$ÏpasserlesreprÏsentations - uoh.univ-montp3.fruoh.univ-montp3.fr/sociolinguistique/res/depasser...
TRANSCRIPT
Nathalie AUGER, Université Paul-Valéry - Montpellier 3
Dépasser les représentations
Perspectives sociolinguistique et didactique
LANGAGE, LANGUES ET ENSEIGNEMENT
Le désarroi des enseignants (quel français enseigner ?) fait apparaître des
représentations de la langue et du langage bien éloignées de la réalité et
qui contribuent à augmenter le poids de la norme et à freiner
l'innovation didactique. Une approche sociolinguistique est
indispensable.
Lutter contre la stigmatisation des manières de dire ou d'écrire
est la première étape. Ensuite, il faut faire des ponts entre les
formes connues et les formes d atteindre.
Article initialement paru dans les Cahiers pédagogiques, n°453, mai 2007
Dépasser les représentations
Nathalie Auger
Des recherches menées dans un
programme sur les conditions
d'appropriation du français1 font apparaître
les représentations négatives qu'ont les
enseignants de la langue parlée par les
élèves. « Les enfants parlent mal, comment
peut-on alors leur apprendre à écrire », « ils
parlent d'autres langues à la maison souvent
alors ils font des mélanges », ou « leur
français est pauvre » sont les commentaires
péjoratifs que font les enseignants interrogés.
On interprétera ces propos comme une façon
détournée de manifester un désarroi. Le
jugement de valeur sur la façon de parler est
une attitude du locuteur, une représentation
qui va être dite pour mettre à distance l'autre.
La représentation, la catégorisation, voire le
stéréotype, lequel en est la généralisation
sans appel permettent de juguler une
émotion : peur, colère, tristesse. On
comprend bien, face à des objectifs de
maîtrise de la langue, que certains
enseignants se trouvent, sans parfois oser le
reconnaître ouvertement, sous l'emprise
d'une émotion liée à l'ampleur de la tâche à
accomplir. Il s'agit donc, pour dépasser cette
émotion, de sortir de ces représentations, de
se décentrer comme le préconisent les
démarches interculturelles, pour appréhender
le plus objectivement possible la réalité.
Norme de l'école et variation Prendre conscience que le langage est
variation et que la langue de l'école en est
une, spécifique, est déjà un premier pas vers
une reconnaissance de la situation. Du point
de vue symbolique, l'enjeu est de taille
puisque cette norme de l'école est celle de
l'élite, celle qui va permettre d'accéder à la
validation de diplômes, aux études
supérieures. C'est la norme dominante au
nom de laquelle peuvent être engendrées
des représentations négatives envers
d'autres réalisations de la variation.
L'intérêt est l'étude des spécificités de cette
norme car, sans les connaître, comment les enseigner à des élèves qui n'y ont pas ou
peu eu accès. Il s'agit donc de sensibiliser
l'élève à des normes interactionnelles
propres à la situation de classe, aux
échanges enseignants-élèves et élèves entre
eux en ce qui concerne l'oral2, et faire de
même pour l'écrit.
Différents courants pédagogiques se sont
demandé comment enseigner cette norme.
Les approches traditionnelles proposent
l'enseignement de la langue comme but.
On aborde donc le système linguistique à
l'aune de ses différents niveaux :
phonologique, prosodique, lexical,
morpho-syntaxique. Comme l'écrit est
privilégié comme mode d'évaluation de
l'acquisition du système, les aspects
phonématiques et prosodiques (sans parler
du non-verbal ou des rituels
conversationnels) sont évacués au profit de
l'étude de la grammaire et du vocabulaire.
Les exercices qui aident à acquérir ces
parties du système sont assez peu reliés à
des pratiques effectives du langage, que ce
soit à l'oral ou à l'écrit.
C'est la raison pour laquelle des approches
plus fonctionnalistes ont émergé. On part
des contextes, des différentes formes et
variations du langage, pour reconstruire le
système de la langue. Toutefois ces
approches rendent difficile la connaissance
totale du système. La démarche est
davantage inductive : l'enfant est dans un
milieu qui va lui permettre de faire des
inférences, de constituer cognitivement le
système de la langue et, dans un second
temps, de tenter de le produire. C'est à ce
moment-là, avec la rétroaction de l'adulte,
qu'il va modifier son système puis
actualiser d'autres formes. L'adulte l'aidera
davantage du côté de la déduction en co-
construisant le système3
Il s'agirait donc, dans les pratiques de classes, d'opérer des allers-retours en faisant
observer des formes orales et écrites afin de
comprendre quelles spécificités émergent dans quelle situation, de construire son outil
linguistique et de l'essayer afin de voir s'il est adéquat. Il s'agit aussi de prendre
conscience du fait que, dès que l'enfant parle
(quelle que soit la langue et les types de variations) la langue va se constituer mais le
jeune locuteur ne connaîtra pas encore toutes les actualisations spécifiques,
variables selon les contextes. En effet, il faut pouvoir être exposé à de nouveaux
contextes si on veut pouvoir actualiser les
formes qui en constituent les spécificités.
Faire des ponts entre les usages et les langues Finalement, l'enjeu majeur est de
comprendre comment enseigner plutôt
que quel type de français enseigner. De
fait, l'école enseigne la langue standard. Il
s'agit de voir quels sont les freins à
l'enseignement-apprentissage. Pour cela, il
convient de reconnaître que les élèves ne
sont pas vierges de toute connaissance ou
limités par des connaissances erronées.
L'enseignant est invité à comprendre que
le système de la langue est intégré mais
non les différentes variations, dont la
norme de l'école. La déstigmatisation des
manières de dire ou d'écrire est la première
étape. Ensuite, il s'agit de faire des ponts
entre les formes connues et les formes à
atteindre. Pour cela, on peut prendre appui
sur les travaux concernant l'interlangue,
phénomène bien connu dans le passage
d'une langue à l'autre. Les recherches
montrent que, quelles que soient les
formes langagières de départ, le système
est le même mais actualisé différemment.
On peut alors développer une conscience
métalinguistique qui aide au passage d'une
forme à l'autre (variation selon le contexte,
l'âge, le lieu etc.) qui va jouer sur les
différents niveaux du système.
II ne s'agit pas tant de donner un statut aux
langues d'origine ou aux sociolectes puisque,
de fait, ils sont présents dans la réalité et ont
aidé à la constitution de la langue. Il s'agit de
les reconnaître pour ce qu'ils sont, pour les
usages auxquels ils font références afin qu'ils
servent de pont à d'autres formes, dont celle
de l'école. La sociolinguistique, qui décrit la
réalité sans juger, permet de prendre
conscience de l'extraordinaire potentialité du
langage et de dynamiser avec force
l'enseignement du français. ■
Nathalie Auger
Université Paul-Valéry, Montpellier
1 Nathalie Auger « Représentations et pratiques de l'oral des enfants nouvellement arrivés dans le système scolaire français », actes du colloque Français
fondamental, 2006 : http://colloqueff.ens-lsh.fr/pdf/Auger_Nathalie.pdf 2 C. Kramsch, 1996, Interaction et discours dans la classe de langue, Paris, LAL
3 J-P. Bronckart, 1976, Genèse et organisation des formes verbales chez l'enfant, Bruxelles, Mardaga.
J. Sauvage, 2003, L'enfant et le langage, Paris, L'Harmattan