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Introduction 7 INTRODUCTION Paul Champsaur Directeur général de l’Insee En mon nom et au nom de tous mes collègues de l’Insee, je vous souhaite la bienvenue. Je suis très heureux de vous accueillir à ce sixième séminaire organisé par la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee. Je voudrais saluer en premier lieu les intervenants venus de l’étranger : M. Martin Brookes, senior researcher chez Goldman Sachs ; M. Luc Soete, de l’université de Maastricht, directeur de l’institut de recherche économique sur l’innovation et la technologie (MERIT) ; M. Daniel April, responsable des enquêtes sur la télédistribution à Statistique Canada ; les responsables d’entreprises : M. Max-Henri Pollak, directeur des achats de Spie Batignolles ; M. Yves David, directeur de la coordination du groupe Casino ; M. Jean-Paul Mériau, directeur du programme « e-business » de Renault ; M. Roland Martinez, directeur du commerce électronique à la CAMIF ; M. Alain Borri, directeur e-logistique de Team on Line ; M. Pierre Alzon, directeur général de Dégriftour ; ainsi que M. Alain Rallet, professeur d’économie à l’université de Paris Sud, et M. Bill Pattinson, expert de l’OCDE. Le séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee Le séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee vise à confronter les expériences des responsables d’entreprises, des économistes et des statisticiens, pour que ces derniers adaptent leurs instruments de mesure aux questions posées et aux changements dans l’organisation des entreprises. Il s’agit de préparer l’évolution de la statistique face à des mutations profondes – ou pressenties comme telles – de l’appareil productif ou commercial. Pour cela, l’échange d’expériences s’avère le meilleur moyen de progresser. Il doit nous permettre de mieux connaître les pratiques des entreprises, de mieux comprendre leur organisation, de cerner les enjeux majeurs des évolutions, d’en déduire les indicateurs pertinents à suivre, enfin de trouver la meilleure façon de les mesurer sans imposer de charge trop lourde aux entreprises. Il s’agit donc de réfléchir ensemble pour mieux travailler ensemble : produire à un coût raisonnable pour tous des données statistiques plus pertinentes et mieux utilisées. Ces séminaires présentent aussi chaque année un éclairage venu de l’étranger : la statistique, comme l’économie, ne se construit pas en vase clos. Entendre les témoignages des statisticiens étrangers, c’est tirer parti de leurs expériences et aller vers des chiffres comparables. Je constate d’année en année que ce séminaire remporte un succès croissant et je m’en réjouis. On m’a avoué que de nombreuses inscriptions avaient du être refusées faute de place : j’ose à peine imaginer ce qui se serait passé si l’on avait pu s’inscrire sur le Net ! Aujourd’hui : le commerce électronique Le séminaire de 2000 porte aujourd’hui sur un phénomène émergent, le commerce électronique. Pour l’Insee, ce sujet est important à deux titres : il est à la fois une pratique et un sujet de réflexion. Quelques mots sur notre pratique : l’Insee est présent sur le Web depuis 1996. À l’origine, notre site était purement un site d’information : on y trouvait les principales informations produites par l’Insee et son catalogue. Il s’est progressivement enrichi et les toutes dernières données de base tirées du recensement y sont disponibles. Un service de

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Introduction 7

INTRODUCTION

Paul Champsaur Directeur général de l’Insee

En mon nom et au nom de tous mes collègues de l’Insee, je vous souhaite la bienvenue. Je suis très heureux de vous accueillir à ce sixième séminaire organisé par la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee.

Je voudrais saluer en premier lieu les intervenants venus de l’étranger :

• M. Martin Brookes, senior researcher chez Goldman Sachs ; M. Luc Soete, de l’université de Maastricht, directeur de l’institut de recherche économique sur l’innovation et la technologie (MERIT) ; M. Daniel April, responsable des enquêtes sur la télédistribution à Statistique Canada ;

les responsables d’entreprises :

• M. Max-Henri Pollak, directeur des achats de Spie Batignolles ; M. Yves David, directeur de la coordination du groupe Casino ; M. Jean-Paul Mériau, directeur du programme « e-business » de Renault ; M. Roland Martinez, directeur du commerce électronique à la CAMIF ; M. Alain Borri, directeur e-logistique de Team on Line ; M. Pierre Alzon, directeur général de Dégriftour ;

ainsi que M. Alain Rallet, professeur d’économie à l’université de Paris Sud, et M. Bill Pattinson, expert de l’OCDE.

Le séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee

Le séminaire de la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee vise à confronter les expériences des responsables d’entreprises, des économistes et des statisticiens, pour que ces derniers adaptent leurs instruments de mesure aux questions posées et aux changements dans l’organisation des entreprises.

Il s’agit de préparer l’évolution de la statistique face à des mutations profondes – ou pressenties comme telles – de l’appareil productif ou commercial. Pour cela, l’échange d’expériences s’avère le meilleur moyen de progresser. Il doit nous permettre de mieux connaître les pratiques des entreprises, de mieux comprendre leur organisation, de cerner les enjeux majeurs des évolutions, d’en déduire les indicateurs pertinents à suivre, enfin de trouver la meilleure façon de les mesurer sans imposer de charge trop lourde aux entreprises.

Il s’agit donc de réfléchir ensemble pour mieux travailler ensemble : produire à un coût raisonnable pour tous des données statistiques plus pertinentes et mieux utilisées.

Ces séminaires présentent aussi chaque année un éclairage venu de l’étranger : la statistique, comme l’économie, ne se construit pas en vase clos. Entendre les témoignages des statisticiens étrangers, c’est tirer parti de leurs expériences et aller vers des chiffres comparables.

Je constate d’année en année que ce séminaire remporte un succès croissant et je m’en réjouis. On m’a avoué que de nombreuses inscriptions avaient du être refusées faute de place : j’ose à peine imaginer ce qui se serait passé si l’on avait pu s’inscrire sur le Net !

Aujourd’hui : le commerce électronique

Le séminaire de 2000 porte aujourd’hui sur un phénomène émergent, le commerce électronique. Pour l’Insee, ce sujet est important à deux titres : il est à la fois une pratique et un sujet de réflexion.

Quelques mots sur notre pratique : l’Insee est présent sur le Web depuis 1996. À l’origine, notre site était purement un site d’information : on y trouvait les principales informations produites par l’Insee et son catalogue. Il s’est progressivement enrichi et les toutes dernières données de base tirées du recensement y sont disponibles. Un service de

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commerce en ligne sera prochainement ouvert : il permettra d’acheter des données détaillées tirées du recensement et des statistiques structurelles d’entreprises, et de passer des commandes d’ouvrages et de cédéroms en ligne. Ce sera le moyen de servir plus rapidement et efficacement les utilisateurs de statistiques.

Nous constatons que le Web n’est pas un simple outil de diffusion supplémentaire mais bien un moyen de communication, dans les deux sens, entre l’Insee et sa clientèle. Cette pratique nous permet de « toucher du doigt » certaines des contraintes auxquelles sont confrontées les entreprises qui se tournent vers le commerce électronique : gestion très rigoureuse du catalogue, organisation de la vente pour garantir une livraison rapide, création de services spécifiques, refonte de certaines chaînes de fabrication des produits. Nous aurons à en tirer les conséquences pour l’organisation de la diffusion à l’Insee.

Mais le commerce électronique est surtout un sujet d’étude pour l’Insee, sujet important au vu de l’impact qu’il peut avoir sur l’économie française. Impact microéconomique tout d’abord : organisation des entreprises, comportement des consommateurs, fonctionnement des marchés ; impact macroéconomique ensuite, sur les prix, la croissance, l’emploi, etc.

Nous devons y être attentifs et être capables de le mesurer.

Quelques données de cadrage

Pour l’instant, nous ne disposons que de quelques données, encore assez disparates, pour caractériser le champ du commerce électronique. Je voudrais en citer quelques-unes, qui situent la France dans le contexte international et montrent l’étendue du potentiel de croissance. Je me référerai pour cela au dernier tableau de bord de l’innovation, publié au mois d’octobre par le secrétariat d’État à l’industrie et disponible sur le site internet du ministère1.

En France, un ménage sur quatre est équipé en micro-ordinateurs, soit un peu moins qu’au Japon ou au Royaume Uni, où un ménage sur trois est équipé, beaucoup moins qu’en Allemagne ou au Canada où la proportion est d’un sur deux, et nous sommes très loin derrière les États-Unis ou les pays d’Europe du Nord. Un Français sur six a accès à l’internet, à partir de son domicile, de son lieu de travail ou d’études. Là encore, nous sommes très loin des États-Unis où plus de la moitié de la population est concernée.

S’agissant du commerce électronique, le retard français est encore plus marqué : si 44 % des internautes américains ou 39 % des suédois déclarent avoir effectué des achats en ligne, ce n’est le cas que de 15 % des internautes français.

Pour résumer la situation française, on peut dire que les internautes français sont relativement moins nombreux qu’ailleurs, et moins enclins à pratiquer le commerce électronique. Le minitel, dont l’usage s’est répandu dans notre pays depuis plus de vingt ans et qui n’a pas d’équivalent au monde, n’y est sans doute pas étranger. Il peut représenter un obstacle au développement de l’usage de l’internet, mais il a en même temps familiarisé la population aux transactions électroniques et pourrait se révéler à terme, par substitution, le facteur d’un développement rapide du commerce par le Web.

Une dernière statistique concernant les entreprises : 14 % des grandes entreprises industrielles réceptionnent des commandes en ligne, et 9 % des PMI font de même. En la matière, les comparaisons internationales sont difficiles, mais on peut estimer que là encore, la France n’est pas dans le peloton de tête.

Tous ces indicateurs sont cependant à la hausse en France, et nous rattrapons progressivement nos voisins.

Un potentiel de développement fort

On peut tirer de ce panorama international la conclusion que l’économie française n’est pas encore massivement concernée par le commerce électronique, mais que les choses peuvent aller très vite : la marge de progression est importante, et il existe des facteurs favorables, comme l’étendue de notre pays et la dispersion des agents économiques.

1. À l’adresse http://www.industrie.gouv.fr/observat/innov/so_tbi.htm

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Pour que le commerce électronique se développe, un certain nombre de conditions doivent être remplies. Il est à peu près acquis que la diffusion des équipements techniques, micro-ordinateurs, réseaux, permettra ce développement, mais des obstacles d’une autre nature existent : la confiance dans la sécurité des paiements, dans l’identification et les références des intervenants, dans la confidentialité des échanges, n’est pas générale.

Enfin, et il en sera longuement question au cours de la journée, il faut que les entreprises adaptent leur organisation pour être efficaces dans ce domaine.

De quoi parle-t-on ?

Le terme de commerce électronique, ou « e-commerce », recouvre deux réalités différentes qu’il est nécessaire de distinguer : d’une part, le commerce électronique par l’internet entre entreprises : le Business-to-Business ou B2B des anglo-saxons ; d’autre part, celui réalisé directement auprès des consommateurs : le Business-to-Consumer ou B2C. Les aspects communs, en partie techniques, en partie économiques, ne doivent pas masquer que ces deux réalités sont loin de partager la même histoire ou les mêmes perspectives ; leurs problématiques ne sont pas non plus identiques.

Le plus prometteur à ce jour, le B2B, est l’aboutissement du développement des technologies de l’information et de la communication dans les entreprises. Il doit concrétiser et amplifier les gains attendus de l’usage de ces technologies. La réalité des transactions – achats, réception de commandes – ne fait pas question, mais le mode opératoire change avec l’usage du véhicule commun, et de plus mondial, qu’est l’internet.

Ce n’est d’ailleurs pas l’internet qui, à proprement parler, crée le commerce électronique. Celui-ci existe depuis longtemps sous la forme des EDI (échanges de données informatisés), qui s’accompagnent de la dématérialisation des échanges de documents, avec le vieux rêve « zéro papier, zéro délai, zéro erreur ». Le passage de ce système à l’internet devrait être rapide compte tenu des améliorations techniques que ce dernier apporte. Cependant, en 1999 encore, les EDI étaient plus fréquemment utilisés qu’un site internet pour la transmission de commandes dans l’industrie française, selon une enquête du secrétariat d’État à l’industrie.

Le B2C – commerce électronique par l’internet avec le consommateur final – se heurte sans doute, quant à lui, à des contraintes plus fortes que le B2B, au moins pour les produits classiques, en raison notamment de la logistique qu’il demande. Paradoxalement, le B2C semble pourtant davantage susciter l’imagination, la publicité en accentuant le côté science-fiction, vers un futur « virtuel ». En réalité, les opportunités les plus fortes en matière de B2C concernent des produits spécifiques :

• les produits pouvant être dématérialisés et directement délivrés au consommateur par l’internet tels que les logiciels, la musique, les jeux électroniques, demain les films ;

• les services tels que les titres de transports et plus généralement les voyages, la billetterie de spectacle, et naturellement les transactions boursières et les services financiers.

Quels changements va donc apporter le commerce par l’internet ? Crée-t-il de nouveaux produits, de nouveaux marchés, ou tout au moins améliore-t-il les processus de marché ? Quels gains en attendent les entreprises, mais aussi quelles sont les conditions de son efficacité et quels risques présente-t-il ? Mérite-t-il tout l’intérêt que la presse, les marchés financiers lui prêtent ? Quel en sera l’impact macroéconomique ? Toutes ces questions seront débattues aujourd’hui, car elles permettront d’apprécier les enjeux et de préciser ce qu’on attend du statisticien en matière de mesure.

Une nouvelle organisation du marché, de nouveaux produits, de nouveaux services

Le commerce électronique devrait accélérer les échanges, et élargir les marchés, puisque l’internet permet en théorie de toucher une clientèle mondiale. La localisation perd de son importance, même si subsistent les difficultés inhérentes aux échanges internationaux comme les barrières linguistiques, culturelles et logistiques. Des rentes sectorielles et géographiques peuvent être remises en cause. Des marchés peuvent aussi se créer ou se généraliser grâce à la rapidité de réaction que permettent les échanges électroniques : la vente en dernière minute de billets de voyage en est une illustration. On attend ainsi de l’internet une plus grande visibilité de l’offre, rapprochant du modèle de la concurrence parfaite, et une plus grande efficacité du marché dans son ensemble. Parce que l’internet permet à l’acheteur de confronter directement les offres sur le réseau, il devrait aussi renforcer le pouvoir de l’acheteur.

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En sens inverse, le commerce électronique et les technologies de l’information permettent d’enregistrer et d’analyser les caractéristiques des acheteurs ou des simples prospects en général. Ils introduisent ainsi une visibilité de la demande.

Proposer des services associés aux biens, et des prix qui en tiennent compte, est un moyen pour le producteur de répondre à cette demande. C’est par l’identification et la mise en place de services associés que les technologies de l’information contribuent à l’émergence de nouveaux produits, imbriquant biens et services.

La nouvelle organisation des marchés que dessine ainsi le commerce électronique fait naître aussi de nouveaux intermédiaires.

Dans le domaine du B2B, des « places de marché » électroniques se créent pour réunir clients et fournisseurs dans un système d’enchères inversées. Cela conduit à une standardisation très poussée des produits et de leur description, pour que les intervenants puissent agir en toute confiance. Ce mode de transaction peut aussi concerner les services tels que le travail temporaire, la maintenance d’équipement, donnant naissance à ce que l’on appelle parfois le « e-procurement ».

D’autres intermédiaires, qui se chargeront de trouver la meilleure offre sur l’internet pour le compte d’un acheteur ou d’un vendeur, pourront également se mettre en place. Certains moteurs de recherche proposent déjà ce type de services.

Ce sont là des exemples concrets d’intermédiation entre acheteurs et vendeurs. On est loin de la disparition des intermédiaires du commerce, parfois évoquée : celle-ci est peu probable globalement même s’il existe quelques exemples spécifiques dans le B2C, comme la vente directe de micro-ordinateurs par un grand constructeur.

Le commerce électronique comporte ainsi des spécificités qui justifient une réflexion particulière de la part de l’économiste, notamment sur la concurrence. En théorie, le commerce électronique abaisse les barrières à l’entrée dans de nombreux secteurs en favorisant l’arrivée de nouveaux acteurs performants. Ceux-ci ont d’ailleurs parfois rencontré un accueil exceptionnel sur les marchés financiers. Mais qu’en est-il en pratique, notamment pour le B2B ? Être présent sur l’internet est une chose, y être visible en est une autre. Le système de référencement par les places de marché ne va-t-il pas constituer une nouvelle forme de barrière à l'entrée ? Leurs conditions de fonctionnement assureront-elles une concurrence suffisante, compte tenu des regroupements parfois mondiaux d’acheteurs qui s’y dessinent ? Cette question conditionne la répercussion dans les prix des économies de coûts permises par l’internet, le rythme d’innovation et les gains de croissance qu’on peut en attendre.

Les impacts du commerce électronique sur l’entreprise

Quels sont les gains attendus du commerce électronique au niveau microéconomique ? Une réduction des coûts, tout d’abord. Des coûts de transaction, notamment, en éliminant les erreurs de commande : d’après une étude américaine, un quart des commandes reçues par fax ou par téléphone seraient entachées d’erreurs. Des coûts d’approvisionnement ensuite, du fait d’une plus grande transparence du marché et de la plus forte concurrence qui devrait résulter du commerce électronique. Des coûts d’inventaire et de stockage aussi, qui peuvent même presque entièrement disparaître dans certains cas, comme dans l’exemple déjà évoqué du constructeur de micro-ordinateurs Dell Computer. Réduction aussi des coûts de distribution, tout particulièrement pour les produits pouvant être dématérialisés ou pour les services. Toutes sortes d’évaluations circulent : jusqu’à des gains de 90 % sur les coûts de transaction et de l’ordre de 10 à 15 % sur les coûts d’approvisionnement. Les différences sectorielles évoquées sont notables avec, selon une étude de Goldman Sachs, des gains échelonnés de 10 à 25 %, les extrêmes allant de 2 % jusqu’à 40 % dans le cas des composants électroniques.

Aux économies directes de coûts peuvent s’ajouter d’autres économies, liées à l’amélioration de la productivité des entreprises qui participent au commerce électronique : cette participation les engage en effet à revoir l’ensemble de leur organisation, en privilégiant une organisation en réseau et en raccourcissant les hiérarchies.

Ces changements auront un impact sur la structure de la main-d’œuvre. Les compétences devront être adaptées à l’usage des nouvelles technologies, avec la nécessité d’y former ou de reconvertir des personnels, car l’appel au marché du travail sera sans doute insuffisant, dans une période où les difficultés de recrutement se sont nettement accentuées. Cette mutation des qualifications de la main d’œuvre pourra demander du temps : faudra-t-il remplacer les caissières des supermarchés par des gestionnaires de catalogue en ligne, des logisticiens et des livreurs ?

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Quel impact macroéconomique ?

Au niveau microéconomique, les entreprises devraient tirer bénéfice du commerce électronique, dès lors qu’elles ont adapté leur organisation. Certaines études empiriques mettent déjà en évidence l’impact positif des technologies de l’information et de la communication, en général, sur les performances des entreprises : le commerce électronique, intervenant à la fin de la chaîne de production, devrait accentuer ce phénomène. Mais les équilibres généraux seront-ils affectés ? Les emplois créés dans les métiers liés au commerce électronique compenseront-ils les pertes enregistrées sur des métiers « traditionnels » ? Pour l’instant, l’analyse et a fortiori la mesure des effets macroéconomiques en sont encore à leurs débuts. Les intervenants de la troisième session de cette journée vous feront part de leurs recherches sur cet aspect.

Une attente forte de mesure et de suivi

Convaincus que la participation au commerce électronique est un gage de compétitivité pour les entreprises, les responsables politiques entendent mesurer son développement et le comparer à ce qui se passe dans les pays partenaires. Le suivi du commerce électronique figure ainsi en bonne place dans les tableaux de bord que prépare l’Union européenne. La difficulté de la mesure d’un phénomène qui n’est encore qu’émergent, de même que le besoin de comparaisons internationales, invitent par ailleurs à s’inspirer des expériences étrangères.

Que mesurer, dans quel but ? À l’évidence, l’importance des transactions, avec ou sans paiement en ligne, par secteurs et produits concernés, et aussi celle des équipements qui permettent le commerce électronique, dans les ménages comme dans les entreprises. En disposant de ces données à un niveau individuel, conjointement à d’autres informations, on pourrait évaluer la différentiation qu’introduit le commerce électronique en termes de coûts, de productivité, de profitabilité. Enfin, à un niveau plus agrégé, il faudrait se mettre en mesure d’évaluer les effets de substitution par rapport au commerce traditionnel, et les impacts macroéconomiques.

Rappel succinct des sessions de la journée.

Ces questions de mesure statistique seront abordées à la fin de la journée, avec l’éclairage des travaux méthodologiques de l’OCDE, de l’expérience des enquêtes canadiennes sur ce thème, enfin en présentant les expériences menées en France.

Dès la première session, des responsables d’entreprises témoigneront des développements du B2B et des questions économiques concrètes qu’il pose, à travers trois expériences concernant le BTP, la grande distribution et l’automobile.

Le B2C sera le thème de la seconde session, avec là aussi trois points de vue d’entreprises, qui aborderont le passage de la vente par correspondance au B2C, la diffusion d’un produit directement issu du commerce électronique, et la question cruciale de la logistique.

Puis, cet après-midi, les économistes exposeront leur point de vue sur l’évolution des modèles de distribution, sur l’appréhension des phénomènes en termes d’économie de l’information, enfin sur les impacts macroéconomiques du commerce électronique en termes de prix, de croissance et d’emploi.

Cette journée sera l’occasion d’une confrontation d’idées entre des univers professionnels différents, mais qui ont en la matière un sujet commun. Je souhaite en particulier qu’émergent de ces discussions des méthodes effectives, c’est-à-dire applicables par les statisticiens, adaptées aux possibilités des entreprises et aux besoins des utilisateurs de nos données.

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Conclusions 143

CONCLUSION

Jacques Mairesse, Michel Hébert

LA NOUVELLE ÉCONOMIE CONJUGUE L’AVÈNEMENT DE L’ÉCONOMIE DE LA CONNAISSANCE ET L’ESSOR DES

TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Jacques Mairesse Centre de recherche en économie et statistique (CREST)

Ce sixième séminaire, comme les cinq précédents déjà organisés par la direction des statistiques d’entreprises de l’Insee, a été très riche. Il a été peut-être même plus riche, et assurément plus foisonnant encore. Sans doute est-ce là aussi un signe du dynamisme de la « nouvelle économie » et du e-commerce qu’il a retenu pour thème. Sans vouloir résumer ni tenter de conclure, je souhaite suggérer quelques éléments de réflexion, en essayant seulement, comme il m’a été demandé, de prendre quelque distance.

La nouvelle économie n’est pas si nouvelle. Elle se situe dans un mouvement long de transformation de nos économies qui d’agricoles, puis industrielles, sont devenues surtout des économie de services, et plus fondamentalement des économies de la connaissance et du savoir (« the knowledge based economy »). La dimension intellectuelle des activités économiques est de plus en plus importante, y compris dans les activités les plus matérielles et pratiques. Les ressources nécessaires à cette transformation augmentent fortement. Les activités de création et d’acquisition de nouveaux savoirs, de recherche et de diffusion de nouveaux procédés, produits et modes d’organisation deviennent essentielles. Les investissements dits intangibles en recherche-développement et innovation, en éducation et en formation croissent plus rapidement que les investissements tangibles traditionnels.

La connaissance a des propriétés économiques remarquables. Elle ne s’use pas au cours de son usage ; elle peut être utilisée et possédée s imultanément par différents agents économiques sans qu’aucun d’entre eux ne s’en trouve privé de ce fait ; enfin, elle a un caractère cumulatif et progressif, et est génératrice d’externalités. Elle conduit ainsi à une économie à rendements croissants, à coût marginal de production faible, où la concurrence s’exerce de plus en plus à travers la différenciation des produits, et qui tend à être très mobile et à hauts risques. Ces caractéristiques sont clairement développées dans le livre récent de Michel Volle sur la e-économie1, mais elles sont propres de façon générale à l’économie de la connaissance.

La « nouvelle économie », et c’est là sans doute ce qui la distingue surtout de l’ancienne économie, résulte en fait de l’interaction forte entre le mouvement long de l’économie de la connaissance et la révolution formidable des technologies de l’information et de la communication (TIC), et notamment la rapidité sans doute sans précédent des progrès des performances techniques des matériels et des logiciels informatiques. On connaît le calcul aussi éloquent qu’hypothétique, suivant lequel : « Si les progrès de l’industrie automobile avaient été aussi rapides que ceux de l’industrie informatique, une Rolls -Royce pourrait parcourir 5 millions de kilomètres avec 2 litres d’essence et un Boeing 767 ferait le tour du monde en 20 minutes avec 18 litres d’essence ».

Pendant longtemps, les progrès extraordinaires des TIC ne se sont pas traduits « de façon visible » dans les performances macroéconomiques de croissance et de productivité. De nombreux économistes se sont étonnés de cette absence, qu’ils ont appelée paradoxe de productivité (ou paradoxe de Solow). La nouvelle économie, avec notamment la période de croissance rapide des six dernières années aux États-Unis, marquerait la fin de ce paradoxe. C’est ce que nous

1. Michel Volle (2000), e-conomie, Economica

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montrerait aussi l’analyse présentée ici par Martin Brookes. Gilbert Cette, Yusuf Kocoglu et moi-même avons pour la France réalisé une analyse comptable analogue de la contribution des TIC à la croissance2. Nos évaluations confirment assez bien ses résultats, même si nous sommes tentés de les considérer différemment. Certes la contribution des investissements en TIC semble aussi s’être sensiblement accrue sur la période récente en France ; mais ce qui paraît plus frappant est le fléchissement de la contribution des autres formes d’équipement, et plus encore l’amenuisement de la contribution de la recherche-développement, lié au ralentissement inquiétant de l’effort de recherche national.

Mais pour connaître et comprendre la nouvelle économie, il convient bien sûr d’en observer et analyser les différents aspects, au-delà des seules évaluations et études macroéconomiques. Et c’est surtout ce que nous avons fait aujourd’hui grâce aux riches exposés des intervenants sur le thème plus circonscrit de la net-économie et du e-commerce. Pour clore mes propos, je livrerai trois réflexions ou plutôt impressions générales.

On croit souvent que la net-économie, grâce à l’internet et au Web, est avant tout pour les entreprises l’informatisation des échanges (B to B, B to C, ou encore B to E, ou B to A), après l’informatisation de la gestion et celle de la production. Les exposés de la matinée ont montré clairement que ce schéma linéaire est loin de la réalité. L’informatisation des relations avec les clients et avec les fournisseurs, ou encore avec les employés ou les administrations, suppose des changements profonds qui concernent l’organisation dans ses différentes dimensions, et au-delà la stratégie et la culture des entreprises.

La tonalité d’ensemble de la plupart des interventions (à l’exception de celle de Luc Soete) a été fort optimiste. « Coopération » a été notamment un maître mot : coopération accrue et améliorée entre les entreprises, avec les fournisseurs et les clients. Toutefois, les exposés ont laissé entrapercevoir aussi la forte tension qui sous-tend la net-économie : gains de temps et de productivité, poids croissant de la logistique, concurrence exacerbée... Aucun des intervenants non plus ne s’est hasardé à fa ire des prévisions précises sur les développements futurs. Au fond, l’avenir est plein de promesses mais n’est pas non plus sans menaces, et il demeure fondamentalement incertain.

Ma dernière remarque fera la transition avec les observations de Michel Hébert. Une des conséquences générales de l’avènement de l’économie de la connaissance semble être d’accroître continuellement non seulement les besoins mais aussi les difficultés de description et de mesure. La puissance de l’outil informatique, et les progrès remarquables de productivité qu’il rend possibles dans les traitements et analyses statistiques, n’allégent et ne facilitent pas apparemment le travail des statisticiens, mais leur permettent à peine de faire face à la complexité croissante de l’économie et de la société. C’est là sans doute aussi un autre paradoxe qu’on pourrait appeler le paradoxe du statisticien.

2. Jacques Mairesse, Gilbert Cette et Yusuf Kocoglu « Les technologies de l'information et de la communication en France : Diffusion et contribution à la croissance », Économie et Statistique n°339-340, mai 2001.

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Net-entreprises 15

NET-ENTREPRISES

Jean-Pierre Grandjean Chef du département Système statistique d’entreprises, Insee

Le commerce électronique entre entreprises n’est pas une nouveauté. Rappelons, à la fin des années quatre-vingt, l’apparition d’une de ces expressions dont l’industrie informatique raffole : les EDI, échanges de données informatisés, adaptation française de l’anglo-américain « electronic data interchange ». On a alors observé que des « communautés », des regroupements d’entreprises opérés en général sur une base sectorielle et animés par les plus grandes, conjuguaient leurs efforts pour définir des formats d’échanges compréhensibles par toutes, leur permettant de se transmettre par voie électronique des commandes, des factures, des bons de livraison, bref les documents électroniques qui accompagnent les actes de commerce.

Les progrès ont été lents et réguliers, mais impliquant plutôt les grandes entreprises.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, cela a été l’explosion de l’internet et de ses technologies. Son mérite principal et essentiel a été d’autoriser le déploiement d’outils de commerce électronique efficaces, si nécessaire à grande échelle, et à échelle mondiale, dans des conditions économiques plus favorables que celles que permettaient les techniques utilisées précédemment.

Cette année, une fois passée la nuit du 31 décembre au 1er janvier, une fois évacuée la grande peur du bogue de l’an 2000, nous avons vu apparaître le phénomène des places de marché, avec une frénésie d’annonces. Bon nombre de ces annonces n’ont probablement pas survécu à l’examen auquel les investisseurs se sont livrés ces dernières semaines. Mais les projets sérieux verront le jour, sans aucun doute.

Nous vous proposons trois exposés qui, nous l’espérons, éclaireront le paysage et répondront à vos interrogations. Que se passe-t-il ? Que recherchent les entreprises qui investissent dans le commerce électronique ?

M. Max-Henri Pollak est notre premier intervenant. Il est directeur des achats de Spie Batignolles, l’une des grandes entreprises française du secteur de la construction. Il a occupé précédemment des fonctions similaires chez des grands équipementiers automobiles. Le BTP n’est probablement pas le secteur dans lequel les progrès du commerce électronique ont été les plus marquants. M. Pollak, pour reprendre le titre d’un article récemment paru dans Les Echos, le BTP est-il mûr pour le B to B ?

Notre second intervenant, M Yves David, est directeur de la coordination du groupe Casino. La grande distribution a été historiquement un secteur très actif dans le domaine du commerce électronique. Elle travaille à présent à l’ouverture de places de marché. De quoi s’agit-il ? Quels impacts ces places de marché vont-elles avoir ? Eclairez notre lanterne, M David, je vous en prie…

Le troisième intervenant est M Jean-Paul Mériau, vice–président de Renault, directeur du programme e-business. L’industrie automobile a également été un grand acteur des échanges de données informatisés. Mais elle persiste. J’imagine qu’à la fin de votre exposé, nous comprendrons mieux quels sont les objectifs stratégiques d’une grande entreprise à implantation mondiale lorsqu’elle investit lourdement dans le commerce électronique.

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Net-entreprises 19

DES CYBERCATALOGUES AUX PLACES DE MARCHÉ POUR L’INDUSTRIE DE LA CONSTRUCTION

Max-Henri Pollak Directeur des achats, Spie Batignolles

Présentation de Spie Batignolles

Activités

En 1999, le groupe Spie a réalisé un chiffre d’affaires de 15,7 milliards de francs, réparti entre trois activités :

• ingénierie électrique (48 % - Spie Trindel) ;

• construction (30 % - Spie Batignolles) ;

• transport et énergie (22 % - Spie Enertrans) ;

Je vous parlerai essentiellement de la construction puisqu’il s’agit du secteur dont je m’occupe.

Actionnariat

En 1997, Spie a fait l’objet d’une reprise d’entreprise par les salariés (RES). Aux termes de cette reprise, AMEC, un groupe britannique de BTP, détient 42 % des actions, avec un droit pour acheter les 58 % d’actions détenues par les salariés à la fin 2002.

Spie détient trois filiales à 100 % : Spie Trindel, Spie Batignolles et Spie Enertrans.

Achats

Spie Batignolles est organisé en filiales régionales, avec un département Achats dans chaque filiale et une coordination nationale, dont je m’occupe. La direction des achats se trouve au quartier général, à côté de la direction générale : cette situation nous a bien aidés pour traiter le problème du commerce électronique.

Nos achats globaux s’élèvent à 3 milliards de francs par an, ce qui représente 70 % de nos ventes. Ces 3 milliards se répartissent en :

• 2 milliards de francs de sous-traitance ;

• 1 milliard de francs de matières, matériel et matériaux.

C’est de ce dernier milliard dont je vais vous parler à présent. En effet, ce type d’achat se prêtait le mieux à la globalisation, rendue possible par l’apparition des technologies internet.

Nos achats de matières, matériel et matériaux se composent essentiellement de produits standards, choisis dans les catalogues de multiples fournisseurs (voir tableau).

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La structure des achats de Spie Batignolles en matières, matériel et matériaux

Total achats matières, matériel, matériaux 1 milliard de francs

Béton-ciment : produits en sac et palette ; parpaings, briques 25 %

Diffus : outillage manuel, consommable, bois/coffrage, prestations, frais généraux 25 %

Locations 19 %

Acier : treillis soudé, armature standard 11 %

Intérim 10 %

Études 5 %

Divers 5 %

En résumé, les achats du BTP présentent les caractéristiques suivantes :

• un grand nombre d’achats diffus de produits standards (300 millions de francs par an chez Spie Batignolles) ;

• réalisés à des prix très différents d’un endroit à l’autre ;

• par des chantiers temporaires – point important, un chantier n’est pas une création définitive comme l’usine dans l’industrie ;

• des fournisseurs sceptiques vis-à-vis d’une globalisation des achats.

À la fin de l’année 1997, l’émergence des technologies internet nous a donné les moyens de mettre en œuvre une nouvelle politique de globalisation. Cette politique consiste à placer le chantier dans un cercle vertueux de globalisation, de réduction de coûts, de baisse de prix, de standardisation. En effet, l’augmentation des volumes d’achats qui résulte de leur globalisation pousse à la baisse des prix. Cette étape prélude à un travail de fond sur la standardisation, qui elle-même va favoriser la baisse des coûts.

Globaliser et accroître sa réactivité revient à distinguer les approvisionnements, réalisés par le chantier au fur et à mesure de ses besoins, des achats, négociés globalement pour l’ensemble des chantiers, auprès de fournisseurs engagés par contrat à livrer quoiqu’il arrive, dans un délai contractuel variant de 24 à 72 heures.

Les cybercatalogues

Qu’est-ce qu’un cybercatalogue ?

Pour mettre en œuvre cette politique, nous avons mis au point un outil, le cybercatalogue. Notre objectif était de permettre à nos chantiers de s’approvisionner directement dans notre magasin électronique, dans le cadre de négociations faites en amont par nos négociateurs leaders. Ce cybercatalogue est un magasin virtuel, où nos chantiers doivent trouver tout ce dont ils ont besoin.

Chacun fait son métier : les acheteurs négocient, les chantiers s’approvisionnent au fur et à mesure de leurs besoins et les fournisseurs livrent. Ce fonctionnement doit nous permettre d’avoir les meilleurs articles au meilleur prix partout et de gagner beaucoup de temps.

Comment ça marche ?

Nous avons construit une « base articles », commune à toute l’entreprise au niveau national et international. Cette base recense tous les articles standardisés dont nos chantiers peuvent avoir besoin. Un marteau de 500 grammes avec un manche en bois, un parpaing, un sac de ciment, par exemple, sont des articles qui se prêtent parfaitement à la standardisation.

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En face, nous avons listé des fournisseurs en mesure de nous répondre. Sur le marché du bâtiment, nous avons quelques fournisseurs nationaux mais beaucoup moins qu’on ne le pense. En effet, même les grands fournisseurs sont souvent divisés en agences régionales qui elles-mêmes ont des sources locales : ils sont donc incapables de faire face à des contrats nationaux. Par conséquent, nous avons quelques fournisseurs pouvant remplir des contrats nationaux sur certaines lignes de produits, mais nous avons également beaucoup de fournisseurs régionaux, capables d’apporter une réponse en fonction de la localisation du chantier.

Nous établissons un lien entre un besoin et le fournisseur qui peut y répondre, en fonction de la localisation du chantier. Ce procédé nous permet d’établir une collection de liens, qui constitue un catalogue valable à un endroit donné. En effet, la base de données se compose d’un catalogue national, accessible pour tous, et de catalogues régionaux, accessibles uniquement aux chantiers situés dans la région concernée. Ainsi, les chantiers situés dans la région parisienne ont accès au catalogue national et au catalogue de la région parisienne mais n’ont pas accès au catalogue de la région lilloise.

Le chef de chantier se connecte sur le serveur, via un numéro 800 (appel local). Une fois sur le serveur, il fait son marché sur le catalogue, non pas par fournisseur mais par besoin (liste alphabétique d’articles). Il peut cliquer sur le produit pour avoir une fiche technique ou une photo. Il indique la quantité d’articles demandée : c’est la seule chose qu’il ait à écrire. Cette simplicité est très appréciée par les chefs de chantier, qui ne sont pas forcément à l’aise pour écrire.

Le chef de chantier accuse réception de la livraison par le même procédé. Comme le système est raccordé au réseau interne de l’entreprise, la comptabilité sait que la marchandise a été livrée et acceptée ; le comptable peut donc payer. Par ailleurs, cette dépense rentre dans la gestion de chantier, ce qui simplifie là encore le travail des chefs de chantier.

Une fois que le chef de chantier a fait son choix, il clique sur une icône : le système décompose ses courses par fournisseur et lui présente des ordres d’approvisionnement à envoyer aux différents fournisseurs. Le chef de chantier n’a qu’à valider les ordres d’approvisionnement ; il peut modifier la date de livraison s’il le souhaite et ajouter un commentaire. La commande est alors stockée sur le serveur. Toutes les dix minutes, un PC avec une liaison Ethernet vient rechercher les commandes effectuées et les envoie aux fournisseurs par un réseau de messagerie X400. Trois types de réception sont prévus – l’échange de données informatisé (EDI), l’internet et le fax – mais, pour l’instant, tous les fournisseurs ont choisi le fax ! Cependant, l’attitude des fournisseurs à l’égard des nouvelles technologies est en train de changer.

Des avantages multiples

Hier, chaque chantier achetait les produits dont il avait besoin au jour le jour, à des prix variant beaucoup d’un endroit à l’autre, sans stratégie ni concertation. Aujourd’hui, tous ces produits sont regroupés dans le cybercatalogue et approvisionnés en un clic de souris.

Le cybercatalogue offre de multiples avantages aux chantiers :

• Une sélection des articles facilitée Les commandes sont envoyées d’un seul clic à tous les fournisseurs. Toutefois, les chantiers peuvent choisir leurs produits mais pas leurs fournisseurs. En effet, nous avons décidé qu’un seul fournisseur aurait l’exclusivité d’un produit donné à un endroit donné, ceci afin d’intéresser nos fournisseurs à ce nouveau système.

• L’accès à des informations complémentaires (photos, fiches techniques, fiches conseil) Dans les faits, les fabricants ont du mal à donner ces informations ; il faut un certain temps pour les formater correctement.

• Des prix déjà négociés

• La garantie de disponibilité et de livraison

• Une trace des transactions réalisées

Cette globalisation des achats permet de gagner du temps et de l’argent.

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Le déploiement

L’idée du cybercatalogue est née fin 1997. Nous avons développé un logiciel avec une SSII française. Nous l’avons testé sur un chantier pilote à l’été 1998. Nous avons déployé le système sur la région parisienne fin 1998-début 1999 et nous avons généralisé le système à la province en 1999.

L’utilisation du cybercatalogue n’est pas encore aussi développée que nous le souhaiterions : en octobre 2000, 113 chantiers l’avaient utilisé, pour un chiffre d’affaires mensuel de 2,4 millions de francs (voir graphique). Deux régions l’utilisent essentiellement : la région parisienne (1 million de francs d’achats en octobre 2000) et la région du nord (700 000 francs d’achats en octobre 2000). Dès à présent, les bons de commande sont supprimés sur tous les chantiers de la région parisienne, qui travaillent exclusivement avec le cybercatalogue. Les régions ouest et sud-est sont en phase de démarrage.

Chiffre d’affaire réalisé via le cybercatalogue de janvier à octobre 2000

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

janv fév mars avril mai juin juil août sept oct0

20

40

60

80

100

120

CA mensuel nombre de chantiers

Notre premier objectif est d’arriver à 300 millions de francs de volume d’achats annuels passés sur cybercatalogue. Pour cela, il nous faut enrichir l’offre-produits du catalogue. Dans ce type de système, le problème le plus difficile à résoudre est bien celui du contenu.

Dans un deuxième temps, une solution logicielle plus performante doit nous permettre de couvrir l'ensemble de nos besoins et non plus seulement 300 MF.

Des cybercatalogues aux places de marché

Les limites du système actuel

Aujourd’hui, nous avons un système propriétaire, limité à 10 % du total de nos achats. Les inconvénients d’un système propriétaire sont clairs. Actuellement, nous demandons à nos fournisseurs de nous donner des informations sur des fichiers pivots (feuilles Excel). Tant que nous sommes les seuls à leur demander ces fichiers pivots, les fournisseurs s’y plient volontiers car ils considèrent cela comme un apprentissage. Mais si tous les constructeurs se mettent à leur réclamer des fichiers pivots différents, ayant chacun leur propre format, les fournisseurs ne seront plus en mesure de gérer ces demandes d’informations. Pour faciliter le travail des fournisseurs, il faut un format d’échange standard, et donc un système non propriétaire.

Cependant, ce premier système nous a permis d’habituer nos opérationnels et nos fournisseurs à de nouvelles façons de travailler, de créer de nouvelles relations partenariales dans le BTP et de gagner du temps et de l’argent. Les fournisseurs ont compris que ce système leur permettait d’augmenter leurs volumes de vente. Mais pour l’instant, ils ont

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du mal à respecter les délais car cela implique souvent une réorganisation complète de la chaîne logistique. Cette réorganisation prend du temps.

Vers la place de marché

Pour nous, la suite logique du cybercatalogue est la place de marché, qui va nous offrir plus de fonctionnalités.

• Un système ouvert Nos fournisseurs pourront utiliser des formats standards pour transmettre leurs informations. En outre, nous pourrons avoir un retour de nos fournisseurs, ce que ne permettait pas le système traditionnel : les chantiers savaient que le fax était arrivé chez le fournisseur mais ne pouvaient pas savoir s’il avait bien été pris en compte. En cas de problème de délai, le fournisseur prévenait le chantier par téléphone ; avec le système ouvert, il pourra communiquer par mail.

• Une couverture plus large de nos différents types d’achats

• Une collaboration en ligne Des outils de collaboration se sont développés : ils permettent de faire des réunions de chantier virtuelles entre les différents corps de métier. Ainsi, il est possible de regrouper les achats, et donc d’obtenir de meilleures conditions. Un chantier peut aussi demander à l’architecte d’utiliser tel produit de préférence à tel autre parce qu’il bénéficie de meilleurs prix chez le fournisseur de ce produit.

• Des enchères inversées

Nous allons dans la direction de la place de marché, en valorisant les acquis du cybercatalogue. Ces acquis sont, au-delà du gain de temps et d’argent, l’habitude prise par nos opérationnels et nos fournisseurs d’utiliser un magasin virtuel. Notre chiffre d’affaires passé sur cybercatalogue est en croissance constante et nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin.

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L’IMPACT DES PLACES DE MARCHÉ SUR LES RELATIONS « B-TO-B »

Yves David Directeur de la coordination, Casino

Aujourd’hui, le groupe Casino est connu avec les enseignes suivantes : les hypermarchés Géant, les supermarchés Casino, les supérettes Petits Casino, les réseaux LeaderPrice et Franprix et enfin les cafétérias Casino.

Casino est présent dans le B2B en tant que membre fondateur de l’échange WorldWide Retail Exchange (WWRE). Le groupe est aussi un acteur fort dans le B2C, au travers de son portail C-online et des services associés, comme C-mescourses.com, service de livraison à domicile aujourd’hui implanté sur Lyon et sur Paris.

Dans mon exposé sur les places de marché et leur impact, je ne m’attarderai pas sur les enjeux et les objectifs, à savoir réduction des coûts de transaction ou ouverture du sourcing, car chacun ici connaît certainement ces arguments. Je parlerai plutôt d’autres impacts, plus diffus aujourd’hui, mais qui seront réels dans les années à venir. Sous l’impulsion donnée par les places de marché et leur globalisation, ces impacts auront des conséquences majeures sur les entreprises, qu’elles soient nationales, européennes ou mondiales.

Les places de marché se sont fortement développées depuis cinq ans, sous l’impulsion de l’internet et de la démarche ECR (Efficient Consumer Response), démarche à l’origine américaine mais qui a été reprise au niveau européen avec une visibilité plus grande.

Ces initiatives renouvellent des organisations que nous avions mises en place au niveau français ou européen de GIE d’achats ou de GIE de sourcing. L’internet apporte une dimension mondiale et une dimension technologique à ces organisations.

La place de marché, un concept revitalisé grâce à l’internet

Une place de marché désigne un lieu d’échanges virtuels entre des partenaires identifiés et connus. C’est une communauté effectuant des transactions sécurisées sur l’internet. Face à la création des grandes places de marché, dans l’automobile, la distribution ou l’aéronautique, la presse a relayé la crainte d’un regroupement des fabricants pour peser sur l’amont. Aujourd’hui, les autorités de surveillance, que ce soit la Federal Trade Commission aux États-Unis ou la Commission européenne, nous imposent d’assurer une transparence et une grande sécurité dans les transactions.

La place de marché relève d’une approche globale et sectorielle. Approche globale parce qu’aujourd’hui, les places de marché réunissent des acteurs de tous pays, essentiellement nord-américains et européens, mais également asiatiques, sud-américains, et sans doute bientôt africains (Afrique du Sud notamment). Approche sectorielle parce que les places de marché rassemblent des acteurs d’un même secteur (automobile, aéronautique, distribution).

Une place de marché offre des services reposant sur un catalogue et des informations. Le catalogue est essentiel ; il est un préalable à la standardisation. Il permet de décrire précisément fournisseurs, produits, tarifs, flux, etc. La collecte d’information est également cruciale. En effet, les places de marché ont aussi pour objectif de générer de la valeur à partir de services liés au traitement de l’information (traitement statistique, benchmarking, scoring, etc.).

Ces services concernent l’aval (produits à la vente) et l’amont (frais généraux, approvisionnement).

Voici un panorama des grandes places de marché actuelles :

• dans l’automobile : Covisint, iStarXchange ;

• dans l’aéronautique : SourceOne ;

• dans la distribution : WorldWide Retail Exchange-WWRE (qui réunit 54 distributeurs, dont Casino, à travers le monde), GlobalNetXchange-GNX (à l’initiative de Carrefour et de Sears), RetailLink (la place de marché de Wal-

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Mart). D’autres places de marché regroupent des fournisseurs, pour les produits de grande consommation notamment : Transora (place de marché de fournisseurs américains), CPG market (place de marché de fournisseurs européens, autour de Nestlé et de Danone).

Des impacts majeurs et progressifs

Normalisation et mise en place de standards

Les places de marché imposent des standards :

• Dans les produits et les services Je n’en parlerai pas car ce sujet a déjà été abordé dans les exposés précédents.

• Dans les définitions et les données Aujourd’hui, un distributeur gère environ 1 million d’articles différents avec un taux de renouvellement élevé (20 % par an), ce qui est considérable. Sur une place de marché, les acteurs ont intérêt à adopter des normes internationales publiques. Au niveau de la distribution, les deux grandes places de marché publiques s’unissent au travers d’organisations type UCC1, EAN2 et GCI3 pour donner à la profession des normes internationales reconnues et validées par l’ensemble.

• Dans les processus clés Aujourd’hui, l’objectif est de normaliser l’acte de négociation, l’acte d’achat, l’aspect contractuel des relations avec les tiers. Cela concerne le processus de commande, les enchères et dérivés, la facturation. Cette normalisation des processus vise à réduire les coûts de transaction et d’échange d’informations entre les partenaires. À ce niveau, dans le domaine de la dématérialisation des factures, la France est encore en retard par rapport aux pays de l’Amérique du Nord et à d’autres pays de la Communauté européenne.

• Dans les outils La place de marché impose une normalisation dans les outils (catalogues, outils de workflow), dans l’interopérabilité de ces outils, dans les langages et les normes de transfert (EDI, XML). XML va contribuer à développer largement ces informations. Encore faudra-t-il s’assurer qu’en parlant d’XML, chacun parle effectivement de la même chose. Ceci nous demandera beaucoup d’efforts.

Une responsabilisation accrue et de la transparence

Les places de marché font l’objet d’une surveillance attentive des autorités de régulation des marchés, qui veillent à ce qu’il n’y ait pas d’entraves à la concurrence. Les acteurs des places de marché acceptent volontiers cette surveillance, gage pour eux de la pérennité des ces infrastructures et des organisations.

Des transactions mieux retracées et plus visibles

Sur les places de marché, l’écrit prédomine et les échanges sont formalisés. La génération de la commande est écrite, mémorisée, archivée et visible. Il en est de même pour le suivi des commandes et toutes les informations associées ou

1. UCC (Uniform Code Council) : consortium pour la normalisation des technologies d'identification automatique. UCC est une initiative américaine dont la zone d’influence couvre essentiellement les États-Unis. 2. EAN International est une association internationale, représentée dans 80 pays par des Numbering Organizations (NO) et chargée de maintenir le système EAN de codification. Les principes EAN de codification et de normalisation des données et des actes diffèrent de ceux publiés par l’UCC et se veulent plus ouverts en raison de la couverture géographique de l’organisation EAN International. Les identifiants de données, ainsi que la structure et la longueur des données qu'ils introduisent, sont définis par EAN International. Les normes publiées par EAN International s’appuient sur les recommandations des Nations-Unies relatives au langage EDIFACT. 3. GCI (Global Commerce Initiative) a été créée à l’initiative des principaux fournisseurs et distributeurs mondiaux en vue d’harmoniser, de simplifier et d’adapter les standards publiés par UCC et EAN International au contexte spécifique de la distribution. Cette organisation totalement privée est aujourd’hui fortement conditionnée par les principales places de marché pour les accompagner dans leur volonté de développer des standards générateurs d’économies d’échelle dans les processus et les outils associés.

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générées pendant le parcours de la marchandise/l’exécution du service ainsi commandité. L’ensemble de ces informations est accessible par les partenaires de la chaîne d’exécution sous forme écrite et consultable à distance par voie électronique.

Les processus de conduite des négociations sont également formalisés. Dans la distribution, les négociations commerciales sont parfois qualifiées de « viriles ». Mais de fait, toute relation d’achat implique un rapport entre un commercial et un acheteur. Traditionnellement, la négociation se passe d’abord de manière orale, avant que les partenaires signent tout document contractuel.

Dans le cadre des places de marché, l’apport d’outils de type workflow permet de baliser le processus de négociation dans un cheminement précis aussi bien pour les étapes, la durée et le contenu des accords à valider.

Des processus de plus en plus collaboratifs

Les informations disponibles sont partagées en temps réel par les partenaires. Quasiment tout devient visible entre les deux partenaires d’une transaction, qui peuvent discuter sur la base d’informations factuelles. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent, où l’acheteur et le commercial jouaient sur la qualité et la véracité des informations support de la négociation. Dans une place de marché, les négociations s’appuient sur des faits et sur les données les décrivant : ce qui se vend et donc de ce qui passe aux caisses de nos magasins, de ce que les consommateurs achètent réellement.

Les partenaires prennent des décisions communes balisées dans des processus formels, pilotés par des outils de workflow.

Grâce aux outils de workflow, les points de blocage sont rapidement identifiés et remontés aux hiérarchies. Des alertes peuvent être immédiatement générées. Ces alertes peuvent être répercutées beaucoup plus rapidement vers les destinataires pour des prises de décision, notamment via les mobiles.

Des acteurs plus réactifs

Les informations sont disponibles en temps réel : informations statistiques, catalogues, traçabilité des mouvements, connexion aux mobiles.

Les outils et les processus mis en place sur les places de marché permettent de réduire le temps d’analyse préalable à la prise de décision :

• outils statistiques : prévisions, suivi des écarts, benchmarking, scoring ;

• disponibilité de l’information (data warehouse) ;

• génération d’alertes (alerte préprogrammée, alerte avec pas progressifs, alerte avec prise de décision automatique, etc.).

L’objectivation des relations commerciales

Les relations distributeurs/fournisseurs ont fait couler beaucoup d’encre. On critique le poids de la distribution sur les fournisseurs dans les négociations commerciales… je peux témoigner que la réalité ne correspond pas au tableau qu’en font les médias.

Aujourd’hui, les objectifs de la transaction et les critères de mesure sont définis avant la transaction : les deux parties s’engagent sur des objectifs, des critères de mesure et, éventuellement, sur des pénalités réciproques, ce qui est très nouveau. À présent, quand on demande des prévisions à un fournisseur, on attend de lui qu’il s’engage dans une prévision pour un délai donné. Ces informations (quantités, chiffre d’affaires prévu, etc.) laisseront une trace écrite.

Cette objectivation des relations commerciales est rendue possible par :

• une collaboration dans les processus de décision, grâce aux outils de workflow et aux démarches de type ECR (Efficient Consumer Response) et CPFR (Collaborative Planning, Forecasting and Replenishment) ;

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• une place accrue de l’écrit, qui réduit la subjectivité dans les rapports ;

• une virtualité de la rencontre et de l’accord, qui permet de gagner du temps, de ne pas introduire une dimension affective dans la relation, et surtout, de raisonner sur des faits et sur des chiffres.

La nécessaire refonte des organisations

Cette refonte des organisations porte sur différents points :

• des profils moins affectifs dans les postes relationnels, car ces postes demanderont moins de relations en face-à-face entre acheteur et commercial ;

• des profils maîtrisant les démarches et les outils d’analyse ;

• des profils interculturels (maîtrise de l’anglais et connaissance des pratiques culturelles des autres pays), car les places de marché sont globales ;

• des profils qui s’adaptent à des organisations de taille et d’âge différents, aussi bien des microentreprises que des groupes, aussi bien des jeunes start-up et que des entreprises centenaires.

Enfin, l’efficacité accrue dans la prise de décision permet une allocation plus importante des ressources sur l’excellence dans le service. Un fournisseur rentre sur une place de marché par le prix mais il y reste par le service qu’il fournit. Ceci implique de mobiliser des ressources au sein de l’entreprise sur l’amélioration permanente du service.

Des impacts inévitables

Au niveau économique

Avec les places de marché, la mise en concurrence n’est plus européenne mais globale.

L’existence de places de marché virtuelles permet d’abaisser le coût d’accès au marché. En effet, grâce à la technologie et à la mise en place de processus normalisés et publiés, il est aisé pour une entreprise de se faire connaître et d’effectuer des transactions sur une place de marché. Comme indiqué préalablement, la nécessaire ouverture à la concurrence rend obligatoire un accès aisé pour tous, de l’entreprise multinationale à la start-up.

Les places de marché incitent à la recherche d’innovation et de valeur ajoutée dans les offres. Cette volonté se manifeste aujourd’hui dans les enchères conduites avec l’aide des outils de ces places de marché. Les cahiers des charges relatifs aux produits présentés aux soumissionnaires comportent une part de services de plus en plus développée. En outre, la pérennité des alliances nouées par les échanges avec des sociétés fournisseurs de services (analyse statistique, autres places de marché sectorielles, etc.) est directement liée à la qualité et à la recherche permanente d’innovations dans les services proposés par les partenaires.

L’intermédiation et la syndication vont sans doute se développer, pour aider les petites et moyennes entreprises à mutualiser leurs moyens de support. Cette mise en commun de moyens, d’initiative publique ou privée, facilitera l’accès à l’innovation et à la fourniture de la qualité de service pour ces entreprises.

Les places de marché induisent une collaboration plus étroite des entreprises entre elles. Nous vivons là une facette du concept de l’entreprise étendue.

Sur le plan social

Les places de marché vont très probablement induire une ré-allocation des profils et des compétences, un rapprochement des entreprises avec l’éducation et une flexibilité croissante des conditions de travail (des horaires notamment), surtout pour les fonctions supports.

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Au niveau politique

Les pouvoirs politiques doivent promouvoir les technologies et l’éducation nécessaires pour aborder cette nouvelle forme de commerce au niveau mondial. La recherche permanente d’innovations et l’ouverture internationale constituent des facteurs de survie des entreprises nationales et, à ce titre, doivent trouver des structures d’accueil et de conseil compétentes. La promotion des services supports constituent aussi une priorité, notamment pour les services supports en charge du traitement des informations associées aux transactions développées sur les places de marché. Enfin, notre succès nous contraint, à tout moment, de réfléchir au niveau global, de décider dans l’Europe et d’agir pour le pays.

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LA STRATÉGIE E-COMMERCE DANS L’AUTOMOBILE

Jean-Paul Mériau Directeur du programme « e-business », Renault

Le groupe Renault aujourd’hui

Renault est engagé aujourd’hui dans un challenge de taille, au travers de ses alliances avec Nissan et avec Volvo.

L’alliance avec Nissan

L’alliance avec Nissan va conduire à la création d’un groupe bi-national, 4ème constructeur mondial, qui réalisera un chiffre d’affaires de près de 100 milliards d’euros et fabriquera 5 millions de véhicules par an dans le monde entier.

Beaucoup de projets communs ont vu le jour, pour fabriquer des véhicules basés sur une plate-forme commune. Ceci permet de réduire le nombre de plates-formes pour les deux constructeurs.

La complémentarité géographique entre Renault et Nissan en termes d’implantation est un autre atout de ce rapprochement : Nissan est bien implanté au Japon, en Asie et aux États-Unis tandis que Renault est bien implanté en Europe et en Amérique du Sud. Nous sommes en train de mettre en place un développement commun, où le partenaire majoritaire sur une zone prend en charge le back-office et les développements complémentaires. Par exemple, au Mexique, nous allons fabriquer des Renault Scénic dans une usine de Nissan et, en Amérique du Sud, nous allons fabriquer des Nissan dans des usines de Renault.

Avant son alliance avec Renault, Nissan était dans une situation plus que délicate. Quand Renault a pris cette participation dans Nissan, beaucoup se demandaient si ce n’était pas un coup de poker. La première année de résultat du « Nissan Revival Plan » montre que Nissan redevient profitable au niveau opérationnel. Renault a donc déjà rentabilisé son investissement à court terme. Cela dit, l’objectif n’est pas de rentabiliser l’investissement, mais de faire de Renault Nissan un groupe bi-national mondial.

L’alliance avec Volvo

L’alliance avec Volvo permettra de constituer le 2ème constructeur mondial de poids lourds. Renault apporte Renault Véhicules Industriels et Mack Trucks à Volvo et deviendra le premier actionnaire de ce nouvel ensemble, avec 20 % des actions.

La stratégie de Renault en matière de e-business

En février 2000, le groupe Renault a annoncé le lancement de son programme « e-business ». Une direction du programme « e-business » a été mise en place afin de piloter le développement de l’activité de commerce électronique du groupe. L’objectif est de doter Renault d’une offre e-commerce globale. Ce programme comporte quatre volets :

• le commerce (présentation de notre offre aux clients) ;

• le business-to-business (B2B) ;

• le e-véhicule (fabrication de véhicules « communicants ») ;

• le business-to-employee (promotion de l’utilisation des nouvelles technologies par tous nos employés).

Dans cette présentation, je m’attacherai essentiellement au volet B2B.

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L’automobile est à la fois un produit simple, grand public, et un produit très complexe. La conception d’un véhicule requiert la collaboration du constructeur et de nombreux fournisseurs de rangs 1, 2, 3, etc. Autre caractéristique, le poids des achats : 70 % de la valeur d’un véhicule sont achetés à l’extérieur. Depuis de nombreuses années, un travail de collaboration entre constructeur et fournisseurs s’est instauré sur les plans du développement, de la logistique et des achats, ce qui s’est traduit par la mise en place de liens informatisés. Renault est engagé dans les échanges de données informatisés (EDI) principalement au niveau de la logistique, mais aussi au niveau du développement des produits, même si les réseaux de télécommunications actuels imposent des limites de capacité. Au niveau de la logistique, nous avons des liens informatisés avec tous nos grands équipementiers (Valéo, Bosch, etc.) mais beaucoup de fournisseurs de rang 2 et de rang 3 n’utilisent pas l’EDI, ce qui pose un réel problème. Nous pensons que les technologies internet vont permettre de démocratiser les EDI et de les mettre à la disposition de tous les fournisseurs.

L’internet permettra aussi d’avoir des liens directs avec le client. Grâce à l’internet, les clients pourront configurer le véhicule qu’ils veulent et s’adresser directement au concessionnaire pour lui demander de leur livrer ce véhicule-là. Le projet « Nouvelle distribution » de Renault vise à livrer les véhicules ainsi commandés en moins de quinze jours, ce qui implique pratiquement la fabrication à la commande. C’est un changement considérable dans l’industrie automobile.

Les enjeux du B2B

Comment voyons-nous le B2B ? Les enjeux du B2B ont souvent été considérés comme une alliance entre les grands constructeurs contre les fournisseurs pour faire baisser les prix. Nous pensons que ce n’est pas cela. Au contraire, nous considérons le B2B comme une possibilité pour un constructeur de travailler avec des outils modernes avec tous ses fournisseurs, du plus grand au plus petit. Le B2B ne s’oppose donc pas à la relation de partenariat que nous construisons avec nos fournisseurs. Par ailleurs, le B2B en tant que tel et les nouvelles technologies comme les places de marché ont un impact considérable sur les organisations. Si nous voulons en tirer le meilleur parti, il faut les comprendre, les adopter et, dans un certain nombre de cas, transformer les organisations.

Le B2B recouvre des enjeux stratégiques, des enjeux opérationnels et des enjeux au quotidien. Ces enjeux se situent à trois niveaux :

Au premier niveau, le B2B améliore l’efficacité opérationnelle non seulement de la fonction achats, mais aussi des processus de développement et de la « supply chain ». En résumé, les enjeux du B2B sont de communiquer et travailler ensemble sur les achats, le process de développement et le process de fabrication. Les nouvelles technologies permettent la transparence de l’information, l’instantanéité et l’interactivité.

Au second niveau, le B2B agit comme un catalyseur qui facilite la mise en œuvre des leviers internes traditionnels de progrès. Le partage des plannings entre tous les acteurs intervenant dans un projet véhicule, qui existe aujourd’hui chez Ford, permet beaucoup de choses. Le travail en co-développement n’est pas facile à atteindre aujourd’hui mais il est à portée de main. Les technologies nous permettront bientôt de faire travailler des équipes délocalisées comme si elles étaient au même endroit. Nous avons fait des expériences de travail en co-développement avec Siemens. Les résultats sont spectaculaires, en termes de gain de temps et d’argent. Le GALIA (Groupement pour l’amélioration de l’industrie automobile), que j’ai l’honneur de présider, regroupe différents constructeurs et fournisseurs français. Dans ce cadre, nous travaillons collectivement à la standardisation et à la construction d’un extranet commun dans l’industrie automobile. Cet ENX (European Network Exchange) va nous permettre de concrétiser toutes ces possibilités.

Au troisième niveau et à plus long terme, les potentialités offertes par l’internet contribueront à transformer la chaîne de valeur de l’industrie automobile. Aujourd’hui, la transmission des informations entre le constructeur, Renault, et les fournisseurs n’est pas optimale, au niveau de la logistique notamment. Entre le moment où la commande rentre dans le système de Renault et celui où l’information est transmise par EDI au fournisseur de rang 1, il se passe trois jours. Ensuite, il faut encore 3 jours pour que l’information passe du fournisseur de rang 1 au fournisseur de rang 2, à condition que celui-ci puisse recevoir des EDI. Si celui-ci ne peut recevoir que des fax, il faut encore plus longtemps. Jusqu’à présent, la chaîne de valeur de l’industrie automobile était donc structurée en un système linéaire et hiérarchique dans lequel les constructeurs avaient des interactions avec un nombre limité d’intervenants. Désormais, elle fonctionnera comme un véritable réseau permettant un contact direct entre des partenaires très divers.

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L’engagement de Renault-Nissan dans Covisint

En avril 2000, Renault et Nissan se sont engagés dans la place de marché de l’automobile Covisint. Je voudrais vous rappeler l’histoire de ce projet. Le même jour, le 1er novembre 1999, Ford a annoncé la création d’une place de marché, baptisée AutoXchange, et General Motors la création d’une autre place de marché, appelée TradeXchange. Ces annonces nous ont beaucoup intrigués. Nous avons vite compris l’intérêt de ces places de marché. Nous nous sommes rapprochés de TradeXchange et, dès janvier, notre décision était pratiquement prise de rejoindre cette place de marché, car cette solution nous paraissait la plus pertinente. Dans le même temps, aux États-Unis, les fournisseurs ont commencé à se rebiffer face à la perspective d’une multiplication des places de marché (une pour chaque constructeur), qui allait les obliger à se conformer à différents standards. Courant février, la décision a été prise de regrouper toutes ces places de marché. En moins de trois semaines, nous avons décidé de nous joindre (Renault et Nissan) au mouvement, pour deux raisons.

Premièrement, le regroupement de trois grands constructeurs, Ford, General Motors et Daimler-Chrysler, dans la même place de marché allait entraîner de facto la création de standards mondiaux. Nous avons considéré qu’il valait mieux en être que n’en être pas, pour pouvoir apprendre, influencer et faire prendre en compte les intérêts européens et asiatiques. Les Américains sont très contents que nous soyons partie prenante à cette place de marché, qui s’est appelée d’abord NewCo puis Covisint. Il est clair que, si nous avons pu rejoindre cette nouvelle compagnie en tant qu’actionnaire, c’est parce que nous étions Renault-Nissan et pas seulement Renault : Renault-Nissan leur donnait un pied supplémentaire en Europe et un pied en Asie qu’ils n’avaient pas. Ford, General Motors et Daimler-Chrysler considèrent que la participation de Renault-Nissan donne à la place de marché un côté international. Cela peut paraître surprenant car ces compagnies sont des compagnies mondiales mais, quand elles travaillent à Detroit, elles travaillent d’abord pour le marché américain : elles construisent des outils pour le marché américain et considèrent que le reste du monde va suivre. Avec cet état d’esprit, je peux vous garantir qu’il n’est pas facile de faire passer des points de vue différents. Heureusement, nous avons l’appui de la branche Europe de Daimler-Chrysler (le déploiement de Covisint en Europe est piloté par Daimler et Renault).

Deuxièmement, la participation à cette place de marché constituait une opportunité pour Renault et Nissan de faire un projet ensemble. Il n’est pas facile de mêler différentes cultures (français de Renault, américains de Nissan, japonais de Nissan) mais il est très intéressant de travailler ensemble sur un projet commun. Nous croyons beaucoup aux synergies.

Les études réalisées par Goldman Sachs au début de l’année 2000 et plus récemment par la Deutsche Bank sur les enjeux du B2B dans l’industrie automobile nous confortent dans ce point de vue. Goldman Sachs chiffre les gains potentiels du B2B pour Renault-Nissan à 5 milliards de francs par an au moins, ce qui est considérable. Au-delà des gains financiers, l’enjeu majeur pour nous est la satisfaction du client. Les outils de B2B vont nous permettre d’atteindre l’objectif de fabrication à la commande que nous nous sommes fixé : livrer au client le véhicule qu’il aura configuré sur l’internet en moins de quinze jours.

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Net-commerce 43

NET-COMMERCE

Patrice Roussel Chef du département des activités tertiaires, Insee

Cette deuxième session traitera du commerce des entreprises aux consommateurs finaux, le business-to-consumer ou B2C. Le terme B2C recouvre toujours une ambiguïté. En effet, le B2C peut emprunter plusieurs canaux : le minitel, qui existe toujours, et l’internet. Il est certain qu’on ne fait pas exactement la même chose par ces deux canaux ; il est certain aussi que l’un est plutôt finissant, tandis que l’autre est plutôt émergent. Dans cette session, nous parlerons essentiellement du commerce par l’internet à destination des consommateurs finaux.

Pour en parler, nous avons réuni aujourd’hui des entreprises de métiers très différents.

En premier lieu, Roland Martinez, directeur du commerce électronique du groupe CAMIF, représentera le métier de généraliste de la vente par correspondance (VPC). La CAMIF est le troisième groupe français généraliste de la VPC. Roland Martinez nous expliquera la place que prend progressivement le commerce électronique dans ce groupe. Il insistera en particulier sur la notion de confiance, cruciale dans la vente à distance : lien de confiance à établir avec le consommateur, mais aussi confiance indispensable du vépéciste envers son transporteur.

Puis Alain Borri, directeur e-logistique de Team on Line, abordera la question du B2C du point de vue d’une entreprise qui en gère la logistique. Sa société a comme métier la logistique, sans être elle-même un transporteur. En effet, Team on Line, filiale du groupe Mory Team, est en quelque sorte « l’intelligence » de ce groupe de 3500 salariés. Cette société de services informatiques (pour les initiés, classée dans la division 72, « Activités informatiques », de la nomenclature d’activités française) fait travailler le transporteur, en prenant en compte les contraintes logistiques spécifiques au B2C. Alain Borri nous montrera l’évolution en cours dans le monde des transporteurs, où l’émergence de sociétés comme la sienne laisse augurer une possible réorganisation de la profession.

Enfin, le troisième intervenant de cette session, Pierre Alzon, représentera le métier de marchand de voyages en ligne. Pierre Alzon est directeur général de VSM, « Voyages sur mesure », nom de l’entité juridique mieux connue par ses deux marques, Dégriftour et Réductour. Le Journal du Net l’a récemment distingué dans son classement des hommes qui réussissent le mieux sur l’internet français, en le classant premier des marchands les plus dynamiques, dans la catégorie « Voyages ». Depuis sa création en 1991, Dégriftour a toujours travaillé sur le virtuel. Depuis, ce groupe vole de ses propres ailes ; il a même été remarqué de l’autre côté de la Manche par le groupe Lastminute.com, qui l’a trouvé très appétissant.

Je terminerai en remarquant que les trois intervenants de cette session ont une formation d’informaticien, ce qui, de la part d’acteurs du B2C, n’est sans doute pas seulement le fait du hasard.

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E-COMMERCE ET VPC : LA CONVERGENCE DU VIRTUEL ET DU RÉEL

Roland Martinez Directeur du commerce électronique, CAMIF

La CAMIF est une société anonyme à statut de coopérative, dont le siège social est situé à Niort. La CAMIF réalise un chiffre d’affaires de 5,5 milliards de francs. La vente à distance représente 80 % de ce chiffre d’affaires et les magasins (15 en France) 20 %. Nous sommes des multi-spécialistes pour l’équipement de la maison. Nous proposons trois grands univers produits : le mobilier, la hifi vidéo et micro-informatique, le gros et le petit électroménager. Nous sommes également présents sur le marché de l’équipement de la personne dans le domaine des vêtements et des équipements sportifs. Nous nous adressons à deux types de clientèle : les personnes physiques avec 2 millions de foyers contactés annuellement et les personnes morales, essentiellement les écoles, les collèges, les lycées, les universités, les mairies, les administrations et les associations. Le groupe CAMIF est aussi le premier distributeur de produits alimentaires par les méthodes de la vente à distance, avec cinq enseignes : le Savour Club, Art Village, Léon Fargue, Nicole Bernard et Viniphile.

Dans cette présentation, je parlerai uniquement de la vente à distance aux particuliers, qu’il faut bien distinguer, dans l’analyse de ses caractéristiques, de la vente à distance inter-entreprises (le B2B). La vente à distance inter-entreprises ne relève ni des mêmes règles ni des mêmes comportements.

La place de la vente à distance et du e-commerce en France

Depuis 1994, la vente à distance perd des parts de marché, alors qu’auparavant, elle progressait plus fortement que le commerce de détail. L’indice d’évolution du chiffre d’affaires de la vente à distance est passé de 102 en 1994 à 109 en 1999, tandis que celui du commerce de détail dans son ensemble est passé de 97 à 113 sur la même période (source Fédération des entreprises de vente à distance). Je vous rappelle ce contexte car on ne peut comprendre les problématiques du e-commerce qu’en les replaçant dans le cadre plus général de la vente à distance.

La vente à distance aux particuliers représente un marché d’une cinquantaine de milliards de francs, soit 2,5 % du commerce de détail. Alors que le commerce de détail a progressé de 243 milliards de francs entre 1995 et 1999, la vente à distance n’a progressé que de 4 milliards.

Pour bien analyser le phénomène du e-commerce, il faut d’abord s’équiper d’une loupe, non pas pour lire la presse qui en a fait ses gros titres, mais pour bien observer un phénomène qui, en 2000, représente un marché de moins de 4 milliards de francs, d’après le Benchmark Group (cf. tableau 1).

L’essentiel des ventes sur l’internet est constitué de ventes de voyages, d’informatique, de livres et de disques.

Avec 185 % de hausse, le marché du e-commerce a pratiquement triplé entre 1999 et 2000. Il s’approprie des univers que l’on n’avait pas l’habitude de voir dans les catalogues de vente par correspondance (voyages, informatique).

Les grands vépécistes (La Redoute, les Trois Suisses, la CAMIF, Quelle) ne représentent que 7 % de ce marché. La CAMIF, pour sa part, représente à elle seule près d’un tiers de cette ligne.

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Insee Méthodes 48

Tableau 1 Le e-commerce B2C en France en 2000

en millions de francs HT

Univers produits/services % 1999

CA 1999 CA 2000 Progression

Voyages, transport, hôtellerie 47,2 % 620 1769

Informatique (matériel et logiciel) 23,7 % 312 890

Produits culturels (livres, musique, vidéo) 10,4 % 137 391

Généralistes (VPC, distribution, galeries) 7,0 % 92 263

Alimentaire, boissons 2,5 % 33 94

Mobilier, électroménager 1,9 % 25 71

Fleurs, cadeaux 1,1 % 15 43

Billetterie 0,5 % 7 20

Habillement 0,4 % 5 14

Jeux 0,2 % 2 6

Divers 5,0 % 66 188

Total 100 % 1314 3750 185,4 % Source : Benchmark Group

En résumé, le marché du e-commerce ne représente que 9 % du marché de la vente à distance et 0,2 % du commerce de détail. Le e-commerce doit encore progresser pour devenir vraiment visible. La vente à distance n’est pas encore installée dans les habitudes de consommation. Ce métier n’est pas si simple qu’il y paraît. Nous allons voir pourquoi.

Cinquante années pour passer de la vente par catalogue à la vente à distance

Analysons d’abord les avantages stratégiques dont a disposé la vente par correspondance (VPC), en dehors du fait que son démarrage a bénéficié des trente années de forte consommation d’après-guerre.

Dans les années soixante-dix, la VPC était certainement l’une des formes de commerce qui permettaient de créer de réelles économies d’échelle, en matière de centralisation des achats notamment. Pour les fournisseurs, elle était aussi un média puissant en termes de communication de marques, avant la montée en puissance des autres supports publicitaires, la télévision notamment. Mais surtout, l’inflation à deux chiffres de ces années-là permettait d’imprimer des catalogues avec de bons prix dès la parution et d’excellents prix six mois après. La stabilité du catalogue et de ses prix imprimés était une force, conséquence naturelle de l’inflation.

Dans les années quatre-vingt, la grande distribution se structure : les « category killers » s’installent, les grandes surfaces fleurissent. En 1982, pour la première fois, la progression de la VPC fut inférieure à 20 %. Ce taux de progression, qui pourtant suscitait l’envie des autres circuits de distribution, fut considéré avec une certaine gravité par les sociétés de VPC habituées à des progressions supérieures. Depuis, ce taux n’a cessé de baisser. Même si son marché est passé de 17 milliards en 1980 à 41 milliards en 1990, à la fin de 1989, la VPC avait mangé son pain blanc.

Dans les années quatre-vingt-dix, la baisse de l’inflation et l’entrée de certains univers dans une phase de déflation (notamment la hi-fi, vidéo, micro-informatique) n’assuraient plus la compétitivité des prix imprimés, rendant plus difficile la crédibilité de l’offre VPC. Le prix imprimé, ancien avantage du catalogue, devenait un boulet à traîner. Pour conserver la compétitivité de l’offre, notamment en fin de saison, une guerre de remises s’est alors déclarée, qui a mis le consommateur de VPC sous euphorisant (la remise).

Aujourd’hui, la VPC vit de ces techniques de relance par la remise, prévues avant même la parution du catalogue, faisant croire au consommateur qu’il est l’heureux et rare bénéficiaire de cet avantage. C’est le règne du fameux « code chouchou ».

Ce point fait sur l’analyse par le positionnement des prix, j’aimerais évoquer les autres difficultés de la VPC.

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Les freins et les handicaps de la vente à distance

La vente par correspondance, et plus généralement la vente à distance, souffre de freins et de handicaps qui lui sont propres.

Tout d’abord, la nécessité de ce que j’appellerais « la chaîne de confiance », ce que d’autres ont appelé « la somme de hasards », pour que la commande projetée par un client soit passée, traitée et livrée. Pour mémoire, 50 % des consommateurs sont absolument rétifs à la VPC, ce qui montre à quel point cette chaîne de confiance est difficile à installer dans nos habitudes de consommation.

Une autre difficulté tient au fait qu’une part importante de cette chaîne dépend d’un tiers, en l’occurrence le transporteur, particulièrement pour ce qui concerne la phase finale, le « dernier kilomètre », quand le transporteur rentre en contact avec le client. Notre image de vépéciste peut souffrir de l’indélicatesse de certains livreurs.

Enfin, être vendeur à distance, c’est prévoir bien davantage que dans la vente de proximité. En effet, une rupture de stock a beaucoup plus de conséquences en vente à distance. D’une part, le catalogue et ses coûts fixes sont engagés, d’autre part la vente alternative est très complexe à mettre en œuvre. Le catalogue souffre de son manque de réactivité.

Du catalogue à la livraison : la confiance, condition sine qua non de la vente à distance

La chaîne de confiance VPC est constituée de neuf points : la notoriété, le catalogue, la disponibilité, la prise de commande, la date de livraison, l’interface livreur, le produit, le colis, le service après-vente (cf. tableau 2). Si, sur l’un de ces points, la confiance est cassée, la commande ne sera pas passée ou l’expérience VPC ne sera pas renouvelée.

Tableau 2 Vente par correspondance : une chaîne de confiance plus longue que celles de la vente de proximité et du e-commerce

Chaîne de confiance VPC Proximité e-commerce

Notoriété � � �

Catalogue/vendeur � � (�)

Disponibilité �

Prise de commande � (�)

Date de livraison � �

Interface livreur � �

Colis � �

Produit � � �

Service après-vente � � �

La chaîne de confiance de la distribution de proximité est beaucoup plus courte que celle de la VPC.

• La confiance dans une offre catalogue possède un équivalent dans la vente de proximité : la confiance dans le discours du vendeur. C’est d’ailleurs pour cela que, souvent, le vendeur a été supprimé.

• La disponibilité ne pose pas de problème en vente de proximité : un produit indisponible est un produit qui n’existe pas. En revanche, en VPC, il faut assumer les ruptures de stock, et ce jusqu’à la fin de validité du catalogue.

• Pour la prise de commande, à la chaîne de confiance se rajoute une autre chaîne, la chaîne de commodité (par exemple, avoir chez soi une enveloppe pour envoyer la commande). Pour mémoire, 52 % des commandes VPC utilisent encore le courrier comme support de prise de commande. Ce souci, bien sûr, n’existe pas dans la vente de proximité.

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Insee Méthodes 50

• Une date de livraison fiable, un livreur qui trouve le destinataire et ne jette pas son colis sur le trottoir, un colis indestructible, encore trois difficultés exclusivement vépécistes.

• Quant au service après-vente, si les deux circuits doivent nécessairement démontrer leur efficacité dans ce domaine, la question se posera bien souvent avant l’achat en VPC, alors qu’elle ne se posera qu’après l’achat en vente de proximité.

Le e-commerce réduit la chaîne de confiance sur un point principal, celui de la disponibilité : si un produit n’est pas disponible, il est supprimé de l’offre. C’est un avantage non négligeable, qui allège la gestion des ruptures de stock, et donc la charge de la prévision. Par ailleurs, le catalogue peut évoluer en temps réel, ce qui permet de maintenir sa crédibilité. La prise de commande est également simplifiée. La commodité de la saisie/transmission de cette commande est quasi parfaite. Reste la partie confiance dans les moyens de règlement, sur laquelle nous allons revenir. Les autres points de la chaîne de confiance sont identiques à ceux relevés pour la VPC.

La logistique : le maillon faible

La VPC dépend pour beaucoup du transporteur. Cet intervenant détient une part très importante dans la réussite de l’acte de vente à distance. Or la livraison des particuliers est un métier difficile, pour plusieurs raisons. Un transporteur doit livrer un petit nombre de colis à beaucoup d’adresses différentes : il doit donc faire beaucoup de kilomètres pour un niveau de facturation faible. Un livreur est confronté à des problèmes de manutention des colis encombrants (livrer une machine à laver à un appartement situé au 3ème étage sans ascenseur), d’accessibilité des destinataires (rues étroites voire inaccessibles en camion), de disponibilité des destinataires (présence du destinataire au domicile pour recevoir la livraison) et de gestion des retours (pour les colis non livrés mais non réclamés). Tous ces problèmes n’existent pas ou sont très atténués dans la livraison aux entreprises.

Dans un contexte de croissance, donc de forte activité industrielle, le transporteur fait la fine bouche. Il sélectionne son type de destinataire (pas de livraison aux particuliers), la marchandise transportée (pas de colis lourds ou encombrants). Actuellement, les acteurs de la vente à distance rencontrent de grandes difficultés pour trouver des transporteurs fiables, qui acceptent de livrer le particulier. Il en existe bien sûr, mais l’offre est relativement réduite. La conséquence de cette offre réduite, ajoutée aux effets économiques de la réduction du temps de travail, de la hausse du prix du gazole et de la pénurie de chauffeurs de poids lourds, est une augmentation générale des prix du transport (+ 20 % en 2000 pour la seule livraison par messagerie). Le e-commerce n’échappe pas à cette dure réalité.

Le e-commerce, une nouvelle opportunité de développement pour la vente à distance

Une relation client plus personnalisée

Pouvoir s’adresser au client chez lui, dans la tranquillité de son salon, les pieds dans ses pantoufles, est un point fort de la VPC. C’est un avantage concurrentiel de ce circuit de vente. L’internet permet en plus de vraiment personnaliser cette relation, en répondant de façon adaptée aux attentes du consommateur en ligne. L’avantage marketing est évident, mais l’internet apporte également une valeur ajoutée sur le plan du customer care (le fait de prendre soin de son consommateur).

Sur le plan pratique, le consommateur peut bénéficier d’avantages fonctionnels comme le suivi jour après jour de l’expédition, le rendez-vous avec l’installateur ou avec le réparateur, le cheminement de la pièce détachée qu’il attend. Le e-commerce bénéficie là d’un avantage concurrentiel intéressant.

La sécurité des paiements

Le e-commerce bénéficie maintenant de plusieurs années d’expérience dans le domaine des paiements en ligne. Nous pouvons l’affirmer aujourd’hui, la sécurité des paiements n’est pas et n’a jamais été un problème aigu. Il y a bien sûr des dispositions à prendre afin d’assurer une sécurité maximale dans ce domaine, comme pour les autres modes de paiement, mais, en France en particulier, le consommateur est très protégé en matière de vente à distance. Tous les vépécistes

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ayant pignon sur rue ont un contrat avec leur banquier qui garantit, en cas de réclamation, le remboursement du client par le vendeur. Je conseillerais donc plutôt aux consommateurs d’être extrêmement prudents dans l’utilisation de leur carte bancaire en dehors du e-commerce. Lors de la réservation d’un véhicule de location, d’un hôtel ou d’un restaurant, donner oralement ou par écrit son numéro de carte – pire, se séparer un instant de sa carte – peut avoir des conséquences douloureuses.

Quand elles existent, les difficultés sont donc plutôt au niveau des entreprises vépécistes elles-mêmes, qui doivent verrouiller leur site au maximum pour éviter les utilisations frauduleuses de cartes volées, ce qui est assez facile, et de numéros de cartes « empruntés », ce qui est plus délicat. Sur ce point, des progrès restent à faire tant au niveau technologique (puce électronique, signature électronique) qu’au niveau des protocoles de contrôle mis à la disposition des entreprises de vente à distance.

Un impératif : la maîtrise du système d’information

Dans certaines organisations, on confie le développement du site internet au département Communication, probablement parce que l’internet est d’abord perçu comme un media, avant d’être perçu comme un canal de vente.

C’est probablement une erreur, car l’internet est un media interactif. La relation client, dans tous les actes de la vie de l’entreprise, y compris la prospection, passe par un système d’information efficace. L’internet doit donc être fortement intégré au système d’information de l’entreprise et le site internet faire partie de ce système d’information. Faire du e-commerce demande de maîtriser les liens avec le système de fichiers de l’entreprise, l’architecture du site, les techniques de la vente à distance, la communication et le marketing, la création graphique et l’ergonomie du média. Toutes ces fonctions nécessitent une forte imbrication à l’intérieur du système d’information de la société. Le e-commerce partage cette caractéristique avec la VPC.

L’acquisition de notoriété

En matière d’acquisition de notoriété, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. En dehors de rares start-up (Amazon) qui ont pu bénéficier d’un important battage médiatique gratuit, le prix à payer pour cette notoriété est très élevé. Les moteurs de recherche n’y changeront rien : on ne vous trouvera pas si votre nom de domaine est inconnu, à quelques exceptions près, pour quelques niches. Certes, les grands vépécistes ont plus de facilité pour s’imposer sur l’internet mais toute société connue, capable d’assurer une cohérence entre ses canaux de vente directs et indirects, peut se lancer dans le e-commerce. Elle tirera rapidement les dividendes de sa notoriété en matière de fréquentation.

Des médias complémentaires pour un même métier : la vente à distance

En première conclusion, je crois que le média internet présente assez peu de différences avec les autres médias de la vente à distance. Le e-commerce est de la VPC plus facile, plus temps réel, plus personnalisée. D’après une étude du Crédoc parue en septembre 20001, on constate que, comme pour les réfractaires de la VPC, 50 % des consommateurs sont réfractaires à l’achat d’un produit ou d’un service sur l’internet. Mais en fait, il ne s’agit pas des mêmes consommateurs. On compte 19 % de personnes réfractaires à l’achat sur l’internet mais habituées à la commande VPC par courrier, minitel ou téléphone. À terme, ces 19 % seront, on le pressent, assez faciles à convaincre. D’où ma seconde conclusion : le e-commerce permettra certainement le recrutement de nouveaux consommateurs pour la vente à distance, et lui assurera un nouveau développement.

1. A. Couvreur, J-P Loisel, « La consommation à la fin 1999 - Les Français et le commerce électronique », Crédoc, Collection des cahiers de recherche n° C143, septembre 2000.

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LE E-LOGISTICIEN, ACTEUR-CLÉ DU E-COMMERCE

Alain Borri Directeur e-logistique, Team on Line

Le logisticien joue un rôle important pour une entreprise classique. Ce rôle est encore plus fondamental dans le e-commerce, notamment en B2C. Qu’est-ce que la e-logistique ?

Pour moi, la e-logistique doit reprendre l’essentiel de ce qu’est la logistique. La logistique est un métier complexe. Certaines entreprises ont cru contourner le problème de la logistique en la simplifiant au maximum : constitution d’un entrepôt central, livraison des clients en 48 heures à un prix unique, prestataire logistique unique. Sur le papier, cela paraît facile mais, dans la réalité, cela ne marche pas. Avec le développement du e-commerce, on voit des sociétés créées il y a deux à trois ans évoluer dans leurs prestations logistiques. Aujourd’hui encore, les entreprises ne laissent pas aux clients le choix de leur prestation logistique. Demain, les clients auront la possibilité de choisir leur mode de livraison (rapide/lent ; livraison à domicile/livraison à un point relais) : certaines entreprises américaines ont déjà mis en place un tel système.

En guise de démonstration, nous prendrons l’exemple fictif de Monsieur Dupont et de Monsieur Durand qui souhaitent commander en ligne une caisse de Château Latour 95. Monsieur Dupont décide d’aller sur le site vins-vins.com pour acheter une caisse de 6 bouteilles de Château Latour 95. Il souhaite être livré le soir même chez lui entre 21 heures et 22 heures et il est prêt à en payer le prix. Quant à Monsieur Durand, il souhaite aussi faire l’acquisition d’une caisse de 6 bouteilles de Château Latour 95 sur le site vins-vins.com. Lui n’est absolument pas pressé (une livraison dans les 10 jours lui convient), et privilégie le prix plutôt que le délai.

Dans un cas, le service logistique désiré par le client est une prestation express garantie. Dans l’autre cas, il s’agit d’une prestation logistique sans qu’il y ait d’impératif de délai. Cet exemple simpliste correspond parfaitement à la philosophie de l’internet. L’internet c’est avant tout plus de choix, plus de services et plus d’informations. Cette notion de service ne doit pas s’arrêter au moment où l’on quitte le virtuel pour passer au réel. L’internaute ne pourra plus accepter de se faire imposer des conditions de livraison strictes.

Plus de services

La e-logistique doit proposer plus de services aux clients. Le client doit pouvoir choisir sa prestation logistique sur plusieurs critères : délai de livraison (rapide/lent) ; type de prestation (prise de rendez-vous) ; lieu de livraison (à domicile/point relais de proximité, comme cela existe depuis longtemps dans la vente par correspondance).

Le métier du logisticien est complexe. Le logisticien doit maîtriser le stockage et la préparation des commandes, le transport et la gestion de l’information.

Le stockage

Au niveau de l’entrepôt, la préparation des commandes se fait en plusieurs étapes : picking (sélection des objets dans un stock en vue de préparer une commande), assemblage, cross-docking (regroupement sur une plate-forme de plusieurs colis issus de plusieurs entrepôts ou de plusieurs fournisseurs). Tous ces métiers nécessitent un savoir-faire pointu, que tout le monde ne maîtrise pas. L’administration des ventes (facturation, relance) nécessite également beaucoup de soin.

Le transport

Il n’existe pas de transporteur « polyvalent », qui livre tout type de colis, pour tout type de délais, dans tout endroit de la planète. Les entreprises doivent donc faire appel à plusieurs logisticiens, qui font chacun une partie du métier.

La livraison à domicile est un métier à part entière. Messager, qui traite 160 000 colis par jour, a un outil de production conçu davantage pour le B2B que pour la livraison aux particuliers. Si Messager ne livre pas les particuliers, ce n’est

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pas parce qu’il ne le veut pas mais parce que son outil industriel ne le lui permet pas. Les chauffeurs, par exemple, partent seuls : or, pour livrer un divan, il faut être deux.

La gestion de l’information

Avec la commande sur l’internet, on peut recueillir beaucoup d’informations à la prise de commande. Le e-marchand doit inciter son client à donner tous les renseignements qui permettront au chauffeur de livrer correctement : précisions sur l’adresse, existence d’un ascenseur, présence d’un digicode, etc.

Une fois la commande passée, le logisticien doit savoir piloter toutes les informations, aux différentes étapes du processus de livraison, aussi bien au niveau de l’entrepôt que pendant le transport : il doit être capable de prévenir le destinataire et le service après-vente du e-marchand de toute anomalie dans les délais.

Lorsque la commande est livrée, le logisticien doit apporter la preuve de livraison, c’est-à-dire la preuve que le client a été livré et qu’il est satisfait.

Enfin, la gestion de l’information peut servir à établir des statistiques, pour améliorer la prestation d’ensemble, du logisticien, du marchand voire du destinataire.

Fluidité et partage de l’information

L’information doit circuler entre l’expéditeur, le destinataire et l’acteur logistique sans être déformée. Au niveau de l’expéditeur et du destinataire, on parle de commandes ; au niveau de l’entrepôt, de bons de livraison ; au niveau du transporteur, de numéros d’expédition… Même si chacun a sa propre traçabilité en interne, dans son propre système d’information, il est difficile de faire le lien entre tous les systèmes.

En synthèse, la e-logistique doit donc proposer plus de services, ce qui implique plus d’acteurs, tout en assurant une fluidité et un partage de l’information.

Le webmarchand peut traiter avec plusieurs prestataires logistiques (entrepôt, transporteur), il peut s’appuyer sur des points de vente ou des points relais, il peut s’appuyer sur des fournisseurs (livraison directe fournisseur-client sans passer par un entrepôt).

Au niveau du back-office, le webmarchand a besoin d’avoir les informations suivantes, ne serait-ce que pour pouvoir renseigner son client lorsque celui-ci appelle :

• au niveau de la prise de commande La commande est renseignée par le client internaute. Jusque là, cela ne pose pas de problème. Derrière, il faut s’assurer que l’article commandé est bien en stock, car son absence aura une incidence sur le délai de livraison.

• au niveau du paiement Il faut s’assurer que le paiement est validé (il intervient souvent en deux fois).

• au niveau de la circulation de l’information Il faut donner ces instructions aux différents prestataires (le préparateur et le transporteur) et faire remonter les informations relatives aux événements survenus au niveau de la préparation ou du transport.

Aux États-Unis, Wal-Mart a réussi à améliorer le service au client et à distancer la concurrence, grâce à la mise en place de cette boîte noire logistique de système d’information. Ce besoin d’information partagée est porté à son paroxysme avec le e-commerce B2C.

La traçabilité est importante mais il est aussi important d’agir en temps réel, d’anticiper, de contrôler.

Qui seront les grands acteurs de la e-logistique demain ?

Qui dit plus de services logistiques dit obligatoirement des prestataires logistiques d’un nouveau type. Qui seront les grands acteurs de la e-logistique demain ? Des prestataires logistiques vont-ils s’appuyer sur leur métier de base, la

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gestion des flux physiques, pour évoluer vers plus de services et piloter l’ensemble avec un système d’information très puissant ? Le groupe français de logistique et de transport Géodis, la poste allemande et la poste hollandaise ont ainsi constitué des conglomérats regroupant plusieurs sociétés. Sur le papier, cela peut paraître simple mais, dans la réalité, faire travailler ensemble plusieurs prestataires qui étaient souvent concurrents auparavant n’a rien d’évident. Cependant, certains grands groupes ont choisi cette voie.

Ou bien, des sociétés spécialisées dans les systèmes d’information non propriétaires et capables de travailler avec tout type de prestataires, vont-elles émerger et s’imposer ? Le groupe Mory a pris cette option, en créant il y a six mois Team on Line. Au préalable, il a analysé le besoin. La question était : faisons-nous quelque chose tous seuls, un outil propriétaire, un système d’information limité à nos propres prestations qui ne sont pas universelles ? Par exemple, nous ne savons pas livrer le Japon en 24 heures ; dans ce cas, nous devons passer par un prestataire différent. Si nous ne sommes pas interconnectés avec lui, des problèmes peuvent se poser. Autre exemple : des grands groupes, tels la CAMIF, ne travaillent pas qu’avec nous. Leur proposer un système d’information qui ne traiterait que 20% de leur activité logistique ne semble pas la bonne idée. Il est plus pertinent de créer une structure indépendante, dans laquelle nous participerions, en choisissant un prestataire informatique chargé de mettre en place la solution du point de vue technique. Voilà pourquoi le groupe Mory a créé Team on Line.

Team on Line offre un pilotage des systèmes d’information logistique à toute entreprise, qu’elle pratique le B2C ou le B2B, qu’elle soit grande ou petite. Je prendrai l’exemple de ce que nous avons accompli avec une société du groupe France Télécom, Riding Zone.com, qui vend des produits autour de la glisse. Cette entreprise vend ses références sur l’internet, références qui sont stockées dans un entrepôt central, mais elle s’appuie aussi sur un réseau de boutiques (enseigne Quai 34), qui livrent les destinataires. Supposons que le client commande deux produits sur le site Riding Zone : un surf et une paire de lunettes. Nous contrôlons les stocks : nous sommes capables de dire si les produits sont disponibles ou pas. Le paiement s’effectue par carte bancaire et est validé. Derrière, nous pilotons l’information : les instructions sont envoyées, pour le surf, vers le magasin Quai 34 le plus proche du destinataire et, pour la paire de lunettes, vers l’entrepôt central Alapage. Le magasin et l’entrepôt préparent chacun leur commande. Nous récupérons les informations de la boutique la plus proche du destinataire et de l’entrepôt central. Nous constituons une traçabilité, pour le service client de Riding Zone mais aussi pour le destinataire. Nous envoyons un e-mail au destinataire sur le suivi de sa commande, ce qui permet de le rassurer. Enfin, le transport est assuré pour la messagerie par Mory et pour les petits colis par La Poste. Si demain, Riding Zone veut vendre ses produits à l’étranger, nous pourrons faire rentrer d’autres transporteurs dans le système.

Nous croyons davantage à des acteurs spécialisés dans le pilotage de systèmes d’information qu’à des conglomérats de prestataires logistiques, faisant tout, du conseil jusqu’à la livraison aux particuliers, avec un pilotage du système d’information complet.

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DÉGRIFTOUR OU LA RÉUSSITE D’UNE AGENCE DE VOYAGE VIRTUELLE

Pierre Alzon Directeur général, Dégriftour

Le rapprochement Dégriftour/Lastminute.com

En août 2000, Dégriftour a rejoint le groupe Lastminute.com. Grâce à ce rapprochement, nous sommes devenus le leader européen dans le e-commerce B2C. La taille, la puissance d’achat et la puissance de délivrance auprès de la clientèle étant fondamentales sur ce marché, ce rapprochement nous permet de viser un développement européen beaucoup plus important.

La prestation de service délivrée auprès de la clientèle s’appuie sur deux grands savoir-faire : l’activité tourisme/voyages et l’activité loisirs, spectacles, restaurants, cadeaux.

L’activité tourisme/voyages

L’agence de voyage en ligne qu’est Dégriftour s’appuie à l’origine sur la vente d’invendus du tourisme. Dans les années 1990, nous avions énormément de croisières. Avec la guerre du Golfe, le marché a été divisé par 10. Que faisions-nous des 1 500 cabines en stock, départ dans deux mois, dont peu de personnes voulaient à l’époque ? Il n’y avait pas de moyen alternatif de distribution, aucune capacité à animer un marché, à gérer un produit frais dans l’univers du voyage, si ce n’est un réseau électronique (minitel à l’époque) en termes d’outil de transaction. Nous avons tenté le pari, et cela a réussi. Depuis, l’entreprise s’est développée sur l’offre de services touristiques à tarifs négociés en direct (désintermédiation) et à prix normaux.

L’activité loisirs, spectacles, restaurants, cadeaux

Lastminute.com a une offre de services plus large que les voyages : loisirs, spectacles, restaurants (que nous avions en toute petite proportion chez Dégriftour) et tout l’univers du cadeau et des fêtes. Ceci nous donne une offre de services nous permettant de toucher plus facilement le consommateur au quotidien. En effet, le tourisme n’est lié qu’à deux ou trois actes de réservation/achat dans l’année, ce qui est peu pour fidéliser le client sur le long terme.

Une agence de voyages électronique dès l’origine

Dans cette présentation, je me focaliserai sur l’univers du voyage, que je connais mieux.

Dégriftour a été lancée en 1991. Dès le départ, elle a été une agence de voyage 100 % électronique. Le nom de l’entité juridique est « Voyages sur mesure ». En fait, nous ne faisons absolument rien sur mesure. Mais cela reste clairement l’objectif final du service on line, qui permettrait d’offrir une prestation totalement personnalisée.

Nous avons commencé par vendre des services simples : billets d’avions d’abord, puis hôtellerie, locatif ensuite et enfin packages. Nous avons progressivement appris à construire des offres de plus en plus complexes.

Au début, les tour-opérateurs nous donnaient des offres de séjour tout compris à déstocker. Puis, dans les années de crise de 1993-1994, les tour-opérateurs ont réduit leurs engagements et ont eu moins de produits frais invendus. Mais, dans la chaîne complexe d’intermédiation du tourisme, ce n’est pas parce que le grossiste n’a plus de stock que les producteurs d’origine n’en ont plus non plus : les compagnies aériennes avaient toujours leurs avions et les chaînes hôtelières leurs hôtels. Les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières nous ont donc proposé directement leurs

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places d’avions et d’hôtels. Nous avons commencé à apprendre un métier nouveau, l’assemblage on line de prestations touristiques plus complexes.

Le marché de la vente à distance de voyages a toujours été très concurrentiel, du moins à notre échelle. Notre principal concurrent est Nouvelles Frontières. Nouvelles Frontières a toujours clamé haut et fort qu’ils avaient la première agence électronique minitel, c’est vrai. Nous l’affirmons également, ce qui est vrai aussi ! En fait, nous nous sommes spécialisés dans cette prestation dès le départ. Je crois que la spécialisation est très importante pour savoir ce que l’on veut faire. Bien sûr, la stratégie multi-canal dans l’ensemble global de la vente à distance est extrêmement importante. Une marque déjà existante dans le monde réel a des avantages considérables pour utiliser à bon escient un canal de distribution supplémentaire comme l’internet aujourd’hui. Mais dès le départ, nous avons fait le choix de la transaction électronique. Au début, nous avons également testé la vente par téléphone et la vente en boutique, mais ces modes de distribution se sont avérés incompatibles avec les impératifs de rapidité, de conseil, de fourniture de service et de délivrance de la prestation que nous avions en ligne de mire, surtout dans le contexte des invendus de dernière minute. Si nous nous sommes rapprochés de Lastminute.com, le concept de départ reste inchangé : offrir des solutions simples pour des besoins complexes, à la dernière minute.

Au départ, personne ne misait un franc sur la capacité de vendre du voyage en ligne à cette époque. Notre démarche commerciale a été à 90 % tournée vers nos fournisseurs alors que la clientèle a réagi immédiatement. L’effet pionnier dans la prestation de service a été un moteur constant de la croissance.

Le chiffre d’affaires de l’internet en France en B2C a atteint 1,3 milliard de francs en 1999, dont 47 % pour la vente de voyages. Dégriftour, avec 280 millions de francs de chiffre d’affaires réalisé sur l’internet, avait 48 % de part de marché du voyage on line. Les grands acteurs brillaient par leur absence. Mais, depuis, la concurrence s’est réveillée : de grands acteurs se sont lancés sur le marché. Cela dit, la progression du chiffre d’affaires internet de Dégriftour suit la progression du chiffre des ventes en B2C (multiplication par 2 voire 3). Aujourd’hui, les ventes internet représentent plus de 80 % de notre volume d’affaires. Le média internet rentre dans les mœurs en France. Au demeurant, je ne fais pas de différence entre l’internet et le minitel : le client a besoin d’une prestation de service qui doit être délivrée de manière fiable, sûre et rapide et c’est lui qui choisit son moyen d’accès (téléphone, wap, télévision interactive, internet, etc.).

Le client type : un citadin aisé, pressé et technophile

La typologie de clientèle de Dégriftour correspond à la typologie de clientèle de l’internet au sens large : des personnes qui ont un fort pouvoir d’achat, qui ont une forte autonomie dans leur vie quotidienne pour décider de leurs loisirs, qui sont dynamiques, plutôt urbaines, qui n’ont pas le temps de faire des courses et qui sont dans un environnement technologique familier. L’interactivité fait partie de leur quotidien. Le minitel, qui existe en France de longue date, a permis à la société française de se familiariser avec cette notion d’interactivité : c’est ce qui fait la grande force du marché français. Aujourd’hui, le comportement des clients est à peu près le même quel que soit le canal utilisé. Il y a quelques années, au tout début de l’internet, le dossier moyen était un peu plus élevé, car acheter sur l’internet était alors un comportement élitiste. Cela n’est plus vérifié aujourd’hui.

Compétence et métiers

En termes de savoir-faire, Dégriftour n’est pas qu’une agence de voyages. Elle possède également des compétences en :

• vente par correspondance (merchandising on line, impact sur la logistique) Même si la prestation est dématérialisée, il faut s’assurer que le client arrivera à la bonne heure, pour le bon avion. Car une fois que cet avion a décollé, plus rien ne peut être géré, pas même un retour.

• édition en ligne Nous nous attachons à donner au client une information fraîche, transparente, vérifiée, validée. À mon sens, l’emphase mise sur la qualité de l’information délivrée au client est la clé de voûte de la confiance du consommateur. Nous essayons d’entretenir cette confiance en permanence, car elle n’est jamais acquise. Cela impose un travail au quotidien, qui doit s’améliorer sans cesse.

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• informatique L’équipe informatique de Dégriftour est conséquente pour une agence de voyages. Ce sont des investissements lourds, pour un système qui doit évoluer en permanence.

Dégriftour emploie 300 personnes dont :

• 170 agents de réservation ;

• 50 acheteurs ;

• 40 informaticiens ;

• 40 administration/direction.

Une politique de développement guidée par quatre mots : prix, produits, contenu, confiance

La stratégie de développement de Dégriftour repose sur quatre piliers :

• agressivité sur les prix Dans le monde on line, soit vous offrez des produits exclusifs reconnus par le marché, que vous pouvez donc vendre au prix que vous voulez – mais ces situations sont rares –, soit vous êtes sur un marché standard qui mûrit, et vous devez rapidement faire face à une concurrence vive : la recherche de la compétitivité des prix est donc essentielle.

• large choix de produits Dans le monde électronique, il faut offrir un large choix de produits, même si 80 % des ventes se font sur 20 % des produits. Au demeurant, le coût de mise en ligne d’un produit est tellement faible que l’on ne voit pas pourquoi on priverait le consommateur du sentiment de confort que lui procure un choix étendu de produits.

• richesse du contenu Un site internet est froid. Une page d’écran n’offre pas la chaleur de la relation avec un vendeur. Cette froideur doit être compensée par la richesse des informations. Cela ne signifie pas investir des milliards de francs dans de nouveaux guides on line. Il faut arriver à trouver la juste mesure du discours vendeur et professionnel qui apporte la reconnaissance par le consommateur de la valeur ajoutée du prestataire en ligne.

• confiance Ces trois éléments contribuent à inspirer confiance au consommateur : il s’agit de lui faire ressentir qu’il est bien au bon endroit.

Notre stratégie de développement s’appuie sur les éléments suivants :

• un sourcing permanent de l’offre 90 % de notre effort commercial est tourné vers les fournisseurs.

• une politique d’alliances commerciales Ces alliances commerciales nous permettent d’élargir l’offre et le contenu.

• early move Une très forte proactivité sur les fonctionnalités que l’on peut offrir au consommateur est indispensable. Il ne s’agit pas de se lancer tête baissée sur tout ce qui est nouveau. Mais être capable de s’inscrire très tôt dans une tendance profonde permet d’avoir le meilleur retour en notoriété vis-à-vis du client. Si l’on rate un tournant, il faudra le compenser par des budgets de communication très élevés.

• une veille technologique permanente Cette proactivité nécessite une veille technologique permanente.

• une forte réactivité Quand on s’est trompé, il faut corriger le tir très vite. Pour moi, la réactivité n’est pas une preuve d’intelligence mais un réflexe de survie.

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Enfin, il ne faut jamais oublier que le e-commerce est d’abord du commerce.

Les règles du jeu de l’internet

Ces règles du jeu résultent de notre expérience acquise au fil des années.

La recherche de l’excellence

Sur l’internet, la transparence de l’offre est maximale.

Par ailleurs, la désintermédiation est constante, au moins dans les fantasmes de nos partenaires. Grossistes, producteurs, distributeurs, hôteliers… tous rêvent d’avoir la maîtrise du client final. À nous de démontrer la valeur ajoutée de l’intermédiaire que nous sommes. Dans quelques années, il n’y aura plus que deux ou trois intermédiaires de référence dans l’industrie du tourisme contre 500 aujourd’hui. Bien sûr, nous avons l’ambition d’être dans les trois premiers, voire le premier.

Enfin, la pression sur les marges est constante.

Par conséquent, la vente sur l’internet est le domaine de l’excellence : il faut arriver à concilier en permanence service, qualité, prix, choix, etc.

Un investissement permanent

Dans le monde de l’internet, la fidélisation du client n’est jamais acquise. Le client on line est fondamentalement un zappeur. La principale motivation des premiers utilisateurs de l’internet était ludique. Pour eux, acheter sur l’internet était comme jouer au casino : « est-ce que ça va marcher ? ». Ces premiers utilisateurs ont montré que ce mode d’achat fonctionnait et ont attiré à leur suite une masse de clientèle séduite par le côté pratique de l’internet. Mais les premiers acheteurs en ligne se lassent très vite des sites qui ne bougent pas assez. Ils aiment tester les nouveautés, c’est pourquoi ils sont zappeurs. Cette clientèle n’est pas très nombreuse mais est grosse consommatrice : il est difficile de la fidéliser, d’autant que la concurrence est très vive. Les prochains mois seront difficiles, financièrement parlant, pour un certain nombre d’acteurs, ce qui va calmer le jeu ; mais aujourd’hui, cette donne est à prendre en compte.

Deuxième élément, le hasard n’a aucun rôle dans la vente en ligne. La boutique a une zone de chalandise : un client peut passer par hasard devant une boutique et y rentrer. Ce n’est pas le cas sur l’internet. Personne n’arrive par hasard sur un site. C’est la notoriété globale qui draine les consommateurs vers un site plutôt qu’un autre. Les affiliations, dont on a beaucoup parlé, aident à créer de la notoriété mais je ne suis pas certain qu’elles aident à développer les marges et la notoriété à long terme. Il faut trouver un équilibre. Pour ma part, je crois beaucoup à l’emphase donnée aux communications traditionnelles, et notamment au bouche à oreille, de deux manières : le bouche à oreille de client à client et le bouche à oreille en terme de relation médias (nouvelles fonctionnalités données au client). Le « marketing viral » joue énormément sur l’internet. C’est un phénomène à double tranchant : si vous n’êtes pas bon, cela se sait aussi très vite.

Enfin, les sites deviennent rapidement obsolètes : il faut donc se remettre en cause en permanence. Il ne s’agit pas de tout chambouler sans cesse mais de donner une progressivité dans l’investissement et dans la perception que le client va avoir de votre évolution.

Pour les marchés export, adapter l’offre aux cultures locales

Le tourisme est dématérialisé. D’une part, nous sommes une agence française, nous avons des produits France très importants, pourquoi ne pas les proposer à l’étranger ? D’autre part, au travers de l’alliance avec Lastminute.com, nous allons transposer le savoir-faire de vente en ligne de prestations touristiques dans différents pays, à marche forcée.

Les investissements technologiques et marketing que nous avons consentis ne peuvent s’amortir que sur de grandes échelles. Pour être un acteur significatif, il est nécessaire de jouer sur un marché international. Cela est complexe car la

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demande de tourisme diffère selon les cultures : on ne peut pas vendre le même voyage à un Français, un Italien ou un Allemand. Les contraintes culturelles et locales sont très fortes. De plus, les différences tarifaires sont très importantes, même entre pays européens. Un siège d’avion Paris-New York ne sera pas vendu au même prix en France et en Belgique. Le fort morcellement des marchés impose d’adapter l’offre et les tarifs, pour être reconnu comme un acteur local sur ces marchés internationaux.

La sûreté du paiement en ligne

Je soutiens ce qu’a dit Monsieur Martinez : il n’y a pas de problème de paiement en ligne. Nous-mêmes avons démarré très tôt : dès 1994, nous avons fait notre propre connexion aux banques. De plus, dans le tourisme, la loi nous oblige à traiter le paiement à partir du back-office, quand toute la chaîne amont de la commande a été validée.

L’acquisition d’un moyen de paiement détourné ne se fait pas en ligne. Le détournement de cartes et de titres de paiement peut se produire dans la vie courante, dans un bar, à un péage, etc., pas lors d’une transaction sur l’internet. En revanche, le paiement en ligne facilite l’utilisation frauduleuse de titres de paiement récupérés malhonnêtement. Pour y remédier, nous disposons de deux garde-fous. Premièrement, le vendeur en ligne doit savoir détecter l’usage frauduleux de titres de paiement, d’autant plus que c’est lui qui porte le risque. Deuxièmement, le consommateur est bien protégé, particulièrement en France. Depuis longtemps, un contrat de vente à distance a été mis en place entre les acteurs de la vente par correspondance et les banques. Il incombe au fournisseur de prouver la malversation lorsque le consommateur porte plainte. Un certain nombre d’acteurs du commerce en ligne contribuent d’ailleurs activement à la recherche des fraudeurs en collaborant avec les pouvoirs publics.

La logistique : vers le e-ticket

Nous avons la chance de posséder un produit dématérialisé, le voyage. Mais ce n’est pas le cas du billet d’avion – du moins, pas encore. De surcroît, nos contraintes sont plus grandes du fait que nous effectuons des réservations de dernière minute. En effet, plus de la moitié de nos ventes sont effectuées à moins de sept jours du départ. Nous devons nous efforcer de fournir une prestation zéro défaut. De plus, nous sommes dans l’obligation de cesser les ventes à J – 1 pour les départs de Paris et à J – 3 pour les départs de province. Cette disposition s’avèrera nécessaire tant que le billet d’avion ne sera pas dématérialisé. Le e-ticket est actuellement en cours d’expérimentation et de déploiement. Toutefois, seules trois compagnies aériennes expérimentent cette nouveauté en France. Le mouvement s’accélère néanmoins.

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Net-économie 71

NET-ÉCONOMIE

Jean-Philippe Lesne Conseiller scientifique de la direction des statistiques d’entreprises, Insee

Le Professeur Danny Quah, de la London School of Economics and Political Science, ne peut être présent à cette manifestation. Il m’a demandé de transmettre ses excuses et ses regrets. Il aurait aimé participer à notre réunion pour présenter l’état de ses travaux sur la nouvelle économie qu’il qualifie de « weightless economy ».

Au cours de cette session, nous assisterons à l’exposé du Professeur Alain Rallet, professeur d’économie à l’université de Paris Sud. Alain Rallet est reconnu pour ses travaux sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Il est également chercheur au centre IRIS (Institut en recherche interdisciplinaire en socioéconomie) de l’université de Paris Dauphine. Grâce à son exposé, il nous aidera à mieux cerner la notion de commerce électronique. Ses réflexions, loin d’être purement académiques, nous obligent à nous interroger sur le commerce électronique et nous poussent à revoir nos idées reçues.

Les deux exposés suivants nous permettront d’élargir le débat au-delà du strict champ du commerce électronique. Luc Soete, de l’université de Maastricht, est directeur du MERIT (Maastricht Economic Research Institute on Innovation and Technology), organisme qui se consacre essentiellement à l’analyse économique des innovations technologiques. Il a réalisé de nombreux travaux théoriques et empiriques sur l’impact des nouvelles technologies sur la croissance et sur leurs conséquences en termes de politique économique. Son objectif ne sera pas de nous présenter une vision unifiée des nouvelles technologies, tant ce secteur continue d’être mouvant. Nous tenterons néanmoins de clarifier certains points et de voir quelles sont les spécificités des innovations récentes, en resituant le débat dans une perspective plus large, aussi bien sur le plan historique que sur le plan sociologique voire philosophique.

Enfin, Martin Brookes a été économiste à la Banque d’Angleterre pendant six années. Il dirige désormais le département d’économie de la banque d’affaires Goldman Sachs. Je le remercie infiniment d’avoir accepté de remplacer Danny Quah au pied levé. Martin Brookes étudie également l’impact des nouvelles technologies dans notre société, en particulier dans le domaine économique. Au cours de son exposé, il évoquera notamment l’impact des TIC sur la productivité et sur les prix et il présentera une comparaison de ces différentes mesures à l’échelle internationale.

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Net-économie 75

LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE ET L’ÉVOLUTION DES MODÈLES DE DISTRIBUTION ET DE PRODUCTION

Alain Rallet Professeur d’économie, ADIS Université de Paris Sud

En matière de commerce électronique, l’attention des économistes s’est surtout portée sur les transformations apportées au fonctionnement des marchés, la question centrale étant celle de l’efficience des marchés électroniques relativement à celle des marchés traditionnels (Bailey, Smith et Brynjolfsson (1998), Brynjolfsson E. & M.D Smith (1999), Varian H.R. (1999), etc.). On cherche ainsi à savoir si le commerce sur l’internet fait baisser les prix et réduit leur dispersion, accroît ou diminue les asymétries informationnelles. On s’interroge sur le développement à grande échelle de certains types et procédures de marché (les marchés de consommateurs à consommateurs, les divers types d’enchères, etc.). On se demande également où se crée la valeur sur ces marchés et quels sont les acteurs économiques susceptibles de se l’approprier.

Sans négliger l’intérêt de ces phénomènes et de ces questions, nous pensons que la technologie ne change pas tant que cela la nature et le fonctionnement des marchés. Après une première période d’effervescence où les mille potentialités de la technologie paraissent refonder radicalement l’économie, on finit par redécouvrir que les marchés reposent sur des principes d’organisation et des mécanismes économiques relativement indépendants de leurs supports technologiques.

Il nous semble qu’il faut plutôt regarder dans une autre direction pour saisir les transformations possibles induites par le commerce électronique. Ces transformations ne portent pas seulement sur le fonctionnement des marchés mais plus largement sur l’organisation industrielle, c’est-à-dire sur les relations entre production et marché ainsi que sur l’organisation de la production. Plus précisément, l’hypothèse est que le B2C (Business-to-Consumer) – bien qu’il ne représente et ne représentera qu’une faible part du commerce électronique – et l’établissement d’un nouveau type de relation au client final (CRM, Customer Relationship Management) peuvent impulser des transformations en amont du marché final, dans les relations interentreprises et l’organisation de la production.

Pour commencer, on s’interroge sur la catégorie de commerce électronique. Elle prête à confusion car elle implique une distinction entre un commerce qui serait électronique et un autre qui ne le serait pas. Dans ce cadre, le commerce électronique est assimilé à l’émergence de nouveaux marchés. C’est bien pourquoi on cherche à le mesurer car on tiendrait alors un indicateur de modernité d’une économie. Or, il y a davantage de sens à parler d’électronisation des fonctions commerciales que de commerce électronique. C’est en effet l’ensemble du commerce qui est affecté et pas seulement l’émergence d’un commerce spécifique qui serait le commerce électronique.

On examine ensuite quels effets l’électronisation de certains aspects de la relation au client final peut avoir sur les modèles de distribution et de production. Cinq modèles sont distingués : le modèle de la vente par correspondance, le modèle de l’agence, le modèle de la grande distribution, le modèle « Amazon » et le modèle de l’assembleur ou modèle « Dell ». On examine la portée de chacun de ces modèles.

1. Du commerce électronique à l’électronisation du commerce

On connaît la difficulté à définir le commerce électronique et, partant de là, à le mesurer. Il faut ici rappeler cette difficulté de façon à préciser la conception que nous avons du commerce électronique et tout particulièrement les raisons pour lesquelles il serait raisonnable d’abandonner cette notion pour analyser le phénomène sous-jacent.

La difficulté tient à un double problème : il faut en délimiter le domaine, il faut en définir les critères distinctifs.

1.1. Les domaines d’activités du commerce électronique

Partons d’une première définition, vague mais commode, du commerce électronique : des activités commerciales impliquant l’utilisation de technologies de l’information et de la communication (TIC). On se trouve confronté en premier lieu à un problème de délimitation du champ d’observation : quelles sont les activités considérées ?

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Insee Méthodes 76

Ce problème est décliné en 3 grandes questions :

• toutes les activités relatives au commerce électronique sont-elles du commerce électronique ?

• quels types de réseaux supports sont pris en compte ?

• quels types de marché sont pris en considération ?

Des réponses ont été abordées à ces trois questions.

1.1.1. Toutes les activités relatives au commerce électronique sont-elles du commerce électronique ?

On sait que les définitions les plus larges englobent les activités liées à l’infrastructure de réseau, matérielle et logicielle, qui sous-tend le fonctionnement de l’internet : routeurs, serveurs, logiciels d’administration du réseau, plate-formes logicielles pour le commerce électronique, etc. Une telle définition a l’avantage de présenter le commerce électronique comme une activité ayant d’ores et déjà un poids économique important puisqu’une grande partie de l’industrie informatique et télécoms y est incluse. Elle a l’inconvénient de compter l’infrastructure nécessaire au commerce électronique comme une composante de ce commerce et de fausser ainsi les comparaisons avec le commerce dit traditionnel.

Pour mieux cerner le « commerce électronique stricto sensu », la méthode consiste à décomposer le « commerce électronique au sens large » en plusieurs niveaux ou couches.

L’U.S. Census Bureau décompose ainsi « l’économie électronique » en 3 niveaux : l’infrastructure de l’e-business, l’e-business ("any process that a business organization conducts over computer-mediated network channels"), l’e-commerce ("any transaction completed over a computer-mediated network that involves the transfer of ownership or rights to use goods or services") (Mesenbourg, 2000).

La décomposition en 4 couches proposée par le Center for Research in Electronic Commerce (CREC) de l’Université du Texas (cf. Barua, Pinnell, Shutter et Whinston, 1999 et The Internet Economy Indicators, http://www.internetindicators.com) est plus précise. La couche 1 est celle des activités liées à l’infrastructure de l’internet : les fournisseurs de « backbones », d’accès, d’équipements et de logiciels de réseau, de producteurs de PC et de serveurs, de vendeurs de solutions de sécurité. La couche 2 regroupe les applications internet qui rendent possible l’activité commerciale en ligne : consultants internet, applications de commerce électronique (Netscape, Microsoft, IBM, etc.), applications multimédia (RealPlayer, Macromedia, etc.), logiciels de développement du Web (Adobe, etc.), concepteurs de moteurs de recherche (Inktomi, etc.), bases de données Web (Oracle, IBM, etc.). La couche 3 est celle des intermédiaires qui facilitent la rencontre et les interactions entre acheteurs et vendeurs sur l’internet : organisateurs de marchés (ex : plates-formes de commerce électronique B2B), agences de voyages en ligne, courtiers en ligne, portails, publicité en ligne, comparatifs de prix, sites d’achats groupés, etc.). La dernière couche est celle du commerce proprement dit (vente de produits et de services à des consommateurs ou des entreprises sur l’internet) : commerçants électroniques (Amazon), industriels vendant en ligne (Cisco, Dell, etc.), compagnies aériennes vendant leurs tickets en ligne, services de divertissement, etc.

Cette décomposition permet de distinguer les activités relatives à la gestion du réseau internet (couches 1 et 2) de celles relatives au développement du commerce sur l’internet (couches 3 et 4). Elle est cependant difficile à mettre en pratique car ces activités sont liées entre elles et sont d’autant moins directement observables qu’elles font souvent l’objet d’une intégration verticale1.

Il convient ainsi de retenir dans le commerce électronique proprement dit les couches 3 et 4 (fonctions d’intermédiation, transactions commerciales sur les réseaux). La définition la plus stricte ne prend en compte que ces dernières.

1. Selon une estimation du CREC qui porte sur 3000 firmes basées aux États-Unis, l’économie liée au e-commerce (couches 3 et 4) représenterait en 1999 à peu près la moitié des revenus générés par l’économie de l’internet au sein des firmes basées aux États-Unis. Par ailleurs, la couche commerciale proprement dite (4) qui représente 30% de ces revenus est celle qui croît le plus rapidement (The Center for Research in Electronic Commerce (2000), http://www.internetindicators.com)

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1.1.2. Quels types de réseaux supports sont pris en compte ?

Le commerce électronique n’existe pas que sur l’internet. En dehors du cas particulier du minitel qui a représenté un support important du commerce électronique en France2, d’importants échanges marchands ne passent pas par l’internet. Ce sont la plupart des échanges interentreprises EDI. Ces échanges se sont développés sur des réseaux propriétaires aux normes de communication spécifiques et bien antérieurement à l’internet (le réseau des agences de voyage et des compagnies aériennes, les réseaux bancaires, sectoriels, etc.). Or, ils supportent la plus grande partie du commerce interentreprises et possèdent des avantages que n’a pas l’internet (sécurité des transactions, fiabilité des transmissions, etc.). La puissance de diffusion du protocole TCP/IP est telle qu’il va se généraliser aux échanges EDI mais avec des niveaux de protection et de sécurité qui imposeront des réseaux fermés (extranets).

Tous les échanges n’auront donc pas lieu sur l’internet, au sens de réseau des réseaux, ouvert à quiconque dispose d’un accès internet. Un volume important d’échanges aura lieu sur des réseaux fermés adoptant le standard TCP/IP. Les évaluations du commerce électronique doivent en tenir compte en étendant celui-ci à tous les échanges ayant lieu sur des réseaux télématiques.

L’US Bureau of Census a adopté une telle définition (cf. plus haut) en considérant les échanges marchands réalisés sur des computer-mediated networks (internet, intranets, extranets, réseaux EDI et réseaux de télécommunication), qu’ils soient ouverts ou fermés.

1.1.3. Quels types de marché prendre en compte ?

L’expression « commerce électronique » inclut généralement le commerce interentreprises (B2B, « Business-to-Business ») et le commerce entre entreprises et consommateurs finals (B2C, « Business-to-Consumer »). Il faudrait aussi prendre en compte d’autres marchés, notamment les marchés de consommateurs à consommateurs (C2C, « Consumer-to-Consumer ») et les marchés publics (B2G, « Business-to-Government » ou achats des entreprises aux administrations). Les marchés C2C (principalement des marchés d’enchères) se développent grâce à l’internet mais sont encore balbutiants. Quant aux marchés publics, ils constituent un gisement très important pour le commerce électronique grâce à leur poids économique d’une part, et à la nature du marché (monopsone) d’autre part. L’électronisation de ces marchés est en cours (mise en ligne des appels d’offre et des réponses à ces appels) mais il est rare que les transactions soient conclues sur des réseaux.

1.2. Au fond, y a t-il un sens à parler de commerce électronique ?

Une fois le champ d’activités à peu près clarifié – le commerce électronique inclut les activités relatives à l’intermédiation et à la réalisation des transactions commerciales sur tous les types de réseau et les différentes sortes de marché –, vient la question la plus difficile à résoudre : à partir de quand, au sein de ce champ d’activités, considère-t-on que le commerce devient électronique ? La question peut paraître métaphysique. Mais elle fonde la possibilité de pouvoir en parler concrètement et de le mesurer.

1.2.1. Le fétichisme de la commande en ligne

Quelle est la frontière entre commerce électronique et commerce traditionnel ?

Une transaction initiée par une visite sur un site électronique (consultation de catalogue) mais dont la commande est effectuée par courrier, réglée par envoi de chèque et distribuée par un camion doit-elle être considérée comme relevant du commerce électronique ? Plus subtil : est-ce qu’une transaction effectuée à partir d’une borne électronique au sein d’un magasin traditionnel (le billet de chemin de fer acheté sur une borne à la gare) fait partie du commerce électronique ? Plus difficile encore : est-ce que l’achat d’une œuvre musicale téléchargée sur un baladeur numérique à partir d’un ordinateur situé dans une boutique et non relié à un réseau est du commerce électronique ?

Les statisticiens (US Bureau of Census, CNIS…) proposent de retenir comme relevant du commerce électronique toute transaction qui implique un accord passé en ligne entre un acheteur et un vendeur pour transférer le droit de propriété. Ils essaient ainsi de mesurer la part des ventes en ligne dans l’ensemble des ventes. Ce critère a le mérite d’être clair. Selon lui, l’achat d’un billet de chemin de fer sur une borne électronique en gare relève du commerce électronique. Ce

2. En 1998, le minitel représentait 6 milliards de FF de chiffre d’affaires réalisé contre 2,5 milliards pour le commerce électronique sur l’internet (dont 2 milliards pour le commerce interentreprises). Source : OCDE (1998) et http://www.declic.net/francais/savoir/dossier/chiffres.htm

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n’est pas le cas en revanche de l’achat de l’œuvre musicale téléchargée sur le baladeur (l’ordinateur n’étant pas connecté à un réseau) ou, cas plus contestable, celui d’un ordinateur choisi sur un site Web mais acheté ensuite par voie téléphonique (cas fréquent).

Mais la commande électronique n’est qu’un critère parmi d’autres pour caractériser l’électronisation du commerce. Il n’y aucune raison de le privilégier à moins de ramener la transaction commerciale à un acte ponctuel d’achat/vente, vision dont les économistes ont entrepris de se détacher depuis une vingtaine d’années pour la rétablir comme un processus s’inscrivant dans une certaine durée. La décision touchant au transfert du droit de propriété n’est qu’un moment de la transaction. Il est certes important mais dépend largement des autres moments. Autrement dit, on ne voit pas pourquoi il faudrait écarter du commerce électronique des transactions qui ne font pas l’objet d’une commande en ligne mais qui utilisent des supports électroniques à d’autres moments du processus3. Le vendeur qui cède un bien dans un magasin contre paiement effectué au moyen d’une carte authentifiée et validée par la connexion à un réseau bancaire n’est-il pas un commerçant électronique qui s’ignore ?

En somme, pourquoi le commerce électronique devrait-il reposer sur le fétichisme de la commande en ligne ? On objectera que, sans ce critère, bien des activités commerciales risquent de passer pour du commerce électronique et qu’ainsi cette notion n’aurait plus de sens. C’est précisément le problème : la notion de commerce électronique peut-elle avoir un sens ? Y a t-il sens à vouloir identifier un commerce électronique par rapport à un commerce qui ne le serait pas ?

On peut en douter. Un tel cadre de raisonnement risque de nous amener vers de fausses pistes en polarisant l’attention sur un aspect et en masquant la véritable transformation du commerce induite par les TIC, à savoir l’hybridation de fonctions électronisées et de fonctions non électronisées.

1.2.2. L’électronisation des fonctions commerciales

La quête de la notion de commerce électronique est liée à la vision technologiste initiale d’un commerce dont les réseaux seraient la place de marché (electronic marketplace). Ainsi conçu, le commerce électronique répond au modèle d’un commerce virtuel par opposition à celui d’un commerce se déployant dans un cadre physique. La technologie induit très fortement ce type de représentation du commerce électronique.

Or dans la réalité, pour des raisons qui tiennent à la nature des biens (tous les biens ne sont pas intangibles) mais pas seulement, un petit nombre de marchés peuvent être intégralement virtualisés. Dans la plupart des cas, ils continuent d’impliquer un cadre physique. Le modèle du commerce électronique comme place de marché virtuelle ne tenant plus, il fallut bien se rabattre sur un autre critère pour maintenir l’existence du commerce électronique comme entité spécifique. Ce fut la commande en ligne, le transfert du droit de propriété.

Nous proposons d’aller plus loin encore dans la désintégration de la catégorie de commerce électronique : il n’y a pas de critère distinctif possible d’un commerce électronique qui s’opposerait à un commerce traditionnel, il n’y a que l’électronisation de fonctions commerciales.

L’erreur est de penser le commerce électronique sous la forme d’activités commerciales spécifiques alors qu’il convient de le traiter comme l’électronisation de fonctions commerciales affectant l’ensemble des marchés. De telle sorte que les marchés reposent et reposeront de plus en plus sur une hybridation des supports virtuels et physiques. Ce sont les effets de cette hybridation sur le commerce qu’il convient d’analyser plutôt que d’avoir l’œil rivé sur la progression des ventes en ligne et de ramener l’électronisation du commerce à ce critère hypothétique de succès. L’électronisation du commerce est une chose trop sérieuse pour la réduire à la vente en ligne.

Il semble plus rigoureux d’analyser le degré d’électronisation des fonctions commerciales et de voir comment il affecte les marchés. Dans cette perspective, on peut se demander s’il ne faudrait pas mieux mesurer le degré d’électronisation des fonctions commerciales (la commande en ligne étant une de ces mesures) plutôt que de rechercher une mesure du « commerce électronique ».

3. Prenons l’exemple ambigu de l’EDI. L’EDI est dans sa version basique, c’est-à-dire la plus répandue, de la transmission automatisée de documents commerciaux formatés (bons de commande, de livraison, factures, etc.). Il n’est donc pas tout à fait homogène à une définition du commerce électronique limitée aux transactions engagées en ligne. En effet, les relations entre fournisseurs et clients qui forment l’essentiel de l’EDI sont généralement décidées et contractualisées hors réseau. Selon une récente étude d’ActivMedia Research, la première fonction (dans 77 % des cas) des sites américains de B2B est de stimuler des ventes hors ligne. Seuls 44 % de ces sites peuvent accepter des commandes en ligne. Source : "Real Numbers Behind ‘Net Profits 2000’", http://www.ActivMediaResearch.com

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1.2.3. L’hybridation des fonctions virtuelles et des supports physiques

Pour analyser le phénomène d’hybridation induit par la diffusion des TIC comme supports des activités commerciales, il faut se donner une grille d’analyse fonctionnelle du commerce. Celui-ci peut être décomposé en un certain nombre de fonctions qui sont inégalement virtualisées par les TIC. Certains fonctions continuent de requérir des lieux physiques tandis qu’une fonction virtualisée peut alimenter un canal physique et vice versa.

On peut distinguer trois grands types de fonction selon leur ordre chronologique dans la transaction : les fonctions antérieures à l’acte d’achat vente, l’acte d’achat vente lui-même, les fonctions postérieures.

Les fonctions ex-ante portent essentiellement sur la recherche et la production d’informations sur les produits et les parties à l’échange : informations sur les prix, la qualité, la localisation des points de vente, les vendeurs, les acheteurs, etc. Elles impliquent le développement d’activités d’intermédiation informationnelle entre acheteurs et vendeurs. Ces activités sont par nature facilement électronisables. Elles se sont rapidement développées sur l’internet avec l’émergence d’intermédiaires informationnels (du portail au comparateur de prix). Cette rapide progression a donné naissance à un effet d’entonnoir au regard de la commande en ligne : la masse considérable d’informations collectées, traitées et mises à disposition des acheteurs et des vendeurs débouche sur un petit nombre de transactions commerciales réalisées en ligne. Mais la production et la recherche d’informations sur l’internet peut être le moyen de déclencher des achats dans les magasins traditionnels, tout comme, à l’inverse, une campagne de publicité sur des supports traditionnels peut rabattre des clients vers les sites marchands4. Ce qui est un problème si on raisonne en termes d’opposition entre modèle virtuel et modèle physique ne l’est plus si on se situe dans la perspective d’un modèle hybride.

La fonction d’achat vente qui matérialise la décision d’achat est plus délicate à électroniser pour plusieurs raisons. Primo, il existe des biens dont l’achat implique en dernier ressort un contact physique avec le bien ou avec le vendeur. C’est notamment le cas pour des biens non standards, complexes, qui demandent à être examinés de près ou requièrent une négociation ou des conseils. Secundo, le magasin traditionnel rend davantage le client captif d’une décision d’achat, une fois le seuil du magasin franchi, que le site virtuel qu’il est facile de quitter. Tertio, il est rare d’acheter un bien seul. Il existe des externalités de consommation : l’achat d’un bien en appelle un autre sans qu’il y ait toujours un lien de complémentarité. Les grandes surfaces commerciales et les galeries marchandes sont fondées sur la mise en valeur de cet « effet caddie » qui est plus difficile à contenir dans les limites d’un site marchand sur un réseau virtuel. C’est pourquoi les commerçants sont réticents à se passer d’infrastructures qui assurent un contact physique avec les clients.

L’électronisation des fonctions ex post pose encore davantage de problèmes.

Le paiement est une opération qui peut être entièrement dématérialisée mais il se heurte aujourd’hui moins à des problèmes objectifs de sécurité par rapport auxquels des solutions techniques sont possibles qu’aux représentations que s’en font les individus. Par ailleurs, les habitudes de paiement qui sont enracinées dans l’histoire et la géographie (elles sont très différentes d’un pays à l’autre) se modifient très lentement. Ces difficultés inciteront une partie des consommateurs à continuer de régler leurs transactions lors d’un contact direct avec le vendeur.

La logistique implique par nature une infrastructure matérielle de distribution pour les biens tangibles. Le coût de la livraison à domicile pour des biens différenciés en faible volume implique soit de conserver le principe de la grande distribution (faire venir les consommateurs dans de grandes surfaces), soit de mettre en place une infrastructure diffuse de points de contacts avec la clientèle, notamment pour la part de la clientèle qui n’a pas une forte propension à payer le surcoût du « dernier kilomètre ».

Enfin, les services d’après vente et de maintenance imposent le maintien d’une forme de représentation physique du vendeur à proximité de l’acheteur.

Les dynamiques de l’hybridation sont encore peu lisibles. Elles dépendront de la nature des biens, de la structuration des marchés et de la propension de la clientèle (coût, apprentissage) à utiliser la voie de l’électronisation. Elles dépendront aussi et surtout de l’articulation temporelle des processus d’électronisation ou/et des supports physiques entre fonctions. Ainsi, aujourd’hui, la réticence des consommateurs à payer en ligne rétroagit négativement sur l’achat en ligne, ce qui pousse au maintien d’infrastructures physiques et peut induire une certaine trajectoire de l’électronisation du commerce par rapport à l’éventail initial des possibles. Autre exemple : des investissements importants dans la constitution d’infrastructures physiques spécifiques à l’électronisation du commerce encourageraient la commande en ligne car l’absence de telles infrastructures représente aujourd’hui un des principaux obstacles à son développement.

4. Le coût des campagnes publicitaires traditionnelles qu’il faut réaliser pour accéder à la notoriété est une des principales limites au développement des start-up B2C.

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2. Le B2C comme force de transformation des modèles de distribution et de production

On s’interroge dans cette deuxième partie sur les impacts de l’électronisation du commerce sur l’économie. Ces impacts seront multiples. On explore ici une hypothèse particulière : le B2C comme force de transformation des modèles de distribution et de production. Il s’agit d’une conjecture dont l’intérêt est d’essayer d’anticiper, au risque de se tromper, des changements profonds qui ne sont pas encore amorcés et de proposer ainsi un cadre à la discussion5.

On commencera par exposer deux scénarios d’évolution du processus d’électronisation du commerce et de ses impacts. Le premier fait du B2B l’axe central de cette électronisation, les impacts se situant logiquement au niveau des relations interentreprises qui pourraient évoluer vers un autre modèle d’organisation industrielle. Le second avance que les impacts de l’électronisation du commerce seront surtout tirés par le B2C, ces impacts pouvant remonter loin en amont vers la production.

La deuxième section explore le deuxième scénario en analysant les modèles de distribution impliqués et les relations à l’organisation de la production.

2.1. Deux scénarios d’électronisation du commerce

Le premier scénario rencontre aujourd’hui un certain consensus, le second est plus prospectif mais peut-être plus intéressant à explorer.

2.1.1. Premier scénario : le commerce électronique concerne principalement les échanges interentreprises et plus marginalement la relation au marché final. Il faut donc centrer l’attention sur le B2B.

L’idée qu’il faut s’intéresser avant tout au B2B est assez répandue.

Elle s’appuie sur des données structurelles et conjoncturelles. Le B2B bénéficie de deux évidences structurelles massives. La première est que le commerce interentreprises représente l’essentiel du commerce (les 2/3). La seconde est que le B2B est déjà largement électronisé à travers l’EDI hors internet, fortement diffusé dans les secteurs à concentration élevée et à relations asymétriques entre sous-traitants et donneurs d’ordre6. À cela s’ajoutent des données conjoncturelles : le B2C a du mal à décoller (selon le critère de la commande en ligne) tandis que la croyance dans le B2C est passée de mode auprès des cabinets de consultant depuis le début de l’année 2000.

Le B2B constituant l’essentiel du commerce électronique mondial (de 70 à 85 % selon les estimations) et cette situation ne devant pas se modifier à l’avenir, les analyses de l’électronisation du commerce devraient lui être consacrées.

Dans ce scénario, les contraintes d’offre restent prédominantes. Le développement du B2C est trop faible et trop découplé du B2B pour avoir des effets de réorganisation en amont sur les flux interentreprises et sur l’organisation industrielle. L’analyse est centrée sur le développement de nouvelles formes d’électronisation du B2B et l’éventuelle réorganisation des relations interentreprises qu’elles impliquent : la tendance à externaliser la fonction transport et logistique par les entreprises industrielles, l’intégration de fonctions à valeur ajoutée par les logisticiens (conditionnement, réparation et maintenance, etc.), les recompositions de frontière que cela entraîne et les nouvelles fonctions d’intermédiation que cela fait surgir.

L’attention a été particulièrement attirée par l’annonce de plates-formes de commerce interentreprises spécialisées par activité et mises en place par quelques grands acteurs dans l’automobile, la distribution, l’informatique, etc., leur possible dimension anti-concurrentielle, le changement de modèle des relations interindustrielles qu’elles impliqueraient (des relations horizontales de marché versus une quasi-intégration verticale ?) et le développement d’initiatives alternatives (sites d’enchères lancés par des acheteurs ou des vendeurs).

5. Ces interrogations s’inscrivent dans le cadre d’une recherche menée en collaboration avec l’Institut de recherche et de prospective de la Poste (IREPP) et financée par le PREDIT, programme de prospective du ministère de l’équipement, des transports et du logement sur les transports. 6. Le Boston Consulting Group évalue l’EDI hors internet à 86 % du commerce électronique interentreprises aux États-Unis en 1998 (579 milliards des 671 milliards de dollars du B2B américain). En 2003, la proportion de l’EDI devrait descendre à 28 % (http://www.bcg.com).

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Centré sur les relations entre le B2B et l’organisation industrielle, ce scénario minore de manière excessive le rôle du B2C dans les transformations de l’organisation industrielle. On y opposera un autre scénario fondé sur la dynamique des transformations introduites par la mise en place de nouvelles relations au client final au travers de l’électronisation du B2C.

2.1.2. Second scénario : le rôle dynamique du B2C

S’il est vrai que le commerce B2C occupe et occupera une place quantitativement marginale par rapport au B2B, il peut néanmoins constituer une force importante de transformation de l’organisation industrielle.

Plusieurs éléments viennent soutenir cette hypothèse :

1) Il est clair qu’au-delà du discours qu’on entend depuis 20 ans sur le pilotage de la production par le marché et le re-engineering qui en découle, la relation aux consommateurs finals constitue un des domaines clés de la compétitivité des entreprises.

Plus précisément, les TIC permettent aujourd’hui de traduire ce discours en réalité. Jusqu’ici ce discours reflétait surtout des stratégies d’offre différenciée. Pour les entreprises, tout le problème était de faire entrer leurs clients dans des schémas de différenciation retardée, les informations en provenance du marché sur les goûts des consommateurs et leur évolution dans le temps déterminant la différenciation finale de produits pré-définis.

La possibilité de constituer des bases de données affinées sur les clients, d’observer le comportement des acheteurs par un traçage précis de leurs actes, d’introduire de l’interactivité, tout cela ouvre de nouvelles perspectives. Sans compter que le Net crée aussi la possibilité de la formation d’une opinion publique des consommateurs (ce que faisaient de manière limitée les journaux de consommateurs). Les offreurs sont ainsi incontestablement confrontés à de nouvelles contraintes qui ne sont plus seulement du côté de la production ou de l’activation d’une demande passive mais dans la capture des désirs des clients, de leur propension à payer, de leurs processus d’achat, de leurs opinions… L’enjeu est tel que les entreprises sont conduites à des investissements stratégiques dans le domaine de la relation au client final.

2) Les modèles de distribution vont de ce fait évoluer. Certes, les distributeurs et les producteurs chercheront à maintenir les schémas de distribution qu’ils maîtrisent et à fondre le développement du B2C dans l’organisation logistique existante. Ils opposeront notamment une résistance à la mise en place de nouveaux canaux de distribution qui impliqueraient une refonte de l’organisation industrielle en amont et, par voie de conséquence, de la supply chain (on peut lire ainsi dans Logistiques Magazine, n° 137, mai 1999, p 46 : « La question suivante s’impose d’elle-même : si ce nouveau canal minoritaire (commerce électronique) perturbe trop l’organisation industrielle, son ouverture se justifie t-elle ? »). Mais, compte tenu des opportunités nouvelles qu’offrent les TIC dans la relation au consommateur final, de leur caractère stratégique en termes de compétitivité, il sera impossible de contenir les innovations commerciales. Des brèches ne manqueront pas de s’ouvrir par lesquelles d’autres modèles logistiques seront mis en place sans détruire d’ailleurs les anciens. Les canaux de distribution vont se diversifier.

3) La diversification des canaux de distribution aura des effets en amont sur les relations interentreprises et l’organisation de la production, contrairement au scénario précédent où il paraissait possible d’analyser en eux-mêmes les échanges interentreprises. La mise en place de nouvelles relations au marché final implique en effet, dans certains cas, une nouvelle organisation industrielle en amont et une nouvelle organisation de la supply chain. Les problématiques traditionnelles de la supply chain au niveau du B2B (externalisation, déplacements des frontières d’activité, anciens ou nouveaux intermédiaires, etc.) doivent être alors revisitées à la lumière des transformations aval de la supply chain.

On partira ainsi de l’hypothèse qu’en dépit de sa faible importance quantitative et de ses difficultés à décoller, le B2C porte en lui des transformations potentielles importantes de la distribution et de la production. Les TIC permettent en effet de mettre en place une logique de demande plus forte qu’elle n’a été jusqu’ici dans le modèle de la différenciation retardée. La question devient dès lors de savoir où et comment peuvent s’articuler des contraintes d’offre qui demeurent (jouer sur les économies d’échelle dans la production ; économiser les coûts de logistique, etc.) avec une stimulation plus forte de l’appareil de production par la demande.

La remontée de la logique de demande et son articulation à la production sera différente selon les modèles de distribution des biens et des services.

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2.2. L’électronisation du B2C et les modèles de distribution

Il existe divers modèles de distribution des biens et des services. Pour simplifier, on en retiendra cinq principaux : le modèle VPC, le modèle de l’agence, le modèle de la grande distribution, le modèle Amazon, le modèle de l’assembleur. Ces modèles vont se diversifier sous l’effet de la recherche d’une nouvelle relation au client final et de son électronisation partielle.

2.2.1. Le modèle de la vente par correspondance

La vente par correspondance (VPC) a un mode d’organisation rôdé que les TIC ne changent pas radicalement. En aval : l’édition et la diffusion d’un catalogue, la commande à distance, la livraison des produits à domicile ou dans des points relais, la gestion des retours, les mailings ciblés permis par une connaissance individualisée des commandes. En amont : des contrats saisonniers mais stables dans la saison avec des fournisseurs sélectionnés. La logistique est sous traitée ou réalisée en propre.

Les TIC améliorent la logistique d’une part et ajoutent un canal de communication aux autres permettant à la VPC d’élargir sa clientèle, notamment masculine, d’autre part. L’internet est ainsi un nouveau canal de consultation et de commande. Il est cependant frappant de voir qu’au sein de la VPC, les moyens de passer commande n’ont pas été bouleversés jusqu’à maintenant par les nouvelles technologies. Selon la Fédération des entreprises de vente à distance, les commandes passent en 1999 par le courrier (52,6 % du chiffre d’affaires) et le téléphone (34 %), avant le minitel (9,6 %) et les autres modes (2,7 %), l’internet n’ayant conquis qu’une part de 1,1 % (contre 0,2 % en 1998).

La VPC est le modèle de vente le plus proche de l’image du commerce électronique comme commerce virtuel. C’est pourquoi il sert de modèle implicite à la représentation spontanée du commerce électronique. Mais à les confondre ainsi, on limite la portée du B2C à une niche de marché car la VPC, qui représente entre 6 et 8 % des ventes de détail selon les pays, est une niche que l’internet ne va pas changer d’un coup de baguette magique en un marché de masse. L’élargissement de la niche paraît d’ailleurs autant se faire par des investissements dans des infrastructures physiques (la mise en place de magasins par les vépécistes) et de nouvelles méthodes commerciales (des mailings postaux ciblés par segmentation de la clientèle) que par des investissements dans l’internet.

2.2.2. Le modèle de l’agence

L’entreprise distribue ses produits ou ses services au travers d’une structure dispersée de points de contacts avec la clientèle. C’est le modèle des entreprises de services (banques, poste, agences de voyage, produits spécialisés, etc.). Cette structure peut être complétée par des comptoirs mobiles (représentants). La vente et la distribution de ces services impliquent traditionnellement un rapport de proximité, la structure d’agences étant d’autant plus capillaire que la fréquence des services est élevée (les agences bancaires sont plus nombreuses que les agences de voyage) et la concurrence forte (la bancarisation de la population française dans les années soixante et soixante-dix a poussé les banques à multiplier les agences).

Ce modèle évolue vers des services en ligne mais avec des limites fortes.

Les structures d’agence sont prises dans un dilemme. D’un côté, elles cherchent à réduire le coût de leurs infrastructures physiques. Mais, de l’autre, en automatisant à distance la relation avec le client, elles perdent tout contact commercial physique avec celui-ci. La reconstitution de la relation commerciale par les TIC (le téléphone ou l’internet) n’offre pas dans tous les cas une efficacité équivalente. Le pouvoir de persuasion est moindre et les stratégies d’évitement des consommateurs plus faciles. De plus, il y a un inconvénient de « first mover » : toute banque à réseaux qui supprimerait des agences courrait le risque de voir ses clients partir vers un autre réseau. Les entreprises de services sont alors tentées de diviser les relations avec la clientèle en relations pouvant être automatisées et traitées à distance et en relations de contact nécessitant le maintien d’une structure capillaire d’agences. Mais cette solution est également dangereuse car l’entreprise ne peut plus greffer l’offre de services à valeur ajoutée sur la venue des clients lors des opérations routinières. Le contact sensible risque d’être rompu alors que les coûts fixes d’agence demeurent.

C’est pourquoi les banques semblent s’orienter vers une autre solution : installer les automates traitant les opérations routinières dans l’agence de façon à en baisser le coût, sans perdre le contact avec le client qui continue de se rendre à l’agence et peut être sollicité pour d’autres opérations à plus forte valeur ajoutée. La problématique du front et du back office est en quelque sorte renversée : au front office, le traitement automatisé de la relation avec la clientèle au moyen des guichets automatiques, au back office la relation humaine avec le client et les salons accueillants. Cela se traduit par une modification physique de l’agence auparavant scindée entre un guichet et des « arrière-bureaux ». Les agences ainsi

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remodelées continueront de représenter un actif fondamental des commerces et services à réseaux car ce sont des points de captation sensible d’une grande partie de la clientèle.

Les canaux virtuels se développent de manière complémentaire car ils s’adressent à la fraction de la clientèle privilégiant l’accès en ligne et faisant le choix d’une certaine désintermédiation. En outre, en abaissant les coûts d’entrée, les services en ligne permettent à de nouveaux entrants de disputer aux entreprises installées la fraction de la clientèle habituée à l’usage des TIC et aux comportements plus autonomes (clientèle jeune et éduquée). Ainsi, le courtage sur le Net s’est-il fortement développé sous l’impulsion de sociétés spécialisées dans le placement et d’une clientèle habituée à l’usage des technologies et souhaitant intervenir directement sur le marché. Cette menace pousse les entreprises installées à offrir à leur tour ce type de services en développant leurs propres filiales ou en rachetant les start-up qui ont percé sur le marché. Mais il est probable que la part de marché des services en ligne restera limitée.

On doit donc s’attendre à une segmentation du marché : les services en ligne pour une certaine clientèle, minoritaire mais effectuant de nombreuses transactions, et un modèle rénové d’agence pour la partie restante. On voit que les contraintes d’interface physique avec les consommateurs demeurent, y compris dans la distribution de biens intangibles.

2.2.3. Le modèle de la grande distribution

Il est lui-même diversifié, les ramifications aval allant de la forme capillaire du commerce franchisé à la forme plus concentrée des hypermarchés. Le modèle n’est pas à l’origine centré sur la relation au consommateur mais sur la capacité d’intermédiation de la centrale d’achat qui possède les informations en amont sur les fournisseurs et en aval sur les clients. Les consommateurs ne sont pas individualisés en tant que tels, même s’il est vrai que la distribution, utilisant les TIC, a développé des techniques de connaissance individualisée des consommateurs (comme les cartes magasin).

La grande distribution est structurée par un triptyque :

• Le distributeur qui assure l’interface physique avec les clients et dispose des informations qui lui permettent de lancer les ordres d’approvisionnement et de disposer les produits à la vente.

• L’intermédiaire (centrale d’achat) qui a la connaissance des ventes et prescrit les produits à fabriquer aux industriels. L’intermédiaire possède toutes les informations nécessaires à la gestion de la chaîne logistique.

• Le producteur qui réalise les produits sur la base de contrats périodiquement revus avec l’intermédiaire.

Dans la grande distribution, les deux premiers éléments du triptyque sont intégrés, d’où sa force par rapport aux producteurs. Seuls y échappent les secteurs qui intègrent les trois fonctions (production-intermédiation-distribution) comme l’automobile.

Quelles transformations de ce schéma peuvent induire les TIC ? Les transformations sont limitées par la logique qui sous-tend la grande distribution.

Comme on l’a rappelé, la grande distribution n’est pas centrée sur la relation au client final. L’énergie du modèle se situe vers l’amont, dans la fonction d’intermédiation qui consiste à ajuster les informations provenant des ventes avec les commandes passées aux fournisseurs. La grande distribution tire sa force de la maîtrise de cette fonction d’intermédiation. Le rapport essentiel aux clients consiste à les capter en masse par de grandes infrastructures physiques, des campagnes marketing globales et des prix compétitifs permis par les économies d’échelle dans la distribution et un pouvoir de marché sur les producteurs. Les TIC permettent de renforcer la connaissance des pratiques d’achat au sein des magasins, de façon à disposer judicieusement les produits. Elles améliorent aussi la logistique de remontée des informations vers la centrale d’achat, de pilotage et de gestion des commandes auprès des fournisseurs et de répartition des approvisionnements entre les magasins. Bref, elles accroissent l’efficacité du modèle de distribution existant. On ne les voit pas inverser ce modèle en introduisant une logique de demande qui conduirait à personnaliser la relation au client.

C’est pourquoi la grande distribution développe parallèlement un autre canal de distribution à travers les cybermarchés qui permettent davantage d’exploiter l’apport des TIC au CRM. Le cybermarché, c’est la consultation de catalogues sur un site Web, l’achat de produits en ligne et leur livraison à domicile ou près du domicile des acheteurs. La grande distribution est aujourd’hui engagée dans de telles expériences, au même motif que les banques ou assurances confrontées au développement de services en ligne : ne pas laisser échapper un éventuel nouveau marché. Elle a les moyens d’expérimenter ce nouveau canal de distribution, notamment en France où la concentration est forte et où la

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dimension internationale de certains groupes permet de l’envisager à grande échelle. Mais les cybermarchés posent un double problème à la grande distribution.

Tout d’abord, les modes de gestion des flux et les temporalités ne sont pas les mêmes que dans la distribution traditionnelle. Cela conduit la grande distribution à mettre en place des circuits logistiques en grande partie spécifiques aux cybermarchés. La disjonction des circuits logistiques affaiblit les économies d’envergure que l’on pouvait espérer entre les circuits de distribution. Mais la partie amont du modèle n’est pas touchée (le rôle de la centrale d’achat et ses relations aux fournisseurs). Seule la partie aval se différencie.

Mais surtout la livraison à domicile ou près du client est à l’opposé du principe fondateur de la grande distribution : attirer les clients vers de grandes surfaces de vente qui permettent d’obtenir des économies d’échelle dans la distribution finale tout en évitant les coûts logistiques du « dernier kilomètre » supportés par les clients. Il s’ensuit un doute sur la viabilité économique de la livraison à domicile, le coût du « dernier kilomètre » étant élevé comme dans tous les réseaux à forte capillarité finale puisqu’il faut délivrer des biens variés en petites quantités à des consommateurs dispersés et dont le domicile n’est pas toujours facilement accessible. La rentabilité de ce mode de distribution peut être positive dans le cas de biens spécifiques (notamment des biens qui n’existent pas sur les marchés locaux) et à forte valeur ajoutée ou de biens pour lesquels certains consommateurs ont une forte propension à payer le surcoût du dernier kilomètre, donc pour des niches de marché et non pour un marché de masse. Or la grande distribution est un marché de masse.

Les difficultés rencontrées, notamment celle du coût de la livraison à domicile, expliquent que d’autres voies soient explorées, en particulier la mise à disposition des produits dans des locaux situés non loin du domicile des acheteurs dans les zones de forte densité urbaine. Rétablissant des interfaces physiques avec les consommateurs, ces locaux pourraient aussi servir au paiement des commandes et contourner ainsi l’obstacle de la réticence des consommateurs à payer en ligne. Cette solution est du reste déjà pratiquée par les vépécistes.

Elle peut cependant aller beaucoup plus loin que la seule fonction de dépôt. Ces locaux pourraient en effet servir à d’autres fonctions commerciales comme la démonstration de produits à partir d’exemplaires réels ou consultés sur des bornes électroniques et l’offre de conseils et de services divers (y compris de divertissement associés à la nature des produits vendus). La consultation ou la commande en ligne rabattraient les consommateurs vers ces infrastructures de proximité demandant moins de surface au sol et donc plus facilement insérables au sein du tissu urbain. On peut ainsi se demander si les TIC ne vont pas être le support d’un réinvestissement commercial des centres-villes par la grande distribution, qui jusque là reposait sur la localisation en périphérie. Il n’est pas ainsi exclu qu’une nouvelle géographie physique du commerce, de nouveaux lieux commerciaux naissent de l’articulation entre l’électronisation de certaines fonctions commerciales et les limites logistiques de la livraison à domicile.

2.2.4. Le modèle Amazon

Appelons « modèle Amazon » le modèle de l’entreprise qui se lance sur le Net dans le commerce de biens tangibles sans disposer au préalable d’une infrastructure physique de magasins et d’une expertise dans le domaine de la distribution.

On comprend bien la logique de ce modèle : il s’agit de rester dans l’économie des biens informationnels en se tenant à une position d’intermédiaire, de prestataire de services, sans avoir à financer des infrastructures physiques et un réseau commercial qui impliquent des investissements beaucoup plus lourds. De là découle le modèle de la start-up internet dont l’activité, au départ tout entière contenue dans un deux pièces, s’étendra au plus à quelques étages et quelques centaines de personnes, avec un portefeuille de clients assurant sa valorisation boursière.

Dans le domaine des biens tangibles, ce modèle rencontre des difficultés importantes. Deux raisons l’expliquent. Tout d’abord, ces entreprises ne bénéficient pas des savoir faire et des complémentarités entre canaux de distribution. Dans ces conditions, l’avantage initial procuré par leur capacité à saisir plus rapidement les opportunités offertes par le Web peut être rapidement rattrapé. Ensuite, les vertus de l’économie de l’information peuvent se retourner contre elle. Ces vertus se résument dans le fait qu’une fois assumé le coût fixe initial (constitution de la base de données et du réseau de traitement et de transmission de l’information), les coûts marginaux sont faibles (Shapiro et Varian, 1999). Ils le sont d’autant plus que les externalités positives de réseau accroissent la qualité du service : le client étant enrôlé dans l’amélioration du service (proposition de livres achetés par ceux qui ont déjà acheté le livre, critiques de lecteurs, etc.), plus il y a de clients, meilleur est le service.

Mais s’en tenir à ce point, c’est oublier la contrepartie physique de l’électronisation de la consultation de catalogue et de la commande. Le commerçant doit être en état de pouvoir réaliser ce qui découle de cette relation, à savoir la livraison en temps rapide de petites séries de biens. Or là, on n’est plus dans une économie de coûts fixes. Les coûts de la

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logistique sont fonction du nombre de clients livrés, de leur répartition sur leur territoire, etc. Si le déficit d’Amazon croît plus rapidement que son chiffre d’affaires, c’est bien parce qu’il y a d’importants coûts variables.

Les difficultés des entreprises se lançant sur le Net sans infrastructure physique préalable ont, semble-t-il, tranché le débat : l’électronisation du commerce implique l’existence et la maîtrise d’infrastructures physiques, ce que résume la formule « click and mortar ».

On ne peut toutefois totalement écarter ce modèle dans la mesure où apparaîtrait une offre de services logistiques (des « cyberpromoteurs » et des « cybertransitaires ») spécialisés dans l’offre de services immobiliers et logistiques aux entreprises commerciales se lançant sur le Net sans infrastructure logistique préalable. Aujourd’hui, cette offre n’existe quasiment pas. Or il est clair que le développement de l’électronisation du commerce passe par une infrastructure logistique, notamment urbaine, dont l’absence actuelle bloque ce développement. La constitution de cette infrastructure logistique permettrait aux commerçants sans infrastructure préalable de pouvoir concurrencer les nouvelles formes de commerce issues de l’utilisation des TIC par la grande distribution et les vépécistes.

2.2.5. Le modèle de l’assembleur

On pourrait aussi l’appeler modèle Dell. Sa structure est la suivante : comme dans le cas précédent, l’entreprise n’a pas d’infrastructures physiques de distribution ; elle gére sa relation finale au client par le téléphone ou le Net mais à la différence du modèle Amazon, elle n’est pas qu’un intermédiaire car elle produit. Elle produit sur un mode particulier en assemblant des composants achetés à des fournisseurs. La fonction d’assemblage est devenue une fonction banale dans l’industrie. C’est bien pourquoi elle est généralement délocalisée dans les pays à plus faibles coûts salariaux. Elle devient cependant une fonction stratégique dès lors qu’elle est couplée en amont avec l’externalisation de la production des composants et en aval avec la capacité de produire en fonction des commandes effectivement reçues et des besoins personnalisés des clients.

L’originalité de ce modèle est de faire de la fonction d’intermédiation une fonction productive, d’adosser la maîtrise de l’information amont et aval à une capacité industrielle et d’internaliser en partie (reste en effet le problème des fournisseurs) la tension entre logique de demande et logique d’offre évoquée plus haut. Mais il implique des bouleversements importants du côté de la demande (il faut que le producteur établisse un contact direct avec le marché final) et du côté de la production (suppression des stocks chez l’assembleur, externalisation de la production des composants chez les fournisseurs sur lesquels est reportée la contrainte de stockage). Ce modèle peut s’appliquer à de nombreuses branches de l’industrie dans la limite de certaines contraintes stratégiques (l’assembleur peut avoir intérêt à conserver la production de composants stratégiques) et techniques (limites à la décomposition du produit).

L’adoption de ce modèle est aujourd’hui stimulée par la nécessité pour les producteurs de sortir des deux modes de distribution qui leur permettent d’accéder au marché. Soit l’industriel passe par la grande distribution et, dans ce cas, il est dominé par elle. Ses marges sont comprimées et il perd tout contact direct avec les consommateurs (cas du textile et de l’agroalimentaire). Soit il passe par un système de distribution exclusive (comme les concessionnaires dans l’automobile). Mais la pression du marché est telle qu’elle impose l’élimination des rentes générées par ce système et donc progressivement son abandon.

La capacité des TIC à constituer une relation directe au marché et à faire de celle-ci l’instrument d’une meilleure connaissance des comportements d’achat ouvre aux industriels la possibilité de reconstituer un lien plus étroit au marché et de recomposer sur cette base le processus de production. La fonction d’intermédiation ne disparaît pas mais est intégrée par l’industriel dont, à l’inverse, la fonction de production éclate. Dans le modèle de l’assemblage, l’industriel devient l’intermédiaire en coordonnant le rapport marché/production et la réalisation matérielle du produit dont les composantes sont fabriquées par des fournisseurs extérieurs.

Notre hypothèse est que ce modèle va se développer dans l’industrie dans les limites des contraintes techniques de production. On peut notamment se demander s’il ne va pas se diffuser dans l’automobile. Plusieurs éléments autorisent à le penser.

Tout d’abord, les constructeurs vont être confrontés prochainement à l’abandon de la distribution exclusive (déjà entamée aux États-Unis). Ils peuvent craindre que leurs propres réseaux commerciaux ne soient pas suffisants pour contrer les grandes surfaces spécialisées ou non, autorisées à vendre des voitures. Ils seraient alors amenés à rechercher une relation directe au client final via les réseaux de communication. Il ne s’agirait pas seulement d’un nouveau canal de distribution mais aussi d’une transformation de la nature de la relation au client final. Celui-ci pourrait davantage personnaliser sa demande de produits.

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Le constructeur serait alors contraint de changer son modèle de production pour répondre à une demande personnalisée. Il le ferait sur le modèle de Dell en assemblant de manière variée des modules réalisés par des fournisseurs. Or on observe déjà une modularisation dans la production automobile. Les fournisseurs de premier rang approvisionnent le constructeur en modules, c’est-à-dire en parties de la voiture déjà assemblées. L’expérience menée dans certaines usines comme celle de Volkswagen dans l’État de Rio de Janeiro est à cet égard intéressante : le constructeur dont les effectifs sont réduits n’est plus que le coordinateur d’entreprises sous traitantes rassemblées sur le site. De même, l’annonce de plates-formes B2B dans l’automobile peut être le prélude amont d’une telle évolution car ces plates-formes ne peuvent fonctionner comme réelles « places de marché » qu’avec des composants standardisés.

Il existe certes des objections non négligeables. L’assemblage implique une désintégration forte du produit en composants, ce à quoi peut s’opposer une contrainte de système tenant à la nature du produit (il serait imprudent de concevoir une voiture sur le modèle des PC actuels). Les constructeurs actuels verraient aussi certainement leur pouvoir de marché contestés par de nouveaux entrants (comme Dell l’a fait par rapport à Compaq et IBM). Ils n’ont donc pas intérêt à sortir d’un modèle d’offre où ils sont dominants.

On ne peut toutefois écarter la diffusion de ce modèle au-delà de l’informatique. Il est celui qui entraînerait les modifications les plus importantes en aval comme en amont, car la réorganisation de la logique productive est d’emblée intrinsèquement liée à celle de la logique commerciale. Alors que dans les autres modèles, il s’agit surtout de transformer la distribution finale.

Conclusion

Après avoir critiqué la catégorie de commerce électronique et lui avoir substitué celle d’électronisation du commerce, nous avons soutenu l’hypothèse du rôle moteur du B2C – bien que minoritaire quantitativement – dans l’évolution des modèles de distribution et de production. L’enjeu est la constitution d’une logique de demande beaucoup plus forte qu’elle n’a été jusqu’ici. L’utilisation des TIC dans la relation au client final peut être le moyen de l’établir. Les transformations seront plus ou moins importantes selon que les modèles de distribution et de production sont plus ou moins perméables à leur pilotage par la demande.

On a distingué cinq modèles de distribution pour lesquels le B2C aura des effets plus ou moins importants.

• Les TIC ne modifient pas les caractéristiques profondes du modèle de la VPC même si elles en accélèrent les procédures et en réduit les coûts.

• Les structures d’agence continuent de miser sur les interfaces physiques avec les consommateurs tout en les aménageant par le recours aux TIC pour les opérations routinières et en les doublant d’un canal de services en ligne pour une fraction de la clientèle.

• Le modèle de la grande distribution est appelé à évoluer dans la mesure où les TIC lui permettent de développer une connaissance fine des comportements de sa clientèle et d’améliorer sa logistique. Mais cela ne change pas la nature de ce modèle de distribution. Le développement de cybermarchés représente une expérience plus radicale car, d’une part, la gestion des flux et des temporalités de la distribution ne sont plus les mêmes et, d’autre part, il inverse le principe de distribution (le produit va au client et non l’inverse). Les difficultés à réaliser cette inversion – notamment les coûts logistiques qui en résultent – peuvent déboucher sur la mise en place de nouvelles formes d’occupation de l’espace urbain par la grande distribution.

• Le modèle Amazon, pour autant qu’on lui fasse crédit, pose la question intéressante de l’émergence d’une offre d’infrastructures physiques propres au commerce électronique. Sans une telle offre, le développement de celui-ci semble bloqué.

• Le modèle de l’assembleur entraîne de plus grandes transformations car il implique en amont un changement du modèle de production. Il est susceptible de s’étendre à une grande partie de l’industrie en raison de la nécessité pour celle-ci d’échapper au dilemme distribution sélective/grande distribution et des opportunités qu’offrent les TIC d’établir un lien direct au marché.

De manière générale, les transformations induites par les TIC comme support d’une nouvelle relation au client final dépendront en grande partie des zones où s’articuleront logique de personnalisation et contraintes d’offre, à la manière d’un partage indécis des eaux entre la puissance d’un fleuve cherchant à se déverser dans la mer et celle des marées dont

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les flux remontent le courant du fleuve. Ce que changent les TIC, c’est la puissance du courant remontant. Elles vont donc déplacer vers l’amont les zones d’articulation et les modes d’arbitrage entre logique de personnalisation et contraintes d’offre. Les véritables innovations (celles qui assurent une compétitivité durable) se situent davantage à ce niveau, dans cet art d’identifier le bon endroit où marier ces deux logiques et de réorganiser autour de lui la fonction logistique, que dans la personnalisation finale de la relation au consommateur, domaine dans lequel la puissance normalisatrice des TIC et la capacité d’imitation des entreprises risquent de conduire à des pratiques assez similaires d’une entreprise à l’autre.

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E-BUSINESS, OU LA CRÉATION DE VALEUR DANS LA NOUVELLE ÉCONOMIE

Luc Soete Directeur du Maastricht Economic Research Institute on Innovation and Technology (MERIT)

Université de Maastricht

L’informatique et les technologies de l’information et de la communication ont induit une nouvelle analyse de l’économie. À cet égard, je mettrai en avant trois aspects essentiels.

Premièrement, en Europe, nous parlons systématiquement de technologies de l’information et de la communication tandis qu’aux États-Unis, on se contente de parler de technologies de l’information. Aux États-Unis, la tendance est aussi à se focaliser sur l’ordinateur, en tant qu’exemple type de ce que sont les technologies de l’information, et du changement technologique qu’elles recouvrent. À ce propos, je suis en total désaccord avec Robert J. Gordon qui compare l’ordinateur aux grandes inventions du siècle passé comme l’automobile ou l’électricité. En effet, il est très réducteur de limiter le réseau des technologies de l’information et de la communication à l’ordinateur1, ou à l’effet de l’ordinateur. C’est oublier la diffusion et l’interaction entre les différentes technologies, qui apportent une vision plus large de l’impact technologique.

Deuxièmement, les technologies de la communication sont essentielles sur le plan économique. Aujourd’hui, pour la première fois, nous avons la possibilité d’envoyer des signaux électroniques quasiment sans aucune perte. Certes, des routers renforcent ces signaux, mais le réseau numérique fonctionne sans perte, contrairement au réseau électrique qui peut enregistrer des pertes de 10 % voire 15 %. Cette possibilité d’envoyer des signaux sur un réseau de communication numérique sans déperdition nous autorise à parler d’abolition de la distance.

Troisièmement, la communication mobile est une caractéristique de ces nouvelles technologies. Désormais, l’information est « dans l’air ». Elle n’est limitée ni géographiquement ni physiquement par rapport aux infrastructures matérielles. L’accès aux 500 milliards de pages Web existantes sur la Toile est possible de partout, à n’importe quel moment et sans aucun contact physique. L’impact économique d’un tel changement technologique reste non défini à ce jour.

Cette présentation commencera par donner un aperçu historique d’une source majeure de la croissance constatée dans nos économies : l’intégration progressive de ce qui constituait à l’origine des biens publics dans la sphère de l’échange et de l’évaluation économiques. Tout au long de l’évolution de la plupart des économies, il est possible d’identifier de telles phases d’expansion économique, où des domaines majeurs ont été colonisés, une valeur économique et une valeur d’échange étant attribuées à des activités qui échappaient jusqu’alors au système économique.

L’information et la communication, une nouvelle phase de l’expansion continue de l’économie

Les nouvelles technologies doivent être analysées dans un cadre économique élargi. Sous l’influence des économistes américains, nous avons tendance à observer les changements induits par la nouvelle économie sous l’angle du seul impact sur la productivité, comme le veut la tradition de l’économie du changement technologique. Nous étudions ainsi comment ces nouvelles technologies peuvent mettre fin au paradoxe de Solow, par exemple. Cependant, en adoptant une telle démarche, nous avons tendance à oublier un aspect pourtant fondamental, qui est de voir comment ces nouvelles technologies élargissent le champ économique. Elles rajoutent de la valeur dans le système économique, suivant un mouvement qui caractérise tout ce que nous avons connu depuis que nous avons été « chassés du paradis ».

1. NDLR : Robert J. Gordon, « Does the "New Economy" Measure up to the Great Inventions of the Past? », Journal of Economic Perspectives, vol.4, no.14 (automne 2000), pp. 49-74.

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La valorisation des biens publics, ou l’expansion de l’économie dans l’espace

Revenons à l’origine du monde et supposons qu’au paradis tous les biens étaient publics. L’utilité était ainsi maximalisée sans produire aucun effort. Cependant, que se serait-il passé si le paradis avait dû faire face à une croissance de sa population ? Les biens publics auraient-ils été disponibles en quantité suffisante ? Il est fort probable que tel n’aurait pas été le cas. Un des enseignements majeurs de l’économie est de montrer que dans la sphère de l’espace, nous n’avons cessé de valoriser la terre dont nous disposions du temps du paradis originel, depuis que nous en avons été chassés. Cette valorisation s’est faite en accordant des droits d’exclusivité, d’exploitation ou de propriété à des biens qui étaient fondamentalement publics. Je pense en particulier aux biens publics naturels. Prenons l’exemple d’un étang. Si nous n’avions pas instauré de droits d’exploitation ou de droits de propriété sur un espace naturel comme un étang, nous n’aurions pas tardé à ne plus y trouver de poissons, du fait de sa surexploitation.

Avec l’instauration de droits d’exploitation et de propriété, l’intérêt économique d’un individu est à comparer à l’intérêt écologique, selon une sorte de balance entre croissance, exploitation économique et maintien du capital écologique. Dans les pays en voie de développement, la pression exercée par la pauvreté et le sous-développement est telle qu’elle peut conduire très vite à des situations de surexploitation des biens naturels (exemples de la surexploitation des mers, de la forêt amazonienne, etc.).

Accorder des droits de propriété sur des biens publics rajoute une énorme valorisation à des biens qui existaient déjà, mais qui ne faisaient pas partie de la sphère économique. La Terre ne s’est pas agrandie, mais nous la valorisons considérablement plus au sens économique du terme, en accordant de la valeur et en introduisant cette valeur dans le système économique par ce biais. Certes, l’espace sur lequel les hommes évoluent n’a pas augmenté. Toutefois, nous avons su apporter une valeur supplémentaire aux biens naturels en introduisant la notion de valeur économique. Cependant, cette allocation des droits d’exploitation et de propriété, si elle part d’un principe d’égalité, peut aboutir à des inégalités. En 1842, un des premiers articles rédigés par Karl Marx lorsqu’il était jeune journaliste à la Rheinische Zeitung était un pamphlet contre la pauvreté créée en donnant à des firmes privées des droits d’exploitation et d’exclusion sur des bois en Allemagne, ce qui empêchait ainsi de pauvres gens de collecter le bois pour leur propre usage.

Avec le salariat, vient la phase d’expansion dans le temps

La deuxième expansion de l’économie a concerné le temps. Avant la révolution industrielle, la population ne louait qu’une faible partie de sa force de travail en dehors de la famille. La plupart des activités du travail n’étaient pas volontaires. Ces activités avaient lieu au sein de la famille. Les échanges qu’elles suscitaient n’étaient pas commercialisés. Avec l’industrialisation, nous avons assisté à une externalisation du temps sous la forme d’un revenu salarial.

Aujourd’hui, le ménage moyen touche un double revenu en participant au travail salarié, et externalise des activités auparavant effectuées au sein de la famille (tâches ménagères, soin des enfants, etc.). En externalisant le temps et en cessant de recourir à la force de travail de la famille, nous avons étendu la sphère économique. Toutefois, une inégalité fondamentale perdure, qui est avant tout une inégalité du revenu : d’un côté, le double revenu de ménages qui manquent de temps pour en jouir – paradoxe ultime d’une société de consommation riche ; de l’autre, la pauvreté souvent concentrée dans des ménages ne disposant que d’un seul revenu, notamment des femmes seules avec enfants. Ces ménages n’ont ni l’argent ni le temps de se consacrer à d’autres activités, qu’il s’agisse d’activités domestiques ou d’activités leur procurant un revenu plus élevé qui leur permettrait d’externaliser certaines de ces tâches domestiques.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication marquent une nouvelle phase, l’expansion « numérique »

Aujourd'hui, les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent d’accéder à une nouvelle vague d’expansion de l’économie. Désormais, les nouvelles technologies permettent la codification des échanges. Certes, information et communication ont existé de tout temps. Toutefois, grâce aux nouvelles technologies, elles peuvent désormais être codifiées et faire l’objet d’échanges marchands. Nous pouvons les vendre sous forme numérique quels que soient l’endroit et le moment. Les transactions en ligne se font immédiatement et sans contrainte de distance.

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Les nouvelles technologies permettent ainsi d’accroître la « commerciabilité » de nombre d’activités, jusqu’alors limitées dans l’espace et dans le temps. Ces innovations permettent également de résoudre l’asymétrie existant entre demande et offre d’information. De plus, l’offre se personnalise en fonction de l’utilisateur. Des produits d’information très détaillés peuvent être offerts en réponse à des demandes d’information très spécifiques. Cette évolution pose également la question d’une inégalité croissante. En effet, la socialisation de l’information que représente l’internet n’est pas une socialisation des connaissances.

Trois aspects microéconomiques de la nouvelle économie

Comment la nouvelle économie peut-elle générer de la valeur ? Sur le plan microéconomique, nous pouvons distinguer trois éléments : les biens d’information, l’information sur les biens et les services, l’infrastructure d’information.

La question de l’appropriation des biens numériques

Nous disposons aujourd’hui de biens d’information. Nous pouvons encore les appeler information goods ou biens numériques. Il s’agit de tous les biens en ligne commercialisables (MP3, etc.). La question est de savoir comment il est possible d’introduire des droits d’exclusivité sur ces biens numériques. Comment procéder pour que ces biens ne soient pas copiés ? Comment la société de l’information peut-elle créer une exclusion sur des biens fondamentalement publics ? Peut-on instaurer des droits d’auteur, des droits de propriété ou des droits de brevet sur ces biens numériques ? Il est évident que l’information joue un rôle social et apporte une cohérence sociale dans la société. La question de l’introduction des droits dans ce secteur est d’actualité. Doit-on, par exemple, accorder des droits de brevet à des logiciels ? à des processus de gestion ? etc. Nous nous interrogeons encore sur les limites de l’appropriation de l’information.

L’information sur les biens et services peut réduire les coûts de transaction

La nouvelle économie permet d’apporter de l’information sur les biens et les services. Il s’agit de la notion de goods and services information. Ce type d’information joue un rôle essentiel pour résoudre les problèmes d’asymétrie d’information sur ces marchés. Il s’agit en l’occurrence de fournir de l’information sur les prix, sur la qualité ou encore sur la façon d’acquérir ces biens. Dans ce sens, l’internet apparaît comme une révolution de la distribution. Les coûts de transaction peuvent diminuer, d’une façon parfois phénoménale, dans des domaines où l’information relative aux sous-traitants ou à la qualité des produits, par exemple, n’est souvent pas très claire.

L’internet peut également jouer un rôle dans le B2B en amenant de la transparence, de nouvelles formes d’organisation et favoriser la désintermédiation.

Ses apports sont également conséquents dans le B2A, c'est-à-dire dans le business-to-administration. Nous menons actuellement une étude pour le compte du port de Rotterdam. Nous avons calculé que les coûts de transaction purs s’élevaient à 2 milliards de dollars. Or les nouvelles technologies peuvent permettre de réduire ces coûts de 25 %.

En ce qui concerne l’information sur les biens et les services, il ne faut pas considérer seulement la transparence apportée par l’internet, mais aussi les coûts de recherche de l’information. De nouvelles technologies apparaissent, comme les moteurs de recherche. Pour le moment, nous disposons encore de trop peu de connaissances sur le comportement des individus. Nous devons mener des études empiriques afin de déterminer comment définir des techniques de recherche plus sophistiquées. Sur ce point, l’anthropologie peut nous permettre d’ouvrir des pistes de réflexion.

Les effets de réseaux en augmentent la valeur

L’infrastructure d’information se modifie. Là se situent tous les problèmes de réseaux et de standards. La théorie économique s’est intéressée à la question des effets d’entraînement positifs (positive spillover effects) et à d’autres

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aspects typiques des réseaux. Par exemple, la valeur du réseau augmente en fonction du nombre du nombre de personnes se trouvant sur ce réseau, comme le veut la loi de Metcalfe2.

Par ailleurs, des questions se posent sur les infrastructures d’information et les problèmes de standards ouverts. Une de nos études a montré que l’ouverture des standards était essentielle pour réaliser des économies de réseau. De tels effets de réseau ne se produiraient pas avec un système fermé comme l’échange de données informatisé (EDI) ; seul intervient alors un effet lié à la productivité. Quand on ouvre un système, des effets de réseau peuvent apparaître de façon quasi-continuelle. Ils seront alors beaucoup plus significatifs et permanents par rapport à l’ensemble de l’économie.

L’émergence du « e-business »

Depuis le début de l’année, les hackers ou le cas Microsoft nous obligent à nous demander comment les firmes de la nouvelle économie peuvent avoir un réseau de clients et le garder. Nous assistons à la multiplication des partenariats click-and-mortar. De nouvelles formes d’alliances se nouent (e-liances). Elles peuvent rapprocher :

• une start-up et une firme existante : par exemple, la fusion entre AOL.com et Time Warner, qui donne naissance au premier groupe mondial de communications multimédia ; la joint-venture entre Shell et Commerce One, pour développer une place de marché dans le secteur de l’énergie ; ou encore l’accord annoncé par Unilever et iVillage.com, pour ouvrir ensemble un site « beauté et soins du corps ».

• deux firmes existantes : par exemple, Whirpool et Nokia ont signé un accord de coopération pour la conception de solutions originales dans le domaine de l’électroménager en réseau.

Ces firmes sont en général liées par des réseaux de plus en plus développés. L’alliance sera plus ou moins forte selon l’importance de la transformation liée au rôle de l’information dans le secteur même, et selon que cette transformation concerne le commerce, la distribution, ou qu’elle entraîne une véritable réorganisation.

Quelques tendances macroéconomiques

Sur le plan macroéconomique, nous pouvons affirmer qu’une partie de l’activité est aujourd'hui entrée dans la sphère économique alors qu’elle ne l’était pas auparavant. Nous assistons à une expansion continuelle de la sphère économique. Nous assistons également à l’accroissement de la commerciabilité, de la tradability des biens et des services de l’information. Leur commercialisation crée une croissance supplémentaire. Les produits deviennent davantage personnalisés. Ces innovations requièrent la participation active du consommateur qui se trouve ainsi plus impliqué dans la commercialisation de ces biens.

Un nouveau cycle d’accroissement de la productivité ?

Dans la décennie quatre-vingt-dix, les nouvelles conditions de croissance étaient présentes aux États-Unis, en ce qui concerne l’intégration du domaine de l’information et de la communication dans l’économie. Bien sûr, le secteur des technologies de l’information et de la communication était lui-même présent, aussi bien en ce qui concerne le hardware que le contenu. Le marché était dérégulé et de revenu très élevé. Enfin, le système financier était très développé.

Le débat actuel est de savoir si nous nous trouvons dans un cycle de croissance de la productivité similaire aux précédents. En particulier, il s’agit de déterminer si les États-Unis bénéficient d’effets cycliques macroéconomiques, similaires aux effets du cycle des années 1961-1969. Mais le cycle 1991-2000, si cycle il y a, ne ressemble guère au cycle 1961-1969. Dans un cycle type, le taux de croissance global et le taux de croissance de la productivité sont très élevés les deux premières années ; puis ils décroissent progressivement, pour atteindre des niveaux nettement moins élevés en fin de cycle. Dans le cycle actuel, les évolutions vont à l’opposé (graphique 1).

2. NDLR : Du nom de Robert Metcalfe, inventeur du protocole de réseau Ethernet et fondateur de la société 3Com. Selon la loi de Metcalfe, la valeur d’un réseau croit comme le carré de ses éléments connectés.

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Net-économie 95

1961-69 1982-90 1991-990

1

2

3

4

5

0

1

2

3

4

5

Périodes d’expansion économique

2 premières années3ème et 4ème années5ème et 6ème années7ème année et plus

Graphique 1La croissance de la productivité en période d’expansion économique

Il est certain que si nous vivons un cycle économique, il est inhabituel. Aujourd’hui, les États-Unis se trouvent dans une position exceptionnelle en termes de productivité. En Europe, certains pays ne suivent pas encore cette tendance à l’accélération de la productivité. Aux États-Unis, l’accélération de la productivité se concentre dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), celui qui produit les TIC. Il en est de même en France, qui a un secteur des TIC important. En revanche, aux Pays-Bas ou au Danemark, par exemple, on n’observe pas du tout cet effet (graphique 2).

Graphique 2 - Croissance de la productivité du travail dans le secteur producteur des TIC

7,36,2

8,6

5,03,9

9,6

3,34,3

16,2

9,7

0,0

17,1

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

Pays-Bas Danemark France Allemagne Italie Etats-Unis

Source: ICT database OCDE

1990-1995 1995-1998

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Insee Méthodes 96

Derrière ces constatations, demeure un problème de mesure important. Nous avons mené une étude sur le sujet pour l’Association économique néerlandaise : si on utilise le déflateur hédonique américain pour chacun des pays, en se limitant au seul secteur des TIC, on obtient une nouvelle évaluation de l’augmentation de la productivité – presqu’inchangée pour la France, mais quasiment doublée pour l’Allemagne (graphique 3). En considérant cette fois les secteurs utilisateurs des TIC, on obtient aussi pour l’Allemagne un effet assez important en termes de croissance de la productivité. Il y a donc un double effet de mesure : par rapport aux prix hédoniques d’une part, et par rapport au secteur des services, généralement mal mesuré, d’autre part.

L’infonomie, une science interdisciplinaire pour comprendre la nouvelle économie

En conclusion, nous nous trouvons face au paradoxe du paradis et de l’enfer. En principe, au paradis, les prix des biens sont relativement bas grâce aux effets de réseau, à la satisfaction des utilités et à l’abondance des biens publics, disponibles gratuitement. Par conséquent, le produit intérieur brut y est faible. En revanche, en enfer, la rareté et le manque de biens se répercutent sur les prix. Le produit intérieur brut y est probablement très élevé. Les effets de l’externalisation de la consommation peuvent être négatifs ou positifs. Je ne souhaite pas entrer plus en détail sur ce point, qui mériterait un exposé à lui seul.

De nombreux éléments de la science économique, en particulier de la microéconomie, nous permettent d’analyser le fonctionnement des marchés de la nouvelle économie. Cependant, au fur et à mesure que nous entrons dans ce type de marchés, nous devons faire de plus en plus appel à d’autres sciences telles que l’anthropologie, la psychologie et la sémiotique. En effet, ces marchés sont fonction du comportement des individus, qui ne réagissent pas dans la nouvelle économie comme ils le feraient dans l’économie matérielle traditionnelle. Cette remarque me permet d’introduire le concept d’infonomie. L’infonomie est un essai de développer une science nouvelle et interdisciplinaire, aujourd'hui nécessaire pour appréhender les tenants et les aboutissants de la nouvelle économie. C’est dans ce but qu’a été créé l’Institut de l’Infonomie à l’université de Maastricht ( http://www.infonomics.nl/ ).

Graphique 3 - Croissance de la productivité du travail dans le secteur producteur des TIC, 1990-1998, selon le type de déflateur

5,8 5,5

11,4

6,5

2,4

12,3

9,9

12,3

9,710,8

8,3

12,3

0

2

4

6

8

10

12

14

Pays-Bas Danemark France Allemagne Italie Etats-Unis

Source: ICT database OCDE

Cro

issa

nce

annu

elle

199

0-19

98

déflateur national déflateur américain

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Net-économie 99

COMMERCE ÉLECTRONIQUE INTERENTREPRISES, TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA

COMMUNICATION ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE

Martin Brookes Économiste senior, Goldman Sachs

Je vais diviser ma présentation en deux parties. La première concerne l’importance de l’impact que nous prêtons au commerce électronique, en particulier au commerce électronique interentreprises (B2B), sur l’économie. Une estimation initiale des conséquences du commerce B2B sur l’économie, tous secteurs confondus, laisse entrevoir un chiffre énorme, quelle que soit la référence macroéconomique.

En tant que macroéconomiste, je m’intéresse aux retombées de la technologie sur l’ensemble de l’économie. Je me demande surtout si les technologies nous rendrons plus riches en accélérant la croissance de la productivité. Il y a des raisons de croire que le commerce électronique B2B, qui est l’élément majeur de l’internet, pourrait nous rendre considérablement plus riches que la plupart des technologies que nous avons connues au cours des 40 ou 50 dernières années.

Le second aspect sur lequel je voudrais insister est plus pessimiste. En théorie, le commerce interentreprises va nous rendre plus riches. Néanmoins, nous ne comprenons pas pourquoi l’Europe en particulier n’a pas profité des fruits du progrès technologique dont l’économie américaine a bénéficié. Je démarrerai donc avec optimisme, par les perspectives du commerce électronique, mais je terminerai par une mise en garde et une question : l’Europe profitera-t-elle réellement de ces avantages ?

L’impact du commerce électronique interentreprises sur l’économie

Un résumé de la situation actuelle montre que le commerce interentreprises augmentera le PIB d’environ 5 % à long terme (cf. graphique 1). Cela représente un surcroît de croissance annuel d’au moins 0,25 %, voire de 0,5 %, au cours des 10 prochaines années. Pour un macroéconomiste, cette poussée est considérable. Elle complique aussi énormément la tâche de décideurs tels que Jean-Claude Trichet et ses collègues de la Banque centrale européenne, qui ont la charge difficile de comprendre l’économie dans sa globalité.

0.0

1.0

2.0

3.0

4.0

5.0

2000 01 02 03 04 05 06 07 08 09

PIB potentiel

PIB

Ecart en % à partirde la ligne zéro

*

Niveau à long terme

Graphique 1. Pays industrialisés - PIB et PIB potentiel à la suite du choc B2B

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Insee Méthodes 100

Les principaux bénéficiaires de cette relance ne seront pas nécessairement les entreprises qui investissent dans la technologie. Par exemple, si vous deviez payer 6 % moins cher votre prochaine Renault, vous n’achèterez pas forcément plus de voitures, ni ne passerez à un modèle supérieur. Vous prendrez peut-être les économies ainsi réalisées pour les dépenser ailleurs. Imaginez, par exemple, que vous décidiez de réorienter vos économies dans un repas supplémentaire par mois pendant six mois dans votre restaurant préféré. Ce restaurant n’aura peut-être même pas d’ordinateur, mais il deviendra malgré tout le principal bénéficiaire du changement technologique général. Par conséquent, les secteurs de l’économie réellement bénéficiaires ne sont pas nécessairement ceux qui font les gros titres en étant les premiers à utiliser ces techniques, mais peuvent être les secteurs de services classiques de l’économie.

Les économies de coûts permises par l’internet incitent les entreprises à effectuer leurs achats via la Toile dans le but de réaliser des économies et de transférer ces dernières sur les consommateurs qui, de ce fait, s’enrichissent.

Aux États-Unis, la diminution du coût de la technologie a stimulé les investissements dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). Le graphique 2 illustre le taux de déflation des prix du matériel informatique dans l’économie américaine au cours des 13 ou 14 dernières années. Les prix du matériel informatique ont régulièrement chuté de 20 % environ chaque année. Ceci a fortement incité les entreprises américaines à investir dans cette technologie. Au cours de ces dernières années, les États-Unis ont vu leurs investissements s’accélérer dans les technologies de l’information et de la communication, tout comme le Royaume-Uni et le Japon.

Les pays de la zone euro n’ont pas réussi à bénéficier des mêmes effets

Néanmoins, les pays de la zone euro restent loin derrière. Au cours de ces dernières années, les entreprises de l’Europe continentale ont très modérément investi dans les technologies de l’information et de la communication. Ces entreprises ne semblent pas profiter des prix beaucoup plus bas du matériel informatique. Elles n’ont pas l’air de réagir à l’incitation que donnent ces prix pour investir dans le matériel informatique. Je suis étonné et inquiet du fait qu’elles ne réagissent peut-être pas non plus aux économies de coûts que le B2B permet de réaliser.

Pour évaluer les répercussions de cette situation sur les pays de la zone euro, nous pouvons analyser leur taux de croissance macroéconomique global. Pour déterminer la contribution des investissements dans les TIC à la croissance, nous utilisons une méthodologie appelée la comptabilité de la croissance. Elle consiste à analyser les divers composants de la croissance. Elle montre deux types de contribution à la croissance : l’intensification du capital et la productivité globale des facteurs.

L’intensification du capital

Le premier composant de la croissance est l’intensification du capital. Cela consiste à investir dans un plus grand nombre de biens d’équipement, tels que le matériel informatique. Étant donné que le capital moyen par travailleur

87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00-40

-30

-20

-10

0%

* Taux de variation des prix des ordinateurs et des périphériques au quatrième trimestre

Graphique 2. Taux de déflation des prix des ordinateurs aux Etats-Unis*

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Net-économie 101

augmente, ces travailleurs deviennent normalement plus productifs. À mesure que les prix de ces biens d’équipement continuent de chuter, de plus en plus d’investissements sont réalisés ; le stock de capital augmente et l’intensification du capital se poursuit.

La productivité globale des facteurs

Le second composant est la productivité globale des facteurs. Elle désigne l’efficacité avec laquelle les facteurs travail et capital sont combinés pour générer de la production. En théorie, la productivité globale des facteurs représente l’impact le plus intéressant de la technologie : celle-ci permet de réorganiser le lieu de travail, de générer de la production à un coût moindre, en utilisant moins d’intrants. Si l’on décompose davantage les statistiques économiques, il est possible de mesurer la contribution des technologies de l’information et de la communication à la croissance de la productivité via l’intensification du capital, l’utilisation ainsi que la production de ces TIC.

Les chiffres qu’on peut tirer d’une analyse des dix dernières années ne sont guère encourageants pour un Européen. Aux États-Unis, pendant la première moitié de la décennie quatre-vingt-dix, la contribution totale des TIC à la croissance de la productivité a été légèrement inférieure à 0,8 % par an (cf. graphique 3). Ce résultat conjugue l’effet d’un plus grand nombre de biens d’équipements avec l’efficacité productive que ces biens d’équipements ont permise. Entre 1996 et 1999, l’impulsion ainsi donnée au taux de croissance est montée en flèche. Les prix de l’équipement TIC ont tellement chuté que les entreprises ont décidé d’investir davantage dans cet équipement. À mesure que leurs investissements augmentaient, elles découvraient qu’elles pouvaient réorganiser leurs lieux de travail afin de devenir plus productives.

De plus, les États-Unis représentent une part importante des fabricants d’équipement TIC, ce qui augmente directement la croissance de la productivité. La contribution des TIC à la hausse de la productivité a pratiquement doublé aux États-Unis. De même, le Japon a enregistré un regain relativement important de la croissance de la productivité. Toutefois, le reste de l’économie japonaise est si peu productif que cela a effacé les gains redevables aux TIC.

Curieusement, il n’y a pas eu une telle accélération de la croissance de la productivité en Europe continentale. Fait majeur, la contribution des TIC à la croissance a à peine changé au cours des dix dernières années, malgré la baisse annuelle de 25 à 30 % des prix du matériel informatique. Les entreprises ne semblent pas avoir investi beaucoup plus que par le passé.

En conséquence, sur le papier, nous serions très optimistes quant à l’impact du commerce électronique dans les pays de la zone euro, car le B2B se diffuse dans l’économie. Cependant, il faudrait au préalable que les entreprises décident de réagir favorablement à l’incitation économique des réductions de coûts permises par le B2B. Pour une raison ou une autre, au cours des dix dernières années, les entreprises de la zone euro n’ont pas répondu à l’incitation économique résultant de l’effondrement des prix du matériel informatique. C’est pourquoi on ne peut être trop optimiste au sujet de

0.0

0.2

0.4

0.6

0.81.0

1.2

1.41.6

1.8

2.02.2

2.4

États-Unis Japon

% par an

Pays de la zone euro

Royaume-Uni

90-95 96-99 96-99 96-99 96-9990-95 90-95 90-95

Use of ICT

Production of ICT

Graphique 3. Contribution des TIC à la croissance de la productivité du travail

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Insee Méthodes 102

ces pays. Dans les dix prochaines années, les pays de l’Europe continentale pourraient profiter nettement plus que les États-Unis des technologies de l’information et de la communication, notamment de l’internet. Toutefois, cela impose un changement de comportement.

Des écarts de taux de croissance qui s’expliquent par la démographie et les technologies de l’information

Si nous examinons plus en détail les différences entre les États-Unis et l’Europe, nous constatons que pendant les années 1996-1999, la croissance annuelle américaine était pratiquement 2 % supérieure à celle des pays de la zone euro (cf. tableau 1). Pour ces calculs, nous avons utilisé une définition cohérente du PIB. Sur ces 2 % annuels, 0,8 % s’explique par l’augmentation de la population. Il manque aux pays de la zone euro un voisin comme le Mexique qui a exporté de la main-d’œuvre aux États-Unis. Si nous décomposons le reste de la différence entre les deux pays, nous trouvons que les TIC expliquent 0,9 % du chiffre. Par conséquent, la démographie (l’augmentation de la population) et les technologies de l’information et de la communication ont fait des États-Unis le pays ayant la croissance économique la plus rapide au cours des dix dernières années.

La moitié de la différence entre les taux de croissance des États-Unis et des pays de la zone euro s’explique par les investissements agressifs réalisés par les États-Unis dans le domaine des TIC au cours des cinq dernières années. Les pays de la zone euro, et notamment le secteur privé, n’en ont pas fait autant. Il ne faut pas oublier que ce sous-investissement est un phénomène propre au secteur privé et non pas au secteur public. Il se reflète dans le faible nombre de brevets déposés en Europe, comparé aux États-Unis.

Tableau 1. Pourquoi les États-Unis détiennent-ils le leadership mondial à la fin des années quatre-vingt-dix ?

Moyenne 1996 - 1999 (% par an)

États-Unis Japon moins États-Unis

Royaume-Uni moins États-Unis

Zone euro moins États-Unis

PIB - secteur entreprises 4.46 -2.56 -1.03 -1.88

Population 0.97 -1.10 -0.63 -0.80

PIB par tête 3.49 -1.46 -0.40 -1.08

- Productivité du travail 2.70 -0.78 -0.93 -1.26

- Intensification du capital 1.26 0.44 -0.58 -0.54

- Productivité globale des facteurs (PGF) 1.44 -1.21 -0.35 -0.72

Contributions des TIC

Contribution des TIC à l’intensification du capital 0.79 0.35 0.05 -0.41

Contribution des TIC à la PGF 0.83 -0.28 -0.43 -0.52

Contribution totale des TIC 1.62 0.07 -0.38 -0.93

Les variations cycliques importent peu

En ce qui concerne les investissements réalisés dans la technologie, nombre de personnes s’inquiètent des variations cycliques de l’économie. À l’heure où le Nasdaq chute de façon aussi dramatique, elles craignent que les entreprises ne puissent réunir des fonds pour investir dans les technologies ou qu’elles rechignent, d’une manière ou d’une autre, à investir dans ces technologies. Ces personnes redoutent que ces variations cycliques empêchent l’économie de bénéficier des fruits du progrès technologique.

Je ne pense pas que ce soit vrai. L’histoire a démontré que la volatilité cyclique d’une économie importait peu. L’industrie du chemin de fer en est un excellent exemple. Aux États-Unis, vers la fin du XIXème siècle, la volatilité des investissements dans le chemin de fer était énorme. Cela reflétait, voire exacerbait, la volatilité de l’ensemble de

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Net-économie 103

l’économie. Si vous décomposez très précisément le nombre de kilomètres de voies ferrées posées chaque année aux États-Unis, vous constaterez qu’il varie considérablement d’une année à l’autre, conformément aux tendances de l’économie. Néanmoins, au bout du compte, les États-Unis possédaient un système de chemin de fer complètement développé.

En conséquence, les fluctuations cycliques normales importent peu tant que la technologie est viable et souhaitable. Je ne m’inquiéterai pas des fluctuations de l’économie réelle ni même de la disponibilité des fonds destinés aux investissements dans la technologie.

Comme je l’ai dit précédemment, les entreprises qui produisent de la technologie ne gardent pas nécessairement les bénéfices pour elles. Prenez l’expérience des compagnies d’électricité aux États-Unis : il est très frappant de constater que les entreprises qui ont produit et vendu de l’électricité n’ont pas gardé les bénéfices pour elles, mais les ont transférés aux consommateurs. Par exemple, entre 1902 et 1917, le volume d’électricité produit et vendu dans l’économie américaine a augmenté de plus de 600 %.

Néanmoins, les entreprises produisant et vendant cette électricité ne pouvaient même pas maintenir leurs profits constants et ce, à cause de la concurrence croissante. Au bout du compte, toutefois, les États-Unis étaient un pays complètement électrifié. À Londres, il existait une quinzaine de compagnies d’électricité qui ont toutes fait faillite ou ont été nationalisées car elles n’étaient pas en mesure de se concurrencer mutuellement. Cependant, leur incapacité à être rentables n’a pas empêché la distribution de l’électricité dans Londres et dans tout le Royaume-Uni.

En conclusion, une technologie peut être entièrement diffusée dans l’économie même si les entreprises qui fournissent la technologie au départ disparaissent au cours du processus. Cela est inquiétant pour les employés du secteur de la technologie en question. Peu importe si cette technologie est en plein essor ou importante, cela ne signifie pas nécessairement que les entreprises de ce secteur garderont les bénéfices pour elles.

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Statistique.net 111

STATISTIQUE.NET

Jean-Marie Nivlet Direction du développement des médias

La vente par l’internet est déjà mentionnée dans une première version de la nomenclature des produits des Nations Unies, la CPC (Central Products Classification). À la rubrique relative aux services de vente par correspondance, une note précise que ce groupe de services inclut les services de vente par l’internet proposés par des détaillants qui acceptent les commandes de biens, neufs ou d’occasion, par e-mail, et qui livrent les produits au domicile du client. Le commerce électronique n’est envisagé que comme une forme particulière du commerce par correspondance. La demande de mesure et de définition du commerce électronique qui est adressée aux statisticiens est beaucoup plus complexe et plus vaste que la définition proposée par l’ONU. Le commerce électronique étant une nouvelle manière de mener des transactions commerciales, ce phénomène concernerait de multiples facettes de l’activité productive, depuis la gestion d’établissements physiques jusqu’à l’approche du consommateur, en passant par les appels d’offres, la gestion des inventaires, le marketing et la communication. Ce mode d’échanges pourrait concerner tous les acteurs de la sphère productive, que ce soient les entreprises, les ménages ou les détaillants.

La définition du commerce électronique nécessite de se focaliser sur la transaction, ce qui est inhabituel pour les statisticiens. En effet, la comptabilité d’entreprise et la comptabilité nationale ne sont pas prévues pour faire apparaître le type de transaction concernée. En outre, le point de départ des projections réalisées ces dernières années était extrêmement bas. Les quelques pays qui ont essayé de mener des enquêtes quantitatives sur le commerce électronique ont conclu qu’il était impossible de mesurer l’étendue de cette activité. Est-il possible d’appréhender l’objet de la mesure de manière non équivoque, tant pour les statisticiens des différents pays que pour ceux qui répondent à leurs enquêtes ? Comment pouvons-nous appréhender un phénomène émergent ? La réponse à ces deux questions ne peut pas tenir dans une formule simple.

Il a donc fallu envisager un cadre d’ensemble, composé de plusieurs définitions et d’une liste d’indicateurs. Au mois d’avril 1999, le groupe de travail de l’OCDE sur les indicateurs de la société de l’information a inscrit la question du commerce électronique à son programme de recherche. En novembre 2000, des experts mandatés par ce groupe se sont réunis pour débattre de cette question. Cette réunion permettra d’adopter prochainement une définition internationale.

Bill Pattinson, de l’OCDE, nous présentera l’état d’avancement des travaux de son organisation sur le commerce électronique. Il a travaillé comme consultant auprès du secrétariat de l’OCDE, après avoir fait carrière au bureau australien des statistiques, où il a mis en place un programme sur les technologies de l’information et de la communication.

Certains pays, comme le Canada, ont déjà commencé à mesurer l’activité engendrée par le commerce électronique. Daniel April est le chef de l’unité chargée des enquêtes sur la radiodiffusion et sur la télédistribution à Statistique Canada. Il nous exposera les premiers enseignements qu’il a tirés de cette collecte.

Enfin, Patrice Roussel, chef du département des activités tertiaires de l’Insee, nous fera le point sur les premières tendances qui se dégagent de l’enquête lancée en France, en 2000, sur les ventes réalisées par les détaillants par le biais de l’internet.

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Statistique.net 115

E-COMMERCE – VERS UNE DÉFINITION INTERNATIONALE ET DES INDICATEURS STATISTIQUES COMPARABLES AU NIVEAU

INTERNATIONAL

Bill Pattinson Division de la politique de l’information, de l’informatique et de la communication

OCDE

La définition d’indicateurs statistiques appropriés sur l’économie et la société de l’information est essentielle à une bonne compréhension des mécanismes et des tendances qui prévalent dans ce domaine et à l’établissement d’une base adéquate pour le développement et le contrôle d’une politique. Ces prémices ont conduit à la constitution en 1997 d’un groupe d’experts statisticiens ad hoc : le groupe de statisticiens du comité des politiques de l’informatique, de l’information et de la communication, ou comité PIIC [en anglais, Information, Computer and Communication Policy Committee (ICCP)]. Son objectif est de mettre en place un ensemble de définitions et de méthodologies pour faciliter la compilation de données comparables au niveau international permettant de mesurer les différents aspects de la société de l’information, de l’économie de l’information et du commerce électronique.

À la fin 1998, le statut de groupe de travail a été accordé à ce groupe ad hoc. La première réunion du groupe de travail sur les indicateurs de la société de l’information (GT/ISI, ou WPIIS en anglais pour Working Party on Indicators for the Information Society) s’est tenue en avril 1999. Le Dr Fred Gault, de Statistique Canada préside le GT/ISI, la Suède et la France assurant les vice-présidences.

Le GT/ISI ne se réunit qu’une fois par an, mais un certain nombre des questions qu’il traite intéressent également le Groupe de Voorburg, qui se réunit annuellement pour discuter de sujets liés aux statistiques du secteur des services. Lors des dernières réunions de ce groupe, la présentation des documents et les discussions qui s’en sont suivies ont permis d’avancer plus rapidement sur un certain nombre des questions présentées ci-dessous que ce n’aurait été le cas autrement. Les travaux ont également bénéficié de leur inscription à l’ordre du jour de plusieurs réunions Eurostat sur la société de l’information.

Ce document se donne pour objectif de présenter les travaux du GT/ISI, dans la mesure où ils concernent le commerce électronique. Dans un premier temps, il serait approprié de présenter les travaux sur la mesure du e-commerce au sein du programme général de travail du GT/ISI, c’est-à-dire la définition et la mesure de la société de l’information.

Le programme du GT/ISI et le e-commerce

Le programme de travail du GT/ISI concerne la définition et la mesure de tous les aspects de l’économie et de la société de l’information. Pour cela, un schéma a été élaboré qui considère l’économie de l’information comme comprenant le secteur des technologies de l’information et de la communication, le secteur des contenus, les productions de ces secteurs et leur application aux processus industriels et commerciaux (business processes) classiques.

Le GT/ISI a commencé par développer une définition acceptée au niveau international du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC). La définition de l’OCDE basée sur l’activité a été approuvée par le GT/ISI en juin 1998 et officialisée par le comité des politiques de l’informatique, de l’information et de la communication (PIIC) en septembre 1998. L’OCDE en est venue par la suite à « mettre en œuvre cette définition » en développant un ensemble d’indicateurs statistiques pour ce secteur1.

Il est également important de définir l’ensemble des produits émanant du secteur TIC, et l’OCDE travaille à réaliser une telle définition pour sa réunion d’avril 2001. Cet ensemble doit être constitué à partir des nomenclatures existantes de produits. Les nomenclatures pertinentes à cet égard sont la Classification des Produits Centrale (utilisée pour la

1. Un exemplaire de cette publication est disponible gratuitement à l’adresse Internet suivante : http://www.oecd.org/dsti/sti/stats/index.htm ou sur demande à l’OCDE.

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Insee Méthodes 116

production des biens et services) et le Système Harmonisé (utilisé pour les échanges internationaux de biens). Bien qu’il s’agisse de deux nomenclatures structurées, elles n’identifient pas spécifiquement les biens et services TIC. En conséquence, elles nécessitent des modifications avant de pouvoir être utilisées pour la mesure des produits du secteur TIC. Par ailleurs, et c’est plus important, ces deux nomenclatures sont relativement anciennes ; de ce fait elles ne distinguent pas les nouveaux biens et services pour lesquels les utilisateurs recherchent des informations. À ce jour, les travaux sur cette partie du projet ont été quelque peu plus lents que souhaitable, mais on peut espérer aboutir à une conclusion pour la réunion du GT/ISI d’avril 2001.

La définition du secteur TIC basée sur l’activité est limitée aux secteurs qui permettent, par des moyens électroniques, le traitement, la transmission et la visualisation des informations, mais elle exclut les secteurs qui produisent les informations, les activités dites de « contenu ». Le secteur des « contenus » connaît une croissance rapide dans l’économie et intéresse fortement les décideurs en matière politique.

Les travaux entrepris envisagent la question du secteur des « contenus » à la fois en termes d’activités et en termes de produits. La première étape consiste à formuler une analyse argumentée des biens et des services qui pourraient relever de ces catégories et à partir de là, à élaborer des définitions du secteur et des produits. Il faut mesurer l’importance et le taux de diffusion des « contenus » électroniques ainsi que les conséquences ressenties au niveau des activités et des produits plus traditionnels et, d’une manière générale, dans l’économie et la société.

L’évaluation complète de l’économie et de la société de l’information nécessite en outre un suivi détaillé de la manière dont les produits de ces secteurs sont diffusés dans l’économie. À cet effet, l’OCDE travaille avec les groupes précédemment évoqués au développement de modèles d’enquêtes sur l’utilisation des biens et services TIC par tous les agents économiques, les entreprises, les administrations et les ménages.

Le modèle d’enquête le plus avancé concerne les entreprises. Les pays nordiques jouent un rôle moteur dans son développement. Il est envisagé qu’une première version du questionnaire soit adoptée lors de la réunion du GT/ISI de 2001. Les enquêtes sur l’utilisation des TIC par les ménages sont également en cours de développement, sous l’impulsion de l’Australie. Une proposition d’un ensemble de questions types à utiliser au niveau international, selon ce que les agences statistiques des États membres jugeront approprié, sera présentée lors de la réunion du GT/ISI de 2001. Les travaux sur un modèle d’enquête pour l’administration sont moins avancés car peu de pays ont entrepris des enquêtes d’utilisation des TIC pour ce secteur, à l’exception notable de l’Australie et du Canada.

Définition et mesure du commerce électronique

Les processus industriels et commerciaux électroniques fonctionnent à partir de technologies et d’applications TIC. À cet égard, la mesure du e-commerce est l’un des éléments de l’utilisation des TIC ; elle peut être ainsi envisagée dans le contexte des modèles d’enquêtes d’utilisation des TIC évoquées ci-dessus. Toutefois, du fait de l’extrême intérêt porté au e-commerce par les pouvoirs publics et les médias, un point distinct a été inscrit au programme de travail du GT/ISI. L’impulsion pour ces travaux a été donnée par le plan d’action e-commerce de l’OCDE adopté par les ministres lors de la conférence de 1998 sur le commerce électronique (Ottawa, octobre 1998). L’un des sept points d’action de ce plan demandait d’« engager des travaux sur la définition et la mesure du commerce électronique ». Par la suite, l’OCDE a organisé un séminaire (21 avril 1999), qui a réuni des professionnels, des décideurs politiques, des chercheurs et des statisticiens pour discuter des questions de définition et de mesure du e-commerce. Lors de sa réunion qui a suivi ce séminaire, le GT/ISI a décidé de créer un groupe d’experts sur la définition et la mesure du e-commerce, avec pour mission de « mettre au point des définitions du commerce électronique qui soient pertinentes pour les politiques et statistiquement opératoires ».

Pour cela, le groupe d’experts a travaillé sur les trois aspects interdépendants de ce problème : un cadre intégrant les besoins des utilisateurs et leurs priorités, les définitions et la mesure statistique. Il en a fait une présentation lors de la réunion du GT/ISI 2000. Les résultats de ces travaux ont été présentés lors de nombreuses réunions et conférences au cours des 12 mois qui se sont écoulés entre les réunions du GT/ISI de 1999 et 2000 ; ils sont résumés ci-dessous.

En ce qui concerne les besoins des utilisateurs, les travaux se sont inspirés du modèle présenté par Industrie Canada au séminaire d’avril 1999 évoqué ci-dessus. Ce modèle distingue trois ensembles fondamentaux d’indicateurs nécessaires pour les besoins des pouvoirs publics. Ces indicateurs concernent l’état de préparation, l’intensité et les effets du e-commerce. Ils sont définis dans l’encadré ci-dessous, le modèle général étant présenté sous forme de diagramme en figure 1. Les besoins des pouvoirs publics et les indicateurs dépendront du niveau d’activité constatée du e-commerce. Initialement, la demande d’indicateurs concernera l’état de préparation d’une économie au e-commerce. Ensuite, il

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faudra disposer d’un ensemble d’indicateurs pour mesurer l’intensité de l’utilisation du e-commerce. Aux stades ultérieurs de développement du e-commerce, apparaîtra le besoin d’indicateurs sur l’incidence du e-commerce sur l’économie et la société d’une manière générale.

État de préparation – mesure de l’infrastructure existante permettant l’exercice d’activités de e-commerce ;

Intensité – mesure de l’étendue de l’utilisation du e-commerce par les agents économiques dans l’exercice de leur activité économique et sociale courante ;

Effets – mesure de l’incidence du e-commerce sur l’économie et la société.

Comme le présente la figure 1, on constate un certain recouvrement entre les trois ensembles d’indicateurs. De plus, certains indicateurs qui pourraient être développés pourraient servir pour plusieurs niveaux d’activité de e-commerce.

En ce qui concerne les définitions, un grand nombre sont utilisées dans le monde et elles sont largement différentes. Certaines incluent toutes les transactions financières et commerciales réalisées de manière électronique, d’autres limitent le e-commerce au commerce de détail via l’internet. Les premières existent depuis des dizaines d’années et génèrent chaque année des milliers de milliards de dollars. Par contre, le second type est relativement nouveau et est encore très limité.

Une enquête sur l’opinion des professionnels concernant la définition du e-commerce, menée pour le compte de Statistique Canada, a mis en évidence une distinction entre l’e-business et l’e-commerce, ce dernier n’englobant que les transactions commerciales, l’e-business quant à lui concernant toutes les autres formes de processus industriels et commerciaux (Statistique Canada [1999]). Il était essentiel que la transaction soit menée au moyen de quelque forme de réseau informatique pour pouvoir être incluse dans l’une ou l’autre catégorie.

Les définitions des décideurs politiques sont souvent très larges, car ceux-ci souhaitent comprendre l’incidence du e-commerce dans l’économie et l’ensemble des processus industriels et commerciaux. Par ailleurs, ils ont également besoin de données à un niveau très fin du fait qu’il est nécessaire de mesurer différents segments du e-commerce car les déterminants, les solutions technologiques, les incidences et les implications politiques peuvent être différents.

Figure 1. Traduire les besoins des pouvoirs publics en indicateurs du e-commerce

Source : OCDE

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117

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Insee Méthodes 118

En termes de mesure statistique, on a constaté une intense activité jusqu’à ce jour, bien que toutes les initiatives n’aient pas été pleinement coordonnées. De nombreuses mesures montrent l’état de préparation au e-commerce de plusieurs économies. Il existe de nombreux indicateurs sur l’infrastructure des télécommunications dans les états membres et sur les compétences professionnelles nécessaires pour exercer des activités de e-commerce. Dans de nombreux pays, il existe également des indicateurs de diffusion des ordinateurs et de l’internet dans l’économie et plus généralement dans la société, et un certain nombre d’indicateurs de l’intensité de leur utilisation ont été développés. Pour la mesure de la valeur des ventes électroniques, en particulier sur l’internet, l’utilisation d’enquêtes par sondage n’a pas jusqu’à présent donné de résultats très fiables, du fait du petit nombre d’entreprises et de ménages réalisant de telles transactions. Avec l’augmentation du nombre et de la valeur des transactions réalisées sur l’internet, ce problème deviendra moins préoccupant et le niveau de précision des données s’améliorera. De nombreux pays ont d’ores et déjà entrepris des tentatives pour mesurer ces transactions.

La mesure des effets du e-commerce n’a que peu retenu l’attention jusqu’ici, et un travail plus important est nécessaire dans ce domaine.

En avril 2000, l’OCDE a organisé une réunion commune du groupe de travail sur l’économie de l’information (GT/EI) et du groupe de travail sur les indicateurs de la société de l’information (GT/ISI) pour permettre d’aboutir à une conclusion sur ces questions. La réunion est arrivée aux conclusions suivantes :

• Le modèle sur l’utilisation (état de préparation, intensité, effets ; voir ci-dessus) est approprié.

• Il est opportun de prévoir deux définitions des transactions du e-commerce, une définition large et une définition étroite. La définition large concerne la vente et l’achat de biens et de services via des réseaux électroniques. La vente et l’achat sont définis par l’action de passer commande, et non par le paiement ou la livraison. La définition étroite concerne la vente ou l’achat de biens et de services sur l’internet.

• Une liste provisoire d’indicateurs pour les entreprises et les administrations a été acceptée comme point de départ pour un examen plus détaillé de leur pertinence en vue de fournir des données comparables au niveau international.

• Il était approprié de constituer un groupe d’experts pour mieux spécifier (de façon plus détaillée) les termes utilisés dans les définitions et pour examiner et affiner la liste des indicateurs à partir d’une étude des pratiques statistiques des pays membres.

L’OCDE a de ce fait organisé une réunion du groupe d’experts ad hoc en novembre 2000 pour examiner les questions soulevées lors des réunions d’avril. Les experts ont confirmé la décision précédemment adoptée selon laquelle il devrait y avoir deux définitions, et ont seulement proposé de modifier la rédaction de la définition restreinte en la limitant aux transactions sur l’internet, sans plus faire référence au protocole internet (Internet-protocol based networks). Les experts ont proposé en outre que les pays devraient, dans leurs formulaires d’enquêtes, donner des exemples de ce qui doit être pris en compte, pour préciser ce que recouvrent ces définitions. Les définitions opérationnelles proposées figurent dans les encadrés 1 et 2 ci-dessous.

Encadré 1. La définition restreinte – une définition opérationnelle des transactions internet Commandes reçues/passées sur une page Web, sur un extranet et les autres applications qui fonctionnent sur l’internet, telle que l’EDI sur l’internet, le minitel sur l’internet ou toute autre application du Web, indépendamment du mode d’accès au Web (par exemple un téléphone mobile ou un téléviseur). Le paiement et la livraison finale des biens et des services peuvent être effectués en ligne ou hors ligne.

Encadré 2. La définition large : une définition opérationnelle des transactions électroniques Comprend toutes les transactions sur l’internet définies ci-dessus plus les commandes reçues/passées par EDI ou toute autre application en ligne utilisée dans les transactions automatisées (par exemple systèmes téléphoniques interactifs). Les commandes reçues/passées par télécopie, téléphone ou mél non interactif ne doivent pas être prises en compte. Le paiement et la livraison finale des biens et des services peuvent être effectués en ligne ou hors ligne.

Il a été également demandé à la réunion du groupe d’experts ad hoc d’envisager la question de l’élaboration d’une liste de processus industriels et commerciaux spécifiques pour lesquels des indicateurs pourraient être définis. Dans la liste initiale adoptée en avril, seul le terme générique « processus industriels et commerciaux spécifiques » (“specific business processes”) a été utilisé, processus autres que la passation de « commandes ». Des membres de l’OCDE ont mesuré des processus industriels et commerciaux spécifiques jugés particulièrement pertinents dans leur contexte et pour les

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Statistique.net 119

enquêtes d’entreprise qu’ils effectuent. À partir d’un examen de ces listes et de la discussion intervenue lors de la réunion, il a été proposé que l’ensemble des processus industriels et commerciaux figurant dans l’encadré 3 constitue l’ensemble initial pour des comparaisons au niveau international.

Encadré 3. Processus industriels et commerciaux (business processes) à utiliser comme ensemble initial pour des comparaisons au niveau international

- Commande de biens et de services – à la fois ventes et achats - Paiement en ligne des biens et services – à la fois reçus et paiements - Réalisation de transactions financières autres que les paiements en ligne, par exemple transactions bancaires - Livraison numérique de services – en tant que fournisseur et client - Marketing et promotion / recherche d’informations - Recrutement de personnel/recherche de travail - Utilisation de bases de données en ligne – en tant que fournisseur et utilisateur

Après avoir établi des définitions opérationnelles du e-commerce et des processus pour lesquels des indicateurs pourraient être nécessaires, la réunion du groupe d’experts ad hoc était alors en mesure d’examiner la liste des indicateurs à partir de leurs propres expériences nationales et des résultats d’une enquête sur la disponibilité des données effectuée par l’OCDE. Ils ont conclu que la liste des indicateurs figurant ci-dessous devrait être retenue pour un premier exercice de collecte de données par l’OCDE, sous réserve que ces indicateurs puissent être calculés sur une base comparable au niveau international. L’OCDE a été invitée à poursuivre le travail d’harmonisation en vue d’aboutir à un ensemble de données comparables pour les indicateurs figurant dans l’encadré 4 ci-dessous.

Encadré 4. Indicateurs de base du secteur des entreprises pour la mesure du e-commerce 1. Nombre/proportion d’entreprises disposant d’ordinateurs

2. Emploi (niveau et proportion) des entreprises disposant d’ordinateurs

3. Nombre/proportion d’entreprises ayant un accès à l’internet

4. Emploi (niveau et proportion) des entreprises disposant d’un accès à l’internet

5. Nombre/proportion d’entreprises exécutant des processus industriels ou commerciaux spécifiques sur l’internet :

- Commandes de biens et de services (à la fois vente et achat)

- Paiement en ligne des biens et services (à la fois réception et paiement)

- Réalisation de transactions financières autres que les paiements en ligne, par exemple les transactions bancaires

- Livraison numérique de services (en tant que fournisseur et client)

- Marketing et promotion / recherche d’informations

- Recrutement de personnel / recherche d’emploi

- Utilisation de bases de données en ligne (en tant que fournisseur et utilisateur)

6. Nombre/proportion d’entreprises disposant d’un site Web

7. Nombre/proportion d’entreprises projettant d’utiliser l’internet

8. Nombre/proportion d’entreprises recevant des commandes sur des réseaux électroniques

9. Valeur des commandes de biens et de services reçues sur l’internet

10. Valeur des commandes de biens et de services reçues sur des réseaux électroniques

11. Proportion des commandes de biens et de services reçues sur l’internet

12. Proportion des commandes de biens et de services reçues sur des réseaux électroniques

La réunion du groupe d’experts a également reconnu l’importance de la mise au point d’indicateurs comparables au niveau international pour le secteur des ménages. Bien que n’ayant pas discuté dans le détail des activités (ou des processus) à mesurer, ils ont pu aboutir à un ensemble d’indicateurs pour le secteur des ménages. À cet égard, il a été reconnu que certains indicateurs devraient porter sur les ménages et d’autres sur les individus. À partir de leur expérience internationale à ce jour, les experts se sont mis d’accord sur la liste de base figurant dans l’encadré 5 ci-dessous.

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Insee Méthodes 120

Encadré 5. Indicateurs de base du secteur des ménages pour la mesure du e-commerce 1. Nombre/proportion de ménages disposant d’ordinateurs

2. Nombre/proportion de ménages ayant accès à l’internet

3. Nombre/proportion de ménages déclarant des obstacles spécifiques à l’égard du e-commerce

4. Nombre/proportion des individus réalisant des activités spécifiques sur l’internet : - achat de biens et de services (à usage privé) - paiement de biens et de services (à usage privé) - activités professionnelles à domicile - activités de jeu à domicile - transactions bancaires à domicile

5. Valeur des commandes passées par des individus sur l’internet

L’avenir

Les conclusions de la réunion du groupe d’experts ci-dessus n’ont à ce stade qu’un caractère provisoire et sont actuellement proposées aux participants pour vérification et examen supplémentaire. Elles seront alors diffusées plus largement aux délégués du GT/ISI pour solliciter leurs commentaires. L’avis des délégués du GT/EI sera recueilli lors de la réunion qui se tient le 6 décembre 2000.

Il peut être intéressant de noter qu’à ce stade, le point le plus controversé concerne le traitement des commandes passées par mél. Comme cela ressort de la définition, l’intention est de ne prendre en compte que les méls qui permettent, d’une certaine manière, de passer une commande automatisée. En pratique, il n’est pas certain que ce type de définition puisse être mis en œuvre dans des enquêtes statistiques. Il est probable que des discussions supplémentaires interviendront avant qu’une décision finale soit adoptée.

Étant parvenu à un accord sur un ensemble de définitions et d’indicateurs, il est important de passer à l’étape suivante de ce processus, le calcul des indicateurs. Dans le cadre de ce processus, il y a beaucoup à apprendre sur le degré de comparabilité des indicateurs entre les pays, ou sur la possibilité de les rendre comparables. Par conséquent, l’OCDE propose de commencer par une collecte des indicateurs disponibles au début de 2001. Cette première collecte donnera une idée réelle de la faisabilité des décisions prises. Si les indicateurs se révèlent comparables, l’OCDE les publiera vers l’été 2001.

L’étape finale du programme sera alors la réalisation d’un manuel méthodologique provisoire, susceptible d’être utilisé par les pays membres pour leur permettre de produire des statistiques comparables au niveau international. Aucun calendrier n’a été prévu pour ce travail car il dépend des résultats des premières étapes. La réunion d’avril 2001 du GT/ISI examinera probablement la priorité qu’il convient de donner à cette mission.

Enfin, il convient de noter que les travaux de l’OCDE à ce jour ont porté sur les indicateurs d’« état de préparation » et d’« intensité » précédemment définis. Il reste encore beaucoup à faire pour étendre cet ensemble d’indicateurs à la mesure des effets du e-commerce.

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Statistique.net 121

Documents de référence

OCDE (1998), Compte rendu résumé de la seconde réunion ad hoc sur les indicateurs de la société de l’information, DSTI/ICCP/AH/M(98)1/Rev 1.

OCDE (1999), Exposé de Richard Simpson, Industry Canada, au séminaire OCDE sur la définition et la mesure du e-commerce, avril 1999. http ://www.oecd.org/dsti/sti/it/ec/act/agenda_ECworkshop.htm

OCDE (1999), Définition et mesure du e-commerce, Rapport d’étape, DSTI/ICCP/IIS(99)4/FINAL. http ://www.oecd.org/dsti/sti/it/ec/act/paris_ec/paris-ec_docs_1.htm

OCDE (1999), L’utilisation des biens et services TIC par les ménages, Vers un système de statistiques comparables au niveau international, DSTI/ICCP/IIS/RD(99)3.

OCDE (2000), Compte rendu de la réunion conjointe du groupe de travail sur l’économie de l’information (GT/EI) et du groupe de travail sur les indicateurs de la société de l’information (GT/ISI).

Statistique Canada (1999), Une vérification de la réalité pour définir le commerce électronique. Rapport élaboré par CGI pour Statistique Canada. http ://www.statcan.ca/francais/IPS/Data/88F0006XIB99006.htm

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Statistique.net 125

LA MESURE DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE L’EXPÉRIENCE CANADIENNE

Daniel April Chef du bureau Enquêtes sur la radiodiffusion et la télédistribution, Statistique Canada

Le commerce électronique, plus précisément le commerce par internet, est un phénomène qui intéresse beaucoup les décideurs et les économistes. Les uns affirment que cette nouvelle méthode d’échange de biens et de services remplacera graduellement les systèmes de distribution existants du commerce de détail et de gros, et estiment qu’un tel changement aura des répercussions appréciables sur le marché du travail et sur les pratiques commerciales ; les autres affirment que le commerce par internet est simplement un système de distribution complémentaire qui n’aura pas un effet significatif sur les systèmes traditionnels. La plupart d’entre eux semblent être d’accord sur le fait qu’il est dangereux de prendre du retard pour ce qui est de la mise en œuvre et de l’utilisation de cette nouvelle technologie.

En l’absence de renseignements de base sur la propension des ménages et des entreprises à adopter cette nouvelle technologie, sur le taux d’adoption de cette technologie et sur l’ampleur du phénomène, il est très difficile d’évaluer l’effet actuel et potentiel du commerce par internet. Dans le passé, Statistique Canada et des compagnies du secteur privé ont publié un certain nombre d’indicateurs connexes. Toutefois, il n’existait aucune donnée statistique officielle sur la valeur du commerce électronique et aucun ensemble de données global sur la propension au commerce électronique et sur son adoption par les entreprises, les organismes et les ménages du Canada.

Afin de répondre à la demande accrue de données de ce genre, Statistique Canada a préparé et mené une enquête sur les technologies de l’information et des communications et le commerce électronique, puis a ajouté des questions liées au commerce électronique à son enquête sur l’utilisation de l’internet par les ménages.

La mesure de la valeur du commerce électronique a posé un défi appréciable. Il a fallu s’entendre sur une définition et mettre au point une stratégie d’enquête pour la vaste population des entités pouvant participer au commerce électronique.

Le présent exposé décrit l’expérience du Canada pour ce qui est de la collecte des données sur le commerce électronique. On y trouve un aperçu des thèmes abordés, de l’élaboration du contenu des enquêtes, de la stratégie et des méthodes adoptées, de même que des principaux résultats.

L’enquête sur les technologies de l’information et des communications et le commerce électronique

L’enquête sur les technologies de l’information et des communications et le commerce électronique (ETICCE) a ciblé des entreprises et des organismes et s’est penchée sur les trois thèmes suivants : l’utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC), les ventes de biens et services par internet, les obstacles à l’utilisation de l’internet pour le commerce électronique. Il s’agissait de la première tentative de Statistique Canada de recueillir ce genre d’information de façon aussi globale. Dans le plan original, on voulait répondre aux questions ci-dessous :

Utilisation des TIC

• Dans quelle proportion les organismes utilisent-ils ou prévoient-ils d’utiliser diverses (10) TIC ?

• Dans quelle proportion les employés ont-ils accès à un ordinateur personnel, au courrier électronique et à l’internet ?

• Quels types de connexion (largeur de bande) les utilisateurs de l’internet emploient-ils ?

• À quoi sert l’internet ?

• À quoi servent les sites Web ?

• Quels sont les coûts d’établissement, d’entretien et de mise à niveau d’un site Web ?

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Insee Méthodes 126

Ventes par internet

• Dans quelle proportion les organismes acceptent-ils des commandes de biens et services par internet ?

• Quelle est la valeur des commandes passées par des clients (avec ou sans paiement en direct) par internet ?

• Dans quelle proportion ces commandes représentent-elles des ventes à des particuliers et à des entreprises ou des organismes ?

• Dans quelle proportion ces commandes représentent-elles des ventes à des résidents et à des non-résidents ?

Obstacles à l’utilisation de l’internet pour le commerce électronique

• Quelles sont les raisons de ne pas acheter ou de ne pas vendre par internet ?

En fin de compte, l’enquête a permis de répondre à un sous-ensemble de ces questions. Afin d’obtenir un bon taux de réponse, on a limité le nombre de questions pour le suivi téléphonique. Néanmoins, le taux de réponse à certaines questions, notamment celles qui se rapportent à la catégorie de clients ou à la résidence des clients, a été trop faible pour que l’on puisse compiler des estimations de qualité.

Le contenu de l’enquête a été conçu en collaboration avec Industrie Canada, ministère chargé de l’établissement de politiques, et on a employé une définition du commerce électronique correspondant à la définition « étroite » proposée par le Groupe de travail sur les indicateurs pour la société de l’information (GT/ISI, ou WPIIS en anglais pour Working Party on Indicators for the Information Society) de l’OCDE. Les répondants ont été priés d’indiquer la valeur des commandes reçues par internet, par extranet et par échange de données informatisé (EDI) par internet, peu importe que le paiement soit versé en direct. On a exclu les ventes effectuées au moyen d’un réseau EDI interne. La plupart des questions au sujet de l’utilisation des TIC correspondaient à celles d’enquêtes semblables menées en Australie et dans les pays nordiques.

L’ETICCE a été menée entre octobre 1999 et mars 2000 ; elle a porté sur la période de douze mois allant du 1er janvier 1999 au 31 décembre 1999. Elle visait toutes les branches d’activité économique, sauf la construction, les administrations locales, l’agriculture, les pêches, la chasse et le piégeage. Quelque 23 000 entreprises et organismes ont reçu le questionnaire.

Le plan de sondage a été emprunté à l’enquête sur les dépenses en immobilisations. Le plan de cette enquête tient compte du besoin de publier des estimations au niveau provincial et selon le secteur d’activité (Système de classification des industries de l’Amérique du Nord). Le tirage de l’échantillon se fait à l’aide de deux strates : une strate à tirage complet, toutes les unités étant échantillonnées avec certitude, et une strate à tirage partiel, la sélection se fondant sur un processus aléatoire simple.

Une réponse complète ou partielle a été reçue de 65 % des unités admissibles actives. En cas de non-réponse, on a rajusté le poids des répondants ; en cas de non-réponse à une question, on a eu recours à l’imputation, sauf lorsque la non-réponse à une question était trop faible pour que l’on puisse compiler des estimations de qualité.

Afin de déterminer si la non-réponse avait suscité une erreur systématique dans les estimations, on a mené une enquête de non-réponse par téléphone. On a posé à un échantillon de non-répondants une série de questions clés servant à déterminer si les réponses étaient significativement différentes de celles des répondants. Les résultats n’ont indiqué aucune différence appréciable.

Résultats – Indicateurs de propension

La pénétration des technologies de l’information et des communications de base était assez élevée. Les ordinateurs personnels étaient utilisés dans la plupart des organismes du secteur privé (82 %) et du secteur public (100 %). En réalité, la pénétration de cette technologie semble avoir atteint un maximum car très peu de non-utilisateurs prévoient devenir des utilisateurs. La majorité des entreprises et des organismes avaient également recours au courrier électronique et à l’internet. La présence d’un site Web était beaucoup plus courante pour des organismes du secteur public qu’elle ne l’était dans le secteur privé (cf. figure 1).

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Statistique.net 127

Pénétration de l’internet

Les organismes du secteur privé qui utilisaient l’internet représentaient 75 % de l’activité économique.

La pénétration de l’internet variait appréciablement d’un secteur à l’autre. Les taux de pénétration étaient élevés dans des secteurs où les entreprises ont l’habitude d’utiliser, de créer, de traiter ou de diffuser l’information dans le cadre de leurs activités principales. C’était le cas du secteur de l’industrie de l’information et de l’industrie culturelle, du secteur des services professionnels, scientifiques et techniques, et du secteur des services d’enseignement privé (cf. figure 2). La pénétration de l’internet était également élevée dans des secteurs constitués principalement de grandes entreprises comme c’est le cas du secteur des services publics, de la finance et de l’extraction minière.

Si les plans des non-utilisateurs qui prévoient d’utiliser l’internet sont mis en œuvre, le taux de pénétration dépassera 75 % dans tous les secteurs ci-dessus sauf un.

De façon générale, les employés dans les secteurs où la pénétration de l’internet est la plus élevée avaient de meilleures chances d’avoir accès à cette technologie. On a observé une exception notable : 63,7 % des entreprises manufacturières étaient branchées, mais 20,4 % seulement de leurs employés avaient accès à l’internet. L’accès était probablement limité en grande partie aux cadres administratifs et aux vendeurs.

Figure 1. Pénétration d'un choix de TIC

0 20 40 60 80 100

Ordin. perso.

Internet

Courriel

Site Web

Com. électr.

privé public

Figure2. Secteurs affichant la plus forte pénétration d'Internet

0 20 40 60 80 100

Extraction minière

Commerce de gros

Fabrication

Finance

Enseignement

Professionnel

Services publics

Information

Pénétration Utilisation prévue % d'empl. ayant accès

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Insee Méthodes 128

Les entreprises relevant de secteurs exerçant des activités comportant traditionnellement un contact direct avec le grand public avaient un taux inférieur d’utilisation de l’internet. Ainsi, les taux de pénétration dans le secteur de l’hébergement et des services de restauration, le secteur du commerce de détail et celui des services personnels étaient inférieurs à 45 %. Toutefois, le secteur du commerce de détail a affiché la plus forte proportion de non-utilisateurs qui prévoient d’adopter la technologie (16 %).

Il a été mentionné que les organismes du secteur public sont bien branchés. On peut en dire autant de leurs employés (cf. figure 3). Toutefois, on a constaté une différence appréciable entre le secteur de la santé et de l’assistance sociale d’une part, et celui des administrations publiques et de l’enseignement d’autre part. L’internet est devenu un outil de travail pour les éducateurs, mais il est peu utilisé dans le secteur de la santé et des services sociaux.

Présence d’un site Web

La présence d’un site Web est probablement le meilleur indicateur provenant de l’enquête de la propension des entreprises et des organismes à s’adonner au commerce électronique. Une telle présence est une indication que l’organisme considère l’internet comme un moyen efficace de communiquer avec les clients, les investisseurs et d’autres intéressés, et de les informer.

Figure 3. Accès des employés à un choix de TICSecteur public

0 20 40 60 80 100

Enseignement

Santé et social

Admin. publiques

Secteur public

OP Courriel Internet

Figure 4. Présence Web – Choix de secteurs

0 20 40 60 80 100

Foresterie

Gestion de soc.

Héb. et rest.

Arts, spect. et loisirs

Enseignement

Information

Secteur privé

% des entreprises % de l'activité

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Statistique.net 129

Un peu plus de 40 % des entreprises du secteur privé ayant recours à l’internet avaient une présence Web (cf. figure 4). Ensemble, elles représentaient presque 45 % de l’activité (revenus d’exploitation) du secteur. Le secteur de l’industrie de l’information et de l’industrie culturelle et celui des services d’enseignement privé étaient les chefs de file au Canada pour ce qui est d’une présence Web avec 69 % et 59 % des entreprises respectivement. Le secteur forestier affichait la plus faible proportion (17,4 %) d’entreprises ayant une présence Web.

Les entreprises du secteur des services publics ayant une présence Web représentaient 90 % de l’activité de ce secteur, reflétant la forte concentration d’activité dans ce secteur. En réalité, l’importance économique des entreprises ayant une présence Web dépassait leur importance numérique dans tous les secteurs sauf un, celui des arts, spectacles et loisirs.

Une présence Web était répandue dans le secteur public, surtout pour ce qui est des administrations publiques (89,5%) et des services d’enseignement (98,4%). Ces organismes représentaient la plus grande partie de l’activité de ces secteurs.

Ventes et achats par internet

Relativement peu d’entreprises s’adonnaient à la vente ou à l’achat de biens par internet. Une entreprise sur quatre environ branchée à l’internet s’en servait pour l’achat de biens et services, et près d’une entreprise sur cinq s’en servait pour la vente de biens ou services. Cela représentait 13,8 % et 10,1 % de toutes les entreprises, respectivement. La majorité des entreprises non branchées à l’internet estimaient qu’il ne s’agit pas là d’un moyen approprié de vendre les biens ou services qu’elles produisent. La majorité des entreprises ont également manifesté une préférence pour le modèle commercial existant.

L’achat par internet était chose plus courante pour les entreprises. La proportion des entreprises faisant des achats par internet était plus élevée que la proportion effectuant des ventes par internet dans 13 des 18 secteurs de l’économie canadienne.

Parmi les entreprises qui faisaient des achats par internet, celles du secteur de l’industrie de l’information et de l’industrie culturelle étaient les seules à représenter plus de 50 % de l’activité de leur secteur. Les entreprises des secteurs suivants représentaient plus de 30 % de l’activité : services professionnels, scientifiques et techniques ; finance et assurances ; services publics ; services d’enseignement privé ; fabrication.

Parmi les entreprises qui effectuaient des ventes par internet, celles du secteur de l’industrie de l’information et de l’industrie culturelle étaient les seules à représenter plus de 25 % de l’activité du secteur.

Les achats par internet étaient chose beaucoup plus courante parmi les organismes du secteur public. Près de la moitié des utilisateurs de l’internet de ce secteur le faisaient. Les organismes du secteur des services d’enseignement, en particulier, avaient adopté cette méthode. Les ventes par internet n’étaient pas aussi répandues. Seulement 15 % des organismes du secteur public ont indiqué qu’ils pratiquaient cette activité.

Commerce électronique – Commandes de clients reçues par internet

À la fin de 1999, les commandes de clients passées par internet demeuraient un phénomène relativement marginal. La valeur totale des commandes de clients reçues par internet par des entreprises du secteur privé représentait 4,2 milliards de dollars, soit 0,2 % du total des revenus d’exploitation du secteur (tableau 1).

Les secteurs suivants ont affiché les ventes par internet les plus élevées : fabrication (900 millions de dollars) ; commerce de détail (610,6 millions de dollars) ; industrie de l’information et industrie culturelle (552,7 millions de dollars) ; hébergement et services de restauration (429,3 millions de dollars) ; services professionnels, scientifiques et techniques (406,1 millions de dollars) ; finance et assurances (320,8 millions de dollars). Ensemble, ces secteurs ont représenté 77,0 % du chiffre total des ventes par internet dans le secteur privé en 1999.

Deux secteurs seulement ont réalisé 1 % ou plus de leurs ventes par internet : celui de l’hébergement et des services de restauration (1,3 %) et celui de l’industrie de l’information et de l’industrie culturelle (1,0 %). Cela s’explique probablement, en partie, par le fait que les consommateurs ont de meilleures chances d’utiliser l’internet pour la réservation d’un logement, l’achat de livres et l’acquisition d’information, de logiciels et de musique, qui sont tous des produits de ces secteurs.

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Insee Méthodes 130

Tableau 1. Poids des ventes par internet selon les secteurs

en millions de dollars Montant et pourcentage des ventes par internet

Secteur industriel Ventes par internet

Revenu d’exploitation

% du revenu d’exploitation

Fabrication 900,0 568 346 0,2

Commerce de détail 610,6 231 622 0,3

Industrie de l’information et industrie culturelle 552,7 55 910 1,0

Hébergement et services de restauration 429,3 32 474 1,3

Services professionnels, scientifiques et techniques 406,1 52 116 0,8

Finance et assurances 320,8 222 483 0,1

Transport et entreposage 164,3 65 268 0,3

Commerce de gros 156,3 290 440 0,1

Services immobiliers et services de location et de location à bail 114,8 37 954 0,3

Autres services, sauf les administrations publiques 27,4 37 439 0,1

Services publics 15,8 24 499 0,1

Extraction minière et extraction de pétrole et de gaz 15,0 67 517 0,0

Soins de santé et assistance sociale privés 10,0 11 441 0,1

Autres secteurs industriels 456,6 104 577 0,4

Ensemble du secteur privé 4 179,7 1 802 086 0,2

Obstacles au commerce électronique

Le plus souvent, les entreprises du secteur privé ont cité une préférence pour leur modèle commercial actuel et l’insuffisance de l’internet comme moyen de vendre leurs produits comme raisons de ne pas adopter le commerce électronique.

Plus de 50 % des entreprises du secteur privé n’ayant pas recours à l’internet considéraient ces facteurs comme très importants ou comme importants dans leur prise de décision. Ces deux facteurs occupaient le premier ou le deuxième rang dans tous les secteurs de l’économie sauf trois (commerce de gros, commerce de détail, finance et assurances). Dans ce dernier secteur, la sécurité était la principale préoccupation ; dans le cas des grossistes et des détaillants, la sécurité occupait le deuxième rang après la préférence pour le modèle commercial actuel. Il est probable que les détaillants et les établissements financiers, en particulier, étaient influencés par les inquiétudes du grand public vis-à-vis de la sécurité de l’internet.

Les perceptions sont largement les mêmes pour les entreprises qui ont recours à l’internet. Près de la moitié d’entre elles ont manifesté une préférence pour le modèle commercial actuel, et près du tiers estimait que l’internet n’était pas un outil de vente approprié (facteur très important ou important).

L’enquête sur l’utilisation de l’internet par les ménages

L’enquête sur l’utilisation de l’internet par les ménages (EUIM) est menée depuis 1997. Elle a comme objectif principal de mesurer les progrès accomplis en vue de l’atteinte de l’un des objectifs du gouvernement canadien, celui d’être le pays le plus branché du monde.

L’enquête porte sur quatre thèmes principaux :

• la mesure dans laquelle, et l’endroit où, les ménages canadiens utilisent l’internet ;

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Statistique.net 131

• le type d’activité par internet et le temps que l’on y consacre ;

• les caractéristiques des utilisateurs et des non-utilisateurs de l’internet ;

• le montant et le type d’achats faits par internet.

L’enquête a lieu en novembre, chaque année, sous forme de supplément de l’enquête mensuelle sur la population active. Cinq ménages sur six sont priés de participer. En 1999, 43 034 ménages étaient admissibles, et 84,2 % d’entre eux ont répondu. L’échantillon a permis de publier des données au niveau provincial et à celui des régions métropolitaines de recensement.

La collecte de l’information se fait pour le ménage dans son ensemble, plutôt qu’en fonction des personnes au sein du ménage. Cela suggère qu’il n’est pas possible de compter les utilisateurs particuliers de l’internet ou d’en établir le profil.

Parmi les principaux résultats de l’enquête, mentionnons ceux-ci :

• En 1999, 41,8 % des ménages utilisaient régulièrement l’internet, comparativement à 29,4 % en 1997.

• Le taux d’utilisation à domicile est passé de 16 % à 28,7 % au cours de la même période.

• Près des deux tiers des utilisateurs à domicile ont recours à l’internet chaque jour.

• Les activités internet les plus fréquentes sont les suivantes : courriel, survol, recherche d’information, jeux.

• Les ménages à revenu élevé et à taux de scolarité élevé ont de meilleures chances d’être branchés. C’est également le cas des familles ayant des enfants âgés de moins de 18 ans.

• 19 % des utilisateurs habituels à domicile achètent des biens par internet. Cela représente le double du nombre observé en 1997.

• 27,7 % des utilisateurs habituels à domicile effectuent des opérations bancaires électroniques par internet; 27,1 % d’entre eux obtiennent de la musique par internet.

Des renseignements sur le nombre et le type d’achats par internet, et sur les caractéristiques des ménages qui s’adonnent à cette activité, seront bientôt diffusés dans un document d’analyse intitulé « Le magasinage sur Internet au Canada, 1999 » (no 56F0004MIF01003 au catalogue), Statistique Canada, Ottawa.

Travaux à venir

L’enquête sur les technologies de l’information et des communications et le commerce électronique (ETICCE) aussi bien que l’enquête sur l’utilisation de l’internet par les ménages (EUIM) seront menées pour l’année de référence 2000. L’ETICCE sera une version abrégée de l’enquête de 1999. Les résultats des deux enquêtes sont attendus vers le milieu de 2001. De futures stratégies sont également à l’étude.

Les discussions se poursuivent à Statistique Canada quant à la stratégie permettant d’obtenir des données sur le commerce électronique. On pourrait ajouter des questions aux enquêtes annuelles et infra-annuelles existantes sur les branches d’activité. Cette stratégie aurait l’avantage de fournir des échantillons plus grands et de permettre une analyse selon les caractéristiques des entreprises. Toutefois, ces enquêtes ne sont souvent pas aussi actuelles que les enquêtes transsectorielles, et la rapidité de diffusion est particulièrement importante pour ce genre de données.

Une autre façon de procéder serait d’utiliser des enquêtes infra-annuelles existantes, notamment pour les mesures de volume. Des enquêtes sectorielles trimestrielles ou mensuelles permettraient d’observer plus fréquemment un phénomène qui évolue rapidement. Toutefois, il faut éviter de porter atteinte à la rapidité de diffusion normalement associée à ces enquêtes.

Une autre façon de procéder serait de lancer une nouvelle enquête trimestrielle, axée sur les entreprises et transsectorielle, qui porterait expressément sur le volume de commerce électronique et des questions connexes. Le cas échéant, les frais de démarrage seraient un facteur, mais l’avantage serait bien sûr la possibilité de suivre de près un phénomène en pleine évolution.

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Insee Méthodes 132

Conclusion

Ces enquêtes ont été lancées afin d’observer l’adoption par les ménages, les entreprises et les organismes du Canada des technologies de l’information, en général, et leur propension à adopter le commerce électronique, en particulier. Le recours à l’internet est une condition préalable à l’adoption du commerce électronique.

Le Canada semble s’approcher rapidement d’une masse critique pour ce qui est des utilisateurs de l’internet. À l’heure actuelle, il est probable que plus de la moitié des ménages canadiens comptent au moins un utilisateur habituel de l’internet, et que près de 60 % des entreprises du secteur privé sont branchées.

Et pourtant, le commerce électronique demeure un phénomène relativement marginal. Une forte proportion des entreprises ne perçoit toujours pas l’internet comme un choix viable ou comme un complément des modèles de distribution existants, et relativement peu de ménages ont adopté le magasinage en direct.

Toutefois, nous assistons peut-être au début d’un changement culturel fondamental. Souvent, de tels changements fondamentaux semblent marginaux au départ, mais deviennent rapidement des phénomènes importants. De récents exemples sont les communications mobiles et l’internet. La pertinence des bureaux de statistique dépend largement de leur aptitude à surveiller ce genre d’évolution dès le début.

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Statistique.net 135

UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA VENTE À DISTANCE

Patrice Roussel Chef du département des activités tertiaires, Insee

Premier repérage statistique

Je vais parler d’une enquête lancée en septembre 2000 par la division Commerce du département des activités tertiaires de l’Insee. Cette enquête portait sur le commerce électronique dans le commerce de détail. Son objectif ne consistait pas tant à mesurer le volume du commerce électronique, au sens de la définition restreinte de l’OCDE, que d’étudier comment le commerce de détail est en train de tirer parti de cette nouvelle technique de vente à distance. La première difficulté tenait à la nouveauté du phénomène étudié et à l’absence d’information permettant de définir a priori la population des entreprises du commerce de détail à interroger, à moins de les interroger toutes. Comme les premiers résultats de l’enquête l’ont confirmé, il fallait éviter à tout prix de faire une enquête sur l’absence de commerce de détail par l’internet en 1999.

L’Insee a choisi de procéder par étapes. La première a été de poser deux questions filtres dans le questionnaire de l’enquête annuelle d’entreprise (EAE) sur l’exercice 1998, adressé en 1999 à 5700 entreprises de plus de vingt salariés du commerce de détail. Ces eux questions étaient :

• « Avez-vous développé un site internet sans prise de commandes ? » 422 entreprises ont répondu par l’affirmative.

• « Avez-vous développé un site internet avec prise de commandes ? ». Seules 177 entreprises ont déclaré l’avoir fait.

Les secteurs d’activité les plus actifs étaient logiquement ceux de la vente par correspondance, spécialisée ou non, mais aussi celui de la vente de produits non alimentaires au sein duquel se trouve le commerce de détail de micro-ordinateurs.

À partir de cette première exploration, le comité de pilotage de l’enquête, qui comprenait des universitaires et des professionnels du commerce de détail, a identifié deux sous-populations d’entreprises :

• d’une part, les secteurs les plus engagés dans l’e-commerce, cette catégorie regroupant les activités de vente par correspondance ;

• d'autre part, toutes les entreprises des autres secteurs du commerce de détail dont la réponse à l’EAE disait qu’elles avaient une activité de vente sur l’internet.

À la première catégorie ont été ajoutés les secteurs des hypermarchés et des grands magasins, en raison de leur faible nombre et de leur engagement réputé dans le commerce électronique.

Les grandes tendances quantitatives dégagées par l’enquête

En définitive, 2 017 entreprises ont été interrogées. L’enquête n’étant pas achevée, il m’est difficile de communiquer des résultats détaillés et a fortiori définitifs au 6 décembre 2000 ; toutefois, il est déjà acquis que les chiffres d’affaires de commerce de détail réalisés par le biais de l’internet étaient certainement très faibles pour 1999. Daniel April, tout à l’heure, a fait un diagnostic similaire pour le Canada.

Cette enquête est facultative. À ce jour, 706 entreprises ont répondu sur les 2 017 interrogées, soit un taux de réponse de l’ordre de 40 %. Le taux de réponse est plus élevé dans les secteurs qui n’ont pas été interrogés exhaustivement. Sur 706, 187 ont confirmé leur présence sur l’internet et 166 ont précisé qu’elles réalisaient des ventes par l’internet.

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Insee Méthodes 136

Les sociétés engagées dans la vente de détail par l’internet sont essentiellement des entreprises de vente par correspondance spécialisée, alors que les hypermarchés et les grands magasins étaient en réalité encore peu engagés dans ce mode de vente en 1999.

Les entreprises de vente par correspondance spécialisée qui disent réaliser des ventes sur l’internet représentent 77 % de leur secteur, en termes de chiffre d’affaires.

La vente de détail sur l’internet est une activité récente. Dans 13 % des cas, l’ouverture d’un site sur l’internet est antérieure à 1998, alors que 34 % des répondants ont ouvert un site en 2000. Ceci explique la difficulté pour ces entreprises à fournir des informations détaillées sur une activité naissante et même encore future pour beaucoup.

Une relance téléphonique systématique des non-répondants a permis de constater que la non-réponse allait souvent de pair avec l’absence d’un site sur l’internet. Cette information était précieuse pour le traitement statistique des non-répondants de l’enquête.

Un résultat très important : pour 35 % des entreprises qui font du commerce sur l’internet, cette activité n’excède pas 1 % de leur chiffre d’affaires global. En outre, 50 % de ces entreprises déclarent que leur commerce sur l’internet ne représentent pas plus de 5 % de leur chiffre d’affaires. Toutefois, 20 % des entreprises qui se livrent au commerce sur l’internet réalisent la totalité de leur chiffre d’affaires par ce moyen de communication. Le dépouillement de l’enquête permettra de préciser le type de commerce de ces dernières.

Le questionnaire demandait aussi une ventilation du chiffre d’affaires réalisé par internet. Quatre grands postes étaient proposés. Seul le poste non-alimentaire était véritablement détaillé. Le poste alimentaire, quant à lui, se répartissait entre les boissons et les autres produits d’alimentation. L’alimentaire était parmi les postes les plus souvent cités. Sur les 130 entreprises ayant répondu à ce cadre, 84 ont déclaré réaliser 100 % de leur commerce sur un seul des quatre postes, ce qui indique la réalité de la spécialisation.

Le questionnaire demandait enfin la proximité de résidence de la clientèle. Celle-ci s’est avérée essentiellement nationale. Dans 43 % des cas, elle s’étend à l’Union européenne et dans 35 % des cas, hors de l’Union européenne. Il se confirme donc que l’internet ouvre à des marchés lointains.

Les grandes tendances qualitatives

Informations sur le site internet

En général, les commerçants de détail se prennent en charge eux-mêmes sur l’internet et sont simplement hébergés par un fournisseur d’accès. L’enseigne est souvent identique à celle de leurs magasins. L’emploi engendré par cette activité est assez négligeable. Les coûts d’investissement et de maintenance semblent eux aussi relativement peu importants.

La logistique

L’enquête étudiait la part sous-traitée des opérations de préparation de la commande, de transport, de facturation, de paiement, mais également de gestion des relations avec le client. Dans 60 % des cas, le transport et le routage sont sous-traités. La facturation est toujours intégrée. Quant au paiement, cette opération est toujours sous-traitée, et le cryptage est réalisé par un logiciel dans 90 % des cas. Enfin, la relation avec la clientèle n’est jamais sous-traitée.

Les incitations

Quel que soit le secteur étudié, les entreprises sont convaincues que l’internet permet d’atteindre une clientèle plus nombreuse, d’accroître leur chiffre d’affaires et leur étendue géographique, et d’offrir plus de services. Néanmoins, elles avouent souvent s’engager dans le commerce électronique par obligation, pour préserver leur image de marque. Elles ne croient pas en tout cas que l’internet puisse réduire leurs coûts. De manière plus surprenante peut-être, le lancement de nouveaux produits ne figure pas parmi les incitations à se placer sur l’internet.

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Statistique.net 137

Les limitations

Les limitations à l’utilisation de l’internet sont différentes selon les catégories d’entreprises. Les sociétés de vente par correspondance avancent le manque de sécurité, les délais de retour sur investissement. Elles estiment aussi que les achats sur l’internet sont encore peu répandus chez les consommateurs.

Les grands magasins déplorent l’absence d’un cadre légal approprié pour régir le commerce sur l’internet. Ils pensent avoir peu de clients potentiels sur l’internet. Les hypermarchés, enfin, avancent la liste de limitations la plus longue. Ils partagent notamment les vues des entreprises de vente par correspondance et rajoutent les problèmes de logistique, de coûts et les difficultés d’application des clauses contractuelles.

L’impact sur l’activité des entreprises

Les entreprises estiment unanimement que le commerce électronique a un impact positif sur la concurrence, sur les chiffres d’affaires et sur l’internationalisation de la clientèle. En revanche, leurs avis divergent quant à un impact sur les prix. Les entreprises de vente par correspondance jugent que le commerce électronique fera baisser les prix, alors que les hypermarchés pensent, au contraire, que les prix augmenteront.

Pour conclure

Cette enquête sera complètement dépouillée dans les prochains mois. Ses résultats seront communiqués dans un numéro d’Insee Première qui sera rédigé par la division Commerce et par la direction régionale de l’Insee de Midi-Pyrénées qui ont réalisé l’enquête. Cette publication sera disponible pour la réunion du groupe de travail de l’OCDE sur les indicateurs relatifs à la société de l’information, en avril 20011.

L’enquête semble avoir atteint son but en ce qu’elle permet une première analyse de l’engagement des entreprises du commerce de détail dans le commerce par l’internet. Ses résultats permettent de mieux cerner l’ampleur et les contours du phénomène, ce qui est très utile pour préparer l’accompagnement statistique de la croissance attendue du commerce électronique.

Le commerce électronique était encore un phénomène émergent au sein du commerce de détail en 1999. Il ne parait donc pas opportun de renouveler trop vite l’expérience d’une telle enquête, sauf à disposer d’indicateurs d’une progression significative du volume des échanges qui laisserait espérer une évaluation quantitative robuste.

C’est pourquoi le département des activités tertiaires de l’Insee a choisi d’insérer de tels indicateurs dans les enquêtes annuelles d’entreprises des secteurs du commerce et des services, comme aux États-Unis et au Canada. Ces indicateurs permettront de contrôler la montée en puissance de cette activité. Dès 2001, deux indicateurs seront placés dans les enquêtes annuelles d’entreprises du commerce et des services. Le premier demande la part des ventes réalisées par réseau informatique dans le chiffre d’affaires total de l’entreprise, ce qui rejoint la définition large du commerce électronique proposée par l’OCDE. Le second porte sur la part des achats réalisés par l’intermédiaire du réseau informatique, dans l’ensemble de ses achats.

Complémentairement à cette approche « entreprises » de la mesure du commerce de détail par internet, et sans attendre le lancement effectif de nouvelles enquêtes sur ce thème, une approche « consommation » apportera dès octobre 2001 une information précieuse sur l’équipement et l’évolution des comportements d’achat des ménages, par le moyen d’une enquête sur les conditions de vie des ménages. C’est la voie d’enquête généralement adoptée par la plupart des instituts statistiques pour mesurer l’importance relative du commerce électronique B2C.

1. NDLR : Sébastien Merceron, « Le commerce de détail s’initie à internet », Insee Première n°771, avril 2001.

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Conclusions 145

MESURER LES FAITS ET LES EFFETS DE L’E-COMMERCE

Michel Hébert Directeur des statistiques d’entreprises, Insee

Le directeur général de l’Insee nous avait invités à identifier les thèmes relatifs à la nouvelle économie dont nous devions approfondir l’étude. Je souhaite donc lancer quelques pistes de recherche.

Deux interventions complémentaires entre elles ont particulièrement retenu mon attention, celle d’Alain Rallet sur le commerce électronique et l’évolution des modèles de distribution et celle de Bill Pattinson sur la définition internationale de ce commerce. Le premier nous expliquait que le concept de commerce électronique était assez flou, alors que le second a essayé de recentrer le propos afin de définir et de quantifier cette activité.

Vous vous souvenez que le titre de ce séminaire était : « E-commerce – Quels faits ? Quels effets ? » Je pense que les faits et les effets doivent être traités de manière différente. Pour l’analyse des faits, nous devons adopter de nombreuses restrictions pour les définir afin d’obtenir des concepts homogènes qui se prêtent volontiers à l’analyse. En revanche, nous ne pourrons pas décrire et analyser les seuls effets du commerce électronique sur l’activité des entreprises. Nous serons toujours amenés à constater les effets de l’ensemble des nouvelles technologies, plus que ceux de l’e-commerce.

Les faits

Nous devons essayer de définir précisément le commerce électronique afin de procéder à des mesures identiques dans tous les pays. Nous pourrons ainsi réaliser des comparaisons internationales de qualité. L’exemple canadien démontre que les statisticiens sont en mesure de quantifier cette activité. Les travaux de l’OCDE doivent maintenant s’achever rapidement. L’ensemble des pays de l’Union européenne doit s’engager dans ces mesures, sous l’égide d’Eurostat.

En outre, nous devons observer le comportement des entreprises, ainsi que les changements survenant dans celles qui utilisent le commerce électronique. Daniel April et Patrice Roussel sont intervenus sur le comportement des entreprises vis -à-vis de l’e-commerce. Tous deux démontrent que nous pouvons mesurer le taux de pénétration du commerce électronique au sein des différents secteurs. Nous pouvons également mesurer l’étendue des rapports entre ces secteurs. Puis, en recourant à une analyse microéconomique, nous pouvons évaluer les effets induits au sein de l’entreprise, à la fois sur les coûts et sur les mo dalités de gestion. Enfin, nous pouvons observer les difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées lorsqu’elles recourent au commerce électronique, notamment les réticences du personnel.

Enfin, je pense que Daniel April nous a fait une présentation exhaustive du comportement des consommateurs. Nous pouvons mesurer le taux d’équipement en micro-ordinateurs par ménage, le taux d’utilisation de l’internet parmi les ménages possédant un micro-ordinateur, ainsi que le taux de commandes passées par ce canal de communication.

Les effets

Les difficultés que nous rencontrons pour définir précisément l’e-commerce nous empêchent d’avoir une vue précise des effets de cette seule activité sur l’économie. En revanche, je pense que nous pouvons observer les effets des nouvelles technologies en général, sur quatre thèmes : le tissu productif, les prix, la croissance, l’emploi.

Le tissu des entreprises

Les statistiques structurelles permettent d’étudier l’évolution du nombre d’entreprises qui utilisent les nouvelles technologies, celle de leurs effectifs et celle de la valeur ajoutée dégagée par ces technologies. Nous pouvons également étudier le développement de la logistique. Nous pouvons observer l’augmentation ou la diminution du nombre d’intermédiaires du commerce, voire le changement de nature de leur métier.

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Insee Méthodes 146

En outre, la démographie d’entreprises nous permet de réaliser des études sur les créations et sur les cessations de sociétés qui utilisent les nouvelles technologies, en expliquant précisément les phénomènes observés.

Les prix

La nouvelle économie permettra de réduire les coûts, mais nous ne savons pas si ces réductions auront des répercussions sur les prix. C’est pourquoi nous devons mesurer les évolutions des prix. Je pense que nous ne devons pas quantifier ce phénomène par type de commerce. En effet, il est probable que le prix d’un même type de produit, livré dans les mêmes conditions, par des types de commerces différents, connaisse des évolutions identiques. En revanche, Alain Borri a démontré qu’un produit doit être attaché à son mode de livraison. Par exemple, une caisse de vins livrée 48 heures après la commande ne correspond pas au même produit que celle qui sera livrée quinze jours après. Nous devrons nous attacher à définir le prix de produits comp lexes qui englobent à la fois le bien et les services qui lui sont associés.

La croissance

Actuellement, l’effet global des nouvelles technologies sur la croissance économique est positif. Je pense que les statisticiens doivent laisser aux comptables nationaux le soin d’estimer si ces technologies auront, à terme, des effets positifs ou des effets négatifs sur notre économie.

En revanche, je propose à Eurostat, à l’OCDE et à nos collègues des pays étrangers de s’inspirer de la Bourse. En effet, les boursiers ont créé le Nasdaq pour regrouper les seules valeurs relatives aux nouvelles technologies. De même, nous pourrions créer un nouvel indicateur, en plus de l’indice de la production industrielle, afin d’évaluer la production des nouvelles technologies. Cet indicateur ne serait pas seulement un indicateur de biens, mais aussi un indicateur de services. Nous devrions alors mener des enquêtes pour mesurer la production d’un certain nombre de services offerts aux entreprises. En France, nous avons d’ores et déjà réalisé une enquête sur les opérateurs non-agréés de télécommunications, que nous réitérerons l’année prochaine. Je pense que cette démarche doit être généralisée afin d’obtenir un indicateur de la production de la nouvelle économie.

Les personnes qui s’occupent actuellement de l’indice de la production industrielle pourront peut-être identifier, au sein de cet indice, un champ restreint de la production de biens de la nouvelle économie. Ceci ne permettra certes pas de répondre complètement à notre attente, mais nous pourrons obtenir un premier élément de mesure.

L’emploi

Je pense que nous assisterons, dans un premier temps, à un mouvement de créations d’emplois, notamment d’informaticiens, de logisticiens et de livreurs. Parallèlement à ces créations d’emplois, d’autres disparaîtront. Nous devons donc définir des nomenclatures d’emplois adaptées à ces phénomènes. En définitive, nous essayerons de déterminer si la nouvelle économie créera plus d’emplois qu’elle n’en supprimera, ou inversement.

Je pense que ce débat sera identique à celui que nous avons eu sur le grand commerce pour déterminer s’il créait plus d’emplois dans les hypermarchés et dans les supermarchés qu’il n’en détruisait dans les centres-villes. Nous devrons procéder à une analyse fine des données brutes relatives à l’emploi. Nous devrons évaluer, pour chaque profession, le nombre d’emplois créés et le nombre d’emplois supprimés. La comparaison de ces informations nous permettra de déterminer si le bilan net en emplois de la nouvelle économie est positif ou négatif.

* * *

Enfin, bien que nous soyons confrontés à un phénomène émergent, nous n’avons pas le temps de nous disperser dans des discussions infructueuses. L’OCDE et Eurostat, ainsi que les organismes de statistiques nationaux, doivent s’engager activement dans ce travail dès à présent.