la croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingt

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Monsieur Jean-Luc Bricout Béatrice Colin-Sédillot La croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingt In: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 31-43. Citer ce document / Cite this document : Bricout Jean-Luc, Colin-Sédillot Béatrice. La croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingt. In: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 31-43. doi : 10.3406/estat.1993.5807 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1993_num_268_1_5807

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Page 1: La croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingt

Monsieur Jean-Luc BricoutBéatrice Colin-Sédillot

La croissance externe des entreprises françaises à la fin desannées quatre-vingtIn: Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 31-43.

Citer ce document / Cite this document :

Bricout Jean-Luc, Colin-Sédillot Béatrice. La croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingt. In:Economie et statistique, N°268-269, 1993. pp. 31-43.

doi : 10.3406/estat.1993.5807

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1993_num_268_1_5807

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ResumenEl crecimiento externo de las empresas francesas a finales de los ochentaLa segunda mitad de los ochenta fue marcada por un fuerte crecimiento de las operaciones decrecimiento externo de las empresas francesas y europeas. Fueron sobre todo las grandes empresas,capaces de movilizar importantes recursos financieros, las que adquirieron participaciones de capitalque les permitieron penetrar con rapidez en los mercados extranjeros o alcanzar la talla cn'ticanecesaria al refuerzo de su competitividad. Sin embargo, la intensificaciôn del crecimiento externo nose hizo siempre en detrimento del crecimiento intemo, ya que unas cuantas firmas se apoyaron a la vezen las dos estrategias, o siguieron privilegiando la inversion produc- tiva.El anâlisis de las decisiones de inversion productiva y financiera senala que las estructuras de balance,el tamano y el origen sectorial establecen fuertes diferencias en la elecciôn de las estrategias decrecimiento aplicadas por las empresas. Si bien las tomas de control se realizan con prioridad ensectores con fuerte tasa de crecimiento y elevadas perspectivas de beneficio, la rentabilidad de laempresa que se pasa a controlar, interviene poco en la decision del adquiriente.

ZusammenfassungDas externe Wachstum der franzôsischen Unternehmen Ende der achtziger Jahregien verfolgt oder auch weiterhin den Ausrûstungsinves- titionen den Vorzug gegeben.Die zweite Hâlfte der achtziger Jahre war durch ein starkes externes Wachstum der franzôsischen undeuropâischen Unternehmen gekennzeichnet. Insbesondere die groBen Unternehmen, die betrâchtlicheFinanzmittel zu mobilisieren imstande sind, haben Kapitalbeteiligungen erworben, die ihnen ein raschesEindringen in die auslândischen Mârkte und das Erreichen der kritischen GrôBe ermôglichten, die fureine Stârkung ihrer Wettbewerbsfâhigkeit erforderlich ist. Die Inten- sivierung des extemen Wachstumserfolgte allerdings nicht immer zu Lasten des internen Wachstums, denn zahlreiche Unternehmenhaben gleichzeitig beide Strate-Aus der Analyse der Entscheidungen ùber die Investi- tionen in Ausrùstungsgùter oder inFinanzanlagever- môgen geht hervor, daB die Bilanzstruktur, die Unter- nehmensgrôBe und diesektorale Zugehôrigkeit bei der Wahl der jeweiligen Wachstumsstrategie eine entscheidende Rollenspielen. Obwohl die Ûbernahmen vorrangig in den Sektoren mit einem starken Wachstum und ûberausguten Gewinnaussichten erfolgen, kommt der Rentabilitât des betreffenden Unternehmens bei der Ent-scheidung des Erwerbers nur eine geringe Bedeutung zu.

AbstractFrench Corporate External Growth in the Late 1980sThe second half of the 1 980s saw a sharp rise in external growth operations by French and Europeancompanies. In the main it was the large companies, able to mobilize sizeable financial resources, thatacquired holdings enabling them to swiftly penetrate foreign markets or attain the critical size needed tostrengthen their competitiveness. Nevertheless, the steep upturn in external growth did notsystematically come about to the detriment of internal growth. A certain number of firms carried on thetwo strategies at the same time or continued to favour productive investments.An analysis of productive and financial investment decisions shows that companies implement a widevariety of growth strategies depending on balance-sheet structures, size and the sector in which thecompany operates. Although takeovers are found mainly in high-growth sectors with high profitprospects, the profitability of the target company has little to do with the acquirer's decision.

RésuméLa croissance externe des entreprises françaises à la fin des années quatre-vingtLa seconde moitié des années quatre-vingt a été marquée par un fort développement des opérations decroissance externe des entreprises françaises et européennes. Capables de mobiliser d'importantesressources financières, ce sont essentiellement les grandes entreprises qui ont acquis des parts decapital leur permettant de pénétrer rapidement sur les marchés étrangers ou d'atteindre la taille critiquenécessaire au renforcement de leur compétitivité. Néanmoins, l'intensification de la croissance externene s'est pas faite systématiquement au détriment de la croissance interne puisqu'un certain nombre defirmes ont mené les deux stratégies de front ou ont continué à privilégier l'investissement productif.

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L'analyse des décisions d'investissement productif et financier montre que les structures de bilan, lataille et l'appartenance sectorielle différencient fortement le choix des stratégies de croissance mises enœuvre par les entreprises. Si les prises de contrôle se font prioritairement dans des secteurs à fort tauxde croissance et à perspectives de profit élevées, la rentabilité de l'entreprise cible intervient peu dansla décision de l'acquéreur.

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ENTREPRISES

La croissance externe

des entreprises françaises

à la fin des années quatre- vingt

Jean-Luc Bricout et Béatrice Colin-Sédillot*

La seconde moitié des années quatre-vingt a été marquée par un fort développement des opérations de croissance externe des entreprises françaises et européennes. Capables de mobiliser d'importantes ressources financières, ce sont essentiellement les grandes entreprises qui ont acquis des parts de capital leur permettant de pénétrer rapidement sur les marchés étrangers ou d'atteindre la taille critique nécessaire au renforcement de leur compétitivité. Néanmoins, l'intensification de la croissance externe ne s'est pas faite systématiquement au détriment de la croissance interne puisqu'un certain nombre de firmes ont mené les deux stratégies de front ou ont continué à privilégier l'investissement productif.

L'analyse des décisions d'investissement productif et financier montre que les structures de bilan, la taille et l'appartenance sectorielle différencient fortement le choix des stratégies de croissance mises en œuvre par les entreprises. Si les prises de contrôle se font prioritairement dans des secteurs à fort taux de croissance et à perspectives de profit élevées, la rentabilité de l'entreprise cible intervient peu dans la décision de l'acquéreur.

* Jean-Luc Bricout, actuellement à la Direction des relations économiques extérieures (Dree), faisait partie, lors de la rédaction de cet article, de la division Statistiques structurelles des entreprises de l'Insee. Béatrice Colin-Sédillot fait partie de la division Marchés et stratégies d'entreprises de l'Insee.

Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d'article.

L'internationalisation croissante des économies, la reconstitution des marges et les

perspectives ouvertes par l'instauration du Marché unique en 1993 ont largement incité les groupes européens à réallouer leur capital productif et à s'orienter vers la conquête des marchés étrangers à la fin de la décennie. Ainsi, entre 1985 et 1990, les fusions ou les prises de participation majoritaire impliquant l'une des mille plus grandes entreprises de la Communauté européenne ont été multipliées par trois (Commission des Communautés européennes, 1991), tandis que les titres financiers dans le bilan des entreprises connaissaient une hausse exceptionnelle : au cours de cette décennie, les actions et participations possédées par les sociétés françaises passent de 9,5 % de l'actif patrimonial à plus de 31 % (1).

Si, depuis le début des années quatre-vingt-dix, le mouvement de croissance externe marque le pas, comme en témoigne le repli des investissements français à l'étranger qui passent de 147 milliards de francs en 1990 à 100 milliards en 1992, l'augmentation rapide des fusions-acquisitions à la fin de la décennie précédente continue de susciter de multiples questions. La réallocation de l'actif des sociétés répond-elle essentiellement à une logique industrielle de redéploiement de l'activité ou à une stratégie purement financière de diversification de portefeuille ? Faut-il redouter une substitution des placements financiers à l'inves-

/. L'envolée des cours boursiers dans la seconde moitié des années quatre-vingt a également contribué à la revalorisation des stocks de titres dans le patrimoine des sociétés.

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2. À l'exception des entreprises individuelles (dont l'activité financière est quasi nulle), l 'étude porte sur tous les types d'entreprises soumises au régime réel normal des bénéfices industriels et commerciaux à l'exception des grandes entreprises nationales dont le comportement financier est atypique. 3. Les assurances et organismes financiers, les auxiliaires financiers et d'assurances, la location et le crédit-bail ainsi que les promoteurs et sociétés immobilières sont exclus du champ en raison de leur forte activité financière. 4. Cette concentration des immobilisations financières dans les grandes entreprises peut s'expliquer par le fait que les titres de participation doivent représenter plus de 10 % du capital de la société cible. Ils constituent donc une forme de placement prioritairement réservée aux entreprises disposant de ressources financières suffisantes.

tissement physique ou considérer les prises de contrôle comme la condition nécessaire d'une plus grande compétitivité des firmes à long terme ? L'augmentation des prises de participation a-t-elle concerné un petit nombre de firmes dont l'activité financière était déjà développée ou s'est-elle diffusée dans des entreprises qui privilégiaient jusqu'alors la croissance interne ?

L'analyse des bilans de 320 000 sociétés de l'industrie, du commerce et des services (2) montre que le rapide développement de la croissance externe ne concerne encore qu'un nombre limité d'entreprises : seules 28 % des sociétés détenaient des titres de participation en 1989 (3). Ceux-ci sont, par ailleurs, fortement concentrés dans les grandes entreprises (plus de 500 salariés) qui possèdent près des trois quarts des titres (69 %), alors qu'elles n'ont que 44 % du total de l'actif (4) (Bricout et Colin, 1992).

Les stratégies de croissance des entreprises françaises

Parmi les multiples facteurs avancés pour expliquer l'essor de la croissance externe à

partir du milieu des années quatre-vingt, la recherche de synergies industrielles et commerciales est souvent considérée comme le plus important. Dans des industries où les techniques de production complexes nécessitent un capital physique important, obtenir des économies d'échelle semble en effet primordial, la croissance de la taille de l'entreprise permettant d'amortir des coûts fixes élevés sur un grand volume de production.

Par ailleurs, l'instauration du Marché unique à partir du 1er janvier 1993 et, plus généralement, l'internationalisation croissante des économies remettent en cause les stratégies purement nationales. Accéder aux marchés étrangers implique une taille permettant de mobiliser les capitaux, les réseaux commerciaux, les laboratoires de recherche nécessaires à l'effort d'innovation. Les groupes français ont donc, comme leurs homologues étrangers, privilégié les stratégies relativement plus rapides du développement externe (Jacque- min, 1991). Enfin, après 1985, la vague d'innovations financières a pu favoriser l'essor de l'activité financière en permettant aux entreprises, dans un contexte de déréglementation des marchés, de mobiliser plus facilement les ressources indispensables au financement des prises de participation.

Encadré 1 ; CROISSANCE INTERNE - CROISSANCE EXTERNE ; QUELQUES DÉFINITIONS

Pour assurer son développement, une entreprise peut choisir d'accroître son capital productif en achetant des actifs nouveaux (elle fait alors de la croissance Interne) ou prendre le contrôle d'actifs disponibles dans d'autres entreprises (elle fait alors de la croissance externe). Dans ta mesure où les actifs contrôlés sont déjà prêts à être productifs, le second mode de croissance permet à l'entreprise d'accroître rapidement sa capacité de production, et lui économise ainsi les longs délais de maturation de l'investissement productif. La croissance interne se mesure par l'investissement productif net des investissements par apport

, qui sont la contrepartie des opérations de croissance externe par transferts d'actifs. Les contours

'. de la croissance externe sont en revanche plus difficiles à cerner. On distingue, en général, trois modalités de croissance externe (Bavay et Beau, 1990) :

- tes transferts d'actifs réalisés lors d'opérations de - restructuration telles que les fusions-absorptions, scissions ou apports partiels d'actifs ;

- tes prises de participation dans le capital d'autres entreprises;

- les accords d'union contractuelle, qui peuvent notamment se traduire par la création de filiales communes.

Certains travaux (Paturel, 1978) se sont centrés sur les deux seules premières modalités en consi-

. dérant que les accords entre firmes n'impliquent pas de transfert de pouvoir. Ici, l'on s'intéresse exclusivement à la croissance externe par prise de participation car cette modalité est la seule à pouvoir être évaluée directement à partir du bilan. L'investissement financier est donc mesuré par les flux totaux d'immobilisations financières. Cette mesure est large, comprenant non seulement les acquisitions de titres de participation ou de parts de capital, mais également les placements à long terme de l'entreprise qui ne relèvent pas à proprement parler de la croissance externe. Les flux d'investissement financier calculés dans la centrale de bilans SUSE ne permettent pas, en effet, d'isoler les acquisitions de titres de participation des prêts à long terme.

La croissance externe des entreprises françaises s'est-elle faite, pour autant, au détriment de l'investissement productif ? La réponse n'est pas immédiate car il semble bien que sur un même marché, et parfois au sein d'une même entreprise, les deux modes de croissance coexistent. Pour comprendre alors quels sont les principaux déterminants du choix du mode de croissance, nous avons cherché à expliquer conjointement les décisions d'investissement financier et d'investissement productif à la fin de la décennie quatre- vingt. Contrairement aux modèles de choix de

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5. Le fait d'éliminer les restructurations conduit à passer sous silence les opérations de croissance externe réalisées par des transferts d'actifs. Cette restriction présente cependant l'avantage d'éviter de fortes ruptures dans les séries d'investissement. En cas de restructuration en effet, le bilan de la firme acquéreur se modifie fortement puisque le stock de capital productif s'accroît tandis que les immobilisations financières peuvent diminuer signi- ficativement. 6. Pour cerner la notion dynamique de croissance externe, il a semblé préférable de raisonner en flux plutôt qu'en stocks. Les flux d'investissement sont lissés pour éviter les inconvénients liés aux aléas conjoncturels en calculant, pour chaque entreprise, une moyenne annuelle de ses taux d'investissement physique et financier entre 1984 et 1988.

portefeuille qui analysent l'investissement productif et l'investissement financier dans le cadre d'un arbitrage entre des actifs présentant des rendements et des risques différents (Épaulard et Szpiro, 1991), on suppose ici que la croissance interne et la croissance externe sont deux modalités de la stratégie de développement de l'entreprise (cf. encadré 1). Une récente étude de la Commission des opérations de Bourse (Cob), fondée sur des statistiques de la Banque de France, conforte du reste cette hypothèse puisqu'elle montre que la durée moyenne de détention des actions par les entreprises est supérieure à 13 ans (Cob, 1992). Les prises de participation s'apparentent donc davantage à un investissement de moyen ou de long terme qu'à un placement financier de court terme.

Croissance interne ou croissance externe ?

Pour caractériser les stratégies de croissance des entreprises, nous avons suivi quelque 3 600 sociétés de 20 salariés et plus au cours des années 1984-1988. Les entreprises analysées appartiennent aux secteurs de l'industrie, du commerce et des services, et n'ont pas subi de restructurations significatives pendant la période (5).

En croisant les quartiles des ratios moyens d'investissement corporel et financier (nets des cessions) sur cette période, on construit quatre classes représentatives de stratégies de croissance distinctes (cf. encadré 2) (6). Dans la première (classe A) figurent les entreprises ayant privilégié la croissance interne. Ce sont celles qui ont un taux moyen d'investissement productif élevé par rapport au reste de la population et, en revanche, un taux d'investissement financier faible. De façon symétrique sont regroupées dans une deuxième classe (B) les entreprises qui ont privilégié la croissance externe sur la période (investissement financier fort et investissement productif faible). La classe C comprend les firmes ayant mené de front les deux stratégies de croissance (investissements corporel et financier élevés). Les entreprises qui ne font partie d'aucune de ces trois classes sont regroupées dans la classe D. Ici, nous ne nous intéressons qu'aux entreprises des trois premières classes, c'est-à-dire à celles qui ont fortement investi, productivement ou financièrement, dans la seconde moitié de la décennie.

Ce classement permet de tirer un premier constat sur les relations entre les décisions d'investissement productif et d'investissement financier. Si l'investissement financier s'était fortement substitué à l'investissement productif, on n'aurait dû

observer qu'un nombre très réduit d'entreprises dans la classe C (7). Or près d'un quart des entreprises de l'échantillon ont mené simultanément des stratégies de croissance interne et externe. La forte progression de l'investissement financier ne s'accompagne donc pas nécessairement d'une substitution de la croissance externe à la croissance interne. La complémentarité entre les deux modes de croissance pour de nombreuses entreprises a, du reste, été soulignée par plusieurs travaux micro-économiques. Ainsi, Bavay et Beau (1990) constatent qu'entre 1985 et 1988, la forte progression de l'investissement financier des 500 entreprises de leur échantillon s'est accompagnée d'une reprise marquée de l'investissement productif, tant dans les grandes entreprises que dans les PME.

Pour déterminer les caractéristiques économiques et financières permettant de prédire au mieux le mode de croissance privilégié par l'entreprise, les trois classes de firmes sont opposées à l'aide de critères tels que la taille, l'appartenance sectorielle et des variables financières comme la rentabilité économique, la croissance de l'endettement en cours de période ou le poids initial des placements financiers dans le bilan (titres de participation et valeurs mobilières de placement) (8).

La forte concentration des titres de participation dans les grandes entreprises et la spécificité des besoins d'investissement selon la nature du processus de production justifient l'introduction de la taille et de l'appartenance sectorielle comme facteurs explicatifs de la stratégie de croissance. La rentabilité économique moyenne entre 1984 et 1988 (calculée en rapportant l'excédent brut d'exploitation aux immobilisations corporelles et au besoin en fonds de roulement) constitue un indicateur de la performance de l'entreprise sur la période. Le caractère endogène de cette variable rend toutefois son interprétation délicate : une bonne performance peut, en effet, s'interpréter comme le signe d'une situation financière saine, favorable au financement de l'investissement, ou comme l'indicateur d'une forte rentabilité des investissements. L'augmeniation du taux d'endettement apporte, pour sa part, une information sur le mode de financement de la croissance. Enfin, la part des actifs financiers dans le bilan de l'entreprise en 1984 permet d'estimer si la détention

7. Par construction, les classes A et B comportent un nombre voisin d 'entreprises. Ces classes auraient même été d 'effectifs identiques si l'on avait considéré le croisement des médianes plutôt que celui des quartiles. 8. La construction des variables explicatives et la méthode d'estimation sont décrites dans les encadrés 2 et 3.

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préalable de titres est un facteur favorable à la poursuite d'une stratégie de croissance externe. D'autres variables, plus industrielles, ont également été introduites, comme l'intensité capitalis- tique (capital productif par salarié) ou le degré de concentration du secteur mesuré par l'indice d'Herfindhal (cf. encadré 4).

Double croissance pour les grandes entreprises du tertiaire

Le secteur d'activité permet de différencier fortement les choix de croissance des entreprises (cf. tableau 1). Ainsi, les firmes privilégiant un mode de développement par croissance externe

sont rarement positionnées dans les secteurs des industries agro-alimentaires (IAA) et des biens intermédiaires.

Dans les IAA, le mouvement marqué de concentration financière au cours des années quatre- vingt sous l'impulsion de groupes tels que BSN et Pernod-Ricard (Galliano, 1991) s'est accompagné d'un investissement physique important. Certaines entreprises ont, par ailleurs, privilégié l'investissement corporel afin d'accroître leur productivité, comme dans les industries du sucre et du lait.

Les biens intermédiaires ont connu, pour leur part, une récession sévère durant la première moi-

Encadré 2 CONSTRUCTION DES CLASSES D'ENTREPRISES ET DÉS VARIABLES EXPLICATIVES

Les classes permettant de différencier les entreprises selon le choix de leur mode de croissance ont été construites à partir des quartiles de la distribution de l'investissement corporel et de l'investissement financier. L'investissement d'une entreprise est considéré comme : - très faible s'il est inférieur au premier quartile de la

distribution ; - faible s'il est compris entre le premier et le deuxième

quartile ; - élevé s'il est est compris entre le deuxième et le tro

isième quartile ; - très élevé s'il est supérieur au troisième quartile. Les entreprises de la classe A se caractérisent ainsi soit par un taux d'investissement productif très élevé

et un taux d'investissement fihanciêffaibte,voire très faible, soit par un taux d'investissement productif élevé et un taux d'investissement financier très faible. Pour caractériser les entreprises selon leur mode de croissance, on introduit des variables explicatives à quatre modalités : « très faible »r « faible », « élevé », « très élevé ». Ces modalités sont construites de la même façon que précédemment, en positionnant l'entreprise par rapport aux quartiles de la distribution de la variable dans l'ensemble de l'échantillon. Compte tenu du nombre élevé de sociétés qui ne possèdent aucun titre, la variable « stock de titres ini» tial » n'est ventilée qu'en trois modalités selon la position de l'entreprise par rapport à la médiane et au troisième quartHê de la distribution.

Schéma de construction des classés

Investissement corporel... (en % de la valeur ajoutée)

Très faible Faible Élevé Très élevé 0^= 4,2% qa)=7,7% qre = 13,1 %

' ^ .- i

: - • ' i - 1

'I I ï

1

'Sa c o « -^ îent fin valeur i

«■s

il

Très faible

qa = 0%

Faible

qls) = 0,12%

Élevé

q'7$ = 0,88%

Très élevé

D

' :

B

(46 %)

(16 %) C

.:

(17%)-:

<21%)

Lecture : 25 % des entreprises ont un investissement corporel inférieur à 4,2 % de la valeur ajoutée.

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tié de la décennie et ont souffert d'un retard considérable en matière d' investissement. Ensuite, de nombreuses entreprises ont cherché à combler ce retard en concentrant leur effort sur l'accroissement et le renouvellement de leur capital productif. Cependant, dans certains secteurs comme la chimie, la croissance interne s'est également accompagnée d'un important mouvement de re

structuration financière. Le niveau élevé des dépenses de recherche-développement dans ce secteur et la volonté de pénétrer rapidement les marchés étrangers ont, en effet, encouragé les ra

pprochements d'entreprises.

Dans le tertiaire, une croissance forte, à la fois interne et externe, a souvent été privilégiée. Cette stratégie marquée d'investissement est avant tout le reflet d'une profonde recomposition du paysage productif français (9). Ainsi, les grands distributeurs ont cherché à gagner des parts de marché en rachetant leurs concurrents (reprise d'Euromarché par Carrefour) tout en accomplissant un effort d'investissement soutenu après 1984, d'abord dans le commerce de détail, puis dans le commerce de gros. Dans les services, le choix de la croissance externe coïncide, pour sa part, avec l'internationalisation des marchés du tourisme (Havas), de la communication (Euro- com) et de la restauration (Accor). En outre, le niveau élevé de l'investissement corporel s'explique par la poursuite de l'informatisation et l'essor de la bureautique.

La taille est aussi un atout majeur pour conjuguer les deux modes de croissance. Ce sont essentiellement les grandes entreprises (500 salariés et plus) qui ont accru simultanément leur capital productif et leurs prises de participation dans la seconde moitié des années quatre- vingt (cf. tableau 1). Ce résultat était prévisible : disposant d'une surface financière suffisante, les grands groupes ont davantage de facilités pour mobiliser, à faible coût, les ressources nécessaires au financement d'une croissance forte, à la fois interne et externe (Bricout, 199 1). Ils sont ainsi plus à même de tirer parti des opportunités offertes par l'internationalisation croissante des échanges et la suppression des frontières à l'intérieur de la Communauté.

Des structures de bilan très différenciées selon le mode de croissance

Les entreprises qui ont privilégié la stratégie de croissance externe seule ont vu leur taux d'endettement croître moins fortement durant la période 1984-1988 que celles ayant opté pour une autre stratégie. Une augmentation de l'endettement

semble ainsi essentiellement associée à la décision de croissance interne de l'entreprise, que celle-ci choisisse ou non de mener parallèlement une stratégie de croissance externe. Ce résultat, corroboré par d'autres travaux (Bardos et Paran- que, 1991), s'explique vraisemblablement par les nombreuses opérations de croissance externe qui ont pu s'effectuer par le biais de prises de participation croisées dans le cadre d'un échange de titres.

Les stratégies de croissance interne marquée, accompagnées ou non de croissance externe, sont par ailleurs préférées dans les entreprises à forte intensité capitalistique. Ce résultat est peu surprenant : dans ces entreprises, les besoins de renouvellement d'un stock de capital élevé suscitent des dépenses d'investissement matériel toujours importantes.

Les firmes très rentables se sont, quant à elles, rarement limitées à une seule stratégie de croissance. Leurs bonnes performances leur ont peut-être permis de disposer d'un autofinancement suffisant pour mener de front les deux modes de croissance. Ce résultat est du reste comparable à celui d'une étude de la Direction de la Prévision (Bretel et alii, 1992, 1993) qui observe également un lien positif entre le taux de marge des entreprises et le choix d'une politique dynamique d'investissements financier et productif. La nécessité d'accumuler un « trésor de guerre » en vue d'opérations de rachat ou de prises de participation semble du reste confirmée par le poids des disponibilités en début de période, plus élevé pour les entreprises alliant croissance externe et croissance interne que pour celles privilégiant la croissance interne seule.

L'orientation de la stratégie de croissance vers le développement externe se fait aussi rarement sans expérience financière préalable : ce sont les entreprises qui ont déjà accumulé un stock de titres important qui optent le plus fréquemment pour cette stratégie. Inversement, la croissance interne est souvent privilégiée par des entreprises n'ayant pas de tradition d'investissement financier. Enfin, les entreprises menant de front les deux stratégies sont assez rares dans les secteurs très peu concentrés. Disposer d'un pouvoir de marché significatif semble donc un atout pour mobiliser les ressources nécessaires au financement d'une double croissance.

9. Au cours des quinze dernières années, le tertiaire marchanda, en effet, gagné plus de dix points de PIB au détriment de l 'industrie manufacturière.

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Encadré 3 LE MODÈLE LOGIT POLYTOMWE:

Le modèle Loglt potytamique permet de décrire te comportement d'une variable présentant plus de deux modalités. Dans cette étude, par exemple,, l'entreprise a le choix entre trois stratégies de

'• croissance : une stratégie prioritairement axée sur la croissance interne (modalité 0), une stratégie combi- pant croissance interne et croissance externe (modalité 1} ou, enfin, une stratégie privilégiant la croissance externe (modalité 2) , L'objectif du modèle est de caractériser les entreprises qui ont opté pour chacune de ces trois statégies* Si l'un désigne par X l'ensemble des variables qui semblent avoir a priori un impact sur le choix de fa stratégie de croissance, le modèle Logit retient l'hypothèse que, pour chaque entreprise f de l'échantillon, là probabilité d'avoir choisi la modalité de croissance k s'écrit :

Ik

Pour que le modèle soit identifiable, il est nécessaire de choisir l'une des stratégies de croissance comme stratégie de référence (dans cet exemple, c'est la modalité 0 qui est prise comme référence, ce qui implique que bQ0 . Xf - 0 ). bk0 est alors un vecteur de paramètres à estimer qui permet de caractériser les entreprises ayant opté pour la stratégie k plutôt que pour la stratégie de référence. „ Lorsque l'échantillon comporte n entreprises et que les observations sont indépendantes, la probabilité d'obtenir les stratégies observées s'écrit :

^ n n p,? /=»1 k=a

avec nik =• t s/ l'entreprise l a choisi la stratégie k et nik = 0 sinon. On estime alors, par la méthode du maximum de vraisemblance, les paramètres bk0(k - 1,2). Cette estimation, qui tend vers la vraie valeur des paramètres quand le nombre d'observations est grand, permet de calculer les probabilités individuelles de choix de chacune des stratégies de croissance à l'aide des égalités i

a exp{-bk0.Xt)

f*0 où bkQt(k = t , 2) sont les valeurs estimées des paramètres. Chaque entreprise est ainsi affectée à la classe de probabilité maximate, et la qualité du modèle est obtenue en comparant tes affectations théoriques des entreprises dans les différentes classes aux ch&ix effectivement observés (dans notre modèle, deux tiers des entreprises sont correctement recias» séesjk Nota bene : si l'on prend une autre modalité comme référence (par exemple la: modalité 1), on peut

éXbl déduire aisément les estimateurs >b^ e*,*^ résultats précédents en utilisant tes égatiïéèS"::

On trouve alors K A-

01

Application à la lecture du tableau 1

Les trois colonnes du tableau 1 présentent réspectR" A, ~ z t A A. vement les estimateurs btQ^b202^

A A » „ A (on remarque bien que bzo = 6t 0 + t»2 1 ) : Les coefficients estimés s'interprètent en termes, de probabilités, et les résultats doivent se lire en écart' aux caractéristiques de l'entreprise de référence, fcil l'entreprise de référence est une entreprise dusec^ teur des biens de consommation courante, à f effectif salarié compris entre 100 et 199f dontle, taux dé croissance de l'endettement est élevé, la rentabilité ; économique faible, l'intensité capitalistique élevée, te stock de titres initial élevé, les disponibilités initiales faibles et qui exerce ses activités dans des secteurs faiblement concentrés. Les constantes permettent de calculer les probabilités de choix de chacun des modes de croissance par l'entreprise de référencé. Ces probabilités valent respectivement 51 %, 36 %et13% pour la croissance interne seule, la croissance externe seule et tes deux modes de croissance. En effet ;

1 RefQ 1 + exp(~1,39) + exp(-0,36)

Dans l'arbitrage entre croissance interne et crofà» sance externe (colonne 2), la signlficativHé du coefficient affecté à la modalité « stock de titrés Initial faible » s'interprète comme suit; une entreprise Aqur ne différerait de l'entreprise de référence que par le'\ fait d'avoir un stock de titres initial faible, {et nm un- stock de titres initial élevé) aurait une probabilité plus ~ forte que cette dernière d'avoir privilégié la-crois*l sance interne seule. Cette probabilité est - . : *

1 t + exp (- 1 ,39 - 0,26 ) + exp (- 0»36 - Q»26,)R

// est possible, par ailleurs, qu'une modâBtépe:per~;: mette de différencier deux à deux que certaines*"* stratégies de croissance. Ainsi, lorsque l'ôn'àppûsé': les entreprises qui ont privilégié la croissançelèxtèrMé ' à celles qui ont privilégié lacrùiSsancè'Jèteri^:; (colonne 2) ou à celles qui ont combiné Tèâ 'dëûrMOr ; des de croissance (colonne 3k on consiaW-qufJa".' croissance du taux d'endettement est une-vartâbiè^l très discriminante puisque les entreprises tfuise sont : fortement endettées ont une faible prûbâttiHfâ d'avoir ; fait de la croissance externe seule: Ertrevànctfei lëR- croissance de l'endettement n'est pas: signifîcâtfyê^i ment plus prononcée selon que tëntrepûse privilégie] ■ ta croissance interne ou poursuit simultanément tes deux modes de croissance. " : "."

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Tableau 1 Les facteurs explicatifs du choix de la stratégie de croissance

Variables explicatives

Constante Secteur d'activité Industries agricoles et alimentaires Énergie Biens intermédiaires Biens d'équipement Biens de consommation courante Bâtiment, génie civil et agricole Commerce Transports Services Effectif salarié De 20 à 49 De 50 à 99 De 100 à 199 De 200 à 499 500 et plus Croissance du taux d'endettement Très faible Faible Élevée Très élevée Rentabilité économique Très faible Faible Élevée Très élevée Intensité capitalistique Très faible Faible Élevée Très élevée Stock de titres initial Faible ou nul Élevé Très élevé Disponibilités initiales Très faibles Faibles Élevées Très élevées Degré de concentration Très faible Faible Élevé Très élevé

Arbitrage croissance interne seule /

les deux modes de croissance 1,39(0,73)

H (+) (+) (+) Ref (-)

-0,22(0,10) H

-0,39(0,17)

(+) (+) Ref H

-0,22(0,10)

(+) (+) Ref H

H Ref

-0,25(0,08) H

-0,33* (0,21) 0,15* (0,09) Ref H

0,26 (0,07) Ref H

H Ref H

-0,15(0,08)

0,31 (0,09) Ref (+) (+)

Arbitrage croissance interne seule / croissance externe seule

0,36 (0,98)

0,59(0,21) (+)

0,33 (0,14) H Ref H H (+) H

(+) 0,28(0,13)

Ref (+) H

(+) H Ref

0,26(0,11)

H Ref (+) (+)

-2,33(0,19) -0,88(0,10)

Ref 0,56(0,12)

0,26(0,10) Ref

-0,47(0,10)

(+) Ref (+) H

(+) Ref (+) (+)

Arbitrage les deux modes de croissance /

croissance externe seule -1,03(0,93)

0,67(0,21) (+)

0,25(0,14) H Ref (+) (+)

0,45 (0,24) 0,35(0,17)

H (+) Ref (+)

0,20* (0,12)

(+) (+) Ref

0,37(0,11)

(+) Ref

0,25(0,11) (+)

-2,00(0,14) -1,03(0,09)

Ref 0,60(0,11)

(+) Ref

-0,27(0,09)

(+) Ref (+) (+)

-0,18* (0,11) Ref H (+)

En face de chaque modalité significative sont donnés le coefficient estimé et, entre parenthèses, l'écart-type estimé. Ref: la modalité de référence.

Lecture : plus le coefficient estimé est élevé plus grande est la probabilité d'avoir préféré le premier mode de croissance au second. Les coefficients mentionnés sont significatifs à 95 % ou à 90 % lorsqu' ils sont signalés par un astérisque. Pour les modalités non significatives le signe du coefficient est précisé entre parenthèses (cf. encadré 3). Source : échantillon constant d'entreprises, Insee.

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Prise de contrôle et choix de la firme cible

Le choix de la firme cible dépend étroitement des objectifs poursuivis par l'entreprise ac

quéreur. Selon que celle-ci cherche à redéployer son activité vers des marchés porteurs, à exploiter des synergies pour réduire les coûts de production ou à accroître son pouvoir de marché, elle investit dans un secteur à forte croissance ou bien choisit de renforcer sa position dans son secteur. Les travaux théoriques sur la concurrence imparfaite mettent ainsi l'accent sur l'influence des économies d'échelle potentielles, de la croissance anticipée de la demande, des barrières à l'entrée et du risque lié à l'activité sur le mode de développement de la firme et la nature de son portefeuille d'activités (Baldwin et Gorecki, 1987 ; Geroski etalii, 1990).

À la lumière de ces analyses théoriques, il est intéressant d'évaluer l'importance des paramètres sectoriels dans le choix de la firme cible par l'entreprise acquéreur. La décision de prise de contrôle peut, en effet, être représentée comme un choix en deux étapes : dans un premier temps, l'entreprise acquéreur choisit le secteur dans lequel elle va se positionner en fonction des caractéristiques de celui-ci en termes de taux de croissance, de rentabilité anticipée, d'économies d'échelle potentielles, etc. Quand le secteur est déterminé, elle choisit alors la firme qu'elle va contrôler dans ce secteur en fonction des caractéristiques individuelles de l'entreprise, notamment de ses performances en matière de rentabilité ou d'endettement.

À partir d'un fichier sur les liaisons financières entre les entreprises, la pertinence de ce schéma théorique est testée en tentant d'expliquer d'abord la répartition sectorielle des prises de contrôle par les perspectives de croissance et d'économie d'échelle offertes par ces secteurs, puis en vérifiant si les entreprises contrôlées se distinguent des entreprises de leur secteur par leur performance ou leur taille.

Pour procéder à cette analyse, 1 208 opérations de croissance externe ayant permis de prendre le contrôle d'une entreprise, entre 1987 et 1989, ont été recensées. La notion de croissance externe retenue ici est plus restrictive que celle utilisée précédemment puisque n'est considérée comme croissance externe que l'acquisition de titres de participation permettant d'obtenir une participation majoritaire (c'est-à-dire supérieure à 50 %) dans l'entreprise. Cette restriction à un « noyau

dur » de croissance externe est nécessaire pour analyser les déterminants du choix de la firme cible par l'entreprise acquéreur. En effet, les motivations stratégiques d'une entreprise sont de nature différente selon qu'il s'agit d'obtenir une petite participation dans le capital d'une entreprise (afin par exemple de bénéficier de relations commerciales privilégiées) ou de prendre le contrôle de celle-ci. Dans le second cas, la décision est influencée par des facteurs plus proches de ceux déterminant les décisions de restructuration (fusions-absorptions ou apport partiel d'actifs par exemple).

Très peu de liens financiers préalables

La plupart des prises de contrôle ont été réalisées très rapidement puisque 90 % d'entre elles se sont faites dans des entreprises n'ayant aucun lien financier préalable avec la société acquéreur. Il est donc rare que les entreprises commencent par une petite participation test qu'elles concrétisent ensuite par une prise de contrôle quand elles choisissent de s'engager davantage. Ce n'est que lorsqu'il s'agit de contrôler une entreprise de grande taille ou une tête de groupe qu'une telle démarche est plus fréquemment observée (pour 25 % des têtes de groupe, la prise de contrôle est progressive).

Une très forte concentration sectorielle

Une forte concentration sectorielle caractérise à la fois l'origine et la destination des prises de contrôle : plus des deux tiers concernent des entreprises du tertiaire (cf. tableau 2). Parmi celles-ci, les holdings réalisent un nombre très important d'opérations puisqu'ils sont à l'origine de 16 % des prises de contrôle alors qu'ils ne représentent que 0,2 % des entreprises de l'économie. Dans l'industrie agro- alimentaire et les biens intermédiaires (notamment la production de matériaux de construction et la chimie), les prises de contrôle sont également importantes (10).

Renforcement de l'activité plutôt que diversification

Les entreprises choisissent plus fréquemment de renforcer leur activité dans le même secteur que

10. En valeur absolue, c'est le bâtiment qui arrive en tête des opérations avec 107 prises de contrôle entre 1987 et 1989. Ce secteur est néanmoins sous-représenté par rapport à son poids dans l'économie.

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Tableau 2 Répartition sectorielle des prises de contrôle réalisées entre 1987 et 1989

En% Secteurs d'activité

Industries agricoles et alimentaires Énergie Biens intermédiaires Biens d'équipement professionnel Biens d'équipement ménager Matériel de transport terrestre Biens de consommation courante Bâtiment génie civil et agricole Commerce Transports et télécommunications Services marchands dont holdings Total

Amont 6,2 0,9

15,3 8,9 0,2 1,2 9,4 8,9

14,6 6,4

28,0 16,1 100

Aval 6,2 0,2

16,2 9,9 0,2 0,8

11,4 9,5

20,2 7,1

18,3 1,6

100

Poids dans l'économie en 1 987 4,9 0.3 11,1 8,2 0,2 1,0

13,7 13,8 20,8 6.0

19,7 0,2 100

Lecture : 15,3 % des entreprises qui ont opéré une prise de contrôle majoritaire et 16,2 % des entreprises visées par ces opérations appartiennent au secteur des biens intermédiaires, alors que ce secteur ne regroupe que 11,1% des entreprises de l'économie. Source : enquête Liaisons financières - Insee.

de se diversifier. Dans 60 % des cas, les prises de contrôle sont réalisées dans le même secteur d'activité (nomenclature NAP 90) que celui de l'entreprise amont (11). Il s'agit alors d'une croissance externe de type horizontal puisque la prise de contrôle n'augmente pas le portefeuille d'activités de l'entreprise acquéreur. À l'inverse, dans 40 % des cas, le secteur d'activité de l'entreprise amont est différent de celui de l'entreprise aval. On peut parler dans ce cas de diversification.

La décision de diversification pourra se faire en amont de l'activité initiale de la firme lorsqu'il est primordial pour elle de se garantir un approvisionnement stable en matières premières. Elle pourra, au contraire, se faire en aval de l'activité si l'entreprise cherche, par ce biais, à contrôler le réseau de distribution de ses produits. Enfin, la diversification s'inscrit dans une stratégie de redéploiement si l'entreprise cherche à se reconvertir ou à réduire ses risques en élargissant sa gamme de produits.

Alors que les prises de contrôle dans le secteur du bâtiment sont essentiellement de nature horizontale, les opérations de diversification visent prioritairement les sociétés du commerce et des services marchands (46 % des opérations). Dans un tiers des cas, les firmes acquéreurs appartiennent aux secteurs des biens intermédiaires et des biens de consommation. Ce résultat semble confirmer l'importance des diversifications en aval de l'activité, un certain nombre de firmes industrielles ayant cherché à contrôler leurs réseaux de distribution.

Quelle firme choisir, dans quel secteur ?

Le choix de la firme cible est à la fois un choix sectoriel et individuel. On cherche donc à répondre à deux questions. Dans quels secteurs s'orientent prioritairement les prises de contrôle ? Sur quels critères l'entreprise contrôlée est-elle choisie au sein du secteur ?

La destination des prises de contrôle devrait être fortement influencée par les opportunités de croissance ou de synergie offertes par le secteur. Pour valider cette hypothèse, nous avons cherché à expliquer le nombre de prises de contrôle dans un secteur par le taux de croissance de la demande adressée au secteur, la rentabilité anticipée dans le secteur, l'intensité capitalistique et le degré de concentration du secteur (cf. encadré 4). Les deux premières variables sont des indicateurs du caractère plus ou moins « porteur » du secteur, tandis que les deux derniers paramètres permettent d'estimer l'importance des coûts fixes de production et des barrières à l'entrée.

Le modèle, estimé par la méthode du pseudomaximum de vraisemblance, est un modèle de Poisson (cf. encadré 5) (12). L'estimation de ce modèle montre que le taux de croissance de la demande, la rentabilité anticipée et le degré de con-

//. Les holdings sont exclus de cette analyse car leur activité purement financière les conduit à prendre le contrôle d'entreprises situées dans l'ensemble des secteurs d'activité sans que cette diversification puisse être interprétée dans un sens économique. 12. Nous remercions Emmanuel Duguet pour son aide lors de l'estimation du modèle.

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 268-269, 1993 - 8/9 39

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centration ont une influence significative sur l'orientation sectorielle des prises de contrôle alors que l'intensité capitalistique du secteur ne joue pas de rôle déterminant (cf. tableau 3).

Les prises de contrôle sont d'autant plus nombreuses dans un secteur que la croissance de la demande y est élevée et que la rentabilité potentielle d'une firme y est forte. Ces deux résultats sont assez conformes à l'intuition puisqu'ils montrent que de bonnes perspectives de profit et des anticipations de gains de parts de marché incitent davantage d'entreprises à se positionner dans un secteur.

Les prises de contrôle sont, par ailleurs, plus fréquentes quand les barrières à l'entrée sont faibles puisqu'elles sont d'autant plus importantes que le degré de concentration est faible (cf. tableau 3). Ce résultat n'était pas évident a priori, la concentration pouvant, d'un point de vue théorique, influencer la destination des prises de contrôle par différents canaux : d'une part, les prises de contrôle sont d'autant plus aisées que le nombre d'entreprises susceptibles d'être contrôlées est élevé et que la taille de celles-ci est faible. L'on observe vraisemblablement davantage de prises de contrôle dans les secteurs peu concentrés. Si Ton considère, par ailleurs, que la volonté de renforcer son pouvoir de marché est l'une des motivations des prises de contrôle d'entreprises situées dans le même secteur, on pourrait également observer une telle stratégie dans les secteurs où le pouvoir de marché est initialement faible (donc dans les secteurs peu concentrés).

Cependant, pour pénétrer sur un marché étroit, la stratégie de croissance externe peut être privilégiée puisqu'elle permet de contourner les barrières à l'entrée en prenant le contrôle d'une entreprise déjà positionnée sur le marché. Ce

sième élément pourrait favoriser l'orientation des prises de contrôle vers les secteurs fortement concentrés, ceux-ci se caractérisant généralement par des barrières à l'entrée plus élevées. Pour les entreprises de notre échantillon, il semble, en définitive, que ce soit « l'effet d'offre » qui domine (les prises de contrôle croissent avec le nombre d'entreprises présentes dans le secteur).

Une fois le secteur déterminé, la firme acquéreur doit choisir la firme qu'elle va contrôler au sein de ce secteur. Pour déterminer les facteurs influant sur le choix de cette firme, celle-ci a été caractérisée par sa position en termes de taille, d'endettement et de rentabilité au sein de son secteur (cf. encadré 4).

Des firmes cibles moins endettées...

La firme cible est souvent une entreprise de taille élevée (cf. tableau 4). Plus d'un tiers des opérations de croissance externe sont en effet menées par de grandes entreprises qui cherchent à renforcer leur position dans un secteur en prenant le contrôle de firmes couvrant déjà une part significative du marché.

La distribution des taux d'endettement est, par ailleurs, significativement différente de celle de l'ensemble des entreprises du secteur (13), 30 % des entreprises contrôlées étant très faiblement endettées. La prise de contrôle d'une entreprise disposant de ressources propres importantes peut être l'un des objectifs de la croissance externe qui permet alors à l'entreprise acquéreur d'assainir sa structure financière.

13. L'hypothèse d'identité des distributions est rejetée par le test de Kolmogorov-Smirnov au seuil de 5 %.

Tableau 3 Caractéristiques sectorielles des prises de contrôle Variable expliquée : le nombre de prises de contrôle dans le secteur

Variables explicatives Constante Taux de croissance de la demande Rentabilité espérée Nombre équivalent d'entreprises (1) 1. Voir définition dans l'encadré 4.

Paramètre estimé 0,119 0,053 1,742 0,003

Estimation par la méthode du pseudo-maximum de vraisemblance. Moyenne de la variable expliquée : 14. Écart-type : 20.

Écart-type 0,2391 0,0125 0,1984 0,0003

Significativité Non Oui Oui Oui

Lecture : le nombre de prises de contrôle est, par exemple, d'autant plus élevé que la rentabilité espérée est forte.

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Encadré 4 DEFINITION DES VARIABLES

Tontes tes variables sont calculées pour les entreprises cibles^

: 1. Caractéristiques sectorielles : m Mesure des perspectives de croissance ::; duisecteur : La' demande adressée à un secteur se décompose ; :èn-déux termes : ta demande intérieure (qui est la zsomme-de la production en volume et du solde en- "~4fe,Jes, importations et les exportations en volume) *ëf là demande étrangère satisfaite par le secteur iquefoiï mesure par les exportations en volume), zpes différentes variables sont calculées à partir du -■■âôhiet sur les équilibres ressources-emplois au ni' veau 100 de fa nomenclature. Pour évaluer les perspectives de croissance d'un secteur, on positionne ta croissance de la demande adressée à ce

.secteur par rapport à la distribution des taux de croissance de la demande dans l'ensemble des secteurs. Plus la demande est forte, plus le secteur est considéré comme porteur. m Degré de concentration du secteur La concentration du secteur est mesurée par l'indice d'Herfindhal (somme des parts de marché au carré), au niveau 100 de la nomenclature, L'indicateur du degré de concentration utilisé dans la régression est l'inverse de l'indice d'Herfindhat, c'est-à-dire le « nombre équivalent d'entreprises ». Cette variable

, donne le nombre d'entreprises de même taille qui conduirait à la même concentration que celle observée dans le secteur. Cela revient donc à associer à chaque secteur un « secteur fictif » ayant la même concentration et composé d'entreprises identiques. Plus le « nombre équivalent d'entreprises » est élevé, moins le secteur est concentré.

: m Mesure de l'intensité capitalistique ... du secteur L'intensité capitalistique du secteur est mesurée par la

- moyenne de l'Intensité capitalistique des entreprises du • secteur. Cette dernière est définie en rapportant les Immobilisations corporelles aux effectifs.

m Indicateur de la rentabilité espéréedans le secteur Lorsqu'une entreprise investît dans wiséçieùr,' orf suppose que la rentabilité qu'elle peut espérer est une fonction croissante de la rentabilité moyërtnë des firmes du secteur et une fonction décroissante dé" fa dispersion de cette rentabilité entre Jes firmes fia dispersion est un indicateur: de.l'tncertUudm:sur la: rentabilité future). On conëtruitWnc "un Mdipatem del la rentabilité espérée- éït pondérant M "4ëpfaWtf$ moyenne des entreprises du: secteur psrMréfse de l'écart interquartile (Q3 »Qp destentatàkêsJLa rem, tabilité est mesurée ^àMiïTê^Mb

itati et du besoin en fùndsrdeitulemeni

2. Caractéristiques individuelles : m On construit une variable à 4 modalités qui sifue le chiffre d'affaires de l'entreprise parJapportâ ta distribution des chiffres d'affaires -dânèlô secteur, La construction des quatre modalités se fait par rapport aux quartiles de la distribution. L'entreprise aura un& taille élevée si elle se situé dans te dernierwartile de la distribution. ' ~ ~ ~ , ~

m Performance de l'entreprise dans sort secteur-

On construit une variable à 4 modalités situant la rentabilité d'exploitation de l'entreprise par rapport aux quartiles de la distribution de la rentabilité des entreprises du secteur. La rentabilité d'exploitation est définie en rapportant l'excédent brut d'exploitation à ta somme des immobilisations brutes et du besoin en fonds de roulement r m Endettement de t'enteprise par rapport •

àson secteur - * * t:.~: .»i~ ~~"

On construit une variable à 4 modalités situant le taux d'endettement de l'enirepriêe par rapport aux quarti- tes de la distribution' du taux d'endettement des entreprises du secteur, Le-tauxdrendeâêmenfest mesuré en rapportant tes- dettes financières aux fonds propres^ - ::*- :."::.;::;„*" -~-

Tableau 4 Caractéristiques individuelles des firmes cibles

En% Année 1987

Rentabilité de l'entreprise dans son secteur Taille de l'entreprise dans son secteur Endettement de l'entreprise dans son secteur Pour mémoire : distribution de l'ensemble des entreprises

Très faible 33 12 30 25

Faible 20 15 24 25

Fort 24 26 23 25

Très fort 23 47 23 25

Lecture : 23 % des entreprises cibles ont une rentabilité très forte dans leur secteur (à comparer à 25 % pour l'ensemble des entreprises du secteur). Source : SUSE et enquête Liaisons financières - Insee.

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LE MODÈLE DE POISSON Lorsque l'on souhaite expliquer une variable décri-

: vant le nombre de fois où un événement s'est produit ' pendant une certaine période (ici le nombre de prises de contrôle dans un secteur entre 1987 et 1989), le modèle linéaire classique se révèle inadéquat. En effet» 1e nuage des observations n'a pas la forme adaptée à un ajustement linéaire puisque la variable expliquée ne prend qu'un petit nombre de valeurs discrètes positives, avec une probabilité non négligeable que l'observation soit nulle. Pour étudier de tels événements, on suppose alors que ta variable discrète suit une loi de Poisson dont le paramètre dépend des valeurs prises par les variables exogènes

, ÎBouttéroux et Monfort, 1989).

Gkk&spéûifîcation n'est cependant pas totalement satisfaisante "puisque, pour suivre une loi de Pais- sôftj "M variable devrait avoir une moyenne égale à "sâ^varjéncèl pe qui "est, rarement observé en pratï- q\te°£pr% "mnstatû,: en général, que la dispersion des obÂQiwathMS- ' "est nettement supérieure à feur moyenne)' Pour remédiera cô problème, on permet à'ia-variance des observations de varier indépendamment de leur moyenne en introduisant un aléa dkhs le paramètre de la lot de Poisson. On émet donc" l'hypothèse que la variable Yf suit une foi de

Poisson de paramètre : Yt « exp(xr b + e;) où e; désigne l'aléa, x* tes variables explicatives et b les paramètres à estimer. Il n'est en général pas possible d'estimer les paramètres par la méthode du maximum de vraisemblance car la vraisemblance du modèle n'a une forme simple que dans le cas particulier où la variable exp ( e^) suit une foi Gamma.. Lorsque cette hypothèse n'est pas retenue, on peut cependant obtenir une estimation convergente dès paramètres en appliquant la méthode du pseudo-maximumde vraisemblance. On maximise alors la w&tsentblance du modèle en faisant comme si tes, observations Yt suivaient une loi plus simple à esffitert ^espérance, et de variance égales à miles de ja- lot dm Poisson. En particulier, lorsque tes observations sorit supposées suivre une lai binomiale négative^ "tes "paramètres du modèle sont

C'est donc cetteméÉïode qui a été appliquée pour expliquer le nombre des prises de contrôle dans les 46 secteurs de l'Industrie, desrtAA et du BGCA. Ici, Yt désigne le nombre de prises de contrôle dans le secteur letx- les caractéristiques du secteun

... mais souvent peu rentables

La faible influence de la rentabilité sur le choix de la firme cible (33 % des entreprises contrôlées sont très peu rentables) peut étonner. Ce résultat pourrait cependant s'expliquer par le fait qu'une entreprise peu rentable est moins chère à acquérir qu'une entreprise très performante. Par ailleurs, certaines théories, et notamment la théorie mana- gériale, soulignent qu'il peut être parfaitement rationnel, pour une entreprise, de prendre le contrôle d'une entreprise faiblement rentable. En mettant l'accent sur l'amélioration possible de la gestion par suite de la mise en place de nouvelles équipes dirigeantes (Jensen, 1988), cette théorie montre en effet que, lorsque les mauvais résultats d'une firme sont, à tort ou à raison, perçus comme la conséquence d'une gestion inefficace, une autre firme peut être tentée d'en prendre le contrôle pour remplacer les dirigeants et accroître la rentabilité. Cette explication paraît d'autant plus vraisemblable que la firme contrôlée est

tiellement profitable c'est-à-dire positionnée sur un marché aux perspectives de croissance ou de rentabilité élevées.

Afin de valider cette hypothèse, nous nous sommes donc demandé si les entreprises cibles faiblement rentables étaient fortement concentrées dans des secteurs aux perspectives de croissance ou de rentabilité élevées. Effectivement, deux tiers des entreprises cibles peu performantes se trouvent dans des secteurs présentant de bonnes perspectives de rentabilité (rentabilité anticipée supérieure à la médiane des secteurs), et 76 % d'entre elles sont dans des secteurs à forte croissance. Pour près d'un quart des opérations de prise de contrôle, la théorie managériale semblerait donc pouvoir s'appliquer. Cette théorie n'est cependant que faiblement validée dans notre échantillon, la concentration des entreprises peu rentables dans les secteurs « porteurs » n'étant pas significativement plus élevée que celle de l'ensemble des firmes cibles (76 % contre 79 %). □

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