l' actualité du contrat social de j.-j. rousseau (1712-1778)

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L' actualité du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau 1

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Page 1: L' actualité du Contrat social de J.-J. Rousseau (1712-1778)

L' actualité du Contrat social

de Jean-Jacques Rousseau

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Page 2: L' actualité du Contrat social de J.-J. Rousseau (1712-1778)

Sommaire:

I. Introduction..............................................................................................................4

II. Premier texte:..........................................................................................................4

1. Le texte du « Pacte social »..................................................................................5

2. Réactions et débats sur le « Pacte social »............................................................6

III. Deuxième texte:.....................................................................................................9

1. « Des bornes du pouvoir souverain »...................................................................9

2. Les difficultés du pouvoir souverain..................................................................10

IV. Troisième texte:.....................................................................................................12

1. « Du droit de vie et de mort ».............................................................................12

2. « Droit de vie et de mort », un chapitre inachevé? ............................................13

V. L' actualité du Contrat social..................................................................................15

VI. Conclusion............................................................................................................18

VII. Notes bibliographiques........................................................................................21

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I. Introduction

Plus de deux siècles après sa parution, le Contrat social ne cesse de nourrir les débats sur les

fondements de la société moderne. Considéré comme l' annonciateur, le guide voire même le

législateur de la Révolution française, cet ouvrage de Jean-Jacques Rousseau occupe toujours une

place de choix qu' aucun autre écrit politique n' a égalé depuis le XVIIIe. siècle (1).

Dans l'analyse suivante, nous allons relire trois textes tirés du Contrat social. Ils abordent trois

idées politiques différentes, à savoir la justice sociale, la souveraineté et les droits de l' homme. A

l'aide de nouvelles études d'experts sur la pensée de Rousseau, nous voulons savoir quelle est

l'actualité de ces idées. Les textes choisis sont le « Pacte social », les « Bornes du pouvoir

souverain » et le « Droit de vie et de mort ».

Le premier chapitre de cette analyse traite du pacte social. Après une courte introduction au texte

primaire, nous verrons comment Rousseau réagit aux critiques de ses contemporains. Nous faisons

appel aux analyses de Cécile Spector. Son étude sur le conflit entre Rousseau et Diderot, sert de

guide pour comprendre les origines du débat sur le droit naturel au XVIIIe. siècle. En effet,

Rousseau ne croit pas au droit naturel. Les humains ne sont pas nés avec des facultés sociables. D'

où le besoin d' un pacte social. En même temps, il est conscient qu'il y a des difficultés à surmonter

pour réaliser un tel pacte. Car comment réconcilier l'amour propre avec l'intérêt commun, ou

volonté générale, un autre terme plus fréquent dans les textes choisis ?

Le deuxième chapitre de cette analyse, traite de la question des limites du pouvoir souverain. Selon

le chercheur Brunno Bernardi, cette question s' avère difficile à résoudre à cause du conflit entre le

droit de la personne publique et de la personne privé (2). Si le pouvoir souverain est absolu par

aliénation inconditionnelle mais aussi limité par des lois qu'il doit respecter, comme Rousseau

suggère dans son texte, comment alors réconcilier cette aliénation totale des membres de la société

avec leur liberté individuelle ?

Nous verrons, comment Rousseau veut résoudre ce problème en proposant la règle de réciprocité

afin que les intérêts des membres individuels du corps politique n'entrent pas en conflit avec la

volonté générale.

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Le dernier texte de cette analyse pose, dans le dernier chapitre, une question d'ordre juridique et

moral toujours d' actualité: le droit de vie et de mort. Là aussi, nous verrons qu'il y a le même

problème d' interprétation que dans les textes précédents. La question principale est de savoir si

Rousseau parle de la peine de mort ou justement du droit de vie et de mort. La question des droits

des particuliers est également posée. Car s'ils ne disposent pas de droit de vie et de mort, comment

peuvent-ils transmettre ce même droit au souverain ? La même chose doit être constatée dans le cas

des malfaiteurs qui ont commis un crime contre la société. Les sanctions infligées doivent-elles

relever du droit de guerre car leur crime peut être interprété comme un acte antipatriotique ? Nous

allons voir comment Bernardi propose une réévaluation de la position de Rousseau sur la peine de

mort. Enfin, la nature des sujets traités dans les textes choisis, leur difficulté le les interpréter, les

contradictions dans l' argumentation de l' auteur et les questions soulevées laissées sans réponses

provoquent toujours des appréciations contrastées faisant de Rousseau un « objet d'interprétations

contradictoires et de jugements partisans. » (3).

Apres l' analyse des trois textes ci-dessus, nous verrons finalement pourquoi le Contrat social est

toujours un ouvrage actuel à tel point que les Nations Unies ont décidé d'en faire le thème central

des activités culturelles et politiques de la Conférence Internationale sur le Développement Durable

tenue au Brésil en 2012. Nous verrons pourquoi, au sein même des plus hauts podiums de la

politique internationale, les idées politiques traitées dans les trois textes ci-dessus, continuent d’être

une source d'inspiration grâce à leur universalité. En même temps, elles sont une source de débats

houleux sur la quête de justice sociale, de la bonne gouvernance et de la dignité humaine.

II. Premier texte:

1) Résumé du « Pacte social »

Dans ce chapitre, Rousseau écrit que les forces de la nature l'emportent toujours sur l'homme. Pour

survivre, il faut s' organiser. Or l'homme ne peut engendrer de nouvelles forces pour y arriver. Il lui

faut unir et diriger celles dont il dispose. Le mieux est de résister au sein d'une communauté

organisée : « trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la

personne et les biens de chaque associé, et par la chacun s'unissant à tous, n’obéisse pourtant qu' à

lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. ». (Le Contrat social, Volume I, Chapitre IV, « Pacte

social. Alinéa 4 de l’édition digitale www.rousseauonline.ch »). Rousseau appelle cette forme

d'association un pacte social. Ce pacte est composé de clauses bien déterminées et reconnues de

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tous. La moindre modification les rend vaines et sans effet. Une fois violées, le pacte est annulé et

chacun retrouve sa liberté naturelle. Les clauses ont une fonction primordiale. Elles permettent

d’aliéner les associés à toute la communauté. L’aliénation totale crée une condition nécessaire au

sein de la communauté, à savoir l’égalité de ses membres. Ainsi personne ne peut nuire aux intérêts

des autres. Le pacte social est donc un instrument pour unir les membres de la communauté par

l’aliénation totale. Mais, il existe des risques, écrit Rousseau. Une aliénation sans réserve peut se

transformer en tyrannie car il ne resterait plus de droits aux personnes privilégiées. L'association

deviendra ainsi nécessairement tyrannique. Pour résoudre ce problème, le pacte social doit

permettre à chacun de se donner totalement à l'intérêt général de la communauté et en même temps

doit garantir à chaque membre sa liberté. Cette liberté est garantie car tous les membres sont égaux.

Ainsi chaque individu gagne, selon l'auteur, l’équivalent de ce qu'il perd par aliénation au groupe.

Pour designer l' intérêt général, Rousseau emploie fréquemment le terme de volonté générale.

Le pacte représente donc un corps moral et collectif composé de membres unis par leur volonté

générale. Rousseau remarque que dans l’antiquité, on appelait une telle union un Cité. Mais ses

contemporains ont perdu le sens du mot et tendent à le confondre avec le mot République. Selon

Rousseau, les gens emploient ces termes de façon anarchique car ils ne savent plus distinguer les

deux sens.

2) Réactions et débats sur « Le Pacte social »

Pour comprendre le sens général du texte considéré ci-dessus, il faut le placer au XVIIIe siècle au

cœur des débats philosophiques sur les origines des inégalités entre les hommes. Rousseau rédigeait

son ouvrage en s'inspirant des philosophes de son siècle, plus précisément du philosophe Denis

Diderot. Ce dernier était l’un des rédacteurs de l'Encyclopédie. Il est particulièrement intéressant

pour notre analyse car il était l'un des philosophes qui a débattu l' idée du pacte social avec

Rousseau. Leur correspondance est marquée par un conflit dont l'origine est la réfutation de l'article

Droit naturel de l'Encyclopédie. (4) Alors que Diderot propose une naturalisation de la théorie de

l'instinct social, Rousseau ne croit pas qu'il existe une société naturelle du genre humain. La volonté

générale n' est pas innée. Elle doit être cultivée au sein d'une société civile par l' éducation afin de

conclure un pacte social capable de garantir une vie décente à chaque membre de la communauté :

« Seul le passage à la société civile suscite l' argument des besoins et rompt la proportion entre

force et besoins primitifs. » (5 ). Or, pour que chaque membre puisse se satisfaire, il doit s'asservir

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et asservir les autres. Ce qui n' est pas le cas dans le droit naturel, selon Rousseau. Par conséquent,

l’idée d'une société générale ne peut exister. Rousseau présente trois arguments pour éclaircir son

refus de la société générale : le premier argument est qu’il est difficile de réconcilier l'amour propre

avec volonté générale (6). Le deuxième est que l'intérêt de l' individu une fois socialisé, est de

profiter au maximum de la bienveillance de ses semblables sans pourtant se sentir obligé de la leur

accorder. Le troisième est que dans toute société, l'intérêt est un principe qui sert à associer les

hommes mais aussi à les dissocier. L'intérêt est un principe à double tranchant. Il faut donc selon

Rousseau une société ordonnée pour garantir la réconciliation indispensable entre justice et intérêt.

Les inégalités naturelles entre les hommes, exigent une récompense acceptable. Car la survie du

faible est une condition indispensable pour la survie de toute la société (7). Or tel n'est pas le cas,

écrit Rousseau, car la société « ne donne de nouvelles forces qu' à celui qui en a déjà trop, tandis

que le faible, perdu, étouffé écrasé dans la multitude, ne trouve nul asile où se réfugier, nul support

à sa faiblesse, et périt enfin victime de cette union trompeuse dont il attendait son bonheur. » (8).

Selon Spector, la question des inégalités entre pauvres et riches, entre liberté individuelle et les

devoirs envers les autres ne soutient pas l'idée que la justice procéderait de l'union des humains

puisqu'une telle union n'existe pas. Seule existe la division entre des êtres aux besoins insatisfaits et

des êtres qui peuvent se donner des forces supplétives afin de se satisfaire (9).

Pour résoudre ce problème des inégalités, Rousseau propose dès le début du texte de : « Trouver

une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune le personne et les biens

de chaque associe, et par laquelle chacun s' unissant à tous, n' obéisse pourtant qu' à lui-même et

reste libre qu' auparavant. » (10). Ici, il faut comprendre la liberté et l' égalité de l' individu dans un

sens particulier. C' est un individu libéré des sentiments de jalousie, d' arbitraire et de dépendance

matérielle et immatérielle des autres. Riches et pauvres sont égaux par l’aliénation totale à la

volonté générale. Le chemin du bonheur humain passe ainsi pour les riches par la modération, et

pour les pauvres par la satisfaction. L'homme est déclaré autonome qui connaît sa place dans la

hiérarchie sociale. Mais c'est aussi une autonomie utopiste accessible seulement par l' aliénation

absolue, explique l' expert Néerlandais Oerlemans dans son ouvrage « Rousseau en de privatisering

van het bewustzijn » :

« Vrijheid betekent hier ondermeer : vrij van willekeur en de gunsten van anderen. Deze private

sociaal-economische onafhankelijkheid van anderen, die ook elk risico van sociale daling en

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onderwerping uiltsloot, kon echter alleen gewaarborgd worden door volstrekte verbondenheid met

de samenleving als geheel. ». (11)

Cette liberté proposée est intimement liée à l' égalité. L' individu doit être moralement égal à ses

semblables même s' il y a des différences sociales et économiques considérables : « Onder égalité »

ajoute Oerlemans, « verstaat Rousseau ook hier geen vorm van sociaal-economische gelijkheid,

maar een sociaal-culturele harmonie. ». (12)

Rousseau introduit une nouvelle forme de liberté et d'égalité qui n' a pas échappé à la critique de ses

adversaires. Dans sa réponse à Rousseau, le philosophe Diderot admet qu'il est nécessaire d'avoir

des conventions pour harmoniser les rapports entre individus. En même temps, il avertit que

l’interdépendance ne suffit pas pour produire des sociétés. Les rapports sociaux dans leur état

naturel sont violents en raison des passions et intérêts non bridés par les lois : « Chacun veut

s'approprier les avantages communs, sachant que les hommes sont inégaux en talents. ». (13)

Rousseau s' avère sensible à cet argument. Il admet que les conventions artificielles sont fragiles.

Son argument est que le plus fort finit toujours par l'emporter sur le faible. Les conventions

artificielles ne peuvent être établies sans dommages si elles se limitent à prolonger la société

naturelle. Pour résoudre ce problème, Rousseau introduit le principe de la volonté générale à

laquelle il est absolument nécessaire de se soumettre.

Les membres du corps politique, écrit Rousseau, une fois sous la suprême direction de la volonté

générale, finissent par construire un corps moral et politique assez fort qui garantit à chacun son

unité, son moi commun et sa volonté. Les intérêts et les passions jugés assez contradictoires,

disparaissent finalement pour faire place à une harmonisation spontanée, la base de toute société

juste et durable. Par son idée de la volonté générale, Rousseau réagit contre l'optimisme de ses

contemporains dont Diderot fait partie. En effet, ce dernier pense que la justice social se développe

grâce à la sociabilité réciproque des membres égaux de la même communauté. Pour Rousseau, il n'

y a pas de garantie des réciprocités car il est difficile d' établir des obligations des droits et des

devoirs réciproques des individus. La volonté générale « doit s’éprouver à l’échelle du corps

politique ; elle devra se fonder sur la constitution d'un véritable 'moi commun'. » (14). La fonction

principale de ce moi commun est de neutraliser le problème des disparités dans la répartition des

richesses. Car les privilégiés tendent à utiliser le droit et l’appareil de l’Etat afin de conforter leurs

privilèges et d'accroître leur position de pouvoir. Il faut protéger les pauvres afin que l’espace

public ne devienne pas « une arène où les intérêts privés dominants font la loi. » (15).

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Enfin, pour que soit conçus et voulus les liens d'appartenance de chacun, il faut une médiation

politique. L'homme imaginé par Rousseau n’est civilisé que lorsqu’il est passé par l’éducation de

l’état naturel à l' état de société civile. Ce qui explique l’urgence d 'un pacte social.

III. Deuxième texte:

1) « Les bornes du pouvoir souverain »

L' idée principale du texte est que si l’ État ou la Cité est une personne morale, il devient souverain

absolu grâce au pacte social qui lui donne un pouvoir sur tous les membres. Ce pouvoir est la

source de la souveraineté. Mais il faut distinguer les droits des membres privés qui composent la

communauté et les droits du souverain ainsi que les devoirs que les citoyens doivent remplir en tant

que membres libres et égaux. L'apport de chaque membre de la communauté est jugé par le

souverain en fonction de son importance pour toute la communauté. Le citoyen doit rendre service

au souverain si tôt que celui-ci le demande. En même temps, le souverain ne peut charger les sujets

d'aucune obligation inutile à la communauté. Ces obligations qui lient les membres de la

communauté sont mutuelles. L’égalité de droit produit une notion de justice qui permet le

développement de la volonté générale. Le bonheur de l'un est aussi celui de l'autre.

S'il s'agit d'un droit particulier, le cas devient une affaire publique, avec d'une part le sujet

particulier et de l'autre le public. Mais, écrit Rousseau, il est difficile de juger car la volonté

particulière ne peut représenter la volonté générale . Il y a donc risque de commettre injustice. Dans

ce cas, on doit examiner l’intérêt général qui unit la communauté et non le nombre des voix.

Dans tous les cas, le pacte social doit établir entre les membres de la communauté une certaine

égalité qui les engagent dans les mêmes droits et les mêmes devoirs. De même, le pacte doit faire en

sorte que le souverain ne peut favoriser un membre sur un autre. Car il ne connaît pas de membre

individuel mais seulement le corps de la nation.

Par conséquent, le pouvoir du souverain, aussi puissant qu'il soit, conclut Rousseau, ne peut

dépasser les bornes des conventions générales déterminées par le pacte social. De même, tout

membre de la communauté devient protégé dans ces biens et sa liberté.

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2) Les difficultés du pouvoir souverain

Il existe une multitude d’interprétations du texte ci-dessus. Certains y voient la primauté des droits

individuels sur les droits sociaux. D' autres raisonnent plutôt dans le sens opposé. A l' origine de

cette confusion est le problème posé par le texte même, à savoir la difficulté de distinguer entre

personne publique et personne privée.

Pour le chercheur Bernardi (16), il s'agit bien d'un conflit possible entre des sujets de droit, le

souverain d'une part et les citoyens de l'autre. Rousseau paraît conscient de ce problème car il a

défini le terme citoyen comme étant un membre du souverain: « Lecteurs attentifs, ne vous pressez

pas, je vous prie, de m'accuser ici de contradiction. Je n'ai pu l' éviter dans les termes, vu la pauvreté

de la langue; mais attendez... » (17). Le problème qui se pose est donc de savoir comment qualifier

un sujet dont les droits sont distincts du souverain. Il faut donc savoir d' abord comment aborder le

problème de la dualité des sujets - souverain versus citoyen et droit versus pouvoir - en sachant que

ce dualisme est au cœur du débat.

Selon Bernardi, nous avons ici deux propositions contradictoires. D'un coté, il y a le pouvoir

souverain de la volonté générale. C' est un pouvoir absolu mais aussi limité par des droits qu'il doit

respecter. La loi l' y oblige. Mais il faut toujours définir les limites de son empire sur les

particuliers. Ce terme particulier est neutre et désigne le citoyen, le sujet, l'homme… Il vient

compliquer les choses. Bernardi propose trois lectures possibles du terme particulier. D’abord c’est

une personne morale ou un être issu de l'union de volontés distinctes. Sa vie consiste dans cette

union. Ensuite, il y a cette notion de conservation de soi. Toute vie a pour premier principe sa

propre survie. Enfin, la société a pour règle principale de maintenir l’unité dont dépend l'existence

de ce particulier (18).

Le pouvoir souverain ne découle donc pas de la nature du corps politique. Cette question concerne

l'empire de la volonté générale sur les volontés particulières et non le droit de contrainte que l’État a

sur ses membres. Le problème à résoudre, écrit Bernardi (19), est celui de la dualité entre personne

privée et personne publique dont la vie est indépendante. En d' autres termes, il faut résoudre la

dualité entre principe de conservation de soi et principe d'autonomie de l' individu.

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Rousseau écrit qu'il n'y a d'homme privé que dans une société civile dont il faut définir les limites

des pouvoirs. Ainsi, le souverain a des droits sur les citoyens. Ceux-ci ont aussi des droits que le

souverain doit respecter. Ce sont des droits qu'ils ont comme citoyens et membres du corps

politique. Les particuliers en tant que sujets, ont aussi des droits envers le souverain. Ils doivent

obéir à la loi. Ils ont également des droits civils qui les protègent ainsi que des droits en tant que

personnes indépendantes, c' est a dire des droits en tant qu'humains (20).

Rousseau propose donc plusieurs séries de droits et devoirs réciproques entre souverain et citoyen,

entre État et sujets et finalement entre corps social et hommes qui le composent. La société doit

respecter les droits de ses membres au niveau des droits politiques et au niveau des droits naturels.

Mais comment concilier cette série de droits avec l'aliénation totale de chaque membre de la société

à la volonté générale proposée par Rousseau? La société ne demande pas que ses membres

renoncent à leurs droits. Mais chacun confie à la communauté dont il est membre l'emploi des

pouvoirs que ces droits enveloppent. Autrement dit, si le souverain seul est juge de ce que les

particuliers lui doivent, comment peut-on admettre que les droits du souverain sur les particuliers

soient limités? De même, si les membres du corps politique doivent accorder à la souveraineté (la

volonté générale) tout ce qu'elle leur demande, celle-ci ne peut exiger d'eux que ce qui relève de

l’utilité commune qui est aussi de leur utilité.

Le souverain ne fixe pas les limites de ses pouvoirs par sa décision. Ses pouvoirs ne sont pas non

plus fixés par des lois auxquels il serait soumis avant toute décision. Ses limites découlent de la

nature du souverain qui est d’être le sujet de la volonté générale. Le pouvoir souverain ne peut en

aucun sens être arbitraire.

La difficulté d' interpréter ce chapitre est due, selon Bernardi, au fait que les limites du pouvoir se

situent au niveau du droit politique, non au niveau moral. Rousseau pose la question des droits que

le souverain doit respecter dans la personne des citoyens et la façon dont il fixe les limites de son

pouvoir. Le pouvoir souverain « s'exerce sur les conduites, non sur les consciences, fixe les

obligations du sujet envers la loi, non les devoirs d'un homme envers un autre. » (21).

Selon Rousseau, la règle de réciprocité et le principe d' identification sont importants dans le

mesure où chacun pense à soi en considérant les intérêts du reste de la communauté. La volonté

générale n' est autre que l' identification de l' ensemble des volontés particulières qui se généralisent

et s'identifient mutuellement (22).

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L' égalité des droits est abordée de deux façons. L'une d' elles exige des particuliers un engagement

mutuel. Les membres du corps ne peuvent consentir qu' à ce qui les traite également. L'autre façon

fait de l' égalité une exigence propre de la volonté générale (23). Et c'est parce que le souverain les

traite à égalité que les sujets restent libres, écrit Rousseau: « Tant que les sujets ne sont soumis qu' à

de telles conventions, ils n' obéissent à personne, mais seulement à leur propre volonté. » (idem).

Rousseau finit par conclure que les limites de la souveraineté sont celles que le souverain se donne

lui-même par la volonté générale. Le pouvoir souverain est à la fois absolu et limité. Absolu par

l'obéissance à la loi, et limité par sa nature qui ne lui permet pas de commander ce qui va contre

l'intérêt commun, c' est à dire ce qui va contre les intérêts du sujet (24). La réponse de Rousseau à la

question des limites du pouvoir souverain est donc celles des conventions générales. Il faut protéger

la vie, la liberté et les biens des membres par la force commune. Le pouvoir souverain a deux sortes

de limitations précises. Il doit préserver l' entière jouissance par chacun de tout ce qui n'entre pas

dans le champs de l'intérêt commun. Et il doit respecter l'équité comme principe de traitement des

membres du corps politique par le souverain.

IV. Troisième texte:

1) « Du Droit de vie et de mort »

Le « Droit de vie et de mort » est certainement l'un des textes les plus courts du Contrat social.

L'idée principale est que chacun a droit de risquer sa propre vie pour la conserver. Le pacte social

oblige chacun à conserver sa vie. Mais, quiconque veut conserver sa vie aux dépens des autres, doit

la donner aussi pour eux quand il le faut. La vie est un don conditionnel de l’État qui le protège.

La peine de mort infligée aux criminels doit servir pour ne pas être victime d'un assassinat.

Quiconque attaque le pacte social, est aux yeux de la loi un traître qui cesse d’appartenir à la

communauté car il a violé ses lois. Dans ce cas, la peine doit être justifiée par l'exil ou par la mort

comme ennemi public. Le droit de guerre est appliqué. Il est possible de mesurer la faiblesse ou la

paresse d'un gouvernement par la fréquence des supplices. Le droit de faire grâce aux coupables

revient à celui qui est au-delà de la loi: le souverain.

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2) « Droit de vie et de mort », un chapitre inachevé ?

Dans ce chapitre sur le Droit de vie et de mort, Rousseau s'est limité à des propositions assez

courtes pour répondre à de grandes questions juridiques et morales de son temps. D’après Bernardi,

il n' a pas tiré non plus les conséquences de ces propositions jusqu'au bout. Ce qui laisse le champs

libre à beaucoup d' interprétations.

Pour comprendre les propositions de Rousseau, Bernadi propose de placer le texte entier dans le

prolongement du questionnement développé ailleurs dans l'ouvrage du Contrat social. La première

question qu'il faut poser est de savoir si le droit de vie et de mort et la peine de mort sont

équivalents dans le texte. Rousseau traite t-il du droit de punir dans son ensemble ou seulement de

la peine de mort? S' agit-il de punition ou du droit de punir? Cette question, écrit Bernardi, est au

cœur de l' argumentation d'ensemble de l' ouvrage du Contrat social. C'est même le corollaire moral

et politique de son auteur: « Renoncer à sa liberté c'est renoncer à sa qualité d'homme. » (25).

Rousseau pose le problème dès le début: « On demande comment les particuliers n' ayant point

droit de disposer de leur propre vie peuvent transmettre au souverain ce même droit qu'il s n'ont

pas? » (Rousseau, J.-J.: "Du Droit de vie et de mort", Article dans: "Contrat social", Volume I,

Chapitre V. Edition digitale: www.rousseauonline.ch). Le texte suggère qu'il s' agit de deux droits

différents, celui du particulier et celui du souverain. Le droit de vie et de mort n'est pas la même

chose que la peine de mort. Il s' agit plutôt de savoir si le souverain a le droit de disposer de la vie

des citoyens (26).

En même temps, Rousseau suppose que la question est difficile à résoudre si elle est mal posée. Ce

qui veut dire qu'il n'écarte pas la question, bien au contraire. Il admet tout simplement qu'il faut un

plus long travail de réflexion pour la résoudre (27).

Si le traité social a pour fin la conservation des membres de la société, le souverain est alors obligé

de conserver la vie de chacun de ses membres. Cette obligation de conserver la vie relève du

pouvoir souverain décrit dans le texte Bornes du pouvoir souverain. Par ailleurs, cette idée de

conservation de vie est équivalente à la sûreté et à la liberté dont chaque membre de la société doit

jouir (28). Quant aux sanctions infligées aux criminels, elles ne doivent pas être confondues avec la

peine de mort. Celle-ci est un autre objet qui relève également du droit de vie et de mort, à savoir la

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défense de la patrie: « D' ailleurs, tout malfaiteur attaquant le droit social par ses forfaits rebelle et

traître à la patrie, il cesse d' en être membre en violant ses loix, et même il lui fait la guerre. » (29).

Les conséquences d'une telle attaque contre la patrie peuvent être graves. Elles sont clairement

sanctionnées par la peine de mort. Pour protéger la patrie, le souverain a droit de condamner à mort

un membre du corps politique: « On a droit de faire mourir, même pour l' exemple, que celui qu'on

veut conserver sans danger. » (30). Mais la peine de mort n' est soutenue par aucun droit. Elle n' est

donc qu'une guerre déclarée à un citoyen par le reste qui juge nécessaire ou au moins utile la

destruction de ce citoyen qui cesse de l' être car il a trahi le corps politique. L'un des deux doit périr

pour la survie de l' autre. Dans ce cas, c' est l' État qui doit être sauvé.

Mais comment réconcilier le pacte social qui a pour fin la conservation des citoyens, avec le fait que

dans la société, il n' y a rien de si sacré pour Rousseau que la vie des simples citoyens? Ces deux

exigences sont en contradiction. Par conséquent, tout le pacte social s' écroule. Voué à l' échec, le

corps politique va être finalement dissous (31). La même constatation a été soulevée par Tzetan

Todorov dans son article l' Esprit des Lumières. La peine de mort n'a pas de légitimité même

lorsqu'elle frappe un criminel qui a tué : « Si l' assassinat privé est un crime, comment l' assassinat

public pourrait-en ne pas être un? » (32).

Par conséquent, Rousseau pense que chaque gouvernement devient une tyrannie s'il considère qu'il

est bon de sacrifier un seul individu pour sauver la société. Le pacte social a finalement pour fin la

conservation de la vie de tous, y compris les criminels et les traîtres à la patrie. La peine de mort

paraît alors incompatible avec l' idée même du Contrat social (33).

Bref, toutes les difficultés suscitées dans le texte sur le « Droit de vie et de mort », n'ont pas été

résolues. La logique propre de l' argumentation de Rousseau devrait le conduire à en récuser la

notion même, écrit Bernardi. Mai c' est parce que cette logique n'existe pas dans le pacte social, que

la peine de mort porte en elle la dissolution du corps politique. Elle ne saurait être un acte de justice

mais un acte de guerre (34).

Est-il possible de tirer quelques conclusions de ces difficultés non résolues dans le texte ? La

réponse est affirmative. D' abord, en justifiant la peine de mort, Rousseau contredit ses propres

principes les plus fondamentaux. Ensuite, les arguments avancés contredisent d'autres thèses

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défendues en d’autres chapitres du Contrat social. Enfin, on doit se méfier de la ligne

argumentative de l' auteur car peu consistante (35).

Pour conclure, Rousseau, prisonnier du préjugé dominant de son époque, n’a donc pas pu tirer

jusqu’au bout les conséquences de ses propres principes. Ce qui explique pourquoi il est condamné

à des contradictions, à des contorsions argumentatives et, au terme du chapitre, à une sorte de

remords « le cœur résistant à ce que la froide raison vient de poser. » (36).

V. L'actualité du Contrat social

Avons-nous besoin d'un nouveau Contrat social pour résoudre les problèmes socio-économiques de

notre temps ? Les activités un peu partout dans le monde au tour du tricentenaire de son auteur J.-J.

Rousseau suggère un tel besoin. L'ouvrage était explicitement au centre des activités de la

Conférence Internationale sur le Développement Durable des Nations Unies tenue au Brésil en 2012

(37). Les meilleurs experts de la pensée rousseauiste ont été invités. Le chercheur Polonais Ignacy

Sachs, l'un des participants, plaide pour une nouvelle réinterprétation à l' échelle mondiale des

objectifs du « Contrat social ». Les problèmes actuels, dit-il, sont pour une partie liés à des

politiques dont les bénéfices restent limités à quelques pays qui ont réussi à assurer un minimum de

sécurité alimentaire et énergétique à leurs populations en distribuant intelligemment les richesses.

Or la majorité écrasante de l' humanité est incapable de se doter d'une telle politique. Sachs défend

une nouvelle interprétation du Contrat social qui dépasse les frontières des pays. Il faut : « (...) de

nouveaux contrats sociaux explicites pour aborder une nouvelle ère – l’anthropocène – fondé sur la

justice sociale, le respect de l’environnement et la viabilité des solutions économiques proposées.

Parfois, le hasard fait bien les choses : nous avons commémoré en 2012 le 300e anniversaire de la

naissance de J.-J. Rousseau et le 250e anniversaire de la publication de son Contrat social. À nous

de montrer que nous n’acceptons plus de nous conduire selon le principe homo homini lupus, ni de

faire en sorte que les inégalités sociales entre peuples et à l’intérieur des peuples continuent à se

creuser. » (38)

Pour y arriver, Sachs propose de travailler ensemble au sein des organes supranationaux capables de

veiller à ce que l’humanité soit protégée contre les catastrophes naturelles, les conflits

internationaux, les changements climatiques, les injustices et les carences en matières alimentaires

et énergétiques. Un tel choix est urgent car le monde est devenu interdépendant sous les effets de la

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globalisation. Il propose quelques mesures pratiques centrées sur trois axes dont la révision des

politiques de subventions des énergies non-renouvelables, l' installation de fonds internationaux

pour soutenir le développement durable et le renouvellement des modèles de gouvernance des

écosystèmes.

Le Contrat social est donc au cœur des activités des organes internationaux comme les Nations

Unies. Il est une source d' inspiration pour lutter contre l'injustice sociale et économique grâce à l'

universalité des thèmes que son auteur aborde. Mais la quête de la justice n' est pas le seul thème

qui fait l' universalité de cet ouvrage. Nous avons vu comment le texte « Droit de vie et de mort »

soulève le problème de la peine de mort sans donner de détails quant aux lois liées à son

application. Le texte prête même à des confusions car d'un côté, il y a l' absolutisme du pouvoir

souverain de la volonté générale. D'un autre côté, il y a des lois qui limitent le pouvoir absolu.

Rousseau propose des lois pour empêcher le corps politique de devenir une tyrannie.

Or c' est justement au niveau de l' interprétation des lois portant sur la peine de mort que le débat

actuel sur la Déclaration Universelle des Droits de l' Homme posent quelques problèmes dans

certains pays membres des Nations Unies. En fait, très peu de pays qui appliquent aujourd'hui la

peine capitale considèrent son abolition même si les arguments des abolitionnistes sont de plus en

plus connus. Ce qui rend difficile le travail d' ensemble entre pays membres. Par exemple, ils

contestent le fameux Article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l' Homme qui garantie à

chacun le droit à la vie selon ses propres choix : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants.» (39). Les défenseurs de cet article veulent la

conservation de la vie humaine de chaque membre de la société afin de ne pas glisser vers la

tyrannie. Ils partagent en cela un argument de Rousseau décrit dans le « Droit de vie et de mort »

qui considère la peine de mort injuste car une société ne peut interdire d’assassiner des humains et

en même temps accepte de les condamner à mort. Les abolitionnistes soulignent que la peine de

mort est inhumaine car elle implique l'utilisation de la violence pour mettre fin à la vie des

condamnés. Ils ajoutent que c’est inutile car la mort empêche le condamné à réparer ses fautes. En

plus, l’exécution est irréversible et les systèmes juridiques ne sont pas toujours fiables. Un juge peut

se tromper et l’exécution d' un innocent est irrévocable. A cela s’ajoute l' arbitraire des

administrations dans beaucoup de pays en voie de développement et même en pays civilisés.

Pourtant, beaucoup de pays musulmans, asiatiques, africains et certains états américains refusent

toujours de ratifier tous les articles de la Déclaration des Droits de l'Homme. La raison à notre avis

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est que, pour certains, le texte fondateur de la Déclaration est inspiré des idées politiques

occidentales basées sur le droit naturel. Nous avons vu grâce à l' article de Celine Spector comment

le droit naturel a dominé le débat entre Rousseau et Diderot. Les adeptes de ce droit défendent

l’idée que l' homme est libre de vivre sa vie selon ses valeurs propres. Le pluralisme éthique et les

droits inaliénables de l' homme sont nés de cette multitude de valeurs. Et c' est ce pluralisme

justement qui est contesté car il tend à présenter des comportements spécifiques de l' Occident sous

forme d'une vérité universelle. En d' autres termes, les pays qui refusent de ratifier tous les articles

de la Déclaration Universelle de l' Homme, soulignent ces particularités d'une société sans aucun

lien avec leur monde. Ils rejettent les standards de cette société car, écrit Bernardi, elle est

« tributaire d'une configuration théorique et historique propre à l' Occident et à ses racines grecques,

romaines et judéo-chrétiennes. » (40).

Les adversaires de l' abolition de la peine de mort contestent donc l' universalité des droits de l'

homme. Par conséquent, les abolitionnistes se trouvent devant un problème majeur qui freine leurs

projets de faire avancer les droits de l' homme partout dans le monde. Il arrive même qu'on les

accuse d' être des agents de l'interventionnisme occidental (41). Or sous l' effet de la mondialisation,

les problèmes des pays membres des Nations Unies, aussi loin qu'ils soient, touchent aussi le reste

du monde. Le terrorisme, le flux des réfugiés, les catastrophes naturelles, les problèmes de l'

environnement et les crises économiques et financières en sont quelques exemples.

Outre l' abolition de la peine de mort, ces mêmes pays rejettent aussi le principe du pluralisme

culturel, linguistique et ethnique car il inspire à leurs yeux les minorités vivant sur leurs territoires à

réclamer plus d'autonomie politique. Ce qui est une menace pour leur stabilité même si cette version

de la réalité n'est pas tout à fait partagée par ceux et celles de qui ils s' agit vraiment, c' est a dire des

populations réprimées. Nous n'entendons jamais leur voix par faute de représentation politique et

médiatique à l' échelle mondiale. Une solution possible à notre avis est d'intensifier la coopération

au niveau des organes non-gouvernementaux à travers le monde. En d’autres termes, il faut

renforcer la société civile des peuples marginalisées en encourageant les bonnes pratiques de

gouvernance.

Le système de gouvernance des Nations Unies est l'un des plus connus et des plus utilisés dans le

monde depuis la Seconde Guerre mondiale. C' est un système souple de gestion avec des avantages

sur plusieurs niveaux. D' abord, il offre une conception claire de la paix et de la justice qu'il faut

poursuivre continuellement. Ensuite, il encourage la démocratie participative sur trois niveaux, celui

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des Etats, celui des individus et celui des groupes d' individus. Puis, il définit clairement la balance

entre démocratie et pouvoir, entre égalitarisme et universalisme tout en s' inscrivant dans un monde

composé d'Etat souverains mais inégaux qui tirent leur légitimité des territoires et des populations

bien délimités (42). Enfin, le système onusien fait de la survie de l’humanité et de la protection de

ses conditions de vie une question politique universelle qui dépasse les intérêts particuliers des Etats

et des gouvernements. D'ou le rôle important des organes non-étatiques.

Les Etats membres des Nations Unies qui contestent certains aspects de l’universalité des droits de

l'homme, exercent donc le droit absolu de l'aliénation totale de chaque membre de la société sur leur

territoire. Par conséquent, la volonté générale du membre individuel et des groupes d’individus n'

est pas respectée. Ce conflit entre liberté individuelle et collective et pouvoir de l' Etat souverain se

joue au niveau de la définition des limites du pouvoir étatique. Un membre privé de la société n'est

libre que dans une société civile libre qui fonctionne au sein d'un Etat souverain, écrit Rousseau. L'

actualité de son ouvrage réside ici dans le fait qu' elle met en avant le respect des droits politiques

des membres de la société. Rousseau pose la question des droits que le souverain doit respecter dans

la personne des citoyens et la façon dont il fixe les limites de son pouvoir. Il propose la règle de

réciprocité et le principe d' identification où chacun pense à soi-même tout en considérant les

intérêts du reste de la communauté (43). Il aborde ainsi l' égalité des droits de deux façons. La

première exige des particuliers un engagement mutuel. Les limites de la souveraineté sont celles

que le souverain se donne lui-même par la volonté générale. Le pouvoir souverain est à la fois

absolu et limité. Absolu par l'obéissance à la loi, et limité par sa nature qui ne lui permet pas

d'imposer ce qui va contre l'intérêt commun, c' est à dire ce qui ne va pas contre les intérêts des

membres individuels de la société. La deuxième façon veut que le pouvoir souverain a deux sortes

de limitations précises. Il doit préserver l' entière jouissance par chacun de tout ce qui n'entre pas

dans le champs de l'intérêt commun. En même temps, il doit respecter l'équité comme principe de

traitement des membres du corps politique par l’Etat. Le conflit est donc de nature politique et non

morale. Il faut redéfinir les conduites des uns et des autres car au fond, ils aspirent tous au mêmes

objectifs: la quête de la justice et la conservation de la vie humaine.

VI. Conclusion

Les trois textes choisis présentent des exemples de difficultés que Rousseau met en évidence.

Certaines ne sont pas résolues. Le conflit sur le droit naturel, les limites mal décrites du pouvoir

souverain et l'amalgame dans la question sur la peine de mort en témoignent. Parfois, à l' origine de

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ces difficultés se trouvent des questions posées en dehors des textes choisis. C' est tout l'ouvrage du

Contrat social qu'il faut relire dans ce cas pour comprendre ce que Rousseau veut dire.

Ainsi, nous avons vu comment l' auteur a résolu le problème de la réconciliation entre amour propre

et volonté générale. Chacun doit songer à soi-même en décidant pour tous. L' individu socialisé doit

reconnaître son intérêt dans celui de sa communauté. Un point faible ici est que l’intérêt mutuel est

une arme à double tranchant. Il sert à associer les hommes mais aussi à les dissocier.

La liberté et l'égalité sont les deux principes importants sur lesquels toute société moderne doit être

basée. Elles doivent être comprises dans un sens particulier. C'est à dire que chaque individu doit

être libéré de tout sentiment d' amour propre et d' infériorité envers les plus riches et les plus

puissants. Il doit aspirer à une égalité morale même si le rang social et économique ne le permet

pas.

La règle de la réciprocité et le principe d' identification sont importants dans la mesure où ils

renforcent les liens d'appartenance au corps politique. Les membres doivent nécessairement passer

de l’état naturel à l' état de société civile par l'éducation. C’est un processus qui permet à la volonté

générale d’être élaborée à l’échelle du corps politique.

La difficulté posée par le texte de « Droit de vie et de mort », vient de la confusion entre les droits

de la personne publique et de la personne privée. Nous avons vu comment des experts comme

Bernardi ont proposé des solutions. D'un côté, il y a l' absolutisme du pouvoir souverain de la

volonté générale. D'un autre côté, il y a les lois qui limitent ce pouvoir absolu. Ces lois existent pour

empêcher le corps politique de devenir une tyrannie.

Nous avons vu comment Rousseau propose une série de droits et de devoirs réciproques entre

souverain et citoyen, entre État et sujets et finalement entre corps social et hommes qui le

composent. Il résout la question des particuliers par l’introduction des droits envers leur souverain.

Ils doivent obéir la loi. Mais ils ont aussi des droits civils et d'autres droits spécifiques qui les

considèrent comme des personnes indépendantes. Ce sont des droits humains inaliénables. Les

limites du pouvoir souverain découlent de la nature du souverain qui est d’être le sujet de la volonté

générale. Puisque la volonté générale n' est en aucun cas arbitraire, ce pouvoir souverain ne peut l'

être aussi. Les conventions générales ont ici un rôle important pour protéger la vie, la liberté et les

biens des membres.

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Le texte sur le « Droit de vie et de mort » reste difficile à interpréter. L' auteur ne tire pas de

conséquences des propositions qu'il a faites. On ne sait pas exactement ce que Rousseau veut dire.

La conclusion provisoire des experts est que le contexte idéologique au temps de la rédaction ne

permettait pas à son auteur de mieux poser la question et d’y trouver une réponse satisfaisante. Le

texte suppose que chaque gouvernement devient une tyrannie s'il considère qu'il est bon de sacrifier

un seul individu pour sauver le reste. Rousseau contredit ici ses propres propositions faites ailleurs

dans son ouvrage. Rousseau était prisonnier du préjugé de son siècle.

Finalement, le fait que l' auteur a essayé de réinterpréter des idées anciennes pour répondre à des

questions spécifiques des temps modernes, est l'un de ses plus grands mérites. Son approche a

provoqué plusieurs ruptures avec ses contemporains sur les principes fondamentales de la société

moderne. De ces ruptures sont nées les trois grandes idées que nous héritons du siècle des Lumières

et qu font l' actualité du Contrat social: la souveraineté, la raison d' État et le droit de critique.

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VII. Notes bibliographiques:

1. Spector, Au prisme de Rousseau, 1 et suite.

2. Bernardi, L'empire absolu, 180.

3. Spector, Idem.

4. Spector, De Diderot à Rousseau, 140.

5. Idem, 142.

6. Spector, 143.

7. Spector, 145.

8. Idem, 145.

9. Idem.

10. Rousseau, Du Pacte social.

11. Oerlemans, Rousseau en de privatisering van het bewustzijn, 145.

12. Idem, 136.

13. Spector, De Diderot à Rousseau, 145.

14. Idem, 153.

15. Spector, Au prisme de Rousseau, 120.

16. Bernardi, L' empire absolu, 180.

17. Rousseau, Des bornes du pouvoir souverain.

18. Bernardi, L'empire absolu, 181.

19. Idem, 182.

20. Idem, 183.

21. Idem, 185.

22. Idem, 186.

23. Idem, 187.

24. Idem.

20

Page 21: L' actualité du Contrat social de J.-J. Rousseau (1712-1778)

25. Idem.

26. Bernardi, Le droit de vie et de mort, 96.

27. Bernardi, note 14, 98.

28. Bernardi, 99.

29. Rousseau, Du Droit de vie et de mort.

30. Bernardi, 103.

31. Bernardi, 104.

32. Tzvetan Todorov, L’Esprit des Lumières.

33. Bernardi, Le droit de vie et de mort, 105.

34. Bernardi, 106.

35. Idem, 89.

36. Idem.

37- Nations Unies, (2012) : «Conférence Internationale sur le Développement Humain. Pour un nouveau Contrat social.», Rio de Janeiro, Brésil. Un résumé des interventions est à consulter sur: http://www.unitar.org/leading-international-thinkers-call-new-social-contract (consulté le 21 octobre 2013).

38- Sachs, I. (2013) : «Plaidoyer pour une planification mondiale du développement», Contribution au Symposium International de la Fondation des Sciences de l'Homme, Paris. Document à lire sur: http://penserglobal.hypotheses.org/44 (consulté le 21 octobre 2013).

39- Déclaration Universelle des Droits de l' Homme, (1948), Article 5), réitéré en 1976 dans l' Article 7 du «Pacte international relatif aux droits civils et politiques». Documents en Français à consulter sur le site web des Nations Unies: http://www.un.org/fr/documents/udhr/ (consulté le 21 octobre 2013).

40- Bernardi, B. (2010) : «Lire Rousseau aujourd’hui». Article in: le Nouvel Observateur. Edition spéciale.

41- Voir par exemple l’arrestation récente des membres Néerlandais de Green Peace en Russie sousprétexte de piraterie alors qu’ils cherchaient à protéger l’environnement dans les régions polaires : http://tinyurl.com/kk3lref (consulté le 21 octobre 2013).

42- Moreau, P. (2003): «La Gouvernance. Note de lecture sur l’ouvrage de Philippe Moreau Defarges», Article paru sur le site web de l'Institut de Recherche et Débat sur la Gouvernance, Paris: www.institut-gouvernance.org/en/document/fiche-document-51.html (consulté le 21 octobre 2013).

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43- Rousseau, J.-J.: «Bornes du pouvoir souverain», Article in: «Contrat social», Edition digitale: www.rousseauonline.ch

Ouvrages et articles cités:

1. Spector, C. (2011): «Au prisme de Rousseau: usages politiques contemporains». Voltaire Foundation. University of Oxford.

2. Bernardi, B. (2012): «L'empire absolu et borné de la volonté générale». Article in: «Textes et Rousseau. Du contrat social ou Essai sur la forme de la République». Edité et commenté sous la direction de: B. Bachofen, B. Bernardi, et G. Olivio. Editions Vrin.

3. Spector, C. (2012): «De Diderot à Rousseau: la double crise du droit naturel moderne». Article in: «Textes et Rousseau. Du contrat social ou Essai sur la forme de la République». Edité et commenté sous la direction de: B. Bachofen, B. Bernardi, et G. Olivio. Editions Vrin.

4. Oerlemans, J.W. (1988): «Rousseau en de privatisering van het bewustzijn. Carrierisme en cultuur in de achttiende eeuw». Editions Wolters-Noordhoff.

5. Bernardi, B. (2003): «Le droit de vie et de mort selon Rousseau: une question mal posée?». Article in: Revue de métaphysique et de morale. Numéro 73.

6. Tzvetan, T. (2006): «L'esprit des Lumières». Article in: «Catalogue de l' exposition Lumières! Un héritage pour demain». Sous la direction de : Yann Fauchois, Thierry Grillet et Tzvetan Todorov. Editions BNF.

7. Bernardi, B. (2010): «Lire le Contrat social». Article in: Le Nouvel Observateur. Hors série: Rousseau, le génie de la modernité.

8- Nations Unies, (2012) : «Conférence Internationale sur le Développement Humain. Pour un nouveau Contrat social.», Rio de Janeiro, Brésil.

9- Sachs, I. (2013) : «Plaidoyer pour une planification mondiale du développement», Contribution au Symposium International de la Fondation des Sciences de l'Homme, Paris.

10- Déclaration Universelle des Droits de l' Homme, (1948), Article 5), réitéré en 1976 dans l' Article 7 du «Pacte international relatif aux droits civils et politiques».

11- Moreau, P. (2003): «La Gouvernance. Note de lecture sur l’ouvrage de Philippe Moreau Defarges», Article publié par l'Institut de Recherche et Débat sur la Gouvernance, Paris.

Edition du Contrat social utilisée:

Rousseau, J.-J.: «Du contrat social, ou principes du droit politique». Editions J.-J. Rousseau Online, Site web: http://www.rousseauonline.ch

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