jon bienzobas

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Jon BIENZOBAS ARRETXE « Karaka » Le 3 décembre 2012 Le lundi 12 novembre : je suis transféré de St Maur à un hôpital de Paris sous la responsabilité de l’administration. Quand j’arrive là-bas, ce sont les ERIS qui me prennent en charge. Mardi 13 novembre : ils m’opèrent jusqu’à 10h30 du matin. Cette opération se fait sous anesthésie générale. Les ERIS restent avec moi constamment : de ma chambre au bloc, à l’intérieur du bloc, dans la salle de réveil, du bloc à ma chambre. Mercredi 14 novembre : d’après ce que je peux voir et entendre, ils veulent me sortir de l’hôpital (une personne en civil est venue prendre mes empreintes. C’est la procédure habituelle lors d’un transfert). Je ne sais pas pour quelle raison ils ont annulé ce transfert, sûrement parce qu’ils ont vu que j’étais encore très faible. Jeudi 15 novembre : à 7h du matin les ERIS entrent dans ma chambre, ils me disent de me préparer parce que je vais être transféré dans 20 minutes et que ce sont eux qui vont se charger du transfert et non « l’administration pénitentiaire normale ». J’arrive à St Maur vers 10h. Aussitôt arrivé, je suis appelé à l’infirmerie, car le médecin veut me voir et m’informer du traitement prescrit par le médecin de Paris. Ce même jour, le médecin me dit qu’un spécialiste de l’hôpital de Châteauroux viendra me voir le mercredi 21 novembre pour m’enlever les protections que j’ai à l’intérieur du nez. Mercredi 21 novembre : l’ORL vient à la prison et m’enlève les protections. Samedi 24 novembre : 19 h : je commence à saigner du nez, et j’en informe aussitôt l’Administration Pénitentiaire par le biais de deux surveillants qui se trouvent à notre étage, leur disant que j’ai été opéré du nez 10 jours plus tôt. RÉPONSE : ils me disent qu’ils ont appelé le SAMU, de me boucher le nez pendant 20 minutes et de les prévenir si l’hémorragie ne s’arrête pas car « ils sont prêts ». Je leur demande de dire au responsable de venir pour constater la gravité de la situation et que ce n’est pas une simple petite hémorragie du nez. Personne ne vient. Le surveillant de l’étage nous dit : « le chef, il s’en fout, il nous laisse tout seul s avec les problèmes ». Comme c’est l’heure de fermer, ils ferment la porte et ils s’en vont. Une demi-heure plus tard, l’hémorragie s’arrête. 1h45 du matin : l’hémorragie recommence et comme l’après-midi, en me bouchant le nez avec des compresses, elle s’arrête. Vers 2h30 du matin : alors que je suis à moitié endormi, je sens le goût du sang dans ma bouche. Je me lève, le sang coule à nouveau de mon nez. À ce moment, je leur

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La vie du prisonnier politique basque Jon Bienzobas mise en danger par la grave négligence d’un surveillant à la prison de St Maur

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Page 1: Jon Bienzobas

Jon BIENZOBAS ARRETXE « Karaka » Le 3 décembre 2012 Le lundi 12 novembre : je suis transféré de St Maur à un hôpital de Paris sous la responsabilité de l’administration. Quand j’arrive là-bas, ce sont les ERIS qui me prennent en charge. Mardi 13 novembre : ils m’opèrent jusqu’à 10h30 du matin. Cette opération se fait sous anesthésie générale. Les ERIS restent avec moi constamment : de ma chambre au bloc, à l’intérieur du bloc, dans la salle de réveil, du bloc à ma chambre. Mercredi 14 novembre : d’après ce que je peux voir et entendre, ils veulent me sortir de l’hôpital (une personne en civil est venue prendre mes empreintes. C’est la procédure habituelle lors d’un transfert). Je ne sais pas pour quelle raison ils ont annulé ce transfert, sûrement parce qu’ils ont vu que j’étais encore très faible. Jeudi 15 novembre : à 7h du matin les ERIS entrent dans ma chambre, ils me disent de me préparer parce que je vais être transféré dans 20 minutes et que ce sont eux qui vont se charger du transfert et non « l’administration pénitentiaire normale ». J’arrive à St Maur vers 10h. Aussitôt arrivé, je suis appelé à l’infirmerie, car le médecin veut me voir et m’informer du traitement prescrit par le médecin de Paris. Ce même jour, le médecin me dit qu’un spécialiste de l’hôpital de Châteauroux viendra me voir le mercredi 21 novembre pour m’enlever les protections que j’ai à l’intérieur du nez. Mercredi 21 novembre : l’ORL vient à la prison et m’enlève les protections. Samedi 24 novembre :

19 h : je commence à saigner du nez, et j’en informe aussitôt l’Administration Pénitentiaire par le biais de deux surveillants qui se trouvent à notre étage, leur disant que j’ai été opéré du nez 10 jours plus tôt. RÉPONSE : ils me disent qu’ils ont appelé le SAMU, de me boucher le nez pendant 20 minutes et de les prévenir si l’hémorragie ne s’arrête pas car « ils sont prêts ». Je leur demande de dire au responsable de venir pour constater la gravité de la situation et que ce n’est pas une simple petite hémorragie du nez. Personne ne vient. Le surveillant de l’étage nous dit : « le chef, il s’en fout, il nous laisse tout seuls avec les problèmes ». Comme c’est l’heure de fermer, ils ferment la porte et ils s’en vont. Une demi-heure plus tard, l’hémorragie s’arrête. 1h45 du matin : l’hémorragie recommence et comme l’après-midi, en me bouchant le nez avec des compresses, elle s’arrête. Vers 2h30 du matin : alors que je suis à moitié endormi, je sens le goût du sang dans ma bouche. Je me lève, le sang coule à nouveau de mon nez. À ce moment, je leur

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fais savoir par « l’interphone » que j’ai recommencé à saigner et que ça ne s’arrête pas. 2h45 du matin : la porte de ma cellule s’ouvre et Bruno GUEZET le « surveillant en chef » de garde cette nuit-là entre, suivi de trois ou quatre surveillants. Il y a déjà beaucoup de traces de sang dans la cellule, le lavabo et les toilettes sont pleins de sang et de compresses ensanglantées, il y a du sang sur le sol, sur le lit… Je lui dis que je n’arrive plus à arrêter l’hémorragie mais il s’en contrefout et se contente de me dire comme la première fois « de me boucher le nez pendant 20 minutes et qu’ils vont appeler le SAMU ». À ce moment-là, une surveillante qui est venue avec lui et qui est pompier volontaire lui dit que la situation est grave et qu’ils doivent faire quelque chose tout de suite. La réponse de Bruno GUEZET : « Toi ta gueule ! ». 2h50 du matin : l’hémorragie s’intensifie et je demande à mes amis d’appeler par l’interphone pour m’envoyer de l’aide le plus vite possible. J’ai du mal à parler car j’ai le nez et la bouche pleins de sang. Tout le monde commence à frapper aux portes et à signaler par l’interphone que la situation est en train de s’aggraver. Notre demande précise était que quelqu’un vienne me tenir compagnie en attendant l’arrivée du SAMU, car ma plus grande peur était de perdre connaissance, de prendre un mauvais coup et de m’étouffer avec mon sang. La situation était en train de s’aggraver, parce que je commençais à avoir du sang coagulé plein la bouche, sans même savoir ce que c’était. La réponse de Bruno GUEZET à tous ces appels a été… rien du tout. Ça a duré comme ça jusqu’à 3h55. Vers 3h50 : les surveillants qui étaient avec Bruno GUEZET viennent. Pas lui. Mais ils n’ont pas la clé, car dans les procédures de nuit, seul le surveillant en chef a la clé : Bruno GUEZET. Un surveillant regarde par l’œilleton de ma cellule et il commence à me parler, je lui dis d’ouvrir la porte et il me répond « qu’ils n’ont pas la clé ». Les surveillants sont de plus en plus nerveux en voyant la situation empirer et le brigadier Bruno GUEZET n’apparaît pas. De nos cellules, nous entendons les surveillants dire de tout sur lui, leur impuissance est palpable. Pendant ce temps, l’hémorragie est de plus en plus forte. Les surveillants parlent avec mes amis et ceux-ci leur disent de s’adresser à leur hiérarchie en passant au-dessus de ce chef. C’est ce qui s’est passé finalement. Vers 4h08 du matin : voyant la gravité de ma situation et l’attitude de Bruno GUEZET, ils décident de s’adresser à un de ses supérieurs. Vers 4h16 : les surveillants, accompagnés d’un « chef de permanence » et de Bruno GUEZET ouvrent enfin la porte de ma cellule. À partir de ce moment, la surveillante (pompier volontaire) s’est chargée de moi. Je suis très faible et deux surveillants me portent du 1er étage au rez-de-chaussée. En bas, ils me mettent dans un fauteuil roulant et m’emmènent à l’infirmerie de la prison. Une fois là-bas, ils mettent des

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couvertures sur mois (trois !), car j’ai très froid et que je commence à perdre la sensibilité dans les pieds. D’autres surveillants se relaient pour contenir l’hémorragie de mon nez, un autre éponge ma sueur, un autre me donne de l’eau à boire avec une seringue, tout cela sur les consignes de la surveillante pompier volontaire. Cette dernière contrôlait aussi ma tension, mon pouls et ma capacité respiratoire avec les machines de l’infirmerie. 5h30 : ça a été le moment le plus dur car j’avais le nez et la bouche pleins de sang coagulé et que je ne pouvais presque plus respirer. J’ai été sur le point de m’évanouir, mais la surveillante pompier m’en a empêché. Elle a essayé de m’enlever les caillots de sang de la bouche avec un aspirateur médical, mais l’appareil n’était pas adapté pour cela. J’ai essayé de cracher, mais le sang restait coincé dans ma gorge. Les surveillants ne comprenaient pas le retard de l’ambulance et ils étaient de plus en plus inquiets. Je n’avais plus aucune force, j’essayais seulement de ne pas me stresser encore plus que je ne l’étais déjà. Je me suis rendu compte à ce moment que le « Chef de Détention » était là, en civil, et qu’il disait être en contact avec le Préfet. 6h10 du matin : j’entends enfin le Chef de Détention dire que l’ambulance arrive. Ils me mettent dans une chaise roulante et m’emmènent à l’entrée pour gagner du temps. Durant les heures précédentes, je n’avais pas revu Bruno GUEZET, mais là il est apparu avec les menottes et la chaîne pour m’attacher les pieds. Les surveillants ont été surpris en voyant ça, et ils m’ont dit à voix basse de ne pas y penser, de ne pas faire attention à lui, que nous reparlerions de tout ça quand je reviendrais. 6h30 du matin : j’arrive aux urgences de l’hôpital de Châteauroux où je passe aux mains des médecins. Ils me font les premiers soins, prennent ma tension, mon pouls, me mettent sous perfusion, me font une prise de sang et je reste à attendre l’ORL. Un quart d’heure après, l’ORL arrive, il me fait une anesthésie locale et il me met des mèches dans le nez dont je suppose qu’elles servent à arrêter l’hémorragie ou à cicatriser les blessures. Ensuite, avec une caméra et un aspirateur, il a commencé à sortir les caillots de sang, c’était impressionnant, ils avaient la taille d’un petit doigt. Tout cela entouré de cinq surveillants et d’autant de policiers. Le spécialiste m’a dit que lorsqu’ils m’avaient opéré à Paris (double déviation et cautérisation d’une glandule), ils m’avaient coupé un morceau de cette glandule et que la croûte de la cicatrisation avait cédé, ce qui a produit l’hémorragie. Le spécialiste m’a dit que vu la quantité de sang perdue et les problèmes rencontrés pour arriver jusqu’à l’hôpital, ils allaient me garder en observation pendant 24 heures. Si je recommençais à perdre du sang, ils m’opéreraient sur place. Je suis finalement resté 36 heures. Durant tout ce temps, j’avais les jambes attachées et trois policiers en permanence à la porte de ma chambre. Cette chambre est paraît-il destinée aux prisonniers. Il y a un lit, un WC, une douche. Il n’y a aucun endroit où ranger ses affaires et même pas une table pour poser la nourriture, il fallait tout laisser par terre, il n’y avait même pas la barre pour la perfusion, qui était fixée au mur avec un crochet comme ceux qu’on utilise pour les torchons dans la cuisine. Vive la République française et les Droits de l’Homme !