jean-michel dubernard* l’ - edimark · cheveux de ses enfants, passer un fil dans une aiguille,...

1
Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011 59 Éditorial L’ innovation est le fruit de la rencontre entre l’imaginaire collectif – le mythe – et l’imaginaire individuel – le rêve. Les greffes composites de tissus sont présentes sous des formes diverses dans toutes les mythologies. Le rêve est celui des patients ampu- tés ou défigurés : serrer la main d’un ami, caresser les cheveux de ses enfants, passer un fil dans une aiguille, jouer du piano pour ceux qui rêvent de retrouver des mains… Parler, manger, boire normalement, donner un baiser, se promener dans la rue sans masque pour ceux qui rêvent de retrouver un visage. Le rêve est aussi celui des chercheurs, des transplantologistes au sens large du terme. Alexis Carrel, qui applique immédiatement sa technique d’anastomose vasculaire à la transplantation, publie dès 1908 la description des premières allogreffes de pattes chez le chien dans le Journal of the American Medical Association. V. Demikov effectue à la fin des années 1960 des greffes très chimériques de têtes chez le chien. Arrive un moment où le rêve peut devenir réalité parce que les progrès dans des disciplines scientifiques souvent assez éloignées se rejoignent dans une transversalité positive. À la fin du xx e siècle, les 3 principaux défis des allogreffes composites de tissus paraissaient pouvoir être relevés par de nombreux chercheurs, médecins et chirurgiens. Défi immunologique Contrairement à ce que pensaient la plupart des immunologistes, le rejet cutané peut être sinon évité, du moins traité. La présence de moelle osseuse, un élément de la greffe composite, dans les os de la main, même en petite quantité, pourrait jouer un rôle. En tout cas, c’est l’hypothèse qui m’a poussé à prendre la décision d’effectuer la première allogreffe de main, au moment où de nombreux articles sur les cotransplantations (organes et moelle osseuse) commençaient à être publiés et alors que le rôle des lymphocytes T régulateurs se précisait. Défi technique Relativement facile à relever pour les greffes de mains, qu’on savait réimplanter sur le même indi- vidu depuis 40 ans, ce défi technique était beau- coup plus complexe, de mon point de vue, pour les greffes du visage. Restait à réunir des équipes faisant appel aux meilleures compétences nationales et internationales de façon à donner au patient le plus de chances de réussite et, aussi, à obtenir les autorisations. Ainsi, les équipes menées par Earl Owen (Sydney), Marco Lanzetta (Milan), Nadey Hakim (Londres) et l’équipe de Lyon se sont réunies pour la première greffe de mains, et celles menées par Bernard Devauchelle (Amiens), par Benoît Lengelé (Bruxelles) et par l’équipe de Lyon pour la première greffe de visage. Une inconnue de taille a failli nous voir refusée l’autorisation de la première greffe des 2 mains : en effet, la représentation corticale de la main disparaît après amputation… Pouvait-elle réapparaître ? Angela Sirigu a montré que oui, et les conséquences de son travail dépassent très largement le cadre de la transplantation. Défi psychologique Est-il possible de vivre avec les mains ou le visage d’une personne morte ? Est-il possible de se les approprier ? Quel est l’impact de l’amputation ou de la défiguration, puis celui de la transplantation sur l’image corporelle ? Quelle est la part du fonc- tionnel dans l’appréciation du résultat par le patient ? Comment ne pas citer les noms de Jean Cournut, l’un des psychanalystes freudiens français les plus connus, et du Lyonnais Gabriel Burloux, vers lequel il m’avait orienté ? Ce dernier a montré que l’appro- priation progressait avec le retour de la sensibilité et qu’il persistait à long terme un clivage psychologique dans lequel le déni jouait un rôle clé. Ces aventures palpitantes où nous ont rejoints de très nombreuses équipes poursuivant le même rêve, ont ouvert une nouvelle étape de l’histoire de la transplantation, dont l’impact scientifique pourrait dépasser largement celui de la seule transplantologie… “Ces greffes ne sauvent pas la vie, elles redonnent la vie”, disait notre premier transplanté. Du rêve à la réalité From dream to reality Jean-Michel Dubernard* * Service d’urologie et de chirurgie de la transplantation, hôpital Édouard-Herriot, Lyon.

Upload: others

Post on 21-Aug-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Jean-Michel Dubernard* L’ - Edimark · cheveux de ses enfants, passer un fil dans une aiguille, ... (Bruxelles) et par l’équipe de Lyon pour la première greffe de visage. Une

Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011 59

É d i t o r i a l

30 juin 2011

Étab

li le

20/

06/2

011

avec le soutien institutionnel de

sous l’égide

NiceToulouse 20 septembre 2011

Strasbourg13 septembre 2011

13 septembre 2011

27 juin 2011

Dijon

Besançon

Montpellier

ParisCaen

28 juin 201123 juin 2011

9 septembre 2011Brest

14 septembre 2011

septembre 2011

septembre 2011

septembre 2011

Tours

Lille

Amiens

22 septembre 2011

27 septembre 2011

LimogesBordeaux Lyon HEH

Saint-ÉtienneGrenoble

22 septembre 201117 juin 2011

17 novembre 2011

Lyon Sud

L’ innovation est le fruit de la rencontre entre l’imaginaire collectif – le mythe – et l’imaginaire individuel – le rêve. Les greffes composites de

tissus sont présentes sous des formes diverses dans toutes les mythologies. Le rêve est celui des patients ampu-tés ou défigurés : serrer la main d’un ami, caresser les cheveux de ses enfants, passer un fil dans une aiguille, jouer du piano pour ceux qui rêvent de retrouver des mains… Parler, manger, boire normalement, donner un baiser, se promener dans la rue sans masque pour ceux qui rêvent de retrouver un visage. Le rêve est aussi celui des chercheurs, des transplantologistes au sens large du terme. Alexis Carrel, qui applique immédiatement sa technique d’anastomose vasculaire à la transplantation, publie dès 1908 la description des premières allogreffes de pattes chez le chien dans le Journal of the American Medical Association. V. Demikov effectue à la fin des années 1960 des greffes très chimériques de têtes chez le chien.Arrive un moment où le rêve peut devenir réalité parce que les progrès dans des disciplines scientifiques souvent assez éloignées se rejoignent dans une transversalité positive. À la fin du xxe siècle, les 3 principaux défis des allogreffes composites de tissus paraissaient pouvoir être relevés par de nombreux chercheurs, médecins et chirurgiens.

Défi immunologiqueContrairement à ce que pensaient la plupart des immuno logistes, le rejet cutané peut être sinon évité, du moins traité. La présence de moelle osseuse, un élément de la greffe composite, dans les os de la main, même en petite quantité, pourrait jouer un rôle. En tout cas, c’est l’hypothèse qui m’a poussé à prendre la décision d’effectuer la première allogreffe de main, au moment où de nombreux articles sur les cotransplantations (organes et moelle osseuse) commençaient à être publiés et alors que le rôle des lymphocytes T régulateurs se précisait.

Défi techniqueRelativement facile à relever pour les greffes de mains, qu’on savait réimplanter sur le même indi-

vidu depuis 40 ans, ce défi technique était beau-coup plus complexe, de mon point de vue, pour les greffes du visage. Restait à réunir des équipes faisant appel aux meilleures compétences nationales et internationales de façon à donner au patient le plus de chances de réussite et, aussi, à obtenir les autorisations. Ainsi, les équipes menées par Earl Owen (Sydney), Marco Lanzetta (Milan), Nadey Hakim (Londres) et l’équipe de Lyon se sont réunies pour la première greffe de mains, et celles menées par Bernard Devauchelle (Amiens), par Benoît Lengelé (Bruxelles) et par l’équipe de Lyon pour la première greffe de visage. Une inconnue de taille a failli nous voir refusée l’autorisation de la première greffe des 2 mains : en effet, la représentation corticale de la main disparaît après amputation… Pouvait-elle réapparaître ? Angela Sirigu a montré que oui, et les conséquences de son travail dépassent très largement le cadre de la transplantation.

Défi psychologiqueEst-il possible de vivre avec les mains ou le visage d’une personne morte ? Est-il possible de se les approprier ? Quel est l’impact de l’amputation ou de la défiguration, puis celui de la transplantation sur l’image corporelle ? Quelle est la part du fonc-tionnel dans l’appréciation du résultat par le patient ? Comment ne pas citer les noms de Jean Cournut, l’un des psychanalystes freudiens français les plus connus, et du Lyonnais Gabriel Burloux, vers lequel il m’avait orienté ? Ce dernier a montré que l’appro-priation progressait avec le retour de la sensibilité et qu’il persistait à long terme un clivage psychologique dans lequel le déni jouait un rôle clé.Ces aventures palpitantes où nous ont rejoints de très nombreuses équipes poursuivant le même rêve, ont ouvert une nouvelle étape de l’histoire de la transplantation, dont l’impact scientifique pourrait dépasser largement celui de la seule transplantologie… “Ces greffes ne sauvent pas la vie, elles redonnent la vie”, disait notre premier transplanté. ■

Du rêve à la réalitéFrom dream to realityJean-Michel Dubernard*

* Service d’urologie et de chirurgie de la transplantation, hôpital Édouard-Herriot, Lyon.