kanthume : un projet d’analyse analogique suivant un

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kanthume : un projet d’analyse analogique suivant un modèle cognitif d’induction Olivier LARTILLOT 18 décembre 2001

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kanthume: un projetd’analyseanalogiquesuivantunmodèlecognitif d’induction

Olivier LARTILLOT

18 décembre2001

Résumé Lestechniquesactuellesd’analysemusicalenepermettentpasencorederendrecomptedemanièreapprofondiedesmultiplesphénomènesdécelésparunesimpleécouteattentive.Desapprochesmusicologiques,enparticulierl’ana-lyse thématiquedeRudolphRETI , ont proposédesétudesminutieusesintégrantla complexité motivique.Cependantla miseenœuvredecesdémarchesn’a pasétéexpriméedansun cadrescientifique,c’est-à-diredemanièreexplicite et sys-tématique.Certes,l’analyseparadigmatiquea permisun progrèssignificatif del’analysemotivique,cependantl’approchelinguistiqueimposeunevisionduphé-nomènemusicalà traverslesornièresmétaphoriquesde la languenaturelle.Elleintroduit toutefoisun conceptimportant,unearticulationessentielledu proces-susanalytique,le principede la répétition,ou plus généralementde l’analogie.Uneméthodesystématiqued’analysemusicaledoit mettreenœuvredemanièreexplicite unedémarchededétectiond’analogie.

Enoutre,la musicologienepeutseprévaloir desonstatutdesciencequesi ellegarantitl’objectivité desesméthodes.Or, l’analysethématiquetrahit l’esthétiquetrèspersonnelleetpeupartagéedeRudolphRETI . Demêmeuneanalyseparadig-matiquenécessiteaupréalableunedélimitationsubjective desparamètrespris encomptelors dela recherchedesrépétitions.Cetépineuxproblèmenepourraêtrerésoluquelorsquel’on auraétudiélesmécanismesselonlesquelscesinductionssontprocédées.Depuisdessiècles,il aététentédesinvestigationsphilosophiqueset scientifiquesdu phénomènede l’induction. Un élémentde réponseparticuliè-rementprometteurnousestproposépar les sciencescognitives.Celles-ciont eneffet suggérédesmodélisationsassezdétailléesdesmécanismesinductifs,qui ontdéjàétél’objet desimulationsinformatiques,et remettentd’ailleursencauselesfondementsdela tripartition sémiologique.

Unetelle méthodologied’analysemusicalesystématique,qui procéderaitpardesinductionsautomatiquesd’analogiessuivantun modèlecognitif, offrirait unnouvel outil d’un intérêtconsidérablepour le musicologue.Du langagemusical,il seraitalorspossiblede décelerles sourcesmotiviquesélémentaires,de suivreleursmoindresévolutions,leursdéveloppements,de tisserun réseaude corres-pondance,et d’en dégagerunestructureformellecomplexe.L’utilisation del’in-formatiquepermettraitunemiseenœuvrecombinatoiredecesprincipes,uneana-lyseinfinimentminutieuse,dont la représentationfinalepourraêtreconsultéedemanièredynamiqueselonunemultitudedepointsdevue.

Intr oduction La questioncentraleautourdelaquellesesontarticuléeslesinter-ventionsdececolloque— « Peut-onparler d’art aveclesoutilsdela science? »— sembleraitexprimerunsentimentpartagédedécouragementetunevolontéderemiseencaused’un idéalpositivistesursondéclin.Cettequestionrenfermeenfait deuxproblématiquesindépendantes,qu’il seraitbon de distinguer, chacune

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renvoyantà l’un desdeuxprotagonistesen jeu : l’art et la science.La premièrequestionimplicite est: « Peut-onparler d’art ? » ou plus précisément: quel estl’intérêt dela démarchemusicologiqueetpeut-onenentrevoir desaméliorations?Cettequestiona été traitéeen particulier lors de l’interventionde Jean-JacquesNATTIEZ. La secondequestiona trait aux « outils de la science». La méthodo-logie scientifiquepeut-elleenrichir la démarchemusicologique? Yizhak SADAÏ

posele problème,sedéclareplutôt pessimiste,maisentrevoit toutefoisde pos-siblesaxesde progrès.Uneréponseà la problématiquegénéralesedoit des’at-tardertout d’abordsur la premièrequestionet sedemandersi un progrèsde laméthodologiemusicologiqueestpossible.Danscecas,il s’agiraitalorsd’évaluer,dansundeuxièmetemps,l’intérêt del’interventiondela science.Unefois vérifiéle bien-fondéd’un tel projetmusicologiqueetscientifique,il resteraitalorsàdéfi-nir lesgrandeslignesdeceprojetet à imaginerla réalisationeffective.C’estunetelledémarchequecetarticleseproposed’esquisser.

1 Versune analyseanalogique

1.1 La situation actuelle

Certainsestimentquel’analysemusicaleestparvenueà un degré de sophis-tication qu’il seraitdifficile — voire vain — de dépasser. On disposedésormaisd’un ensemblevariédeméthodesd’analyse— harmoniques,formelles,schenke-riennes,sémiologiques,etc.— qui offre unemultitudedepointsdevuecomplé-mentairescernantefficacementle phénomènemusical.Cetavis estainsipartagéparNicholasCOOK 1 :

Jenevoispasle mériteintrinsèqued’un développementdeméthodesanalytiquesencoreplusrigoureuseset plussophistiquées: bienqu’ilsubsistedeszonesd’ombre— la musiqueancienneenparticulier, jepensequeles techniquesanalytiquesactuellessonten généralsatis-faisantes.

L’analysemusicaleayantépuisél’étenduede sesressources,le langagemu-sicalayantétédécortiquéautantqu’il pouvait l’être, un enrichissementdu regardmusicologiquenécessiterait,seloncertains,unélargissementdupointdevue,nonplus limité simplementà la musiqueelle-mêmemaisaucontexte historique,so-ciologique,politique, etc. Cetteremiseen cause,par de grandsspécialistesdel’analysemusicale,de la spécificitéoriginelle de cettedisciplineexprime assezclairementcetétatdecrise.

1[2], p. 3. Traductionpersonnelle.

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Toutefois,lestechniquesactuellessemblentbienlimitéesrelativementànotreécoutemusicale,capablequantà elle dedécelerunemultitudededétailsperçusde manièreplus ou moinsconsciente.Ne pourrait-onpasimagineruneanalysemusicalecapablederendrecomptedel’œuvremusicaledanstoutesarichesse,dudétailmotiviqueauschémaformel?

1.2 L’analysethématiquede Rudolph RETI

Pourtant,cet idéald’analysemusicaleexhaustive adéjàétéimaginéjadis,no-tammentparRudolphRETI 2 :

L’architectured’uneœuvredoit êtrecomprisecommeétantle résultatd’un processusvarié mais entièrementélastique,reflétantl’inspira-tion constammentenmouvementdu compositeur. Et le véritabledy-namismestructureld’une composition,sa« forme» au sensle plusfort du terme,nepeutêtreconçuequepar la compréhension,en unmouvementconcerté,desgroupeset proportionsdu façonnementex-térieurd’unepart, et del’évolution thématiqued’autre part.

L’attentiondeRETI seportetoutparticulièrementsurle deuxièmepoint,l’évo-lution thématique.Le conceptdethèmenedoit pasêtrecomprisdanssonsenstra-ditionneldephrasemusicalecaractérisantunepièceou unesectiond’unepièce.Le thèmedésigneici lescellulesélémentairesqui constituentlesmotifsmusicaux.Parévolutionthématique,RETI entenddoncl’évolutiondétailléedumatériaumu-sical auniveaumicroscopique.C’est en cesensquel’approchede RETI estno-vatrice3, car, contrairementauxapprochesantérieuresou contemporaines,elle necherchepasàsimplifier la musique,à l’exprimerdemanièreschématiquedansunlangagethéoriqueou à la réduireenun processusélémentaire.Au contraire,elles’évertueà mettreencorrespondancelesélémentsdebaseentreeuxauseind’unréseaupermettantensuitededégagerla formeglobaledela pièce.RETI nes’estpascontentéd’énoncersathéoriedemanièreabstraite,il l’a appliquée,avecbrio,dansl’analysedegrandesœuvresdurépertoireclassique.C’estenprocédantàdesanalysestrèsminutieusesd’œuvresdeBEETHOVEN queRETI a progressivementmisenplacesaméthodologie.

Malgrétout,sonapprochea levéuncertainnombredecritiques.– Sesanalysess’étendentrarementà la totalité de l’œuvre considérée.Les

motifs importantssontscrutésendétail,maislesphasesdedéveloppementne bénéficientpasde la mêmeattention.Cela se comprendaisément,eu

2[12], p. 114.Traductionpersonnelle.Lesitaliquesproviennentdu texte original.3Cettedémarchesembleêtreinfluencéepar la style motiviquede SCHOENBERG, dont RETI

étaitunélève.

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égardà l’ef fort nécessairepour entreprendrecettetâcheparticulièrementlaborieuseet à l’aspectfatalementrébarbatifd’unetelledescription.

L’analysemotivique dégénèrefacilementen un exercicepure-mentmécaniquedurantlequella partitionestanalyséesansêtrevraimentlue [...] L’analysemotivique incline à suggérerquelamusiqueestunesortedemessagecompliquéet quela seulefa-çondedécouvrirle codesecretconsisteàobserversuffisammentlongtempsla partition.4

C’est ici que l’on commenceà entrevoir l’intérêt de l’informatique, sou-lageantle scientifiquedestâchesrépétitiveset offrant de surcroîtun outilpermettantune visualisationgraphiqueet dynamiquedesreprésentationsmusicales.

– Unecritique plusvirulenteconcernele manqued’impartialité decetteap-proche.RETI choisit librement les élémentsqui l’intéressentet délaisseceuxqui n’entrentpasdanssonoptique.Pourquecettedémarchepuisseêtrequalifiéed’objective,elle doit fournir le mêmerésultatquellequesoitla personnequi l’entreprend.Or lesanalysesdeRETI sontempreintesd’uneesthétiquetoutà fait particulière,personnelleetpesante,qui adéteintsurlaméthodologieelle-même.En effet, RETI considéraitque la « grandemu-sique», celledesgrandscompositeursclassiqueset romantiques,répondaità certainsprincipesarchitecturauxfondamentaux: dansuneœuvre,danschacundesesmouvements,lesthèmesdéveloppenttousle mêmeprincipethématique,mêmelorsquecesthèmessontcensésêtrecontrastants.Deplus,la formeglobaledel’œuvreetdesesmouvementsrépèteàpluslargeéchellele principethématiquedebase.

L’approchedeRETI , bienqueprometteuse,nesemblepasavoir connudedé-veloppementsultérieurssignificatifs.L’aspectlaborieuxde la démarchea dû endécouragerplus d’un. Deux pointsposentdoncproblème: la complexité de latâcheet le manqued’objectivité. Pourcequi estdu premierpoint, l’aide del’in-formatiquenepeutêtrepossiblequ’unefois quel’on aréussiàformaliserexplici-tementle mécanismed’analyseproposéparRETI . C’est justementcemécanismede basequi poseproblème.Avant de tenterde résoudrecettedifficulté, il seraitbondepoursuivrenotrebref tour d’horizondestechniquesd’analysesmusicales,etnouspencherenparticuliersur lesapprochescontemporaines.

1.3 L’appr oche« implication / réalisation »

La théoriemusicalede LeonardB. MEYER [9], repriseensuitepar EugeneNARMOUR, peut être aujourd’hui considéréecommeune despremièresavan-

4[2], p. 114.

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céesde la musicologiedansle territoire dessciencescognitives.La démarchede MEYER prendsesracinesdansune théoriecontemporaineissuede la psy-chologie: la théoriede l’émotion. Celle-ci met en évidenceles attenteset lesfrustrationsoccupantenpermanencel’esprit, conscientdesonenvironnementetprévoyantenpermanencel’évolution futureàpartir dessituationsanaloguesmé-morisées.SelonMEYER, il en estde mêmelors de l’écoutemusicale.Il montreenparticulierquel’écouteestparticulièrementactive et guidéepar la prédictiondesprolongementsdesmotifsencoursderéalisation.Cetteprédictionestd’autantplusfortequelesmotifssontbienforméset récurrentsaucoursdel’œuvre.C’estunetelle approchede l’analysemusicalequenoussouhaiterionsdévelopper, ennousinspirantdesavancéesrécentesdela psychologiecognitive.

1.4 L’analyseparadigmatique

L’essor, aucoursdu XX ème siècle,de nouveauxdomainesscientifiquesa of-fertauxscienceshumainesunattirail méthodologiquepermettantuneconstructionsystématique,explicite et rationnelledesconnaissances.Deuxdisciplinesscienti-fiques,la linguistiqueet lesmathématiques5, ontconnuunretentissementparticu-lier chezlesmusicologues.L’adaptationdela linguistiquedansun cadremusicals’estconcrétiséesousla formed’unefameusethéorieinitiéeparNicolasRUWET :l’analyseparadigmatique.Cetteméthodologies’inspirelargementde l’approchedu linguisteRomanJAKOBSON centréesur le paradigmede répétition.Une re-cherchederépétitions,strictesouvariées,auseindu textemusicalconsidéré,per-met de dégagerdesmotifs qui feront ensuitel’objet d’une décompositionseloncesmêmesprincipes,et, inversement,d’une intégrationauseindestructurepluslarge,suivant,unefois encore,unelogiquebaséesurla répétition.

Cetteapprochesystématiquepermetuneanalysedétailléedulangagemusical,aussibien du point du vue du détail motivique quede la forme généralede lapièce,et offrirait doncun élémentde réponseà la questionde l’explicitation duprocessusanalytiquemis enœuvredansl’approchesuggéréeparRudolphRETI ,élémentderéponsequi serésumeainsi: lesmotifs sontdéceléspar la répétition.Cependant,malgrésesapparencesalgorithmiques,cetteméthodologienepermetpasune analyseobjective, et restesoumiseaux choix de l’analystequantà ladéterminationdesparamètrespris encompteet à la découvertedecesrépétitionsvariées.Jean-JacquesNATTIEZ préciseàcesujet6 :

LesprocéduresdeRUWET nesontcertainementpasassezexpliciteset formaliséespour que l’ordinateur puissefaire le travail à notre

5L’apport desmathématiquesdansun cadreanalytiquene pourra,fautedeplace,êtreévoquéici. Voir noten

�12.

6[11], p. 253-254.

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place.Il n’y a plus personnepour croire qu’uneprocédurealgorith-mique(un programmede reconnaissance)puisseeffectueruneana-lyselinguistique; il envademêmeenmusique.

La métaphorelinguistiquea permisun progrèsmusicologique,mais imposeunpoint devueparticulièrementréducteurduphénomènemusical.D’unepart,lalangueparléeestfoncièrementmonodique.Certes,unnombreimportantdepara-mètres– intonation,articulation,souffle, etc.– évoluentdemanièreindépendanteaucoursdela phonation; leurnombrerestreintetfigéassurecependantaulangageun caractèremonodimensionnel.La musique,en revanche,lorsqu’ellese déve-loppepleinementdansuneétenduepolyphonique,configurationparticulièrementnégligéepar les analysesparadigmatiques7, ne seplie pasà de tellesanalyses8.D’autrepart,la linguistiqueconsidèrele langagesousla formed’un ensembledeparadigmesfigéssedéveloppantle long d’un axe syntagmatique.N’est-cepaslepropredela musique,notammentdansle cadredudéveloppementmusical,d’ins-taurerundynamismedulexiqueparadigmatique?Ladramaturgieconventionnelled’uneœuvremusicaleinvoquetraditionnellementunemiseenplaceprogressivedesélémentsparadigmatiquesetuneévolutiondeceux-ci,événementsqui nepeu-ventêtreappréhendéssainementsansleur miseenrelationavec l’axe syntagma-tique.Desdeuxpointsprécédents,il enressortqu’il estnécessairedegénéraliserl’analyseparadigmatique,d’éclaterle modede représentationtraditionnelancrédansunereprésentationmonodimensionnelledel’axesyntagmatiqueetuneconfi-gurationstatiquedel’axe paradigmatique.C’estalorsquenousvoyonspoindreàl’horizon l’idéal queRudolphRETI avait imaginé: celuid’uneanalyseexhaustiveetdétailléedu phénomènemusicalet desesévolutionsthématiques.

1.5 La sémiologiemusicale

L’analyseparadigmatiquea été intégréeau seind’une sémiologiemusicale,qui fondela musiquesousla formed’un systèmedesignes,pourenarriverà la tri-partitionpoiétique/ niveauneutre/ esthésique.Danscettearchitecture,l’analyseparadigmatiqueprendraitla placed’analysedu niveauneutre,c’est-à-direparmiles outils « exploitéssystématiquementjusqu’à leurs ultimesconséquences» et

7Il estvrai queNATTIEZ s’estattaqué,lors de sonanalysede l’ Intermezzoop. 119 n�

3 deBRAHMS ([11], p. 297-330)àunemusiqueàdeuxvoiesindépendantes.Mais, ici encore,lesvoiessontnettementdistinguées,etnonpasimbriquéesdansunetramecomplexe.

8Nousavonsétéconfrontéàunproblèmesimilaire,lorsquenousavonsétabliuneméthodologiemusicalenonpasfondéesur la linguistique,maissur la théoriede l’information [1]. Il existeungrandnombredepointscommunsentrecesdeuxdisciplines,la secondesystématisantdemanièreplus radicaleet systématiqueles conceptsprésentésdansla première.La solutionchoisiepourcontournerce problèmea étéde sectionnerverticalementle discourspolyphonique en tranchestemporelles[7].

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qui «nesontremplacésquelorsquedenouvelleshypothèsesoudenouvellesdiffi-cultésconduisentà enproposerdenouveaux» 9. Le niveauneutren’estdoncpasréellementneutre puisqu’il fait appelà deshypothèsesdetravail. Cequi la carac-térisecorrespondplutôt à uneproblématiqued’objectivité quede neutralité.Deplus,l’analyseparadigmatiquenesatisfaitpasréellementcescontraintespuisque— NATTIEZ, nousl’avonsvu, le reconnaîtlui-même— d’unepart,l’analysepara-digmatiqueestuneprocédurenon-algorithmique; et d’autrepart,lesimportanteszonesd’ombresàla mercidel’analysteremettentencausela natureobjectivedesrésultats.

Quelle seraitdonc la différencefondamentaleentreniveauneutreet niveauesthésique?SelonNattiez10,

L’analyse,par définition, est analytique; la perceptionest synthé-tique. Lorsquej’essaiedecaractériserce quej’ai entendu,je fais unchoixparmilesinnombrablesfaitssonoresqui frappentmesoreilles.[...] On perçoitenfonctiondesonexpérience,d’où la subjectivité etla difficultédel’analyseauditive.Il faut tournerle dosauxapprochesintrospectives,pourdévelopperdesrecherchesexpérimentales,mêmetrèslimitées.

Essayerde caractériserce que l’on a entendu,ce n’est plus percevoir, maisanalyser. La perception,danstoutesagrandeur, consisteen un importantflot deraisonnementssubcognitifsélémentaires,dont il esteneffet peuaiséd’en expli-citer lesrésultats.D’autrepart,uneanalysedu niveauneutre,faisantappelà deshypothèsesa priori — trahissantunecertaineformed’expérienceet d’introspec-tion de la part de l’analyste— effectueelle aussiun choix. La différenceentreun niveauneutreet niveauesthésiquesembleraitdoncêtreunedifférenceentreanalyseexplicite etanalyseimplicite.

Lessciencescognitives— nousy reviendrons— proposentunemodélisationdesmécanismespsychologiques,par l’intermédiaired’uneméthodologiescienti-fiqueappliquéeà la psychologie,conférantainsiàcesmodélisationsun caractèreobjectif. Dansuneproblématiqued’analysemusicale,unetelle approche,appli-quantdemanièresystématiqueun modèleformel rendantcomptedemanièreex-plicite desmécanismesperceptifsdansleur totalité, comblele fossésubsistantentreniveauneutreetniveauesthésique.Unetellevisiondel’analysemusicale,sielleestréalisable,remettraitdoncencauselesfondementsmêmedela tripartition.

9[11], p. 54-55.Lesitaliquesproviennentdel’original.10Ibid., p. 73-74.

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1.6 Une analyseanalogique

Malgré seslimitations, l’analyseparadigmatiquenouspermetde suggérer,commenousl’avonsconstaté,un élémentde réponsepossible,quantau méca-nismefondamentald’analysesous-jacentà la méthodologiede RudolphRETI :la détectionderépétitionsvariées.Il estmaintenantnécessairedeprécisercequesignifie cettepossiblevariationde la répétition.Pourquellesraisonsunevaria-tion peut-elleêtreassimiléeà sonoriginal? Commentpeut-onmenerà biencetterecherche? Cetteproblématiquea étéexpriméede manièregénéraleet philoso-phiquesousla forme du problèmede l’analogie.Une analogieestunemiseenrelationde deux idéesselonun critèrede ressemblance,qu’elle soit apparente,structurelle,fonctionnelle,etc.,et qui confèreà cesdeuxidéesun attribut d’ap-partenanceà unemêmeentitésupérieure.Cephénomènea suscitédenombreuxquestionnementsphilosophiques.Lessciencescognitivesontsuggérél’idée qu’ilexisterait dansnotre systèmecognitif un mécanismepermettantd’appréhenderl’analogie— voire quece mécanismeconstitueraitun moteuressentiel[13] denosprocessusdecompréhension,et donc,encequi nousconcerne,de l’analysemusicale.

Unesystématisationdecemécanismedel’analogiepermettraitalorsuneavan-céedécisive de l’analysemusicale.Il seraitalors possiblede décelertouteslessourcesmotiviques,l’exhaustivité de leursdéveloppementsaucoursdel’œuvre,detisserun vasteréseaudecorrespondanceentretouscesmotifs,dedégager, parla suite,l’architectureglobaledela pièce.L’apportdel’ordinateurpermettraituneminutieetuneexhaustivité del’opération,ainsiqu’unereprésentationdynamiquedu résultatde cetteanalyse11, dont la combinatoirene peut être saisiedanssaglobalitépar l’esprit humain.

Il faudraitalorsaffronter de nouveaula questionrestéeensuspens: peut-onassurerune impartialité de la mise en œuvredu processus,uneobjectivité desrésultats— ou plutôt, en reformulantdemanièreun peuoséecequenousavonssuggéréauparavant,une«objectivitédelanécessairesubjectivité»?Suivonsalorsla démarchedeNicolasRUWET etdela sémiologiemusicale: tentons,nousaussi,denousinspirerdesavancéesscientifiquescontemporainespour répondreà nosquestions.

11Nouspourronsalorsnousinspirerparexemplede la démarchedu Morphoscope[8] visantàuneformalisationdesélémentsstructurantle discoursd’uneœuvremusicaleet unevisualisationgraphiquedeceséléments.

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2 L’appr ocheinductive

La réflexion musicologiqueprécédentea permisde mettreà jour un méca-nismeessentielduraisonnement: l’analogie.Notresecondeinvestigation,concer-nantl’explicitation de la procédureanalytique,introduit un autreconceptfonda-mental.Reformulonsle problème: uneanalyseconsisteenunecréationdenou-vellesconnaissances– une inférence– à partir de la considérationd’un phéno-mènequi seprésentedemanièrebrute.En un mot, il s’agit de l’ induction, danssonacceptionla plusgénérale12.

Dès l’Antiquité, l’induction a connu une investigationd’ordre épistémolo-gique.ARISTOTE, enparticulier, a intégréce mécanismeauseinde sasyllogis-tique,commeunesortede renversementdu processusdéductif,ce qui nécessiteaupréalabledescapacitéspsychologiquesparticulièressurlesquellesl’inductionpeutsegreffer.

C’estDavid HUME qui, le premier, a énoncéle problèmedel’induction, no-tammentson fondementépistémologique[4]. Il y répondde manièretrès in-téressanteen définissantun principe fondamentald’accoutumance.Pour cela,l’imagination humaine,aux capacitésillimitées selonHUME, génèreun nombreconsidérabled’hypothèsesdontquelques-unesseulementobtiendrontundegrédecroyancesuffisantpourêtreprisenconsidération.L’inductionnesefonderaitalors«enaucuncas» sur«desraisonnementsa priori »,maissimplementparunesaisieparl’esprit du phénomène,guidéeparl’imagination.

EmmanuelKANT démontrel’impossibilitéd’un tel dispositif,si l’imaginationn’est pas,elle-même,soumiseà desprincipesfoncièrementa priori et guidéepardescatégories,c’est-à-diredesreprésentationségalementa priori. Il introduitalorsun«schèmetranscendantal», « représentationmédiatisante» 13 permettantd’articulerle versantintellectueldu versantsensible.

La sciencecognitive,point de jonctionentrepsychologieexpérimentale,phi-losophiedesconnaissanceset informatique,se proposed’établir un modèledefonctionnementdel’esprit humainquipuissemettreenévidencelesdifférentsmé-canismescognitifsqui nouspermettentdepenseretd’agir. La premièredisciplineimpliquéedansceprojet, la psychologiecognitive,chercheà constituerdesmo-dèlescognitifsparle biaisd’expérimentationsscientifiques.Elle tented’expliciterla représentationdesconnaissancesdansnotreesprit,dedécrirelesmécanismesde perception,de reconnaissance,de remémoration,d’attention,de conscience,

12Dansun autrearticle [6], nousdévelopponscette idée, en nousattachanten particulier àdéfinir clairementl’ensembledesconceptssous-entenduspar la terminologied’induction et àretracerl’historiquedesrecherchesphilosophiqueset scientifiquessurcesujet,pouren arriver àl’approchecognitive,vraisemblablementlaplusprometteuse.Sontégalementmentionnéslesliensétroitsentreanalogieet induction.

13[5], p. 224-225.

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de compréhensionet élaborationde langage,de catégorisation,de décision,decréativité, etc.14

L’étude cognitive de l’induction qui a fait date est celle d’un collectif dechercheursen psychologieexpérimentale,en informatiqueet enphilosophiedessciences: JohnH. HOLLAND , KeithJ.HOLYOAK , RichardE. NISBETT etPaulR.THAGARD. Lesvuestraditionnellesissuesdela logiquereprésententla connais-sancesousformedeprédicatsexprimésdemanièrelinguistique.A l’opposé,lessciencescognitivesposentunereprésentationsdesconnaissancessousformed’unréseaucomplexe de concepts,reliés les uns aux autrespar différentstypesdeconnexions : c’est le modèlemental. Voici commentce collectif dequatrecher-cheursrésumesathéoriedel’induction15 :

Selonnotrepoint de vue, les systèmescognitifs modélisenten per-manenceleur environnement,en insistantsur les aspectslocauxquifont obstacleà l’accomplissementdesobjectifsen cours.Il estpré-férabled’envisagerlesmodèlescommedesassemblagesdelois syn-chroniquesetdiachroniquesorganiséesauseindehiérarchiespardé-fautet regroupéesencatégories.Leslois constituantcemodèleinter-agissent,enaccordavecunprincipedeparallélismelimité, suivantundoublemécanismedecompétitionet decorroboration.La réalisationd’un objectifdépendsouventenpartied’unerecatégorisationflexiblede l’environnementcombinéavec l’établissementde nouvelles lois.Lesnouvelleslois sontengendréessuivantdesconditionsdedéclen-chement,la plupartpeuventêtreconsidéréescommedesréponsesausuccèsou à l’échecdesprédictionsdéterminéespar le modèlecou-rant.

À cettethéories’ajoutentcinq affirmationsimportantes:

1. Unegrandepartiedesinférencesprovient decompétitionsentrelois et dela générationdenouvelleslois résultantdecescompétitions.

2. Lavariabilitédesphénomènesestreprésentéeexplicitementdansle systèmecognitif etestutiliséeparlesmécanismesd’inférence.

3. Beaucoupde lois et de catégoriessontgénéraleset abstraites,et peuventdoncêtreappliquéesàtoutdomaine,enparticulier, pourcequinousconcerne,audomainemusical.

14Certainesrecherchesenpsychologiecognitive,tellescellesde l’équipePerceptionet Cogni-tion MusicalesdirigéeparStephenMCADAMS à l’Ircam, seconcentrenttoutparticulièrementsurlesmécanismesliés à la perceptionacoustiqueet musicale.Notreproblématiqued’analysemusi-calepeutenfait êtregénéraliséeà touteformedeperceptiontemporelle(la danse,la vidéo),maiségalementà touteperceptionde phénomènescomplexes.Les mécanismescognitifsmis en jeuxlorsdel’analysemusicalesontdoncenfait desmécanismesinductifstoutà fait généraux.

15[3], p. 343–346,traductionpersonnelle.

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4. L’acquisitionde nouvellesconnaissancesne peutêtreenvisagéequ’en te-nantcomptedesconnaissancesdéjàenpossession.

5. Enfin, l’induction estunprocessusremarquablementflexible. Denouvellesinformationssontemmagasinéesdemanièrerégulièreet flexible. Lesmo-dèlessontengendrés(etabandonnés)sansdifficulté.

L’approchecognitive du mécanismeinductif doit beaucoupau principehu-mien d’accoutumance,d’habitude,soutenupar unevision de l’entendementenproie à une imaginationfoisonnanteet éparse.Mais pour qu’une telle concep-tion puisseêtreformaliséede manièreexplicite, il estalorsnécessairedemettreen placeun mécanismekantien a priori . Il a été tentédesapplicationsinfor-matiquesdesmodélisationscognitivesdesmécanismesd’induction, permettant,parexemple,unesimulationdeprocessusd’apprentissagevoire mêmededécou-vertesscientifiques.Cessystèmesseheurtentàunproblèmedereprésentationdesconnaissanceset dedéterminationdesconnaissancesdebase.Uneadaptationdecesprincipesdansuncontextemusical– seprêtantmieuxàunesystématisation16

– pourraitrésoudrecettedifficulté.

3 Le projet kanthume

Notretour d’horizondesméthodologiesmusicologiquesa mis enévidencelerôle fondamentalquejoue l’analogiecommemécanismeélémentairede la com-préhensionmusicale,ainsi que la nécessitede réintégrerle sujet au sein de laproblématiquedel’analysemusicale.L’approchecognitivepermetalorsd’assurerl’objectivité de cettedémarche,et offre un cadresystématiqueouvert à la mo-délisationinformatique.À la lumièrede cesconclusions,nousnousproposonsdoncdemettreenœuvreun logiciel capabledeprocéderà detellesanalyses.Ceprojet, intitulé kanthume17, se présentantactuellementsousun état encoreem-bryonnaire,selimite à desconsidérationsd’ordre générales.Ce systèmesepré-senteraitsousla forme d’un logiciel auquelon fournit unepartition musicale18,proposantensuiteuneanalysedétailléequi pourraêtre représentéeselondiverspointsdevue.Le réseaudeconnaissancesseraitmis enœuvre,suivant l’idée de

16Si l’on fait toutefoisabstractiondetoutesémantiquemusicale.17kanthumeestuneconcaténationde KANT et HUME. L’ordre choisi,en partiepour un souci

d’euphonie,représentedemanièremétaphoriquele fait quela démarchedeKANT sesitueaprioriparrapportàcelledeHUME. Uneprésentationàjour decesrecherchesestdisponiblesurl’internetà l’adresse: www.ircam.fr/equipes/repmus/lartillot

18Il existedesstandardsd’encodagedepartitionsmusicales(SMDL, NIFF, DARMS, GUIDO, etc.)maison pourrasecontenterde la représentationMIDI dansun premierstadede développement.D’autrepart,unefois quelestechniquesdedescriptionsautomatiquesdesfichierssonoresaurontétédéveloppées,il pourramêmeêtreenvisagéde procéderà desanalysesde musiquesélectro-acoustiques.

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HOLLAND etassociés,sousla formed’un modèlemental,danslequelseraientre-présentésdemanièrepréalableà l’analyselesconceptsa priori énonçantlesmé-canismescognitifsdebase.La partitionàanalyserpeutêtreenvisagéedemanièreincrémentale,parun parcourschronologiquedesonétenduetemporelle.Chaquenouveauphénomènerencontréserapris en comptepar le systèmeinductif. Lesystèmes’évertueraà expliquer le phénomènerencontrépar une mise en rela-tion, parl’intermédiaired’analogies,avecdesconnaissancesdéjàacquises.Touteentitécernéepar l’analogie— un analogue, donc— estalorsrépertoriéepar lesystèmecommemotif musicalsignificatif. De même,la successionde cesana-loguesforme un autremotif. L’imbrication de cesorganisationspermettraalorsun mécanismed’attente,suivantexactementle principede MEYER, quedéclen-cheratouteperceptionultérieuredumotif imbriqué,dela réalisationdumotif im-briquant.Suivantle principedeHUME, l’imaginationtrèsactive du systèmeper-metla générationdenombreuseshypothèsesà traversle réseaudeconnaissances,contraintepar desmécanismesrégulateursa priori . L’important parallélismedumodèlementals’étendaux mécanismesde perception: les diversescaractéris-tiquesdesévénementsmusicauxperçus(les hauteurs,les intervalles,lesdurées,etc.)sontenvisagéesde manièresimultanéepar le système.Aux considérationscognitivesgénéralessontajoutésdesmécanismesspécifiquesà l’audition, issusd’étudespsychoacoustiques.

Nousnousproposonsdedétaillercesystèmeinductif enconsidérantdirecte-mentunexempled’analysemusical.Imaginonsdoncle comportementdusystèmefaceauxpremièresmesures— réduitepourdeuxportées— dela symphonien

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deLudwig VAN BEETHOVEN19 (cf. figure).– Instantn

�1 : Le modulede perceptiondesintervallesmet immédiatement

enévidencel’équivalencedehauteurdecestroispremièresnotes.S’installedoncuneanalogieimmédiateentrecestroisnotes.

– Instantn�2 : Un modulecomparesystématiquementl’ensembledesnotes

19Cetteanalysepourraêtrecomparéeà celleproposéeparMarvin Minsky [10], suivantégale-mentunedémarched’intelligenceartificielle.

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jouées— ainsi que l’intervalle avec les notesprécédentes— avec touteslesautresconfigurationsrencontréesauparavant,auxtranspositionsprès20.Il décèleraalorsici la similitudeexacte— uncasextrêmed’analogie— decetaccordavecl’accordprécédent,créantunmotif dedeuxaccords.

– Instantn�3 : L’analogieentrel’accorddel’instantn

�2 et le premierélément

du motif de deux accordsengendre,commeexpliqué auparavant, uneat-tentedel’achèvementdecemotif, c’est-à-direuneréplicationdecetaccord.C’estpourquoila réalisationeffective decetteattente— nouvelle analogieentrecesdeuxmêmesmotifs imbriqués— confortecettehypothèse,ren-forçantalorsla pertinencedecemotif dedeuxaccordset metenévidencecetterépétitiondestroisaccordsenunmotif ��� .

– Instantn�4 : Pourcesmêmesraisons,le systèmeattend,sanssuccès,uneré-

plicationdumêmeaccord.Maisle moduledecomparaisonmetenévidencel’exactesimilitude ce cet accordà une transpositionprès.Est égalementmiseenévidencela dissimilitudedela duréedecetaccord.

– Instantn�5 : Le silencecontribueàl’émergencedesquatrepremiersaccords

enunmotif � � , dontuneextension� ��� inclut cesilenceconclusif.– Instant n

�6 : L’accord restesimilaire aux précédentsà une transposition

près.Uneanalogieesttisséeentrecetaccordet lesaccords1 à 3 aumoyende la similitudededurée.Pourcetteraison,secréeuneattentede la réali-sationdu motif ��� (notéici � ), quele systèmegénéraliseà toutetranspo-sition.

– Instantsn�7 et 8 : La réalisationeffectiveestconformeauxattentes.

– Instantn�9 : Le motif ��� étantimbriquédansle motif � � , il secréeuneat-

tentedela réalisationdecedernier. Ou plusprécisément,plusieursattentessontenvisagées: soit l’accorddel’instant n

�4 tel quel,soit satransposition

aucontexte actuel.L’accordréelconcordeaveccettedeuxièmehypothèse,mais pasexactement: l’intervalle avec l’accord précédentest plus courtd’un demi-ton(unetiercemineureaulieu d’unemajeure,maisl’ordinateurne la sait pas).Le systèmes’évertueraalorsà expliquer a posteriori, parl’analysede la suitede la partition,cetteasymétried’intervalle, ainsi quecellededurée.

– Instantn�10 : Le silenceconclusifattenduparle motif � � � estbienrespecté.

L’analogieentrel’ancien motif � � � et ce nouveaumotif � � induit un nou-veaumotif � � concaténant� � � et � � .

– Instantn�11 : La structure,réduiteà unenote,diffèrede tousles accords

précédents,cependantle modulede comparaisonreconnaîtle sol desac-20Unemodélisationhumainetiendraitcomptedeslimitationsdenotremémoire,et neconsidé-

reraitalorsquelesévénementsmusicauxlesplusrécentsainsiquelesplusredondantsouceuxquiontcontribuéàdesmotifsanalogiques.Cettelimitation seraégalementimposéesi lescapacitésdemémoireinformatiquesontépuisées.

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cordsdesinstantsn�1 à 3. Le systèmedéduitalorslogiquementla restric-

tion desmotifs ��� et � � danscenouveaucontexte, et induit uneattentedecesmotifs.

– Instantsn�12 à 14 : L’attentea étésatisfaite,maisunenouvelle note,le do,

n’entredansaucunschémaexplicatif existant.– Instantn

�15 : L’accordprécédentperdure,ce qui peutvouloir dire quele

motif � � (ici noté ��� , et induisantuneattentede la réalisationd’un motifgénéral � ) n’est pasencoreclos. Mais une autrenouvelle note, le la b,entretientla surprise.

– Instantn�16 : La nouvellenoteestrépétée.Estinduitealorsl’analogieentre

cetterépétitionet cellequi inaugurele motif ��� , ainsiquel’attentecorres-pondante.

– Instantn�17 : L’analogieaveclemotif ��� semblecorrecte,ellepeuts’étendre

demanièrehypothétiqueaumotif � � .– Instant n

�18 : Cettedeuxièmeanalogieest partiellementvérifiée, l’inter-

valle se réduisantà une secondediminuée.Encoreun phénomèneà ex-pliquer, tout en notantau passageque la nouvelle note estunenote déjàrencontrée.Nousavons affaire à un motif �� . Une hypothèseproposederassemblerles motifs ��� et �� enun motif � , maisle non-achèvementdela dernièrenote de ��� met en doutecetteidée. On peut considérercetteimbricationde �� sur ��� sousla formed’un motif � � .

– Instant n�19 : La prolongationde la note précédenteinduit uneanalogie

entrele motif �� et la premièremoitié d’un nouveaumotif � . La nouvellenoteinaugureraitalorsun motif ��� constituantla secondemoitié.Parmi lesnombreuseshypothèsesformuléespar l’imagination débridéedu système,l’une d’elles identifie les deux dernièresnotessol et mi b avec cellesde��� . Il secréealorsuneattenteparallèle,demoindreimportance,de la notesuivante(la b).

– Instantsn�20à 22 : Le motif ��� s’achève surun do. Il secréeuneanalogie

entreles deux dernièresnoteset l’accord do-mi initié à l’instant n�12 et

toujoursprésentcequi constitueuneexplicationplausibledecettedernièrenote.Une autreexplication considèrela progressionrégulièredesmotifs� � , � et ��� (pourquoipas!). Enfin, la non-occurrencedela note la b et saprésencemarginaleauseindecetteorganisation� ��� �������� ������ , confèreà cettenoteun caractèreparticulier, à préciserultérieurement.L’attentedela réalisationd’un motif � n’estpasencoredéçue.

– Instantn�23 : Lasimilitudedecettenoteavecla notedel’instantn

�11induit

uneattented’un nouveaumotif � .– Instantn

�26 : Cetteattenteestsuspenduepar un nouvel accord,composé

d’unenotedéjàconnue— le ré — et attendueentantqu’élémentde � , lasecondepartiede � � , et d’unenotenonconnuemaispouvantêtreexpliqué

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parla transpositiondel’accorddel’instant n�12.

– Instantsn�27 à 30 : Le motif � semblepourtantseconfirmer. Le système

induit alorsuneidentificationde � etde � .– Instantsn

�31 à 34 : Les diversessurprisesne remettentpasen causela

vraisemblanced’une analogieavec � � , et confirmeen fait l’identification.Suiteàcela,le systèmeidentifiele motif � , considèrel’ensembledecequiprécèdecommeunmotif � � � � ��� . Comme� ��� � � ��� etpuisque� ��� � ��� , uneanalogieestétablieentre� � et � � etentre� et � . Cequipermetentreautresd’associeraux motifs � les notessupplémentairesrencontréesdansles motifs � et introduit le sous-entendutonal. Notonsen effet quepourchaquemotif � � et � estconservél’information relativeà l’ensembledenotesexprimées,ainsiqueleurdegréd’importance.Seprofilentalorslespremièresébauchesd’uneanalyseharmonique.

Unetelleanalyses’avèreparticulièrementlaborieusesansle secoursdela ma-chine.21 En effet, d’unepart, il nousestimpossibled’appréhenderici l’ensembleexhaustifdespointsde vue; et d’autrepart, le résultatd’une telle analysene seprêtepasfacilementà unereprésentationgraphiquesatisfaisante.Uneréalisationinformatiquemettraen évidencede manièreexplicite l’existenced’hypothèsesparallèlesexpliquantchacuneà samanièrele phénomènemusical,et auxquellessontassociésdesdegrésdeplausibilitédifférents.Il estintéressantdenoterqu’uneanalyseparadigmatiquedecetexempleseverraitmiseendifficultéparl’enchevê-trementdesmotifs detype � et � , qu’il n’estpasaisédereprésenterle long d’unaxe syntagmatique.Or nousn’avonstraité ici quelesneufpremièresmesuresdela symphonie,etpartiellementdesurcroît.. .

L’approcheanalogiquepermettraituneunificationdespointsde vue macro-scopique(analysedela forme)etmicroscopique(analysedesmotifs)enuneseuledémarchetissantunvasteréseaudemisesencorrespondance.Lesdiversélémentsdécelésconstituentles motifs, le réseaului-mêmeconstituela forme. De cetteformegénéralisée,il serapossible,grâceàl’informatiqued’eneffectuerunenavi-gation,unparcoursle longdesdifférenteshiérarchies,permettantàl’utilisateurdes’appropriercettestructurecomplexe. De plus,un systèmed’inductionautoma-tique suivantun modèlecognitif permettraitl’inférencede la grammairecachéedu langagesous-jacentà l’œuvremusicale.Lescapacitésimaginativeset combi-natoiresdela machineoffrent aumusicologueunesourced’inspirationinégalée.La machinepeutelle-mêmecontraindrece mécanismed’élaborationde théoriesmusicalespar desprincipescognitifs expliciteset paramétrables.La subjectivitéainsiexplicitéeestalorsmaîtrisée.Enfin, le fruit decesanalyses,rendantcomptede l’œuvremusicaleavecuneinfime précision,pourraêtreutilisé dansun cadrecompositionnel.Onpeutdoncimaginerdansunsecondtempsquecelogiciel per-

21LesanalysesdeRudolf Reti[12] enoffrent toutefoisun avant-goûtsavoureux.

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metteà l’utilisateur-compositeurd’éditercesdiversobjetsmusicauxet aideainsià l’élaborationdenouvellesœuvres.

Peut-onalors parlerd’art avec les outils de la science? Nousaimerionsré-pondre: oui, il estpossibledemettreen placeuneméthodologied’analysemu-sicalesystématique,fondéesurdespréceptesscientifiques.La collaborationdelascienceet de la musicologiepeutêtreenvisagéedediversesmanière.L’approchetraditionnelleconsisteenuneméthodologiescientifiqued’analyseappliquéeà lamusique.22 L’idée présentéedanscetarticleprolongeà l’extrêmecettedémarche,enproposantd’étudierdemanièrescientifiquela problématiquemêmed’analyse.Cetteétudefournit alorsunemodélisationquel’on adapteensuiteaucontextemu-sical.De l’aspectfinal decetteméthodologie,un systèmed’analyseprêtà l’em-ploi, il nesembleraitsubsisteraucunetracedescientificité.Mais l’informatique23

aprovoquéuneremiseencausedela conceptiontraditionnellementcentralistedumodèlescientifique.24

Remerciements Jetiensà remercierGérardASSAYAG , Jean-MarcCHOUVEL ,FabienLÉVY , QuentinMEILLASSOUX , FrançoisNICOLAS ainsiquemondirec-teurdethèseEmmanuelSAINT-JAMES.

Références

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[5] E. KANT. Critique dela RaisonPure. BibliothèquePhilosophique.Aubier,1997.Traduction,présentationetnotesparAlain RENAUT.

22De mêmeque la linguistiqueest la sciencedu langage,l’analyseparadigmatiquemusicaleconstituealorsunesciencedu langagemusical.

23L’informatique,d’ailleurs,estparfoisconsidéréecommeuneextensiondesmathématiques.24Danscecontexte, l’expressiond’ « outilsdela science» prendtoutesasignification.

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[6] O. LARTILLOT. L’analysemusicale: uneaffaire d’inductionet d’analogie.In Actesdesséminaires« Mathématiques,Musiqueet Philosophie» à l’Ir -cam. L’Entretemps,2002.En projet.

[7] O. LARTILLOT etS.DUBNOV etG. ASSAYAG etG. BEJERANO. Automaticmodelingof musicalstyle. In Proceedingsof the2001InternationalCom-puter Music Conference. InternationalComputerMusic Association,Cam-bridgeUniversityPress,2001.

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[12] R. RETI . The ThematicProcessin Music. Macmillan Publishing,1951.Reprintedin 1978by GreenwoodPress.

[13] M. TURNER. Categoriesandanalogies.In D.H. HELMAN , editor, AnalogicalReasoning, Perspectives of Artificial Intelligence,Cognitive Science,andPhilosophy. Kluwer AcademicPublishers,1988.

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