intoxication par l’aconitine

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Intoxication par l’aconitine Aconitine poisoning Les végétaux sont en cause dans 5 % des intoxications recensées par les centres anti-poisons. Chez l’adulte ces in- toxications sont mises en évidence lors de tentatives d’autolyse ou de confusion avec des plantes comestibles [1]. Il s’agit d’un patient de 66 ans qui a été hospitalisé en urgence pour une intoxication, par ingestion volontaire de 6 à 7 follicules de la fleur d’aconit. Il a eu dans les minutes qui ont suivit l’ingestion, des paresthésies péribuccales, puis une demi-heure plus tard, des paresthésies de la face et des membres supérieurs avec des difficultés respiratoires. À son arrivée au service des urgences, il se plaignait d’oppression thoracique et abdominale, de dyspnée ; la pression artérielle était à 126/80 mmHg, la fréquence cardiaque à 97/minute et la saturation en oxygène à 100 % à l’air ambiant. L’ECG mettait en évidence des troubles du rythme complexes associant, fibrillation auriculaire, extrasystoles ventriculaires polymorphes, alternance de bloc de branche droit et gauche et des lambeaux de tachycardie ventriculaire. Rapidement, son état s’est dégradé avec une hypotension artérielle, une fréquence cardiaque à plus de 160 battements par minute. Le patient a été admis en réanimation. Un traitement anti- arythmique par sulfate de magnésium a été débuté à raison de 1,5 g en intraveineux direct puis 6 g par 24 heures au pousse seringue électrique, auquel a été associé successive- ment de l’amiodarone (300 mg en dose de charge puis 600 mg par 24 heures en perfusion continue) et de la lido- caine (200 mg en dose de charge puis 2400 mg en perfusion continue par 24 heures) ; puis de l’esmolol, sans ralentisse- ment ou réduction de la fibrillation auriculaire et sans dis- parition de l’arythmie ventriculaire. Le patient a été intubé et ventilé et une sonde d’entraînement électro systolique a été mise en place pour couvrir le traitement anti-arythmique. Il n’a pas été anti-coagulé en raison du caractère transitoire de l’arythmie. Le rythme cardiaque s’est normalisé à 24 heures de la prise en charge. Un arrêt progressif des anti-arythmiques a été réalisé, le patient a été sevré de la ventilation contrôlée et a quitté la réanimation puis l’hôpital 8 jours plus tard. L’aconit napel est une plante vivace que l’on trouve aussi bien en Chine qu’en Corse. La tige dressée porte des feuilles alternes palmatiséquées à trois ou cinq segments linéaires lancéolés, les fleurs sont groupées en grappe d’un bleu-violet intense, sa racine est tubérisée pointue à surface brun-noirâtre. Toutes les parties de l’aconit renferment de l’aconitine [2], qui est un diester acétylé benzoylé d’un amino-alcool hexa cyclique, l’aconine. Elle agit sur les canaux sodiques voltage dépendant des membranes cellulaires des tissus cardiaques, nerveux et musculaires en prolongeant leur activation. Son activité ino- trope positive, explique l’effet pro-arythmogène, alors que la neurotoxicité est liée au blocage de la transmission neuromus- culaire par effet anti-cholinergique [3]. Ce patient avait ingéré une quantité potentiellement mortelle de follicules d’aconit. L’appel du centre antipoison nous apprit que 1 g d’aconit frais contenait 2 mg d’aconitine, laquelle est létale pour une dose de 3 à 6 mg, que les troubles du rythme cardiaque persistent 24 heures avec un risque de fibrillation ventriculaire et qu’ils sont le plus souvent réfractaires à toute thérapeutique. La recherche spécifique de l’aconitine par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse tandem (CLHP-SM/SM) dans le sang et les urines de notre patient ont montré les résultats suivants : dans le sang : 13 ng/mL ; urine : 6700 ng/mL. Un cas d’ingestion fatale avait été décrit avec des concentra- tions ante mortem de 6 ng/mL et 334 ng/mL et post-mortem à 10,8 ng/mL et 264 ng/mL, dans le sang et l’urine respective- ment [4]. Les intoxications sont exceptionnelles dans les pays occidentaux. En France, deux cas ont été précédemment décrits dont un suicide et un empoisonnement accidentel [5,6]. Aucun cas n’a été répertorié en Corse à notre connaissance. Le cas publié montre le danger de l’aconitine par consomma- tion de la fleur d’aconit. Le patient a eu des signes cardiolo- giques et neurologiques caractéristiques de l’intoxication. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Flesch F. Intoxication par les végétaux. Encyclopédie médicochirurgicale, Urgences [24-116-A-07], Elsevier Masson; 2007. [2] Gaillard Y. Main toxic plants responsible for human deaths: a revue. Ann Biol Clin 2001;59(6):764-5. [3] Thomas YK. Chan aconite. Poisoning. Clin Toxicol 2009;47:279-85. [4] Elliot SP. A case of fatal poisoning with the aconite plant: quantitative analysis in biological fluid. Sci Justice 2002;42(2):111-5. Presse Med. 2013; 42: 353370 en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com 353 Lettres à la rédaction tome 42 > n83 > mars 2013

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Presse Med. 2013; 42: 353–370 en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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Intoxication par l’aconitineAconitine poisoning

Les végétaux sont en cause dans 5 % des intoxicationsrecensées par les centres anti-poisons. Chez l’adulte ces in-toxications sont mises en évidence lors de tentatives d’autolyseou de confusion avec des plantes comestibles [1].Il s’agit d’un patient de 66 ans qui a été hospitalisé enurgence pour une intoxication, par ingestion volontaire de6 à 7 follicules de la fleur d’aconit. Il a eu dans les minutesqui ont suivit l’ingestion, des paresthésies péribuccales, puisune demi-heure plus tard, des paresthésies de la face et desmembres supérieurs avec des difficultés respiratoires. À sonarrivée au service des urgences, il se plaignait d’oppressionthoracique et abdominale, de dyspnée ; la pression artérielleétait à 126/80 mmHg, la fréquence cardiaque à 97/minuteet la saturation en oxygène à 100 % à l’air ambiant. L’ECGmettait en évidence des troubles du rythme complexesassociant, fibrillation auriculaire, extrasystoles ventriculairespolymorphes, alternance de bloc de branche droit et gaucheet des lambeaux de tachycardie ventriculaire. Rapidement,son état s’est dégradé avec une hypotension artérielle, unefréquence cardiaque à plus de 160 battements par minute.Le patient a été admis en réanimation. Un traitement anti-arythmique par sulfate de magnésium a été débuté à raisonde 1,5 g en intraveineux direct puis 6 g par 24 heures aupousse seringue électrique, auquel a été associé successive-ment de l’amiodarone (300 mg en dose de charge puis600 mg par 24 heures en perfusion continue) et de la lido-caine (200 mg en dose de charge puis 2400 mg en perfusioncontinue par 24 heures) ; puis de l’esmolol, sans ralentisse-ment ou réduction de la fibrillation auriculaire et sans dis-parition de l’arythmie ventriculaire. Le patient a été intubéet ventilé et une sonde d’entraînement électro systolique aété mise en place pour couvrir le traitement anti-arythmique.Il n’a pas été anti-coagulé en raison du caractère transitoirede l’arythmie. Le rythme cardiaque s’est normalisé à24 heures de la prise en charge. Un arrêt progressif desanti-arythmiques a été réalisé, le patient a été sevré de laventilation contrôlée et a quitté la réanimation puis l’hôpital8 jours plus tard.L’aconit napel est une plante vivace que l’on trouve aussi bienen Chine qu’en Corse. La tige dressée porte des feuilles alternes

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palmatiséquées à trois ou cinq segments linéaires lancéolés, lesfleurs sont groupées en grappe d’un bleu-violet intense, saracine est tubérisée pointue à surface brun-noirâtre. Toutes lesparties de l’aconit renferment de l’aconitine [2], qui est undiester acétylé benzoylé d’un amino-alcool hexa cyclique,l’aconine. Elle agit sur les canaux sodiques voltage dépendantdes membranes cellulaires des tissus cardiaques, nerveux etmusculaires en prolongeant leur activation. Son activité ino-trope positive, explique l’effet pro-arythmogène, alors que laneurotoxicité est liée au blocage de la transmission neuromus-culaire par effet anti-cholinergique [3]. Ce patient avait ingéréune quantité potentiellement mortelle de follicules d’aconit.L’appel du centre antipoison nous apprit que 1 g d’aconit fraiscontenait 2 mg d’aconitine, laquelle est létale pour une dose de3 à 6 mg, que les troubles du rythme cardiaque persistent24 heures avec un risque de fibrillation ventriculaire et qu’ilssont le plus souvent réfractaires à toute thérapeutique. Larecherche spécifique de l’aconitine par chromatographie enphase liquide couplée à la spectrométrie de masse tandem(CLHP-SM/SM) dans le sang et les urines de notre patient ontmontré les résultats suivants :� dans le sang : 13 ng/mL ;� urine : 6700 ng/mL.Un cas d’ingestion fatale avait été décrit avec des concentra-tions ante mortem de 6 ng/mL et 334 ng/mL et post-mortem à10,8 ng/mL et 264 ng/mL, dans le sang et l’urine respective-ment [4]. Les intoxications sont exceptionnelles dans les paysoccidentaux. En France, deux cas ont été précédemment décritsdont un suicide et un empoisonnement accidentel [5,6]. Aucuncas n’a été répertorié en Corse à notre connaissance.Le cas publié montre le danger de l’aconitine par consomma-tion de la fleur d’aconit. Le patient a eu des signes cardiolo-giques et neurologiques caractéristiques de l’intoxication.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

Références[1] Flesch F. Intoxication par les végétaux. Encyclopédie médicochirurgicale,

Urgences [24-116-A-07], Elsevier Masson; 2007.[2] Gaillard Y. Main toxic plants responsible for human deaths: a revue. Ann

Biol Clin 2001;59(6):764-5.[3] Thomas YK. Chan aconite. Poisoning. Clin Toxicol 2009;47:279-85.[4] Elliot SP. A case of fatal poisoning with the aconite plant: quantitative

analysis in biological fluid. Sci Justice 2002;42(2):111-5.

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Lettres a la redaction

[5] Strzelecki A. Acute toxic herbal intake in a suicide attempt and fatalrefractory ventricular arrhythmia. Basic Clin Pharmacol Toxicol2010;107(2):698-9.

[6] Moritz F. Severe acute poisoning with homemade aconitum napelluscapsules: toxicokinetic and clinical data. Clin Toxicol 2005;43(7):873-6.

Kamel Larabi, Adrien Soulillou, Marc Mattys,Marie Josée Lucchini, Yves Fanton, Bastien Tafani

Centre hospitalier Notre Dame de Miséricorde, service demédecine interne neurologie, 20303 Ajaccio, France

Correspondance : Kamel Larabi,centre hospitalier Notre Dame de Miséricorde, service de

médecine interne neurologie, 27, avenue Impératrice Eugénie,20303 Ajaccio, France.

[email protected]

Reçu le 5 octobre 2011Accepté le 19 mars 2012

Disponible sur internet le 18 juin 2012

Figure 1

Jusquiame du désert séchée

� 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservéshttp://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.03.020

Intoxication massive parHyoscyamus muticus, compliquéepar une polyneuropathiesensitivomotrice de type axonaleA massive poisoning by Hyoscyamus muticus,complicated by axonal sensorimotorpolyneuropathy

Observation

Un patient de 59 ans, sans antécédent pathologique notable,habitant dans la ville de Dakhla, située au sud du Maroc, aingéré il y a un mois une très grande quantité de Jusquiame du

desert (plante connue sous le nom vernaculaire de Btina etbotanique de Hyoscyamus muticus) (figure 1) dans unepréparation de thé, à visée antalgique pour des gonalgiesmécaniques. Par la suite des troubles de la parole, des pares-thésies et des sensations de fourmillements au niveau desquatre membres sont apparus avec une altération rapidementprogressive de l’état de conscience. Pendant 15 heures, lepatient a été dans le coma et il a été admis dans le servicede réanimation médicale de l’hôpital militaire de Dakhla.Après la régression du coma, le patient était toujours légère-ment confus avec une dysarthrie, suivie cinq jours après par unefaiblesse des quatre membres avec des troubles sensitifs

subjectifs (paresthésies) et des décharges électriques, prédo-minant en distal, ayant nécessité le transfert du patient dans leservice de neurologie de l’hôpital militaire d’instructionMohamed V.L’examen général a trouvé un assez bon état général, eupnéi-que, sans trouble tensionnel, apyrétique avec une nuquesouple. Pour l’examen neurologique, la marche était possibleavec un steppage bilatéral, le patient tenait le Barré auxmembres supérieurs et le Mingazinni aux membres inférieurs.La force musculaire segmentaire était cotée à 3/5 pourles membres inférieurs (en distal), 4/5 pour lesmembres inférieurs (en proximal) et au membre supérieurgauche, 5/5 au membre supérieur droit. On notait une hypo-tonie avec des réflexes ostéotendineux vifs aux membressupérieurs, abolis aux membres inférieurs et un Babinski àgauche. L’examen de la sensibilité a montré une hyperesthésiecutanée au niveau des deux membres inférieurs, à prédomi-nance distale, une sensibilité tactile épicritique et profondeconservée aux quatre membres avec un niveau sensitif D8.L’examen des paires crâniennes a montré une baisse de l’acuitévisuelle bilatérale, un myosis serré bilatéral avec un fond d’oeilnormal, une paralysie faciale périphérique droite et une dysar-thrie paralytique. L’examen des fonctions supérieures a révéléune désorientation dans le temps et dans l’espace, une amné-sie antérorétrograde, avec des difficultés à la compréhension età l’évocation des mots. Le reste de l’examen somatique étaitsans particularité.Devant ce tableau neurologique constitué d’une atteinte pyra-midale avec des signes d’encéphalopathie, d’atteinte despaires crâniennes, associée à une atteinte médullaire et unsyndrome neurogène périphérique, un bilan exhaustif a étédemandé. L’imagerie cérébrale par résonnance magnétique(IRM) en séquence Flair a montré quelques hypersignaux au

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