isolation et prÉ les nouveaux en - … · élevée, voisine de 2, confèrent à ce mur en béton...

9
72 QUALITÉ CONSTRUCTION N° 144 MAI / JUIN 2014 PRESCRIPTION ISOLATION ET PRÉ LES NOUVEAUX EN ARCHITECTURE EN TERRE ISOLATION ET PRÉ LES NOUVEAUX EN L’Espace Rural de Marsac en Livradois (Puy-de-Dôme), construction bois et pisé isolé, prix national de l’architecture en terre 2013 – Architecte Boris Bouchet (photo Christophe Camus). Le confort des maisons en pisé est connu (tempérées été comme hiver, avec une hygrométrie stable), tout comme l’esthétique, la valeur patrimoniale, le faible coût énergétique et les qualités phoniques de ce matériau naturel. Ces vertus motivent propriétaires, artisans, architectes et chercheurs pour innover en termes de préfabrication et d’isolation, compte tenu notamment des exigences accrues de la RT 2012. TEXTE : PHILIPPE HEITZ PHOTOS & ILLUSTRATIONS: BORIS BOUCHET/BBA, CHRISTOPHE CAMUS, PIERRE-ANTOINE CHABRIAC/ENTPE-ADEME, HUGO GASNIER/CRATERRE, PHILIPPE HEITZ/AQC, NICOLAS MEUNIER, JEAN-CLAUDE MOREL/ENTPE-MEDDE, LUCILE SOUDANI/ENTPE-ANR

Upload: danghanh

Post on 14-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

72 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 4 4 • M A I / J U I N 2 0 1 4

PRESCRIPTION

ISOLATION ET PRÉLES NOUVEAUX EN

ARCHITECTURE EN TERRE

ISOLATION ET PRÉLES NOUVEAUX EN

L’Espace Rural de Marsac en Livradois (Puy-de-Dôme), construction bois et pisé isolé, prix national de l’architecture en terre 2013 – Architecte BorisBouchet (photo Christophe Camus).

Le confort des maisons en piséest connu (tempérées été

comme hiver, avec une hygrométrie stable), tout comme l’esthétique, la valeurpatrimoniale, le faible coût énergétique et les qualités phoniques de cematériau naturel. Ces vertus motivent propriétaires, artisans, architectes etchercheurs pour innover en termes de préfabrication et d’isolation, comptetenu notamment des exigences accrues de la RT 2012.

TEXTE : PHILIPPE HEITZ PHOTOS & ILLUSTRATIONS : BORIS BOUCHET/BBA, CHRISTOPHE CAMUS,PIERRE-ANTOINE CHABRIAC/ENTPE-ADEME, HUGO GASNIER/CRATERRE, PHILIPPE HEITZ/AQC,NICOLAS MEUNIER, JEAN-CLAUDE MOREL/ENTPE-MEDDE, LUCILE SOUDANI/ENTPE-ANR

73M A I / J U I N 2 0 1 4 • N ° 1 4 4 • Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N

FABRICATION:JEUX DU PISÉFABRICATION:JEUX DU PISÉ

74 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 4 4 • M A I / J U I N 2 0 1 4

PRESCRIPTION

Un mur en pisé est fait par compactagede terre humide graveleuse dans uncoffrage, au-dessus d’un soubassementle protégeant de l’eau du sol (1). Sonépaisseur de 40 à 60 cm et sa densité

élevée, voisine de 2, confèrent à ce mur en bétonde terre crue une inertie thermique importante,facteur de confort reconnu depuis des siècles et soustoutes les latitudes. Stockant la chaleur extérieurele jour, il la restitue la nuit dans la maison avec undéphasage de 10 à 12 heures. De même, la fraîcheurnocturne est transmise le jour, procurant un vraiconfort d’été. En outre, la terre compactée, maté-riau poreux, absorbe et restitue la vapeur d’eau dulogement, maintenant une hygrométrie de l’airagréable. Les changements de phase de l’eau ausein du pisé constituent un stockage de calories oude frigories, représentant un gain d’énergie.Dès lors, pourquoi vouloir isoler le pisé? L’artisanpiseur Nicolas Meunier relève «n’avoir jamais en-tendu les occupants d’une maison en pisé se plaindredes façades est, sud ou ouest, mais qu’ils notent uninconfort dans une pièce avec un seul mur nordextérieur». Outre la demande des habitants d’aug-menter le confort d’hiver, ce sont surtout les exi-gences accrues des réglementations thermiquesRT 2005 puis RT 2012 qui poussent les profession-nels à concevoir et expérimenter des solutionsd’isolation du pisé, en veillant à ne pas générer depathologie humide (1).Autre nouvel enjeu pour les constructeurs: la pré-fabrication des murs en pisé. En effet, traditionnel-lement les chantiers de pisé ne se faisaient qu’à labelle saison, en période hors-gel. Une contraintede saisonnalité aujourd’hui très pénalisante pourdes entreprises employant des salariés perma-nents ou répondant à des appels d’offres publics auxdélais inadaptés. La préfabrication en atelier hors-gel peut résoudre ces difficultés, tout comme ellepeut aussi permettre une semi-industrialisationde la construction en terre crue, génératrice deprojets architecturaux inédits. Et la préfabricationsur le chantier même peut aussi être une astucieuseréponse artisanale à des contraintes de place surun chantier urbain.

Isoler le pisé avec précautionLa terre à pisé est un mélange d’argiles, de limons,de sables, graviers et cailloux, en proportions va-riables, car le pisé est bâti en règle générale avecla terre locale pour éviter le transport de ce maté-riau pondéreux. Compactée fortement en litssuperposés de 10 à 15 cm dans un solide coffrage,la terre à pisé a d’ordinaire une teneur en eau de9 à 12 % à la mise en œuvre. Une fois séché, le muren pisé sain ne contient plus en pourcentage pon-déral que 1 à 2 % d’eau sous forme liquide, et dela vapeur. L’eau en phase liquide forme avec l’aircontenu dans les pores des ménisques entre lesgrains, assurant une partie de la cohésion du ma-tériau par les forces de tension superficielle (1).L’eau en phase vapeur résulte de l’équilibre ther-modynamique in situ entre l’air, l’eau interstitielleet la vapeur d’eau provenant de l’air extérieur ou

du logement. De l’eau liquide peut également re-monter du soubassement par capillarité, ce quientraînera une dégradation humide du pisé si le phé-nomène perdure en conduisant à des teneurs eneau pondérales au-delà de 5 %. Il y a dès lorsrisque d’effondrement à terme en cas d’entrave àl’évaporation de l’humidité rentrée dans le pisé parcapillarité, infiltration ou condensation de vapeur.Outre la dégradation humide du pisé et la sinistra-lité associée en cas d’isolation trop peu perméanteà la vapeur d’eau, la dégradation de l’isolant lui-même par l’humidité doit également être envisagée.C’est pourquoi il n’y a pas consensus parmi lesprofessionnels de la construction en terre sur lapertinence et les moyens de l’isolation du pisé enl’état actuel des connaissances scientifiques ettechniques. Quels risques prendre pour quels ré-sultats attendus?Le point-clé de la réflexion est le bon fonctionnementhygrothermique du mur en pisé: si les transfertsde vapeur d’eau au travers du mur sont préservés,le pisé restera sain et solide. Si la diffusion de la va-peur d’eau est entravée par une couche résistante,ou si le point de rosée est atteint à l’intérieur d’unmur coupé de la chaleur solaire ou de celle dulogement, et donc devenu paroi froide, l’humidifi-cation de la terre conduira à la pathologie (1). Sontdonc à proscrire d’entrée les isolants ou revêtementsétanches à la vapeur d’eau, notamment les enduitsà base ciment. Les transferts de vapeur étant dyna-misés par la chaleur, la stratégie d’isolation seraadaptée à l’orientation du mur. Isoler fortement unmur nord par l’intérieur conduira à faire condenserla vapeur d’eau à l’intérieur du mur, avec notammentun risque de dégradation structurelle du pisé parle gel. L’architecte Jacky Jeannet (ABITerre) proposedans cette configuration une solution d’isolationpar l’extérieur avec, par exemple, une ossature boissupportant des panneaux de fibre de bois, un filmpare-pluie et un bardage bois. Si l’on doit garder lepisé apparent à l’extérieur, il préconise une simplecorrection thermique par une couche intérieured’enduit chaux-chanvre banché de 7 à 10 cm, dontle coefficient de conductivité thermique � de 0,08 à0,12 W/m.K, l’inertie thermique et la perméance àla vapeur d’eau «donnent de très bons résultats».À l’inverse, un mur exposé sud captant la chaleursolaire, donc plus séchant, pourra être isolé parl’intérieur. Mais se pose alors la question de la per-tinence d’isoler un mur accumulateur de chaleursolaire. Au bilan, sur une année, ce mur génère-t-ilplus de déperditions thermiques que d’apports?Les professionnels de la terre s’accordent pour tou-jours aborder la question de manière globale, quece soit en réhabilitation ou en construction. Quelobjectif de performance énergétique globale du bâ-timent? Pour telle façade ou tel mur, quel besoind’isolation, d’inertie thermique et hygrométrique,quelles attentes esthétiques, quelles contraintespatrimoniales? Les choix d’isoler ou non, du moded’isolation (intérieure/extérieure) et des matériauxseront guidés par ce questionnement. Tous insistentégalement sur la nécessaire résolution préalabled’une éventuelle pathologie humide. Avant d’isoler,

“Outre lademande des habitantsd’augmenter leconfort d’hiver,ce sont surtoutles exigencesaccrues desréglementationsthermiquesRT 2005 puisRT 2012 quipoussent lesprofessionnelsà concevoir etexpérimenterdes solutionsd’isolationdu pisé, enveillant à nepas générerde pathologiehumide”

(1) Voir l’article « La pathologiehumide du pisé » publiédans le n° 143 de QualitéConstruction (mars-avril 2014, pages 63 à 69).

supprimer tout problème de remontées capillairesou d’infiltrations est impératif, car toute isolationdiminue la capacité de séchage du mur. Théoriquement, des solutions existent, pourvuqu’elles préservent les transferts de vapeur d’eauau sein du pisé. Mais, en rénovation, les artisansse montrent prudents, conscients du manque deretours d’expériences sur le long terme et du risqued’enfermer l’humidité émanant d’éventuelles re-montées capillaires et de celui de condensation dansl’isolant. Par exemple, le maçon isérois Laurent Marmonier réalise des corrections thermiquesintérieures en chaux-chanvre satisfaisantes, etprivilégie l’isolation maximale des combles plutôtque celle du pisé. Son collègue Bernard Mermet apu constater une nette amélioration du confortd’hiver d’une vieille maison en pisé par une isola-tion intérieure en blocs de chanvre collés et enduitsà la chaux. Les artisans rappellent que les géné-rations précédentes ont réussi à se protéger effi-cacement de l’inconfort d’un mur nord en pisé parun simple doublage de briques, en conservant unelame d’air entre ce dernier et le pisé, et en le ven-tilant par des ouvertures. La collecte, l’analyse etla diffusion des retours d’expériences d’isolation dupisé, comme l’amélioration des modélisations ducomportement hygrothermique du pisé isolé se-raient un réel progrès pour les professionnels etles maîtres d’ouvrage.

Une rechercheexpérimentale activeLes outils de prédiction des risques de condensationdans les parois ou de simulation hygrothermiquedes matériaux de construction poreux (méthode de

Glaser, logiciel Wufi par exemple) sont insuffisantspour prendre en compte l’ensemble des phéno-mènes dynamiques de circulation d’humidité et dechangements de phase de l’eau au sein d’un muren pisé avec son soubassement. Cherchant à comprendre les phénomènes phy-siques au sein du matériau pour les modéliserplus précisément, les chercheurs du Laboratoirede tribologie et dynamique des systèmes (LTDS)de l’École nationale des travaux publics de l’État(ENTPE-CNRS) conduisent des essais sur lecomportement hygrothermique et mécanique dupisé, au sein du projet de recherche Primaterrefinancé par l’Agence nationale de la recherche.L’étude expérimentale est menée en parallèle surdes échantillons de terre à pisé et sur des muretsde 1,5 m2 placés en enceintes isothermes étanchesdont l’ambiance est contrôlée. Première étape dé-marrée en mars 2013: valider des méthodes etcapteurs de mesure des variations de la tempéra-ture et de l’hygrométrie au sein du matériau.Deuxième étape: modéliser ces variations au seindu matériau en fonction des paramètres de l’envi-ronnement du mur en pisé. Troisième étape: validersur site méthodes et moyens de mesure en instru-mentant des murs en construction, et par le suivide la maison achevée. L’objectif final est de traduireen 2016 les résultats scientifiques en «modulespédagogiques utilisables en bureau d’études ou surchantier». Jean-Claude Morel, coordinateur du pro-jet Primaterre, livre les premiers enseignements desessais en cours. « Le coefficient de conductivitéthermique � croît linéairement avec la teneur en eaudu pisé. De 0,5 à 0,7 W/m.K à 0 % de teneur en eau,il passe à environ 1,5 pour 10 % de teneur ���

75M A I / J U I N 2 0 1 4 • N ° 1 4 4 • Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N

Dans un laboratoire de l’ENTPE,les chercheurs Joachim Blanc-Gonnet, Jean-Claude Morel etPierre-Antoine Chabriac testentles propriétés hygrothermiques etmécaniques d’échantillons de pisé.

Photo ©2014 – Philippe Heitz – AQC

76 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 4 4 • M A I / J U I N 2 0 1 4

PRESCRIPTION

en eau. La chaleur est conduite au sein du matériaupar l’eau des ménisques entre les grains (voir illus-tration n° 1 ci-contre). Plus le mur est sec, plus il estisolant. Mais avec un � de 0,8, un pisé sain à 2 % deteneur en eau demeure un isolant médiocre comparéaux conductivités thermiques de l’ordre de 0,04 W/m.Kdes isolants en fibres minérales ou biosourcés. C’estnéanmoins 2 à 2,5 fois mieux qu’un mur en pierre ouen béton. Nous pensons que la prise en compte deschangements de phase de l’eau pourrait contrebalan-cer la faiblesse de cette conductivité thermique. Nouscherchons donc à quantifier le flux de vapeur d’eau autravers de divers échantillons de pisé. Cela donne,entre autres, des valeurs de coefficient � de résistanceà la diffusion de vapeur d’eau entre 6 et 10: le pisé estbeaucoup moins résistant au passage de la vapeurd’eau que la plupart des matériaux de construction.»Des capteurs de température, de teneur en eau eten vapeur d’eau, adaptés et renforcés, ont été inclusà l’intérieur des murets d’essai et aussi dès 2011dans les murs sud et ouest d’une maison en piséen construction en Isère. L’instrumentation de cettemaison a montré que la cinétique de séchage du piséaprès la mise en œuvre se compte en années, etqu’il y a descente gravitaire de l’eau interstitielle.Ainsi, modéliser les échanges de chaleur, d’eau etde vapeur au travers d’un mur en pisé nécessitede mettre en équations le transfert de chaleur ausein d’un matériau poreux épais contenant de l’eausoumise à la gravité et aux forces capillaires, sus-ceptible de s’évaporer en captant de la chaleur,laquelle vapeur d’eau pouvant diffuser au travers despores ou se condenser en libérant de la chaleur. Undéfi auquel s’est attaquée Lucile Soudani, doctoranteENTPE-CNRS (voir illustration n° 2 ci-contre).La comparaison des valeurs de température etd’humidité relative calculées par le modèle mathé-matique proposé avec les valeurs expérimentalesmesurées, permet de démontrer que les modèleshygrothermiques couramment utilisés pour lesmatériaux de construction sous-estiment pour lepisé sa capacité d’amortissement des variationsde température et d’humidité relative. Le modèledéveloppé à l’ENTPE permet «de simuler les trans-ports de chaleur et de masse, en tenant compte deseffets dus aux changements de phase de l’eau à l’in-térieur des murs de terre ». Jean-Claude Morelconclut : «Le modèle est en cours de validation carnous devons encore définir les paramètres intrin-sèques du matériau régissant les effets de la gravitéet de la capillarité.»

La nécessaire approchearchitecturale del’isolation du piséSi les scientifiques valident en les expliquant lesqualités hygrothermiques du pisé reconnues depuisdes siècles, si leurs modèles permettent de simu-ler au plus juste les échanges thermodynamiquesau travers du matériau, il n’en demeure pas moinsque le pisé est trop peu isolant pour répondre seulaux exigences minimales de la RT 2005: 50 cm depisé équivalent à 4 cm de polystyrène. «Une enceintecomplète uniquement en pisé ne peut être BBC»,

«Pas un m2 de pisé ne passe les garde-fous d’isola-tion de la RT 2005», affirment respectivement lesarchitectes lauréats des prix de l’architecture deterre 2013 Jacky Jeannet (ABITerre) et Boris Bouchet(Boris Bouchet Architectes). En supprimant le «garde-fou» (valeur de référenceexigible) pour les caractéristiques thermiques dechaque composant structurel au profit d’une ap-proche globale de la consommation énergétique dubâtiment, la RT 2012 a levé le blocage et redonnéau pisé la possibilité d’intégrer les projets deconstruction. Spécialiste depuis plus de trente ansde la construction en terre, Jacky Jeannet distinguedeux problématiques. «En rénovation d’une maisontoute en pisé, on cherche à améliorer son confortthermique d’hiver en l’isolant au bon endroit. Enconstruction, on cherchera plutôt à mettre le pisé làoù il est utile. Grosso modo, soit on doit isoler une en-veloppe aux caractéristiques thermiques moyennes,mais dont les points faibles sont généralement toiture,sol et fenêtres, soit on doit apporter de l’inertie à unebouteille thermos. 20 m2 de mur en pisé de 50 cm, c’estpratiquement 20 tonnes de terre apportant de l’iner-tie thermique, capable de stocker la chaleur ou le frais,d’absorber un excédent d’hygrométrie du logementou de réhumidifier un air trop sec. Exposé au soleilhivernal, c’est un mur accumulateur de chaleur. Mêmeusage derrière un poêle.» Pour Grégoire Paccoud,architecte du laboratoire CRAterre de l’École na-tionale supérieure d’architecture de Grenoble(Ensag) en charge du programme de rechercheOptipisé, « le matériau et la technique ne font pas tout,il faut aussi une recherche et une prise de consciencesur les modes de vie des habitants, sur l’usage despièces d’un logement.» Au final, que ce soit en ré-novation ou en construction neuve, l’exigence deconfort thermique avec le pisé ouvre un large champd’application à la créativité et aux compétencesdes architectes, bureaux d’études et artisans.

Un sandwich pisé-liège-piséAllier créativité et performance énergétique avecle pisé, l’architecte clermontois Boris Bouchet ena apporté une belle démonstration à Marsac-en-Livradois (Puy-de-Dôme) avec un bâtiment neufen pisé et bois abritant cabinets médicaux etcommerce, une réalisation lauréate du Prix natio-nal de l’architecture en terre crue 2013 et du prixde la Première œuvre 2013. Pour répondre à ladouble contrainte imposée par la mairie de Mar-sac (maître d’ouvrage) de construire un bâtimentBBC valorisant la technique locale du pisé, il a eul’idée d’un double-mur en pisé enfermant unecouche isolante de liège de 20 cm. Le mur intérieurde 40 cm est porteur de la dalle béton, le mur de25 cm en façade extérieure en pisé sans enduit va-lorise l’image du matériau traditionnel en Livradois.Boris Bouchet explique ses choix : «L’isolation enpanneau rigide de liège sert de coffrage perdu pourla terre, et présente un coefficient de transmissionhygrométrique proche de celui du pisé. Avec un coef-ficient � de résistance à la diffusion de la vapeur d’eaude 5, le panneau de liège est aussi perspirant quele pisé tout en étant imputrescible. Pour

“En supprimantle garde-foupour lescaractéristiquesthermiquesde chaquecomposantstructurelau profit d’uneapprocheglobale de laconsommationénergétiquedu bâtiment,la RT 2012 alevé le blocageet redonné aupisé lapossibilitéd’intégrer les projets deconstruction”

���

77M A I / J U I N 2 0 1 4 • N ° 1 4 4 • Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N

1

2

3

Photo Pierre-Antoine Chabriac/ENTPE-Ademe

Photo Lucile Soudani/ENTPE-ANR

La chaleur est conduite ausein du matériau par l’eau desménisques entre les grains.

Exemple de modélisationde la diffusion en 24 heures dela vapeur d’eau au sein d’unmur en pisé de 50 cm soumis àun épisode pluvieux de24 heures (humidité relative del’air extérieur 100 %).

Des capteurs d’humiditérelative (teneur en vapeurd’eau) sont placés à desprofondeurs et hauteurséchelonnées dans l’épaisseurde murs en pisé d’une maisonen construction en Isère.

3

2

1

Illu

stra

tion J

ean-C

laude M

ore

l/EN

TP

E-M

edde

78 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 4 4 • M A I / J U I N 2 0 1 4

PRESCRIPTION

atteindre la performance énergétique globale BBC etlimiter les surcoûts, chaque mur est conçu diffé-remment. Le double-mur pisé-liège-pisé est utiliséuniquement pour la façade est. Au sud, le mur extérieuren pisé masque simplement l’escalier métallique quicourt le long d’une façade en bois. Au nord, le murétant mitoyen, il n’y a aucun intérêt de mettre le pisésur un extérieur invisible: un monomur en béton cel-lulaire sur ossature bois double le mur intérieur de40 cm de pisé. Ce mur intérieur en terre qui reçoit unensoleillement direct en hiver par un bandeau vitréorienté au sud fait office de mur Trombe. Il est en re-vanche protégé du soleil l’été par un grand débord detoit. Il rafraîchit l’été par évaporation de l’eau absor-bée dans sa masse en hiver. Côté ouest, les façadesdu commerce alimentaire sont en pisé apparent àl’extérieur avec une isolation intérieure sous un car-relage» (voir illustrations ci-contre). Sur un coût totaldu bâtiment de 750000 euros, le lot pisé et liège semonte à 70000 euros, ce qui représente un surcoûtde 30000 euros pour la solution pisé comparée àla solution parpaings et laine de verre. Mais de-meure «moins cher qu’une façade en verre, avecune très faible énergie grise, un intérêt culturel etvalorisant le savoir-faire local d’un maçon-piseurvoisin, M. Grenier», ajoute Boris Bouchet.

La préfabricationartisanale du piséL’artisan-piseur Nicolas Meunier inventa en 1986la technique du pisé préfabriqué «pour adapter latechnique traditionnelle au contexte économique etsocial de l’époque». Après une année d’expérimen-tation du principe de levage et de l’appareillagedes blocs, il construisit en 1988 dans son dépar-tement de la Loire une maison individuelle en pisépréfabriqué. «Le principe est simple. Sur le chantier,le bloc de pisé est fabriqué au sol dans un moule dedimensions variables. La terre y est damée parcouches successives. Le bloc est immédiatement

démoulé, levé à la grue et positionné sur le mur surun lit de mortier de chaux. Le format maximum desblocs est d’une longueur de 2,20 m pour une hauteurde 1 m et une épaisseur de 50 cm.» Il énumère lesavantages de la préfabrication sur le chantier :• souplesse architecturale aussi grande que les

techniques traditionnelles de pisé;• conservation de toutes les qualités du matériau;• faible investissement en matériel spécifique de

préfabrication;• aucun stockage d’élément;• aucun temps de séchage avant mise en œuvre;• moins de déplacement de matériel sur le chantier;• possibilité de mise en œuvre malgré la pluie;• espace au sol, donc aisance pour le coffrage, le

remplissage, le compactage, le décoffrage;• banalisation et efficacité des gestes à la fabrication;• contrôle de la qualité de l’élément avant la pose;• facilité de traiter les points singuliers du bâtiment:

stabilisation, réservations, chanfreins, feuillures.Les contraintes du pisage en hauteur en termesd’aisance et de sécurité lui font recommander lapréfabrication en cas de projet à plus de 5 m dehauteur et de gros volumes de murs à élever. Lacontrepartie des avantages de cette technique estla nécessité d’un engin de levage de forte capacité,un bloc de 2,20 x 1 x 0,5 m pesant environ 2,5 tonnesà la mise en œuvre.C’est à Montbrison dans la Loire, en 1995, queNicolas Meunier a donné une nouvelle dimensionà sa technique, construisant en pleine ville unimmeuble de trois niveaux en pisé. «La hauteur desmurs projetés (9,40 m), les 202 m2 de pisé à bâtir etl’exiguïté du terrain ont rapidement imposé l’idée depréfabrication.» Le piseur et l’architecte AntoineMorand ont choisi des solutions constructivescohérentes: le pignon nord, en mitoyenneté, n’ap-portant aucun confort thermique en pisé, a étéconstruit en briques de terre cuite. Pour les plan-chers, ils ont préféré le bois au béton, le ���

Photo Nicolas Meunier

Immeuble en pisé préfabriquéen construction en 1995 àMontbrison (Loire).Réalisation de l’artisan-piseurNicolas Meunier et del’architecte Antoine Morand.

79M A I / J U I N 2 0 1 4 • N ° 1 4 4 • Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N

80 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 4 4 • M A I / J U I N 2 0 1 4

PRESCRIPTION

(2) www.lehmtonerde.at/en(version anglaise).

À Zwingen (Suisse), la hallehors-gel de préfabrication de blocs de murs en pisé permet à l’entreprise LTE de fourniren toutes saisons les élémentsdu chantier voisin d’un bâtimentindustriel.

En 2013 à Laufon (Suisse),la construction de la façade enpisé préfabriqué de l’usine Ricola.Réalisation de Martin Rauch (LTE).

5

4

4 5

bois travaillant comme le pisé avec les variationsd’hygrométrie. La terre à piser a été livrée au furet à mesure du chantier d’une carrière à 19 km. En 2013, dans un marché public de constructiond’une maison de santé à Badonviller (Meurthe-et-Moselle), la Scop Caracol et l’entreprise JosephGargano ont dû recourir à la préfabrication de16 éléments de murs en pisé de 3 m de hauteur,d’un poids allant de 1 à 8 tonnes. Les délais courtset non négociables obligeaient à construire enLorraine en hiver, d’où l’obligation de délocaliserle pisage de quelques kilomètres dans un atelierhors-gel. Pour Martin Pointet, gérant de Caracol,« la préfabrication artisanale gagne un peu de tempsà la fabrication, mais nécessite une étude préalabledes assemblages et des moyens lourds de transportet de levage. Elle apporte souplesse de mise en œuvrepar rapport aux intempéries et aux délais, mais ajouteun travail de rejointoiement de finition. Au bilan, celanous a été plus coûteux au mètre carré en temps detravail, transport et levage. Mais la production indus-trielle que pratique Martin Rauch en Autriche permetde multiplier la cadence et de baisser les coûts.»

La préfabricationindustrielle du piséLa créativité de Martin Rauch va bien au-delà de l’or-ganisation industrielle de la préfabrication du pisé.Né en 1958 dans le Vorarlberg en Autriche, il cumuledes savoir-faire d’ingénieur, d’architecte et d’arti-san piseur avec des talents d’artiste, créant avec laterre crue des ouvrages d’art aussi divers que deséglises, des maisons, des écoles ou des locaux in-dustriels. Son entreprise Lehm Ton Erde BaukunstGmbH (LTE) (2), fondée en 1999, construit des bâ-timents de conception, de dimensions et d’usagesinédits en pisé. Martin Rauch utilise à fond et avecingéniosité les caractéristiques hygrothermiques,l’inertie et les dimensions massives des murs enpisé. En 1999, pour une imprimerie autrichienne de

60 employés, Gugler GmbH, il conçoit des murs enblocs de pisé préfabriqués de 40 cm d’épaisseur àl’intérieur desquels des réservations constituent despassages verticaux pour l’air extérieur capté par unréseau de puits canadiens. L’air tempéré lors de sonpassage dans le réseau enterré des puits cana-diens rafraîchit le pisé en été et le préchauffe en hi-ver, sans créer de courants d’air. Les murs en terrecréent ainsi un climat intérieur confortable au seind’une structure à ossature bois. Depuis 2013, la fi-liale suisse de LTE construit pour la société suisseRicola un bâtiment de production qui est la plusgrande construction en pisé d’Europe. Les blocs defaçade en pisé sont préfabriqués avec la terre du sitedans un hangar aménagé à quelques kilomètres.L’organisation industrielle de la préfabrication dupisé permet de s’affranchir des intempéries, derespecter le phasage du chantier avec les autrescorps de métier, d’améliorer les conditions de sé-curité et de pénibilité et d’augmenter la cadence deproduction. La mécanisation poussée de l’approvi-sionnement en terre des banches et de la compres-sion des lits, la réalisation de mur de grande lon-gueur ensuite découpé en blocs, les déplacementsde coffrages et de blocs sur chariots ou par pontroulant font gagner du temps à la fabrication. Mais,par rapport au pisage en place, s’ajoutent les tempset les coûts de transport et d’assemblage des élé-ments. La préfabrication lourde du pisé ouvredonc la voie à des projets d’architecture en terreinnovants et de grande ampleur. L’architecte HugoGasnier (CRAterre-ENSAG) constate que « lesprojets de préfabrication industrielle restent del’ordre du projet exceptionnel. L’évolution des pro-cédés de fabrication sur site et l’optimisation desoutils est une alternative nécessaire pour dévelop-per correctement la filière pisé.» On le voit, le piséreste une «terre d’avenir», comme aime à le rap-peler Jacky Jeannet, un des pionniers du renou-veau du pisé en France… ■

“L’évolutiondes procédésde fabricationsur site etl’optimisationdes outils estune alternativenécessaire pourdéveloppercorrectementla filière pisé”

Photo Hugo Gasnier/CRAterre Photo Hugo Gasnier