la condition de la femme syrienne avant et après le...

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1 La condition de la femme syrienne avant et après le printemps arabe Afraa Ismael Comme les autres sociétés arabes, la Syrie vit selon certains paradoxes. Ce pays, qui étant connu pour sa stabilité politique et économique durant cinquante ans, est actuellement perturbé par une vraie guerre civile incluant le politique, le religieux, l’ethnique, l’économique et le social. En tant que syrienne et doctorante en sociologie engagée dans des questions affectant les femmes du monde arabe, je suis particulièrement soucieuse du statut des femmes dans une partie du monde où le droit et les coutumes organisent la subordination des femmes et les exposent à la violence patriarcale. Aujourd'hui, quatre ans après le soulèvement populaire appelé "Printemps Arabe" et au regard de ces images qui montraient des femmes défilant dans les rues, au mépris souvent des législations du pays qui interdisaient au peuple le droit de manifester ; la question que je pose est la suivante : où sont maintenant les femmes syriennes ? Est- ce que ces femmes - qui dénonçaient avec les hommes les dirigeants en place pour réclamer le respect de leurs droits fondamentaux, la démocratie, la liberté politique – ont-elles vraiment réussi à remettre en cause la tradition, à obtenir une égalité en droit avec les hommes dans l'espace privé comme dans l'espace public, et enfin à avoir le droit de disposer de leur corps ? Pour le poser différemment, le Printemps Arabe, qui est apparu comme un moment porteur d'espoir de changement, a-t-il libéré la femme syrienne ; ou, au contraire, a permis une nouvelle émergence des masculinisme arabe ? Le Printemps Arabe peut-il être considéré comme un progrès ou comme représentant une menace, a-t- il été un

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La condition de la femme syrienne avant et après

le printemps arabe

Afraa Ismael          Comme les autres sociétés arabes, la Syrie vit selon certains paradoxes. Ce pays, qui

étant connu pour sa stabilité politique et économique durant cinquante ans, est

actuellement perturbé par une vraie guerre civile incluant le politique, le religieux,

l’ethnique, l’économique et le social.      En tant que syrienne et doctorante en sociologie engagée dans des questions affectant

les femmes du monde arabe, je suis particulièrement soucieuse du statut des femmes

dans une partie du monde où le droit et les coutumes organisent la subordination des

femmes et les exposent à la violence patriarcale.    Aujourd'hui, quatre ans après le soulèvement populaire appelé "Printemps Arabe" et

au regard de ces images qui montraient des femmes défilant dans les rues, au mépris

souvent des législations du pays qui interdisaient au peuple le droit de manifester ; la

question que je pose est la suivante : où sont maintenant les femmes syriennes ? Est-

ce que ces femmes - qui dénonçaient avec les hommes les dirigeants en place pour

réclamer le respect de leurs droits fondamentaux, la démocratie, la liberté politique –

ont-elles vraiment réussi à remettre en cause la tradition, à obtenir une égalité en droit

avec les hommes dans l'espace privé comme dans l'espace public, et enfin à avoir le

droit de disposer de leur corps ?  Pour le poser différemment, le Printemps Arabe, qui est apparu comme un moment

porteur d'espoir de changement, a-t-il libéré la femme syrienne ; ou, au contraire, a

permis une nouvelle émergence des masculinisme arabe ? Le Printemps Arabe peut-il

être considéré comme un progrès ou comme représentant une menace, a-t- il été un

2  

vrai printemps ou un hiver pour les femmes en Syrie ?

3  

Dans le cadre de cette présentation, nous souhaitons aborder le statut et la condition

des femmes syriennes avant et après le Printemps Arabe à travers l'étude d’un sujet,

l'avortement, qui n’est sorti de l’ombre que récemment ; un sujet qui montre bien le

décalage entre le concept et la réalité de la vie quotidienne des gens dans les sociétés

arabes en général, et en particulier dans la société syrienne.    Il s’agit, de prime abord, de décrire les pratiques et les interdits de l’interruption

volontaire de grossesse en Syrie avant le Printemps Arabe. Il s’agit ensuite de montrer

jusqu'à quel point le Printemps Arabe aurait pu laisser apparaître une nouvelle

pratique sociale sur ce point, prenant en compte l'augmentation de taux du mariage

forcé des jeunes filles non pubères et de la polygamie et laisserait par conséquent des

empreintes négatives sur le statut de la femme, réduisant les femmes à leurs fonctions

sexuelles de « repos du guerrier » et de transmission de la vie par la maternité.    Nous commençons cette présentation en citant ces trois récits des femmes syriennes.

Ces récits nous mettent en présence de trois images différentes de la femme syrienne

et nous aident à mieux comprendre les rapports de genre dans cette société partagée

par une forte tension entre logiques patriarcales et logiques d’individuations.  

a) Une image d’une femme victime.    

b) Une image d’une femme étant entre la victimisation et la responsabilité.    

c) Une image d’une femme considérée comme un être doué de raison, de

sentiment, libre, capable de choix responsables comme celui de donner la vie

ou non.  Le premier récit : (femme victim

 

 " Un mariage arrangé avec son cousin → une grossesse par un handicap→ refus

définitif l'avortement de la part de la famille et pas de la part de cette femme,….4 ans

plus tard, l'histoire se répétait, une seconde grossesse d'un enfant handicapé, le refus

définitif de l'avortement… et le résultat, une mère de deux enfants handicapés, elle a

arrêté son travail pour s'occuper ses enfants…un époux n'arrête pas de se

plaindre…la plupart de leurs proches la regardent comme si elle la responsable de

3  

cela et n'hésitent pas à proposer à son époux de se marier avec une seconde femme

qui pourrait lui donner un enfant normal"  Le second récit : (être entre la victimisation et la responsabilité).

 

 "Un mariage avec d'un homme ayant 15 ans de plus que elle, marié et déjà père de

trois enfants→ ils ont maintenant deux enfants, elle n'est plus prête à pouvoir

assumer l'arrivée d'enfants supplémentaires……son époux n'est pas d'accord et il a

refusé qu'elle prenne la pilule et il l'a surveillé toujours sur ce point…un jour à son

absence, elle est allée chez un gynécologue pour un moyen contraceptif qui reste

caché à son mari….elle termine en disant : peux-tu imaginer la réaction de mon

époux si un jour je vais lui dire que je suis enceinte et je veux m’avorter.  

Ah ! oui, que je suis triste pour moi-même et pour beaucoup de femmes de ma société  

de ne pas avoir le droit de disposer librement de notre corps.    

Le troisième récit (être doué de raison, de sentiment, libre, capable de choix

responsables comme celui de donner la vie ou non).  

 « Je suis professeur en sociologie….j’ai deux enfants… J’ai découvert que je suis

enceinte de 5 semaines, il était hors de question, pour moi et aussi bien pour mon

mari, de garder cette grossesse, on n’est plus prêts à pouvoir assumer l’arrivée d’un

enfant supplémentaire pour deux raisons : la volonté de faire progresser notre

carrière et s’investir dans notre travail et la crise économique née avec la guerre

civile depuis quatre ans…. J’ai pris rendez-vous chez le gynécologue...tout s’est bien

passé surtout avec le soutien considérable de mon époux …Pour la réaction de notre

entourage : en accord avec mon époux, très peu de gens ont connu ce qui s’est

passé.».  Pour bien comprendre ces trois images, il est important de se référer au cadre

législatif et socio-culturel du statut de la femme en Syrie, dans lequel nous constatons

une forte contradiction entre les textes et la réalité, corrélativement une forte tension

entre l’espace public et l’espace privé.    Depuis une quarante d’années, parler de la femme et de son statut en Syrie est devenu

un sujet très intéressant, voire même fascinant. Ce sujet a été le plus souvent associé à

4  

la question du développement général du pays. Le concept du développement au sens

général en Syrie est marqué par deux dates principales qui sont : la révolution du 8

mars 1963 qui a conduit le parti Baas arabe socialiste 1, ت ش وواا ◌ ش اا٬،االلشش ب ◌ ببضضحح ◌ااببععثث ◌ااعع

au pouvoir, qui a été officiellement fondé lors du premier congrès du parti tenu à

Damas le 7 avril 1947, et le mouvement réformateur ششححووتت ◌ااتتصصحح◌ حح◌ تت ◌ de 1970 qui اا

a fait des réformes dans le parti Baas arabe et a amené l’ancien président Hafez Al

Assad au pouvoir.    Dans ses différentes tendances, la « littérature » du parti Baas arabe ne cesse

d’insister sur la nécessité d’améliorer la condition de la femme syrienne en mettant en

place une législation par rapport à son émancipation économique, sociale et politique.

Pour Michel Aflaq, fondateur et théoricien du parti Baas, la femme doit être égale à

l’homme en ce qui concerne les droits et les devoirs.

L’article 12 de la Constitution du parti Baas précise que « la femme arabe jouit de la

totalité des droits civiques, et que le parti lutte pour améliorer la vie de la femme afin

que celle-ci devienne apte à exercer tous ses droits ».  L’article 24 de la Constitution de la République Arabe Syrienne de 1969 précise que «

L’Etat assure à la femme toutes les conditions qui lui permettront de participer

effectivement à la vie publique et supprime toutes les restrictions qui entravent son

développement, de manière à lui permettre de collaborer à l’édification de la société

arabe socialiste »2.      En réalité, tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir en Syrie depuis 1963 ont

encouragé l’intégration de la femme dans le processus de développement du pays, et

ont réussi à mettre en œuvre certaines mesures qui ont abouti à améliorer la condition

de la femme dans de multiples domaines, notamment l’accès à l’emploi et à

l’éducation, favorisant ainsi le recul de l’analphabétisme. Les lois syriennes relatives

au travail accordent l’égalité entre homme et femme en matière de droit au travail, de

salaire identique à travail égal, d’accès à tous les métiers.        

1 Le mot arabe ثثععبب signifie en français« résurrection » ou « renaissance ». 2Voir l’intégralité du texte de la Constitution de la République arabe syrienne (1er mai 1969) dans, Notes et Etudes Documentaires, La documentation française, n° 3621, 22 septembre 1969, p. 2-11.

5  

Dans la vie publique et politique, nous pouvons dire que la place de la femme

syrienne s’est également renforcée : la femme prend des responsabilités dans les

ministères, dans les secteurs juridiques. En 1975, la femme pouvait exercer des postes

de magistrat. Ġāda Murād, nommée Procureur Général de la République arabe

syrienne en 1998, est la première femme à occuper un tel poste dans le monde arabe.

Aujourd’hui, la proportion des femmes parmi les magistrats est de 13,1%3. 1975, cinq  

femmes sur 175 étaient élues à l’Assemblée Parlementaire, aujourd’hui elles sont 31

femmes sur 250 députés soit 12,4% des membres du Parlement . La première femme

ministre est Nağaḥ al-‛aṭār, désignée en 1976 en charge de la culture puis de

l’enseignement.    Mais, si l’arrivée du parti Baas arabe au pouvoir a conforté la position civique de la femme et en lui donnant l’espoir de prétendre à un statut égal à celui de l’homme, de

nombreuses lois et législations perpétuent la discrimination à son égard, et cela en

dépit des articles de la Constitution syrienne prévoyant l’égalité entre les citoyens4. Certes, la femme syrienne peut désormais être enseignante, magistrat, médecin,

pilote5 et membre à l’Assemblée parlementaire, mais la femme en tant que femme, mère, épouse, sœur, et fille reste inégale à l’homme, voire même subordonnée à lui.

   Si nous consultons le droit de la famille6, appelé « le droit du statut personnel » en

Syrie, nous voyons qu’il reflète une particularité sociale et religieuse et constitue un

héritage des traditions et de la coutume, qui consiste à nous rappeler qu’en Syrie il y a

une attitude patriarcale persistante dans laquelle la femme reste le deuxième sexe, un  

3 Monique C. Cardinal, « Women and the judiciary in Syria : appointments process, training and career paths », International Journal of the legal profession, Vol. 15, n°1-2, mars -juillet, 2008, p. 124.

   

4 Dans la Constitution de la République Arabe Syrienne, on parle des citoyens syriens, sans distinction de sexe. Des citoyens « égaux devant la loi, en ce qui concerne leurs droits et leurs devoirs », comme le précise l’article Article 25, paragraphe 3: « Les citoyens sont égaux devant la loi en matière de droits ». Le statut de la femme, quant à lui, est décrit dans l’article (45) comme suit Article 45 : « L’Etat garantit aux femmes toutes les possibilités pour leur permettre de participer pleinement et efficacement dans les domaines politique, social, culturel, économique et s’efforce d’éliminer toutes les restrictions qui empêchent leur développement et leur participation à la construction de la société ». Cf. La Constitution de la République Arabe Syrienne, p. 16. 5 Waidad Shojaa "دداادد ععااججشش ◌" a réalisé le premier vol en 1997. 6 Il faut souligner ici qu’il n’y a pas un code de la famille. La Syrie est un pays qui a adopté le système juridique français et applique le code civil de Napoléon, mais la partie consacrée au droit de la famille, a été détachée et remplacée par la référence, soit à la charia islamique, soit aux codes spéciaux des communautés religieuses.

6  

sexe subordonné au premier sexe, le sexe dominant7, à savoir l’homme. Citons le

code de la nationalité, selon lequel une syrienne mariée à un étranger ne peut pas

transmettre sa nationalité à son enfant, ainsi que la polygamie8, le mariage précoce et forcé, les inégalités en matière de mariage, de divorce, ou encore l’accès à la propriété

et à l’héritage, en passant par les lois sur la violence9,les lois permettant, grâce aux circonstances atténuantes, à la parentèle masculine de tuer des femmes dans le cadre des crimes d’honneur, et enfin, nous arrivons au droit à l’avortement sur lequel nous

souhaitons donner plus de détails.    L’avortement est un problème très complexe en Syrie comme ailleurs, il a provoqué et

provoque, en permanence, beaucoup de controverses entre les théologiens, les juristes,

les politiciens, ainsi que les acteurs de la société syrienne eux-mêmes.     نن " االلننسسااء ووممججللسساا للششببعع ع٬، صصببااحح الحاقق ٬،عععع هه صصووضضنن٬، ببععىىاا ب دد م ااغغوومم٬، دد. صصمماامم◌ ئئ◌ ◌ ٮ ◌ ◌ دد. فف ثثححبب ششممتتششنن ممععذذ ممهه للبب ◌ 7

فف ◌ س ؤؤٴ ووذذ تٴ ◌ ◌ تت اا◌ غغ ◌ٴ تت ◌ااععششبب دسس جامم◌ ◌ سس ع ت ◌ )...( "

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◌ تت. اانن جاىىغغ وو ◌ ◌ ببثثاا ◌ لل اانن ◌ااععمم وو ◌ ◌ تت ◌ لل للنن يیاحألاا ◌ااششصصخخ اا وو ◌ فف ◌ ببثثااججسسذذ ◌◌عع ححمم◌ قق ◌ااممششأأةة جج ◌ قق ◌ااشش◌ ححمم

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ررللاامم◌ اا ◌ااممهه".جج ◌ااشش◌

parliament.gov.sy/SD08/msf/1424094656_.doc  

8 Le code civil syrien a autorisé la polygamie, en avançant comme condition la capacité financière du mari à assurer tous les besoins de ces femmes. La modification du code civil, en 1975, a ajouté à la capacité financière du mari l’existence d’une raison légale qui peut justifier le mariage avec une seconde femme comme condition supplémentaire de la polygamie. Néanmoins, il faut noter que beaucoup d’hommes épousent religieusement (zawaja’rfy) une seconde femme et confirment leur mariage ensuite et cela arrive souvent. De toute façon, et malgré les abus qu’il peut y avoir quant au fait de remplir des conditions religieuses qui la régissent chez la majorité des musulmans, la polygamie n' a pas dépassé pas les 3 % chez les hommes musulmans mariés, et elle a été en déclin continu même dans les zones rurales, mais ce n'est pas le cas à l'heure actuelle en Syrie. 9 Il faut souligner que les règles de procédure judiciaire concernant le viol sont défavorables aux femme. Les articles du Code Pénal définissent le viol comme tout acte sexuel perpétré sous la contrainte sur toute femme n’étant pas mariée au violeur. Ces articles excluent donc explicitement le viol conjugal et ne le considèrent pas comme étant un crime. D’ailleurs, sous l’influence de la religion musulmane, la société syrienne dans son ensemble considère qu’avoir des relations sexuelles avec son mari est un devoir conjugal que la femme se doit d’accomplir et ce que la femme ne veut pas donner, l’homme est donc autorisé à prendre. L’épouse est donc dénuée de tout libre arbitre et les relations sexuelles dans le mariage ne sont pas entendues dans un contexte d’égalité où chacun des conjoints

7

 

aurait son mot à dire. Il faut aussi ajouter que l’article 522 du Code Pénal syrien stipule que toute poursuite et toute peine promulguées à l’encontre d’un violeur doivent être annulées si le violeur épouse sa victime, article archaïque et discriminant s’il en est, réduisant à néant l’existence même de la femme, car quelle femme voudrait être mariée à son violeur !!

8  

Jusqu’à présent, l’avortement est illégal, clandestin et tabou en Syrie. Il est

doublement interdit par les règles des différentes religions et par la loi civile. Il est

formellement interdit par la religion chrétienne, accepté jusqu’au troisième mois dans

la religion musulmane.    Quant au code pénal syrien, l’avortement est illégal, quelles que soient les

circonstances et la méthode employée. Cependant, la loi a accordé à la femme qui a

recours à l’avortement pour sauver son honneur, ainsi qu’à la personne qui l’a aidée,

la possibilité d’être exonérée de la punition (l’article n° 35). L’avortement est aussi

autorisé si la poursuite de la grossesse met en danger la santé de la femme. Alors, une

interruption médicale de grossesse est autorisée à la condition d’avoir une justification

médicale donnée par deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire.    Dans tous les autres cas, viol, inceste, malformations congénitales du fœtus ou raisons

sociales ou économiques, l’avortement est interdit. Une femme qui provoque son

propre avortement ou qui donne l’autorisation à quelqu’un d’autre de le faire risque

de 6 mois à 3 ans de prison.    Malgré cette double interdiction, les opérations d’avortement sont assez fréquentes en

Syrie. Bien évidemment, ces opérations se passent pour la plupart d’entre elles dans

des cliniques privées et des cabinets des gynécologues, c’est-à-dire secrètement, et

parfois dans des conditions dangereuses pour la santé physique et psychologique des

femmes avortées.    Comme le coût financier de ces opérations est élevé, trouver un moyen différent

conduit un nombre très important de femmes syriennes à s’orienter vers, soit des

vieilles méthodes (des infusions d’herbes et des produits toxiques), soit des

méthodes médicamenteuses.    En réalité, depuis presque dix ans, les pharmaciens ont mis en vente libre un

médicament abortif "Cytotec" Misoprostol 200 mg, ce médicament permet aux

femmes d'avoir accès à un avortement, moins compliqué et moins onéreux ; et cela

9  

bien que la méthode soit assez mal appliquée et peu réussie, (avortement incomplet,

saignements importants et douleurs persistantes)10.    L’autre point sur lequel il faut attirer l’attention, et dont l’existence lié au principe

patriarcal de cette société, c’est la domination masculine qui s’impose à toute décision

liée à l'avortement. En effet, la majorité de gynécologues qui acceptent de pratiquer

des avortements en Syrie, demandent, avant tout, l’accord de l’époux. Donc, en son

absence, les femmes n'ont d'autre choix que d'avorter en secret.    Voilà un aperçu rapide des pratiques et des interdits de l’avortement existant en Syrie,

dans cette société partagée par une forte tension entre logiques patriarcales et logiques

d’individuations, une tension forte entre la modernité, le conservatisme et la

traditionaliste, entre une apparence laïque et une réalité obsédée par la religion….

Maintenant, nous essaierons d’observer la situation générale des femmes syriennes

après le printemps arabe, dans les zones contrôlées par le régime, les zones contrôlées

par les groupes islamistes et enfin dans les camps de réfugiés.    Au travers des entretiens que nous avons faits avec des femmes habitantes à Lattaquié

qui est l’exemple empirique de notre recherche de thèse, zone toujours contrôlée par

le régime, et d'autres femmes résidant de zones contrôlées par les groupes islamistes,

ainsi que au travers des différents rapports internationaux consacrés à la situation

actuelle en Syrie ; nous pouvons non seulement témoigner, mais aussi nous alarmer de

voir la liberté volée à la femme et de la condition inférieure que lui est réservée, en

permanence, par une société machiste. Là, trois phénomènes méritent notre

attention:  

Viol et autres formes de violence sexuelles.  

 Pendant la guerre, le viol et les autres formes de violence sexuelles sont présentés non

comme une conséquence de la guerre, mais plutôt comme un instrument actif de

l'assujettissement des individus en temps de guerre, comme une stratégie de contrôle    

10 Cf. Asmaa Abdulsalam, Haitham Abbassi, Misoprostol (Cytotec) et l'avortement: Étude descriptive à la maternité de l'hôpital de l'Université de Damas (en arabe), 2012. Disponible sur : http://www.damascusuniversity.edu.sy/mag/health/images/stories/1-2012/93.pdf

9  

sociale qui s'exacerbe lors de situations chaotiques comme celle que connait, à l'heure

actuelle, la Syrie. D'origines différentes, ethniques et religieuses (Kurdes,

assyriennes, arméniennes, musulmanes, chrétiennes) une catégorie très importante

de femmes syriennes ont été abusés par les combattants de tous les camps qui

prennent les femmes pour cible en profitant de certains tabous culturels, sociaux et

religieux qui empêchent leurs victimes de révéler ce qu'elles ont subi. Le peur d'être

rejetées par la communauté ou même par la famille, interdit aux femmes de parler

librement de questions intimes et privées, notamment de violence sexuelle et de toute

autre forme de violence à leur encontre.

 Selon les membres de l’ ONG S yrian Wo men A ssociation qui ont rencontré la

FIDH, aucune femme syrienne n’oserait révéler ou faire le récit de violences

sexuelles dont elle a été victime : « Les femmes ne parlent en règle générale, pas des

abus qu’elles ont subis ou subissent encore»11.Un militant syrien a confirmé

que très peu de victimes déposent plainte à la suite de ce type de crime et

que « personne, aujourd’hui, ne souhaite témoigner. Si on sait qu’une femme a

été violée, personne ne voudra l’épouser »12.

 L’autre point sur lequel il faut attirer l’attention, c'est que dans des certaines zones

contrôlées par les extrémistes islamistes, un comportement barbare et paradoxal

s'exerce sur les femmes, en effet, la peine de mort est alors une conséquence possible

si elle refuse de participer à certains actes sexuels, ou si elle fait quelque chose qui

contredit leur charia. L'image reste inoubliable de ces deux jeunes femmes qui ont été

condamné à lapidation par le tribunal islamique de Rakka : quel était leur crime??

soigner des hommes malades dans le cabinet médical de la première, et avoir compte

sur Facebook pour la seconde?!

Mariage forcé des filles mineures  

 Dans une société où une femme doit honorer sa famille, faire des enfants, tenir la

maison, le poids de la tradition pèse, et pèse encore plus durement quand la guerre

touche une telle société.    

11 Entretien de la FIDH avec un représentant de l’ONG Syrian Women Association, Amman, 19 décembre 2012. 12 Entretien de la FIDH avec un militant syrien, janvier 2012, dans le rapport de la FIDH, Monde arabe : quel printemps pour les femmes ?, mars 2012: http://arabwomenspring.fidh.net/index.php?title=Syrie

10  

 Selon le rapport de l'ONG anglaise Save the Children, qui a mené l'enquête dans les

camps de réfugiés syriens, le mariage forcé touchait plus de 13 % d'enfants de moins

de 18 ans en Syrie en 2011. Ce chiffre a pratiquement doublé depuis le début de la

guerre il y a quatre ans.    Ce phénomène existait en Syrie avant la guerre, notamment dans les zones rurales du

sud de la Syrie. Mais avec la guerre et la précarité économique des syriens réfugiés à

l'intérieur et à l'extérieur de la Syrie, ce phénomène prend considérablement une

ampleur considérable inquiétante. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les

lourdes conséquences qui pèsent sur ces jeunes filles (être déscolarisées, isolées de

leurs familles….) . Selon différents rapports, une catégorie importante d'entre elles

sont forcées de travailler gratuitement pour leurs maris ou d'avoir des relations

sexuelles non consenties avec eux. Loin de leurs repères sociaux et familiaux

habituels, elles sont aussi plus sujettes aux violences domestiques. A cela, il faut

ajouter qu'une fille de moins de 15 ans a cinq fois plus de chances de mourir en

couche qu’une femme totalement développée physiquement et enfin, il serait notoire

que ce mariage soit considéré comme lié à la définition du trafic humain, puisque ces

jeunes filles sont échangées contre de l'argent pour ensuite être forcées à avoir des

relations sexuelles avec un inconnu.  

La polygamie,  

 Selon les entretiens que nous avons faits sur la polygamie à Lattaquié, nous avons

observé une adhésion à cette pratique assez regrettable de la part des femmes en

justifiant leurs avis de la façon suivante : " nous vivons avec cette guerre un problème

démographique, il nous faut donc être réaliste et accepter ce qu'on nous impose".  A la lumière de ces trois situations, peut-on espère qu'il soit encore possible, pour la

femme de lutter pour obtenir le droit de disposer de son corps ?  

De dire que oui, mon corps m'appartient!, et je ne suis pas seulement un corps, je suis

aussi un être doué de raison, de sentiment, libre, capable de choix responsables

comme celui de donner la vie ou non !!!

11  

                     .

12