Hélène 42 Serveuse/responsable Restaurant Maîtrise en droit (France, non reconnue au Québec)

Isabelle 23 Assistante de

direction/concierge Hôtel

Formation technique en hôtellerie-restauration (France)

Juliette 56 Guide Musée Arts et lettre/diplôme en animation socioculturelle

(France, non reconnue au Québec)

Lucie 31 Barmaid Pub Certificat en administration, certificat en

administration, DEC en esthétique

Marie 36 Vendeuse/gérante Boutique de vêtements

Secondaire 4

Nadège 26 Vendeuse Boutique de souvenirs

Baccalauréat multidisciplinaire (coopération internationale)

Romain 40 Vendeur/gérant Boutique de vêtements

Diplôme vente commerce et marketing (Amérique du Sud)

2.4. Analyse des données

Pour les fins de l’analyse, toutes les entrevues ont été retranscrites verbatim en intégralité, dans un premier

temps à l’aide du logiciel Sonal. Ce logiciel m’a également aidé à effectuer une analyse primaire des premiers

verbatim en fonction des thèmes abordés dans ce mémoire. Cependant, considérant la durée relativement

courte des entrevues, il est vite apparu que l’analyse des verbatim ne nécessitait pas l’usage d’un logiciel

particulier. Le reste des entrevues a donc été retranscrit sur Word, et ensuite été lu plusieurs fois et annoté en

faisant ressortir les principales thématiques abordées.

La méthode utilisée pour l’analyse des verbatim a principalement été inspirée de la méthode de la théorisation

ancrée telle que présentée par Paillé (1994). Pour ce faire, chaque propos des participants a fait l’objet d’une

courte description, en quelques mots clés, permettant de procéder à une codification initiale de leurs propos, en

répondant à de simples questions comme « de quoi parle-t-on ici ? », « qu’est-ce que c’est? », etc. Cette

codification très fine a ensuite permis une catégorisation des propos des participants selon des thèmes plus

généraux mais aussi mieux adaptés à l’analyse.

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Cette seconde étape consiste à « porter l'analyse à un niveau conceptuel en nommant de manière plus riche et

plus englobante les phénomènes, les événements qui se dégagent des données » (Paillé, 1994, p.159). Cela

m’a donc permis de regrouper les discours dans les catégories préalablement établies, telles que le parcours

scolaire, le parcours professionnel, l’entrée en tourisme, la place du tourisme dans l’activité professionnelle,

l’importance de la clientèle touristique, le rapport aux touristes, le rapport au lieu, l’usage du lieu, etc. C’est par

ailleurs en ce sens que mon approche s’inspire de la méthode de la théorisation ancrée, puisque celle-ci déduit

les catégories de la codification, là où, pour ce mémoire, la catégorisation précède la codification.

Ces regroupements ainsi qu’une fine connaissance des entrevues ont ensuite permis de procéder à une analyse

comparative des discours de répondants, de manière à faire ressortir les récurrences, les différences et les

points de contradiction. Tous ces éléments ont facilité l’analyse et ont permis de faire ressortir les catégories qui

apparaissent au long de ce mémoire, et surtout de faire ressortir les portraits types des travailleurs que l’on

rencontre dans le secteur touristique à Québec.

3. Portée et limites de l’étude

Quelques limites se sont imposées lors de cette étude. La première concerne le recrutement, qui n’a pas été

facile pour plusieurs raisons. J’ai débuté celui-ci durant l’été, pensant que ce serait la période la plus propice en

raison de la saison touristique. Cependant, il s’agit également d’une période durant laquelle un bon nombre de

travailleurs en tourisme sont des étudiants qui ne travaillent pas à temps plein. De plus, dans cette période

achalandée, les journées de travail sont longues et les jours de repos peu fréquents. Trouver une plage horaire

pour faire une entrevue avec des travailleurs en tourisme ne fut donc pas évident. Après trois entrevues et un

nombre important de reports, j’ai donc décidé de faire une pause et de reprendre le recrutement à l’automne.

Malheureusement, cette période est encore achalandée et le nombre de travailleurs baisse en raison du retour

à l’école des étudiants, ce qui fait que les titulaires de postes permanents sont encore très, voire plus, occupés.

Pour pallier le problème de temps disponible, j’ai dû conduire sept entrevues sur le lieu de travail, dont cinq

durant les heures de travail, profitant de moments moins mouvementés, le matin notamment. Il a donc fallu

composer avec l’arrivée de clients ou de livreurs, et il a également fallu que je m’impose une limite de temps

afin de ne pas trop perturber la journée de travail des participants.

Le second biais concernant le recrutement vient du fait que celui-ci a dû être fait sur les lieux de travail : j’ai été

obligé de passer par les employeurs ou les responsables de personnel. J’ai donc été soumis à la volonté – et

parfois plutôt au manque de volonté – de ces derniers pour mon recrutement. De plus, après avoir expliqué mes

objectifs de recherche et mes critères, ils ont généralement choisi eux-mêmes les individus qui leur semblaient

les plus « représentatifs ». Aussi, certains semblaient se sentir comme un peu forcés de faire ces entrevues,

étant donné que c’était demandé par l’employeur ou le supérieur hiérarchique, ce qui peut avoir eu un impact

négatif sur les discours. Cependant, mes questions ne portant pas sur les conditions de travail et le rapport à la

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direction, je ne pense pas que cette situation particulière ait eu une grande influence sur les propos des

participants.

Malgré tout, ce mémoire permet de revoir la façon de considérer les travailleurs en tourisme, et offre une

nouvelle perspective sur les critères de catégorisation de ces individus. Je propose en effet de considérer les

travailleurs de l’accueil en tourisme comme un tout relativement homogène dans le rapport au visiteur et au lieu,

ce qui permettrait de mieux penser non seulement la façon de gérer ce type de travailleurs dont les conditions

de travail ne sont pas toujours les plus avantageuses, mais aussi l’offre touristique. Car mieux comprendre le

vécu des personnes qui font l’offre touristique, comprendre ce qu’elles ressentent et comment elles considèrent

leur place dans le processus d’offre et leurs liens avec les touristes, comprendre également la place du rapport

à l’autre et au lieu touristique aide à mieux comprendre ce qu’ils ont à offrir, et pourquoi pas à imaginer comment

l’améliorer.

4. Présentation des participants

Avant de présenter l’analyse des entretiens, j’ai jugé important de faire un bref compte rendu des parcours des

participants, ce qui allège les parties qui suivent et aide à comprendre la situation de ceux et celles qui sont

cités.

Alexandre, 44 ans, guide touristique et chef d’entreprise, tours guidés – Après avoir terminé ses études

collégiales en sciences humaines, Alexandre a effectué des emplois dans divers domaines, principalement dans

ceux du transport et de la vente. Vers l’âge de vingt ans, un ami lui a proposé de travailler en tant que guide en

calèche. Il découvre rapidement qu’il aime cela, surtout le fait de faire découvrir la ville de Québec aux touristes.

Il diversifie alors ses expériences en tant que guide de tours en autobus, guide de rue, à pied ou en calèche, et

fait un certificat en tourisme afin de parfaire ses connaissances sur le Vieux-Québec et la Nouvelle-France, qu’il

considère comme son produit commercial. Il finit par ouvrir sa propre compagnie de tours guidés en 2006, et il

emploie aujourd’hui plusieurs guides chaque été. Bien que son emploi se concentre de plus en plus dans la

gestion de l’entreprise, il donne encore des tours et pense même finir sa vie professionnelle dans cette activité

qu’il adore. Cependant, celle-ci ne lui permet pas de vivre à l’année et il cumule aussi de petits emplois durant

l’hiver, dans des domaines variés.

Alice, 53 ans, gérante, hôtel – Originaire d’Asie, Alice travaille dans le domaine hôtelier depuis plus de 20 ans

à contrecœur. Se décrivant comme n’étant pas à l’aise dans les relations interpersonnelles, elle a d’abord décidé

de faire une carrière en informatique. Elle a donc effectué un baccalauréat dans ce domaine en Ontario où elle

habitait alors, et elle espérait bien continuer dans cette branche. Mais c’était sans compter sur ses parents,

propriétaires d’un hôtel dans le Vieux-Québec et éprouvant des difficultés à s’en occuper, qui lui demandent de

venir le prendre en charge. N’ayant pas vraiment d’autre choix, elle vient s’installer à Québec en 1991 et

Page 72: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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s’occupe de cet établissement, sans pour autant se sentir vraiment investie dans la tâche. À 53 ans, elle n’espère

plus changer de domaine et attend la retraite dans cet hôtel.

André, 55 ans, serveur, restaurant – André travaille dans un restaurant dans le secteur de la Place-Royale

depuis environ 20 ans, accueillant principalement une clientèle touristique, souvent des groupes. Avant de

travailler à cet endroit, il a commencé un baccalauréat en sciences de la terre, tout en travaillant dans un club

de la Grande-Allée, aujourd’hui fermé, pour se payer ses études. Son domaine d’étude ne lui plaisant pas

spécialement, mais appréciant beaucoup son travail en service, il décide de s’y consacrer à plein temps. Après

quelques années en tant que serveur dans ce club, un ami lui propose de venir travailler dans le restaurant dans

lequel il travaille encore aujourd’hui. Il compte y rester jusqu’à la retraite, puis éventuellement travailler un ou

deux jours par semaine en tant que représentant de vins.

Ariane, 32 ans, serveuse, restaurant – Ariane est serveuse à temps plein dans un restaurant situé dans le

secteur de la Place-Royale. Elle y travaille depuis 2009, mais de manière générale uniquement l’été, faisant

quelques extras l’hiver ou restant au chômage. Avant cela, elle a obtenu un DEC en service social, domaine

dans lequel elle travaille durant deux ans après ses études, d’abord dans un abri puis comme technicienne

d’éducation spécialisée. Cela ne lui plaisait pas assez, n’appréciant pas vraiment les emplois trop « statiques ».

Elle décide alors de travailler dans un bar, se disant qu’elle a le potentiel pour faire ce type d’emploi. Elle fait

cela pendant cinq ans, en même temps qu’un emploi comme serveuse dans une auberge touristique, puis elle

part en voyage en Amérique du Sud durant quelques mois. À son retour, elle ne veut plus rester dans sa ville

natale du Bas-Saint-Laurent et décide de venir à Québec, afin de rencontrer du monde d’horizons plus variés.

Elle cherche un emploi dans le Vieux-Québec comme serveuse, ce qu’elle trouve dans le restaurant où elle

travaille encore au moment de l’entrevue. Son avenir n’est pas tracé : elle sait que son emploi se termine après

la saison, après quoi elle veut s’occuper à temps plein de son enfant en bas âge, et éventuellement par la suite

ouvrir son propre commerce, un restaurant de quartier dans Limoilou ou bien une auberge, afin de continuer à

servir une clientèle touristique.

David, 40 ans, guide, musée – Fasciné depuis son jeune âge par le Vieux-Québec, David profite de ses études

au Cégep pour suivre un cours de guide touristique, principalement dans le but d’en apprendre plus sur ce sujet.

Une fois ce cours terminé, il se dit que lui aussi peut l’apprendre aux autres et décide de postuler comme guide

à pied dans le Vieux-Québec à l’âge de 19 ans. Cependant, les conditions de travail incertaines le poussent à

se renseigner auprès d’un ami travaillant dans un musée sur les possibilités de carrière. Finalement, il se fait

engager dans ce musée en 1997, d’abord à temps partiel pendant cinq ans, puis à temps plein jusqu’à

aujourd’hui. À côté de cela, il est comédien, ayant suivi des cours de théâtre et de littérature, mais la stabilité de

cette profession étant encore moindre que celle de guide, il ne fait cela qu’en dilettante. Il compte bien rester au

musée jusqu’à sa retraite.

Page 73: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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Diane, 55 ans, guide, musée – Diplômée d’une maîtrise en sciences humaines, Diane a commencé comme

guide dans un petit musée, ainsi que pour Parc Canada. À la fin des années 1980, elle voit une annonce de

recrutement dans le cadre de l’ouverture d’un nouveau musée public et pose sa candidature en tant que guide.

Celle-ci est acceptée et elle commence ainsi une longue carrière dans cet établissement. Pour l’avenir, elle ne

compte pas changer d’emploi et envisage plutôt la retraite.

Florence, 33 ans, concierge, hôtel – Dès l’âge de 17 ans, Florence a décidé de travailler en tourisme, ne

sachant pas vraiment quel cursus suivre et voulant combiner son goût pour les voyages et celui du contact avec

les autres. Elle suit alors une technique en tourisme, spécialisée en « accueil et l’héritage touristique » dans un

collège d’enseignement privé de Québec. Elle fait également un stage en coopération internationale et

commence un certificat en langues à l’université, mais l’abandonne en chemin. Peu après ses études, elle se

fait employer dans une auberge du Vieux-Québec comme réceptionniste. Jusqu’en 2013, elle revient travailler

dans la même auberge en alternant avec des expériences internationales, voyageant et travaillant un peu

partout à travers le monde. Ayant de plus en plus de responsabilités à l’auberge, elle finit par se faire embaucher

à temps plein en tant que concierge principale, ce qui lui permet aujourd’hui un peu plus de stabilité. Elle est

également membre Clefs d’Or52 depuis 2014. Elle espère conserver cet emploi encore quelques années, puis

peut-être changer de type d’emploi, mais rester en tourisme.

Florian, 42 ans, gérant, boutique de cadeaux – Florian possède une technique en génie civil et un diplôme

en métiers d’arts. Après ses études, il cumule les emplois dans des domaines aussi variés que le commerce, la

restauration ou les forces armées. En 1995, sa mère, propriétaire de quatre boutiques de cadeaux et de

souvenirs dans le Vieux-Québec lui demande de l’aider dans son travail, ce qu’il fait depuis lors. Après cinq

années à temps partiel, il passe à temps plein en 2000 et il est aujourd’hui gérant. À côté de cela, il est également

courtier immobilier à temps partiel. Il compte continuer ainsi pour les années à venir, et éventuellement ouvrir

sa propre boutique de cadeaux dans le Vieux-Québec.

Hélène, 42 ans, responsable, restaurant – Hélène est originaire de France, et a immigré au Québec en 1997.

Avant cela, elle fait des études en droit, obtient une maîtrise et travaille dans le domaine de la restauration tous

les étés pour payer ses études. Elle travaille ensuite pendant quatre ans dans un cabinet d’avocat avant d’arriver

à Québec. Son diplôme n’étant pas entièrement reconnu ici, elle décide de reprendre les études à l’Université

Laval, tout en travaillant dans un restaurant dans le Vieux-Québec pour avoir une rentrée d’argent. Découragée

par la complexité du droit au Canda, notamment au regard du bilinguisme requis pour la lecture des textes de

loi, elle décide d’abandonner le droit pour se consacrer à la restauration. Elle commence donc à travailler à

52 Les Clefs d’Or sont une association internationale de concierge d’hôtel présente au Canada depuis 1976 et qui regroupe des concierges ayant « démontré une connaissance inégalée de leurs villes respectives », ainsi qu’une certaine « excellence dans le service » (www.lesclefsdorcanada.org). Cette association permet notamment aux concierges d’hôtels affiliés de développer un réseau « lié par l’amitié » permettant d’offrir aux visiteurs une excellente expérience touristique.

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temps plein dans le restaurant, ce qu’elle fait encore aujourd’hui. Avec le temps, elle a acquis de nombreuses

responsabilités et c’est aujourd’hui elle qui gère le restaurant. Bien que selon elle l’avenir est incertain dans son

domaine, elle espère continuer encore longtemps dans cette position. Malgré tout, elle n’est pas inquiète, se

disant qu’en restauration, surtout en tourisme, trouver un emploi ne pose pas de grande difficulté.

Isabelle, 23 ans, assistante de direction/concierge/réceptionniste, hôtel – À 18 ans, Isabelle décide de

suivre une formation en hôtellerie-restauration en France, cherchant son avenir professionnel et sachant déjà

aimer le service à la clientèle. Ce qu’elle veut avant tout, c’est étudier en restauration, mais il n’existe pas de

formation spécialisée dans ce domaine spécifiquement. Ayant à suivre des cours en hôtellerie, elle se rend

compte qu’elle préfère ce secteur, notamment en raison du contact prolongé avec les clients, qui permet des

échanges plus profonds que la courte interaction du service au restaurant. Après sa formation, elle profite de

ses acquis pour voyager et travailler dans divers hôtels à travers l’Europe avant de prendre un visa vacances-

travail pour le Canada. Arrivée à Québec en 2014, elle trouve d’abord un emploi en Basse-Ville avant de se faire

proposer un poste d’assistante de direction dans un petit hôtel du secteur Saint-Louis, en Haute-Ville. Au

moment de l’entrevue, elle ne savait pas encore ce qu’elle ferait précisément dans l’avenir, mais elle pensait

travailler dans le secteur touristique pour encore plusieurs années, au moins le temps d’avoir des enfants. Après

cela, elle ne sait pas si elle pourra encore travailler dans ce domaine qui demande beaucoup d’investissement

en temps et qui ne permet pas forcément une bonne conciliation travail-famille.

Juliette, 56 ans, guide, musée – Juliette est employée au musée en tant que guide depuis 1996. Avant cela

elle a obtenu un DEC en arts et lettre, puis un diplôme en animation socioculturelle en France, qui n’est pas

reconnu au Québec. Elle a d’abord occupé divers emplois dans la vente, ou bien en tant que gérante de théâtre,

ou encore employée de musée à la réception, la billetterie ou la boutique. La plupart de ces emplois ont été

occupés dans le Vieux-Québec ou dans Saint-Roch. Depuis qu’elle est au musée, elle n’a plus envie de changer,

et elle espère y rester jusqu’à sa retraite.

Lucie, 31 ans, barmaid, pub – Au moment de l’entrevue, Lucie travaillait dans un pub du Vieux-Québec que

depuis quelques mois seulement. Avant cela, elle avait un emploi dans un restaurant du quartier touristique de

Montréal. Elle a un long passé en restauration, mais pas toujours dans le milieu touristique. Elle a également

une expérience en tant que propriétaire de restaurant dans un contexte non touristique. Elle possède un certificat

en communication, un autre en administration, ainsi qu’un DEP en esthétique, et elle était en voie de terminer

un baccalauréat multidisciplinaire. Après son travail au pub, elle désire éventuellement ouvrir un nouveau

commerce, mais pas en restauration, le secteur étant saturé selon elle. Elle s’oriente plutôt pour une boutique

de produits naturels, dans un secteur de la ville autre que le Vieux-Québec, trop cher à ses yeux.

Marie, 36 ans, gérante, boutique de vêtements et de souvenirs – Marie a commencé à travailler dans la

boutique de son père à l’âge de 20 ans. Avant cela, elle a fait quelques emplois après avoir terminé son

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secondaire, toujours dans le domaine de la vente et dans le cadre de l’entreprise familiale. Elle n’a donc presque

rien fait d’autre, professionnellement, que de s’occuper de cette boutique. Elle est aussi responsable de

quelques-unes des cinq autres boutiques de souvenirs et de mode que son père possède dans le Vieux-Québec.

Elle n’a aucune envie, pour le moment, de quitter son domaine, et elle espère même plutôt pouvoir un jour

reprendre les commerces de son père.

Nadège, 26 ans, vendeuse, boutique de souvenirs – Nadège est venue effecteur un bac multidisciplinaire à

l’Université Laval en 2012, et en arrivant à Québec, elle est tombée sous le charme de la vieille ville. Cherchant

un revenu pour financer ses études, elle décide de chercher un emploi de vendeuse dans ce secteur de la ville,

ayant déjà une expérience en service à la clientèle, même si ce n’était pas dans le domaine touristique. Elle

trouve alors un emploi dans une boutique de souvenirs, qui finit par déboucher sur un poste permanent, à temps

partiel hors saison et temps plein en été. Bien que cet emploi lui plaise, elle a déjà décidé, au moment de

l’entrevue, de donner sa démission afin de trouver un emploi axé sur son domaine d’étude. Elle est

principalement découragée par le salaire, mais surtout ne veut pas « gâcher » toutes ses années d’études dans

un emploi sans rapport avec celles-ci.

Romain, 40 ans, gérant, boutique de vêtements – Originaire d’Amérique du Sud, Romain est arrivé au

Québec en 2012. Diplômé en vente, commerce et marketing, il a d’abord travaillé dans divers commerces puis

comme guide touristique dans la ville de Rio de Janeiro. Il déménage ensuite en Uruguay pour travailler sur une

ferme, le temps que son visa pour le Canada lui soit accordé. Il arrive en 2012 au Québec avec le statut de

résident permanent, et cherche un emploi dans la vente, principalement dans le secteur du Vieux-Québec, le

français n’étant pas sa première langue et pensant pouvoir parler un peu plus anglais, langue qu’il maîtrise

mieux. Il trouve un emploi dans une boutique de vêtements et de souvenirs tenue par des anglophones. Au bout

d’un certain temps il envisage de prendre une formation en hôtellerie afin de trouver un emploi au Château

Frontenac, mais il se voit proposer une place de gérant dans sa boutique, ce qui le pousse à rester. Pour l’avenir,

il ne pense pas rester longtemps à Québec, et plutôt partir dans une province anglophone relever d’autres défis,

trouvant son emploi peu stimulant. Il envisage de chercher un emploi dans le domaine du tourisme, avantagé

par sa maîtrise des langues, mais c’est principalement la vente et le commerce qui l’intéressent.

Page 76: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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CHAPITRE 4 : PARCOURS D’ENGAGEMENTS EN TOURISME

L’objectif de cette partie est de dresser un portrait des « parcours d’engagement » et de l’attachement

professionnel des personnes qui travaillent en accueil touristique pour y comprendre la place que prennent le

tourisme, les touristes et l’accueil dans l’expérience professionnelle de ces travailleurs. Comment arrive-t-on à

travailler en tourisme, pourquoi reste-t-on dans ce domaine, s’agit-il d’une démarche réfléchie ou la plupart du

temps est-ce le fruit de concours de circonstances? Bien sûr il n’est pas question de dresser un éventail exhaustif

de tous les parcours possibles en tourisme, mais bien de montrer comment le tourisme peut être important pour

ces travailleurs et devenir la base d’une expérience et d’une culture commune.

1. L’entrée en tourisme

1.1. L’entrée par l’orientation scolaire en tourisme

Le premier mode d’entrée en tourisme, et celui qui suppose le plus haut degré d’engagement, est de passer par

une formation en tourisme préalable à l’entrée sur le marché du travail dans cette industrie, que cette formation

soit technique ou plus théorique53. Dans cette recherche, trois participants – Florence, David et Isabelle – ont

suivi une formation de ce type. Cependant, seule Florence avait alors un avis bien arrêté sur la question de son

engagement et était désireuse de travailler en tourisme, ce qui l’entraîna dans cette voie dès la fin de son

adolescence :

Ok, ben, parcours scolaire, secondaire 5 fait, j’ai été faire une technique en tourisme […]. Donc j’ai fait une technique de 3 ans de 2001 à 2004, et j’ai terminé avec la branche accueil et héritage touristique. (Florence, concierge)

Le fait de s’engager en tourisme découle ici d’un choix d’orientation, choix qui par ailleurs a d’abord été soumis

à réflexion :

[…] Quand on a 17 ans, puis qu’on se fait demander qu’est-ce qu’on veut faire dans la vie des fois on sait pas trop quoi dire… Donc voilà, en fin de compte, je savais que j’aimais les gens et j’aimais surtout le voyage pis j’été très curieuse de tout ça donc je me suis dit que en étudiant en tourisme j’allais nécessairement voyager […]. (Florence, concierge)

Forte de cette formation et de nombreuses expériences à l’étranger, elle s’est rapidement fait embaucher dans

une auberge du Vieux-Québec :

[…] Je suis venue porter mon nom en septembre 2004 pour travailler à la réception de l’auberge et ils m’ont pris. Alors, j’ai travaillé peut-être un an et demi à la réception, je suis partie un autre quatre mois en Amérique latine pour vraiment finir… tu sais… d’apprendre l’espagnol et voyager encore plus, puis quand je suis revenue, j’ai commencé à la conciergerie. (Florence, concierge)

53 Par théorique, j’entends ici une formation universitaire qui s’intéresserait plus au fondement du tourisme, ses implications sociales, économiques, voire politiques, à la différence d’une formation professionnelle se penchant plus sur les techniques en matière de tourisme, que ce soit au niveau de l’accueil, de la création ou la distribution de produits touristique, etc.

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Aujourd’hui membre des « clés d’or », elle continue à travailler dans cette entreprise et compte demeurer

en tourisme dans l’hôtellerie. Elle a parfois envie de changer de secteur d’activité, considérant ce qu’elle

pourrait en retirer d’un point de vue personnel, mais tenir la ligne d’une profession dans la continuité prime

sur les tentations d’aller faire autre chose :

Bien, je pense sérieusement rester en tourisme, après c’est sûr qu’en hôtellerie… je pense que

c’est important de pas stagner. Moi je pense que j’ai pas stagné […] donc il y une continuité, un

fil conducteur, c’est tout en évolution. Présentement j’ai encore plein de choses à accomplir à

l’auberge et puis je sens que je pourrais rester ici longtemps. (Florence, concierge)

Les choses sont légèrement différentes pour Isabelle et David. Tous deux ont suivi une formation liée au

tourisme, sans que celui-ci soit au centre de leurs intérêts. Originaire de France, Isabelle voulait d’abord travailler

en restauration, et elle de savait pas vraiment quelles études entreprendre à la fin de ses études générales :

[…] Je suis arrivée à la fin de mes études générales où j'ai dû chercher un peu ce que je voulais, et je voulais travailler, au final, dans la restauration. Et en fait, en France […] on devait avoir un parcours hôtellerie/restauration, y a pas juste restauration ou hôtellerie au niveau études un peu plus élevées qu'une technique ou quelque chose de base. Et en fait je me suis retrouvée à aimer plus l'hôtellerie que la restauration, donc c'est comme ça que ça a commencé. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Le contact prolongé avec la clientèle que permet l’accueil hôtelier l’a fait changer d’idée et se détourner du choix

de la restauration :

Ce contact d'échange permanent avec la personne, je le trouve beaucoup moins éphémère en hôtellerie, parce que c'est des séjours sur 24 ou 48 heures généralement, alors qu'en restauration, c'est deux heures maximum où t'as pas le temps d'échanger vraiment, quoi. Les gens sont plus là pour manger et passer un temps ensemble que d'échanger avec la personne derrière le comptoir. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Bien que le tourisme ne fût à la base qu’un aspect secondaire de son travail, il a fini par prendre une certaine

importance au gré de ses expériences professionnelles :

[…] Si j'ai autant voyagé, c'est grâce à mon boulot, parce que tous les six mois, je changeais de destination. Donc c'est sûr, regarde mon CV, regarde les pays que j'ai faits, on dit "ouah, t'as juste cet âge-là et t'as déjà fait tout ça, mais c'est parce que mon métier me l'a permis aussi […]. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

C’est par ailleurs son expertise dans les domaines de l’hôtellerie et du tourisme qui l’a amené à travailler à

Québec : à son arrivée, elle a en effet facilement trouvé un emploi dans un premier hôtel avant de se faire offrir

un poste d’assistante de direction dans un autre établissement, qu’elle a accepté avec plaisir.

Les choses sont encore différentes pour David qui n’a pas entrepris d’études en tourisme ou même en technique

d’accueil, mais qui a suivi un cours de guide touristique au cégep, principalement en raison de sa fascination

pour l’histoire et l’architecture du Vieux-Québec :

J'ai grandi ici à Québec et, quand je me promenais dans le Vieux-Québec, je trouvais ça

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extraordinaire, je trouvais ça fascinant de voir ces édifices-là, cette architecture. Je me disais : "c'est sûr qu'il s'est passé plein de choses ici". J'étais très curieux de savoir ce qui s'était vraiment passé, et je me suis toujours dit : "un jour je vais suivre un tour de ville dans ma propre ville". Ça s'est jamais produit. Par contre, lorsque j'étais au cégep, j'ai vu qu'on annonçait un cours – ce n'était pas dans mon cégep, c'était un autre cégep – mais qu'on annonçait un cours "guide touristique". (David, guide de musée)

Une fois ce cours terminé, il se rend compte que lui aussi peut partager ses connaissances et décide de travailler

en tant que guide de ville, ce qu’il fait pendant une dizaine d’années. À la recherche d’un peu plus de stabilité,

il se fait embaucher dans un musée sur les conseils d’un ami, emploi qu’il continue d’occuper depuis plus de 18

ans:

[…] Je voulais avoir un emploi un petit peu plus stable, plus fixe, parce que comme guide de ville, c'est pas la ville qui engage, c'est des compagnies privées. Et à ce moment-là on ne sait jamais combien de visites on va faire dans une saison, c'est très, très aléatoire. (David, guide de musée)

Il a également suivi une formation en théâtre, qu’il considère comme sa passion, et combine son emploi de

guide à celui de comédien. Cependant, il pense que s’il n’avait pas travaillé dans l’un ou l’autre de ces domaines,

il aurait vraisemblablement toujours travaillé dans le domaine touristique :

[…] On m'a déjà posé la question, si j'avais à choisir un autre métier que celui de guide ou de comédien, qu'est-ce que je ferais. Et probablement que je serais agent de bord. Donc ça reste dans le domaine touristique, parce que j'aime le voyage, j'aime voir autre chose. (David, guide de musée)

Malgré leurs différences, ces trois participants partagent plusieurs points communs, comme une formation liée

au tourisme et la place importante accordée à ce dernier dans leur vie professionnelle. Leur premier contact

avec le tourisme en tant que domaine d’activité a eu lieu avant leur entrée sur le marché du travail et leur goût

pour celui-ci s’est développé avant de commencer à y travailler. S’ils n’avaient pas eu une affinité particulière

avec le tourisme, ils auraient probablement recherché une activité professionnelle dans un autre domaine.

1.2. L’entrée par immersion

Un deuxième mode d’entrée en tourisme rencontré dans cette enquête est l’« immersion », c’est-à-dire y entrer

et y apprendre le métier, sans formation scolaire ou technique spécialisée, au gré des expériences. C’est le

mode d’entrée en tourisme le plus répandu chez les participants : sept des personnes interrogées sont en effet

dans cette situation, ce qui correspond pratiquement à la moitié des participants, soit Diane, Juliette, Romain,

Alexandre, Ariane, André et Hélène. Et si là encore il existe des différences notables, il est malgré tout possible

de dresser un portrait général de leur réalité.

Pour Hélène et André, les premières expériences en tourisme se sont faites durant les études universitaires :

C‘est une job d’étudiant carrément, et en fin de compte je suis resté là-dedans. […] Les études, j’y allais, mais j’avais pas grand intérêt là-dedans. (André, serveur)

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Ce manque d’intérêt pour son champ d’études a donc amené André à arrêter avant l’obtention de son diplôme

et à travailler à temps plein dans son emploi étudiant en tant que serveur sur la Grande-Allée. Finalement, on

lui a proposé un emploi dans le Vieux-Québec, ce qui l’amena à travailler dans un secteur touristique depuis

plus de 20 ans.

Hélène a quant à elle travaillé en tourisme durant ses études de droit, effectuant des saisons dans le sud de la

France dont elle est originaire. Bien qu’ayant quelques années d’expériences professionnelles dans son

domaine d’études, ses diplômes n’étaient pas entièrement reconnus à son arrivée au Québec :

Donc quand je suis venue ici, j'ai repris des études à Laval, et j'ai fait […] mon Bac en droit. C'est euh, bah ils m'avaient crédité juste un an sur les quatre. Donc, c'est ça. J'ai fait deux ans, et puis, j'ai un peu travaillé là, mais ça me plaisait pas. […] Donc je me suis tournée vers la restauration, parce que c'est vrai que le, le truc premier, c'est que tu as de l'argent tout de suite. (Hélène, serveuse/responsable)

Elle décide pour cela d’abandonner le droit afin de s’engager à temps plein dans la restauration, travaillant déjà

dans un restaurant du Vieux-Québec durant son retour aux études. Mais ce qui aurait pu paraître comme un

échec pour elle semble en fait entièrement accepté et assumé :

Moi : Et qu'est-ce qui t'a motivée à rester? Tu ne t'es pas dit : "Je vais essayer de trouver autre chose"... ? Hélène : Non, parce que ça me plaît vraiment. Moi : Qu'est-ce qui te plaît? Hélène : Ce que me plaît, surtout dans le Vieux, c'est que tu vois des gens différents tout le temps. Tu discutes, tu vends ta ville, mais t'écoutes les expériences des gens, les heu... C'est super intéressant en fait. Et puis tu pratiques, moi je pratique les trois langues : espagnol, français, anglais. Donc, c'est ça. Et c'est un boulot actif, t'es pas derrière un bureau. Moi, j'ai fait ça quatre ans, j'aimais pas du tout. C'est bien de s'aérer, voilà. (Hélène, serveuse/responsable)

Même son de cloche du côté d’André, qui est très satisfait de son choix de carrière :

Bah, moi j’aimais ça. Le service, j’aime bien ça rencontrer du monde, pis tu sais toujours du monde, là, mais du monde qui sont en fête. C’est pas du monde déprimé, c’est pas un enterrement. C’est du monde qui sont là pour le plaisir. Moi, j’aime ça avoir du plaisir, donc ça tombait dans ma palette, ça a l’air. (André, serveur)

Les choses sont à peu près similaires pour Ariane, à cela près qu’elle a commencé à travailler en restauration

et en tourisme après avoir commencé à s’engager en travail social, domaine dans lequel elle possède une

formation. Lassée de ces emplois qu’elle juge trop statiques, elle décide de changer de domaine pour s’essayer

à la restauration :

En fait, la dernière job que j’ai faite en travail social, c’était pas vraiment du travail social. C’était une job de technicienne d’éducation spécialisée, pis technicienne d’éducation spécialisée c’est plus heu… T’es dans la classe, avec une personne individuelle que t’essaies d’aider, pis tu vas être avec elle toute l’année. Je trouve que je me manquais de motivation. Ça bougeait pas assez. J’étais assis à longueur de journée, je voulais heu... Je capotais là. Ça bougeait pas, pour moi, assez. Il y avait pas assez de monde pis… Faut que je travaille avec du monde dans la vie, j’aime ça. (Ariane, serveuse)

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Cela l’a donc amenée dans le Vieux-Québec à la recherche d’un emploi dans le domaine de la restauration.

Diane et Juliette se sont quant à elles retrouvées à travailler en tourisme au gré de leurs expériences

professionnelles, sans que cela ne soit une complète rupture par rapport à leurs domaines d’études, bien que

ceux-là n’aient a priori aucun rapport avec le tourisme. Diplômées de sciences humaines pour la première et

d’arts et lettres pour la seconde, elles ont tout de même suivi une trajectoire cohérente, puisque cela les a

amenés à travailler dans un musée. Cependant, le résultat est qu’elles n’ont pas vraiment l’impression de

travailler en tourisme, bien que celui-ci soit central dans leur activité :

Bah, le fait d'être guide dans un musée, c'est certain que je suis pas une guide touristique. Donc j'ai pas choisi le volet tourisme. Mais on accueille beaucoup de touristes ici, spécialement en été. Moi je travaille beaucoup dans [une salle d’exposition permanente], et presque toutes les visites l'été, c'est 90% de touristes qui les suivent. (Juliette, guide de musée)

Le parcours de Romain est similaire, ayant travaillé dans la vente et exercé en tant que guide de ville à la sortie

de ses études en commerce et marketing en Amérique du Sud, continent dont il est originaire. En arrivant à

Québec, il s’est orienté vers un emploi dans le Vieux-Québec en raison de sa maîtrise de quatre langues, ce qui

lui facilitait grandement la tâche. Il recherchait davantage un emploi dans le domaine de la vente que dans celui

du tourisme à proprement parler. Romain est désormais bien conscient de sa place en tourisme et a même

commencé une formation plus poussée dans ce domaine avant de se faire offrir une place de gérant.

Pour terminer, notons le cas d’Alexandre, qui à l’instar d’Ariane est entré en tourisme à la suite d’études en

sciences sociales et en rupture avec ses divers emplois occupés jusqu’alors, que ce soit dans le transport ou la

vente. C’est après une première expérience en tant que guide en calèche qu’il se rend compte qu’il aime ce

domaine et décide de s’y lancer :

[…] Je suis embarqué sur la calèche, j'ai découvert Québec, j'ai découvert tout mon secondaire 4 en histoire, là. Ok j'ai fait : "ah ouais, c'est ici, taberlingue. Ok, c'est ça, ça, ça. Ok, c'est ça, c'est le château Frontenac. Ok, le château Saint-Louis était là. Ah ouais, le bord de la rivière Saint-Charles, c'est là. Le quartier c'est..." Ça a fait comme un déclic là, ça a fait "tabernache, je suis dans le berceau de la Nouvelle-France là", tu sais. (Alexandre, guide indépendant)

Ce déclic l’a donc amené à faire différents emplois en tant que guide à pieds ou en autobus, ainsi qu’à obtenir

un certificat en tourisme, mais plus dans une optique de validation des acquis que de formation professionnelle,

contrairement aux premiers participants entrés en tourisme par la formation :

Heu, juste pour voir qu'est-ce qui se passait, juste pour voir si j'étais dans le champ à gauche ou pas là. Ouais, c'est juste pour ça là. Ouais, ouais, juste pour aller chercher des techniques, pour voir qu'est-ce qu'ils disaient là. C'était pas mal plus pour ça là. (Alexandre, guide indépendant)

Son entrée en tourisme s’est donc soldée par une sorte de validation de ses acquis, afin de pouvoir s’engager

en toute conscience dans ce domaine, ce qui démontre un engagement en tourisme peut-être plus profond que

celui des autres participants de cette catégorie.

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1.3. « Héritage familial »

Un mode d’entrée que je n’avais pas anticipé, mais qui a pris une place relativement importante lors des

entrevues, est la transmission familiale d’une entreprise dans l’industrie du tourisme. L’engagement en tourisme

est alors vécu comme hérité, plutôt que la suite d’une « entrée »54. Il est en effet apparu que trois participants

(Florian, Marie et Alice) travaillent dans ce domaine pour la simple – encore que ce ne soit pas toujours si simple,

nous le verrons – raison que leurs parents sont propriétaires de commerces touristiques. Ces trois participants

n’ont donc pas énormément en commun en termes de parcours, si ce n’est de s’occuper aujourd’hui de

commerces familiaux.

Du point de vue des parcours scolaires d’abord, rien ne les prédisposait à travailler en tourisme : Alice a étudié

en informatique, et Florian en génie civil et dans les métiers d’arts. Ce dernier a par la suite travaillé dans divers

secteurs à temps partiel, comme la vente, les forces armées, et la restauration. Marie, quant à elle, a commencé

à travailler dans la vente dès la sortie du secondaire, et dans le tourisme depuis l’âge de 20 ans, dans un des

commerces de son père dont elle est actuellement gérante.

Alors que les autres participants ont fait le choix préalable de travailler en tourisme, qui s’est exprimé à travers

une formation scolaire et professionnelle, ou bien se sont retrouvés dans ce domaine au gré de leur parcours

professionnel, la notion de « choix » professionnel semble moins à propos pour Florian, Alice et Marie. Pour

cette dernière, la question de l’orientation professionnelle ne s’est même pas vraiment posée :

Marie : Ben moi, dans le fond, j'ai juste mon secondaire, et puis je suis ici, ça fait... ça va faire 15 ans. Mais c'est une entreprise familiale là, fait que c'est pour ça aussi. Moi : Et vous avez travaillé ailleurs avant ça? Marie : J'ai travaillé toujours avec ma famille. Fait que j'ai pas vraiment travaillé en dehors de ma famille non. (Marie, gérante de boutique)

Pour Florian, le fait qu’il s’agisse d’une entreprise familiale semble expliquer tout simplement son statut actuel,

malgré ses diverses activités professionnelles antérieures :

Moi : Et qu'est-ce qui vous a amené à travailler à la boutique? Florian : Oh, bah, c'est une entreprise familiale, pis heu, c'est ça. C'est plus facile de faire attention aux affaires quand ça fait partie de la famille là, on surveille plus. (Florian, gérant de boutique)

Pour Alice, originaire d’Asie, c’est de manière absolument contrainte qu’elle s’est retrouvée à travailler en

tourisme :

Moi : Pourquoi vous êtes venue travailler ici? Alice : C'est les parents, ils ont besoin d'aide. Ils avaient, j'avais des jeunes sœurs et frères, et eux ils sont partis faire des études à l'extérieur de la ville. Ils avaient besoin d'aide pour opérer

54 En fait, je m’attendais à voir une certaine reproduction sociale, mais le tourisme est un secteur d’activité encore jeune et il est difficile de trouver des travailleurs dont les parents travaillaient déjà dans ce domaine. D’ailleurs, lors des premières entrevues, je me suis intéressé à cette question de reproduction sociale, mais j’ai finalement abandonné cette piste qui aurait été trop laborieuse et finalement peu pertinente pour mon propos.

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l'hôtel et ils m'ont demandé de venir les aider. Moi : Est-ce quelque chose que vous ne vouliez pas faire? Alice : C'est ça. Je pensais que c'était temporaire, mais je suis restée plus que 20 ans. Moi : Pourquoi êtes-vous restée? Alice : C'est la famille, changement dans la famille. C’est juste pour la famille. Moi : Si vous aviez le choix, vous feriez autre chose? Alice : Oui, je n'aime pas travailler dans le public. (Alice, gérante d’hôtel)

Pour ces trois participants, l’entrée en tourisme peut donc sembler incohérente au regard de leurs formations,

mais ils s’inscrivent malgré tout dans une continuité, sur laquelle ils ont plus ou moins de contrôle. Il reste assez

difficile, dans cette situation, de juger de l’engagement en tourisme à la lumière du seul critère du parcours

professionnel. Ce qui ne signifie pas non plus une totale absence d’engagement, comme nous le verrons plus

loin.

1.4. La « voie de garage »

Pour finir, il faut noter que deux répondantes semblent être entrées en tourisme de manière relativement

« incohérente » en termes de trajectoire d’activité. En fait, leur situation actuelle en tourisme ressemble à un

détour dans un parcours qui paraît devoir prendre une direction complètement différente. Nadège et Lucie sont

en effet actuellement toutes les deux aux études et travaillent dans le Vieux-Québec dans des optiques que l’on

pourrait qualifier de non-carriéristes. En fait, ces deux répondantes sont encore relativement jeunes – 26 et 31

ans – et sont dans la même situation qu’Hélène ou André à ce stade de leurs vies, c’est-à-dire qu’elles travaillent

dans le tourisme le temps de leurs études. Et pour le moment, aucune d’elles n’a pour projet de continuer dans

ce domaine :

Nadège : […] Je suis en train de chercher une job dans mon domaine là et puis le plus vite possible j'aimerais... parce que je suis toujours à 10,35$ de l'heure là, pis j'aimerais ça avoir un niveau de vie un petit peu plus à l'aise. Moi : Est-ce que c'est ça qui te pousse à chercher dans ton domaine? Nadège : Bah, oui pis non, parce que là j'ai envie... j'ai fait des études universitaires pour travailler dans le communautaire, tu sais, c'est pas pour travailler dans une boutique de souvenirs toute ma vie. (Nadège, vendeuse)

L’une comme l’autre n’a pas vraiment d’intérêt dans le tourisme à long terme, c’est juste un moyen pour elles

de dégager un revenu :

Ben tu sais, c'est juste pas un intérêt, dans le sens que, tu sais, je suis pour le tourisme au Québec, parce que je sais que ça nous amène beaucoup d'argent, beaucoup de gens, une belle visibilité pour la ville. Par contre, c’est juste pas un métier qui m'intéresse au même titre que beaucoup d'autres métiers qui m'intéressent full. (Lucie, barmaid)

Ces expériences professionnelles sont donc pour le moment en décalage relatif avec leur parcours scolaire et

professionnel, une sorte d’incohérence dans leur carrière professionnelle à venir, si l’on se réfère à leurs désirs.

Il n’est pas dit cependant que ces entrées provisoires puissent finir par devenir définitives, comme ce fût le cas

pour Hélène et André.

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2. L’attachement professionnel

Maintenant que nous savons comment les participants se sont retrouvés à travailler en tourisme, la question qui

se pose est de savoir à quoi les participants sont-ils attachés dans leur travail. Le tourisme, les touristes et

l’accueil sont-ils d’importants motivateurs dans l’exercice professionnel? Ces travailleurs en accueil touristique

sont-ils attachés à d’autres aspects, comme le salaire ou les conditions de travail ?

L’analyse des discours des participants m’a amené à dégager quatre types d’attachements, qui, encore une

fois, ne sont certainement pas exhaustifs étant donné le faible nombre de cas à l’étude pour ce travail.

Cependant, je pense que cela permet, combiné aux modes d’entrée en tourisme, de dégager une représentation

assez complète de la diversité des figures de l’engagement en tourisme, au moins pour un environnement

comme la ville de Québec. Ces quatre types sont l’attachement au tourisme, l’attachement au Vieux-Québec,

l’attachement à l’entreprise, et ce que j’appelle ici « l’attachement utilitaire ».

2.1. L’attachement au tourisme

Dans cette catégorie se retrouvent les individus dont le discours fait ressortir une certaine centralité du tourisme

dans leur activité professionnelle. Pour eux, le fait de travailler en tourisme n’est pas juste un état de fait, un

hasard ou un accident, c’est au contraire une part importante de leur travail et de leur motivation en ce qui a trait

à leur parcours professionnel. Cet attachement au tourisme se décline toutefois de deux façons non

mutuellement exclusives, qui sont ce que j’appelle d’une part l’attachement passionnel, et d’autre part

l’attachement par raison.

2.1.1. L’attachement « passionnel »

Pour Ariane, Florence et Isabelle, le tourisme est le principal initiateur de leur engagement : si elles travaillent

dans ce secteur, c’est en grande partie pour ce que le tourisme leur apporte en termes de satisfaction

personnelle.

Le terme de passion employé dans cette catégorie est en fait tiré des propos de Florence. Durant sa technique,

elle se fait rapidement expliquer que travailler en tourisme ne veut pas forcément dire voyager, ce qui, comme

pour beaucoup d’étudiants en tourisme, ne correspond pas forcément aux attentes qu’elle pouvait se faire de

ce type de métiers :

Florence : Donc au début ils nous cassent un petit peu, mais après ça c’est la passion qui embarque, et après ça on reste là-dedans. Moi : La passion ? Florence : La passion, patience, en tourisme, il faut vraiment être passionné pour rester dans ce domaine-là. Il y a environ juste 10% des personnes dans mon cours qui sont restées dans le domaine. (Florence, concierge)

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Cette « passion » apparaît ici comme une qualité distincte d’une minorité des candidats, qui ont ce qu’il faut

pour persévérer et réussir dans un domaine autrement plus difficile pour les autres. La passion n’apparaît donc

pas juste « pratique » pour continuer, elle semble nécessaire, une qualité intrinsèque des travailleurs en

tourisme qui leur permettrait de travailler dans ce domaine qui serait en fait plein de désillusions.

Expliquer concrètement en quoi consiste cette passion est bien sûr extrêmement compliqué. Cependant, il est

apparu pour les trois répondantes concernées que c’est principalement à travers le contact avec les autres, et

notamment avec une clientèle touristique issue de cultures diverses, qu’elle se laisse le mieux appréhender :

[…] J’ai commencé à travailler dans le service pis dans le tourisme parce que c’est ça que j’aimais vraiment, tu sais, je me levais le matin et j’avais le sourire d’aller travailler. J’aime ça parler au monde, j’aime ça heu… j’aime ça voir du monde que je connais pas pis surtout dans le Vieux-Québec ici, ben je vois du monde de partout dans le monde, tu sais, qui me rappellent mes voyages, pis qui me donnent envie des fois d’aller à des places que j’ai pas vues aussi, fait que… c’est ça. Je trouve que c’est une chance de ce côté-là de travailler dans le Vieux-Québec parce qu’y a beaucoup de touristes. (Ariane, serveuse)

Même chose pour Isabelle lorsqu’elle explique ce qu’elle aime dans son travail en tant que concierge :

Moi : Et tu aimes ça ton travail en hôtellerie? Isabelle : Euh oui j'aime beaucoup parce que c'est tous les jours de ma réception je voyage, j'échange beaucoup. On a que [qu’un nombre limité de] chambres à l'hôtel, donc j'ai des gens qui vont venir d'Europe, d'Asie, des États-Unis, d'Amérique du sud, et de par ma réception, j'ai leurs témoignages, leurs façons de vivre dans leurs pays, etc., donc c'est basé vraiment sur un échange. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Aussi, lorsque je mets cette notion de passion de l’avant, par opposition à celle de l’utilité, c’est parce qu’il

ressort des entretiens que l’aspect financier du travail, l’aspect plus raisonnable d’un emploi comme les autres,

avoir un revenu, n’apparaît pas aussi important pour ces travailleuses en tourisme :

[…] C’est sûr que moi ma paie, c’est pas ce qui est dans mon compte de banque, c’est vraiment… c’est les gens, je suis passionnée par les gens, par le monde en général, pis c’est ça qui me pousse à me donner plus et à venir à la job tous les matins là. (Florence, concierge)

On voit également dans les extraits qui précèdent que cette passion apparaît comme une capacité personnelle

d’être satisfaite et heureuse sur place avec le monde d’ailleurs plutôt qu’en déplacement. Cela n’enlève

probablement rien au plaisir de voyager, mais elles sont tout de même capables d’apprécier le fait de rester au

même endroit, du moment qu’elles peuvent échanger avec des étrangers, avec d’autres cultures. La passion

est alors valorisée comme une disposition personnelle à la fois rare et nécessaire à la profession.

La passion apparaît également comme un besoin personnel, qui lie la personnalité à un type de clientèle et de

relation de service. Il en résulte donc une difficulté de se projeter dans un emploi équivalent, mais avec une

clientèle qui ne soit pas touristique :

Moi : Est-ce que le fait de t'occuper d'une clientèle touristique est une chose importante pour toi? Isabelle : Bah, en fait comme je te disais, en France, je suis arrivée à des postes à responsabilité, où je voyais beaucoup moins la clientèle, et ce côté-là me manquait, de mon

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métier […]. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Ce qui apparaît également dans le discours d’Ariane, quand elle fait référence au fait qu’elle aime son métier

parce qu’il lui permet de se dépenser physiquement :

Moi : Tu ne pourrais pas faire ça ailleurs, dans une autre job qui bouge ? Ariane : Mouais, genre au rayon des… de quelque chose dans un grand magasin genre… non. Parce que je veux être avec le touriste. Vraiment. Le touriste du plus loin possible. Non, même du Québec. (Ariane, serveuse)

On le voit donc, le tourisme est vraiment recherché en tant que domaine d’activité, et principalement pour la

rencontre avec des personnes issues de cultures diverses créant la possibilité d’échanges interculturels. Il

apparaît comme une inspiration et une motivation pour des personnalités qui apprécient les rencontres et les

découvertes qu’apportent voyages et voyageurs. Les passionnés se décrivent comme ceux capables d’être

heureux au quotidien sans être en déplacement, tant que leur goût pour les apports du voyage est satisfait par

la fréquentation de touristes, dans le cadre d’une relation interpersonnelle de service55. Bien plus que la raison,

le calcul rationnel et l’intérêt économique opportuniste, c’est ici l’amour, la passion pour ce métier qui l’emporte.

Ce qui n’est pas forcément le cas pour tous les participants.

2.1.2. L’attachement de raison économique

L’attachement de raison économique est un type d’engagement en tourisme qui découle d’une réflexion, d’une

prise de conscience de l’individu à un certain tournant de sa vie, qui l’entraîne à faire le choix de s’engager dans

cette voie plutôt que dans une autre. Hélène, Alexandre et Florian sont ceux qui s’approchent le plus de cette

catégorie. Chacun d’eux s’est d’abord dirigé, professionnellement ou à l’école, vers une voie différente du

tourisme pour finalement y venir et y rester, certes pour des raisons différentes, mais chacun par choix.

Pour Hélène, le choix s’est fait lorsqu’elle s’est rendue compte que son parcours en droit ne lui correspondait

pas. Le fait que ses diplômes ne soient pas reconnus et que la jurisprudence québécoise soit plus complexe

que la française, notamment en raison de l’obligation de travailler avec des textes de loi en français et en anglais,

ne l’ont pas aidé à persister dans cette voie. Son choix de travailler en tourisme en fut un de raison : il lui fallait

un emploi rémunéré, et comme elle s’est rendu compte que cela allait être un peu compliqué en droit, elle a

décidé de revenir dans un domaine qu’elle connaissait déjà. Mais bien qu’il s’agisse d’un « second choix », cela

ne l’empêche pas d’apprécier son travail, de se sentir bien et finalement d’être engagée dans celui-ci :

Moi : Et qu'est-ce qui t'as motivé à rester? Tu t'es pas dit "Je vais essayer de trouver autre chose"... ? Hélène : Non, parce que ça me plaît vraiment.

55 Cela a été rapidement mentionné précédemment, mais il faut tout de même faire attention ici. Le fait que les passionnés se « nourrissent » du contact interculturel et soient capables d’apprécier leur emploi au quotidien ne veut pas non plus dire qu’ils n’ont pas « besoin » de voyager. Ceci est par ailleurs pour beaucoup un des avantages de la saisonnalité, qui leur permet de prendre une pause dans leur emploi pour partir en voyage, soit en vacances, soit pour travailler dans un autre lieu touristique, et donc « joindre l’utile et l’agréable ».

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Moi : Qu'est-ce qui te plaît? Hélène : Ce qui me plaît, surtout dans le Vieux, c'est que tu vois des gens différents tout le temps, tu discutes, tu vends ta ville, mais t'écoutes les expériences des gens, les heu... c'est super intéressant en fait. Et puis tu pratiques, moi je pratique les trois langues, espagnol, français, anglais, donc c'est ça […]. Et tu ferais le même travail dans une zone non touristique? Hélène : Non, parce que je m'ennuierais. Ouais, je m'ennuierais parce que je verrais tout le temps les mêmes gens. Ça pourrait être sympa, mais d'une autre façon. (Hélène, serveuse/responsable)

L’opportunité économique est donc ici couplée à un plaisir qui ne se trouve pas dans tous les emplois, ce qui

montre tout de même une certaine spécificité du travail en tourisme encore une fois lié au contact interculturel.

La situation est relativement similaire pour Alexandre, qui ne pensait pas du tout travailler dans le domaine du

tourisme avant de se rendre compte de son potentiel économique. Et, fort de ses expériences dans le domaine

de la vente, c’est lors de ses premières expériences en tant que guide en calèches qu’il s’est rendu compte à

quel point il lui serait facile de « vendre » un produit comme la ville de Québec :

Ça m'avait jamais effleuré l'esprit de travailler avec les chevaux dans ma vie. J'étais un vendeur. Et là, quand j'ai vu le principe de la calèche, j'ai fait : "Tabernouche, tu parles d'un beau produit". C'est facile à vendre là. C'est cinq minutes là, c'est réglé là, j'ai même pas besoin de me casser la tête, ils embarquent dans la calèche. (Alexandre, guide indépendant)

Alexandre inscrit donc la justification de son attachement au tourisme dans une raison économique plutôt que

dans une passion pour le tourisme vécue comme un bonheur et un besoin. Cependant, pour lui aussi, il arrive

un moment où cette motivation du vendeur s’estompe et laisse la place à une passion et un plaisir dans le travail

en tourisme qui vient compléter son choix raisonné de vendeur et engendrer un engagement à long terme en

tourisme. Mais cela reste une passion plus orientée vers la performance que vers l’échange :

Moi : Et qu'est-ce qui t'as attiré en tourisme? Alexandre : Ben premièrement, c'est le contact avec les gens, là, tu sais. Tu parles avec les gens, tu jases avec eux autres, tu leur expliques la ville, tu les intéresses, pis là ils deviennent excités, fais que là l'adrénaline embarque, pis t'as envie de continuer à leur en montrer plus. Pis là c'est toi que ça donne le goût d'en apprendre plus […]. (Alexandre, guide indépendant)

Lui aussi est aujourd’hui un passionné de son travail, un passionné du tourisme et son engagement dans ce

domaine ainsi que son attachement en tourisme ne fait aucun doute. À la question de savoir s’il compte continuer

dans ce domaine, pour lui, cela ne fait aucun doute, et il va même jusqu’à prétendre qu’il finira sa vie en

pratiquant son métier.

Pour Florian enfin, l’attachement aussi semble de raison, puisqu’il profite du fait que la boutique appartienne à

sa mère :

Moi : Et si ce n'était pas une entreprise familiale ici, est-ce que vous y travailleriez aussi ou vous auriez cherché autre chose? Florian : J'aurai probablement cherché autre chose, mais anyway, je cherche à avoir ma propre boutique. C'est comme un peu de l'expérience pour moi. Moi : Une boutique de? Florian : Ça va être une boutique-cadeaux. Boutique de vêtements et cadeaux là, ça va être

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probablement dans le Vieux Québec aussi. (Florian, gérant de boutique)

Son parcours montre qu’il n’avait pas vraiment l’intention de travailler dans ce domaine, mais finalement il a

choisi de suivre cette voie qui lui permettra à terme de posséder sa propre boutique. Quoi qu’il en soit, le tourisme

est aujourd’hui important dans sa vie, car il lui apporte beaucoup de plaisir, des rencontres intéressantes et un

milieu de travail plaisant. Bien qu’il ait un autre emploi à côté, son emploi dans le Vieux-Québec lui plaît et il ne

se voit pas travailler dans un autre environnement :

Je serais pas capable de travailler dans un centre commercial, finalement. Parce que j'aime bien mon Québec là, mais des fois c'est ça, ça saoule. Fait que voir des gens d'autres pays, d'autres mentalités, d'autres façons de faire, tu sais, c'est bien. (Florian, gérant de boutique)

Ici encore, le choix raisonné n’empêche donc pas nécessairement un attachement presque passionnel au

tourisme. Cependant, la passion de Florian ressemble plus à celle d’un entrepreneur, c’est-à-dire une passion

orientée vers la réalisation de soi à travers la performance économique plutôt que pour les apports des voyages

et des étrangers dans la rencontre. Tous ces participants sont donc véritablement attachés au tourisme, au

contact avec la clientèle touristique et ne semblent pas s’imaginer travailler dans un autre domaine, mais leur

engagement en tourisme apparaît toutefois plus réfléchi, plus raisonné dans une logique économique que pour

les premiers.

2.2. L’attachement au Vieux-Québec

Le second type d’attachement qui m’intéresse ici est celui qui touche le lieu, et ici non pas le « lieu touristique »

de manière presque inconditionnelle, mais le lieu comme facteur identitaire, c’est-à-dire un lieu précis, un lieu

qui fait sens pour soi et auquel nous nous sentons attachés. Nous le verrons plus loin, le rapport entretenu au

lieu touristique est important pour la grande majorité des participants. Mais ce n’est pas pour tous que ce lieu a

joué un rôle prépondérant dans le choix professionnel, et Nadège et David sont les deux participants qui

correspondent le plus à ce cas de figure.

En arrivant à Québec pour ses études, Nadège est directement tombée sous le charme de la vieille ville. C’est

pour cette raison que quand il lui a fallu trouver du travail, elle ne s’est pas vraiment posé la question du lieu où

chercher :

[…] Les deux premières années que j'étais à Québec, j'ai pas travaillé, fait que là à un moment donné heu... Mais on venait toujours, on sortait toujours dans le Vieux, pis tu sais le Vieux-Québec c'est comme "hot" là [rire]. Fait que quand j'ai été porter des CV, je restais à Sainte-Foy pis j'avais pas envie de travailler à Sainte Foy, dans les centres d'achat pis tout ça. J'avais envie de venir dans le Vieux-Québec. Fais que j'ai porté des CV, pis quand je suis arrivée à Marie, elle m'a engagée tout de suite. (Nadège, vendeuse)

Nadège n’a pas pour objectif de continuer dans ce domaine à long terme, et elle n’en a même jamais eu

l’intention, mais l’atmosphère, les activités et les rencontres induites par le statut touristique du Vieux-Québec

l’ont véritablement attiré à travailler dans ce secteur :

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Parce que quand j'étais en voyage, j'aimais ça rencontrer du monde, le monde de la place pis tout ça […]. Mais à Québec, si tu veux rencontrer du monde d'un peu partout, ben le quartier touristique, c'est quand même une bonne place là. Pis c'est ça, moi comme je t'ai dit tantôt, j'aime ça rencontrer le monde de partout, pis de jaser avec eux autres, pis tout ça, donc je trouvais que c'était une belle place pour travailler. (Nadège, vendeuse)

David quant à lui a suivi son cours de guide et s’est ensuite lancé dans cette carrière par amour et fascination

pour le Vieux-Québec. Il est aujourd’hui résident du quartier (un des seuls parmi les participants, nous le verrons

plus bas), et démontre un attachement très fort pour ce lieu, qui semble avoir joué un rôle très important, tant

dans sa vie professionnelle que personnelle :

J’ai toujours vu le Vieux-Québec comme étant une cité à part, un peu comme mentionné tout à l'heure. Déjà enfant, je me promenais, pis c'est comme, c'est spécial ici. C'est un autre monde, c'est autre chose, heu... Donc heu, et bon, en travaillant au musée […] c'est... on peut dire que ça fait partie de l'arrondissement historique, heu, mais la totale c'est vraiment [rires] d'y habiter, parce que c'est, c'est effectivement un autre monde. (David, guide de musée)

Étant originaire de Québec, son attachement est véritablement identitaire : il s’identifie profondément à cette

ville et à son histoire qu’il aime raconter dans son travail.

2.3. L’attachement à l’organisation

Un autre type d’attachement apparu lors des entrevues est celui qui concerne l’organisation dans laquelle les

participants travaillent. Ceci est donc différent des deux autres, car ici l’engagement ne s’oriente pas vers des

aspects dans lesquels le tourisme revêt une place assez centrale, mais d’une organisation particulière qui,

accessoirement, est touristique. C’est le cas de deux des trois guides de musée, Diane et Juliette, ainsi que de

Marie, dont le père est propriétaire de plusieurs commerces dans le quartier.

Dans le cas des guides, l’engagement est clairement du côté des valeurs et de la mission éducative et culturelle

du musée dans lequel elles travaillent. En fait, elles n’estiment même pas travailler dans un lieu touristique, alors

qu’une grande majorité de la clientèle est bel et bien touristique, comme nous avons pu le voir plus haut. Elles

ne se considèrent pas guides touristiques, mais plutôt comme employées de musée, travaillant donc dans le

monde de la culture et mettant à profit ce que cet univers peut leur offrir :

[…] Je suis attachée à ça parce que c’est un milieu culturel qui est stimulant, où on découvre plein de choses, pis où il y a plein de choses qui nous sont offertes là, des conférences, des films… Tu sais, c’est des spectacles, il y a plein de choses ici là, pas besoin de sortir, juste à rester après notre journée de travail, pis il y a plein de choses. (Diane, guide de musée)

Le tourisme et le lieu touristique sont si peu importants par rapport à l’entreprise elle-même que lorsque Diane

se fait demander si le quartier touristique est central dans le choix de son activité professionnelle, sa réponse

est sans équivoque :

Non, parce que moi j’irais travailler dans le musée ailleurs. (Diane, guide de musée)

Et la réaction est la même pour Juliette en ce qui concerne la place de la clientèle touristique par exemple :

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[…] Je travaille pas au musée parce qu'il y a des touristes, mais ça me fait plaisir d'accueillir les touristes au musée. (Juliette, guide de musée)

Pour Marie, l’attachement à l’entreprise est également prépondérant, même s’il est moins axé sur les valeurs et

la mission et plus sur la possibilité de reprendre le commerce plus tard, et la question de travailler ailleurs ou

dans un autre domaine ne s’est jamais vraiment posée :

Moi : Est-ce qu'il y a une raison particulière pour vous pour travailler avec une clientèle touristique? Marie : Non. Ben comme je vous dis, tu sais, je travaille ici, c'est mon père qui a parti l'entreprise, fait que c'est comme naturel là. (Marie, gérante de boutique)

De même, le quartier du Vieux-Québec n’a jamais joué dans la balance en ce qui concerne son engagement

dans ce domaine :

Moi : Est-ce que le quartier joue un rôle dans votre choix professionnel? Marie : Non, peut-être pas moi étant donné que c'est ça, c'est comme, ça vient de mes parents là un peu. Mais dans mes employés oui, par exemple. Ça les attire de travailler dans le Vieux-Québec. Mais pour moi, le quartier, ça a comme pas d'importance si on peut dire. (Marie, gérante de boutique)

En ce qui la concerne, c’est donc surtout le fait de travailler dans l’entreprise familiale qui importe plus que le

tourisme ou le quartier touristique. Ces deux aspects ne semblent revêtir pour elle aucun intérêt, à la différence

de Florian qui semble quant à lui bien plus attaché à ces dimensions de son travail qu’au commerce familial.

2.4. L’attachement utilitaire

Pour terminer, quatre participants ne semblent pas accorder au tourisme ou même à l’entreprise une grande

importance, mais travaillent dans ce domaine par procuration, obligation, ou parce que c’est la meilleure option

pour eux à ce moment-là56.

Pour Lucie, il apparaît assez clairement que sa présence en tourisme est temporaire et qu’elle ne se sent

attachée à aucun élément en particulier. Elle n’estime même pas vraiment travailler en tourisme, mais bien plus

en restauration. Elle ne travaille au pub que depuis quelques mois et ne compte pas rester. Elle n’est ici que

parce qu’elle sait que son poste peut lui rapporter de l’argent assez rapidement, puis elle espère faire autre

chose d’un point de vue professionnel. Ce qui la motive principalement, ce sont les horaires et le salaire, qui lui

permettent de continuer ses études :

Moi : Quelles sont tes motivations à travailler en restauration? Lucie : Bah, moi, ce que j'aime beaucoup en restauration, c'est beaucoup les horaires flexibles. Tu sais, c'est sûr qu'avec l'école, c'est pratique, mais j'aime beaucoup aussi […]. C'est sûr que le salaire, c'est sûr que c'est intéressant au niveau financier, quand on est à l'école, c'est quand

56 Il est important de noter qu’à la différence de l’attachement de raison économique, le tourisme est ici entièrement facultatif et secondaire, et ne fait pas partie des raisons qui motivent à l’engagement dans ce type d’emplois. Au contraire, dans l’attachement de raison économique, le tourisme est un élément central, et l’aspect utilitaire que sous-tend la dimension économique de ce type d’attachement n’enlève rien à l’importance que revêt le tourisme dans le choix de l’activité professionnelle, ni au plaisir qui est tiré du fait de travailler dans ce domaine.

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même très intéressant là financièrement. (Lucie, barmaid)

André et Romain semblent quant à eux plus attachés à leur travail et au secteur d’emploi dans lequel ils évoluent

qu’à n’importe quel autre aspect de leur activité professionnelle. Le premier est attaché au travail de serveur et

au domaine de la restauration, et ce qui lui importe le plus est que son métier lui permette de bouger, d’être

actif :

Moi : T’aurais toughé aussi longtemps dans n’importe quel restaurant, mettons un restaurant de quartier avec une clientèle uniquement québécoise ? André : Moi, je dirais presque n’importe lequel. Du moment que je suis sûr d’avoir du travail. Si il y pas de travail, si ça roule pas là, comme les dernières années là où je travaillais avant là, là je commençais à trouver ça un petit peu plus dur, parce qu’il y avait moins de travail là. Et alors ça, je trouvais ça plus dur. Mais oui, je pense n’importe où. (André, serveur)

Le second, même s’il connaît assez bien le monde du tourisme, ayant déjà travaillé en tant que guide et ayant

entrepris une formation dans le domaine, est plus intéressé par la vente et le commerce, et cherche surtout à

avancer dans ce domaine :

J'ai toujours travaillé dans le domaine des ventes, marketing, ici, j'ai trouvé que j'étais vraiment, comment... pour commencer ma vie ici, mais j'étais vraiment chanceux d'avoir le poste de gérant après 6 mois, donc maintenant je pense que si je change de travail ça va être pour le même domaine, comme gérant de boutique, dans une plus grande boutique, mais je suis content ici pour l'instant (Romain, gérant de boutique).

Ce qu’il cherche avant tout, c’est donc un emploi avec plus de responsabilités, et c’est sa maîtrise des langues,

et donc la facilité de trouver un emploi en tourisme qui l’ont amené à chercher en tourisme en arrivant à Québec :

Moi : Donc depuis que vous êtes à Québec, vous voulez travailler en tourisme? C'est un choix ou c'est juste arrivé comme ça? Romain : Non heu... je dois profiter que je parle plusieurs langues : l'espagnol, le portugais, l'anglais, je me débrouille, en français (rire) (Romain, gérant de boutique).

Pour terminer, il faut mentionner le cas d’Alice, qui travaille en tourisme pour la seule raison que ses parents lui

ont imposé cette situation. Plus qu’utilitaire, on a affaire ici à une sorte d’engagement contraint, mais par souci

de simplicité je préfère classer cette situation dans cette catégorie. Le fait est qu’Alice ne travaille pas dans ce

domaine par passion ou parce que c’est le meilleur choix pour elle, ni parce qu’elle aime l’entreprise dans

laquelle elle travaille. Elle travaille dans son hôtel parce qu’on lui a imposé, à elle qui se voyait s’engager dans

le domaine de l’informatique. À la question de savoir si elle aurait fait autre chose si le choix s’était présenté, sa

réponse est spontanée :

Oui, je n'aime pas travailler dans le public. (Alice, gérante d’hôtel)

Même chose quand elle se fait demander si elle ferait le même emploi dans un quartier non touristique :

Non, premièrement, je n'aime pas ce métier. (Alice, gérante d’hôtel)

Tous ces participants ont ceci en commun qu’ils ne sont pas engagés en tourisme, ni même envers l’entreprise,

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et n’accordent pas vraiment d’intérêts au Vieux-Québec, si ce n’est un d’ordre utilitaire (un lieu bon pour l’argent

pour Lucie, un lieu qui offre de meilleures opportunités d’emplois pour Romain…). Si on parle en termes

d’attachement, ils ne sont finalement attachés qu’à un plan de carrière, et dans le cas d’Alice on pourrait même

parler d’aliénation au travail en tourisme (mais elle constitue un cas relativement extrême et que l’on imagine

peu courant dans les pays industrialisés).

3. Travailler en tourisme ou pour le tourisme, les deux dimensions de l’engagement en tourisme

Comment caractériser l’engagement en tourisme à la lumière des éléments qui viennent d’être exposés? Bien

que la diversité des parcours ne facilite pas la construction d’une typologie véritablement exhaustive des réalités

des travailleurs en accueil touristique, il apparaît qu’il existe une relation entre le mode d’entrée en tourisme, le

type d’attachement à l’emploi occupé et le degré d’engagement en tourisme. Et cette relation conditionne plus

ou moins le degré de conscience que les individus ont de travailler dans le domaine touristique. Or, cette

conscience est à mon avis très importante, car c’est à travers elle que peut se constituer ou s’observer un groupe

relativement homogène de travailleurs partageants une même réalité. Pour paraphraser Marx, il s’agit ici d’une

sorte de conscience de classe nécessaire à l’appréhension des travailleurs en tourisme comme un groupe

social.

Tout cela permet donc de distinguer deux groupes de travailleurs en tourisme : d’un côté ceux qui ont conscience

de travailler dans ce domaine, et ceux pour qui cela est uniquement accessoire, un aspect secondaire de leur

travail. Donc d’un côté nous avons ce que j’appellerais les travailleurs en tourisme, et de l’autre ceux que

j’appellerais les travailleurs pour le tourisme. Chacun de ces groupes est également constitué de deux sous-

groupes de travailleurs, caractérisé par le type d’engagement qui les lie à leur emploi. Bien sûr, il est important

de préciser que cette catégorisation est faite sur la base des entrevues effectuées dans le cadre de ce mémoire,

et n’est peut-être pas exhaustive. Il s’agit d’une schématisation permettant d’objectiver la réalité des travailleurs

en tourisme, qui pose un cadre d’analyse intéressant pour mieux comprendre ce groupe professionnel.

3.1. Travailler en tourisme

Les travailleurs en tourisme sont ceux qui témoignent d’une grande conscience de leur appartenance à ce

domaine d’activité. Que ce soit par choix ou au gré des circonstances, ces travailleurs sont conscients de

travailler dans ce domaine et en éprouvent un certain contentement. Il est recherché pour lui-même et ne pourrait

se substituer à un autre. Par exemple, un serveur dans un restaurant touristique ne pouvant s’imaginer travailler

dans un restaurant fréquenté uniquement par des locaux, ou un réceptionniste d’hôtel ne se voyant pas accueillir

une clientèle exclusivement corporative.

Deux types d’engagements en tourisme se sont principalement affirmés durant cette étude, d’un côté ce que

j’appellerais l’engagement inconditionnel, de l’autre l’engagement circonstanciel.

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3.1.1. L’engagement inconditionnel

Florence, Isabelle, David et Alexandre travaillent en tourisme de manière volontaire et réfléchie, ce qui s’exprime

principalement par le fait que ce sont les seuls qui possèdent une véritable formation en tourisme, que celle-ci

soit arrivée avant leur entrée sur le monde du travail, ou en guise de perfectionnement et de validation des

acquis, comme pour Alexandre. Aussi, ils ne semblent pas avoir de projets qui les entraineraient sur une autre

voie professionnelle. Leur parcours d’engagement est celui qui semble en fait le plus cohérent, débutant par

une réflexion consciente du fait que le tourisme est central dans leur activité professionnelle. Ils participent

véritablement à l’offre touristique, et nous le verrons, ils sont une part importante du séjour des visiteurs. Ils ne

sont pas uniquement concierges ou guides, ils ne font pas qu’offrir un service : ils font partie de l’expérience

touristique de Québec.

Une nuance importante est à apporter néanmoins concernant David. Il travaille aujourd’hui dans un musée et

son rapport aux touristes, nous le verrons, semble un peu plus dicté par l’institution que celui des trois autres.

Son degré de liberté et de plaisir dans le contact avec les touristes semble limité. De plus, son engagement

dans une autre sphère d’activité, le théâtre, limite aussi son degré d’engagement professionnel : ayant une autre

sphère d’affirmation de soi, il ne semble pas mettre énormément d’importance dans son travail. Malgré cela, il

est bien conscient (bien plus que ses deux collègues) de travailler dans ce secteur qu’il a choisi et qu’il apprécie.

3.1.2. L’engagement circonstanciel

Par circonstanciel, j’entends un engagement qui dépend plus d’une sorte de mise à profit des circonstances que

d’un engagement raisonné ou passionné. Pour les trois participants qui entrent dans cette catégorie, soit Hélène,

Florian et Ariane, l’entrée en tourisme semble s’être faite soit par habitude ou parce que les circonstances

rendaient ce type de carrière plus facile, plus pratique. Pour Hélène, par exemple, il lui était plus simple, compte

tenu de son expérience, de venir travailler en restauration, et le Vieux-Québec lui a semblé un bon endroit pour

cela, étant habituée à travailler en saisons et avec une clientèle touristique. Elle a d’abord voulu faire cela de

manière provisoire, le temps de terminer sa maîtrise, mais finalement les circonstances ont fait qu’elle s’est

complètement engagée dans ce domaine. Pour Florian, c’est le fait qu’il s’agisse d’une boutique familiale qui

semble être la circonstance l’ayant amené à travailler dans un domaine qui, finalement, lui sied très bien, et

dans lequel il est aujourd’hui engagé. Enfin, Ariane s’est essayée à la restauration et voulait voir du monde à

ses retours de voyages, ce qui l’a poussé à chercher un emploi dans le secteur touristique de la ville. Au moment

de l’entrevue, celle-ci semblait donc vraiment engagée en tourisme, mais elle semblait se chercher encore plus

ou moins. Il n’est pas dit qu’elle continue dans ce domaine, et elle pense peut-être trouver un emploi plus proche

de chez elle ou ouvrir un commerce avec une clientèle différente. Bref, son parcours en tourisme, et partant son

engagement, semblait être dû aux circonstances plus qu’à un véritable engagement inconditionnel, ce qui

m’empêche de la situer dans la catégorie précédente.

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Ces quatre participants travaillent en tourisme, car les circonstances les ont amenés à travailler dans ce

domaine, et ils sont intégrés et engagés dans ce domaine, mais dans un autre contexte, il est fort à parier que

leur engagement aurait été moins important. C’est pour cette raison que je parle d’engagement circonstanciel,

car il varie selon les circonstances dans lesquels sont pris les individus concernés. Mais eux aussi sont

conscients de travailler en tourisme et de participer à l’offre touristique, aussi bien qu’à l’expérience du touriste,

et cet aspect de leur travail est d’une grande importance, comme nous le verrons plus loin.

3.2. Travailler pour le tourisme

3.2.1. L’engagement professionnel

Nous retrouvons dans cette catégorie les participants dont l’engagement est plus axé sur des aspects

secondaires au tourisme (mais centraux pour eux), et notamment l’organisation elle-même, que ce soit par

attachement à sa mission ou ses valeurs (Diane et Juliette), ou tout simplement par attachement familial (Marie).

On retrouve également Romain, qui, malgré une formation avortée en hôtellerie pouvant faire penser à un

attachement au tourisme, semble néanmoins plus attaché au domaine commercial. La maîtrise des langues lui

permet, pour le moment, de travailler assez facilement en tourisme.

Ainsi, Diane et Juliette se considèrent comme travaillant dans le domaine de la culture et sont très attachées

aux valeurs d’éducation et de culture du musée dans lequel elles travaillent. Marie travaille dans la vente, dans

une entreprise familiale, située dans un quartier touristique. Si cette boutique avait été ailleurs, il y a de très

fortes chances pour que Marie ait continué à travailler dans la vente, mais dans un autre secteur d’activité que

le tourisme, avec une clientèle différente. Quant à Romain, son discours montre que si l’opportunité se présentait

de trouver un emploi lui offrant plus de responsabilités, et ce quel que soit le domaine d’activité, il le prendrait

assurément. À titre de comparaison, il faut noter qu’Isabelle a laissé un emploi avec plus de responsabilités en

raison du fait que cela ne lui permettait plus d’avoir de contact avec la clientèle, ce qu’elle trouvait déplaisant.

Ces participants ont conscience du fait de participer à l’expérience touristique des visiteurs, mais cela n’est

qu’accessoire dans leur activité professionnelle. Ce n’est pas forcément une source de gratification et de plaisir

personnel, comme cela peut l’être pour les participants précédents. L’aspect qui importe le plus pour eux se

retrouve en fait dans ce qu’ils peuvent retirer de leurs expériences de travail : de la culture et du savoir pour

Diane et Juliette, de l’expérience professionnelle pour Romain et la possibilité de récupérer le commerce familial

pour Marie. À cet égard, le tourisme n’est véritablement qu’un aspect secondaire de leur emploi.

3.2.2. L’engagement utilitaire

La catégorie la moins engagée en tourisme comprend ceux et celles qui travaillent dans le domaine touristique

de la manière déclarée la plus circonstancielle, et sans lui accorder la moindre importance. Il s’agit d’André,

Alice, Lucie et Nadège. Pour les deux dernières, cela semble presque évident dans la mesure où leurs passages

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en tourisme visent uniquement à bénéficier d’un salaire dans la poursuite de leurs études. De fait, les deux ont

été attirées par un emploi en tourisme : Lucie parce qu’elle connaissait le potentiel d’un tel emploi d’un point de

vue financier, et Nadège parce que le lieu l’attirait particulièrement. Le fait que leurs entreprises soient, par

extension, touristiques, et le fait de servir une clientèle touristique ne jouent absolument aucun rôle dans leur

choix professionnel.

Concernant André et Alice, ce sont vraiment les circonstances qui les ont amenés à travailler ici. Alice n’a pas

vraiment eu le choix, et si, nous le verrons, elle prend parfois du plaisir avec la clientèle touristique, elle aurait

préféré faire autre chose. Le tourisme est plutôt accessoire pour elle. Même chose pour André, si l’on enlève

toutefois le caractère contraint. Il s’est retrouvé à travailler ici parce qu’on lui a proposé, mais il aurait très bien

pu travailler dans un autre restaurant dans un autre secteur de la ville, cela n’aurait eu aucun impact important

pour lui.

Ces quatre participants représentent donc la catégorie la moins engagée en tourisme, comme ils peuvent plus

ou moins l’être dans leur relation avec leur emploi. On retrouve donc ici les individus pour lesquels l’emploi

semble le plus proche de ce qu’on pourrait appeler un emploi « alimentaire », c’est-à-dire un emploi qui ne serait

exercé que d’un point de vue utilitaire, en tant que source de revenus. Ils travaillent pour le tourisme : leur activité

professionnelle est liée au tourisme, elle permet au tourisme de se développer, mais eux ne portent que peu

d’attention ou d’intérêt à cette réalité, qui est secondaire à leurs yeux.

Le tableau 6 présente les caractéristiques principales des quatre types d’engagements que nous venons de

voir, ainsi que les participants correspondant aux différents types. Ce tableau indique la classification des

participants en termes d’engagement, selon :

- leur mode d’entrée : par formation, par immersion, en tant qu’emploi « héritée » ou, faute de mieux, en

tant que « voie de garage »;

- le type d’attachement : au tourisme en tant que passion ou par raison, au lieu, à l’organisation ou en

tant qu’attachement utilitaire.

Tableau 6 : Types d'engagements en tourisme

Travail en tourisme Travail pour le tourisme

Engagement

inconditionnel

Engagement

circonstanciel

Engagement

professionnel

Engagement

utilitaire

Mode d'entrée Formation scolaire Immersion

Héritage

Immersion

Héritage "Voie de garage"

Type

d'attachement

Tourisme (passion)

Lieu Tourisme (raison) Organisation

Utilitaire

Lieu

Participants

Florence Isabelle

Alexandre David

Ariane Hélène Florian

Diane Juliette Marie

Romain

Nadège Alice Lucie André

Page 95: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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Ce tableau nous permet de visualiser clairement qu’un engagement inconditionnel en tourisme est corolaire

d’une formation spécifique dans ce domaine et d’un attachement fort à ce secteur d’activité. À l’inverse, lorsque

le secteur touristique est perçu comme une « voie de garage » et que le choix – ou l’obligation dans certains

cas – d’occuper un emploi dans ce domaine repose sur des aspects pratiques, utilitaires ou organisationnels

(salaire ou entreprise, par exemple), l’engagement en tourisme est moins important.

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CHAPITRE 5 : SAVOIRS, CONNAISSANCES ET ACCUEIL DES

TOURISTES

Il n’est pas question ici de réaliser un inventaire exhaustif des savoirs et savoir-faire mobilisés par chaque type

de travailleur en tourisme, ceux-ci étant bien trop différents d’un emploi à un autre. Par exemple, le savoir d’un

serveur dans l’exercice de ses tâches n’est pas le même que celui d’un guide ou d’un concierge. Il existe pour

chaque activité professionnelle des savoirs et savoir-faire spécialisés qui aident à la pratique, et bien qu’il soit

probable que certains soient communs à plusieurs professions liées à l’accueil – pas forcément touristique par

ailleurs – il l’est encore plus que chaque type d’emploi ait ses propres spécificités. Ce qui m’intéresse en

revanche est de voir ce que les travailleurs en accueil touristique partagent en termes de savoirs et de

savoir-faire « généraux » relatifs à l’accueil de touristes, quelles sont les connaissances communes qui

participent d’une même expérience et d’une même réalité, et partant d’une même culture professionnelle.

Dans une première partie, nous nous intéresserons donc aux savoirs et savoir-faire mobilisés par les travailleurs

en accueil touristique en général dans la pratique de l’accueil de touristes. Nous verrons en quoi consistent ces

savoirs et savoir-faire, comment ceux-ci peuvent être appréhendés dans leur « transversalité professionnelle ».

Mais pour mieux comprendre les points communs entre tous les travailleurs, nous verrons en premier lieu les

différences qui existent entre chaque type de professions à travers les attentes perçues des touristes à l’endroit

des travailleurs en accueil. Dans la seconde partie, nous aborderons les savoirs mobilisés, et notamment les

types de savoir priorisés en fonction de chaque type d’emploi. Nous verrons ensuite comment ces savoirs, qui

participent d’une certaine division des rôles et des tâches, restent malgré tout complémentaires, et révèlent une

conscience commune de la place de chacun dans l’expérience des touristes. Enfin, la troisième partie traitera

des savoir-faire dans la pratique de l’accueil, mais d’une manière générale et non pas propre à chaque type

d’emplois. Nous verrons ce que signifie l’accueil pour les participants, avant de nous interroger sur la nature de

la relation de service et la place de l’hospitalité et du maternage dans l’accueil de touristes. Nous verrons

notamment comment l’exercice de l’hospitalité génère une certaine conscience collective chez les travailleurs

en tourisme. Nous finirons par nous intéresser au caractère professionnel du maternage, qui permet aux

travailleurs en tourisme de faire une nette séparation entre touristes et amis, entre travail et vie privée.

1. Savoirs et savoir-faire dans la culture des travailleurs en accueil touristique

1.1. Des savoirs sous forme de connaissances

Rendre compte d’un savoir partagé par l’ensemble des travailleurs en accueil touristique nécessite de faire

abstraction des savoirs techniques liés à l’exercice de telle ou telle activité professionnelle : les savoirs liés à

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l’activité de serveur, en gastronomie ou en sommellerie par exemple, ne sont pas les mêmes que ceux d’un

guide qui seront liés à l’histoire ou à la géographie par exemple. Dans le cadre plus général de l’accueil

touristique, ce que partagent ces travailleurs en termes de savoir équivaut en fait à des connaissances

générales, celles-ci étant de deux ordres : celles sur le lieu touristique – dans son agencement et les activités

qui y sont proposées – et celle sur la culture locale. Tous les participants mobilisent en effet ce type de

connaissances avec les visiteurs à un moment ou à un autre de leurs interactions57. Et si pour certains ce

partage fait partie des prérogatives de travail, comme pour les guides ou les concierges – on pourrait aussi

rajouter les agents d’accueil dans les offices de tourisme et autres centres d’information touristique, dont je n’ai

malheureusement pas de représentants – on retrouve tout de même ces formes de savoirs et ces échanges

chez l’ensemble des participants.

Les connaissances sur le lieu sont principalement liées aux endroits à visiter et nécessitent donc une certaine

maîtrise de leurs attraits touristiques et des activités proposées, et qui valent plus ou moins le détour pour

l’étranger que l’on renseigne. Il ne s’agit pas uniquement de lui dire que l’on « connaît telle ou telle place », de

dire que l’on est originaire du coin ou de dire que tel lieu est à tel endroit, mais bien de juger et de communiquer

les attraits de ces endroits. Tous les participants en témoignaient en décrivant, à leur manière, les lieux à visiter

et les choses à faire :

Souvent j'envoie des gens au marché du Vieux Port, pis ils adorent ça. Moi j'ai des gens qui reviennent, ça fait 15 ans, peut-être aux deux, trois ans à […] la boutique souvenir parce que, ils viennent me voir, ils viennent acheter ce que j'ai à vendre, pis ils viennent me demander "hey qu'est-ce qu'il y a de bon à faire à Québec de ce temps-ci, qu'est-ce qu'on devrait aller voir?" (Florian, gérant de boutique).

Les connaissances sur la culture locale touchent principalement à la culture québécoise, évidemment, et

prennent toute leur importance lors du contact avec des visiteurs étrangers. On m’objectera ici que ces

connaissances culturelles ne sont pas un savoir particulier, mais partagé par l’ensemble d’une société donnée.

Cependant, les travailleurs en accueil touristique rendent cette culture intelligible au visiteur et en tirent aussi un

savoir qu’ils peuvent utiliser dans le cadre de leur activité professionnelle pour incarner la réalité locale

recherchée par le visiteur :

[…] Tu sais en plus je trouve que le Québec on est réputés pour être chaleureux, pis, tu sais, qui parlent, pis accueillants pareil, pis… ouais, je vais essayer des fois de sortir des expressions drôles vraiment, que je trouve québécoises. J’essaie là de faire ressortir des trucs de mes coutumes, de leur montrer le plus possible. Parce que c’est ça qu’ils veulent aussi. Ça leur tente pas de… Les Français, ça leur tente pas que je me mette à leur parler en français de France quand ils viennent, ils veulent entendre comment je parle par exemple (Ariane, serveuse).

57 Cela ne veut pas dire que le partage de connaissance est systématique. Il dépend du temps disponible, de l’ouverture de la clientèle, parfois même de l’humeur de l’agent d’accueil. Cela n’empêche pas l’existence d’un tel savoir mobilisable en tout temps.

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À noter que ces savoirs basés sur la culture locale sont plus difficiles à mettre en valeur pour les travailleurs

étrangers, comme Hélène, Romain, Isabelle ou Alice. Cependant, il est évident que, résidant au Québec, ceux-

ci ont leur propre vision de cette culture, une connaissance qu’ils peuvent partager avec les visiteurs.

Ces connaissances ne sont pas mobilisées de la même manière par les résidents et les travailleurs en tourisme.

Pour les premiers, ces savoirs ont principalement une valeur personnelle et individuelle, étant utiles pour soi,

pour avoir des points de repère ou en tant que facteurs identitaires. Pour les travailleurs en accueil touristique,

ils ont une valeur d’échange, ils se transforment presque en produits à partager : ils ne sont pas à proprement

parler monnayables, comme le service rémunéré en pourboire58 ou les produits vendus dans les boutiques. Ils

sont un « plus » dans la transaction de la relation de service et participent à transformer cette simple relation en

acte d’accueil.

1.2. L’acte d’accueil ou le savoir-faire touristique

De la même manière qu’il est difficile de rendre compte des savoirs mobilisés par les travailleurs en accueil

touristique, rendre compte des savoir-faire indépendamment du type d’emploi n’est pas une tâche aisée. À partir

du moment où il s’agit de savoir-faire qui ne sont pas spécifiques à une tâche technique précise, il n’est pas

évident d’en faire ressortir les principales caractéristiques. Dans le cas de l’accueil, cette difficulté vient

également du fait que même pour les participants, décrire précisément en quoi cette pratique consiste est assez

complexe, dans la mesure où il s’agit pour eux d’un acte presque normal et naturel :

Moi : Est-ce que tu pourrais me décrire un accueil type d'un client ? D'abord […] tu dis toujours "bonjour" […]. Tu lui proposes une table, voilà : "c'est pour manger? c'est pour boire ?". Parce qu'on a un bar aussi. Tu l'installes, euh, c'est ça. Nous, on fait un service relativement rapide, quand même parce que les gens vont visiter, donc ils sont pas là pour passer trois heures au restau. (Hélène, serveuse/responsable)

[…] C'est juste leur dire bonjour heu... C'est pas de la vente à pression, c'est pas de la vente nécessairement, c'est plus autoservice. On est là si vous avez besoin d'aide, mais c'est juste ça. Leur souhaiter la bienvenue, pis tout simplement. (Marie, gérante de boutique)

[…] Moi je leur souhaite toujours bonjour, pis après ça, quelques secondes, après je leur dit : "comment allez-vous?". Pis après ça, je les laisse regarder. Pis si des fois, je leur pose la question : "est-ce que je peux vous aider?". Pis c'est à peu près ce que je fais. (Florian, gérant de boutique)

[…] Je dis bonjour, pis là, ils se promènent, pis là, quand ils ont des questions, bah je vais les

58 Il est clair également que pour un serveur rémunéré en pourboire, orienter le client et lui fournir des informations sur le lieu ou la culture sont autant d’éléments permettant d’augmenter son salaire. Cependant, sans entrer dans les détails, il faut savoir que le pourboire est une pratique assez codifiée et que beaucoup de visiteurs étrangers ne sont pas au courant des normes en la matière, ce qui fait que bien renseigner n’a pas plus d’impact que bien servir. De plus, de manière générale, augmenter les pourboires est assez secondaire pour quelqu’un qui travaille en restauration depuis un long moment :

[…] Moi le tourisme c’est mon gagne-pain, mais moi c’est important de leur donner un bon service pis qu’ils aiment ça. Tu sais aller quelque part pis tu manges, bang, sacre ton camp… J’aime ça quand ils sortent ils sont quand même content, c’est beau, merci beaucoup… Je fais pas ça vraiment pour les pourboires, mais je veux qu’ils aient eu un bon repas, et ils se sont amusés. D’habitude ils sont là pour ça. (André, serveur)

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aider pis... c'est pas très heu... c'est pas très compliqué là... pis quand, je sais pas là... je fais pas grand-chose de bien spécial là, je pense, heu...je sais pas trop quoi te dire là-dessus. (Nadège, vendeuse)

Accueillir est donc avant tout reconnaître, aider et être présent pour l’autre. Ce n’est pas un ensemble de tâches

prescrites et précises, c’est surtout mettre l’autre à l’aise et être là pour lui, se rendre utile. Mais c’est aussi

prendre du plaisir au contact de l’autre :

Le service j’aime bien ça, rencontrer du monde, pis tu sais toujours du monde là, mais du monde qui sont en fête, c’est pas du monde déprimé, c’est pas un enterrement. C’est du monde qui sont là pour le plaisir. Moi, j’aime ça avoir du plaisir donc ça tombait dans ma palette ça a l’air. (André, serveur)

Je ferais pas ça si j'aimais pas le contact avec les gens hein [rire]. (Lucie, barmaid)

Acte simple, naturel, plaisant, l’accueil est donc difficile à décrire, puisqu’il s’agit principalement d’une interaction

sociale entre deux individus, qui se reconnaissent et qui tentent de s’entendre sur un sujet : le visiteur est en

recherche d’informations ou d’un service, que l’agent d’accueil est supposé en mesure de lui offrir. Il ne s’agit

donc pas ici de vendre des produits, même si l’aspect commercial est à la base de la relation, à son origine tout

du moins. L’accueil est un acte gratuit qui accompagne la vente éventuelle, sans que celle-ci soit vraiment

obligatoire59.

C’est donc à travers l’acte d’accueil dans son ensemble, et non pas dans sa nature transactionnelle et

commerciale – je ne m’intéresse pas ici aux techniques de vente – que doivent être appréhendés les savoir-

faire en accueil touristique. Il est donc nécessaire de comprendre cet acte tel qu’il est perçu et vécu par les

travailleurs en tourisme, notamment à travers la nature de la relation de service et la pratique de l’hospitalité et

du maternage. Car finalement, le savoir-faire commun à tous les travailleurs en accueil touristique est de

transformer, dans une certaine mesure, l’hostis en hospès, comme nous l’avons vu dans la première partie de

ce mémoire. Mais cet acte d’accueil n’est pas figé et immuable, et dépend à la fois des attentes perçues des

visiteurs et des prérogatives propres à chaque type de travailleurs, ainsi qu’aux différentes spécialisations

professionnelles.

1.3. Attentes perçues et spécialisations

Pour guider et aider les visiteurs étrangers, il est nécessaire pour les travailleurs en accueil touristique de

considérer leurs attentes, tout comme il leur faut considérer ce qui est de leur ressort ou de leurs prérogatives

59 Par exemple, lors de mon entrevue avec Florian, trois clientes sont entrées dans le magasin : une femme québécoise accompagnée de deux étudiantes françaises fraichement arrivées au Québec et à la recherche d’un logement. Les clientes sont restées un certain temps dans le magasin sans rien acheter, mais Florian a tout de même conversé avec elles un bon moment, posant des questions et les renseignant sur le quartier, les sorties à faire, le style de vie, etc. La relation n’était pas commerciale ici, tout du moins pas ouvertement : une fois le fait qu’elles n’allaient rien acheter établi, il ne s’agissait plus d’essayer de vendre quoi que ce soit, mais juste de parler, d’accueillir, de se rendre utile.

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de travail. Ces attentes perçues des touristes varient selon le type d’emploi occupé, tout comme ce que chaque

participant se considère en droit ou en devoir de faire. En effet, en fonction de sa position dans l’offre touristique,

chaque type de travailleur se réserve le droit de fournir certaines explications, certaines suggestions d’activités

et de visites, voire même certains types d’accueil, plus ou moins personnalisé par exemple. Mais chaque

fonction détermine également les devoirs vis-à-vis des touristes.

Certaines de ces attentes perçues restent communes à tous les types de travailleurs en tourisme, et sont

fonction du statut de « touriste », qui est, par définition, un visiteur en vacances et donc en situation de

secondarité. De par cet attribut, le touriste est perçu par tous comme un individu dont la principale caractéristique

est d’être enjoué et à la recherche du plaisir :

[…] Dans mon livre à moi, à partir que tu rentres dans le quartier, t'es détendu. Ouais. T'es pas ici pour te prendre la tête, parce que tu sais que c'est un quartier touristique. Fait que tu sois de Québec, que tu sois de Montréal, que tu sois de la France ou que tu sois de l'Angleterre ou Américain, t'es ici pour acheter du bonheur. (Alexandre, guide indépendant)

[…] Le touriste, par définition, il est détendu, il est pas au boulot, il a pas tous les problèmes de la maison. (Hélène, serveuse/responsable)

Le touriste est donc présent dans le quartier touristique pour passer du bon temps, passer un bon moment et

un séjour agréable, ce qui est une attente perçue de manière unanime par les travailleurs en accueil touristique.

Ce qui l’est un peu moins, c’est ce que chacun est prêt à faire ou devrait faire pour que le séjour soit agréable,

et ce que chacun perçoit comme de l’ordre de ses responsabilités. Pour reprendre les termes de Hughes (1958),

chaque travailleur a sa perception de sa licence (droits) et de son mandat (devoirs) concernant ses interactions

avec les visiteurs. Et pour comprendre ces différences, il est important de saisir à quel « niveau » de la relation

de service se situent les travailleurs considérés. Car si le touriste est là pour passer un bon moment, cela se

décline en fait de multiples façons, et à de multiples niveaux, et chaque profession semble être titulaire de la

satisfaction du visiteur à chacun de ces niveaux :

Concierges – Le niveau le plus général de l’expérience des touristes est celui que nous pouvons appeler du

« séjour ». En venant dans le lieu touristique, les touristes viennent généralement passer quelques jours, voire

quelques semaines, ce qu’on appelle un séjour touristique. Pour que celui-ci soit plaisant, il nécessite souvent

d’être planifié, organisé, de façon à profiter au maximum des attractions de la place en un temps relativement

court. C’est à ce niveau général que se situent les performances attendues des concierges d’hôtels, puisque

leur fonction principale est justement d’organiser le séjour des visiteurs60. Leurs prérogatives de travail se situent

donc globalement au niveau des aspects logistiques et organisationnels du séjour, et ils tentent véritablement –

60 Bien sûr, tous les touristes ne passent pas dans des hôtels qui emploient des concierges. Et même dans ce type d’hôtels certains visiteurs n’utilisent pas leurs services, préférant se diriger seuls et construire leur propre expérience touristique. Ils dirigent donc leurs choix en fonction de guides de voyages (Lonely Planet, Guide du Routard…), en se présentant dans les offices de tourisme, ou grâce au « bouche-à-oreille ».

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et objectivement – de rendre le séjour dans le lieu touristique le plus agréable et mémorable possible. Ainsi,

lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense offrir à ses clients, Florence nous dit :

Leur satisfaction, qu’ils soient heureux dans la vie, ben au moins s’ils le sont pas dans la vie, qu’ils le soient pendant leur séjour à Québec. Puis en fin de compte, que je fasse le maximum pour que ça se réalise. Puis de bien cibler leurs besoins. (Florence, concierge)

La satisfaction du touriste est donc centrale, et celle-ci passe par un séjour qui soit agréable, voire mémorable :

[...] Dans l'hôtellerie, on a des gens souvent qui arrivent qui connaissent pas la ville, et moi tu peux pas imaginer le plaisir que j'ai de voir leurs yeux de merlan frit : "Isabelle, aidez-moi à faire de mon voyage quelque chose dont je me souviendrai longtemps" quoi. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Leurs tâches consistent donc principalement à organiser un séjour intéressant, voire mémorable, à leurs clients

dans une perspective logistique et organisationnelle du séjour. Elles ont besoin de connaître les évènements,

les lieux à voir, les établissements à fréquenter, les agences à contacter, et le tout à la fois en fonction des goûts

particuliers des visiteurs et de l’offre officielle de la ville en termes d’attraits.

Serveurs et vendeurs – Alors que les concierges situent leurs prérogatives (mandat) au niveau du séjour des

touristes, les serveurs et vendeurs de boutiques touristiques semblent plus se positionner à un niveau moins

général, celui du « moment ». Que ce soit dans le cadre du service au restaurant ou dans la vente d’un objet

qui fera bien office de souvenir, il est attendu du touriste que celui-ci veuille avoir du bon temps, passer un

moment agréable et se sentir accueilli :

J’essaie de les faire se sentir bien pour que ce soit relax pis que pendant que je les sers, ben que ce soit le fun pour eux autres et pour moi. Parce que quand tu t’assis dans un restaurant, ben, d’habitude, c’est pour avoir du bon temps. (Ariane, serveuse)

Si ces propos peuvent sembler logique de la part d’employés en restauration qui sont dans une interaction tout

de même assez prolongée avec le client et qui offrent plus un service qu’un produit, de semblables ont été

recueillis de la part de vendeurs en boutique :

[…] Je pense que je leur offre un bon service là, je pense là, en général là. Pis je pense être sympathique... je pense [rire]. Pis je suis souriante, je suis de bonne humeur pas mal tout le temps-là, fait que je pense que quand ils viennent, j'imagine que même si c'est une petite boutique de "cossins", je peux leur offrir un genre de bon moment, là, tu sais, avec une Québécoise bien typique là. (Nadège, vendeuse)

Mais au-delà d’un bon moment, vendeurs et serveurs ont également conscience de faire partie du séjour des

touristes et estiment eux aussi participer au bon déroulement et au caractère plaisant de celui-ci :

Ben, j'essaie d'être gentille avec eux et puis aider à ce que leur séjour soit encore plus le fun là. Normalement, on a pas mal beaucoup de compliments là, sur la ville de Québec là, fait que juste mettre mon grain de sel, peut-être pour que le commentaire continue dans le fond. (Marie, gérante de boutique)

Moi : Qu’est-ce que vous pensez offrir à vos clients?

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Ben, à la base, c'est mon service, de ce que j'ai à offrir dans la boutique en premier. Après ça, si on élabore, ça va vraiment être leur faire vivre une meilleure expérience de Québec, ou leur poser quelques petites questions, qu'est-ce qu'ils ont vu, pis comment ils ont perçu ça. Donc c'est ça, souvent, ça va être voir comment ils ont perçu ça : "Ah ouais, vous avez vu ça, comment vous avez aimé? Ben regarde, pensez à aller voir cette place-là, ou dans ce coin-là". (Florian, gérant de boutique)

Le rapport au touriste et la perception de ses attentes du point de vue des serveurs et des vendeurs se situent

donc plus dans l’immédiateté de la relation de service, dans un vis-à-vis, une relation d’échange qui est censée

être plaisante à vivre pour le visiteur. Étant attendu que celui-ci est présent pour passer un bon moment – et par

extension un bon séjour – ils se donnent comme devoir de participer à la réalisation de cette attente, mais

toutefois dans les limites de leurs tâches et de leurs capacités, nous le verrons.

Guides – Les guides rencontrés se situent encore à un autre niveau concernant les attentes des touristes. Pour

eux, du moins en ce qui concerne les trois guides de musée rencontrés, les touristes sont là dans une optique

liée à l’acquisition d’un savoir, de connaissances, donc en vue d’un épanouissement personnel et intellectuel.

Ils se considèrent comme les vecteurs d’une culture, québécoise certes, mais pas uniquement. Ils estiment

véhiculer un savoir reconnu et vérifié, et en tant qu’employés d’une institution porteuse de ce savoir, tout comme

ils se considèrent comme les informateurs privilégiés en matière de connaissance sur des sujets précis :

[…] [Les touristes] posent des questions, et puis ils arrivent des fois avec leurs idées à eux, donc évidemment, à ce moment-là, heu, je suis conscient que dans certains cas je suis peut-être une des rares personnes avec qui ils vont pouvoir discuter de, justement leurs questionnements par rapport à la culture québécoise. […] Donc moi, la façon que je vois ça, c'est que moi je suis formé pour lui donner une réponse générale, globale […]. C'est comme ça que je vois mon travail, c'est de parler de l'ensemble des Québécois si on parle des Québécois, ou d'autres sujets si c'est d'autres choses […]. Pour qu'ils repartent avec la vraie, la vraie idée. (David, guide de musée)

[…] C’est ça qu’ils viennent chercher, ils viennent chercher un endroit où on n’essaye pas de leur vendre rien, qu’on essaye juste de leur dire : "ben là, on a étudié le sujet pis… c’est ça qu’on pense". Fais que moi je leur dis : "regarde, c’est ça, pis peut-être ça, peut-être ça, peut être ça aussi, vous pouvez juger". (Diane, guide de musée)

Les attentes des touristes sont donc perçues de manière générale, et les guides de musée sont peut-être moins

conscients de faire partie du séjour et de participer à l’expérience touristique. C’est pourtant bien cela qu’ils

semblent offrir, une expérience « authentique », puisque vérifiée et reconnue par l’institution muséale, de ce

qu’est la culture québécoise. Ceci n’est pourtant pas si éloigné de ce que pense offrir une travailleuse comme

Nadège, lorsqu’elle parle de passer un bon moment avec une « Québécoise bien typique », à la différence

qu’eux pensent véhiculer une image plus véridique, car reconnue et scientifiquement prouvée.

Cependant, tous les guides n’ont pas la même vision des attentes des touristes et de leurs prérogatives de

travail. Pour certains – et Alexandre en est la parfaite illustration – les touristes sont ici pour vivre une certaine

expérience, et leur rôle est de faire en sorte que cela arrive. Ainsi, Alexandre se situe plutôt entre le travail de

concierge qui prend en charge le séjour, et celui du serveur ou du vendeur, qui fait passer un bon moment :

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[…] Moi, dans ma philosophie d'entreprise, dans mon entreprise c'est t'embarques […] pis je te montre autre chose, mais ça s'arrête pas juste à l'histoire, là. Je te montre des restaurants, je te montre des places où manger, je te montre des places où rester, je te montre des places où magasiner. (Alexandre, guide indépendant)

En tant que guide, il participe donc non seulement à un transfert de connaissances, mais aussi à des aspects

plus pratiques et même logistiques, puisqu’il est capable de diriger le client selon ses intérêts. Il participe donc

ouvertement au séjour des visiteurs, au même titre que les serveurs et les vendeurs de par l’immédiateté de la

relation, mais aussi par l’aspect organisationnel et la conscience de faire partie de la réussite du séjour des

touristes.

On le comprend, cette différenciation en termes d’attentes perçues entraîne une sorte de spécialisation des

rôles de chacun : les concierges organisent le séjour, les serveurs et vendeurs l’agrémentent en le rendant plus

agréable et les guides le rendent un peu plus intéressant en développant la culture personnelle. Chaque type

d’emploi occupe donc une place particulière dans l’expérience du touriste, accueilli un peu de la même façon

que l’on divise les tâches dans une entreprise. La grande différence est bien sûr qu’ici le produit n’est pas

tangible, comme nous avons pu le voir, mais consiste en une expérience, un souvenir qui s’ancre hors de la

quotidienneté, dans des espaces de secondarité, et que l’organisation n’est pas une entreprise ou un lieu fermé

producteur de biens et de services, mais un espace partagé producteur d’expériences pour des visiteurs

susceptibles d’être le client de certains.

2. Les savoirs-connaissances des travailleurs en accueil touristique

Cette spécialisation des rôles de chacun ou de chaque type d’emploi touristique dans l’accueil des touristes ne

concerne pas uniquement les tâches et le niveau dans lequel s’inscrit l’expérience touristique. Elle se retrouve

également dans le type de savoirs mobilisés par les travailleurs en accueil touristique. Sans tenir compte,

comme précisé plus haut, des savoirs spécifiques à chaque type d’activité, il est apparu que les participants

mobilisaient principalement deux types de savoirs : d’un côté un savoir personnel, de l’autre un savoir

institutionnel. Les agents d’accueil rencontrés possèdent tous ces deux types de savoirs, au moins dans une

certaine mesure, mais ils ne les mobilisent pas de la même façon ni avec la même intensité.

2.1. Le savoir personnel

Principalement observé chez les serveurs et les vendeurs, ce type de savoir est le plus proche de ce que l’on

pourrait appeler une culture populaire. Il s’agit d’un savoir qui est glané au fil des expériences, du vécu, mais

aussi à travers le recueil d’informations jugées pertinentes dans le cadre de son activité professionnelle :

J'utilise l'internet […], je vais aller toujours au bureau d'information touristique pour demander […]. Quelques fois je suis allé au château Frontenac pour parler avec les concierges là-bas. Je suis toujours alerte si une personne entre ici avec une chose avec son nom. Je demande qu'est-ce qu'il se passe. Ils disent : "ah il y a un grand évènement ici, au château Frontenac, pour une

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entreprise, et nous sommes 400 personnes". (Romain, gérant de boutique)

Je me débrouille quand je me fais poser des questions. Des fois je vais checker sur mon cellulaire quand ils me posent des questions pis que je sais pas quoi répondre, je vais checker sur mon cellulaire. Je vais m'arranger, ou je vais appeler genre à l'autre boutique, peut-être qu'ils savent. (Nadège, vendeuse)

[…] Des gens qui te disent quoi faire au début, pis toi tu le fais. Voilà et donc après toi tu conseilles aux gens de faire certaines choses, tu leur dis qu'il y a des choses qui sont bien, d'autres moins. (Hélène, serveuse/responsable)

Ce type de savoir n’est donc pas vérifié et il ne s’agit en aucun cas d’un discours officiel. Mais pour les visiteurs,

il a l’avantage d’être le plus proche de la culture locale et du savoir le plus « authentique ».

Mais avant d’être « populaire » – à comprendre ici comme partagé par l’ensemble de la population locale – il

est avant tout personnel, car il se transmet au visiteur en fonction, nous l’avons vu, des attentes perçues de ce

dernier, mais aussi des intérêts personnels de l’agent d’accueil concerné. Il s’agit pour le travailleur en accueil

de renseigner le visiteur à travers ses propres connaissances du lieu touristique, comme Hélène, qui aime

envoyer les touristes dans des lieux qu’elle-même juge intéressants :

[…] Je leur dis : "bah allez acheter des produits au marché du Vieux-Port", parce qu'il y a des produits locaux et que c'est bon de découvrir. Bon, y a pas que le caribou, il y a le cidre de glace, il y a tout ce qui est produits de canneberge, sirop d'érable, etc. Moi je cuisine beaucoup, donc je leur donne des petites recettes simples, des trucs, des cadeaux à faire. Tu sais du beurre d'érable tout le monde y pense pas, donc je les envoie aux endroits finalement où ce sera mieux pour eux. […] J'essaye de faire, finalement, de leur donner des petits trucs pour que ce soit sympa. (Hélène, serveuse/responsable)

C’est donc à travers ses goûts personnels (ici la cuisine) qu’Hélène dirige les visiteurs pour leur donner une

expérience « sympa » de la ville de Québec, et des produits locaux, donc un peu de la culture locale. Même

chose pour Florian :

Je les envoie à tel restaurant, à telle place : "allez voir ça", "allez, prenez le temps d'aller marcher dans la rue des remparts", "allez marcher dans les rues derrière le chemin Saint-Louis". Parce que souvent, on va faire les artères principales, mais les remparts c'est magnifique, toutes les petites ruelles qu'il y a derrière la rue Saint-Louis, c'est magnifique, derrière le Château Frontenac, c'est plus intéressant que de se promener sur le chemin Saint-Louis là. (Florian, gérant de boutique)

Ses connaissances du quartier et des endroits les moins fréquentés lui permettent de faire valoir certains attraits

du secteur touristique qui ne font pas forcément partie des lieux officiellement présentés aux visiteurs.

Ce type de savoir est également dégagé de toute obligation envers le discours officiel, ce qui leur permet

également de rester critiques par rapport à une offre touristique qu’ils vont parfois juger inintéressante ou

abusive, comme le montre Hélène :

Par exemple, la balade heu, payante du Château avec, t'as une euh... quelqu'un de déguisé style en soubrette, là, qui te fait visiter quelques chambres du château, c'est complètement ridicule comme visite donc heu. Je leur dis aux gens, c'est pas un truc à faire tu vois, bon. Voilà comme

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Québec Expérience non plus c'est pas phénoménal, […] parce que je l'avais fait. (Hélène, serveuse/responsable)

Je les envoie aussi au manoir Montmorency aux chutes de Montmorency. Tu vois, je leur dis : "Ne vous garez pas en bas, payez pas le parking, le téléphérique, etc." Je dis : "Garez-vous en haut, comme ça, dans une rue transversale et puis vous rentrez, ça va rien vous coûter, vous allez faire une super balade, etc." J'essaie de faire, finalement, de leur donner des petits trucs pour que ce soit sympa. […] Je veux qu'ils découvrent sans se faire mettre le coup de bambou habituel du touriste quoi, finalement. (Hélène, serveuse/responsable)

Ce type de savoir permet également de véhiculer une image positive du Québec et de la ville de Québec, comme

nous l’avons déjà montré, car il contribue pour ces travailleurs à la satisfaction des attentes perçues des

visiteurs, et à faire de leur séjour un moment plaisant. Et bien qu’il soit personnel, il participe d’un effort commun

pour rendre le lieu touristique attractif pour le visiteur, ce qui a potentiellement de très bonnes retombées pour

tout le monde dans le secteur :

[…] C'est le fun quand on se fait dire : "Ho, les gens à Québec sont serviables, sont sympathiques" et tout ça. Tu sais, je me dis "j'embarque dans ce bateau-là", donc on travaille pour ça. Plus on a une bonne publicité, mieux que ça va être là […]. (Marie, gérante de boutique)

[…] Les gens si ça leur plaît, ils vont parler que ça leur plaît, et c'est toujours à longue heu... de longue haleine. Ils reviendront probablement parce qu'ils ont passé un séjour formidable, ils vont parler à leurs amis et puis, et puis c'est ça le boulot premier, c'est... t'as des retombées tout de suite et puis t'as des retombées qui sont beaucoup plus longues. (Hélène, serveuse/responsable)

On voit donc se dessiner ici une sorte d’« esprit de corps », de conscience de travailler non pas uniquement

pour soi, mais pour une sorte de communauté touristique qui bénéficie, dans son ensemble, des retombées

d’un bon accueil. Le partage du savoir personnel se confond donc parfois avec des objectifs communs liés à

l’attractivité du lieu touristique.

2.2. Le savoir institutionnel

À l’autre bout du spectre des savoirs mobilisés en tourisme se trouvent des savoirs institutionnels, c’est-à-dire

des savoirs vérifiés et reconnus par les institutions qui gèrent l’offre touristique, comme les offices de tourisme

ou les musées61. Celui-ci est acquis à travers diverses formations, notamment à l’école et surtout par la formation

et l’expérience en emploi, comme c’est le cas au musée :

[…] Ici […], on n’arrête pas d’apprendre. On n’arrête pas de lire et de rencontrer des gens passionnants sur toutes sortes de sujets, essentiellement historiques, mais de tout. Ça s’ouvre sur tout alors ça nous force à apprendre, à faire des liens entre les choses, donc c’est vraiment passionnant. (Diane, guide de musée)

[…] On m'enseigne toutes sortes de choses sur toutes sortes de sujets. Et c’est pas un enseignement où est ce qu’on est à l'école et puis ensuite faut rendre un travail, et puis... Et en plus faut payer pour obtenir ça [rires]. C'est l'inverse, là je suis payé. (David, guide de musée)

61 N’ayant malheureusement pas de participants travaillants à l’office de tourisme de Québec, le seul témoignage ici est celui des guides de musée.

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Cela mis à part, c’est surtout dans la personnalisation du savoir transmis au visiteur que s’inscrit la différence

de ce type de savoir avec le savoir personnel. Ici, le savoir est institutionnel, car il appartient à l’institution et non

pas à l’individu, et ce dernier n’est finalement que le vecteur de ce savoir :

Le milieu culturel c’est un beau milieu, c’est stimulant, c’est créatif. Il y a un respect aussi de l’expérience maintenant, mais des capacités de quelqu’un, de pouvoir livrer un produit à sa manière, mais quand même conforme au cadre de l’institution, mais le livrer par mes mots à moi là. (Diane, guide de musée)

[…] L'aspect où je sens peut-être plus l'institution, c'est que je peux pas toujours dire ce que je veux à un visiteur. Heu, si j'ai un visiteur qui me tape sur les nerfs, je peux pas l'envoyer promener [rires]. (David, guide de musée)

L’agent d’accueil est donc plus ou moins libre dans sa façon de véhiculer ce savoir, dans la forme que va prendre

son discours, mais il ne lui appartient pas de décider de son contenu. À travers lui, c’est l’institution qui parle et

qui est représentée, ce qui l’oblige à un certain conformisme.

Ce n’est pas autant le cas chez les autres travailleurs, qui sont plus libres dans le déroulement de leurs

interactions avec les touristes :

Des fois, je me dis, ben, tu sais, qu’il faut que je donne une bonne image et tout ça pis... Mais en fait.... Semi, parce que peu importe d'où tu viens là, si t'es bête avec moi, tu sais, j'ai beau vouloir donner une bonne image du Québec là, si tu me traites comme un chien, tu vas juste manger de la marde (Nadège, vendeuse).

Et au-delà du comportement, le contenu est imposé par la mission de l’institution, là où il est suggéré par

l’interaction et les intérêts des uns et des autres dans la relation de service entre un serveur ou un vendeur et

le visiteur :

[…] Point de vue historique, des fois, on peut me demander euh... par des étrangers : "Oui, la question de la souveraineté au Québec euh..., qu'est-ce vous en pensez ?". Alors je suis obligé de leur dire : "ben, dans cet uniforme-là euh…". Je peux seulement me faire l'avocat du diable, et puis quand je trouve quelqu'un qui est fédéraliste, je lui donne des arguments souverainistes, et inversement, si j'ai un souverainiste, je lui donne des arguments fédéralistes pour… parce que mon travail, c'est d’essayer de pousser la pensée plus loin et puis essayer de voir autre chose qu’une pensée unique. (David, guide de musée)

Ici aussi il existe une certaine conscience du fait que le discours et les actions dépassent le seul cadre de

l’interaction individuelle, qu’à travers son travail et son acte d’accueil le guide fait partie d’un tout qui le dépasse.

Mais il apparaît que ce tout, pour ces guides, est surtout représenté par l’institution muséale plus que par la

communauté d’accueil touristique.

2.3. Le savoir « professionnel »

Entre ces deux types de savoirs, on en trouve une autre forme, principalement mobilisée par les concierges

d’hôtels, mais aussi par certains types de guides, représentés ici par Alexandre. En fait, ce n’est pas tant dans

le type de savoir que ces agents d’accueil se distinguent des autres, mais par leur utilisation de celui-ci. En effet,

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alors que vendeurs et serveurs n’ont que peu de connaissances institutionnelles et s’en remettent donc pour

une grande part à leurs jugements personnels, et que les guides de musée laissent quant à eux ce dernier de

côté pour véhiculer le discours officiel, concierges et guide de rue semblent pouvoir adapter leurs discours et

leurs propositions en fonction de la clientèle. Ils sont au courant de nombreuses activités, des endroits à visiter,

des choses à faire, comme nous avons pu le voir plus haut, et sont capables de diriger les visiteurs selon les

goûts de ces derniers plus que selon le leur. C’est dans cette mesure que je parle ici d’un savoir

« professionnel », parce que celui-ci est véritablement utilisé comme un outil pour agrémenter le séjour de

visiteur, et s’adapte aux situations et à la clientèle.

La tâche des concierges étant plus de l’ordre de l’organisation et de la logistique du séjour, il est évident qu’ils

doivent avoir une bonne connaissance des attraits du lieu touristique, et ce de manière objective. Il leur

appartient ensuite de juger de ce que leurs clients apprécieraient le plus parmi la gamme d’attraits disponibles :

[…] Ce qui est hot dans mon métier, c’est que j’ai des clients en face de moi. Un coup ils vont me poser une question, un autre coup ils vont me poser une autre question, mais c’est des couples différents, je leur proposerai pas les mêmes choses. C’est ce côté de suivre son intuition pour bien servir son client que je tripe. (Florence, concierge)

Donc, je te dirais que dès que les gens passent la porte, je peux voir comment je vais les accueillir, et c'est aussi une partie de mon métier que j'aime dans le sens où, peut-être je joue un peu aux échecs là, des fois ça marche, des fois ça marche pas, et donc oui, tu t'adaptes. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Il y a donc un effort d’adaptation plus important pour ces répondantes qui ne se contentent pas de dire ce que

bon leur semble ou bien de suivre la voie empruntée par l’institution, mais qui doivent au contraire composer

avec le type de clientèle.

Ayant une connaissance personnelle qu’ils peuvent mobiliser sans se mettre en porte-à-faux avec l’institution,

ainsi qu’un savoir vérifié, ils peuvent également se permettre de prendre un certain recul par rapport au discours

officiel. Ceci est particulièrement le cas pour Alexandre qui a suivi une technique en tourisme alors qu’il avait

déjà une certaine connaissance du lieu touristique :

[…] C'était bien trop facile là, je suis arrivé après plusieurs années de calèches, j'ai été faire mon certificat en tourisme. Tu sais, c'est comme euh, à un moment donné on s’obstine avec le prof là : "c'était pas les bonnes dates là Bill là", tu sais. C'était comme : "ça marche pas là qu'est-ce tu me racontes là", tu sais, c'est comme euh, ça a été un conflit là avec un professeur là en tourisme là. Parce qu'il nous racontait du n'importe quoi, pis les mecs y gobaient, pis moi ben, malheureusement, j'avais encore bien moins ma langue dans ma poche que je l'ai là. (Alexandre, guide indépendant)

La connaissance personnelle du lieu touristique, issue des différentes expériences professionnelles antérieures

à la formation, interfère donc ici avec le savoir institutionnel, qui selon le participant est « gobé » par ceux qui,

par la suite, vont occuper les places de guides. Pour lui, comme nous avons pu le voir plus haut, son rôle ne se

limite pas à véhiculer un savoir vérifié et reconnu, mais aussi à proposer une expérience unique et plaisante à

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sa clientèle, ce qu’il fait en leur fournissant un savoir qui est également issu de ses expériences personnelles.

Par ailleurs, il sait que le savoir qu’il véhicule n’est pas forcément le discours officiel, qu’il fait des raccourcis et

des mises en scène, mais cela fait partie de ce qu’il a à offrir en termes d’expérience touristique :

Mais, tu sais, à travers tout ça, va y avoir de la vérité, beaucoup de vérité, mais un petit peu de merde. Pis le monde, ils le savent là, parce que tu sais là, je les prends pas pour des cons non plus là. Fait qu'ils vont faire : "ah ouais, t'avais raison, c'est vrai". (Alexandre, guide indépendant)

Pour ces participants, la conscience de faire partie d’une communauté touristique est également perceptible à

travers la place que prend le savoir mobilisé dans l’expérience du touriste et dans l’appréciation de son séjour

et du lieu, mais aussi à travers le mode d’acquisition de ce savoir. Pour être capables de bien saisir l’ensemble

des attraits, et n’étant informés que par leurs propres moyens, ils développent des réseaux de collaboration

avec divers acteurs du tourisme (autres concierges, commerçants, résidents, office de tourisme…) qui leur

permettent de se tenir à jour et d’organiser des séjours agréables :

[…] T’essaies de tout organiser tout ça. C’est de faire des réservations de restaurant que je devais faire pour les clients d’avant, de faire des confirmations écrites, de répondre aux courriels. […] C’est de répondre au téléphone, répondre à mes amis concierges autour de la ville, puis updater toujours l’information pour qu’elle soit à jour dans mon système : liste de restaurants, les activités […], propager l’information aussi parce que c’est pas juste moi qui faut qui aille l’information, mais c’est mes collègues aussi à l’accueil, tu sais. Par exemple, je sais pas moi, le musée va fermer plus tôt aujourd’hui, ou le restaurant est sold-out, tu sais j’envoie des informations et tout dans le fond […]. (Florence, concierge)

Alexandre, quant à lui, fait même participer certaines personnes du quartier à ses tours, principalement des

commerçants, mais aussi quelques résidents, lui permettant de créer une dynamique inclusive pour le touriste

et de faire part non seulement de sa connaissance des attraits de la ville, mais aussi de ses caractéristiques

sociales et communautaires. Les touristes se retrouvent au cœur d’une improvisation où le guide prétend

connaître des personnes qu’il intègre à son tour comme des personnages amusants :

Avec Gérard, c'est un cruiser ; avec Frank, je vais lui sortir une marde ; avec Super-Service, c'est parce que lui il a loué des trucs à Paul McCartney, fait que là j'y embarque sur l'histoire comme quoi il connaît Paul McCartney, il a été en Angleterre. Pis le propriétaire, c'est un timide, fait qu'il dit pas un Christ de mot, donc là j'en mets, j'en mets, quand je pars de là, il est rouge comme une tomate et les clients sont morts de rire, on se pisse dessus, [siffle] on est partis. Tu sais, c'est comme [claque des doigts] pif paf paf, tu sais. Le client, il aime ça là, mais ça dépend aussi, comme je te disais, c'est show-time là. (Alexandre, guide indépendant)

Son savoir touristique est donc tout à la fois institutionnel, personnel et social, et enrobé d’un imaginaire produit

pour le plaisir du touriste, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des autres participants.

2.4. Spécialisation, complémentarité et cloisonnement des savoirs

Chaque type d’emploi possède donc non seulement une perception plus ou moins particulière des attentes des

touristes, mais aussi une forme de savoir qui aide les travailleurs dans leurs pratiques professionnelles. Et bien

que ces savoirs soient relativement différenciés dans la posture adoptée (personnelle, institutionnelle ou

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professionnelle), le contenu n’est pas tant différencié dans sa nature finalement : chacun est tributaire d’une

connaissance du lieu touristique, dans ses attraits, son histoire, sa géographie et ses activités, ainsi que d’une

connaissance de la culture québécoise, que ce soit en tant qu’interprètes (comme cela peut être le cas des

guides) ou en tant que tenants de celle-ci (à l’instar de Nadège ou de Marie par exemple).

Ce savoir est donc plus ou moins spécialisé en fonction du type d’emploi considéré, et cette spécialisation ne

s’opère pas en dans une concurrence entre chacune des fonctions touristiques, mais plutôt en complémentarité.

Même pour les guides qui estiment que leur savoir est plus légitime, car vérifié, il existe une certaine conscience

de cette complémentarité :

[…] C'est pas au serveur dans un restaurant ou maitre d'hôtel là que ça va se faire. Et en même temps, j'ai envie de dire, peut être que oui ils le font, mais c'est plutôt des gens qui vont avoir un point de vue très personnel. […] Donc moi la façon que je vois ça, c'est que moi je suis formé pour lui donner une réponse générale, globale […] (David, guide de musée).

Au-delà de la spécialisation, il existe donc une complémentarité des savoirs qui permet aux touristes de vivre

une expérience complète de ce que le lieu touristique peut offrir. Le lieu touristique pourrait alors être considéré

comme une organisation sans administration centrale, où chaque type de commerce ou d’établissement serait

comme autant de départements, d’ateliers aux fonctions diverses et dont le produit final serait l’expérience du

touriste. À chaque étape de son séjour, le touriste rencontre de nouveaux agents d’accueil qui sont autant de

participants à la construction de cette expérience. La différence avec un lieu touristique comme Disneyland ou

un « tout-inclus », c’est que la complémentarité et l’intégration des éléments ne sont pas organisées

administrativement, mais dans le jeu de la rencontre des demandes, des attentes, des opportunités et des

initiatives dans l’interaction.

Cette idée d’une répartition tacite des responsabilités dans l’interaction avec les touristes se retrouve également

lorsque les travailleurs en accueil touristique se retrouvent dans l’incapacité de répondre aux demandes des

clients en termes de savoirs et de connaissance, ce qui arrive assez souvent, notamment chez les serveurs et

les vendeurs. En effet, leur connaissance du lieu et de la culture étant personnelle, elle est également parcellaire

et ne permet pas de satisfaire à toutes les attentes des touristes :

Ariane : Je pourrais dire que je connais des endroits que j’ai plus l’habitude d’aller, comme la boulangerie, le dépanneur… je sais il est où le funiculaire pour monter en haut, le théâtre du Petit Champlain, mais tu sais les boutiques… […] Je connais bien la crémerie, qui vend des crèmes molles, une place qui vend des bonbons, pis c’est ça, je connais… Je connais, mais je connais pas particulièrement toutes les entreprises. Moi : Et tu es au courant des activités à faire dans le quartier? Ariane : Ouf, ben pas tant que ça pareil, je suis pas vraiment informée plus qu’il faut. Je sais qu’il y a des visites touristiques la nuit, qu’ils sont déguisés. Je connais ce que j’ai vu par hasard un p’tit peu plus. (Ariane, serveuse)

Fait que des fois j'ai un peu de misère à renseigner là pour vrai, parce que je sais pas, tu sais ils me demandent bah "c'est où ça, la bouffe québécoise typique"? Tu sais c'est des restaurants

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français qu'on a autour. Mais je les connais un peu, mais genre je m'informe pas nécessairement. Non. Si je le connais, ça va être par la bande, parce qu'on a eu un pamphlet ou un truc de même là. Mais non. (Nadège, vendeuse)

C’est alors que le cloisonnement des savoirs se fait sentir, lorsque le « je », détenteur de ce savoir personnel,

se retrouve en défaut et qu’arrive la nécessité pour l’agent d’accueil d’assumer les limites de ce dernier. La

spécialisation des savoirs permet de s’accorder une porte de sortie face à l’embarras potentiel d’une telle

situation, car elle permet de référer le touriste à un autre travailleur, un autre commerce, une autre institution, et

finalement garder le sentiment que l’attente du touriste aura été satisfaite :

Je vais toujours m'arranger pour essayer de leur répondre, des fois je le sais pas, c'est pas grave. T'as la rue au complet pour aller demander [rire]. Je suis pas la seule guide touristique. (Nadège, vendeuse)

Mais en même temps, les gens qui travaillent dans les hôtels, c'est un peu leur travail aussi de guider les gens à travers de toutes les choses qui peuvent être faites à Québec là. Moi, je le fait par plaisir, mais je trouve que c'est plus le travail des gens d'hôtel de faire ça. (Florian, gérant de boutique)

[…] On a l'office du tourisme juste à côté, nous. Fait que quand on sait pas, bah on dit : "Next door", tu vois. (Hélène, serveuse/responsable)

Cependant, bien qu’il y ait des secours au manque d’informations à travers le fait de référer à d’autres instances,

celui-ci est tout de même vécu comme une lacune assez importante, surtout concernant les serveurs ou

vendeurs, qui aimeraient bien souvent être plus informés :

Tu sais, genre, avoir un genre de petit livre qu'ils nous donnent et qui nous dise, « ah c'est ça qu'il y a comme activités à Québec, dans l'intérieur du Vieux-Québec ». C'est sûr qu'ils peuvent s'étendre là, mais à l'intérieur du Vieux Québec, je trouve que ça vaudrait la peine. (Florian, gérant de boutique)

[…] Donnez-moi un feuillet pour me dire de suggérer ça, ça, ça, ça, c’est sûr que je vais l’utiliser. […] Ce serait pratique qu’on en sache plus. Pis je me sentirais plus compétente quand je me fais demander, surtout que tu sais, on travaille vraiment dans le cœur, c’est sûr que tous les touristes ils passent là quand ils viennent à Québec. (Ariane, serveuse)

Pour chacun des participants, l’institution touristique est le dernier recours lorsque le « je » est pris en défaut de

savoir : les serveurs et vendeurs s’en remettent aux fonctions des instances touristiques (offices du tourisme,

guides, « gens d’hôtels »…), les guides et les concierges s’en remettent au « discours » de l’institution, au savoir

officiel de celle-ci. Malgré l’apparente individualité des discours personnels, c’est finalement une certaine figure

du « nous », d’un collectif qui permet à chacun de faire bonne figure et de fournir le produit que recherche le

touriste, à savoir une expérience plus ou moins authentique d’un milieu étranger.

Là encore, la complémentarité est mise de l’avant, même si dans la pratique des travailleurs rencontrés, l’idée

dominante reste celle du « chacun pour soi ». Pour eux, le fait de guider le touriste relève plus du plaisir, et il

existe des « professionnels » dont le métier principal est de recommander les touristes. Il n’est donc pas de leur

responsabilité de faire cette tâche, et s’ils le font, c’est parce qu’ils le peuvent et surtout le veulent bien.

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Ceci illustre bien, sans en faire le tour évidemment, les droits et obligations – la licence et le mandat – des

travailleurs en accueil touristique. Nous avons vu dans la problématique que les droits des travailleurs en

tourisme étaient avant tout liés au fait d’accueillir la clientèle touristique, d’être les premiers « interprètes » du

lieu et de la culture locale. Au niveau des devoirs, j’ai expliqué qu’outre les devoirs d’ordre technique liés au

service (le bon déroulement du service pour lequel ils sont rémunérés), une autre obligation était de faire passer

du bon temps aux visiteurs, de leur permettre de passer un bon séjour et d’avoir un moment agréable dans le

lieu touristique.

Ceci est donc vérifié à travers les témoignages des participants, en ajoutant toutefois deux points importants :

d’un côté, en tant qu’interlocuteurs privilégiés des touristes, ils ont l’obligation – parfois tacite – de posséder et

de partager une certaine connaissance des lieux, des activités et de la culture locale avec ces derniers ; de

l’autre, ils ont le droit de ne pas tout connaître du lieu et de renvoyer les touristes aux autres instances lorsque

ce savoir leur fait défaut. Mais surtout cela montre à quel point les travailleurs en accueil touristique, malgré leur

hétérogénéité, partagent des éléments d’une culture professionnelle commune. L’analyse de ce qu’ils disent de

l’acte d’accueil en tourisme rend cela encore plus explicite.

3. La relation de service en tourisme

3.1. Une clientèle en situation de secondarité

Les savoir-faire liés à l’accueil en tourisme sont eux aussi sujets à des variations importantes entre les différents

types d’emploi considérés. Mais avant d’aborder ces particularités, il est important de noter une spécificité de

cet accueil, centrale selon moi, et qui tient au fait que les visiteurs soient en situation de secondarité. Cet aspect

est évoqué de manière pratiquement unanime par les travailleurs en accueil touristique rencontrés :

[…] [Les touristes] sont le fun parce qu'ils sont en vacances, ils sont relax. Donc c'est sûr que c'est des gens, ils sont le fun, ils sont pas pressés, heu, la majorité des touristes sont super heu, enthousiastes sur tout. Tu sais, ils vont aimer les…, ils vont goûter les choses, ils vont boire des choses. (Lucie, barmaid)

Ici les clients sont plus relaxés, ils sont ici en vacances, ils sont toujours contents. (Romain, gérant de boutique)

Et même lorsque le touriste est pressé, les participants semblent être capables de se mettre aisément à leur

place, ce qui leur permet d’accepter des comportements qui pourraient autrement paraître déplacés étant donné

leur statut supposément décontracté :

J'ai beaucoup de clients qui sont ici seulement pour quelques heures. Quand les croisières arrivent le matin, ils doivent retourner au bateau l'après-midi, donc quand ils viennent ici ils sont toujours pressés pour acheter quelque chose dans les dernières minutes. Donc ça dérange un peu, mais c'est correct, je comprends. (Romain, gérant de boutique)

La secondarité dans laquelle se trouvent les touristes entraîne donc certaines exigences de comportement,

comme le fait d’être détendu, mais elle justifie également certaines attentes qui pourraient sembler

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contradictoires, comme le fait d’être pressé pour être servi afin de mieux profiter de ses vacances.

Mais en fait de contradictions, ces divergences de comportements peuvent elles aussi être classées en tant que

licence et mandat : les touristes ont le droit d’être servis rapidement, mais devraient être décontractés. De la

même manière que le statut des touristes engendre certaines attentes en ce qui concerne les savoirs à leur

communiquer, il influence également des attentes de comportements à leur égard.

D’autre part, la relation avec les touristes est recherchée parce qu’ils devraient être plus agréables à servir que

la clientèle locale, parfois plus critique envers tout ce qui a trait au tourisme dans leur ville62 :

[…] Par exemple on a beaucoup d'Européens. Fait que tu sais, les Européens ils aiment beaucoup ça essayer des bières québécoises, ou des mets plus québécois, donc c'est sûr que ça c'est le fun. Ils aiment ça découvrir plusieurs choses, donc ça je trouve ça le fun aussi. Heu, sinon, non, c'est plus positif que négatif là. (Lucie, barmaid)

Non, bah c'est sûr qu’on est comme dans un magasin qui est pas fait pour le Québécois, alors c'est sûr qu’aussitôt qu'ils rentrent ici tout ce qu'ils font c'est critiquer ou rire, ou rire des touristes, alors on est peut-être pas à la bonne place pour eux, alors ils sont peut-être moins plaisants à servir. (Marie, gérante de boutique)

Les touristes se démarquent également beaucoup d’une clientèle corporative ou d’affaire, qui peut être plus

simple à servir, mais qui, étant moins intéressée à s’ouvrir à la culture locale, aux attraits touristiques, est moins

intéressante pour les travailleurs en accueil, surtout pour les concierges :

J'aime bien les touristes parce que […] la plupart ils arrivent : "Isabelle, aide-moi, fait moi mon séjour", et ça j'aime énormément. Je veux dire, par exemple je sais que je ne ferai plus maintenant travailler uniquement avec des hommes d'affaires. Parce que les hommes d'affaires, tu leur apportes un service de base, c'est : "bonjour, voici votre clé, voici votre code internet, je vous envoie la facture par courriel, à la prochaine monsieur tel", et voilà. Je veux dire, il y a pas ce lien, ça reste des clients, mais c'est pas une clientèle, pour moi, c'est pas une clientèle qui est intéressante. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Bah, c’est sûr que moi, travailler avec une clientèle qui est simplement corporative, je trouverais ça vraiment ennuyeux, parce que c’est juste : "je vais manger rapide, tac, …". Non, j’aime ça avoir l’impression qu’on peut improviser un séjour extraordinaire pour un client. (Florence, concierge)

Seule Alice, qui estime ne pas avoir sa place dans le milieu du tourisme et qui fait son travail de manière

relativement contrainte, trouve la clientèle d’affaire intéressante, mais d’un point de vue plus pratique et financier

que relationnel :

Mais les clientèles d'affaires, c'est intéressant aussi, c'est heu... C'est moins de travail, on peut les charger plus, dans le point d'affaires, c'est bon d'avoir des clientèles d'affaires. (Alice, gérante d’hôtel)

Il faut aussi préciser qu’Alice est gérante de son hôtel, qui appartient à ses parents. De ce point de vue, il peut

sembler normal qu’elle apprécie une clientèle qui ne pose pas de question, qui paie en avance la plupart du

62 J’ai brièvement mentionné, en problématique, la connotation négative que véhicule parfois le tourisme (Urbain,1993).

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temps, qui demande un minimum de service et qui peut potentiellement revenir de manière régulière.

3.2. Les deux faces de la clientèle touristique : un client ou un usager ?

Pour retirer une certaine satisfaction dans le contact avec des visiteurs en situation de secondarité, la nature de

la relation de service est apparue très importante, voire centrale. Rappelons ici qu’il existe deux types de

services, qui changent assez radicalement le rapport entre l’agent d’accueil et le visiteur : d’un côté les services

dits relationnels, qui impliquent une relation entre un spécialiste et des clients – et donc une relation assez

personnalisée –, et de l’autre les services standardisables, qui impliquent un spécialiste et des usagers – par

exemple à une caisse de supermarché ou un guichet d’une quelconque administration – ou encore un public –

dans le cas de présentations ou de représentations théâtrales par exemple (Borzeix, 2000).

Dans le domaine touristique, il semble pourtant que cela ne soit pas aussi simple. Il existe bien des services

plus facilement standardisables dans leur nature, comme les visites guidées, ou encore la vente ou le service

aux tables, à tout le moins dans certaines mesures. Mais surtout, ce qui semble central tient à la perception que

les travailleurs en accueil touristique ont de leur clientèle, et au point de vue adopté dans le savoir véhiculé,

celui de l’individu qui offre le service ou bien de l’institution qu’il représente.

3.2.1. Le touriste comme client

Nous l’avons vu plus haut, une grande partie des savoirs véhiculés par les travailleurs en accueil touristique

sont des savoirs personnels, ou encore personnalisés en fonction des goûts et des attentes des touristes dans

le cas des concierges. Ce sont par ailleurs ces types de savoirs qui semblent recherchés par les visiteurs, dans

l’optique de bonifier l’expérience touristique. Ainsi, bien que le produit offert soit plus ou moins standardisé –

surtout si l’on considère la situation des vendeurs, des serveurs et des guides – la relation de service est vécue

sur un mode personnel. Dans la grande majorité des cas, le service est donc de type relationnel, puisque la

relation avec le visiteur va s’adapter en fonction des attentes de ce dernier, mais aussi de certains aspects

personnels comme son origine, le nombre de fois qu’il est venu à Québec, ses envies et ses goûts, etc. Même

dans le cas d’accueil de groupes, il est possible aux travailleurs en accueil touristique de vivre ce type de relation,

comme le montre André dont la principale clientèle est composée de groupes :

Moi, je leur demande d’habitude d’où est-ce qu’ils viennent, tout ça, pis d’habitude, il y a quelque chose dans ce coin-là que je connais, ou quelque chose, ou faire une farce avec. (André, serveur)

Pour la plupart des participants, les techniques d’accueil reposent donc en priorité sur un aspect relationnel, qui

prendra la forme d’une question personnelle – mais rarement intime, nous le verrons –, qui donne une dimension

individuelle à la relation, ce qui personnalise l’expérience du touriste :

Je vais leur demander quelle langue ils parlent, premièrement, puis souvent je leur demande d’où ils viennent ou bien je fais un guess là : « Oh, vous venez de là… ». Pis je vais essayer de m’intéresser, d’avoir l’air intéressée à eux, je vais m’intéresser à eux. Pis, c’est ça. Pis je me

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présente, avec mon… j’essaie de me présenter avec mon nom, s’ils ont besoin de quelque chose, qu’ils me le disent. (Ariane, serveuse)

La relation concerne donc deux individus, chacun avec son histoire, ses attentes et ses intérêts. Dans cet extrait

par exemple, Ariane nous indique qu’elle se présente par son nom, ce qui rajoute encore dans la

personnalisation de l’accueil. Cela occasionne parfois des échanges un peu plus profonds, lorsque par exemple

agent d’accueil et touristes partagent certains points communs ou centres d’intérêt :

Des fois, tu t’impliques parce qu'il y a un sentiment de… t'as l'impression de te reconnaître dans ce que les gens disent. Après, ça n'arrive pas tous les jours, mais ça peut arriver que oui, je me lance dans une conversation, parce que les gens ont vécu quelque chose de pas agréable, ou parce qu'au contraire, ils ont un vécu un truc super et ils ont envie de le partager. Donc ça a un côté aussi, oui, personnel, c'est sûr. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

Des fois, on a des grandes discussions. La semaine passée j'avais un gars de… pas Barbade, mais en tous cas, il venait des iles françaises là, Réunion, je pense Réunion quelque chose comme ça. On a parlé pendant une demi-heure, lui et puis ses amis, de rhum, fait que c'était le fun. C'était plaisant, moi je suis un amateur de rhum. (Florian, gérant de boutique)

J’ai déjà rencontré des clients qui étaient comme, par exemple, deux médecins en Inde. Ils m’ont donné leur carte là, pis genre, ils ont fait : "Si jamais tu viens en Inde, viens chez nous". Pis ils étaient comme avec le père de la madame, pis lui il restait à Toronto, pis son père, il m’a donné sa carte lui aussi genre, pis il a fait : "Viens à Toronto dès que t’ailles – je pense que j’étais enceinte – ton bébé, tu m’appelleras" [rires]. (Ariane, serveuse)

La relation dépend donc non seulement du service rendu, mais aussi de la façon de considérer son vis-à-vis.

Par exemple, Florian pourrait très bien ne pas s’intéresser personnellement aux personnes qui entrent dans sa

boutique et uniquement se contenter de vendre ses produits, tout comme Ariane pourrait se contenter de

prendre sa commande et de servir ses plats.

Le caractère central pour les participants de l’offre d’un service relationnel est également souligné par le fait que

la plupart des participants ne prennent pas de plaisir à servir une clientèle corporative ou d’affaire, dans la

mesure où celle-ci se rapproche plus d’un autre type de clientèle, celui de l’usager.

3.2.2. Le touriste comme usager

À l’opposé de ces services relationnels se trouvent ceux que Borzeix (2000) appelle standardisables, qui

nécessitent une certaine compétence technique pour être offerts et qui sont proposés non plus à des clients,

mais des usagers. Dans cette situation, le service n’est plus personnalisé en fonction de l’individu qui est servi,

et le caractère interpersonnel de la relation disparait. Il ne s’agit plus vraiment d’une relation entre deux individus,

mais plutôt entre une administration ou une institution et ses usagers. La posture de l’agent d’accueil est

différente de celle adoptée dans le cadre d’un service relationnel : ici, ce n’est plus l’individu qui parle, mais

l’institution qu’il représente. Parmi les participants, ce sont les guides de musées, qui véhiculent un savoir

institutionnel, qui ont le plus témoigné de ce type de relation de service.

Plusieurs constats s’imposent. Le premier est que dans ce contexte, la nature du visiteur importe peu, puisque,

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de toute manière, il n’y a pas de véritable interaction personnelle. Ce sont des usagers du musée que les guides

ont devant eux, et il ne semble pas vraiment important de savoir qui ils sont, tant qu’ils sont présents :

[…] L’hiver, on fait surtout des visites pour les groupes scolaires. […] On fait des visites grand public, avec monsieur-madame Tout-le-Monde qui se présentent, ou ça peut être des visites réservées à des associations ou ça peut être monsieur l’ambassadeur. […] Les touristes, c’est pas mal heu… Disons qu’on a le tourisme scolaire, en avril-mai […]. Ensuite l’été, c’est beaucoup du tourisme régional, aussi qui viennent ici. L’automne, c’est plus les Français, les Japonais, les Asiatiques qui viennent voir les belles couleurs. Les bateaux aussi, c’est pas mal l’automne. Donc heu, c’est saisonnier, on pourrait dire que les différentes clientèles vont comme être heu… par secteur là, et par périodes de temps. (Diane, guide de musée)

La clientèle est ici classée selon des caractéristiques communes à certains groupes, plutôt que d’être considérée

dans son individualité. Nous avons également vu à quel point c’est l’institution qui s’adresse aux visiteurs à

travers les guides, qui ne peuvent en aucun cas choisir le message ni le savoir qu’ils désirent véhiculer. Dans

ce type d’interactions, la relation est à tel point standardisée que le discours est parfois le même à chaque visite,

du moins pour une partie des guides concernés :

J'explique les choses et quand une tournure de phrase me plaît, je la garde, ce qui fait que, en bout de ligne, au bout d'un mois ou deux, j'ai ma visite qui est vraiment à mon goût, presque "cannée" là, et là ça va être un texte qui va être pratiquement le même à chaque fois. (David, guide de musée)

Le discours est alors tellement « rôdé » et l’interaction tellement distanciée que ce n’est plus le guide en tant

qu’individu qui interagit avec le visiteur, mais l’institution à travers ses mots. Comme dans une pièce de théâtre,

l’acteur fait passer le message de l’auteur de la pièce, le guide de musée fait passer le message de l’institution

muséale. Et bien que la performance reste personnelle, la dynamique interpersonnelle qui nourrit la relation

d’accueil fait défaut. Ainsi, même s’il arrive tout de même fréquemment que les visites soient faites avec

quelques visiteurs seulement, il semble difficile pour les guides d’assumer leur propre subjectivité :

[… ] Je me souviens que... bon je faisais une visite, et il y avait très peu de visiteurs, une personne ou deux, donc c'était presque plus un échange qu’une visite formelle, ce qui est fréquent, ce qui est même encouragé ici par l'institution. Mais ce qui fait que par la suite, à un moment donné, peut-être le lendemain mais donc dans un temps rapproché comme ça, j'avais vu cette personne-là, cette visiteuse-là dans la rue et je me souviens d'avoir senti un malaise. (David, guide de musée)

Malgré le fait que dans ce cas précis la nature du service offert ici soit assez relationnelle – une relation

d’échange selon le participant – l’interaction semble tellement standardisée dans sa forme que ce dernier a

ressenti un malaise lorsqu’il s’est retrouvé face à face avec cette personne, ce qui l’obligeait en quelque sorte à

sortir du rôle impersonnel plus ou moins imposé par l’institution.

3.2.3. L’interaction avec un public : le cas d’Alexandre

Un cas de figure semble devoir être traité à part, parce que sa relation avec les visiteurs entre à la fois dans les

deux catégories que nous venons de présenter, celui d’Alexandre, guide indépendant. En tant que guide,

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Alexandre est obligé, dans une certaine mesure, de proposer un service standardisé : il a des tours précis, des

faits historiques à présenter, tout un savoir institutionnel à véhiculer s’il veut satisfaire sa clientèle. Cependant,

à la différence des guides de musée, il est capable, étant indépendant, d’adapter librement son discours et ses

parcours en fonction de la clientèle.

L’ambivalence de sa position est que pour lui, le fait de faire une visite guidée, que ce soit pour un groupe de

50 personnes ou pour un couple, s’apparente à un spectacle, et son auditoire à un public :

Mettons, si t'es guide accompagnateur, y a un paquet de trucs que tu fais découvrir aux jeunes, pis là tu deviens comme une espèce d'animateur dans l'autobus. Fait que là, les jeunes tripent avec toi, fait qu'à un moment donné t'en oublies tout là, t'en oublies les profs, t'en oublies là, tu sais... t'embarques dans le buzz avec eux autres, fais que c'est comme une espèce de show-man là, t'es "show-man". (Alexandre, guide indépendant)

Il va même encore plus loin en considérant que son métier n’est pas si éloigné de celui d’un humoriste sur

scène, étant donné que lui-même aime faire rire son auditoire :

Tu fais un show, tu fais un spectacle, tu y vas avec un peu de, tu sais, un peu d'extravagance pis de, de... pis beaucoup de réalité à travers tout ça. Mais tu rencontres tous les humoristes pis toute là, pis là tu les regardes, pis tu fais comme : "Ben, c'est correct là, on est pas mal... à la différence que vous des spectacles pour 2000 personnes, moi je fais du spectacle pour quatre ou deux personnes, ou cinquante personnes là ». (Alexandre, guide indépendant)

Cependant, une différence très importante est que contrairement aux guides présentés juste avant, celui-ci

personnalise ses tours pour offrir une expérience plutôt que de se concentrer sur le but de véhiculer un savoir,

en adaptant son service à sa clientèle :

Tu sais, dans mon optique, dans ma philosophie, c'est t'exploites la ville à son maximum. Pis si tu cherches des affaires pas chères, je peux te le montrer. Si tu veux chercher du cher, pis tu veux avoir du luxe, je peux te le montrer aussi, tu sais, c'est comme… non, ça va plus large là, que l'histoire, là. On parle de bouffe, on parle d'hôtellerie, on parle de shopping aussi là. […] Tu veux apprendre la Côte-de-Beaupré, t'as besoin d'un chauffeur de taxi, ça, je l'ai fait souvent là, on va aller voir la côte de Beaupré, c'est beau, je suis capable de te trouver un chauffeur de taxi. (Alexandre, guide indépendant)

Malgré le caractère standardisable du service qu’il offre, il travaille à le rendre relationnel en étant à l’écoute de

ses clients et proche de leurs besoins, ce que ne font pas les guides de musée, ceci ne faisant pas partie du

service offert par l’institution qui les emploie et qu’ils représentent.

3.3. Une relation de service de nature conditionnelle

Évidemment, quelques nuances sont à apporter à cette typologie de la nature du service et de la relation de

service en tourisme. La première est que la possibilité d’offrir un service relationnel dépend fortement de

l’achalandage, qui est parfois très important en pleine saison, et qui empêche alors de traiter avec chaque client

de manière individuelle et personnalisée :

[…] Quand t'as vingt personnes dans la boutique, j'ai pas le temps de faire du social là. (Florian, gérant de boutique)

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Dès lors, le statut des visiteurs passe de celui de client à celui d’usager, dans la mesure où la seule interaction

possible soit d’offrir le service minimum, et ce le plus efficacement possible. C’est ce que nous explique aussi

Alexandre quand il nous indique que la dynamique du tour change en fonction du nombre de personnes

présentes :

T'as cinquante personnes, t'échanges pas pareil comme si t'as quatre personnes ou deux personnes […]. C’est pas la même dynamique. Si tu fais un tour d'autobus, c'est une cassette qui part. Si tu fais un tour de calèche, c'est plus personnalisé. Fais que c'est pour ça que j'aime mieux le deux ou quatre personnes, parce que t'es plus sur le personnalisé, y a moins de stress. (Alexandre, guide indépendant)

Une autre nuance concerne les guides de musée, ou plutôt la fonction que ceux-ci sont amenés à occuper dans

le cadre de leurs fonctions. En effet, chaque guide du musée est obligé d’exercer également un travail d’accueil,

c’est-à-dire de s’occuper de l’accueil des visiteurs à l’entrée, que ce soit à la billetterie ou au guichet

d’information. Ceci leur permet donc de dépasser le cadre de la relation standardisée pour offrir un accueil plus

relationnel avec une certaine composante d’aide à la résolution de problème, central dans ce type de relation

de service, comme nous l’avons vu avec Goffman (1968) :

Ben ça dépend des lieux où on se trouve. Si on est à l’accueil, ben là on est un lieu où les gens viennent s’informer sur toutes sortes de sujets, ou ils sont perdus, ou… Mais si on est dans une salle là, c’est pas pareil là, tu sais… (Diane, guide de musée)

Cela peut sembler assez contradictoire, dans la mesure où le guichet est l’espace par excellence de la relation

standardisable (Borzeix, 2000). Cependant, concernant les guides de musée, on peut interpréter ce changement

de relation par le fait qu’en tant que guides, leur discours est engagé dans une représentation institutionnelle

des expositions et ils ont une certaine obligation de transmettre un savoir « vrai », un savoir vérifié et presque

scientifique. Ils sont en quelque sorte les garants de ce savoir. Par contre, dans le cadre de la billetterie ou du

guichet d’information, ils ont une certaine latéralité dans le savoir véhiculé qui n’est plus censé être scientifique.

Bien qu’ils restent les intermédiaires entre l’institution muséale et les visiteurs, ils ne sont pas tenus de fournir

un savoir scientifique et objectif, et ils peuvent parfois s’y permettre de prendre des initiatives ou d’orienter les

clients selon leurs propres idées, sur des points sans liens avec la mission du musée.

Mais contrairement aux autres travailleurs en accueil touristique rencontrés, il semble que le fait d’offrir un

service relationnel ne soit pas vraiment un acte « naturel », étant donné que ce type de relation est demandé

par l’institution – ce qui montre tout de même le caractère non spontané de celle-ci de la part des guides, pour

qui cela fait plutôt partie des prérogatives de travail – et qu’ils suivent des formations afin de s’assurer que

l’accueil soit bien effectué dans cette dynamique :

[…] On a suivi plusieurs des formations d'un jour, on en a eu une encore au printemps dernier. Donc c'est sûr qu'on a beaucoup d'expérience. Même dans une formation, bah, on apprend un petit plus, tu sais. C'est sûr que quelqu'un qui vient d'un autre pays, pis qui arrive ici, pis qui, qui a un problème, qui a pas rapport avec le musée là, il a besoin d'un minimum de soin, ou la semaine

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passée, il y a une croisiériste qui est tombée sur le front, dehors. Elle est pas tombée au musée, mais elle est venue demander de l'aide ici. Mais on lui a donné de la glace, puis on lui a donné, tu sais donc, heu... (Juliette, guide de musée).

C’est donc la fonction occupée qui détermine la nature de la relation de service : en tant que guides et dans une

situation de transmission d’un savoir officiel, la relation est plutôt unilatérale, et le touriste est avant tout usager;

en tant qu’agent d’accueil à la réception, les guides – qui par ailleurs ne sont plus guides à ce moment – sont à

l’écoute des visiteurs qui peuvent émettre des envies, des besoins, qui seront comblés dans la mesure du

possible, et la relation devient alors bilatérale.

Par ailleurs, ce changement d’attitude en fonction du poste occupé trouve un certain écho dans le mode

d’engagement que nous avons abordé plus haut. Étant surtout intégrés à l’organisation et à ses valeurs, les

guides de musée adoptent plus ou moins l’attitude que l’institution attend d’eux. Le touriste n’étant pas central,

étant au musée un usager comme un autre, il n’est pas tellement la cible d’une attention particulière. C’est pour

cette raison que ce n’est pas tant la nature du client qui change l’attitude et les pratiques d’accueil – dès lors le

savoir-faire – mais la nature de la fonction occupée.

Il arrive aussi que les guides aient une relation plus personnelle avec les touristes, mais pas vraiment dans le

cadre du service offert, mais plutôt en marge et dans une optique de développement personnel :

[…] Je trouve ça intéressant d'aborder des gens qui viennent d'ailleurs, d'avoir un contact court mais heu... c'est ça, ça va m'arriver des fois de leur demander : "Vous êtes de quel endroit, est-ce que c'est la première fois que vous venez à Québec, est-ce que vous trouvez ça intéressant, ou est-ce que ça vous tenterait de revenir l'hiver ou euh..." Tu sais c'est... Je pense que je trouve ça agréable, oui, je trouve ça enrichissant. (Juliette, guide de musée)

Ici, le caractère relationnel ne semble pas provenir de l’envie de personnaliser la relation de service, d’améliorer

l’expérience vécue par le touriste, mais plutôt dans l’optique de s’enrichir personnellement, d’en apprendre plus

sur les visiteurs, leurs pratiques, peut-être plus par curiosité que par souci du bien-être de l’autre.

En somme, la nature de la relation de service dépend principalement de trois facteurs qui sont l’achalandage, la

taille du groupe à servir et la fonction occupée.

4. La pratique de l’accueil

L’accueil semble donc être central en tourisme, bien plus que le service offert, puisque c’est à travers l’accueil

que se vit l’expérience touristique. Nous l’avons vu à travers les savoirs : ce n’est pas tant le contenu que le

type de savoir – personnel ou institutionnel – qui importe. Une expérience touristique « authentique » passera

par un juste assemblage de ces deux types de savoirs, mais aussi et surtout par le rapport entretenu avec les

agents d’accueil, premiers intermédiaires entre la culture locale et le visiteur. C’est pour cela qu’il est important

de voir comment la relation au touriste est vécue et pratiquée, et c’est en cela que l’étude des dimensions de

l’accueil est centrale dans l’étude de la culture professionnelle des travailleurs en accueil. Partagent-ils une

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même vision de leur relation aux visiteurs? Accordent-ils une place importante au maternage et à l’hospitalité

ou se contentent-ils de faire acte de reconnaissance?

4.1. La reconnaissance

La reconnaissance est la première des trois dimensions de l’accueil et consiste à reconnaître le client, le visiteur,

comme une personne pouvant être accueillie, mais aussi comme un être humain. Cela prend la forme d’un

bonjour, d’une poignée de main, d’un sourire, implique de se présenter, de connaître le nom des clients qui

reviennent souvent, etc. Cet acte très simple semble aller de soi, la politesse et la bienséance nous imposant

quelque peu d’agir de la sorte lorsqu’un visiteur apparaît pour une raison quelconque. Plus encore, lorsque

celui-ci vient chercher un service pour lequel il est prêt à payer, ce qui est le cas en tourisme comme dans toute

activité commerciale. Cependant, nos expériences en tant que client nous montre assez régulièrement que ce

n’est pas toujours le cas. On entre bien souvent dans un commerce, restaurant ou autre sans être salué.

Tout d’abord, tous les participants à l’enquête ont minimalement déclaré saluer de manière presque

automatique les clients qui se présentent, et même souvent aller plus loin comme poser des questions un peu

plus personnelles, tel que mentionné plus haut. Mais ce qui est beaucoup ressorti des entrevues est que la

reconnaissance du client en tourisme se fait aussi beaucoup à travers l’usage des langues et notamment de

l’anglais :

On leur dit bonjour en français, en anglais, donc on les accueille. (Lucie, barmaid)

D'abord tu commences en français, parce qu'on est au Québec, donc tu dis toujours "bonjour" et non pas "how are you", puis ensuite bon bah tu t'adaptes à la langue du client. (Hélène, serveuse/responsable)

D’emblée, nous voyons déjà que la reconnaissance fait acte d’accueil, notamment pour Lucie, pour qui le simple

fait de saluer constitue l’accueil. Mais surtout, il y a non seulement reconnaissance de l’individu qui entre se

faire servir, mais reconnaissance aussi du fait que celui-ci est un touriste et peut ne pas parler la langue locale.

Il est donc reconnu dans son statut, et comme une personne vivant potentiellement une problématique

particulière liée à la langue – ce qui par ailleurs laisse déjà transparaitre un minimum d’hospitalité. Le

témoignage d’Hélène montre également que l’accueil se fait dans une sorte de respect de l’autre, qui peut être

québécois – et donc francophone dans une province francophone – et donc se sentir insulté de se faire accueillir

en anglais. L’usage de la langue est alors central : d’un côté, il permet de dire à l’autre qu’il est reconnu comme

individu ; de l’autre, il permet de lui dire : « je suis conscient du fait que vous ne parlez pas ma langue, mais je

vais faire un effort pour que nous nous comprenions ».

L’acte de reconnaissance est également un acte qui permet de montrer au visiteur qu’il est bienvenu, et que

celui-ci est libre dans ses choix et dans ses gestes. Marie, vendeuse, insistait par exemple pour clarifier que sa

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manière de dire bonjour au client suggère qu’il est le bienvenu pour regarder et éventuellement demander de

l’aide, sans pression pour acheter.

Il n’y a donc pas de contrainte dans l’acte de reconnaissance, celui-ci devant dire au visiteur que sa présence a

été notée, mais que celui-ci ne doit pas non plus se sentir obligé, il est librement accueilli, et libre d’agir comme

il lui convient, avec bien sûr certaines limites, nous le verrons.

Cet acte de reconnaissance est par ailleurs tellement banalisé par la pratique qu’il semble quelque peu ancré

dans les comportements individuels des agents d’accueil, même les guides de musée qui pourtant semblent

être les moins engagés en tourisme :

[…] Si on va dans les détails là, l'accueil, c'est-à-dire souhaiter la bienvenue, saluer, tout ça, ça à l'air banal, ça à l'air d'aller de soi, mais c'est pas toujours le cas donc heu... Tu sais on peut arriver à des places des fois, un restaurant ou ailleurs, pis tout de suite : "ouais, vous êtes combien, vous êtes là pour...". Donc non, prendre le temps de saluer, d'accueillir, souhaiter la bienvenue, ensuite de ça évidemment toujours avec le sourire, hein, parce que [rires] si on a un air bête, c'est jamais gagnant […]. Ça, c'est quelque chose que naturellement j'aurais fait, et je constate aussi que mes collègues font la même chose. (David, guide de musée)

Ainsi, l’acte de reconnaissance considéré comme étant « naturel » et central dans la relation de service en

tourisme semble généralisé pour les travailleurs impliqués dans ce domaine.

Il est important de noter que cela indique que la reconnaissance, considérée comme naturelle – mais qui

pourtant ne l’est pas forcément – fait donc partie de l’éthos des travailleurs en accueil touristique rencontrés.

Celle-ci n’est pas à remettre en question, il s’agit d’un acte normal – et normalisé, puisqu’il a sensiblement la

même forme pour tous – qui entre dans ce que l’on peut appeler une culture commune de l’accueil touristique.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que si cet acte de reconnaissance est spontané et inconditionnel pour les

participants les plus impliqués en tourisme, cela n’est pas forcément le cas pour tous. Ainsi, Nadège – qui ne

fait pas vraiment partie des participantes les plus engagées en tourisme selon les critères retenus – nous a

déclaré que pour elle, l’acte de reconnaissance dépendait principalement de facteurs personnels. Pour elle, le

fait de dire « bonjour » à chaque client relève parfois plus de la contrainte que de l’initiative personnelle, ou

même de l’habitude :

Nadège : De manière générale, mais ça on est obligé là, c'est notre boss qui nous dit, à toutes les fois qu'il y a une personne qui rentre, on est obligés de dire bonjour là. [Chuchote] Mais tu sais, des fois, je le fais pas tout le temps [rire]. Moi : Pourquoi ? Nadège : Je le sais pas, des fois... ben tu sais des fois on n’est pas toujours... tu sais, je suis souvent de bonne humeur, mais tu sais, y a des journées que tu feel moins que d'autres, fait que des fois, y en a que... Pis des fois, tu dis bonjour, ils te répondent pas, fait que moi ça m'énerve là... Tu sais, t'es même pas capable de me regarder, de me dire bonjour... en tout cas... Ça là, c'est quelque chose qui m'énerve. (Nadège, vendeuse)

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La reconnaissance n’est donc pas inconditionnelle, elle dépend à la fois de son humeur personnelle et de

l’attitude des visiteurs. De plus, c’est un acte forcé pour elle, une demande de son employeur qui ne lui plaît pas

toujours d’honorer. Il s’agit donc pour elle d’un acte réfléchi, qui ne semble pas vraiment ancré dans ses

habitudes ou dans sa culture professionnelle. Sa vision est alors plus personnelle, elle agit en quelque sorte en

dehors des prérogatives professionnelles, du mandat imposé par la relation d’accueil en tourisme et qui implique

la reconnaissance de l’autre, mandat intériorisé par la grande majorité des autres participants.

4.2. L’hospitalité

Comme la reconnaissance, l’hospitalité en tourisme est une dimension partagée par la majorité des participants,

et ce de manière presque irréfléchie, « naturelle » encore une fois. Rappelons que l’hospitalité en tourisme

consiste à faire passer le visiteur du statut d’étranger-ennemi (hostis) à celui d’ami accueilli (hospès), ce qui

s’exprime à travers le fait d’offrir de petits cadeaux, de discuter avec le visiteur, et d’autres petites attentions.

Plus que des gestes précis, il s’agit plutôt d’attitudes, de comportements inclusifs qui vont mettre le visiteur à

l’aise et lui faire sentir qu’en plus d’être reconnu comme un être humain, il est le bienvenu. Cette dimension est

importante, peut-être plus que les autres dans la mesure où c’est elle qui va définir en grande partie la qualité

de l’interaction, et donc de l’expérience touristique.

4.2.1. Une hospitalité conditionnelle

Rares sont les participants ayant déclaré ne pas faire acte d’hospitalité, tous ayant à cœur de faire en sorte que

les visiteurs se sentent bien accueillis, à l’aise et respectés. Cependant, bien que généralisée, cette hospitalité

n’en est pas moins conditionnelle à certains facteurs, qui dépendent non seulement des travailleurs, mais aussi

et surtout des visiteurs.

Avant toute chose, et comme pour la reconnaissance, ce sont ceux qui semblent les moins engagés en tourisme

qui laissent parfois de côté leurs manières hospitalières, comme nous avons pu le voir avec l’exemple de

Nadège dont la propension à reconnaître le visiteur dépend en partie de son humeur du jour. Les plus engagés

sont de manière générale plus à même de mettre de côté leurs états d’âme pour accueillir les visiteurs le mieux

possible, le plus professionnellement possible aussi.

Mais l’hospitalité semble également être fortement influencée par les attitudes des visiteurs eux-mêmes. Pour

certains visiteurs, l’hospitalité semble en effet être une sorte de dû, et ils vont parfois dépasser ce qui est jugé

acceptable par les travailleurs en accueil, les limitant dans leur propension à l’hospitalité :

Si la personne va commencer à me dire : "Bon, je reçois un colis tel jour, telle heure, tu dois être là, t'as pas le choix, c'est comme ça"63, je vais avoir du mal à leur faire un sourire et je vais avoir du mal à lui rendre ce service. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

63 Isabelle a en effet expliqué que parfois, certains clients originaires d’Amérique centrale ou du sud avaient pour habitude de profiter de leurs séjours à Québec pour se procurer des biens indisponibles ou trop onéreux chez eux. Ils font alors livrer ces produits à l’hôtel, et c’est souvent à elle qu’ils demandent de s’occuper de leur réception.

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Ceci est un bon exemple de ce que Gouirand (2011) appelle la « dictature de l’accueil », qui se vit surtout à

travers le maternage, mais qui s’applique très bien dans ce cas présent à l’hospitalité. Ce qui est intéressant

également est que le même service, demandé sans cet aspect impératif, serait probablement rendu avec le

sourire, de manière à satisfaire le touriste. Mais demandé sur un tel mode, il est vécu comme une obligation qui

entraîne une certaine déformation de la dimension hospitalière de la relation d’accueil.

Pour d’autres, l’hospitalité est parfois rendue difficile en raison de conflits de valeurs sur certaines thématiques

culturelles, notamment sur les inégalités hommes-femmes dans certaines cultures, ce qui est revenu quelques

fois dans les entrevues :

Moi ce que je déteste le plus, c'est les iniquités homme-femme. Quand je vois ça là, entre les différents sexes là, ça me tapoche toujours un peu sur les nerfs. Moi, c'est peut être stéréotype, je regrette là, mais la femme du Moyen-Orient qui est couverte du haut en bas, pis l'autre qui est en manches courtes pis en short courtes là. Une petite ruelle, une petite claque sur la gueule, ça prendrait cinq minutes là. Mais on n’a pas le droit de faire ça. Un autre truc plate, mais ça, ça vient de [leur] culture aussi là, mais les jeunes Français là, la façon dont ils traitent les filles là des fois, entre 15-25 ans. […] Je me dis : "Maudit qu'on est chanceux d'être icite!". Nos filles pis nos enfants vont quand même avoir... on est quand même chanceux. Mais c'est la seule chose qui me dérange je dirais. (Florian, gérant de boutique)

Ben, des fois là, justement y a plein de coutumes pis toute, pis y en a qui sont… plus…, déplaisantes que d’autres là. Y a une coutume que… mettons dans un pays que les femmes sont vraiment heu… sont pas égales avec les hommes, qui sont comme des moins que rien… toi itou t’es vraiment une moins que rien quand tu les sers là. (Ariane, serveuse)

Ce genre de conflits interculturels intervient également pour certains en raison de comportements qui ne sont

pas forcément basés sur des valeurs particulières, comme dans le cas des inégalités de genres :

Diane : […] C’est toujours un peu surprenant de voir des gens qui arrivent ici et qui parlent ni français ni anglais là, ça m’étonne toujours. Mais c’est ça, ça arrive. Moi : Vous trouvez qu’il existe des différences entre les touristes? Est-ce que vos comportements changent en fonction des touristes que vous servez ? Diane : Ben, je me mettrais pas à avoir des comportements de Chinois parce qu’eux autres sont Chinois, moi je vais être Québécoise et avec mes comportements à moi. Et si moi je regarde dans les yeux, si toi tu peux pas l’endurer, trouve-toi un interprète. Moi à Québec, je regarde dans les yeux. Je ferais pas de compromis là-dessus. (Diane, guide de musée)

Ici, il y a un certain refus de la part de Diane d’adapter ses comportements aux exigences culturelles des

visiteurs, qui entrent en conflit avec ses propres valeurs. Et ce qu’elle nous explique ici, c’est qu’elle n’adaptera

en aucun cas sa propre attitude en fonction des valeurs des autres. Pour elle, le refus d’hospitalité semble donc

catégorique64.

64 Rappelons cependant que Diane en tant que guide de musée, est une des moins engagées en tourisme, et se sent surtout investie

par la mission de l’institution. Pour elle, l’hospitalité ne fait pas vraiment partie de son mandat, puisque celui-ci est plutôt perçu comme un enseignement du savoir institutionnel, comme nous l’avons indiqué plus haut.

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Malgré tout, et encore une fois, dans ce genre de situations, le service sera rendu, puisqu’il fait partie du mandat

des travailleurs en accueil. Par contre, ces personnes ne semblant pas respecter les pratiques, les valeurs, ou

même encore le travailleur qui les accueille ne pourront pas prétendre à un véritable accueil hospitalier.

Pour d’autres encore, c’est lorsque les visiteurs ne se prêtent pas au « jeu » de la relation touristique – ce qui

est bien souvent le cas des résidents locaux qui se baladent dans le quartier touristique – que l’hospitalité vient

à faire défaut :

[…] On est comme dans un magasin qui est pas fait pour le Québécois, alors c'est sûr qu’aussitôt qu'ils rentrent ici tout ce qu'ils font c'est critiquer ou rire, ou rire des touristes. Alors on est peut-être pas à la bonne place pour eux alors, ils sont peut-être moins plaisants à servir. […] Même on a des Québécois, je sais pas moi, de Montréal, de partout dans la province, qui viennent, et ils sont très corrects là. Des fois c'est plus la clientèle vraiment locale de la Ville de Québec là… (Marie, gérante de boutique)

Dans ce cas précis, l’hospitalité semble difficile à offrir, dans la mesure où ce type de clientèle qui réside dans

la ville ne se considère pas comme des touristes, et est très critique des produits, voire du service offert. En fait,

étant donné que les participants travaillent en tourisme et que l’ensemble de leur démarche – offre de services

et produits – est orienté vers les touristes, l’hospitalité semble exclusivement dirigée vers eux et non pas vers

les locaux, qui ne sont pas leur clientèle type. Leur hospitalité est donc conditionnelle au statut du visiteur, qui

doit non seulement être en situation de secondarité, mais également en vacances, voire en voyage, même si

ce voyage n’est que de quelques centaines de kilomètres.

4.2.2. Les deux raisons d’être de l’hospitalité

L’hospitalité n’est pas un acte neutre, ni même irréfléchi, comme peut par exemple l’être celui de la

reconnaissance, qui peut parfois s’apparenter à un réflexe, voir une obligation comme nous le dit Nadège.

L’hospitalité semble en fait être une relation bilatérale, une relation d’échange entre les deux parties prenantes

de l’accueil que sont les agents d’accueil et les touristes. Et deux raisons d’être de cette relation, qui ne sont

pas exclusives par ailleurs, sont ressorties des entrevues, et c’est grâce à elles que l’on peut comprendre

l’importance que revêt l’acte d’accueil pour les travailleurs en tourisme.

Raison d’être professionnelle – L’hospitalité fait partie du mandat des travailleurs en accueil touristique, dans

la mesure où il leur est obligé – avec une certaine liberté nous venons de le voir – de bien accueillir, de faire en

sorte que le visiteur reçoive un bon accueil. Donc la principale raison de l’hospitalité est de satisfaire aux besoins

des clients qui, ne l’oublions pas non plus, dépensent certaines sommes d’argent pour cela. L’hospitalité est

donc un acte professionnel, et est garante d’un bon accueil. Il est donc nécessaire pour les travailleurs en accueil

touristique désireux de bien faire leur travail d’offrir un minimum, voire un maximum d’hospitalité. Et on comprend

mieux également pourquoi les moins engagés accordent moins de valeur à l’hospitalité, puisque leur volonté de

bien faire leur travail est éventuellement moindre, comparativement à ceux qui se sentent investis dans le

tourisme.

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Cette dimension professionnelle de l’hospitalité est également importante à un autre niveau, qui est celui des

retombées économiques qui peuvent découler de la satisfaction du touriste. En effet, en tant que client, une

certaine hospitalité de la part des travailleurs en accueil peut engendrer un sentiment de satisfaction, qui risque

fort d’inciter à revenir profiter des services offerts :

[…] Moi j’adore les touristes là, j’aime ça jaser avec eux autres pis les touristes… Moi je serais une serveuse full poche, je serais capable de me faire pardonner parce que… je leur jase pis que je suis correcte avec eux. C’est vrai le pire. Tu sais y’en a qui sont comme quatre jours à Québec, pis ils reviennent deux fois manger au restaurant. Tu sais, ils savent que je travaille, pis ils reviennent me jaser. C’est hot pareil. (Ariane, serveuse)

Certes, cela s’applique principalement à des établissements qui offrent des services sur la durée, comme un

hôtel ou encore sujets à répétition comme les restaurants. Mais pour les autres types d’établissements comme

les services de guides ou les boutiques, c’est par le bouche-à-oreille que les bénéfices de l’hospitalité se feront

ressentir, puisque la satisfaction des clients les amènera peut-être à faire bonne publicité. Et, comme nous le

verrons plus bas, c’est toute la destination qui profite de l’hospitalité.

Raison d’être personnelle – La seconde raison d’être de l’hospitalité se retrouve dans les avantages et les

bénéfices que les travailleurs en tourisme peuvent retirer de la relation d’accueil. En effet, si celle-ci se limitait à

la reconnaissance, pour ensuite n’être ensuite qu’une simple relation de service sans hospitalité, l’échange entre

les deux parties prenantes serait peu fécond. La dimension hospitalière de l’accueil permet en revanche aux

travailleurs, en s’intéressant à l’autre afin de mieux cibler ses besoins – et donc de répondre aux impératifs

professionnels de l’hospitalité – d’en apprendre davantage sur lui, sa culture, son pays d’origine, etc. :

[…] Chaque personne, nationalité que tu voies, c’est comme un reflet un peu de leur culture, pis peut être un peu un épisode de comment ça peut être si tu vas dans ces pays-là. Moi, j’aimerais ça aller en Inde. Je trouve que les Indiens là, je les trouve trop souriants, pis ils ont l’air vraiment fins, pis je suis sûre que j’aimerais ça, tu sais. Pis je pense que c’est à cause de ma job que je peux dire ça, parce que j’en ai vu vraiment beaucoup. Mais j’ai vraiment vu beaucoup de nationalités. J’ai la chance de connaître plein de mentalités, plein de coutumes différentes. (Ariane, serveuse)

Fait que j'aime ça parler avec des gens qui viennent d'ailleurs pis de, tu sais, d'en apprendre sur eux autres, sur leurs cultures, pis tout ça. Donc ce que j'apprécie, c'est quand je rencontre du monde d'intéressant, pis que j'ai des discussions, peu importe sur quoi. (Nadège, vendeuse)

[…] Les touristes […] ils viennent de loin, ils nous apportent l'information de leurs pays, de leurs cultures et tout ça. Comme, avant ça je savais pas que les juifs et les musulmans mangent pas de porc. C'est des choses que […] je savais pas. Et puis, c'est eux qui m'ont appris, je leur servais du porc : "ha, non, je mange pas de porc", et je savais pas. J'apprends tellement de choses, c'est toute une école. (Alice, gérante d’hôtel)

Il s’agit donc d’une relation bilatérale, d’un échange entre les travailleurs en accueil et les clients. Et comme

dans ce cas particulier le client est touriste, souvent international, avec sa culture, ses histoires, ses traits

particuliers, la relation d’accueil permet un enrichissement personnel, un développement de soi et de sa culture

personnelle. Et c’est bien à travers la dimension de l’hospitalité que cet échange se fait puisque c’est en

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apprenant à connaître le touriste, en étant à son écoute, en comprenant comment bien cibler ses besoins qu’il

prend corps.

4.2.3. Hospitalité et conscience de groupe

L’hospitalité en tant qu’acte professionnel permet de satisfaire le client, mais également de faire une bonne

publicité à la destination. Ce point est extrêmement important, car ce qui s’exprime ici est une sorte d’ébauche

de conscience de groupe, même si pour la grande majorité des travailleurs en accueil touristique celle-ci reste

diffuse, abstraite :

Marie : […] J'essaie d'être gentille avec eux et puis aider à ce que leur séjour soit encore plus le fun là. Normalement, on a pas mal beaucoup de compliments là sur la ville de Québec là, fait que juste mettre mon grain de sel peut-être pour que le commentaire continue dans le fond. Moi : Est que vous vous sentez ambassadrice de la ville, à un certain niveau ? Marie : Peut-être pas ambassadrice, mais oui, c'est sûr que c'est le fun quand on se fait dire "ho les gens à Québec sont serviables, sont sympathiques" et tout ça, tu sais oui, tu sais, je me dis j'embarque dans ce bateau-là, donc on travaille pour ça. Plus on a une bonne publicité mieux que ça va être là, mais c'est aucunement faux là, c'est vraiment, c'est sincère là. C'est pas hypocrite là ce que je fais là, je le fais juste par nature comme ça là. (Marie, gérante de boutique)

Moi j'ai des gens qui reviennent, ça fait 15 ans, peut-être au deux trois ans, [l’autre boutique], la boutique souvenir parce que, ils viennent me voir, ils viennent acheter ce que j'ai à vendre. Pis ils viennent me demander "hey qu'est-ce qu'il y a de bon à faire à Québec de ce temps-ci, qu'est-ce qu'on devrait aller voir ?". Ya des fois je leur dis "bah revenez pendant le festival d'été, ou revenez plus pour le carnaval, ou revenez plus pour cette période-ci". (Florian, gérant de boutique)

Alexandre : […] Québec, c'est un beau produit à vendre là, je veux dire, t'as pas besoin de mentir, t'as pas besoin de mettre du tape-à-l'œil, je veux dire. La carte de visite, elle est déjà toute faite, c'est déjà réglé, c'est juste de leur expliquer qu'il y a autre chose à voir, pis y a d'autres restaurants, y a d'autres commerces, fait qu'un coup qu'ils ont découvert ça… pis c'est intéressant là. Moi : Et ça profite à qui ? Alexandre : Ça profite à tout le monde. Moi je suis un gars collectif moi, je suis pas un individualiste, tu vois je veux dire. Je suis individualiste dans mon genre, mais je suis aussi collectif là. (Alexandre, guide indépendant)

Ce que l’on voit donc encore une fois apparaître ici est une sorte de conscience de groupe, une conscience du

fait que leurs actions vont avoir des répercussions sur la destination, et par extension sur le reste de la profession

touristique. À travers ce sentiment d’agir non pas uniquement pour leur propre compte, mais vraiment pour le

tourisme – notamment grâce à une image positive et éventuellement une augmentation de l’achalandage et des

profits, ainsi que la pérennisation de l’emploi – les travailleurs en accueil partagent un but, des objectifs

communs qui, à mon avis, sont constitutifs de la définition d’un groupe professionnel. L’hospitalité est donc

centrale dans le travail en accueil touristique, puisque c’est par cette dimension que se laisse appréhender le

plus concrètement l’existence d’un groupe professionnel particulier, indépendamment des occupations

particulières des uns et des autres.

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4.3. Le maternage

Alors que reconnaissance et hospitalité sont assez aisément observables dans la relation de service en

tourisme, la dimension du maternage est un peu plus problématique dans la mesure où elle implique un rapport

beaucoup plus intime avec le visiteur. Rappelons pour mémoire qu’il s’agit ici de faire entrer ce dernier dans le

cercle de la « famille », à tout le moins lui offrir le sentiment de faire partie de la communauté, de lui offrir une

porte d’entrée dans la culture locale. Et il ne s’agit pas de lui expliquer des aspects plus personnels de la culture

comme cela est déjà apparu en abordant la question des savoirs, mais bien de poser les gestes qui permettront

au touriste de se considérer comme membre de la communauté. Cela prend la forme d’une résolution

personnalisée de problèmes, de proposer des choses qui ne font pas forcément partie de l’offre de service

standard, et cela peut également aller, dans sa forme la plus extrême, à une certaine forme de rapports plus

intime. À travers le maternage, l’agent d’accueil érige une sorte de barrière entre le monde extérieur et hostile

et le visiteur, il lui procure un espace rassurant dans lequel ce dernier se sentira en sécurité, comme dans une

famille (Gouirand, 1988). Il est donc bien plus compliqué, pour les travailleurs en accueil, de faire ces gestes qui

nécessitent une certaine proximité avec les visiteurs. Malgré cela, des actes de maternages sont exercés sur

une base relativement régulière par la plupart des participants, mais dans des circonstances et selon des degrés

relativement différents.

4.3.1. Divers degrés de maternage

Les variations sont principalement explicables selon la fonction occupée et le degré d’engagement de l’agent

d’accueil concerné. Il va sans dire que c’est chez les concierges que les actes de maternages sont les plus

présents, mais ceux-ci font plus ou moins partie de leurs prérogatives de travail, étant donné qu’ils doivent

s’assurer que les visiteurs aient le meilleur séjour possible. Ils s’arrangent donc pour que tout se déroule pour

le mieux et gèrent le moindre petit problème que peuvent vivre les touristes qui fréquentent leur établissement,

à tout le moins pour ceux qui en éprouvent le besoin. Mais il n’est pas rare pour eux de faire leur possible pour

dépasser les attentes et faire en sorte que le client se sente à l’aise, bien que cela ne soit pas forcément

demandé par leur direction :

[…] Quand je vois des clients qui arrivent et qui sont tout pognés, après deux minutes, ils sont comme : "ha, ok, je peux relaxer". Parce qu’en fin de compte, ça peut aussi être un peu stressant pour ces clients-là, parce que, veut, veut pas, ils arrivent avec un concierge d’hôtel, ils ont un standing peut-être à prouver. Après ça, il faut que tu penses à l’ego des clients. Moi, mon ego, je m’en fous, mais faut que je fasse attention à l’ego des clients, tu sais. […] C’est touchy. […] Tu sais, la cliente qui fait : "Oh, I would like to go to the Ice Hotel", pis là tu sais, un 30 juillet, bah essayer de lui répondre pour pas qu’elle ait l’air conne devant ses amis [rires]. Tu sais, des choses comme ça. (Florence, concierge)

Dans cet extrait, Florence dépasse clairement son rôle de concierge. Elle fait en sorte que ses clients se sentent

presque comme chez eux, qu’ils se sentent à l’aise et même qu’ils puissent garder la face et assumer leur statut

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– rappelons qu’il s’agit tout de même d’un hôtel assez luxueux – en cas de situation compromettante, quitte à

faire l’impasse sur son propre ego. Et bien que cela fasse plus ou moins partie de son mandat en tant que

concierge, Florence a le sentiment que ce genre de pratique est pour elle une initiative personnelle qui lui tient

à cœur :

[…] Je me bats plus pour le client à l’individuel que pour, en fin de compte, l’établissement, sauf que je représente toujours l’hôtel. Donc, c’est sûr que je vais apporter la qualité qui est demandée au standing de l’hôtel. Mais quand je sers un client, en fin de compte, c’est vraiment… je vais dire ça cheesy, c’est vraiment de cœur à cœur : je le fais sincèrement, pour le client, pour qu’il passe un bon séjour et je pense que les clients quand ils... ils en pensent le meilleur en fin de compte… en ayant ça aussi. Mais oui, c’est personnel. […] Pis en fin de compte, c’est ce que les clients aiment le plus aussi, c’est le fait que je sois, tu sais, que je sois chaleureuse : "Tu sais, c’est bien, on se sent bien avec toi, tu sais, c’est… c’est le fun là" [rires]. (Florence, concierge)

Mais c’est surtout le maternage comme résolution de problème, en dehors de toutes les prérogatives de travail,

qui est le plus répandu dans le milieu touristique. Cela peut prendre des formes variées, allant de la résolution

de problèmes importants au simple appel de taxi. Mais chaque fois, il est question de gérer une situation qu’il

est difficile de régler en tant que touriste, loin de son environnement habituel :

[…] Cet hiver […] on a eu une tempête de neige et on a des gens de Boston qui sont arrivés avec une voiture de location. Et moi, je n'avais pas vu le véhicule, peut-être mon erreur aussi, fait que je les ai mis sur le stationnement de l'hôtel qui est pas couvert du tout, et forcément ils ont voulu sortir le soir. Ils se sont retrouvés enneigés avec une voiture sans pneus neige, donc après […] le propriétaire est venu m'aider, mais on a passé sans mentir une heure à essayer de la sortir de là, on a juste réussi à la bouger d'un trou à l'autre. Donc bah là on a été obligés de s'impliquer un peu dans leur vie personnelle et puis dans leur séjour. On a appelé la [police] pour savoir ce qu'il fallait faire, on a appelé plusieurs fois la compagnie d'assurance pour essayer de gérer le truc. […] Donc, oui, il y a une implication forcément dans leur vie personnelle, où on est obligé de se retrouver avec. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

[…] [Appeler] un taxi, ou quelqu'un qui a oublié son porte-monnaie dans un autre magasin, c'est déjà arrivé. Je vais appeler pour voir s’ils l'ont ou des choses comme ça […]. (Marie, gérante de boutique)

Le fait également de partager son savoir et finalement, quel que soit l’emploi occupé, de jouer le rôle de guide,

fait également partie de cette dimension de maternage, puisqu’il s’agit de diriger les visiteurs dans un

environnement inconnu, de leur donner les bonnes adresses, les endroits intéressants à visiter, etc. Grâce à ce

type d’interactions, les touristes sont « mis dans le secret » et il peut se développer un sentiment de sécurité et

d’inclusion dans la société d’accueil.

4.3.2. Un maternage circonstanciel

Quelques nuances sont cependant à apporter au maternage en tourisme. La première concerne le cadre dans

lequel celui-ci prend forme, ou plutôt les circonstances qui permettent aux travailleurs en tourisme d’accomplir

ces types d’actes. Nous l’avons déjà vu plus haut avec Florian, quand il nous dit que lorsque l’achalandage est

trop important, il ne peut pas se permettre de « faire du social », ou Isabelle qui nous dit que lorsqu’elle se sent

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obligée par les clients, elle a du mal à faire des sourires, ou bien encore Nadège qui distille son hospitalité et

aussi sa propension à materner en fonction de son humeur et de l’attitude des clients.

Plus intéressant encore est le cas des guides de musée, pour qui le maternage est fonction de la position

occupée au moment de l’interaction. Comme nous l’avons vu plus haut, en tant que guides, ils sont des vecteurs

de savoir, un peu à la manière de professeurs, plus qu’ils ne sont là pour offrir un accueil aux touristes et les

faire entrer dans la communauté. Cependant, une fois en situation d’agents d’accueil, c’est-à-dire à la réception

du musée, ils semblent plus ouverts au maternage, que ce soit en termes de dépassement des attentes qu’en

résolution de problèmes :

[…] Je pense que des fois je vais un petit peu plus loin que ce qui est demandé là. Tu sais, il y a des personnes qui m'ont déjà demandé : "Ben, je veux envoyer un courriel", mais j'avais pas la possibilité à l'époque de le faire à l'accueil. Si je vois que c'est un croisiériste qui est mal pris, bah je vais l'emmener du côté des bureaux pis je vais […] l'aider, tu sais. S’il faut qu'il fasse imprimer son billet, c'est déjà arrivé, ou heu les gens qui se posent certaines questions par rapport à certains objets dans une salle, moi je vais leur suggérer soit de laisser leur nom […] ou je vais prendre leurs coordonnées, leurs courriels, je vais acheminer leur question, pis il y a quelqu'un qui va leur répondre. (Juliette, guide de musée)

Peut-être aussi, porter une attention particulière à un visiteur qui vit une problématique aussi. Encore une fois ce serait facile de se dire : "oh, bah ça, ça nous concerne pas, allez voir ailleurs", mais heu… […] Au comptoir d'information, c'est l'information du musée, mais on se fait poser des questions sur toutes sortes de choses de la ville, et à chaque fois on essaye de répondre au client. (David, guide de musée)

Les deux participants cités ici font donc acte de maternage, mais ils expliquent bien que celui-ci a lieu à l’accueil

du musée, et non pas dans le cadre des visites. Par contre, si la fonction semble alors déterminer l’attitude,

celle-ci ne semble pas forcément imposée par un élément extérieur, et semble être un acte volontaire et partagé

par tous les employés à l’accueil du musée :

[…] Je sais que ça se fait naturellement ici au musée par à peu près tout le monde. […]Je me souviens que même des gens de l'office du tourisme […] sont venus justement pour nous donner un peu un coup de main […] et ils se sont rendu compte qu'on faisait un excellent travail justement pour répondre à d'autres choses que notre institution. Donc, comme je dis, ça, c'est quelque chose que naturellement j'aurais fait, et je constate aussi que mes collègues font la même chose (David, guide de musée).

Cela rejoint donc ce qui a été dit plus haut concernant le fait que la nature de la relation de service dépende de

la fonction occupée. Dans le cadre du service standardisé qui est de mise lors des visites, le maternage n’est

pas requis puisque le client est un usager. Il est alors presque ignoré dans son individualité et la relation est

uniquement basée sur un transfert de connaissances, pas sur le principe d’inclusion, d’aide et de mise à l’aise.

Par contre, lorsque le touriste vient à l’accueil, la relation est plus personnelle, et la personne en face de l’agent

d’accueil est une personne, avec ses caractéristiques, ses besoins, ses demandes, et il est important de le

prendre en charge, de le faire se sentir accueilli.

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4.3.3. Un maternage professionnel

Il est tout de même important de noter que, malgré le fait que pour beaucoup de participants le maternage soit

un acte naturel, personnel et volontaire, l’accueil en tourisme reste un acte commercial. Contrairement à l’accueil

antique, qui lui était un acte d’hospitalité entièrement gratuit – encore que soumis à de fortes contraintes sociales

– l’accueil moderne est un acte qui permet à la personne qui accueille et à l’entreprise et l’institution qu’elle

représente de vendre un produit, un service, et de faire un minimum de revenu. Plus encore, lorsqu’il s’agit de

serveurs payés aux pourboires, la qualité de l’accueil peut avoir une influence importante sur le revenu : un

mauvais accueil autant qu’un mauvais service peut être sanctionné financièrement pour l’agent d’accueil, bien

plus directement que l’entreprise dans laquelle il travaille. Dès lors se pose la question de la nature du maternage

en tourisme, et surtout de sa professionnalité : est-il vraiment un acte gratuit et volontaire ou bien s’agit-il d’une

contrainte imposée par la nature commerciale de la relation?

Tout d’abord concernant l’aspect financier du maternage que nous venons de mentionner, plus précisément la

question des pourboires, il semble que celui-ci ne joue pas vraiment outre mesure dans la pratique d’accueil :

Moi : Quand tu vois un touriste, c’est juste un client qui vient manger ou ça te renvoie à quelque chose d’autre? André : Non, je vois quelqu’un. Je vois une personne qui cherche une place pour manger pis… Je vois pas un signe de piastre… oui, c’est important l’argent, mais ça va venir avec le service. Il y en a qui payent plus, il y en a qui payent moins, regarde… moi, regarde… Tu sais, il y a du monde qui s’énervent : "Ho lui il a pas payé, il a juste laissé 10%". C’est pas plus grave que ça. Il y a du monde qui ont moins d’argent, pis tu vas te reprendre avec les autres. (André, serveur)

Quand je travaille, c’est comme si ce serait ma business quasiment. Je vais les accueillir, c’est pas pour le tip65, c’est pas pour heu…. C’est parce que j’aime ça, ce que je fais. Et puis c’est ça ma job, pourquoi je le ferais pas? Tant qu’à faire cette job-là. Je suis aussi bien de l’aimer et de la faire à fond, tu sais. (Ariane, serveuse)

La place des pourboires ne semble donc pas être un facteur vraiment important dans la façon d’accueillir le

client, du moins chez ces participants qui travaillent en tourisme, rappelons-le, de manière permanente ou

récurrente, et qui sont assez engagés dans le domaine touristique66. C’est un peu moins le cas pour Lucie,

moins engagée dans ce domaine, pour qui la relation aux pourboires peut être un peu plus importante :

[…] Moi, en restauration, c'est plus au niveau des pourboires des fois que ça peut créer des tensions parce que les gens sont moins habitués à ça. (Lucie, barmaid)

65 Le « tip » est le nom anglais pour pourboire, largement utilisé en restauration. 66 Au cours de mes expériences professionnelles en tourisme, j’ai été amené à travailler avec des personnes qui, au contraire d’André, ne voyaient dans le tourisme qu’un « signe de piastre », et qui adaptaient leur comportement en fonction de la clientèle et de leurs représentations de celle-ci. Par exemple, les Américains étant réputés pour donner de généreux pourboires, ils s’arrangeaient pour servir ce type de clientèles, quitte à demander (voire à payer dans certains cas extrêmes) l’hôtesse pour qu’elle les place dans leur section. À l’inverse, les clients asiatiques, chez qui le pourboire n’est pas une pratique habituelle, sont réputés comme de mauvais « tippeurs », et dans ce cas ils s’arrangeaient pour en servir un minimum. Et durant le service, la clientèle susceptible de payer un bon pourboire était servie avec un maximum de soin alors que les autres n’avaient droit qu’au service minimum : prendre la commande, apporter les plats, desservir et encaisser, avec le moins d’interaction possible.

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Il faut aussi noter le fait que bien que le maternage implique de faire entrer, théoriquement, le visiteur dans le

cercle de la communauté, de le considérer un peu comme un membre de sa propre famille, il est extrêmement

rare que ce type de relation arrive réellement. À une exception près, tous les participants partagent le même

type de relation avec la clientèle, c’est-à-dire une relation inclusive, mais en conservant une certaine distance

professionnelle. Le client est accueilli amicalement, parfois même comme un ami, du moins comme on recevrait

un ami, mais cela reste dans le cadre du travail :

[…] Je les prends comme des amis, mais des amis, des connaissances quoi, j'essaie de leur rendre service tout simplement. (Hélène, serveuse/responsable)

[…] S’ils t’ouvrent la porte pis qu’ils jasent un peu, oui, tu vas jaser et puis des fois tu sais… il va y avoir un lien et puis ça va peut-être devenir plus que… Mais tu sais, je suis jamais vraiment allée prendre une bière avec un client que j’ai eu dans la journée, que je connaissais pas. (Ariane, serveuse)

J'te ramènerais pas chez nous là [rire]. Tu restes dans ton hôtel et moi je reste chez nous. C'est ça, c'est pour ça que moi j'aime ça, j'ai pas besoin de, j'veux pas avoir d'intimité avec eux autres, tu sais, c'est juste des clients là, tu sais. (Alexandre, guide indépendant)

Moi : Et est-ce qu'il vous arrive de dépasser le cadre du travail? Marie : Aller prendre une bière avec des clients? [Temps de réflexion] Non, non me semble que non. Bah, j'ai ma petite famille, alors c'est peut-être pour ça, peut être si j'avais pas d'enfants, et tout ça, peut-être oui des fois, tu sais, on a des clients qui restent pis ils jasent, ils posent des questions, ils s'intéressent là, mais non, moi personnellement c'est jamais arrivé. (Marie, gérante de boutique)

Le maternage est donc présent à des degrés divers chez tous les participants, mais s’exprime principalement à

travers un certain dépassement des prérogatives de travail, la résolution de problèmes, ou encore des

conversations personnelles. Mais les situations qui consistent à faire entrer le visiteur dans le cadre de la famille,

à tout le moins de la communauté, en le faisant participer à des activités extra-professionnelles, par exemple

l’amener boire un verre, l’inviter chez soi ou faire une sortie quelconque, sont extrêmement rares, notées chez

seulement deux participants67 :

C'est très rare, ça a peut-être dû arriver, c'est peut-être arrivé ouais une fois ou deux, là, tu sais, en 18 ans. C'est des gens qui étaient à la recherche de visiter des trucs particuliers, bon. C'est vrai que des fois t'accroches tout de suite avec quelqu'un et oui bon, oui tiens, on pourrait prendre peut-être une petit, un petit café après ou quelque chose comme ça. (Hélène, serveuse/responsable)

Moi : Est-ce qu'il vous arrive ou vous est déjà arrivé de dépasser complètement le cadre du travail et de sortir avec les clients? Florian : Mon premier coup de foudre. Fais que c'est ça. Non, j'en ai rencontré heu, une fille géniale y a très longtemps de ça, elle venait étudier ici, elle était française et c'était cool, ça a été une belle heu, un bon moment. Ça a duré un an. […] Moi : Et sinon sortir boire un verre ou quelque chose comme ça avec d'autres clients?

67 Il y a quelques années, j’ai effectué deux saisons en stations touristiques en France. Ce genre de pratiques était alors beaucoup plus courant de la part des travailleurs en accueil touristique, mais dans un contexte beaucoup plus festif que celui de la ville de Québec. À ce niveau, je pense donc que le type de tourisme, et donc de clientèle touristique, mais aussi de main d’œuvre, plus jeune et festive en stations balnéaire et de ski, joue un rôle important dans ce type de relation.

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Florian : Mouais, avec deux autres, mais pas plus. (Florian, gérant de boutique)

Le maternage est donc relativement ambivalent en tourisme. Il est pratiqué par tous, mais à des degrés divers

et dans des circonstances particulières, et surtout il reste toujours très professionnel. Il est clair que la dimension

économique de l’accueil moderne joue un rôle important dans cette ambivalence, puisque l’accueil, aussi

courtois, aimable et inclusif soit-il, reste un acte commercial. La barrière se trouve donc au niveau du passage

à la vie privée, qui reste relativement tabou.

Il semble donc que la relation d’accueil en tourisme a lieu entre une personne en situation de primarité, le

travailleur en tourisme, et une autre en situation de secondarité, le touriste. La relation est donc supposée rester

dans ces limites précises, et en aucun cas le touriste n’est invité à partager la secondarité des travailleurs. Cela

peut même créer des situations de malaise comme nous l’avons vu avec David.

4.3.4. L’excès de maternage ou le maternage anomique

Parmi les participants, Alice est la seule qui semble dépasser cette barrière entre primarité et secondarité. Tout

d’abord, elle ne semble pas gérer son établissement d’une manière purement commerciale en essayant d’attirer

le moindre touriste, afin de maximiser ses profits :

Alice : […] Il y a des gens qui sont tellement habitués à toutes ces grosses télés, ces gros lits, etc. Avant, quand on parle au téléphone pour les réservations, je peux leur déconseiller : "Mmh, peut-être c'est mieux d'aller ailleurs...". […] Mais c'est pas que je veux leur offrir ça, moi, je ne veux pas ce genre de personnes. Je veux les gens modestes, et je ne peux plus choisir mes clientèles maintenant avec internet. Avant, je choisissais beaucoup les clientèles. Moi : Et ces gens modestes, qu'est-ce que vous pensez leur offrir? Alice : Une chambre propre, qualité/prix, qu'ils peuvent avoir confiance, ils n'ont pas à s'inquiéter qu’on leur vole, fouille leurs bagages et tout ça. Et un peu plus intime avec la clientèle, c'est ça ce que l'on offre. (Alice, gérante d’hôtel)

Elle préfère choisir, dans la mesure du possible, sa clientèle, et offrir un espace et une relation plus intime. Le

résultat est que parmi tous les participants, elle est la seule à affirmer s’être fait des amis parmi sa clientèle :

[…] Je me suis fait des amis avec quelques clients comme ça, qui reviennent à chaque année, deux fois par année, tout ça. Mais c'est toujours pas très intime, c'est juste on s'accepte, pis on est content de se revoir, c'est comme de la famille. (Alice, gérante d’hôtel)

Cela peut sembler paradoxal, car c’est au final elle qui offre la relation la plus proche de l’accueil maternel décrit

par Gouirand, alors qu’elle est la participante la moins engagée en tourisme, étant donné le caractère contraint

de son emploi. Mais ce qui peut paraître un paradoxe est en fait ce que l’on pourrait appeler une situation

d’accueil anomique, dans la mesure où Alice, n’étant pas engagée en tourisme, ne semble pas capable

d’adhérer aux normes et aux valeurs communément admises dans ce milieu et qui stipulent, implicitement, que

le touriste reste un client et pas un ami. La barrière entre travailleur et touriste, entre primarité et secondarité,

semble être une règle tacite partagée par tous, et qui permet également de se protéger de ce que Gouirand

appelle la « dictature de l’accueil » (Gouirand, 2011), lorsque les demandes des visiteurs dépassent les limites

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de ce qui est normalement acceptable. Alice en fait d’ailleurs les frais :

Le problème quand on devient ami avec notre client, il me paie plus [rire]. Ça c'est un problème, on essaye de garder un peu de distance, mais quand on est trop amis, bon, elles viennent chaque année et c'est gratuit. Et puis on peut pas monter le prix, alors c'est bon de garder un peu de distance. (Alice, gérante d’hôtel)

Bien qu’elle essaie de conserver une certaine distance par rapport à sa clientèle, Alice se retrouve dans une

situation dans laquelle son maternage vient altérer la relation de service. Sa position de professionnelle s’en

trouve mise à mal, et elle n’est plus capable de gérer son commerce d’une manière qui lui conviendrait, car cela

risquerait de faire de la peine à ses « amis ».

L’accueil en tourisme est soumis à des règles tacites, des obligations et des droits de la part des travailleurs en

tourisme et de touristes, et ceux-ci doivent être respectés pour que la relation de service ait lieu de manière

harmonieuse. Parmi celles-ci, une des plus importantes est celle de la barrière entre primarité et secondarité,

entre le travailleur et le visiteur, qui permet à la relation de garder un aspect professionnel et respectueux pour

les uns et pour les autres. En cas d’absence de barrière, l’accueil change de forme, sort de la relation

commerciale (mais amicale) et s’en trouve dénaturée, au risque de créer des malaises et de rendre l’interaction

désagréable.

Le respect mutuel est également un aspect important de la relation de services, surtout entre des personnes de

cultures qui parfois ne sont pas vraiment sur la même « longueur d’onde ». Le client n’a pas tous les droits, et

si le service en tant que tel ne peut pas véritablement être refusé, la sanction au manque de respect se fera en

termes de qualité de l’accueil, et au final en qualité du séjour. L’accueil est donc central dans la mesure où c’est

en grande partie dans sa qualité que repose la qualité du produit touristique, qui rappelons-le est avant tout une

expérience. Cela est d’autant plus vrai dans un lieu touristique comme Québec, ville historique, dont l’offre

touristique tourne principalement autour de lieux à visiter (et donc de visites guidées), de gastronomie (et donc

de service de restauration) et d’achats de souvenirs (et donc de boutiques de souvenirs).

Mais surtout, tout ce que ce chapitre tend à montrer est que l’étude de l’accueil touristique et de ses dimensions

permet de caractériser une culture de l’accueil commune à la grande majorité des travailleurs dans ce domaine.

Presque tous, avec des variations en fonctions de l’emploi occupé et du degré d’engagement en tourisme,

partagent une conception commune de l’accueil et de leurs droits et devoirs. Tous offrent reconnaissance,

hospitalité et maternage, tous déclarent faire de leur mieux pour offrir aux visiteurs la meilleure expérience

possible et partagent la satisfaction de bien avoir accueilli. C’est pour ces raisons que nous pensons que tous

ces travailleurs en accueil touristique, quel que soit l’emploi occupé, partagent une culture commune.

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CHAPITRE 6 : LE RAPPORT AU LIEU

Nous avons indiqué que pour beaucoup de travailleurs en accueil touristique, le lieu est considéré en tant que

produit, permettant de bonifier l’offre de service. Tous ont une certaine connaissance du lieu, faisant partie des

savoirs nécessaires au travail en tourisme. J’ai également émis l’hypothèse que le lieu est un élément important

de la culture professionnelle des travailleurs en tourisme en tant que lieu de pratique, lieu d’échange et lieu de

représentations. Il s’agit selon moi d’un espace identitaire qui permet aux travailleurs en tourisme d’œuvrer, de

manière consciente ou non, en tant que groupe social.

Mais comment rendre compte du lieu touristique comme élément de la culture professionnelle? Cela passe tout

d’abord par l’étude de ce lieu d’abord comme lieu de pratique, ce qui nous amènera à nous interroger sur les

usages du lieu. Nous nous intéresserons ensuite à la structure du lieu, dans sa morphologie et sa physiologie,

pour observer comment cette structure est perçue et comment elle devient l’ancrage des représentations

associées au lieu, notamment en termes de secondarité et de primarité. Pour finir, nous aborderons la valence

territoriale attribuée au lieu touristique, c’est-à-dire les valeurs, positives ou négatives qui lui sont associées pour

chacun des participants de notre enquête.

1. Des usages du lieu touristique

1.1. Le quartier touristique, un lieu de résidence pour les travailleurs du secteur?

En seconde partie de ce mémoire, j’ai montré qu’a priori, la plupart des résidents du Vieux-Québec ne sont pas

des personnes qui y travaillent et inversement, que la plupart des travailleurs en tourisme dans le Vieux-Québec

n’y résident pas. Cette hypothèse n’est pas vraiment contredite par les entrevues : au moment de la collecte de

données, trois participants (David, Alexandre et Alice) résidaient dans le quartier touristique, deux (Florence et

François) à proximité, mais pas dans le centre touristique à proprement parler, et les dix autres vivaient à

plusieurs kilomètres de là, dans des quartiers aussi divers et non touristiques que Limoilou, Charlesbourg,

Sainte-Foy, L’Ancienne-Lorette, Lévis ou encore Lebourgneuf. Ainsi, alors que ceux qui résident proche peuvent

aisément venir travailler à pied, la plupart sont obligés de prendre leur voiture ou les transports en commun pour

se rendre dans ce secteur de la ville. Tant vanté et valorisé dans le cadre de la relation de service auprès des

touristes, le lieu touristique n’apparaît donc pas pour autant comme un lieu de résidence actuel ou souhaité pour

la grande majorité des participants. La question qui se pose alors de savoir quelle est la motivation qui a amené

les autres à s’y installer.

Pour Alice, c’est la proximité du lieu de travail qui joue un rôle important dans son établissement dans le Vieux-

Québec. Il s’agit donc principalement d’une raison de logistique, ce qui ne l’empêche pas pour autant d’apprécier

son lieu de résidence, ce que nous verrons plus en détail plus loin.

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Les raisons qui ont poussé Alexandre à vivre dans le quartier touristique sont également à chercher du côté de

la logistique de son quotidien. Cela le rapproche de son lieu de travail, mais surtout lui permet de vivre au cœur

de son « produit », et d’augmenter sa connaissance sociale du lieu afin d’agrémenter ses tours :

C'est-à-dire que je les vois, j'en vois plus de monde, je vois plus large encore dans mes gens. Pis ça me permet de, pendant l'été depuis deux ans, de pouvoir faire plus de jokes encore avec d'autre monde, avec du monde qui sont plus coincés, les restaurateurs qui sont plus stiffs un peu. Ça me permet d'être plus large un peu dans ma, dans mon évolution pis de pouvoir parler plus avec les commerçants, savoir qu'est-ce qu'ils font, qu'est-ce qu'ils vendent, pis pouvoir en parler plus. […] Je me suis rapproché, c'est fait exprès, je me suis rapproché du produit. […] J’ai décidé de m'approcher du quartier pour des questions logistiques, pis par ce qui est mentionné. (Alexandre, guide indépendant)

Enfin, pour David, les raisons sont toutes autres. Nous avons vu en effet que pour lui le Vieux-Québec revêt une

dimension très sentimentale, puisque c’est un lieu qui le fascine depuis son plus jeune âge, du fait de son

architecture et son histoire. C’est cela qui l’a poussé à acheter un appartement dans ce secteur lorsque

l’opportunité s’est présentée :

Pourquoi le Vieux-Québec? Hum, bah d'une certaine façon ça a toujours été un rêve d'habiter le Vieux-Québec [rires]... La raison première, c'est parce que j'ai trouvé un condo, je suis devenu propriétaire. J'ai toujours été en appartement, pis là je cherchais quelque chose pis, comme je disais tantôt, un peu, un rêve, bah le Vieux-Québec, et aussi parce que c'est très près de mon lieu de travail, ça on se le cachera pas aussi. (David, guide de musée)

Il est à noter plusieurs participants ont déjà résidé dans ce quartier, plus jeunes ou lors de leur arrivée à Québec.

C’est le cas de Marie, qui a vécu dans le Vieux-Québec avant de fonder une famille et d’aller s’installer dans la

proche banlieue. C’est également le cas d’Hélène et de Nadège, dont l’installation dans ce secteur de la ville a

été le point de départ de leur parcours résidentiel à Québec. Cependant, aucune d’elles n’a voulu rester pour

des raisons que nous évoquerons plus bas. Car si les raisons pour habiter dans le Vieux-Québec sont tout de

même assez variées – et pas assez nombreuses dans notre échantillon pour pouvoir en faire une véritable

interprétation – celles qui motivent à s’établir ailleurs sont relativement communes. Mais avant de les aborder,

il est intéressant de se demander si, en dehors de la résidence, le Vieux-Québec est un lieu de secondarité pour

les travailleurs en accueil touristique.

1.2. Un certain manque d’intérêt récréatif

Les travailleurs en accueil touristique considèrent-ils le Vieux-Québec comme un lieu de secondarité, leur

permettant de se détendre et de se reposer, de jouer et de se divertir, ou de découvrir, principales fonctions des

lieux touristiques? Encore une fois, la réponse de la majorité des participants est non. Le lieu touristique n’est

pas, dans ce cas précis, un lieu prisé pour passer du temps en dehors du temps de travail. Peu de participants

ont affirmé profiter de leurs temps libres pour arpenter les rues du Vieux-Québec, aller visiter les différents

attraits, ou même encore profiter des attractions, spectacles et autres distractions proposées lors de la saison

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touristique – festival d’été mis à part. Il leur arrive de venir s’y promener, mais cela est assez rare, d’autant qu’ils

n’y résident pas :

Sortir dans un bar dans le quartier, je pense que je fais ça à peu près une fois aux deux ans. C'est ça, une fois aux deux ans. […] Parce que je préfère plus aller dans les bars qui sont sur la Grande-Allée, ça me rejoint plus. Tu sais, dans le Vieux, les.... ouais, je pense que ça me rejoint plus. Pourtant, il y a des places presque la même chose dans mon quartier pis ici. Fait que je verrais pas non plus pourquoi... tu sais le Sacrilège pis tout ça, je vois pas pourquoi j'irais dans un bar qui ressemble à ça ici, lorsque je l'ai à un coin de rue de chez nous là. Fait que je vois pas pourquoi je viendrais jusqu'ici pour heu... (Florian, gérant de boutique)

Il semble donc y avoir peu d’intérêt chez les participants à venir profiter de l’offre de service du quartier, ce qui

fait que la plupart vont aller dans d’autres secteurs de la ville. Et si on dépasse ce que l’on pourrait appeler l’offre

« normale » du quartier et que l’on s’intéresse aux évènements, à tout ce qui sort de l’ordinaire, le constat est

relativement similaire. La plupart sont allés à quelques évènements, mais rarement sur une base régulière, et

chaque fois cet usage du lieu a été évoqué au passé, comme d’un temps révolu, agréable sur le moment, mais

qui ne comporte plus vraiment d’intérêt au présent :

Moi : Vous résidez dans le quartier ? Diane : Non, je reste loin maintenant. Mais je me suis adonné à venir quand il y avait les grands voiliers, je suis allée voir ça. Donc j’étais sortie [du travail], pis j’ai dit : « ah, bon, ok, je prends ma soirée », je suis restée. Les fêtes de la Nouvelle-France, j’y suis allée plus souvent, j’y suis allée pas mal souvent aux fêtes de la Nouvelle-France. J’achetais mon macaron juste pour dire au moins que j’achetais mon macaron, pour les encourager parce que je trouve ça une fête importante. (Diane, guide de musée)

Fait intéressant, non seulement ici la participante déclare ne plus aller aux évènements parce qu’elle réside loin,

mais en plus elle nous dit que les principales raisons l’ayant incité à participer à ces deux-là en particulier étaient

la proximité de l’évènement et la volonté d’encourager une initiative locale. La participation aux activités du

quartier ne se ferait donc pas dans une perspective volontaire, délibérée, réfléchie, ou encore de divertissement

ou de repos, mais plutôt dans une perspective tantôt « opportuniste », tantôt « altruiste ».

1.3. Opportunisme et altruisme dans l’usage du lieu

Cet usage que je qualifie ici d’« opportuniste » du lieu touristique semble être présent pour tous les participants,

mais il demeure difficile d’affirmer qu’il s’agit là de leur principal motif d’investissement du lieu touristique dans

un mode secondaire. La principale raison est que, de manière générale, celui-ci est limité du fait que la plupart

du temps, les travailleurs en tourisme travaillent lors des divers évènements proposés :

[…] Souvent c'est sûr que moi c'est à ces moments-là que je travaille. Donc c'est sûr que pour nous, c'est intéressant parce qu'on travaille à ce moment-là pis ça nous apporte une grande clientèle. Mais c'est sûr qu'en tant que tel, nécessairement, j'y vais pas parce que justement je suis amenée à travailler dans ces moments-là. (Lucie, barmaid)

Moi : Est-ce que tu participes aux activités proposées dans le quartier ?

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André : Ça je… moins parce que je peux pas y participer [rires], je vais travailler. Tu sais comme… Nouvelle-France, oui, ben ils sont venus ici pour expliquer tout, pour les résidents, et pour les commerces. Ils étaient ici pour expliquer, moi j’écoute, oui, c’est intéressant. Pis, y a une activité que j’ai trouvé intéressante, ça va être le bateau, c’est intéressant ça, mais je travaille, je serais pas capable [rires]. Je peux oublier ça. C’est ça qui arrive avec les affaires du quartier, la plupart du temps… non. (André, serveur)

Cela limite donc non seulement les possibilités de participer aux activités que l’on trouve dans le quartier, mais

également les opportunités de tomber, par hasard, sur un spectacle à la sortie du travail par exemple. Ce type

d’usage du lieu est donc présent, mais limité par certaines contingences : travailler en tourisme limite forcément

les possibilités de profiter des attraits touristiques.

Mais surtout, plus que toute autre raison personnelle de profiter du Vieux-Québec et de ses attraits touristiques,

ce qui motive principalement l’usage du lieu est l’envie de le faire découvrir aux autres, et notamment à la famille

ou aux amis :

[…] Des fois, je me dis : "tiens de la visite, on va faire quelque chose d'un peu différent" même si eux, je les envoie faire la chose, des fois, quelque chose que j'ai pas fait, je prends mes deux jours de congés, on schedule quelque chose comme ça et puis on y va quoi, c'est sympa. (Hélène, serveuse/responsable)

Moi : Et est-ce qu’il t’arrive de sortir dans le quartier ? Ariane : Bah ouais, souvent quand j’ai de la visite de ma famille ou des amis qui viennent à Québec, qui viennent pas souvent, souvent je les emmène se promener dans le quartier. (Ariane, serveuse)

[…] Moi, ce que j'aime beaucoup, c'est me promener avec mes amis et puis raconter : "Ça c'est ça. Ça c'est ça". J'adore ça. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

[…] Quand mes enfants étaient jeunes, j’ai fait la guide touristique pour eux parce que je trouvais ça important qu’ils connaissent leur ville, mais ça se limite à ça, ma famille… Heu… Non, je viens pas spécialement. (Diane, guide de musée)

L’usage sur un mode secondaire du quartier touristique prend donc place dans une optique que j’ai décidé

d’appeler « altruiste », parce que le lieu ne semble pas avoir d’intérêt pour soi. La notion d’accueil que nous

avons abordé plus haut semble ici encore s’appliquer à l’usage du lieu : celui-ci sert, en quelque sorte, à

accueillir la visite. Comme on fait visiter sa maison ou son appartement la première fois qu’on reçoit de la visite,

c’est un peu la même chose qui se passe ici : les travailleurs en accueil touristique font visiter le quartier, comme

une pièce de leur appartement. Il est présenté comme un peu de la culture québécoise, de son histoire, et

permet de mettre en place un acte d’accueil, c’est-à-dire un acte d’inclusion comme nous l’avons vu plus haut.

C’est donc en cela que nous affirmons ici que l’usage du lieu est « altruiste », dans le sens où il est orienté vers

l’autre plus que vers soi. Le rapport au lieu et l’usage qui en est fait ne sont pas considérés dans une optique

de plaisir égoïste ou d’enrichissement personnel, mais d’échange et de partage.

Page 137: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

126

1.4. Bulle touristique et brouillage des temps sociaux

Ce rapport au lieu et ces usages sont bien différents de ce que j’ai pu observer dans la littérature et lors de mes

observations de lieux touristiques différents, comme les stations ou les centres de villégiature (Adler et Adler,

2004), à la montagne ou sur les bords de mer. Dans ces lieux, le « brouillage des temps sociaux » relevés par

Paget et Mounet (2010) est orienté par les activités proposées par le lieu, par exemple le ski ou le surf. Les

travailleurs en tourisme profitent donc de leur emploi pour bénéficier des propositions du lieu. Dans le cas du

Vieux-Québec, on peut également considérer qu’il existe un tel brouillage, cependant pas dans une perspective

de pratique sportive, mais dans une perspective d’accueil. Et ce brouillage est en quelque sorte « inversé » :

alors que dans le cas des stations de ski, par exemple, le travail est mis à profit pour satisfaire ce que l’on peut

appeler un besoin secondaire, ici l’usage secondaire est mis à profit pour étendre les pratiques professionnelles.

En effet, l’usage secondaire du Vieux-Québec par les travailleurs en accueil interrogés se fait, de manière

générale, uniquement dans le cadre de la visite de la famille ou des proches. Ils mettent alors à profit leur

connaissance du lieu pour agrémenter cette visite, la rendre plus attractive. Ce qui se passe ici est donc bien

un acte d’accueil, non marchand cette fois-ci, mais le même malgré tout que lorsqu’ils accueillent la population

touristique. C’est pour cela que je prétends ici que le brouillage est inversé : ils mettent leur usage secondaire

à profit pour performer un acte qui, d’ordinaire, se trouve dans la sphère primaire de leur usage du lieu, celui du

travail. Et là où, dans les stations touristiques, l’usage du lieu se fera peut-être plus dans une perspective

« opportuniste », en fonction de l’offre immédiate du lieu et dans une optique de satisfaction principalement

personnelle, c’est ici la perspective « altruiste » qui prévaut, avec en son centre l’accueil de l’autre et sa

satisfaction. Il s’agit également d’un usage plus réfléchi, planifié que dans une station par exemple68.

Une des principales raisons de ce décentrage du rapport au lieu est principalement due à sa vocation, ici en

tant que bulle touristique, dans une ville touristique. Il s’agit en effet d’un lieu de découverte plus que de détente

et de sport. Une fois la découverte effectuée, il n’y a plus vraiment de raisons de visiter ou de pratiquer le lieu,

d’autant que les opportunités de participer aux évènements sont très limitées pour ceux qui y travaillent. Un lieu

touristique comme une station de ski permet un accomplissement personnel sur la durée, à chaque pratique de

ski. Une station balnéaire permet d’étendre la détente sur la durée là aussi, chaque jour de plage, chaque sortie

dans les bars, dans les restaurants, permettant d’accumuler un peu plus de plaisir et de récréation. Dans un lieu

comme le Vieux-Québec, la dynamique est entièrement différente puisque la découverte ne peut, par définition,

se faire qu’une seule fois. Une fois la « surprise » de la première fois passée, il ne reste plus, pour les travailleurs

68 Je ne prétends pas que l’usage de la station n’est pas sujet à la planification, mais que l’offre d’activité est tellement omniprésente, répétable et parfois variée que chaque journée offre l’opportunité de faire soit quelque chose de nouveau, soit d’en profiter sur la durée, ce dont ne peut pas vraiment profiter – du moins pas sur le long terme – un quartier touristique comme le Vieux-Québec.

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en tourisme, que le plaisir de faire découvrir le lieu à quelqu’un d’autre, notamment à ses proches69.

Et puisque c’est le statut du lieu, en tant que bulle touristique dans une ville touristique qui semble déterminer

ce rapport, il importe donc de s’interroger sur la structure de ce lieu. La morphologie et physiologie du lieu

semblent en effet, comme en a été fait le postulat en début de recherche, être à la base du rapport que les

travailleurs en accueil touristique entretiennent avec lui. Et cela est bien plus probant quand on s’intéresse non

plus aux raisons qui les amènent à faire usage du lieu, mais à ce qui les encourage à ne pas en faire usage.

2. La structure du lieu au cœur de son usage

L’usage du lieu touristique par ses travailleurs semble donc assez limité en dehors du travail : ni lieu de

résidence, ni lieu de sortie, il semble principalement dédié à la sphère professionnelle, puisque même en

situation de secondarité, il est investi comme étant un lieu d’accueil – à entendre comme un lieu dans lequel

l’accueil se pratique, un lieu pour accueillir et non pas un lieu pour être accueilli. J’ai également laissé entendre

que cela est dû principalement à la structure du lieu en termes de morphologie et de physiologie. Mais pour

mieux comprendre l’influence de cette structure sur le rapport au lieu, et ultimement sur la valence qui lui est

associée, il est apparu plus intéressant de s’intéresser aux raisons qui poussent les travailleurs en accueil

interrogés à ne pas faire usage du lieu.

2.1. Le tourisme, un frein à l’établissement dans le quartier : une morphologie non adaptée à la

vie résidentielle

2.1.1. Une offre de services trop limitée

Parmi les différentes raisons qui encouragent les participants à ne pas faire usage du lieu, la première raison –

et peut-être la plus importante – se trouve liée à sa morphologie et plus particulièrement à l’offre de services

proposée dans le Vieux-Québec, qui apparaît comme le principal frein à l’établissement résidentiel :

Ben, j'aime le quartier du Vieux-Québec, mais c'est pas un quartier où je voudrais vivre. Les services sont un petit peu trop éloignés pour moi. Moi, dans [mon quartier], j'ai un coin de rue et demi à faire, un coin de rue et je suis rendu à trois épiceries là. Pas les petites épiceries là. Alors qu'ici, j'ai été, exemple, dans le coin de la côte de la Montagne, plus proche c'est l’Intermarché. Je veux dire, c'est quoi, vingt minutes de marche, après ça, c'est le Métro qui est en bas, trente-cinq minutes de marche. Il faut que tu reviennes. Fais que je trouve ça moins intéressant. (Florian, gérant de boutique)

L’une des conséquences de l’essor du tourisme dans le Vieux-Québec a été de faire disparaitre un bon nombre

de commerces orientés vers le service à une population locale, comme les épiceries, ou il y a quelques années

encore la succursale de la Société des Alcools Québécois (SAQ) sise au Château Frontenac, la seule dans le

69 Il faut bien noter également que la vie nocturne du Vieux-Québec n’est pas très riche, comparée par exemple à d’autres endroits de la ville comme la Grande-Allée. Mais Québec n’est pas non plus une ville qui met véritablement sa vie nocturne et ce type d’amusements « renouvelables » de l’avant, contrairement à Montréal par exemple, qui capitalise plus sur ce critère pour attirer les touristes. Ces différences d’optiques sont nettement visibles sur les sites touristiques respectifs des deux villes : alors que Québec se montre comme la ville historique et familiale, Montréal se présente bien plus comme la métropole dynamique et festive.

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cœur du quartier touristique :

Ce qui est déplorable, c’est qu’avec la dernière épicerie qu’ils ont enlevée il y a quelques années, avec la pharmacie qui est partie, ben ça aide pas. Je trouve ça plate de dire aux clients : "bah falloir marcher un bon quinze minutes pour aller en Haute-Ville pour la pharmacie la plus près". Ou, tu sais, juste la SAQ aussi au Château Frontenac qui a fermée. Maintenant, faut qu’ils marchent un bon vingt minutes pour aller aux autres SAQ. (Florence, concierge)

Pour les touristes, il semblerait que cette insuffisance dans l’offre de services de proximité entraîne une vision

relativement négative du lieu, qui apparaît comme un espace dénué de toute population, comme un espace

factice, une sorte de « non-lieu » (Augé, 1992)70 :

[…] Il y a [des touristes] des fois qui disent : "Ho mais là c’est comme une ville carton, il y a personne qui habite là". Ya quand même des gens qui habitent là. (Florence, concierge)

Bien qu’habité par une population locale, le lieu touristique ressemble donc à ces espaces hyperréels, non

authentiques décrits par Eco (1985), MacCannell (1999) ou Boorstin (1971). Et si tout cela est « plate » pour les

clients, c’est aussi « plate » pour ces travailleurs qui se retrouvent à aller chercher en dehors du Vieux-Québec

ce qu’ils ne peuvent y trouver. D’autant que les boutiques présentes dans le quartier, même si la plupart

s’accordent pour dire qu’il y en a quelques-unes d’intéressantes, sont souvent considérées comme des

« attrape-touristes », trop chères et dont l’offre n’est que de peu d’intérêt :

S’il y avait, je sais pas, des « mégaterrasses », une brasserie, oui, je triperais plus, mais je trouve qu’il y moins d’affaires qui nous rejoignent dans ce coin-là. C’est comme plus… c’est plus cher, c’est plus un attrape-touriste là, tu sais. C’est plus cher et moins intéressant. (Ariane, serveuse)

Je cours pas les places dans le Vieux parce que c'est plus cher, voilà. (Hélène, serveuse/responsable)

Même pour ceux qui résident dans le quartier, ce manque est reconnu, et ils recherchent ailleurs les raisons de

s’installer dans ce quartier :

[…] Il faut vraiment vouloir habiter le Vieux-Québec, c'est pas un endroit qui est pratique [rire]. Il n’y a pas d'épicerie, en partant, le stationnement est difficile, donc on s'y installe pour d'autres raisons. Donc pour l'ambiance, pour l'architecture, pour heu... le fait justement de se sentir ailleurs et presque, j'ai envie de dire, presque même en voyage, même si on est chez soi. Donc pour toutes ces raisons-là, j'aime beaucoup rester dans le quartier. (David, guide de musée)

Pour David le manque de commerces et les problèmes liés à la morphologie de la ville ne sont cependant pas

des obstacles. Ce qui l’attire dans ce quartier, c’est au contraire ses particularités touristiques, le fait que ce

secteur soit différent du reste de la ville, que ce soit en termes d’ambiance que d’offres de commerces. Mais il

70 Pour Augé, les « non-lieux » sont des espaces, comme les aires d’autoroute, les supermarchés, les grandes chaînes hôtelières, etc. dans lesquels les êtres humains sont dénués d’identité, des espaces de passage ou de consommation, qui s’opposent aux lieux « anthropologiques », comme un village, lieu d’histoire et identitaires : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. » (Augé, 1992, p.100).

.

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est important de rappeler tout de même que David est passionné par le Vieux-Québec depuis sa jeunesse, ce

qui n’est pas forcément le cas des autres participants.

2.1.2. Omniprésence des touristes et besoin de coupure

Le second point sur lequel la majorité des participants s’entendent est sur le fait que la composition sociale du

quartier touristique rend l’établissement dans ce lieu peu attractif. En particulier, l’omniprésence des touristes

fait qu’il est difficile pour eux de l’apprécier, principalement parce que le fait de retrouver ce type de personnes

une fois les heures de travail terminées ne leur permet pas de « décrocher » complètement de leur activité

professionnelle :

[…] C’est assez de travailler là. […] Tu sais, être tout le temps avec des touristes là, tu sais, des Japonais avec des kodaks dans la face pis toute. Non, ça me tenterait pas de rester là, je serais tannée peut-être. J’aime mieux rester [dans mon quartier] qui est à côté pis qui est complètement différent. (Ariane, serveuse)

[…] J'aime ça faire la différence entre me reposer [dans mon quartier] parce que c'est moins bruyant, etc. Parce que l'été, c'est quand même une usine à touristes le Vieux, donc heu... Donc ça fait bien de faire la coupure. Une fois que j'y ai gouté, j'ai dit "je ne reviendrais pas vivre dans le Vieux, c'est sûr". (Hélène, serveuse/responsable)

Cette omniprésence du tourisme et des touristes dans le quartier, si elle est bienvenue dans le cadre de l’activité

professionnelle, demeure une source de tension une fois sortis du cadre du travail. Il semble également exister

une sorte de conflit d’usage des lieux, qui empêche les travailleurs en tourisme de se sentir chez eux, jusqu’à

se sentir jugés du fait de vivre leur vie quotidienne – primaire – « normale » dans cet espace de secondarité,

comme le montre très bien Nadège, qui a déjà résidé dans ce quartier :

Moi : Pourquoi tu es partie d’ici ? Nadège : À cause des touristes [rire] ouais. […] Parce que des fois j'arrivais avec mon papier toilette dans les mains, tu sais, pour heu…, pis je me faisais regarder comme si j'étais une extraterrestre : "Mais qu'est-ce qu'elle fait avec son papier toilette... ?". Bah, c'est parce que c'est pas juste des touristes ici, tu sais, y a du monde qui vit icite aussi. Pis il y avait tout le temps du monde assis en avant de ma porte […]. J'ai quand même besoin de me sentir chez nous aussi là. Pis tu sais [en Basse-Ville], c'est une vie de quartier, c'est une vie avec du vrai monde, moi je trouve là, tu sais. C'est pas du monde tout le temps en vacances, tu sais, qui sont de même sur les trottoirs [mime un flâneur], pis toi t'es là pis tu travailles, pis faut que t'ailles faire ton épicerie, pis t'es sur les photos de tout le monde aussi genre. Ça, ça m'énervait. J'ai besoin quand même d'être chez pis... du vrai monde. Pas du monde qui sont en vacances pis qui te regardent tout croche parce que toi tu vis ta vie de tous les jours-là. C'est pour ça, en grosse partie là. (Nadège, vendeuse)

Ses propos renvoient, dans une certaine mesure, à ceux d’Eco (1985), Baudrillard (1985) ou Boorstin (1971)

lorsqu’ils nous parlent de pseudo-event et d’hyperréalité : ici, les gens que l’on croise ne sont pas « du vrai

monde ». Cette notion est d’ailleurs intéressante puisque, alors que dans le cadre de la relation de service le

premier geste posé par l’ensemble des participants est celui de la reconnaissance du touriste en tant qu’être

humain digne d’être accueilli, dans la rue ce dernier se fait refuser le statut de personne « normale » : il est un

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intrus, beaucoup plus proche de l’étranger de Schutz (2003) que du sujet pensant et reconnu en tant que

personne digne d’être accueillie décrite par Gouirand (1994, 2011) dans le cadre de la relation de service en

tourisme. Cela illustre bien la tension qui se crée autour de la présence des touristes, qui symbolisent également

le travail, dans ce lieu qui ne peut pas être vécu sur un autre mode que celui de la primarité professionnelle71.

Cas toujours un peu particulier, Alexandre vit quant à lui une autre situation en lien avec la morphologie sociale

du quartier touristique. Bien qu’il apprécie de vivre dans le quartier, le fait pour lui d’être une figure « publique »,

connue de la plupart des personnes qui travaillent dans ce secteur lui impose de faire certains sacrifices dans

la présentation de soi, pour sa propre tranquillité :

Alexandre : Je me mets une tuque, je me mets une capuche, pis je me fais pousser la barbe pour pas qu'on me reconnaisse. Je veux pas parler à personne, je veux qu'on me crisse la paix. Parce que sans ça, je suis arrêté aux cinq minutes. Ça me tente pas. […] Tu sais, si je veux partir d'ici pis aller au Métro là, si je suis pas habillé comme il faut pis qu'on me reconnait là, je suis fait man, je peux m'arrêter cinq, six fois. Ça me tente pas, je veux dire, j'ai envie de faire ma vie comme tout le monde, pis j'ai envie de tracer, pis de faire mes affaires "bing bang" là. (Alexandre, guide indépendant)

Au-delà de l’anecdote, ceci montre que pour lui aussi l’achalandage du quartier et la centralité du tourisme sont

au cœur de cette représentation négative du quartier. Car bien que ce ne soit pas le touriste qui soit au cœur

du problème ici, il reste que c’est en raison de son statut de guide, et donc en raison de l’omniprésence du

tourisme, qu’Alexandre vit ce désagrément particulier.

Ce dont il faut également bien se rendre compte, ici c’est que le prix des loyers n’entre pas significativement en

ligne de compte dans le choix de ne pas s’installer dans ce quartier. Pourtant le coût de l’immobilier ne cesse

d’augmenter dans ce secteur de la ville, comme nous l’avons vu au chapitre 2, ce qui pourrait aisément agir

comme « répulsif » pour des travailleurs d’un secteur qui n’est pas vraiment réputé pour ses salaires. Le cadre

de vie, et surtout la proximité du travail et l’impression de ne pas sortir de la « bulle », de ne pas réussir à quitter

le travail, est plus important que les aspects économiques.

2.2. Une physiologie sociale teintée par le tourisme

2.2.1. Une mobilité interne limitée par l’achalandage touristique

Cette omniprésence du tourisme et des touristes entraine également des inconvénients d’un point de vue

physiologique, c’est-à-dire au regard de la mobilité au sein du quartier touristique et dans son accès. Pour

beaucoup, le fort achalandage dans le quartier rend la circulation difficile, à pied comme en voiture :

[…] J'adore les touristes à l'hôtel, mais pas dans la rue. Je dois dire, devoir passer de trente minutes à pieds l'hiver pour aller au travail – avec le facteur vent, avec le facteur neige, tempête,

71 Inversement, il semble attendu que la vie des résidents demeure invisible à l’expérience du tourisme. Le lieu touristique apparaît comme une sorte de réserve métropolitaine, où les activités quotidiennes de la population locale entachent la représentation idéalisée d’un lieu où le touriste séjourne hors du « vrai monde » de son quotidien. Le face à face de l’accueil doit donc préserver le « monde de l’expérience touristique » jusque dans l’évitement hors du cadre de la relation de service, où chacun peut tenir son rôle.

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etc., c'est trente minutes – et je suis obligée de passer à quarante, quarante-cinq minutes à pieds pour aller au travail parce que des touristes dans une rue, c'est pas gérable, j'aime pas ça. (Isabelle, assistante de direction/concierge)

[…] Moi j'aime ça quand je sors de chez nous, qu'il y ait pas cinquante personnes sur le trottoir [rire]. Tu sais, j'ai un petit côté… j'aime travailler avec le public, mais quand mon travail est fini, j'ai besoin de plus de tranquillité, de silence. Mais je peux concevoir que des gens aiment vivre dans le quartier aussi, parce que c'est vivant, pis ils profitent de ça en étant sur place là, mais pour y travailler non, ça me dérange pas de me faufiler certains matins, non, pas du tout. (Juliette, guide de musée)

Avoir à se « faufiler », à prendre un peu plus de temps pour aller travailler parce que les rues sont pleines de

touristes, cela ne semble donc pas tant poser de problèmes, parce que cela reste dans le domaine du travail,

un des inconvénients inhérents à une profession dans ce secteur de la ville. En revanche, résider dans ce

quartier, avoir à partager l’espace avec des personnes en situation de secondarité et réduire sa mobilité au

quotidien devient une perspective moins enviable pour la plupart des participants qui n’échappent pas au stress

des routines et à la valorisation du temps de qualité des travailleurs contemporains.

2.2.2. Quartier ouvert et mobilité intersectorielle

A contrario, le fait que le quartier touristique ne soit pas isolé du reste de la ville, le fait d’avoir une « bulle »

touristique plus qu’une enclave, qui reste relativement facile d’accès, permet une mobilité beaucoup plus grande

pour les travailleurs du secteur. Et c’est cela qui leur permet de venir travailler dans ce quartier tout en résidant

ailleurs et de profiter des autres secteurs de la ville dans une perspective récréative. Cela permet alors à Marie

d’avoir sa « petite cour avec du gazon », à Hélène de profiter de sa piscine, à Diane de profiter du silence, à

Florian d’avoir tous les services dont il a besoin… Le fait de pouvoir vivre dans des quartiers plus résidentiels

leur offre donc l’opportunité de venir travailler dans ce secteur tout en profitant de cadres de vie plus proches

de leurs besoins72.

Même son de cloche concernant les sorties. L’offre est suffisamment intéressante et accessible en dehors du

quartier touristique pour ne pas avoir à rester dans le quartier après son travail, et encore moins y revenir lors

de ses congés. Le fait d’être dans une ville touristique, avec des secteurs assez spécialisés, permet

véritablement aux travailleurs du quartier de ne pas avoir à y revenir pour profiter de leurs moments de

secondarité. Grande-Allée, Nouvo-Saint-Roch, Cartier, Saint-Jean-Baptiste ont suffisamment d’offres de sorties

pour ne pas avoir à revenir dans le quartier et « subir » le partage de l’espace avec les touristes :

[…] Je vais aller plus dans les quartiers style Nouvo-Saint-Roch, avec des bistrots cools. […] Je trouve que c’est bien de faire une belle balance Vieux-Québec/Petit-Champlain/Vieux-Port, mais aussi aller voir l’autre côté. (Florence, concierge)

72 Il est à noter que certains répondants se sont plus ou moins plaints du manque d’accessibilité en auto, caractéristique de l’accès au centre-ville, et exacerbé lors de grands évènements comme le festival d’été, mais cela ne pèse que très peu dans la balance du choix du lieu de résidence.

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L’agencement de la ville et l’offre des différents quartiers permettent donc de circuler d’un secteur à un autre,

sans avoir à rester au même endroit pour changer de mode, comme cela peut être le cas dans une station par

exemple.

Pourtant, malgré ces inconvénients et ces dimensions un peu négatives liées à la morphologie et la physiologie

du lieu touristique, tous les participants ont déclaré grandement apprécier le secteur du Vieux-Québec. Plus que

la valence territoriale – que nous aborderons un peu plus bas – ce sont surtout les représentations du lieu qui

sont affectées par ces deux dimensions.

3. Les représentations du quartier

Ce qui est donc apparu jusqu’ici est que les usages du lieu, contrairement aux savoirs et savoir-faire liés à

l’accueil, sont relativement homogènes entre les travailleurs en tourisme : il s’agit principalement d’un usage

professionnel du lieu, d’un usage primaire donc, mais surtout dans le cadre du travail. Le lieu touristique n’est

pas un lieu de résidence ni un lieu de loisir et de détente, du moins pas individuellement. Cela nous amène donc

à nous intéresser aux représentations dont le lieu touristique est investi par ses travailleurs. Et là aussi, il faut

noter que les différences entre les participants sont relativement ténues, suffisamment pour qu’il soit impossible

de les catégoriser et produire une typologie quelconque. C’est d’ailleurs la raison qui me porte à croire que si

culture commune des travailleurs en tourisme il y a, le rapport au lieu y prend une place centrale.

Car ce lieu, à tout le moins le secteur touristique d’une ville touristique comme Québec, prend deux formes

particulières dans la représentation du quartier, partagées par l’ensemble des travailleurs : le lieu comme produit

à vendre d’une part et comme extension du lieu de travail de l’autre.

3.1. Le lieu touristique comme produit à vendre

Un des aspects du lieu touristique que nous avons déjà abordé en nous intéressant à la notion d’accueil est le

fait qu’il soit bien souvent désigné par ceux qui font l’accueil comme un produit que l’on présente, que l’on met

en valeur, et ultimement que l’on vend. Le résultat d’une telle représentation est un rapport au lieu pour le moins

utilitaire, puisque le travail consiste non pas seulement à accueillir le visiteur, mais à lui faire la promotion de ce

lieu. Il est donc primordial, pour peu que le travailleur considéré soit engagé en tourisme, de bien « vendre » le

lieu pour que la réputation de celui-ci s’améliore et attire plus de touristes, et donc pour obtenir plus de revenus.

C’est dans cette optique, par exemple, que pour quelques participants, la présence de certaines boutiques ne

fait pas honneur au lieu et devient une sorte d’handicap :

La seule chose que je regrette un petit peu c’est une coupelle de boutique « I love Québec » là, tu sais Côte-de-la-Montagne… Il y a une couple de boutiques que j’ai vraiment hâte que ce soit plus là, parce qu’on a vraiment une belle qualité, ça s’améliore vraiment à toute les années, mais c’est… c’est ça…. Je pense que c’est là pour rester parce que y en a qui aiment beaucoup ça, mais pas ma clientèle. (Florence, concierge)

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Ce que nous dit Florence ici, c’est que sa clientèle ne cherche pas ce type de caractéristiques dans le produit

touristique qu’est le lieu. Les boutiques, les restaurants, les hôtels sont donc en quelque sorte des attributs du

lieu, qui font son attrait, au même titre que les divers évènements et autres activités. Le lieu touristique est donc

un produit, dont l’offre de service à laquelle participent les travailleurs en accueil détermine les caractéristiques,

les propriétés qui permettront de bien le vendre.

Dans le même ordre d’idée, plus l’offre d’évènements est importante, et plus le lieu touristique sera fréquenté,

ce qui influera sur le volume de travail. Ce n’est donc pas tant les produits ou les services offerts par l’entreprise

qui influencent le nombre de clients, mais bien plus le lieu et ses offres en général :

Je connais les plus grands [évènements], comme le Carnaval, le Red Bull Crashed Ice […], le Festival d'été. Je connais les petits événements aussi, car j'ai toujours un calendrier avec moi, d'événements pour savoir qu'est-ce que... il y des congrès aussi qui ne sont pas, il n'y a pas de publicité. Mais je dois savoir ça à cause de mon travail, pour donner une raison pourquoi nous avons vendu plus que la normale aujourd'hui. […] Je suis toujours alerte si une personne entre ici avec une chose, avec son nom. Je demande qu'est-ce qu'il se passe, ils disent : "ah il y a un grand évènement ici, au château Frontenac, pour une entreprise, et nous sommes 400 personnes". Donc ça m'aide un peu pour être préparé pour la journée, ou pour les jours prochains, des choses comme ça. (Romain, gérant de boutique)

Le lieu est le produit central qui règle la pratique de travail dans son ensemble. Car après tout, le tourisme est

une « affaire de lieux » (Knafou, 2012, p.10).

La conséquence d’une telle représentation est que le lieu touristique n’est pas – et quelque part ne peut pas

être – considéré comme un simple lieu de détente. C’est lui qui détermine en grande partie – il ne faut bien sûr

pas négliger non plus la qualité du service et des produits offerts dans les divers établissements, qui sont une

part évidemment très importante de leur succès commercial – le volume d’activité. Parfois même, le fait de

travailler dépend des propositions du lieu : si aucune grande activité n’est proposée, il est à prévoir que

l’achalandage sera moindre, et donc le nombre de personnels nécessaires s’en trouve réduit. En revanche, si,

par exemple, dans une même journée sont présents les bateaux de croisières, un ou plusieurs spectacles et les

feux d’artifice, alors cela nécessite d’avoir beaucoup d’employés présents pour absorber un grand volume de

touristes.

C’est pour cette raison également que l’usage du lieu se fait selon cette perspective altruiste décrite plus haut.

Le lieu étant considéré comme un produit, lorsque les travailleurs en accueil reçoivent de la visite, leur réflexe

est de leur proposer de profiter de ce produit dont ils ont le secret, dont ils connaissent les caractéristiques et

souvent les meilleures façons d’en bénéficier (les meilleurs restaurants, les endroits à éviter, etc.).

Cependant – et cela peut expliquer en partie pourquoi ils se sentent moins engagés en tourisme que les autres

participants – cette centralité du lieu et le volume touristique ont un impact relativement moindre sur la pratique

professionnelle des guides de musée. Ce qui détermine le nombre de visiteurs au musée est peut-être plus lié

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à l’offre d’expositions et donc aux caractéristiques du musée qu’aux d’activités périphériques dans le quartier.

La différence ici est que le musée est une attraction en soi, et ne dépend pas autant des attractions du lieu

touristique pour attirer des visiteurs, contrairement à d’autres établissements qui dépendent plus des

évènements alentour.

3.2. Une extension du lieu de travail

La principale conséquence de cette représentation du lieu touristique comme produit à vendre est de faire que

le travail en tourisme semble ne pas résider dans le seul cadre de l’organisation. Une fois sortis de celle-ci,

l’omniprésence des touristes agit comme un frein à ce que l’on peut appeler le changement de mode : il est

presque impossible pour les travailleurs en accueil touristique de passer en mode de secondarité tant qu’ils

restent dans la bulle touristique. La plupart ont donc besoin d’une coupure qui n’est possible qu’en sortant du

lieu, comme cela a déjà été évoqué à travers les propos d’Ariane et de Florence, corroborés par ceux d’André :

[…] J’aime bien le quartier, oui, […] mais c’est trop proche du travail. Moi le travail est fini… […] Moi je veux une découpure du travail, moi, non, moi être juste à côté… non, c’est pas quelque chose que j’aimerais vraiment. (André, serveur)

Le besoin de coupure est donc récurrent, le sentiment de sortir de la bulle, de quitter le milieu touristique, de

s’écarter de l’offre de commerce orientée vers la satisfaction presque exclusive de cette clientèle étant un

préalable nécessaire au fait de changer de mode. C’est donc la primarité professionnelle du quartier touristique

qui pour la plupart empêche d’en avoir un usage récréatif :

Quand on a fait notre journée ici, c’est comme un peu plus difficile de revenir pour fêter. (Diane, guide de musée)

Cet aspect est central, car il montre que l’on ne peut pas vraiment comprendre le travail en accueil touristique

sans prendre en compte le fait qu’au centre de la pratique se trouve le lieu touristique, considéré à bien des

égards comme le lieu de travail en tant que tel. Le simple fait d’entrer dans le secteur touristique entraîne une

modalité primaire d’usage et de représentation du lieu.

Concernant l’accueil, c’est bien souvent le tourisme, ou plutôt le rapport avec le touriste qui est central dans la

relation de service en tourisme. Ceci se retrouve donc dans le rapport au lieu, qui est peut-être plus important

que le lien avec l’entreprise :

[…] J'ai décidé de travailler dans une boutique mais après le premier été ici, j'ai pensé changer de domaine, d'aller à l'hôtellerie. J'ai trouvé un travail pas loin d'ici, et dans ce moment-là je travaillais ici, à la boutique, et à l'hôtel pour faire ma formation. Après un mois à l’hôtel, le gérant, l'ancien gérant de la boutique a quitté le travail, donc les patrons m'ont demandé si je voulais être le gérant, donc j'ai quitté l'idée de travailler en hôtellerie et je suis resté à la boutique. (Romain, gérant de boutique)

Romain nous montre ici que si les circonstances avaient été différentes, il aurait très bien pu travailler dans un

hôtel plutôt que dans la boutique. D’ailleurs, mes observations dans le quartier ainsi que mes expériences

Page 146: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

135

professionnelles m’ont régulièrement amené croiser les mêmes employés, année après année, mais pas

toujours dans les mêmes établissements. C’est en effet une pratique assez courante en tourisme, ici comme

ailleurs, de travailler dans divers établissements d’une saison à l’autre.

Cet aspect du lieu touristique comme lieu de travail est également mis en avant par Alexandre, ce qui dans une

certaine mesure est normal puisqu’il est guide de rue, et donc les rues sont, techniquement, son espace de

travail. Mais la conséquence de cela est que, résidant dans le quartier, il se sent obligé de se « cacher » lorsqu’il

sort faire son épicerie. Et s’il se cache, c’est plus pour échapper aux regards des autres résidents ou travailleurs

du quartier, qui sont comme des collègues pour lui, des gens qui partagent son quotidien professionnel, et avec

qui il ne veut plus, une fois en période de repos, avoir à communiquer. Même en dehors du travail, il lui est

difficile, voire impossible, de considérer le lieu touristique comme un lieu de secondarité, et même autrement

que comme un espace de travail.

3.3. Primarité et secondarité dans le lieu touristique

Le lieu touristique est donc un lieu principalement vécu selon un mode primaire par les travailleurs en accueil

touristique, car ceux-ci n’ont pas vraiment le sentiment de sortir de leur emploi lorsqu’ils arpentent les rues du

Vieux-Québec. Cependant, pour la grande majorité d’entre eux, cette primarité reste associée à la profession.

Très peu nombreux sont ceux qui font de ce quartier un lieu de résidence, justement en raison de l’omniprésence

du tourisme. Ainsi, il est important, pour comprendre le rapport au lieu touristique des travailleurs en accueil, de

faire une distinction entre la primarité professionnelle, qui est le mode privilégié par cette population, et la

primarité résidentielle. Les éléments exposés plus haut, c’est-à-dire la représentation du lieu comme produit à

vendre et l’extension du lieu de travail dans le quartier, font du lieu touristique un lieu de primarité professionnelle

exclusivement.

C’est cette même omniprésence du tourisme, ce même sentiment de ne pas sortir du cadre du travail, qui

empêche les travailleurs en accueil de profiter du lieu en tant qu’espace de secondarité. Et lorsque la secondarité

dans le lieu touristique est recherchée, elle l’est rarement pour soi-même mais surtout pour « la visite », la

famille, les proches qui ne le connaissent pas, raison pour laquelle je qualifie cet usage d’altruiste. Cet usage

secondaire du lieu n’est par ailleurs même pas vraiment affirmé pour eux-mêmes, mais plutôt pour les personnes

à qui ils proposent de leur faire visiter le lieu. Dès lors la visite se fait pour eux dans ce que l’on pourrait appeler

le cadre étendu du travail : ils réinvestissent le lieu selon un mode primaire, professionnel, bien que cela ne soit

pas dans leurs prérogatives de travail. Il s’agit là d’une forme de brouillage des temps sociaux où le temps de

loisir devient un temps de travail.

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136

4. Les valeurs du lieu touristique

4.1. Valence territoriale

Cette représentation du lieu touristique comme lieu de travail a bien évidemment une incidence sur la valence

territoriale lui étant associée. Le fait que le quartier soit principalement associé au travail applique une sorte de

filtre quant aux valeurs qui lui sont associées. L'espace étant alors dénué des attributs d’un lieu de résidence

ou d’un lieu de sortie, sa valence repose essentiellement sur ses qualités en tant que lieu de travail. Et pour

tous, le fait de travailler dans ce secteur de la ville est une chance, un plaisir renouvelé sur une base régulière :

Je pense qu'on est vraiment privilégiés. […] Chaque jour, je me trouve chanceuse d'être près du fleuve, je me trouve chanceuse de voir la Place Royale. J'ai pas toujours le temps de sortir le midi, mais quand j'ai le temps de sortir, je peux profiter d'une mine d'or là, je peux profiter de la nourriture du quartier, je peux profiter des belles boutiques, je peux profiter d'une richesse historique là, tu sais on est dans le cœur de la ville là. On a des bateaux de croisière, je pense que c'est le top de l'endroit où on peut travailler là. (Juliette, guide de musée)

C'est tellement un bel environnement. Je me verrais pas travailler sur le boulevard Laurier là. […] Tu sais, c'est les bâtisses, la beauté du quartier, sa diversité. C'est ce que j'aime le plus à date -là. C'est vers ça que je m'approche. (Florian, gérant de boutique)

D’un point de vue professionnel, aucun participant ne s’est plaint de quoi que ce soit concernant le quartier, mis

à part parfois le problème de l’accessibilité, celui-ci étant toutefois très secondaire :

Moi : Et ce que tu n'aimes pas dans le quartier? Lucie : [Long temps de réflexion] Je sais pas... y a rien qui me vient là comme ça. Tu sais, je pourrais dire les stationnements, mais encore quand je restais ici, je prenais pas ma voiture. Pis si je compare à Montréal, le stationnement c'est pas si mal, y en a quand même partout. Non, honnêtement, il y a rien qui me déplait tant que ça dans le Vieux-Québec. (Lucie, barmaid)

Ce discours est partagé par l’ensemble des participants, aucun n’ayant une véritable critique à faire concernant

le quartier en tant que lieu de travail. Et les raisons de l’apprécier touchent donc tout autant sa beauté

patrimoniale et son offre de commerces – tant que cela reste dans une optique d’usage secondaire du lieu –

que les activités proposées – même si la plupart n’y participent pas.

D’un point de vue résidentiel et récréatif, le lieu touristique est moins investi d’une valence positive, mais

l’opportunité d’aller chercher dans d’autres quartiers ce qu’il ne peut fournir – opportunité rendue possible par

la morphologie particulière de la ville touristique – limite fortement la négativité du jugement à cet égard. Cela

ne joue donc pas sur la valence globale du lieu, sa représentation d’ensemble, les valeurs qui lui sont associées

de manière générale. Et celle-ci reste entièrement positive pour tous les participants.

Il est tout de même intéressant de noter que la valence du quartier pour les travailleurs est quelque peu différente

de celle des résidents. Nous avions effectivement vu au chapitre 2 que les motivations principales des résidents

du Vieux-Québec pour choisir de vivre dans ce quartier étaient la proximité des services à 31%, la proximité du

travail à 42%, la beauté du site à 61% et le cadre de vie à 73% (Berthold, 2010). Bien qu’il soit évidemment

Page 148: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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impossible de dresser un portrait statistique pour les travailleurs du tourisme, on voit tout de même que ce qui

attire dans le quartier diffère légèrement. Tout d’abord, la plupart déplorent le peu de services du quartier, bien

que cela puisse être imputable au départ de bon nombre de commerces de proximité depuis 2010. Par contre,

alors que 42% des résidents apprécient la proximité du lieu de travail, la plupart des participants à notre enquête

cherchent au contraire à s’éloigner du quartier, qui représente pour eux le lieu de travail. Néanmoins, on peut

tout de même constater que la beauté du site et le cadre de vie – ici remplacé par le cadre de travail – restent

des aspects importants, centraux mêmes, de la valence territoriale.

4.2. Professionnalité du lieu touristique et engagement

Ce qu’il est important de retenir ici tient finalement à ce que nous pouvons appeler la professionnalité du lieu

touristique pour les travailleurs en accueil. En effet, pour eux, le quartier est à la fois un produit à vendre et un

lieu de travail qui dépasse le cadre de l’organisation. Il leur est donc difficile de se dégager de cette conception

du lieu pour en profiter sur un mode secondaire, le quartier n’ayant de signification que comme lieu de travail.

Bien sûr, la plupart des participants prennent ou ont pris du plaisir à visiter et à pratiquer le lieu touristique, mais

le Vieux-Québec ne permettant pas un renouvellement de l’intérêt étant donné la nature de son offre, l’excitation

liée à un usage secondaire du lieu finit par laisser place à une conception primaire du quartier. Leur

représentation du quartier touristique et les valeurs qui lui sont associées découlent donc principalement d’une

perspective professionnelle du lieu.

La principale raison à cela tient encore une fois à la place que prend l’accueil dans la réalité de ces travailleurs,

car c’est à travers cette notion que se construit, pour eux, la valeur du lieu. En effet, le quartier touristique n’a

de valeur qu’à travers l’usage qui en est fait, et qui est ici l’accueil des touristes – dans le cadre de leurs emplois

– ou celui de leurs proches – dans le cadre de l’usage secondaire du lieu. Cette notion est donc encore une fois

centrale pour comprendre la culture des travailleurs en accueil touristique, car elle est en quelque sorte la pierre

angulaire de toute la relation que ces travailleurs entretiennent avec le tourisme, et ce dans tous ses aspects.

Ce qui est également notable est que la valence attribuée au lieu touristique semble liée au niveau

d’engagement en tourisme. Cependant, et paradoxalement, cette relation ne semble pas fonctionner dans le

sens attendu, c’est-à-dire avec un attachement au lieu et une valence plus positive pour les travailleurs les plus

engagés. Au contraire, il est apparu que plus l’engagement est important, plus le lieu en tant qu’espace de

secondarité et de primarité résidentielle devient insupportable, et plus le besoin de s’échapper du lieu pour

quitter son travail devient nécessaire.

Mais ce n’est pas tant l’engagement en tourisme qui influence cet aspect que le temps passé dans le lieu

touristique en tant qu’espace de travail. La valence est donc plus positive pour les nouveaux arrivants dans le

lieu et en tourisme. Ainsi, il semble que plus les travailleurs en accueil passent de temps dans ce domaine et

dans ce lieu de travail, plus il leur est difficile de lui enlever son étiquette de lieu de travail. Ce qui n’implique pas

Page 149: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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une valence entièrement négative, mais une incapacité à apprécier le lieu touristique sans le considérer comme

un lieu d’accueil, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ici.

Il est également plus facile pour les personnes les moins engagées en tourisme de continuer à apprécier le lieu

comme lieu de secondarité ou de primarité résidentielle, comme pour Alice et Lucie. L’aspect contraint et

héréditaire de l’emploi en tourisme de la première l’empêche de faire une distinction nette et tranchée entre sa

vie professionnelle et sa vie privée, sentiment exacerbé par son statut de propriétaire et de gérante :

Alice : Je ne vois pas pourquoi il faut couper, on vit de notre métier, ça, je trouve ça normal. Je n'ai pas besoin de coupure. Il faut accepter ça, c'est la vie, c'est notre gagne-pain, c'est notre vie, le tourisme73, non, je n'ai pas besoin de coupure. Moi : Et est-ce que vous feriez le même travail dans un quartier non touristique? Alice : Non, premièrement, je n'aime pas ce métier [rire]. Ça aide un peu que ce métier soit dans un beau quartier, parce que ça fait des années, ça fait partie de la famille, ça fait partie de notre héritage. C’est pour ça, on adore notre ruelle, on adore notre bâtiment, la ville. (Alice, gérante d’hôtel)

Sa vision du lieu touristique est donc différente, puisque pour elle le fait qu’il s’agisse d’un commerce familial lui

donne une vision englobante de sa réalité – ce qui n’est pas le cas de Florian et Marie, par ailleurs – dans

laquelle travail, résidence, et divertissement ne font qu’un.

Pour Lucie, le fait que son passage en tourisme ne soit que temporaire lui permet de prendre une certaine

distance avec le lieu. Elle l’aime, elle y a résidé et elle pourrait y revenir, ce qui lui poserait moins de problèmes

que pour les autres, étant donné qu’il ne s’agit pas pour elle d’un vrai lieu de travail. Une fois qu’elle aura terminé

de travailler en tourisme, le Vieux-Québec ne sera plus investi que d’un mode d’être secondaire.

73 Le fait qu’elle considère ici le tourisme comme une part intégrante de sa vie ne change nullement l’absence d’engagement au sens retenu pour la présente recherche. Le fait qu’elle soit consciente du domaine dans le lequel elle travaille ne veut en effet pas dire qu’elle apprécie cela, ni qu’elle continuerait si elle en avait le choix, ce qui dénote à mon sens un important manque d’engagement.

Page 150: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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CHAPITRE 7 : LA CULTURE PROFESSIONNELLE DES TRAVAILLEURS

EN ACCUEIL TOURISTIQUE, BILAN ET RÉFLEXIONS

À la lumière de tout ce qui a été exposé jusqu’à présent, peut-on soutenir que les travailleurs en accueil

touristique partagent une culture commune? C’est à cette question, centrale dans ce mémoire, que ce chapitre

tente de répondre. Évidemment, la base de notre réponse reste assez limitée dans la mesure où cette recherche

ne s’appuie que sur 15 entrevues, pour un secteur qui emploie plus de 300 000 personnes rien qu’au Québec.

J’espère cependant que les éléments supplémentaires apportés dans cette partie convaincront de considérer

les travailleurs en tourisme, à tout le moins ceux qui travaillent en accueil, comme un groupe suffisamment

homogène pour, éventuellement, faire l’objet d’une étude plus poussée dans cette perspective.

L’objectif de ce chapitre est donc de dresser un bilan de la recherche présentée dans ce mémoire, mais aussi

de pointer certains aspects qu’il reste à étudier pour mieux comprendre cette population. Dans la première

partie, nous verrons les points que je considère comme les éléments objectifs de la culture faisant des

travailleurs en tourisme un groupe dont l’affirmation reste limitée par une conscience de soi pour le moment très

embryonnaire. Nous reviendrons ensuite sur la notion de segmentation professionnelle abordée en première

partie de ce mémoire, pour montrer comment cette conception de la culture professionnelle aide à voir l’unité

du groupe au-delà de l’hétérogénéité des emplois des travailleurs en accueil touristique. Cela nous amènera à

dresser une sorte de portrait des travailleurs en tourisme, en fonction des trois thèmes abordés dans ce

mémoire, à savoir le parcours d’engagement, les savoirs et savoir-faire et le rapport au lieu. Nous verrons qu’il

est possible, à travers ces thèmes, de faire ressortir trois idéaux-types des travailleurs en accueil touristique.

Pour finir ce chapitre et ce mémoire, nous reviendrons sur la notion de culture professionnelle, pour finalement

répondre synthétiquement à la question initiale de ce travail, à savoir s’il existe une culture propre aux travailleurs

en accueil touristique indépendamment des emplois occupés, et, le cas échéant, en dressant le bilan des

éléments qui composent cette culture.

1. Groupe et culture professionnelle

1.1. Un groupe objectif…

En appuyant mon étude sur la notion d’accueil et en considérant la place du lieu touristique dans l’expérience

professionnelle en tourisme, je pense sincèrement avoir identifié les deux points d’ancrage objectifs permettant

de rendre compte de l’existence d’un groupe particulier de travailleurs, ceux de l’accueil touristique. Cela ne

veut pas dire que ces deux points d’ancrage sont les seuls qui permettent de rendre compte de l’existence de

ce groupe, mais, comme il ne peut y avoir de tourisme sans accueil ni lieu touristique, je pense qu’on ne peut

comprendre les travailleurs de ce secteur, quel que soit l’emploi occupé, sans considérer ces deux réalités.

Page 151: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

140

Ce qui est en effet ressorti de manière assez générale dans les entrevues, sans retourner dans les détails et

les spécificités de chaque participant, c’est que l’accueil de touristes est un élément central, et plus encore

constitutif d’une certaine force identitaire. La notion d’hospitalité, le partage de connaissances, la conception

d’une sorte de « nous » et d’un « eux » qui se construit à travers l’accueil (entre travailleurs et touristes, mais

aussi entre travailleurs, dans le cas de la segmentation agonistique que nous aborderons dans la partie qui suit),

sont autant d’éléments objectifs qui permettent de voir qu’il existe une réalité commune à ces individus, qui

partagent une même expérience, des représentations et des valeurs communes.

Même son de cloche en ce qui concerne le rapport au lieu touristique, à la fois apprécié et décrié, extension du

lieu de travail pour la plupart des participants, lieu de primarité professionnelle mais pas résidentielle, mis de

côté en tant que lieu de secondarité en raison d’une certaine forme de déformation professionnelle, le lieu

devenant produit à vendre ou à offrir aux proches en visite. Là encore le partage de représentations et

d’expériences rend observable, pour qui s’intéresse aux discours de ces individus, une forme d’unité entre tous

les travailleurs en accueil touristique.

Bien sûr, il existe des différences liées aux emplois et à la place occupée par chacun dans l’expérience

touristique des visiteurs. Mais ces différences montrent la complémentarité des emplois dans une réalité plus

grande qui est celle du tourisme. Et cette complémentarité est, à mon avis, semblable à la complémentarité de

divers départements, divers secteurs d’une même entreprise. Chaque travailleur en tourisme, c’est-à-dire

impliqué de manière consciente dans ce secteur d’activité, est également conscient du produit fini, qui est

l’expérience du touriste. Et chacun semble accorder plus d’importance à l’accueil, qui est transversal, qu’au

service, qui lui est spécifique à chaque emploi, à chaque sous-secteur. Aussi, ce qui semble vrai pour la plupart

des travailleurs en tourisme ne semble pas s’appliquer aux travailleurs pour le tourisme, comme les guides de

musées, pour qui la finalité première n’est pas l’expérience touristique, mais bien de véhiculer le savoir et le

message de l’institution.

1.2. … à la subjectivité limitée

Cela nous amène donc à réfléchir sur cette notion de travail en tourisme et de travail pour le tourisme, et surtout

sur l’importance de la subjectivité, de la conscience de groupe chez ces travailleurs. Il est clair que cette

conscience de groupe reste très limitée. Aucun participant ne m’a, par exemple, affirmé avoir le sentiment de

faire partie d’un groupe professionnel de travailleurs en tourisme, et rares même sont ceux qui m’ont

spécifiquement mentionné travailler spécifiquement pour ce secteur.

La conscience de groupe est donc grandement limitée, mais nous avons pu voir que celle-ci apparaît tout de

même dans certaines situations particulières, et notamment lorsqu’il est question d’hospitalité. Lorsque les

travailleurs en accueil touristique nous parlent de l’hospitalité, des raisons qui les poussent à résoudre les

problèmes des visiteurs, à être « aux petits soins », à tout faire pour rendre leur séjour agréable, aucun des

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participants parmi les plus engagés en tourisme n’a fait mention d’une certaine forme d’obligation

professionnelle. Pour eux, cet acte est normal, naturel, pas parce qu’il est dans leur « nature » personnelle,

parce qu’il permet de satisfaire un client qui risque alors de revenir ou encore d’en parler à d’autres, et ainsi de

faire bonne publicité. Mais surtout ce qu’il a été intéressant de noter, est que de manière générale cette bonne

publicité ne concerne pas le commerce ou l’établissement des participants en particulier, mais la destination

touristique dans son ensemble. Les retombées d’un bon accueil sont donc perçues pour l’ensemble du Vieux-

Québec, voire de la ville, de la région ou de la province, que ce soit en termes d’image, d’achalandage ou de

revenu.

Ces éléments sont autant de points qui viennent valider l’existence d’un groupe commun de travailleurs en

tourisme, dont la finalité de l’emploi dépasse les seuls cadres de l’activité professionnelle et de l’organisation. Il

existe donc une conscience de groupe, qui reste cependant embryonnaire, et qui n’est pas suffisamment

développée pour être revendiquée, alors que la plupart ont conscience de travailler pour un but qui les dépasse,

qui est la promotion de la ville, de la destination, et faire sa réputation.

2. Segmentation de la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique

Bien sûr, nous avons également vu qu’il existe de fortes différences entre les différents types d’emplois, chacun

se trouvant à un niveau différent de l’offre touristique. Ces différences pourraient venir affaiblir mes propos, en

prétendant que chaque emploi possède donc sa propre culture. Cependant, en reprenant le concept de

segmentation professionnelle proposé par Champy (2012) pour rendre compte des variations au sein d’une

même culture professionnelle, il est possible de rendre compte de l’unité de la culture des travailleurs en accueil

touristique.

2.1. Segmentation hétéronome

Ce mémoire étant ancré dans un lieu particulier, il est un peu compliqué ici de rendre compte de cette

segmentation de manière véritablement probante, puisqu’il m’est impossible, pour l’heure, de vérifier une

analyse de la segmentation au sein du groupe dans son ensemble. Cependant, en considérant l’importance du

lieu touristique dans sa culture, en expliquant également les différentes suggestions associées aux différents

lieux, sans nier l’existence d’une culture commune, force est d’admettre qu’elle doit varier d’un endroit à un

autre.

En effet, le Vieux-Québec comme lieu touristique possède des caractéristiques de morphologie et de physiologie

sociales bien particulières, ainsi qu’une vocation, une suggestion orientée vers la découverte plus que vers le

jeu ou la détente par exemple. Ainsi, la représentation associée au Vieux-Québec et la place du lieu dans la

culture professionnelle, sans être moins importantes, risquent fort probablement d’être entièrement différentes

dans une station de ski par exemple, où ce sont surtout les pratiques ludiques associées au lieu qui sont

Page 153: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

142

recherchées. Mon hypothèse à ce sujet – qu’il reste cependant à vérifier – est que certains lieux touristiques

sont plus propices à la constitution de ce que j’appellerais des « communautés de pratique », c’est-à-dire des

groupes de travailleurs en tourisme pour qui les pratiques associées au lieu, comme le surf à la mer et le ski à

la montagne, ont peut-être plus d’importance que la pratique de l’accueil.

On peut également se demander si le groupe professionnel qui se plaît dans l’accueil en lieu de découverte

serait heureux de travailler et de consommer dans des villes comme Montréal ou Las Vegas. Dans de telles

villes, où il existe des quartiers touristiques dont la vocation est clairement orientée vers la fête et qui sont peut-

être plus propices aux excès, les attentes envers la clientèle touristique ou le degré de tolérance envers certains

comportements qui pourraient être jugés excessifs ou déplacés (abus d’alcool et de drogues, prostitution,

criminalité organisée, etc.) dans le Vieux-Québec pourraient être entièrement différents. Cela demande

probablement une certaine une sympathie pour les formes de débordements ou de « problèmes », ou de

demandes d’offres de services particuliers de la part des travailleurs en accueil. À Québec, où ces aspects ont

été évacués du quartier touristique et déplacés hors du centre, principalement du côté des quartiers de Saint-

Sauveur et de Saint-Roch, l’acceptation de tels comportements, la manière de les gérer de la part des

travailleurs en accueil touristique œuvrant dans le Vieux-Québec est potentiellement entièrement différente.

Rien de tout cela ne vient pourtant nier ou invalider l’existence d’une culture commune des travailleurs en accueil

touristique, mais pose l’hypothèse que cette culture peut prendre différentes formes selon les lieux, et donc que

celle-ci peut être soumise à une segmentation hétéronome. Ces possibles variations n’excluent pas la centralité

du lieu touristique et de l’accueil dans la culture professionnelle, puisque même dans un lieu comme Québec

où le lieu touristique n’est pas un lieu associé à des pratiques particulières, ceux-ci demeurent centraux et sujets

à des représentations qui restent au cœur de l’activité professionnelle.

2.2. Segmentation organique

Le fait qu’il existe des savoirs et des savoir-faire tantôt partagés, tantôt complémentaires, chez les travailleurs

en accueil touristique, permet également de valider l’existence d’une culture commune. En effet, cela montre

qu’il existe une division du travail, ce qui n’empêche pas de partager une expérience de travail commune,

comme nous l’explique Champy (2012). Et bien que cette division ne soit pas consciente – du moins pas

toujours74 – ce partage et cette complémentarité des savoirs institutionnels, personnels, et professionnels

participent à la production de l’expérience touristique, qui est alors le produit entier de ce travail.

Nous avons également vu que pour la plupart des participants, la représentation du lieu de travail dépasse le

cadre de l’organisation et s’étend à tout le quartier. Ici encore, le fait de considérer les différents types de savoirs

74 Rappelons-nous par exemple le cas de David, qui a partiellement conscience de cette division lorsqu’il nous dit que ce n’est pas aux serveurs de se faire l’écho de la culture québécoise, avant de se reprendre.

Page 154: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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et de savoir-faire comme l’expression d’une segmentation organique de la culture professionnelle des

travailleurs en accueil touristique permet de considérer ces différences comme des divisions au sein d’une

même culture. Les travailleurs en tourisme ne travaillent pas uniquement pour leur commerce, leur hôtel ou leur

restaurant, ils travaillent pour le lieu touristique, pour la destination et les savoirs qu’ils mobilisent permettent

aux visiteurs d’expérimenter ce lieu. Rappelons que pour Champy cette segmentation organique « constitue un

facteur de cohésion, de coopération, d’échanges et de solidarités entre ses membres » (2012, p.134).

2.3. Segmentation agonistique

Cependant, certains points de tensions entre les différents types de travailleurs sont ressortis des entrevues; par

exemple entre les guides de musées et les serveurs, ou les concierges et les vendeurs de boutiques de

souvenirs, chacun s’estimant plus légitime que les autres quant au partage de savoirs et de connaissances. Ce

type de conflits de légitimité entre les différents travailleurs en accueil participe à ce que Champy nomme la

segmentation agonistique, qui permet la remise en question et le changement des pratiques.

Ce type de critique des « autres » par rapport au « nous » permet aux travailleurs en tourisme de s’interroger

sur leurs propres valeurs, leurs pratiques. Cela leur permet aussi et surtout de considérer la place de chacun

dans l’offre touristique, et de tendre vers la constitution d’une seule et même profession touristique, dans la

coopération à un même objectif : offrir une expérience originale, authentique, intéressante, remarquable aux

visiteurs. En s’interrogeant sur le bien-fondé de certains savoirs, de certains commerces, de certaines pratiques,

les travailleurs en tourisme peuvent également participer à une certaine refonte de l’offre touristique, et ainsi

participer, en tant que groupe professionnel, à améliorer l’image de la destination.

3. Les trois figures des travailleurs en accueil touristique

Il est possible de faire ressortir de cette étude trois figures des travailleurs en accueil touristique, trois idéaux-

types, qui partagent selon moi des éléments d’une culture commune, mais dont un seul peut être considéré

comme étant représentatif d’un groupe professionnel des travailleurs en tourisme, c’est-à-dire de travailleurs

pour qui le tourisme est un élément central de leur profession. Cette typologie rend compte de la figure type du

travailleur en accueil en tourisme, comparée par contraste à d’autres figures rencontrées dans ce domaine.

Cette typologie, résumée dans le tableau qui suit, a été élaborée à travers les trois principaux axes abordés, à

savoir l’engagement et l’attachement en tourisme, les savoirs et les savoir-faire mobilisés, et le rapport au lieu

(tableau 7). Les participants sont situés dans la colonne du type de travailleur duquel ils se rapprochent le plus.

Page 155: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

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Tableau 7 : Idéaux-types des travailleurs en tourisme

Professionnel du

tourisme

Professionnel en

accueil Passager clandestin

Engagement et attachement Oui Limité Non

Types de savoir Professionnel Cloisonné Personnel

Pratiques d'accueil Inconditionnelles Professionnelles

Circonstancielles Professionnelles

Circonstancielles Anomiques

Rapport au lieu Central Limité Secondaire

Participants

Florence Ariane Hélène

Alexandre Isabelle Florian

Romain David Diane

Juliette Marie

André Lucie Alice

Nadège

3.1. Le professionnel du tourisme

Le professionnel du tourisme représente le type idéalisé du travailleur en accueil touristique. Il s’agit d’une

personne engagée dans une carrière en tourisme qui a confirmé ce choix par une formation scolaire dans ce

domaine, en amont de son insertion ou pour valider des acquis, sinon développer ses compétences

professionnelles. Il y a donc chez elle une certaine volonté de travailler dans ce domaine en particulier. Son

engagement se fait sur le long terme et elle ressent une certaine vocation au travail en tourisme. Son

attachement est directement lié au tourisme qui tient une place centrale dans son choix professionnel. Le

professionnel du tourisme manifeste une conscience claire de travailler dans ce domaine, recherché pour les

avantages et les bénéfices qu’il peut lui procurer.

Le type de savoir principalement mobilisé par le professionnel du tourisme est celui que j’ai appelé professionnel,

c’est-à-dire un mélange de connaissances personnelles et de savoirs institutionnels, qui lui permet de présenter

certains faits officiels avec une rigueur professionnelle, tout en étayant son discours d’anecdotes ou de conseils

personnels. La mobilisation de ce savoir permet d’agrémenter le séjour des visiteurs, et participe à leur faire

vivre une expérience touristique à la fois pertinente et personnalisée, favorisant un sentiment d’authenticité, que

celui-ci soit factice ou non.

Pour le professionnel du tourisme, l’accueil est un élément central dans son travail, mais il faut que cet accueil

soit celui d’une clientèle touristique, ce qui lui permet d’apprendre et de découvrir grâce au contact avec une

clientèle étrangère. L’accueil dans ses trois dimensions – reconnaissance, hospitalité et maternage – est

inconditionnel, mais c’est un acte professionnel qui n’entre jamais dans le cadre de la vie privée. Le tourisme

est sa profession, et à ce titre, il y a un cloisonnement assez étroit entre travail et vie privée, entre tourisme et

vie « normale », entre primarité et secondarité.

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Cela se ressent également dans son rapport au lieu touristique, qui, bien que central dans son choix

professionnel au même titre que le tourisme et l’accueil de touristes, est pratiquement impossible à apprécier

autrement qu’avec un sentiment de primarité professionnelle. Il y a donc un certain rejet du lieu touristique en

dehors du travail. Par ailleurs le lieu touristique est pour le professionnel du tourisme un lieu de travail, bien plus

que l’établissement dans lequel il travaille.

Le professionnel du tourisme est central dans l’offre touristique, qu’il soit serveur, guide, concierge,

réceptionniste ou vendeur, dans la mesure il a à cœur non seulement la satisfaction du client, ainsi que le

partage des connaissances – dans les deux sens de la relation par ailleurs –, mais surtout le fait de proposer

une véritable expérience touristique. Il a conscience d’être un ambassadeur de la destination touristique qu’il

sert et représente. Il est, à mon avis, un élément central de l’offre touristique et devrait faire l’objet d’une attention

particulière, autant en tant que sujet d’étude pour de futures recherches sur le tourisme, qu’en tant que cible de

décisions en termes de gestion de l’offre touristique et du personnel dans ce secteur qui peine à maintenir sa

main d’œuvre.

Parmi les participants à cette étude, Florence, Ariane, Hélène, Alexandre, Isabelle et Florian sont ceux qui se

rapprochent le plus de cette figure, car tous sont engagés en tourisme et ont une conscience assez claire de

leur place dans ce secteur, qui lui-même occupe une place importante dans leur parcours professionnel.

3.2. Le professionnel de l’accueil

Cette figure est celle de la personne qui travaille en tourisme non pas par choix délibéré, mais parce que son

emploi en accueil se trouve, à ce moment de son parcours professionnel, dans un lieu touristique. Le

professionnel de l’accueil est donc principalement engagé dans un emploi en accueil, un emploi relationnel,

mais peu importe que celui-ci soit en tourisme ou dans un autre secteur d’activité. Ainsi, contrairement au

professionnel du tourisme, son attachement est lié à des éléments connexes au tourisme, comme l’entreprise

ou le type d’emploi.

Les savoirs mobilisés par les personnes de ce type sont plus cloisonnés que ceux des professionnels du

tourisme, dans la mesure où ils sont plus adaptés à leur activité professionnelle qu’à l’expérience touristique.

Savoirs et savoir-faire seront donc principalement orientés vers les prérogatives liées à l’emploi plus que vers

la satisfaction des touristes et le fait de leur faire vivre une expérience particulière. Le visiteur est en fait pour

elles un client ordinaire, sans caractéristiques particulières, et ses attentes en tant que touriste ne sont pas

forcément considérées. Les pratiques d’accueil sont très professionnelles, mais dépendent, elles aussi, des

impératifs de l’emploi plus que de la nature de la clientèle : elles vont se contenter de fournir un accueil qui

répond aux standards demandés par leur emploi. À ce titre, on peut également dire que ces personnes

considèrent leur clientèle comme des usagers, plus que comme des clients.

Page 157: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

146

Leur rapport au lieu touristique est limité, dans la mesure où il n’est pas central dans leur activité professionnelle,

bien qu’ils apprécient le lieu. Elles le considèrent moins comme un lieu de travail que les professionnels, étant

plus attachées à leur organisation. Elles ne sont toutefois pas vraiment capables d’en profiter sur un mode

secondaire, notamment en raison d’aspects comme l’achalandage ou le fait de croiser le même type de clientèle

dans la rue. Le lieu comme espace de secondarité reste tout de même plus supportable pour elles, et elles en

ont un usage un peu plus large que les professionnels en tourisme.

Les professionnels de l’accueil sont ce que j’appelle des travailleurs pour le tourisme, plus qu’en tourisme,

puisqu’ils pourraient très bien occuper le même emploi dans un autre secteur. L’important pour eux n’est pas le

tourisme comme pour les professionnels, mais l’accueil en tant que tel, quelle que soit la clientèle. Il s’agit tout

de même de professionnels, dans la mesure où ils manifestent une certaine conscience professionnelle sans

qu’elle soit toutefois orientée vers le tourisme en particulier.

Romain, David, Diane, Juliette et Marie sont les participants qui se rapprochent le plus de ce type de travailleurs,

dans la mesure où ils sont principalement attachés à leur organisation, et que le tourisme n’est qu’un aspect de

leur travail qui ne revêt pas d’importance prépondérante.

3.3. Le « passager clandestin »

Il s’agit ici des travailleurs en tourisme qui sont les moins intégrés, les moins engagés. Ce sont des personnes

qui se retrouvent à travailler dans ce secteur par hasard ou par commodité, ou même encore en dépit de leurs

propres envies ou de leur volonté. Ici, non seulement le tourisme est entièrement secondaire, voire trivial ou

problématique, mais même l’emploi occupé ne possède que peu d’intérêt. Ils n’ont donc pas d’attachement au

tourisme ni d’attachement à leur organisation ou à leur domaine d’activité. Ils préfèreraient faire autre chose, et

prévoient souvent une porte de sortie à plus ou moins court terme.

Comme ils n’ont aucun intérêt pour le tourisme, le savoir qu’ils véhiculent est très limité, se contentant

principalement de raconter ce que leurs expériences personnelles leur ont appris, sans chercher à valider leur

savoir ou à s’assurer qu’il soit véridique ou adapté au type de clientèle. Fait intéressant malgré tout, le savoir

personnel qu’ils véhiculent n’est pas forcément dénué d’intérêt pour les touristes, puisqu’il se rapproche le plus

du savoir « authentique », du savoir local que certains viennent chercher en voyageant.

Un problème ici vient du manque occasionnel de professionnalisme dans les pratiques d’accueil, souvent

conditionnelles au type de clientèle, ou encore à l’humeur du moment, et sujettes à l’« anomie », c’est-à-dire à

l’absence de norme, ce qui peut parfois causer certaines difficultés dans la relation à l’autre. Les risques de

manque d’hospitalité ou d’excès de maternage sont plus importants et peuvent avoir des répercussions

importantes sur la qualité de l’accueil.

Page 158: La culture professionnelle des travailleurs en accueil ......La culture professionnelle des travaill eurs en accueil touristique Une étude du Vieux -Québec Mémoire Christophe Prévost

147

Le rapport au lieu est pour eux secondaire, dans la mesure où de toute manière ils n’ont que peu d’intérêt pour

le tourisme. Cela ne veut pas dire qu’ils sont insensibles à ses qualités et ses suggestions, mais que celles-ci

ne jouent aucun rôle dans leur parcours professionnel. Le lieu touristique peut être un facteur de choix dans le

cadre d’un emploi particulier, mais il ne constitue pas une condition pour s’engager à travailler dans telle ou telle

entreprise. Par contre, leur engagement étant limité, la coupure au lieu nécessaire aux professionnels est pour

eux moins importante, puisque de toute manière leur travail est plutôt secondaire dans leur vie. Ils sont donc

plus à même d’apprécier le lieu touristique en dehors du travail, puisque contrairement aux professionnels, ils

n’ont pas forcément l’impression de continuer à travailler une fois sortis du lieu de travail.

André, Lucie, Alice et Nadège se retrouvent dans cette catégorie, puisque pour eux l’accueil et le tourisme

n’occupent qu’une place très limitée dans leur vie. Ils se sont retrouvés dans ce secteur par des concours de

circonstances plus que par choix raisonné, et ils se sont soit résignés à leur situation comme Alice, ou bien se

projettent dans un autre secteur d’activité à moyen ou à court terme. André est dans cette catégorie parce que

ce qui est ressorti de son discours était que bien qu’il se sente bien dans son emploi, accueil et tourisme ne

semblaient pas y avoir d’importance particulière. Il semblait assez détaché de tous ces aspects, comme si son

emploi était principalement un emploi « alimentaire », sans qu’il y ait d’engagement ou d’attachement particulier.

Évidemment, il existe d’importantes variations entre les différents travailleurs et aucun individu ne correspond

parfaitement à ces catégories, mais je pense que cette typologie apporte une vue intéressante de l’emploi en

tourisme. Il va de soi que c’est dans la catégorie des professionnels en tourisme que l’expression d’une culture

professionnelle propre à ce secteur est la plus forte, ainsi que la conscience de faire partie d’un groupe

particulier. Chez les autres, on retrouve certains éléments de cette culture, mais à des degrés moindres, et qui

ne sont pas vraiment des facteurs identitaires, comme cela peut être le cas dans la première catégorie. Et bien

sûr, si les constats apportés ici sont valables dans le cas des travailleurs en accueil touristique dans le Vieux-

Québec, ils auraient valeur d’hypothèses ou de points de comparaison si l’on s’intéressait aux travailleurs en

tourisme qui ne sont pas en contact avec la clientèle, ou encore dont les activités se déroulent dans un autre

lieu touristique.

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148

CONCLUSION

Retour sur les principaux résultats

L’intérêt de ce mémoire est de porter un regard novateur sur les travailleurs en tourisme, en les considérant

comme un groupe professionnel particulier partageant une réalité commune, et de dégager un portrait général

de cette population à travers ses expériences et ses représentations. Il ne s’agissait pas de faire une étude des

pratiques inhérentes au travail en tourisme et de comparer chaque emploi lié de près ou de loin au tourisme,

mais de voir si tous les travailleurs de ce secteur, indépendamment de leurs emplois respectifs, partageaient

une culture professionnelle commune.

Il était d’abord nécessaire de cibler certains points communs à la plupart de ces travailleurs. Cela nous a amenés

à nous intéresser à ceux qui partagent un même environnement social – la présence d’une clientèle touristique,

et la pratique d’une relation de service avec cette clientèle – et le même environnement physique – le lieu

touristique, ici le Vieux-Québec, espace relativement enclavé et dont l’offre touristique est principalement

centrée sur la découverte et le tourisme culturel. Nous voulions comprendre pourquoi et comment certaines

personnes se retrouvent à travailler dans le secteur touristique, pourquoi elles décident d’y rester ou bien font

le choix d’en sortir, ce que nous avons abordé à travers les notions d’engagement et d’attachement. Mais

surtout, l’objectif de ce mémoire était de saisir les modalités et l’importance des rapports entretenus par les

travailleurs en tourisme avec la clientèle touristique, à travers la notion d’accueil et celle de relation de service,

ainsi que les modalités et l’importance des rapports au le lieu touristique, à travers ses usages, ses

représentations et la valence territoriale lui étant attribués dans le cadre de leurs activités professionnelles.

Puisqu’il était question de comprendre les représentations que les travailleurs en accueil touristique ont du

tourisme, des touristes et du lieu touristique, le choix de faire des entretiens individuels est apparu comme le

plus pertinent.

Il ressort de l’analyse du discours des quinze participants à cette étude qu’il semble difficile pour les travailleurs

du tourisme de développer une conscience claire de la spécificité de ce secteur d’activité. Pour un nombre

important d’entre eux, le tourisme n’est vécu que comme une sorte de contingence professionnelle, un aspect

secondaire de leur emploi. Attachés à leur branche professionnelle (restauration, hôtellerie, vente, etc.), à leur

entreprise, ou ne travaillant dans ce secteur que « faute de mieux » ou par obligation, beaucoup n’ont pas de

conscience claire de la place du tourisme dans leur expérience professionnelle. Parler d’un groupe social

homogène et d’une culture professionnelle partagée par tous ces travailleurs pourrait donc sembler délicat, voire

impossible. Pourtant, malgré la diversité des parcours professionnels et les multiples variations en termes

d’engagement et d’attachement au tourisme, tous partagent une même réalité, et certains développent même

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une certaine conscience de groupe, même si, bien souvent, celle-ci demeure embryonnaire. Et si certains

donnent l’impression de travailler pour le tourisme, c’est-à-dire sans donner beaucoup de crédit à ce secteur,

un certain nombre, parmi les plus engagés, expriment le sentiment de travailler véritablement en tourisme, c’est-

à-dire avec une conscience claire de leur position dans ce domaine. Parmi ces derniers, quelques-uns en

viennent même à s’attribuer des qualités individuelles les prédisposant à un engagement professionnel en

tourisme, ce qui demande selon eux des capacités particulières et une forme de vocation professionnelle, faisant

du tourisme un secteur d’activité particulier qui n’est accessible qu’aux plus dévoués.

Indépendamment de leurs différences en matière d’engagement et d’une certaine difficulté à se considérer

comme un groupe professionnel homogène, tous les travailleurs rencontrés dans le cadre de cette étude

partagent tout de même certains éléments d’une culture commune, en termes de savoirs, de savoir-faire et de

valeurs. Ces savoirs et ces savoir-faire partagés ne sont pas à rechercher du côté des pratiques spécifiques à

des emplois particuliers, mais plutôt dans le rapport entretenu avec la clientèle touristique. Plutôt que de savoirs

et de savoir-faire techniques, il est apparu que la plupart des travailleurs mobilisent certaines formes de

connaissances et de pratiques d’accueil qui prennent surtout sens dans la finalité de l’acte d’accueil touristique.

En partageant des connaissances relatives à la culture locale, au lieu ou à d’autres aspects de la destination

touristique, en accueillant le visiteur comme un individu méritant d’être accueilli, et en offrant l’hospitalité au

touriste, les travailleurs en accueil touristique participent en grande partie à l’expérience touristique des visiteurs.

Ils prennent ainsi conscience du fait de travailler non pas uniquement pour les touristes, ni pour eux-mêmes,

mais pour la destination dans son ensemble, et de faire partie d’une offre touristique dont la finalité est de

promouvoir et de mettre en valeur le lieu dont ils sont, à plusieurs égards, des ambassadeurs. Acte permettant

de satisfaire à la fois les touristes et les travailleurs, l’accueil n’en reste pas moins un acte professionnel, dont

la dimension de maternage est restreinte aux limites associées à la vie professionnelle, et ne dépasse qu’en de

très rares occasions cette frontière pour s’immiscer dans la vie privée. De manière générale, les travailleurs de

l’accueil restent des professionnels du tourisme, dans la mesure où malgré tout le plaisir éprouvé dans le contact

avec les visiteurs, ces derniers demeurent une clientèle, sujette d’une relation de service marchand.

Tout aussi central que la relation de service et l’accueil des touristes, le rapport au lieu touristique est le second

élément à considérer pour comprendre la culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique. À la fois

lieu de travail dépassant le cadre de l’entreprise et produit à vendre, le lieu touristique est apparu comme étant

au cœur de l’expérience de travail en tourisme. En tant qu’objet central de la visite des touristes, il est nécessaire

pour les travailleurs en accueil de vanter les attributs du lieu, de le présenter sous son meilleur angle afin

d’agrémenter leur séjour. Mais cette centralité du lieu dans l’offre de service touristique engendre bien souvent

une conception de l’espace touristique comme une extension du lieu de travail. Pour certains, cet espace en

vient même à devenir plus important que l’entreprise elle-même. Dès lors, la coupure nécessaire à la détente et

au décrochage du travailleur ne peut avoir lieu sans coupure avec le lieu touristique, qui ne peut alors plus être

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150

un lieu de résidence, ni même un lieu de détente ou de sorties. Le quartier touristique étant un lieu exclusivement

dédié à la primarité professionnelle, ses usages secondaires se font en famille ou avec des amis, dans le cadre

de visites guidées par le travailleur. Il conserve alors de manière constante ses attributs de produit à vendre, de

lieu à présenter et à valoriser, et ce quel que soit le contexte. Les représentations associées au lieu touristique

par les travailleurs en tourisme sont donc généralement liées à leur activité professionnelle, et malgré tout le

plaisir éprouvé à y travailler, il leur est impossible de le considérer autrement qu’à travers le prisme de l’accueil

touristique, également pratiqué avec les proches qu’ils amènent en visite.

Malgré les importantes variations d’engagement et d’attachement au tourisme, l’existence d’une culture

commune aux travailleurs en accueil touristique, en termes de savoir, de savoir-faire et de représentations

semble donc être validée. Et ce que ce mémoire montre également, c’est qu’en offrant l’hospitalité aux visiteurs,

en instaurant une relation de face à face égalitaire entre les touristes, reconnus comme des personnes dignes

d’être accueillies et les travailleurs en accueil, en leur offrant l’aide et les informations nécessaires à un séjour

agréable et à la satisfaction de leurs attentes, ces travailleurs partagent une culture de l’accueil qui se définit

principalement par sa finalité : offrir une expérience touristique plaisante, authentique et originale aux touristes.

Et cette finalité dépasse le simple cadre de l’interaction entre deux individus se retrouvant dans une relation

d’échange favorisant le développement personnel de l’un comme de l’autre, pour s’ancrer dans une finalité

commune à tous ou presque, qui est la promotion du lieu touristique, la promotion de la destination, de la ville

et de la culture québécoise. Sans forcément s’en rendre compte, les travailleurs en tourisme, en offrant

l’hospitalité aux visiteurs, partagent des connaissances communes et complémentaires, un savoir-faire d’accueil

et des valeurs communes, et surtout constituent, ensemble, le groupe professionnel central de l’offre touristique

de la destination. Tous ces éléments font de l’expérience du travail en tourisme une expérience partagée, et

sont autant d’aspects d’une culture professionnelle d’un groupe qui a cependant du mal, pour le moment, à

prendre conscience de soi et à se penser en tant que tout homogène, d’autant que les responsabilités de service

assignées à chacun renvoient à un éventail de « métiers » différents, mais complémentaires.

Un modèle transposable?

Nous avons souligné dans ce mémoire qu’il serait intéressant d’étudier les travailleurs en accueil touristique

œuvrant dans d’autres lieux touristiques, avec des propositions différentes du Vieux-Québec, par exemple

stations ou des villes festives, tout en conservant le cadre proposé ici, c’est-à-dire en prenant en considération

la place de l’accueil et du rapport au lieu. En effet, le lieu semble façonner la relation que les travailleurs

entretiennent avec le tourisme et les touristes : puisque chaque lieu est différent, les savoirs et les

connaissances qui lui sont associés sont eux aussi différents; puisque chaque lieu propose des activités

différentes, les rapports entretenus au lieu peuvent également être différents; puisque chaque lieu est différent,

les clientèles ne sont pas les mêmes, les attentes perçues sont donc elles aussi différentes et les rapports

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entretenus avec la clientèle touristique sont donc marqués en conséquence. Par exemple, le Vieux-Québec est

un lieu épuré de la grande majorité des bars, clubs et autres établissements festifs, au profit d’un tourisme de

découverte, culturel et donc fréquenté majoritairement par une population touristique réservée. Peut-on imaginer

que les rapports des travailleurs en accueil touristique avec les touristes dans des villes plus festives et donnant

lieu à des situations plus excessives – abus d’alcool, usage de drogues, prostitution, etc. – comme Montréal,

soient identiques? Transposer ce modèle d’analyse de la culture professionnelle des travailleurs en tourisme

dans ce type d’environnement permettrait éventuellement de le valider, et aussi de vérifier l’existence d’une

culture professionnelle plus globale que celle présentée ici, qui est peut-être spécifique à Québec, et

éventuellement à d’autres lieux proposant les mêmes formes d’activités.

Une approche interactionniste et « environnementale » de la culture

professionnelle

Considérer l’ensemble des travailleurs en tourisme comme une seule et même catégorie n’avait jamais été fait

auparavant et permet d’avoir une meilleure compréhension de ces personnes. Cela a été possible en utilisant

un angle d’approche particulier, puisqu’au lieu de considérer l’emploi en tourisme à l’aune des pratiques et des

spécificités de chaque type d’emploi, j’ai choisi de m’intéresser à l’environnement de travail dans son ensemble.

J’ai décidé de m’intéresser à ce qui structure la culture professionnelle non pas de l’intérieur de la profession,

puisque nous avons affaire à des intérieurs, mais par ce qui l’encadre, le contexte dans lequel prend place la

profession, à savoir les éléments extérieurs que sont le cadre physique – le lieu touristique – et le cadre social

– la relation d’accueil. Il s’agit donc d’une approche contextualisée, environnementale de la profession et de la

culture professionnelle.

Cette approche pourrait être également transposée à l’étude d’autres types d’emplois segmentés afin de montrer

l’importance non pas uniquement des représentations, des savoirs et des savoir-faire dans le cadre de l’exercice

du travail, mais aussi de la façon dont ils s’intègrent et se nourrissent de l’environnement dans lequel ils prennent

place. L’intérêt de cette perspective est de considérer le lieu de travail dans son contexte qui en fait plus un lieu

physique, et que l’entreprise n’est finalement qu’un élément parmi d’autres de l’environnement de travail. Il est

évident que peu de professions, peu d’emplois, ont un rapport aussi fort au quartier que le tourisme. On pourrait

cependant imaginer transposer cette approche à l’étude d’autres emplois qui semblent éclatés, mais qui restent

liés à un environnement de travail particulier et des relations de services particulières. Il pourrait s’agir d’études

sur la culture partagée par les agents immobiliers et les notaires, qui se partagent l’accueil de nouveaux

résidents dans une municipalité commune, ou encore sur les enseignants et les autres travailleurs d’une école :

ces deux situations impliquent des tâches différentes, mais une relation de service socialisée dans un lieu et la

formation d’un lien communautaire.

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L’intérêt d’une telle approche est également de mieux comprendre le rapport au travail des personnes qui

occupent ce que l’on appelle des « jobs », des emplois souvent mal considérés, pas toujours bien rémunérés,

où les travailleurs sont souvent dépossédés de la finalité de leurs emplois. En s’appuyant sur des aspects qui

semblent secondaires de leurs emplois, comme la place de la relation de service et le rapport au lieu, peut-être

pourrions-nous mieux saisir comment ces personnes vivent leurs situations et s’adaptent à des emplois qui

peuvent parfois sembler, vu de l’extérieur, pénibles, peu intéressant, voire apparaître comme des

« sous-emplois » ou des emplois de « seconde zone ».

Recommandations aux gestionnaires du tourisme

Pour terminer ce mémoire, j’aimerais adresser quelques recommandations aux gestionnaires en tourisme, et à

toutes les personnes qui s’interrogent sur la façon de recruter, de gérer et de retenir le personnel touristique. En

essayant de les considérer sans se cantonner à un sous-secteur ou un autre, cette étude permet d’avoir un

portrait global des travailleurs en tourisme, et de comprendre leurs motivations à travailler dans ce secteur, aux

parcours qui les ont amenés à s’engager en tourisme, ou au contraire à en sortir. En faisant apparaître une

culture professionnelle commune, alimentée par le rapport au lieu touristique et l’accueil de touristes, je pense

que cette approche et cette étude peuvent amener les gestionnaires à mieux saisir les enjeux de gestion et de

rétention de personnel touristique. Il est important de saisir :

- qu’un grand nombre de travailleurs en tourisme partagent une activité d’accueil de la clientèle

touristique, qui possède des particularités importantes comme sa situation de secondarité (par rapport

à une clientèle corporative par exemple);

- que cette activité demande une certaine connaissance du lieu touristique – qui n’est pas

l’entreprise – et un rapport d’identification particulier à ce lieu, qui n’est pas forcément apprécié pour

soi, mais plutôt pour autrui, en tant que lieu à faire visiter et à présenter;

- que l’accueil est central dans la construction de la valence du lieu et de l’expérience recherchée par le

touriste, dont dépend l’industrie.

En prenant tout cela en considération, les gestionnaires pourraient être plus aisément à même de trouver quels

incitatifs mettre de l’avant pour attirer et retenir cette population. Il pourrait par exemple être pertinent d’outiller

adéquatement les travailleurs de ce secteur, suffisamment pour qu’ils soient capables d’offrir aux touristes ce

qu’ils désirent en termes d’expérience touristique, par exemple en termes de connaissances des activités

proposées en saison touristique. Peu de travailleurs rencontrés étaient en effet au courant de l’offre d’activité

du quartier. Certains auraient également aimé avoir plus de connaissances sur le lieu en tant que tel afin de

mieux renseigner les visiteurs. Il faut bien que les gestionnaires se rendent compte que ce type de

connaissances ne sont pas désirables uniquement pour les guides, mais bien pour l’ensemble des travailleurs

en tourisme. Je ne dis pas qu’il faut que chaque travailleur ait les mêmes connaissances historiques, culturelles,

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architecturales, etc. que les guides : il existe une certaine forme de division du travail qui, selon moi, n’est pas

nuisible au tourisme ni à la destination, et qui au contraire participe pleinement de l’expérience touristique. Mais

il serait pertinent, je pense, de donner l’opportunité aux personnels d’accueil de parfaire et de partager leurs

connaissances du lieu afin de mieux satisfaire les touristes. Cela permettrait également, je pense, d’améliorer

leur satisfaction au travail en leur offrant un sentiment d’accomplissement et d’enrichissement personnel. À mon

avis, cela favoriserait la rétention du personnel, qui se sentirait peut-être un peu plus investi dans son travail, en

tant qu’« ambassadeur » de la ville notamment.

Permettre aux travailleurs en tourisme de profiter des activités du lieu touristique, en proposant par exemple des

réductions sur les activités, ou toute autre forme d’incitation à la participation permettrait également de favoriser

le recrutement et la rétention du personnel touristique. Le lieu est important pour ces personnes, mais elles ont

peu l’occasion d’en profiter, en raison du prix et des horaires des activités à faire, qui coïncident souvent avec

leurs heures de travail. En trouvant un moyen de les laisser participer aux activités proposées par le lieu, il se

pourrait que ce type d’avantages en nature incite un certain nombre à trouver suffisamment d’aspects positifs

pour rester dans ce secteur, tant physique (le quartier) que professionnel (le tourisme). Ce genre d’avantages

est d’ailleurs pratiqué dans certaines stations de ski, où les travailleurs bénéficient de réductions sur les passes

de remontées mécaniques, sous réserve de présentation d’un contrat de travail notamment. Ce genre

d’avantages en nature est plus difficile à mettre en place dans un lieu comme le Vieux-Québec, qui n’est pas un

lieu de divertissement et qui ne propose pas ce type d’activités, mais il reste possible de trouver des incitatifs

favorisant l’implication des travailleurs dans le travail en tourisme.

En montrant l’importance de l’hospitalité et en faisant la lumière sur les types de savoir que les travailleurs de

ce secteur mobilisent pour accueillir les visiteurs, je pense que ce mémoire peut donner des pistes de réflexion

que les gestionnaires de ce secteur pourraient mettre en œuvre afin de grandement améliorer la qualité de

l’accueil, à Québec comme ailleurs. En s’interrogeant sur les suggestions du lieu qu’ils désirent mettre en valeur,

en prenant conscience de ce qui fait, pour le touriste, une expérience touristique réussie, et surtout en

considérant les travailleurs en accueil touristique comme un ensemble relativement homogène pour ce qui est

de partager une expérience professionnelle axée sur le rapport aux visiteurs et au lieu touristique, les

gestionnaires en tourisme pourraient, à mon avis, grandement contribuer à améliorer l’accueil touristique et les

conditions de travail du secteur touristique.

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ANNEXES

Annexe 1 : Typologie des lieux touristiques

Type Situation prétouristique

Mise en tourisme Fonctionnement Exemples

Sit

e

Site Rien ou point de vue, monument

Subversion totale ou partielle du lieu par le tourisme

Pas de fonction d'hébergement ou sans rapport avec la fréquentation, le lieu est uniquement fréquenté pour du passage.

Toute plage fréquentée par les touristes, château de Versailles, cirque de Gavarnie, Pointe du Raz.

Lie

ux

créé

s p

ar le

to

uri

sme

Comptoir Rien Invention, création ex nihilo

Maîtrise par un acteur ou promoteur en général. Lieu fermé où s'applique une réglementation spécifique. Fonction d'hébergement essentielle

Port-Grimaud, Avoriaz, Disney Resort Paris.

Station Rien Invention, création ex nihilo

Discontinuité spatiale et socio-économique avec l'environnement. Lieu ouvert, acteurs et promoteurs plus ou moins nombreux. Fonction d'hébergement essentielle.

La Baule jusque vers 1970.

Station-ville Rien Invention par le tourisme puis diversification par le développement de nouvelles fonctions en filiation ou non avec le tourisme

Lieu devient polyfonctionnel mais la fonction touristique demeure vivace. Fonction d'hébergement reste importante mais, parfois, le taux de fonction touristique peut diminuer par rapport à l'état de station.

La Baule aujourd'hui, Benidorm, Cannes.

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Type Situation prétouristique

Mise en tourisme Fonctionnement Exemples

Lie

ux

inve

stis

par

le t

ou

rism

e Couple ville-station

Ville Juxtaposition d'un quartier touristique de type station (crée par et pour le tourisme) à un noyau ancien avec agglomération

Persistance d'une polyfonctionnalité au sein d'une même entité. La fonction d'hébergement est essentielle et concentrée dans la partie station de la ville.

Les Sables-d'Olonne, Agadir, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Palma de Majorque, Nice.

Ville ou village touristifiés

Ville ou village Subversion du lieu par le tourisme devenu fonction essentielle

Structure spatiale originelle patrimonialisée et subvertie par le tourisme et extensions liées au tourisme.

Megève, Saint-Tropez, Val-d'Isère, Les Eyzies-de-Taillac, Venise, Bruges.

Ville ou village à fonction touristique

Ville ou village Insertion d'une fonction touristique dans l'espace, territorialisation touristique de certains secteurs de la ville

Insertion d'une fonction touristique sans modification fondamentale de la structure urbaine d'ensemble.

Paris, Londres, Rome, et toutes les grandes villes du Monde généralement.

Ville ou village étape

Ville ou village La fonction touristique est limitée à l'hébergement

Beaune Tours, Füssen.

Source : M.I.T., 2002

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Annexe 2 : Carte du Vieux-Québec

Source : UNESCO

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Annexe 3 : Guide d’entretien

Bloc I : L’engagement en tourisme

A. J’aimerais d’abord que vous racontiez votre parcours professionnel et personnel avant de travailler en tourisme. Mais commencez par me parler de qui vous étiez et de ce que vous faisiez avant de travailler en tourisme.

Sondes

1. Trajectoire personnelle

1.1 Parcours scolaire et impact sur la trajectoire

1.2 Emplois

1.2.1 Emplois occupés et impact sur trajectoire¸

1.2.2 Emploi actuel et motivations

1.2.2.1 Aspirations professionnelles et personnelles

1.2.2.2 Choix ou hasard

1.2.2.3 Influences menant au choix ou hasard et impact sur la trajectoire

1.3 Implication/intégration

1.3.1 Motivations initiales (intérêt pour le tourisme, salaire, facilité d’embauche, pas besoin de formation, acquérir des compétences, rythme de travail, environnement de travail, milieu de travail, relations avec les autres travailleurs, relations avec les touristes, activités extra-professionnelles, autre(s))

1.3.2 Motivations à poursuivre (intérêt pour le tourisme, salaire, acquérir des compétences, conditions de travail, rythme de travail, milieu de travail, environnement de travail, facilité de réembauche, sentiment d’accomplissement, reconnaissance, relations avec les autres travailleurs, relations avec les touristes, activités extra-professionnelles, autre(s))

1.3.3 Obstacles (conditions de travail, salaire, rythme de travail, manque de temps, statut, précarité d'emploi, manque de reconnaissance, autre(s)

1.3.4 Sentiment d’engagement/implication (se sent impliqué et engager dans le tourisme, se sent détaché)

1.3.5 Contexte ayant mené à l’engagement (sollicitation, obligation, motivation individuelle, autre(s)

1.3.6 Modèles d’engagement (parent(s), famille élargie, amis, patron(s), collègues, autre(s)

1.3.7 Projection dans l’avenir

1.3.7.1 Motivations à rester en tourisme

1.3.7.2 Obstacles

1.4 Pratiques hors travail

1.4.1 Activités de loisir

1.4.2 Activités de voyage

1.4.3 Activités sociales (famille amis)

1.4.4 Environnement social

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2. Tourisme et accueil

2.1 Tourisme

2.1.1 Conception du tourisme

2.1.1.1 Centralité

2.1.1.2 Finalité

2.1.2 Pratiques touristiques

2.1.3 Place des touristes

2.1.4 Image des touristes

2.1.4.1 Centralité

2.1.4.2 Hiérarchie, différences

2.1.4.3 Rapports (négatifs, positifs, neutres)

2.1.4.4 Contacts (uniquement dans le cadre du travail, dépassent le travail)

2.2 L’accueil

2.2.1 Centralité et finalité

2.2.1.1 Pour soi (acquérir de nouvelles expériences professionnelles. Acquérir de nouvelles expériences personnelles, rencontrer de nouvelles personnes, impression de voyager, pratiquer ses langues, envie d’ouvrir son propre commerce, c’est juste un travail comme les autres, autre(s))

2.2.1.2 En rapport avec les autres (partager ses expériences, connaître d’autres cultures, faire connaître sa propre culture, faire en sorte que les touristes apprécient le Québec/la communauté québécoise, aider les autres, autre(s))

B : Pouvez-vous me parler de vos pratiques d’accueil, en pensant par exemple à une journée type ou une interaction type avec un client/touriste.

2.2.2 Pratiques

2.2.2.1 Maternage (chaque client est unique, je vais au-delà des attentes des clients, je fournis une aide matérielle qui ne soit pas dans mes tâches officielles, touché par les problèmes de voyage des clients, aime surprendre les clients par des petits soins, est prêt à faire des sacrifices pour agrémenter le séjour des clients, prend en charge le séjour des clients, heureux(se) de servir le client, traite le client aux petits oignons invite les clients à demeurer plus longtemps, invite les clients à revenir de nouveau, s’occupe des clients quand ils en ont besoin, est toujours de bonne humeur)

2.2.2.2 Reconnaissance (désire vraiment voir les clients, honoré de voir les clients, donne de l’importance aux clients, est content( e) de voir les clients, viens vers le client lorsqu’il arrive, donne une attention particulière aux clients, appelle les clients par leur nom quand l’occasion s’y prête, reconnait généralement les clients quand ils reviennent à plusieurs reprises, accueille avec une poignée de main, accueille les clients en souriant, accueille les clients en disant bonjour ou bienvenue, parle au client avec une voix agréable, est poli( e) avec les clients, fait signe aux clients que je l’ai aperçu, a une attitude juste envers les clients)

2.2.2.3 Hospitalité (essaye de parler la langue des clients, offre des cadeaux aux clients, change ses habitudes pour répondre aux besoins des clients, fournit l’aide nécessaire à la résolution des problèmes des clients, fournit toujours l’information

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désirée par les clients, met le client à l’aise de discuter, demande au client comment l’aider, fait en sorte que le client se sente de la « famille », prend le temps de mieux connaître les clients personnellement, invite les clients à entrer)

C : Pouvez-vous me parler de votre expérience actuelle, en commençant par me dire comment vous en êtes venus à occuper cet emploi ?

Bloc II : l’intégration au quartier

D : j’aimerais maintenant que vous me parliez du Petit-Champlain, de la façon dont vous percevez le quartier et de votre rapport à celui-ci.

E : le quartier joue-t-il un rôle dans le choix du travail que vous occupez ?

Sondes

3. Résidence dans le quartier

3.1 Connaissance du quartier

3.1.1 Aspect global (géographie, histoire, activités et commerces)

3.1.2 Aspect social (connaissance des résidents, connaissance des travailleurs du quartier)

3.2 Intégration au quartier

3.2.1 Motivations à résider dans le quartier (esthétique, vie sociale, activités, tranquillité, histoire, tourisme/présence des touristes, activités proposées dans le quartier, autre(s))

3.2.2 Motivations à travailler dans le quartier (proximité, intérêt pour le tourisme, intérêt pour l’accueil, vie sociale, activités proposées dans le quartier, autre(s))

3.2.3 Activités extra-professionnelles dans le quartier (fréquentation des bars/pubs du quartier, fréquentation des restaurants du quartier, participation aux activités du quartier, fréquentation du quartier sans participation aux évènements et activités proposées, autre(s))

3.2.4 Obstacles/inconvénients (achalandage, bruit, activités trop nombreuses, prix, manque de vie sociale, manque d’activités en dehors des évènements de la saison, manque de commerces, manque de services, autre(s)

4. Résidence hors du quartier

4.1 Connaissance du quartier

4.1.1 Aspect global (géographie, histoire, activités et commerces)

4.1.2 Aspect social (connaissance des résidents du quartier, connaissance des travailleurs du quartier)

4.2 Intégration

4.2.1 Motivations à résider hors du quartier (prix, éloignement du lieu de travail, vie sociale, activités, commerces, achalandage, bruit, tourisme/touristes, autre(s)

4.2.2 Motivation à travailler dans le quartier (esthétique, histoire, intérêt pour le tourisme, intérêt pour l’accueil, vie sociale, contact avec les touristes, proximité des grands évènements, autre(s))

4.2.3 Activités extra-professionnelles dans le quartier (fréquentation des bars/pubs du quartier, fréquentation des restaurants du quartier, participation aux activités proposées

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dans le quartier, fréquentation du quartier sans participer aux évènements et activités proposées, autre(s))

4.2.4 Obstacles/inconvénients (distance du lieu de travail, problèmes de transport, distance de la vie sociale, sentiment d’intégration/rejet, désire vivre dans le quartier mais ne peut pas en raison du prix/disponibilité logement, autre(s))

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Annexe 4 : Lettre de sollicitation

La culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique Une étude du Vieux-Québec

Madame, Monsieur,

Dans le cadre de mon mémoire de sociologie, je réalise une enquête sur les professionnels de l’accueil en tourisme dans le secteur du Vieux-Québec. Cette enquête vise à déterminer la relation qu’entretiennent les professionnels du secteur touristique avec les touristes, ainsi que leur propre représentation de leur activité, du tourisme en général, mais aussi du quartier dans lequel ils travaillent et socialisent.

Pour mener à bien cette étude, j’effectuerai des entrevues individuelles, à partir de juillet prochain, auprès de divers acteurs de l’industrie touristique dans le secteur du Vieux-Québec. Je sollicite votre participation en tant que professionnel dans ce milieu pour prendre part à l’une de ces entrevues individuelles, laquelle sera d’une durée d’environ une heure. Si vous acceptez de participer à l’enquête, je pourrais me déplacer au lieu de votre choix. Les questions abordées lors de cette entrevue concernent vos perceptions sur votre emploi, le tourisme, les touristes, le quartier et la manière dont vous vous représentez votre place dans le secteur touristique. Les entrevues feront l’objet d’un enregistrement audio sur support numérique. Toutes les données recueillies dans le cadre de cette enquête demeureront strictement confidentielles.

Dans les jours à venir, vous recevrez une invitation par courrier électronique pour savoir si vous êtes disposés à participer à cette recherche et, si vous le désirez, vous fournir plus d’informations sur celle-ci. En vous remerciant de votre collaboration, je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, mes plus sincères salutations.

Étudiant-chercheur

Christophe Prévost Note : Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : No d’approbation 2014-099 / 30-05-2014

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Annexe 5 : Formulaire de consentement

Présentation du chercheur

Cette recherche est réalisée dans le cadre du mémoire de maîtrise en sociologie de l’Université Laval par

Christophe Prévost, sous la direction de M. Dominique Morin, professeur adjoint au Département de sociologie

de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.

Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et de comprendre les

renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet de recherche, ses procédures, ses

avantages, ses risques et ses inconvénients. Je vous invite à poser toutes les questions que vous jugerez utiles

afin que vous ayez toutes les informations nécessaires sur lesquelles baser votre décision de participer.

Nature de l’étude

Cette recherche a pour objectif de comprendre les rapports que les professionnels de l’accueil en tourisme

entretiennent avec leur travail, avec les touristes et le tourisme en général. Je désire comprendre ce qui les

amène à travailler dans ce secteur d’activité, comprendre leur parcours professionnel, et aussi leur intégration

au secteur du Vieux-Québec et à la vie sociale qui peut exister à travers le tourisme dans ce secteur de la ville

de Québec. Enfin j’aimerais comprendre ce que représente l’accueil dans le processus touristique, son

importance et ses pratiques chez les professionnels du tourisme.

Déroulement de la participation

Votre participation à cette recherche consiste à participer à une entrevue individuelle, d’une durée d’une heure

environ, qui portera sur les éléments suivants :

1. Les représentions des professionnels de l’accueil en tourisme sur leur propre rôle dans le secteur

touristique

2. Les représentations des professionnels de l’accueil en tourisme sur les touristes

3. Les relations entre les professionnels de l’accueil en tourisme et les touristes

4. Les parcours professionnels, c’est-à-dire les choix, raisons et motivations qui ont conduit les

professionnels du tourisme à travailler dans ce secteur

5. Les représentations liées au Vieux-Québec et à la vie de quartier

6. Les pratiques hors travail

7. L’engagement des professionnels de l’accueil en tourisme dans leur activité professionnelle et dans la

vie de quartier

Les entrevues seront enregistrées sur support numérique audio. Les résultats obtenus par les entrevues

resteront confidentiels et anonymes lors de leur traitement.

Participation volontaire et droit de retrait

Vous êtes libres de participer à ce projet de recherche. Le participant n’est pas tenu de parler sur tous les sujets

abordés et demeure libre de répondre à toutes les questions qui lui seront posées. Vous pouvez mettre fin à

votre participation sans conséquences négatives ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision. Si vous

décidez de mettre fin à votre participation, il est important de prévenir le chercheur dont les coordonnées sont

incluses dans ce document. Tous les renseignements personnels vous concernant seront alors détruits.

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Confidentialité et gestion des données

Toutes les informations obtenues dans le cadre de cette recherche resteront confidentielles et anonymes. Seul

le chercheur y aura accès. Les noms et prénoms des participants de même que leurs titres, leurs fonctions et

tout autre renseignement susceptible de les rendre identifiables ne paraîtront dans aucun rapport. De plus, le

nom de votre employeur ou de votre entreprise restera confidentiel. Si des extraits d’entrevues devaient être

cités dans le rapport de recherche, ceux-ci seront présentés de façon à protéger l’anonymat des participants.

Les données et le matériel seront conservés au domicile du chercheur, dans son ordinateur personnel protégé

par mot de passe et un casier verrouillé par clé et seul le chercheur y aura accès. Toutes les données et tout le

matériel seront détruits après rédaction du rapport de recherche, soit à l’automne 2015.

Diffusion des résultats

Une copie du rapport faisant état des résultats de la recherche sera disponible sur le site du Département de

sociologie de l’Université Laval. De plus, vous pourrez communiquer avec l’étudiant-chercheur pour en avoir

une copie.

Renseignements supplémentaires

Si vous avez des questions sur la recherche ou sur les implications de votre participation, n’hésitez pas à

communiquer avec l’étudiant-chercheur.

Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour me permettre de réaliser cette étude, et je vous remercie d’y participer.

Consentement à la diffusion d’extraits

Acceptez-vous que certains extraits de votre entrevue soient cités dans le rapport de recherche? :

Oui : Non : .

Signatures

Je soussigné _____________________ consens librement à participer à la recherche intitulée :

« La culture professionnelle des travailleurs en accueil touristique : une étude du Vieux-Québec »

J’ai pris connaissance du formulaire et je me déclare satisfait(e) des explications, précisions et réponses que le

chercheur m’a fournies quant à ma participation à ce projet. Je comprends que je peux mettre fin à ma

participation en tout temps sans avoir à subir de conséquences ou de préjudice et sans devoir justifier ma

décision.

________________________________________ date : ______________

Signature du participant, de la participante

Je déclare avoir expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche

au participant, avoir répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées et avoir fait l’appréciation

de la compréhension du participant.

_______________________________________ date : ______________

Signature de l’étudiant-chercheur

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N.B.: la signature du chercheur (ou de son représentant) atteste qu’il s’est assuré que le participant comprend

bien la nature et les objectifs du projet et que celui‐ci donne un consentement libre et éclairé. Cette déclaration

ne peut figurer que sur un formulaire qui sera signé en présence du participant. Sinon, elle doit être supprimée.

Plaintes ou critiques

En cas de plaintes ou de critiques, le répondant est invité à contacter l’Ombudsman de l’Université Laval. Cette

démarche sera traitée de manière strictement confidentielle.

Bureau de l'Ombudsman

Pavillon Alphonse-Desjardins

Université Laval

2325, rue de l'Université, local 3320

Québec (Québec), G1V 0A6

Téléphone: 418 656-3081 (boîte vocale confidentielle)

Ligne sans frais: 1 866 323-2271

Télécopieur: 418 656-3846

[email protected]

Étudiant-chercheur

Christophe Prévost