la chronique - camerounliberty.com · deviennent partout un facteur limitant pour le financement...

4
12 HPS FINANCIAL REVIEW N°010 AOÛT 2015 LA CHRONIQUE D ans un contexte de mondialisation, caractérisé par l’âpreté de la compétition économique, la disponibilité des infrastructures performantes – de transports (routes, ponts, tunnels, ports, chemins de fer, terminaux portuaires, aéroports, etc.), des réseaux d’adduction d’eau et de traitement des eaux usées, des installations de production et de distribution d’énergie (centrales thermiques ou hydroélectriques) et de télécommunications multimédia – est un des principaux facteurs d’attractivité des investissements privés, un facteur déterminant de la croissance et de la compétitivité des entreprises, des nations et des régions. En effet, la construction des infrastructures a d’abord un effet positif sur la croissance par l’effet multiplicateur des investissements correspondants dans le pays ou la région d’accueil, ensuite par l’attrait qu’exerce la disponibilité des infrastructures pour de nouveaux investissements. Cependant, si les contraintes budgétaires des Etats deviennent partout un facteur limitant pour le financement des infrastructures, en même temps on observe que le monde connaît une prépondérance des flux mondiaux de capitaux privés, comparés aux flux d’aide publique. D’où l’essor considérable, au cours des récentes années dans tous les continents, du recours au financement privé pour le développement des projets d’infrastructures dans le cadre de partenariats publics privés (PPP) . Définition des projets PPP Le partenariat public privé ( PPP) est un contrat à travers lequel une entité publique (Etat ou une de ses émanations) concède à un opérateur privé (concessionnaire) des droits soit pour exploiter et entretenir une infrastructure existante (propriété de l’entité publique), soit pour financer, construire, exploiter et entretenir une infrastructure pendant une période déterminée (durée de la concession), à l’issue de laquelle les droits concédés expirent, la propriété et/ou la gestion –selon le cas- de l’infrastructure revenant alors à l’entité publique. Le concessionnaire paie généralement à l’entité publique concédante un droit appelé « redevance de concession » tout au long de la durée de la concession. L’entité publique délègue ainsi au concessionnaire son obligation de service public, bien qu’elle reste en dernier ressort le responsable et le garant de la qualité de ce service auprès des usagers. Formes de partenariats public-privé (PPP) Les formes de PPP sont multiples, allant du contrat de gérance par un concessionnaire privé d’une infrastructure entièrement financée par une entité publique pendant une période donnée au BOT (Build Operate and Transfer) qui confie au concessionnaire privé le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien d’un ouvrage au cours de la durée de concession, à l’issue de laquelle la propriété de l’ouvrage revient à l’Etat. Entre les deux existent de multiples variantes de PPP, tels que par exemple le Lease Build and Operate (Location-contruction-gestion), Build Transfer and Operate (Contruction-transfert-gestion), etc. Objectifs attendus des projets PPP •l’amélioration de la qualité de la fourniture des services publics; •l’efficience accrue du fonctionnement des services d’infrastructures de base ; •un meilleur accès aux marchés des capitaux privés pour le développement des infrastructures de base. Un partenariat et non une privatisation stricto sensu Au contraire des privatisations qui sont un transfert complet de propriété et de risques de l’Etat vers des opérateurs privés, la concession des services publics est une délégation de gestion, qui n’exonère pas l’Etat de sa responsabilité ultime comme propriétaire des infrastructures concédées, garant de la qualité des prestations, et développeur des secteurs concernés. Partenariat public-privé Un outil d’accélération du développement des infrastructures Christian PENDA EKOKA, International Business Development Consultant.

Upload: trinhdung

Post on 15-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

12 HPS FINANCIAL REVIEW N°010 AOÛT 2015

LA CHRONIQUE

Dans un contexte de mondialisation, caractérisé par l’âpreté de la compétition économique, la disponibilité des infrastructures performantes – de transports (routes, ponts, tunnels, ports,

chemins de fer, terminaux portuaires, aéroports, etc.), des réseaux d’adduction d’eau et de traitement des eaux usées, des installations de production et de distribution d’énergie (centrales thermiques ou hydroélectriques) et de télécommunications multimédia – est un des principaux facteurs d’attractivité des investissements privés, un facteur déterminant de la croissance et de la compétitivité des entreprises, des nations et des régions. En effet, la construction des infrastructures a d’abord un effet positif sur la croissance par l’effet multiplicateur des investissements correspondants dans le pays ou la région d’accueil, ensuite par l’attrait qu’exerce la disponibilité des infrastructures pour de nouveaux investissements.Cependant, si les contraintes budgétaires des Etats deviennent partout un facteur limitant pour le financement des infrastructures, en même temps on observe que le monde connaît une prépondérance des flux mondiaux de capitaux privés, comparés aux flux d’aide publique. D’où l’essor considérable, au cours des récentes années dans tous les continents, du recours au financement privé pour le développement des projets d’infrastructures dans le cadre de partenariats publics privés (PPP) .

Définition des projets PPPLe partenariat public privé ( PPP) est un contrat à travers lequel une entité publique (Etat ou une de ses émanations) concède à un opérateur privé (concessionnaire) des droits soit pour exploiter et entretenir une infrastructure existante (propriété de l’entité publique), soit pour financer, construire, exploiter et entretenir une infrastructure pendant une période déterminée (durée de la concession), à l’issue de laquelle les droits concédés expirent, la propriété et/ou la gestion –selon le cas- de l’infrastructure revenant alors à l’entité publique. Le concessionnaire paie

généralement à l’entité publique concédante un droit appelé « redevance de concession » tout au long de la durée de la concession. L’entité publique délègue ainsi au concessionnaire son obligation de service public, bien qu’elle reste en dernier ressort le responsable et le garant de la qualité de ce service auprès des usagers.

Formes de partenariats public-privé (PPP)Les formes de PPP sont multiples, allant du contrat de gérance par un concessionnaire privé d’une infrastructure entièrement financée par une entité publique pendant une période donnée au BOT (Build Operate and Transfer) qui confie au concessionnaire privé le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien d’un ouvrage au cours de la durée de concession, à l’issue de laquelle la propriété de l’ouvrage revient à l’Etat. Entre les deux existent de multiples variantes de PPP, tels que par exemple le Lease Build and Operate (Location-contruction-gestion), Build Transfer and Operate (Contruction-transfert-gestion), etc.

Objectifs attendus des projets PPP•l’amélioration de la qualité de la fourniture des services publics;•l’efficience accrue du fonctionnement des services d’infrastructures de base ; •un meilleur accès aux marchés des capitaux privés pour le développement des infrastructures de base.

Un partenariat et non une privatisation stricto sensu Au contraire des privatisations qui sont un transfert complet de propriété et de risques de l’Etat vers des opérateurs privés, la concession des services publics est une délégation de gestion, qui n’exonère pas l’Etat de sa responsabilité ultime comme propriétaire des infrastructures concédées, garant de la qualité des prestations, et développeur des secteurs concernés.

Partenariat public-privé

Un outil d’accélération du développement des infrastructures

Christian PENDA EKOKA, International Business Development Consultant.

13N°010 AOÛT 2015 HPS FINANCIAL REVIEW

C’est la primauté de cette responsabilité qui justifie la signature d’une convention de concession entre l’autorité concédante (Etat ou une de ses émanations) et le concessionnaire (opérateur privé), assortie d’un cahier des charges, qui stipule les obligations des deux parties, notamment celles, d’une part, du concessionnaire relatives aux améliorations du service public concédé, aux investissements à réaliser, aux emplois et au transfert des compétences, et d’autre part, celles du concédant relatives à la mise à disposition d’une emprise foncière pour la construction de l’infrastructure, à la déclaration d’utilité publique pour la libération de cette emprise, à des avantages et garanties - accordés au concessionnaire, ses prêteurs, actionnaires, sous-traitants, etc., notamment en matière fiscale. Or, en l’absence d’un suivi diligent de l’application du cahier des charges, le projet devient difficilement un jeu « gagnant-gagnant ».

Comme en témoignent de nombreux exemples, la présence du partenaire privé ne garantit pas systématiquement le succès du PPP, mais c’est plutôt la qualité du contrat de concession qui lie les deux partenaires – le concédant et le concessionnaire – ainsi que la qualité de la relation entre les partenaires public et privé, notamment la transparence du processus, la capacité du concédant de contrôler l’application du cahier des charges associé à la convention de concession. C’est pourquoi, au regard de la complexité de ce type de montage juridico-financier, il est nécessaire de disposer d’une équipe publique compétente capable de dialoguer avec le secteur privé. D’où l’importance de recourir aux compétences externes (ingénieurs indépendants, conseils juridiques et financiers pour accompagner l’acteur public tout au

long du processus PPP, en fonction de l’activité spécifique faisant l’objet de concession.

Nécessité d’une architecture contractuelle équilibrée entre les participants au projet PPP…Fondé sur le principe de partage équilibré des risques entre les acteurs impliqués, la configuration juridique d’un projet PPP doit être conçue de manière que chaque acteur n’assume que les risques qu’il est censé contrôler le mieux. Par exemple, la partie publique, en l’occurrence, l’Etat, ne doit pas être juridiquement exposée aux conséquences éventuelle résultant de la matérialisation des risques commerciaux, managériaux ou techniques que les acteurs privés sont censés le mieux maîtriser ; de même que les acteurs privés ne sauraient subir les effets résultant de la matérialisation d’éventuels risques politiques (non commerciaux ), tels que ceux liés notamment à la gouvernance publique, qui sont hors de leur champ de contrôle. D’où l’exigence majeure de l’architecture contractuelle du projet PPP à refléter cet équilibre qui en sous-tend la bancabilité. (Voir figure 1 : Architecture contractuelle d’un projet PPP).

Le partenaire public gère généralement les risques non commerciaux – liés à la gouvernance publique aux plans macroéconomique, institutionnel, juridique, légal, politique – sur le contrôle desquels le partenaire privé n’a pratiquement pas de prise, alors que celui-ci gère les risques techniques, managériaux, financiers et commerciaux afférents à la nature de l’affaire en jeu. La convention de base est signée entre les parties en fonction de certains paramètres économiques et techniques qui sont censés assurer l’équilibre contractuel aux plans financier et commercial. Les partenaires s’engagent

généralement au maintien de cet équilibre contractuel sous réserve que certaines évolutions ne conduisent à une modification des conditions initiales.

Par exemple, si le concessionnaire doit financer, construire et exploiter, à ses risques et périls, l’infrastructure concernée, il apportera un grand soin aux études de faisabilité du projet, ainsi qu’aux perspectives commerciales et financières du projet qui constituent véritablement la base de sa rémunération.

Les différents contrats du projet PPP, et notamment la convention de concession, doivent être juridiquement équilibrés, de sorte à éviter un transfert inapproprié des risques et de leurs éventuelles conséquences vers des acteurs qui ne sont pas censés les endosser. Cela met en lumière l’importance de l’ingénierie juridique. A cet effet, il n’est pas rare de trouver des projets PPP ayant nécessité la rédaction d’une trentaine de contrats, voire davantage, en fonction de leur complexité.

Rémunération du concessionnaireLes sponsors du propjet PPP - actionnaires de la société concessionnaires ou ses organismes prêteurs - attendent généralement un niveau de rémunération des capitaux investis reflétant les conditions du marché, en rapport avec les risques relatifs à l’investissement. Cette rémunération, qui se traduit par le taux de rentabilité des capitaux investis – est le résultat de simulations financières, qui tiennent compte du coût des investissements, de la structuration des financements (ratio dette/fonds propres, coût de la dette, rémunération espérée par les actionnaires en fonction du coût d’opportunité et de leur perception du degré de risque de l’opération), des charges d’exploitation et des

14 HPS FINANCIAL REVIEW N°010 AOÛT 2015

LA CHRONIQUE

recettes générées par l’exploitation de l’infrastructure.

Financement du projetLes financements d’un projet de PPP seront d’autant plus facilement mobilisables que les organismes prêteurs pourront considérer que l’autorité concédante n’expose pas le concessionnaire à des risques indus. Ainsi, la faisabilité d’un projet PPP est-elle fortement déterminée par sa « bancabilité », c'est-à-dire comme indiqué ci-avant une ingénierie juridico-financière qui assigne à chaque participant au projet le contrôle des risques qu’il est censé maîtriser le mieux, aussi bien dans sa phase de construction que d’exploitation. Outre les perspectives commerciales et financières du projet, les prêteurs par

exemple seront attentifs aux garanties de recouvrement des créances que leur confère le montage juridico-financier, dans les situations difficiles extrêmes : non achèvement du projet, suspension provisoire des travaux, scénario de marasme économique majeur, etc. Ces garanties font partie des éléments déterminants pour leur implication dans le financement du projet PPP.

Implications multiformes de l’EtatOutre les autorisations administratives ou légales accordées par l’Etat au concessionnaire privé dans le cadre d’un PPP, ainsi que certains avantages fiscaux et douaniers, l’Etat peut appuyer la réalisation d’une infrastructure de service public par des contributions financières telles

ARCHITECTURE CONTRACTUELLE DES PROJETS EN PPP (ACTEURS)

15N°010 AOÛT 2015 HPS FINANCIAL REVIEW

que des subventions d’investissement, des subventions tarifaires, l’octroi de garantie aux prêts, une prise de participation au capital de la société concessionnaire. Les appuis financiers ou non financiers de l’Etat dépendent de la nature et de la complexité du projet. Ils visent généralement à faciliter la mobilisation des financements extérieurs (banques et marchés financiers), et à lui assurer son objectif d’intérêt général.

Opportunités d’investissementDe multiples infrastructures pourraient être candidates au financement PPP, telles que les terminaux portuaires, les aéroports ou terminaux aéroportuaires, les liaisons rapides à péage entre les aéroports et les agglomérations urbaines, les voies rapides visant à décongestionner la circulation urbaine, les lignes ferroviaires ou les tramways, les centrales de production d’énergie sous forme de independent power plant (IPP). L’une des manières d’éviter de grever les finances publiques par une maîtrise d’ouvrage publique.

Enseignements de l’expérience…Outre les contraintes budgétaires publiques évoquées ci-dessous qui ont encouragé les Etats à recourir au développement des infrastructures dans le cadre de projets de partenariat public privé, il faut souligner que, comme dans le cas des privatisations, le recours au PPP est généralement accompagné d’attentes positives de la part des partisans de ce processus, en termes d’amélioration de la qualité des prestations relativement aux services d’infrastructures concernés. Cependant, l’expérience enseigne que les attentes peuvent céder la place aux désillusions, si le processus de préparation et d’exécution des projets PPP ne satisfait pas à un certain nombre d’exigences. En effet, la mise en œuvre d’un projet PPP est une véritable course de haies,

et sa réussite exige pardessus-tout du partenaire public une volonté et un engagement politiques à toute épreuve au plus haut niveau de la pyramide du pouvoir pour réaliser le projet, pour changer le statu quo, qui apparaît souvent pour ses bénéficiaires comme un ordre naturel, voire immuable des choses. Quels que soient les atouts financiers et techniques du partenaire privé, l’absence d’un tel soutien constituera un handicap majeur face aux obstacles de toute nature auxquels le projet est susceptible de faire face à l’instar, par exemple, des bénéficiaires du statu quo qui y voient une menace à leurs intérêts, de l’inertie administrative ou des conflits institutionnels qui sont autant de freins à son avancement .Quel que soit le secteur spécifique du projet PPP- par exemple le transport, l’énergie, les télécommunications, la santé, l’industrie, l’agro-industrie, les logements, les services, etc. -, la matérialisation d’un projet PPP impliquera la contribution de plusieurs autres domaines, incluant le foncier, le fiscal, l’environnement, le social, etc., dont la responsabilité échoit de manière générale à plusieurs ministères ou institutions publiques.Aussi, pour conduire efficacement un tel processus multisectoriel, il est impératif que le partenaire public dispose des capacités suivantes :

- Premièrement, la volonté et l’engagement politiques de mener à bien le projet contre vents et marées ;

- Deuxièmement, les capacités stratégiques (vision, finalités, réactivité, anticipation, créativité, innovation, initiative, alerte, correction) et de leadership pour mobiliser et coordonner les activités des différents intervenants publics dans la direction souhaitée ;

- Troisièmement, la capacité à servir de locomotive pour tirer le projet et

non être à la traîne des événements ;

Quatrièmement, la capacité d’arbitrage en cas de conflits ou de dysfonctionnements pour identifier et lever rapidement les obstacles susceptibles de bloquer l’avancement du projet ;

Cinquièmement, des expertises pointues pour dialoguer et négocier avec le partenaire privé sur les questions techniques, juridiques, économiques, financières, environnementales, etc. pour la construction d’un deal « gagnant-gagnant ».

La nature des quatre premières capacités requiert que celles-ci soient maîtrisées par le partenaire public, propriétaire de l’objet à concéder. Ces capacités touchent notamment aux problèmes définitionnels concernant les finalités du projet et la responsabilité ultime du partenaire public dans la fourniture du service concédé. En revanche, les expertises pointues relevant du cinquième point ci-dessus peuvent provenir de ressources externes contractualisées; elles n’en sont pas moins sous le contrôle du partenaire public.

Enfin, il est recommandé de créer pour les besoins du projet PPP un point focal, doté des capacités énumérées ci-dessus, faute de quoi, le projet s’enlise. Après l’exécution du projet, la même diligence doit accompagner son exploitation pour en assurer le respect des obligations du cahier des charges par les deux partenaires public et privé. C’est l’application rigoureuse de ce processus qui sous-tend la réussite d’un projet PPP.

En conclusion, le partenaire public reste un acteur déterminant de la réussite du projet PPP, et sa défaillance à accomplir efficacement les tâches énoncées ci-dessus une cause certaine de son échec.