la citadelle de ksanthor
TRANSCRIPT
L'auteur : Christophe Loupy (alias Metantropo) écrit pour tous les âges.
Des albums pour les plus jeunes ; des romans, courts ou longs, pour les
enfants et les adolescents ; des scénarios tout public pour le cinéma et
l’animation. Édité par Milan, Flammarion, Nord-Sud, Magnard, Pocket,
Belin, etc, et traduit dans de nombreux pays (Etats-Unis, Canada,
Amérique du sud, Australie, Royaume-Uni, Nouvelle Zélande, Japon,
Chine, Corée, Slovénie, Allemagne, Hollande, Finlande, Italie, Espagne,
Portugal, Grèce), il est également auteur en littérature adulte avec,
notamment, L'Antestament, La Bible de Satan, seul thriller au monde
dont l'assassin est... le lecteur.
www.antestament.com
L'illustrateur : Alexandre Roane : Diplômé des Arts décoratifs de
Strasbourg, il a monté et partage son atelier d'illustrateurs (Studio
Rakham) avec Frédéric Pillot et Thierry Chapeau. Ses crayonnés très
élaborés et sa maîtrise de l'outil informatique sont de ses illustrations
des œuvres pleines de vie et de profondeur. Alexandre est bien connu et
largement publié tant en presse qu'en édition.
Studio Rakham : www.rakham.com
Ce roman est un récit de fiction. Toute ressemblance avec des
personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence (ou
l'œuvre de lecteurs vraiment imaginatifs).
MCL Editions – Collection DigiTales
© 2011, MCL Editions, 210 Allée de la chapelle, 45160 Olivet, France
N° ISBN : 978-2-917912-05-8
Chapitre 1
Les sommets des Montagnes Rocheuses se dressaient
fièrement à l'assaut d'un ciel vierge de nuages. Aussi loin
que pouvait porter le regard, la ligne d'horizon se brisait
selon les caprices des pics et des cols, réduisant le paysage
à deux immensités, l’une grise et l’autre bleue.
Au milieu de ce décor de titan, deux points minuscules se
mouvaient. Deux randonneurs qui grimpaient l'un derrière
l'autre.
Le premier était une jeune femme, d’une très grande
beauté. Son allure, souple et sportive, avait la grâce et la
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puissance d'un félin.
Derrière elle, un playboy de dix-huit ans à peine,
visiblement moins à son aise dans l'effort, peinait à suivre
son rythme. Il ne cessait de souffler sur l'une de ses
mèches brunes qui retombait sur son front la seconde
d'après. Ses yeux bleus balayèrent nerveusement l'espace
devant lui, puis se posèrent sur son amie.
— On arrive bientôt ? demanda-t-il. Si on continue à
grimper comme ça par cette chaleur, je crois que mes
pieds vont rester collés au fond de mes semelles !…
Lady G esquissa un sourire amusé. Elle franchit les derniers
mètres qui la séparaient de la crête et atteignit un plateau
rocailleux. La main en visière, elle observa un instant
l'horizon.
— Courage Allan, lança-t-elle, on touche au but.
Dans un ultime effort, ce dernier la rejoignit et s'assit sur
un rocher en haletant.
— Tant mieux !
Sa respiration était saccadée.
— C’est promis, dit-il en détachant son sac à dos, demain
j’arrête de fumer et je me mets au sport !
— Tu dis toujours ça mais tu ne fais jamais rien...
— Oui, mais cette fois, je le fais ! Croix de bois, croix de
fer, si j’vais en enfer, je…je…
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Lady G le laissa se débattre avec ce dicton dont la
substance semblait lui échapper.
— …ça sera pas pour mieux m’en griller une ! finit-il par
improviser.
— Ah ! Ah ! Ah ! Fais attention de ne pas finir grillé toi-
même !…
Allan leva une main désabusée.
— Oh, ce ne sera pas pire qu’ici… grogna-t-il en s’essuyant
le front. On marche, on sue, on se crève et en plus, je suis
tout décoiffé !…
Lady G venait de terminer l’enregistrement de son dernier
album. Elle s’était octroyé une semaine de vacances pour
s’oxygéner dans les Rocheuses où elle était descendue
chez son ami Richard Copelson. Elle avait proposé à Allan
de grimper jusqu’au chalet du vieil ermite1 pour passer
quelques jours au grand air. Grand sportif devant son
téléviseur, le mécanicien n’avait guère été séduit par l’idée,
mais il avait tout de même accepté. Il n’avait pas revu la
chanteuse depuis de longs mois et c’était le seul moyen de
1 Richard Copelson est membre, comme Lady G, de l’association secrète La Pyramide de Mu. Allan, mécanicien avion et grand fan de la chanteuse, et le vieil ermite sont, eux, des amis d’aventure (lire La Pyramide de Mu).
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pouvoir passer un peu de temps avec celle qu’il avait
toujours idolâtrée.
Il dégagea les bretelles de son sac à dos pour y prendre sa
gourde. Il la tendit à son amie, mais celle-ci la refusa :
— Non, vas-y, je boirai après.
Allan n'insista pas.
— Regarde là-bas, au fond de cette vallée, reprit la
chanteuse en montrant un point.
Son compagnon leva les yeux et aperçut le chalet.
Instinctivement, il suspendit ses gestes. Une multitude
d'images resurgirent de sa mémoire…
Il revit Darkill, ses gorilles et leurs fusils-mitrailleurs, le
visage ensanglanté de Lady G, le vieil ermite évanoui, et
les Clorgs, ces tueurs fanatiques, prêts à les égorger…1
La chanteuse se retourna vers lui. Leurs regards se
croisèrent. Sans avoir besoin de parler, ils surent que les
mêmes pensées les habitaient.
— J'ai hâte de retrouver ce vieux Joe, commenta Allan.
— Oui, moi aussi.
Une heure plus tard, Lady G et Allan atteignaient le chalet.
Celui-ci avait quelque chose d'inhabituel. Les volets étaient
fermés, la porte verrouillée.
— Ce n'est pas dans ses habitudes, fit remarquer Allan.
1 Lire La pyramide de Mu.
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— Oui, son chalet reste toujours ouvert, même lorsqu'il va
chasser.
— Bizarre.
Lady G passa sa main dans sa longue chevelure.
— Peut-être est-il définitivement parti… suggéra-t-elle.
— Non, je ne crois pas, fit Allan. Si cela avait été le cas, il
aurait laissé le chalet ouvert de façon à ce que les gens de
passage puissent continuer à l'utiliser.
— Oui mais…
La chanteuse ne termina pas sa phrase. Allan devina ses
pensées :
— Le vortex ?
— Oui. Cette porte, ouverte sur un autre monde, crois-tu
qu'il l'aurait laissée ainsi à la portée du premier venu ?
Le mécanicien ne répondit pas. Un flot d'images envahit de
nouveau son esprit.
Il revit le vieux Joe faisant pivoter l’armoire et découvrant
le passage vers cet univers parallèle. Puis, ce morceau de
bois à demi calciné qu'il tendait au-delà du seuil de la porte
et qui disparaissait peu à peu, comme avalé par l'invisible.
Et enfin, il se rappela sa voix rauque qui disait : « Vous
voyez, la moitié de ce morceau de bois a disparu de l'autre
côté, dans l'autre monde. Elle est perdue pour nous.
J'aurais beau tirer de toutes mes forces dessus, je ne la
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récupérerai jamais ! »
— Non, tu as raison, répondit Allan en sortant subitement
de ses pensées. Joe a installé son chalet sur l'emplacement
même du vortex pour pouvoir l'étudier et en garder l'accès,
ce n'est pas pour l'abandonner maintenant au premier
venu.
Il souffla, pour la énième fois, sur sa mèche rebelle.
— C'est curieux tout ça.
— Oui. Et ça ne me dit rien qui vaille…
Lady G s'approcha de la porte d'entrée.
— Si seulement on pouvait ouvrir cette porte !
Allan la regarda en souriant ironiquement.
— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? s’étonna la chanteuse.
— Moi, je peux l’ouvrir, cette porte.
— Comment ça, tu peux l’ouvrir ?
Le mécanicien sortit un couteau suisse de sa poche en
s’exclamant :
— Tin-niiin !
Il le brandit sous son nez avec des gestes de
prestidigitateur du dimanche.
— Voici le Mc Gyver de la montagne, le mécano du
troisième type, la cavalerie qui arrive quand tout est
perdu !
— OK, Allan, tout ça c’est de la tchatche, fit Lady G,
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sceptique. Moi, je demande à voir le Mc Gyver à l’ouvrage.
— No problemo !
Le mécanicien posa son sac à dos et s’agenouilla devant la
porte. Puis, enfonçant son poinçon le plus fin dans la
serrure, il le tourna dans tous les sens. Il tirait la langue,
comme un élève appliqué. Au bout de quelques minutes, il
se redressa et dit :
— Ah ! Regarde ça !
— Tu as réussi ? s’étonna Lady G.
— Non, j’ai coincé ma lame dans la serrure !
Lady G leva les yeux au ciel.
— Ah, ça y est, c’est décoincé, poursuivit Allan en se
remettant au travail.
La chanteuse haussa les épaules pour aller s’allonger dans
l’herbe, un peu plus loin.
— Bon, je te laisse t’amuser à « Bricolo chez Bricolette ».
Tu m’appelleras quand tu auras fini.
Quelques minutes plus tard, après bien des efforts, Allan
parvint enfin à crocheter la serrure. Les deux amis purent
pénétrer dans le chalet. Un rayon de soleil entra avec eux,
trop diffus pour éclairer tous les coins d'ombre, mais
suffisant pour leur donner une vision globale de la pièce
principale. Une vision qui les pétrifia d'horreur…
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Chapitre 2
Incapables de faire le moindre geste, Lady G et Allan
gardaient les yeux rivés sur l’armoire. Quelqu'un l'avait
décollée du mur et le rectangle noir du mystérieux vortex
était maintenant visible.
La chanteuse fut la première à sortir de sa torpeur. Elle prit
son briquet et alluma une lampe à pétrole.
— Verrouille la porte, s'il te plaît.
Allan saisit la clé accrochée près du chambranle et referma
le chalet.
— Par les moustaches de Messerschmitt ! s'exclama-t-il en
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regardant le vortex. Qu'est-ce que ça veut dire ?!…
— Si je savais, fit Lady G dans un souffle.
Un silence pesant envahit la pièce, chacun cherchant une
explication à la disparition de l'ermite.
— Crois-tu que Joe aurait pu franchir le vortex par
inadvertance ? demanda Allan.
— Non, je ne pense pas. Il étudie ce phénomène depuis
trop longtemps pour faire une telle erreur.
— Alors, s'il ne l'a pas traversé tout seul, quelqu'un l'y a
obligé…
Les deux amis se regardèrent, terrifiés à cette idée.
— C'est bien ce qui m’inquiète, remarqua Lady G.
— Il y a tout de même quelque chose qui n'est pas logique
dans tout ça… commença Allan.
La chanteuse l'observa, attendant la suite.
— Mis à part nous, personne ne connaît ce passage,
continua-t-il, et lorsque l'armoire est devant, il est
indécelable. Alors, comment quelqu'un aurait-il pu l'obliger
à l'emprunter ?
Les deux amis en étaient là de leurs réflexions quand le
vortex se transforma en siphon de lumière.
Simultanément, un léger vent investit le chalet, faisant
frémir les pages d'une Bible posée sur la cheminée. Ils
reculèrent, les yeux arrondis par la surprise, découvrant le
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vieil ermite, qui émergeait du tourbillon lumineux et
avançait d'un pas tranquille vers eux. Le vent tomba, aussi
soudainement qu'il s'était levé, puis le vortex perdit ses
couleurs.
Le vieux Joe s'était arrêté dès qu'il avait vu ses amis. La
gorge nouée par l'étonnement, il les fixait comme s'il avait
vu des fantômes.
— Vous… Vous êtes là depuis longtemps ? parvint-il à
articuler.
— Non, on vient d'arriver, répondit Allan.
Lady G ajouta d'un ton sec :
— Suffisamment longtemps pour constater que tu es un
menteur…
L'ermite déglutit, incapable de répondre à l'attaque de la
chanteuse.
— …Je vois qu'apparemment on peut franchir cette porte
dans les deux sens !… constata-t-elle, cynique.
— Mais ?!… C'est vrai ! réalisa soudain Allan. Qu'est-ce que
ça veut dire ?…
Le vieux Joe leva un œil coupable vers ses amis.
— D'accord… D'accord, je ne vous ai pas dit toute la vérité
au sujet de cette porte, mais rappelez-vous les
circonstances de notre première rencontre. Vous étiez des
étrangers pour moi. Je ne pouvais pas livrer tous mes
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secrets, comme ça, à n'importe qui.
Lady G et Allan l'observaient sans mot dire.
— Non ? demanda Joe.
La chanteuse acquiesça.
— Ça se défend, reconnut-elle.
— À la bonne heure ! conclut le vieil homme.
Un sourire édenté éclaira son visage. Il tendit la main vers
Lady G qui tapa dedans en lui rendant son sourire.
Allan, lui, paraissait songeur.
— Mais… J'y pense… s’exclama-t-il. Si l'on peut traverser le
vortex dans les deux sens, ça veut dire que Darkill peut
revenir ici !…
Joe plongea la main dans l'encolure de son maillot et en
sortit un talisman ciselé dans un métal doré. Il représentait
une ligne entrelacée. Elle dessinait de savantes figures
géométriques et son centre était serti d’une pierre rouge.
— Darkill ne possède pas ceci ! répondit-il.
— Qu'est-ce que c'est ? questionna Lady G en observant
l'amulette d'un peu plus près.
— Une clé. Sans cette clé, personne ne peut traverser le
vortex dans l'autre sens.
Allan s'approcha à son tour, prit le bijou et l'étudia. Des
signes étranges étaient gravés sur toute la longueur du
ruban métallique.
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— Où l'as-tu eu ? demanda-t-il.
Le vieil homme lissa sa longue barbe du bout des doigts.
— Vous vous souvenez de la légende selon laquelle un
Indien serait revenu un jour dans notre monde après avoir
franchi la porte… Eh bien, je pense que cet Indien était
celui qui jouait du tambour lors de la catastrophe qui coûta
la vie à mes parents1. Sans doute portait-il le talisman
autour du cou quand il fut emporté par l'avalanche car
c'est ici, dans cette vallée, que j'ai découvert l’objet. Au
départ, je ne savais pas à quoi il servait, mais lorsque je le
mis autour de mon cou, quelque chose d'extraordinaire se
passa. Une voix intérieure résonna dans tout mon être, me
confiant que j'étais désormais le gardien du passage.
— Incroyable ! s'exclama Allan.
— Oui, approuva Joe, mais vrai. Vous avez pu le constater.
Il remit l'amulette sous son maillot et prit ses deux amis
par les épaules.
— Ça vous dirait d'aller faire un petit tour de l'autre côté
avec moi ?
— De… de l'autre côté ? balbutia le mécanicien.
— Mais nous n'avons pas de talisman, nous, fit remarquer
la chanteuse.
Le vieux Joe éclata de rire.
1 Lire La pyramide de Mu
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— Je suis le Gardien du Passage, ne l'oubliez pas… Il vous
suffit de me donner la main, et le tour est joué !…
— Génial ! s’écria Lady G avec un large sourire. Alors,
qu'est-ce qu'on attend ? On y va ?
— Ouais, on y va ! insista Allan.
Joe eut un geste apaisant de la main.
— Oui, on va y aller, ne vous affolez pas, dit-il, mais moi,
je n'ai rien mangé depuis ce matin. Alors, si vous n'y voyez
pas d'inconvénient, nous allons d'abord casser la croûte !…
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Chapitre 3
« Êtes-vous prêts ? »
Le vieux Joe s'était tourné vers ses amis. Il leur tenait la
main et avançait lentement vers l'ouverture.
— Oui, répondit Lady G d'une voix ferme.
Allan déglutit, regarda l'ermite puis le rectangle noir.
— Oui, finit-il par dire.
Ils s'engouffrèrent alors dans l'obscurité de la porte. À
peine en eurent-ils franchi le seuil qu'aussitôt un tourbillon
de lumières vives les entoura. Eblouis, ne voyant plus ni
leurs pieds, ni le sol, ils crurent marcher dans le vide. Le
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phénomène leur parut infini, mais ne dura en fait que deux
secondes. Deux pas. Au troisième, les lumières
disparurent.
Autour d'eux, se dressait maintenant un nouveau décor. Ils
se trouvaient face à une vaste plaine enneigée. Par
endroits, quelques bosquets venaient rompre la monotonie
du paysage tandis qu'au-delà, sur leur gauche, des
contreforts rocheux élevaient leur dure silhouette vers un
ciel laiteux, extrêmement bas.
Lady G et Allan scrutèrent l’horizon d'un regard circulaire
jusqu’à l’immense falaise située juste dans leur dos. Ils y
découvrirent un bas-relief d'environ trois mètres sur trois,
représentant une figure vaguement ronde, constituée d'un
ruban aux courbures tourmentées, qu'ils reconnurent
aussitôt.
— Le talisman ! s'exclama Lady G.
— Oui, approuva le vieil homme. Voici l'envers de la porte.
Allan s'approcha de la falaise et laissa courir le bout de ses
doigts sur le bas-relief. La meilleure lame de couteau s’y
serait cassée.
— C'est par là que nous allons repartir ? interrogea-t-il,
incrédule.
L'ermite acquiesça.
— Oui, grâce à la clé, nous sommes capables de passer à
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travers cette muraille.
— Hallucinant ! souffla Allan.
Un vent glacial les ramena brutalement à la réalité.
— Brrr, frissonna Lady G en se tournant vers Joe, tu aurais
pu nous prévenir qu'il faisait si froid dans le coin, on aurait
emporté un pull !
Le vieil homme fit la grimace.
— Je n'en savais rien ! répondit-il en haussant les épaules.
— Comment ça, tu n'en savais rien ?
— Non. Quand on franchit le vortex, celui-ci nous projette
dans l'un des nombreux mondes parallèles qui existent sur
Terre. Autrement dit, on ne sait jamais à l'avance dans
quel monde on va atterrir !…
— Je comprends.
— En tout cas, fit remarquer Allan en se frottant les
épaules, si je reste une minute de plus dans ce salon à
pingouins, je me transforme en glaçon !…
— Tu as raison, approuva le vieux Joe, rentrons vite au
chalet. Donnez-moi la m…
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Lady G
l'interrompit en hurlant :
— Attention !!!
Allan se retourna et découvrit un volatile gigantesque qui
fondait sur eux. Il esquiva l'attaque en plongeant dans la
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neige. La chanteuse l'avait imité. Malheureusement, le vieil
homme ne possédait pas leurs réflexes. À peine eut-il le
temps de lever les bras pour se protéger le visage que déjà
l'animal était sur lui.
Etalés dans la neige, Lady G et Allan virent la créature
attraper leur ami comme s'il s'était agi d'un fétu de paille
et prendre le large dans un puissant claquement d'ailes.
Le vieux Joe avait poussé un cri mêlé de surprise et de
peur. Un cri d'une ou deux secondes, mais qui, mourant
dans le lointain, continua à résonner longtemps dans le
crâne de ses amis. Hébétés, ils gardèrent les yeux fixés sur
ce qui n'était plus maintenant qu'un point à l'horizon.
Lady G secoua la tête. Elle se releva, aida son ami à se
redresser, puis jeta un coup d'œil vers le bas-relief. Allan
surprit son regard.
— Nous allons mourir dans cet enfer blanc, n'est-ce pas ?
dit-il d'une voix mal assurée.
La chanteuse sentait, elle aussi, la peur la tenailler. Sans
Joe et son talisman, ils étaient condamnés à errer dans
cette steppe enneigée et elle savait qu'avec un froid aussi
rude, ils ne survivraient pas longtemps. Néanmoins, elle
serra les dents, décidée à ne pas se laisser gagner par la
panique. Elle répondit sur un ton qu'elle parvint à rendre
ferme :
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— Nous nous sommes déjà sortis de situations plus
critiques que celle-là, non ?
Allan ne répondit pas. Ses yeux repartirent vers le bas-
relief. Lady G sentit son ami faiblir. Aussi, préféra-t-elle
agir avant que ses nerfs lâchent. Elle le saisit par les
épaules et le secoua.
— Allan, on va s'en sortir, crois-moi ! déclara-t-elle.
Chaque fois qu'on s'est battus, on s'en est sortis, et cette
fois encore, on va se battre ! Et là tu veux que je te dise
pourquoi tu n'as pas le droit de baisser les bras ? Parce
qu'on va se battre non seulement pour nous mais aussi et
surtout pour sauver Joe, tu entends !?
Le mécanicien acquiesça en claquant des dents. Lady G
balaya la neige de ses vêtements et le prit par l'épaule.
— Maintenant suis-moi, continua-t-elle. Nous allons courir
pour faire remonter la température dans nos corps et
trouver au plus vite un endroit pour nous abriter.
Alors, habités par une volonté bien fragile, ils s'enfoncèrent
dans le grand désert blanc.
*
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Cela faisait maintenant plus d'une heure qu'ils couraient.
Economisant leurs forces, ils avaient réglé leur cadence sur
une foulée courte. Les muscles de leurs jambes étaient mis
à rude épreuve car il leur fallait lever les genoux
suffisamment haut pour éviter les vingt centimètres de
neige qui recouvraient le sol. Par instants, ils se mettaient
à marcher, victimes d'un point de côté ou simplement
essoufflés. Puis, ils repartaient, inlassablement.
Ils n'avaient pas échangé un mot depuis leur départ, mais
Lady G savait que son ami peinait. Celui-ci décrochait de
plus en plus fréquemment. Bientôt, il ne parvint plus à
lever les pieds assez haut et commença à chuter. Puis,
l'épuisement et le froid eurent raison de lui. Il tomba et ne
se releva pas.
S'agenouillant près de lui, la chanteuse constata qu’il avait
perdu connaissance. Elle le prit dans ses bras et lui tapota
les joues.
— Allan ! Allan ! Réponds-moi !
Son ami ouvrit péniblement les yeux.
— Je… je n'en peux plus, articula-t-il dans un souffle.
— On va s'arrêter deux minutes. Après ça ira mieux, tu
verras.
— Non… Je suis à bout… Mes jambes ne… me supportent
plus.
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Un tourbillon de neige les enveloppa. Allan se mit à claquer
des dents et referma les yeux.
— Réveille-toi ! hurla Lady G en le secouant. Ne te laisse
pas emporter par le sommeil, sinon t’es mort !
Dans un effort surhumain, le mécanicien rouvrit les yeux.
La chanteuse sentit une crampe naître dans sa cuisse mais
elle la chassa aussitôt en étendant et en fléchissant sa
jambe plusieurs fois.
— Allez, debout ! ordonna-t-elle en aidant Allan à se
redresser.
Il essaya de se relever, mais ses jambes lâchèrent et il
s'effondra. La chanteuse comprit que son ami ne pourrait
faire un pas de plus. Néanmoins, décidée à ne pas
abandonner la partie sans avoir tout tenté, elle le prit sous
les aisselles et le traîna sur quelques mètres, jusqu'à un
sapin solitaire. Là, elle l'adossa au tronc et entreprit de lui
masser énergiquement les cuisses.
— Courage, Allan ! Ça va aller, tu vas voir, on va repartir !
Malheureusement, le jeune homme se laissait de nouveau
envahir par le sommeil. Son menton roula sur sa poitrine.
Lady G lui prit le visage à deux mains.
— Allan ! Réveille-toi ! aboya-t-elle. Tiens bon ! Faut pas
que tu dormes ! Faut pas, tu entends ?
De nouveau, il rouvrit les yeux. Il secoua la tête, se passa
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la main sur le visage et demanda :
— Parle-moi, Angie. Fais-moi parler, sinon je ne vais pas
tenir.
La chanteuse continuait de le masser avec force. Elle
chercha rapidement un sujet de conversation, le trouva :
— Le volatile qui nous a attaqués tout à l'heure, tu as vu
ce que c’était ?
— On aurait dit un truc préhistorique. Un…, comment ça
s’appelle, déjà ?
— Un ptérosaure.
— Oui, c’est ça.
— Mais celui-ci était gigantesque. Il devait bien faire dans
les vingt mètres d'envergure.
— Impossible ! fit Allan. Un animal préhistorique à notre
époque, c'est impossible !
— Rappelle-toi que nous sommes dans un monde parallèle.
Ici, les créatures ne sont pas forcément comme on le croit.
— J’ai froid, Angie, je… Aaaah !!!
Une crampe venait de lui tarauder la cuisse. Son corps se
tendit sur le tronc de l'arbre en lui imprimant un léger
mouvement. Le sapin ondula jusqu'à la cime et la neige
tomba de ses branches en cascade, ensevelissant les deux
amis.
Lady G se dégagea immédiatement, volant aussitôt au
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secours d’Allan. Elle creusa la poudreuse avec l'énergie du
désespoir et aperçut bientôt son compagnon, évanoui. Elle
l'extirpa du monceau de neige, le secoua en hurlant son
prénom mais en vain. La peau de son visage était pâle et
ses yeux désespérément clos…
La chanteuse le serra contre sa poitrine en pleurant,
continuant à l'appeler entre deux sanglots. Puis, bientôt, à
bout de force, à bout de souffle, sans même s'en
apercevoir, elle s'effondra sur lui, vaincue par l'épuisement
et le sommeil…
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Chapitre 4
La première chose que Lady G vit lorsqu'elle ouvrit les
yeux fut la grosse lanterne suspendue au plafond, se
balançant doucement. Puis elle découvrit la petite pièce
rectangulaire où elle était allongée.
Les murs, recouverts d'étagères remplies de peaux et de
fourrures, ne possédaient que deux ouvertures : une porte
de bois et une petite fenêtre. Par la vitre sale, pénétrait la
lumière crue du ciel. À en juger par la mobilité du plancher,
ils se trouvaient à l'intérieur d'un véhicule en déplacement.
« Une roulotte » pensa la chanteuse. Elle découvrit Allan,
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allongé près d’elle, sous une épaisse fourrure. Ce dernier
semblait avoir recouvré des couleurs et sa respiration était
celle d'un paisible dormeur.
Combien de temps étaient-ils restés endormis ? Elle jeta un
coup d'œil à sa montre : 13H45. C'était l'heure à laquelle
ils avaient traversé le vortex. Il était impossible qu'il se soit
écoulé vingt-quatre heures depuis leur départ pour ce
monde. Elle regarda attentivement l'affichage numérique
du cadran : les secondes ne défilaient plus. Elle tapa
dessus du bout du doigt en murmurant :
— En panne.
Puis, elle s'approcha de son ami pour le secouer
doucement.
— Allan ! Allan ! Réveille-toi !
Celui-ci ouvrit les yeux, la regarda, un peu perdu. Il
observa ensuite, les uns après les autres, les éléments
composant l’endroit.
— Où sommes-nous ? demanda-t-il.
— Dans une roulotte, apparemment.
Le mécanicien se passa les mains sur le visage pour mieux
se réveiller.
— Ça va ? s'enquit Lady G.
— Oui. J'ai un mal de crâne horrible mais à part ça, ça va.
Et toi ?
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— Ça a l'air d'aller.
Elle se redressa, tenta de se lever, mais dut s'y reprendre à
deux fois.
— Wouaaaooh ! gémit-elle.
— Qu'y a-t-il ?
— Oh rien, des courbatures dans les cuisses. Je te conseille
de te dérouiller les jambes avant de te lever.
Au même moment, dans l'encadrement de la fenêtre, le
visage d'un homme apparut. Un visage à la peau tannée,
aux traits burinés par les grands froids, mangé par une
barbe blonde et surmonté d'une toque aux oreillettes
rabattues. Presque aussitôt, la roulotte s'immobilisa.
Lady G s'approcha de la vitre et aperçut l’individu qui
lâchait les rênes de ses quatre chevaux, les fixait à un
levier, et descendait de son siège. Quelques secondes plus
tard, la porte s'ouvrit.
C'était un colosse. La cage thoracique épaisse, les épaules
larges et rondes, les bras massifs, ses muscles roulaient
sous ses habits de peau. Il referma la porte derrière lui,
arrêtant net l'irruption d’un courant d'air glacé, et s'assit
sur un tabouret de bois.
— Salut étrangers ! lança-t-il d'une voix grave et tonique.
On a retrouvé des couleurs à ce que je vois ! Vous étiez
bien mal en point quand je vous ai trouvés…
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Lady G sourit amicalement.
— Merci, dit-elle.
Le colosse s'avança.
— Mon nom est Jalmor le Trappeur.
Les mains des deux amis disparurent successivement dans
le battoir du géant.
— Angie.
— Allan.
Adressant un sourire reconnaissant au trappeur, ce dernier
ajouta :
— Sans vous, nous serions morts à l'heure qu'il est.
L'homme éclata d’un rire caverneux.
— Ça, c'est sûr ! Mais ne me remerciez pas, j'ai fait ce que
n'importe qui aurait fait. Ici, on ne laisse pas mourir un
voyageur égaré.
Il marqua un silence et précisa :
— Enfin…, sauf les Lycanthropes…
— Les Lycanthropes ? répéta Lady G.
— Oui. Les hommes-loups si vous préférez, la garde
personnelle de Ksanthor.
— Qui est Ksanthor ? demanda Allan.
Le colosse les regarda tour à tour avec stupéfaction.
— Vous… Vous ne connaissez pas Ksanthor ? Mais d'où
venez-vous donc ?
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— Nous venons… commença le mécanicien.
— …d'un pays très lointain ! s'empressa de compléter son
amie.
Le colosse ne fut pas dupe. Il les toisa, puis lâcha :
— Admettons. Après tout, ce sont vos affaires… Ksanthor,
c'est le Maître de la Citadelle des Mondes. C'est là que
nous allons.
— C'est loin ? demanda Lady G.
Elle pensait à Joe. Avait-il eu autant de chance qu'eux ?
Dans ce cas, sans doute était-il encore en vie, quelque
part, non loin d’ici.
— Quatre à cinq heures de route, guère plus, répondit le
colosse.
« À peine trente minutes à vol de ptérosaure » pensa-t-
elle. Mais l'animal pouvait avoir pris une toute autre
direction, les éloignant d'autant de leur compagnon
d'infortune.
— Connaissez-vous ces énormes volatiles, aux ailes
membraneuses et au corps de saurien ? questionna-t-elle
encore.
Le trappeur fronça les sourcils.
— Pourquoi me demandez-vous ça ?
— Un ami s'est fait enlever par l'un d'eux et nous sommes
à sa recherche.
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— Hmmm, je vois. Je ne sais pas grand-chose de ces
créatures. Elles rôdent souvent près de la forteresse de
Ksanthor. Tout le monde les craint, mais elles ne semblent
pas s'attaquer au peuple de la Citadelle.
Tout en parlant, il avait extrait quelques vêtements des
casiers muraux et les leur tendit.
— Pour vous, fit-il simplement.
Lady G et Allan hésitèrent à les prendre, ne sachant que
dire. Il y avait là des vestes, des pantalons, des toques,
des gants et des bottes de première qualité.
— Qu'y a-t-il ? demanda l'homme, constatant leur
embarras.
— Nous n'avons pas de quoi vous payer tout ça, expliqua
Allan.
Le trappeur gonfla sa poitrine, croisa les bras et soupira.
— Vous savez, je me rends à la Citadelle pour le grand
marché annuel. Il dure un mois et les camelots de tous les
horizons s'y retrouvent pour faire des affaires… Vous, vous
avez besoin de ces fringues, et moi, j'ai besoin de main-
d'œuvre. Je pense qu'il y a moyen de s'arranger.
Les deux amis se regardèrent. Ils n'avaient pas vraiment le
choix.
— D'accord ! répondit Lady G.
— Ça marche, renchérit Allan.
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Soudain, les chevaux hennirent et s'élancèrent au galop.
Jalmor partit à la renverse, percutant la porte qui s'ouvrit
sous le choc. Dans un réflexe, il se rattrapa au chambranle.
Sous lui, le sol enneigé défilait déjà à grande vitesse. D'un
violent coup de reins, il parvint à revenir dans la roulotte.
Avant de refermer le battant, il jetant un coup d'œil à
l'extérieur. Ce qu'il vit parut l'effrayer. Il lâcha d'une voix
grave :
— Que Vehderir nous protège, nous sommes attaqués par
les Lycanthropes !
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