koumen

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1 Amadou Hampâté Bâ et Germaine Dieterlen Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Fulɓe. Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris, 1961, 95 pages. Table des matières Introduction Première Clairière Deuxième Clairière Troisième Clairière Quatrième Clairière Cinquième Clairière Sixième Clairière Septième Clairière Huitième Clairière Neuvième Clairière Dixième Clairière Onzième Clairière Douzième Clairière Le dénouement des noeuds La lutte finale : invocation à Jalaañ Conclusion Glossaire Bibliographie

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1

Amadou Hampâté Bâ et Germaine Dieterlen

Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Fulɓe.

Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris,

1961, 95 pages.

Table des matières

Introduction

Première Clairière

Deuxième Clairière

Troisième Clairière

Quatrième Clairière

Cinquième Clairière

Sixième Clairière

Septième Clairière

Huitième Clairière

Neuvième Clairière

Dixième Clairière

Onzième Clairière

Douzième Clairière

Le dénouement des noeuds

La lutte finale : invocation à Jalaañ

Conclusion

Glossaire

Bibliographie

2

3

Revue

La collaboration de l'érudit pullo Amadou Hampâté Bâ et de Mme Dieterlen, dont

on sait la connaissance profonde des religions et des mythes soudanais, a doté la

littérature ethnographique d'un chef d'œuvre. Ce texte initiatique transmis par le

maître Arɗo Dembo, de Ndilla, campement du Ferlo (Sénégal), est une sorte

de Pilgrim's Progress. Il retrace la marche du pasteur Sile Saajo à travers les douze

clairières de la connaissance, guidé par le nain à barbe d'ancêtre, Kumen, auxiliaire

du serpent mythiqueCaanaba ou Tyanaba, et sa femme Foroforondu. Une

succession d'épreuves l'attendent qui sont autant d'initiations à la structure du monde

et à la lutte sur soi-même. Les quatre premières clairières correspondent aux quatre

éléments ; puis viennent l'épreuve du courage, les clairières des sept soleils, le

contact avec le bovidé mythique hermaphrodite et le dénouement des vingt-huit

nœuds, achèvement de la connaissance. Laissé seul, avec les emblèmes du pastorat,

il aura à vaincre le lion magique pour retourner au pays des hommes.

La poésie saisissante de ce récit évoque les plus belles pages de la Bible, et il a

fallu des traducteurs remarquables pour nous la conserver aussi fraîche. Texte très

dense sous son allure aisée, presque dansante ; il n'est pas une phrase, presque pas

un mot, qui ne soit riche de symboles. Ces symboles nous sont expliqués par des

notes abondantes, placées en regard du texte, et par une introduction qui nous initie

très clairement à la vie spirituelle des Fulɓe et à ses supports matériels : famille,

troupeaux, marques du bétail, lait, végétaux, autels, bâtons, cordes à bétail, fouet à

lait. Sont ensuite exposés les degrés de l'initiation, le rôle du silatigi (initié complet,

prêtre de la communauté), le mythe du serpent Caanaba sortant de l'Océan à

l'embouchure du Sénégal et parcourant tous les pays des Fulɓe occidentaux avant de

disparaître dans le lac Faguibine.

La conclusion et les photos jointes montrent comment ce mythe du serpent, les

robes des bovidés, les soleils et les clairières expliquent certaines peintures relevées

par H. Lhote au Sahara. Sa « période bovidienne » nous présente les ancêtres des

Fulɓe. Il l'avait pressenti, nos auteurs le prouvent. La continuité de civilisation et de

croyances au cours de ces cinq millénaires apparaît frappante. A peine si le zébu a

remplacé le bœuf à longues cornes et si le roi Salomon a été incorporé aux mythes.

Nous plongeons, avec « Koumen », dans un passé africain dont l'antiquité et la

profondeur ésotérique s'épanouissent dans un milieu naturel et charmant ; une belle

réalisation humaine.

Hubert Deschamps

4

Introduction

Notice La publication de cet ouvrage est antérieure à la conférence consultative sur

l'unification des alphabets des langues africaines (Bamako, 28 Février - 5 mars

1966). Elle ne réflète donc pas la codification recommendée par les experts pour la

transcription du Pular/Fulfulde.

Par contre, webPulaaku applique la transcription de Bamako aussi fidèlement que

possible. Parmi les implications de cette démarche, retenons les suivantes :

• les consonnes spécifiques ne sont pas notées par des lettres doubles (digraphes).

Au contraire, elles sont représentées par des signes simples. Exemples: Ɓ, ɓ, Ɗ, ɗ,

Ŋ, ŋ, Ƴ, ƴ

• les voyelles longues ont une graphie double et celles nasales sont notées par un n,

à moins qu'elles ne soient précédées et/ou suivies d'une consonne nasale ou

prénasaliée (mb, nd, ng, ny)

• les vocables autochtones (noms propres de personne, appellations génériques de

lieu) remplacent leur équivalent occidentalisés. Cela se traduit en français par la

suppression des accents (aigu, grave, circonflexe, tréma), à l'exception des noms

d'auteurs et d'entités morales.

Lire également Alfâ Ibrâhîm Sow. Note sur la langue et la transcription

Tierno S. Bah

Kumen est le texte initiatique des pasteurs fulɓe. Nous le tenons d'Arɗo Dembo, de Ndilla,

campement fulɓe de Moguer, cercle de Linguère (Sénégal). Ce maître le fit réciter, à titre

d'épreuve, par son meilleur élève, Aliw Essa, descendant du grand initié Sule Yugo.

Il semble que ce texte ne soit plus actuellement que l'apanage des Fulɓe du Sénégal : ailleurs,

en effet, les conversions massives à l'Islam ont souvent altéré les connaissances

traditionnelles. Dans ce territoire où les troupeaux transhument pendant la saison sèche en

traversant à gué la Gambie — gayo beele (beele, pl. de weendu, mare) — l'initiation était

donnée dans le cercle de Linguère, sur le terrain situé entre le Sénégal et la Gambie, près de

Tambacounda, dit jeeri (haute brousse) 1.

Les instructeurs étaient des jengelɓe (sing. jengello), c'est-à-dire « les gens du jeeri »,

appartenant généralement à la famille Jal. Pouvaient également devenir instructeurs les initiés

d'autres familles, mais, dans ce cas, ils agissaient au nom des Jal, en disant : « voici votre

bâton » — allusion au bâton pastoral consacré des initiés, lequel a une valeur symbolique.

Au Maasina, le rite principal concernant le pastorat avait lieu en saison sèche, dans la

dépression du lac Débo, près de Gurawo ; il était associé aux réseaux formés par les cours

d'eau de la région qui, après s'être séparés (comme le Niger et le Jaka à Jafaraɓe) ou réunis

(comme le Niger et le Bani à Mopti), se regroupent au lac Débo pour se diviser ensuite de

5

nouveau et se réunir définitivement à Issafay, où l'Issaber et le Bara Issa se rencontrent 2. Il

faut signaler cependant que si, au Maasina, l'initiation a presque complètement disparu, le «

passage des bœufs » à Jafaraɓe, instauré par Sheku Amadu au moment où fut organisée la

transhumance vers l'ouest, reste un rite pour l'exécution duquel interviennent les Bozo et qui

comporte une lustration des animaux.

La compréhension du texte de Kumen nécessite une introduction qui mette le lecteur au fait

des principaux éléments de la connaissance traditionnelle concernant les structures familiales

et les troupeaux, les autels et les objets et emblèmes relevant du pastorat, comme des

modalités de l'initiation.

Les familles

Les Fulɓe distinguent :

les nobles, propriétaires des troupeaux et pasteurs

rimbe (de rimde « naître »)

leurs serfs, cultivateurs, rimayɓe

les gens de castes ou artisans, nyenyɓe (de nyenyude « être adroit, savoir fabriquer »).

Les nobles comptent traditionnellement quatre « familles » (lato sensu) ou clans, dont les

noms,jettooje (sing. yettoode), sont Jal, Ba, So, Bari. Cette structure ethnique de base a

permis, lors de la domination de l'empire du Mali, l'intégration des Fulɓe, vaincus par

Soundiata, au système quaternaire observé au Mandé. C'est ainsi que les quatre clans initiaux

des Fulɓe, ont adopté quatre « noms du Mandé », respectivement Jallo, Jakite, Sidibe et

Sangare 3. Cette intégration s'est traduite également par des alliances matrimoniales : les Ba,

qui ont épousé des femmes malinké, ont fondé le Wasulu ; les nobles bambara ont épousé des

femmes fulɓe.

Les noms des clans des Fulɓe se sont modifiés suivant les régions en fonction des migrations,

de l'habitat, de l'histoire et des événements politiques :

Jal a donné Jallo, Ka, Kan, Dikko et aussi Mayga

Ba a donné Bal, Bach (?), Balde, Nuba, Jakité, Jagayete

So a donné Sidibe

Bari a donné Sangare

C'est ainsi que les Ba, dits aussi Urube ou Wuwarɓe, comprendraient théoriquement vingt-

huit sous-clans ou familles. Les Ba au Jolof (Sénégal) sont des Bal, des Balde au Fuuta-Jalon,

des Nuba dans la région Soso, des Jakite au Mandé et des Jagayete dans la région de

Bandiagara. Tous les Bororo sont des Ba ; borooro signifie littéralement « très fermé » et par

6

extension « égoïste ». Les Bororo, dépositaires de la plus authentique tradition, sont

endogames ; restés nomades, ils n'ont jamais été en contact avec les structures mande.

Le yettode (ou yettoore) est porté par un individu en Guinée, au Sénégal et au Soudan. Plus on

s'écarte de ces régions, plus on s'éloigne du Mandé, moins un Pullo porte son nom de clan.

Au Fuuta-Tooro, il allie son prénom à celui de sa mère.

Chaque clan a son attribution particulière : les Jal sont pasteurs et « propriétaires des

connaissances » relatives au pastorat. Les Ba sont guerriers ; lorsqu'un Jal est chef, il se fait

précéder d'un Ba s'il est à cheval. Les So, qui vivent en marge, détiennent les connaissances

initiatiques concernant la brousse, car les laoɓe, bûcherons et travailleurs du bois, considérés

comme de grands magiciens, sont rattachés aux So 4. C'est chez les Bari que, depuis les

conversions à l'islamisme, se recrutent les marabouts 5.

D'une façon générale, les Fulɓe entretiennent avec diverses sociétés d'Afrique Occidentale, au

contact desquelles ils se trouvent, des relations à plaisanteries (p. denɗiraaku, senenkuya en

bamana).

Il convient de mentionner ici l'alliance avec les forgerons, car elle est d'un caractère très

particulier, le forgeron jouant un rôle dans l'initiation et figurant dans le texte de Kumen.

Fulɓe et forgerons ne se marient pas entre eux; autrefois, ils ne s'asseyaient jamais sur la

même natte quand ils étaient pas de même sexe 6 ; une entraide réciproque absolue est de

régle entre eux ; ils ne doivent jamais se trahir l'un l'autre. Les Fulɓe apaisent les querelles

entre forgerons et réciproquement. Autrefois, un Pullo ne vendait jamais de lait à un forgeron,

et ce dernier travaillait pour lui gratis. Un Pullo se présentant à la porte de la forge en

apportant du lait, avait la priorité absolue pour demander un service. Si quelqu'un venait alors

déranger le forgeron, celui-ci répondait « le rouge a passé », et si l'autre insistait, il disait : «

Ne vois-tu pas le feu ? » Le Pullo est en effet le symbole du feu pour le forgeron.

« Pullo rouge » fla ble, « or rouge » sanu ble, « cuivre rouge » sira ble, sont quatre

équivalences pour le forgeron. Pour se moquer du Pullo, le forgeron peut l'appeler « fauve

rouge » (c'est-à-dire « sauvage rouge ») wara ble 7.

Les troupeaux

Les animaux appartiennent à trois catégories principales, néces sitant trois sortes de bergers,

désignés sous le terme général de banyaaji (sing. banaaru) « pasteurs » :

ceux des ovidés, dits balinkooɓe (sing. baalinke), ont pour emblème le bélier

ceux des bovidés, dits na'inkooɓe(sing. na'inke), ont pour emblème le taureau

ceux des capridés, dits be'inkooɓe (sing. be'inke), ont pour emblème le bouc.

7

On ne peut guère changer de rôle dans l'exercice du pastorat ; à l'origine, il semble qu'en ce

domaine il y ait eu un interdit. Les animaux parquent dans des endroits distincts : les chèvres

sont toujours isolées ; les vaches et les moutons peuvent parquer ensemble, mais sans se

mêler. Au moment de la transhumance, les moutons partent les premiers ; au retour, les

bovidés marchent devant. Les chèvres transhument à part vers la montagne.

Pour les Fulɓe, les bovidés ne constituent pas un bien, une richesse, mais sont des « parents ».

Cette parenté s'exprime dans les rapports symboliques établis entre les quatre grandes

familles fulɓe, lesquatre couleurs principales des robes des bovidés, les quatre éléments

naturels (terre, eau, feu, air) et les quatre points cardinaux :

Ja

l robe jaune — oole

fe

u est

B

a robe rouge — woɗewe air

oue

st

So

robe noire — wane

ea

u sud

B

ari robe blanche — daneere

ter

re

nor

d

Les quatre robes principales des bovidés, en rapport direct avec les clans, se divisent chacune

en seize classes selon la couleur, la position et la forme de leurs taches. Par exemple,

la fadaletoodde est une vache noire et blanche (elle a une tache blanche en forme de selle sur

le dos) et joue un rôle particulier dans le troupeau. Chacune de ces robes a un nom et

correspond à une famille relevant d'un clan.

L'interprétation des robes — lesquelles présentent en tout quatrevingt-seize combinaisons, car

il y a plusieurs « mariages » possibles — intervient constamment dans la vie pastorale : elles

se « lisent » comme un thème géomantique. C'est ainsi qu'au moment de la transhumance, à la

sortie du parc, hoggo, la couleur de l'animal placé près de la porte détermine, en fonction des

correspondances mentionnées plus haut, la famille dont le troupeau doit marcher en tête, et la

direction à prendre. Ce rite une fois observé et lorsque tout le troupeau est sorti, les animaux

8

prennent la direction du lieu de transhumance et se déplacent alors selon l'ordre traditionnel

des clans : en tête ceux des Jal, puis ceux des Ba et des So, ceux des Bari fermant la marche.

Comme la couleur et les taches des robes, l' « élément » associé à une famille intervient

également : si les pluies sont excessives, ou que l'eau manque, c'est le patriarche de la famille

en relation avec l'eau qui doit intercéder par ses prières.

De plus les bovidés sont marqués par leur propriétaire au fer rouge. Il y aurait eu, à l'origine,

seize marques de caractère religieux : à chacune d'elles sont, en effet, attachées des

invocations pour la protection et la fécondité du troupeau. Nous donnons ci-après quatorze

d'entre elles 10 :

uddal (la fermeture)

palal (de falde, se mettre en travers, la mise en travers)

lonyal (le trait)

takkal (la grande patte)

meselenje (les aiguilles)

sokaaɗe (les bouclés, fermés)

dorral (le grand fouet)

hondorewal (si cela était ?, le souhait)

9

malfal (le fusil)

dadorgal (l'attache)

korwal (la bobine et la navette ; les deux signes à gauche palal, à droite lonyal, sont aussi ceux du tisserand)

piilal (de fiilde, faire un circuit, l'enroulement)

arkabeewal (l'étrier)

girraaje (les sveltes)

Ces marques sont générales ; on peut en adopter une ou plusieurs, et les combiner en les

plaçant différemment sur l'animal. On peut marquer les animaux en n'importe quel endroit du

corps, mais la tradition enseigne de le faire là où se situe la « chance » propre à chaque animal

: elle peut être dans la tête, ou sur la croupe, etc. 11. Une fois qu'il l'a adoptée, un propriétaire

ne change pas la marque de ses animaux.

Le lait

Autrefois, la viande du bœuf ou de la vache n'était jamais consommée ; les Fulɓe mangeaient

rarement celle des autres animaux en leur possession. Leur nourriture de base était le lait, qui

est l'objet de représentations et d'interdits spéciaux. Le Fulɓe échangeait sans le vendre son

lait contre tout ce dont il avait besoin. Le lait était offert à tout visiteur comme à tout étranger

: ce don dit «goutte de l'étranger », toɓɓel koɗo 12, est comparable au plat traditionnel offert

par le cultivateur soudanais, au poisson donné par le pêcheur bozo.

Le lait ne doit jamais être versé volontairement sur le sol : s'il a été répandu par erreur ou par

maladresse, le Pullo y trempe le doigt qu'il place ensuite sur son front et sa poitrine, à

l'emplacement du cœur. Lorsqu'une offrande de lait doit être faite, l'officiant remplit une

10

calebasse d'eau en citant le nom de la mare ou du cours d'eau où l'on effectue généralement la

libation ; il crache ensuite dans la calebasse, puis y verse le lait et jette le tout sur un toit de

chaume pour que le liquide ne risque pas de couler sur le sol. Ce geste constitue également

une restitution au végétal, car toutes les plantes sont en rapport avec les bovidés.

On prête serment « par le lait et le beurre ».

Sur le plan de l'initiation le lait a neuf noms dont on dit : « le lait est une eau éternelle ; trois

qui rendent malade, trois qui guérissent, trois qui nourrissent » (kosam ndiyam ngeenam; tati

'ana nawna, tati 'ana cawra, tati 'ana payna).

Les végétaux

Les végétaux interviennent également dans la vie quotidienne des pasteurs, et, bien entendu,

dans l'initiation, car, selon la tradition, « il n'y a pas un seul d'entre eux qui ne soit en rapport

avec les diverses parties du corps et les robes de bovidés ». Sans nous étendre sur le système

de correspondances cosmobiologiques auquel se réfèrent ces rapports, nous donnons et

commentons ci-après une première liste de végétaux auxquels le texte de Kumen fait allusion

ou qui interviennent durant l'initiation.

Les deux premiers sont le kelli (Graewia betulifolia Jussieu) et le nelbi (Diospyros

mespiliformisHochst) dont on fait les bâtons de bergers. Ces arbres sont les « deux bâtons

mythiques » de l'initiation. Le nelbi « renferme les vertus pastorales » ; tous les travaux des

hommes et spécialement des initiés y prennent « leur force et leur appui » ; seront également

faits en nelbi la hampe de la lance, le manche du couteau ou de la hache, l'écuelle du chef de

famille ainsi que la plupart des ustensiles de bois. Lekelli est en relation avec ce qui appartient

aux femmes dans une maison. L'armature du toit de la demeure, exécutée par les femmes et

ensuite recouverte de chaume, est en kelli. Un symbolisme sexuel est donc lié à ces deux

végétaux : l'un est associé aux activités masculines, l'autre aux activités féminines.

Le baobab est aux végétaux ce que le bovidé est aux animaux toutes ses parties, comme celles

du corps du bovidé, pouvant être utilisées il symbolise le maximum d'utilité.

Le kojoli (Anogeissus Schimperi Hochst) est utilisé pour teindre en jaune, wolo, les

vêtements. Le Pullo est généralement vêtu de blanc, kasa, ou de tissus teints en jaune.

Il faut mentionner également le delbi, le mburri (qui est soit le Gardenia erubescens Stapf. et

Hochst, soit une autre variété de gardénia de brousse), le kooli ou koyli (Mitragyna inermis O.

Kuntze), lekombi, le ngelooki (Guiera senegalensis), le caski 13 (Acacia albida),

le kahi (Khaya senegalensis), lekohi (Prosopis africana Tomb.), le mbarkewi (Bauhinia

11

Thonningi Schum), le ɗooki (Combretum ghasalense Engl. et Diels), le foogi (Landolphia

senegalensis), le ndaaɓi (jujubier, Ziziphus jujubaLam.), le ɗammi (tamarinier).

Les autels

Le plus important des autels des bergers fulɓe est le kaggu 14. Il est fait d'un treillis de lianes

entrecroisées de nelbi ou de kelli, posé sur des piquets de bois faits des mêmes végétaux, et

ressemble à une sorte de console en osier. Il est placé contre le mur ouest de la paillote

réservée à la première femme et immédiatement à côté de la tête du lit, lequel est orienté

ouest-est dans le sens de la longueur. On peut déposer sur le kaggu les objets et ustensiles

pastoraux, les gourdes, les calebasses à traire et les vêtements du berger à l'exception de ses

chaussures. La pièce où est posé le kaggu est interdite aux femmes pendant leurs menstrues.

Elles ne doivent jamais mettre sur la tablette leurs cheveux coupés.

Au-dessus du kaggu se trouve une outre suspendue contre le mur elle contient

le ngaynirki (litt. qui favorise la force fécondante des taureaux). Ce terme collectif désigne

une série d'autels, constitués de plantes diverses ayant le ɗooki pour base. Chacun d'eux est un

relais, et supporte les offrandes faites aux laareeji (sing. laare) « esprits gardiens » des

troupeaux, qui les chargent en retour de leurs forces. On appelle, on invoque les laareeji, on

communie avec eux par l'intermédiaire des ngaynirki. Ceux-ci interviennent pour tout ce qui

concerne le détail de la vie pastorale (procréation, pluies, protection des bergers et des

troupeaux), comme pour l'obtention de telle ou telle couleur d'un veau à naître. Il y a autant

de ngaynirki que de laareeji, soit vingt-huit de base qui correspondent aussi aux vingt-huit

jours du mois lunaire, dits « demeures de la lune ». La constitution et la consécration des

autels — coûteuses permettent rarement à un Pullo d'en posséder la totalité. En cas de

nécessité, il s'adresse au propriétaire de l'autel qui correspond à ses besoins.

L'outre contient également les amulettes des bergers, piɓol, qui protègent contre les dangers

de la brousse : serpents, carnivores, insectes, etc. 15.

Le matériel du pastorat

Le pastorat est une technique qui nécessite un apprentissage. Dans le texte de Kumen, le

matériel dont se servira le berger est demandé et reçu par le postulant au cours des épreuves

que comporte l'initiation : ce matériel est consacré. Ainsi est souligné le fait que l'usage de

l'outil s'accompagne de la connaissance de ce qu'il représente symboliquement, association

qui témoigne, pour les Fulɓe comme pour d'autres populations soudanaises 16, de la valeur

culturelle des techniques.

Le berger emporte avec lui deux bâtons de marche 'aynirdu 17, faits l'un de bois de kelli,

12

l'autre de bois de nelbi. On prête serment sur son bâton comme sur le lait et le beurre. On dit «

jurer sur le bâton pastoral, le lait et le beurre » : watoraade duudurdu e kosam e nebbam 18.

Lorsqu'un jeune berger, qui a déjà un bâton, est initié, son maître lui donne un nouvel

instrument et consacre le premier en prononçant des paroles sacramentelles (paroles secrètes

qui se rapportent au nom secret du bovidé).

Interviennent également les divers liens qui servent à attacher les animaux ; ils sont faits de

fibres de baobab ou, à défaut, d'Hibiscus cannabinus, polli 19. Le rande 20 ou maagol attache

le veau à une corde tendue entre deux piquets de Diyospiros, dite daangul 21.

Un daangul supporte généralement plusieurs rande qui maintiennent les veaux loin de leur

mère pendant la traite. Cette longue corde représente « la ligne de vie » des troupeaux et les

piquets qui la soutiennent, tonteeje, portent le même nom que les séquences qui divisent le

mois lunaire comme elle ils symbolisent le temps.

A l'une de ses extrémités, le rande comporte un nœud, à l'autre une boucle dans laquelle

s'emboîte le nœud : il est femelle. Le daaɗol 22, autre cordelette, sert à attacher le veau à sa

mère. Muni d'un nœud à chacune de ses extrémités et n'ayant pas de boucle, il est mâle.

Lorsqu'un Pullo se rend en ville, il se promène avec le daaɗol sur l'épaule droite « quand c'est

l'heure de traire ».

Le sirgal, fouet à lait ou mouvette, est constitué par une baguette à l'extrémité de laquelle sont

fixées au moyen soit de cordelettes de coton, soit de fibres de kelli ou de mbarkeewi, quatre

branches du même bois. Ces branches correspondent aux quatre éléments (eau, air, terre, feu),

aux quatre directions cardinales, aux quatre familles fulɓe et aux quatre couleurs de base des

robes des bovidés. Lorsqu'il s'agit de la mouvette de la femme d'un chef, chaque branche porte

un signe. L'objet est orienté lorsqu'il est déposé sur le kaggu. Il est utilisé pour séparer le lait

du beurre 23, et ce travail, associé à celui de l'initiation, lui confère une valeur considérable. Il

doit être distingué du burgal, mouvette naturelle en bois de mburri, à deux branches,

considérée comme incomplète et qui ne doit jamais être mise dans le lait [frais]. Si cette faute

est commise, la coupable se purifie en plongeant l'index droit dans le lait, le pouce étant replié

sous les trois autres doigts, et en touchant ensuite son front et son sternum. Le fait de replier le

pouce sous les trois doigts exprime l'absence d'intention, le pouce étant le doigt de la volonté,

et la faute ayant été involontaire. Sur un autre plan, les trois doigts représentent les trois

familles fulɓe qui ne sont pas fautives, la fautive, à laquelle appartient la coupable, étant

représentée par l'index. « La fourche du sternum est le burgal du corps » : en y portant l'index

après avoir touché le front, on transforme symboliquement le burgal en sirgal, c'est-à-dire en

quelque chose de complet, donc de pur.

13

Ainsi, les quatre premiers accessoires du pastorat, intervenant dans l'initiation, sont-ils dans

l'ordre :

les bâtons, le daañgul et le daaɗol, qui sont liés à l'activité des hommes

le sirgal, objet féminin, dont l'usage est postérieur à la traite, laquelle ne fait pas partie

de l'initiation.

Les interdits concernant ces objets d'usage à la fois technique et rituel sont les suivants :

le daaɗol ne doit jamais être utilisé pour un autre usage que pour attacher le veau à sa

mère, pour traire celle-ci ou faire avancer l'animal.

On ne peut attacher au daañgul d'autres animaux que ceux appartenant aux trois catégories

précédemment distinguées.

Le sirgal ne doit jamais être mis dans une matière autre que le lait.

Avec le bâton consacré, on peut frapper un homme, jamais un âne, un chien ou un chat.

Lorsque le bâton est cassé, le berger ne peut ni le jeter aux ordures, ni l'utiliser comme bois de

cuisine ; il l'abandonne en brousse où il n'est plus responsable de sa pollution.

Il faut aussi mentionner les deux gourdes du berger : celle qui contient le lait, boliiru kosam,

et celle qui est utilisée pour l'eau, boliiru ndiyam. Leur usage ne doit jamais être alterné.

Dans le texte de Kumen, il est fait également allusion à d'autres objets ayant un rapport avec

le pastorat, la traite ou la consommation du lait, mais qui ne font pas directement partie de

l'initiation. Ce sont le ɓirdugal, calebasse ou récipient de bois dans lequel on trait, et le

tumbude, calebasse à lait ordinaire, décorée.

Le berger pullo du Jeeri possède également un instrument de musique rituel à une corde,

le moolaaru(de moolaade : « demander protection, exorciser ou jeter l'anathème »). Cet

instrument, qu'il doit confectionner lui-même, sans l'aide des spécialistes de castes,

travailleurs du bois (laoɓe), du cuir (sakke) ou réparateurs de calebasses (kule) 24, protège le

troupeau. Seul le forgeron, avec qui le pasteur entretient des relations particulières, doit au

contraire fabriquer les sonnailles, cencenje. La peau avant d'être tendue sur la caisse doit avoir

été tannée selon un rite particulier. L'instrument doit être consacré à l'une des quatre

catégories de bovidés. L'initié devra donc posséder, pour pouvoir toujours intervenir

efficacement, quatre instruments différents, et le cas est fréquent. Pour éviter cette

multiplication, il peut aussi faire graver sur l'instrument une croix entre les branches de

laquelle sont dessinés les quatre bovidés ; l'instrument qui ne possède pas cette marque est

réservé exclusivement à l'une des catégories d'animaux. Le môliiru doit être déposé sur

le kaggu lorsqu'il n'est pas utilisé. Son propriétaire en joue pour invoquer Kumen, et ne peut le

14

prêter qu'à un initié de son lignage.

Les bergers jouent aussi d'un instrument de musique profane, popiliwal ou illorowal, flûte

faite d'une tige de sorgho 25.

L'initiation

« L'initiation, dit un texte pular/fulfulde, commence en entrant dans le parc et finit dans la

tombe » (pulaaku fuɗɗi gila hoggo fa yanaande) 26.

La vie d'un Pullo, en tant que pasteur initié, débute avec l'« entrée» et se termine avec la «

sortie » du parc, qui a lieu à l'âge de soixante-trois ans. Elle comporte trois séquences de vingt

et un ans chacune :

vingt et un ans d'apprentissage

vingt et un ans de pratique

vingt et un ans d'enseignement

« Sortir du parc » est comme une mort pour le pasteur; il appelle alors son successeur : le plus

apte, le plus dévoué des initiés ou son fils. Il lui fait sucer sa langue, car la salive est le

support de la « parole », c'est-à-dire de la connaissance, puis il lui souffle dans l'oreille gauche

le nom secret du bovidé.

L'initiation comporte trente-trois degrés auxquels s'ajoutent trois degrés supérieurs invisibles,

acquis automatiquement après le trentetroisième.

Ces trente-trois degrés correspondent aux trente-trois phonèmes de la langue pular/fulfulde,

c'est-à-dire aux « sons que l'homme fait sortir de son gosier » :

« a, mbe, be, ɓe, d, d'e, nde, dye, nde, ɗe, ndye, e, fe, ge, nge, he, i, yi, ke, le, me, ne, nye, o,

pe, re, se, te, tye, u, wu, we, ye » 27.

Les trois degrés supérieurs sont inaudibles ; ils sont ceux de « la parole non formulée », mais

toujours présente, dite « de l'inconnu ».

Le postulant progresse en franchissant quatre degrés à la fois, ce qui le fait passer

successivement par neuf états. Le neuvième ne comporte qu'un seul degré réel, le trente-

troisième, auquel s'ajoutent les trois degrés supérieurs. Ces derniers, assimilés aux trois

enveloppes qui entourent le fcetus, sont dits « les trois obscurités de la matrice », niɓe tati

raanga. Sur le plan spirituel, l'initié est ainsi ramené au stade fœtal ; « il naît » ensuite à une

nouvelle vie et porte le titre de « fils » 28.

Physiquement l'initiation pénètre le postulant par les « sept lampadaires » que constituent les

sept ouvertures du corps — les yeux, les oreilles, le nez et la bouche — entre lesquelles sont

établies des correspondances.

15

Lorsqu'il a décidé d'être initié et de chercher un maître, le jeune Pullo est astreint à un certain

nombre d'obligations pendant plusieurs années. A partir de l'âge de quatorze ans, et jusqu'à

vingt et un ans, il doit quémander ou faucher l'herbe contre un salaire, ou vendre du bois mort,

pour pouvoir acheter, grâce aux fruits de son labeur ou aux dons reçus, une poignée de

céréales et les graines de trois variétés de calebassiers 29. Il va ensuite défricher en brousse

pour établir un champ, semer les céréales et les graines de calebassier. Ce travail doit rester

secret : l'intéressé doit sarcler, récolter et battre son grain seul. il transporte ensuite la récolte

pour la vendre dans un marché se tenant régulièrement le samedi, et non un autre jour de la

semaine. Le gain obtenu par la vente doit être consacré à l'achat d'un bouc et de vêtements :

tunique, pantalon, bonnet en coton indigène tissé à la main, chaussures. Il lui faut

généralement recommencer plusieurs années de suite et faire plusieurs récoltes pour que ses

gains lui permettent d'effectuer ces achats.

Lorsque ce dernier stade est franchi, il doit tuer un bouc et enlever la peau de l'animal sans le

vider. Puis il tanne la peau pour en faire une outre, toujours seul et dans son champ. Dans un

même temps, il prépare sur place avec les produits des calebassiers — une gourde, une

calebasse et une cuiller. Lorsque la peau est sèche, il doit aller la remplir d'une eau pure et se

rendre à nouveau sur un marché se tenant le samedi, vêtu des habits qu'il s'est procurés et

muni de ses ustensiles. Là, la première personne qui lui demande à boire doit devenir son

instructeur ou le conduire à un maître. Si le demandeur est un homme d'âge, il le prie de

l'enseîgner ; s'il est jeune, il lui demande de le mener chez un vieillard de sa famille qui

devient son maître.

A partir du moment où le postulant est agréé par son maître, il devient son serviteur, et ceci

jusqu'à la fin de l'initiation. jusqu'à ce terme il doit également conserver et porter sur lui

l'outre et les objets en calebassier sur lesquels il procède à des libations de lait et de beurre

chaque samedi. Il peut toutefois ne pas les conserver, mais il doit alors les enterrer dans son

champ et édifier en ce lieu une butte de terre de termitière, sur laquelle il fait régulièrement

les mêmes offrandes. Dans le premier cas, il doit porter ses vêtements non seulement jusqu'à

la fin de l'initiation, mais jusqu'à usure complète, dans le second cas il doit les donner à un

pauvre 30.

Les travaux préliminaires imposés par la tradition à l'adolescent relèvent donc tout d'abord de

son libre arbitre : il peut choisir d'être initié, ou en décider autrement. Ils témoignent aussi,

sans qu'il en soit davantage conscient, de sa patience et de sa persévérance. D'autre part, ils

nécessitent l'apprentissage de techniques (agriculture, travail du bois, du cuir) auxquelles il ne

se livrera plus et absolument différentes de celles que, noble et pasteur, il devra plus tard

16

exercer. Il découvre ensuite son maître par le procédé rituel que nous venons de relater, maître

qui lui est délégué par les puissances surnaturelles, agents invisibles de l'initiation. Dès lors,

ayant fait preuve de caractère, de discrétion et de certaines qualités morales, il développera,

par son attitude envers son maître, d'autres vertus nécessaires : l'obéissance, la modestie, le

sens de la discipline, et ceci jusqu'à la fin de l'initiation. L'instruction reçue exercera sa

mémoire, assouplira son intelligence.

Avec l'âge, la pratique et en fonction de l'étendue de ses connaissances, l'initié pasteur, dit aga

au Fuuta et baanyaaru au Maasina, accède progressivement au titre de silatigi, terme dont on

ne peut donner d'étymologie précise 31, mais qui peut se commenter ainsi : « celui qui a la

connaissance initiatique des choses pastorales et des mystères de la brousse ». L'influence

considérable du silatigi s'explique par ce titre, le plus prestigieux que puisse souhaiter un

Pullo : tout pasteur initié rêve d'être un jour silatigi.

Le silatigi est le prêtre de la communauté 32. A ce titre, il observe, durant toute sa vie, un

certain nombre d'interdits : il ne doit pas avoir de rapports sexuels avec d'autres femmes que

les siennes, il ne doit pas mentir sciemment ni porter un faux témoignage, même en faveur de

ses propres parents.

L'état comme les fonctions d'un silatigi sont, bien entendu, en relation avec les animaux et

tout ce qui les concerne : santé, fécondité, transhumance, règles du pastorat, etc. Il sait

exactement tout ce qu'il convient de faire pour le troupeau. Il est le «gérant» des animaux

offerts par les membres de sa communauté à l'une des personnalités mythiques du panthéon

pullo traditionnel, d'alâffl : ces animaux qui font partie du troupeau mais que l'on ne doit ni

vendre, ni sacrifier pour un profit personnel, peuvent faire l'objet d'un don de la communauté

aux nécessiteux, ou être consommés lors des fêtes ou des réceptions collectives. En revanche,

les dons ou offrandes à d'alâiî, que le silatigi fait au nom de la communauté, doivent être pris

sur les biens personnels.

Le sitatigi accomplit un certain nombre de rites réguliers, quotidiennement, mensuellement ou

annuellement : il procède aux incantations dont il connaît le texte et les conditions d'émission,

au lever et au coucher du soleil. Il fait de même trois fois par lune : au premier croissant, aux

trois « jours pleins » (treizième, quatorzième et quinzième jours de la lune) qui correspondent

à la pleine lune, à la nouvelle lune. Il préside annuellement la fête de la transhumance et les

distributions des prix aux bœufs, détermine la date de la cérémonie du renouvellement de

l'année. En effet, pour les initiés, l'année se divise en vingt-huit séquences de treize jours — la

vingt-huitième en comptant quatorze —, associées chacune à la position d'une étoile. C'est à

la fin de la vingt-huitième séquence que doit avoir lieu la cérémonie du lootoori, « bain

17

général », au cours de laquelle les pasteurs se baignent et où l'on procède à une lustration des

animaux.

Lorsque le silatigi récite les litanies rituelles, kongi 33, il doit observer les règles des «

correspondances » 34. La litanie, qui est rythmique, varie suivant les circonstances et la

famille à laquelle appartient le récitant. Elle s'accompagne généralement de libations de

lait 35. Elle varie également en fonction de la position de la lune : le mois lunaire, de

vingthuit jours, est divisé en huit séquences, dites « piquets »,tonteeje, 36 et la litanie

s'adresse successivement à chacun des « esprits gardiens » de l'intégrité des bovidés, esprits

qui siègent théoriquement aux huit directions cardinales et collatérales de l'espace. Le récitant

fait face à la direction cardinale associée à sa famille : sa position est en effet plus importante

encore que l'incantation elle-même, son rythme et les paroles qui la composent.

L'enseignement initiatique comporte aussi la connaissance d'incantations destinées à rendre

inoffensives les griffes de la panthère, les dents du lion la morsure de la hyène, etc. Elles sont

dites fanaade ladde (fanaade : litt. « protéger contre ») : « attacher la bouche de la brousse ».

Le silatigi étudie la classification des végétaux et toutes leurs propriétés thérapeutiques ; il

devient alors « maître des plantes », cawroowo. De plus, il «charge » les végétaux qu'il

collecte d'une vertu qui est fonction de sa connaissance des mouvements requis et des paroles

appropriées.

Sur le plan de l'initiation, les végétaux relèvent de trois catégories les plantes à tronc vertical,

les plantes grimpantes, les plantes rampantes. Dans chacune d'elles, on distingue les végétaux

à épines ou sans épines, à écorce ou sans écorce, donnant des fruits ou n'en donnant pas. Les

végétaux sont de plus classés en séries ; chacune d'eues est en relation avec l'un des jours de la

semaine, avec l'une des huit directions cardinales et collatérales 37.

Le végétal intervient constamment dans la vie du pasteur; il doit être collecté en fonction de

ces diverses classifications, pour tout ce qui concerne les troupeaux ou le laitage, pour le

transfert d'une famille ou d'un groupe de familles sur un nouveau terrain, pour un usage

médical. Écorce, racine, feuilles ou fruits doivent être prélevés en rapport avec le jour du mois

lunaire auquel correspond le végétal, en invoquant le laare, « esprit gardien » des troupeaux

qui est en rapport avec la séquence du mois et en fonction de la position du soleil. Ainsi

le silatigi, en donnant ses instructions, dira-t-il par exemple : « Pour faire telle chose, tu

prendras la feuille d'un épineux grimpant et sans écorce, tel jour, lorsque le soleil se trouvera

dans telle position, en regardant telle direction cardinale, en invoquant tel laare. »

L'initiation confère également au silatigi le rôle de devin. En fonction de la valeur symbolique

des couleurs et des taches des robes des bovidés, il interprète, en cas de besoin, la position

18

respective des animaux dans le parc, qu'il « lit » comme un thème géomantique. Cette

fonction s'exerce notamment lors du choix d'un nouveau berger que nous relatons ici à titre

d'exemple : le jeune homme désigné pour accompagner les bœufs transhumants est muni d'un

bâton de berger non encore consacré et ne reçoit, en dehors de directives géographiques et

purement techniques pour les soins à donner au troupeau, aucune instruction particulière. A

son retour, sans doute s'informe-t-on de ce qu'il a fait pendant la transhumance, surveille-t-on

son attitude, mais ce sont les bovidés eux-mêmes qui détermineront sa carrière. En effet, leur

entrée dans le parc et leurs positions respectives lorsqu'ils y sont installés sont examinées

soigneusement par le silatigi en fonction des critères exposés ci-dessus. Suivant le thème

présenté par les animaux, et, bien entendu, à l'insu du postulant berger, son admission au

pastorat est décidée ou refusée.

Lorsqu'il doit faire transhumer le troupeau, le silatigi utilise le moolaaru correspondant à l'une

des robes des bovidés. Si le soleil émerge à l'horizon, il invoque la vache jaune ; au milieu du

jour, il invoque la vache blanche, la rouge au coucher du soleil, la noire s'il fait nuit. Muni de

son instrument il se rend en brousse, et, s'il fait jour, se place à l'ombre d'un Diospyros

mespililormis Hochst (nelbi) ou d'un Graewia betulifolia (kelli) et si possible près d'une

termitière. Après avoir joué longtemps de son instrument pour invoquer Kumen en obéissant à

son inspiration (les rythmes sont libres), il procède à la divination par la géomancie. Le «

signe » correspondant doit sortir et déterminer l'ordre dans lequel s'effectuera la transhumance

: tête du troupeau, heure du départ, direction cardinale, etc. La nuit, il procède de même, mais

se place sous un Acacia albida, un baobab, un diki, un kohi ou un kahi, et, ne pouvant

procéder à la géomancie, il laisse son inspiration le guider après avoir joué de son instrument.

Kumen

Le texte de Kumen exige une introduction qui mette le lecteur en présence du panthéon de

l'initié. En effet, l'initiation instruit le postulant de la cosmogonie traditionnelle, comme du

rôle des puissances surnaturelles qui interviennent, l'une après l'autre, dans la marche de

l'univers.

Au-dessus de tous, se place Dieu, Geno, immortel, omniscient et omniprésent : geno vient

de yenɗude, « être éternel ». Mais ce n'est pas la seule appellation qui lui soit donnée : Geno

est dit aussi Dundaari, terme signifiant « qui peut être téméraire, qui peut agir sans en redouter

les conséquences » et qui implique la toute-puissance.

Geno, toujours présent, reste invisible et ne se manifeste pas sur terre. Or la vie tout entière du

Pullo pasteur et nomade, est, comme nous l'avons vu, associée à celle des bovidés et à leur

19

transhumance : la personnalité surnaturelle, qui est le « gardien des troupeaux » de Geno sur

terre, se nomme Caanaba. Les représentations qui le concernent constituent une géographie

mythique 38 (fig. I, pp. 24-25).

Caanaba a la forme d'un serpent à quatre-vingt seize écailles qui correspondent aux quatre-

vingt-seize combinaisons des robes des bovidés. Tout petit, il sortit de l'océan, dit « fleuve

salé », maayo lamɗam, accompagné des vingt-deux premiers bovidés que lui avait confiés

Geno, puis, franchissant la barre, il remonta le cours du Sénégal, traversa le jeeri et le waalo,

et descendit ensuite jusqu'aux sources du Niger, jeeliba, dont il « épousa le cours » et où, à

partir de Bafoulabé, il prit le nom de Nikinanka 39.

Comme il était encore un être sans défense, il fut adopté par la mère et la famille d'Ilo, fils de

Yaladi 40, dont il devint le « frère jumeau ». Les animaux se multipliant, il les confia à Ilo qui

l'accompagnait partout et conduisait avec lui le troupeau. Ils descendirent ensemble le cours

du Niger.

Or Caanaba avait un interdit. S'étant confié à Ilo, avec lequel il vivait, il lui avait défendu de

le laisser approcher par une femme « dont le corps serait jaune et ocre, les yeux rouges, et

serait sans seins » (bolo, bolto, boɗeejo gite, coppi). Alors qu'ils séjournaient à Sama, Ilo, qui

se rendait chaque jour au village, se fiança à une jeune fille qui répondait à la description de la

femme interdite à Caanaba. Il fit les dépenses d'usage pour son mariage dont il prévint

Caanaba. Ce dernier lui rappela l'interdit et la promesse qu'il avait faite de le respecter. Trois

fois par jour, le matin, à midi et le soir, on remplissait quatre calebasses de lait que l'on portait

à Caanaba. Or, la femme d'Ilo faisait de temps en temps venir chez elle une femme âgée qui la

coiffait : à la troisième visite, la vieille demanda où allait tout ce lait. La femme d'Ilo lui

répondit qu'il était destiné à son beau-frère.

— L'as-tu vu ? dit la vieille.

— Non. je ne dois pas le voir et mon mari m'a dit qu'il y va de notre boŋeur.

— Les femmes gâtées par leur mari sont les plus sottes. C'est une rivale qui est dans ta

maison 41.

Or, c'était un lundi, Ilo était au marché ; sa femme s'approcha de la case où vivait Caanaba et

regarda par le trou ménagé dans le mur. « Leurs yeux ont fait quatre » (gite maɓɓe ngaddi

nay), dit-on du moment où leurs regards se rencontrèrent. Alors Caanaba, l'interdit étant

rompu, se gonfla jusqu'à faire éclater la case, et rejoignit le fleuve suivi par le bétail qu'Ilo, ne

put retenir. Ilo suivait en vain le troupeau pour tenter de le garder. Au bout de plusieurs jours

de marche, Caanaba eut pitié de lui : « Sers-toi de ton bâton de nelbi pour frapper les cornes

des animaux », lui dit-il. Et chaque fois qu'Ilo touchait un animal, celui-ci restait sur place ; il

20

put, petit à petit, reconstituer un troupeau.

Caanaba traversa le Maasina par le caanabawol, dépression naturelle du sol qui s'amorce

derrière Senzani (Sansanding sur la carte), rejoignit ainsi Molodo et se dirigea ensuite vers le

lac Débo 42. Il établit en ce lieu, considéré comme le point terminal de son périple depuis

le Mandé, une alliance avec le génie du lieu 43 qui porte ici le nom de ga, « mère » de tout ce

qui vit. Puis il pénétra dans le lac avec les animaux, le traversa, en ressortit, et se rendit

ensuite aux lacs Faguibine et Oro où il mourut. C'est dans cette région que se trouve le cheptel

le plus important. Ilo resta nomade 44.

Si Caanaba est le propriétaire mythique des bovidés, Kumen est son auxiliaire, son berger, et

le dépositaire des secrets concernant l'initiation pastorale. Kumen a été chargé par Geno de

veiller sur la terre, les pâturages et les animaux sauvages et domestiques. Libre de prendre les

formes qui lui plaisent, « il est noir lorsqu'il s'occupe des minéraux, blanc lorsqu'il est au

service des puissances responsables des herbivores sauvages, rouge lorsqu'il est au service de

Caanaba et responsable des animaux domestiques, spécialement des bovidés ». Il peut aussi

transformer à son gré les animaux sauvages en animaux domestiques, et inversement. Kumen

peut apparaître aux hommes sous la forme d'un enfant de trois, sept ou neuf ans, sans jamais

dépasser onze ans. Secondé par sa femme, Foroforondu, il transmet ses secrets à ceux qu'il

veut initier « en les conduisant au lieu invisible où le pasteur devient homme ». Il fait « sucer

sa langue » à ses protégés ; par l'entremise de sa salive, la vertu de l'intelligence pénètre le

cœur et le cerveau du néophyte. Le privilégié qui finit le cycle acquiert une force qui lui

permet de comprendre le langage des animaux et lui donne la clef des paroles sacramentelles.

Il n'appartiendra, dès lors, plus seulement aux siens, il perdra son nom de famille et

deviendra silatigi, « vénérable possesseur de la salive chargée de puissance » et maître de sa

propre volonté.

Comme on l'a déjà vu, les initiés s'adressent aussi, lorsque l'intervention de ceux-ci est

nécessaire, auxlaareeji, puissances surnaturelles ou « esprits gardiens » dont dépendent le

statut et la fécondité des troupeaux, et qui siègent dans l'espace aux huit directions cardinales

et collatérales. Il existe vingt-huit laareeji, associés aux vingt-huit jours du mois lunaire ; de

plus, les douze premiers de la liste régissent les douze mois de l'année solaire ; les seize

derniers régissent les seize « maisons » de la géomancie.

Le texte de Kumen relate l'initiation du premier silatigi, Sile Saajo ou Sule, diminutif de

Suleyman, c'est-àdire de Salomon.

L'initiation du pasteur pullo consiste, pour faire comprendre au postulant les connaissances

relatives au pastorat, à l'instruire de la structure de l'univers. Pour les Fulɓe, le monde créé par

21

Dieu, Geno, est sorti « d'une goutte de lait », toɓɓere ɓira, contenant les « quatre éléments »,

qui a formé ensuite le « bovidé hermaphrodite », symbole de l'univers. Sont établies par le

créateur, en fonction de la morphologie de ce principe initial, une série de correspondances

cosmo-biologiques entre tous les éléments qui composent cet univers. Nous avons indiqué un

premier aspect de ces correspondances entre les bovidés (qui se distinguent par leurs robes),

les quatre éléments, les directions cardinales et les clans fulɓe : ces correspondances valent

aussi, bien entendu, pour les quatre grandes races humaines, la blanche, la noire, la jaune et la

rouge. Elles s'étendent également aux astres et, sur terre, aux animaux, aux végétaux et aux

minéraux. C'est ainsi que l'homme, consubstantiel au bovidé, est en relation personnelle avec

une étoile, un jour du mois et même de la semaine, avec les végétaux en général, comme avec

l'animal interdit de son clan. Cet exemple, apparemment simple, se complique de toutes les

interférences dues à sa race, sa situation géographique, son statut familial, son rôle social, ses

techniques, et, sur le plan psychologique, à son caractère, enfin à son destin.

Le texte de Kumen présente l'initiation comme un enseignement progressif de la structure des

éléments, de l'espace et du temps dont l'essence doit pénétrer le postulant : il la présente, en

même temps, comme une succession d'épreuves, symboles de la lutte qu'il doit entreprendre

sur lui-même avec l'aide de Dieu, pour progresser. Le postulant doit pénétrer successivement

dans douze « clairières » qui symbolisent, sur un premier plan, l'année et ses douze mois, sur

un autre plan, son déplacement sur un terrain où il rencontre, en passant d'une clairière à

l'autre, les personnalités mythiques qui doivent l'enseigner. De plus, il est mis en contact avec

des animaux sauvages qui sont les symboles des forces avec ou contre lesquelles il doit lutter,

ainsi qu'avec les principaux végétaux qui interviennent dans la vie pastorale. Franchir l'entrée

de la première clairière consiste pour le postulant à passer du monde désordonné des hommes,

de la « cité perturbée » (ngendi jiɓuya) qui est sa demeure, à la brousse « cité de Dieu »

(ngendi Geno) et au monde organisé du pastorat.

Les quatre premières clairières le mettent successivement en rapport avec les « quatre

éléments», bases de la création, dans l'ordre suivant : feu, terre, air, eau. Dans la cinquième

clairière, le postulant, ayant pénétré les quatre éléments et en étant lui-même pénétré, réalise

son état définitif et devient une personne complète, neɗɗo kiɓɓo. Cette clairière est aussi celle

du « génie de la guerre », symbole de la résistance qui lui est opposée, de la lutte spirituelle

qu'il doit poursuivre : il doit la franchir sans crainte pour atteindre les degrés supérieurs de la

connaissance. De la sixième à la douzième clairière, il reçoit les « lumières de l'initiation » : il

voit successivement sept « soleils », qui ont les couleurs de l'arc-en-ciel et symbolisent la

complétude, car sept réunit le principe mâle, 3, et le principe femelle, 4 45.

22

Après la douzième clairière, l'initié reçoit de la femme de Kumen une cordelette comportant

vingt-huit nœuds. Les « vingt-huit nœuds ou enlacements » correspondent aux jours des mois

lunaires qu'il s'agit de « dénouer », c'est-à-dire dont il faut consciemment pénétrer la

succession. Ainsi est-il instruit du calendrier mystique de l'année, qui combine le temps

solaire avec le temps lunaire, et qui se compose, comme nous l'avons vu, de vingt-huit

séquences ; celles-ci correspondent également aux zones successives du savoir.

Le « dénouement des nœuds », qui est connaissance, permet à l'initié de recevoir les

emblèmes du pastorat : bâtons, cordes, gourdes, etc. Il quitte ensuite ses instructeurs pour

retourner au pays des hommes. Il mène seul, à la frontière, une lutte ultime contre un lion qu'il

vainc, par ses incantations, et qu'il sacrifie ensuite. Il invoque alors Dieu, Dundaari, maître

de la création.

Un certain nombre de commentaires accompagnent le texte. Celui-ci présente plusieurs

invocations qui, dans l'état actuel de l'enquête, sont pour la plupart intraduisibles. Cependant,

quelques hypothèses sont formulées sur le sens de certains mots.

Les conditions rituelles, extrêmement strictes, nécessaires à l'émission du texte en langue

pular/fulfulde, donc à sa transcription, devant être respectées rigoureusement, il ne nous est

pas possible actuellement, par respect pour les maîtres qui nous l'ont enseigné, de le publier

sous sa forme originale.

Notes

1. Au Maasina, fero a le même sens.

2. Issafay est un village bozo ancien et important, situé sur une île au confluent. Le Bara Issa

rejoint le Kolikoli en amont, avant Sarafere.

3. Cf. G. Dieterlen, Mythe et organisation sociale au Soudan français, p. 59.

Cette note contredit l'un des aspects fondamentaux du texte principal, qui souligne le caractère

endogène de l'onomastique (système de noms) quadripartite fulɓe, et qui fait correspondre les

quatre noms de famille aux quatre éléments naturels (eau, air, terre, feu) et aux quatre points

cardinaux. De surcroît cette assertion n'est étayée par aucun fait et semble procéder d'un

comparativisme hâtif ; elle est donc à traiter avec prudence. [Tierno S. Bah]

4. G. Dieterlen. Mythe et organisation sociale au Soudan français p. 41.

5. Amadou Hampaté, à partir de Dori ne se dira plus Ba. Au Fuuta, il s'appellera

Amadou Kadija, du prénom de sa mère.

6. Les lawɓe auraient été à l'origine des So ; ils sont actuellement castés, mais placés «à côté »

des nobles de ce clan. Les musiciens, de la même façon, sont rattachés aux Ba.

7. Les Bari du Maasina ont pris le nom de Sise et définitivement abandonné leur yettoode

pular.

8. C'est un interdit contracté par les Fulɓe au Mandé, il n'est plus observé à partir de Dori.

9. Ces cinq expressions sont en langue bambara.

23

10. Deux manquent dans notre nomenclature. L'enquête doit également être poursuivie sur le

symbolisme de ces marques.

11. La valeur religieuse de la marque a été relevée par M. Dupire, dans son étude sur les

Marques de propriété du bétail chez les pasteurs fulɓe, qui écrit : « Il apparaît donc combien

dans ses détails cette opération du marquage du dyelgol baigne dans tout un contexte magique

qui lui donne une signification dépassant de beaucoup la simple reconnaissance d'une

propriété » (p. 130). La réduction des signes à des éléments simples et le transport des

marques uniformément aux oreilles, tels que les décrit M. Dupire, sont destinés à respecter les

peaux : il s'agirait de faits relativement modernes dus au développement actuel du travail du

cuir chez les Haoussa.

12. Le diminutif tobɓel est employé par modestie, pour amoindrir volontairement l'aspect

généreux du geste.

13. De cay « prendre brusquement, saisir ».

14. De haggude « tisser» et aussi « attacher», « lier » au sens moral.

15. Les ngaynirki semblent se rapprocher des autels individuels ou collectifs que les Bambara

nomment boli. Il y a entre lengaynirki et le piɓol la même différence qu'entre les autels boli et

les amulettes tafo des Bambara. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 92.

16. Pour des représentations comparables chez les Dogon concernant l'agriculture et la forge,

cf. M. Griaule, Dieu d'eau, pp. 91 et 101.

17. De aynude : conduire les bœufs.

18. Variante de aynirdu.

19. Cette plante appartenait, dans la tradition, aux Malinké et aux Bambara ; ils l'ont transmise

aux Bozo qui peuvent maintenant la cultiver ; les Fulɓe nomment porompolli l'Hibiscus

sauvage.

20. De daande qui signifie cou.

21. De rado : nerf.

22. Ou raaɗul, également de raɗo : « nerf ».

23. Séparer le beurre avec le sirgal, est dit wurwude ; on peut aussi utiliser pour cela une

gourde à long col (boliiru) et l'opération est dite alors wumpude. Rarement décorée, la gourde

utilisée pour cette opération ne sert jamais à un autre usage.

24. C'est l'un des cas exceptionnels où les nobles (rimɓe) peuvent travailler le bois ou le cuir,

fonctions normalement réservées aux gens de caste (nyeenyuɓe).

25. La flûte est dite poopiliwal de foofude (respirer dans … quelque chose)

ou illororowal de iilude, (éternuer) et signifiant « qui donne une voix flûtée ». Le hoddu, à

quatre cordes, est un instrument de musique profane des sédentaires, qui ne peut jamais être

utilisé par les nobles ; il est joué par les musiciens wambayɓe (sing. bambaɗo) des Ba.

26. Pulaaku signifie littéralement « l'état du Pullo dans l'initiation.

27. Les phonèmes sont donnés dans l'ordre alphabétique, car l'information n'a pas fourni

l'ordre traditionnel, certainement différent. — [On doit plutôt lire sons et non pas phonème,

un terme technique de la phonologie qui désigne les unités fondamentales d'une langue, dont

l'opposition est pertinente, c'est-à-dire porteuse de différence de sens entre les mots du

24

lexique. Ex. l'opposition entre la voyelle courte et la voyelle longue dans les

mots: laɓi (couteau) et laaɓi (propre), ou bien la pertinence des consonnes doubles dans la

paire de mots: ladde (brousse) et laɗɗe (couteaux). — Tierno S. Bah].

28. Dans un sens comparable à celui donné par les Bambara au nouvel initié du Komo, dit «

fils du Komo », komo den.

29. Les Fulɓe distinguent trois variétés de calebassiers, désignés par un collectif, palpâli, qui

sont :

• le tumbude qui donne les calebasses rondes

• le nyeddude avec lequel on confectionne les cuillers et les gourdes

• le humbali, de forme allongée avec lequel on fabrique un long instrument de musique en

ménageant une ouverture à chaque extrémité, le humbaldu. Ce terme dérive de humbude «

flotter », car les femmes, auxquelles l'instrument est réservé, accompagnent du jeu de cette

calebasse leurs chants rituels « qui vont au fil de l'air comme la calebasse au fil de l'eau ».

30. Il convient de rapprocher le rôle du vêtement dans l'initiation des rapports symboliques

unissant « tissage » et « parole » observés dans d'autres sociétés soudanaises (Cf. M.

Griaule, Dieu d'eau, p. 31). Ces rapports sont également impliqués dans une expression

pular/fulfulde caractéristique, citée infra, p. 93.

31. Il ne faut pas confondre avec le bambara sira tigi, litt. « maître de la route ». Au Fuuta-

Jalon, le roi était appelé également silatigi ou silati.

32. Au temps du nomadisme, le chef temporel, 'arɗo (plur. arɓe), devait être silatigi. En se

sédentarisant, les 'arɓe sont devenus chefs de village ou de canton [ce dernier mot est

emprunté à l'organisation administrative coloniale — T.S. Bah].

33. Cf. p. 72 et 74.

34. Cf. p. 12 et 29.

35. Cf. p. 14.

36. Ces «piquets », qui divisent le temps, portent le même nom que ceux qui soutiennent les

«cordes des veaux » daanygul(cf. supra, p. 17)

37. Pour une classification comparable des végétaux chez les Dogon, cf. G.

Dieterlen, Classification des végétaux chez les Dogon.

38. Nous donnons ci-après une version résumée du mythe de Caanaba, nous réservant d'en

publier le texte intégral ultérieurement. Il a été également recueilli au Maasina et résumé par

Z. Ligers dans : “Comment les Peuls de Koa castrent leurs taureaux”, p. 201.

39. A propos du masque bansony des Baga, on peut remarquer que Caanaba, sous le nom de

Nikinanka est connu des populations de Guinée et de Casasamance. B. Appia écrit: «C'est

l'oeuf du niniganne (ningiri au Fuuta et ninkinawka en Casamance) qui donne naissance au

vrai bansony, c'est-à-dire au serpent. D'où le serpentement caractéristique du masque ».

(“Masques de Guinée française et de Casamance”, p. 161.)

40. Litt. : à oreilles rouges.

41. La vieille femme de la légende doit être assimilée à la jumelle de Pemba Mousso Koroni

Koundyé, personnalité mythique des Malinké et des Bambara, qui contribue à perpétuer le

désordre sur la terre. (Cf. S. de Ganay, Aspects de mythologie et de symbolique bambara, p.

25

183 ; G. Dieterlen, Essai sur la religion Bambara, p. 39.)

42. Ce parcours épouse l'ancien lit du fleuve. Tous les villages qui jalonnent le periple de

Caanaba, depuis la mer jusqu'au lac Débo , jouent un rôle important qui sera développé lors

de la publication du texte intégral du mythe.

43. Sur Faro et le Débo, cf. G. Dieterlen, Mythe et organisation sociale au Soudan français, p.

50 et ss.

44. Dans son ouvrage sur les Fulɓe, L. Tauxier a traité au chapitre II de « ce que les Fulɓe

pensent eux-mêmes de leurs origines ». Il est intéressant de remarquer qu'après un exposé et

une critique d'informations, qu'il juge erronées car fantaisistes ou influencées par l'Islamisme,

il ajoute cependant : « Les plus sages disent simplement qu'ils descendent de Cham par un

certain Ilo ou Ilo Falagui … », in Mœurs et Histoire des Peul, p. 41.

45. « Le nombre 3 représente, dans le corps de l'homme, la verge et les deux testicules, le

nombre 4 représente les quatre lèvres chez la femme. » (G. Dieterlen, Essai sur la religion

bambara, p. 5, n. 4.)

Première Clairière.

Sile Saajo cherchait sa vache égarée quand il entendit ceci :

« Ma voix ! ma voix !… me voici, je suis Kumen.

[1] Le texte lait d'abord allusion aux végétaux, qui interviennent dans la labrication des

objets ou ustensiles du berger, et leur confèrent leur caractère religieux. Le symbolisme

attaché à ces représentations a été développé dans l'introduction.

[2] Le bovidé cité ici est dit ndurbeele par son sexe,fadaletodde, par les couleurs et taches de

sa robe. Il s'agit là du bovidé hermaphrodite, considéré comme le géniteur et le symbole du

troupeau.

[3] L'incantation est intraduisible : fitaa « être éjecté, sortir »,firaa « s'envoler », fiti « s'être

éjecté », filti « avoir entouré (quelque chose) », firi « s'être envolé ». La suite des mots fait

probablement allusion à l'égorgement d'un poulet qui précède tout sacrifice important et qui

a un caractère divinatoire : les bonds de l'animal agonisant, puis sa position finale lorsqu'il

est mort, sont interprétés pour savoir si le sacrifice, offert après son immolation, sera accepté

et bénéfique.

[4] Chaque « soleil » correspond à un univers comparable à notre système stellaire ainsi qu'à

l'un des aspects de l'initiation. Le septième est le degré suprême.

26

[5] L'initiateur met sa langue un instant dans la bouche dit pupille qui la suce. Ensuite il

donne l'enseignement, transmettant ainsi la salive qui transporte le fluide du corps, puis la «

parole ».

[1] Le ciel sourit au dessus de ma tête. La terre frémit sous mes pas. Mon souffle balance les

branches. Je suis devant mon parc. C'est la première clairière, faite d'un tissu de branchages

du merveilleux kelli et du vertueux nelbi. Des delbi rampants ont obstrué les treillages de mon

enclos. Leurs fleurs rares sourient et chantent pour mes bœufs.

Chantez pour mes bœufs, oiseaux des arbres…

[2] Je suis souverain dans les choses pastorales. La vachendurbeele de bon augure, beugle au

milieu de mes animaux. Elle est la patronne de mes bêtes, une fadaletodde, une espèce rare.

[3] Hurr! hurr! hurr!

Fitaa! firaa! fiti! filti! firi.

Les mâles et les femelles possèdent dans leurs entrailles la semence des veaux, taurillons,

futures vaches et taureaux, manifestation brillante de ma bonne fortune.

[4] Sortez, bœufs gras et vaches pleines… Sautez par-dessus les sortilèges. Il me plaît que

vous alliez dans la prairie et buviez à la mare « du soleil septième ».

Je suis Kumen aux formes multiples : tourbillon soulevant la poussière, inondation

submergeant les hautes brousses.

Quand pour le bien, je m'empare d'un homme, je le plonge dans la mare du soleil où

s'abreuvent mes bœufs. Je lui souffle dans l'oreille droite le nom véritable-caché de la vache.

C'est un mot magique qui multiplie les bœufs et dispose bien le laitage.

[5] Je suis Kumen, je fais sucer ma langue à mon pupille. Je lui communique au moyen de ma

salive le charme fécondant la vache.

Première Clairière (suite)

[1] Dieu est invoqué ici sous son nom de Geno, qui implique son éternité. Il sera ensuite

invoqué, au moment des épreuves du postulant, sous le nom de Dundari.

[2] Les auristes et oculistes sont des guérisseurs. Il semble que le baobab isolé et la termitière

noire, soient associés à leurs connaissances et à leurs pouvoirs. Baobab et termitière

conjugués ont également un caractère divinatoire. L'allusion à la Pleine lune concerne sa

lumière qui éclaire presque comme le jour ; le précédent et le suivant sont dits « jours laiteux

» nyalɗe kosamaaje.

27

[3] L'incantation s'adresse aux initiés qui, étant sortis du premier stade sans avoir violé

d'interdits, peuvent y rentrer à nouveau pour s'instruire des suivants ; ceux qui voudraient

pénétrer la connaissance sans passer par les grades successifs de l'initiation sont exclus.

[4] Le tamarinier est symbole de vie, de résurrection ; il intervient dans tous les médicaments.

A un malade, pour l'encourager à se soigner, on dit : « Attrape les racines du tamarinier

», nangu ɗaɗi ɗammi.

[5] Les Fulɓe font constamment allusion aux événements de l'époque, de Salomon, qui

apparaît dans les légendes et les traditions historiques comme un maître et la source de

certaines initiations. Cette caractéristique des génies est une allusion à l'alliance entre Fulɓe

et forgerons.

Lors de ses déplacements pastoraux, Kumen est « assis sur la tête d'un taureau » dont les

deux cornes symbolisent l'une l'esprit hakille, l'autre l'âme wonkii (de wonde, être)

ou yonki (de yonde « être digne de »).

[6] La vallée de Bukul se trouve au Sénégal.

[7] Si l'initié demande à son instructeur autre chose que la connaissance, il ne peut pénétrer

dans la première clairière, symbole de « l'entrée dans l'initiation », ni, naturellement, dans

les autres.

[8] L'homme « qui n'a qu'un poil noir » désigne celuiqui « n'a qu'une parole et sait la garder

secrète (dans l'obscurité) ». Le poil est le symbole de sa virilité, qui préserve son corps de

toute faiblesse ; il est également celui de la pérennité et de l'unité de la science de l'initiation.

[1] Geno me connaît. Du haut, il fit de moi un enfant éternel. La terre m'obéit parce que je

suis descendu du ciel dans les airs, au moment où les grandes eaux étaient en ébullition et

enceintes des terres, mères des pâturages et des cultures. Je suis Kumen l'Enchanteur. Je

transforme tous les animaux à garrot et à bosse en bœufs gras et jolis à voir. De même, quand,

de colère, je souffle sur un troupeau, il se transforme en buffles ou s'évanouit dans les

buissons.

[2] Berger ! veux-tu me voir ? Chasseur ! veux-tu me discerner ? Allez l'un et l'autre vous

faire traiter par les auristes et oculistes, demeurant respectivement dans la « termitière noire »

et sous le « baobab unique » planté au pays mystérieux où les astres sont blanchis avant d'être

incrustés dans le ciel et mis en circulation dans l'espace. Je connais la température initiale des

eaux, la nature des étoiles et le but de leur existence. Je connais le secret de la lune, quand, en

croissant-faucille, elle transperce les nuages, ou quand, en « rond de paille », elle éclaire les

nuits du printemps et vante le beurre et le lait.

[3] Entrez, sortants… Sortants, entrez… »

28

[4] Voilà ce que disait Kumen, quand Sile Saajo le surprit couché sous un grand tamarinier au

bord de la mare Tumu (Djoloff).

Sile Saajo se saisit de Kumen. Il le croyait un enfant abandonné par une mère dévorée par des

fauves. Il lui trouva une barbe de patriarche à moitié grisonnante. Il en fut au comble de la

stupéfaction.

[5] Kumen lui dit : « Sile Saajo ! Je suis Kumen l'Enchanteur. J'initie les hommes par degrés à

l'exemple des génies de Salomon qui trempent l'acier. Je suis Kumen. Je m'assieds sur le cou

du « mâle » de la vache, les deux pieds entre les cornes. La bête s'en va broutant l'herbe sans

se gêner et sans m'incommoder.

[6] Je ferai une deuxième apparition dans la vallée de Bukul. Avant ce temps, porte-moi sur le

cou et allons visiter le domaine de Geno, mon Maître et le tien. »

— « Sile Saajo ! sois le bienvenu, te voici à mon seuil. Dis-moi ce que tu veux de Kumen,

Maître des formules ?

[7] — Je désire le savoir qui augmentera mes mérites de pasteur et mes connaissances

de silatigi.

— Tu ne serais pas allé plus loin, si tu avais demandé autre chose. »

[8] Les gens du dedans ne vont pas au dehors, et ceux du dehors ne vont pas dedans. La zone

est gardée par un vieil homme qui n'a qu un poil noir.

Première Clairière (fin)

[1] Le serpent, qui est ici Caanaba, défend l'accès à la connaissance : il joue d'une flûte à

sept trous qui représente la gamme et l'ensemble des sons. Les quatre éléments, base de la

création, sont représentés dans cette scène par la poterie « terre ) contenant « l'eau »

surmontée d'un « feu » sur lequel souffle « air » le serpent. Si Sile Saajo n'avait pas été digne

de la connaissance, l'eau, ou le souffle du serpent aurait éteint le feu. La stabilité des quatre

éléments démontre que l'initiation peut lui être accordée. Le serpent se couche alors sur

l'ordre de Kumen. Or, de même qu'un serpent mue à chaque saison des pluies, Sile Saajo doit

aussi « muer » sur le plan spirituel. Celui qui trouve la mue d'un serpent s'en frotte le corps

deux fois : la première pour se préserver de la morsure du serpent mythique, « enroulé dans

le périssable » ; la seconde pour évoluer spirituellement.

[1] Sile Saajo perçut une lumière sortant du fond d'une poterie remplie d'eau. Un serpent, face

à la poterie, jouait des airs mélancoliques au moyen d'une flûte creusée dans une tige de

sorgho et percée de sept trous pour varier les sons.

29

« O feu ! dit le reptile, pourquoi ne t'éteins-tu pas sur l'eau ? Est-ce que les sons que je tire de

la flûte ne produisent pas une brise qui diminue la force du feu et le tue ?

— Serpent, couche-toi! », ordonna Kumen.

Sile Saajo franchit la station du serpent avec une peur refoulée dans le fond du cœur.

Deuxième Clairière

[1] Le bovidé noir, wane, dit banel, est symbole ici de l'aspect occulte de la connaissance. De

même que Sile Saajo a traversé les forêts sombres, il doit franchir l'espace couvert par les

troupeaux noirs. Lorsqu'il l'a fait avec courage, Kumen le salue : Sile était jusque-là un être

vivant, il est devenu une « personne ».

[2] Kumen lui ouvre alors un fourré de lianes de foogi qui forme un rideau et représente tout

d'abord la patience : le foogi fleurit une année et mûrit seulement l'année suivante (fiina

hikka rima maawri « il fleurit cette année et ne fructifie que l'année prochaine ») ; il

représente également la flexibilité, la souplesse, car il épouse un autre végétal en s'enroulant

autour de lui.

[3] On se mire dans une mare — nawel — et on se lave dans un étang — nawre — plus

grand. Agir en sens inverse, se laver dans la mare, se mirer dans l'étang, la plus grande

mare, c'est chercher à atteindre l'éternel. La grenouille essaye de tenter Sile, de le pousser

sur une mauvaise voie. Sile ne l'écoute pas, et Kumen impose silence au batracien qui

n'intervient plus après que Sile ait répondu à ses questions.

[4] Les femmes fulɓe ont une grande vénération pour Foroforondu qu'elles invoquent

fréquemment.

La grenouille, dont le coassement annonce la présence de l'eau, dite grenouille des « grâces »

(moƴƴere — demoƴƴande, « faire la grâce de ») est la gardienne de sanctuaires de l'initiation

figurés ici par l'étang et la mare. Certaines parties du corps de la grenouille peuvent être

utilisées pour la confection d'amulettes.

[1] Il vit plus loin un berger debout sur un pied et appuyé sur un bâton. C'était le pâtre du

troupeau noir. Immobile et le cœur inquiet, Sile se demandait : « Qui est ce berger ? Qui est ce

troupeau ? »

Dès qu'il émit cette pensée en lui-même, toutes les bêtes cessèrent de brouter. Elles se

tournèrent vers Sile, beuglèrent et s'évanouirent… comme le crépuscule le fait à l'approche,

au contact de l'aurore.

30

Kumen à ce moment se tourna vers Sile et lui dit : « Salut à toi, Sile. Sois le bienvenu dans

mon domaine, qu'il te soit agréable : par la vertu du lait et du beurre. »

[2] Ce disant, Kumen frappa une touffe de lianes ayant l'aspect d'une porte fermée. Les

branchages se contractèrent et s'ouvrirent. Au lieu d'une clairière ou d'un fourré qui continue,

Sile Saajo se trouva en face d'un étang et d'une mare.

[3] Ici, dit Kumen, les génies, pasteurs de Salomon, venaient se mirer aux eaux tranquilles de

la mare et ils se lavaient dans l'étang. Ainsi, ils augmentaient la puissance de leurs yeux. Ils

arrivaient aisément à voir l'avenir comme un homme ordinaire voit sa face dans un miroir.

O Sile ! prends de la boue dans l'étang, cria pour le tromperune grosse grenouille qui

coassait : « faabuga! faafaabuga! buga fundundur! »

[4] Kumen cria : « Grenouille, silence ! Sile n'est pas celui qui refuse de l'eau aux voyageurs

altérés. Il a trouvé le commencement. Il va vers la fin. Devant Foroforondu, il sera un homme.

Sa voix ne tremblera point. Il connaîtra le vrai nom de la vache. »

La grenouille questionna : « O voyageur ! vers Foroforondu, qu'as-tu vu d'extraordinaire avant

moi ?

— J'ai vu, répondit Sile, le troupeau que paît un berger aux pieds grèles et au teint bronzé. J'ai

vu un serpent qui joue de la flûte devant une flamme dansante sur une eau dont un canari est

rempli. »

La grenouille reprit : « Le serpent de la flûte célèbre un maître qui ne se complaît pas dans les

richesses, ni dans la possession de la force des éléments. Le rampant est contraint par la force

du feu et de l'eau qui menacent l'une de le brûler, l'autre de le noyer.

Va vers Foroforondu douée de prestige; sois son nourrisson. Mais ne parle plus à personne. »

Kumen reprit : « Grenouille, silence »

Troisième Clairière

[1] Celui qui parle est le gardien, invisible et présent de la deuxième clairière.

[2] L'invocation signifierait : « Sois repoussé, toi qui (nous) étouffe : sois bousculé, toi qui

(nous) comprime ; retourne aux confins (ou à l'infini) et sois sans valeur. » Elle s'adresse à

tout agent du mal, qui œuvre dans l'ombre.

[3] Le dernier œuf d'une couvée d'autruche sert à confectionner des charmes destinés à

conserver dans une famille la force temporelle, la fortune et la gloire. Il faut qu'il n'ait pas

31

éclos : on le travaille sans le vider. Mais il faut qu'il n'y en ait qu'un seul.

Il y a une relation entre l'œuf d'autruche et l'hexagramme,faddunde ndaw (de faddaade,

protéger, et ndaw, autruche), « ce dont l'autruche se sert pour protéger (sa ponte) ».

Lorsqu'une troupe d'hommes ou un troupeau de bœufs s'arrête, le chef du convoi dessine, à

cheval ou à pied, un hexagramme sur le sol et l'on campe au milieu. L'autruche est censée

agir de même : elle danse en traçant un large hexagramme sur le sol avant de pondre. Cette

figure représente l'univers, ses directions cardinales, le zénith et le nadir, le temps et ses

divisions (sept jours pour la semaine, douze mois pour l'année).

« Salut au Maître qui rentre. Salut à celui qui allume pour éclairer et qui connaît le sens caché

des robes des vaches. Salut à Kumen ; salut à celui qui accompagne Kumen, s'il sait se plier à

la discipline.

Le serpent est-il subjugué ? La grenouille est-elle domptée ? C'est ici la deuxième clairière et

nous sommes ses gardiens.

Sile ! les formes sont multiples et les formules variées. Les périssables dans les obscurités et

les durables dans le « fleuve de vie » (maayo guurndam). Si tu es berger, passe. Si tu es

guerrier, qui défends-tu ? »

[2] Kumen reprit : « Sile est berger chanteur. Il veut être connaisseur. Il n'exposera sa poitrine

velue que pour défendre la vache, la femme et l'orphelin. Son cœur est pur, ses mains sont

propres. Il a appris par cœur les formules :tukusum! mukusum! y a fuufay! »

Les esprits qui parlaient à Kumen reprirent : « Sile ! va dans la vallée, va vers Foroforondu.

Sois muet et que rien ne décolle ta langue de ton palais, avant l'apparition du premier soleil.

Enthousiastes, nous sommes des esprits nourris de lait, au corps oint de beurre. Nous

demeurons dans la troisième clairière.

Salut à Kumen ; salut à celui qui accompagne Kumen, s'il sait se plier à la discipline. »

[3] Kumen : « Je suis Kumen à la barbe vénérable. je suis armé de paroles onctueuses pour les

esprits fins et les âmes délicates. Je suis armé d'un gourdin pour les âmes épaisses et les cœurs

opaques. Je suis porteur, contre les brutes, d'un instrument tranchant, d'une poudre magique

qui brûle sur du feu. J'envoûte au moyen d'un œuf d'autruche, dernier d'une couvée qui a

refusé d'éclore. Je parle aux animaux. Les racines des plantes me livrent leurs secrets. Le

bruissement des sources, le remuement des feuillages dans les branches, les traits d'une étoile

filante, tous me confient leurs secrets. Et la tourterelle qui roucoule, j'entends ce qu'elle dit. Et

le bœuf qui beugle, je connais son verbe et je ne méprise pas son avertissement clairvoyant.

Ce sont les yeux qui regardent, mais c'est l'esprit qui voit.

Je mène Sile vers le fleuve de vie où il pêchera une ambre magnifique destinée aux âmes non

souillées : femmes chastes et hommes qui défendent les biens légitimes, salut… » Les esprits :

32

« Sile violera-t-il les coutumes ? A-t-il goûté les sons de la flûte à sept trous ? A-t-il apprécié

les coassements de la grenouille des grâces ? »

Kumen : « Sile est poète, sa parole sera chantante. Il répandra ce qu'il faut répandre. Il créera

des chemins. Il découvrira des pâturages. Il se libérera de ses ennemis au regard hautain et à la

langue méchante. Il me suit vers les cimes. Il ne rit pas de ma taille. Il abordera Foroforondu.

Il sera exaucé. »

Quatrième Clairière

« Salut à Kumen, salut à celui qui accompagne Kumen, s'il sait se plier à la discipline. »

[1] Les cheveux et la barbe grise de Kumen symbolisent sa sagesse virile, son expérience. Le

nombril est le point central, sacré, il ne faut pas le violer. jamais une jeune fille ne laisse voir

son nombril. D'un être sans réserve ni pudeur morale, on dit : « J'ai tout vu de lui, y compris

son nombril », mi yi'ii fuu makko, fay wuddu. Il ne faut pas voir le nombril de Kumen, c'est-à-

dire le fond de son enseignement, car on doit accéder à la connaissance progressivement.

[2] L'incantation comporte les points cardinaux et les couleurs associés aux quatre tribus

fulɓe.

[3] Le ngelooki est médicinal. Sa feuille, desséchée, est brûlée sous le ventre des animaux

lorsqu'ils sont parqués : c'est un encens et une protection. S'il pleut, on place une petite

branche de ngelooki derrière soit oreille lorsqu'on est dehors, dans la maison si l'on est chez

soi, comme protection contre la foudre. Le dooki et le ngelooki sont deux végétaux

susceptibles de lutter contre la mort et parfois de triompher d'elle. Une légende relate la

révélation aux hommes de ce pouvoir : Un tout petit enfant pullo lut momentanément déposé

sous un arbre par sa mère qui le croyait malade et qui cherchait aux alentours des plantes

pour le soigner, accomPagnée d'une vieille lemme. L'enfant resté seul, Parla en disant : «

Voici les remèdes contre la mort, le dooki et le ngelooki. » Avant qu'il ait fini, la lemme âgée

l'entendit et l'interrompit : « Voici un tout petit enfant qui Parle, c'est la fin du monde », et le

bébé s'est tu. On n'a ainsi connu que les deux premières plantes, élixir de vie, et la recette est

incomplète.

Les « feuilles digitées » de certains végétaux captent les forces suivant le nombre de leurs

nervures : les paroles sont transportées par la « main » qui les dirige sur le malade

respectueux des correspondances établies entre les différents éléments de l'univers. Chaque

33

homme est associé à une plante et chacune d'elles à un jour ou à un moment de l'année. La

date, la lunaison interviennent.

[1] Kumen : « Écoutez ma voix de maître : je suis dominateur. Regardez mon front, il est

noble et sage. Des cheveux gris ornent ma tête, ils encadrent mes tempes, et ornent mon

menton. Regardez la partie supérieure de mon corps. Ne portez pas vos regards sur le creux de

mon nombril. Vous seriez renversés, vos femelles rendues stériles et votre cheptel ruiné.

Sile vient apprendre comment il faut dire aux esprits malins « Sortez des corps dont vous vous

êtes malicieusement emparés. »

[2] « L'Est brille de lumière ; l'Ouest se tord dans le sang; le Sud est voilé par la forêt noire ;

et le Nord se peuple de terres, de beaux pâturages et d'hommes blancs.

Ouvrez pour Sile, ne lui résistez pas. Il va vers Foroforondu qui prononce des sentences

irrévocables, subjugue les sorciers et dompte les malins. »

Les esprits : « Sile connaît-il les quatre tribus fulɓe si difficiles à définir. Mais lesquelles tout

entières consentent au même titre, à se rouler dans la poussière et dans la cendre pour

posséder, nourrir et protéger le bovidé, animal de Iloo Yaladi Jaaje ? »

Kumen : « Sile est pullo. Il ne gémit que pour les bœufs. Il surmontera mille épreuves pour

acquérir le bovidé.

[3] S'il écorce le baobab sacré, c'est pour confectionner la corde aux vingt-huit nœuds

magiques, protectrice du parc. S'il arrache les feuilles du ngelooki c'est pour baigner les bêtes

dans ses forces vertueuses par fumigation. Il saura pointer, à l'endroit où siège le mal dans

l'être, la feuille digitée qu'il chargera des paroles appropriées. Il triomphera des maladies

bovines. »

Les esprits: « Kumen ! va en paix, fais-toi suivre de Sile qui reviendra instruit. »

Kumen : « Sile sera pareil à cette plante synthèse qui, autour d'une tige unique, assemble

feuille, rameaux et fleurs. »

Les esprits : « Sile ! oint de beurre et gavé de lait, Sile, passe »

Cinquième Clairière

[1] L'incantation est celle de Mars, planète du mardi ; elle peut se traduire ainsi : « Le sujet

du mardi, le ma du mardi, toi qui es du mardi, cela ne sera pas. » Le génie du mardi et de

Mars est celui de la guerre.

34

[2] Le génie borgne est le forgeron et cette clairière est la sienne ; le forgeron possède « l'œil

de la connaissance extérieure et intérieure ». Autrefois on ne partait jamais en guerre sans

s'être fait « laver » (purifier) par un forgeron ; il est réputé posséder le secret qui contraint

les armes et projectiles en fer à respecter le corps humain.

[3] Sile cherchait la connaissance, Kumen cherchait un élève à enseigner; ils se sont

rencontrés et Kumen caché, s'est révélé à Sile. La cinquième clairière témoigne du passage à

d'autres aspects de la connaissance, les quatre premières correspondant aux quatre éléments.

Sile doit maintenant voir les sept « soleils » de l'initiation. Sile va passer du stade de la

constitution de l'univers dans l'obscurité primordiale par la création et l'agencement des

quatre éléments, au stade de l'apparition de la lumière et de l'organisation du monde.

[1] Satalaata, antalaata, matalaata, laatataako.

[2] « Je suis Kumen ! Ouvrez, agents gardiens, redoutez ma colère, un vrai feu du ciel qui

embrase, et mes dents qui scient le bois et mettent à nu la moelle de l'arbre où règne le génie

borgne qui frappe sur une masse d'acier et fait jaillir les étincelles de la discorde. »

Les esprits : « Qui es-tu, toi qui parles comme un maître et t'exprimes comme un souverain.

— Je suis le maître et le moniteur des cérémonies. J'introduis les enfants reçus et congédie

ceux qu'il faut éconduire. Je suis l'époux de la reine, je suis Kumen… Vivant dans le pays des

connaissances, j'ai appris et sais enseigner les accommodements. Je connais les signes

trahissant les impressions désagréables. Au large, esprits malins !…

[3] Sile m'a cherché, Sile m'a trouvé.

J'ai cherché Sile, Sile m'a trouvé.

Après ce lieu, il verra luire les soleils. Ils sont au nombre de sept. Sile verra les couleurs de la

souveraine. Celui qui choisit le périssable, périra. Car le serpent qui est enroulé, y crachera

son venin mortel. Il fait « perdre le turban », il empêche d'être silatigi, et même d'être

l'humble chef d'une petite famille. »

Sixième Clairière — Premier soleil. « Je suis Kumen »

[1] L'invocation, intraduisible dans son ensemble, fait cependant allusion au mulet, baam. o

tinki signifie : « il chargera (le mulet ou la mule) » ; tongo rongo désigne les petits génies de

la brousse, qui sont les antagonistes de Kumen.

35

[2] Le rayon du Premier soleil est violet.

Les « trois nerfs » sont les « trois formes » de la matière : liquide, solide et gazeuse.

Les onomatopées jigin bantam, etc. représentent allégoriquement une marche effectuée dans

l'eau avec force. Kumen sait que le fait de recevoir dans les yeux une seule goutte de l'eau

ainsi projetée aveugle à jamais le marcheur, et lui retire la possibilité de contempler la

lumière du premier soleil, qui commande et conditionne la vue de la lumière des suivants ; il

ordonne donc à Sile de fermer les yeux.

[3] Le kooli pousse au bord du fleuve ; la fleur est odoriférante. min tan « moi seul », laamɗo

tan « Dieu seul », doit se traduire : « moi seul avec Dieu ».

[4] Le chien est un animal impur pour l'Islam, qui tolère cependant celui du berger,

compagnon fidèle et efficace. Il est ici le symbole de la garde de la connaissance. On montre

ainsi à Sile qu'il doit être vigilant et fidèle, et ne doit pas trahir, même dans l'adversité.

[1] « Tinki mbam, tinkaati mbaam, jaati jaati mbaan, mbaam tongo rongo ».

[2] O agents ! préparés à la garde de la sixième clairière, j'amène Sile. Il a triomphé des

défauts qui pénètrent l'homme par les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, et de ceux que

l'homme contracte par ses sens. Il peut voir les couleurs et se chauffer aux rayons des soleils

sacrés. Il a passé à travers les cinq clairières d'un bout à l'autre. Ses sens n'en ont pas été

troublés et il est apte à ouvrir les yeux pour voir le soleil au rayon murfe (violet). Il sait tendre,

comme il le faut, les bras et faire apparaître ses trois nerfs. Ouvrez, ouvrez : jigin bant'am

bant'am, bant'am. »

Kumen se tourna vers Sile et lui dit : « Ferme les yeux pour t'éviter l'égarement d'esprit que

peut occasionner l'entrée dans cette clairière spéciale. » Quelques instants durant, Sile se

sentit enlevé. Mais il ne sut s'il montait ou descendait.

« Ouvre les yeux, commanda Kumen, nous sommes dans la clairière où brille le soleil

“violet”. »

[3] Sile ouvrit les yeux, vit le soleil briller à travers les arbres, mais il n'eut pas le temps de

l'admirer. Des bêtes hideuses aux mouvements bizarres se ruèrent sur lui. Kumen, voyant Sile

troublé au point de s'enfuir, lui souffla l'imposante incantation : « Soleil violet qui pointes au

milieu des futaies, voile à mes yeux les dents aiguës de tes bêtes. Fais cesser les aboiements

de tes chiens qui ont la rage au cœur. Darde vers moi ton rayon unique qui transmet le

bonheur et donne la quiétude. Je promets de faire paître bœufs et brebis dans une prairie

parfumée à la fleur du kooli. Kôli jumaani ; mulli jumaani ; min tan tan, laamɗo tan. » A ces

derniers mots, le soleil violet brilla d'un grand éclat. Sile vit venir à lui un gros chien à la

queue frétillante et qui poussait des petits cris de joie.

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[4] « Je suis, dit l'animal, le compagnon du berger. J'aboie contre la hyène et je préviens

chaque fois que la panthère est à l'affût. Depuis le jour où le berger a fait de moi son ami et

son auxiliaire, je n'ai cessé de lui manifester mon intelligence et ma fidélité, que je dois aux

émanations du soleil septième. Je me tiens debout devant le parc, je montre à l'étranger des

dents qui ne rient pas et je dis : haw ! haw ! haw ! »

Kumen :

— O chien de berger ! gardien des parcs, quels sont ces arbres au milieu desquels tu demeures

?

— O Kumen ! tu es plus renseigné que moi, mais puisqu'il faut que je parle : je demeure au

milieu des beaux arbres qui transforment le sang en lait et protègent le parc contre les

maléfices.

Kumen s'adressant à Sile :

— Retiens ce dire, puis au chien

— Salut au chien qui sait demeurer fidèle et sait attendre vigilant dans un coin. Nous

marcherons sans crainte en imitant tes cris : haw ! haw ! haw ! Quand le monstre qui barre les

chemins viendra vers nous, nous l'éloignerons en criant : haw ! haw ! haw ! Il ne pourra rien

contre le destin voulu par la providence. »

Septième Clairière — Deuxième soleil.

[1] Le rayon du deuxième soleil est bleu.

Si l'incantation adopte ici la langue bambara, elle peut se traduire soit par ; « grand village,

grand arbre, grand Dieu, grand-père, grand fromager », soit par : « le grand village qui n'est

pas instable (ou qui ne tremble pas), l'ambre pur (allamba viendrait de alluba naare, termes

qui désignent une très grosse perle d'ambre pur, celle que la famille du fiancé offre à la jeune

fille), grand père, grand fromager ». Cet arbre a des racines proéminentes : l'initiateur de

Kaydara a logé au creux d'un fromager.

[2] Buytorin est « l'ancêtre » des Fulɓe observant leur religion et coutumes traditionnelles. Ils

ignorent ou n'admettent pas Oqbat comme leur ancêtre.

Le suc, enɗam, est celui des fruits, edi (sing. eedere) dit Sclerocarya Birrea Hochst. L'urine

que donne la boisson fermentée est sacrée. Dundari est l'un des noms des attributs de Geno,

Dieu, maître de Kumen.

37

[3] Lorsqu'un bœuf meurt de mort naturelle, il est considéré comme sacrifié par Geno qui

prend son sang vif ; quand on le dépèce, il ne saigne plus. Le sacrifice d'un bœuf est fait par

les hommes pour « s'approcher » de Geno ; l'âme de la victime devient celle d'un enfant à

naître dans la famille.

Au Maasina, le sacrifice du bœuf avait lieu au « sanctuaire des peuples », dental, dont la

localisation ne nous est pas connue ; on partageait la chair de l'animal, consacré par les

prêtres, entre tous les membres présents des sous-groupes des quatre clans Fulɓe.

[1] Kumen : « Salut au soleil deuxième dont le rayon bleu donne à l'indigotier sa matière

colorante : duguba, yirba, allamba, baaba, banamba. Éloigne de nous tout ce qui manque

d'harmonie. Vaches boiteuses ! au loin… Brebis galeuses, chèvres débiles aux membres

débiles, soyez hors de notre vue. Ne faites pas trembler nos paupières. Ne nous faites pas

croire que le soleil deuxième s'est déplacé du lieu où il est. Ne nous faites pas croire que nous

ne sommes pas dans la prairie où sept couleurs variées émanent de sept soleils adorables.

Sile veut apprendre de Foroforondu, fille de Morimawɗo, les races diverses des vaches, tout

ce qui concerne la brebis et sa cousine la chèvre.

[2] Je suis Kumen, qui sait que le passé revient sous une autre forme et que les actions se

répètent avec changement d'acteurs. Jadis, j'ai croisé Buytorin le chanteur. Il était ivre d'une

boisson faite avec du jus jeedi. J'ai soufflé en lui, avec la permission de Dundari, la vertu de

fécondation.

Rayons indigo du soleil bleu, je vous conjure : ouvrez la zone du soleil troisième et que la

horde des fauves reste couchée.

Sile est descendant de Buytorin ; il n'a qu'une ambition : voir la vache sacrée qui nourrit de

son lait béni les esprits purs et qui blanchit tout ce qui est blanc.

[3] Veaux sans cornes, venez ; vaches à cornes courtes, venez. Vous qui avez de grandes

cornes et faites le bonheur du berger, venez, venez. Venez tous ensemble. Salut à la victime

bovine offerte en sacrifice pour servir de monture à l'âme voyageuse à travers les espaces de

l'au-delà. Sile a triomphé des réflexes nerveux. Ses mouvements sont réglés. Le sommeil s'est

évadé de ses yeux. La somnolence s'est effacée de ses paupières. »

Huitième Clairière — Troisième soleil.

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[1] Le rayon du troisième soleil est vert.

[2] La vache sans corne et le bœuf-nain (ndaama) sont déconsidérés, mal vus de leur

propriétaire ; les laire passer devant revient à les sacrifier, car ils se dirigent vers l'inconnu.

[1] « Pleureuses aux funérailles, ne gesticulez plus. L'herbe fraîche et nourrissante frémit sous

la terre. Les reptiles sont engourdis. Voici le rayon vert du soleil troisième. Il unit en sa

couleur celles des soleils deuxième et cinquième. Son rayon est vert. Les arbres et les plantes

lui doivent leur couleur. Il donne à la campagne son éclat. Il répand la santé. Sous son sourire,

la vache fait téter son petit et le cultivateur admire son mil bien venu.

Le taureau qui, dans cet espace, ouvre la marche, est de l'espèce à bosse. Sa queue fine

mesure trois coudées. Ses cornes fortes et longues menacent les démons de péripneumonie.

[2] O esprits de la sécrétion lactée ! demeurant dans les arbres fourragers, Sile vient vous

demander le secret qui lui permettra de faire produire par les femelles de ses bêtes, des sujets

résistants et de beau pelage. O toi, bœuf brun, de l'espèce naine, va réveiller la vache sans

cornes, et tous deux précédez nous vers :

Neuvième Clairière — Où domine le soleil quatrième.

[1] Incantation intraduisible.

[2] Cette phrase est un souhait d'évolution : si l'évolution des êtres peuplant l'univers se

développe, on pourra voir la tortue « s'envoler », c'est-à-dire accéder à la spiritualité. La

tortue de terre, kuuru kaara ou heende, est associée aux ovins ; la brebis sacrée représente

ici l'un des degrés de la connaissance.

[3] Le rayon du quatrième soleil est jaune.

[1] « rudu dalla, rudu makan dalla, rudu fabo dalla ».

[2] « Kuuru kaara, renfermée dans une carapace osseuse, édentée, allant lentement, quand

voleras-tu comme un épervier ? Quand pourras-tu sucer les tétines de la brebis sacrée ?

[3] Je suis Kumen qui balance sa tête de plaisir lorsque la vache beugle et de dépit quand elle

se tait. Ma vue est puissante à fixer le rayon jaune du soleil quatrième.

Livrez passage, engourdissez les agents du mal et que ceux de l'avant aillent à l'arrière et

ceux-ci à la place de ceux-là. »

La tortue dit : « Passez, privilégiés, qui allez dans la zone où les laareeji vous attendent sous

le soleil sixième. »

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Dixième Clairière — Cinquième soleil.

Dès que Kumen et Sile dépassèrent l'espace éclairé par le cinquième soleil, ils entendirent un

grand remue-ménage.

[1] [Le] kaggu et le ngaynirki [sont] les autels des pasteurs.

[2] Le rayon du cinquième soleil est orangé. Laconnaissance comporte des degrés, en

relation avec les trois catégories de troupeaux : la première est associée aux caprins (elle

comporte certains éléments de magie), la seconde aux ovins ; la connaissance suprême est

associée aux bovins. Dans la neuvième et la dixième clairières, l'instructeur parle de la brebis

sacrée et de l'agneau céleste. C'est dans la douzième clairière que paraîtra le bovidé

hermaphrodite, symbole de la connaissance suprême.

[3] Morimawɗo, litt. : « grand vénérable » est le père de Foroforondu .

[4] Avec l'écorce de koyli, on confectionne une préparation pour teindre d'ocre les vêtements

et les tissus.

[1] Kumen dit : « Nous allons être mis en présence deForoforondu. Elle est mon épouse,

mais c'est elle qui commande le laitage et en dispose. C'est elle qui veille sur lekaggu et

le ngaynirki (autels des laareeji). Ne te soumets pas à tous ses ordres. Elle te perdrait. Elle te

présentera nos petits dieux et te demandera de les lui nommer. »

Kumen enseigna à Sile les mœurs des laareeji et ce qu'il lui fallait répondre à propos de

chacun d'eux.

Kumen : « Je reviens des pâturages accompagné d'un hôte : c'est un invité de marque, un

convive plaisant. C'est un Pullo ardent dans les choses des bœufs. Il vient vers la déesse du

lait pour demander des conseils. »

[2] Foroforondu qui agitait la crème dans une baratte en calebasse et qui faisait un bruit

terrible, se leva et alla vers Kumen. Elle lui dit : « Comment as-tu consenti à faire venir ici un

humain ? Oublies-tu que le rayon orange du soleil cinquième est une flamme ? Que fais-tu de

la tradition du taureau sacré et de la vache-mère et de l'agneau céleste ? »

Foroforondu s'adressa à Sile : « Je suis attentive à tes demandes, fais vite et sors en sautant

comme un agneau et retourne d'où tu es venu. »

[3] Sile : « N'en déplaise à Foroforondu, déesse du lait, reine du beurre, je me trouve si bien

sous le rayon du soleil orange qu'aucune parole, aucun acte, ne sera assez rude pour m'en faire

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partir. Je suis prêt, si Foroforondu le veut, à observer tous les préceptes du kaggu et les

interdits dungaynirki. Mais je ne m'en irai pas. Sous ce soleil, je ne crains rien. Au contraire,

je suis dans l'allégresse. O fille de Morimawɗo, donne-moi du lait à boire et dis-moi le « nom

caché de la vache ».

[4] « Foroforondu ! je t'en conjure par ton père qui fut le grand sacrificateur aux sept rayons,

fais-moi conduire dans la clairière onzième où le soleil rouge aux rayons couleur

dukoyli domine et où je te prouverai que je suis digne du parc. »

Visiblement énervée, Foroforondu coula un regard de reproche vers son mari Kumen. Celui-ci

dit : « Sile vient voir ce qui se passe chez nous. Il ira s'asseoir au pays des humains, après que

le nœud lui sera dénoué, en séance dans la …

Onzième Clairière — Sous les sixième et septième soleils

Kumen : « Hommage aux rayons des deux soleils unis en un pour éclairer une clairière. Salut

aux bergers qui tiennent dans la main droite une lance sacrée et dans la main gauche un bâton

en kelli ou un gourdin de nelɓi consacrés.

La force du Pullo est dans le bovidé. Le jour où il n'en aura plus, ce sera la détresse. Les

femmes et les enfants ne viendront plus à lui. Il sera considéré comme un père au mauvais

héritage. »

Sile dit : « Foroforondu, répands sur mes cheveux tressés en nattes du beurre pour

m'empêcher de sentir la chaleur. Donne-moi le mot secret qui me fera trouver en tout temps

des feuillages et herbes vertes pour mes animaux. »

[1] Le sixième soleil a trois rayons, le septième quatre.

Les sept soleils ont les couleurs de l'arc-en-ciel. Chacun d'eux correspond à un « ciel »

différent ; de chacun des sept « ciels », qui sont étagés, descend une pluie, également

différente. Au fur et à mesure que s'avance la saison des tornades, la pluie vient d'un ciel

supérieur au précédent. On incante l'arc-en-ciel, dit « buveur de tornade » yara toɓo, pour

qu'il arrête la pluie, et s'oppose à la chute d'une quantité excessive d'eau qui serait nuisible

aux troupeaux.

D'autre part, les « rayons » sont la voie de Dieu ; la « voie du ciel » suit les rayons. Au

nombre total de douze, les rayons des sept soleils correspondent aux mois lunaires. Toutes les

offrandes importantes, effectuées pour la sécheresse, les éclipses, les épidémies par exemple,

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comportent des dons de douze objets ou douze animaux (par village, par famille, ou même

par individu). La divination est exécutée avec douze cauris.

[2] On se sert de la main droite pour ce qui est sacré et pur ; de la gauche pour les

purifications effectuées après un acte qui comporte une souillure. Sile mettra la main gauche

sur l'épaule de Kumen, comme un aveugle ferait pour se guider, afin de ne pas tomber,

pendant l'épreuve, dans l'embûche ou l'impureté.

[3] L'écorce de caïlcédrat, comme le suc du daraɓoggel(baobab nain) est amère. Ils

constituent pour l'homme une purification et le préservent contre les effluves nélastes et les

mauvaises influences. On protège ainsi les yeux qui voient, la bouche qui parle : la parole

entraîne plus encore de dangers que la vue.

[1] Foroforondu dit : « Sile, tu auras tout ce que désireras, mais ce sera dans la clairière où les

deux soleils mêlent l'un ses trois rayons aux quatre de l'autre, pour éclairer le bienheureux qui

saura défaire les nœuds et qui donnera les noms de nos laareeji en spécifiant celui qui, parmi

les quatre principaux, a donné naissance aux trois autres. »

[2] Sile dit : « Quand la somme de tes questions m'envahira, Kumen saura me venir en aide.

Dans les gouffres des nuits où siègent tes laareeji, Kumen saura me guider. A travers tes

artifices, je marcherai ferme, car ma main droite sur le cœur, je poserai la gauche sur l'épaule

de Kumen ».

[3] « Foroforondu, puisque tu t'opposes à moi, j'ai pour ta bouche de la poudre de caïlcédrat et

pour tes yeux du jus dedaraɓoggel. » Comme intimidée par les paroles prononcées par Sile,

Foroforondu alla soulever quelques lianes et dit : « Viens, Sile, je vais te conduire au lieu dit :

Douzième Clairière — Demeure du sixième et du septième soleils

Sile se souvenant de ce que Kumen lui avait dit — ne pas obéir à Foroforondu — répliqua : «

Je ne suis pas celui qui se fait guider par une femme, fût-elle Foroforondu. Je ne marcherai

que derrière Kumen».

[1] Le jujubier est symbole du sommet de l'initiation, des connaissances humaines, après

lesquelles il n'y a plus que les connaissances divines. Son nom — njaaɓi — signifie « là où

j'ai mis (la plante du) pied ». La calebasse est, au Soudan, symbole de la matrice du monde ;

la matière dans laquelle le récipient est faillé lait intervenir le travailleur du bois, labbo.

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Lorsqu'on désire travailler le bois, pour prévenir le labbo qu'on va pénétrer dans son

domaine, on dit : « labbo, par la racine des arbres, on entre chez les génies du bas ; par les

branches, on entre chez les génies du haut ; par le tronc, on entre chez les hommes » : labbo

ɗaɗi lekki naatirta suka-hecci, cate naatirta ɗoo mbeeyu, foomre naatirta yimɓe. (suka-

hecci, litt. : « plus âgé que l'enfant » est le nom secret d'un génie).

[2] Les deux termitières sont jumelles; la grande, waande (de wayre « être » ou « être comme

»), habitée, est en rapport avec le nord et la couleur blanche qui est faste ; la petite, bangel,

inhabitée, en rapport avec le sud et la couleur noire, qui est néfaste. Le même symbolisme

s'attache aux deux fourmilières.

Le « vaste terrain » est l'univers et le premier parc ; le bovidé hermaphrodite est la « mère »

de la création tout entière.

[3] Le texte de Foroforondu est une allusion aux incantations que formule le silatigi, ou le

maître du parc, au lever et au coucher du soleil. Il sort le matin, en contournant sa case, dont

la porte est ouverte au sud par la gauche, c'est-à-dire vers l'est. Il va se placer devant la porte

du parc situé derrière la case, et dont la porte est également ouverte au sud. Il examine alors

la tête du premier bovidé qui lui tombe sous les yeux, et prend la posture correspondante.

Puis il fait devant lui un demi-cercle de sa main droite, pour faire émerger le soleil, en

récitant la prière conforme au lever, précédée de « beurre et lait ». Le soir, il procède selon le

même schème, mais il contourne sa case par l'ouest, et fait le demi-cercle de sa main gauche,

tout en récitant l'incantation du coucher du soleil.

[1] Foroforondu s'irrita en vain, mais Sile, encouragé par les regards de Kumen, résista.

Foroforondu se tourna alors vers son mari et lui dit : « Puisque tu y tiens pour lui, les jujubes

sont dans la calebasse en bois à votre disposition. »

Kumen rit et battit des mains. Il prit une poignée de jujubes et en donna une à Sile. Il lui dit :

« Maintenant que tu as goûté aux fruits du jujubier de la demeure, tu peux te fier à

Foroforondu. Elle ne pourra plus, et d'ailleurs elle ne cherchera plus à te tromper. Elle ne

désirera, désormais, que ton bonheur. Elle ne sert des jujubes qu'à ses amis.

[2] Allons dans la clairière centrale. Cette dernière est un vaste terrain circulaire au milieu

duquel pousse un arbre immense à la frondaison en dôme. Il est environné par une grande

termitière habitée, une toute petite inhabitée, une fourmilière inhabitée, une autre peuplée

d'une manière dense et un petit étang. Au milieu de ce vaste terrain, un bovidé hermaphrodite

d'un pelage bigarré de toutes les couleurs bovines, se promène majestueusement, tantôt

beuglant comme une vache paisible qui réclame son petit, tantôt mugissant à rappeler le

rugissement d'un lion. »

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[3] Dès que le bovidé aperçut les trois visiteurs, il alla se mettre sous l'arbre et s'apprêta à

charger. Foroforondu, défit les nattes de sa coiffure. Elle couvrit de sa chevelure bien fournie

presque toute la partie supérieure de son corps. Elle dit : « Je suis celle qui n'est armée que du

fouet à lait, qui n'est vêtue que de sa chevelure pour cacher son buste et dont les organes

sexuels sont recouverts de feuilles cueillies sur le kelli, le combi, le nelɓi et le delɓi. Salut au

bœuf unissant en un les multiplicités bovines. Voici, je vois tes pis, non loin de ta verge,

organe viril. Salut au boeuf unissant en un les multiplicités bovines : quand ta tête, variant sa

forme selon tes humeurs, est courte, je m'accroupis ; longue et fine, je m'assieds ; forte et une

busquée, je m'étends sur le dos et je dis : « beurre et lait, beurre et lait ! »

Douzième Clairière — Demeure du sixième et du septième soleils (suite)

[1] Le rituel auquel procède Foroforondu est celui qui est exécuté pour guérir un malade,

enrichir un pauvre, affranchir un esclave, purifier un impur… On mélange ce qui est plein

avec ce qui est vide, et ceci avec l'eau, mère de toute vie. C'est aussi la puissance qui dompte,

le signe de la connaissance non violée.

[2] Présenter la terre en boule « dompte» le bœuf. Le pastorat implique la domestication mais

non pour s'en servir à des fins personnelles : car le Pullo sert le bovidé.

[3] La « sortie » du veau est symbole de la naissance. Sile meurt et renaît ; la renaissance

accomplie par le néophyte fait sortir le veau fadaletoodde qui est de bon augure : s'il n'était

pas « sorti », Sile aurait dû recommencer son initiation.

[4] Sile doit se laver deux fois en sens contraire ; dans certaines tribus Fulɓe le même rituel

est exécuté pour laver un cadavre avant de l'ensevelir.

[5] La lustration de Sile, analogue à celle effectuée pour un cadavre, témoigne de sa mort

sous son ancien état, mort qui a précédé sa renaissance spirituelle. Il est alors digne de

monter le bovidé multicolore dont il recevra tout.

[1] Après avoir dit ces paroles, Foroforondu se dirigea vers la grande termitière. Elle y arracha

une motte de terre. Elle alla en arracher à la petite termitière. Elle prit une poignée de terre de

la fourmilière abandonnée et une de celle qui est habitée. Elle pétrit le tout avec l'eau puisée

dans l'étang. Elle revint auprès de ses deux compagnons qui attendaient : Kumen, impassible

et presque distrait, Sile intrigué et même intimidé. Elle remit la boule à Sile et lui dit : « Va

déposer ceci sous l'arbre et ne t'occupe pas du bœuf. »

[2] Sile exécuta l'ordre de Foroforondu. Il vit alors le bœuf sortir de son affût et venir vers lui

avec le mugissement d'un animal qui reconnaît son maître. Au même instant, un

veaufadaletodde sortit de l'étang et bondit vers Sile.

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[3]« Le veau est sorti, s'écria Kumen. Sile est désormais un homme renouvelé. Il peut recevoir

les secrets du ngaynirki. Il était esclave du boeuf, désormais celui-ci sera son serviteur. Il ne

lui reste plus qu'à savoir le nom caché du bœuf sacré. »

Foroforondu dit à Kumen : « Enseigne à Sile les formules dungaynirki. »

[4] Kumen dit à Sile : « Va faire un circuit autour de l'arbre, de l'étang, des termitières, des

fourmilières et après tu te laveras dans l'étang, en commençant par :

• le côté droit, de la tête à la plante du pied

• le côté gauche de la plante à la tête

• le côté gauche de la tête à la plante du pied

• le côté droit de la plante du pied à la tête. »

Sile fit le circuit des lieux indiqués. Il entra dans l'étang où il se lava conformément au rituel

indiqué par Kumen.

[5] Quand il voulut sortir, l'étang fut absorbé miraculeusement et Sile se trouva sans savoir

comment sur le dos du bovidé hermaphrodite au pelage fait de toutes les couleurs bovines.

Douzième Clairière (suite) — Le dénouement des noeuds

[1] « La corde aux vingt-huit nœuds » — qui représentent les vingt-huit laareeji et

les ngaynirki correspondants en même temps que les jours du mois lunaire — est diteɓoggol

piɓe noogas e jeetati (jeetati est un numéral composé de jowi: cinq, et tati: trois). Elle est

faite d'écorce de baobab, arbre qui symbolise la longévité.

[2] Le « lait à manger » — nyamde kosam — est une expression fulfulde/pular typique: le lait

est l'aliment complet par excellence.

[3] Incantation intraduisible.

[4] La consommation du lait du bovidé hermaphrodite constitue une communion avec

l'essence même de Dieu,Geno.

[5] Le premier et le dernier nœud appartiennent à Dieu, invoqué ici sous le nom de Dundaari,

qui implique sa toute-puissance.

[6] Les sept qui suivent le premier appartiennent aux « sept soleils », c'est-à-dire aux « sept

mondes », image de l'infini de l'univers, qui sont l'émanation directe de Dundaari. Ils n'ont

point de noms. De même les sept avant-derniers appartiennent à la « nuit (et à la lune) des

sept mondes » cités plus haut, et relèvent de la même interprétation.

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[7] En revanche, à partir du neuvième, les suivants peuvent être énumérés par leur nom. Ils

sont au nombre de douze et Sile se présente à eux. Il veut les épouser : le mariage avec une

serve fait de la femme l'esclave de son mari, à l'inverse une femme noble ne travaille pas

directement pour lui — c'est-à-dire que l'égalité régnera : Sile suivra les « nœuds » et les «

nœuds » le suivront. Les dons auxquels il est fait allusion sont ceux de l'initiation ; « sans

arrêt et amoindrissement » signifie que le don sera égal à lui-même dans le temps, renouvelé

identique à lui-même.

[8] Les douze « nœuds » sont les laareeji qui correspondent aux douze mois de l'année. Le

premier nœud est le premier, jalaañ, qui correspond au mois dulootoori. L'objet rituel

représentant jalaañ est fait de dix-huit cordelettes nouées de place en place de cent vingt-

deux nœuds : dix-sept d'entre elles sont faites de fibres végétales diverses, et comportent

chacune sept nœuds, la dix-huitième est faite d'un tendon humain, prélevé le troisième jour

après l'enterrement d'un cadavre et comporte trois nœuds. Cette représentation du laare le

plus important est de préférence placée isolément dans une hutte de paille ; s'il doit être placé

dans une demeure en pisé, il est entièrement enveloppé de paille ou d'herbe ;jalaañ est le

patron des pâturages et ne doit pas être en contact avec la terre, mais avec les végétaux.

dembanyaasoru signifie : « deuxième fils cagneux. »

[1] Kumen vint au-devant de Sile et l'escorta jusque sous l'arbre. Il lui enseigna pendant des

jours et des jours les formules du ngaynirki. Après quoi, Foroforondu vint vers Sile : elle lui

présenta une corde ayant vingt-huit nœuds espacés et dit : « Puisque tu désires connaître le

nom secret du bœuf sacré, dis-moi quels sont parmi les nœuds de cette corde, les nœuds vides,

les mystérieux et les chargés, et quel est le nom de ces derniers. »

[2] Kumen dit : « Jam ! c'est la paix, ndiyam, c'est l'eau, et l'eau est le don précieux de

Dundari. C'est l'offrande préliminaire. Avant de postuler, ô ! postulant, sers au chef de l'eau à

boire et du « lait à manger ». Avant de consulter l'oracle, ô consultant ! sers à boire aux

esprits. Avant de questionner, ô Foroforondu ! sers à boire à Sile qui a chevauché le boeuf

sacré. Celui-ci chemin faisant a mugi et articulé :

[3] bujaan ! aabjuni ! jaabun junbaa bunjaa juban»

En effet, Sile se souvint qu'au moment où il se trouvait sur le dos du bœuf, celui-ci, tout en

marchant, gémissait les sons ci-dessus.

Foroforondu poussa un cri spécial et immédiatement le bovidé hermaphrodite bondit vers elle.

Elle dit : « Bovidé de Morimawɗo, monte ton urine et ton sang, descends ton lait et ton

beurre. » Ceci dit, elle alla derrière le bovidé hermaphrodite qui se laissait faire. Elle lui

souleva la queue et souffla fortement dans son unique exutoire : vulve-anus. Elle trait le bovin

miraculeux qui ne met jamais bas, mais donne du lait.

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[4] Sile but à grands traits ce lait merveilleux. Ainsi désaltéré par le lait-connaissance suprême

des choses pastorales, Sile se saisit de la corde nouée et dit : « Maintenant que j'ai bu le lait

après avoir mangé les jujubes, je suis consacré. Aucun nœud ne me sera énigmatique, aucune

émanation ne sera dangereuse pour moi. Je saurai tout, et spontanément, comme le nouveau-

né sait téter au premier mouvement des lèvres.

[5] Je demande pardon à Dundari. Le premier nœud lui appartient, nul ne pourra le connaître

en entier avant la mort. Le dernier nœud lui appartient. C'est le dernier mot de tout. Ces deux

nœuds sont l'énigme de la douzième clairière ; ils sont à Dundari.

[6] Ces nœuds mis de côté et exclus du compte, j'offre les sept suivants aux sept soleils qui

m'ont éclairé jusqu'ici. Ces enlacements sont noués à vide, c'est-à-dire sans le souffle d'aucune

parole vertueuse. Ils sont donc les vides. Les sept avant-derniers, je les voue aux esprits des

nuits. Ils ne contiennent rien. Ils sont vides et sans souffle.

[7] Quant aux douze médians, je me présente à eux, et je les présente à moi-même : je suis, ô

nœuds ! Sile Yugo. Je vais me fiancer à vous selon les usages serfs, mais je vous épouserai

selon le cérémonial de la noblesse. A ceux qui demeureront avec moi et qui seront pour moi,

je donnerai trois fois dix coudées de bandes fines et blanches, sans arrêt et sans

amoindrissement ; un coq de dix ans sans arrêt et sans amoindrissement. Ces dons seront les

constantes offrandes propitiatoires.

[8] Ces nœuds sont :

le premier des douze médians ou neuvième de la chaîne entière, contient le secret de jalaañ.

C'est lui qui chez les hommes se manifeste sous forme d'un dieu hermaphrodite, toujours

rassasié de breuvage sanglant. Solitaire dans une hutte de paille, il est doué de dix-huit

organes de transmission agissant sous l'action combinée de cent vingt-deux nœuds magiques.

Il s'appelle jalaañ. »

Foroforondu dit : « Bien répondu. Tu connais le premier des douze et le neuvième des vingt-

huit enlacements secrets. Mais quels sont les trois autres noms avec lesquels on

confond jalaañ ? »

— Ce sont : maysa, silinte, denbanyaasooru.

— Connais-tu l'invocation à jalaañ ?

— Oui.

— Réserve-la pour la lutte suprême.

— Bon. »

Foroforondu dit : « Salut à Sile qui a vu la lumière des soleils. Voici, tiens mon sein droit,

tète-le, ne crains rien. Tu es mon fils, tu es l'ami de mon époux. »

Sile dit : « Je préfère la langue de Foroforondu. C'est d'elle que coule un lait doux et agréable

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à boire et non de son sein. »

— Tiens, Sile, suce ma langue. » Sile suça la langue de Foroforondu et celle de Kumen (tour à

tour).

Foroforondu : « Sile ! qu'est-ce que ceci ? »

Douzième Clairière — Le dénouement des noeuds (suite)

[1] Le second laare, sambalaasoru, est révélé par Sile, après qu'il a reçu la salive et la parole

de Foroforondu.

[2] Lorsqu'on veut dominer quelqu'un ou s'en faire aimer, il faut posséder ses cheveux ou les

rognures de ses ongles. C'est pourquoi un Pullo ne laisse jamais débris d'ongles ou cheveux

coupés à la portée de qui que ce soit.

[3] Le troisième laare est muse, fils de jalaañ.

[4] Après les trois premiers nœuds, Sile demande le fouet à lait, sirgal. Il sollicitera d'abord

de Foroforondu les objets ayant trait au lait, car elle en est la « patronne » et a tout pouvoir

sur lui. D'autre part, le lait, aboutissement des travaux du pastorat, est le plus grand bien

qu'un Pullo puisse retirer de ses troupeaux.

[1] — Ceci, c'est le second des douze et le dixième des vingt-huit enlacements. Il contient les

intrigues de sambalaseeru. Il se manifeste aux fils d'Adam comme un dieu sans nectar,

toujours coléreux et prêt à abattre, à noyer et à enterrer.

Foroforondu dit :

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du second des douze et dixième des vingt-huit

enlacements. Voici, tiens mon sein gauche, tète-le.

[2] — Je préfère une mèche de cheveux de Foroforondu. Ces cheveux sont un porte-bonheur

pour le berger.

— Tiens, Sile, voici une mèche de mes cheveux.

Sile prit la mèche, mais il suça aussi la langue de Kumen qui venait de la lui mettre dans la

bouche.

Foroforondu dit :

— Sile ! qu'est-ce que ceci ?

[3] — Ceci est le troisième des douze et le onzième des vingt-huit enlacements. Il contient les

mic-mac de muse, connu des fils d'Adam comme deuxième enfant de jalaañ et tantôt comme

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son frère. C'est un dieu intercepteur. Il étouffe les tracassiers, met une muselière aux

indiscrets et aux bavards.

Foroforondu dit :

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du troisième des douze et du onzième des

vingt-huit enlacements. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder.

— Je demande à Foroforondu un fouet à lait (sirgal).

[4] Foroforondu donna le sirgal et continua ses questions :

— Sile ! qu'est-ce que ceci ?

— Ceci est le quatrième des douze et le douzième des vingt-huit enlacements. Il contient le

mystère de siti kon, ditsamba, considéré par les fils d'Adam comme troisième fils de jalaañ ou

simplement son frère ; siti kon est un dieu qui se désaltère du sang de crapaud et exige une

fumigation. Dans les cas graves, c'est dans un puits qu'il faut le consulter, en récitant avec

l'intonation prescrite les mots magiques :takko takko ! takko nyaar nyaar! »

Foroforondu dit :

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du quatrième des douze et du douzième des

vingt-huit enlacements. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder.

Douzième Clairière — Le dénouement des noeuds (suite)

[1] Après le quatrième, il reçoit le ɓirdugal, récipient en bois ou en calebasse dans lequel on

trait le lait.

[2] Après le cinquième, Sile demande la corde à attacher les veaux, danngol.

[3] Kumbasaara est un laare associé à la résurrection. Sa « naissance » est en relation avec

le sacrifice effectué pour un défunt le troisième jour après sa mort et qui consacre la

séparation du corps et de l'âme immortelle. Quatre sacrifices sont exécutés pour chaque

défunt, le premier, exécuté après le décès et avant l'enterrement, concerne le cadavre ; le

second, mentionné ci-dessus, et le troisième effectué le septième jour, consacrent la

séparation définitive de l'âme et du corps ; le quatrième, exécuté le quarantième jour, libère

cette âme de sa dette et de ses liens avec le monde terrestre ; à partir de ce moment elle peut

inspirer les vivants et communiquer avec eux.

Les Fulɓe se frottent les mains et les pieds avec la mue d'un serpent, laquelle protège des

morsures des reptiles et des attaques des esprits.

49

[4] Après le dénouement du sixième nœud, Sile demande lemaagol, ceinture spéciale des

bergers.

[5] ndett, laare nocturne et chtonien, est le patron des bergers qui sont chargés de faire paître

le troupeau la nuit, après la traite du soir, pour le ramener au premier chant du coq. Ces

pasteurs reçoivent une initiation particulière concernant l'astronomie, car ils dirigent le

troupeau en fonction de la position des étoiles. Le caméléon symbolise d'une part la prudence

: il avance lentement les pattes l'une après l'autre, comme pour s'assurer de son terrain.

D'autre part, la détermination : car ses yeux mobiles observent ce qui se passe sans qu'il

tourne la tête, c'est-à-dire sans qu'il change de direction ou de ligne de conduite. Ses

variations de couleurs ont un sens favorable, car il met les autres à l'aise en s'adaptant à eux

; un sens défavorable, car il témoigne aussi d'une certaine hypocrisie. Certaines parties du

corps du caméléon sont utilisées dans la confection de philtres qui donnent du courage.

[1] — Je demande un ɓirdugal. Foroforondu continua ses questions par : « Sile, qu'est-ce que

ceci ? »

— Ceci est le cinquième des douze et le treizième des vingt-huit enlacements. Il contient le

secret de pellel connu chez les fils d'Adam comme un dieu sans nectar, habillé de blanc, tantôt

frère de jalaañ, tantôt son fils, mais de toutes manières venant après siti kon. Ce dieu est

chargé d'une foudre occulte qui, dirigée sur un homme, pulvérise son âme et réduit ses os en

poussière. Flatté par : jatikon, matikon, jati matikon mawikon, quand pellel noue, personne ne

peut dénouer. »

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du cinquième des douze et treizième des vingt-

huit enlacements. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. »

[2] Sile demanda un danngol.

Foroforondu donna le danngol et continua par : « Sile, qu'est-ce que ceci ? »

[3] Sile : « Ceci, c'est le sixième des douze et le quatorzième des vingt-huit enlacements. Il

contient le secret des maniements de kumbasaara, laare féminin qui naît dans un cimetière

après trois jours de travail de l'accouchement. Sœur de jalaañ, tantôt considérée comme sa

fille, puînée depellel, kumbasaara est vêtue d'un fourreau abandonné par un serpent lors d'une

mue. »

Foroforondu lui dit : « Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du sixième des douze et

quatorzième des vingt-huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. »

[4] Sile lui demanda un maagol. Foroforondu lui donna unmaagol de trois cent soixante

coudées et continua ses questions par : « Sile, qu'est-ce que ceci ? »

[5] — Ceci, c'est le septième des douze et le quinzième des vingt-huit enlacements. Il contient

le mystère du laareconsidéré par les fils d'Adam comme cadet des enfants dejalaañ. Il préside

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les nuits des printemps et paît les étoiles dans l'espace. Il ne voit jamais le soleil sous peine de

communiquer son feu à la terre qui s'enflammerait. Ses esprits résident dans les eaux ou dans

les airs, mais jamais directement sur la terre. Il se désaltère du sang qu'on tire d'un caméléon

en lui coupant la queue. Il est flatté par :

kuy-kuy mbeelu, kay-kay mbeelu

kuy doote jay doote.

Ce laare a nom ndett ou nden. »

Foroforondu : « Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du septième des douze et du

quinzième des vingt-huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. »

Douzième Clairière — Le dénouement des noeuds (suite)

[1] Après le septième nœud, Sile demande le raɗode ouraɗul, ou encore daɗol, cordelette qui

sert à attacher les veaux par le cou à la patte-avant de leur mère pendant la traite.

[2] Les douze laareeji, associés aux douze mois de l'année, sont également en rapport avec le

soleil et la lune. Sept d'entre eux siègent dans le halo du soleil, batu naange ; ils représentent

la masculinité, car selon la tradition pullo il est souhaitable que chaque homme ait sept fils.

Cinq siègent dans le halo de la lune, batu lewru, et y représentent la féminité, chaque homme

devant avoir cinq filles. Les douze descendants représentent la complétude, à savoir les trois

catégories de pasteurs (des caprins, ovins, bovins) dans chacune des quatre familles.

Les réunions dites batu naange, halo du soleil, se tiennent dans une agglomération Pour ce

qui concerne la nomination ou la gestion des chefs, et toutes les questions masculines. Les

réunions dites batu lewru ont lieu pour les questions intéressent les femmes.

[3] Après le dénouement du huitième nœud, Sile demande le premier bâton du pâtre, 'aynirdu.

Après le neuvième il reçoit la bague de Foroforondu : cette bague est en argent, car on dit de

l'argent qu'il est « le métal du lait » ; elle est toujours portée à l'annulaire gauche.

[4] Le laare makaajan dispose des connaissances relatives à l'extraction du fer et aux hauts

fourneaux. Mais ces connaissances sont basées sur l'extraction de l'or : les orpailleurs

reçoivent l'enseignement des forgerons initiés. Ceux-ci doivent connaître les onze sortes de

matières minérales (terres, cristaux, métaux) et leur offrir des sacrifices ; l'or étant la

onzième et la plus importante.

[1] Sile demanda un raɗoode. Foroforondu le lui donna et continua ses questions par : « Sile !

qu'est-ce que ceci ? »

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[2] Sile : « C'est le huitième des douze et le seizième des vingt-huit enlacements. Il contient le

secret de maysa qui tient ses attributs de jalaañ. C'est un laare de seconde puissance. Il siège

au centre de l'assemblée dite « second halo », batu lewru. Il a pour accompagnateur nduppa. »

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du huitième des douze et seizième des vingt-

huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. » Sile demanda un bâton de pâtre,aynirdu.

Foroforondu donna un bâton en kelli et continua les questions par : « Sile, qu'est-ce que ceci ?

»

Sile répondit: « Ceci, c'est le neuvième des douze et le dix-septième des vingt-huit

enlacements. Il contient le secret desiilinte, parent de maysa, tenant au même titre que celui-ci

ses attributs de jalaañ dont il est une émanation. Il est du second halo. Il a pour

courtisan bona-jayte. »

[3] Foroforondu : « Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du neuvième des douze et du

dix-septième des vingt-huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. » Sile demanda une

bague de Foroforondu. Elle lui donna l'anneau et continua ses questions par: « Sile, qu'est-ce

que ceci ? »

— Ceci est le dixième des douze et le dix-huitième des vingt-huit enlacements. Il renferme le

secret dedembanyaasooru, parent de jalaañ, considéré comme son émanation. Il est du second

halo et a pour courtisan dubbel. »

— Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du dixième des douze et du dix-huitième des

vingt-huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. » Sile demanda une provision de graines

de semences de calebassier. Foroforondu les lui donna et continua ses questions par : « Sile,

qu'est-ce que ceci ? »

[4] — Ceci est le onzième des douze et le dix-neuvième des vingt-huit enlacements. Il

renferme le secret de makanja, laare qui rend invulnérable parce qu'il commande le fer.

Douzième Clairière — Le dénouement des noeuds (fin)

[1] Après le onzième nœud, Sile demande le second bâton de pâtre.

[2] Le charme des charmes pastoraux, fait d'un nœud aux vingt-deux enlacements, est en

relation avec « les vingt-deux bovidés ancestraux » nogay e ɗiɗi na'i mawɗi, sortis de la mer

avec Caanaba, et qui ont engendré tous les autres. Chacun d'eux a une propriété particulière

en relation avec les familles Fulɓe, le pastorat et l'initiation.

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Le mugissement du bœuf, buu, est répété deux lois, ces deux temps soulignent le va-et-vient de

la transhumance. Le bœuf mugit au jeeri comme au waalo.

[3] Après le douzième nœud, Sile possède tous les attributs pastoraux énumérés plus haut ; il

reçoit alors tous les pouvoirs.

[4] La lutte que devra poursuivre Sile, armé maintenant, mais seul, se mènera entre « la haute

brousse » jeeri et « le bord du fleuve » waalo, c'est-à-dire sur le trajet de la transhumance.

Le lion symbolise tout d'abord la force temporelle avec tout ce qu'elle comporte de grandeur

et de rigueur, mais également la force occulte, car il est considéré comme le « chat des génies

». Sile doit vaincre le lion et l'asservir à sa volonté : en faisant couler son sang, véhicule de

sa force, il la prendra pour affermir la sienne. Il exercera, dans cette lutte ultime, qui est une

épreuve, sa force d'initié contre une autre force. Ceci fait que Sile est prêt.

[1] — Salut à celui qui vient de dénouer l'énigme du onzième des douze et du dix-neuvième

des vingt-huit. Que Sile choisisse ce qu'il veut posséder. » Sile demanda un second bâton de

pâtre. Foroforondu lui en donna un en bois denelɓi et continua ses questions par : « Sile,

qu'est-ce que ceci ? »

Sile s'accroupit et dit : « Il ne m'appartient pas, ô femme de Kumen, déesse de la terre et des

mammifères, de violer le secret de ton père Morimawɗo. »

[2] Foroforondu sourit et dit : « Sile, ceci est le douzième des douze et le vingtième des vingt-

huit enlacements. C'est un nœud qui en contient un autre de vingt-deux enlacements. C'est le

charme des charmes pastoraux. Il a nom buubu, prénom pullo spécifique. Le bœuf le beugle

en deux temps : buu… bu… Pour récompenser ta discrétion, je te donne la propriété absolue

de ndett, je te donne le pouvoir sur les esprits de sous la terre. »

[3] Ainsi, Sile reçut tout pouvoir de Kumen et de sa femme Foroforondu.

Il possède l'anneau d'alliance et les deux bâtons de commandement pastoral. Il ne lui reste

plus qu'à prendre congé de ses initiateurs et à revenir aux pays des hommes.

[4] Kumen dit à Sile : « Je vais te ramener à la lisière de mes domaines et t'y abandonner à tes

propres forces. Tu n'auras plus qu'une lutte à mener contre le lion d'entre jeeri etwaalo. Il

porte entre les sourcils une touffe de poils. Tu le tueras. Pour cela, il te suffira de réciter

l'incantation à jalaañet de le frapper sur le nez. Il perdra connaissance et sera à ta merci. Tu

l'égorgeras. Tu le brûleras tout entier après avoir arraché la touffe. Celle-ci sera cousue dans

une bande de coton. Ce talisman mis sous la tête d'un dormeur, quel qu'il soit, provoquera un

rêve au cours duquel le vrai nom de la vache sera donné par un esprit des eaux, pasteur de

bovidés marins. ».

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Douzième Clairière — La lutte finale : invocation à Jalaañ

Kumen, après avoir prononcé ces paroles, disparut aux yeux de Sile qui se trouva à l'endroit

où il l'avait vu pour la première fois.

« Me voici revenu parmi vous, ô mes frères, fils de ma mère ! Je suis revenu de chez Kumen,

qui m'ouvrit les douze clairières. J'ai vu Foroforondu qui ne se montre qu'à celui qui aime et

protège le bœuf. J'ai pénétré dans l'étang. Je m'y suis rituellement baigné. J'ai tourné autour

des termitières et foulé le sol des fourmilières. Je me suis reposé sous l'arbre multiforme,

après avoir chevauché le bovidé hermaphrodite dont l'urine est un purgatif, le lait un aliment

complet et une boisson agréable. Je suis voyant pour avoir aperçu Foroforondu dénouer sa

coiffure et exposer sa poitrine au bovidé sacré. Le mari et la femme m'ont donné, sans que je

le leur aie demandé, la propriété de ndett. Cette attribution m'affranchit de toute dépendance

extérieure; je n'ai plus de juge que ma conscience qui ne me quitte jamais, même quand je

ferme les yeux durant mon sommeil. »

[1] Le mot gumbaw peut désigner « une serrure en forme de sauterelle » qui ne s'ouvre

qu'avec la récitation d'une litanie constituant la « clef ».

[2] L'amulette est une allusion à la touffe de poils dont Sile doit s'emparer.

[3] L'incantation débute par une invocation à Dieu, Doundari, gayobeele (de gayo « c'est ici

», beele «mares ») désigne la Gambie.

Sile n'avait pas fini d'articuler ces paroles quand il entendit un chant :

La lutte que devra poursuivre Sile, armé maintenant, mais seul, se mènera entre « la haute

brousse » jeeri et « le bord du fleuve » waalo, c'est-à-dire sur le trajet de la transhumance.

Le lion symbolise tout d'abord la force temporelle avec tout ce qu'elle comporte de grandeur

et de rigueur, mais également la force occulte, car il est considéré comme le « chat des génies

». Sile doit vaincre le lion et l'asservir à sa volonté : en faisant couler son sang, véhicule de

sa force, il la prendra pour affermir la sienne. Il exercera, dans cette lutte ultime, qui est une

épreuve, sa force d'initié contre une autre force. Ceci fait que Sile est prêt.

[1] • gumbaw! miɗo iwri jeeri gumbaw ! je viens des hautes brousses

• gumbaw! miɗo faati waalo je me dirige vers la vallée

• gumbaw! mo talkel hôre gumbaw ! je porte une amulette sur la tête

• gumbaw! jam jaɓɓam gumbaw ! puisse la paix venir à ma rencontre.

Sile se met à l'affût. Ce doit être le lion contre lequel il lui faut combattre.

Le lion poursuivit sa litanie, car c'était bien le lion qui chantait :

« Ma marche est noble ; je suis dans la forêt un roi sans rival. Ma voix précède mes pas. Elle

dénonce ma présence. Quand elle tombe au milieu des mammifères, ils dressent leurs oreilles.

Kumen et son épouse ont armé un ennemi. Ils lui ont ordonné de me tuer. Mais je ne crains

54

rien ; la force règne dans mes membres antérieurs et l'agilité dans les postérieurs. Quand je

saute, j'atteins la taille de mon ennemi et je le griffe à mort. Je ne succombe jamais dans une

lutte. A celui que je terrasse, je casse le cou ou la clavicule, sinon la colonne vertébrale. »

[2] Sile répondit : « gumbaw, tu viens des hautes brousses ; gumbaw, tu te diriges vers la

vallée ; tu portes au sommet du crâne une amulette recherchée ; la mort seule ira à ta

rencontre.

Je suis Sile armé de kelli, Sile armé de nelɓi. J'attaque avec vigueur, je bats avec vivacité. Si

tu sautes, je me fais oiseau. Contre des griffes, j'ai une lame de fer trempé et contre des dents,

une masse éprouvée. Je peux provoquer contre toute force une inertie magique, contre toute

agilité, un sommeil irrésistible. »

Le lion leva la tête et ne parvint pas à voir Sile. Il rugit de colère, cassa des branches, courut à

droite courut à gauche. Il répéta sa chanson. Sile répliqua par la sienne. Le lion plus affolé

qu'auparavant, se dépensa en mouvements épuisants. Après plusieurs scènes identiques, le

lion épuisé se coucha sous un buisson.

Au moment où il allait sauter sur Sile qui venait de lui apparaître, il reçut un coup donné avec

le bâton en kelli. Il tomba évanoui, non pas sous la simple force du coup, mais bien par l'effet

de la force de l'incantation adressée à jalaañ :

[3] « Je me soumets à Dundari qui est le créateur des secrets et de la nature. Je me soumets à

Sambanji, initié par Dultakko ; Dultakko initié par Dembateko ; Dembateko initié par

Dembanaago ; Dembanaago initié par Kogoldi ; Kogoldi par Jafaldi; Jafaldi par Dikore

Jaawo. Celle-ci est la gardienne vigilante du grand cours d'eau gayobeele d'où provient le

principe féminin et de la « mare aux pintades »,beelel jawle, où fut dérobé le principe

masculin. Les deux furent unis pour la procréation de ndurbeele, le bovidé hermaphrodite,

source de richesse pour les justes et joie des Fulbe.

« Logé dans un tube en fer « secret des eaux », tu causas ravage autour de toi ; logé dans une

corne de boeuf, tu écourtas les jours et la lignée des parents de ton sacrificateur ; logé dans un

paquet de racines, tes éléments furent, lors, domptés sinon apaisés et l'on vit le principe du

bien émanant de tes dix-huit bras sous l'action combinée de leurs cent vingt-deux nœuds

magiques.

Douzième Clairière — La lutte finale : invocation à Jalaañ (suite)

[1] Sur les cordelettes et le tendon qui constituent une représentation de jalaañ,

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[2] heera signifie « paix » en bambara.

[3] Il s'agit de la cohabitation de l'initié avec jalaañ, premier des laareji.

[4] L'invocation : « Je ne veux te voir ni de jour, ni de nuit… » s adresse à l'ennemi, ici au

lion.

« Une petite bouche couverte, de beurre » signifie « faussement aimable », « trompeuse ».

[1] « Maître ayant la faculté d'agir par dix-sept cordelettes de mouvement ayant chacune sept

nœuds et un tendon humain, dix-huitième organe et outil de commande, noué en trois points.

Quand je presserai sur le nœud droit du tendon, ouvre le lieu où est enroulé le passé et que le

cadavre dans la tombe me révèle le révolu. Quand je presserai sur le nœud gauche du tendon,

ouvre le lieu où est enroulé le futur et que celui qui va naître me prédise l'avenir. Mais quand

je presserai sur le nœud médian, ô d'alde ! entre en moi et moi en toi : que le voile tombe, que

l'obscurité se dissipe, que je voie les formes, que j'entende les sons et que je discerne la

parole.

[2] « Voici que, dans le village, un cri perce et s'étend. C'est un appel au secours. Le bien me

commande d'y aller. En sacrificateur, je vais chasser le mal par des paroles propitiatoires.

Voici du son, voici de la cendre ; je les ai pétris ensemble et je m'en servirai pour enduire le

corps du sujet. Agrée mon invocation : héra c'est la paix, la souveraine c'est l'eau. Avant de

postuler, donne de l'eau au souverain. J'ai demandé jalaañ en mariage selon les usages serfs ;

mais je l'ai épousé selon le cérémonial de la noblesse.

[3] « Tant que la cohabitation durera, trois fois dix coudées de bandes fines de coton, sans

empêchement et sans amoindrissement, un coq blanc de dix ans, sans empêchement et sans

amoindrissement, un taurillon de trois ans, sans empêchement et sans amoindrissement, seront

l'offrande constante du serviteur dévoué et mari prévenant que je suis. »

« Par contre, toute personne procréée de la substance produite par l'organe génital, laquelle

substance partit un soir des reins du mâle, s'arrêta la nuit venue dans la matrice, y séjourna

neuf mois, naquit, toucha la terre, fut touchée du savoir et enveloppée dans un lange fait de

trois bandes de coton et qui dira :

[4] « Je ne veux pas te voir ni de jour ni de nuit ; l'ennemi qui s'en va médisant, traînant des

complots contre toi, te faisant de fausses promesses, se servant contre toi d'une petite bouche

couverte de beurre au service d'un coeur gros de jalousie et ardent de feu, montrant des dents

blanches enchâssées dans des cavités où dégoutte du sang, ôte-le, ôjalaañ, parmi ceux qui

sont sur pied et mets-le parmi ceux qui sont couchés.

« A cet effet, je t'invoque dans le blanc en vertu de la formule héra c'est la paix. La souveraine

c'est l'eau. Avant de postuler, donne de l'eau au souverain. Seigneur, c'est agenouillé que je te

sers à boire. Seigneur, bois ; boire, c'est introduire en soi la vie ! la vie ! la vie !

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Douzième Clairière — La lutte finale : invocation à Jalaañ (suite)

[1] Cette partie de l'incantation a pour but d'anéantir la santé et la force dit lion : elle est

récitée à la nouvelle lune.

Le ɗoko est obtenu en écrasant le fruit du ɗooki.

[2] kesen désigne l'état d'un corps apparemment sain, mais soumis momentanément à un

mauvais sort qui l'atteint dans son intégrité.

cercer désigne l'état d'un être en bonne santé, mais en rupture d'interdit, donc souillé. Une

femme en état de menstruation dit : « Aujourd'hui, je ne suis pas cercer », mi waana cercer.

[3] Le roi est celui qui promulgue les lois, qui interdit certaines choses, qui donne des ordres.

Interdire, agir, provoquer, promulguer, ordonner, tout est sous-entendu, dans cette

invocation.

[4] yen ten ten est le nom secret du lion.

wole wote désigne non l'aïeul, mais le génie qui accompagne le lion.

[1] « Quand j'invoque pour jeter le mauvais sort, je me mets dans du noir sans lune ;

l'ancienne a disparu, la nouvelle n'a pas apparu. Je dis alors : « Teins les yeux de l'ennemi et

qu'ils jaunissent tel du ɗooko écrasé à coups de pilon et fondu dans une dissolution de souffre

; enfonce-le, en frappant des coups endiablés ; décoche sur lui des épieux destructeurs qui ne

s'émoussent sur aucun corps et ne respectent aucune surface ; des épieux qui, une fois

introduits dans un corps, rendent la position inclinée douloureuse, la position verticale

douloureuse, la position couchée douloureuse et font que le sujet se trouve en tout et partout

dans la douleur, pour la douleur et par la douleur.

« S'il absorbe de l'eau, qu'elle se transforme en cause d'altération pour la santé ; s'il boit du

lait, qu'il devienne une cause d'altération pour la santé. Que ce qui se mange, se mâche, se

croque, se lape, une fois dans son estomac, devienne une cause d'altération pour la santé, en

vertu des mots comptés, chargés, combinés et à répéter constamment :

tugu muuse

sugu muuse

yaa say bankun

kesen yaakabeeri

ya kenden yaakabeeri.

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[2] « Kesen n'est pas la santé ; cercer n'est pas être sans souillure.

Il n'y a pas à chuchoter

Il n'y a pas à tergiverser

Le souverain n'a pas à hésiter

Le monarque n'a pas à dissimuler

Le roi est celui qui défend.

[3] « Le roi est par ailleurs celui qui met tout en contact, même si le soleil brille d'un grand

éclat au point du ciel où il se trouve au-dessus de la tête.

« Renonce à agir par complaisance, car ce n'est pas toujours un agir équitable ; renonce à agir

par prévention, car ce n'est pas toujours un agir équitable. Mais le bel agir, c'est celui qui est

inspiré par la vérité et la moralité.

[4]« Si le sujet est un malfaiteur égoïste digne de châtiment, lors saisis-le dru, étouffe-le dur,

tue-le net, en le tuant par les forces : duufun bafaali; fintun bafaali; wulo kono siibo. Réunies

dans le plus puissant des quadrupèdes carnassiers :yen ten ten, qui en entrant fait pajaj, et en

s'enfonçant faitsaybankun. Il fait le tout à la manière de son grand-pèrewole wote. Ce dernier,

sommé de comparaître en justice, ôta la vie d'une manière violente à celui qui l'assignait.

Défendeur, il tua le demandeur, et demandeur il tua le défendeur.

[5] « De même son aïeul wole wote, sommé de comparaître en justice, causa la mort de celui

qui l'assigna. Défendeur il tua le demandeur, et demandeur, il tua le défendeur. Wole wote !

vieux fascinateur, vieux noueur, vieux traceur de l'illisible kulikunte kumpa doolente tambon,

biti kaama, kamanaa kaana. Samba Sankalanka! deuxième né (chez les Fulɓe) qui donne

avec prodigalité.

Douzième Clairière — La lutte finale : invocation à Jalaañ (suite)

[1] kamanan kaana pourrait être rapproché de l'arabe kaman kaana qui signifie « comme

cela est ». beldunla est le nom secret de la hyène.

[2] La liste des « esprits » invoqués donne les noms des principaux silatigi instructeurs du

Fuuta.

Les noms propres cités dans l'incantation et qui se terminent par jaw, seraient ceux de

personnages appartenant à la famille des Jaw ou Jawɓe, qui vivent au Fuuta.

lundan, en khasonkhe signifie « étranger ».

jigi en bambara signifie « bélier, espoir, hospitalité, accoucher », enfin l'impératif « descend

58

».

kefa en bambara, signifie « l'homme qui tue ».

silam en arabe, signifie « sabre ».

Les Fulɓe distinguent trois sortes d'armes blanches, la première à deux tranchants (épée)

kafa ɗemɗe ɗiɗi (litt. « à deux langues »), la seconde à un seul tranchant (sabre) kaafa

ɗemgal (litt. « à une seule langue ») et la troisième fine et pointue (dague) nepe.

[3] Une chanson, chantée par les circoncis pendant la retraite, fait partie des incantations de

Kumen lorsqu'il s'adresse aux bovidés : « O bœufs blancs, traversant les eaux, regagnant le

parc, pour laver le chef du grand village ». (eerel yo ɗi lumba ɗi ndaaɗo, jom wuro mango ɗi

loota ɓiraadam). On dit aussi : « Une pluie fine a plu comme pleut le lait qu'on trait » (miso

misi misugol ɓiraaɗam).

[1] « Dembanyassoru! hyène à la crinière rude, troisième née de beldunla qui déterre les

cadavres et se nourrit de leur chair.

mayseyaa! ilooyaa! fariyaa!

tamboyaa! siti wutulaa!

dambo wutula! keleke mayse

Chef de guerre!

yakunta! yaala dabaare

[2] « O esprits ete ete, enthousiasme et chaleur.

« O esprits neenye neenye, deuil et tristesse.

« O lundenjaw, grand danger : trou profond creusé dans le sol théâtre d'un fait terrifiant et

pitoyable qui se passe entre deux esprits importants.

« O gumbalaajaw ! grand danger : quantité considérable de liquide régulateur de la cadence

des mouvements.

« O jigijaw! grand danger : tube métallique monté sur un fût, histoire des héros.

« O kefajaw! massacreur, grand danger, long bâton garni de fer pour décrocher les astres.

« O jamberejaw! grand danger : instrument métallique à fendre et à couper ou à exciter le rire.

« O silamejaw! grand danger : épée tranchante d'un côté, dénouement des incidents

remarquables.

« O daahaja! grand danger : bâton de vieillard et marque de grande dignité, combinaison

agréable de sons.

« En ce, par ce, pour ce et avec ce que je dis de ma soumission à Dundari et cite de la chaîne

dont je suis un chaînon, venez, ô esprits ! du 13 au 21 inclus de chaque lunaison. Commandez

à vos sujets qu'ils fassent voir à mes yeux, sans me troubler, sans me tracasser, sans me

troubler, des choses qui sont cachées.

59

« Salut à jom jam, « maître de la paix » qui vient doucementjam jam; jam, c'est la paix, jom

jam, celui qui la procure. »

Cette litanie récitée et crachée sur le bâton qui servit à Sile fut la cause réelle de

l'évanouissement du lion. Sile lui trancha la gorge, il lui arracha la touffe de poils située entre

les yeux. Il confectionna le talisman indiqué par Kumen.

[3] La nuit venue, il se coucha en mettant sous sa tête le talisman. Il vit en songe un vieux

berger qui sortit d'une vaste étendue d'eau, en faisant paître un troupeau composé uniquement

de bêtes blanches. Le vieux berger chantait : « Ohé ! bœufs blancs de tête, faites-leur traverser

les eaux et entrer dans le parc. Qu'ils donnent assez de lait pour laver le chef du « grand

village » (ou de la cité). »

Quand Sile vit ce berger, il alla vers lui. Le berger dit : « Je connais ton désir, toi qui viens

vers moi. Tu viens chercher le nom du bovidé sacré : l'hermaphrodite au pelage bigarré qui

paît tout seul dans la clairière où deux soleils éclairent au moyen de leurs sept rayons

combinés. Je te donnerai le nom, mais tu le garderas pour toi. Tu le souffleras dans l'oreille de

ton successeur en esprit, au moment où ton âme sera convoquée à la séance de la douzième

clairière où Dundari siège et décide des derniers sorts. »

Douzième Clairière — La lutte finale : invocation à Jalaañ (fin)

[1] Le vieux berger fait allusion à la retraite des pasteurs ou « sortie du parc», qui intervient

à soixante-trois ans . Il souffle alors dans l'oreille de Sile le nom du bovidé comme Sile le fera

lui-même avant sa propre retraite.

Une traduction, si proche du texte soit-elle, ne peut donner qu'une idée imparfaite d'un style.

Nous espérons cependant avoir transmis au lecteur, en même temps que le fond, la vigueur et

la poésie de la forme qui font du texte de Kumen un des éléments de valeur de la littérature

orale et de la culture pullo.

[1] Sile plaça son oreille contre la bouche du vieux berger. Celui-ci lui récita le nom en

murmurant. Sile ferma les oreilles et les yeux et prononça mentalement le nom devant le

troupeau, Tous les bœufs blancs le suivirent pendant que le vieux berger resté au bord de l'eau

lui faisait des signes avec ses mains en imitant les gestes de celui qui trait.

Quel est le nom secret du bovidé ?

Il a été prononcé une fois au cours de cette narration ; donc, profane des choses pastorales

qui n'a vu en la vache qu'une pourvoyeuse de chair et de lait, pour savoir son vrai nom, il faut

60

avoir évolué et appris à aimer le bovidé, animal désigné par Dieu, Dundari, pour

symboliser à la fois l'utilité et la miséricorde !

Conclusion

Les commentaires que nous avons pu apporter au texte de Kumen ne constituent qu'une très

minime partie des explications qui sont données aux futurs initiés et qui demandent des

années d'études.

Car l'initiation est connaissance 1 : connaissance de Dieu et des règles qu'il a instaurées ;

connaissance de soi, aussi, car elle se présente comme une éthique ; connaissance également

de tout ce qui n'est pas l'homme, « puisqu'il lui a été donné de connaître ce qui n'est pas lui ».

Et cette science doit atteindre l'universel, chacun de ses éléments et de ses aspects faisant

partie d'un tout ; les Fulɓe disent : « Tout ne se sait pas. Tout ce qu'on sait, c'est une partie de

tout » (kala 'andatako. ko 'anda kala, yo yoga kala) 2.

Actuellement, même dans les familles fulɓe du Djolof de la vallée du Sénégal, il n'y a plus de

vrai silatigi. Mais il se trouve encore, parmi les Fulɓe instruits de leurs traditions, comme

l'étaient Ardo Dembo, Semba Mboderi, Aliw Essa, des individus conscients de la science et

du pouvoir dont ils sont détenteurs et qu'ils dissimulent, selon leur expression, « dans les plis

des haillons dont ils sont affublés ». Ils ne craignent pas de «pointer l'index », c'est-à-dire de

lancer un défi, sur le plan de la connaissance, à quiconque, fût-ce un marabout instruit. Ou

bien, s'ils jugent leur interlocuteur incompétent, c'est-à-dire n'étant pas dans le statut physique,

moral, intellectuel et social nécessaire pour recevoir, comprendre et assimiler, de « fatiguer le

profane », de « mettre l'indigne dans la paille », « en clignant de l'œil gauche » et en lui

faisant un long récit qui ne contient aucune parcelle de vérité initiatique valable.

61

Planche A1 — Représentations diverses du serpent Caanaba

62

Planche A2. Caprins et ovins émergeant du bovidé sacré (Jabaren, 183). (Clichés H. Lhote)

La connaissance de la tradition pullo exige de recueillir textes et commentaires. Il faut

souhaiter que l'on poursuive et développe l'œuvre entreprise par des enquêtes systématiques,

pendant qu'il en est encore temps, au Sénégal et en Gambie, et que l'on étende ces recherches

au Fuuta-Jalon, au Soudan, en Haute-Volta (acuel Burkina Faso) 3, au Niger, au Nord

du Nigeria et du Cameroun, au Tchad. Il faut recueillir les légendes et les contes,

humoristiques ou merveilleux, dont le sens profond recèle l'enseignement traditionnel 4. Il

faut mener une enquête approfondie de la vie pastorale dans les rares groupes restés nomades,

notamment chez les Bororo. Il faut enfin étudier les initiations propres aux artisans, aux

castes, et qui diffèrent de l'initiation pastorale. Les travailleurs du bois, du cuir, les tisserands,

les forgerons reçoivent, comme les pasteurs, des instructions particulières, nécessaires à

63

l'exercice de leur art.

Une telle recherche permettra probablement d'apporter à l'érudition des lumières sur l'origine

et les migrations des Fulɓe. En effet, la connaissance du texte de Koumen a permis d'attribuer

sans aucun doute à des Fulɓe les fresques de l'époque bovidienne recueillies au Tassili par H.

Lhote et son équipe 5. Les scènes diverses qu'elles présentent, construites et répondant à un

objet précis, offrent toutes les caractéristiques des représentations liées aux conceptions

initiatiques traditionnelles. On y retrouve toutes les variétés de robes des bovidés, en

transhumance ou dans le parc 6, les instruments et autels du pastorat (kaggu, bâtons de berger,

cordes des veaux …), la traite du lait, le sacrifice du bœuf, etc. Les bonnets des personnages

sont identiques à ceux portés traditionnellement par les pasteurs. Dans des figures complexes

apparaît Caanaba, sous forme de serpent, accompagnant un bœuf stylisé, image du bovidé

hermaphrodite (pl. A, 1 et 2) : de son poitrail, émergent les têtes des animaux domestiques qui

sont, selon le mythe, issus de lui ; y apparaissent aussi deux bœufs superposés qui

représentent, dans la tradition, les jumeaux Caanaba et Ilo. Enfin, on retrouve la « clairière »

de l'initiation, figurée par un grand cercle, avec, au centre, le soleil et sur le pourtour des têtes

de bovidés et différentes phases de la lune (pl. B, 2). La datation de ces fresques constituera

un jalon sûr de l'histoire des Fulɓe dans le continent africain.

64

Planche B1. Les robes des bovidés ; le matériel du pastorat (piquets, cordes des veaux, bâtons

de berger) (Sefar, 497).

65

Planche B2. Le soleil au centre d'une « clairière » d'où émergent des têtes de bovidés ; les

phases de la lune (Tisoukaï). (Clichés H. Lhote.)

L'analyse du texte de Kumen et son étude philologique permettront probablement de dégager

les relations des Fulɓe avec la Méditerranée et l'Orient, ou de préciser les influences subies au

contact des peuples de l'antiquité classique, et dont témoignent, par exemple, les allusions à

Salomon. D'autre part, bien que l'initiation pullo soit axée sur des préoccupations

fondamentales différentes de celles d'autres peuples d'Afrique Occidentale — agriculteurs, ou

pêcheurs — elle n'en présente pas moins de grandes analogies de structure avec celles-ci 7.

Nous avons relevé quelques parallèles dans les commentaires qui précèdent ou qui suivent le

texte ; bien d'autres auraient pu être établis qui auraient nécessité de trop grands

développements pour trouver place dans le cadre de cette étude. Mais ces nombreux

66

rapprochements posent également la question des influences subies par les Fulɓe au contact

des peuples qu'ils ont trouvés sur place lors de leur arrivée dans cette région.

Nous souhaitons que ces études soient menées, conjointement avec celle des fresques

sahariennes, par des spécialistes et avec des Fulɓe instruits de leurs traditions initiatiques et

des règles du pastorat.

Notes

1. Dans le sens de ce que les Bambara nomment « connaissance profonde » (cf. G.

Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. xvii, n. 1) et lesDogon « parole claire » (cf. M.

Griaule, Le savoir des Dogon, p. 27).

2. Les mêmes caractéristiques sont valables pour l'initiation dans d'autres populations

soudanaises, notamment les Dogon, les Malinké, les Bambara, les Bozo. Elle implique non

seulement des notions approfondies d'anatomie, de physiologie, de psychologie —

individuelle et collective —, de morale — personnelle et sociale —, mais aussi des

connaissances étendues de botanique, de zoologie, de minéralogie, de géographie, etc. Les

enquêtes récentes ont révélé l'importance de l'astronomie (et des calendriers) et de notions

spécifiques sur les nombres.

3. A. Hampaté Bâ a assisté à Yé (cercle de Tougan) en 1929 aux funérailles du plus vieux

bœuf du troupeau. Après l'enterrement, la cérémonie s'est prolongée pendant plusieurs jours ;

elle s'est terminée par une veillée pendant laquelle un texte en langue fulfulde/pular,

inintelligible pour lui, a été récité.

4. G. Calame-Griaule a mené une enquête sur le sens ésotérique des contes chez les Dogon,

les Bambara et les Bozo : cette étude a révélé une complète identité entre les thèmes des

contes, où interviennent souvent des animaux, et ceux du mythe initiatique (cf. G. Calam-

Griaule, Ésotérisme et fabulation au Soudan).

5. H. Lhote avait formulé l'hypothèse de l'attribution des fresques d'époque bovidienne dans

sa thèse (inédite) : Les peintures rupestres préhistoriques du Sahara, au chapitre intitulé : «

Le problème ethnographique peul ; identité des pasteurs à bovidés préhistoriques et des Fulɓe

soudanais actuels ». Cf. également du même auteur : Les Peul.

6. Les fresques présentent des bovidés sans bosse, alors qu'actuellement le cheptel du Sénégal

et du Soudan est à bosse. Ce problème ne relève pas de nos compétences. Cependant nous

signalons que les Fulɓe instruits déclarent tous que leurs ancêtres avaient perdu leurs

troupeaux lorsqu'ils sont arrivés au Sénégal et qu'ils ont acquis un nouveau cheptel sur place.

D'autre part, les jouets modernes de terre cuite présentent des bovidés à bosse démesurément

grossie, tandis que les objets analogues recueillis dans la boucle du Niger et relevant de

l'époque préhistorique représentent des bovidés sans bosse. (Renseignements communiqués

par Z. Ligers et recueillis au cours d'enquêtes menées à bord du Mannogo, Vedette-

Laboratoire du C.N.R.S.).

7. C'est ce qu'expriment les Fulɓe lorsqu'ils disent: « la “vache” des Dogon est

le pegu (Lannea Acida) ; celle des « hommes scarifiés » le karité ; celle des Bozo le

poisson tineni (Alestes Nigri Lineatus). »

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Glossaire

Geno, classe o

Dieu, Le Créateur, nom dérivé de la racine yenɗude : être éternel, classe o. Ce

vocable a survécu à la conversion profonde des élites fulɓe à l'Islam. Il est fréquent

aussi bien dans le discours oral que dans la littérature ajami pular/fulfulde. Consulter

Tierno Muhammadu Samba Mombeya — Oogirde Malal, vers 13 et vers 576 ; et

l'introduction de Elégie à Tierno Bokar Saalihu par Amadou Hampâté Bâ —

ouverture, 2e strophe, 2e vers

Dundari, classe o

synonyme de Geno

dieu de l'or et de la connaissance

Neɗɗo, classe o

L'homme primordial

Kiikala, classe o

Premier homme, créé par Geno

Naagara, classe o

Première femme, créée par Geno

Buytoorin, classe o

Aîné des douze enfants (sept fils et cinq filles) de Kiikala et de Naagara

toɓɓere, n. sing., classe nde, plur. toɓɓe, classe ɗe

la goutte : base de la cosmogonie des Fulɓe, qui conçoivent l'univers comme la

création de Geno, à partir d'une “goutte de lait” contenant les quatre élements (terre,

eau, air, feu), les quatre points cardinaux (nord, sud, est, ouest) et les quatre clans (Ba,

Bari, Jallo, Soo), et dont est issu ndurbeele, le bovidé hermaphrodite, symbole de la

création, géniteur des 22 premiers bovins.

Caanaba, classe o

divinité incarnée par un serpent géant et gardienne des troupeaux de Geno sur

terre, jumeau de Ilo.

Ilo, classe o

Fils de Yalaji (c-à-d. à oreilles rouges), jumeau de Caanaba, après l'adoption de

celui-ci par la famille Yalaji.

Kumen, classe o

68

divinité multiforme, auxiliaire et berger de Caanaba, dépositaire des secrets de

l'initiation pastorale, chargée par Geno de veiller sur la terre, les pâturages et les

animaux domestiques et sauvages

Foroforondu, classe o

femme de Kumen, divinité du lait et du beurre. Déesse tutélaire du kaggu et du

ngaynirki

tongo & rongo, classe ɗi

petits génies de la brousse, antagonistes de Kumen

Kaydara, classe o

Ndurbeele, classe o

Premier bovidé, créé par Geno. Hermaphrodite, il surgit de l'océan suivi des 22

premiers bovidés qu'il avait procréés.

dimo, n. sing., classe o, rimɓe, plur., classe ɓe

noble, propriétaires de troupeaux et pasteurs

dimaajo, n. sing., classe o, rimayɓe, n. plur., classe ɓe

serfs, captifs

nyeenyo, n. sing., classe o, nyeenyuɓe, plur., classe ɓe

artisan, personne de caste

yettoore, n. sing., classe nde, yettooje, jettooje, plur., classe ɗe)

patronyme, nom de clan (Ba, Bari, Jallo, Soo)

aga, n. sing., classe o

initié pasteur (Fuuta-Tooro)

baanyaaru, n. sing., classe o

initié pasteur (Maasina)

silatigi, n. sing., classe o

maître initié : “celui qui a la connaissance initiatique des choses pastorales et

des mystères de la brousse”, devin

banyaaji, n. plur., classe ɓe

berger, terme générique

69

jalaañ, n. sing., classe o

divinité du panthéon pastoral

lootoori, n. sing., classe ndi

“bain général” au cours duquel les pasteurs se baignent et procède à une

lustration des bovidés

denɗiraaku, n. sing., classe ngu, ɗenɗu, n. sing., classe o

relation à plaisanterie (Ba vs. Jallo, Bari vs. Soo)

faletodde, n. sing. classe nge

vache noire et blanche

hoggo, n. sing. classe ngo

parc, espace d'initiation

wuro, n. sing., classe ngo

camp, troupeau

toɓɓel koɗo, expression sing., classe ngel, diminutif de toɓɓere, plur. toɓɓe, classe ɗe

rafraîchissement de lait offert au visiteur (koɗo) en signe d'hospitalité

kelli, n. sing., classe ki

plante dans laquelle on taille le bâton du berger

nelɓi, n. sing., classe ki

plante dans laquelle on taille le bâton du berger

kaggu, n. sing., class o

autel des bergers et support des objects et ustensiles pastoraux (gourdes,

calebasses, vêtements à l'exception des chaussures)

ngaynirki, n. sing., classe ki

concoction de plantes conservée dans l'outre suspendue au-dessus du kaggu,

elle “favorise la force fécondante des taureaux”.

ɗooki, n. sing., classe ki

plante de base utilisée dans la confection d'autels dédiés aux lareeji

laare, n. sing. classe o, laareeji, n. plur, classe ɗi

70

esprits gardiens des troupeaux auxquels on fait des offrandes. Il existe

28 lareeji de base, qui correspondent aux 28 jours du mois lunaire. On communique

avec les lareejipar l'intermédiaire des ngaynirki.

jalaañ

premier laare, se manifeste sous forme d'un dieu hermaphrodite, toujours

rassasié de breuvage sanglant et doué de dix-huit organes de transmission

sambalaseeru

deuxième laare, dieu sans nectar, toujours coléreux et prêt à abattre, à noyer et

à enterrer

muse

troisième laare; dieu intercepteur et deuxième enfant de jalaañ; il étouffe les

tracassiers et met une muselière aux indiscrets et aux bavards

siti kon

quatrième laare, divinité possédant une foudre occulte qui, dirigée sur une

personne, pulvérise son âme et réduit ses os en poussière

pellel

cinquième laare; son pouvoir est identique à celui de siti kon

kumbasaara

sixième laare, femelle, vêtue d'un fourreau abandonné par un serpent lors d'une

mue

maagol

septième laare; il ne voit jamais le soleil sous peine de communiquer son feu à

la terre qui s'enflammerait. Ses esprits résident dans les eaux ou dans les airs, mais

jamais directement sur la terre.

raɗoode

huitième laare, de seconde puissance, il siège au centre du batu lewru ou

assemblée dite du « second halo » ; nduppa est son accompagnateur

siilinte

neuvième laare, appartient au second halo ; bona-jayte est son courtisan

dembanyaasoru

dixième laare, également du second halo et a pour courtisan dubbel

71

makanja

onzième laare, qui rend invulnérable parce qu'il commande le fer.

buubu

douzième laare, charme des charmes pastoraux, le bœuf le beugle en deux

temps : buu… bu…

piɓol, n. sing., classe ngo

amulette de berger contenue dans l'outre du ngaynirki, protectrice contre les

dangers de la brousse: serpents, carnivores, insectes, etc.

aynirdu, n. sing., classe ndu

bâton de marche du berger taillé dans le kelli ou le nelɓi.

rande ou maagol, n. sing., classe ngo

attache du veau à une corde tendue entre deux piquets

daañgul

longue corde servant de support à plusieurs rande pour maintenir les veaux loin

de leur mère pendant la traite de lait. Elle représente la ligne de vie des troupeaux.

tonteeje, n. sing., classe ɗe

piquets soutenant le daañgul

daaɗol, n. sing., classe ngo

cordelette servant à attacher le veau à sa mère

sirgal, n. sing., classe ngal

mouvette ou fouet à lait utilisé pour séparer le lait du beurre ; il est constitué

par une baguette à l'extrémité de laquelle sont fixées au moyen soit de cordelettes de

coton, soit de fibres de kelli ou de markeewi, quatre branches du même bois. On

oriente le sirgal vers le point cardinal du clan avant de le déposer sur le kaggu.

burgal, n. sing., classe ngal

mouvette en bois de mburri, à deux branches, considérée comme incomplète et

qui ne doit jamais être mise dans le lait. mouvette ou fouet à lait.

boliiru kosam

gourde de berger contenant le lait, elle ne peut pas être alternée avec le boliiru

ndiyam.

72

boliiru ndiyam

gourde de berger contenant de l'eau, elle ne peut pas être alternée avec le

boliiru kosam

ɓirdugal, n. sing., classe ngal

calebasse ou récipient dans lequel on trait la vache

tumbude, horde (Fuuta-Jalon), n. sing., classe nde

calebasse décorée servant conserver et à transporter le lait

cencenje, n. plur., classe ɗe

sonnailles fabriqués par le forgeron, avec lequel le pasteur entretient des

relations particulières

poopiliwal, illorowal, n. sing., classe ngal

flûte et instrument de musique profane faite d'une tige de sorgho

cawroowo, n. sing., classe o

silatigi versé dans la connaissance des propriétés médicinales des plantes

Tierno S. Bah

73

Bibliographie

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Société des Africanistes, t. XIII, 1943, pp. 153-182.

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