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Octobre 2015, Investig'Action

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Page 1: Journal de l'Afrique n°14
Page 2: Journal de l'Afrique n°14

Le Journal de l’Afrique N°14 - Octobre 2015

Sommaire

Editorial : Du Burkina qui rit au Burundi qui pleure !

Dossier : Branle-bas au pays des Hommes intègres

– Burkina Faso: deuxième victoire du peuple contre le système

néocolonial Par Tony Busselen

– Le peuple burkinabé désavoue les missionnaires de la

CEDEAO/Françafric ! Par Roland Fodé Diagne

– Burkina Faso : feu orange de la France en faveur des putschistes

Par Nicols Beau

– Burundi : « Non, la guerre et l’ingérence de Washington et de l’Union

Européenne ne sont pas inévitables. »

– Par Tony Busselen & Olivier Atemsing Ndenkop

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Editorial

Du Burkina qui rit au Burundi qui pleure !

Tout est allé très vite. On se croirait dans un film hollywoodien. Mercredi 16 septembre2015, le gouvernement de transition se réunit au palais présidentiel à Ouagadougou. A lasurprise générale, des éléments du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), la gardeprétorienne de l’ex président Blaise Compaoré, font irruption et sèment la pagaille. LePrésident de Transition, Michel Kafando, son premier ministre Isaac Zida et deuxministres sont pris en otage. Le lendemain, 17 septembre, le général Gilbert Diendérés’autoproclame président. Il n’est pas suivi par le reste de l’armée qui s’organise etquadrille la capitale Ouagadougou pour chasser les putschistes s’ils refusent de partir. Le22, un sommet extraordinaire de la CEDEAO se tient à Abuja et condamne le coup d’état.Face à la pression intérieure et extérieure, Diendéré et ses hommes capitulent. Le 25septembre, la Transition est réinstallée et tient un nouveau Conseil des ministres etprend, entre autres grandes décisions, celle de dissoudre le Régiment de SécuritéPrésidentielle. Le putsch a échoué. Le 6 octobre, une cérémonie est organisée àOuagadougou pour présenter les armes de l’ex-RSP au public avant de les remettre àl’armée loyaliste.

Le pays des Hommes intègres ne s’est pas désintégré. Un camouflet pour les putschisteset leurs soutiens tapis à l’Elysée et à Matignon. Dans un dossier alléchant, le Journal del’Afrique (JDA) vous offre des clés pour comprendre ce feuilleton politico-militaire.

Avant le feuilleton burkinabè, c’est le Burundi qui retenait l’attention, au regard duclimat d’insécurité qui règne dans ce pays d’Afrique de l’Est depuis la réélection trèscontestée du président Pierre Nkurunziza en juillet dernier. Que se passe-t-il réellement,au Burundi en particulier et dans les Grands Lacs en général ? La crise burundaise cache-t-elle une volonté de (re)conquête des matières premières ? Et l’impérialisme dans toutça ?

Pour permettre à ses lecteurs de démêler cet écheveau, le JDA est allé à la rencontre deTony Busselen, spécialiste des Grands Lacs.

Par Carlos Sielenou & Olivier A. Ndenkop

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Dossier : branle-bas au pays des Hommes intègres

Burkina Faso : deuxième victoire du peuple contre le systèmenéocolonial

Onze mois après l’insurrection populaire qui a chassé Blaise Compaoré, le peupleburkinabé s’est à nouveau mobilisé massivement pour faire échouer un coupd’État par un ancien bras droit du dictateur. Après 8 jours, les putschistes ont dûplier bagage. Mais rien n’est joué…

PAR TONY BUSSELEN

Fin octobre 2014, des centaines de milliers de Burkinabés avaient réussi en 3 jours àchasser le dictateur Blaise Compaoré. Durant 28 ans, le régime Compaoré était le pilierde la domination occidentale sur le pays et la région d’Afrique de l’Ouest. Entre le 16 et le25 septembre 2015, le pays a connu une mobilisation encore plus grande qu’il y a 11mois. En réaction au coup d’État par le général Gilbert Diendéré et son Régiment de sé-curité présidentielle (RSP), l’ancienne garde prétorienne du dictateur Compaoré. Le 16 septembre, le RSP interrompt le conseil des ministres. Le Président et le Premierministre sont arrêtés. Le RSP déclare les frontières fermées, interrompt les émissions detélévision et de radio et, le lendemain, le général Diendéré est déclaré dirigeant du pays.Le 16 septembre, les 23 organisations syndicales, unies dans l’Unité d’action syndicale(UAS), lancent le mot d’ordre de grève générale. Ils exigent la dissolution de la RSP et ap-pellent leurs membres du secteur public, privé et informel, à se « rassembler dans tousles milieux stratégiques sur l’ensemble du territoire national ». Et, effectivement, lepeuple et la jeunesse descendent massivement dans la rue aussi bien à Ouagadougouqu’à l’intérieur du pays, dans les villes de Bobo-Dioulasso et de Gaoua. Partout les jeunes,femmes (parfois accompagnées de leurs enfants) disent « non » au coup d’État. Dans lacapitale, le peuple affronte des éléments de la RSP dans les rues. A Bobo-Dioulasso, lesmanifestants occupent pendant une semaine la place Tiéfo Amoro, 24 heures sur 24. Apartir de la place, ils partent quotidiennement pour faire des marches autour de la ville.La troisième journée, une foule de jeunes attaquent le camp de l’armée Ouezzin Coulabi-ly. Las de solliciter le ralliement des militaires, qui sont 13 000 tandis que la RSP n’estcomposée que de 1 500 hommes. « Donnez- nous les armes, nous allons faire nous-mêmes le travail » disaient-ils. Les syndicats et l’Organisation démocratique des jeunes (ODJ), appellent à mettre surpied des comités de vigilance dans les quartiers. Dans certaines régions, ces comitésprennent en main l’organisation de la vie quotidienne. Ils ouvrent les marchés de 7 h à10h30 et puis les ferment. Après 3 jours, les putschistes sont obligés de libérer le Pré-sident Michel Kafondo. Deux jours plus tard, ils relâchent le Premier ministre. Et encoredeux jours plus tard, le général Diendéré reconnaît l’échec de son coup d’État et acceptela réinstallation du Président de la transition. Le vendredi 25 septembre, le conseil deministres décide la dissolution de la RSP et l’armée commence le désarmement des put-schistes. Les comptes en banque d’une série de 14 personnes et 4 partis, du réseau de

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l’ancien dictateur Compaoré, sont gelés par le procureur. L’UAS décide de suspendre lagrève générale mais appelle à la vigilance.

La CEDEAO propose la capitulation devant le putsch

Au niveau international, les réactions sont assez contradictoires. Formellement, toutesles organisations internationales et les gouvernements condamnent le coup d’État. Maisla fermeté manque fortement chez les gouvernements étasunien et français. L’Union Afri-caine (UA), elle, suspend dès le 18 septembre l’adhésion du pays à l’organisation. Elle dé-clare que les putschistes sont des terroristes et décide de compiler une liste de noms.Elle invite les gouvernements des États membres ainsi que les partenaires internatio-naux à considérer ces « terroristes » en tant que tels. Les chefs d’États des pays voisins,réunis dans un organisme régional appelé la CEDEAO (Communauté Economique DesEtats de l’Afrique de l’Ouest), en majorité des grands amis et serviteurs de Washington etde Paris, par contre, avancent le dimanche 20 septembre un projet de solution de la criseen proposant la libération du Président et Premier ministre de la transition en échange…d’une amnistie pour les putschistes, d’un report de la question du sort de la RSP à la pro-chaine législature et de l’organisation des élections fin novembre avec la participationdes candidats du camp de l’ancien dictateur. Ainsi, la CEDEAO reprend pratiquement lesrevendications des putschistes. Le président français, François Hollande, appuie immé-diatement cette proposition de la CEDEAO : « Nous soutenons entièrement le dialogueengagé par des chefs d’États africains (de la CEDEAO) pour revenir au processus de tran-sition. Je mets en garde ceux qui voudraient s’y opposer. » Ce n’est pas un hasard puisquel’accord a été élaboré le dimanche matin en présence des ambassadeurs français, Thi-bault, et américain, Mushingi. Le 21, sur sa page Facebook, l’ambassade américaine in-siste sur une solution négociée. Or, dès que les propositions de la CEDEAO sont connues,le peuple refuse. Le porte-parole de l’unité d’action syndicale demande : « Dans quelpays au monde, on négocie avec des terroristes ? » Un bloggeur note : « Le projet d’ac-cord de la CEDEAO ne passe pas ». Il écrit que le 21 septembre les manifestants ex-priment partout leur désaccord avec la CEDEAO. Des pneus sont brulés et des barricadesinstallées pour ralentir les militaires de la RSP. Quelques jours plus tard, le vendredi,c’est le peuple qui gagne et c’est la RSP qui sera désarmée et dissoute, une enquête surses crimes démarre.

Diendéré maillon de la chaine de domination occidentale dans la région

D’où vient le culot du général Diendéré d’interrompre un conseil des ministres, d’arrêterle Président et le Premier ministre puis de tenir tête pendant 8 jours à un peuple insur-gé ? La raison est que Diendéré fait partie d’un réseau qui a tenu le pouvoir avec l’aide, etau service, de la France et des États-Unis depuis trois décennies. Il a reçu la Légiond’honneur en 2008, et est l’ami personnel des deux derniers ambassadeurs français(tous deux militaires), le général Beth et Gilles Thibault. Le journaliste et écrivain spécia-liste de l’Afrique, Antoine Glaser, mentionne par exemple : « En février de cette année, ilétait encore au Mali où est installé l’état-major français de l’opération Barkhane pour desexercices militaires avec les services secrets français et américains, la DGSE et la CIA. »On peut ajouter qu’en mars il participe aux exercices annuels de l’Africom, l’opérationFlintlock, au Tchad. Glaser rapporte : « Gilbert Diendéré était vraiment leur homme danstoute la région, cela veut dire qu’il est informé de tout. » Compaoré et Diendéré

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connaissent tous les secrets et ont été mêlés à toutes les manœuvres de la France et desÉtats-Unis lors des guerres dans les pays voisins (Libéria, Sierre Léone, Côte d’Ivoire etMali).Le moment de la tentative de putsch n’est pas anodin. Deux jours avant le coup d’État, lacommission de réconciliation nationale avait recommandé la dissolution de la RSP. Et le19 septembre, le juge d’enquête militaire allait informer la famille de l’ancien présidentrévolutionnaire Thomas Sankara des résultats de son enquête sur l’assassinat de ce der-nier. Ce qui veut dire que le rôle de Diendéré dans cet assassinat, en octobre 1987, allaitêtre exposé. De plus, le Conseil national de la transition (CNT) avait exclu des élections tous leshommes politiques qui avaient collaboré avec Compaoré pour réformer la constitution etassurer la pérennité de la dictature, ce qui avait été l’acte déclencheur de l’insurrectionen octobre de l’année passée. Dans ces circonstances, Diendéré et le réseau Compaoré,les hommes habitués au pouvoir et aux amitiés des grandes puissances, ont trouvéurgent de lancer leur offensive.

Retour vers la transition et des élections démocratiques?

Le jour avant le coup d’État, le mardi 15 septembre, la Coordination contre la vie chère(CCVC), une coalition des syndicats et d’organisations de la société civile, avait lancé unecampagne « pour les droits économiques et sociaux, pour les libertés et l’indépendancenationale ». Jusqu’au 3 octobre, la CCVC prévoyait des conférences de presse, des décla-rations, des émissions radiotélévisées dans les 45 provinces du pays. « La transition estla championne des promesses et n’a pas réussi à faire un vrai nettoyage durant son man-dat. La désillusion des populations qui réclamaient de véritables changements prend deplus en plus forme », selon la CCVC. « Sur les questions de l’impunité, la coalition noteune certaine hésitation dans les dossiers des martyrs de l’insurrection populaire, deThomas Sankara, de Norbert Zongo (journaliste opposant de Compaoré assassiné, selontoutes vraisemblances, par le régime en 1998, NdlR) et des autres crimes de sang. » En d’autres mots, le bilan de la transition n’était pas positif. Et quand on regarde le passéde tous les acteurs importants de cette transition cela se comprend. Le Président MichelKafondo était en mai 1983 un des inspirateurs du coup d’État de Jean-Baptiste Ouédrao-go qui avait fait arrêter le capitaine Thomas Sankara. Il s’agissait d’un coup d’État réac-tionnaire, dirigé contre la démocratie et la gauche. Quelques mois plus tard, Sankaraprendra le pouvoir et Kafondo ira en exil. Après l’assassinat de Sankara, Kafondo repren-dra du service sous le dictateur Compaoré, et il représentera la Burkina Faso aux Nationsunies de 1998 jusqu’en 2011 en tant qu’ambassadeur. Le Premier ministre Zida était ad-joint de Dienderé au sein de la RSP au moment de l’insurrection en octobre de l’annéepassée. Le favori des élections qui est appuyé par Kafondo et Zida est Roch Marc Kaboré,un ancien collaborateur de Compaoré qui avait quitté le parti du dictateur neuf moisavant sa chute pour fonder son propre parti, le Mouvement du peuple pour le progrès(MPP). L’UAS et d’autres organisations avertissaient quotidiennement pendant la se-maine du coup d’état du risque de l’éclatement d’une guerre civile réactionnaire (guerreentre deux camps de droite). Mais, en même temps, ils définissaient le camp de Diendérécomme « fasciste ». Après le premier conseil des ministres le vendredi 25 septembre,une délégation du gouvernement, sous la direction du ministre de l’Emploi, est allée féli-citer les syndicats pour leur participation active à la résistance contre le putsch et a plai-dé pour une levée du mot d’ordre de grève. Les syndicats, eux, ont accepté la suspension

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de la grève, mais ont refusé de l’enterrer : « Nous sommes dans une période de crise etnous analysons pratiquement tous les jours la situation. En temps opportun, nous avise-rons ». Deux jours plus tard, lundi 27 septembre, l’état-major de l’armée signalait dans un com-muniqué une « impasse » dans le processus de désarmement de l’ex-RSP. Diendéré lui-même avait, dans sa dernière déclaration devant la presse, le 23 septembre, déclaré ensouriant « regretter le coup d’État et les morts tombés »1 et évoqué le futur de la RSP :« Ce n’est pas à moi de décider mais des assurances ont été données pour que la RSP nesoit pas dissoute et cela va se discuter très prochainement lorsque les médiateurs de laCEDEAO vont revenir. » A suivre donc.

Burkina, l’exemple pour le Burundi, la RDC et d’autres pays en Afrique ?

Les médias occidentaux présentent la mobilisation populaire au Burkina comme unexemple pour les peuples d’autres pays. L’idée est que, pour obtenir l’alternance enAfrique, il faudrait limiter le nombre des mandats des présidents. Et dans les pays où desprésidents essaieraient de changer la constitution pour supprimer la limitation dunombre des mandats prévus, les peuples se mobiliseraient pour chasser ces présidentset obtenir la démocratie. Le Burkina Faso en serait la preuve et l’exemple. Il s’agit d’unepropagande du principe que le président américain Barack Obama avait défendu en2009 devant le Parlement ghanéen : l’Afrique n’aurait pas besoin « d’hommes forts maisd’institutions fortes ». Le problème, c’est qu’au Burkina la mobilisation du peuple est assez unique. On ne la re-trouve pas du tout dans les pays mentionnés comme les prochaines cibles de révolte po-pulaires. La révolte du peuple burkinabé va beaucoup plus loin que la poursuite d’unchangement de président et de l’organisation d’élections. Surtout, l’existence d’un mou-vement syndical bien implanté et organisé depuis plus de trois décennies est unique. Endehors de l’Afrique du Sud, un tel mouvement n’existe pas ailleurs en Afrique. Ce mouve-ment syndical prône depuis ces origines (début des années 1980) « un syndicat qui lie lalutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, au combat contre la réactionet l’impérialisme », comme l’a défini le premier congrès syndical d’avril 1981. Depuislors, ce mouvement syndical s’est développé à travers des contextes différents avec unecontinuité et un engagement impressionnants. Aujourd’hui, il est devenu un mouvementrespecté dans le pays et est reconnu même par ses adversaires. Pour ce mouvement syn-dical, ce ne sont pas les élections ou l’alternance en tant que telles qui sont les critères,mais bien les changements dans la réalité et la vie quotidienne du peuple. Ainsi, ce mou-vement syndical s’est toujours méfié de la bourgeoisie burkinabé néo-coloniale. En té-moigne la réponse que donne le porte-parole de l’UAS le 26 septembre à la question dujournal Lefaso qui demandait si les syndicats défendaient l’exclusion de certains ancienscollaborateurs de Compaoré des élections : « Il ne revient pas au mouvement syndicald’indiquer les acteurs politiques qui doivent être exclus. Notre position, c’est de faire ensorte que tous les Burkinabés qui sont responsables de crimes économiques et de crimesde sang répondent devant la justice. Et si c’est avéré, qu’ils soient frappés d’indignité po-litique, quel que soit le parti auquel ils appartiennent. »

Source : Solidaire.org

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Le peuple burkinabé désavoue les missionnaires de la CEDEAO/Françafric!

Le président de transition, Michel Kafando, photo DR

Durant quatre jours, le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), que le communiqué del'Union Africaine (UA) a qualifié fort justement de "terroriste", a mis aux arrêts legouvernement de transition né de l'insurrection populaire et fait tirer sur le peuplemobilisé pour dire NON au coup d'état, causant des dizaines de morts et des centaines deblessés. Les mains nues, le peuple a réussi à faire plier le RSP et ramené l’équipe detransition.

Par Roland Fodé DIAGNE

Le 31 octobre 2014 la révolution populaire du peuple Burkinabé chassait le dictateurfrançafricain, Blaise Compaoré, lequel après le colonialisme français a été le plus grand assassindu peuple Burkinabé, avec la complicité de l'impérialisme français dirigé à l'époque par FrançoisMitterrand et l'un des parrains des réseaux françafricains Houphouët-Boigny.

L'autocrate Blaise Compaoré avait été exfiltré par François Hollande et placé en Côte d'Ivoiresous la protection d'Alassane Ouattara, lequel a été imposé par la force d'occupation militairefrançaise Licorne après la capture du président Laurent Gbagbo.

Les forces armées nationales ont rejoint le peuple dans la rue en encerclant la garde prétorienneputschiste qui s'est finalement rendue. Le pouvoir a été ainsi rendu au gouvernement detransition.

La mobilisation du peuple contre le coup d'état et la médiation putschiste

La médiation orchestrée par les réseaux françafricains, sous couvert de la CommunautéEconomique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pilotée par les Présidents du SénégalMacky Sall et du Bénin Yayi Boni, a tenté d'imposer au peuple l'amnistie des putschistes,l'inclusion dans les prochaines élections des caciques du régime autocratique écartés par lacommission électorale et l'arrêt de la procédure judiciaire sur l'assassinat du héros national etpanafricain Thomas Sankara.

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Dès le premier jour du coup d'Etat, toutes les centrales syndicales du pays réunies au sein del'Unité d'Action Syndicale (UAS) Burkina Faso déclarent : " fidèle à ses engagements et à son rôlehistorique dans la vie du peuple burkinabè : - Condamne fermement cette 4ème intrusion duRégiment de Sécurité Présidentielle dans la vie politique Nationale ; - Exige la dissolution sanscondition du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) ; - Interpelle toutes les composantes dupeuple burkinabè sur leur rôle de défense de l’intérêt supérieur de la Nation ; - Appelle lestravailleuses et travailleurs des secteurs public, parapublic, privé et du secteur informel àobserver un mot d’ordre de grève générale sur toute l’étendue du territoire à partir du mercredi16 septembre 2015 et jusqu’à nouvel ordre ; - Appelle les travailleuses et travailleurs dessecteurs public, parapublic, privé et du secteur informel à se rassembler dans tous les milieuxstratégiques sur l’ensemble du territoire national jusqu’à nouvel ordre".

La jeunesse se lance dans la bataille à l'appel de L’Organisation démocratique de la jeunesse duBurkina Faso qui " Condamne sans réserve le coup d’Etat perpétré par le RSP ce 17/09/2015 ;Félicite ses militant-e-s et sympathisant-e-s ainsi que la jeunesse patriotique et révolutionnairequi a déjà pris pied dans la rue à Ouagadougou et à travers le pays contre le coup d’Etat ; Appellela jeunesse populaire à : - se mobiliser dans les quartiers, les secteurs, villages, arrondissements,et villes du pays en prenant toutes les initiatives possibles pour opposer une vive résistance à cecoup d’Etat ; - se mobiliser pour apporter protection et secours aux nombreux blessés et auxjeunes en résistance dans la rue ; - faire barrière à une éventuelle guerre civile réactionnaire quianéantirait les progrès démocratiques réalisés par le peuple ; - se battre pour la préservation desacquis de l’insurrection populaire des 30 et 31 obtenus aux prix de lourds sacrifices".

Réagissant fermement aux affirmations dilatoires des "médiateurs" de la CEDEAO, le front detous les syndicats de la magistrature Burkinabé déclare le 20 septembre 2015 : " C’est pour cetteraison que les syndicats de magistrats burkinabè, fidèles à leurs déclarations de départ,voudraient rappeler à l’attention de tous : qu’ils n’entendent aucunement collaborer avec uneautorité établie en violation des textes en vigueur ; que le besoin de paix n’est pas inconciliableavec le besoin de justice et que, du reste, la meilleure paix qui s’inscrit dans la durée est celle quine laisse jamais inassouvi le besoin de justice. Ces tueries ont probablement eu lieu parce qued’autres tueries antérieures n’ont pas été sanctionnées, et si celles présentes ou en cours restentimpunies, d’autres viendront encore s’ajouter pour revendiquer la même impunité. Le BurkinaFaso ne se construira pas dans cette spirale d’impunités. Les syndicats de magistrats enappellent donc au soutien de tous pour les aider au rayonnement de leur serment et àl’avènement d’une justice égale pour tous".

Même le président de la Transition dément de fait l'allégation des commissionnaires garçons decourse de la CEDEAO/Françafric quand ils disent avoir "consulté tout le monde". Le président dela Transition du Burkina Faso, Michel Kafando a déclaré ouvertement : " «Je n’ai pas été associéaux négociations», «je suis toujours en résidence surveillée. Je suis gardé par la sécuritéprésidentielle»Et de préciser : «Ce n’est que ce matin seulement que j’ai reçu copie du projet d’accord qui a étéproposé par la médiation de la Cedeao ; j’ai eu connaissance de cet accord comme tout lemonde», avant d'asséner : «Je suis très réservé sur ce projet d’accord parce que tous lesproblèmes qui ont été abordés ne peuvent pas trouver solution comme ça, notamment leproblème de fond (…) en précisant ensuite n’avoir «plus été contacté» après le départ desprésidents Macky Sall et Yayi Boni dépêchés par l’instance sous-régionale. Et dans son discoursde retour au pouvoir adressé au peuple Burkinabé, le Président de la transition d'ajouter: " En cequi concerne les dernières propositions de la CEDEAO pour une sortie de crise, il est évidentqu’elles ne nous engageront que si elles prennent en compte la volonté du peuple burkinabé,exprimée clairement dans la Charte de la Transition".

Il suffit tout simplement de relater les séquences de cette prétendue médiation pour seconvaincre que ces présidents missionnés ont tenté de commettre à nouveau, à l'encontre du

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peuple Burkinabé, la même infamie que celle du voyage escorté par les Mirages français de l'ex-président du Sénégal, A. Wade, à Benghazi pour sacrifier Khaddafi sur l'autel de la Françafric, del'Eurafric et l'USAfric. La félonie d'hier est renouvelée aujourd'hui et les peuples du Sénégal et duBénin doivent laver l'affront pour demander pardon au peuple héroïque frère du Burkina Faso.

Une raison de plus pour la candidature de la Gauche aux prochaines élections

Toutes les forces de gauche ainsi que le peuple du Sénégal soutiennent, contre les putschistes etleur trahison avortée, le peuple frère du Burkina Faso. Et la meilleure façon pour notre famillepolitique et notre peuple de le démontrer est de le dénoncer puis de s'organiser pour luttercontre les libéraux (PDS, APR, REEWMI, etc) et les sociaux libéraux (PS,AFP, etc) adoubés par lenéocolonialisme françafricain, eurafricain et usafricain. La « fraternité africaine » n'est qu'unvain mot tout juste destiné à tromper les peuples meurtris quand il est utilisé par ces courantspolitiques dont l'apatridie est congénitale et qui ont fait perdre à l'Afrique ses héros trop souventmartyrs, comme de Sankara, Cabral, Krumah, Um Nyobé, Osendé Afana, etc.

Les élections prochaines au Sénégal sont indéniablement une occasion pour la gauche historiquede faire valoir sa conception politique de l'indépendance et de la fraternité africaine contre lasempiternelle servitude des libéraux et sociaux libéraux vis à vis de l'impérialisme.

Cet enjeu devient une exigence encore plus importante au vu du rôle honteux de "tirailleurs"joué par nos présidents A. Wade, puis Macky Sall et avant eux L. Senghor, contre la Guinée duNON à la "communauté française" et A. Diouf à la "francophonie".

Comme écrit dans un texte précédent, la gauche historique rassemblée dans la Confédérationpour la Démocratie et le Socialisme (CDS) est en effet la plus apte et la plus légitime pourappliquer les "conclusions des Assises Nationales" parce que toutes les autres familles politiqueslibérales et social-libérales ont fait faillite. La gauche historique ne peut s'exclure d'elle-même etse défausser ainsi de ses responsabilités historiques.

Le PS a refusé le choix démocratique d'une candidature unique de Benno Siggil Sénégal (BSS) en2012, l'APR est au pouvoir depuis 2012. Ces faits démontrent clairement que les "conclusionsdes Assises Nationales" ne sont agitées que pour duper le peuple afin de laisser au pouvoir lessoumis légendaires au FMI, à la Banque Mondiale, à l'OMC, aux APE, en un mot afin de continuerà bafouer l'indépendance et la souveraineté nationales au profit des maîtres impérialistes.

Il s'agit maintenant de préparer l'alternative, après l'expérience de deux alternances libérales,par la conquête démocratique du pouvoir de la seule force qui, rassemblée, est à même de mettreen pratique comme programme minimum les dites "conclusions des Assises Nationales".

Vive l'héroïque peuple du Burkina Faso (des Hommes intègres de feu Thomas Sankara)! .……………………………………………………………………………………………

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Burkina, feu orange de la France en faveur des putschistes

Le général Gilbert Diendéré, chef des putschistes au Burkina, possède de solidesrelais à Matignon et à l'Elysée qui ne l'ont pas dissuadé de tenter son coup de

force.

Par Nicolas Beau

Gilbert Diendéré, DR

L'ancien chef de la garde présidentielle de Blaise Campaoré et chef des putschistesburkinabés, le général Gilbert Diendéré, possède de nombreux réseaux au plus haut

niveau : Elysée et ministère français de la Défense. Le militaire félon a bénéficié dusoutien discret à Paris de deux hommes clés: l'ancien ambassadeur français au Burkina ,

le général Emmanuel Beth et, le chef de l'Etat-major particulier de l'Elysée, legénéral Benoit Puga. Les trois généraux se connaissent depuis leurs années de

formation; et leurs liens ne se sont jamais démentis. Il arrivait au général Diendéré desauter en parachute avec son ami l'ambassadeur Beth.

Le général Puga, qui occupait les mêmes fonctions à l'Elysée sous Nicolas Sarkozy, joueun rôle majeur dans la politique française en Afrique. Il fut un des artisans de

l'intervention en Libye sous le quinquennat précédent et un des maîtres d'œuvre del'opération Serval. De bonne source, Mondafrique peut affirmer qu'il était au courant des

intentions belliqueuses de son ami le général Diendéré. Autant dire que l'Elysée était auparfum et n'a rien fait pour dissuader le militaire putschiste.

La Françafrique, le retour

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Quant au général Beth, il travaille désormais dans un cabinet connu d'intelligenceéconomique ESL Network: Lequel passe pour avoir recruté d'anciens conseillers de

Manuel Valls au Ministère de l'Intérieur et pour entretenir les meilleures relations avecMatignon. De là à penser que le Premier ministre actuel Manuel Valls était au parfum de

la tentative de prise de pouvoir, il n'y a qu'un pas que nombre d'observateurs de la scèneafricaine franchissent volontiers.

Autre indice d'une complaisance française en faveur des putschistes : les quelque 320militaires français des COS (Commandos d'opérations spéciales) présents au Burkina

n'ont pas bougé durant la tentative de coup d'Etat du général Gilbert Diendéré.L'accompagnement de la transition burkinabé par les autorités françaises connait

quelques ratés. Et l'image de la France, rattrapée par la Françafrique, n'en sort pasgrandie.

Source : http://mondafrique.com

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Burundi : « Non, la guerre et l’ingérence de Washington et del’Union Européenne ne sont pas inévitables »

Afin de permettre à ses lecteurs de comprendre la situation tendue auBurundi en particulier et dans la région de l’Afrique centrale en général,nous avons interviewé le Belge Tony Busselen(*), qui suit de près lesévènements dans la région des Grands Lacs. Etant donné que la situationévolue et que les évènements se succèdent, nous tenons à préciser que cetteinterview a été réalisée le 15 septembre.

Entretien mené par Olivier Atemsing Ndenkop

Tony Busselen

Les manifestations anti troisième mandat au Burundi ne cachent-elles pasune question plus profonde qui serait une meilleure répartition du fruit dela croissance et donc l’amélioration des conditions de vie des citoyens enAfrique ?

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La répartition du fruit de la croissance est en effet une question-clé pour toutel’Afrique. Mais il y a deux problèmes qui y sont liés : d’abord ce fruit devra, dans unepremière phase, être investi dans les infrastructures pour jeter les bases d’un progrèsplus durable et aller de pair avec la création d’emplois. Et de deux : ce sont surtoutles grandes multinationales qui vont partir avec la majeure partie de ce fruit. L’AfricaProgress Report rédigé en 2013 sous la direction de l’ ancien secrétaire général del’ONU Kofi Annan notait : « On estime que 60 % des échanges internationaux sontaujourd’hui réalisés entre des filiales d’une même entreprise, et plusieurs sociétésd’extraction actives dans les pays riches en ressources naturelles importent des bienset des services d’une filiale ou d’une entité affiliée, obtiennent des financementsd’une autre, et vendent en amont à d’autres entreprises du groupe actives dans latransformation. (…) Pour les autorités africaines, faire appliquer les codes des impôtsest souvent mission impossible. » Le Rapport estimait le vol par fraude fiscale de lapart des multinationales à 38,4 milliards de $ qui quittent chaque année l’Afrique. Eton ne parle même pas des avantages fiscaux que ces grandes sociétés reçoivent sousl’impulsion du Fonds Monétaire International (FMI) qui pousse les gouvernementsafricains à « séduire » les investisseurs pour investir dans leur pays avec toutes sortesd’exemptions d’impôts, etc. Donc, un mouvement qui voudrait obtenir une meilleurerépartition du fruit de la croissance devrait d’abord revendiquer des investissementssérieux dans des infrastructures et pour la création d’emplois et, de deux, il devraitsurtout orienter la colère populaire vers ces grandes multinationales qui, avec lesoutien des pays industrialisés et des institutions financières, pillent le continentafricain au milieu des guerres et de la misère. Ce genre de mouvement en viendraitpresque logiquement à exiger de leurs gouvernements qu'ils s'en prennent à cespratiques de pillage. Or, on ne constate rien de cela dans ce qui se passe au Burundi.Ni du côté du camp présidentiel, dirigé par Président Nkurunziza qui assure qu’il areçu le pouvoir de Dieu lui-même et qui n’hésite pas à employer des méthodesextrêmement brutales contre ses opposants causant une centaine de morts, desblessés plus nombreux encore et un flot de 180.000 réfugiés vers les pays voisins. Pasnon plus du côté du mouvement anti-Nkurunziza. Car, quand on analyse lesévénements, il est sûr que certains manifestants sont plus en colère à cause de leursconditions de vie qui ne s’améliorent pas que sur la question du troisième mandat.Or, c’est pourtant bien cette dernière revendication qui est le dénominateurcommun du front anti-Nkurunziza. La colère s’explique aussi et surtout par larépression brutale. Mais c’est aussi un fait que les manifestations se limitent àquelques quartiers à Bujumbura. Différents observateurs qui connaissent bien le paysconfirment que dans la campagne, où habite la majeure partie des Burundais et quiest surtout la partie la plus pauvre, il n’y a pas de manifestations, sauf à un certainmoment dans la Bujumbura rurale, une des 18 provinces du pays. On ne peut pasparler de colère populaire massive généralisée, comme c’était le cas par exemple auBurkina Faso où c’est une partie bien plus importante de la population qui s’estmobilisée. Et enfin, il faut noter que les coups que Nkurunziza a reçus depuis avril decette année sont surtout à mettre à l’actif des milieux de la classe politique quicomptent sur la pression des gouvernements occidentaux pour pouvoir retourner àBujumbura comme membres d’un nouveau gouvernement et pour qui le mouvementde masse n’est pas l’instrument principal. Il y a eu les défections au plus haut niveau

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du parti de Nkurunziza lui-même, il y a eu la tentative de coup d’État échouée en maidirigé par des hauts gradés militaires. Tout ça ressemble très peu à une révoltepopulaire massive. La stratégie des opposants ressemble plutôt à attirer l’attentionde la soi-disant « Communauté Internationale » et de provoquer une interventionextérieure. Et, en effet, il y a la menace de retirer l’aide budgétaire au gouvernementà Bujumbura qui dépend pour 50 % de l’extérieur. Or, Nkurunziza et les siens disentqu’ils préfèrent une crise budgétaire que lâcher le pouvoir. Dans ce cas, si lesopposants persistent dans leurs stratégie, ils devront demander - voire provoquer -une intervention plus musclée de ce qu’on appelle la Communauté Internationale,mais qui est en fait l’Occident.

Y a-t-il un point commun entre les événements au Burundi, au Sénégal, auBurkina Faso et les « Printemps arabes » qui ont secoué la Tunisie, l’Egypteet la Libye, avec pour mot d’ordre « abat le pouvoir perpétuel » ?

Le point commun dans tous ces pays, auxquels vous comparez les événementsactuels au Burundi, c’est une stratégie de changement de régime sous les auspicesdes Etats-Unis appuyés par l’Union Européenne. Ces dernières années en Afrique, il ya eu le mot d’ordre « alternance pour la démocratie » lancé dans les médiasoccidentaux. J’ai déjà dit dans une interview précédente que les mots d’ordre del’« alternance » et « non au troisième mandat » lancé en 2009 par le président états-unien Obama, sont des mots d’ordre démagogiques qui évitent la questionessentielle qui est : « l’alternance pour quoi faire ? » Alternance pour défendre lasouveraineté ou pour continuer à suivre les consignes données par Washington,Paris, Londres ou Bruxelles ? Alternance pour quitter la voie stipulée par le FMIdepuis trois décennies qui ne mène nulle part sauf à une exploitation toujours plussauvage par les multinationales des ressources naturelles africaines et unaffaiblissement permanent des États africains ? Ou alternance pour mettre en placeun gouvernement encore plus docile au FMI ? Ces mots d’ordre d’alternance et delimite du nombre de mandats au nom de la démocratie dans la bouche desOccidentaux sont simplement ridicules. Au Togo, cela ne pose aucun problème pourles médias occidentaux que le fils de l’ancien dictateur Eyadema (37 années dedictature) se fait réélire cette année pour un quatrième mandat. Ce qui implique quepère et fils ont le pouvoir depuis 1967, ça fait une dictature de 48 ans ! Avec labénédiction de Paris ! Et au Bénin, Paris vient d’envoyer Lionel Zinsou, un ancienmembre de cabinet de plusieurs ministres socialistes français et proche collaborateurde Laurent Fabius pour y être nommé… Premier ministre. Ce Monsieur a aussi unelongue expérience dans les conseils d’administrations des grandes multinationalescomme Danone, Hewlett Packard et la Banque Rothschild. Depuis 2008, ce monsieurétait président du Comité exécutif de la société d’investissement PAI Partners, gérantun capital de 7,5 milliards d’euros ! Sans aucune élection ni lien avec un partibéninois, ce monsieur est parachuté au mois de juin 2016 dans le fauteuil de Premierministre du Bénin ! Où est le souci pour la démocratie, la légitimité et lareprésentativité populaire dans les médias occidentaux ? Sur l’Ethiopie, un pays quine connaît tout simplement pas de partis d’opposition dans le parlement, où lesélections sont gagnées à 100 % par l’alliance gouvernementale, Susan Rice, ancienne

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ambassadrice états-unienne à l’Onu et actuellement présidente du conseil desécurité nationale états-unien, déclare, sans rire, que les élections s’y « sontdéroulées d’une façon complètement démocratique » ! Qui peut prendre au sérieuxces grands discours sur la « nécessité de l’alternance au nom de la démocratie » detous ces grands dignitaires et médias du monde capitaliste occidental ? Qui peutrester aveugle sur l’agenda géostratégique des Etats-Unis et de l’Union européenneen Afrique ? Prenez l’exemple de Djibouti. Le 21 juillet 2015, the Daily Telegraphpublie un article en concluant que des diplomates états-uniens contestent la volontédu président de Djibouti, Mr Guelleh, de participer aux élections de l’annéeprochaine. Selon ces diplomates, une telle participation serait « inconstitutionnelle ».Il n’y a pas un seul membre de l’opposition de ce pays qui est même cité, ce sont lesdiplomates états-uniens qui s’octroient la compétence de la cour constitutionnelle dece pays. Mais le comble est que le journal écrit noir sur blanc que « Washingtonespère qu’un dirigeant plus raisonnable sera élu, quelqu’un qui sera plus aligné sur lesintérêts du Pentagone », le ministère de la Défense états-unien donc ! Quel est lecrime de ce M. Guelleh ? Le fait d’avoir conclu un accord avec la Chine pourl’exploitation du port de Djibouti pour la somme de 185 millions de $. Or, dans cepays se trouve depuis 2001 un camp militaire états-unien où sont logés 4500 soldats.Ce camp Lemonnier subit pour le moment des travaux de rénovation et d’expansionpour la somme de 1,4 milliard de $. Ce camp serait, selon des officiers états-uniens,important pour la lutte contre le terrorisme et pour le rassemblement d’informationssur les différents groupes terroristes au Moyen Orient et en Afrique. Or, horreur, laprésence de Chinois dans le port civil, pourrait mettre en danger ces opérationsd’intelligence ! Et donc les diplomates états-uniens sont à la recherche d’un présidentplus « raisonnable »… au nom de la constitution et de la limitation du nombre desmandats. Et, enfin, on ne dit encore rien sur le fait que cette alternance est prêchéepar des prêtres de la démocratie qui sont eux-mêmes les derniers à l’appliquer. On avu, quand le peuple grec a voté pour une alternance, de quelle façon dictatoriale sesont comportés la Commission Européenne et l’Eurogroupe, une instance qui n’estmême pas élue.

Au Conseil de sécurité de l’ONU, on n’arrive pas à formuler une résolutionconcernant le Burundi. Que se passe-t-il en réalité ?

D’abord il faut se poser la question : comment comprendre que, parmi les analyses etcommentaires de nombreux spécialistes occidentaux, très peu donnent del’importance au fait que cette communauté internationale est fondamentalementdivisée ? Pour moi, c’est la preuve qu’un grand nombre de ces gens qui militent pourque la fameuse « communauté internationale » applique davantage encore unepolitique d’ingérence et d’intervention au nom de la « démocratie » et des « droitsde l’Homme », sont vraiment endoctrinés et parlent la langue de bois. Ils font commesi les positions occidentales étaient représentatives de toute la communautéinternationale. Il y a en effet deux camps dans cette communauté internationale : lecamp qui dit que Nkurunziza n’avait pas le droit de se présenter comme candidat etqu’il est « disqualifié », car « la décision de Nkurunziza de participer aux électionsprésidentielles est « totalement contraire aux accords d’Arusha » comme l’a marteléLouis Michel au parlement européen ; et, de l’autre côté, il y a un nombre assez

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important de pays et de gouvernements qui disent qu’ils constatent une divergencesur l’interprétation de la constitution. Et que cette divergence doit être résolue entreBurundais. Ce serait trop facile de réduire cette division au sein de la communautéinternationale à une division entre pro et anti-Nkurunziza, ou supporters de ladictature versus démocrates. Dans le deuxième camp se trouve par exemple leprésident sud-africain, Jacob Zuma, qui a dit à plusieurs reprises en public qu’il avaitconseillé à Nkurunziza de ne pas se représenter. Quand on voit la composition desdeux camps, ce serait d’ailleurs aussi ridicule de penser que la personne deNkurunziza est la vraie raison de la division. La raison plus profonde est que des payscomme la Russie, la Chine, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Tchad, la RDC, la Tanzanie, etbien d’autres pays Africains, n’acceptent plus les violations par le camp occidental dela souveraineté des pays africains sous prétexte de vouloir protéger les droitsdémocratiques des peuples. Le ministre des Affaires Etrangères russe Lavrov vient depublier le 24 août 2015 une opinion dans les journaux Rossiyskaya Gazeta en Russieet Renmin Ribao en Chine. L’article est écrit à l’occasion du 70ème anniversaire de lafin de la défaite de la deuxième guerre mondiale. Il note que la Russie et la Chinesont les deux pays qui ont le plus souffert dans cette guerre. Il y décrit et louel’alliance Russo-Chinoise. Et il oppose cette alliance à l’Occident qui essaie de« falsifier l’histoire et de mettre les bourreaux nazis et les victimes soviétiques sur lemême pied ». « Ainsi on sape les bases de l’ordre mondial moderne qui a été formulédans la Charte de l’ONU ». Cette Charte a comme principe le respect de lasouveraineté et le refus de l’agression d’une nation par une autre. Lavrov dit : « Lefutur du monde ne peut être déterminé par un État ou un petit nombre d’États ». Ilparle clairement des Etats-Unis et de leurs alliés Européens. « Le bombardement dela Yougoslavie, l’occupation de l’Irak, le chaos en Libye et la guerre fratricide enUkraine sont des preuves qu’une déviation de cette sagesse ainsi que le désir dedominer le monde, d’imposer sa volonté, ses visions et ses valeurs à d’autres Étatsmènent à des conséquences tragiques. » Ce type de messages est simplement négligéen Occident ou ridiculisé. Et ce n’est donc pas un hasard que, sur le Burundi aussi,certains nient l’évidence qu’il y a une opposition grandissante contre « le petitnombre d’États » qui continuent à parler comme s’ils représentaient la communautéinternationale et l’humanité entière et qui déclarent urbi et orbi qui est disqualifié àêtre président dans un pays et qui ne l’est pas.

Enfin, on doit noter une hypocrisie immense chez ces hommes politiques occidentauxqui aujourd’hui se disent « alarmés » et avertissent même d’un danger de génocide. Car, primo, tant la police que l’armée burundaise a reçu ces 5 dernières années un entrainement intensif et massif de la part des Etats-Unis (en ce qui concerne l’armée) et de la part de certains États européens (en ce qui concerne la police). Selon le « Security Assistance Monitor » qui se base sur les chiffres officiels de l’armée états-unienne, le Pentagone a entraîné entre 2011 en 2014 pas moins de 20 000 soldats burundais, c’est-à-dire presque la totalité des troupes burundaises. La police a été formée par des programmes exécutés par la Belgique et les Pays Bas à partir de 2011.Secundo, en 2010, l’opposition anti-Nkurunziza avait déjà en long et en large avertit de la tendance qu’elle disait dictatoriales de Nkurunziza. Elle avait même boycotté lesélections en dénonçant les conditions qui ne lui permettaient pas de mener des

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campagnes électorales surtout dans les provinces. Or, ses membres ont été qualifiés de « traitres à la démocratie » par les Occidentaux. Leonard Nyangoma, qui est aujourd’hui à la tête de l’alliance anti-Nkurunziza, a déclaré avoir été traité d’une façon arrogante par les ambassadeurs belge, français et allemand. Quand il a dû se réfugier en Tanzanie à cause de la répression qui le visait, il a demandé un visa pour la France dans le cadre du regroupement familial. Les autorités françaises le lui ont refusé en première instance avec l’argument qu’il avait « boycotté les élections », ce qui aurait pu entraîner « un nouveau cycle politique marqué par la violence et l'instabilité sécuritaire ». Il a dû aller en justice pour obtenir son visa. En 2013, il s’est vu aussi interdire l’entrée aux Etats-Unis. Or aujourd’hui, ce même Nyangoma, se trouve donc à la tête de l’alliance anti-Nkurunziza qui est appuyé par … les Etats-Unis et ses alliés Européens. C’est un exemple de ce que Lavrov décrit comme « le désir de dominer le monde, d’imposer sa volonté, ses visions et ses valeurs à d’autres États ». La technique consiste à appliquer une politique incohérente où l’on appuie aujourd’hui les gens que l’on a rejetés hier et où l’on combat aujourd’hui les gens quel’on a appuyés hier, avec le seul critère « est-il pour le moment utile pour notre leadership ? ». Une telle politique ne peut mener que vers le chaos et l’instabilité, on l’a vu en Irak, en Afghanistan, en Libye et ailleurs et on le voit aujourd’hui au Burundi.

Qui se cache derrière l’assassinat des hommes politiques burundais depuisl’élection de Nkuruzinza et dans quel but ces crimes sont-ils commis?

D’abord, on ne peut que constater que ces assassinats sont commis par desprofessionnels. Des gens qui s’y connaissent dans le métier militaire. Cela neressemble pas du tout à une révolte populaire mais plutôt à un règlement de compteentre maffias. Il s’agit d’attaques bien ciblées exécutées contre des personnes hautplacées du camp Nkurunziza et, en représailles, contre des personnes de l’opposition.Particulièrement inquiétant est l’assassinat du général Adolphe Nshimirimana,deuxième homme du régime Nkurunziza, suivi par l’assassinat du colonelBikommagu. Bikommagu était l’ancien chef des Forces Armées Burundaises (FAB),l’ancienne armée dominée par les Tutsi dans les années 1990, qui est aussi liée aucoup d’État en 1993 contre Ndadayé, le premier président progressiste éludémocratiquement qui voulait en finir avec l’ethnicisme et la haine entre Tutsi etHutu et qui voulait se battre pour l’unité nationale. Ainsi on risque de glisser vers uneguerre entre deux composantes de l’armée burundaise qui, après l’accord d’Arusha,ont été intégrées dans une armée : les anciennes FAB contre les anciens rebelles deNkurunziza. Ces deux camps se sont fait la guerre pendant plusieurs années dans lesannées 1990.

Le 24 juillet 2014, la chaine de télévision arabe Al Jazeera a montré un reportagedans le camp de réfugiés burundais Mahama, à l’Est du Rwanda. Dans ce reportage,plusieurs réfugiés témoignent de réunions qui ont été organisées dans ce camp afinde recruter des gens pour aller suivre des entrainements militaires et rejoindre unmouvement de rébellion inconnu. Dans un État où les services de renseignementssont partout, il est exclu que de telles activités de recrutement se fassent sansl’accord du gouvernement rwandais. Le Rwanda a d’ailleurs aussi hébergé le général

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Nyombare, auteur du putsch manqué à Bujumbura en mai dernier. Et, dès le débutdu mois de mai, le ministre rwandais des Affaires Etrangères a déclaré que les FDLR,rebelles rwandais se trouvant en RDC, ont été signalés au Burundi. Les médiasrwandais ont suggéré que ces FDLR seraient là pour appuyer Nkurunziza. Assezmenaçant de la part du Rwanda puisque ces FDLR sont présentés par Kigali commeleurs ennemis les plus importants. En plus, tout le monde sait que les relations entreKagamé et Nkurunziza sont tendues depuis que Nkurunziza a accordé des facilités detransit aux avions venus de Tanzanie, du Malawi et d’Afrique du Sud qui onttransporté des troupes pour la Brigade d’intervention africaine qui a participé àl’opération conjointe avec l’armée congolaise contre les rebelles du M23. Sachantcomment le Rwanda a employé les FDLR comme prétexte pour intervenirmilitairement depuis 1998 à l’Est du Congo ou pour y mettre sur pied des rébellionscomme le CNDP de Nkunda ou les M23, certains observateurs suggèrent que leRwanda pourrait bien essayer de mettre sur pied ou de susciter une rébellion dont lenoyau serait formé par les anciens FAB, composés d’éléments tutsi. Cela seraitextrêmement dangereux puisque cela peut introduire l’aspect d’une confrontationHutus-Tutsis dans le conflit, avec tout ce que cela a impliqué dans la région dans lesannées 1990. Il faut dire aussi que beaucoup d’observateurs accusent legouvernement de Nkurunziza d’essayer d’ethniciser le conflit en présentant lesprotestataires comme des Tutsis qui veulent reprendre le pouvoir.

Tout en contestant les résultats des élections législatives du 29 juin 2015,l’honorable Agathon Rwasa a néanmoins décidé de siéger à l’Assemblée nationale.Comment comprendre une telle contradiction ?

Agathon Rwasa a dirigé le mouvement d’opposition hutu le plus ancien, fondé dansles années 1980. Après avoir signé un accord de paix et avoir transformé sonmouvement armé en parti politique en 2009, il devra entrer en clandestinité à causede la répression par le gouvernement Nkurunziza entre 2011 et 2013. Certainsessaient de ridiculiser le fait qu’il a accepté d’intégrer des institutions résultantd’élections qu’il a lui-même contestées, mais son passé devrait faire réfléchir etinciter à la prudence. Un homme pareil n’accepte pas l’humiliation d’entrer dans ungouvernement par la petite porte, sans agenda et sans ambition pour le futur. Il a eneffet joué un jeu ambigu ces derniers mois : d’un côté il s’est opposé à la candidaturede Nkurunziza. Mais en même temps, il n’a jamais participé aux manifestations dansla rue. Il a déposé sa candidature pour les élections présidentielles tout en disant quele climat sécuritaire ne permettait pas d’organiser un scrutin crédible et qu’ilcontinuait à exiger le retrait de la candidature de Nkurunziza. Il a même appelé àcontinuer le boycott du scrutin pour lequel il était lui-même candidat. Enfin, après lesélections, il a refusé les résultats des élections en les qualifiant de « fantaisistes ».Ensuite, il a accepté la fonction de vice-président d’une Assemblée nationale issue deces mêmes scrutins. Et il a accepté d’envoyer cinq de ses membres dans legouvernement d’union nationale composé par le CNDD-FDD. Tout cela donnel’impression que Rwasa a été très tactique et qu’il a attendu l’évolution des chosesavant de prendre sa décision. Si la pression de l’extérieur avait empêché les élections,il aurait été en bonne position pour participer à un gouvernement de transition quiallait préparer des élections. Et maintenant que les élections ont eu lieu, et que

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Nkunrunziza a prêté serment et a prouvé qu’il ne cèderait pas devant la pression desOccidentaux, il a accepté un rôle secondaire au sein des institutions. La question estde savoir quelles sont ses ambitions pour le futur ? Je pense que la présence du FLNdans les institutions est importante et il faudra bien suivre l’évolution. Dans lesannées 1980, le FLN était le bras armé du Palipehutu, parti basant son idéologie surla haine contre tous les Tutsis. Des Présidents comme Bagaza et Buyoya exerçaientdans cette période une dictature et s’identifiaient comme Tutsis. Or depuis 2003,Rwasa s’est vu confronter à un gouvernement dirigé par un Hutu, d’abord sousNdayzeye et ensuite depuis 2005 sous Nkurunziza. C’est en 2009 qu’il transforme sonmouvement armé en parti politique et qu’il jure de suivre la voie de la non-violenceet de la lutte politique. Quand on regarde le programme politique du FLN aujourd’hui(que l’on peut retrouver sur leur site web), on n’y trouve plus aucune trace de cetteancienne idéologie réactionnaire ethniciste du Palipehutu. C’est un programme assezmoderne, orienté vers le développement économique et social du Burundi qui estprésenté. On peut espérer que Rwasa et son parti ont évolué vers un souci d’uniténationale en donnant la priorité au développement économique et social du Burundi.Vu l’impact de cette idéologie ethniciste, il n’est pas du tout exclu qu’en cas de guerrecivile, cette ancienne idéologie remonte à la surface et que le FLN contribuera à ladivision et le déchirement de la nation burundaise. Mais il n’y a pas de fatalité. Cesont les faits qui démontreront si Rwasa est réellement décidé à faire tout pour unesolution pacifique et un renforcement de l’unité nationale par le dialogue ou s’il estresté un fanatique qui voit le monde en fonction de « contradictions » ethniques etqui attend son moment.

Selon plusieurs spécialistes de la région des Grands Lacs, le nikel de Musongati et lepétrole découvert au large du lac Tanganyika constituent l’enjeu majeur de la crisequi déchire le Burundi. Etes-vous de cet avis ?

L’enjeu majeur, je ne le dirais pas. Mais il y a certainement des intérêts économiquessous-estimés en jeu au Burundi. En juin de l’année passée, Bloomberg a annoncé quel’État burundais avait augmenté jusqu’à 15 % ses parts dans le projet de constructiond’une mine de nickel et de fer à Musongati. La construction de la mine a été lancéeen octobre 2014. Selon Bloomberg, la mine en question pourrait produire 5 millionsde tonnes de nickel, cobalt et de fer en dix ans, moyennant un investissement de 3milliards de $. La société russe Kermas est un groupe qui est actif en Allemagne, enRussie, en Turquie, en Afrique du Sud et au Zimbabwe, et qui détient les 85 autrespourcents dans la mine, ce qui ne doit pas plaire aux monopoles états-uniens eteuropéens.

Ensuite, il y a des mégaprojets, comme la construction du plus grand port de la côtede l’est à Bagamoyo en Tanzanie, un investissement chinois de 11 milliards de $,combiné avec un projet de relier le Burundi avec ce port par chemin de fer, ce quifera du Burundi un pays important dans les décennies à venir pour le commerce enAfrique de l’Est.

Et finalement, il y a des réserves pétrolières dans le lac Tanganyika qui se trouventdans le sol du Burundi, Tanzanie, Congo, Zambie et Malawi. Et ce serait logique queces pays aient un intérêt commun de gérer ces réserves d’une façon plus

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avantageuse.

Voilà autant de raisons qui contribuent à une certaine inquiétude et une certainemobilisation dans les capitales occidentales. Mais, comme je dis, ce serait trop courtde réduire l’enjeu majeur à ces intérêts économiques. Ce n’est qu’un aspect d’unconflit géopolitique régional plus vaste.

Après le Burundi, les élections présidentielles sont attendues au Rwanda, au CongoBrazzaville et en RD-Congo. Les présidents en fonction dans ces trois pays ont-directement ou non- indiqué qu’ils se représenteront. Comment comprendre que laCommunauté internationale dirigée par les USA s’acharne sur les autres pays et passur le Rwanda ?

Il est vrai que les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont également fait des déclarationssur le Rwanda, mais il est aussi vrai qu’il y a un acharnement plus poussé envers lesautres pays. Les réactions sur une telle déclaration états-unienne sont différentesdans les autres pays qu’au Rwanda. En RDC, par exemple, les déclarations de la partdes dirigeants occidentaux sont utilisées et présentées par l’opposition comme desdécisions irrévocables de la part des maîtres du monde. Au Rwanda, l’opposition n’asimplement pas la possibilité de s’exprimer et donc de telles déclarations n’y ontpratiquement aucun effet. Les Etats-Unis savent cela aussi naturellement et cesdéclarations servent en fait à préserver un minimum de crédibilité à leursdéclarations sur les autres pays.

Kagame se prépare ouvertement à une modification de la constitution. Le mardi 11août, le parlement rwandais a annoncé officiellement qu’il allait effectivementréformer la constitution, permettant ainsi à Kagame de briguer un troisième mandaten 2017. La réaction de Washington ou de l’Occident en général est timide.Washington a attendu trois semaines pour avertir Kagame que le gouvernementétats-unien n’accepterait pas un changement de la constitution. Mais Jason Stearns,spécialiste de la région proche et de l’establishment états-unien, réagissaitimmédiatement avec un tweet cynique: "would donors cut aid to Rwanda overconstitutional revision, as w/M23? Probably not. " Cela implique que les Etats-Unisne seraient cette fois-ci même pas prêts à débloquer la très modeste somme de200 000$ comme ils l’ont fait en 2012 quand le Rwanda continuait à appuyer etarmer les rebelles du M23 au Congo, malgré les consignes officielles de Washington.

Mais c’est bien le Ministre britannique de la coopération au développement et del’Afrique, Grant Sharps, qui vient de décrocher la timbale. Le 10 septembre, deuxjours après l’installation officielle de la commission qui rédigera le projet de réformede la constitution, il visite Kigali. Il déclare : « Le Royaume Uni n'est pas en faveurd'une réforme de la Constitution pouvant permettre à Paul Kagame de briguer untroisième mandat ». Mais ensuite il explique pourquoi : « La difficulté avec lesamendements de constitutions est qu'une fois qu'un pays le fait, tout le monde pensepouvoir le faire aussi. Beaucoup de pays voisins n'ont pas les mêmes standards queceux d'ici. » Donc en fait, le problème pour Londres n’est pas un troisième mandatpour Kagame, car « il gère bien son pays » (sic). Mais le vrai problème selon Sharpsest plutôt le fait que les pays voisins, la RDC et le Burundi, pourraient suivre

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l’exemple. Donc ici on voit bien que la question du troisième mandat cache une autrequestion qui est de savoir si le Président concerné respecte oui ou non les « bonsstandards » selon Londres. En plus, malgré l’interdiction des émissions de la BBC enKinyarwandas, qui dans d’autres contrées serait un casus belli, Sharps déclare que lesrelations entre la Grande Bretagne et le Rwanda sont au beau fixe et il signe uncontrat d’appui à l’enseignement pour la somme de 41,5 millions d’euros.

Par contre, en RDC, par exemple, la situation est pourtant beaucoup moins pressantequ’au Rwanda. Là, on discute sur la façon d’empêcher le glissement des élections quiimpliquerait que Kabila pourrait éventuellement encore rester président quelquesmois ou années après 2016 ! Et là, le verdict de Washington est sans hésitations : « iln’en est pas question ! » Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’État responsablepour l’Afrique entre 1989 et 1993 et commentateur bien écouté sur la région del’Afrique centrale, écrivait le 26 août : « Le gouvernement américain est catégoriquesur l’obligation constitutionnelle de tenir cette élection en novembre 2016.Washington ne va pas attendre le mois de juillet ou d’août 2016 pour faire pressionsur le régime de Kabila. Si aucun préparatif n’est visible d’ici fin 2015, legouvernement américain entamera sans doute des discussions avec ses partenaireseuropéens pour imposer des sanctions sur la famille de Kabila et son cercle immédiatde proches conseillers. »

Votre question maintenant est pourquoi cette différence avec le Rwanda ? Laréponse est simple : Kagame est un allié important des Etats-Unis dans la région et enAfrique. Il dirige une armée qu’il met à la disposition des Etats-Unis au Mali, enCentrafrique, au Darfour. Il est un proche ami des hommes les plus importants del’establishment états-unien, comme Warren Buffet, Bill Gates, Bill Clinton, etc. Laquestion clé, c’est que, si les Etats-Unis parlent beaucoup de démocratie et de droitsde l’homme, ce qui compte réellement pour eux est leur leadership dans le monde.C’est l’idée clé qui revient depuis deux décennies dans tous leurs documents appelés« National Security Strategy » qui sont publiés tous les quatre ans environ et quidécrivent leur stratégie au niveau de leur politique étrangère. Le dernier de cesdocuments qui a été publié au début de cette année commence avec cette thèse :« Any successful strategy to ensure the safety of the American people and advanceour national security interests must begin with an undeniable truth—America mustlead. Strong and sustained American leadership is essential to a rules-basedinternational order that promotes global security and prosperity as well as the dignityand human rights of all peoples. The question is never whether America should lead,but how we lead. » Cela veut dire que, pour les Etats-Unis, le critère crucial qu’ilsemploient pour définir leur attitude vis-à-vis d’un gouvernement d’un autre pays estle degré de docilité et de loyauté de ce gouvernement envers « le leader » et/oul’utilité de ce dirigeant dans leur stratégie de « leader » du monde entier. Et il n’y apas d’alliances permanentes, c’est-à-dire que n’importe quel dirigeant qui a bien serviet collaboré pendant des années avec Washington, peut tomber en disgrâce etdevenir la cible des attaques, dès que l’on juge qu’il n’est plus nécessaire ou qu’ildevient un obstacle pour le « leadership » états-unien. J’ai donné tout à l’heurel’exemple assez explicite de Djibouti. Dès qu’un dirigeant d’un pays devient trop« souverainiste », qu’il signe des contrats avec des pays comme la Chine et autres

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BRICS ou qu’il n’est pas prêt à accepter des conditions avantageuses pour certainesmultinationales états-uniennes, il court le risque de devenir la cible d’une stratégiede changement de régime.

Faut-il craindre le retour de la guerre dans les Grands Lacs ?

Il est clair que la stratégie de pression via les canaux diplomatiques, via les médias etles menaces de retirer l’aide extérieure a échoué jusqu’à présent. Aussi l’opposition àNkurunziza a échoué à augmenter systématiquement la mobilisation et à empêcherl’élection de Nkurunziza. Depuis les élections, Nkurunziza continue son agenda sansfaire de grandes concessions. De l’autre côté, il y a eu le 1er août l’annonce de lacréation d’une alliance anti-Nkurunziza, le Conseil National pour le Respect del'Accord d'Arusha et de l'État de Droit au Burundi, CNARED. Il est clair que le MSD,parti d’Alexis Shinduje, a été le moteur de cette alliance. Shinduje est un ami delongue date de Samantha Power, actuellement l’ambassadrice états-unienne auConseil de Sécurité. En effet, en 2001 il a mis sur pied, avec Samantha Power qui en aété la co-fondatrice, la Radio Publique Africaine. La RPA a obtenu très vite un accordde partenariat avec la Voix de l’Amérique, la radio officielle internationale deWashington. Entièrement financée par des sources étrangères, la RPA devient en2006 la radio la plus écoutée au Burundi, plus que la radio nationale. Elle fera d’AlexisShinduje une célébrité, qui 8 ans plus tard, en 2009, met sur pied son parti le MSD.

Le CNARED est un rassemblement très hétérogène qui n’est unit qu’autour d’un but,le départ de Nkurunziza. Le CNARED publie ces derniers mois un communiquéguerrier après l’autre. Ce qui donne au moins l’impression que cette alliance joue unpeu le rôle de porte-parole politique d’un mouvement militaire naissant. Surtoutquand on voit le nombre d’assassinats, il est hors de doute que des professionnelsbien organisés sont à l’œuvre, dont le but est de mettre sur pied une spirale deviolence qui pourrait aboutir à une guerre ouverte.

Il y a maintenant deux voies possibles : la voie des négociations et du dialogue oubien la voie de la guerre et de l’ingérence. Il est remarquable de voir comment lamajorité des commentaires et analystes occidentaux excluent la première voie etannoncent la guerre comme imminente et inévitable. Thierry Vircoulon, spécialisteimportant lié à l’establishment français, écrit le 24 août que le Burundi « est passéd’une crise électorale à une pré-guérilla ». Il annonce « une explosion » et prédit :« Qu’elle prenne ou non la tournure d’un affrontement entre les Hutus et les Tutsiscomme durant la guerre civile, elle sera brutale et sans pitié . » Le journal JeuneAfrique prévoit trois scénarios. Or, la description de ces trois scenarios implique lanécessité d’une guerre car les deux scénarios sans guerre seraient ou bien « lepourrissement » qui aboutirait à « une grande lassitude de la communautéinternationale, qui, au bout du compte, pourrait laisser Nkurunziza modifier laConstitution afin de se représenter ad vitam aeternam », entendu « ce qui serait doncinacceptable ». Ou bien ce serait une capitulation soudaine de Nkurunziza, quisemble très improbable. Foreign Policy, une publication proche des démocrates états-uniens titrait le 28 août « How the West lost Burundi ». Les auteurs, deux spécialistesétats-uniens sur le Burundi, sonnent l’alarme pour les Occidentaux : « The regime isbetting that it can withstand isolation by moving closer to Russia and China, making

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this the unlikely scene of a significant challenge to Western influence in Africa. If thispays off, it could set a precedent with geopolitical echos well beyond this country’sborders ». Ils constatent aussi que « Burundi teeters on the brink of a return toviolence. » Il est clair que dans le contexte international d’aujourd’hui, une guerre auBurundi qui entrainerait ses pays voisins, risque de faire basculer la région dans uneénième crise, qui tôt ou tard serait le prétexte pour une ingérence accrue, ou mêmeune intervention militaire dirigée par Washington et l’Union Européenne. On connaîtle scenario après l’avoir vu en Afghanistan, en Iraq, en Libye, au Mali, en Centrafrique,en Syrie etc.

Or il est clair que le peuple burundais ne veut pas la guerre et la violence. Entre laligne dure du noyau autour de Nkurunziza et celui autour du CNARED, il y a unegrande majorité du peuple burundais qui refuse la guerre. Des sympathisants duCNARED vivant à Bujumbura me disent qu’ils sont sûrs qu’il n’y aura pas de guerre etqu’un gouvernement d’union nationale sera formé. Louis-Marie Nindorer, unintellectuel vivant aussi à Bujumbura reproche sur son blog au CNARED d’avoir troppeu d’égards envers deux groupes de Burundais : premièrement « les supporters dePierre Nkurunziza, eux-mêmes partagés entre, (a) d'un côté, les écorchés vifs deslongues dominations et répressions tutsi (1972, 1988, 1993-1996), constammentdans leurs tranchées à guetter et à voir tout en mal, d'où qu'il surgisse, les agressionsfatales d'une "minorité nostalgique et revancharde" (tutsi), et (b) de l'autre, descitoyens modérés ou passifs et retournables. » Deuxièmement, il cite « les Burundaishostiles à la reconduite de Pierre Nkurunziza mais soucieux de ne pas êtreinstrumentalisés par une opposition opportuniste et peut-être elle-même en partiesectaire, qui n'a absolument rien démontré de la valeur ajoutée potentielle qu'ellereprésente pour un Burundi post-Nkurunziza meilleur, avec ou sans le CNARED, avecou sans le CNDD-FDD ».

Et, enfin, au sein de la communauté internationale il y a une majorité de paysafricains qui tiennent au dialogue et à la souveraineté du peuple burundais. Donc,non, il n’y a pas de fatalité : la guerre et une ingérence accrue ou interventioninternationale patronnée par Washington et l’Union Européenne dans la région nesont pas inévitables. Tout dépend dans quelle mesure les forces qui veulent éviter leconflit armé et qui respectent la souveraineté et l’unité des Burundais peuventbloquer les forces qui cherchent à pousser vers le conflit armé et une interventionextérieure sous la direction directe ou indirecte de Washington et de l’UnionEuropéenne.

Il est clair que ni Nkurunziza, ni le CNARED ne sont des forces de gauche, ce qui sereflète d’ailleurs dans la réalité politique de beaucoup de pays en Afrique. Maisquelle solidarité la gauche en Europe pourrait alors développer avec le peupleburundais et dans d’autres crises avec les peuples d’Afrique?

La première chose pour nous ici en Europe est de combattre le consensus anti-solidarité qui existe chez nous en Europe. Un consensus autour de l’idéologie libéralequi prône l’individualisme, le chacun pour soi et l’initiative privée comme la seulefaçon de penser qui serait « réaliste ». Le fameux sempiternel « il n’y a pasd’alternative », cet abominable principe TINA — « There Is No Alternative » fait que,

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depuis plusieurs décennies, on est devenu habitué à la politique de destruction de lasolidarité et du système de sécurité sociale que mènent nos gouvernants en Europe.Au niveau mondial, il y a l’idée de la globalisation, c’est-à-dire l’idée que les grandessociétés privées, les multinationales, auraient le droit et le devoir d’exiger que lesfrontières du Sud s’ouvrent, pour qu’ils puissent y faire des superprofits au milieu dela misère en ne changeant rien à cette misère, au contraire. Le livre de Raf CustersChasseurs de matières premières est un des rares livres qui remet en question ceconsensus et qui décrit comment les multinationales fonctionnent réellement etcomment elles travaillent en rangs serrés avec leurs gouvernements et leursdiplomates avec le seul but d’augmenter leurs profits. Au niveau de la politique, il y al’idée que nos gouvernements auraient le droit sacré de s’ingérer et d’intervenir dansles pays du Sud pour y défendre « les droits de l’homme et la démocratie despeuples ». Ce consensus devient dangereux au moment où nos dirigeants décidentd’aller bombarder ou envoyer des troupes en Afghanistan, en Libye, en Irak oubientôt peut-être en Syrie. Et on a pu constater l’immense hypocrisie de ce consensusquand, après des décennies de cette politique de globalisation libérale, d’ingérenceet d’intervention militaire, un flot de réfugiés qui fuyaient les guerres et la misèresont arrivés chez nous en août de cette année. En Belgique, tous les partistraditionnels paniquent à cause de ce qu’ils appellent « la crise des réfugiés ». Ils nepensent qu’à « défendre » les frontières de l’Europe. A obliger les réfugiés à resterchez eux, au milieu de la guerre et de la misère. Pendant deux décennies, on s’esthabitué à voir des images télévisées montrant des millions de réfugiés obligés de fuirleur maison et d’aller vivre ailleurs dans des pays extrêmement pauvres. Mais, quandun nombre relativement restreint de ces réfugiés arrivent chez nous, on sème lapanique et on n’est même pas capable d’installer des douches et des camps deréfugiés un peu convenables pour les centaines de réfugiés qui ont dû camperpendant des semaines au milieu de Bruxelles. Et il n’y a que la gauche conséquente etun mouvement de paix trop faible qui font remarquer que ces réfugiés sont lerésultat des bombardements des armées occidentales, sous la direction des Etats-Unis, en Libye, en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Quand on a voté la décision d’allerbombarder la Libye en 2011, aucun parlementaire belge n’a voté non! Qui pose laquestion de l’alliance de nos gouvernements avec des pays comme l’Arabie Saouditeet les Etats du Golfe, Israël, mais aussi le Rwanda, des pays qui allument la guerredans leurs régions respectives ? Qui met en question les livraisons d’armes desOccidentaux à ces fauteurs de guerre ?

Chez nous en Europe, le mouvement de solidarité avec les peuples opprimés estl’otage de ce consensus libéral. On a oublié qui opprime vraiment ces peuples. On aoublié le rôle des multinationales et des gouvernements qui défendent les intérêts deces multinationales. Au lieu de cela, on est devenu des supporteurs fanatiques desgouvernements occidentaux pour qu’ils s’ingèrent encore plus – au nom de ladémocratie et des droits de l’homme – dans les affaires d’autres États. On resteaveugle sur les intérêts réels que défendent ces gouvernements, sur leur réel agendagéostratégique qui s’exprime dans les deux poids deux mesures. De deux, on a unevue dualiste entre d’un côté les gouvernants des pays du Sud, qui représenteraientd’office la dictature, la corruption, la mauvaise gouvernance, et de l’autre côté

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l’opposition et la société civile, qui eux représenteraient d’office la démocratie et lesdroits de l’homme. Il n’y a pas de position nuancée possible : si vous osez refuser devous joindre aux campagnes qui plaident pour plus d’ingérence contre lesgouvernants du Sud, vous êtes traité de défenseur de la dictature. De trois, et c’est liéau point deux : on a vidé la politique de son contenu et on l'a réduit à une série derègles, de débats juridiques qui tournent surtout autour des élections. Or, il n’y a pasde moment plus facile pour ceux qui se comportent comme maîtres du monde poursemer la zizanie et diviser pour régner qu’au moment des élections. Dans ceraisonnement antipolitique, ce qui compte est l’alternance et la question « pour quoifaire ? » est devenue complètement superflue. Et enfin, quatre, on a accepté que lesdroits pour lesquels les peuples colonisés se sont battus et qui forment la base deleur lutte pour la démocratie, c’est-à-dire leur indépendance, leur souveraineté et ledroit de chercher leur propre voie vers une société juste, a été complètement rendusecondaire, voir nié ou même dénoncé comme du « souverainisme ». On voit revenirles même anciens schémas de la pensée coloniale : certains peuples ne seraient pascapables d’être souverains et ils devraient accepter que l’Occident parle en leur nomet intervienne constamment d’une manière ouverte dans la vie politique de leurpays, soi-disant pour défendre les peuples opprimés.

Sans une réelle rupture avec ce consensus et cette façon de penser, la gaucheeuropéenne restera otage des fauteurs de guerre, de ceux qui refusentl’indépendance et l’unité des peuples, l’unité panafricaine.

Et comment voyez-vous le rôle de la gauche en Afrique ?

Là, je ne peux donner qu’une impression de l’extérieur et en termes généraux. C’est àla gauche Africaine elle-même de faire son bilan et de chercher une stratégieconcrète. Je crois que, comme partout dans le monde, la gauche est dans unesituation plus difficile depuis la chute de l’Union Soviétique et le triomphe du grandcapital. Il me semble qu’en Afrique il n’y a que quelques pays où des partis etmouvements de gauche jouent un certain rôle dans la vie politique et dans l’opinionpublique. Je pense à l’Afrique du Sud et à la Tunisie, par exemple. La très grandemajorité des acteurs politiques en Afrique qui jouent un rôle important embrassent lemarché libre et le monde capitaliste. Il est important de dire que, chez ces dirigeantsdes grands partis au pouvoir comme dans l’opposition, il y a une gradation entre deuxpôles. D’un côté, vous avez le pôle de la bourgeoisie compradore, à 100 %dépendante et au service de l’impérialisme. Et l’autre pôle est celui des bourgeoisiesnationales qui défendent la souveraineté, la modernité, l’émergence économique deleur pays et qui parfois ont de vagues sympathies pour la gauche, que ce soit Cuba oula tradition marxiste dans le mouvement de libération du colonialisme du passé. Onpeut à ce sujet faire trois constatations : d’abord que l’influence grandissante de laChine et des pays émergents en Afrique les dernières années est un stimulantimportant pour le pôle de la bourgeoisie nationale. Même s’il est vrai que cetteinfluence reste un facteur externe, ce qui compte ce sont les décisions et les actesdes dirigeants africains pour garantir que cette collaboration avec les BRICS puisseeffectivement bénéficier aux masses africaines.

Deuxièmement, on peut constater aussi bien au sein du pouvoir qu’au sein de

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l’opposition des gradations entre les deux pôles et que des forces politiques peuventaussi évoluer d’un pôle vers l’autre. J’ai déjà dit que, si l’on veut rompre avec leconsensus impérialiste, on devra quitter le dualisme noir-blanc entre pouvoir-opposition. Il faut juger les positions concrètes des acteurs politiques. Il est clair, parexemple, que dans les gouvernements des pays de l’Afrique de l’Ouest, par exemple,le premier pôle pèse plus que celui de la bourgeoisie nationale. Tandis que dans lespays du SADC, par exemple, le deuxième pôle est plus présent. Au niveau del’opposition on pourrait dire que c’est le contraire : que la gauche est plus présentedans l’opposition en Afrique de l’Ouest que dans le SADC.

Mais, trois, c’est aussi un fait que cette bourgeoisie nationale émergente ne met pasfondamentalement en cause le rôle des grandes multinationales ou ne conçoit pasl’État comme défenseur des intérêts du peuple entier contre la voracité de cesmultinationales et l’arrogance et l’agressivité des gouvernements impérialistes. Or,tant qu’on ne rompt pas avec la domination des multinationales et de leursgouvernements, on ne pourrait progresser que d’une façon limitée et une vraieamélioration du sort des peuples restera faible et toujours hypothétique. Il n’y a quela gauche conséquente qui pourra tôt ou tard assurer un saut qualitatif important àce niveau. Si cette gauche veut remplir sa mission historique, elle devra devenir uneforce indépendante qui s’appuie sur les masses organisées et se prenant en charge.Une force qui sait convaincre et faire des alliances avec les couches les plusnationalistes et patriotiques de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie de leurpays. Une force qui sait aussi appliquer l’art de la tactique puisqu’elle doit survivredans un environnement où les espaces de libertés peuvent soudainement êtreeffacées par des dictatures et des guerres. Et, enfin, une force qui sait s’unir au-dessus des frontières dans un mouvement panafricain anti-impérialiste. C’est un défiénorme qui demandera sans doute un long combat. Mais, encore une fois, c’est à lagauche africaine elle-même de chercher sa voie. Ce que nous pouvons faire ici enEurope, c’est de nous battre contre le consensus autour de la globalisation libérale etla politique d’ingérence et d’intervention ici chez nous. Entre-temps, naturellement, ilest important de garder le contact, de l'intensifier, et d’apprendre les uns des autres.

* Tony Busselen de nationalité belge est aussi collaborateur du magazine Solidaire, mensuel et site web du Parti de Travail de Belgique. Son livre Congo, une histoire populaire a été édité chez Aden en 2010.

Source : Investig’Action

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