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L'ASSURANCE CONSTRUCTION À L’ÉPREUVE DU TEMPS 1978-2003 : LA LOI SPINETTA VINGT-CINQ ANS APRÈS… Sommaire Introduction 1 Alain SIONNEAU Président de la SMABTP Présentation 3 Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur UN SYSTÈME EN ÉVOLUTION 5 La jurisprudence 5 Hugues PERINET-MARQUET Professeur à l’université Panthéon-Assas L’économie 12 Paul SCHWACH Ministère de l’Equipement, Directeur des affaires économiques et internationales Première séquence de questions-réponses 18 L’INFLUENCE DE LA LOI 23 Présentation 23 Bertrand FABRE Directeur des rédactions, Groupe Moniteur L’influence de la loi sur le secteur de la construction 24 Christian BAFFY Président de la Fédération Française du Bâtiment L’influence de la loi sur le secteur de l’expertise 28 Pierre ALLEAUME Président de la CFEC L’influence de la loi sur le monde de l’assurance 33 Jacques SZMARAGD Président de la commission construction de la FFSA L’influence de la loi en Europe : l’exemple espagnol 39 Alberto TOLEDANO Directeur général de la filiale espagnole de la SMABTP.

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L'ASSURANCE CONSTRUCTION À L’ÉPREUVE DU TEMPS1978-2003 : LA LOI SPINETTA VINGT-CINQ ANS APRÈS…

Sommaire

Introduction 1Alain SIONNEAUPrésident de la SMABTP

Présentation 3Bertrand FABREDirecteur des rédactions, Groupe Moniteur

UN SYSTÈME EN ÉVOLUTION 5

La jurisprudence 5Hugues PERINET-MARQUETProfesseur à l’université Panthéon-Assas

L’économie 12Paul SCHWACHMinistère de l’Equipement, Directeur des affaires économiques et internationales

Première séquence de questions-réponses 18

L’INFLUENCE DE LA LOI 23

Présentation 23Bertrand FABREDirecteur des rédactions, Groupe Moniteur

L’influence de la loi sur le secteur de la construction 24Christian BAFFYPrésident de la Fédération Française du Bâtiment

L’influence de la loi sur le secteur de l’expertise 28Pierre ALLEAUMEPrésident de la CFEC

L’influence de la loi sur le monde de l’assurance 33Jacques SZMARAGDPrésident de la commission construction de la FFSA

L’influence de la loi en Europe : l’exemple espagnol 39Alberto TOLEDANODirecteur général de la filiale espagnole de la SMABTP.

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QUELLES EVOLUTIONS ? 43DES ESPOIRS OU DES CRAINTESTable ronde entre acteurs ou partenaires de la construction

Seconde séquence de questions-réponses 56

Conclusion 68Alain SIONNEAUPrésident de la SMABTPGilles de ROBIEN 69Ministre de l’Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer

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L'assurance construction à l'épreuve du temps - 1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans après

Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 1

L’assurance construction à l’épreuve du temps1978-2003 : la loi Spinetta vingt-cinq ans

après…Le colloque était animé par Bertrand Fabre, Directeur des rédactions, Groupe Moniteur

Introduction

Alain SIONNEAUPrésident de la SMABTP

Je suis heureux de vous accueillir pour cet après-midi de réflexion et de débats. Je tiens toutparticulièrement à remercier Monsieur Paul Schwach, Directeur des affaires économiques etinternationales au Ministère de l’Equipement. Monsieur Schwach a accepté d’intervenir dans ledébat au nom de son ministre Gilles de Robien, qui viendra clôturer nos travaux.

Je remercie également Monsieur Christian Baffy, Président de la Fédération Française du Bâtiment.Monsieur Baffy donnera le point de vue des entrepreneurs sur le sujet. Je remercie égalementMonsieur Bertrand Fabre qui animera les débats. Je tiens aussi à remercier tous les intervenants deleur participation aux débats.

La responsabilité décennale est une vieille dame que certains font remonter à la plus HauteAntiquité. Bonne fée pour les uns, oiseau de mauvais augure pour les autres, la loi Spinetta a tentéde domestiquer cette institution ancienne. Dans quelle mesure cette loi a-t-elle réussi ? Dans quellemesure pouvons-nous affirmer que la loi a échoué ?

La loi Spinetta qui fête ses vingt-cinq ans cette année a connu de sérieuses maladies infantiles quiont causé bien des soucis. Elle a vécu une adolescence ingrate qui a coûté cher à ses parentsassureurs.

La voilà aujourd’hui, arrivée à l’âge mûr, plus sûre de sa force, plus efficace sans doute, maissouvent aussi malhabile dans sa façon de résoudre les problèmes qui ne sont pas toujours les siens.

Le Professeur Périnet-Marquet qui est toujours au chevet de cette loi, dans les bons et mauvaismoments, pourra nous exprimer son sentiment.

Le Conseiller Michel Zavaro qui a eu, avec d’autres collègues magistrats, à appliquer le texteadopté par le législateur, dans un contexte professionnel et technique complexe, pourra sans aucundoute nous éclairer.

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Tous les praticiens pourront naturellement s’exprimer au cours des débats. Sans anticiper sur laconclusion ou plutôt pour lancer le débat, je vais vous donner un premier sentiment d’entrepreneurde longue date, d’assuré de toujours et d’assureur plus récent.

C’est toujours en définitive le client final qui paie le coût de l’assurance. Plus on demande àl’assurance, plus elle est coûteuse pour le consommateur final. Nous pouvons lui demanderd’assurer une mutualisation du risque entre celui qui a subi un dommage important et ceux qui n’enont pas. Nous ne pouvons pas lui demander de venir soigner tous les dommages de moindreimportance qui relèvent de l’entretien ou de pallier les éventuelles insuffisances de la chaîne de laconstruction.

Mon vœu d’entrepreneur, d’assuré et d’assureur, c’est de revenir à un système simple qui encouragela qualité, privilégie la prévention, responsabilise à toutes les étapes. Je souhaite par ailleurs que lesystème soit plus efficace et moins coûteux. Sans doute, j’anticipe. Je laisse la place aux débats. Jevoudrais que Monsieur Bertrand Fabre vienne me rejoindre. Mon cher Bertrand, je vous passe letémoin.

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Présentation

Bertrand FABREDirecteur des rédactions, Groupe Moniteur

Je vous remercie Monsieur le Président Sionneau. Messieurs les présidents, Mesdames etMessieurs. Soyez remerciés d’être venus aussi nombreux malgré vos nombreuses activités. Onsavait que la loi Spinetta était un sujet d’importance et à forte attractivité. Nous ne pensions pasque cette attractivité était aussi grande.

De nombreux participants sont présents dans des salles voisines, que nous avons sonorisées. Jem’adresse à eux pour leur dire qu’ils ne sont pas oubliés. Nous prendrons dans la mesure dupossible leurs questions en priorité pour compenser l’absence de participation à laquelle ilsaspiraient.

Je vous rappelle le débat de cet après-midi, non pas que j’imagine que vous ne sachiez pas lire,puisque vous avez le programme sous les yeux, mais pour que vous puissiez mieux identifier lesdeux séquences de questions-réponses. L’expérience nous montre que les participants au débat sontd’autant plus satisfaits que le miel qu’ils ont récolté procède de réponses à des questions plus quedes exposés magistraux.

Je vous présente le programme.

• Un système en évolutionEn effet, le système évolue sur le plan de la jurisprudence. Vous avez également fait allusion,Monsieur le Président Sionneau, à une évolution financière. Monsieur le Professeur Périnet-Marquet et Monsieur le Directeur Schwach interviendront successivement. A l’issue de cesdeux interventions s’ensuivra une première séquence de questions-réponses.

• L’influence de la loiNous aborderons ensuite l’influence de la loi, dans la mesure où la loi Spinetta a joué un rôledéterminant sur la construction, l’expertise et l’assurance chez nos voisins européens peut-être,en tout cas dans le Sud de l’Europe.

• Table ronde entre acteurs ou partenaires de la constructionNous organiserons ensuite une table ronde au cours de laquelle interviendront un représentantde la maîtrise d’ouvrage, un représentant des entreprises, un représentant des assureurs et enfinun magistrat.

A la suite de ces différentes interventions, nous aurons une nouvelle séquence de questions-réponses qui serviront soit de joint de compression, soit de joint de dilatation en fonction de l’heured’arrivée de Monsieur Gilles de Robien, Ministre de l’Equipement.

D’entrée de jeu, une question peut être posée : nous célébrons, aujourd’hui, les vingt-cinq ans de laloi Spinetta, mais, pour reprendre une problématique chère aux assureurs, quel était le point de

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départ du délai ? En effet, la loi a été votée le 4 janvier 1978 mais elle n’est entrée en vigueur qu’enjanvier 1979. La solution était, donc, de placer l’anniversaire entre janvier 2003 et janvier 2004.

Il convient, également, de mentionner la modification législative complémentaire intervenue en1982 et 1983 ayant entraîné le basculement d’un système de gestion en semi-répartition vers unrégime de capitalisation, corrigé notamment par le fond de compensation.

La loi Spinetta est, à ma connaissance, la seule loi qui ne porte ni le nom d’un ministre, ni le nomd’un parlementaire. En principe, les ministres et les parlementaires s’empressent de donner leurnom à une loi, comme l’attestent la loi Voynet, la loi Chevènement, la loi Falloux, et la loi Dailly.Pourquoi la loi porte-t-elle le nom d’Adrien Spinetta ?

Il faut distinguer deux écoles :

• La première école prétend que la loi est tellement inadaptée qu’aucun homme politique n’aaccepté de lui accoler son nom. Après réflexion, nous nous apercevons que les disciples de cetteécole relèvent surtout du monde des juristes qui ont pointé les « bugs ». Au moment des travauxpréparatoires, les juristes, tels que le professeur Saint-Halary (père), ont été frustrés de ne pasavoir été consultés. Il y a aussi une querelle classique entre les juristes et les ingénieurs. Je suistoujours étonné que les juristes se passionnent pour la réglementation technique et lanormalisation, alors que les ingénieurs rêvent d’élaborer des contrats-types, voire des lois.Ainsi, un éminent représentant d’une grande organisation professionnelle s'est un jour écrié,emporté par son lyrisme : "Messieurs les ingénieurs des Ponts, faites des ponts, pas des lois !".

• La seconde école met en œuvre une approche globalisante et cohérente inscrite dans le rapportde la commission que Monsieur Adrien Spinetta avait présidée au milieu des années soixante-dix. C’est évidemment la bonne explication.

J’ajouterai encore un élément. Lorsque Monsieur Emmanuel Edou m’a demandé de me replongerdans ce dossier, j’ai été étonné de retrouver le dossier dans l’état où je l’avais laissé voilà quelquesannées. A titre d’illustration, je vous propose deux exemples :

• La notion de bâtiment était essentielle, puisque l’assurance obligatoire porte sur le bâtiment. Or,nous ne savons toujours pas, en dehors des magistrats, ce qu’est un bâtiment. La situation serévèle complexe, puisqu’une sanction pénale est possible en cas de défaut d'assuranceobligatoire.

• Par ailleurs, je pensais que le fonds de compensation avait disparu. On m’avait expliqué que lefonds était destiné à financer le passé inconnu. Après tant d’années, il ne s’agit plus definancement du passé inconnu mais de financement de l’archéologie.

Afin de traiter le premier point relatif au système en évolution, je demanderai au Professeur Périnet-Marquet de monter à la tribune. Monsieur Périnet-Marquet évoquera l’évolution juridique,principalement à travers la jurisprudence. Le Professeur Périnet-Marquet est un civiliste de talent,comme nous en a envoyé parfois la Faculté de Poitiers, tel le Doyen Jean Carbonnier qui reste ungrand maître. Je vous en prie, Monsieur le Professeur.

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Un système en évolution

La jurisprudence

Hugues PERINET-MARQUETProfesseur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

I. Introduction

Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous fêtons les vingt-cinq ans de la loi Spinetta. Vingt-cinq ans, ce n’est plus, et de loin, l’âge de la majorité juridique, mais, au regard de l’évolutionsociale, plutôt celui de la majorité économique et de la fin de l’apprentissage du savoir. Enrevanche, au regard du temps législatif, vingt-cinq ans constitue une période relativement longuequi peut voir se succéder plusieurs réformes, comme le montre, par exemple, le droit del’urbanisme.

De ce point de vue, la loi Spinetta suscite, d’emblée, des sentiments contradictoires. Acertains égards, elle paraît presque usée par le temps. Mais, simultanément, elle semble, pourreprendre l’expression de Monsieur Sionneau, tout juste sortie de l’adolescence.

Cette dualité de sentiments se vérifie d’ailleurs lorsque l’on interroge l’ensemble des acteurs etdes praticiens de la loi. Tous s’accordent à reconnaître que le mécanisme actuel présente d’évidentsavantages. Nul n’aurait envie de revenir au système de 1967. Mais, par delà ces élémentsglobalement positifs, les opinions sont évidemment fort tranchées. Chacun, en fonction de sespréoccupations économiques, liste alors, avec raison, tel ou tel défaut plus ou moins grave de la loiSpinetta. Le bilan ne peut être que subjectif et je n’échapperai pas à cette contrainte en dressantdevant vous l’état de la jurisprudence.

Cependant, avant d’entrer dans la subjectivité, il est bon d’analyser quelques éléments objectifs.J’ai eu la curiosité de parcourir à nouveau les travaux préparatoires de la loi de 1978. L’exposé desmotifs du projet de loi n° 483, déposé au Sénat en juillet 1977, se révèle assez instructif. LeGouvernement visait alors à réparer trois défauts de la législation :

- arrêter la constante dégradation de la qualité de la construction depuis 1963 ;- essayer de mettre un terme à l’inadaptation de la loi à l’évolution rapide des techniques du

secteur de la construction ;- offrir un règlement des sinistres dans un délai raisonnable.

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Le projet de loi cite des chiffres qu’il faut garder à l’esprit si nous voulons évaluer la portéeactuelle de la loi de 1978. Sous l’empire de la loi de 1967, 75 % des sinistres n’étaient réglés qu’aubout de huit ans. Pour 25 % d’entre eux, le délai pouvait aller jusqu’à vingt ans. La charge dessinistres avait doublé de 1969 à 1974. De même, le niveau des primes avait augmenté de façonexponentielle pour atteindre, selon les formules de garantie, de 28 à 43 fois le niveau de 1952.Heureux constructeur de 1952 qui payait 43 fois moins cher son assurance qu’en 1977 !

Face à ces dérives, le projet de la loi Spinetta voulait :

- responsabiliser davantage les intervenants ;- renforcer les actions en faveur de la qualification et de la prévention ;- réduire la charge globale de l’assurance ; à ce titre, le législateur affirmait que le coût de

l’assurance baisserait de 50 %.

Comme de tels objectifs pourraient parfaitement se retrouver en préambule d’une prochaineréforme, on peut se demander si la loi a vraiment atteint son but. La réponse est, indiscutablement,positive au regard de la réduction des délais. Elle est beaucoup moins évidente en ce qui concerne laresponsabilisation des intervenants et la réduction de la charge globale de l’assurance. D’aprèscertains, la faute en reposerait sur la jurisprudence, considérée comme un bouc émissaire des échecset des défauts de la loi.

La jurisprudence qui a interprété la loi de 1978 a sans doute versé dans une interprétationdynamique. Mais cette dernière est le trait commun de toute jurisprudence et n’est pas spécifique àla loi de 1978. Il paraît faux, en ce sens, d’affirmer que la jurisprudence d’application de la loiaurait un sens, comme le sens de l’histoire dans la doctrine marxiste, c’est-à-dire une direction fixéeà jamais. En analysant cette jurisprudence, on découvre, en effet, deux périodes jurisprudentielles :une période extensive et une période restrictive que j’examinerai successivement.

I . LA PERIODE EXTENSIVE

La période d’adolescence de la loi, comprise entre 1978 et 1996, donne lieu à un certainnombre d’interprétations extensives des juges du fond et de la Cour de cassation. Cependant, toutesces extensions ne sont pas à mettre sur le même plan. Certaines sont l’application des principesgénéraux du droit civil. D’autres sont, malgré les apparences, respectueuses de la volonté dulégislateur. Mais quelques-unes sont de vraies extensions par rapport à l’esprit de la loi. Nous allonssuccessivement reprendre ces trois points.

A Extension apparente et respect des principes généraux de la responsabilité civile.

Sont considérées comme extensives certaines jurisprudences relatives à la réparation dupréjudice et à la prise en compte du dommage, autant dans la responsabilité des constructeurs quedans l’assurance construction. Le juge judiciaire y apparaît bien plus sévère que le jugeadministratif. Celui-ci admet qu’il y ait un abattement pour vétusté, alors que le juge judiciaire lerefuse. Il a également été plus souple sur la TVA que le juge judiciaire. L’un et l’autre appliquentdésormais des solutions identiques. Par ailleurs, l’obligation, imposée par la jurisprudence, de

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réparer l’ensemble des préjudices annexes coûte parfois plus cher à l’assureur que la réparation dudommage à la construction lui-même.

Mais, sur ces différents points, le juge civil n’a pas contrevenu à la loi de 1978. Il s’estcontenté d’appliquer les principes généraux de la responsabilité civile qui imposent qu’un préjudicesoit intégralement réparé. Toute remise en cause de cette jurisprudence supposerait donc uneévolution, peu probable, de ces principes généraux de la responsabilité civile.

B Extension apparente et respect de la volonté du législateur

- Extension des conditions de la décennale

Il est devenu banal, pour les assureurs et les constructeurs, de se plaindre de la jurisprudencesur la notion d’atteinte à la solidité et d’impropriété de destination. De nombreux exemplesillustrent cette tendance extensive : un parquet qui grince dans une pièce, un écrou qui se desserre etqui cause une inondation…

Cette inflation est cependant relativement difficile à combattre. Les juges du fond sont, eneffet, souverains en la matière. Par conséquent, les différences d’interprétation des juges, d’unendroit à l’autre, peuvent se révéler plus choquantes que l’extension en elle-même. Un autresystème pourrait d’ailleurs difficilement être envisageable. Par hypothèse, la question en cause estde pur fait, ce qui exclut tout contrôle précis de la Cour de cassation.

De plus, sur cette question fort controversée et sensible, la jurisprudence respecte,contrairement aux apparences, l’esprit de la loi. Sur ce point, les travaux préparatoires se révèlentéclairants. Avant 1978, la jurisprudence était déjà très extensive, ce qui avait amené le projet de loià limiter la responsabilité décennale, en cas d’impropriété de destination, aux seuls dommagesinterdisant l’utilisation de l’ouvrage. Or, en première lecture, les sénateurs, souhaitant que lajurisprudence précédente soit reprise dans la loi, ont refusé la conception restrictive de la loi voulueet soutenue par le Gouvernement. Nous ne pouvons donc pas reprocher au juge d’appliquer ce queles parlementaires ont expressément décidé contre la volonté du Gouvernement. Pourtant, MonsieurBarrot, qui représentait à cette séance le Gouvernement, avait mis en garde contre les graves risquesde dérive du système qui en découleraient.

- Extension de la notion d’ouvrage

La jurisprudence paraît extensive sur une autre notion, celle d’ouvrage, que Monsieur Fabrea évoquée en début de séance. Viennent à l’esprit les arrêts relatifs aux travaux sur existant, auravalement et à certains ouvrages de génie civil. Mais, la lecture des motifs du projet de loi montreque la décennale était conçue comme concernant autant les travaux neufs que les travaux deréhabilitation du patrimoine immobilier. Toute la jurisprudence sur les existants est en germe danscette phase du texte initial.

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C Véritables innovationsDe véritables innovations jurisprudentielles existent cependant, dans lesquelles la Cour de

cassation a pris une certaine liberté avec l’esprit de la loi. Trois exemples apparaissentparticulièrement manifestes.

Le premier concerne la garantie phonique. Dans la loi de 1978, cette dernière faisait l’objetd’une garantie d’une durée de six mois allongée, par la suite, à un an. Or, la jurisprudence amarginalisé ce système en revenant à la situation antérieure à 1978 et en appliquant la garantiedécennale lorsque l’impropriété d’isolation phonique porte atteinte à la destination de l’ouvrage.Elle n’a pas, en ce sens, respecté l’esprit de la loi. En effet, une discussion à l’Assemblée nationaleavait laissé apparaître que le délai de 6 mois était trop court. Les députés n’avaient pas osé opterpour une durée de dix ans, mais des amendements avaient suggéré une durée de deux ans. LeGouvernement s’y était pourtant opposé, avec succès. Selon Monsieur Barrot, une durée de deuxans risquait de nuire au métier d’entrepreneur. Le Ministre n’imaginait pas, alors, qu’une garantiede 10 ans prévaudrait.

Le second exemple est relatif à la réception tacite. Celle-ci avait été expressément exclue del’article 1792-6 qui mentionne que la réception est un acte juridique. Or, pour des raisons pratiqueset compréhensibles, la jurisprudence est partiellement revenue au système antérieur sans reconduire,toutefois, la double réception. Elle a finalement consacré la réception tacite dès 1987, à peine dixans après le vote de la loi, en contradiction totale avec le premier alinéa de l’article 1792-6.

Enfin, le champ d’application de l’assurance construction ne peut être omis. Tous les juristesont en mémoire l’arrêt de 1991 de la première chambre civile de la Cour de cassation qui atransformé l’interprétation de la loi. Selon le code des assurances, l’assurance s’applique auxtravaux de bâtiment. La première chambre civile a décidé que l’obligation d’assurance concernaitles travaux faisant appel aux techniques de travaux de bâtiment. Elle a ainsi considérablementétendu le champ d’application du texte, d’autant, qu’en 1996, elle a transposé sa jurisprudence à desbâtiments industriels. Le décalage est alors manifeste tant avec la lettre de la loi qu'avec la volontédu législateur car, à la lecture des travaux préparatoires, l’assurance obligatoire visait surtoutl’habitation.

Mais l’autonomie d’interprétation n’a pas toujours été, même dans les premières annéesd’application de la loi, dans un sens extensif. Dans l’article 1792-4, le législateur avait prévu unrégime de responsabilité solidaire pour les produits de construction conçus et réalisés pour satisfaireà des exigences précises. Or, jusqu’à l’année dernière, la Cour de cassation a toujours refusé,contrairement à la jurisprudence des juges du fond, d’étendre la notion d’EPERS en la limitant àquelques exemples marginaux comme le plancher chauffant ou la pompe à chaleur notamment.Même dans les premières années d’interprétation de la loi, la jurisprudence n’avait donc pas un sensabsolu. Cela est d’autant plus vrai depuis quelques années où se manifeste une tendance plusrestrictive.

II. La période restrictive

Un certain changement d’orientation de la jurisprudence se manifeste depuis 1997 sans que,toutefois, les solutions mentionnées en première partie n’aient été remises en cause. Sa raison d’êtren’est, d’évidence, pas mentionnée par la Cour de cassation. Deux raisons peuvent, cependant, être

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avancées. La troisième chambre civile s’est peut-être aperçue qu’une attitude trop libéraleencourageait un contentieux abusif et qu’il pouvait être nécessaire de mettre un frein aux velléitésdes plaideurs sous peine de voir les juges du fond et la Cour de cassation débordés. Ensuite, l’année1996 révèle au grand jour la crise de l’assurance construction. Le ministère de l’Equipement se metà réfléchir à partir de cette date. Des groupes de travail sont constitués. Ces évènements n’ont puéchapper aux juges qui, par conséquent, ont fait évoluer leurs solutions, autant en matière deresponsabilité décennale que d’assurance construction.

A En matière de responsabilité des constructeurs

Quatre exemples sont révélateurs de ce changement d’orientation.

Le premier concerne la jurisprudence initiée par l’arrêt du 22 juillet 1998 sur les élémentsd’équipement industriel. La troisième chambre civile y pose une limite claire à l’application desarticles 1792 et suivants, en affirmant que tous les travaux ne relevant pas de la constructionéchappent au champ d’application de la responsabilité décennale et, par extension, à l’assuranceobligatoire. Cette jurisprudence, sans doute influencée par le rapport sur le champ d’application del’assurance construction remis à la fin 1997, sera sans cesse confirmée. Elle ne fait d’ailleursqu’appliquer la volonté initiale du législateur. Lors des travaux préparatoires de la loi, il avait été ditexpressément, dans la première version de l’article 1792, que la décennale ne s’appliquait ni auxéléments industriels ni aux éléments agricoles.

Le second exemple de jurisprudence plus restrictive concerne la prise de risques. Pour lesconstructeurs, cette prise de risques se révèle le moyen le plus facile de sortir de la présomptionquasi irréfragable de responsabilité qui pèse sur eux. Dès que l’obligation de conseil due au maîtred’ouvrage ou à un autre constructeur est remplie, la Cour de cassation considère que le maîtred’ouvrage prend et assume les risques qui lui ont été mentionnés. Aucune responsabilité décennalene peut donc être soulevée. Est, là encore, respectée l’une des idées de base de la loi de 1978 qui n’ajamais voulu faire des constructeurs des garants absolus de tous les errements du maître d’ouvrage.

Le troisième exemple est plus récent et concerne le dommage futur. Un exemple permetd’apprécier l’enjeu du débat. Un dommage survient sept années après la réception. L’expert analysele dommage, en l’occurrence une fissure, et constate qu’il s’agit d’un dommage qui s’aggravera etportera atteinte à la solidité ou à la destination, sans pouvoir être davantage précis. S’agit-il deresponsabilité décennale ? Deux conceptions sont envisageables entre lesquelles la Cour decassation a hésité. Soit admettre que tout dommage apparu dans la période décennale relève del’article 1792 même si son aggravation est postérieure au délai de 10 ans dès lors qu’elle estcertaine ; soit affirmer que le dommage doit atteindre une gravité décennale à l’intérieur même dudélai de la garantie décennale.

Cette solution a finalement triomphé dans un arrêt du 29 janvier 2003, confirmé par un autrearrêt du mois de juin de la même année. Elle se révèle fort importante, puisqu’elle limite le champd’application de la garantie décennale dans le temps. Tout dommage qui n’atteint pas une gravitédécennale dans le délai de dix ans après la réception ne fait pas partie des désordres de naturedécennale mais constitue un dommage intermédiaire, non couvert par l’assurance.

Une dernière manifestation de jurisprudence restrictive découle d’un arrêt du 26 février2003 qui reconnaît la possibilité d’une cause étrangère exonératoire, si la cause du dommage vient

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de l’existant. Il considère que si un dommage, provenant de l’existant, atteint une partie nouvelle etsi la cause est imprévisible au moment des travaux et indécelable, celle-ci exonère l’entrepreneur.Jusqu’alors, la jurisprudence était peu encline à admettre une exonération à la responsabilitédécennale provenant des existants.

B En matière d’assurance construction

La jurisprudence restrictive s’est aussi manifestée en matière d’assurance construction, bienqu’elle ne soit pas complètement univoque. A cet égard, je vous citerai encore quatre exemples.

Le premier est cependant antérieur à 1997. La première chambre civile de la Cour decassation, qui d’ailleurs ne juge plus de l’assurance construction depuis mai 2003, au bénéfice de latroisième chambre civile, a toujours décidé que l’assureur construction ne devait pas devenir ungarant d’achèvement. Depuis le début des années 90, la première chambre civile n’a cesséd’affirmer que l’assureur n’avait pas à indemniser les non-façons, mais seulement les malfaçonsprovenant d’un désordre de nature décennale. De même, conformément à la loi, la jurisprudence atoujours jugé que les dommages immatériels n’étaient pas couverts par l’assurance, contrairement àl’opinion d’un certain nombre de juges du fond. Point n’est besoin d’insister sur cette jurisprudencebien connue.

La grande nouveauté depuis 1997 est que le juge se montre fort attentif à l’équilibreéconomique du contrat d’assurance, c’est-à-dire à son caractère aléatoire. Sans aléa, la cause ducontrat n’existe pas et le rend nul. Or, cet aléa, et l’équilibre économique qui en découle, obligentl’assureur à être à même de connaître la réalité de la situation au moment où la prime est fixée.Toute mauvaise information qui lui est donnée est donc sanctionnée. Depuis 1997, la premièrechambre civile applique donc à l’assurance construction les articles L.113-8 (fausse déclarationfaite volontairement conduisant à la nullité du contrat) et L.113-9 (sous-déclaration involontaire durisque entraînant réduction proportionnelle de l’indemnité) du Code des assurances.

La jurisprudence est allée plus loin, dans son application de l’article L.113-1 du Code desassurances relatif à la non-indemnisation des conséquences d’une faute intentionnelle. Jusqu’en2000, la notion de faute intentionnelle était restrictive et n’englobait que les cas où le dommageavait été voulu, ce qui était très rare. Désormais, comme le soulignent deux arrêts de la troisièmechambre civile du 2 janvier 2002, il suffit, pour que soit mis en œuvre l’article L.113-1, que l’assuréait eu une attitude conduisant inéluctablement au dommage, même s’il n’a pas voulu ce dernier. Ilen va ainsi, par exemple, lorsque l’assuré viole délibérément les règles d’urbanisme.

Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence sur le secteur d’activités déclaré qui s’estdéveloppée à partir de 1997 est bien connue. Elle conditionne l’indemnisation d’un constructeur parson assureur de responsabilité obligatoire à une déclaration exacte de l’activité à l’origine dudommage. Un entrepreneur de menuiserie, assuré pour faire accessoirement de l’étanchéité, ne sera,ainsi, pas couvert s’il réalise l’étanchéité complète d’une toiture.

Enfin, dernier exemple de jurisprudence restrictive, le juge n’a pas voulu le mélange desgenres sur le plan de la procédure de mise en œuvre de l’assurance construction. Depuis 1997, lapremière chambre civile précise que l’assureur doit être saisi conformément au système obligatoireprévu par les clauses types. Il est par conséquent impossible d’exiger du juge des référés lanomination d’un expert.

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Au regard de ces jurisprudences restrictives, l’arrêt Chirignan du 29 février 2000 constituecependant une exception, dans la mesure où il oblige l’assureur à indemniser non seulement lesdésordres aux parties nouvelles réalisées mais aussi aux existants. Pourtant, nous savons bien queces désordres peuvent entraîner des coûts considérables. Cette solution a fait l’objet de tropnombreux commentaires pour qu’il soit utile de s’y attarder.

III. Conclusion

Toute systématisation rigide de la jurisprudence est impossible. La jurisprudence est unsystème souple de droit vivant que nous ne pouvons ni prévoir ni réguler. Il ne faut pas oublier quela Cour de cassation est composée d’hommes et que le changement de ces hommes ou l’évolutiondes mentalités au sein de la Cour peut faire évoluer la jurisprudence. Par conséquent, la sécuritéjuridique d’ordre jurisprudentiel n’est guère possible, puisque la jurisprudence doit rester ce qu’elleest.

L’application jurisprudentielle de la loi de 1978 fournit cependant une donnée intéressantepour l’avenir. Dans nombre de cas évoqués plus haut, le juge n’a pas admis aisément de se trouverdésavoué par le législateur et d’abandonner sa jurisprudence. Mieux vaut donc convaincre le jugeque d’essayer de le vaincre.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur le Professeur. Vous avez évoqué la notion d’impropriété à la destinationet y compris la jurisprudence sur les planchers grinçants qui entraîneraient l’impropriété à ladestination.

Vous avez par ailleurs mentionné l’esprit de la loi qui ressort des travaux préparatoires de 1977 etde la forme littérale de la loi Spinetta. Nos amis espagnols ont su intégrer dans leur loi de novembre1999 l’esprit de la loi, en se focalisant sur le logement et en évitant d’incorporer certaines rigiditésde la loi Spinetta.

Je tiens à préciser que nous aurons un représentant espagnol. Il ne s’agit pas de Monsieur TomasMartin mais de Monsieur Alberto Toledano, Directeur général de la filiale de la SMABTP enEspagne.

J’ai volontairement omis de préciser, Monsieur le Professeur, que vous avez été la cheville ouvrièrede la commission Périnet-Marquet. Vous étiez d’ailleurs entouré par Catherine Saint-Halary etJean-Pierre Karila et vous avez produit, en 1997, un rapport qui propose une délimitation du champde l’assurance construction obligatoire, la Direction des affaires économiques et internationalesassurant le secrétariat de cette commission. Le directeur en était alors Claude Martinand.Aujourd’hui, la fonction est occupée par Monsieur Paul Schwach.

Paul Schwach intervient sur l’évolution économique, depuis un quart de siècle, du système del’assurance construction. Je vous remercie, Monsieur le Directeur. Je cède la parole à MonsieurSchwach.

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L’économie

Paul SCHWACHMinistère de l’Equipement, Directeur des affaires économiques et internationales

Je vous remercie Monsieur Bertrand Fabre. Mon intervention vous donnera un aperçu sur lesquestions économiques qui sont, me semble-t-il, assez complémentaires aux questions juridiquesqu’a évoquées Monsieur Périnet-Marquet.

I. L’assurance construction sous le signe d’une double naissance

La première idée tombe sous le sens. Si nous considérons l’assurance construction sur le planéconomique, il faut rappeler qu’elle a eu deux naissances : une naissance juridique en 1978, avec laloi Spinetta, et une seconde naissance entre 1982 et 1983 au moment du passage d’un régime parrépartition vers un régime par capitalisation.

Pourquoi sommes-nous passés à un système de capitalisation ? Je n’ai pas eu l’opportunité de relireles travaux préparatoires à cette réforme. En somme, deux idées expliquent les avantages de lacapitalisation au détriment de la répartition.

La première idée est la nature cyclique du sujet du bâtiment. Dans les années 80, de nombreusestransformations se sont produites, notamment sur le plan du système économique et financierfrançais. Ce système qui s’est progressivement mis aux normes communautaires et de lamondialisation a apporté dans notre secteur de nombreux avantages comme des désagréments.

Nous avons des cycles qui existent toujours mais ceux-ci sont plus marqués que dans les années 80et 90 avec des creux plus conséquents comme des sommets plus élevés. Le caractère cyclique dubâtiment me paraît justifier l’idée de capitalisation. La répartition consiste à payer les sinistresd’une année donnée avec les primes versées dans l’année donnée. La capitalisation organise celadans le temps.

La deuxième idée est de même fort évidente. Le temps long du risque assuré entre le versement dela prime et le règlement du sinistre paraît un élément fondamental. Les sinistres apparaissent, nousl’avons évoqué, en moyenne, au bout de sept ans. En y ajoutant les délais de règlement et decontentieux parfois, nous constatons qu’en matière de responsabilité décennale la procédure peut serévéler fort longue malgré la loi Spinetta. Par conséquent, la réforme de 1983 a introduit lacapitalisation.

II. Le passage vers un système différent

Le passage d’un système à l’autre constitue le cœur de mon second point. Comme Monsieur Fabrel’a souligné, cette évolution a nécessité la mise en place d’un dispositif de transition pour solder lepassé. Il s’agit du fond de compensation de l’assurance construction.

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Ce fond a introduit une cotisation additionnelle aux primes versées aux assureurs bien connue desentreprises et des maîtres d’ouvrage. Les assureurs reversent ensuite la prime au fonds decompensation chargé de régler les sinistres concernant des chantiers réalisés avant 1983. Depuis1993, aucun nouveau sinistre ne se règle dans ce cadre-là.

Néanmoins, il reste des contentieux et des affaires non soldées. En 2003, nous arrivons au bout decette transition entre les régimes, puisque, dès l’année 2003, la contribution a été divisée par deux àla demande de Monsieur de Robien. Nous avons une perspective fort crédible et précise pourabandonner le système probablement à la fin de l’année 2004. Cette perspective est partagée par leministère de l’Equipement, le ministère des Finances et par un certain nombre d’acteurs del’assurance construction. Cette période transitoire a été bien gérée et maîtrisée. Nous sortonsactuellement de ce système issu de 1983.

III. Etat des lieux sur l’économie du système

Mon troisième point aborde un état des lieux sur l’économie de ce système. Comment le systèmefonctionne-t-il et évolue-t-il ? Quelles difficultés rencontrons-nous sur le plan économique ?

Je vous livre un premier chiffre qui pourrait susciter des commentaires. Le secteur du BTPreprésente 4,5 % du PIB national. Les primes versées par les entreprises et les maîtres d’ouvragedans l’ensemble des cotisations d’assurance relatives aux dommages s’élèvent à 6 % de toutes lesprimes assurances dommages.

Le secteur paie davantage de primes que ce qu’il représente réellement dans l’économie du pays. Ladifférence est-elle si importante ? Est-ce véritablement une préoccupation, si l’on imagine que lesecteur a des responsabilités sans doute plus fortes que d’autres secteurs ? Je vous laisse méditer cechiffre.

Un autre chiffre souvent cité par les assureurs illustre également cette importance. Si nous enlevonsles risques chantier, l’assurance des flottes d’entreprise notamment, nous pouvons considérer que lesecteur verse un milliard d’euros par an de primes d’assurance construction. Il faut rapporter cettedonnée aux 115 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors taxes. Cela fait 1 % de chiffre d’affaires,ce qui constitue un ratio relativement fort.

Cependant, il ne faut pas négliger en contrepartie l’effet des primes et analyser ce que nousobtenons comme protection du consommateur et du maître d’ouvrage. L'importance du ratio est àapprécier par rapport aux bénéfices que nous pouvons en tirer.

Je souhaite développer un autre aspect en considérant les comptes publiés par la FédérationFrançaise des Sociétés d’Assurances. Si nous prenons la construction neuve, plus représentative queles ratios donnés il y a un instant, nous sommes en moyenne à 2,6 % de primes d’assuranceconstruction par rapport à la valeur de la construction neuve.

Le montant s’est fortement accru au cours de la décennie 90. Au début de la décennie, le ratioavoisinait 1,5 %. Sur la fin de la décennie 90, une revalorisation assez importante a conduit à unmontant de 2,6 %. Depuis quatre années, le chiffre se stabilise. Voilà donc la dépense desentreprises et des maîtres d’ouvrage.

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En face de cela, nous avons un système protecteur pour le consommateur, le constructeur et lemaître d’ouvrage. Quels que soient les débats, je n’entends pas beaucoup de voix s’élever contre cesystème. Certes, l’assurance coûte cher avant l’accident, mais peu de personnes remettent en causel’esprit de la loi de 1978. Pourtant, nous le reconnaissons, nous avons un système spécifique enEurope. Cela peut rester une interrogation dans les prochaines années.

Pour comprendre les hausses récentes, j’ai dû interroger les entreprises, les assureurs. L’explicationla plus courante est que la mise en place du système a pris du temps. Les premières années del’assurance construction en système par capitalisation ont à l’évidence été marquées par unemauvaise appréciation du risque, notamment en matière de dommages-ouvrage.

Sur ce point, les assureurs imaginaient que la dommages-ouvrage consistait à avancer la réparationet récupéraient leurs fonds. En fait, il s’est avéré que les assureurs ne percevaient que la moitié de lasomme avancée. Il y a eu, là, sous-estimation du risque.

Cependant, sur le plan financier et économique, nous apercevons un second élément qui expliquel’augmentation des primes. Un enjeu fondamental d’ordre économique se pose aujourd’hui ausystème d’assurance construction. Nous avons échangé la fluctuation des cycles du BTP contre lafluctuation des cycles du marché boursier. La capitalisation suppose des fonds placés.

L’équilibre du régime de l’assurance construction repose fortement sur la rentabilité des placementsfinanciers. Ce système-là connaît des variations. Nous avons observé des conjonctures favorablesdans les années précédentes, mais aussi de mauvaises conjonctures. Il faudra vérifier si la manièredont le système fonctionne permet d’absorber le choc éventuel et résorber les aléas des rendementsfinanciers qui se révèlent aujourd’hui un des facteurs essentiels de l’équilibre de l’assuranceconstruction.

Nous observons une certaine concentration du marché de l’assurance construction. La moitié dumarché est détenue par six entreprises. Mais là encore contrairement au discours souvent entendu,le monolithisme n’est pas dominant. Des mutuelles et un certain nombre de sociétés jouent encoreleur rôle.

Il y a également de nouveaux entrants avec des heurs et des malheurs. Parfois, des entreprisespénètrent le marché avec une mauvaise appréciation du risque ou une politique commercialeaventureuse. En définitive, le système n’est pas fermé même s’il se révèle spécifique. Pourquoi nepourrais-je pas m’assurer au Lloyd’s, dans la mesure où le nombre des assureurs français estréduit ? J’ai le sentiment que le marché fonctionne quand même.

Les compagnies ont perdu, au cours de certaines périodes, d’importantes sommes. L’assuranceconstruction a été d’une certaine manière « épongée » par d’autres secteurs de l’assurance.Cependant, la bonne conjoncture financière, notamment la hausse des tarifs, a remis les comptes àflots à la fin des années 90. Néanmoins, en 2002, un déficit technique apparaît, mais limité.

Après avoir passé en revue tous les éléments économiques et financiers, je souhaite évoquer laquestion de la sinistralité qui paraît être à la base des questions économiques. Si nous observons unebaisse des sinistres, le coût et les besoins en assurance seront réduits. Nous avons le souci de reliercette question-là à la prévention des désordres et à la promotion de la qualité.

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IV. La sinistralité

Un sinistre se déclare assez tard avec un recul de sept années en moyenne. Il est difficile d’avoir unrecul complet sur les événements. Aujourd’hui, la situation actuelle fait apparaître chaque année300 000 sinistres déclarés. Le chiffre se stabilise depuis un certain nombre d’années malgré lesfluctuations du BTP.

Nous avons peut-être aujourd’hui des sinistres correspondant à une période creuse du BTP. Je restecependant prudent sur le pronostic des années à venir. Nous avons quand même une situation quiparaît stable. Près de la moitié des sinistres déclarés sont sans suite. Ces dossiers ouverts quioccasionnent des frais en matière d’expertise posent d’autres problèmes.

Nous avons aussi le sentiment qu’il n’y a pas eu dans le passé récent de grands sinistressystémiques, par exemple un matériau de construction qui s’avère inadapté au bout de cinq années.

Je pense que notre dispositif global de qualité des produits, de la construction et de formationremplit ces objectifs. Néanmoins, 80 % des sinistres apparaissent comme relevant de trois types dedésordre :

• l’étanchéité à l’eau ;• la stabilité, les fissures ;• la sécurité d’utilisation.

Cela montre qu’il pourrait y avoir, en concentrant l’effort de prévention des désordres et derecherche de qualité, des résultats intéressants sans frais considérables.

Dans le contexte de prévention des désordres et de promotion de la qualité, je souligne évidemmentle rôle majeur que joue l’Agence Qualité Construction. Il s’agit d’un lieu neutre qui rassemble tousles partenaires et des bases de données d’information importantes. L’Agence a pu développer unepolitique d’information et de diffusion avec des moyens limités. L’Agence Qualité Constructionétait jusqu’alors financée par le fond de compensation d’assurance construction.

Nous avons le souci de pérenniser les activités de l’agence, à un moment où le fond va disparaître.L’Etat souhaite que les partenaires au sein de l’agence puissent prendre le relais, non plus sur unebase législative obligatoire mais sur une base conventionnelle.

Nous proposerons de réunir prochainement les partenaires du monde professionnel, notamment lesassureurs, afin de mettre au point une convention. La convention aura principalement pour but dedéfinir les moyens permettant de pérenniser l'Agence Qualité Construction.

V. Réponses sur différents points

Pour conclure, je souhaite répondre aux questions que certains d’entre vous nous adressent. Quatrequestions sont en cours de traitement. Nous espérons y répondre dans les meilleurs délais. Enfin,deux questions concernent une problématique plus récente qui débouchera peut-être sur un prochainrapport d’un professeur. Les quatre questions en cours de traitement concernent les points suivants.

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• La suppression du fond de compensation d’assurance construction programmé fin 2004 prévuedans une loi de finances. Pour des raisons techniques, la suppression du fond ne figurera pasdans le projet de loi de finances 2004. Nous travaillons avec la Direction du Trésor pourl’inscrire dans une loi de finances rectificative dont les travaux préparatoires sont déjà en cours.

• La pérennisation de l’AQC constitue le second élément. J’inviterai prochainement lespartenaires, comme le soulignera plus tard, Monsieur le Ministre, à une rencontre afin de monterle dispositif ensemble.

• La réforme du champ de l’assurance construction obligatoire apparaît comme le troisièmeaspect de notre questionnement, comme l’a évoqué le Professeur Périnet-Marquet.

• La sous-traitance est le dernier sujet évoqué par la commission technique de l’assuranceconstruction.

Je ne développerai pas ces deux derniers points bien connus, puisqu’ils ont fait l’objet de nombreuxtravaux, de rapports et de réunions. Sur ce plan, les points de vue sont consensuels. J’ai découvertces sujets à mon arrivée à la Direction des affaires économiques et internationales. Lors de ladernière réunion de la commission technique de l’assurance construction, j’ai actualisé l’ensembledes données.

Notre objectif est de trouver un vecteur législatif pour porter cette réforme, même si j’ai noté desconsignes de prudence par rapport à la jurisprudence. Je crois que certains éléments ne peuvent êtrefixés que par le législateur, ne serait-ce que pour remédier à des imprécisions et à des « bugs » de laloi de 1978.

A ce sujet, nous avions un vecteur possible qui était la loi « habitat pour tous », sur laquelle leMinistre travaille actuellement. Cette loi a également de nombreux objectifs. Cependant, unehypothèse d’ordonnance paraît aujourd’hui légitime. Le Gouvernement a annoncé un deuxièmetrain d’ordonnances après le premier train qui a fait l’objet d’une habilitation par le Parlementl’année dernière.

Il est proposé un projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre un deuxième traind’ordonnances qui comprendra notamment des sujets importants dans l’équipement, l’habitat et letransport. Au cœur du projet de loi, nous pourrions introduire des éléments bien circonscrits d’uneréforme du champ de l’assurance construction, afin, notamment, d’en sortir les équipementsindustriels, les dommages sur existants, et de clarifier et sécuriser le régime de responsabilité dessous-traitants. Voilà les sujets en cours de procédure.

Deux autres questions doivent être également posées.

• La première question tient à cœur aux professions de la maîtrise d’œuvre, de l’ingénierie, del’architecture et du contrôle technique. L’enjeu central relève de la responsabilité de ces acteursin solidum qui porte sur l’ensemble de l’ouvrage, alors que leur rémunération ne porte que surune partie marginale de l’ouvrage. Nous observons donc un fort décalage et des difficultés queressentent de nombreuses professions. Il s’agit d’un enjeu difficile. Nous sommes prêts à endébattre.

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• La deuxième question est également assez nouvelle et ouverte. En effet, les assureurss’interrogent sur la possibilité de donner au système des éléments de liberté contractuelle malgréle cadre de la loi. Nous pourrions en ce sens étudier certains éléments. Mais j’évoque cela avecbeaucoup de prudence et de précaution. Nous sommes à votre entière écoute. Il s’agit d’un longdébat, si j’en juge par les autres sujets qui ont fait l’objet d’un premier constat en 1997 et quin’aboutiront finalement qu'en 2004.

Pour conclure, je souhaite répondre à la question qui nous réunit aujourd’hui : « Où en estl’assurance construction après un quart de siècle ? ». A mon sens, cet outil a fonctionnécorrectement jusqu’alors et a trouvé un rythme de croisière. Certes, l’assurance construction connaîtencore des incertitudes, mais pourra encore être utile, si elle réussit à s’adapter. En tout cas, nousœuvrons dans cette perspective. Je vous remercie de votre attention.

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Première séquence de questions-réponsesLa première séance de questions-réponses est animée par Monsieur Bertrand Fabre.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur le Directeur. Vous avez esquissé le débat du rapport entre la conjonctureet la sinistralité. Je pense personnellement que la conjoncture a toujours un mauvais effet sur laqualité des travaux. Si la conjoncture est haute, les promoteurs notamment accélèrent les travaux enimposant des délais déraisonnables. Par contre, si la conjoncture est déprimée, les entreprisesmultiplient les prix aberrants.

Nous arrivons à la première séquence des questions-réponses. Je ferai deux observations liminaires.Il faut que la question soit une vraie question, même si elle peut être précédée d’un bref exposé desmotifs. Par ailleurs, avant chaque intervention, vous devez vous présenter et préciser votre secteurd’activité. En effet, chaque profession a des préoccupations différentes. Le point de vue diffèreselon le métier de chacun, que vous soyez banquier, maître d’ouvrage, assureur ou ingénieur.

Nous commençons la séquence des questions-réponses. La première question posée par MonsieurDerrien de la Fédération de Normandie Rouen-Dieppe s’adresse à Monsieur Paul Schwach. Quellesorientations pour la responsabilité des sous-traitants ? Il est vrai, Monsieur le Directeur, vous avezabordé ce point sans l’approfondir pour des raisons de temps.

Paul SCHWACH

Nous avons travaillé et débattu de ce texte en commission technique, comme je l’ai indiqué dansmon intervention. Le texte est prêt à être diffusé et transmis. L’idée générale est d’harmoniser lerégime des sous-traitants avec le régime des autres constructeurs, sans pour autant les soumettreformellement au régime obligatoire d’assurance construction.

L’objectif est d’avoir une durée de responsabilité précise. Aujourd’hui, faute d’avoir cet élément, laresponsabilité générale des sous-traitants est souvent recherchée. Il s’agit donc d’une durée de trenteans qui s’impose à leur responsabilité. Le premier but est d’harmoniser la durée. La seconde idée estde donner un point de départ clair et sûr de la garantie, c’est-à-dire de revenir sur la notion deréception.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur Paul Schwach. En effet, nous avons un régime particulier pour les sous-traitants aux termes duquel, à la limite, les sous-traitants qui sont intervenus sur le chantier deNotre-Dame de Paris pourraient être recherchés. Nous avons, en effet, une garantie trentenaire àcompter de la manifestation du désordre et de ce fait, à la lettre, si une faute est démontrée, leursayants droit pourraient être poursuivis plusieurs siècles après !

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La deuxième question, posée par Monsieur Rousselan dont nous ignorons l’activité professionnelle,s’adresse à Monsieur le Directeur Paul Schwach. La police « dommages-ouvrage » au cœur de la loiSpinetta est aujourd’hui en crise. Il est difficile de trouver un assureur notamment pour laconstruction d’habitations. L’illégalité de la franchise est probablement une cause lourde. Envisage-t-on de restaurer la franchise pour l’assurance dommages-ouvrage par ordonnance ? Cette questionrelève du domaine technique.

Paul SCHWACH

La question soulève de nombreuses interrogations. J’ai abordé ce sujet très elliptiquement vers lafin de mon intervention.

Pouvons-nous affirmer que l’assurance dommages est en crise ? Comme vous l’avez souligné audébut des années 90, l’assurance dommages a connu des débuts difficiles, dans la mesure où celle-ciétait manifestement sous-évaluée. Les assureurs ne partagent peut-être pas mon point de vue,puisqu’ils sont encore déficitaires.

Cependant, l’assurance dommages remplit son rôle de protection du maître d’ouvrage. Aprèsexamen et analyse, il est possible d’introduire à nouveau des éléments de liberté contractuelle. Ilfaut analyser si nous pouvons éviter à moindre frais de sérieuses difficultés. Cette problématiqueressemble à celle de la Sécurité sociale, notamment sur le plan du ticket modérateur. Nous pouvonsfaire du progrès dans ce sens.

Pour conclure, je répondrai négativement à la question posée. Il n’est pas prévu que cela soit intégrédans une ordonnance. Ce n’est pas un sujet suffisamment étudié, pour que nous finalisions le projet.Néanmoins, il n’est pas à exclure une réflexion plus aboutie sur ce sujet.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur le Directeur. J’aborde une question relative aux sous-traitants posée parMadame le Professeur Anne d’Hauteville qui enseigne le droit et notamment l’assuranceconstruction à la Faculté de Montpellier. La question s’adresse à Monsieur le Professeur Périnet-Marquet. Sur le plan économique et juridique, faut-il maintenir les sous-traitants à l’extérieur dusystème légal obligatoire ?

Hugues PERINET-MARQUET

Un auteur (M. Malinvaud) évoquait la notion de misérabilisme juridique à propos del’exclusion des sous-traitants du champ d’application de la responsabilité des constructeurs et del’assurance construction. Il existe cependant des difficultés juridiques pour les y faire entrer. Il nefaut pas oublier deux aspects.

Le premier concerne la responsabilité du sous-traitant vis-à-vis de l’entrepreneur principal,avec lequel il est lié par contrat. Pouvons-nous en faire un élément faisant partie intégrante de lagarantie décennale ? Oui, mais seulement en modifiant les termes de l’article 1792 qui organise une

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responsabilité à l’égard du maître d’ouvrage. Or, l’entrepreneur principal n’est pas le maîtred’ouvrage. Pouvons-nous par ailleurs raccourcir le délai ? Rien, a priori ne s’y oppose. J’en profitepar ailleurs pour signaler que la question du délai ne concerne pas uniquement l’assuranceconstruction et les sous-traitants. Le rapport de la Cour de cassation pour 2001 est favorable à unraccourcissement de tous les délais contractuels à dix ans, sauf en matière d’usucapion. En optantpour un délai de dix ans, nous allons vers une conception moderne. En effet, au regard del’accélération économique, un délai de trente ans n’a plus vraiment de sens. Il faut naturellementraccourcir le délai et changer l’esprit.

Si nous analysons la responsabilité du sous-traitant vis-à-vis du maître d’ouvrage, laresponsabilité est délictuelle. Par conséquent, comment pouvons-nous passer de la responsabilitédélictuelle à la responsabilité décennale ? De toute évidence, le législateur peut agir à sa guise maisil lui est difficile de transformer une responsabilité délictuelle en décennale, donc en contractuelle.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur le Professeur. En effet, la distinction entre la responsabilité délictuelle etla responsabilité contractuelle se révèle assez complexe. En somme, en matière de responsabilitédélictuelle, la faute doit être prouvée, alors qu’en matière de responsabilité contractuelle, le constatde non-exécution de l’obligation équivaut au constat de la faute.

La question suivante posée par Monsieur Dominique Ardant qui fait partie d’une société decourtage s’adresse à Monsieur Paul Schwach. 50 % des sinistres restés sans suite coûtent cher enexpertise et en gestion. Il s’agit souvent de sinistres de faible montant. Pourquoi n’envisagerions-nous pas une franchise pour les petits sinistres en assurance dommages-ouvrage ?

Paul SCHWACH

Je pense avoir répondu sur le fond. Je discutais dernièrement de ce sujet avec Monsieur EmmanuelEdou. Il est vrai que la mise en jeu de la police « dommages-ouvrage » remplace parfois le serviceaprès-vente de l’entreprise qui n’a justement pas de relation avec le client. L’entreprise pourraitalors réparer un certain nombre de défauts. Il faut en ce sens faire un effort de réflexionprofessionnelle avec l’ensemble des acteurs.

Bertrand FABRE

Nous évoquions il y a un instant, avec un représentant des entreprises, l’augmentation en nombredes contrats globaux qui comprennent la construction et l’entretien. Il est bien évident que si nousdevons entretenir l’ouvrage que l’on a construit, nous construirons des ouvrages faciles à entretenir.Nous pouvons encore prendre une question. Monsieur, je vous en prie, posez votre question !

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André FACUNDO

Je fais partie de la société d’ingénierie Beterem Ingéniérie. Je souhaite d’abord poser une questionpolémique qui n’appelle aucune réponse : pourquoi les maîtres d’œuvres n’ont-ils pas été invitésautour de la table ?

Ma seconde question concerne en fait le bilan de la loi Spinetta. J’introduis ma question par unebrève présentation. Le bilan doit être effectivement mitigé. Il faut rappeler que la loi Spinetta a été àl’époque introduite pour régler les problèmes du moment. En fait, le système qui en a découlé est denature curative. Dans ce système, la prévention avait été énoncée mais restait un vœu pieux. En tantque société d’ingénierie, notre situation financière actuelle est fort délicate en raison du coût del’assurance construction.

Je décrirais ainsi le mécanisme de spirale. Nous construisons, les sinistres surviennent. Puisl’assureur paie et augmente la tarification. Les tarifs pèsent alors sur notre compte d’exploitation.Cette spirale nuit à la qualité et augmente par conséquent la sinistralité. Comment pourrait-onintroduire, dans ces processus, de la prévention ? Je souligne les travaux de l’AQC que je ne remetspas en cause, encore faudrait-il que ces travaux soient l’objet d’une large diffusion, y compris sur leplan des organismes de formation professionnelle.

A mon sens, il faut aller au-delà. Il faut introduire la qualité au niveau de tous les générateurs derisques, c’est-à-dire en amont. L’assurance ne tient pas vraiment compte des risques actuels. Ensomme, le bâtiment génère lui-même des risques en fonction de sa situation. Naturellement, lesrisques sont différents.

Bertrand FABREPouvez-vous préciser votre question ?

André FACUNDOComment pourrions-nous introduire dans le processus de l’assurance construction des éléments quitiendraient véritablement compte du risque ? Comment est-il par ailleurs possible d’avoir une primeà la qualité ?

Bertrand FABRE

Souhaitez-vous répondre Monsieur le Président Alain Sionneau ?

Alain SIONNEAUJ’ignore si ma réponse sera satisfaisante. En tout cas, votre intervention renvoie au point suivant : lanon-dissociation entre les qualités de maître d’ouvrage.

En somme, la loi Spinetta a considéré le maître d’ouvrage dans sa globalité, sans tenir compte qu’ilpuisse être maître d’ouvrage particulier ou professionnel. Nous pourrions poursuivre lespropositions énoncées de Monsieur Paul Schwach.

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Nous ne pouvons nier qu’il existe des maîtres d'ouvrage occasionnels. Cet assuré-là doit êtrefortement protégé, peut-être davantage qu’aujourd’hui. D’un autre côté, certains maîtres d’ouvragesprofessionnels, connaissant parfaitement les techniques de construction, maîtrisent également latechnique de l’appel d’offre et privilégient systématiquement le moins-disant. De ce fait, ilsprennent, en toute connaissance de cause, un certain nombre de risques qu’ils n’assument pasensuite.Grâce à l’assurance, nous constatons même des enrichissements sans cause. Il est alors réalisé, aposteriori et sur le compte de l’assureur et in fine des assurés, des travaux qui auraient éténécessaires mais qui n’ont pas pu être mis en œuvre pour des raisons budgétaires. Nous pourrionsréfléchir plus longuement sur ce point.

D’ailleurs, une autre question découle de ce constat. Est-il indispensable d’avoir une assurance dedix ans qui soit totalement automatique ? Il serait peut-être possible de mettre en place uneassurance à double détente qui porte sur une durée de dix ans mais avec une première détente à cinqans, et une prolongation de cinq nouvelles années tenant compte de l’exécution de travauxd’entretien.

Pour ma part, je serais partisan d’un tel système mais, nous pourrions peut-être trouver dessolutions intermédiaires qui ne déstabilisent pas complètement le mécanisme de la loi Spinetta, qui,en fin de compte, a bien fonctionné.Je développerai ensuite un second point. Comme l’atteste l’engagement des professionnels dubâtiment, il faut développer des objectifs de prévention. A ce titre-là, la SMABTP s’est pourl’instant investie dans un processus d’expérimentation auprès de nombreuses entreprises volontairesou identifiées par les salariés de la SMABTP, afin de mener à bien une démarche qualité.

Dans ce cadre, nous procédons d’abord par une démarche de « diagnostic » à laquelle succèdera unedémarche « qualité ». La mission est prise en charge par la Fondation Excellence SMA présidée parJean Domange. D’ici quelques mois, nous aurons des éléments à soumettre, non seulement à laSMABTP mais à l’ensemble des assureurs construction de France, afin de progresser dans cetteréflexion.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur le Président. Vous évoquez la nécessité de diffuser plus largement lestravaux de l’Agence Qualité Construction. Je partage ce point de vue. Le Moniteur le fait avecl’appui de la Fondation Excellence SMA en diffusant soixante et une fiches qui ont rencontré un vifsuccès d’après le témoignage de nombreux lecteurs. Je m’engage à diffuser tous les travaux dequalité de l’Agence Qualité Construction. D’après l’étude FCA Cadres, nous sommes un bonvecteur de diffusion puisque nous sommes lus chaque semaine par 483 000 lecteurs cadres.

En effet, il ne s’agit pas de remettre en cause une loi qui permet au système de fonctionnercorrectement depuis un quart de siècle. Au contraire, il faut améliorer le système autant quepossible. Comme l’a souligné Monsieur Périnet-Marquet, nous avons observé des évolutionsjurisprudentielles variables en fonction des tribunaux et des magistrats. Monsieur le Directeur nousa promis des ordonnances et des lois sur la franchise.

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L’influence de la loi

Présentation

Bertrand FABREDirecteur des rédactions, Groupe Moniteur

Nous n’imaginons pas qu’une telle loi n’ait pas pu avoir une influence profonde sur son quadruplechamp d’application :

• la construction ;• le monde de l’expertise ;• l’assurance ;• la France et son voisinage européen immédiat.

Nous écouterons tout d’abord une intervention sur l’influence de la loi sur le secteur de laconstruction par Monsieur Christian Baffy, Président de la Fédération Française du Bâtiment. PierreAlleaume, Président de la Compagnie Française des Experts Construction, nous entretiendra sur ledomaine de l’expertise. Monsieur Jacques Szmaragd, Président du Comité Assurance de laFédération Française des Sociétés d’Assurances, abordera la question relativement au monde del’assurance.

Enfin, pour élargir le débat à l’Europe, Monsieur Alberto Toledano, Directeur général d’ASEFA,évoquera l’expérience espagnole

Nous écoutons tout d’abord le Président Baffy.

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L’influence de la loi sur le secteur de la construction

Christian BAFFYPrésident de la Fédération Française du Bâtiment

Je vous remercie Monsieur Fabre. Monsieur le Président, cher Alain, je souhaite te remercier dem’avoir invité pour parler de l’influence de la loi Spinetta sur le secteur de la construction. Je vousremercie de laisser la parole à la FFB. A cette occasion, je voudrais évoquer tout l’attachement de laFédération Française du Bâtiment à la SMABTP.

I. Une "longue vallée de larmes"

Si nous nous interrogeons sur l’influence d’une loi, il importe de se remémorer le contexte, danslequel elle fut votée. Le contexte a déjà été évoqué par les deux intervenants précédents. La loiSpinetta relevait davantage de la nécessité que du hasard.

Vous le savez, le précédent système s’enlisait dans la recherche préalable des responsabilités etfavorisait l’éclosion de procédures longues et coûteuses. Il y avait une distorsion grave entre laprotection juridique affichée et la protection réelle. En un mot, selon Spinetta lui-même, le systèmeétait tourné vers la recherche prioritaire des responsabilités avant toute réparation, reléguant ausecond plan la préoccupation de l’usager.

Le système mis en place en 1978 avec l’obligation d’assurance accompagnée d’un mécanisme àdouble détente, présentait au regard de ces éléments d’indéniables vertus. Il a permis une meilleureprotection du maître d’ouvrage, une réduction des délais avec une diminution des contentieuxjudiciaires au profit de règlements amiables.

Pour autant, force est de constater que l’histoire de cette loi s’apparente aujourd’hui à une longuevallée de larmes. La vertu a beaucoup de vices qui comme le diable se cachent malheureusementdans les détails. Ainsi, comment pouvons-nous ignorer dans le domaine de la construction la causedu dommage en cas de sinistre ? Sans être exhaustif, je voudrais mentionner les points suivants, aupassif de la loi.

Les difficultés furent d’abord financières, comme l’a évoqué Monsieur le Directeur Paul Schwach.Avec le recul, chacun appréciera à sa juste valeur le réalisme de l’objectif qui était de faire baisserle coût de l’assurance construction. Pour mettre fin à un déséquilibre économique latent, lesassureurs ont pratiqué une douloureuse mais nécessaire politique de redressement tarifaire depuis1995. J’observe que les hausses se poursuivent et que les assureurs continuent à s’interroger surl’équilibre de la branche. Or, chacun le comprendra, la fuite en avant, à l’infini, n’a finalement pasde sens.

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II. La responsabilisation des acteurs

Notre second point concerne la responsabilisation des acteurs. L’un des fondements de la lois’apparente encore malheureusement à un vœu pieux. Il s’agit là d’un des plus gros défauts dudispositif. Il n’est pas rare de constater dix ans après la réception des travaux une entreprisecondamnée à réparer des désordres sans aucun abattement de vétusté ou d’entretien. Commentpouvons-nous admettre une telle ignorance de l’usure liée au temps ?

La cartographie du système, en d’autres termes ses frontières, a connu de grandes dérives sous leseffets de la jurisprudence. Les dérives se traduisent par une prise en charge de sinistres ignorésquelques années auparavant. Il est vrai, la complexité du système et le flou de nombreuses notionsouvrent de larges boulevards que les juges n’ont pas manqué d’emprunter. J’évoque à ce titre lecaractère indéfiniment extensif de l’impropriété à la destination.

Le régime de responsabilité des sous-traitants, plus pénalisant, constitue une autre parfaiteillustration de cette complexité qui frise l’absurdité, comme vous l’avez indiqué Monsieur Fabre.En effet, sur le fondement de plusieurs régimes juridiques, il est possible de se retrouver poursuivipour une durée allant au-delà de la période décennale. En résumé, si le pouvoir du juge croît avecl’obscurité de la loi, il ne faut pas s’étonner qu’en ce domaine, le juge ait davantage pris le pouvoir.

Certes, il ne suffit pas d’incriminer tel ou tel, mais il faut que chacun balaie devant sa porte. Onpeut nous reprocher à nous constructeurs d’être à l’origine d’une sinistralité qui ne baisse pas maisqui globalement représente 1 % environ du chiffre d’affaires du secteur.

La sinistralité intrinsèque existe de plus pour de multiples raisons. Aucun indicateur ne permet dequantifier la réalité du phénomène et son éventuelle progression. Elle ne saurait toutefois, à elleseule, expliquer l’ensemble des dérives du système. Le fonctionnement global du dispositifgagnerait bien évidemment à être corrigé. Mais je voudrais évoquer à ce sujet deux grands axes oupistes. L’une vient d’être évoquée à l’instant par Monsieur Alain Sionneau.

L’extension du champ de la décennale se comprend dans un monde où la recherche de la sécuritéet/ou les pressions consuméristes conduisent en cas de difficulté à prendre l’argent où il est. Voussavez tous que l’argent se trouve naturellement chez les assureurs.

Nous nous étions presque réjouis qu’un projet de loi consensuel sur la définition du champ del’assurance construction ait pu être rédigé. En septembre 2000, après cinq ou six années de travaux,Le Moniteur du bâtiment et des travaux publics pouvait titrer en parlant de la réforme : « Cette fois-ci, plus aucun doute, c’est pour bientôt ». On le voit en matière d’assurance la procédure est longue.

Il faut cependant davantage faire preuve de clarté et de précision. En effet, chaque fois qu’un juristeinterprète l’article 1792, l’assureur, donc l’entrepreneur, paie. Ceci est d’autant plus dommageableque l’appréciation du risque pour dix ans se fonde sur l’état de droit à l’origine. Après quatreannées, la question posée n’est pas de savoir si nous devons redéfinir le champ de l’assuranceconstruction, mais si nous allons le faire. Nous souhaitons également que puisse être rapidementmise en œuvre la mesure relative au cas particulier des sous-traitants. Là encore, l’intervention duMinistre sera sûrement apaisante. Cependant, la prudence m’amène à affirmer que seuls les faitspermettront de juger.

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III. Réforme de l’assurance construction

Nous passons maintenant au point suivant relatif à la réforme de l’assurance construction, y comprisle chantier évoqué de la définition de son champ d'application qui n’est pas une fin en soi. Il fauts’interroger sur le but et les objectifs d’une telle réforme. Notre Fédération ne peut que placer aucentre de ses ambitions la qualité de la construction. En d’autres termes, le régime actuel del’assurance construction influe-t-il positivement ou négativement sur cette ambition ?

Là encore, tout n’est ni blanc, ni noir. Bien des facteurs expliquent à la fois les niveaux et lesévolutions en matière de sinistralité. Les innovations par exemple peuvent nous créer, à nousentrepreneurs, un certain nombre de soucis.

L’assurance construction constitue un élément parmi d’autres. Mais force est de reconnaître que lerégime actuel de l’assurance construction ne semble guère être un élément de progrès décisif vers laqualité. Chacun le reconnaît la sinistralité reste trop élevée dans l’absolu mais aussi de manièrerelative.

De fait, les exigences des clients progressent. Là, il s’agit du bon côté du consumérisme. Cela n’estpas spécifique au bâtiment. Les clients n’acceptent plus aucune imperfection. J’observerai, aupassage, que la jurisprudence traduit aussi l’évolution des mœurs. C’est pourquoi il faut à la foisélever le niveau des prestations et réduire la sinistralité globale. Atteindre ces objectifs est vraimentune exigence de progrès qui demande des efforts et de l’imagination.

Pour y parvenir, il faut d’abord développer les politiques de prévention. La prévention consiste às’attaquer aux causes. Pour cela, il faut réfléchir d’une manière plus approfondie à l’architectured’ensemble pour en réduire les effets pervers. L’action de l’AQC participe à cet objectif deréduction des désordres et d’amélioration des pratiques.

Elle repose notamment sur deux commissions : la Commission de prévention produit (C2P) et laCommission prévention construction (CPC).

La FFB milite d’ailleurs, en accord avec son Président Yves Le Sellin, pour un recentrage desactions de l’AQC, afin d’en accroître encore plus l’efficacité. La Fédération milite aussi pour quenous allions bien plus loin.

En 2001, la Fédération Française du Bâtiment, sous la présidence d’Alain Sionneau, s’est mêmefixé un objectif ambitieux. J’espère pouvoir le réaliser, cher Alain. L’objectif est de faire diminuerla sinistralité de 30 % en six ans, c’est-à-dire à l’horizon 2007. Pour ce faire, elle se mobilise avecles unions et les syndicats de métier sur différents fronts :

• recherches professionnelles sur des sinistralités constatées afin de les comprendre et de mieuxles prévenir ;

• renforcement des efforts de formation tant initiale que continue ;

• adaptation permanente des normes DTU qui définissent des spécifications de mise en œuvre desproduits de construction .

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Pour réussir, il est nécessaire de bien développer au sein des entreprises des démarches qualité. Ilvaut mieux diffuser les règles de l’art et améliorer le savoir-faire des professionnels. A cette fin, ilest notamment envisagé de créer des guides fortement illustrés rappelant par métier ce que toutcompagnon doit savoir sur un chantier pour exercer son métier.

Il faut dans le même temps que les assureurs intègrent mieux dans la fixation de leurs primes laqualité des entrepreneurs et des maîtres d’ouvrage, ainsi que l’ensemble des intervenants de lafilière. C’est un sujet délicat. Mais c’est se voiler la face que d’ignorer ou de feindre d’ignorer lesécarts de performance et les ravages des prix anormalement bas.

Les maîtres d’ouvrage ne doivent pas par ailleurs se sentir déresponsabilisés par un systèmed’assurance qui s’apparente en fait à un système de Sécurité sociale. A contrario, les maîtresd’ouvrage doivent être responsabilisés. Ils doivent assumer les conséquences de leur choix afind’éviter les comportements où chacun reporte sur la mutualité des autres le surcoût de la non-qualité.

Comme Monsieur Alain Sionneau l’a évoqué précédemment, il faut également s’interroger auregard des pratiques européennes sur la nécessaire distinction ou non entre les maîtres d’ouvrageoccasionnels qui ont besoin eux de protection forte et les maîtres d’ouvrage professionnels.

Bien informés des problèmes techniques et juridiques, ceux-ci disposent aujourd’hui d’unevéritable rente de situation dans le dispositif actuel. Ces derniers, mieux responsabilisés dansl’intérêt de tous, devraient alors choisir le meilleur rapport qualité-prix et développer des politiquesd’entretien adaptées. Je pourrais naturellement continuer à égrener dans un long exposé techniqueles actions à poursuivre. Je pourrais notamment évoquer le système de bonus malus, les avantageset les inconvénients de l’obligation, préalable à toute construction, de l’étude de sol. Je pourraisaussi citer l’introduction d’une franchise en matière de dommages-ouvrage.Je voudrais tout au contraire me concentrer sur la nature des remèdes adéquats à mettre en œuvre.La réforme de 1978 a résolu de façon satisfaisante la question de la réparation. La prochaineréforme de 2006, dans la continuité de celle de 2004, doit se révéler aussi efficace à réduire lessinistres.

IV. ConclusionPour conclure, je voudrais affirmer qu’il n’est pas interdit de rêver à un régime d’assuranceconstruction qui s’inscrirait dans une spirale vertueuse au lieu de cultiver certains vices. Je vousremercie vivement de votre attention.

Bertrand FABREJe vous remercie Président Baffy. Nous avons bien saisi votre affirmation liminaire du fortattachement de la FFB à la SMABTP. Est-ce à dire que certains auraient un attachement moindre ?Le deuxième domaine d’influence de la loi Spinetta est le monde de l’expertise. Parmi les pointspositifs de la loi, surtout si nous la comparons à l’ancien système, nous pouvons mentionner laréduction des délais d’indemnisation des sinistres. A cet égard, l’organisation de délai court etimpératif des opérations d’expertise a assurément joué un rôle important. Je cède la parole àMonsieur Alleaume.

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L’influence de la loi sur le secteur de l’expertise

Pierre ALLEAUME

Président de la CFEC

1° INTRODUCTION

Je tiens à remercier Monsieur le Président Alain Sionneau et la SMABTP pour l’organisation decette journée dont le succès démontre à mon sens son utilité.

Pour ma part, je fais partie de la Compagnie Française des Experts Construction. Nous sommes uneorganisation syndicale plus modeste et moins importante que la FFB ou la FFSA, mais qui estimportante dans son domaine de compétences et d’intervention.

Dans le cadre des premiers exposés, j’ai entendu à plusieurs reprises l’emploi du terme« archéologie ».

Il s’agit là d’une curiosité, dans la mesure où je souhaitais commencer mon exposé en vousindiquant que nous pouvions distinguer trois grandes périodes dans le secteur de l’expertiseconstruction, et que je qualifierai de « préhistorique » la première de ces périodes.

2° PERIODE : AVANT LA LOI SPINETTA

Avant la loi du 4 janvier 1978 ( Loi Spinetta )

Il s’agit d’un simple rappel.

Le champ d’activité des experts intervenant sur des sinistres de la construction était essentiellementcelui de la responsabilité civile décennale des constructeurs (Police RCD), avec ponctuellement lecas de sinistres traités dans le cadre de police Maître d’Ouvrage.

Ce simple rappel est intéressant si l’on se souvient qu’à cette époque, le terme

« d’expert construction»

était peu utilisé pour caractériser le professionnel travaillant sur de tels dossiers.

Les « experts construction » se rencontraient alors au sein des cabinets d’expertise « Dommages »ou spécialisés en R.C. et qui recevaient des missions de sinistre sur des polices de R.C.D.

A cette époque, on pouvait déjà néanmoins identifier 2 « corps » d’experts constitués par desassureurs pour traiter spécifiquement de ce type de dossier.

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Il s’agissait :

- des experts du GECO et- des experts de la SMABTP.

L’activité et les méthodes de travail n’étaient alors pas fondamentalement différentes de celles desexperts intervenant pour le compte des compagnies d’assurance.

Ce rappel était nécessaire pour montrer qu’avant la loi Spinetta, l’expert « construction » n’étaitfinalement identifié que par sa spécialité au sein de l’ensemble de la profession d’expert et non parsa spécificité.

3° PERIODE : LA LOI DU 4 JANVIER 1978

et ses textes d’application ( décrets et arrêtés du 17/11/1978 – les clauses types )

Du point de vue de l’activité d’expert, la loi Spinetta apporte 3 grandes nouveautés :

- d’abord, elle crée une nouvelle forme d’expertise : l’expertise dommages-ouvrage ;- ensuite, elle organise ce nouveau type d’expertise, en précisant les modalités et le contenu de la

mission d’expertise et du rôle de l’expert ;- enfin, elle donne une reconnaissance officielle à l’expert.

En effet, les clauses types applicables aux contrats d’assurance dommages (annexe II à l’articleA.241 – 1) indiquent :

« les dommages sont constatés, décrits et évalués par les soins d’une personne »

« physique ou morale, désignée par l’assureur et ci-après dénommé " L’Expert " ».

Je ne reviendrai pas sur les questions connues de tous des différentes phases de l’expertisedommages-ouvrage, des documents (rapports d’expertise préliminaire et rapport d’expertise) endécoulant, des obligations respectives de l’assuré et de l’assureur et, particulièrement pour cedernier, de l’obligation de respect des délais.

Je voudrais, en revanche, rappeler brièvement les difficultés pratiques de l’application du dispositif.

Dans les premières années d’application de la loi (jusqu ’en 1983), le déroulement de l’expertisedommages-ouvrage était ralenti par la nécessité du respect du « contradictoire » à l’égard de tous lesintervenants concernés par un sinistre c’est-à-dire, non seulement à l’égard des constructeursintéressés par le sinistre mais également à l’égard de leurs assureurs respectifs, en RCD ou en RCP.

Les réunions d’expertise, pour des sinistres souvent de faibles enjeux financiers, réunissaient alorsplusieurs experts ;

- l’expert dommages-ouvrage ;- les experts respectifs des assureurs RC dont l’assuré pouvait être intéressé par le sinistre.

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Il en résultait souvent que le principe du contradictoire se transformait en contradiction deprincipes (!) sans que la mauvaise volonté de l’un ou de l’autre puisse être avancée dans tous lescas.

En outre, les délais de désignation des experts désignés par les assureurs RC conduisaient souvent àce qu’ils interviennent alors que l’expertise dommages-ouvrage était commencée, voire sur le pointde s’achever.

Ce dispositif était coûteux et peu satisfaisant en regard de l’un des objectifs essentiels de la réforme,c’est-à-dire la réduction des délais d’indemnisation des bénéficiaires.

4° PERIODE : LA CONVENTION DE REGLEMENT ASSURANCE CONSTRUCTION

Les assureurs pratiquant le risque construction ont élaboré une convention dite :

« Convention de Règlement Assurance Construction »

applicable au 1er janvier 1983 , dont le but était d’améliorer l’efficacité de l’assurance construction.

Cette convention apporte une grande nouveauté dans la pratique de l’expertise construction dans lamesure où elle instaure une expertise conduite par un

expert unique

ou plus exactement par un expert pour compte commun

de l’assureur dommages-ouvrage et des assureurs de responsabilité.

Saisi d’une déclaration de sinistre par un bénéficiaire de garantie dommages-ouvrage, l’assureurdommages-ouvrage procède, tant pour son propre compte que pour celui des assureurs deresponsabilité, à la désignation d’un expert choisi parmi ceux recommandés par les assureurssignataires de la convention et figurant sur une liste après avoir répondu à des conditions fixées pardes règles de qualification.

Ainsi et en laissant de côté les limites financières de coût de sinistre en deçà et au-delà desquelles laconvention ne s’applique plus, l’expert construction conduit seul l’expertise prévue et organisée parles clauses types et intervient pour compte commun de l’assureur dommages-ouvrage et desassureurs de responsabilité des constructeurs concernés par le sinistre.

Le rôle de l’expert dans le règlement de sinistre d’après la loi Spinetta était déjà un rôle « pivot ».

Son rôle, avec la convention de règlement, est devenu un rôle central.

Le rôle est parfois même élargi ; je fais allusion aux formules type délégation de gestion.

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La loi du 4 janvier 1978 et la pratique formalisée par la convention ont conduit naturellement à uneévolution du « profil » de l’expert construction, de son activité et de ses caractéristiquesprofessionnelles.

5° PERIODE : L’EXPERT CONSTRUCTION AUJOURD’HUI

a) C’est un expert « sélectionné »

Si les conditions d’accès à la profession sont légalement libres, les conditions d’inscriptionsur la liste CRAC sont rigoureuses.

Les experts construction postulant à cette inscription et donc à la qualification d’expertCRAC doivent répondre aux conditions suivantes :

• avoir au minimum 30 ans et au plus 58 ans l’année de la demande de qualification ;• posséder un diplôme d’architecte ou d’ingénieur du bâtiment ;• avoir une expérience technique dans le bâtiment d’au moins 5 ans dont une partie sur

chantier ;• avoir pratiqué l’expertise construction les 2 années précédant la demande d’inscription ;• avoir réalisé pendant ces 2 années au moins 20 missions RCD ou DO sous ticket

modérateur dont au minimum 10 missions RCD.

Si le postulant satisfait à ces conditions, il est admis à passer l’examen de qualification quicomporte un écrit portant sur des cas pratiques et un oral.

Les candidats ayant subi l’examen avec succès bénéficient de la qualification et sont inscritssur la liste CRAC.

Cette liste est révisée tous les 2 ans, la réinscription étant conditionnée à la justificationd’avoir accompli un nombre minimum de missions d’expertise convention sur 2 ans.

Ainsi, depuis 20 ans, il s’est formé un « corps » d’experts construction qui est laconséquence de l’embryon de statut que lui donnait la loi Spinetta.

Le rôle central de l’expert dans le règlement des sinistres construction a modifié enprofondeur les caractéristiques de l’expert construction.

b) C’est désormais un professionnel formé de façon permanente

Les acquis et les savoirs d’un jour ne sont plus ceux du lendemain et les experts constructioncomplètent constamment leur formation, individuellement ou collectivement par leursorganisations syndicales au premier rang desquelles la Compagnie Française des ExpertsConstruction que j’ai l’honneur de présider.

c) C’est un professionnel soumis à une déontologie…

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…qui lui impose, comme qualités, outre sa compétence et sa technicité :

• l’objectivité ;• l’indépendance ;• la rigueur intellectuelle ;• le sens du dialogue et de l’écoute et de la diplomatie ;• la pédagogie.

La profession s’est organisée collectivement par la création de la CFEC en 1990.

d) C’est un professionnel de l’expertise construction

qui se préoccupe également de prévention et de qualité et j’évoquerai sur ce point le rôle del’expert construction dans la prévention des risques de la construction soit par la collecte etla remontée d’informations sur la pathologie du bâtiment que les experts assurent pour lecompte de l’AQC, soit par des travaux que la CFEC mène par ses représentants au sein del’AQC.

Ce rôle de prévention peut également être exercé dans le cadre des initiatives prises parcertains groupes d’assurance (SMABTP).

EN CONCLUSION

Les « experts construction» ont la conscience d’appartenir à un véritable corps, avec lesdevoirs et obligations qui en découlent, corps qui a pu se constituer grâce à la loi Spinetta età la convention de règlement.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur Pierre Alleaume. Vous avez éprouvé le besoin d’expliciter le sigle devotre organisme. Mais nous le connaissions déjà. Vous avez peut-être moins d’adhérents que laFFB. Cependant, vos activités sont bien connues et votre rôle reste indispensable dans l’assuranceconstruction. Nous passons au troisième intervenant, Monsieur Jacques Szmaragd.

La loi sur l’assurance a-t-elle eu une influence majeure sur l’assurance ? Je vous présente MonsieurJacques Szmaragd, Président du comité assurance construction de la Fédération Française desSociétés d’Assurances.

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L’influence de la loi sur le monde de l’assurance

Jacques SZMARAGDPrésident de la commission construction de la FFSA

Introduction

Monsieur Fabre, vous me tendez une perche qui nous permettrait, si je vous répondaisnégativement, de gagner du temps. Je répondrai néanmoins de manière positive en essayant de vousen expliquer les raisons.

Les deux branches constituant l’assurance décennale - la responsabilité civile et la dommages-ouvrage - sont marginales en termes de chiffres d’affaires. Elles ne représentent qu’un encaissementde 1,3 milliard d’euros en 2001 (un milliard pour la RC et 300 millions pour la DO) face à un totalde 36 milliards d’euros pour l’ensemble des assurances de biens et de responsabilité.

Nous constatons parallèlement que cette activité engendre un foisonnement intellectuelconsidérable. La lecture des recueils de jurisprudence et l’examen de la liste des colloques organisésautour de l’assurance démontrent que l’assurance construction mobilise entre un tiers et la moitié del’activité créative que nous consacrons à notre métier.

Ce paradoxe apparent résulte des incertitudes qui enveloppent l’assurance construction. Commetous les professionnels dont le hasard constitue la base de l’activité, nous avons besoin de disposerde statistiques fiables et homogènes pour bâtir des modèles actuariels et justifier par des calculssavants nos décisions bonnes ou mauvaises.

I. Les incertitudes autour de la loi Spinetta

Les intervenants précédents ont déjà insisté sur les imprécisions et les évolutions erratiques des loisde 1978 et de 1983. En fait, tous les éléments constituant le cadre d’exercice de ces lois sont flous, àun degré plus ou moins important.

• L’élément le moins incertain (avec quelques réserves) est la durée de la garantie. En cedomaine, les assureurs du risque construction sont mieux placés que leurs collègues quipratiquent l’assurance de responsabilité civile pour laquelle une incertitude forte existe en cequi concerne le domaine temporel de la garantie.

• En revanche, nous ignorons quels montants de couverture sont accordés par nos polices qui,selon une jurisprudence constante en matière d’assurances obligatoires, ne peuvent prévoir deplafond. Certes, dans la majorité des cas et pour des raisons évidentes, notre engagement nesaurait excéder la valeur des ouvrages.Malheureusement, cette règle sécurisante ne s’applique pas aux sinistres sériels dont laperspective hante nos cauchemars d’autant plus qu’avec raison, nos réassureurs se refusent àles couvrir pour des montants illimités.

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Ajoutons que les sinistres sériels de nature décennale ne peuvent en pratique résulter que dedésordres causés par un produit considéré comme un EPERS, catégorie certes prévue par laréglementation mais avec des règles d’application incertaines et connues de facto après unéventuel sinistre.

Le ciel nous a épargné depuis 1983 la survenance d’un évènement grave de cette nature. Nousen avons conclu qu’il n’y avait pas lieu d’en tenir compte dans l’établissement de nos tarifs etnous risquons fort d’avoir à payer un jour le prix de cette négligence.

• Le projet législatif dont M. le Directeur Schwach a fait état tout à l’heure vise à atténuer lesincertitudes sur le périmètre même de la loi de 1978. Nous ne connaissons en effet pas avecprécision ni les ouvrages ni les professionnels qu’il nous est fait obligation de couvrir.Pour les premiers, autour d’un noyau incontestable de constructeurs, règne une zone floueconstituée d’intervenants à l’acte de construire dont le rôle technique (fabricants et négociantsde produits, géologues…..) ou le statut contractuel (sous-traitants….) rend l’assujettissement àl’obligation d’assurance incertain.

En ce qui concerne les ouvrages, il convient de rappeler que le projet de circulaireadministrative de 1974 visant à en dresser une liste a été annulé en son temps par la juridictionadministrative. L’état actuel de la jurisprudence rappelé par le Professeur Périnet-Marquet estpeu satisfaisant et les assureurs souhaitent que le lumineux rapport rédigé par ce dernier en1997 puisse constituer pour l’avenir la base d’appréciation retenue par la future loi et par lesjuges chargés de l’appliquer.

• Enfin, je me contenterai de mentionner que la notion d’impropriété à la destination, même siles tribunaux n’en ont pas fait un usage excessivement étendu, implique, par son énoncémême, une imprécision fondamentale.Au cours des vingt-cinq dernières années, l’évolution jurisprudentielle n’a pas été, en termesde coût pour nos sinistres, considérable et nous serions d’ailleurs bien en peine de l’évaluer.

Néanmoins, nous demandons à être rassurés par la fixation d’un cadre général dontl’interprétation future puisse être prévisible.

II. Les méthodes de gestion de l’assurance

Le deuxième élément que je souhaite évoquer concerne les règles de gestion issues pourl’essentiel de la loi de 1983. Elles comportent, selon moi, deux aspects fortement contraignantspour les assureurs.

1. La durée des opérations

Si la garantie elle-même est bien décennale – mais dix ans après la réception signifie enmoyenne 12 ans après l’ouverture du chantier et la perception de la prime – la durée derèglement des sinistres porte à vingt-cinq ans environ le délai nécessaire pour clôturer lesdossiers relatifs à une année d’assurance.

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La conséquence évidente de cet allongement considérable des périodes d’observation est queles assureurs ne disposent jamais de statistiques récentes pour évaluer les risques couverts etadapter leurs tarifs et leurs clauses d’assurance.

C’est ainsi que, pour déterminer les conditions de souscription pour l’exercice à venir, soit2004, nous ne disposons d’aucune donnée fiable relative aux années postérieures à 1997 etencore, ces dernières sont-elles fragmentaires et peut-être biaisées car relatives aux seulsdésordres déclarés au début de la période de garantie.

Entre temps, et aucun modèle mathématique ne peut pallier ces incertitudes, la situationéconomique a changé les procédés contractifs et les produits incorporés aux ouvrages se sontmodifiés et la jurisprudence a évolué.

Dans cet environnement technique non maîtrisé, avec des données lacunaires, et nous leverrons plus loin, sans aucune connaissance de l’avenir économique, il nous appartient defixer aujourd’hui la prime qui doit nous permettre de couvrir, pendant un quart de siècle aumoins, un risque complexe.

Pour mesurer l’impact économique des incertitudes tarifaires, il convient de rappeler l’histoirecombien tourmentée du Fonds de compensation de l’assurance construction qui aura eu à sonterme à régler des sinistres pour un coût environ 5 fois supérieur à ce qui était prévu àl’origine.

Je passerai rapidement sur quelques autres conséquences de la durée de gestion de nosopérations comme la nécessité pour les assureurs de disposer d’une solvabilité importante etpérenne ainsi que des réassureurs fidèles. Il convient de remercier tout particulièrement ceuxd’entre eux qui ont accompagné depuis l’origine le marché français à travers les bonnes – etles mauvaises – fortunes.

2. Le mode de gestion en capitalisation

Cette particularité réglementaire a deux conséquences qui tendent l’une et l’autre à réduire lenombre d’assureurs intéressés par cette activité.

• L’assurance décennale est conçue pour fonctionner à l’instar de l’assurance vie, à cettedifférence, non insignifiante, que l’on ignore la table de mortalité – les lois de survenanceet de règlement des sinistres – et le taux d’intérêt – en l’occurrence le coût de réparationdes désordres.Pour faire face à cette situation inconfortable, nous devons disposer des importantsrevenus financiers produits par le placement des primes encaissées. Malheureusementl’évaluation de ces derniers est tout aussi délicate dans la mesure où aucun expert ne peutprévoir, même grossièrement, l’évolution des taux d’intérêt et des marchés financiers au-delà de quelques mois.

Quelques chiffres sont à graver dans nos esprits ; pour un chiffre d’affaires constant de100, un assureur construction constitue, à l’équilibre, un montant de provisions de 1000.Par conséquent, un écart – en plus ou en moins – de un point sur le rendement des actifsreprésentatifs entraînera une variation de 10 (10 % du chiffre d’affaires) de son résultat

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final. La probabilité d’enregistrer en fin de cycle une surprise (bonne ou mauvaise)d’ampleur considérable est grande, plus grande sans doute que dans aucune autre activitéhumaine de nature non strictement spéculative.

Il convient de mentionner à ce propos que nous avons bénéficié depuis 1983 d’une chancehistoriquement inouïe en constatant des taux de rendement réels (en sus de l’inflationconstatée dans le domaine de la construction) constamment positifs et même constammentsupérieurs à ceux qui avaient servi à bâtir nos tarifs (soit 2 % au-dessus de l’inflation).Sans ce hasard providentiel, les pertes techniques considérables que nous avons subieseussent été bien plus désastreuses encore.

J’ajouterai qu’il n’existe aucun moyen de couverture réaliste – par instruments financiersou réassurance – susceptible de couvrir le risque de traverser un jour, hélas statistiquementcertain, une conjoncture financière inversée.

• La deuxième conséquence de la gestion en capitalisation concerne les fonds propres. Sansentrer dans les détails fastidieux de la détermination des besoins en capital engendrés parla création d’une activité d’assurance décennale, il est certain que la raréfaction de laconcurrence, que déplorait tout à l’heure M. Schwach, résulte directement de cettenécessité.De toute évidence, l’assurance construction ne constitue pas, pour un assureur généraliste,le meilleur emploi pour ses fonds propres d’autant plus que les profits éventuels, aléatoirespar nature, n’apparaissent pas avant 7 ans au moins, situation qui risque d’impatienter bonnombre d’actionnaires.

Il n’est par ailleurs pas innocent de rappeler qu’une proportion importante des défaillancesd’entreprise d’assurance survenues au cours des dernières années trouve son origine dansune pratique inconsidérée, et sans ressources capitalistiques adéquates, de l’assurancedécennale.

En conclusion, j’illustrerai mes propos au moyen d’un graphique qui indique les résultatslargement déficitaires de l’assurance décennale depuis 1983.

ASSURANCE CONSTRUCTIONEVOLUTION DU RESULTAT TECHNIQUE (ETATS C1)

(en millions d'euros)

228

92 -20

-842

-41 -62 -25 -44 -55-106 -53

-237 -99

-239 -234

-435 -419 -391

-237

107

-1000

-800

-600

-400

-200

0

200

400

600

800

1000

1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

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Les augmentations de tarifs pratiquées entre 1994 et 1998, et qui d’ailleurs ne font queramener le niveau des primes à ce qu’il était en 1983, semblent nous ramener lentement àl’équilibre.

Néanmoins, nous vivons dans une situation pire que celle de Damoclès, avec deux épéessuspendues sur nos têtes :

o la possibilité d’un sinistre sériel ;o le risque d’aggravation de la situation économique et de baisse des revenus

financiers réels.

III – L’activité de la FFSA en matière d’assurance construction

Pour les mêmes raisons que celles évoquées en introduction, la Fédération Française desSociétés d’Assurances accorde à l’assurance construction une place démesurée. Au sein de ladirection des assurances de biens et de responsabilité existent quatre comités de branche, deuxgénéraux (les risques d’entreprises et les risques de particuliers) et deux spécialisés pour lesrisques agricoles et les risques de la construction.

Malgré son objet en apparence restreint, ce dernier ne chôme pas et je tiens à remercier sesmembres ainsi que les personnels de la FFSA, qui en assurent le fonctionnement, pour letravail accompli au cours des derniers mois où une actualité brûlante nous a amenés àmultiplier les réunions.

Il faut aussi souligner que le domaine de l’assurance construction permet de réaliser unecoopération exemplaire avec l’autre fédération professionnelle, le Groupement des EntreprisesMutuelles d’Assurance.

Le temps m’étant compté, je me bornerai à énumérer les quatre domaines dans lesquels laFFSA, en liaison avec le GEMA, fait porter ses interventions.

• Elle participe, à l’initiative des pouvoirs publics, aux travaux visant à l’évolutionlégislative et réglementaire de l’assurance construction. Nous avons eu ainsi à contribuer,par une concertation directe avec les professionnels intéressés, à surmonter les obstacles àl’adoption par consensus unanime de la réforme que nous a présentée M. Schwach,notamment en ce qui concerne la création d’une garantie des dommages sur existants ainsique l’alignement sur la durée générale du régime de responsabilité des sous-traitants.

• Il nous est revenu, au cours de la période écoulée, de mettre en place, sous la sollicitationamicale des pouvoirs publics, des solutions spécifiques pour pallier des défaillancesd’entreprise.

• Notre comité est en relation constante avec les professionnels afin d’améliorer lesgaranties proposées ainsi que la connaissance générale des risques couverts.Ces actions concernent également le domaine de la prévention qui, en matière d’assuranceconstruction, dispose également de mécanismes spécifiques faisant intervenir de manièreinstitutionnelle l’Agence Qualité Construction dont nous pensons, comme M. Schwach,

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que l’indispensable rôle futur doit s’appuyer sur une redéfinition des missions et des règlesde fonctionnement.

• Enfin, pour permettre au système complexe mis en place par la loi de 1978 defonctionner sans engendrer de coûts de fonctionnement trop élevés, nous avons mis enplace et fait évoluer des conventions dont les principales concernent le mode d’exercicedes recours de l’assurance dommages-ouvrage à l'égard des assurances de responsabilitéet les relations avec les experts.

Les propositions d’évolution de la loi seront certainement évoquées lors de la troisième tableronde. J’en resterai donc là, en passant la parole à M. Toledano qui va nous exposer lessolutions originales instituées par la loi espagnole.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur Jacques Szmaragd. Par le passé, la SMABTP a organisé un colloquedont le thème était la question suivante : la loi Spinetta est-elle exportable ? A l’époque, certains endoutaient, d’autres non. Désormais, la preuve est faite que cette loi est relativement exportable. Eneffet, la loi Spinetta a été exportée en 1999 en Espagne.

Certes la loi Spinetta a vingt-cinq ans, mais il ne faut pas oublier que les articles fondamentaux enmatière de responsabilité des constructeurs sont inscrits depuis l’origine dans le Code civil qui datede 1804. Le Code civil reste à ce titre un chef-d’œuvre politique et juridique. Bien entendu, ce Codes’est exporté en Espagne, au Portugal et en Belgique grâce aux armées de Napoléon.

Ainsi, le Code civil ayant influé sur la législation de la responsabilité en Espagne et dans d’autrespays, il est assez naturel que la loi Spinetta soit à son tour exportée. De surcroît, Monsieur AlbertoToledano, vous venez d’un pays où la conjoncture est moins récessive qu’en France. Vous avez destaux de croissance qui nous font frémir d’envie. Monsieur Alberto Toledano, vous êtes le Directeurgénéral de la filiale espagnole de la SMABTP. Je vous cède la parole.

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L’influence de la loi en Europe : l’exemple espagnol

Alberto TOLEDANODirecteur général d’ASEFA - filiale espagnole de la SMABTP.

Je vous remercie Monsieur Fabre. Bonjour Mesdames et Messieurs. Je tiens tout d’abord àremercier Monsieur le Président Alain Sionneau et Monsieur le Directeur général Emmanuel Edoude m’offrir l’opportunité de vous expliquer en un quart d’heure notre système de responsabilité etde garantie dans le domaine de la construction en Espagne.

Je commencerai par une brève présentation de la société que j’ai l’honneur de représenter, ce quipermet d’illustrer le contexte dans lequel nous intervenons. Je détaillerai ensuite les aspectsessentiels de la nouvelle législation espagnole en matière de responsabilité et d’assuranceconstruction, applicable depuis le 6 mai 2000 après une loi du 5 novembre 1999, connue sous lenom de LOE. Enfin, je terminerai mon exposé par une rapide comparaison des principalescaractéristiques du système espagnol par rapport au système français.

I. Présentation d’ASEFA

ASEFA est une société exclusivement spécialisée dans le secteur de la construction qui appartientau groupe français SMABTP. Le siège se situe à Madrid. Son encaissement s’est élevé, pourl’année 2002, à 75 millions d’euros. Nous espérons dépasser la barre des 110 millions d’euros en2003. Nous disposons de dix-sept bureaux répartis sur l’ensemble du territoire espagnol avec uneffectif global de deux cent quarante personnes.

Comme je l’ai précisé, nous intervenons exclusivement dans le domaine des assurances de laconstruction : TRC, responsabilité civile, garantie décennale, caution de logement et caution demarché. Cependant l’assurance décennale constitue notre produit principal. Pour vous donner unordre d’idées de notre représentativité en Espagne, notre production en matière d’assurancedécennale représente 45 % des 160 millions d’euros de primes générées par le marché espagnoldans ce domaine.

Il est également important de souligner que l’Espagne prévoit la mise en chantier de 600 000logements neufs en 2003. Ce chiffre dépassera largement les records historiques et équivaut aucumul des mises en chantier de la France et de l’Allemagne réunies, alors que l’Espagne n’a que 40millions d’habitants, contre 83 millions en Allemagne et 60 millions en France. Ceci donne uneidée de la vitalité du secteur de la construction en Espagne à l’heure actuelle.

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II. La législation espagnole

Jusqu’à la promulgation de la LOE, la responsabilité des constructeurs était régie par le Code civildatant du XIXe siècle et en particulier par son article 1591 relatif à la ruine des bâtiments. Bien queces dispositions n’aient concerné, dans leur rédaction d’origine, que les architectes et lesentrepreneurs, la jurisprudence avait étendu la responsabilité à tous les participants dans leprocessus constructif.

Par ailleurs, en l’absence de toute obligation d’assurance, seulement 10% des bâtiments étaientassurés.

Le nouveau régime de responsabilité institué par la LOE comporte trois niveaux, correspondant àtrois délais courant à compter de la réception de l’ouvrage :

• une responsabilité de l’entrepreneur, d’une durée d’un an, pour les désordres matérielsconsécutifs à un défaut d’exécution ;

• une responsabilité de trois ans pour tous les intervenants, pour les désordres matériels affectantl’habitabilité de l’ouvrage, notamment en matière d’étanchéité ou d’isolation acoustique etthermique ;

• une responsabilité de dix ans pour tous les intervenants, pour les désordres matériels atteignantles éléments structurels et affectant directement la résistance mécanique ou la stabilité de laconstruction.

Parallèlement à la réforme du régime de responsabilité, la LOE prévoit deux solutions alternativesafin de couvrir ces responsabilités :

• la caution ;• ou l’assurance.

� La responsabilité d’un an peut être garantie, soit par une assurance de dommages ou unecaution souscrite par l’entrepreneur, soit par une retenue de garantie de 5 % effectuée par lemaître d’ouvrage.

� La responsabilité de trois ans relève d’une assurance ou d’une caution, souscrite par lemaître d’ouvrage au bénéfice des propriétaires successifs avec un montant de garantieminimum de 30 % du coût total des travaux, honoraires inclus.

� Enfin, la responsabilité décennale relève d’une assurance ou d’une caution, souscrite par lemaître d’ouvrage au bénéfice des propriétaires successifs avec un montant de garantie de100 % du coût global de construction, honoraires inclus.

Les franchises ne peuvent être supérieures à 1 % du montant de la garantie.

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Pour l’instant, la souscription de ces garanties n’est obligatoire que pour la responsabilité décennaleet pour les seules constructions à usage d’habitation. La LOE prévoit, cependant, la possibilité dedécrets ultérieurs pour étendre cette obligation aux autres responsabilités.

A ma connaissance, aucune caution de dix ans n’a, à ce jour, été délivrée, seul le recours àl’assurance ayant été utilisé pour satisfaire à cette obligation.

Comme je viens de le préciser, l’obligation d’assurance n’est applicable qu’aux bâtiments à usageprincipal d’habitation et à l’origine cette obligation s’appliquait à tout ce secteur. Cependant, depuisle 1er janvier 2003, cette obligation ne s’applique plus aux opérations de réhabilitation, ni à laconstruction de maisons individuelles pour usage propre par les propriétaires. Toutefois, en cas derevente, les maisons doivent obligatoirement être assurées.

Le contrôle du respect de cette obligation d’assurance se fait par le biais de l’impossibilité d’inscrireune construction non assurée au registre de la propriété. En effet, lorsque le maître d’ouvragetermine son chantier, il doit établir devant un notaire un titre de fin de chantier qui doit ensuite êtreenregistré au registre de la propriété. C’est, à ce moment-là, que la preuve de l’assurance doit êtrefournie au notaire par le maître d’ouvrage.

En Espagne, pour satisfaire à cette obligation d’assurance décennale, nous délivrons une policed’assurance, de durée ferme de dix ans, chantier par chantier, souscrite par le maître d’ouvrage quicouvre, au minimum, comme l’impose la loi, la solidité et la stabilité de l’immeuble. Cependant,nous pouvons, à titre exceptionnel apporter d’autres garanties.

III. Comparaison entre le système espagnol et le système français

Nous pouvons constater bien des différences entre la France et l’Espagne.

Il n’existe pas, par exemple, de police d’abonnement en Espagne.

Par ailleurs, alors qu’en France, l’obligation d’assurance pèse sur l’ensemble des constructeurs, enEspagne, seul le maître d’ouvrage doit s’assurer.

De même, alors qu’en France l’obligation d’assurance s’applique également à l’impropriété à ladestination, elle ne concerne, en Espagne, que la résistance mécanique et la stabilité de l’ouvrage.

En effet, au terme d’un travail de dix années en collaboration avec l’administration espagnole, il aété pris en considération que si nous devions assurer l’impropriété à la destination en Espagne,l’impact serait considérable sur l’inflation compte tenu du poids de la construction dans le PIBnational.

Naturellement, il est possible de tout assurer. Il s’agit uniquement d’une question de prix et si untaux de 5 % du coût de construction ne vous effraie pas, vous pouvez obtenir une couverture del’impropriété à la destination.

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Le but de la législation espagnole est de protéger l’acquéreur d’un logement contre les désordresimportants et non pour des faits accessoires tels que la fuite d’un robinet. Par conséquent, nous necouvrons en Espagne que les graves défauts et ce avec une franchise importante, ce qui évite lesdéclarations intempestives que vous avez en France et qui sont sources de frais de gestion etd’expertise.

Par ailleurs, en Espagne, nous exigeons, pour tout chantier, un contrôle technique sans lequel iln’est pas possible de souscrire une assurance décennale. Nous considérons, en effet, que s’il n’yavait pas l’intervention d’un organisme de contrôle technique, le tarif serait sensiblement plus élevéet, de ce fait, pour que le prix de l’assurance décennale soit le moins élevé possible, le secret del’Espagne consiste à mettre en avant les organismes techniques qui sont fort bien implantés enEspagne depuis de longues années.

En Espagne, ce sont, d’ailleurs, les compagnies d’assurance qui agréent elles-mêmes les contrôleurstechniques alors qu’en France, cet agrément est le fait de l’administration.

Bertrand FABRE

Je vous remercie vivement, Monsieur Alberto Toledano. Cet exposé fut fort riche en exemples. Eneffet, le système espagnol a su prendre les éléments les plus positifs dans le dispositif français. A lasuite des différentes interventions, nous sommes dans les délais impartis. Nous pouvons à présentengager le débat. Je souhaite remercier les conférenciers de leur intervention.

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Quelles évolutions ?Des espoirs ou des craintes

Table ronde entre acteurs ou partenaires de la constructionParticipaient à cette table ronde :

• un entrepreneur : Max Roche – Directeur financier du Groupe Eiffage ;• un magistrat : Michel Zavaro – Magistrat à la cour d’appel de Paris ; maître de conférence

associé à l'université de Toulon et du Var ;• un maître d’ouvrage : Régis Piette – Directeur juridique – Nexity – George V ;• un assureur : Emmanuel Edou – Directeur général de la SMABTP.

La table ronde est animée par Monsieur Bertrand Fabre.

Bertrand FABRE

Dans la table ronde, nous tenterons d’être moins disciplinés. J’appelle à la tribune un maîtred’ouvrage, Monsieur Piette, qui est par ailleurs juriste, puisqu’il occupe la fonction de Directeurjuridique au sein de Nexity-George V. J’invite également un entrepreneur à nous rejoindre,Monsieur Max Roche, Directeur financier du Groupe Eiffage. Nous avons aussi fait appel à unassureur, Monsieur Emmanuel Edou, Directeur général de cette maison et enfin à un magistrat,Monsieur Zavaro, qui, après avoir présidé une chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence,préside désormais une chambre à la cour d’appel de Paris.

Nous nous orienterons ensuite vers une seconde séquence de questions-réponses qui serainterrompue par l’arrivée du ministre de l’Equipement, Monsieur Gilles de Robien. Je cède laparole à Monsieur Régis Piette.

Régis PIETTE

Je vous remercie Monsieur Fabre. J’essaierai de faire preuve de concision. Je tiens également àremercier le Président et le Directeur général de la SMABTP de m’avoir invité. En tant que maîtred’ouvrage, je dirais que la tâche est ardue. En effet, au cours des communications en ce débutd'après-midi, j’ai entendu dire que le maître d’ouvrage s’enrichissait sans cause sur le dos del’assureur. J’ai aussi appris que les entreprises comptaient sur la solidarité du maître d’ouvrage pourparticiper à la prévention de la sinistralité.

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A mon sens, le promoteur a aujourd'hui deux préoccupations essentielles :

• le recours contre le permis de construire ;• la mise en place de la police dommages-ouvrage et sa gestion.

Contrairement aux propos exprimés cet après-midi, je pense que le marché reste fort étroit. Je medemande s’il existe encore un marché en matière de dommages-ouvrage. Pour ma part, je trouve lephénomène inquiétant. Dans les publications, nous disposons de listes d’assureurs, alors qu'enréalité, certains assureurs pratiquent des taux repoussoirs.

Bertrand FABRE

Vous vous demandez effectivement, s’il existe encore un marché. Je crois que les intervenantspourraient y répondre. Y a-t-il un marché, Monsieur Max Roche ?

Max ROCHE

Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question.

Bertrand FABRE

Vous avez été maître d’ouvrage, puisque votre première fonction à la sortie de Polytechnique a étéla Direction du Service Constructeur de l’Education Nationale.

Max ROCHE

A l’époque, j’étais mon propre assureur.

Emmanuel EDOU

Il faut bien comprendre la philosophie de la dommages-ouvrage. La dommages-ouvrage constitueune sorte de libre-service qui dispose uniquement d’une caisse à l’entrée. En effet, sur le plan desdommages-ouvrage, que nous est-il demandé, à nous, assureurs ?

Il nous est demandé d’assurer un risque incertain à partir d’une prime définie à l’avance. Si nousavons un maître d’ouvrage sérieux et efficace qui remplit un certain nombre de conditions sur safaçon de gérer son service après-vente, celui-ci trouvera toujours un assureur. Bien évidemment, cesera plus facile pour un maître d’ouvrage locatif qui restera ensuite le contact de l’assureur pourl’intégralité de la durée de la vie de l’immeuble. Si le maître d’ouvrage est un promoteur qui venddes logements en accession à la propriété, l’assureur se retrouvera face à une multitude decopropriétaires, qui lui demanderont souvent de suppléer les insuffisances de l'opération depromotion. C'est évidemment très coûteux.

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Il est vrai, alors, que l’assureur, qui supporte en somme l’addition de toutes les insuffisanceséventuelles en amont, essaie de mettre en place un certain nombre de conditions permettant d'enlimiter le coût.

Bertrand FABRE

Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre, Monsieur Piette.

Régis PIETTE

Je ne serais pas excessif en affirmant que l’assurance dommages est en crise, comme une questionl’a souligné cet après-midi. Il s’agit d’un réel sujet pour les maîtres d’ouvrage. Mais, qu’entendons-nous par maître d’ouvrage ? Nous cédons des immeubles en qualité de maître d'ouvrage initial et lesacquéreurs devenus maîtres d’ouvrage au second degré vont piloter et maîtriser les déclarationsd’assurances.

Pourquoi n’y a-t-il pas autant d’opérateurs d'assurance sur le marché ? Je comprends tout à fait laposition du Professeur Périnet-Marquet. Les déviations de la jurisprudence constituent à mon sensl’arbre qui cache la forêt. Si nous nous référons au droit commun des obligations, je ne suis pasétonné par cette déviation, dans laquelle les magistrats de la Cour de la cassation se sont engouffrésde façon extensive. Je crois que le sujet n’est pas là.

Le vrai sujet est en fait dans l’application de la police « dommages-ouvrage ». Je constate une formede déresponsabilisation due à la mise en place de la convention de règlement de l’assuranceconstruction. Cette convention sans recours pour les petits sinistres entraîne unedéresponsabilisation des entreprises en matière de prévention et de développement de la non-qualité. L’assureur constate alors que le rapport S/P mentionne un certain nombre de sinistresentrant dans le champ d'application de la "CRAC". Nous procédons à des statistiques fort fiablesdans le groupe et je considère que nous sommes des maîtres d’ouvrage responsables.

Du point de vue statistique, nous nous apercevons que 50 à 60 % des déclarations de sinistres nousconcernant ne donnent pas lieu à l'application des garanties mais génèrent des coûts fort importants.La tranche de sinistre supérieure qui donne lieu à garantie de l'assurance D.O. s’élève à 20 %, maiselle est sans recours contre les entreprises. .Enfin, nous avons les sinistres d’une plus grande ampleur qui, eux, donnent lieu à un recours. Surce dernier point, je remercie la police « dommages-ouvrage » qui nous est d’un grand secours,puisqu’elle permet de maîtriser notre risque dans le temps.

Bertrand FABRE

Les consommateurs français ne sont pas des spécialistes de la décennale et il est possible quecertains utilisateurs fassent des déclarations intempestives. Nous ne pouvons pas leur demander si lesinistre déclaré répond à l’impropriété à la destination.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 46

Régis PIETTE

Nous constatons qu’il existe des pratiques complètement hémorragiques en habitat individuel. Eneffet, aucun contrôle n’est effectué pour savoir si l’acquéreur qui bénéficie de l’indemnité a faitréaliser les travaux. Le système de l’indemnisation sans expertise va aussi dans le sens d’unedéresponsabilisation. En définitive, il suffit d’envoyer une lettre recommandée pour percevoir uneindemnité. Il s’agit là d’une dérive.

La question des assurés sociaux rejoint cette problématique. Les personnes qui souhaitent acquérirun logement bénéficient d’une assurance dont le coût est inclus dans le prix du logement.Cependant, il n’existe pas en matière de dommages-ouvrage de solidarité avec les générationsfutures. Nous observons donc un vrai problème de gestion de la convention de règlement del’assurance construction. Pourquoi ne trouverions-nous pas un système de compensation légale ?L’application de la convention plombe littéralement nos résultats et en conséquence, nous avons destaux qui fluctuent à la hausse.

Bertrand FABRE

Je ne voudrais pas dévoiler les solutions. Monsieur Emmanuel Edou nous apportera plus tard deséléments de réponse. Au-delà de ses fonctions actuelles, Monsieur Max Roche a l’avantage d’avoiroccupé tous les postes possibles dans la filière construction et même d'avoir fait partie du cabinetd’un précédent ministre de l’Equipement.

Comment jugez-vous cette loi ? En tant qu’entrepreneur, y a-t-il une application extensiblepossible ?

Max ROCHE

Comme l’a souligné Monsieur Paul Schwach, cette loi a été bien conçue et garde toute sacohérence. En régime de croisière, elle fonctionne. Cependant, il n’existe pas de régime de croisièredans notre métier car nous sommes dans une activité cyclique marquée par des évolutions fortcontrastées.

Si un dispositif n’a pas de système d’auto-régulation, il a tendance à dériver. Or, cette loi n’a pasvraiment de dispositif de régulation. En effet, le Professeur Périnet-Marquet a souligné que lajurisprudence ne constitue pas un dispositif de régulation. Il s’agit d’un système peu ou proualéatoire d’évolution du contexte légal. Si une régulation n’est pas possible sur le plan juridique, ilfaut chercher des régulations économiques.

C’est pourquoi il faut introduire des systèmes économiques de régulation tels que les franchises, dessystèmes qui mobilisent et motivent les acteurs économiquement et financièrement. Je suis entrédans mon groupe en 1986. A ce titre, j’ai constaté que le développement des franchises dans ladécennale pour les grands groupes de BTP a eu un impact vertueux sur la qualité de nosconstructions. Cela nous oblige au fond à nous remettre en question.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 47

Dans mon groupe, nous dépensons plus d’argent en service après-vente qu’en primes d’assurance.Cela signifie que nous avons transformé une partie du coût de l’assurance en un service à nosclients. Il est vrai nous devons alors réfléchir à la qualité de notre construction, puisque noussupportons une partie importante des coûts du fait de la franchise.

Vis-à-vis de nos clients, cela nous apporte un argument supplémentaire en matière commerciale. Ceposte de coût et de charge se transforme en un investissement commercial pour nos clients. Dans cedomaine, l’effet reste vertueux. La réflexion doit être développée du côté de la police dommages-ouvrage. A mon sens, d’autres sujets sont plus complexes. J’ai bien suivi le rapport du ProfesseurPérinet-Marquet en 1997 et le travail accompli sur cette base. Nous avions cru que nous étionsarrivés au but en 2000 sur la réforme du champ de l’assurance construction. Ce n'est qu'après quatrenouvelles années que nous devrions y parvenir, selon les propos de Paul Schwach.

Les questions résiduelles les plus importantes restent l’entretien des bâtiments et la mobilisation desmaîtres d’ouvrage et des utilisateurs à cet effet. Etant donné la complexité du sujet, il faut se posercette question dès aujourd’hui, sachant que la recherche d'une solution consensuelle nécessitera dutemps et de la réflexion.

En tant qu’ancien maître d’ouvrage, il y a vingt-cinq ans de cela, il nous arrivait de procéder à unrecours balai la 9e année, afin de traiter un certain nombre de désordres. Pour éviter cescomportements dont je reconnais le caractère anti-économique, il faut trouver une incitation pourconvaincre les maîtres d’ouvrages et les utilisateurs de mieux entretenir leur bâtiment.

Bertrand FABRE

Il existe, me semble-t-il, une solution pour promouvoir l’entretien. L’entretien se révèlenaturellement fondamental, dans la mesure où la garantie décennale peut être engagée. En effet, aubout de neuf ans, il est difficile de déceler la cause d’un sinistre. S’agit-il d’un désordre originel duconstructeur ou d’un défaut d’entretien ? A ce stade-là, le problème est difficile à évaluer.

La solution ne consiste-t-elle pas à prévoir des contrats globaux, dans lesquels l’entreprise prend encharge contractuellement la construction et l’entretien de l’ouvrage pendant un certain nombred’années ?

Max ROCHE

J’en suis convaincu.

Bertrand FABRE

Dans un hebdomadaire du BTP, j’ai lu votre déclaration récente, dans laquelle il est affirmé qu’ilfaut régler la question des sous-traitants. En effet, les sous-traitants peuvent être poursuivis aprèsleur contribution. J’ai évoqué sur le mode du paradoxe l’entreprise des tailleurs de pierre de lacathédrale de Paris.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 48

Monsieur Max Roche, vous appartenez à une entreprise qui n’a pas la réputation de se trouver enposition de sous-traitant. Prônez-vous la solution de la situation de sous-traitants par générosité oupar intérêt général du système de la filière ?

Max ROCHE

Il s’agit naturellement de l’intérêt général de la filière. L’entrepreneur général travaille encollaboration avec des sous-traitants. Son intérêt bien compris est que ceux-ci disposent d'uneprotection satisfaisante, pour qu’ils ne soient pas en situation de fragilité par rapport aux questionsde la garantie et de l’assurance.

Je suis convaincu qu’en affirmant cela je travaille dans l’intérêt de mon entreprise et dans l’intérêtde la profession d’une façon générale.

Bertrand FABRE

Une solution a été esquissée par Monsieur le Professeur Périnet-Marquet. La Cour de cassationl’affirme définitivement aujourd’hui. La guillotine tombe au bout de dix ans, quel que soit le typede responsabilité délictuelle, quasi délictuelle, contractuelle, présumée, pas présumée notamment.S’agit-il d’une solution idéale ?

Régis PIETTE

Ce serait assurément un progrès. De toute évidence, il faut uniformiser les délais de prescription.Néanmoins, cela ne règlera pas le problème.

Bertrand FABRE

Je vous en prie, Monsieur Edou.

Emmanuel EDOU

La durée de dix ans me semble la solution adéquate. Nous menons, actuellement, des travaux deréflexion avec la FFSA sur les dispositions relatives à l’application dans le temps des garanties deresponsabilité à la suite de la loi sur la sécurité financière votée au cours de l’été dernier . Nouspensons qu’un délai de dix ans se révèle la solution appropriée pour la construction comme pour lessous-traitants.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 49

Bertrand FABRE

Monsieur le Président de chambre de la cour d’appel de Paris, si vous continuez votre ascensionprofessionnelle, vous occuperez une fonction à la Cour de cassation. Quand vous ferez partie de latroisième chambre civile, insisterez-vous pour que cette mesure soit mise en place ?

Michel ZAVARO

La Cour de cassation est déjà intervenue sur ce point, en réduisant à dix ans la responsabilitécontractuelle de droit commun des constructeurs. La Cour de cassation a souhaité que la mesure soitappliquée aussi bien à l’entrepreneur pour sa responsabilité résiduelle qu’au sous-traitant pour saresponsabilité contractuelle de droit commun.

Comment pourrait-elle appliquer sans texte la mesure à la responsabilité délictuelle ? Elle devrait,pour ce faire, passer outre un certain nombre de principes qu’il est difficile d’occulter pour lemoment.

Bertrand FABRE

Comme l’a souligné Jacques Szmaragd, la loi sur l’assurance construction se révèle fort complexe.Cela représente 2 % du chiffre d’affaires de l’assurance mais 50 % de son énergie intellectuelle !

Comme l’a souligné Monsieur le Professeur Périnet-Marquet, les magistrats ont eu connaissancedes travaux préparatoires de la loi Spinetta en 1977. Ainsi, cette loi se révèle consumériste, dans lamesure où son objectif est de protéger prioritairement les consommateurs, c’est-à-dire les maîtresd’ouvrage non professionnels.

Or, si l’on examine la loi en détail, il n’est pas mentionné ce distinguo à la différence de toutes lesautres grandes lois consuméristes, notamment sur le crédit. Les magistrats peuvent-ils introduire cedistinguo ?

Michel ZAVARO

Les magistrats ont interprété le texte dans son ensemble. L’interprétation a évolué dans le temps.Monsieur le Professeur Périnet-Marquet est déjà intervenu sur la question et y a en partie répondu.

Il est certain que l'application de la théorie de l’acceptation du risque comme fait exonératoire de laresponsabilité des constructeurs va dans le sens que vous indiquez.

Bertrand FABRE

Une des voies de progrès esquissée par Monsieur Emmanuel Edou dans une déclaration à unhebdomadaire consiste à affirmer que la garantie décennale ne serait de mise sur la base d’uneprésomption de responsabilité que pendant les cinq premières années de cette garantie. En effet, laprésomption de responsabilité signifie que peu importe que l’entrepreneur n’ait commis aucune

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 50

faute, seule la cause étrangère étant exonératoire. Il s’agit là d’un procédé consumériste. Mais ledéfaut d’entretien peut avoir une influence néfaste sur la stabilité de l’ouvrage au bout de cinqannées.

A défaut de ramener à cinq ans la garantie décennale, ne faudrait-il pas aménager la loi ? Ne serait-il, par exemple, pas possible de maintenir le principe d’une présomption de responsabilité pendantles cinq premières années puis, entre la cinquième et la dixième année, la responsabilité serait baséesur la faute prouvée. N’existe-t-il pas une voie médiane qui serait la présomption de faute ?

Michel ZAVARO

Je suis assez hostile à ce principe, dans la mesure où cette possibilité complique le système déjàdifficile à saisir. Pour ma part, je souhaite soulever deux questions.

La première question porte sur la responsabilité du constructeur. La seconde question relève de lagestion des sinistres et de l’assurance. Il est vrai Monsieur Spinetta était un personnage hors ducommun. En effet, il a été mandaté pour étudier la gestion des sinistres. La lenteur de gestion dessinistres posait à l’époque un certain nombre de problèmes sociaux que le gouvernement ne pouvaitlaisser perdurer.

Sur cette base, Monsieur Spinetta a considéré que les deux problèmes posés par la responsabilité etl'assurance pouvaient être liés. A mon sens, il a eu tort d’adopter cette perspective. MonsieurSpinetta est parvenu à convaincre le législateur que les deux questions étaient liées. Dans l’exposédes motifs que vous avez évoqué, Monsieur le Professeur Périnet-Marquet, Monsieur Spinetta aréussi à faire passer un certain nombre de réflexions qui ne faisait pas initialement partie de samission.

Il faudra prochainement revenir à une dissociation du problème. A mon sens, il subsiste deuxproblèmes :

• la responsabilité ;• la gestion des sinistres.

En matière de responsabilité, le législateur a estimé, dans des conditions mal définies par l’étudedes travaux préparatoires du Code civil, qu’il fallait protéger le maître d’ouvrage qui faisaitconstruire un édifice à forfait. De là découle la responsabilité décennale. Nous ne sommes ensuitejamais revenus au droit commun.

Nous sommes partis d’un système de protection du maître d’ouvrage qui se justifiait dans la mesureoù les responsabilités objectives n’étaient guère développées. La responsabilité en 1804 étaitessentiellement liée à la faute. Par conséquent, nous avons estimé nécessaire de mettre en place unsystème de protection objectif limité. Puis le cours des événements a évolué, notamment sur le plande la responsabilité de droit commun.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 51

Aujourd’hui, la responsabilité de droit commun ne relève plus vraiment de la faute. A côté de laresponsabilité pour faute, nous avons le domaine des responsabilités objectives qui se révèlent fortimportantes.

La conséquence est que la décennale ne constitue plus à l’heure actuelle une mesure de protectiondu maître d’ouvrage. Il s’agit d’une mesure de protection pour le constructeur. Evidemment, aprèsavoir entendu une plaidoirie de trois heures sur la situation guère enviable des constructeurs face àleur responsabilité, mes propos peuvent relever de la provocation.

Pourtant, il s’agit d’une réalité tangible. Nous avons une réflexion analogue dans le droit de lavente. Nous constatons que les dispositions particulières de la vente prises pour protégerl’acquéreur sont devenues des freins à la responsabilité des vendeurs. En définitive, la mise en placede mesures protectrices empêche le secteur protégé de bénéficier de l’évolution générale du droitcommun qui opte pour une plus grande attention à l’égard des consommateurs.

En somme, la réforme nécessaire est de supprimer tous les éléments qui suivent l’article 1792. Je nelaisserais figurer que l’affirmation de la responsabilité des constructeurs que je ne définirais pas.

Dans l’article 2270, je mentionnerais que la responsabilité se prescrit par dix ans et qu'il estimpossible de raccourcir ce délai, si l’action met en cause l’habitabilité de l’immeuble.

En définitive, de quoi s’agit-il ? J’aborde mon second point. Il est question de protéger l’acquéreurd’un bien immobilier qui utilise celui-ci comme logement.

La loi de 1978 a été, me semble-t-il, votée par les rares représentants du corps électoral présents àcette séance. Tous les députés étaient parvenus à un accord. En effet, il était inadmissible que 25 %des sinistres soient gérés en plus de vingt ans.

A partir de là, Spinetta a développé un système efficace et difficilement contestable. Certes, lesystème n’est pas novateur, puisqu’il s’appuie sur l’existant, c’est-à-dire sur la police maître del’ouvrage. Mais il fait preuve d’une certaine originalité dans son organisation générale. Cependant,le système a généré un ensemble d’effets pervers et de coûts importants.

Le premier des effets pervers est le fait de faire supporter au maître d’ouvrage plus de la moitié duprix des malfaçons qui affectent la construction. Quel est actuellement le grand perdant del’assurance construction ? C’est le maître de l’ouvrage, dans la mesure où la police « dommages-ouvrage » se révèle fort onéreuse et supporte la moitié du coût de la gestion des sinistres quiaffectent les constructions.

Bertrand FABRE

Monsieur Edou, les piliers du temple se sont ébranlés. Nous cèderons la parole au maître d‘ouvragequi consacre, paraît-il, d’importantes sommes aux assurances et au constructeur qui se révèle en faitun consommateur.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 52

Emmanuel EDOU

Je souhaite tout d’abord éclaircir un point. Nous autres assureurs, nous sommes là pour protéger à lafois l’acquéreur, le maître d’ouvrage et le constructeur. Comme je l’ai souligné, nous présentonsl’addition en fonction des besoins et des demandes du client. Si l’assurance se révèle trop onéreuse,nous sommes prêts à réduire le coût avec son accord en adaptant les conditions de l'assurance et lesgaranties assorties. Nous avons évoqué la convention de règlement de l'assurance construction.Nous avons signé la convention, car nous estimons que les petits sinistres peuvent être réglés defaçon forfaitaire. Il faut bien comprendre que les deux tiers des sinistres sont inférieurs à 1 500euros, et ces sinistres représentent 10 % environ du coût total des sinistres. Si nous n'avions pas deconvention entre assureurs et si nous devions envoyer un expert pour chaque sinistre, le coûtaugmenterait considérablement.

Nous essayons de simplifier la procédure, notamment avec des règlements par téléphone. Nousfaisons notre devoir pour alléger les coûts.

Il est vrai, la loi Spinetta est globalement bien reçue. Cependant, chacun des partenaires paraîtinsatisfait. Monsieur le Président Zavaro affirme que le système protège davantage l’entrepreneurque le maître d'ouvrage.

De toute façon, seul le client paie au final. Si le client final trouve la procédure trop onéreuse, il fautdonner davantage de latitude à la liberté contractuelle.

A ce titre, il faut bien prendre en considération les propos de Monsieur Alberto Toledano, Directeurgénéral d’ASEFA. Les Espagnols ont adopté une garantie décennale uniquement axée sur la soliditéet la stabilité avec une habitabilité limitée à trois ans.

En France, pour l'habitabilité nous pourrions opter pour une durée de cinq ans de présomption deresponsabilité pour le constructeur, tandis que stabilité et solidité resteraient à dix ans.

Un tel système permettrait de diminuer le coût.

Nous assurons une mutualisation. La mutualisation est un système qui fonctionne correctement pourles dommages importants. Mais pour les dommages de moindre importance, l'assurance n'est pasadaptée. Il est préférable et bien moins coûteux d’avoir recours au service après-vente dupromoteur. Nexity est un promoteur qui sur ce point-là se révèle tout à fait exemplaire.

Bertrand FABRE

Monsieur Roche, vous sentez-vous surprotégé par la loi Spinetta ?

Max ROCHE

Non.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 53

Régis PIETTE

Pour ma part, la liberté contractuelle consiste à négocier des franchises et supprimer des garanties,en sachant que le maître d’ouvrage reste garant à l'égard des acquéreurs. Il suffit d’examiner lajurisprudence sur les dommages intermédiaires au titre de laquelle il y a une sorte de présomptionde responsabilité pour le vendeur d’immeuble à construire qui doit, de son propre chef, prouver lafaute des entreprises. Je trouve le système complètement inique.

Bertrand FABRE

Nous naviguons entre deux extrêmes. La vie se déroule entre deux fléaux : le désordre et ….l'organisation. En effet, nous avons deux systèmes antagonistes.

D’une part, la liberté contractuelle totale va bien au-delà des propos de Monsieur Emmanuel Edou,alors que nous options plutôt pour la liberté d’organiser la profession dans un cadre réglementé.D’autre part, nous avons la tradition législative française. Déjà au 19e siècle, il était dit qu’entre lefort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Nous pouvons le constater avecla loi Borloo sur le désendettement. Cette loi comporte sûrement des défauts mais reste fortintéressante sur le principe juridique et social.

En matière d’ingénierie, il devait y avoir initialement des conventions collectives négociées entreles organisations professionnelles et ensuite mises en musique soit par un décret soit par une loiconformément à la constitution de 1958. L’accord historique et exemplaire sur la formationprofessionnelle renoue avec une tradition d’une trentaine d’années, à l’époque où il était question demettre en place la Nouvelle Société. En somme, la loi est moins là pour contraindre que pour aider àmettre en œuvre des accords librement négociés et conclus entre les organisations professionnelles.

N’existe-t-il pas une voie médiane possible ? Certaines organisations professionnelles nepourraient-elles pas inscrire dans des conventions les pratiques professionnelles sans remettre encause l’obligation ni opter pour une dérégulation massive ? Quel est votre point de vue à ce sujet,Monsieur Edou ?

Emmanuel EDOU

Si nous avions une liberté d’assurance totale, nous retomberions dans un régime de responsabilitécivile classique. Il faudrait alors recréer une jurisprudence et attendre un certain temps pourparvenir à un équilibre. Ce n'est pas réaliste.

Sans abandonner l'obligation d’assurance, nous pourrions avoir, me semble-t-il, davantage dechamps de négociation et de liberté. Pour ma part, je ne suis pas favorable aux clauses-types etpense qu'il serait plus efficace de pouvoir négocier.

Par exemple, en matière d’assurance automobile, nous avons des discussions beaucoup plusconcrètes avec les assurés. Nos actions de prévention peuvent être menées dans un cadrepluriannuel de façon plus continue et avec des résultats plus significatifs.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 54

En matière d’assurance construction, nous sommes davantage liés par la police dommages-ouvrageque par la garantie décennale. Dans mon idée, il faut laisser la possibilité de créer de nouvellesmarges de négociation et desserrer la contrainte réglementaire.

Bertrand FABRE

Je vous en prie, Monsieur Zavaro.

Michel ZAVARO

Je me demandais en vous écoutant qui avait lancé l’idée de liberté totale en matière d’assurance.J’ai eu le sentiment que vous aviez déduit de ma charge contre l’article 1792 que j’étais partisand’une dérégulation totale. Il s’agit d’une conclusion qui provient du fait que vous ne distinguez pasla responsabilité de l’assurance. Pour être clair, je suis entièrement partisan de la suppression de ladécennale pour un seul système de responsabilité qui s’étalerait sur une durée de dix ans.

A partir de là, nous devons prendre position sur l'assurance obligatoire. Pour ma part, je n’envisageaucunement de vous laisser la liberté de choisir votre contrat d’assurance, que vous soyez maître del’ouvrage professionnel, assureur ou entrepreneur.

Je pense que votre contrat assurance minimum doit couvrir les risques qui affectent l’habitabilité del’immeuble. Peu m’importe les autres risques, parce que la Cour de cassation les a déjàsérieusement entamés avec les éléments d’équipements industriels. Par ailleurs, la Cour decassation a fait voler en éclats l’opération de construction et mis certains marchés en dehors duchamp de l’assurance obligatoire.

A partir de ce constat, je pense qu’il faut sauver certains éléments dans le cadre de l’assuranceobligatoire, c’est-à-dire la protection du consommateur et non celle du maître d’ouvrage. Il fautinscrire cette protection dans le cadre d’une loi purement consumériste qui viserait à protéger parune assurance obligatoire, le consommateur. Il n’y a aucune raison que l’assurance obligatoire passepar l’assurance dommages-ouvrage. Je préférerais que l’assurance soit payée par l’entrepreneurprincipal ou de gros œuvre, en d’autres termes, que l’entrepreneur donne à son assureur la charge dela gestion des sinistres.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que l’entrepreneur et l’assureur mettent sur pied un système deservice après-vente si l'entrepreneur ne peut pas l'assurer tout seul.

Bertrand FABRE

Dans le prochain colloque, nous commencerons par la table ronde et terminerons par des exposésmagistraux. Je vous en prie Monsieur Roche.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 55

Max ROCHE

Nous aurons mis six années pour aboutir à une modeste évolution qui ne peut pas satisfaire tous lesacteurs. Il faut se donner des objectifs pratiques pour la future décennie en matière d’assuranceconstruction. Pour ma part, je suis d'accord pour dire qu'un des sujets importants pour l’avenir est lapolice dommages-ouvrage. Il faut y ajouter une franchise qui permettrait de responsabiliser lesmaîtres d’ouvrage et les propriétaires. Il est aussi indispensable de mettre en chantier un dispositifréellement incitatif à l'entretien des bâtiments. Monsieur Emmanuel Edou a fait une proposition quimérite de lancer le débat sur la question de la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et desoccupants propriétaires sur l’entretien.

Sur ces deux sujets-là, nous devons agir. Cela ne semble pas en incohérence avec les objectifsfondamentaux de la loi. Il me semble que nous avons devant nous un programme de travail dequelques années.

Bertrand FABRE

Nous avons beaucoup évoqué la notion de prévention. Il faut empêcher l’entreprise de commettredes erreurs sur le chantier. N’existe-t-il pas une voie plus forte pour interdire les entreprisescontrevenantes ? Il s’agit de la problématique de l’accès à la profession. Nous pouvons rester dansla situation actuelle avec un filtrage faible. Il est possible d’opter pour un filtrage plus fort.Cependant, nous avons déjà la question du remplacement des chefs d’entreprise dans les prochainesannées. Comment envisagez-vous cette question ? Je vous en prie, Monsieur Emmanuel Edou.

Emmanuel EDOU

Il est vrai que l'assureur ne peut pas refuser d'assurer un constructeur, aussi médiocre soit-il. Nouspouvons refuser un constructeur une fois. Si un de nos confrères le refuse également, nous nousretrouverons devant le Bureau central de tarification avec obligation d'assurer à un tarif fixé par leBCT.

Voilà une des limites de la liberté contractuelle, et qui coûte cher !

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 56

Seconde séquence de questions-réponsesLa seconde séquence de questions-réponses est animée par Monsieur Bertrand Fabre.

Bertrand FABRE

Nous passons à une question de Monsieur Gérard Laurent, Président de la commission d’assurancede la FFB.

Gérard LAURENT

Il ressortirait de vos propos, Monsieur Bertrand Fabre, que la solution soit le METP. Par ailleurs,j’ai entendu au cours des débats que l’entrepreneur général est identique à l’entreprise de grosœuvre. Alors le second œuvre, que devient-il ? Sommes-nous des personnes irresponsables ?Estimez-vous que nous sommes incapables de traiter la question de la sinistralité ?

Bertrand FABRE

Je ne me suis pas prononcé en faveur du METP, puisqu’une ordonnance est en fait en cours depréparation. Nous passons à une question de l’ingénierie. Je cède la parole à Monsieur YannLeblais, Président de Syntec.

Yann LEBLAIS

Tout d’abord, nous ne sommes pas invités à la tribune. Par ailleurs, vous avez mentionné qu’il fautfaire de la prévention. J’ai cru comprendre que la maîtrise d’œuvre, quelle que soit sa composante,était un des acteurs dans la chaîne de la construction qui pouvaient prévenir. Or, nous avons évoquéle contrôle technique qui vient ensuite. Nous avons cité les experts que les Anglais nommentparfois chez nous les nécrophages. Je me pose donc des questions sur le fonctionnement.

Pour parvenir à un véritable équilibre, il faut avoir un marché. Sur le plan de la maîtrise d’œuvre,nous avons un "duopole" sur certains aspects de la couverture d’assurance. Il n’existe parconséquent pas de marché. Il a été souligné qu’il n’y a pas de système de sélection.

Au contraire, il existe véritablement une procédure de sélection qui consiste à avoir un droit de vieou de mort sur l’entreprise. En effet, si l’entreprise n’est pas assurée, elle cesse de travailler. C’estsans doute moins vrai aujourd’hui pour les grands cabinets. Nous recevons tous en septembre noslettres de résiliation. De nombreux ingénieurs-conseils fort compétents pourraient participer à laprévention. Mais ces ingénieurs ne peuvent plus exercer faute d’assurance.

Je ne focaliserai que sur ce secteur-là. Je vous entends affirmer que vous êtes tous prêts à ouvrir unediscussion sur ce point. Vous avez la possibilité de nous y inviter également.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 57

Bertrand FABRE

Cela pourrait être un des sujets des secondes tables rondes du congrès salon Maîtrise d’œuvre 2004.

Régis PIETTE

Je voudrais rebondir sur votre intervention. Au stade de la souscription, le maître d’ouvragerencontre de nombreuses difficultés. En effet, les attestations d’assurance sont hiératiques enfonction des assureurs. Nous pourrions peut-être trouver un standard. Il nous est demandé desattestations nominatives d’entreprise avec des plafonds de garantie et une abrogation de la règleproportionnelle.

En tant que maître d’ouvrage, nous sommes amenés à construire dans certaines régions en France.Nous nous apercevons que nous ne pouvons prendre des entreprises locales, ces dernières nepouvant obtenir de leurs assureurs les attestations exigées par l'assureur dommages-ouvrage. De cefait, nous sommes obligés de nous adresser aux grandes entreprises du BTP. Je considère qu’ils’agit d’une atteinte à la liberté d’entreprendre. Il s’agit d’une atteinte à des droits fondamentaux.

Bertrand FABRE

Je vous en prie, Monsieur Edou.

Emmanuel EDOU

Je suis conscient de la difficulté de s’assurer pour certaines personnes. Nous autres assureurs, nousaimons assurer. Si vous pouvez me dire quel sera le coût sur la décennie à venir de votreresponsabilité professionnelle, notamment pour les concepteurs et les bureaux de contrôle, nousvous assurons immédiatement.

Cependant, nous ignorons la somme que vous nous coûterez parce que nous ne savons pas commentjugeront les tribunaux dans cinq ou dix ans. Nous ne savons pas si les primes demandées couvrirontces coûts-là. Pourquoi voulez-vous que les sociétaires actuels, c’est-à-dire les entreprises participantà la mutualité, viennent au secours d’une profession qui serait déficitaire ? Où la solution se trouve-t-elle ?

En tant que citoyen, je suis catastrophé de constater l’évolution de la jurisprudence sur laresponsabilité. J’évoquerai l’exemple des médecins mais je pense que le phénomène est vrai pourtoutes les professions. Autrefois, les médecins avaient une responsabilité pour faute et il fallaitvraiment qu'il y ait une faute. D’ailleurs, quand un patient se fait soigner par un médecin, il neverserait pas la moitié de ses revenus à une caisse en cas de guérison. En échange, si le médecindonnait à son patient un traitement inapproprié, le médecin n’était pas considéré commeresponsable s'il n'y avait pas faute professionnelle. Désormais, il est demandé au médecin nonseulement de guérir son patient sans lui demander de participation en cas de succès, mais aussid’assurer sa responsabilité en cas de problème.

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Par définition, un assureur ne peut assurer cette catégorie de risque. L’indemnité demandée aumédecin n’est pas en cohérence avec ses revenus annuels. Même si l'assureur prenait 10 % desrevenus annuels du médecin, il aurait beaucoup de difficultés pour équilibrer son risque. La baseassurable est insuffisante. Il faudrait parvenir à créer une mutualité plus large, par exemple enmutualisant le système avec d’autres professions.

Pour notre part, nous assurons des concepteurs, mais pourtant, il nous est difficile d’étendre notrerôle dans ce domaine qui n'est pas notre vocation principale. Nous le regrettons.

Il ne faudrait pas que l’on nous reproche cela, dans la mesure où l’assureur ne fait que traduire unphénomène de mise en cause de responsabilité. Les médecins protestent sur le système en placepourtant, l’an passé, la SMABTP est allée au secours des médecins, puisque nous avons uneparticipation dans le pool d’assurance mis en place par la FFSA pour offrir une assurance à ceux quin'en avaient pas.

Nous avons véritablement un système général de la responsabilité qui n’est plus assurable enFrance. La faute n’en incombe pas aux assureurs.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur Emmanuel Edou. Nous passons à une question posée par MonsieurDurand de la société d’ingénierie INGEROP bien connue de Monsieur Yann Leblais. La questions’adresse à la FFSA. Quelles pistes peuvent être envisagées pour les maîtres d’œuvre ? Il fautrecentrer un instant les problèmes sur le cas particulier de la maîtrise d’œuvre. Comme l’a soulignéMonsieur Emmanuel Edou, une des particularités est la responsabilité large sur une assiette defacturation étroite de l’assurance. Je vous en prie Monsieur Jacques Szmaragd.

Jacques SZMARAGD

Le cas des maîtres d’œuvre se révèle un cas particulier de l’obligation d’assurance décennale. Quepouvons-nous en dire ? Il s’agit de professionnels qui se trouvent souvent soumis à une assietteassurable relativement faible pour un régime de responsabilité assez lourd. Des raisons juridiquespeuvent expliquer cette lourdeur, notamment pour les architectes soumis à une obligationd’assurance plus large que l’obligation résultant de 1792 et de la loi Spinetta. L’ordonnance de1941 amène cette profession à être responsable pour une durée longue.

Pour cette profession, Monsieur Edou a évoqué le souhait de la FFSA d'obtenir un alignement parvoie législative de tous les régimes de responsabilité. En définitive, il faut ramener le régime deresponsabilité des architectes et des maîtres d’œuvre à un droit commun. Par ailleurs, cesprofessions subissent la conséquence de leur statut juridique. Un architecte, au-delà de sa policed’assurance, peut être condamné sur ses biens propres pour les dommages qu’il a commis commepour des dommages commis par d’autres intervenants au titre de la responsabilité solidaire.

A mon sens, deux chantiers sont à explorer. Il faut, d’une part, opter pour un alignement du régimede responsabilité de l’ensemble des intervenants. Dans cette logique, il serait nécessaire de réviserles barèmes de responsabilité résultant de la convention CRAC qui défavorise, paraît-il, certaines

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 59

professions. Il faut, d’autre part, revoir le régime juridique de certaines professions, notamment lesconséquences du passage dans un héritage de sinistres impayés.

Bertrand FABRE

Monsieur Yann Leblais, souhaitez-vous ajouter d’autres éléments ? Manifestez-vous un certaindésaccord sur les pistes possibles de solutions ?

Yann LEBLAIS

A l’étranger, en particulier aux Etats-Unis, il existe une certaine proportionnalité entre la prestationfournie et la responsabilité. Je ne contredis pas nécessairement la réponse des assureurs. A monsens, je pose une question beaucoup plus large. La question aborde en effet la responsabilitéglobale.

Depuis quinze ans, il est affirmé que le problème est tellement complexe qu’il est inattaquable. Lachaîne de la construction peut devenir à l’avenir un sujet de société, sauf à supposer que la maîtrised’œuvre disparaisse dans l’ensemble des dispositions éventuelles prises par le Gouvernement.Monsieur Paul Schwach me rassure sur un point, dans la mesure où il a souligné que la questionpouvait se poser.

Bertrand FABRE

Avez-vous évoqué ce point avec Monsieur Gilles de Robien ? Nous passons à une questionadressée à Monsieur Alberto Toledano. Nous avons mis un certain temps à évoquer la question desmaîtres d’œuvre et de l’ingénierie. La question est posée par Monsieur Mousselon du CREA.L’impact en terme de prévention du contrôleur technique est probablement fonction des honorairesattribués. La question est de nature factuelle. Il est par conséquent difficile d’y répondre. Quel est lemontant des honoraires du contrôleur espagnol pour une mission relative à la solidité ?

Alberto TOLEDANO

Pour la mission de contrôle décennal, le montant s’élève à environ 0,40 % du coût de constructionde l’immeuble auquel il faut ajouter les frais.

Bertrand FABRE

Le statut du contrôleur technique est-il analogue au statut en vigueur en France ? Je tiens àsouligner que son statut en France le rattache directement au maître d’ouvrage, c’est-à-dire que lecontrôleur technique est exclu de toute mission de conception.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 60

Alberto TOLEDANO

L’organisme de contrôle technique doit être absolument indépendant du maître d’ouvrage et del’assureur. Nous avons fixé ces règles.

Bertrand FABRE

Nous abordons une autre question qui s’adresse plutôt à Monsieur Emmanuel Edou. Laqualification est-elle encore, après tant d’années, un élément important de sélection des assurés etde tarification ?

Emmanuel EDOU

La qualification constitue un élément fort important, lorsque nous dialoguons avec un nouvelassuré. Cela fait, d'ailleurs, partie d’une approche plus complète. Dans le cas des entreprisesartisanales en création, nous prenons en considération la formation du créateur d’entreprise, sesexpériences professionnelles et son activité. Si un créateur souhaite exercer trop d'activitésdifférentes, nous ne pouvons pas prendre en compte sa candidature. Si, au contraire, le futur chefd’entreprise se focalise sur un cœur de métier, nous pouvons l’assurer.

Pour les entreprises, qui ont une durée de vie plus longue, nous analysons la sinistralité passée.Nous avons d'ailleurs un système de bonus malus qui s’appelle un coefficient de réduction-majoration des cotisations. La cotisation peut varier de façon importante en fonction de lasinistralité passée de l’entreprise.

Par conséquent, la qualification, la sinistralité de l’entreprise et la formation constituent lesparamètres fondamentaux pour dialoguer avec l’entreprise et fixer le tarif adéquat.

Bertrand FABRE

Certains esprits définissent la qualification comme un élément central. Il existe par ailleurs desniveaux de qualifications par degré de complexité.

En effet, le consommateur privilégie principalement la qualité de l’ouvrage final et du service. Dansle cas des maisons individuelles, nous nous orientons vers une perspective analogue. Cetteévolution va-t-elle dans le bon sens aux yeux des assureurs ?

Emmanuel EDOU

J’ouvre le débat. L’élément fondamental est que toute la chaîne fonctionne correctement. Nous nepouvons pas demander à l’assureur de compenser une maîtrise d’œuvre et une conception quiauraient été sous-payées, ainsi qu’un service après-vente inexistant et une absence d’entretien parl’utilisateur. Or, on demande souvent tout cela à l’assureur qui doit alors mettre un emplâtre sur unsystème inefficace en amont.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 61

Tous les efforts qui consistent à disposer d’une chaîne de construction adéquate sont utiles pourl’assureur. Sur ce point-là, le rôle du maître d’ouvrage se révèle fondamental, puisqu’il choisit lesentreprises avec lesquelles il souhaite collaborer. De notre côté, nous avons un travail administratifassez lourd que nous devons chercher à alléger pour diminuer les coûts. Il est vrai, nous devonsprogresser sur de nombreuses tâches de gestion répétitives, par exemple l’obtention des certificats.

Bertrand FABRE

Quel est votre point de vue, Monsieur Régis Piette, sur la qualification d’une entreprise quiévoluerait progressivement vers un service, voire un produit immobilier, par exemple la maisonindividuelle sur catalogue ?

Régis PIETTE

Je ne peux évoquer le cas de la maison individuelle, puisque nous ne faisons pas ce produit. Nousfaisons plutôt de l’habitat groupé.

Notre groupe reste fort sensible à la qualité. Bien sûr, nous avons progressé sur différents points.Nous procédons à des sondages permanents avec nos acquéreurs lors des livraisons. Nous avons parconséquent des remontées d’information, notamment la question des levées de réserve, l’accueil etles délais.

Nous travaillons en interne sur la base de l'analyse de notre sinistralité. La réunion périodique d’uncomité ad hoc permet d’analyser l’ensemble des sinistres et d’émettre des recommandations.

Vis-à-vis de nos clients, le commerce et le relationnel client sont venus au secours du juriste. Eneffet, à partir du contrat préliminaire jusqu’à la livraison, nous remettons quatre fascicules, danslesquels les obligations d’entretien sont stipulées. Nous avons mis en place un service après-ventequi dure deux années à compter de la réception.

La première année est constituée par la garantie de parfait achèvement. Par conséquent, nousdéboursons à fonds perdus. Cela figure également dans les actes authentiques de vente. Néanmoins,nous ne pouvons pas contractualiser l’ensemble du dispositif. Nous avons pris ce parti pour faireévoluer les mentalités des acquéreurs. Nous travaillons donc régulièrement avec les gestionnairesd’immeuble. Nous leur demandons de filtrer les déclarations et de s’adresser à nos services. Il s’agitd’une démarche qui vise à changer la mentalité et la culture des acquéreurs. Cela constitue un vastepari.

Bertrand FABRE

Pourrais-je, Monsieur Max Roche, obtenir le point de vue de l’entrepreneur sur la volonté decompléter la qualification professionnelle de métier par une option de service et de produit ? Vousavez à ce titre des produits logement. Cependant, cela vous semble-t-il une évolution possible dumarché ?

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Max ROCHE

Sur ce point, je rejoindrai Monsieur Régis Piette. Au sein de notre entreprise, nous disposons desous-traitants. Nous avons développé à cet égard un référentiel des sous-traitants, afin de mesurer laqualité de ces entrepreneurs en fonction de leur compétence et de leur sinistralité antérieure. Nousgérons en effet nous-mêmes une importante part de notre sinistralité à travers les franchises. Il s’agitlà d’une tâche difficile qui s’étend sur de nombreux chantiers et implantations. Depuis plusieursannées, nous nous efforçons de mesurer la qualité de nos sous-traitants sur la durée de la garantie.Nous mobilisons et sensibilisons les conducteurs de travaux sur cette question. Aujourd’hui, celaconstitue un poste de dépense primordial au sein de notre groupe. Nous avons à cœur de maîtriser àterme les dépenses de service après-vente.

Bertrand FABRE

Je vous remercie Monsieur Max Roche. Nous passons à une question posée par Monsieur JoséIbanez qui exerce la profession d’avocat au sein du cabinet Lefèvre-Pelletier & Associés. Cettequestion s’adresse à Monsieur Régis Piette. N’estimez-vous pas que l’équilibre du système légalpasse par un débat social sur le niveau de protection que l’on souhaite accorder au consommateur ?Nous revenons sans cesse à ce débat politique.

Régis PIETTE

Je suis en contradiction avec vos propos. Au sein de notre groupe, notre équipe juridique qui fait dumontage de programme reste obnubilée par des textes réglementaires spécifiques au domained’activité, notamment le décret sur la loi de 1967 et le contrat préliminaire.

Pour ma part, je ne me fais plus aucune illusion. Dans le domaine social, par exemple lajurisprudence en matière de faute inexcusable et de maladie professionnelle, l’air du temps,démontre que le droit commun vient au secours du consommateur. Nous gérons tous desprocédures. J’établis des pronostics sur les jugements. Parfois, un texte devrait être appliqué maisun autre fondement juridique entre alors en ligne de compte.

Faut-il mettre en place un texte en faveur du consommateur ? A mon sens, il existe un arsenaljuridique et une démarche des tribunaux qui visent à satisfaire le consommateur.

Bertrand FABRE

Vous avez déjà évoqué ce point, Monsieur Zavaro. Vous avez même replacé la problématique de laresponsabilité objective dans une perspective philosophique et politique. En effet, la responsabilitéobjective a été développée fortement après les lois « Badinter ». Par conséquent, certains ressententcela comme une dérive jurisprudentielle, en somme une jurisprudence extensive. En fait, selon elle,tout dommage devrait être indemnisé.

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Michel ZAVARO

Le droit commun de la responsabilité suffit largement. D’une façon générale, je n’ai pas lesentiment que le régime actuel soit au-delà du droit commun. A mon sens, le régime actuel estplutôt en deçà. Je fais allusion ici aux éléments d’équipements dissociables. Vous avez descarrelages fendus à changer. Cela se prescrit par deux ans à compter de la réception, dans la mesureoù il s’agit d’un élément d’équipement dissociable. A ce moment-là, nous considérerons qu’il y aune atteinte à la destination. En effet, cela compromet la destination de l’immeuble, parce qu’iln’est pas logique de ne pas pouvoir marcher sur un plancher sans se blesser.

Il faut bien distinguer la responsabilité de l’assurance. Il faut mettre en place des mécanismes quipourront vraisemblablement être moins lourds et plus justes que le système actuel. Je ne pense pasque nous puissions faire fonctionner le système sans les mécanismes de garantie.

En effet, le poids de l’acquisition de la propriété immobilière devient de plus en plus lourd. Noussommes actuellement en train de dépasser les crédits à vingt ans. Dans certains pays, il est possibled’emprunter des sommes importantes sur une durée de soixante-dix ans pour se porter acquéreurd’un bien d’habitation.

Bertrand FABRE

La qualité d’une construction relève surtout des compétences professionnelles des hommes et desfemmes. Nous passons maintenant à une question posée par un entrepreneur de la ville de Reims.La signature de l’accord professionnel sur la formation peut-elle être un moteur pour améliorer laqualité de la construction ? Pour ma part, j’estime que la qualité dépend des compétences dechacun. Bref, l’investissement en terme de formation tout au long de la carrière permet de maintenirles compétences en fonction de l’évolution technologique. La formation va bien entendu dans lesens de la qualité de l’ouvrage. Qui souhaite répondre à cette question ?

Je cède la parole à Monsieur Claude Vaillant qui exerce la profession d’avocat.

Claude VAILLANT

Au cours de cet après-midi, nous avons débattu sur l’application de la loi Spinetta. Je constate àl’heure actuelle que la loi crée une insécurité pour l’assureur et le promoteur. Monsieur Edou a étéparticulièrement objectif sur ce sujet.

En tant qu’avocat, je continue à plaider les limites que la jurisprudence ne doit pas franchir. Il fautsouligner que la jurisprudence est allée au-delà de la loi en suivant la voie du consumérisme. Ils’agit là d’une tendance générale du droit en matière d’assurance .

Au niveau européen, il faudra trouver un système commun qui puisse permettre une certainecommunication et correspondre à la mobilité des entreprises. J’adresserai une question à MonsieurEdou. Dans le projet de réforme, ne pourrions-nous pas établir un système plus strict de définitiondu contenu de l’assurance construction dans le cadre de la protection du consommateur ? Je faisallusion au système espagnol qui paraît prometteur sur ce plan-là.

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Colloque SMABTP du 14 octobre 2003 64

Comme nous l’avons évoqué pour les contrats automobiles, notamment la garantie deremboursement à l’état neuf, le système permettrait d’améliorer la base de garantie non discutablegrâce à d’éventuelles options. Il faudrait naturellement réfléchir sur le financement des options.L’acquéreur et l’entreprise participeraient-ils au financement ? N’aurions-nous pas intérêt à partird’un système de contrat clairement compréhensible par chaque interlocuteur et applicable de façonplus stricte par les magistrats ?

Bertrand FABREJe cède la parole à Monsieur Emmanuel Edou.

Emmanuel EDOUIl existe un piège dans lequel nous pouvons tomber. Est-il possible de réduire les garanties offertespar les contrats d’assurance ? En effet, si nous réduisons ces garanties, les assurés auront un déficitdans leur couverture d’assurance. Il faut aussi protéger le consommateur qui n’est pas forcémentaverti. Nous avons des professionnels qui n’ont pas une connaissance approfondie dans le domainede l’assurance. Les professionnels souhaitent savoir qu’ils sont bien et complètement assurés.C’est probablement là cependant que nous pouvons trouver une liberté contractuelle. La solution dela franchise, pour un particulier qui se porte acquéreur d'une maison individuelle et qui prend lapremière tranche de 1.500 Euros de travaux à sa charge, permettrait de diminuer sérieusement lescotisations.En revanche, si nous protégeons un entrepreneur ou un concepteur uniquement pour certainséléments, nous risquons de rencontrer des difficultés en cas de sinistre, en fonction de ce que peutimputer la jurisprudence à l'assuré.

Bertrand FABREJe vous fais part d’une question fort intéressante. La question est relative à la prise en compte del’innovation technologique en matière de produits ou d’utilisation nouvelle de produits anciens.L’assurance intègre-t-elle bien cette problématique ? Cela n’entrave-t-il pas cette évolution duprogrès technique ?La question posée par une collaboratrice de la SMABTP, Madame Sophie Corbaux-Tourde,s’adresse à Monsieur Schwach et Monsieur Zavaro. Monsieur Max Roche pourra également yrépondre."Monsieur Paul Schwach a indiqué qu’il n’y avait plus de sinistre systémique. Son affirmationm’interpelle. N’est-ce pas le symptôme d’une activité guère innovante ? Est-ce au contraire lamanifestation d’une activité mieux encadrée ? Une réflexion est-elle menée par les pouvoirs publicspour accompagner les entreprises créatrices, sans faire supporter l’ensemble des risques auxassureurs ? "

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Nous avons évoqué la qualité des hommes et l’importance de la formation. De là découle la qualitéde l’ouvrage. Il ne faut pas oublier que construire un ouvrage consiste à mettre en œuvre desproduits et des matériaux. Au regard de la décomposition du coût de la construction, nous avonsune tranche de 50 % de main-d’œuvre et une autre tranche de 50 % de produits.Par conséquent, l’innovation sociale et technologique ainsi que la formation se révèlentfondamentales. Monsieur Edou, avez-vous eu des sinistres sériels ?

Emmanuel EDOUNous avons eu d’importants sinistres sériels par le passé. A l’heure actuelle, les sinistres restent demoindre importance.

Bertrand FABREJe vous en prie, Monsieur Schwach.

Paul SCHWACHJe me garderai de porter des jugements de valeur sur l’innovation. Je souhaite apporter un élémentau débat. Une directive européenne organise la libre circulation des produits de la construction.Dans un certain nombre de cas, nous savons que la libre circulation limite la capacité à contrôler laqualité.La Commission européenne reste précise sur l’obligation de faire circuler les produits. Nous avonssouvent des débats avec la Commission sur la qualité. Il s’agit là d’une préoccupation majeure. Lesorganismes identificateurs, la normalisation et le CSTB en France permettent de gérer la situation.En aval, nous avons un travail d’information à fournir sur les DTU, notamment le renouvellementsur le plan des produits de construction. En somme, l’ensemble des acteurs doit être informé. Voilàun éclairage complémentaire.

Bertrand FABREJe souhaite ajouter un commentaire personnel sur les produits de construction. Vous avez évoqué ladirective sur la libre circulation des produits. Le dispositif reste fort complexe à mettre en place.Si les ouvrages immobiliers ne circulent pas en Europe, les produits le peuvent. Il y a toujours uneexception au principe : le temple d’Abu Simbel a circulé. Les flux de produits de constructioncirculent en volume important selon les statistiques de la douane. Par exemple, les industrielsfrançais exportent en Europe, avec succès, certains produits, notamment des chaudières et desappareils sanitaires. Alors que le solde de la balance se révèle déficitaire sur certains produits telsque les revêtements de sol et les carrelages.Avez-vous, Monsieur Max Roche, le sentiment dans votre vie d’entrepreneur d’avoir été gêné parl'assurance pour proposer à vos clients des produits nouveaux et des usages nouveaux de produitstraditionnels dans vos constructions ?

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Max ROCHEOui, le phénomène est déjà arrivé. Dans ce domaine-là, l’assurance a la vertu de se poser lesquestions fondamentales et d’obliger l’ensemble des partenaires de la construction, le maîtred’ouvrage, l’entrepreneur, le maître d’œuvre, à se concerter mutuellement sur les risques pris.Certes, l’innovation est un moteur. Nous sommes toujours ravis par l’application de produitsinnovants. Mais il faut rester prudent.Dans notre métier, un ouvrage est construit pour la durée. Il est par conséquent légitime de se poserla question de la pérennité. Dans notre vie professionnelle, nous avons quand même eu d’importantssinistres sériels. Cependant, le nombre de sinistres sériels a tendance à diminuer fortement.

Bertrand FABRENous sommes avertis de l'arrivée imminente de Monsieur le Ministre Gilles de Robien. Nouspassons à une question juridique qui s’adresse à Monsieur Michel Zavaro. Nous n’avons jamais tantévoqué la jurisprudence. N’est-ce pas finalement la preuve que la loi reste imparfaite et imprécise ?

Michel ZAVAROEn aucun cas, la loi ne reste imprécise. Tout texte de loi doit évoluer et être interprété. Je suisd'ailleurs étonné de constater que le juge fait tant de misères au maître d’ouvrage et auxconstructeurs et, sur le plan des désordres sériels, la Cour de cassation a été fort indulgente à votreégard.

Bertrand FABRENous passons à une question de la salle.

André FACUNDOJe fais partie du cabinet d’études Syntec Ingénierie. Je souhaite poser une question à MonsieurEmmanuel Edou. Au sujet des polices uniques de chantier, comment pouvons-nous expliquer leuréchec relatif ? Pourrions-nous modifier la PUC en vue d’une meilleure évolution vers laprévention ? La solution consisterait à personnifier l’assurance par chantiers en mettant en place uncontrôleur technique à la charge de l’assureur.

Je souhaite intervenir sur un autre point. Pour prolonger les propos de Yann Leblais au sujet de laconcertation, je tiens à évoquer une excellente initiative de 1996 de la Direction des affaireséconomiques et internationales qui a fait l’objet d’une parution dans le Moniteur en date du 6décembre 1996. L’initiative comprenait des propositions intéressantes qui dénonçaient les limitesde la loi Spinetta. Pour pallier les défauts, des évolutions de la loi étaient également proposées.

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Emmanuel EDOU

La police unique de chantier est adaptée à certaines formes de chantier et, par exemple, peutfonctionner sur des opérations de grande ampleur. Cependant, nous constatons, au quotidien, que,en définitive, les différents acteurs de la construction préfèrent opter pour des polices permanentes.

Quant au contrôle technique, je souhaite souligner un point. En Espagne, l’assurance ne joue pasdès la mise en route du chantier, contrairement à la France. Dans le cas espagnol, l’assuré paie unacompte. Une fois le bâtiment contrôlé techniquement au moment de la livraison, la personne estassurée dans son intégralité, mais pas avant.

Bertrand FABRE

Au moment de l’entrée du Ministre dans la salle, je souhaite que nous débattions de l’harmonisationeuropéenne de l’assurance construction. De par sa formation politique, Gilles de Robien reste unEuropéen convaincu. Je me souviens m’être penché sur le droit comparé. Nous constatons qu’ilexiste des délais de garantie fort variables, plus courts ou plus longs. Néanmoins, comme l’asouligné fort justement Monsieur Michel Zavaro, le délai de garantie n’a pas de sens en soi, si l'onne précise pas aussi le contenu de la garantie.

Certes, les constructions ne circulent pas. Pourtant, des entreprises prennent des chantiers àl’étranger grâce à l’acquisition de filiales ou en groupement. Par exemple, nous avons récemmentvisité vos implantations en Pologne. Est-il nécessaire d’harmoniser les règles du jeu dans l’Europeactuelle a fortiori élargie, puisque vous devez faire face à un nombre important de régimesd’assurance et de responsabilité post-réception présents dans les Etats membres de l’Unioneuropéenne ?

Max ROCHE

Au risque d’être iconoclaste, je tiens à signaler qu’il est déjà difficile de faire évoluer laréglementation française. Je préfère par conséquent disposer de systèmes différents dans plusieursEtats. Il paraît difficile d’unifier les systèmes.

Bertrand FABRE

Nous voyons le bon sens des entreprises. L’Europe ne se pose pas la question de la complexité dusystème. Comme la jurisprudence Nicolo l'a précisé, le droit communautaire a une valeurhiérarchique supérieure aux règles françaises et nous nous retrouvons avec de nombreusesmodifications. Par exemple, nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir si les coordonnateurssanté-sécurité font partie d’une catégorie nouvelle de constructeurs au sens de la loi Spinetta.

Mais Monsieur le Ministre Gilles de Robien va faire son entrée. Je vous remercie.

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Conclusion

Alain SIONNEAUPrésident de la SMABTP

Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire au nom de tous les participants de ce colloquecombien nous sommes heureux de vous accueillir ce soir pour la clôture de nos travaux. Notrecolloque a rencontré un succès d’affluence qui a dépassé toutes nos espérances, ce qui prouve que lesujet est d’importance pour toutes les professions qui participent à l’acte de construire. Ce quimontre aussi que l’annonce de votre venue a créé beaucoup d’attentes.

Vous avez devant vous des architectes, des bureaux d’études, de nombreux entrepreneurs, desassureurs bien sûr et des experts, des magistrats qui ont la lourde tâche d’appliquer la loi et desavocats. Tous ont donné leur point de vue et leurs propositions. Vous connaissez nos souhaits. Noussommes parvenus à un accord il y a déjà plus de deux ans entre toutes les parties prenantes sur unensemble de dispositions permettant de clarifier la loi. Nous avons hâte que le législateur à votreinitiative puisse adopter le projet de loi qui en découle.

Par ailleurs, le fond de compensation de l’assurance construction arrive au bout de sa mission. Vousavez déjà accepté avec votre collègue, Ministre de l’économie, d’alléger de moitié la taxecorrespondante en 2003. Nous tenons à vous en remercier à nouveau. Il reste à fixer la deuxième etdernière étape que nous espérons la plus proche possible.

Au-delà, l’assurance construction reste un système qui doit vivre et évoluer au bénéfice de la filièreen protégeant ceux qui doivent l’être, en récompensant la qualité, en optimisant tous les circuits.Les propositions évoquées aujourd’hui vont donc servir de base, je le souhaite, à de futurespropositions de notre part.

Je vous remercie encore Monsieur le Ministre d’être parmi nous et je vous cède volontiers la parole.

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Clôture du colloque

Monsieur Gilles de RobienMinistre de l'Équipement, des Transports,

du Logement, du Tourisme et de la Mer

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

C’est avec grand plaisir que je réponds à votre invitation de venir clôturer le colloque que vous avezorganisé à l’occasion de ce 25e anniversaire de la loi de 1978 sur l’assurance construction.

Merci, Monsieur le Président, de me donner l’occasion de m’adresser aux assureurs, aux chefsd’entreprises du bâtiment, aux maîtres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre et bien sûr aux juristes etaux experts sur un domaine qui, sous des aspects apparemment très techniques et spécialisés, n’enest pas moins très important pour l’équilibre économique de votre secteur mais également pour laqualité de la construction à laquelle sont de plus en plus attachés nos concitoyens.

Comme l’indique le titre de votre colloque, la loi sur l’assurance construction a maintenant 25 ans.Elle a fait depuis 1978 l’objet de quelques modifications peu nombreuses mais parfois importantes,par exemple le passage en 1983 d’un régime de gestion en répartition à un régime de gestion parcapitalisation.

Des adaptations sont encore nécessaires, non pas pour bouleverser le régime actuel, mais pourmieux préciser certaines dispositions du Code civil ou du Code des assurances et lever certainesincertitudes juridiques, qui sont préjudiciables aussi bien pour la bonne application du droit quepour l’équilibre économique de l’assurance construction.

Ces adaptations ont fait l’objet d’une réflexion initiée par mon ministère en 1996 à la demande desprofessionnels (constructeurs et assureurs) pour améliorer le fonctionnement du système deresponsabilité et d’assurance construction.

Si certaines propositions ont été concrétisées, d’autres n’ont pas abouti en particulier celles sur lechamp de l’obligation d’assurance.

En effet, si la responsabilité décennale vaut pour l’ensemble de la construction, c’est-à-dire pour lesouvrages de bâtiment et de génie civil, l’obligation d’assurance est quant à elle limitée par la loi auseul domaine du bâtiment, à l’exclusion du génie civil. Or, en l’absence de définition parle

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législateur de la notion de bâtiment, la jurisprudence a été amenée à interpréter extensivement la loiet à élargir son champ d’application.

De même en ce qui concerne l’obligation d’assurance pour les ouvrages existants faisant l’objet detravaux neufs et pouvant de ce fait être victimes de sinistres.

Après une longue concertation, un consensus s’est établi sur les modifications législatives àapporter.

C’est pourquoi, j’ai décidé de proposer au Gouvernement de reprendre ces dispositions trèsattendues par vos professions dans un prochain projet de texte législatif qui pourrait être le projet deloi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnance dans les domaines del’urbanisme, de l’habitat et de la construction.

Sur le fond, le texte reprendrait tout d’abord le projet de définition du champ de l’assuranceobligatoire des risques de la construction, en précisant expressément les ouvrages qui en sontexclus, notamment les ouvrages de génie civil et les ouvrages existants.

Mais le projet comprendrait d’autres dispositions nouvelles, qui reprennent des propositionslonguement discutées, notamment au sein du comité technique de l’assurance construction et quisont désormais consensuelles.

Il s’agit d’abord de garantir aux sous-traitants une prescription des obligations d’assuranceidentique à celle des autres intervenants à la construction, mesure très attendue des petitesentreprises et des artisans.

Il s’agit ensuite de déterminer les modalités d’assurance facultative des dommages à des ouvragesexistants par suite de travaux nouveaux. Cette disposition est destinée à garantir aux maîtresd’ouvrage la possibilité de souscrire une assurance volontaire pour couvrir ce risque. Le projetprévoit en effet qu’une convention entre maîtres d’ouvrage et assureurs détermine les modalitésd’assurance de ces dommages qui n’entrent pas dans le champ de l’assurance obligatoire.

Je sais que ce projet d’adaptation des dispositions législatives sur l’assurance construction répond àune attente forte de vos professions. Malgré un calendrier législatif surchargé, je m’attacherai à cequ’il soit adopté en 2004.

Voilà pour les aspects plutôt juridiques. Mais - votre colloque en est l’illustration - la loi aégalement une influence forte sur l’économie du secteur de la construction et des différentesprofessions qui le composent.

L’équilibre - ou le déséquilibre - financier du régime d’assurance construction et ses conséquencessur le niveau des cotisations et donc sur les coûts de la construction sont souvent évoqués. Votre

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colloque a consacré une bonne partie de ses réflexions à l’amélioration de la chaîne des coûts deconstruction. Je n’y reviendrai pas.

Permettez-moi d’évoquer tout particulièrement la prévention des désordres qui est un élémentmajeur de l’équilibre économique de l’assurance construction et qui est un facteur déterminant de ladiminution des coûts de la construction.

Dans ce domaine, je tiens à évoquer deux actions importantes et concrètes que je veux mener avecvotre concours actif.

La première concerne le financement des actions de prévention que mène l’Agence pour laprévention des désordres et l’amélioration de la qualité de la construction (AQC).

Il est en effet primordial d’instaurer pour l’avenir un financement pérenne des actions menées parl’Agence dont la vocation en matière d’information, d’expertise ou de prévention des sinistres est,plus que jamais, d’actualité.

Il est de l’intérêt de l’ensemble des professions du bâtiment et notamment des assureurs que lesactions de prévention de l’Agence concourent à une amélioration de la qualité de la construction età une réduction des sinistres, grâce aux conseils, aux alertes et à la documentation technique qu’ellemet à la disposition des acteurs de la construction.

Son fonctionnement aujourd’hui est largement assuré par une subvention du Fonds decompensation de l’assurance construction (le FCAC). Or vous savez que la contribution obligatoiredes assurés qui alimente ce fonds a été, à ma demande, divisée par deux en 2003. Comme vous lesouhaitez tous, la suppression de cette contribution devrait être effective à la fin de l'année 2004. Acette date, les ressources du fonds seront suffisantes pour couvrir l’indemnisation des sinistresrelevant de l’ancienne gestion en répartition d’avant 1983.

Il est donc primordial de trouver un financement de l’AQC qui se substitue à celui du fonds decompensation à compter de 2005. Il pourrait prendre la forme d’une contribution volontaire desassurés dont le principe, le montant et les modalités de gestion seraient arrêtés dans une conventionquinquennale signée par l’Etat et par l’ensemble des organisations professionnelles concernées parl’assurance construction : maîtres d’ouvrages et consommateurs, entreprises de construction etmaîtres d’œuvre, assureurs).

J’adresserai prochainement aux organisations un courrier pour les inviter à participer au groupe detravail, qui sera animé par la Direction des affaires économiques et internationales et qui devraitpermettre d’aboutir à un consensus sur un projet de convention, d’ici à la fin de l’année, si possible.

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L’objectif principal recherché est bien de maintenir, voire renforcer l’implication et laresponsabilisation des nombreuses professions intervenant dans l’acte de construire, dans lesactions de prévention menées par l’Agence, ce qui ne pourra que favoriser le nécessaire équilibreentre les intérêts parfois divergents des assureurs et des assurés. Je compte vivement encore une foissur votre concours pour aboutir rapidement et apporter ainsi la preuve qu’un système conventionnelpeut prendre avantageusement la suite d’une contribution de nature fiscale.

La seconde action que je voudrais souligner devant vous a également trait à la qualité de laconstruction. Il s’agit du programme d’accompagnement de la mise en œuvre de la directiveeuropéenne dite « produits de la construction », qui consacre l’intégration des normes européennesde construction dans les normes françaises.

Ce programme a été établi dans ses grands principes en concertation avec les professionnels et j’aiobtenu, avec le concours de mon collègue de l’économie et des finances et le soutien desorganisations professionnelles, qu’il soit financé à hauteur de 9 M € par le fonds de compensationde l’assurance construction.

Il s’agit d’un programme spécifique qui s’étendra sur trois ans et dont l’objectif est de créer lesconditions favorables au passage aux normes harmonisées européennes de construction et de limiterla sinistralité qui pourrait en résulter et qui viendrait peser sur les coûts de la construction et lescoûts d’assurance.

Le CSTB assurera la gestion de ce programme et des crédits y afférents sous le contrôle d’un comitéde pilotage associant administration et professionnels et tiendra une comptabilité séparée de l’usagedes fonds.

J'invite toutes les organisations professionnelles concernées à s'asseoir autour d'une table pour quenous définissions ensemble de façon pratique ce que nous ferons et comment nous le ferons. Il y adésormais urgence et je nous fixe la fin de l'année pour avoir élaboré dans le détail les modalitéspratiques de mise en œuvre de ce plan pour l'Europe.

Qu’il s’agisse de ce programme exceptionnel ou des actions que l’Agence Qualité Construction doitcontinuer de mener, je compte sur vous pour que les résultats soient à la hauteur des enjeux. C'estvraiment l'avenir de vos professions que nous préparons aujourd'hui ensemble.

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