intÉgralitÉ des sources rv 316, 562, 693, 431, · 2010. 3. 2. · pour le finale, il s’agit de...

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Jean-Pierre Demoulin SUGGESTIONS POUR COMPLÉTER QUATRE ŒUVRES DONT ON NE POSSÈDE PAS L INTÉGRALITÉ DES SOURCES: RV 316, 562, 693, 431, ET QUI MÉRITENT UNE EXÉCUTION QUI RENDE DIGNEMENT L ORIGINAL. QUESTIONS PARALLÈLES À PROPOS DES CONCERTOS RV 432 ET 438. Les œuvres retrouvées en manuscrits sont assez nombreuses à présenter quelques lacunes qui rendent leur exécution problématique. J’en ai choisi quatre présentant des problèmes divers (absence d’un mouvement, absence d’un épisode soliste, absence d’une partie vocale dans une œuvre lyrique importante). J’ai conscience qu’il y a encore bien d’autres cas du même genre, mais je me suis limité. Pour mémoire, je citerai un autre sujet qui mériterait d’être abordé: comment approcher au mieux les ensembles d’œuvres religieuses pour constituer des offices vraisemblables par leur signification liturgique, par la chronologie de leur composition, par leur destination et par leur organisation structurelle? Là aussi de nombreuses lacunes et incertitudes existent et des questions restent pour l’instant sans réponse. Ceci n’entrera pas dans l’objet de cet exposé. CONCERTO EN SOL MINEUR POUR VIOLON, CORDES ET CONTINUO, RV 316 Le manuscrit de ce concerto a disparu par incendie pendant la guerre 1940- 1945 à Darmstadt (manuscrit copié, en parties séparées; Hessische Landes–und Hochschulbibliothek, n°4443). Nous avons heureusement deux documents importants: l’incipit du premier mouvement transmis sur une ancienne fiche et la transcription de l’œuvre entière que fit J. S. Bach pour le clavecin, à Weimar (BWV 975). Ce concerto fut repris et édité quelques années plus tard (1716) comme sixième du recueil La stravaganza paru comme Opus IV à Amsterdam, avec quelques variantes dans le Largo et surtout un finale différent. 1 Nous savons par une affirmation du musicologue archiviste Waldersee, qui connut bien le manuscrit, que les trois mouvements correspondent bien à la transcription de Bach. Celle-ci accomplie dans les années 1713-1714 démontre la – 359 – – 1 di 9 – Jean-Pierre Demoulin, 12 Rue Bosquet, B-1060 Bruxelles, Belgio. e-mail: [email protected] 1 RUDOLF RASCH, La famosa mano di Monsieur Roger: Antonio Vivaldi and his Dutch Publishers, «Informazioni e studi vivaldiani», 17, 1996, pp. 95 et 118.

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Page 1: INTÉGRALITÉ DES SOURCES RV 316, 562, 693, 431, · 2010. 3. 2. · Pour le finale, il s’agit de deux partitions tout à fait différentes. La partition plus ancienne, notée comme

Jean-Pierre Demoulin

SUGGESTIONS POUR COMPLÉTER QUATRE ŒUVRES DONT ON NEPOSSÈDE PAS L’INTÉGRALITÉ DES SOURCES:

RV 316, 562, 693, 431, ET QUI MÉRITENT UNE EXÉCUTIONQUI RENDE DIGNEMENT L’ORIGINAL.

QUESTIONS PARALLÈLES À PROPOS DES CONCERTOS RV 432 ET 438.

Les œuvres retrouvées en manuscrits sont assez nombreuses à présenterquelques lacunes qui rendent leur exécution problématique. J’en ai choisiquatre présentant des problèmes divers (absence d’un mouvement, absenced’un épisode soliste, absence d’une partie vocale dans une œuvre lyriqueimportante).

J’ai conscience qu’il y a encore bien d’autres cas du même genre, mais je mesuis limité. Pour mémoire, je citerai un autre sujet qui mériterait d’être abordé:comment approcher au mieux les ensembles d’œuvres religieuses pourconstituer des offices vraisemblables par leur signification liturgique, par lachronologie de leur composition, par leur destination et par leur organisationstructurelle? Là aussi de nombreuses lacunes et incertitudes existent et desquestions restent pour l’instant sans réponse. Ceci n’entrera pas dans l’objet decet exposé.

CONCERTO EN SOL MINEUR POUR VIOLON, CORDES ET CONTINUO, RV 316

Le manuscrit de ce concerto a disparu par incendie pendant la guerre 1940-1945 à Darmstadt (manuscrit copié, en parties séparées; Hessische Landes–undHochschulbibliothek, n°4443).

Nous avons heureusement deux documents importants: l’incipit du premiermouvement transmis sur une ancienne fiche et la transcription de l’œuvreentière que fit J. S. Bach pour le clavecin, à Weimar (BWV 975).

Ce concerto fut repris et édité quelques années plus tard (1716) commesixième du recueil La stravaganza paru comme Opus IV à Amsterdam, avecquelques variantes dans le Largo et surtout un finale différent.1

Nous savons par une affirmation du musicologue archiviste Waldersee, quiconnut bien le manuscrit, que les trois mouvements correspondent bien à latranscription de Bach. Celle-ci accomplie dans les années 1713-1714 démontre la

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Jean-Pierre Demoulin, 12 Rue Bosquet, B-1060 Bruxelles, Belgio.e-mail: [email protected] RUDOLF RASCH, La famosa mano di Monsieur Roger: Antonio Vivaldi and his Dutch Publishers,

«Informazioni e studi vivaldiani», 17, 1996, pp. 95 et 118.

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jeunesse de ce concerto qui devrait vraisemblablement être contemporain deceux réunis dans L’estro armonico.

Pour le premier mouvement il n’y a aucun problème. La version pourclavecin qui reprend celle du manuscrit disparu est tout à fait conforme à cellede l’Opus IV.

La mélodie du mouvement lent peut être considérée comme la même quecelle de l’Opus IV mais fortement ornée par Bach, comme c’était habituel, maisici plus richement en vue d’une exécution au clavecin qui ne peut chantercomme un violon. De plus dans la version de Bach on trouve trois «tutti»d’accords orchestraux verticaux, tout à fait dans le style des premiers adagios duPrêtre roux (exemple Opus III n° 3 et 9), qui ne laissent place, dans la versionimprimée, qu’à deux «tutti» réélaborés, avec omission du premier, ensubstituant aux accords plaqués une suite plus harmonieuse et modulante,assez mélodique et plus longue, qui utilise d’ailleurs un des thèmes qu’onretrouvera dans le finale du concerto pour violon RV 319 conservé en manuscrità Dresde. Aucun doute n’est possible sur la postériorité de cette versionimprimée.2

Pour le finale, il s’agit de deux partitions tout à fait différentes. La partitionplus ancienne, notée comme «presto», copiée par Bach, est celle d’une gigueorchestrale, sans épisode soliste, comme dans un concerto pour cordes. Ce genrede mouvement dans un concerto soliste est rare chez Vivaldi mais se retrouvedans des œuvres de sa première période créative: par exemple le finale duconcerto pour violon en Sol mineur, Opus VI n° 3 (RV 318), et peut-être danscelui du concerto RV 381 en Si bémol majeur que Bach a aussi transcrit pour leclavecin, en Sol majeur. En effet ce finale est aussi une gigue qui semble chezBach ne laisser place à aucun épisode soliste. On le retrouve pourtant esquissé(mais est-ce original?) dans le manuscrit de RV 381, présentant deux violonsconcertants (cf. communication de Fabrizio Ammetto, sur RV 528, qui sembleune troisième mouture de ce concerto).

En conclusion, le rétablissement d’une partition à exécuter de ce concerto RV 316, intéressant car de première jeunesse, serait aisé:

- reprise in extenso, sans modification, de l’Allegro initial du RV 316a (OpusIV n° 6),

- reprise du Largo, sans modification de la mélodie du même Opus IV n°6,mais en rétablissant les «tutti» en accord verticaux d’après la version deBach; avec en plus le «tutti» supplémentaire après la huitième mesure desolo, comme chez Bach,

- transposer textuellement le texte de Bach pour le finale «presto» enprenant l’accompagnement comme au début par harmonies pleines. Lecontinuo pourrait aux reprises s’inspirer alors du développement de labasse de Bach.

2 Contrairement à l’avis émis par Rudolf Rasch, cit., p. 100.

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CONCERTO EN RÉ MAJEUR POUR VIOLON SOLO ET ORCHESTRE AVEC CORS ET HAUTBOIS,RV 562

Ce concerto dont l’authenticité n’est pas douteuse, mais peut-être bien sontitre de «San Lorenzo», présente quelques particularités qui rendent lesmusicologues un peu sceptiques quant à la manière de restituer sa partitionoriginale. De plus on possède une version assez différente, mais contenant lamême matière musicale pour les mouvements vifs qui a été exécutée en 1738 àAmsterdam pour le centenaire du Schouwburg (RV 562a), avec ajout de deuxtimbales.

La version qui nous intéresse est celle conservée en manuscrit nonautographe à Dresde qui est de loin antérieure à sa copie transforméed’Amsterdam, principalement par son mouvement lent. Le problème qu’ilfaudrait résoudre se trouve dans le premier mouvement où une séquence de 10mesures (98 à 107) ne contient que la basse chiffrée de l’orgue principal, sansaucune mélodie à aucun instrument. On pourrait penser qu’on va être éclairégrâce à la version complète d’Amsterdam, mais Vivaldi a transformé quelquespassages et à l’endroit de ces mesures on trouve une prolongation du solo dupremier hautbois.

Malheureusement sur le passage original de Dresde l’épisode comprend dixmesures de continuo, tandis que la partie de hautbois d’Amsterdam n’encomprend que six, mais celles-ci correspondent parfaitement avec la bassecontinue des premières deux mesures et demi et des dernières trois mesures etdemi, avec donc un trou de quatre mesures (100, troisième temps – 104,troisième temps) que Vivaldi a sans doute retranchées pour la nouvelle versiond’Amsterdam. On peut donc reprendre ces six mesures de la partie de hautboiset compléter l’absence de quatre mesures en improvisant d’après la bassechiffrée de l’orgue principal, dont trois mesures descendent par échellesconjointes de sixtes et septièmes qui permettent une improvisation aisée, enarpèges.

Reste à savoir quel est l’instrument qui doit interpréter ce passage de 10mesures. Trois possibilités s’offrent à nous:

1) Le hautbois, comme dans la version d’Amsterdam. Il faudrait alors penserqu’une feuille supplémentaire séparée du premier hautbois se soit perdue ouqu’il existait une partie de hautbois principal, comme dans le concerto«Sassonia» RV 576, mais dont le seul «solo» serait celui-ci, et qu’il aurait étéensuite raccourci. Cela donnerait d’ailleurs un très long «solo».

2) Le premier violon dont la partie écrite n’a pas été retrouvée. Mais celamanquerait de contraste avec la partie soliste précédente et ne semble avoiraucune justification.

3) L’orgue principal. Ceci est le plus logique car ce serait le seul passageconfirmant son rôle de «principal». On peut imaginer facilement que là aussifigurait une page pour la main droite qui aurait été égarée. Ce qui n’est pas rare.Ce long «solo» doit avoir existé car, d’après la version d’Amsterdam, on constatetrès clairement que Vivaldi a coupé ce grand «solo» qu’il trouvait sans doute

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SUGGESTIONS POUR COMPLÉTER QUATRE ŒUVRES

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trop long, surtout que passant au hautbois il s’ajouterait encore aux 10 mesuresprécédentes pour cet instrument. La césure se réalise en milieu de la mesure 100pour reprendre au milieu de la 104.

Je pense pour ma part que cette troisième réponse est la meilleure et ellesonne remarquablement bien, donnant enfin un rôle appréciable à l’orgueprincipal.

Ici vient une reproduction de ces dix mesures d’orgue principal telles que jeles propose en accord avec la basse de la version de Dresde et les six mesures dela version d’Amsterdam.

Esempio 1. A. Vivaldi, Concerto in Re maggiore, RV 562 (rèalisation proposèe par Jean-Pierre Demoulin)

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LA SENNA FESTEGGIANTE, SERENATA A TRE VOCI E STRUMENTI, RV 693

La partition manuscrite non autographe qui nous transmet à Turin cettemerveilleuse sérénade est l’occasion de très nombreux débats musicologiques.Nous ne voulons pas ici nous occuper de ce que pouvait être la version originaleque «Papa Vivaldi» a recopiée ni revenir encore sur l’occasion et la date de lapremière exécution qui restent assez mystérieuses.

Nous voudrions ici attirer l’attention sur l’incomplétude de cette partitionqui, dans la partie avant le chœur final laisse apparaître une lacune importante.En effet outre la césure bien remarquée dans les derniers récitatifs, il apparaît, sil’on veut bien considérer l’œuvre dans son ensemble, qu’on ne peut imaginerque le personnage principal («le rôle titre») à savoir la Seine, n’ait eu que troisarias et pas celui qui clôt l’œuvre avant le chœur final. Il est évidemment trèsdifficile de se figurer ce que ce fut.

Pour rééquilibrer cette fin d’œuvre peut-être oserai-je avancer, expérimen-talement, un autre air «fluvial» et brillant, dont la date de composition serait justeantérieure au couronnement du Roi de France et dont le style s’accorderait fortbien avec celui de la Sérénade; il provient des airs séparés du quatrièmemanuscrit du volume Foà 28 (fol. 75r-77r: Fiume che torbido qui semble appar-tenir, en tout cas par son texte, au drame pastoral La Silvia). Le texte ne convientévidemment pas à la Seine, mais on peut penser que ce ne fut pas un problèmed’y adapter les versets malheureusement inconnus de Lalli. Evidemment lameilleure chose à espérer, c’est de retrouver un livret de cette œuvre (sans douteen France?), et qui permettrait de restituer très honorablement cette fin, etrésoudrait d’ailleurs bien d’autres problèmes historiques et musicologiques. Unmusicologue averti, en collaboration avec un poète italien, pourrait transformerl’air en question et compléter les petits manques de récitatifs, ce qui a été faitpour le récit, par Martin Gester en CD (Accord 206172).

Fredéric Delaméa me suggère un autre air pour basse, un peu plus ancien,dont le caractère, selon lui, conviendrait mieux: «So che combatte ancor»,précisément «alla francese» (aria de Califfo, au premier acte de Armida).

CONCERTO EN MI MINEUR POUR FLÛTE TRAVERSIÈRE, RV431

La dernière œuvre dont je voudrais proposer un rétablissement de sa totalitéen vue d’exécutions bien méritées est le concerto en Mi mineur RV 431 dont lemouvement lent manque. J’ai déjà désiré sans succès faire connaître mesdéductions musicologiques; j’y reviens donc, en bon accord, me semble-t-il, avecles propos de l’excellente édition critique qu’en a faite Federico Maria Sardelli.3

Je reste assez étonné que tous les musicologues qui se sont penchés sur cettesurcharge autographe «sopra il libro, come stà», et spécialement Federico MariaSardelli qui indique qu’il faut entendre ce «come stà» dans le sens «che doveva

3 ANTONIO VIVALDI, Concerti per traversiere RV 431 e 432, edizione critica a cura di Federico MariaSardelli, Firenze, S.P.E.S., 2001.

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esser copiato senza modificarne la tonalità»,4 n’aient pas cherché d’abord parmiles concertos pour flûtes contenus dans ce même volume 31 (sans aucunementidentifier celui-ci au libro désigné par Vivaldi) et n’aient pas eu l’attentionattirée par le Largo d’un concerto écrit pour un instrument de la famille desflûtes, dans la bonne tonalité de Mi mineur et le bon registre, mais dont on peutjustement ne pas suivre les indications de transposition, c’est-à-dire le copier«come stà»: il s’agit, on l’aura maintenant deviné, du concerto pour flautino enDo majeur RV 443, destiné secondairement par le compositeur à être transposé àla quarte, et dont, assez exceptionnellement, le Largo est écrit à l’origineprécisément en Mi mineur et dans la bonne tessiture. Ce tome 31 n’acertainement pas été structuré ni relié par Vivaldi de son vivant, mais lecompositeur en a vraisemblablement collecté, par groupes, le contenu. S’il nepeut rigoureusement s’agir de ce libro auquel renvoie le compositeur, pourquoine pas prendre en première considération les éléments, groupés sans doutedifféremment, et non en un seul recueil, de ce volume 31, d’autant plus qu’ilcontient presque tous les concertos pour la famille des flûtes?

On sait qu’il n’est pas rare que Vivaldi ait changé la destination de flûte à becen flûte traversière (cf. Opus X) et l’ambitus de la partition correspond bien auxhabitudes de Vivaldi pour la flûte traversière (voir ci-après). Le tempo de Largoalors que Vivaldi inscrit Grave sopra il libro ne porte pas à conséquence car le motgrave est très souvent imprécis chez Vivaldi, comme chez plusieurs copistes, etveut alors dire: «mouvement lent» (voir ci-après); c’est la plupart du temps unterme générique, comme le note bien Federico Maria Sardelli.5 Il seraitévidemment fort intéressant pour corroborer ma thèse de pouvoir situerchronologiquement ces deux concertos, l’un par rapport à l’autre.

DISCUSSION MUSICOLOGIQUE DE CERTAINES CRITIQUES POSSIBLES, À PROPOS DU RV 431.

A. Super LibrumPeut-on penser que «sopra il libro» serait identique à l’ancien terme «super

librum»?Un argument est troublant: Olivier Fourés a trouvé à la Bibliothèque

Nationale autrichienne de Vienne un manuscrit dont les quatre mouvementssont précédés de la mention «grave sopra il libro».6 Je me demande si, dans lecas où ce sont des parties séparées, on trouve cette inscription sur chacune desautres parties et sinon sur celles correspondantes qu’y a-t-il d’inscrit? Lacontemporanéité ne peut être retenue puisqu’il y a une trentaine d’années entrele manuscrit de Vienne et celui de Turin.

L’idée d’improvisation complète pour une partie aussi importante d’unconcerto ne correspond absolument pas à la manière de Vivaldi, qui va jusqu’à

4 FEDERICO MARIA SARDELLI, La musica per flauto di Antonio Vivaldi («Quaderni vivaldiani», 11),Firenze, Olschki, 2001, p. 102.

5 Ibidem.6 Cité par Sardelli.

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écrire souvent ses cadences en toutes notes. De plus où serait le thème ou labasse sur lesquels improviser? Sur un autre livre ou papier? Mais alors pourquoipas tout le mouvement, comme le laisserait entendre la lecture directe etspontanée de l’indication.

Par-dessus tout, une quelconque improvisation semble interdite par les mots«come stà». Il y a là totale opposition.

Enfin, comme l’a bien remarqué Federico Sardelli, à la page 52 du livre Lesmanuscrits de Vivaldi Peter Ryom expose le cas, dans le concerto RV 263, demodifications du texte indiquées par «sopra la carta» puis «sopra il libro».

B. GravePour Sardelli comme pour moi il s’agit d’un terme générique voulant

renseigner un mouvement lent. L’appellation ne se trouve que quelques raresfois en autographe, et seulement dans des œuvres de jeunesse. Par contreplusieurs fois dans la copie de parties séparées les copistes indiquent grave tacetà la place d’un Largo ou d’un Adagio. Il pourrait en être de même pour l’éditeurd’Amsterdam, qui dans le cas où Vivaldi aurait oublié d’indiquer le type de tempolent (ce qui n’est pas rare), ajouterait systématiquement «grave» (ex: RV 124).

Le terme «grave» se retrouve le plus souvent dans les sonates des Opus I etII, qui sont encore très traditionnelles (Corelli) et dans les récitatifs des concertosRV 202 (autographe) et 562 (copie). Dans l’autre concerto incomplet en Mimineur RV 432, où manquent les deux derniers mouvements, Vivaldi reprendprécisément le même terme «grave» qui renvoie à un mouvement lent (le même?).

C. Passage de la Flute à bec a la TraversièreOn ne peut pas dire que ce soit rare puisque au moins les deux derniers

concertos de l’Opus X proviennent de concerti pour flûte à bec. Et, au fait quela partition monte jusqu’au Mi5, on ne peut opposer un problème de tessiture,puisque rien que dans le finale du concerto Le chardonneret pour traversière, il ya 19 Mi5; et dans l’Opus X n° 5, provenant d’une œuvre pour flûte à bec, il y adeux Mi5, dans un Largo qui est aussi une sicilienne.

Quand à se demander s’il faut privilégier comme modèle un concerto de lafamille des flûtes, cela semble normal, car on ne connaît pas de cas où lecompositeur soit passé du violon à la flûte. Sauf dans le concerto transcrit pourun choix multiple d’instruments Il Proteo7 comme son nom l’indique, c’esttoujours le violon qui vient en substitution de la flûte.

D. Quid du concerto en mi mineur RV 432?Le superbe mouvement isolé qui n’est suivi d’aucun autre mouvement, si ce

n’est curieusement de la même indication «grave sopra il libro» semble encore

7 Cf. JEAN-PIERRE DEMOULIN, Â propos de Vivaldi, quelques réflexions sur l’interprétation actuelle dela musique ancienne et baroque, in Nuovi studi vivaldiani. Edizione e cronologia critica delle opere, auxsoins de Antonio Fanna et Giovanni Morelli («Quaderni vivaldiani», 4), Firenze, Olschki, 1988,vol. II, pp. 703-711: 708.

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plus invraisemblable pour notre logique. On ne peut penser à deuximprovisations, ni à un Grave à recopier, sans suite d’un finale.

Je pense qu’il y a un moyen de sortir de cette impasse. Il suffit de songer àun autre premier mouvement autographe que l’on retrouve dans le mêmevolume, écrit en Sol majeur, RV 438.

REMARQUES À PROPOS DU CONCERTO EN SOL MAJEUR POUR FLÛTE TRAVERSIÈRE, RV438

Dans son ouvrage fondamental Les manuscrits de Vivaldi, Peter Ryom ajustement suggéré que le mouvement isolé en Sol majeur, avec ses «soli»semblables au premier mouvement du concerto copié RV 438, serait, comme ill’appelle, un «manuscrit modifiant».8 On ne peut en effet que difficilementsupposer que ce mouvement autographe soit antérieur à la copie RV 438.9 Parcontre il est facile d’imaginer le processus de composition de ce concerto: unpremier concerto pour flûte traversière est écrit, à la hâte sans doute, en prenantle matériel thématique d’un concerto pour violoncelle RV 414, qui sert enquelque sorte de modèle. Vivaldi abrège légèrement les «tutti», transforme plusradicalement le thème du finale, en gardant le même schéma harmonique maisélaboré en rythmes lombards (chronologiquement postérieurs) et il modifieconsidérablement tous les «soli», qui gardent néanmoins plusieurs passagesdérivant des «soli» de violoncelle, transposés à la double octave. Le mouvementlent ne garde que la ritournelle, très réduite en sa réexposition finale, tandis quele «solo» est une nouvelle et superbe mélodie bien pensée pour la flûte tra-versière et dont l’accompagnement est réduit à un simple contre-chant confiéau violoncelle «solo». Cette composition qu’on suppose hâtive et brouillonnesera recopiée et c’est cette copie qui figure aux folios 250-259. Vivaldi, de sapropre plume, va modifier le dernier «solo» de l’Allegro final pour correspondremieux au caractère des autres «soli»; il va aussi changer le tempo dumouvement lent: conçu comme largo, dans la version pour violoncelle, le copisteécrit, pour la version flûte, larghetto et Vivaldi barre lui-même ce nouveau tempopour l’accélérer encore en andante; de plus il ajoute à l’accompagnement encontre-chant dévolu au violoncelle, un basson: e fagotto (à l’unisson). Ensuite,devant l’allure très nouvelle du concerto, surtout dans ses deux derniersmouvements, après réflexion ou pour une autre occasion, il semble regretter quele thème du premier mouvement soit demeuré celui du modèle pour violoncelleau jeu «sautant» auquel il reste trop lié (le premier «solo» du violoncelle imitaitd’ailleurs le dessin du «tutti»). Plutôt que de retoucher ce premier mouvement,il en élabore donc un nouveau, conservé en autographe (folios 428-432), qui estclairement dérivé de celui précédent mais mieux en rapport avec le nouvelinstrument et il reprend les mêmes soli, dont il modifie toutefois quelquespassages, surtout par de légères coupures et une élaboration plus subtile de

8 PETER RYOM, Les manuscrits de Vivaldi, Copenhague, Antonio Vivaldi Archives, 1977, p. 294.9 Comme semble l’affirmer FEDERICO MARIA SARDELLI dans: La musica per flauto di Antonio

Vivaldi, cit., p. 97

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l’accompagnement. Il y aurait évidemment une étude intéressante à faire encomparant d’une manière serrée les trois versions de ce premier mouvement. Jecrois qu’elle confirmerait clairement la chronologie du scénario ci-dessusproposé. D’autre part ne conviendrait-il pas dès lors de considérer commeversion définitive du concerto RV 438 celle modifiée par le nouveau premiermouvement autographe? Ou alors donner à cette version définitive le numéroRV 438a?

RETOUR AU RV 432

Forts de ces constatations on pourrait de même suggérer l’hypothèse que cemouvement 432 ait été composé après le 431 pour remplacer uniquement lepremier mouvement de celui-ci. Un «manuscrit modifiant» dirait encore Ryom.Les musiciens, les flûtistes et les musicologues seront d’accord pour dire que leconcerto y gagnerait. On aurait alors comme version définitive ou alternative: 1er mouvement: RV 432; deuxième mouvement: Largo du RV 443; troisièmemouvement: finale du RV 431.

Notons que pour bien faire comprendre que ce mouvement unique vientremplacer le premier du 431, Vivaldi écrit à sa suite les mêmes mots: «gravesopra il libro»; se référant ainsi clairement à l’indication donnée pour le 431, ilsemble affirmer qu’il s’agit bien de ce même concerto.

CONCLUSION SUR LE RV 431

A ne considérer que les œuvres actuellement connues, et plus précisémentautographes de la propre collection de Vivaldi, il me semble que cette hypothèsea beaucoup de chances d’être la solution préconisée par Vivaldi. Ceci n’exclutpas une découverte exceptionnelle qui apporterait une réponse définitive. Detoute façon, je pense que placer ce superbe Largo au rythme de sicilienne qui,sans transposition, chante tellement bien et que Vivaldi avait de bonnes raisonsde chérir, comme mouvement lent (grave) du concerto RV 431 pourrait être lasolution la plus logique, dans l’état actuel de nos connaissances, et la plusesthétique; peut-être à conseiller désormais pour compléter ce merveilleuxconcerto, qui mérite mieux que de rester un objet musicologique. Je l’ai faitexécuter plusieurs fois en Belgique et en Allemagne, avec grand succès etenthousiasme du soliste. On pourrait donc aussi y substituer parfois le premiermouvement par le RV 432!

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