kangaroo et le virus du grand voyage · 2015. 12. 3. · iles vénézuéliennes, san blas, panamà....

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Kangaroo et le virus du grand voyage La vie a vite repris le dessus avec la rentrée scolaire et c’est sans nous qu’Hervé s’est retrouvé sur les pontons du Grand Pavois de La Rochelle. Dire qu'il y a trois ans nous y étions ! Notre bateau, le Fusion 40 KANGAROO exposé au salon, n'était vraiment pas terminé et le compte à rebours battait son plein. C'était le stress..., il fallait à tout prix que l’on soit prêts pour ne pas rater les dernières bonnes fenêtres météo de la saison et par- tir enfin profiter de notre année autour de l'Atlantique. Nos enfants, Robin et Julie, alors âgés de 8 et 10 ans, passaient leurs après-midi à ronger leur frein dans la fabuleuse bibliothèque munici- pale pendant que nous mettions la main à la pâte pour terminer au plus vite le bateau. Il était nostalgique, mon marin de mari, en se remémorant ce départ tout en regardant les nouveautés exposées. Et avec cette nouvelle petite envie au fond de lui : repar- tir un jour, pour des horizons plus extrêmes encore. D'ailleurs, il est revenu à la maison avec plein de catalogues. Un grand voyage prend du temps à se concrétiser, alors, pourquoi ne pas recommen- cer tout de suite à rêver ? Pourtant, l'heure est au bilan. Exercice imposé. Auquel nous nous sommes quelque peu habi- tués depuis notre retour. C'est donc avec grand plaisir que nous vous livrons là quelques-unes de nos réponses... Notre voyage devait durer une année, de septembre 2008 à l'été 2009. Avec comme projet la clas- sique boucle atlantique. L’envie est arrivée sans crier gare. Après les Canaries, la visite approfondie du Cap-Vert et notre première traver- sée Atlantique (pour les enfants et moi), la question a été mise sur le tapis. Pourquoi rentrer alors qu'en Europe la crise sévissait de plus belle et que nous vivions heureux avec peu de moyens ? Un conseil de famille fut alors tenu en secret dans les Caraïbes. A l'unanimité, l'équipage votait la continuation du voyage, pour une période maxi- mum de 2 ans à la demande expresse de Julie (elle s'en mord encore les doigts !). Le pro- gramme initial était par contre maintenu, les distances ne nous faisant pas peur avec un bateau rapide. Après l'arc antillais, nous avons donc mis le cap sur la République dominicaine, Cuba puis les Bermudes et les Açores. Ensuite, nous avons dirigé nos étraves vers le Maroc, où nous étions justement invités pour la célébration d'un mariage. Kangaroo est ainsi resté un mois dans la marina de Rabat et nous sommes revenus chez nous en septembre 2009 pour nous occu- per des questions administratives : trouver des nouveaux locataires, remplir les déclarations d'impôts et faire le plein de livres ! Ensuite, nous nous sommes retrouvés dans une autre dimen- sion. Sans programme "imposé", nous avons suivi nos envies au gré des rencontres et de la météo. Un Ils avaient décidé de partir pour un an autour de l'Atlantique. Muriel, Hervé et leurs enfants ont finalement réalisé un demi-tour du monde en trois ans. A peine rentrée sur le plancher des vaches, Muriel nous a envoyé le récit de cette aventure familiale... par Muriel ANDREY FAVRE

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Page 1: Kangaroo et le virus du grand voyage · 2015. 12. 3. · Iles vénézuéliennes, San Blas, Panamà. Les portes qui s'ouvrent sur le Pacifique. L'impensable qui se concrétise. Une

Kangaroo et le virus du grand voyage

La vie a vite repris le dessus avecla rentrée scolaire et c’est sansnous qu’Hervé s’est retrouvé surles pontons du Grand Pavois de LaRochelle. Dire qu'il y a trois ansnous y étions ! Notre bateau, leFusion 40 KANGAROO exposé ausalon, n'était vraiment pas terminéet le compte à rebours battait sonplein. C'était le stress..., il fallait àtout prix que l’on soit prêts pourne pas rater les dernières bonnesfenêtres météo de la saison et par-tir enfin profiter de notre annéeautour de l'Atlantique. Nosenfants, Robin et Julie, alors âgésde 8 et 10 ans, passaient leursaprès-midi à ronger leur frein dansla fabuleuse bibliothèque munici-pale pendant que nous mettions lamain à la pâte pour terminer auplus vite le bateau.

Il était nostalgique, mon marin demari, en se remémorant ce départ

tout en regardant les nouveautésexposées. Et avec cette nouvellepetite envie au fond de lui : repar-tir un jour, pour des horizons plusextrêmes encore. D'ailleurs, il estrevenu à la maison avec plein decatalogues. Un grand voyageprend du temps à se concrétiser,alors, pourquoi ne pas recommen-cer tout de suite à rêver ?

Pourtant, l'heure est au bilan.Exercice imposé. Auquel nousnous sommes quelque peu habi-tués depuis notre retour. C'estdonc avec grand plaisir que nousvous livrons là quelques-unes denos réponses...

Notre voyage devait durer uneannée, de septembre 2008 à l'été2009. Avec comme projet la clas-

sique boucle atlantique. L’envie estarrivée sans crier gare. Après lesCanaries, la visite approfondie duCap-Vert et notre première traver-sée Atlantique (pour les enfants etmoi), la question a été mise sur letapis. Pourquoi rentrer alors qu'enEurope la crise sévissait de plusbelle et que nous vivions heureuxavec peu de moyens ? Un conseilde famille fut alors tenu en secretdans les Caraïbes. A l'unanimité,l'équipage votait la continuation duvoyage, pour une période maxi-mum de 2 ans à la demandeexpresse de Julie (elle s'en mordencore les doigts !). Le pro-gramme initial était par contremaintenu, les distances ne nousfaisant pas peur avec un bateaurapide. Après l'arc antillais, nousavons donc mis le cap sur laRépublique dominicaine, Cubapuis les Bermudes et les Açores.Ensuite, nous avons dirigé nosétraves vers le Maroc, où nousétions justement invités pour lacélébration d'un mariage.

Kangaroo est ainsi resté un moisdans la marina de Rabat et noussommes revenus chez nous enseptembre 2009 pour nous occu-per des questions administratives: trouver des nouveaux locataires,remplir les déclarations d'impôtset faire le plein de livres !

Ensuite, nous nous sommesretrouvés dans une autre dimen-sion. Sans programme "imposé",nous avons suivi nos envies au grédes rencontres et de la météo. Un

Ils avaient décidé de partir pour un anautour de l'Atlantique. Muriel, Hervé etleurs enfants ont finalement réalisé undemi-tour du monde en trois ans. A peinerentrée sur le plancher des vaches, Murielnous a envoyé le récit de cette aventurefamiliale...

par Muriel ANDREY FAVRE

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petit crochet aux Canariespour acheter du "Jamon",du Kite Surf dans lesdunes de Dakhla, deuxmois au Sénégal pour flâner sur les fleuves...Notre troisième traver-sée de l'Atlantique nous a menés ensuite enGuyane française. Etaprès des semainesintenses partagées avecles bateaux-copains decette année-là autour del'Orénoque, Trinidad etTobago, nos chemins sesont séparés... Il y a ceuxqui partaient vers le nord,et nous, à suivre le soleil.Iles vénézuéliennes, SanBlas, Panamà. Les portesqui s'ouvrent sur lePacifique. L'impensablequi se concrétise. Unepartie du monde qui noustend les bras. Mais tropde choix et si peu detemps. Car les mois pas-sent vite, bien plus viteque l'on ne croit. LesGalapagos, bien sûr, puisles Marquises, Tuamotouset les îles de la Société.Ensuite, il fallait prendreune décision quant à ladestination finale. Car aubout du rêve, il y a lavente indispensable dubateau (à moins d'opterpour la location, qui estsans aucun doute moins

stressante sur ce point précis). Etc'est ainsi naturellement versl'Australie que nous avons mis lecap... en passant par Suvarow, lesTongas, le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie. Finalement, ce n'estpeut-être pas un hasard si nousavons appelé notre bateauKangaroo !

Avec notre expérience nautique,nous étions assez exigeants.Hervé a un profil de coureur –

deux mini-transats à son actif etune saison en Figaro, avant devirer sur le multicoque – tandisque j'ai toujours été attirée par lacroisière et les voyages. Le projet"mouton à 5 pattes" fut donc lancéavec comme principe primordial,trouver un bateau léger qui corres-ponde à notre budget et à nosenvies, qui pouvaient se résumerainsi : un multicoque pour la place,des dérives pour mieux remonterau vent, deux barres pour le plaisirà la barre et la visibilité, beaucoupde toile et un bateau léger pourbien avancer et avec plaisir dans lepetit temps.

Le concept du Fusion 40 nous adonc convenu parfaitement, carnous avions l'espace et la possibi-lité d'aménager le bateau à notreguise, à savoir le plus simplementet légèrement possible. Le jour desa mise à l'eau, Kangaroo a étépesé à 4,5 tonnes, sans le mât. Laqualité des finitions n'était pas pri-mordiale pour nous, même si c'estun point assez important pour larevente. A St-Martin, nous avonsrajouté une éolienne, venueappuyer notre installation solairede 320 watts. Avec cela, plus demoteur au mouillage. En trois ans,ils n'auront tourné que pendant500 heures !

La coque tribord était le règne desenfants. A bâbord, la cabine arrièredes invités était aussi celle quel'on utilisait le plus pour dormir ennavigation. Deux toilettes seule-ment, et bien heureusement ! Il y a déjà assez à nettoyer et àréparer comme cela. D'ailleurs, ladouche la plus utilisée fut celle del'extérieur.

Notre voile fétiche aura été sansaucun doute le gennaker. Facile àgérer. Polyvalent. Indispensableselon nous. Le spi quant à lui auramoins servi que prévu, la chaus-sette également, que l'on a remi-sée dès les premières nav... Et puis, on a aussi navigué sansgrand-voile dès la deuxièmeannée. C'était une chose impensa-ble pour Hervé, mais à l'usage,cela s'est avéré très efficace pleinvent arrière et nous a permis de préserver la GV des rayons UV !Par contre, il faut oublier le mythedes navigations au portant..., caron fait bien plus de près que cequ’on voudrait, tant aux Antillesque dans le Pacifique.

Avec les moyens que nous avonsactuellement, il est assez faciled'éviter de se retrouver dans detrop mauvaises situations. Et pour

cela, il faut apprendre à s’adapterpour partir au bon moment et nepas prévoir une date fixe d’arrivéequi risque de vous enlever le plai-sir d’être en mer.

Notre pointe de vitesse maximales’est faite au hasard d’un coup devent, lors de notre première tra-versée à l’approche de Madère.Nous avons atteint la vitesse maxde 19,6 nœuds ! C’était assezstressant car nous ne connais-sions pas encore complètement lecomportement de notre bateau.Mais quel plaisir...

Au niveau de l’adrénaline, nousnous sommes fait également trèspeur à l'entrée de la Casamance,l’année suivante. L'océan avaitdécidé de soulever ce jour-là detrès grosses vagues qui défer-laient dans la passe. J'ai dû bien m'accrocher à la barre quand lesvagues ont soulevé Kangaroo parl’arrière. Un bateau un peu pluslong aurait sans doute été le bien-venu, mais qui dit longueur pensetout de suite aux frais qui endécoulent.

Les cartes annuelles météorolo-giques ont été longuement étu-diées pour choisir la deuxième

partie de notre périple. C’est pourquoi, après le carnaval et lecarénage à Trinidad, nous avonsdécidé de rejoindre rapidementPanamà... pour pouvoir ensuiteprofiter du Pacifique ! En Nouvelle-Calédonie, nous avons attendulongtemps la bonne fenêtre pourrejoindre Lord Howe, l’île coral-lienne la plus au sud du monde quise situe à l'est de l'Australie.Lassés d’attendre, nous sommespartis par 25 nœuds faiblissantsdans une mer qui était encoreforte. Une vague plus grosse queles autres a tapé le flanc du bateauau bout d'un jour de navigation,cassant le hublot en morceaux.Nous avons dû changer de route

LES CHIFFRESVous aimez tenir un budget, noter chaque dépense ? Et il y a des fac-tures que l’on espère juste oublier ! Pourtant, l’argent est bien plus quenécessaire pour une si belle aventure. Notre budget mensuel était de 2300 euros par mois, ce qui comprenait excursions, locations devoiture et réparations (entretien courant du bateau).Pour la boucle atlantique de la première année : 136 jours de nav sur286, ce qui nous donne 47 % de jours de navigation pour 13 000milles environ. Pour la deuxième partie, 17 000 milles en 160 jours pour 600 jours devoyage, soit 26 % du temps. C’est sûr que nos 6 mois en Australie ontbien plombé notre moyenne…21 semaines avec amis/famille à bord dont une famille qui n’est restéequ’une nuit, tant elle avait le mal de mer ! Mieux vaut donc les testeravant car ça modifie considérablement ensuite le programme desvisites et le budget vacances qui se voit ajouter l’hôtel en plus ! Il y aaussi ceux qui en redemandent et qui ne se lassent pas de revenir...On les comprend bien ! La mer devient addictive avec le temps... En fait, c’est quand qu’on repart ?

1: Kangaroo, le Fusion 40 deMuriel et Hervé était parti pourun "simple" tour de l'Atlantiqued'un an. Il aura finalement navi-gué 3 ans autour du monde !

2 : De l'Afrique aux Caraïbes etbien sûr dans le Pacifique, cesont les rencontres qui aurontété les moments les plus forts duvoyage.

3 : La fresque de Kangaroo auxAçores avant le second départ.La tradition a aussi du bon !

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et partir au portant pour ne pasremplir le bateau d'eau !Dommage pour l'escale. Maiscomme toujours en mer, il fauts'adapter…

En ne partant qu'une année, tropgrande est la tentation d'aller versles Antilles. Pourtant, ce n'est aufinal pas ce que nous avons pré-féré. Tous ces touristes, cesbateaux de location qui ne sont defait pas sur la même longueurd'onde que les grands voyageurs.Pour mieux profiter du dépayse-ment, il faut oser sortir des sen-tiers battus, exercice rendu difficilepar l’arrivée prévue des visites quiont tendance à atterrir dans les îlesbondées et à date fixée à l’avance.Pourtant, rien n’est plus précieux

dans la vie que ces moments par-tagés hors du temps sur un voilieravec la famille et les amis. Il fautdonc jongler avec ces impératifs etce n’est pas toujours facile.

La première année, nos coups decœur ont porté sur les escales suivantes :

- Le Cap-Vert, pour ses îles si dif-férentes et des randonnées à cou-per le souffle.

- La Dominique, qui ne se résumeheureusement pas à l'escale dePortsmouth, tenue par des locauxqui prennent les navigateurs pourdes distributeurs à dollars.

- Les escales de Montserrat et Saba.

- La République dominicaine.

- Cuba et son charme hors du

temps.

- Les Açores en fleurs.

Ensuite, bien sûr, les San-Blas,puis tout le Pacifique dans sonensemble. Si c'était à refaire, nouspartirions d'ailleurs directement là-bas ! Il y en a pour des annéesd’exploration…

Bien souvent, la traversée est cequi fascine le plus le terrien. Luifait peur également. Moi, j'enrêvais depuis toujours. Je décriraisdonc les transats comme unmoment hors du temps.Surprenantes. Dès que la routines'installe, on ne voit plus les jourspasser. A ceux qui craignent d'yemmener leurs enfants, je leurcite la phrase de ma fille Julie qui, à un jour de l'arrivée enMartinique, nous répondit : "Quoi,on arrive DEJA demain ?" Ellen’avait que 8 ans, et à bord, il n’yavait que des livres. Pas dePlaystation ou de jeux similaires,l’apparition de l’iPod Touch n’étantarrivée que la deuxième année !Beaucoup de choix de jeux desociété, mais au final, rien ne vaut

une bonne partie de cartes enfamille après le coucher du soleil.

L'important pour les transats estd’avoir de quoi cuisiner de bonspetits plats et de ne pas oublierdes livres en quantité ! Nous enavons lu plus de 200 en trois ans...faute de ne pas en avoir échangédavantage...

Pour l'anecdote, je veux vous par-ler également de notre troisièmedépart "Atlantique": Nous venionsde déposer au bus la famille venuepasser les vacances de Noël avecnous à Dakar et en Casamance.L'idée était de retourner dans leSine Saloum quelques jours. Maisen rentrant au bateau, nous avonsréalisé que nous n'avions plus tel-lement envie de rester auSénégal. Il était temps de tournerla page. Le temps de faire lescourses au marché du coin et decontrôler la météo sur internet(déjà tout un programme, vu l’en-droit où nous nous trouvions), voilàque nous étions partis pour notretroisième traversée. Rien de plusnaturel quand on est libre comme

le vent ! D’où l’importance d’unebonne communication entrel’équipage. Rester à l'écoute desenvies et des besoins de chacunet définir ensemble un pro-gramme permet d'éviter bien desconflits.

Quant aux traversées, elles per-mettent également de faire lepoint sur les endroits visités. C'estun temps d'attente bienvenu avantd'attaquer la suite du voyage, seplonger dans de nouvelles cou-tumes, de nouveaux modes devie. Cela permet de bien tout digé-rer et de ne pas tout mélanger.

Leçon de vie où l’on apprend à por-ter un autre regard sur l’environne-ment, en créant et en gérant notrepropre énergie (solaire, éolienneou fossile), l’eau douce, la nourri-ture (avec un apport possible depêche et des graines germées).

C'est aussi le temps d'apprendre àvivre hors du temps. Momentsmagiques passés seuls, la nuit, àscruter la mer et les étoiles.

« Un conseil de famille est alorstenu en secret dans les Caraïbes. Al'unanimité, l'équipage vote la continuation du voyage… »

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Précieux moments où l’onapprend à se connaître, les uns etles autres, sans possibilitéd’échappatoire. La chance égale-ment, pour les enfants, de grandirtranquillement, bien entourés deleurs parents et de prendre leurspremières vraies responsabilités,puisque les enfants faisaient aussileurs quarts, de 20 heures à 22heures pour Robin et celui dumatin pour Julie (de 7 à 9). Uneseule règle à bord de Kangaroodans ces moments-là : avoirautour de la taille la balise duWavefinder, système de repéraged’homme à la mer.

La traversée la plus éprouvanterestera sans conteste celle pourrejoindre les Galapagos : 9 joursentiers à se faire secouer en tirantdes bords de près, avec interdic-tion d'allumer l'ordinateur aurisque d'endommager le disque

dur ! Pas une minute de moteurpour cette traversée vu que l'éo-lienne tournait à fond et qu’ellefournissait toute l'énergie néces-saire au pilote et autres instru-ments de bord. Hervé s'est alorsdépensé à fond pour nous rendrela vie plus douce en organisant àbord des chasses au trésor journa-lières ! Et il était magnifiquedéguisé en Neptune pour le rite depassage de l'équateur…

Lors de la première boucle, nosenfants étaient en 4e et en 6e pri-maires suisses, ce qui correspondau CM2 et à la 6e du collège enFrance. Etant donné qu'aucun programme par correspondancen’existe en Suisse, nous avonsrécolté des livres sur les sujets lesplus importants et avons jonglé dela sorte. Pour la deuxième année,

nous avons décidé de les inscrireau CNED. Nous avons trouvé lescours très complets mais y avonsajouté nos particularités locales.Par contre, nous avons trouvé lesystème des envois trop rigidepour les marins. On ne comptepas les parents qui doivent modi-fier le programme de navigationpour recevoir les livres, envoyerles épreuves à temps, etc.Pourquoi se mettre à dos cettecontrainte alors que nous avionschoisi la liberté ? Nous avons donctrès rapidement décidé d’agircomme nousle souhaitions, ennous affranchissant du système eten ne prenant que ce qui nous

convenait. Le seul inconvénientest que nous avons dû corrigertoutes les épreuves nous-mêmes..., mais cela permetcependant de fait retravailler nosvieux neurones. Au retour, nosenfants ont été testés pour réinté-grer l’école, comme s’ils venaientd’un système étranger. Missionréussie puisqu’ils ont réussi àconserver leur année d’avance. Laphase de réadaptation est encours et tout a l’air de très bien sepasser.

Il aurait été tentant de continuer à vivre de la sorte, mais nous trouvions que, pour notre fils de

« Sans programme "imposé", nousavons suivi nos envies au gré desrencontres et de la météo… »

4 : Sortir des sentiers battus, le meilleur moyen de profiter à fond duvoyage en bateau.

5 : La remontée de l'Orénoque, et encore des rencontres et des échanges…

6 : A bord de Kangaroo, tout le monde tient son quart, même Julie, la benjamine…

7 : Cuba, l'un des meilleurs souvenirs de la famille aux Antilles, pour soncharme suranné...

8 : La pêche n'a pas toujours été facile à bord du catamaran, même si unpetit requin s'est laissé prendre au leurre...

9 : Panama : la porte s'ouvre sur le Pacifique et une nouvelle aventure…

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13 ans, c’était le bon moment pourrentrer. On ne voulait pas qu’il ratele coche de la socialisation.L’enseignement est une desfacettes du voyage qui nous adonné beaucoup de plaisir et defierté. L'école a d'ailleurs du bonquand il s'agit de les occuper àbord. Elle avait lieu tous les matins,à moins que la navigation ne soitpas facile (au près, par exemple),que des visites à terre soient pro-grammées ou lorsque des amisétaient chez nous en vacances.Cela permettait également auxparents d'avoir du temps poureffectuer leur propre CNED, selonl'expression bien trouvée d'un lec-teur de Multicoques Mag.Corvées, Nettoyages, Entretien,Dépan-nage. Car la vie à bord d'unvoilier n'est jamais de tout repos !C'est un des secrets bien gardésdes grands voyageurs ! La TO DOLIST n'est jamais bien loin…

Ce n’est pas une mince affaire quede tenir un blog de voyage. Celan'avait rien à voir d’ailleurs avec les

emails que nous échangions avecnos proches, sur des sujets pluspersonnels, via le téléphone satel-lite. Ces messages-là nous ontd'ailleurs bien rapprochés. Et ironi-quement, nous avions plus de nouvelles en voyage que mainte-nant, où tout est déjà rentré dansl'ordre ! C'est le comble de la viemoderne. J'ai eu beaucoup de plai-sir à prendre le temps d'écrire –www.favrenmer.ch –, à trouver dessujets intéressants, en gardant àl'esprit qu'il fallait que je resteconcise ! Beaucoup de navigateursabandonnent rapidement cet exer-cice et cette contrainte supplé-

mentaire. Le blog nous aura per-mis également de faire de trèsbelles rencontres, même virtuelles! Nous venons de l’imprimer, en unseul exemplaire, pour pouvoir lefeuilleter plus facilement. Quellesurprise de le voir se transformeren deux gros annuaires de télé-phone qui sont posés sur la tabledu salon ! Cette masse est commeune preuve réelle du rêve que nousavons réalisé. Et elle va servir sansdoute de base à un prochain projet !

En bateau, il faut gérer son éner-gie, ses réserves d'eau douce, songasoil. Se nourrir avec les vivres dubord, pêcher, apprendre à troquer,se filer des coups de main.Apprécier les petites choses,comme un restaurant, un glaçondans une boisson fraîche (nousavions un frigo mais pas de congé-lateur), un coucher de soleil.Utiliser l'ordinateur avec parcimo-nie... avec un point pour l'iPad quiconsomme tellement moins ! Vivreau jour le jour. Composer desrepas avec ce qui reste à bord.Dans certains coins de la planète, ily a tellement de déchets, de pollu-tion, que ça nous a fait pleurer. Etpuis, le retour est un choc. Il y aune telle abondance, un si grandgaspillage autour de nous ! Il n'y aaucun doute, contrairement à nosvoisins, nous sommes prêts pourla décroissance. Il est d'ailleurstemps que tout le monde s'ymette. Robin a par exemple étéchoqué à vie dans l’Orénoque endécouvrant que le PrésidentChavez distribuait des télévisionsalors que les Indiens n’avaient niélectricité, ni réseau, ni murs sur

leurs pilotis. Tout ça pour obtenirdes votes supplémentaires. Où vale monde ?

En mer, même si nous avons faitquelques belles prises (dont unrequin !), les poissons se font de

plus en plus rares, et il n’y aaucune comparaison possible avecnos livres de chevet où l’on pouvaitlire qu’il suffisait de jeter la lignepour avoir à manger ; les fonds oùil reste quelque chose, comme aularge du Maroc, sont ratissés pardes bateaux-usines qui travaillentnuit et jour, en rejetant d’ailleurs àla mer tout ce qui n'a pas degrande valeur marchande. Depuisnotre retour, c’est avec convictionque nous essayons d’ouvrir laconscience des gens que nousrencontrons sur une gestion plusdurable de nos ressources. Car ilest tout à fait possible – et néces-saire – de consommer moins etplus efficacement tout en gardantun bon confort et en préservantnotre planète pour les générationsfutures.

Comment faire lorsque les hôpi-taux sont loin ? Au Sénégal, Hervéa été victime de la dengue. Cela luiest tombé subitement dessus, enpleine navigation. 40 degrés defièvre. Impossible de resterdebout. Une équipe de médecinsde Voiles sans Frontières étaitdans les parages. Ils nous ont per-mis d’éviter le pire (je lui donnaisle mauvais médicament, JAMAISd’aspirine dans ce cas-là) et lui onfait le test de la malaria qui s’estdéclaré négatif. Nous sommesalors rentrés rassurés sur Dakaroù Hervé s’est traîné du lit auhamac et vice versa pendant troissemaines. Il a fallu être trèspatient avant qu’il ne retrouvetoutes ses forces !

Autre exemple : la très mauvaise

chute de Julie à vélo à Isabela, auxGalapagos. Pas de médecin surl’île... Mais au mouillage, oui ! Ilsont ainsi pu lui fabriquer unsuperbe plâtre amovible et lacoquine s’est vue dispenséed’écriture pendant la traversée !

Des incidents, il y en a bien sûr eud’autres en trois ans et cela nesert à rien de vous en faire la liste.C’est clair qu’en voyageant de lasorte, nous prenons le risque denous trouver hors des sentiersbattus et loin de toute aide. Maisen ville aussi, il y a des risques etpeut-être même plus.

Dernière petite anecdote...Combien de fois répète-t-on qu’ilfaut toujours garder une main pourse tenir au bateau ! En remplis-sant un seau d’eau douce pournettoyer le cockpit, Julie est tom-bée à l’eau un jour sur l’Orénoque.Nous étions au moteur, il a suffi defaire demi-tour pour la repêcher.Mais un accident est toujours pos-sible. Il n’y a pas de recette mira-cle pour les éviter.

Quant à la sécurité, il faut bien sûrprendre ses précautions. L’endroitqui nous aura le plus marqués aurasans conteste été Colon, avant lepassage du canal de Panamà.Hommes armés partout dans laville, les passants qui nous remet-tent à chaque fois sur le droit che-min en nous conseillant vivementde rester sur les quelques ruescentrales. La une du journalchaque matin faisant état desmeurtres du jour d’avant...Comprendre où l’on se trouve ets’habiller ou se comporter enconséquence, s’adapter, ne pas

« Pas de moteur au mouillage. En trois ans, ils n'auronttourné que pendant 500 heures ! »

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avoir peur, car ça se sent. Ce sonttoujours les mêmes conseils…

Le touriste visite, le navigateurvoyage. Tout est dans la nuance...

Nous, nous avions notre temps.C’était d’ailleurs une sensation fan-tastique de se proclamer "million-naire en temps !". Cela permet detrès belles rencontres. La pratiquedes langues est sans conteste unatout. A bord de Kangaroo, nousétions bien achalandés à ce niveau-là : français, anglais, italien, espa-gnol, allemand et latin ! Et on s'estmême mis au portugais… Ne parlerqu'une seule langue peut donc êtreun handicap.

Entre grands voyageurs, c'est unebelle solidarité. Il n'y a plus de barrières d'âge, de langue, deniveau social... à un détail près : lesmulticoques seront toujours préférés pour les repas improviséspour leur place dans le cockpit.

Les rencontres créent aussi desdrames. Car vient toujours lemoment de la séparation. Mêmeles parents peuvent en souffrir.Heureusement qu'avec les moyensactuels il est plus facile de garder lecontact. Une autre facette quenous découvrons maintenant estcette solidarité qui se crée auretour. Comme un centre de sou-tien pour atterrissage sans trop dedouleur, un endroit où l’on peut par-ler de ce qu’on a vécu. Car il ne fautpas croire qu’en faisant un voyagede ce type vous rentrerez en héros.Après les quelques questionsd’usage du genre : t’es parti com-bien de temps, déjà, c’était bien ?Le train-train se réinstalle et l’onvous considère revenu dans lemoule ! Difficile à digérer.

Nous avions donc la puce à l'oreille.Et tout est question d’organisation.Nous sommes ainsi arrivés enAustralie au mois de décembre2010, pour éviter la saison descyclones du Pacifique. Après unséjour fantastique à Sydney, lespréparatifs de Noël, les feux d'arti-fices du Nouvel An et la régateSydney-Hobart pour Hervé, noussommes partis à l'aventure, cettefois en voiture, sur cet énorme île-continent. Après 30 000 milles à lavoile, nous enchaînions avec 13 000km de voiture en deux mois ! Notreexpérience nautique nous a certai-nement aidés à vivre si longtempsdans si peu de place ! Les enfantsdormaient à l'intérieur de la voiture,alors que nous avions une tente quis'ouvrait pour la nuit sur le toit denotre Toyota ! Dans le coffre, unmini-frigo et une plaque deux-feux à

gaz. Un sac d'école et l’équivalentd’un cabas en forme de cube cha-cun pour nos habits et nos affairespersonnelles. Ainsi parés, nousétions les rois du monde…

L'organisation de la dernière sortiede l'eau pour rénover Kangaroo envue de sa vente, la recherche debrokers compétents, des envois decurriculum vitae, des entretiens viaSkype qui se concrétisent pour cha-cun de nous. Petit à petit, notrenouvelle vie allait prendre forme àmesure que nous montions versBrisbane. Rien n'est plus motivantque de revenir en sachant quechaque membre de la famille amaintenant de nouveaux objectifs :travail, formation, projets. Un pluspour le retour. Car nous avons indé-niablement changé, et ceux quisont restés ne le perçoivent pas for-cément. Notre capacité d'adapta-tion va encore devoir faire sespreuves.

10 : Autre océan, autre paysageavec les somptueuses Galapagos…

11 : Les jupes de Kangaroo ont beaucoup plu à cette otarie desGalapagos…

12 : Kangaroo au mouillage dans labaie des Vierges à Fatu Hiva :magique !

13 : Sydney, fin du voyage pourKangaroo et retour aux sources pource catamaran originaire d'Australie.La boucle est bouclée !

14 : Kangaroo, toujours plus loin,vers le but du voyage…

15 : Sur Suvarow, l'équipage ducatamaran a voulu redécouvrir lestraces de Tom Neale, qui y vécut enermite de nombreuses années.Impres-sionnant !

16 : Après avoir parcouru 30 000milles en cata pour atteindrel'Australie, la famille s'embarquepour 13 000 km en voiture pour visi-ter en deux mois l'île-continent…

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