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Joly de Maizeroy

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Alexandre David

Joly de MaizeroyL’inventeur de la stratégie

éditions de l’école de guerre

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CollectionChamps de bataille

© Les Éditions de l’École de Guerre, tous droits réservés, 2018

Note de l’éditeur

L’École de guerre est un lieu d’étude et de réflexion où se forment les chefs de demain : ceux de la prochaine guerre de Troie, de cent, de trente ou de sept ans… Mais nos combats ne se mènent plus dans la lice, entre les palissades d’un terrain clos. Ils ne concernent pas seu-lement les militaires dévoués à leur pays, quelques mercenaires égarés ou les enfants perdus de tristes tropiques. Ils sont une responsabilité collective de nos démocraties. L’étude et la réflexion ne peuvent être le seul fait d’officiers développant leur pensée dans ce quadri-latère hors du temps que serait l’École militaire si elle ne s’ouvrait sur le monde.

Là réside la vocation des Éditions de l’École de Guerre : susciter l’intelligence, encourager l’écriture et publier au profit de la réflexion et du dialogue de tous, civils ou militaires.

Cette maison d’édition ne diffuse pas la doxa offi-cielle qui a pour s’exprimer d’autres organes. Elle ne représente pas même les doctrines de l’École de guerre. Elle souhaite simplement rendre publics des ouvrages qui, polémiques ou non, n’engagent que leurs auteurs

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Remerciements

Je transmets tout d’abord mes pensées à Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012). Je le remercie pour sa confiance et pour l’intérêt qu’il a toujours porté à mon travail.

Je tiens aussi à remercier Martin Motte, Thierry Widemann, Jean-Jacques Langendorf, Inès Rubat du Mérac, Yvan de Trogoff et Guillaume Wallut pour leur aide précieuse, ainsi que pour l’amabilité dont ils ont toujours fait preuve.

Surtout, j’adresse un grand merci à Sandrine pour son soutien et sa patience durant l’élaboration de ce livre.

mais contribueront à la pensée militaire, géopolitique et stratégique française.

Elle repose pour cela sur quatre collections :– la collection « Champs de bataille » traite d’histoire,

de géopolitique et de stratégie ;– la collection « Ligne de front » illustre cette néces-

sité de « penser autrement » qui est l’un des leitmotivs de l’École de guerre ;

– la collection « Feux croisés » aborde des réalités et des problématiques parallèles ou au contraire diver-gentes ;

– la collection « Honni soit qui mal y pense » publie en langue anglaise des textes porteurs d’une certaine pensée française.

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Introduction

Officier de l’armée du roi de France et écrivain militaire infatigable, Paul-Gédéon Joly de Maizeroy (1719-1780) a rebuté plus d’un lecteur, comme le général Bardin : « Cet auteur, savant, mais surtout érudit, est plus estimable comme traducteur que comme écrivain […] il est prolixe, irascible, systématique, tranchant. »1 Quant à l’historien Édouard Guillon, s’il qualifie Joly de Maizeroy comme « le plus érudit et plus compétent »2 parmi les savants militaires du XVIIIe siècle, il est nettement moins élogieux lorsqu’il qualifie ses ouvrages de « pesantes élucubra-tions »3. Aujourd’hui, l’œuvre de Maizeroy n’est plus lue et n’a jusqu’ici fait l’objet d’aucune étude, c’est pour-quoi cet auteur du XVIIIe siècle demeure très largement inconnu, contrairement à deux de ses contemporains, le chevalier de Folard (1669-1752) et le comte de Guibert (1743-1790). Sa production littéraire, s’étalant de 1762 à 1780, compte pourtant douze ouvrages sur les questions

1. Bardin (général), Dictionnaire des auteurs militaires, Economica, 2002, p. 138.

2. Guillon (Édouard), Nos écrivains militaires. Des origines à la Révolution, Plon, 1898, tome I, p. 244.

3. Cité dans Colson (Bruno), Le général Rogniat, ingénieur et critique de Napoléon, Economica, 2006, p. 770.

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querelle tactique entre partisans de l’ordre mince et l’ordre profond dans l’autre.

L’étude la plus complète provient encore aujourd’hui de l’historien américain Robert Quimby, qui publie en 1957 The background of Napoleonic warfare : the theory of military tactics in eighteenth-century France. Consacrant un chapitre entier à Joly de Maizeroy, il concède que ce dernier fut étudié moins sérieusement par Colin par rapport à d’autres auteurs. Néanmoins, Robert Quimby lui-même juge trop les écrivains militaires à l’aune du modèle napoléonien, si bien que la pensée de Maizeroy lui apparaît comme surannée. En dehors de la synthèse de Quimby, il n’y en eut guère plus jusqu’à nos jours, à l’exception de celle rédigée par l’Israélien Azar Gat dans History of military thought, from the Enlightenment to Cold War (2001), qui reprend les grandes lignes de l’exposé de Quimby, sans y ajouter beaucoup d’informations supplémentaires.

Ce sont surtout les spécialistes de la stratégie du XXe siècle qui ont contribué à redécouvrir Joly de Maizeroy. En 1912, c’est le commandant Mordacq qui rappelle que ce fut lui qui le premier employa le terme « stratégique », ce que Jean-Paul Charnay confirme dans son Essai général de stratégie (1973). De nos jours, après avoir consacré à Maizeroy de nombreux articles dans différents dictionnaires de stratégie, Thierry Widemann le cite abondamment dans sa récente thèse consacrée à l’Antiquité dans la guerre au siècle des Lumières. Enfin, les références dont Joly de Maizeroy est l’objet dans le

militaires, et se complète de nombreux mémoires et de lettres échangées avec d’autres officiers et des savants ; elle est donc l’une des plus abondantes du siècle en la matière. Son legs est important, car il fut le premier auteur moderne à ressusciter le terme « stratégie », auquel il a attaché une théorie, faisant de Maizeroy l’un des rares théoriciens de la stratégie de l’époque moderne. Mais en dépit de cela, cet auteur n’est que très peu cité dans les ouvrages d’histoire, à l’exception de ceux concernant l’histoire de Metz dont Maizeroy était originaire, comme le Templum Metensibus sacrum (1779), poème de Dom Bernardin, ou encore la Biographie de la Moselle (1830) d’Émile Bégin.

L’historiographie militaire française ne lui a pas accordé beaucoup plus d’importance. Dans L’éducation militaire de Napoléon (1900), Jean Colin étudie le passage de la « guerre en dentelles » à la guerre napoléonienne en analysant les ouvrages du siècle des Lumières ayant contribué à cette évolution : Joly de Maizeroy n’est pas cité une seule fois. En 1907, dans L’infanterie au XVIIIe siècle : la tactique, Colin ne traite que très par-tiellement Joly de Maizeroy, réduit à quelques pages concernant ses idées en matière de tactique élémentaire.

Parmi les deux ouvrages majeurs de l’histoire mili-taire que sont L’armée et ses problèmes au XVIIIe siècle (1958) d’Émile Léonard et La pensée militaire française (1960) d’Eugène Carrias, l’étude de Joly de Maizeroy se réduit à une énumération bibliographique dans l’un, et à un maigre paragraphe sur sa participation à la

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de Maizeroy a été comparée aux principaux ouvrages de son époque et à l’opinion militaire qu’il est possible de saisir dans les « Mémoires et reconnaissances » du Service historique de la Défense.

Ce livre propose de répondre à trois questions. Pourquoi Joly de Maizeroy a-t-il écrit ? Quelles furent ses idées ? Et quel fut son apport ?

Traité de stratégie du professeur Hervé Coutau-Bégarie caractérisent la redécouverte dont il fait l’objet.

Toutefois, parmi les quelques pages consacrées de manière éparse à cet auteur, il n’existe pas d’étude sur l’ensemble de sa pensée militaire. Généralement traitée de manière partielle à travers la querelle sur l’infanterie ou la définition de la stratégie, son œuvre doit pourtant être étudiée de manière globale, pour en restituer la cohérence et pour la replacer dans son époque. Cette étude dirigée par le professeur Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012) répond à son travail de redécouverte des auteurs souvent considérés comme « secondaires » par la postérité, mais qui n’en ont pas moins pesé sur l’éla-boration et la diffusion d’idées essentielles. L’œuvre de Joly de Maizeroy est de ce point de vue très représen-tative, car elle a été largement éclipsée par la pensée du comte de Guibert, et dans une moindre mesure par celle de Folard. Or, sa production compte de nombreuses publications qui ont été lues, appréciées et diffusées, y compris à l’étranger. Joly de Maizeroy est donc un sujet d’étude incontournable pour comprendre la pensée militaire française du XVIIIe siècle.

L’objectif de ce travail est avant tout d’étudier la pensée militaire de Joly de Maizeroy, d’en présenter la cohérence et les principales idées. L’intégralité de l’œuvre de l’auteur constitue donc la principale source de ce travail. La biographie de l’auteur s’est révélée plus difficile à écrire car ce dernier est très discret sur sa vie, et les sources qui auraient pu nous aider sont rares. Afin d’en mesurer l’originalité mais aussi l’influence, l’œuvre

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1.

Dans les pas de Bellone

S’il est facile de trouver des notices biographiques sur Joly de Maizeroy, elles excèdent rarement une ou deux pages, et la moitié est généralement consacrée à son célèbre aïeul Pierre Joly. Pallier ce manque s’est avéré difficile, car notre auteur est resté assez discret sur sa vie et son expérience militaire dans ses ouvrages.

Nous avons toutefois tenté de percer ce mystère. Malheureusement, nous ne serons pas en mesure d’offrir un portrait à nos lecteurs qui, sachant qu’il était un officier français du XVIIIe siècle, ne manqueront pas de l’imaginer affublé d’une perruque poudrée blanche frisée surmontée d’un tricorne et habillé d’un uniforme pastel avec de la dentelle dépassant des manches.

Pour le reste, nous vous invitons à découvrir la carrière militaire de Joly de Maizeroy et à comprendre comment son expérience militaire a pu influencer son œuvre4.

4. Pour rédiger la biographie de Joly de Maizeroy, nous avons utilisé les ouvrages suivants : La Chesnaye-Desbois (François-Alexandre Aubert), Dictionnaire de la noblesse, La Veuve Duchesne, 1774 ; Poirier (François-Jacques), Metz, documents

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de Maizeroy à la famille. Notre auteur fut donc le premier à accoler « Maizeroy » à son patronyme, en y gagnant une particule. Il suivit la carrière des armes, à l’instar d’un de ses parents, Paul Joly, chevalier de Saint-Louis et capitaine au régiment de Bigorre à sa mort en 1752. Joly de Maizeroy est donc le descendant d’un illustre serviteur du roi récompensé par Henri IV, auquel il est toujours fait référence dans chaque notice biographique.

Il semblerait que Maizeroy ait été élève au collège de Metz, fondé par les jésuites en 1622. Puis, le 18 février 1733, il entra comme cadet à l’école d’artillerie de sa ville natale pour y effectuer une formation militaire et intellectuelle ; l’institution des cadets étant supprimée quelques mois plus tard, Maizeroy intégra le régiment d’infanterie de Bresse le 11 octobre 1734 en tant que lieutenant en second, à l’âge de quinze ans. Il devient lieutenant un an plus tard.

L’armée que Maizeroy intègre est avant tout l’hé-ritière des importants changements effectués sous le règne de Louis XIV. C’est une armée qui se compose de soldats professionnels engagés pour une durée de six ans. Le principal changement survenu au siècle dernier concerne surtout la tactique. En effet, lors de la seconde moitié du XVIIe siècle, les soldats armés de mousquets supplantèrent les piquiers, dont on ne sut plus se servir. Automatiquement disposés au centre des bataillons, ils devinrent inutiles. Leur nombre diminua donc logiquement : en 1688, ils ne représentaient plus qu’un cinquième de chaque bataillon. La manière de combattre évolua. Le feu prima désormais sur le choc.

L’entrée au service

Paul-Gédéon Joly de Maizeroy est né le 10 janvier 1719 à Metz. Il est le descendant d’une famille de paysans propriétaires établis au XVe siècle à Maizeroy et Frécourt (Moselle actuelle). Son trisaïeul, mort en 1591, était notaire. La noblesse de son lignage remonterait donc à Pierre Joly (1533-1622), fils du précédent, qui fut seigneur de Bionville. En sa qualité de procureur général du par-lement de Metz à partir de 1606, ce magistrat converti au protestantisme œuvra beaucoup pour le rattache-ment des Trois Évêchés au royaume de France. Accusé de conspirer contre l’État, Pierre Joly reçut l’appui du roi Henri IV par le biais d’un arrêt du Conseil du roi.

Le grand-père de notre auteur, Pierre Joly, fut quant à lui avocat au parlement de Metz en 1634, conseiller au bailliage en 1642 et échevin de l’hôtel de ville. Le père de Paul-Gédéon, Paul (1676-1757), revenu au catholicisme, était écuyer mais aussi doyen de la noblesse de la pro-vince. Il épousa Suzanne Allion qui apporta la seigneurie

généalogiques : armée, noblesse, magistrature, haute-bourgeoisie, d’après le registre des paroisses, 1561-1792, Lamulle et Poisson, 1899, p. 350 (dans l’ouvrage d’Emmanuel Michel, Biographie du Parlement de Metz, Nouvian, Metz, 1853) ; Dupuy (Louis), « Éloge de Maizeroy », dans Histoire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Imprimerie nationale exécutive du Louvre, 1793, tome 45e, p. 87 ; Begin (Émile), Biographie de la Moselle, Metz, Verronais, 1830, tome II, p. 376 ; Dom Bernardin (Pierron), Templum Metensibus sacrum, carmen. Le temple des Messins, poëme, Metz, Jean-Baptiste Collignon, 1779, p. 178 ; Mémoire de la société d’archéologie et d’histoire de la Moselle, vol. 12, Metz, 1872. Nous avons également utilisé les archives suivantes : Service historique de la Défense, 1Ye 12657, Dossier de pension sur le trésor royal : Paul-Gédéon Joly de Maizeroy, A1 3418, Correspondance générale de la guerre, pièces 112 et 116, Travail du roi, octobre-novembre 1756 ; archives départementales de la Moselle : 19J 847/10, lettres de Paul-Gédéon Joly de Maizeroy.

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à un tir statique sur trois rangs. Durant la guerre de Succession de Pologne (1733-1735), c’est essentiellement par cette tactique que les Français alliés aux Sardes et aux Espagnols remportèrent les batailles de Parme (29 juin 1734) et de Guastalla (19 septembre 1734), succès indécis et meurtriers, à l’image de Malplaquet vingt-cinq ans plus tôt. Toutefois, certains officiers contemporains de Maizeroy n’envisageaient pas la primauté du feu comme irréversible, et encourageaient le combat sous d’autres formes.

Parmi eux, le chevalier de Folard5 proposa dans ses écrits de disposer l’infanterie en colonnes. Ayant quitté le service du roi de France en 1712 avec le grade de mestre de camp, Jean-Charles de Folard était présent à

5. Sur Folard : Chagniot (Jean), Le chevalier de Folard, éditions du Rocher, 1997.

L’ordre mince

À la fin du siècle, les exercices consistaient à faire tirer les soldats le plus rapidement possible. Puis, après la bataille de Steinkerque (1692), les Français comprirent définitivement l’importance du feu, et le favorisèrent ; c’est pourquoi les fusils à silex, dont la cadence de tir était plus élevée, furent généralisés en 1699.

Enfin, en 1703, chaque soldat fut armé d’un fusil avec une baïonnette à douille, et pouvait alors remplir le rôle auparavant dévolu aux piquiers. Ces derniers furent donc supprimés, non sans susciter de réactions, et la profondeur des bataillons se réduisit afin que le maximum de soldats puissent tirer simultanément. Alors que Turenne faisait combattre ses bataillons sur huit rangs, l’infanterie se disposa sur cinq rangs à partir de 1691, puis quatre rangs à partir de 1703, d’où le nom « ordre mince » attribué à cette tactique rédui-sant la profondeur des bataillons tout en augmentant leur front.

Les assauts menés à l’arme blanche par l’infanterie se firent donc de plus en plus rares, ce que démontre l’étude des blessures effectuée par André Corvisier : en 1715-1716, 71,4 % des admis à l’hôtel des Invalides ont été blessés par des coups de feu, contre seulement 1,5 % par des coups de baïonnette. En 1720, l’armée française achève sa transformation en imposant à chaque batail-lon de combattre sur trois rangs de profondeur pour faciliter le feu.

L’armée dans laquelle sert Joly de Maizeroy est donc une armée essentiellement composée de fantas-sins entraînés à un rechargement rapide des fusils et

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aux dépens de Marie-Thérèse d’Autriche. Commandés par Belle-Isle, les Français parviennent à prendre Prague dès novembre 1741.

Le régiment de Bresse fut engagé après cette victoire pour défendre les positions françaises contre l’offensive autrichienne. Le 24 mai 1742, sous le commandement du maréchal de Broglie et du duc de Belle-Isle, Maizeroy assiste à la victoire de Sahay en Bohême (nommée Dzaaït par notre auteur) contre les Autrichiens venus attaquer les positions françaises à Frauenberg. Lors de ce combat, les dragons et les carabiniers repoussèrent héroïquement l’assaut de mille huit cents cuirassiers autrichiens alors que l’infanterie finissait de se mettre en bataille sur la gauche. L’infanterie présente ce jour-là était composée de soldats et d’officiers assez jeunes – notre auteur n’avait lui-même que vingt-trois ans. Les fantassins n’ont vraisemblablement pas joué un grand rôle dans cette victoire, mais ont néanmoins subi des pertes importantes à cause de l’artillerie adverse. Maizeroy citera cette bataille dans le Cours de tactique à la fois pour rendre hommage aux dragons et pour relater l’acte désespéré de pandours ennemis s’étant immolés par le feu alors qu’ils étaient encerclés par les Français.

Après cette victoire française et la défaite subie une semaine plus tôt contre Frédéric II à Chotusitz, les Autrichiens signèrent une paix séparée avec les Prussiens à Breslau le 11 juin 1742. Abandonnés par leur allié prussien, les Français se trouvèrent dans une position délicate en Bohême. La suite des événements fut donc nettement moins heureuse pour Maizeroy.

Malplaquet (1709), où, selon lui, le maréchal de Villars ne sut pas s’adapter au terrain, qui ne se prêtait pas à un combat en ligne, et se conforma à la routine qui voulait que les bataillons se disposent sur quatre rangs pour faciliter le feu. En s’appuyant sur l’histoire, Folard préco-nisa alors de former avec l’infanterie des colonnes d’une profondeur de quarante-six rangs pour qu’elle puisse attaquer plus facilement à la baïonnette en retrouvant sa mobilité. L’œuvre de Folard connut du succès dans l’armée et suscita ainsi une intense réflexion tactique destinée à surmonter les usages hérités du règne de Louis XIV. Maurice de Saxe déplorait lui aussi dans ses Rêveries (1732) les « abus de la tirerie » contre lesquels il encourageait les attaques à l’arme blanche. Son point de vue changea cependant au terme de la guerre de Succession d’Autriche.

De la Bohême à l’Italie6

Joly de Maizeroy reçut son baptême du feu durant la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Cette guerre fut initialement commencée pour soutenir les préten-tions de l’électeur de Bavière à la couronne impériale

6. Pour cette partie, nous avons davantage écrit l’histoire du régiment de Bresse grâce à Campagne de messieurs les maréchaux de Broglie et de Belle-Isle en Bohême et en Bavière, Chez Marc Michel Rey, Amsterdam, 1772 ; Espagnac (baron d’), Histoire de Maurice, comte de Saxe, Philippe-Denys Pierres, tome I, 1775 ; Feudrix de Brequigny (Louis), Histoire des révolutions de Gênes, Nyon et Robustel, tome III, 1752 ; Service historique de la Défense, État des officiers et soldats tués et blessés à la bataille de Raucoux, A1 3143, pièce 67.

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même l’un des neveux de Maizeroy à son service, d’après Émile Bégin. Faute d’avoir retrouvé des lettres échangées entre Joly de Maizeroy et Frédéric II, il nous est pour le moment impossible de savoir si cette correspondance existait réellement.

Notons toutefois que dans un poème à la gloire des Messins écrit en 1779, le bénédictin Dom Bernardin met lui aussi en avant la reconnaissance dont bénéficie Maizeroy auprès du roi de Prusse : « Le Héros qui, la foudre à la main, fait trembler les nations voisines de l’Oder, chérit Joly ; il est admirateur de ses écrits. »

Dans tous les cas, le récit de l’entrevue avec Frédéric II nous dépeint un jeune lieutenant de vingt-trois ans capable de raconter une campagne comme s’il en avait été lui-même le commandant. Cette hauteur de vue et cette perspicacité sont bien réelles, car c’est en des termes proches qu’il sera décrit par ses supérieurs peu avant la guerre de sept ans, comme nous le verrons.

Comment Joly de Maizeroy a-t-il acquis ces qua-lités ? A-t-il été formé en ce sens ? Nous répondrons à la normande : oui et non. Non car il n’existait pas d’école d’officiers ou d’académie militaire au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Les officiers d’infanterie ou de cavalerie ne recevaient donc ni enseignement pro-prement militaire, ni brevet d’aptitudes avant d’exercer leur commandement. Le métier des armes s’apprenait par la pratique et l’expérience, c’est pourquoi les offi-ciers l’intégraient fort jeunes (quinze ans pour Joly de Maizeroy).

En juin 1742, les Français durent quitter Frauenberg pour lequel ils avaient combattu à Sahay, en laissant derrière eux beaucoup de vivres. Battant en retraite sous la pression des Autrichiens, Maizeroy nous apprend dans le premier tome de son Cours de tactique que le maréchal de Broglie a néanmoins su garantir sa marche en postant habilement des grenadiers là où l’ennemi comptait la couper ; les bagages de l’armée étaient quant à eux protégés par deux brigades. Maizeroy vécut la fin de l’épopée française à Prague, où les débris de l’armée du roi résistèrent aux Autrichiens jusqu’en janvier 1743.

C’est au terme des événements de Bohême que se place un épisode fameux, mentionné par Louis Dupuy, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres de 1773 à 1782, dans l’éloge académique de Joly de Maizeroy. Ce dernier fut appelé pour une affaire de famille à Berlin7 et fut introduit auprès de Frédéric II, le jeune roi de Prusse : « il lui fit un détail si précis et si savant de la campagne de Prague, que Sa Majesté prussienne s’empressa de lui offrir du service dans ses troupes ; distinction bien flatteuse sans doute de la part d’un prince si éclairé et si célèbre dans l’art de la guerre, mais que M. de Maizeroy sacrifia sans peine à son amour pour la patrie ». Le « patriotisme » de Maizeroy n’empêcha pas les deux hommes d’en-tretenir une correspondance littéraire. Frédéric II prit

7. Aux XVIe et XVIIe siècles, des membres de la famille Joly appartenaient à la « religion prétendue réformée ». Après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, un parent de notre auteur émigra en Prusse (dans l’ouvrage d’Emmanuel Michel, Biographie du Parlement de Metz, 1853).

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échec était en partie dû à « la négligence des officiers »8. Quant au maréchal de Noailles, il remarque en 1743 que « les officiers qui se portent aujourd’hui vers le grand sont aujourd’hui si rares »9. Mais l’école de l’expérience n’avait pas encore délivré toutes ses leçons, et elles coûtent fort cher comme se plaisait à le dire Benjamin Franklin. Le 27 mai 1743, à Dettingen (Bavière), les Français connurent une nouvelle déconvenue face aux Anglais. Alors que la victoire semblait promise, les troupes d’élite des gardes françaises s’enfuirent après avoir subi le feu anglais. Le tir ennemi était si vif et si coordonné que « les plus vieux officiers avouent n’en avoir jamais vu un semblable »10. Encore contestée par les Français avant la guerre, la primauté du feu sur le champ de bataille devint indiscutable par cette seule défaite.

Pour améliorer la puissance de feu de son infan-terie, l’armée française avait déjà adopté la cartouche de papier en 1738 et la baguette de fer en 1740, deux innova-tions déjà présentes dans toutes les armées européennes. Mais les soldats français n’étaient pas aussi exercés que leurs ennemis. Cette faiblesse étant largement imputable aux officiers, chargés d’instruire leurs troupes.

Cette négligence valut aux gardes françaises (encore eux) une nouvelle humiliation à Fontenoy (11 mai 1745). Si cette bataille fut une grande victoire pour Louis XV et la France, n’oublions pas l’anecdote célèbre selon

8. Leroy de Bosroger, Principes de l’art de la guerre, Cellot & Jombert, 1779, p. 153.

9. Bois (Jean-Pierre), Maurice de Saxe, Fayard, 1992, p. 309.

10. Colin (Jean), L’infanterie au XVIIIe siècle : la tactique, Berger-Levrault, 1907, p. 46.

Mais Joly de Maizeroy fut mieux formé que la plu-part de ses contemporains. En tant qu’ancien élève des jésuites, il possède une solide culture classique à une époque où, malgré l’évolution technique de la guerre, César et Xénophon n’ont pas épuisé leurs leçons. Surtout, Maizeroy a eu la chance d’intégrer l’école des cadets d’artillerie de Metz en février 1733. Cette éphémère ins-titution (1726-1733) s’inspirait des compagnies de cadets créées par Louvois en 1682. Cette école délivrait une instruction militaire de qualité dans le but de fournir une pépinière d’officiers à l’armée. Maizeroy y apprit les mathématiques, l’art des fortifications, la mécanique, l’hydraulique, la danse, les langues étrangères, et le maniement des armes. Même s’il n’a duré que quelques mois, l’enseignement reçu à Metz semble avoir mieux préparé notre auteur au métier des armes.

Il s’agit toutefois d’une exception. Certes, il existait quelques académies du roi mais elles préparaient mal les officiers au métier des armes justement. Elles leur apprenaient surtout à monter à cheval. Après l’abandon définitif des compagnies de cadets, l’idée selon laquelle la valeur martiale était innée s’ancra avec force dans l’armée française, et coïncida avec une réaction nobiliaire qui ne cessa de se renforcer au cours du siècle.

Mais l’absence de formation des officiers se révéla fort problématique en pleine guerre de Succession d’Autriche. Comme nous venons de le voir, l’offensive française en Bohême s’était piteusement achevée à Prague. D’après l’auteur militaire Leroy de Bosroger, cet

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agissaient comme autant d’armées miniatures chargées de nuire à l’approvisionnement de l’ennemi par des attaques contre ses convois, ses magasins ou ses lignes de communication. Des officiers de valeur étaient choisis par Maurice de Saxe pour mener ces missions que le marquis de Feuquière estimait nécessaires à la formation des futurs commandants. L’art de la guerre ne se limitait donc plus aux batailles et aux sièges sous le comman-dement d’un seul homme, mais comprenait désormais une multitude d’opérations de « petite guerre » comme les embuscades, l’attaque ou la défense d’un poste.

Le 11 octobre 1746, lorsque Maurice de Saxe attaque l’armée alliée postée à Raucoux, Joly de Maizeroy est pré-sent. Il porte le grade de capitaine depuis le 25 juin 1745, ce qui signifie qu’il commande une compagnie, soit environ trente à quarante-cinq hommes. En sa qualité de capitaine, Maizeroy a participé en 1746 aux sièges de Mons, Charleroi et Namur avant de rejoindre Maurice de Saxe pour combattre à Raucoux. C’est la plus grande bataille à laquelle notre auteur participa au cours de sa carrière. Intégré à la brigade de Ségur, son régiment était à droite de l’armée française et a participé à l’assaut sur le village d’Ance, sur le flanc gauche de l’ennemi. Cet assaut fut mené par la brigade de Ségur en colonnes, précédées par le tir de l’artillerie, couvertes par le feu d’infanterie de la brigade de Bourbon sur sa gauche et par la cavalerie sur sa droite. Maizeroy n’a probablement pas vécu cet assaut depuis la tête de la colonne, car son régiment n’a subi aucune perte pendant la bataille, tout comme le régiment de Béarn, lui aussi présent dans la

laquelle les Anglais tirèrent les premiers, mais surtout tirèrent mieux que leurs homologues français : en une décharge, dix-neuf officiers et six cents soldats des gardes françaises furent mis hors de combat, entraînant une nouvelle fuite de cette troupe d’élite face aux Anglais. Pour pallier le manque d’instruction de ses troupes, le maréchal de Saxe, commandant en chef de l’armée française, les soumit à des exercices durant l’hiver 1745. Si une telle décision semble évidente aujourd’hui, elle n’allait pas de soi au XVIIIe siècle. Les officiers de chaque régiment cultivaient une certaine indépendance dans la gestion de leur unité, y compris l’entraînement. Il en résultait une grande hétérogénéité dans l’instruction et la discipline. Seul un chef respecté comme Maurice de Saxe put insuffler un peu d’uniformité et de discipline à l’armée française.

Toutefois, les missions de l’officier devenaient de plus en plus variées et techniques. En 1746, le maréchal de Saxe eut plus de cent quatre-vingt mille hommes sous son commandement personnel, masse d’hommes à laquelle il faut ajouter des milliers de chevaux et des canons sans cesse plus nombreux. Une telle armée était encombrante et devait progresser lentement pour pou-voir continuer à s’approvisionner depuis les magasins situés à l’arrière à l’aide de convois. Lorsqu’en juillet 1746 Maurice de Saxe fit face à l’armée alliée qui protégeait Namur, il ne risqua pas une bataille indécise et meur-trière, mais privilégia une guerre de détachements pour forcer l’ennemi à quitter sa position. Ces détachements de quelques centaines ou de quelques milliers d’hommes

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pris le village d’Ance ; en d’autres termes, notre auteur a combattu en ordre mixte, une formation d’infanterie combinant le feu des fusils avec un assaut à la baïon-nette en colonnes. Cette tactique était une solution au blocage tactique de l’époque, car la colonne redonnait de la mobilité à l’infanterie tout en tirant parti du feu sur trois rangs. Joly de Maizeroy mettra du temps à admettre cette solution. Nous y reviendrons.

En novembre 1746, notre auteur fut envoyé en Pro-vence sous le commandement du maréchal de Belle-Isle pour y faire face à l’invasion austro-sarde. Arrivé en janvier 1747, le régiment de Bresse contribua à faire lever le siège d’Antibes et à libérer les îles Sainte- Marguerite et Saint-Honorat avant d’entrer dans la ville de Gênes au mois de mai pour y défendre la ville contre les Autrichiens. Le régiment de Maizeroy s’y illustra sous la conduite de son colonel, le comte de Kercado. Dans le troisième tome de son Histoire des révolutions de Gênes (1752), Feudrix de Bréquigny écrit des pages très élogieuses sur l’action du colonel du régiment de Bresse à la tête d’une colonne de deux mille hommes. Chargé d’attaquer les positions autrichiennes à Campo-Freddo au nord-ouest de Gênes avec l’appui de la colonne de Chauvelin et celle de Richelieu, Kercado dut finalement affronter l’ennemi avec ses seules forces. Pour conserver sa position et faire croire aux Autrichiens qu’il avait des forces supérieures, le colonel multiplia trois jours durant les assauts sur leurs positions, avant de recevoir l’ordre de battre en retraite. Il réussit à mettre son armée en ordre de retraite à la vue des Autrichiens, trop occupés

brigade de Ségur. Les troupes les plus exposées dans cette attaque furent celles du régiment de Ségur, qui a donné son nom à la brigade. Quatre-vingt-dix-neuf hommes de cette unité furent mis hors de combat par les feux hongrois et hollandais, dont le marquis de Ségur lui-même. La brigade de Bourbon, qui était chargée de soutenir Ségur par le feu, fut moins touchée (cinquante-huit hommes mis hors de combat). D’après le plan de la bataille, la brigade de Picardie fut elle aussi formée en colonnes pour attaquer Ance, et subit elle aussi des pertes plus importantes (quatre-vingt-neuf hommes). Les assauts en colonnes se révélèrent donc plus meur-triers ce jour-là.

Faute de disposer du témoignage personnel de Maizeroy, nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’il a ressenti à la tête de sa compagnie au cours de cet affrontement mémorable. Et bien qu’il se contente de citer brièvement cette victoire française parmi d’autres batailles dans le Cours de tactique, il est probable qu’il en ait tiré plus de leçons qu’il ne veut bien l’admettre. En effet, dans toute son œuvre, Maizeroy ne cessera de vanter la supériorité d’une armée mobile et offensive face à une armée postée. Or, c’est précisément la tactique choisie par Maurice de Saxe pour vaincre l’ennemi retranché dans Raucoux et les villages alentour. Pour donner de la mobilité à ses troupes, le général de Saxe les avait divisées en plusieurs grosses brigades comprenant chacune des unités d’artil-lerie, d’infanterie, de cavalerie et des troupes du génie.

Puis, c’est à la baïonnette et avec le soutien du feu d’une brigade d’infanterie que le régiment de Bresse a

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et ce qui aurait dû être une brillante victoire se trans-forma en une simple attaque de fort pour le régiment de Bresse.

Capitaine malgré lui

La guerre de Succession d’Autriche prit fin en octobre 1748 par la signature du traité d’Aix-la- Chapelle. Bien que nous ayons traité l’histoire de Joly de Maizeroy à travers celle de son régiment, nous pouvons affirmer que notre auteur a obtenu la reconnaissance de ses supérieurs car il était prévu qu’il soit élevé au grade de major peu après le conflit. Jusqu’en 1764, les majors étaient choisis dans leur régiment parmi les meilleurs capitaines ayant au moins quinze ans de grade. Sous l’ancien régime, le major était chargé de l’administration du régiment, du maintien de la discipline, et de l’instruc tion des troupes. En outre, le major n’avait plus à commander de compagnie. Il était donc libéré du coût du recrutement et de l’équipement liés au commandement.

Toutefois, pour des raisons de santé, Maizeroy dut prendre congé de son régiment pour aller se ressourcer, et fut contraint d’abandonner le grade de major. Demeuré malgré lui capitaine, notre auteur dut aussi totalement réarmer sa compagnie qui a été décimée pendant la guerre, ce qui signifiait consacrer beaucoup de temps à trouver des recrues – denrée rare – et dépenser beaucoup d’argent dans leur équipement. L’obtention du titre de chevalier de l’ordre de Saint-Louis en 1753 n’offrit

par une fausse attaque des soldats de Kercado. Puis, lorsque l’ennemi se mit en tête de suivre la colonne française en retraite, il fut surpris à Masone, à quelques kilomètres plus au sud. Les Français y avaient établi des postes échelonnés en hauteur pour faire feu sur les Autrichiens en marche.

Ayant pris ses quartiers d’hiver à Arenzano, à l’ouest de Gênes, Kercado s’illustra à nouveau en protégeant le littoral contre les navires anglais. L’un d’eux fut même pris par ses soldats – des fantassins – au cours d’un abordage audacieusement lancé depuis la plage dans des barques armées ! Par affection pour notre auteur, nous aimerions l’imaginer à l’abordage du navire anglais. Il est au moins certain qu’il a eu vent de cette opération, car les belles actions étaient un sujet de discussion au sein de son régiment, comme il le raconte dans ses Essais militaires (1762).

En 1748, le régiment de Bresse fut employé à des attaques et des défenses de postes contre les assauts autrichiens autour de Gênes. Pour combattre dans ce pays montagneux, Maizeroy révèle dans son Traité de tactique que les Français armèrent les paysans et formèrent des compagnies franches autochtones. En mars, il prit sans doute part à l’attaque contre Savone, à l’ouest de Gênes ; cette opération audacieuse reposait sur un assaut simultané par la terre – notamment mené par le colonel de Kercado – et depuis la mer. Les Français s’étaient en outre arrangés pour qu’un habitant ouvre un passage dans les murailles. Le mauvais temps retarda cependant les navires chargés de l’assaut par la mer,

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et de l’application on peut scavancer beaucoup dans le service. Le sr Joly n’a cessé de montrer l’un et l’autre a la guerre et j’ose me flatter de vous proposer un sujet qui scait beaucoup, qui sera reellement utile et qui joint la naissance a touttes ses bonnes qualités. Je luy dois cette justice. »11 Kercado demande aussi qu’une pension soit versée à Maizeroy afin qu’il puisse décemment armer sa compagnie.

En mars 1756, c’est au tour de M. d’Hérouville, inspecteur général d’infanterie, d’écrire en faveur de Joly de Maizeroy pour l’obtention d’une pension. Il est à nouveau décrit comme un officier « fort appliqué » ayant « fait diverses remarques très essentielles sur le service » ; cette remarque démontre que, dès 1756, Maizeroy effectue des observations critiques sur le service, pré-figurant ainsi celles contenues dans ses ouvrages. Enfin, il est précisé en marge du document : « Fort bon officier, propre à venir à la tête du corps. Il aurait pu convenir pour la majorité. »12

Malgré ces précieux soutiens, au début de la guerre de Sept ans en 1756, Maizeroy n’est toujours qu’un capitaine d’infanterie ruiné, servant au sein d’un régiment affecté à La Rochelle pour défendre les côtes françaises contre les descentes anglaises sous le commandement du duc d’Aiguillon. Sa carrière pro- gresse néanmoins lorsqu’il est nommé capitaine de

11. Service historique de la Défense, Correspondance générale de la guerre, A1 3418, pièces 112 et 116.

12. Service historique de la Défense, Travail du roi, octobre-novembre 1756.

qu’une maigre compensation aux turpitudes vécues par Maizeroy, même s’il s’agissait d’une décoration pres-tigieuse récompensant le mérite.

En 1755, alors que les tensions renaissent entre la France et l’Angleterre, Joly de Maizeroy en appelle à ses relations pour accélérer son avancement et monter en grade malgré son manque de ressources. Il écrit le 10 août au comte d’Argenson, secrétaire d’État à la guerre de 1743 à 1757, pour lui demander la place dans l’état-major de l’armée que lui avait vaguement promis le ministre lors d’une précédente entrevue. Chargé d’assis-ter le général dans son commandement, l’état-major offrait une position prestigieuse et plus enviable que celle de capitaine d’infanterie, notamment parce qu’elle n’obligeait pas à entretenir une compagnie à ses frais. Dans sa demande d’emploi, Maizeroy met en avant ses qualités, à savoir son extraction familiale, mais surtout son mérite : « jaÿ toujours taché de m’en rendre capable par mon application et je ferai mon possible pour la mériter par mon travail ».

À deux reprises, le comte de Kercado écrit au comte d’Argenson pour intercéder en faveur de Maizeroy, qu’il décrit en des termes très élogieux : « Permettés moi de profiter de cette occasion pour vous supplier d’accorder au sieur joly de Maizeroy officier d’un mérite supérieur de l’employ dans l’etat major de l’armée. Ce sera une récompense pour luy qui est d’une famille qui a rendu de grands services et un sujet d’emulation pour les offi-ciers de mon régiment qui connoissent son application et ses grands talens. Ils jugeront par la qu’avec du zele

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trouver au cœur d’un conflit qui a abîmé l’image du roi Louis XV et celle de son armée.

L’engagement de la France aux côtés de Marie-Thérèse d’Autriche (1740-1780), descendante de Léopold de Habsbourg (1658-1705) et ennemie de la France lors de la guerre de Succession d’Autriche, fit réagir la cour et l’opinion, où sévissait toujours un sentiment anti-autrichien. Et l’opinion acceptait encore moins de servir de bras armé contre Frédéric II de Prusse, le roi philo-sophe ami de Voltaire. Faute d’avoir exposé les raisons de cette intervention, Louis XV prenait le risque de voir son armée douter du bien-fondé d’une guerre semblant ne présenter aucun intérêt pour le royaume. Dans ses lettres, le soldat Philibert Baudée avoue qu’il ne com-prend rien à ce conflit auquel il prend part, mais affirme que la ruine de la France en est la seule issue.

Les interrogations se multiplièrent après les défaites, car les moyens engagés par l’alliance entre l’Autriche, la France, la Russie et la Suède lui donnaient une écrasante supériorité numérique sur la Prusse, alliée à une Angleterre plus soucieuse d’agrandir ses pos-sessions d’outre-mer. L’armée française engagea deux cent soixante-dix mille hommes durant la totalité de la guerre, dont cent mille hommes entretenus en per-manence en Hesse et en Hanovre à partir de 1759. Un auteur anonyme, le chevalier M*** de C***, décrivit en 1780 la suffisance éprouvée par les Français à l’entrée du conflit : « Tous les militaires françois disoient : nous avons vaincu à Fontenoi, à Raucow & à Lawfeld, & nous vaincrons encore : ils étoient vraiment persuadés que

grenadiers le 5 décembre 1756, grade accordé à des officiers de valeur trop peu fortunés pour acheter un régiment. Les avantages qui y sont attachés sont une augmentation de traitement, puisqu’une ordonnance du roi du 25 février 1758 stipule qu’un capitaine de gre-nadiers touchera six livres par jour, contre quatre livres pour un capitaine de fusiliers, ainsi que des payes de gratification plus importantes lorsque la compagnie est au complet. De surcroît, le capitaine de grenadiers est libéré de la corvée du recrutement, puisque sa compa-gnie se compose des meilleurs soldats des autres unités, moyennant cependant un dédommagement de vingt-cinq livres par soldat. Si l’on ajoute à cela les dépenses nécessaires à l’entretien d’une compagnie, on suppose que la charge de capitaine de grenadiers ne devait pas offrir un traitement beaucoup plus élevé que celui de capitaine de fusiliers. Or, Joly de Maizeroy obtint moins d’un an plus tard une pension de retraite sur le trésor royal de cinq cents livres.

Les baïonnettes de Saint-Cast (1758)13

C’est depuis les côtes françaises que Maizeroy vécut la guerre de Sept ans (1756-1763), sur un théâtre d’opérations périphérique. Au moins eut-il l’avantage de ne pas se

13. Sur la bataille de Saint-Cast, voir Lagadec (Yann) et Perreon (Stéphane), La bataille de Saint-Cast (Bretagne, 11 septembre 1758), entre histoire et mémoire, PUR, Rennes, 2009.

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succès des attaques contre Cancale, Saint-Servan, et Cherbourg. Mais en septembre 1758, la tentative anglaise contre Saint-Malo n’aboutit pas, et les soldats ennemis durent rejoindre la plage de Saint-Cast, retardés dans leur marche par une poignée de volontaires bretons. Commandant les forces françaises, le duc d’Aiguillon mobilise immédiatement ses troupes. Au terme d’une marche forcée – cent quatre-vingt-dix kilomètres en quatre jours – les forces françaises rejoignent la plage de Saint-Cast le 11 septembre. Retranchée sur la plage sur un front d’un kilomètre environ, l’arrière-garde anglaise attend de pouvoir embarquer, mais elle com-mence à subir le feu des canons français. Divisés en trois colonnes, les Français passent ensuite à l’assaut des positions anglaises en empruntant trois axes différents dans une manœuvre enveloppante. Cet assaut impétueux s’effectue sous le tir nourri des navires anglais, décrit par les témoins de la bataille comme un feu d’enfer faisant néanmoins plus de peur que de mal.

Joly de Maizeroy a certainement vécu la bataille depuis le centre, là où les compagnies de grenadiers et des dragons ont été réunis pour former une colonne sous les ordres du marquis de Broc. Après avoir essuyé une décharge générale des soldats anglais, les grenadiers coururent impétueusement à l’ennemi, baïonnette au canon, et décidèrent de la victoire. Voyant sa position enfoncée, l’arrière-garde anglaise se débanda complète-ment, et fut poursuivie jusque dans l’eau par les Français. D’habitude peu disert sur son expérience, Maizeroy décrit de manière plus détaillée cette victoire dans son

M. le marquis de Brandebourg (c’est ainsi qu’ils l’appel-loient) ne tiendroit pas une demie-campagne, contre autant de forces. »14

Mais lorsqu’ils furent défaits par Frédéric II à Rossbach (5 novembre 1757) en Saxe, les Français com-mandés par Soubise et alliés à l’armée des Cercles commandée par Hildburghausen avaient des forces deux à trois fois supérieures à celles du roi de Prusse. Attaquée par surprise en flanc et en tête de sa marche, l’armée franco-impériale battit promptement en retraite. La défaite de Rossbach inaugura donc une grave crise morale au sein de l’armée française. Un mois plus tard, Frédéric II écrasait les Autrichiens deux fois plus nombreux à Leuthen (5 décembre 1757) grâce à un chef-d’œuvre tactique. Ces deux batailles persuadèrent les militaires Français que la source des vrais principes de la guerre se situait outre-Rhin, là où le roi de Prusse avait créé « la nouvelle Sparte »15.

Sur les côtes atlantiques, Joly de Maizeroy connaît un autre type de guerre. Son régiment fait partie des forces chargées de repousser les Anglais lors de leurs descentes. Mais avant de vaincre les red coats d’Albion, encore fallait-il les intercepter. La tactique anglaise de la descente consistait en une attaque rapide menée par une petite armée depuis la mer, et un réembar-quement tout aussi rapide. Les Anglais menèrent avec

14. M*** de C*** (chevalier de), Grande tactique et manœuvres de guerre suivant les principes de sa majesté prussienne, Veuve Tilliard, Mérigot le jeune, Jombert le jeune, Potzdam, Paris, 1780, p. IV.

15. Léonard (Émile G.), L’armée et ses problèmes au XVIIIe siècle, Plon, 1958, p. 192.

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mésentente profonde entre les généraux : le duc d’Estrées pourtant vainqueur à Hastenbeck (25-26 juillet 1757), fut disgracié immédiatement après sa victoire en raison de faux rapports accablants parvenus à la cour ; la dis-corde entre le comte de Saint-Germain et le maréchal de Broglie était de notoriété publique, et devait continuer longtemps après la guerre ; Broglie ne s’entendait pas davantage avec le prince de Soubise (1715-1787). De nom-breuses batailles furent ainsi suivies de règlements de compte à l’armée et à la cour.

La soldatesque alterna elle aussi le meilleur et le pire : à Krefeld (23 juin 1758), l’aile gauche commandée par Saint-Germain soutint des heures durant l’assaut prussien en dépit de sa nette infériorité numérique. Mais à Wilhelmstadt (24 juin 1762) des régiments entiers déposèrent leurs armes dès l’entame de l’action. Au terme de cette alternance de victoires et de défaites, les Français abandonnèrent leurs conquêtes en 1762, perdant ainsi de précieux gages en vue des négociations de paix. Les traités de paix de 1763 consacrèrent surtout la puis-sance anglaise et prussienne, au détriment de la France. La guerre de Sept ans avait engouffré un milliard et cent cinq millions de livres de ressources extraordinaires, soit une fois et demie ce qu’avait coûté la succession d’Autriche. La France, auxiliaire de Marie-Thérèse en Allemagne, sortait de cette guerre gravement endet-tée et amputée de toutes ses possessions en Amérique du Nord.

Cette période apporta de nouvelles désillusions à Joly de Maizeroy. Après une fin de conflit très calme, le

Cours de tactique. Peut-être est-ce une manière de dire à son lecteur « j’y étais ». S’étant distingués à Saint-Cast, les capitaines de grenadiers reçurent les félicitations personnelles du duc d’Aiguillon dans un courrier demandant pour eux le grade de lieutenant-colonel. La demande aboutit favorablement car le 20 mars 1759, Joly de Maizeroy fut élevé à ce grade.

Joly de Maizeroy pouvait difficilement prétendre au grade de colonel, car étant trop peu fortuné, il lui aurait été difficile d’entretenir un régiment alors que la mise sur pied d’une compagnie lui réclamait déjà un effort financier important. Après l’obtention du grade de lieutenant-colonel, Joly de Maizeroy continua de servir, ce qui prouve son zèle et son sens du service. En effet, à cette époque, de nombreux officiers nobles quittaient l’armée lorsqu’ils étaient nommés comme major ou lieutenant-colonel, preuve du déclin du sens de l’engagement des nobles au sein d’une armée dont l’avancement était désormais régi par l’argent.

Victoire plus symbolique que stratégique, la bataille de Saint-Cast a au moins permis de faire entendre à nouveau les Te Deum dans les églises françaises à une époque où ce chant se faisait plus rare. En Allemagne, principal théâtre d’opérations des Français, la suite des événements apporta quelques satisfactions, mais le plus souvent contrebalancées par les erreurs et les revers. De 1758 à 1762, les armées françaises engagées en Allemagne furent successivement commandées par sept généraux différents, qui partageaient quelque-fois le commandement. Cette instabilité se doubla d’une

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provinciaux pour redonner du lustre à une institution qui ne servait plus depuis la fin de la guerre de Sept ans. Joly de Maizeroy fut nommé lieutenant-colonel dans le régiment provincial de Joigny qui devint ensuite régi-ment de Sens, sous le commandement du comte d’Ailly. Toutefois, il s’agissait sans doute d’un pis-aller, car selon Louis Tuetey, même les gentilshommes pauvres n’étaient pas attirés par la milice en raison d’appointe-ments insuffisants, tandis que les nobles plus fortunés n’auraient pas daigné servir au sein d’un corps peu considéré. D’ailleurs, Joly de Maizeroy eut comme major et aide-major deux anciens sergents de milice, preuve supplémentaire du manque d’empressement des nobles à y servir. Cela n’empêcha pas le secrétaire d’État à la guerre de rappeler au colonel du régiment que seuls les gentilshommes pouvaient y occuper un poste d’officier.

Joly de Maizeroy perdit à nouveau son poste lorsque les régiments de troupes provinciales furent supprimés en décembre 1775 par le comte de Saint-Ger-main, hostile au maintien d’une milice. Mais en 1778, lorsque éclata la guerre avec l’Angleterre, le prince de Montbarrey forma des bataillons de garnison avec les troupes provinciales. Joly de Maizeroy fut nommé commandant du bataillon de garnison du régiment de Beauvaisis. En temps de guerre, les quatre-vingts batail-lons de garnison se destinaient à la garde des places et des frontières, servaient de dépôt à leurs régiments respectifs pour tous les objets d’entretien et de répara-tion, et recevaient les recrues pour les exercer. Joly de Maizeroy trouva dans cet emploi un nouveau motif de

régiment de Bresse fut licencié le 25 novembre 1762, à l’instar de nombreux autres régiments à l’occasion des premières réformes entreprises par le duc de Choiseul. En effet, le nouveau secrétaire d’État à la guerre enta-mait son œuvre par le licenciement d’environ cent mille hommes. Troupes certes mal payées, mal armées et mal ravitaillées, elles aggravaient toutefois le déficit du trésor royal.

Des temps difficiles

Après la réforme de son régiment, si Maizeroy profite du temps dont il dispose désormais pour écrire, il doit également faire face à des soucis financiers. Une lettre de juin 1763 du marquis de Talaru, inspecteur général de l’infanterie et premier maître d’hôtel de la reine, demande au duc de Choiseul de tourner en appointe-ments la pension de réforme de Joly de Maizeroy, et de l’augmenter de trois cents livres. Pour justifier cette faveur, Talaru affirme à propos de l’auteur que « c’est un officier de distinction qui mérite les grâces du roi et qui a besoin de ce secours-là » et met en avant « la manière distinguée dont il a servi »16. Maizeroy n’obtint un nouvel emploi qu’en août 1770, lorsque le marquis de Monteynard, secrétaire d’État à la guerre (1771-1774), réorganisa les bataillons de milice en des régiments

16. Service historique de la Défense, Dossiers personnels écrivains militaires, Joly de Maizeroy, Ya 508 (1).

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d’en déterminer exactement la somme, celle-ci semble ne pas avoir excédé trois mille livres par an. Or, selon certains chercheurs, il fallait un revenu de cinq mille livres par an pour vivre à l’aise et libéré de tout travail mercenaire, tandis que mille livres permettaient de (sur)vivre à Paris, mais sans plus. Ajoutons à titre d’exemple que la simple location d’une voiture dans la capitale coû-tait annuellement trois mille livres environ. Or, Maizeroy a passé beaucoup de temps à Paris, au moins à partir de 1775, car il assistait régulièrement aux séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Il logeait donc dans un cloître, ainsi que nous l’apprend L’Almanach royal. Le 7 février 1780, Maizeroy s’éteint d’une maladie des poumons, à la veille de devenir brigadier. Il meurt célibataire et sans héritier.

Ainsi, en dépit d’un zèle et d’un talent reconnu, et bien que s’étant ruiné au service, Joly de Maizeroy n’a pas reçu la gloire ou la reconnaissance qu’il pouvait attendre, contrairement à son aïeul Pierre Joly. Quoique courante, cette situation est vécue comme une injustice par Maizeroy ; il en vient même à regretter l’époque où les guerriers pouvaient capturer leurs adversaires pour obtenir une rançon : « L’usage que l’on suivoit autre-fois, de laisser la propriété des prisonniers à ceux qui les avoient faits, étoit un puissant aiguillon pour les guerriers. Le profit de la rançon se joignoit à la gloire d’avoir vaincu […]. La valeur, l’adresse ou la fortune, pouvoient se procurer des avantages qu’elles n’ont plus aujourd’hui ; la guerre appauvrit également le vainqueur & le vaincu. Celui qui s’est trouvé à cent prises de places,

réflexion et d’observation, puisqu’il rédigea en 1779 un plan d’instruction pour les officiers et bas-officiers des troupes provinciales et former une base de principes à leur attention.

Sa situation financière n’a toutefois pas cessé d’être délicate. Des demandes répétées pour que lui soient attribuées une augmentation d’appointements et une pension aboutissent cependant. Le 7 août 1776, il obtient une augmentation de six cents livres, portant ses appointements à mille huit cents livres, bien qu’il demandât une somme de deux mille quatre cents livres, revenu conforme à celui qu’il touchait en tant que lieu-tenant-colonel du régiment de Bresse. Puis, sa solde de commandant de bataillon de garnison de mille six cents livres fut complétée au mois d’octobre 1779, date à laquelle une pension de huit cents livres, sur ordre de saint Louis, lui fut versée, au terme de six ans d’expec-tative. Dans une des lettres formulant la demande, il est une nouvelle fois écrit que Maizeroy est « un officier plein de zèle et d’application » mais également « connu par les ouvrages utiles qu’il a faits sur le militaire »17. Cependant, le roi le connaît déjà, puisque notre auteur eut l’insigne honneur d’être présenté à Louis XVI le 20 février 1778 en sa qualité de nouveau membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Ces demandes répétées démontrent que Maizeroy avait besoin de ces revenus. Bien qu’il ne soit guère aisé

17. Service historique de la Défense, Dossier de pension sur le trésor royal : Paul-Gédéon Joly de Maizeroy, Ye 12657.

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Page 24: Joly de Maizeroy · Joly de Maizeroy est de ce point de vue très représen-tative, car elle a été largement éclipsée par la pensée du comte de Guibert, et dans une moindre mesure

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2.

Une plume pour aiguiser l’épée

À partir de 1762, Joly de Maizeroy a déployé une activité intellectuelle et littéraire tout à fait exceptionnelle, obte-nant par la plume une renommée qu’il n’a pas pu gagner par l’épée. Douze titres différents furent publiés par cet infatigable penseur entre 1762 et 1780, ce qui fait de lui l’écrivain militaire le plus productif de la seconde moitié du siècle. Son œuvre débuta dès la fin de la guerre de Sept ans en 1762 avec les Essais militaires. Puis, en 1765, Joly de Maizeroy édita à Metz un Traité des stratagêmes permis à la guerre, ou remarques sur Polyen et Frontin, avec des observations sur les batailles de Pharsale & d’Arbelles. À partir de 1766, l’auteur entama sa période la plus féconde. Il publia tout d’abord un Cours de tactique théo-rique pratique et historique en deux tomes, suivi un an plus tard du Traité sur les armes défensives et du Traité de tactique, pour servir de supplément au Cours de tactique théorique pratique et historique.

Son nom réapparaît en 1770 lorsqu’il fait imprimer sa traduction des Institutions militaires de l’empereur Léon le philosophe, ouvrage militaire byzantin du IXe-Xe siècle,

à cent combats ou batailles gagnées, retourne chez lui courbé & vieilli de fatigues, navré de blessures, aussi pauvre & plus encore qu’il n’en étoit sorti. »18.

18. Pour plus de lisibilité les ouvrages de Joly de Maizeroy seront cités en notes par leur titre seul et numéros de pages auxquels il est fait référence. Une biblio- graphie complète sera présente en fin d’ouvrage [NdA]. Traité de tactique, tome II, p. 101-102.

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