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KOKOKO! ÉLECTRO-DÉBROUILLE À KINSHASA ! 074 104 GRAND CENTRAL © DR

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KOKOKO!É L EC T R O - D É B R O U I LL E À K I N S H A S A

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Kokoko !  est  le  fruit  de  la  rencontre  l’été  dernier  entre Debruit,  producteur  français  basé  en  Belgique,  et  ces amoureux  de  musique  et  de  culture  alternative.  Boms, Makara, Dido et Bovic avaient  toujours voulu enregistrer leur musique de manière plus moderne, mais  le manque de matériel ne  le  leur permettait pas.  Invité par La Belle Kinoise, une société de production audiovisuelle qui réa-lise depuis une quinzaine d’années des films sur le pays, Debruit  se  rend  au  Congo  pour  la  première  fois  en  juil-let 2016. Alors qu’ils montent un projet de documentaire autour  de  la  scène  artistique  underground  qui  se  déve-loppe dans les rues de “Kin”, Debruit est appelé en renfort. Pendant deux mois, ils font de la musique, expérimentent, sans savoir exactement ce qu’ils vont en faire. “Fin juillet, après avoir créé des morceaux ensemble, on a fait une bloc party. On est allés dans l’immeuble en construction à côté de là où on bossait. C’était une manifestation spontanée, on n’avait prévenu personne. Quand les performeurs sont arri-vés, la rue a été bloquée tout de suite. Tout a pris là, c’était la folie ! Et là, le groupe était créé.”

KOKOKO ! EN TOURNÉE EUROPÉENNE Un an plus tard, tous les cinq se retrouvent sur les scènes françaises, suédoises, suisses et belges. À Bruxelles,  ils affichent  même  complet.  La  tournée  est  aujourd’hui  ter-minée, mais le projet ne s’arrête pas pour autant. Debruit reprend. “Des titres sont sortis fin juin. On travaille sur un album en ce moment pour la fin de l’année ou début 2018. La prochaine tournée, on aimerait la faire avec tous les membres de Kokoko!.” Car ce projet  ne  se  résume pas  à  eux.  “On est super nombreux dans Kokoko !”,  lance  Bom’s.  Dans  le groupe, il y a aussi les danseurs, les sculpteurs, et d’autres artistes qui font partie de cette même vague d’innovation congolaise. En tout cas, pour cette première partie du pro-jet, tous sont ravis. “La tournée s’est super bien passée. Ce n’est pas évident quand même de faire une tournée, sans album, sans être connu… sans rien en fait”, reconnaît Bom’s. 

ne  machine  à  écrire.  Des  boîtes de  conserve.  Des  bouteilles  de détergent.  Ces  objets,  sortis  des poubelles  de  Kinshasa,  s’entre-choquent,  résonnent  sur  un  beat régulier  un  peu  psyché  et  font vibrer  la  foule.  La batterie a  l’air classique au premier regard, mais si on se concentre, on  remarque vite  qu’elle  n’est  plus  si  com-

mune : les caisses claires ? Des pots de peinture. Les cym-bales ? Les couvercles de ces mêmes pots. L’énergie, sur scène et dans  la  fosse,  est palpable. Kokoko !,  c’est  cinq hommes habillés de jaune, arrivés tout droit de Kinshasa et qui incarnent cette nouvelle scène underground qui agite la capitale du Congo. Ni musique du monde, ni de la musique africaine, le “zagué” ou la “tekno kintueni”, comme ils l’ap-pellent, bouscule tous les codes. “À chaque concert, c’est la même réaction : la température monte.” Ça  ne  manque  pas.  Inspirés  à  la  fois  des  bruits de  leur ville  et  de  la  musique  occidentale  qu’ils  arrivent à capter depuis leur pays, pour leur première tournée en Europe,  Makara  (chanteur),  Dido  (aux  cordes),  Boms  (le multi-instrumentiste) et Bovic (le batteur) amènent le son des ghettos de Kinshasa jusqu’à nos tympans. Dimanche 11 juin à Nîmes, alors que le soleil tape fort en fin d’après-midi,  ils  terminent  leur  tournée  européenne  au  festival This  Is  Not  A  Love  Song.  Seuls  quelques  curieux  sont éparpillés à l’ombre devant la scène pendant les balances, mais dès la première note, sur un beat électro, les sons de Kinshasa s’emparent de  la parcelle nîmoise. Les visages surpris, les corps commencent à se mouvoir sur un “boum boum” familier recouvert de tonalités inconnues. Plus tard, à  la fin du concert, quand Makara descend dans  la  foule, micro en main, pour danser avec le public, on ne voit plus le bout de la masse de personnes rassemblées autour de lui. Pour lui, c’est clair, “les gens aiment cette musique ima-ginaire, cette musique qui n’existe pas”.

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Né de la rencontre à Kinshasa entre Makara, Dido, Boms, Bovic et le Français Debruit, Kokoko ! incarne la révolution artistique qui a lieu dans les rues de “Kin”, la capitale congolaise. Rencontre au terme d’une tournée européenne.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-ALIX DETRIE

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des boucles, les gens suivent.” Ce fan de techno n’a pas accès aux machines depuis sa ville natale, il devient donc sa propre boîte à rythmes. Il fait des boucles de quatre ou huit temps qui peuvent parfois durer jusqu’à 40 minutes, sur lesquelles des danseurs se déchaînent. Il joue, chaque soir, entre quatre et cinq heures. “On a la musique, on a la texture, le seul truc qui nous manque, c’est l’ampli.” Avec Debruit, le problème est réglé.

UNE VILLE QUE L’ON ÉCOUTE

“Quand tu arrives à Kinshasa, c’est un électrochoc. Il y a de la musique partout”. Dans cette ville de plus de dix mil-lions d’habitants, l’art n’est pas enfermé dans des musées, mais est omniprésent. “Mon fils chante, mon voisin chante. Il y a que des artistes à Kinshasa !”, lance Makara. Depuis chez lui, il aime tendre l’oreille et imaginer ce qu’il y a en dehors de ses murs. Le son du camion du vendeur de ver-nis, qui tape ses petites bouteilles l’une contre l’autre, le bruit d’élastique du vendeur de cigarettes… “Kin, c’est une ville que tu écoutes.” Leur inspiration, à tous, vient de là… et d’un besoin de changement.“Après un an, 50 ans, 500 ans, 1 000 ans de rumba… Maintenant ça suffit !”, s’exclame Makara. Autour de la table, tout le monde s’esclaffe. Mais comme il ne blague qu’à moitié, le sérieux revient vite. Depuis les années 30, la scène musicale de Kinshasa est dominée par la rumba congolaise et les musiques d’églises. Alors pendant plu-sieurs générations, rien n’a bougé. “Aujourd’hui, on a le res-pect de nos ancêtres, mais on a envie d’autre chose. On a besoin d’innovation”, explique Bom’s. Alors, la scène alter-native se développe, avec des sculpteurs, des créateurs d’instruments, des danseurs, des comédiens… “La musique est aussi un moyen pour nous de nous exprimer sans parler”, autrement dit de contourner les interdits et les tabous très présents dans la politique de Joseph Kabila. Provoquer, faire bouger, réveiller, c’est leur objectif. Leur nom n’a pas été choisi au hasard. Coudes vissés sur la table, regard déterminé, Makara explique. “Kokoko ! en lingala signifie ‘toc toc toc’. On est sur le palier, on frappe, on nous ouvre la porte. Et là, Kokoko ! entre.”

WWW.KOKOKOMUSIC.COM

Mais pour ces enfants de Kin, construire quelque chose avec rien n’est après tout qu’une question de volonté.

LA MUSIQUE ÉLECTRO-MÉCANIQUE

Pendant les balances avant le live, Makara aide Bom’s à accorder sa guitare à une corde. Il sort son tournevis, approche son oreille, resserre la corde. Sur ces instru-ments, pas de repère visuel. Seulement l’oreille, l’instinct, le même instinct qui les a fait les créer. Bom’s, moto-taxi à Kinshasa, joue de sa “guitare moustique”. Debruit s’em-presse de préciser : “Elle s’appelle comme ça, car quand tu tires à fond la poignée de moto mise au bout du manche, en haut ça fait ‘bzzzzzzzzz!’.” Dido, lui, n’a pas pu ramener sa guitare préférée, la Jésus Crise. Un immense instrument en forme de croix, qui lui a valu son nom, des cordes de guitare et de harpe accrochées avec de grosses boîtes de conserve. “Elle est tellement grande, on dirait plus une sculp-ture qu’un instrument !” plaisante Debruit. En l’occurrence, la confusion peut parfois les desservir. “À l’aéroport, on nous refuse de transporter tel ou tel instrument. On nous a dit que ce n’est pas un instrument de musique. Mais selon quels critères ?”, s’agace Debruit. Résultat, Jésus Crise n’a pas pu passer les frontières françaises. Pour ces inventeurs, tout devient un potentiel instrument. “Regarde”, lance Makara. Il soulève une canette, une bou-teille, les frappe l’une contre l’autre. Son corps réagit, com-mence à bouger en rythme, il pousse sa voix. En l’espace de quelques secondes, le petit studio bleu insonorisé dans lequel nous nous trouvons devient une scène, un endroit où on veut se déhancher. Il continue, nous emporte, puis s’ar-rête d’un coup et lâche : “Tu vois, on n’a pas besoin de plus.”À Kinshasa, Makara chante six soirs par semaine dans un club. “Là, il faut imaginer l’ambiance ! s’enthousiasme Debruit. Tu rentres et hop, il y a une coupure de courant. On règle le problème, on continue de danser. Tu bois ta bière, et tu vois le métal qui tombe en fusion rouge sur les câbles dans la pièce. Et on continue à faire la fête. Au début, le son est tellement fort que tu te demandes si tu vas pou-voir rester. Mais quatre heures plus tard, tu y es encore…” Makara n’est donc jamais à l’abri d’une coupure de cou-rant. Au contraire, c’est devenu une routine, il trouve tou-jours moyen de faire bouger les danseurs et le public du club. “Même sans micro je travaille. Je peux prendre mon bras, le mettre dans la bouche pour chanter plus fort. Je peux prendre les canettes et les frapper l’une contre l’autre, faire

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Tu rentres dans le club et hop, il y a une coupure de courant. On règle le problème, et tu vois le métal qui tombe en fusion rouge sur les câbles dans la pièce. (Debruit)

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