international ink n°5

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05 LES CONTROVERSES SPIRITUELLES DOSSIER Journal d’Etudiants en Science Politique et Relations Internationales

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Les controverses spirituelles : notre dossier

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Page 1: International Ink n°5

05

LES CONTROVERSESSPIRITUELLES

DOSSIER

Journal d’Etudiants en Science Politique et Relations Internationales

Page 2: International Ink n°5

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2426

303134

ÉDITORIAL• Bari, un ami qui vous veut du bien ?

DOSSIER :LES CONTROVERSES SPIRITUELLES• Avant-propos• Sarkozy pourfendeur de la laïcité• Lorsqu’on change de foi : mobilité• sociale au sein des sphères religieuses• Amérique latine : les posadas• L’Opus Dei : Œuvre de Dieu• ou Sainte Mafia ?• Raël ou la mauvaise odeur de la science• Jonestown, ou l’histoire d’une utopie• sectaire meurtrière• Les neurones du sacré :• la neurothéologie• Un univers de questions

ZOOM :AMNESTY INTERNATIONAL UNIGE• Des prisonniers d’opinion• aux droits humains

• La Déclaration Universelle des Droits• de l’Homme a 60 ans !

• Entretien avec Peter Splinter,• rapporteur d’Amnesty à l’ONU

• Amnesty en questions

POLITIQUE• Gaz et politique : la désunion• européenne à l’aube du conflit géorgien

VIE UNIVERSITAIRE• AESPRI et commission de• direction : entre collaboration• et déception

• Entretien avec Philippe Burrin,• directeur de l’IHEID

SOURCES• Bibliographies

REMPLISSAGE• Parce que l’inutile a son importance…

ÉVENEMENT• Conférences de février à mai 2009

INTERNATIONAL.ink – n°05Février 2009

Edité par l’Association des Etudiantsen Sciences Politiques et en Relations Internationales (AESPRI)

Imprimé par l’atelier d’impression de l’Université de Genève

Financé par la Commission de Gestion des Taxes Fixes (CGTF)

RÉDACTION

Rédacteurs en chefRomain Aubry et Clément Bürge

MembresDanica Hanz, Mélanie Escobar Vaudan, Matthieu Heiniger, Lionel Thorens, Antoine Roth, Lukas à Porta, Adrià Budry, Alice El-wakil, Anna Schmidt, Annouck Bénichou, Cindy Helfer, Cléa Comninos, Damien Calle-gari, Dorothea Schmidt, Flurina Ma-rugg, Kayla Jenni, Leticia Tapia, Lucas Lazzaroto, Mateo Broillet, Mahommed Musadak, Sara Zeines, Sarah Ramos, Vivian Rosenbaum, Jeremy Chauvin, Fabien Kaufmann

GraphisteThomas Betschart

Retrouvez-nous sur notre site webwww.aespri.unige.ch/journal !

Une réaction, un commentaire, envie de rejoindre la rédaction ? Contacte-nous à [email protected] !

Page de couverture : Cheremy Jauvin habillé par Kni Lanoitanretni. Photo : Lionel Thorens

SOMMAIRE

3

Page 3: International Ink n°5

membre de la commission de direction2, estime que

« le déficit de financement du BARI se chiffrerait

aujourd’hui environ à un million de francs, ce qui

correspondrait à l’engagement de trois nouveaux

assistants pour chaque discipline3».

Le rectorat, aux pouvoirs encore renforcés par la

nouvelle loi sur l’Université, se doit de prendre

ses responsabilités par rapport à la formation

en Relations internationales. Rappelons que les

conventions d’objectifs de l’Université inscrivent

ce baccalauréat en tant que pôle stratégique. De

plus, ce diplôme est certainement l’un des seul à

rapporter de l’argent à l’institut de Calvin et ceci

grâce à deux accords.

Tout d’abord, au nom de la péréquation intercan-

tonale, chaque étudiant suisse non-genevois4 ins-

crit à l’Université de Genève lui rapporte 10’090

francs. Puis, au titre des subventions de base de

la confédération, l’Etat suisse paie 2’050 francs

pour chaque étudiant inscrit dans toute forma-

tion unique en Suisse et ayant le statut de pôle

stratégique, conditions remplies par le BARI. Son

budget actuel étant de 1’696’000 francs, aucun

besoin d’être Nobel pour se rendre compte que le

surplus dégagé est énorme5.

Cet argent est certainement redistribué de maniè-

re utile au sein de l’organisme. Mais il paraît tout

de même difficile de concevoir que l’Université

finance d’autres programmes au détriment de sa

vache à lait. Alors que la Commission de Direction

du BARI est en train d’élaborer un nouveau plan

d’étude, il est impératif que le rectorat débloque

des fonds supplémentaires. Si des moyens ne sont

pas mis en place pour assurer la qualité de cette

formation, la pérennité de sa réputation est mise

en péril. Actuellement, le bachelor en Relations

internationales attire des étudiants de tous les

horizons et paraît tenir sur ses deux jambes, mais

combien de temps saura-t-il encore maintenir

l’illusion ?

Romain Aubry et Clément Bürge

ÉDITORIALÉDITORIAL

Le lemming, petit rongeur, est particulièrement

connu pour son étonnante capacité de régulation

de population. Lorsque son instinct lui indique

que son groupe se trouve en trop grand nombre,

l’animal se jette du haut des falaises. Ce sacri-

fice lui permet ainsi de préserver les siens et de

rejoindre le paradis des rongeurs, où le nectar de

noisette coule à flot et les cacahuètes foisonnent.

Malheureusement, les étudiants de Relations

internationales ne font pas preuve d’un tel altruis-

me. On imagine pourtant facilement les étudiants

se lancer du haut des passerelles d’Uni Mail pour

permettre la survie intellectuelle de leurs camara-

des. Comparaison animale mise à part, notre for-

mation comprend aujourd’hui 880 étudiants, dont

461 en première année - soit une augmentation de

25% par rapport à la volée précédente - un succès

dont s’est fortement targuée l’Université à la ren-

trée. Encore faut-il être capable d’en assumer les

conséquences.

Certes l’institution peut être satisfaite, mais il

est clair que depuis quelques années elle n’arrive

plus à répondre aux exigences qu’implique une

telle hausse du nombre d’étudiants. Le manque

d’encadrement cause aussi bien des désagré-

ments d’ordre mineur, comme l’impossibilité pour

l’unique conseillère aux études de répondre aux

demandes trop nombreuses des étudiants, que

des problèmes majeurs : classes bondées ou encore

manque flagrant de séminaires. Ces insuffisances

portent indubitablement préjudice à la qualité de

notre formation1.

Les autorités n’ont pas laissé le bachelor dépérir,

et certaines mesures ont été prises ces derniè-

res années, comme l’engagement de nouveaux

professeurs ou encore l’augmentation du poste

de conseillère aux études de 50% à 80%. Mais la

situation critique du BARI perdure. Alexis Keller,

BARI, UN AMI QUIVOUS VEUT DUBIEN ?

54

1 L’AESPRI a rédigé un rapport détaillant les

1 problèmes découlant du manque d’encadre-

1 ment. Retrouvez-le sur www.aespri.unige.ch.

2 L’organe directorial du BARI.

3 Droit, Histoire, Economie et Science Politique.

4 512 étudiants confédérés en 2007-08.

5 Plus de 5 millions de francs.

Page 4: International Ink n°5

AVANT-PROPOS Lukas Lazzaroto

DOSSIER DOSSIER

La secte désigne et signifie d’abord une scission. A l’origine, elle sous-entend une dérive par rapport aux normes intellec-tuelles ou politiques en place ; les premiers chrétiens, les cathares ou même les jaco-bins qui défendaient des positions qui les mettaient « à l’écart » se retrouvent sous cette acception. Le mot « secte » viendrait ici du latin seco, secare, coupé mais se-rait aussi – et c’est là toute l’ambiguïté du débat – proche du verbe « sector » ; suivre. Le sectateur étant celui qui accompagne. La secte désigne encore une école phi-losophique, où ses disciples suivent un certain mode de vie ; les pythagoriciens par exemple refusaient de manger de laviande du fait qu’ils croyaient au pas-sage des âmes dans d’autres corps. On voit aisément le lien qui existe entre les trois significations : la secte est d’abord un groupe unifié partageant un enseigne-ment – secret ou non –, ses adeptes sont liés à un leader charismatique qui incarne la doctrine, et ce groupe est toujours en contraste ou en rivalité avec le contexte dont il est issu. Mais on ne saisit toujours pas pourquoi le terme a aujourd’hui pris un sens péjoratif. En effet, c’est ce sens du terme que défendent actuellement les sectaires de tout type ; il s’agit donc de re-jeter ce point de vue strictement interne afin d’appréhender la secte comme un fait social diffus, présentant des structures si-milaires aux mouvements religieux mais ayant des spécificités propres. Les diffé-rences qui nous empêchent d’assimiler les sectes actuelles aux mouvements plus ou moins subversifs du passé sont vagues et la distinction simplifiée qui peut se faire ne marque en aucun cas une rupture.

Selon Max Weber, la secte se distingue de l’Église par le fait qu’on n’y appartient pas à la naissance car celle-ci suppose une pureté sans faille ; le monde chrétien par contre comprend des pêcheurs, autant de croyants que d’indifférents ou d’athées. L’idée de la conversion volontaire implique une sincérité avouée, une fidélité, ce qui a porté le grand sociologue à étudier la sec-te des baptistes aux États-Unis. Ceux-ci procèdent en effet à un examen minutieux du passé de l’adulte qui désire être bap-tisé. Les témoins de Jéhovah, de même, excluent de leurs membres ceux qui relâ-chent leurs mœurs. Mais qu’une religion comme le christianisme s’est voulue un jour « sectaire », c’est-à-dire libérée du mal, est une évidence ; le cas de l’Inquisi-tion ou du schisme protestant nous met face à deux procédés différents qui visenttout deux à une plus grande intégrité

religieuse. A ce niveau là, l’histoire nous montre que la distinction n’est pas si aisée si l’on se place dans les mutations lon-gues. Par contre, d’un autre côté, on peut constater que la secte quant à elle refuse le privilège qu’est censée porter la fonc-tion, seul le charisme sert de critère pour une élection ; d’où le refus des structures hiérarchiques chez les Témoins de Jého-vah par exemple. Cette idée d’absence de compromis place très souvent les sectai-res à l’extérieur du corps social et les fait se désintéresser de la politique par exem-ple. Une Église à l’inverse est toujours liée à l’État pour étendre son influence et devient objet de référence sociale, signe d’identité et d’identification quand la sec-te elle, fait peur et isole.

Aujourd’hui, l’on condamne les sectes pour ce qu’elles font d’illégal : extorsion de fonds privés, fraude, mise en danger de la vie d’autrui, trafic de drogues ou mise à l’écart des enfants. Il est admis que ce n’est pas du devoir de l’État de s’interroger sur les dangers inhérents aux croyances sectaires ; les tribunaux s’occupant uni-quement des conséquences sur le plan so-cial, on est passé d’une analyse doctrinale à une analyse comportementale. Dans le cadre actuel, bien que les sectes soient condamnées juridiquement, on atta-que rarement – sur le plan médiatique en

particulier – leur contenu et leurs idées. Pour comprendre l’étendue de leur succès et de leurs dangers, il faut se pencher sur leurs mécanismes internes, non seule-ment leurs techniques d’embrigadement mais aussi sur les raisons qui poussent tant de gens à relier leur vie à ces orga-nisations. Parce qu’à la base, se rattacher « à des gens qui croient » n’est pas quelque chose de négatif ; au contraire on peut croire aux droits de l’homme, aux valeurs universelles qui méritent d’être défendues,considérer la méditation comme un moyen d’éveil personnel, etc. Il faut poser les li-mites du problème en ce qui concerne le mot « croyance » : croire c’est croire en des doctrines qui expliquent le sens de la vie, et qui supposent la pratique d’un culte. La question qui se pose est de savoir si ce genre de caractères se retrouve parmi les mouvements sectaires. Cela appelle une démarche qui n’oppose pas naturellement une secte et une religion mais les met en parallèle ; les confondre tout comme les distinguer avec trop de netteté amène le risque de ne pas les comprendre. Le recul du christianisme et l’intrusion d’éléments spirituels multiformes dans le champdu rel igieux a l lant du New Age à la pensée chinoise, implique partout une redéfinition de la secte qui ne peut sefaire que par rapport à sa dangerositésociale.

Septembre 2008, le président de la Répu-blique française reçoit le Pape en grande pompe ; quoi de plus normal, il rend visiteà la fil le aînée de l’Eglise. Son voyage apostolique a pourtant suscité une vive émotion dans les milieux intellectuels français. Ce n’est évidemment pas la dé-férence avec laquelle le chef du clergé a été accueilli qui a provoqué un tollé, ni les « notre très saint père », non, c’est plutôt l’évocation du concept de « laïcité positi-ve » utilisé par Nicolas Sarkozy qui a fait s’indigner. En effet, le syntagme « laïcité positive » dépossède le terme laïcité de sa véritable signification puisqu’il la rend nécessairement négative. Pour la philo-sophe Catherine Kintzler, la laïcité, « c’est dire qu’il n’est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien poli-tique ». Cette définition ne fera peut-être pas l’unanimité mais elle a le mérite de rappeler le sens neutre et minimal de ce concept.

Un peu plus loin dans son discours, Nico-las Sarkozy en appelait à « une laïcité qui respecte, une laïcité qui rassemble, une laïcité qui dialogue et pas une laïcité qui exclu, ou qui dénonce ! ». C’est bien cette vision péjorative de l’actuelle situation qui

gêne et cette prise de position pour une laïcité qui norme, un Etat qui aurait des leçons à recevoir de la « foi », qui crispe. Ainsi, lorsque le président français ajoute que son « devoir est d’entendre » ce que le pape a à dire sur « l’amélioration de la situation du plus grand nombre de per-sonnes », il oublie la loi de 1905 qui dit que « la République ne reconnaît (…) aucun culte ». L’Etat a un devoir de neutralité sur le plan religieux pour garantir la liberté de conscience des citoyens et dans une ap-plication stricte du concept de laïcité, la « doctrine sociale » de l’Eglise devrait être exclue de la réflexion purement politique.

Nicolas Sarkozy n’en est pourtant pas à son coup d’essai et si ses déclarations lors de la visite du souverain pontife ont fait autant de vagues, c’est parce qu’elles font suite à deux discours très controversés : celui du Latran à Rome et celui de Riyad. Le 20 décembre 2007, le président Sarkozy prend possession du titre de chanoine de Latran, une archibasilique du Vatican dont l’évêque n’est autre que le Pape. Bizarre-ment, ce n’est pas la prise de fonction du président en tant que chanoine honoraire qui est sujette à controverse, puisque tous les présidents de la cinquième République

ont accepté ce titre, mais son discours sur la religion. En effet, il déclare « assumer pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Eglise ». Le président des fran-çais confondrait-il culturel et cultuel ? En effet, la conception cultuelle de la culture française exclu les français athées ou croyant en une autre religion. Et même si la France républicaine ne peut renier le poids de l’Eglise, tout comme elle ne peut renier les influences romaine et helléni-que, elle ne doit pas oublier qu’elle s’est construite en grande partie en s’affran-chissant du carcan des religions. Le chef d’Etat n’en reste pourtant pas là et intègre la religion à une réflexion sur l’éducation : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre lebien et le mal, l’instituteur ne pourra ja-mais remplacer le curé ou le pasteur. ». Ces paroles incendiaires à l’encontre de l’éducation nationale laïque soulignent le désintérêt de Sarkozy envers « l’autonomiede jugement » de l’individu prônée par l’école laïque et fondée sur la « maîtrise du savoir ». Elles vont, en outre, à l’encontre du devoir de réserve imposé par sa fonc-tion et hiérarchisent indirectement les croyances.

Les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy sont autant de camouflets pour la laïcité en général. Elles sont, certes, in-quiétantes mais mettent-elles réellement en danger la laïcité dans un pays qui fut pionner dans le domaine ? Rien n’est moins sûr… D’aucuns estiment que ce ne sont que les paroles convaincues d’un pré-sident impulsif qui se dit « catholique de tradition et de cœur » et que leur portée ne dépassera pas le cadre d’une déclaration choc et creuse. D’autres en revanche pen-sent qu’elles sont une menace concrète envers la laïcité et qu’elles doivent être pri-ses très au sérieux. Selon une source du« Canard Enchaîné », Emmanuelle Mignon,conseillère auprès du président Sarkozy, aurait déclaré que la loi de 1905 « serait révisée avant la fin du quinquennat ».Serait-ce la fin de la stricte séparation en-tre les religions et l’Etat ? Sarkozy sonne-ra-t-il le glas de la république laïque parexcel lence ? Jules Ferry et les autres grands défenseurs de la laïcité se retour-neront-ils dans leurs tombes ? Seul l’avenirnous le dira mais d’ici là, nous pou-vons toujours prier pour que ça n’arrivepas…

SARKOZY POURFENDEURDE LA LAÏCITÉ Mohammed Musadak

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Page 5: International Ink n°5

La religion est un facteur identitaire que tous les membres de la société partagent. Dans la majorité des cas, nous intériori-sons le profil religieux qui nous est légué par nos parents à la naissance. Mais cer-taines personnes connaissent un parcours spirituel beaucoup plus atypique …

Habituellement, nous ne choisissons pasnotre religion. Nous naissons dans un système normatif, qui nous lègue une identité culturelle dérivée d’une tradition générationnelle. Cette identité religieuse nous est rappelée à travers de nombreuses structures sociales : festoiements annuels, réseau familial, lieu de résidence, etc.Tous ces facteurs, qui ont une influence majeure sur la construction de nos ten-dances idéologiques, portent des traces de notre héritage spirituel. Par consé-quent, nous pouvons constater que la reli-gion exerce un certain déterminisme sur nos choix.

C’est justement pour cette raison que le phénomène de conversion religieuse est si curieux. Dans nos sociétés, il arrive par-fois que des individus prennent l’initiative d’adopter des croyances métaphysiques différentes de celles prônées par leur édu-cation sociale. Cette réalité introduit uneproblématique : quelles motivations peu-vent bien pousser un individu à se déta-cher des normes qu’il avait assimilées jusqu’alors ? La réponse à cette question paraît floue. En effet, certains changent de religion pour atteindre une harmonie conjugale, tandis que d’autres le font par désir de bien-être individuel. D’autres en-core sont victimes d’une oppression idéo-logique des sphères politiques. En m’ins-pirant de la méthode wéberienne des ‘idéaux-types’, ainsi que des constats is-sus du travail de mémoire de Brigitte Fleu-ry, j’ai esquissé une typologie des conver-tis. Chaque catégorie est caractérisée par une source de motivation spécifique.Pour commencer, approfondissons la ré-flexion sur les personnes qui se conver-tissent pour satisfaire la volonté de leur conjoint. Ces individus sont partiellement conditionnés dans leur choix. En effet, leur motivation principale à changer de religion est la volonté de s’assurer l’éta-blissement d’une cohésion relationnelle. De cette façon, la conversion n’est pas un

acte complètement volontaire ; elle repose sur le désir d’un des deux conjoints à faire régner son propre héritage culturel au sein du foyer familial. De nombreuses études sociodémographiques ont mis en éviden-ce le dilemme des unions interreligieuses. En effet, qu’est-ce qui légitimerait l’adop-tion de la religion d’un conjoint dans la sphère domestique au détriment de celle de l’autre ? Et lorsqu’un des deux époux compromet ses idéaux spirituels pour se conformer à la morale de l’autre, est-ce une mesure suffisante pour privilégier un seul système normatif au sein du foyer fa-milial? En tout cas, les chiffres de l’Office fédéral de la statistique nous montre une nette tendance aux unions idéologique-ment homogènes. Plus de 50% de la popu-lation suisse se marie avec une personne de même confession.

Pour continuer, n’oublions pas que laconversion peut être issue d’un acte de coercition politique. En effet, il existe des nations où la religion est mêlée à la politi-que. Durant longtemps, ce fut le cas dans l’Empire Ottoman, où chrétiens et juifs se virent contraints à l’islam. C’est en-core le cas au Guatemala, où se poursuit un génocide non déclaré des populations indigènes. L’oppression idéologique degroupements religieux et ethniques estun phénomène récurrent dans l’histoire des guerres et les exemples à citer sont nombreux. Toutefois, il est important de noter que les convertis issus de telles si-tuations sont entièrement conditionnés dans leur initiative de réforme religieuse. Ainsi, la conversion est subie et ne peut être attribuée à une volonté individuelle quelconque.

Pour finir, venons-en au cœur de la di-mension mystérieuse du phénomène de conversion. Cette dernière catégorie est la seule qui soit composée d’individus pour qui le changement de foi religieuse est issu d’un acte de volonté personnelle. De cette façon, le conditionnement idéo-logique préalable n’a plus aucune forcede déterminisme sur celui qui entamela démarche de réforme spirituelle. Laclé du mystère repose en cette affirma-tion. Comment est-il envisageable de se défaire volontairement d’une identité que nous avons passé notre vie entière à construire ? Après tout, même si nous ne choisissons pas nos origines culturelles, l’identité familiale finit généralement par nous imprégner à tel point que nous l’inté-riorisons complètement. Par conséquent, les personnes appartenant à cet ensemble sont, sans doute, des êtres ayant un par-cours biographique morcelé, flou ou incer-tain. Ce sont des individus ayant reçu des influences multiples et diverses, dont les familles étaient soit spirituellement inac-tives, soit peu présentes au niveau éduca-tionnel. Cette catégorie est la plus difficile à analyser en raison de la multiplicité d’hy-pothèses qui peuvent y être associées.

Pour conclure, ces typologies de conver-sion spirituelle constituent une première étape d’une réflexion autour du phénomè-ne. Elles permettent de distinguer diffé-rents facteurs pouvant jouer un rôle dans la réalisation de ces actes de réforme. Ce-pendant, il ne faut pas sous-estimer la di-mension profondément subjective de ces initiatives et ces différentes catégories doivent être considérées comme une sim-plification de la réalité sociale.

LORSQU’ON CHANGE DE FOI :MOBILITÉ SOCIALE AU SEINDES SPHÈRES RELIGIEUSES Sarah Zeines

DOSSIER DOSSIER

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AMÉRIQUE LATINE : LES POSADAS Leticia Tapia

À partir du XVIème siècle, lors de la conquê-te de la Nouvelle Espagne (territoire qui comprend l’actuel Mexique, les états du Sud des États-Unis, jusqu’à l’Amérique centrale), l’évangélisation des Indiens à été menée avec succès par les Espagnols, sur une période limitée.

Afin de légitimer la conquête de Cortès, la conversion des Indiens n’était pas seu-lement un devoir moral, mais une obliga-tion juridique. Ainsi chaque fois qu’il était en contact avec un groupe d’Indigènes, il leur offrait une alliance en échange de leur conversion au vrai Dieu. Ses méthodes ont été d’abord violentes avec la destruction de plusieurs temples, le vol d’idoles et une attitude méprisante vis-à-vis des prêtres et des cultes indiens. Or les Espagnols ont vite compris que les habitants du Mexi-que étaient profondément attachés à leurs croyances et ils ont cherché des moyens plus subtils pour les convertir. Ils com-mencèrent par installer des crucifix dans les lieux sacrés et à adapter leurs tradi-tions à la religion chrétienne.

Une des traditions indigènes adaptées au catholicisme pour Noël s’appelle « les Po-sadas ». Cette tradition fait partie du mé-tissage de la culture mexicaine.

A l’origine, une pratique indigène.Les aztèques croyaient que pendant le solstice d’hiver, le Dieu Quetzalcóatl (le vieux soleil) descendait pour leur rendre visite. Quarante jours avant la grande fête, ils achetaient un esclave en bonne santé, jeune et fort, le purifiait en le lavant et l’habillaient avec les vêtements du Dieu Quetzalcóatl. Ils sortaient avec lui en ville et l’esclave chantait et dansait pour être reconnu comme un Dieu. Les femmes et les enfants lui faisaient des offrandes. Le soir, ils l’enfermaient et lui offraient un fes-tin. A la fin de la fête, à minuit, après l’avoir honoré avec musique et encens, ceux qui faisaient les sacrifices le prenaient et lui arrachaient le coeur pour pouvoir l’offrir à la lune.

Ce jour-là, les temples faisaient des gran-des cérémonies, dirigées par les prêtres, où ils incluaient des rites et des danses sacrées, représentant l’arrivée de Quetzal-cóatl, ainsi que des offrandes et des sacri-fices humains en son honneur.

Pendant le mois de décembre, il y avait également les fêtes à Huitzilopochtli. Ces fêtes duraient vingt jours et finissaient le 26 du même mois. Elles étaient précédées

par 4 jours de jeûne pendant lesquels on couronnait le dieu Huitzilopochtli en met-tant des drapeaux sur les arbres fruitiers. On l’appelait le « soulèvement de dra-peaux ». Sur le grand temple, les indigènes mettaient un grand étendard du dieu et lui rendaient le culte.

Finalement, le peuple se réunissait dans les cours des temples, illuminés par des énormes feux pour attendre l’arrivée du solstice d’hiver. La nuit du 24 décembre et le jour suivant, il y avait des fêtes dans toutes les maisons. On offrait aux invités un bon repas et des petites statues en ter-re cuite appelés « Tzoatl ».

Les Espagnols et l’évangélisationLes évangélisateurs ont appris les langues vernaculaires et se sont intéressés à la psychologie indigène pour comprendre en détail le fonctionnement de leur pensée. Ils utilisaient alors l’information acquise pour adapter le message chrétien.

De cette façon à Saint-Augustin d’Acol-man, les missionnaires augustins, ont été à l’origine des Posadas : ils ont adapté ces traditions indigènes avant le solstice en leur donnant une signification catholi-que. Et en 1587, le supérieur du couvent de Saint Augustin d’ Acolman, Fray Diego de Soria, a obtenue du pape Sixte V, un permis en autorisant la pratique dans la « Nouvelle Espagne ».

Par la suite, ils ont changé les rôles des dieux en mettant Jésus au lieu de Quet-zalcóatl et en intégrant les fêtes à Huitzilo-pochtli. De même, ils ont changé l’arrivée du solstice par Noël.

Le résultat : Les PosadasDepuis lors et jusqu’à aujourd’hui, les po-sadas sont des fêtes qui ont comme objec-tif de préparer Noël (elles commencent le 16 et finissent le 24 décembre pour repren-dre la durée des fêtes indigènes). C’est un rappel de ce que la Vierge Marie et Joseph ont enduré pour trouver un hébergement pour donner naissance à l’enfant Jésus.

Ainsi, lors de la posada, un groupe de gens va de maison en maison avec une bougie en chantant « les chants pour demander Posada » : « En el nombre del cielo, os pido posada... ». Ils continuent jusqu’à ce qu’ils arrivent à la maison où il y aura le grand festin, et où ils sont acceptés pour entrer. Les maisons sont décorées, et une grande importance est accordée à la crèche etau sapin de Noël, qui à leur tour auront

remplacé les traditions indigènes déjà mentionnées.

L’une des traditions mexicaines actuelles qui reflète le mieux l’adaptation du mes-sage catholique est celle de la « piñata » (objet fait de papier mâché contenant des surprises et des sucreries). A l’origine, les Aztèques fêtaient la naissance du dieu Huitzilopochtli en déposant un pot de terre cuite orné de plumes en couleurs et rempli de petits trésors comme le jade et le cacao. Les évangélistes Espagnols ont donné un sens catholique à ce jeu en y joignant des symboles qui dénoncent la tentation. Ain-si, le contenu de la piñata (des sucreries) symbolise l’amour de Dieu, puisqu’en cas-sant le Mal, on obtient ce qu’on désire. Le bâton avec lequel on rompt la piñata sym-bolise la volonté de résister pour vaincre les tentations et obtenir la récompense. La piñata originale possédait 7 pointes sym-bolisant les 7 péchés capitaux. Pour ne pas tomber dans le pêché, il fallait frapper avec les yeux bandés qui représentaient la foi. Et finalement, il fallait tourner 33 fois (l’âge de Christ à sa crucifixion) avant de casser la piñata. Tout cela, puisqu’« il n’y a pas de récompense sans sacrifice».

C’est ainsi que les Mexicains continuent cette tradition chaque année, avec ses va-riantes au nord et au sud du pays. C’est l’occasion pour les amis et la famille de se réunir pendant plusieurs jours, l’occasion également de se remémorer les traditions indigènes et leur évolution historique.

Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion

Basé sur le tableau "Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion"

Encyclopédie statistique de la Suisse, je-f-01.02.02.02.02.02

Mariages selon l'état civil avant le mariage

Staatsangehörigkeit 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

Suisse Suissesse 29'710 71.46 20'032 50.31 -21.15

Suisse Etrangère 5'262 12.66 8'472 21.28 8.62

Etranger Suissesse 2'159 5.19 6'594 16.56 11.37

Etranger Etrangère 4'443 10.69 4'719 11.85 1.16

Total 41'574 100.00 39'317 100.00

Mariages selon la religion avant le mariage

Kommession 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

prot. prot. 15'384 37.00 5'215 13.1 -23.91

prot. cathol. 4'976 11.97 3'296 8.28 -3.69

prot. autre./sans 78 0.19 1'881 4.72 4.54

cathol. prot. 3'750 9.02 3'098 7.78 -1.24

cathol. cathol. 16'747 40.28 8'987 22.57 -17.71

cathol. autre./sans 59 0.14 2'199 5.52 5.38

autre./sans prot. 260 0.63 2'084 5.23 4.61

autre./sans cathol. 147 0.35 2'274 5.71 5.36

autre./sans autre./sans 173 0.42 10'783 27.08 26.67

Total 41'574 100.00 39'817 100.00

Office fédéral de la statistique, BEVNAT OFS-Encyclopédie statistique de la Suisse

Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion

Basé sur le tableau "Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion"

Encyclopédie statistique de la Suisse, je-f-01.02.02.02.02.02

Mariages selon l'état civil avant le mariage

Staatsangehörigkeit 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

Suisse Suissesse 29'710 71.46 20'032 50.31 -21.15

Suisse Etrangère 5'262 12.66 8'472 21.28 8.62

Etranger Suissesse 2'159 5.19 6'594 16.56 11.37

Etranger Etrangère 4'443 10.69 4'719 11.85 1.16

Total 41'574 100.00 39'317 100.00

Mariages selon la religion avant le mariage

Kommession 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

prot. prot. 15'384 37.00 5'215 13.1 -23.91

prot. cathol. 4'976 11.97 3'296 8.28 -3.69

prot. autre./sans 78 0.19 1'881 4.72 4.54

cathol. prot. 3'750 9.02 3'098 7.78 -1.24

cathol. cathol. 16'747 40.28 8'987 22.57 -17.71

cathol. autre./sans 59 0.14 2'199 5.52 5.38

autre./sans prot. 260 0.63 2'084 5.23 4.61

autre./sans cathol. 147 0.35 2'274 5.71 5.36

autre./sans autre./sans 173 0.42 10'783 27.08 26.67

Total 41'574 100.00 39'817 100.00

Office fédéral de la statistique, BEVNAT OFS-Encyclopédie statistique de la Suisse

Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion

Basé sur le tableau "Mariages selon l'état civil, la nationalité et la religion"

Encyclopédie statistique de la Suisse, je-f-01.02.02.02.02.02

Mariages selon l'état civil avant le mariage

Staatsangehörigkeit 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

Suisse Suissesse 29'710 71.46 20'032 50.31 -21.15

Suisse Etrangère 5'262 12.66 8'472 21.28 8.62

Etranger Suissesse 2'159 5.19 6'594 16.56 11.37

Etranger Etrangère 4'443 10.69 4'719 11.85 1.16

Total 41'574 100.00 39'317 100.00

Mariages selon la religion avant le mariage

Kommession 1960 % 2006 % Différence des

vor der Heirat pourcentages

prot. prot. 15'384 37.00 5'215 13.1 -23.91

prot. cathol. 4'976 11.97 3'296 8.28 -3.69

prot. autre./sans 78 0.19 1'881 4.72 4.54

cathol. prot. 3'750 9.02 3'098 7.78 -1.24

cathol. cathol. 16'747 40.28 8'987 22.57 -17.71

cathol. autre./sans 59 0.14 2'199 5.52 5.38

autre./sans prot. 260 0.63 2'084 5.23 4.61

autre./sans cathol. 147 0.35 2'274 5.71 5.36

autre./sans autre./sans 173 0.42 10'783 27.08 26.67

Total 41'574 100.00 39'817 100.00

Office fédéral de la statistique, BEVNAT OFS-Encyclopédie statistique de la Suisse

Page 6: International Ink n°5

Plus récemment, en 2007, un procès fut intenté par l’Opus Dei pour diffamation contre Catherine Fradier, l’auteur du ro-man Camino 999 qui met en scène dans son roman les pratiques réprouvées du mouvement. La justice française débouta cette plainte.

A l’image de la mafia sicilienne, mais d’une manière autrement globalisée, l’Opus Dei semble intouchable tant il s’immisce et exerce un contrôle auprès des personnes influentes, qu’elles soient cléricales ou po-litiques.

Lors des deux dernières décennies les cri-tiques ont été rapidement étouffées, tout comme les 6000 lettres d’opposition au statut de prélature personnelle de 1982.

Cependant depuis le début des années 2000, les contestations deviennent de plus en plus nombreuses et officielles : la Bel-gique vient d’ajouter l’Opus Dei à sa liste des sectes…

DOSSIER DOSSIER

L’OPUS DEI : ŒUVRE DE DIEU OUSAINTE MAFIA ? Damien Callegari

Difficile de savoir que penser lorsqu’on évoque le nom de cette organisation mys-térieuse. Secte ? peut-être. On se rappelle avoir entendu parler de cilice et de flagel-lation1, dont la violence évoque un tem-pérament extrême, ou encore des procès retentissants. Puis on se demande si tout cela n’est finalement qu’une rumeur, un préjugé véhiculé par notre méconnaissan-ce de l’organisation, qui est tout de même légitimée par le Vatican.

Aujourd’hui victimes et questions doulou-reuses de la guerre civile espagnole sont exhumées ; elles nous rappellent les débuts de l’œuvre qui y sont intimement liés…

L’histoire commence en 1928 lorsqu’un prêtre espagnol, Josemaria Escriva de Balaguer, fonde l’Opus Dei.Il en aurait précisément reçu l’ordre par Dieu et prêche en faveur de la sanctifica-tion par le travail, moyennant une réinter-prétation de la genèse2. Cela signifie que c’est par le travail bien fait que l’homme atteint la sainteté. Voici le contrat fonda-teur de l’Opus. Cette idée qui rappelle le capitalisme protestant est toujours défen-due de nos jours par les opusiens.

Dépassant sa condition modeste par son charisme hors du commun, Escriva ras-semble les premiers adeptes dans son entourage, qui va rapidement s’élargir. S’attirant la sympathie de nombreux po-litiques et personnes influentes, il de-viendra même le conseiller personnel du général Franco, devenu un ami proche. Il influencera aussi, après la guerre, le choix des ministres du gouvernement Blanco, dont la majorité sera effectivement issue du mouvement.

« Tel gouvernement dans un Etat, telle religion dans cet Etat ».Outre sa qualité de prêtre, le fondateur in-sufflera aussi des idées politiques qui lui sont propres : la volonté d’instaurer une théocratie comme alternative au com-munisme, de revenir à une monarchie de droit divin.

Progressivement, l’Opus Dei infiltre la société par le haut, en faisant des élites ses alliées, afin de pouvoir contrôler les différentes facettes du pouvoir. Ainsi de nombreux chefs d’Etat, ministres, hauts fonctionnaires du Vatican et même cer-tains papes feront partie de cette société

aux pratiques obscures, dont le poids et l’influence croissent.

Cependant, il manque encore de légitimité et de statuts reconnus, qui permettraient d’asseoir son autorité.

En 1941, l’Evêque de Madrid lui donne son blanc-seing. Le Saint-Siège en 1947. Lors du concile Vatican II entre 1963 et 1965, les statuts de l’Opus seront également débattus mais ce n’est qu’en 1982 qu’ildeviendra une « prélature personnelle de l’Eglise catholique ».

En effet, malgré la mort du Padre en 1975, l’activité de l’organisation ne cesse pas, bien au contraire. Karol Wojtyla, éminent membre, sera même catapulté à la fonc-tion suprême de pape, devenant le très respecté Jean-Paul II. C’est lui, aidé d’un cabinet dont fait partie Joseph Ratzinger3, qui érigera officiellement cette prélature.

Cette fonction permet à l’Œuvre de dis-poser des mêmes droits et de la même li-berté d’action qu’un évêché, avec une hié-rarchie ainsi que la possibilité de se faire entendre officiellement.

En 2008, l’Opus Dei compte plus de 80’000 adeptes dans le monde entier, dont une grande partie appartenant aux « élites ».Sous une apparente et nouvelle transpa-rence, la prélature affiche maintenant et ouvertement ses valeurs sur son site www.opusdei.com. Si elles semblent s’appuyer sur celles de l’Eglise catholique, le voca-bulaire exalté nous fait rapidement com-prendre qu’il y a une nuance entre l’Œuvre et une association catholique « classique ». On y prône également les « petites morti-fications personnelles4, (…), qui rendent la vie des autres plus agréable ».

L’égalité et la liberté individuelle des membres sont par ailleurs inscrites dans les principes, mais la réalité semble tou-tefois différer. Tout d’abord, il existe plu-sieurs types de membres ; les numéraires, les agrégés et les surnuméraires, selon s’ils sont respectivement prêtres, céliba-taires vivant dans leur famille ou mariés. Les prêtres, 2% des membres, occupent les hautes fonctions dans l’administration. Hommes et femmes, personnes hiérarchi-quement influentes et membres ordinai-res, une structure verticale stricte semble

néanmoins régir cette entité, la rendant plus autoritaire.

Par ailleurs, en ce qui concerne la liberté des membres, on peut citer le témoignage de Véronique Duborgel.

Devenue membre à dix-neuf ans de l’Opus dei à Genève, influencée par son fiancé, lui-même membre. Elle le restera pendant treize ans, avant de finalement trouver le courage de s’affranchir de ce qu’elle décrit aujourd’hui comme un « carcan psycholo-gique ». Elle se dit avoir été manipulée et traitée avec mépris, comme les femmes en général dans l’organisation : « vous devez être des tapis sur lesquels les gens peu-vent marcher ».

Sous une façade d’apparente phi-lanthropie et s’appuyant sur un Va-tican infiltré, l’Opus Dei semble bel et bien correspondre à la description d’une secte, organisée comme une mafia.

Pression psychologique, incitation à l’automutilation et au prosélytisme, ou en-core culture du secret, la liste est longue. A cela s’ajoute une puissance financière (possession de banques) ostentatoire5, dé-raisonnée pour un mouvement religieux, dont l’origine est peu transparente.

On peut notamment évoquer l’affaire Ma-tesa, en 1969, l’un des premiers scandales financiers qui éclaireront l’opinion publi-que sur les agissements douteux de l’Opus.

Des centaines de millions de francs ont en effet été détournés par des membres haut-placés, dont le prince Jean de Broglie (assassiné peu après), trésorier de la Ré-publique Française dans le gouvernement de Valéry Giscard D’Estaing. Si l’origine de ces fonds était connue (subventions publiques), la destination n’a pas été élu-cidée. On peut raisonnablement supposer qu’ils auraient servi à entretenir la diffu-sion de l’Œuvre en Amérique Latine es-sentiellement, afin de contrer les mouvan-ces communistes dont l’influence allait croissante.

Par la suite, la « Sainte Mafia » fut aussi im-pliquée dans la faillite de la banque Am-brosiano, qui se termina entre autres avec la pendaison de son PDG à Londres dans les environs de la banque du Vatican…

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1 Mis en scène récemment dans The Da Vinci Code,

1 film de Ron Howard, d’après Dan Brown.

2 Selon lui, Dieu a crée l’homme pour travailler et non

1 pas « pour cultiver la terre » (Genèse).

3 L’actuel pape Benoît XVI

4 La flagellation et le fameux cilice, notamment.

5 vous pourrez voir le building des quartiers généraux

1 en vous rendant à New-York.

Page 7: International Ink n°5

DOSSIER DOSSIER

RAËL OU LA MAUVAISE ODEUR DE LA SCIENCE Mateo Broillet

Du personnage à l’allure sympathique au paranoïaque maniaque de sa sécurité, Raël, ou Claude Vorilhon, cache et exploite de nombreuses problématiques modernes comme le clonage. De l’idéologie au mou-vement sectaire, il n’y a qu’un pas.

Le personnage La première image qui vient à l’esprit lorsqu’on pense à Raël, c’est cet homme au regard malin, vêtu d’une grande robe blanche et coiffé d’un petit chignon à pei-ne remarquable, avec cet étrange sourire chaleureux et étrange à la fois.

Mais le personnage que notre esprit re-constitue n’a pas toujours été ce qu’il est maintenant.

Hormis le fait qu’il était chanteur de rue de nombreuses chansons « à succès » comme « Madam’ Pipi » ou « Sacrée sale gueule »,

Claude Vorilhon alias Raël fût aussi créa-teur d’une revue de sport automobile « auto-pop » dont le nom rappelle étrange-ment une bulle de savon qui éclate, tout comme sa première création.

Il décida donc d’avoir vécu deux expérien-ces de rencontre avec des extraterrestres qui seront les fondements de son idéologie à venir. Il affirma en effet avoir été contac-té par un visiteur « qui rayonnait d’harmo-nie », dont la démarche dans une rue au Japon « ne se ferait pas remarquer » et dont nous sommes des copies créés « à leur image ». Du nom d’« Elohim », ils auraient gardé contact avec « nous » par l’intermé-diaire de prophètes tels que Bouddha,Moïse, Mahomet et...lui-même.

Raël aurait donc « un message » à faire pas-ser car avec les « 25’000 » années d’avance technologique que possèdent ces êtres sur

notre civilisation, les « Elohim » auraient conçu notre vie en laboratoire et auraient prédit la destruction de l’humanité par un terrible conflit nucléaire.

Là où l’imagination d’un homme s’étant trop inspiré d’Aldous Huxley s’arrête, ce sont vers les dérives que ce mouvement prend.

Quelles dérives ?Aujourd’hui, le mouvement, estimé à 65’000 membres dans 93 pays, représente une idéologie pour le moins douteuse : extrêmement élitiste, Raël prône un sys-tème politique nommé « géniocratie » qui cherche à donner le pouvoir uniquement à ceux « qui sont les plus intelligents », avec un supposé coefficient intellectuel supé-rieur. Le gourou n’hésite pas non plus à créer « des catégories » de personnes, dont les fameux « anges » dont la beauté serait

une qualité importante et qui devraient s’occuper du bien-être de Raël en atten-dant les Elohims. Il n’est donc pas difficile d’imaginer ce que cela signifie pour lui...

En effet, le mouvement prône aussi la mé-ditation sensuelle et la libération sexuelle car selon le prophète qui écrit dans son li-vre « les extraterrestres m’ont emmené sur leur planète », si « tu as envie d’avoir une expérience sensuelle ou sexuelle avec un ou plusieurs individus, quel que soit leur sexe, dans la mesure où ces individus sont d’accord, tu peux agir selon tes envies », ce qui n’est pas un mal en soi mais qui mène à des tournures étroites dans la secte.

Selon Brigitte McCann, une journaliste québécoise ayant infiltré le mouvement pendant une année, certaines femmes membres du groupe étaient prêtes à mou-rir pour protéger la sécurité de leur maître, devenu complètement paranoïaque. L’en-quête montre aussi des éléments plus que dérangeants avec des dépenses de plus de 2000 dollars pour la journaliste en neuf mois et des atteintes à la pudeur comme l’obligation de se regarder ses orifices avec un miroir devant des dizaines de person-nes comme « méditation ultime ».

Plus inquiétant encore, certaines femmes seraient aussi prêtes à donner leurs ovules pour permettre à Raël de lancer ses préten-dues expériences de cellules humaines, c’est à dire de faire du clonage humain. Ce qui est interdit par l’article 11 de la Déclaration universelle sur le génome hu-main, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO. Les raéliens soutiennent ces recherches sur le clonage dans le but ultime de réaliser « l’immortalité scientifi-que des humains » via ce procédé.

Ainsi, le mouvement possède sa propre société de clonage nommée « Clonaid » qui chercherait à mettre en place ces pra-tiques. Elle est dirigée par Brigitte Bois-selier, évêque raélienne qui, par manque de preuves, a avoué avoir menti sur l’an-nonce de la naissance d’un bébé cloné le 26 décembre 2002, discréditant ainsi tout le mouvement devant les médias. Depuis cette date, peu d’informations circulent à propos de la société, si ce n’est celle du« The Boston Globe » qui révèle que lasociété n’avait aucune adresse, aucunconseil d’administration et seulement deux employés avec un investissement de 200’000 $ dans les services de « clonage », ce qui nous laisse songeur face à la réalité de l’entreprise. On pourrait donc penserque c’est justement une astuce pourblanchir de l’argent venant de ses mem-bres.

A noter que depuis ce non-événement, Raël se défend d’avoir un lien direct avec l’entreprise, voire même le fait qu’elle n’ait jamais existé.

L’enfance intrigue aussi le mouvement accusé de prôner la pédophilie, ce dont le gourou se défend dans son livre « l’éduca-tion sensuelle » : « Tu éveilleras l’esprit deton enfant mais tu éveilleras aussi son corps, car l’éveil du corps va de pair avec l’éveil de l’esprit ». Il veut signifier pour la secte la volonté de réforme de l’éducation sexuelle des enfants en la généralisant et en introduisant la notion de plaisir à l’éco-le et nullement des relations sexuelles en-tre enfants et adultes. Le gourou assurant « inciter » ses adeptes au respect des lois en vigueur dans leurs pays respectifs.

Une possible installation en Suisse ?Dans la volonté de s’installer quelques mois par année à Miège, en Valais, où ré-sident une quinzaine de raéliens, et ceci afin de pour pouvoir travailler dans une cave viticole d’un des membres du mou-vement, Raël décide d’y élire domicile et demande une permission de séjour en fé-vrier 2007.

Au vu de sa nationalité française le per-mis de s’installer aurait dû être facilement acquis mais pour lui, ce ne fût pas le cas: le Tribunal cantonal valaisan déposa son veto qui fût contesté mais à nouveau va-lidé par le Conseil d’Etat en décembre de la même année et enfin par le Tribunal fé-déral le 15 septembre 2008 qui évoqua un risque à l’ordre public à cause justement des positions de la secte sur le clonage humain et la pédophilie, interdits par la constitution helvétique.

Pour les raéliens, la décision suisse est digne de « catholiques intégristes » et ils assurent un recours devant les rangs de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cette décision n’étant selon le prophète qu’une « pure discrimination religieuse ».

L’affaire n’est donc pas terminée de si tôt.

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Page 8: International Ink n°5

DOSSIER DOSSIER

JONESTOWN, OU L’HISTOIRE D’UNE UTOPIE SECTAIRE MEURTRIÈRE Vivian Rosenbaum

Jonestown (Guyana), 18 novembre 1978. Le gourou Jim Jones met en pratique le suicide collectif simulé maintes fois aupa-ravant. Lorsque la Guyana Defense Force atteint le campement, 909 cadavres gisent à même le sol.

Du désir de bâtir une communauté nouvelle … Pasteur dans l’Etat de l’Indiana, Jim Jo-nes prône le respect des noirs et milite en faveur de l’aide sociale aux plus démunis dans un contexte de discrimination racia-le de l’Amérique des années 50. A l’épo-que, ses prises de position lui valent le soutien de nombreux artistes et hommes politiques. S´autoproclamant incarnation de Jésus, il fonde une Eglise (Temple du Peuple) à Indianapolis, particulièrement réputée pour les « miracles » qu’il y prati-que. En 1964, suivi par quelques 70 mem-bres de son mouvement, Jones décide de poursuivre ce dernier à Redwood Valley, dans le sud de la Californie, considérant la région comme plus sûre en cas d’attaque nucléaire. Rapidement, ses idées gagnent en succès jusqu’à Los Angeles et San Fransisco, où un soutien grandissant est manifesté. Cette Eglise représente pour ses membres une façon d’exprimer leurs critiques envers la société de l’époque. La réflexion première est politique et sociale.

Une décennie plus tard, le gourou concré-tise son désir utopique de longue date ; créer une communauté autosuffisante, dé-pourvue de racisme et capable d’atteindre la justice sociale grâce au christianisme. C’est ainsi qu’en 1974, un premier groupe de la secte rejoint un terrain au Guyana, au cœur de la jungle. Ils travailleront du-rant 4 ans, défrichant 1500 hectares de fo-rêt et mettant en place des infrastructures afin d’accueillir un millier de membres, dont une majorité de familles. L’emména-gement à « Jonestown », du nom de son fondateur, a lieu en 1977. Afin de subvenir à ses besoins, la communauté pratique une activité agricole sur ses terres. A ses débuts, les individus sont libres de quitter la communauté. Cependant, Jones durcit en quelques mois les rapports de pouvoir et consolide la hiérarchie au sein du cam-pement.

… à la privation de liberté…A Jonestown, le leader s’entoure d’un équipe exécutive. Toute décision doit obligatoirement provenir du sommet de la

hiérarchie. Par ailleurs, les jeunes hom-mes du campement sont dans la plupart des cas membres de la garde, certains d’entre eux sont armés. La discipline est stricte, et tout comportement non confor-me est sanctionné. Les punitions sont variées, la direction a recours à différents types de châtiments, souvent corporels ; humiliations, coups, tortures et relations sexuelles contraintes en présence de tous les membres sont courants. Les condi-tions du travail agricole sont dures, le cli-mat épuise. Jones tient un discours tous les jours, pouvant durer plusieurs heures, l’absence n’y est pas tolérée. Il est le seul à garder contact avec l’extérieur à l’aide d’une radio.

Régulièrement, des « nuits blanches » sont organisées. Il s’agit de simulations de

suicide col lecti f, pendant lesquel les les centaines d’individus s’alignent les uns derrière les autres, ingurgitent une boisson (non dangereuse) et feignent la mort. Il s’agit de mettre à l’épreuve leur loyauté envers le gourou. La raison des ces « nuits blanches » reste paradoxale et partiel lement incomprise aujourd’hui ; contrairement à d’autres sectes, celle de Jim Jones n’a pas pour fin la mort d’après les idéaux déclarés. Pourtant, ces simu-lations attestent d’une vision claire, ima-ginée et structurée d’un suicide collectif.

La mise en place d’un microcosme dic-tatorial n’est pas sans conséquences sur l’adhésion des membres à l’idéologie du campement. L’espace ne connaît pas de délimitation matérielle explicite, mais la menace de mort en cas de tentative de

fuite ainsi que la difficulté à survivre dans la jungle constituent des freins implicites, infranchissables pour certains. En effet, la mort par balle est la conséquence de plu-sieurs tentatives, quelques unes ayant ce-pendant abouti. Ces dernières permettent d’attirer l’attention des autorités, notam-ment américaines.

… et à la mort.En raison des incertitudes et accusations planant sur le « Temple du Peuple », une délégation menée par le sénateur Leo Ryans prend contact avec les dirigeants de la secte et programme une visite du campement pour une durée de 3 jours. Ladélégation est composée du sénateur et de son assistante, d’une équipe de tournage de la chaîne télévisée américaine NBC, de journalistes du Time ainsi que de proches de membres de la secte. Jones voit en cet-te visite de contrôle une menace pour la communauté. Durant les trois jours d’ins-pection, l’apparence d’un bonheur vécu dans un cadre de libre consentement est alors de rigueur. Aucun incident n’est rapporté les deux premiers jours, du 16 au 17 novembre 1978. Cependant, lorsque l’équipe d’inspection s’apprête à quitter Jonestown le 18 novembre, une dizaine d’individus demande en réunion publique au sénateur le droit de prendre l’avion avec eux afin de regagner les Etats-Unis. Dési-rant maintenir l’image construite pendant les deux jours précédents, Jones, furieux, concède la requête.

C’est ainsi que la délégation accompa-gnée des renonçants au culte rejoignent la piste de décollage de Port Kautuma. Mais la trahison est trop grande pour Jim Jones. Un de ses hommes qui s’était glissé parmi le groupe ouvre le feu sur les partants. Un camion transportant des hommes armés viendra achever les blessés. Il y a cepen-dant des survivants, dont l’assistante de Ryan et quatre journalistes. Leur témoi-gnage sera crucial pour la compréhension des évènements.

A Jonestown, le leader voit la fin de sa construction utopique. Il entame un long discours (fichiers audio du FBI disponibles en libre écoute) encourageant les membres à se retrouver « de l’autre côté ». Une éniè-me nuit blanche débute alors, mais celle-ci n’est pas un entraînement. Sur fond d’une musique dramatique, les individus s’alignent. Les enfants sont les premiers. Une gorgée de jus de raisin mélangé à du cyanure doit être prise, le refus entraînant des mesures de force et éventuellement la mort, selon les rescapés. Certains cada-vres seront retrouvés avec les membres complètement déboîtés.

Jones est retrouvé une balle dans la tête. S’agit-t-il d’un suicide ou d’un meurtre ? Les théories sont diverses, aucune n’est tenue pour sûre. La secte « le Temple du Peuple » comprend encore aujourd’hui de nombreuses zones d’incertitude concer-nant ce qu’il s’y est réellement passé, et surtout pourquoi. Il est certain que les membres n’avaient pas d’alternative au suicide, mais selon certains rescapés, une grande part n’y aurait pas renoncé, convaincus de leur idéologie tenant Jim Jones pour Dieu. Il est pour cela difficile de déterminer la part de meurtre dans le suicide collectif. Si Jim Jones n’est pas un gourou atypique, ses traits caractéristi-ques étant fréquents chez les leaders sec-taires, il mena toutefois l’utopie sectaire à un niveau jamais atteint dans l’histoire des Etats-Unis modernes, soit à la mort de plus de 900 personnes. Un phénomène d’une telle ampleur ne s’est pas reproduit, mais la question de la possibilité d’un tel cas reste d’actualité pour les sciences so-ciales. Qu’est-ce qui, depuis l’affaire, a changé qui empêcherait un Jonestown bis ? La législation s’est durcie, l’opinion publique s’est conscientisée. Mais la ma-nipulation mentale par les sectes est un pouvoir gigantesque, et l’éventualité de voir de nouveaux phénomènes du même genre se produire n’est donc pas à exclure. Ce qu’il y a de particulièrement dangereuxdans l’utopie sectaire, c’est que l’impossi-bilité d’arriver aux idéaux fixés laisse très peu d’issues tant au gourou qu’aux fidèles convaincus ou contraints. Que reste-t-il lorsque son but n’est pas atteint ? L’échec et la résignation sont difficilement accep-tables dans la recherche d’un Homme nouveau, d’une société avec de nouvelles valeurs ou encore une mission religieuse universelle sectaire. Jonestown est une version macabre à une echelle amplifiée de scandales de nombreuses sectes de nos jours

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Page 9: International Ink n°5

DOSSIER DOSSIER

LES NEURONES DU SACRÉ :LA NEUROTHÉOLOGIE Cindy Helfer

Prière, extase, nirvana : l’Homme dubita-tif se demande si ces états sont créés par une réelle communion entre le mortel et le divin, ou si ce ne sont que des illusions créées par le cerveau de l’Homme. La science, qui pour tant d’hommes est plus convaincante que l’être divin (par sa force explicative), est-elle apte à infirmer ou confirmer l’existence du ou des héros de la Bible, du Coran ou autres livres sacrés ?

Pour tenter de répondre à notre premièreinterrogation et comprendre ce qui se passe dans le cerveau humain lors d’état de prière, méditation ou transe, l’équipe de recherche en neuroscience du docteur Andrew Newberg étudie l’activité céré-brale dans ces différents états. Ces cher-cheurs observent les modifications du flux sanguin dans les diverses aires cérébrales à l’aide d’une technique d’imagerie appe-lée tomographie par émission de photons uniques.

Ces savants, que l’on pourrait nommer« neuro-apôtres », ont constaté qu’il est possible de localiser des zones spéci-fiques mises en activité intense lorsque le sujet étudié éprouve un fort sentiment religieux.

Les cas « princeps » étaient un moine bouddhiste, une religieuse évangéliste et un pentecôtiste qui parle en langue (soit un membre d’une mouvance protestante évangélique qui récite des incantations).

Après avoir étudié ces trois personna-ges durant leurs prières, les observationsétaient les suivantes : le moine et lareligieuse présentaient tous deux uneactivation du lobe frontal qui régit laconcentration intense (ce lobe est utilisé par l’homme pour résoudre les dilemmes) mais aussi, une désactivation du lobe pa-riétal, donc les informations sensorielles ne leur parvenaient plus. Le moine et la religieuse perdent alors le sens de soi, de leur existence et leur orientation dans l’es-pace. Cela leur donne l’impression d’être en communion totale avec une entité su-périeure.

Cependant, certaines différences sont à relever : chez les religieuses, les aires céré-brales associées au langage sont stimulées puisqu’’il s’agit d’une prière verbale, alors que dans le cerveau des moines boudd-histes, les aires cérébrales excitées sont

celles qui contrôlent la vision (car ils fixent mentalement quelque chose de visuel).

Les pentecôtistes, quant à eux, subissent une diminution d’activité dans les lobes frontaux, ce qui leur donne l’impression de ne plus être maîtres de soi et donc habités par Dieu.

Quant au « nirvana », ou extase absolue, il résulterait, selon des scientifiques, d’une rupture des équilibres neurophysiologi-ques au niveau du lobe pariétal gauche. Celui-ci a pour rôle de maintenir la cou-pure entre soi et les autres. Une fois son équilibre interne rompu, le sujet en extase a l’impression de ne faire qu’un avec son Dieu.

Par ailleurs, le lobe pariétal droit, qui peut être en cause dans certains types d’épi-lepsie, peut, quant à lui, provoquer des troubles auditifs et visuels hallucinatoires (lumières et voix) lors du dysfonctionne-ment électrique de ses connections neu-ronales. De nombreux cas historiques ou religieux pourraient donc en être la repré-sentation, comme la célèbre Jeanne d’Arc. Certains non-croyants voient donc dans ces explications scientifiques la preuve de la non existence d’un ou plusieurs Dieux. Création des Hommes pour se rassureret tenter de comprendre leurs origines,la croyance en une puissance supérieure aurait ainsi voyagé à travers l’Histoire. Elle serait rendue crédible par la magie du cerveau de l’Homme lui-même.

Mais évidemment, même si l’expérience spirituelle semble étroitement associée àla biologie humaine, cette dernière n’exclutabsolument pas l’idée qu’un ou plusieurs Dieux existent. Pour les croyants, il est évident que certaines zones du cerveau s’activent quand l’Homme pense à Dieu, tout comme d’autres s’activent quand on pense à tout autre chose.

Quand bien même on découvrirait unezone du cerveau associée à l’idée de Dieu,cela ne nous d i ra it r ien de cer ta insur l’existence de Dieu lui-même. Commele dit P. Jean-Baptiste « Il n’y a aucun moyen pour déterminer si les modifications neu-rologiques associées à l’expérience spi-rituelle signifient que c’est le cerveau quiprovoque ces expériences ou si, aucontraire, il perçoit une réalité spiritu-elle ».

Pour être philosophiquement correct, ilfaut creuser encore plus dans l’analyse : même si la science fait aujourd’hui des miracles, il faut se méfier de ne pas lui accorder une confiance aveugle, car celareviendrait à la considérer alors comme di-vine. La science est certes extrêmement convaincante, guide de notre société ac-tuelle, mais sa véracité, est, tout comme celle de la religion, impossible à prouver. On affirme grotesque de prouver la reli-gion par la religion, alors comment pour-rait-on prouver la science par la science ? La science est une hypothèse. Ses dires (théories, lois etc.) peuvent être réfutés par l’observation, mais jamais confirmés de façon certaine.

Alors, création du cerveau ou réelle pré-sence divine, la religion n’est pas prête à nous dévoiler tous ses secrets !

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ZOOMUN UNIVERS DE QUESTIONS Anna Kathrin Schmidt

Voici une histoire, une des mes histoires. Elle traduit un monde qui tourne vite, si vite qu’on ne peut suivre sa cadence.

Des valises pleines de préjugés et une métamorphose renversanteLa chose sur laquelle j’ai trébuché est une femme, l’air tout à fait ordinaire, entre deux âges. Je devrais en fait plutôt dire que je suis tombée sur l’énorme montagne de valises qui l’ensevelissait. En jeune fille naïve et bien élevée, je lui offre mon aide pour porter ses bagages.

Afin de comprendre l’évènement qui se produisit ensuite, il faut savoir qu’après avoir été traitée de « néo-nazie » plusieurs fois en Allemagne par des Turques indi-gnés par ma tête chauve – résultat d’une chimiothérapie – j’avais décidé de m’adap-ter au « politiquement correct » en mettant un foulard. Ainsi, il me semblait que je ne pourrais plus tomber dans le panneau d’une ville multiculturelle où il faut sans cesse se méfier de ne pas provoquer l’ire des groupes identitaires.

J’en reviens à ma rencontre et à ce que ma proposition d’aide me valut comme re-connaissance : la femme, voyant mon fou-lard, devient hystérique et crie : « F*** you, bitch ! I didn’t ask a muslim to help me ! »

On a beau dire que l’habit ne fait pas le moine, mais voilà qu’avec un simple fou-lard, la néo-nazie s’est transformée en mu-sulmane…

On pourrait penser qu’une une société dite éclairée, si « civilisée » et progressis-te, où tout le monde a accès à l’éducation, à la culture et à l’information, en viendrait à bout des préjugés, du moins des plus stupides au sujet de la religion ou de la race. Il s’avère que, bien souvent, c’est le contraire qui se produit. Trop d’informa-tion, trop de confusion, trop d’amalgame ; ça dépasse, ça crée des malentendus, ça forme des préjugés, et on se retrouve en fait à être en manque d’information. Bien paradoxal. Cette femme, avec ses valises de préjugés, avait-elle la vieille regardé une émission télévisée, passablement inspirée par le 11 septembre, mettant en corrélation Islam et violence ? Va savoir.

« Dieu est mort » – signé : F.Nietzsche.« Nietzsche est mort » – signé : Dieu.Quelles sont les conséquences de toute cette confusion au sein de notre société de superlatifs sur la croyance religieuse ? On parle aujourd’hui du recul des « grandes

religions » monothéistes dans nos sociétés capitalistes, mais en parallèle, de plus en plus de nouveaux groupes religieux se dé-veloppent et on fait face à une plus grande diversité des religions. Un autre élément, peut-être plus parlant, est le taux de gens qui se disent agnostiques. Contrairement à l’athéisme, qui nie l’existence de Dieu ou d’une force supérieure, cette mouvance préfère, dans le doute, ne pas se prononcer sur l’existence ou non d’un Dieu. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils ne savent pas. Sur l’ensemble de la population mondiale, 16% se considèrent comme « non religieux ». Ils forment ainsi le troisième groupe le plus important après les chrétiens (34%) et l’Is-lam (18%).

Mais comment peut-on croire que l’on ne croit rien ? Les gens sont-ils à ce point dé-passés par la grande variété de religions ou alors confus, de telle sorte que chaque confrontation sur le sujet les frustre ? En général, deux catégories de motifs pour lesquels les gens se détachent des reli-gions – à part pour des raisons person-nelles – apparaissent : la critique de la religion, dans laquelle les raisons du dé-tachement sont inhérentes à la religion. Par exemple, la critique de la politique de l’église catholique qui aurait collaboré avec des régimes totalitaires pour main-tenir ses prérogatives, ou alors les grands conflits entre la religion et les sciences na-turelles. Et les causes sociales, à chercher plus précisément dans les changements sociaux. De plus, l’organisation de nos Etats et de notre système économique n’a plus besoin de la religion. Les Etats dits modernes se fondent sur des lois juridi-ques, les règles religieuses n’y ont pas leur place. Le capitalisme pose les intérêts des particuliers au-dessus de l’amour de son prochain et des valeurs sociales. S’y ajou-tent le bien-être ambiant (plus besoin de se réfugier dans la religion, sauf en cas de crise) et le développement vers une société de plus en plus individualiste et hédoniste (contradictoire avec les valeurs religieuses traditionnelles). Ce type de société offre également la possibilité de trouver des substituts à la religion et de remplir ainsi le « trou » creusé par les questions fonda-mentales qui restent les « qui suis-je ? », « quel est le sens de ma vie ?», « mais que fais-je ici finalement ?», « le monde est-il vraiment le chaos qu’il paraît être ? ».

En fait, pour répondre, tu es un composé or-ganique à base de carbone et constitué de 90% de H2O, tu consommes, tu travailles, tu gagnes de l’argent pour consommer

plus, mais ne te poses pas trop la ques-tion de savoir où tu vas. D’autant plus que le monde semble en effet être un grand chaos, la physique sait même le calculer. Regarde la télé et tu verras !

Finalement, ne pas être religieux, c’est trouver ses propres réponses tout seul. Mais trouver des réponses satisfaisantes, cela me paraît assez difficile.

Un autre universMon expérience face aux préjugés aux-quels on m’a conf rontée m’a donnél’impression que beaucoup de gens ontévidemment besoin de réponses, pour avoir des valeurs et parce qu’ils ont perdu toute orientation. Ils cherchent à cacher leurs incertitudes derrière des préjugés afin de se sentir supérieurs aux autres,pour montrer que, non, ils ne sont pas dépassés. A mon avis, le véritable défi d’aujourd’hui est d’abord de se définir soi-même en tant qu’individu pour pouvoir ensuite trouver ses propres réponses à des questions fondamentales. Pour les uns, ces réponses ont été trouvées au sein d’une religion, d’autres les trouvent ailleurs.

Il ne faut pas oublier que notre société mul-ticulturelle et pluraliste nous offre aussi beaucoup de possibilités et de liberté et, pour revenir à une expérience personnelle, des moments magiques et uniques : après ma rencontre avec cette drôle de femme, j’ai fais la connaissance d’un Indien de Bo-livie qui m’a parlé de la religion animiste de sa tribu. Voilà ce qu’il m’a dit : « Le plus important dans ce qu’il faut croire, c’est que chaque personne porte un univers en soi, dans son âme, dans son esprit. C’est un univers avec des dimensions incroya-bles, beaucoup plus grand que l’univers matériel qui nous entoure. C’est pour cela qu’il n’existera jamais un problème dans l’univers extérieur qui soit assez grand pour ne pas trouver une solution dans no-tre univers intérieur. »

DOSSIER

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AMNESTY INTERNATIONAL UNIGE

DES PRISONNIERS D’OPINIONAUX DROITS HUMAINSROSA STUCKI • Amnesty International est une organisation non gouverne-mentale qui compte aujourd’hui plus de 2,2 millions de membres répartis dans plus de 150 pays. Elle a notamment milité pour que la convention internatio-nale contre la torture soit ratifiée en 1987, pour la mise en place du tribunal pénal international en 2002 et enfin, plus récemment, en 2006, pour la consti-tution d’un nouveau Conseil des droits de l’Homme à l’ONU. Son engagement pour la promotion des droits humains a été récompensé en 1977, année où Amnesty reçu le prix Nobel de la Paix. Bref retour historique sur la genèse de cette organisation.

Amnesty International a été fondée en 1961 par l’avocat anglais Peter Benen-son. Il réagissait alors à l’emprisonnement arbitraire de deux étudiants portu-gais, coupables d’avoir porté un toast à la liberté sous la dictature de Salazar.

Dans son article Les prisonniers oubliés, publié dans The Observer, 28. Mai 1961, l’avocat anglais a dressé le portrait de détenus de différents pays, ayant tous comme point commun d’avoir été emprisonnés pour délit d’opinion. Avec son Appeal for Amnesty, Peter Benenson a réussi à mobiliser des gens du monde entier afin de rédiger des lettres et des articles appelant à la libération de ces « prisonniers oubliés ». Cette action a eu un très grand succès et depuis, l’envoi collectif de lettres est devenu une des forces d’Amnesty International. Aujourd’hui chaque action a 48% de chance d’améliorer la condition de déten-tion d’un prisonnier voire, le cas échéant, de le libérer.

Pour cette édition, International.ink offre spé-cialement quelques lignes au groupe Amnesty International UniGe. En espérant que vous ap-précierez ce qu’ils vous ont concocté, nous vous souhaitons une bonne lecture !

LA DÉCLARATION UNIVERSELLEDES DROITS DE L’HOMME A 60 ANS !DINA BADR • La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, plus com-munément appelée la DUDH, a de tout temps été un texte fondamental pour Amnesty International et ce, depuis sa création en 1961, pour de multiples rai-sons. Outre la mention de deux articles de la DUDH relatifs à la liberté d’opi-nion et à la liberté de religion (articles 18 et 19) dans Les prisonniers oubliés de Peter Benenson, texte fondateur d’Amnesty International, il faut relever que, dans les années 60, il n’y avait pas autant de textes sur les droits humains que de nos jours. Ensuite, la DUDH est un texte révolutionnaire en droit in-ternational et une des principales références juridiques actuelles. De plus, elle constitue le point de départ de bien des développements ultérieurs en matière de droits humains ; mais surtout, elle renvoie à un message de responsabilité. En effet, la force de ses articles réside en un seul mot, qui bien qu’il soit petit, est fort de sens : tous. En effet, ce terme renvoie d’une part à l’universalité et à l’indivisibilité des droits humains – un message dont Amnesty International se veut le porteur – et d’autre part, à la responsabilité de tous les organes de la société dans le respect des droits humains.

Toutefois, il est important de souligner qu’Amnesty International n’a pas, dès le départ, utilisé tous les articles de la DUDH dans son combat contre les violations des droits humains puisqu’elle se centrait uniquement sur les deux articles cités ci-dessus. En effet, c’est seulement progressivement qu’elle les a adoptés et ce n’est qu’en 1991 qu’elle se fonde finalement sur l’ensemble de la DUDH. C’est alors que le mandat d’Amnesty International devient celui que l’on connaît aujourd’hui : la promotion de tous les droits humains.

La DUDH fêtera ses 60 ans le 10 décembre 2008. Pour Amnesty International, le but est encore loin d’avoir été atteint, d’où ses quatre messages. Tout d’abord, il faut se rendre à l’évidence : il y a un constat de faillite. Les dirigeants du monde politique ou économique n’ont pas respecté la DUDH qu’ils avaient adopté 60 ans auparavant. Si l’on s’en tient à la situation actuelle du respect des droits humains dans le monde, il est clair que leurs promesses d’alors, pour plus d’égalité et de justice, ne se sont toujours pas concrétisées. Malgré cela, la DUDH reste une référence tout aussi valable en 2008 qu’elle ne l’a été en 1948, le deuxième message est donc plus positif. Troisièmement, les problèmes actuels s’expliquent en partie par l’absence d’une vision commune (tous les pays n’ayant pas adopté la DUDH). Enfin - et cela sera la conclusion de mon article - face aux problèmes internationaux, il faut des réponses internationales. A ce titre, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme représente un excellent cadre pour y arriver.

Pour voir l’agenda des actions du groupe Amnesty UniGe :

http://www.asso-etud.unige.ch/amnesty/

http://www.amnesty.ch

Groupe Facebook : Amnesty Students Switzerland

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l’action d’Amnesty ». Concernant la mise en application des droits humains, la méthode pour les faire respecter est simple: « insuffler le changement de l’inté-rieur, non de l’extérieur ». Les accusations d’impérialisme sont écartées, il s’agit pour Amnesty de faire du « lobbying auprès des parlements [...] d’influencer les decision makers et les citoyens ». L’action d’AI se déploie dans le respect des légalités nationales... sauf dans les cas où ces dernières ne garantissent pas des libertés élémentaires, comme le droit à manifester. « Le relais légal » devient alors la DUDH. AI ne soutient pas financièrement les militants autochtones des droits de l’homme mais leur apporte un appui moral guidé notamment par l’impératif suivant: il faut à tout prix « éviter que les prisonniers ne tombent dans l’oubli ». Le répertoire d’action de l’ONG comprend, en plus du lobbying, des envois massifs de lettres, dans les cas d’actions urgentes. Selon nos interlo-cuteurs, la « moitié des cas [est] couronné de succès ». Pour augmenter l’effica-cité des actions, il s’agit d’attirer l’attention de l’opinion publique sur des sujets urgents ou de pétitionner. Concernant les relations avec les représentants des pays, la philosophie de AI est simple. Il s’agit de ne pas froisser les dirigeants, quels qu’ils soient. AI communique avec tout le monde, même ceux qui sont « chiants ou mauvais ». La différence avec Greenpeace, qui utilise souvent la confrontation, est patente. Les actions des défenseurs des droits humains ne sont pas aussi montrables et donc moins souvent reprises par les médias. Et Max de s’exclamer: « AI c’est pas Hollywood! ». Le risque de se voir instrumentalisée par les médias est toléré. « Amnesty est une organisation idéaliste qui se meut dans un monde réaliste. Avec les seules croyances idéalistes on ne peut pas aller bien loin ».

N’y a-t-il pas des biais dans la façon d’AI de choisir ses luttes? Défend-elle vraiment tous les individus, même ceux que l’État catalogue comme terroristes? L’épisode de Guantanamo est ici rappelé, de même que le soutien incondition-nel et précoce de l’ONG à ceux que l’on a incarcérés, soupçonnés de terrorisme.

Malgré leur passé, ils doivent être considérés comme des « êtres humains qu’il faut respecter en tant que tels [et par conséquent, ils ont] droit à un procès équitable ». Alors certes, être favorable à la fermeture de Guantanamo relève aujourd’hui du politiquement correct. Mais en 2002 et en 2003, il était beau-coup plus ardu, dans le contexte tendu de la lutte contre le terrorisme et face au gouvernement Bush, de soutenir explicitement ces personnes.

D’où provient l’argent qui permet à l’ONG de fonctionner? AI reçoit des dons privés et des cotisations annuelles. Elle n’accepte pas les dons assortis d’obli-gations. Quand on donne à AI on renonce à toute influence, on ne peut pas choisir l’affectation d’un don, à la différence d’autres ONG. A ce titre, cela ne pose pas de problème si l’argent provient de néo-conservateurs, bien que cela soit peu probable de l’avis d’Alexis. Quant à ceux qui font des dons pour ne pas être imposés, cela n’est pas gênant. Seul le fait que l’argent soit bien utilisé im-porte, non pas la sainteté ou la bassesse des intentions de ceux qui donnent. Les fonds sont gérés au niveau national et international. Si une antenne nationale d’AI reçoit beaucoup d’argent, elle diffuse alors son surplus vers d’autres pays. La Suisse fait cela pour la Côte d’Ivoire et la Tunisie, où les récoltes sont peu abondantes. Et s’il y avait des pressions d’AI Londres [le centre international] pour affecter des fonds à des programmes spécifiques contre l’avis des antennes locales, alors pour Max « ça constituerait une raison pour quitter Amnesty ». On l’a vu au fil de ces quelques lignes, les militants d’Amnesty que l’on a rencon-trés ont des convictions fortes mais qui sont contrebalancées par un souci de tolérance. En définitive leur position s’apparente plus à celle d’un équilibriste que d’un exalté, d’un défenseur modéré mais efficace de la DUDH plutôt que d’un impérialiste moral dédaigneux et arrogant, ce qui apparaît somme toute comme bien raisonnable.

PROPOS RECUEILLIS PAR LUKAS À PORTA • Amnesty International (AI) se range résolument du côté des partisans et défenseurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), affirmant la validité générale des jugements normatifs qui en découlent, leur irréductibilité aux contextes et aux cultures. Comment AI justifie-t-elle sa position universaliste? Comment agit-elle pour promouvoir les droits humains? Comment fonctionne l’ONG AI? A l’occasion des 60 ans de la DUDH, nous avons posé ces quelques questions à deux membres de l’antenne universitaire d’Amesty International, Alexis et Max.

AI a maintes fois invoqué la DUDH pour condamner les dérives de la lutte contre le terrorisme, tentant d’endiguer la montée en puissance d’une forme de contextualisme moral qui s’appuyait sur une situation exceptionnelle pour justifier un non-respect systématique des droits humains. Il est urgent, selon cette ONG, de réaffirmer les principes contenus dans cette déclaration. Juste-ment, comment faut-il interpréter ces articles? L’ensemble des lois qui fondent la déclaration est-il absolu, faut-il prendre les articles au mot? Non, pour Max « la DUDH n’est pas les dix commandements ». De prime abord, cette réponse, revendiquée comme personnelle et ne concordant donc pas forcément avec la ligne de AI, est déroutante. Ce qui apparaît comme une concession au relativis-me est en fait une façon d’éviter l’édification d’un « nouvel absolutisme ». Une lecture non littérale de la DUDH permettrait une prise de distance critique et une plus grande souplesse d’application à des situations différentes. Il s’agit de considérer ce texte comme « une guideline, une feuille de route », un horizon

inatteignable, « une utopie ». Cette approche permet de mieux faire face à des situations où il y a des incompatibilités entre des droits, quand par exemple le respect de la dignité d’une personne souffrante, proche de la mort, s’oppose au droit à la vie. En admettant que les droits, ou du moins l’interprétation qui peut en être faite n’est pas absolue, on évite la paralysie. Mais peut-on conserver l’universalisme? Les droits peuvent-ils être universels et non absolus?

Malgré l’ambiguïté de cette position, le relativisme culturel est condamné sans ambages par nos deux interlocuteurs qui rappellent qu’actuellement bien peu de pays, si ce n’est aucun, contestent la DUDH. Face à la tentation de tout relativiser, d’affirmer que la validité des jugements moraux dépend du contexte culturel dans lequel ils sont énoncés, Alexis s’appuie sur une intuition fonda-trice: « il existe des valeurs qui sont partagées par tous sur cette terre ». La re-transcription écrite de la « charte orale » de Manden, d’origine malienne et datée du 12ème siècle, et qui codifie la plupart des droits fondamentaux, alimente cette intuition. Derrière le droit à la vie, à la dignité, à la liberté d’expression, il y aurait donc une aspiration universelle, une ou plusieurs fins partagées par tous les êtres humains. La DUDH fait également explicitement référence aux identités culturelles, à la liberté religieuse ce qui ne veut pas dire que le respect de la culture peut impliquer le non-respect des droits humains. La non hiérar-chisation des droits humains permet d’éviter cet écueil.

On l’a compris, les membres d’Amnesty International ont une idée de ce à quoi devrait ressembler un monde idéal: ils agissent en conséquence, tirant leur lé-gitimité de la DUDH, ce texte central, « fondement théorique et juridique de

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ZOOMAMNESTY INTERNATIONAL UNIGE

AMNESTY EN QUESTIONS

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ENTRETIEN AVEC PETERSPLINTER, REPRÉSENTANTD’AMNESTY INTERNATIONAL À L’ONUNATHALIE BUCK ET ALEXIS THIRY, AMNESTY INTERNATIONAL UNIGE • Au vu des 60 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), il nous a semblé intéressant de poser quelques questions à son sujet à Peter Splinter, représentant d’Amnesty Inter-national (AI) à l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Amnesty International UniGE : Quel est le rôle d’AI aux Nations Unies ?

Peter Splinter : C’est un peu complexe dans le sens où AI s’engage avec l’ONU de plusieurs façons différentes mais l’une des actions d’Amnesty au Conseil des droits de l’homme (CDH) est de faire du lobbying sur les pays qui ne respec-tent pas les libertés fondamentales. Nous restons très vigilants concernant les décisions prises par le Conseil de sécurité. Nous travaillons également en étroite collaboration avec le Haut Commissariat aux droits de l’homme qui effectue des contrôles.

AI Uni : Avez-vous l’impression que votre présence « dérange » certains diplo-mates ? Si oui, pourquoi ?

PS : Je crois que notre présence doit déranger. Un de nos rôles est de dire les choses que certains diplomates ne voudront pas entendre. Bien sûr qu’Amnesty en général se doit de déranger et nous avons parfois le sentiment que nous ne dé-rangeons pas assez. Mais pour être efficace nous devons trouver un juste équili-bre, c’est-à-dire, on doit déranger mais pas trop et dire les choses mais de façon intelligente. Nous devons éviter la provocation pour pouvoir être entendu. Cer-tains représentants des pays de l’Europe de l’Ouest ou des pays de l’Amérique du nord qui ne pensent pas avoir de problèmes de droits humains s’étonnent : « Pourquoi vous nous critiquez ? Comment pouvez-vous nous comparer à des pays africains ? ». Certains diplomates des pays développés ne comprennent pas que même les pays démocratiques transgressent les droits humains.

AI Uni : Pensez-vous que cette crise financière qui régit actuellement constitue une « bonne » excuse aux Etats développés pour justifier le manque de moyens alloués en faveur des droits humains ?

PS : Je pense que c’est un peu tôt pour parler d’un désengagement des Etats modernes en raison de la crise. La grande question est de savoir si cette crise va toucher l’aide au développement. La mission d’Amnesty sera de faire en sorte que cette crise ne devienne pas une excuse.

AI Uni : Jusqu’à quel point la thèse qui consiste à expliquer que le non respect des droits de l’homme en Afrique est dû à la colonisation et plus généralement à l’Occident se justifie ?

PS : Cette idée que seule l’histoire peut expliquer à elle seule le non respect des droits de l’homme me parait injustifiée. C’est vrai qu’il faut tenir compte de l’histoire, mais l’héritage de la colonisation n’explique pas tout. Chaque pays doit assumer ses propres responsabilités. Amnesty a visité les prisons au Togo. Ces prisons étaient rudimentaires, je ne veux pas dire que tout est rose, mais même avec des moyens limités, la dignité humaine des prisonniers était davan-tage respectée que dans certaines prisons françaises qu’elle a également visitées. Avec les moyens qu’ils avaient, ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient pour que les conditions soient correctes. Il faut faire attention à ne pas tout justifier par l’influence de l’Occident. Bien sûr que la colonisation anglaise a eu des consé-quences, il n’y a pas de questions là dessus. Mais néanmoins, ce qui se passe

par exemple au Zimbabwe n’est pas le résultat de la colonisation anglaise, les responsables des atrocités commises dernièrement sont les uniques coupables.

AI Uni : Au sujet de la DUDH, quelle est concrètement son efficacité dans les prises de décision au Conseil des droits de l’homme (CDH)? Comment est-ce que vous utilisez ce texte pour faire avancer des projets au CDH ou résoudre des problèmes ?

PS : Il y a toujours des violations. On les constate dans les pays comme les Etats-Unis ou dans des pays où il existe une certaine discrimination mais l’ac-complissement et l’amélioration depuis 1948 résident dans le fait qu’il y en a très peu qui remettent en question les Droits de l’homme. Par exemple, il y a une dizaine d’années, il y avait cette question des Asian values - la question des valeurs asiatiques - car les pays d’Asie ont leur place au CDH. Ils ont donc un droit d’expression sur les discussions portant sur les droits humains.

Là où il y a un grand débat - pas polémique car ce mot est un peu trop fort - mais débat c’est de savoir ce que les droits veulent dire, ce que les libertés veulent dire. Par exemple, la liberté de religion est toujours autre chose donc il n’y a pas une compréhension nette partout, il y a une liberté de religion qu’il faudrait respecter mais qu’est-ce que cela veut dire ? Et c’est là maintenant que se situe un des grands débats en ce qui concerne la DUDH.

AI Uni : Pensez-vous qu’il y aurait des améliorations, des modifications à ap-porter à la DUDH ?

PS : C’est une question qui me dépasse mais je pense quand même que ce serait une grande erreur que d’essayer d’améliorer la DUDH, du moins dans le texte même.

AI Uni : Pouvez-vous nous expliquer un peu quelle est la structure du CDH et comment il fonctionne ? Pensez-vous que la nationalité de la présidence de ce Conseil peut influencer les discussions ?

PS : Le CDH est composé de 47 membres. Chaque région a droit à un nombre précis de membres. L’Afrique et l’Asie ont droit à 13 membres, l’Europe orien-tale a droit à 6 membres, l’Amérique latine a 8 membres, et l’Amérique du nord et l’Europe a 7 membres. C’est le Nigeria qui assure aujourd’hui la présidence du Conseil.

Pour revenir à la deuxième question, oui clairement beaucoup de choses diffè-rent d’une présidence à une autre. L’expérience du président en tant qu’individu a une grande influence. On pourrait penser que lorsqu’ a lieu une présidence africaine le bilan va être négatif, mais il arrive qu’un président prenne des po-sitions qui vont à l’encontre des positions de son propre pays. Il ne faut pas penser que ces discussions dépassent les citoyens du monde. Les débats qui ont lieu au CDH ont un réel impact car ils sont diffusés dans le monde entier grâce au Webcast.

AI Uni : Ne pensez vous pas que le CDH devrait être composé autrement ?

PS : La proposition qui visait à donner à chaque pays du monde un siège au CDH a été envisagée ; c’est-à-dire que certains pays ont émis l’hypothèse que les 193 pays devraient siéger au Conseil. Cette idée a été rejetée, mais dans quelques années les bases du Conseil vont être refondées…

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GAZ ET POLITIQUE : LA DÉSUNION EUROPÉENNE À L’AUBE DU CONFLIT GÉORGIEN Lukas à Porta

La politique énergétique de l’Union euro-péenne (UE), balbutiante, pèche par inco-hérence. Au niveau du marché européen, on ne peut que constater le fait que les pré-férences nationales tendent à constituer la règle plutôt que l’exception. Or, face à un voisin russe qui se joue habilement des di-visions au sein de l’Union tout en lui four-nissant une grande quantité de gaz et du pétrole, il s’agit de décider d’une politique commune, cohérente et qui puisse assurer sur le long terme l’approvisionnement des vingt-sept.

Dans la nuit du sept au huit août, exécu-tant l’ordre du président Mikheil Saakas-hvili, des troupes géorgiennes envahirent la province séparatiste d’Ossétie du Sud. L’objectif: faire basculer cette région dans le giron de Tbilissi et réunifier à terme un pays aux apparences de patchwork. Mais Moscou, qui soutient activement la pro-vince en question ainsi que l’Abkhazie en fournissant des passeports à leurs popula-tions respectives, était loin de partager ce dessein. Elle décida d’intervenir militaire-ment, notamment « pour protéger ses ci-toyens »1. Impuissante, la modeste armée géorgienne fut rapidement mise en dérou-te, forcée de battre en retraite jusqu’à sa capitale. Inquiète et pressée de mettre un terme à cette surenchère guerrière, l’UE joua alors le rôle de médiateur, haussant le ton face à la Russie tout en apportant un soutien conditionnel à la Géorgie. S’ensui-vit la signature d’un accord de cessez-le-feu planifiant notamment le retrait graduel des troupes russes, retrait sujet à polémi-que puisque les acteurs en présence ne s’accordent pas sur le repositionnement desdites troupes.

Il y a différentes façons d’interpréter la ré-ponse de Moscou au conflit « osséto-géor-gien ». On peut considérer celle-ci comme une tentative de faire capoter le processus d’adhésion de la Géorgie à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et par extension à l’Ukraine; perspective qui, si elle venait à se concrétiser, contribuerait à murer son flanc occidental. De manière similaire, la reconnaissance par le parle-ment russe des deux provinces indépen-dantistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, peut être interprétée comme une logique de cristallisation de conflit, logique qui

permet au Kremlin de créer à sa frontière une zone tampon, sorte de ceinture de sé-curité. L’OTAN, que la Russie considère avec méfiance, est ainsi tenue à l’écart de son pré-carré, des pays faisant partie de son « étranger-proche » et sur lesquels elle compte bien asseoir son influence.

A côté de la motivation russe consistant à préserver ce qu’elle considère comme faisant partie intégrante de ses intérêts, on peut voir poindre une autre probléma-tique. Le calcul hasardeux du président Saakashvili, qui pariait apparemment surun soutien militaire américain, a eu desconséquences directes pour l’UE qui, dans la région du Caucase, voit ses intérêts compromis. La problématique de sécurité énergétique est ici manifeste. Des bombes russes larguées près de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) à l’occupation mi-litaire du terminal pétrolier de Poti, où le pipeline de pétrole Bakou-Soupsa termine sa course, les signaux sont clairs : la Géor-gie, zone clé concernant l’acheminement du pétrole jusqu’au marché européen, n’apparaît plus comme un pays assez sûr pour le transit des ressources pétrolières et gazières. L’Europe politique se retrouve dans une situation délicate: sa volonté de condamner fermement le comportement de la Russie est en contradiction avec la nécessité de ne pas froisser son premier fournisseur de gaz et de pétrole (du gaz et du pétrole importé)2. Revenons sur l’histo-rique des pipelines actuels et des projets en cours dans la région.

En 1999, année de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, un accord est trouvé pour la construction de l’oléoduc BTC. Un consortium dominé par BP (GB), qui dé-tient un tiers de la participation, est créé. L’Azerbaïdjan, les États-Unis et plusieurs pays européens, dont la France et l’Italie, sont impliqués. Six ans plus tard, le 25 mai 2005, le BTC est inauguré. Il chemine parl’Azerbaïdjan, traverse ensuite la Géor-gie puis finit sa course en Turquie où il se jette dans la Méditerranée. Pour l’UE, c’est un enjeu majeur tant du point de vue économique que politique car il lui permet d’accéder aux réserves de pétrole de la mer Caspienne sans passer ni par la Rus-sie ni par le Moyen-Orient. Cela s’inscrit parfaitement dans le cadre d’une diversi-fication des sources d’approvisionnement énergétique recommandée par le livre vert de l’énergie, feuille de route de l’UE. Pour la Géorgie, l’enjeu est également de taille, puisque le BTC devrait lui assurer des rentrées de soixante millions de dollars en taxes3.

Plus cruciales encore sont les fournitures de gaz à l’UE. A la différence du pétrole, dont la consommation tend à stagner – du moins en Europe – le gaz, lui, connaît un regain d’intérêt. Et pour cause, le Royau-me-Uni et surtout la Norvège, deux piliers de l’extraction gazière en Europe, voient à mesure que les réserves gazières de la mer du Nord déclinent. Actuellement, seuls trois pays – la Russie, la Norvège et l’Al-gérie – fournissent 50% du gaz consommé

en Europe. Si rien n’est tenté, cette dé-pendance pourrait s’accroître pour attein-dre 70% d’ici quelques années selon le livre vert de l’énergie. Plus problématique encore : plusieurs pays européens dont la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la Bulgarie et la Slovaquie dépendent presque exclu-sivement des importations de gaz russes4. Ce constat, lié à la crise énergétique de l’hiver 2006 durant laquelle la Russie in-terrompit ses livraisons de gaz à l’Ukraine sous prétexte de défaut de paiement et de détournements d’énergies, constitue une piqûre de rappel pour l’UE. Dans ce contexte, la quête de sources crédibles et sûres d’approvisionnements est une prio-rité. L’une de ces sources possibles, que l’on peut considérer comme le penchant gazier du BTC car son tracé en est pro-che, est nommée Nabucco. Il se greffera en Turquie au gazoduc existant Bakou-Tbilissi-Erurum (BTE). Sa construction devrait être achevée en 2014. La Géorgie, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie sont directement impliquées dans le projet tandis que les États-Unis et l’UE le soutiennent.

Devant ces tentatives de contournement, Poutine n’est pas resté les bras croisés. Pilotant Gazprom, premier producteurde gaz au monde et société majoritai-rement détenue par l’État russe, il s’agis-sait de contrecarrer cette timide tentative d’émancipation. Le 8 septembre 2005, un accord entre Gazprom, BASF (DE) et EON (DE) est signé. Il porte sur la construc-tion d’un gazoduc dans la mer Baltique.Ce dernier évite les pays de l’Est dont l’Ukraine et la Pologne. En fin de course, il émerge en Allemagne. Dans le consor-tium ainsi créé, Gazprom détient 51% des parts tandis que les deux autres action-naires allemands se partagent le reste5.L’ex-chancelier Gerhard Schröder, ami intime de Vladimir Poutine, est un des plus ardents défenseurs du projet. Il est actuellement à la tête du comité des ac-tionnaires de la North European Gas Pi-peline Company (NEGPC), dont le siège se situe à Zoug. A terme, ce projet per-mettra à l’Europe d’augmenter d’un tiers le volume de ses importations. Ce dernier a toutefois soulevé nombre de critiques, venant notamment de l’Ukraine, qui voit son rôle de plaque tournante du gaz com-promis. La Russie soutient également un autre gazoduc, quant à lui déjà terminé. Son nom: le Blue Stream. Une extension de son tracé, qui traverse actuellement la mer Noire de la Russie à la Turquie, a été récemment décidée. Un autre « bras » sera construit dans la mer Noire, de la Russie à la Bulgarie. L’ouvrage entier, comprenant également le Blue Stream, a depuis cette

modification été rebaptisé South Stream. Difficile de ne pas voir dans ce projet, un concurrent directe de Nabucco. Cette fois-ci ce n’est pas Schröder qui soutient le projet mais le président italien Berlus-coni. La compagnie italienne ENI ainsi qu’une Holding sont parties prenantes6. Il est intéressant de souligner que le North Stream et le South Stream sont tous deux soutenus par les deux pays dont la dépen-dance relative aux gaz russes est la plus forte, à savoir l’Italie et l’Allemagne7.

Pendant que ces gazoducs voient leur date de réalisation approcher, Nabucco, lui, s’essouffle. Son coût projeté a récem-ment enflé d’un tiers à cause de la hausse du prix de l’acier, passant de huit à douze milliards de dollars8. Les consommateurs paieront la différence. Il reste toutefois moins onéreux que le South Stream, dont le coût est évalué à quinze milliards de dollars. La récente participation de la Bul-garie et de la Hongrie au projet russe est un mauvais signal pour Nabucco, puisque ces pays y participent également. En plus, il n’est pas certain que les gazoducs ré-pondent adéquatement aux besoins réels de l’UE. Le projet « européen » souffre éga-lement d’un autre défaut. L’un des fournis-seurs attendu n’est autre que la Républi-que islamique d’Iran, 2ème réserve de gaz au monde. Or les relations extrêmement tendues entre l’UE et les États-Unis d’un côté et l’Iran de l’autre, rendent difficiles la mise en place d’un accord de partenariat énergétique.

Suite à cette rapide et non-exhaustive balade dans l’Europe du gaz, on constate que les pays européens sont incapables de dépasser les clivages nationaux dans le domaine de la sécurité énergétique. La constitution de « champions nationaux », voir par exemple la fusion GDF-Suez, s’ins-crit dans cette même logique. Profitant du manque de solidarité entre les pays de l’UE, la Russie privilégie à juste titre les relations bilatérales, accroissant son pou-voir de négociation. En même temps, elle développe des liens avec une autre région, l’Afrique du Nord. La société italienne ENI et Gazprom ont signé un contrat avec la Libye prévoyant la construction d’un ga-zoduc transméditerranéen9. De plus, lemonopole russe ne cache pas son inten-tion de contrôler l’ensemble du circuit ga-zier, de l’extraction jusqu’à la distribution. Il reste que Gazprom elle-même est extrê-mement dépendante de la consommation européenne qui engloutit 80% de ses exportations. Tant qu’elle n’arrivera pasà diversifier ses clients, elle ne pourrapas dégainer sans dommage l’arme du gaz.

Face à l’avancée de l’OTAN, la Russie a trouvé une réponse originale. Elle tente d’encercler l’UE, de la mettre sous perfu-sion. Les pays européens semblent bien incapables de s’extraire d’une problémati-que qu’ils se sont condamnés à résoudre individuellement.

Alors finalement, qui encercle qui ?

1 BARRY E., The New York Times,

1 édition du 2 septembre 2008

2 Le livre vert de l’énergie, pp. 19 et 24

1 http://ec.europa.eu/energy/green-paper-energy/

1 index_fr.htm

3 BEIN H.-W, SCHMIDT J., Süddeutsche Zeitung,

1 12 août 2008

1 http://www.courrierinternational.com/

1 article.asp?obj_id=88386

4 The Gardian, Kommersant-Vlast, Nezavissimaïa

1 Gazeta, « BP Statistical Review of World Energy »,

1 dans Le Courrier International (CI), n° 849,

1 semaine du 8 au 14 février 2007, p.35

5 Süddeutsche Zeitung, 12 août 2008

1 http://www.courrierinternational.com/article.

1 asp?obj_id=88386

6 ZYGAR M., Kommersant dans CI, n° 793,

1 12 janvier 2006

7 www.gazpromexport.ru dans CI, n° 849, p.36

8 DEMPSEY J., The New York Times,

1 édition du 9 avril 2008

9 Ibid.

POLITIQUE POLITIQUE

24 25

Page 14: International Ink n°5

AESPRI ET COMMISSION DEDIRECTION : ENTRE COLLABORATIONET DÉCEPTION Lukas à Porta pour l’AESPRI

Voilà maintenant un peu plus de trois ans que le bachelor en Relations Internationa-les (BARI) existe. Malgré son importance, tant en terme d’élèves (461 étudiant-e-s par volée) qu’en terme de cursus (il n’exis-te aucun équivalent en Suisse), il aura fal-lu attendre septembre 2007 pour que soit instituée une Commission de direction du Baccalauréat universitaire consacrée àce domaine d’études. Composée de re-présentants des facultés de Sciences économiques et sociales, de Lettres et deDroit, elle a été chargée de gérer « la coor-dination entre les Facultés partenaires et [de] veiller à l’élaboration des plans d’étu-des »1. Cette gestion a néanmoins étérendue di f f ic i le par l’augmentat ion constante du nombre de postulants associée à un cer ta in immobi l isme institutionnel : bien que l’on semble s’accorder sur la nécessité d’une réforme, il n’y a pas de consensus sur la forme et le contenu que devrait prendre ce cursus.

Préoccupée par cet état de fait, l’Associa-tion des Etudiant-e-s en Science Politi-que et Relations Internationales (AESPRI)a vou lu présenter son point de vueà ladite Commission. Mais pas unique-ment : L’AESPRI, en tant qu’associa-tion active et engagée pour les étudiant-e-s des deux facultés susmentionnées,a jugé nécessaire de demander à laCommission de lui accorder un siège, que ce soit en tant que membre à part entière ou comme simple observateur, ceci afin d’être informée des décisions prises ou mieux, de pouvoir exercerune influence sur ces dernières. En tant que principal relais informationnel entre les étudiant-e-s d’un côté, les profess-eurs, le personnel administratif et lerectorat de l’autre, et en tant que princi-pale caisse de résonance des requêtesestudiantines, i l semble naturel que nous puissions être au moins présents lors des débats, avoi r ne sera it-cequ’un rôle consultati f reconnu. Nous tenons au principe de part icipationet jugeons qu’i l est préférable pour faire évoluer le BARI que des repré-sent a nt s des ét ud ia nt-e -s fa s sent pa r t ie i nt ég ra nt e de ce proces susafin que les solutions adoptées reflètentau mieux les attentes des principauxintéressés.

Mue par ces considérations, et suite à de longues tractations avec des professeurs siégeant dans la Commission, notre as-sociation a donc réussi à obtenir « une di-zaine de minutes » pour présenter les criti-ques qu’elle jugeait importantes. Elle a pu également formuler des propositions vi-sant à améliorer la situation des étudiant-e-s. Finalement, c’est une demi-heure qui nous a été accordée. Parmi les points sou-levés par l’AESPRI à cette tribune, citons notamment: la possibilité du recours à des langues étrangères, pour les examens par exemple; une augmentation du nombre de séminaires, où les étudiant-e-s peu-vent s’exprimer, débattre et disposer d’un meilleur encadrement que dans les cours ex cathedra; la multiplication des tests en blanc pour aider les élèves à assimiler les quatre matières singulièrement différen-tes de la première année de leur BARI; la différence de pondération entre les quatre spécialisations a également été mise en discussion : il faut par exemple 86 crédits pour pouvoir se spécialiser en Droit, alors qu’en Science Politique, seuls 60 crédits sont exigés. La liste des remarques, cri-tiques et propositions était longue, trop longue pour être énoncée durant le laps de temps imparti. Mais l’important pour nous était de montrer notre volonté de dia-loguer et d’appuyer nos exigences. Chaleu-reusement remerciés par le corps professo-ral, c’est confiants que nous avons quitté la Commission, pensant avoir convaincu ceux qui y siégeaient de notre légitimité à être représentés; satisfaits d’avoir pu faire entendre la voix des étudiant-e-s.

Nous avons pêcher par optimisme : à tra-vers un mail, ladite Commission refusa d’accéder à notre requête. « Non », l’AES-PRI ne siègera pas dans le cénacle, que ce soit en tant que membre à part entière ou comme observateur. Trop d’arguments pèseraient en notre défaveur. Tout d’abord, il nous a été dit qu’il serait trop compliqué de changer les règlements du BARI, ceux-ci décrétant que cette Commission s’ap-parente à un collège professoral et qu’en conséquence elle ne peut pas accepter des membres ne venant pas de ce corps. Nous regrettons que le règlement représente un obstacle, et ne puisse être modifié pour permettre à l’AESPRI de siéger. Même si nous comprenons qu’une modification du

règlement est « compliquée », nous trouve-rions juste d’être admis, au moins de manière plus informelle. On nous a égale-ment fait savoir qu’étant déjà représentés au Conseil de l’Université, il n’était pas équitable vis-à-vis des autres associations d’avoir un siège au sein de ce « collège pro-fessoral ». Faut-il rappeler que ce Conseil ne compte 29 membres dont seulement 3 étudiant-e-s, qu’il est avant tout une as-semblée représentant l’ensemble des étu-diant-e-s et pas seulement ceux de Scien-ce Politique et Relations Internationales ? Le poids dérisoire qu’ont les étudiant-e-s de ces deux bachelors dans cet organe ne leur permet pas de faire entendre leurs cri-tiques, c’est évident.

La fin de non-recevoir que l’on nous a op-posée ne nous fera néanmoins pas aban-donner. Nous continuerons à entreprendre tout ce qui est en notre possible pour faire entendre la voix des étudiant-e-s, êtreinformés des décisions et informer, pour-suivre le dialogue. C’est dans la diver-gence et la contestation que la démocratie avance et a toujours avancé. En date du 11 décembre, l’AESPRI a envoyé une lettre à la Commission du BARI où sont référen-cées toutes les remarques sur le cursus en question et des propositions de solutions.

L’AESPRI

VIE UNIVERSITAIRE VIE UNIVERSITAIRE

26 27

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE BURRIN,DIRECTEUR DE L’IHEID Propos recueillis par Antoine Roth et Clément Bürge

Pourriez-vous pour commencer dres-ser un rapide bilan de la première an-née d’existence de l’Institut ? Quels points, positifs et négatifs, faut-il re-tenir ?

La fusion était effective en septembre2007, soit avec une avance de 3 ou 4 mois sur la date de naissance formelle de l’Ins-titut. Nous avons donc passé à présent le cap d’une première année que je consi-dère en gros comme une réussite attes-table par trois indices. Premièrement, le nombre de candidatures au nouvel Insti-tut a augmenté de 15 à 20% par rapport à l’addition des candidatures aux deux Instituts l’année précédente, ce qui nous avalu 300 nouveaux étudiants en sept-embre dernier. Deuxièmement, nous avons été rejoints par une demi-douzainede nouveau x professeurs dont plu-sieurs nommés par appel. Ces profes-seurs n’étaient pas à la recherche d’un emploi, ils ont décidé de rejoindre un Ins-titut en émergence. C’est un indice par-ticulièrement fort, car l’acceptation d’un poste dans un autre pays constitue un

changement existentiel, généralement pour toute une famille Le troisième critère positif est le soutien politique extrême-ment fort au projet du nouvel Institut de lapart du Canton et de la Ville (qui ne sontpas toujours d’accord) et de la Confédération.

Q ua nt au x é lément s a mé l io ra b le set à améliorer, les modes de fonctionne-ment différents des deux anciens Ins-t ituts ont créé des cu ltures acadé-miques d i f férentes, et le processus d’ajustement n’est pas terminé. Outre d’évidents ratés au niveau administra-tif, nous avons également un problème au niveau de l’immobilier. Nous sommesen effet en phase de démarrage pour const rui re d’ici 3 ans la Maison dela Paix qui accueil lera l’essentiel desactivités d’enseignement et de recherche de l’Institut, mais également une rési-dence d’étudiants, financée de manièreprivée. En attendant l’achèvement de ce grand projet immobilier, nous devons jon-gler entre plusieurs sites, ce qui est com-pliqué et peu confortable pour les étu-diants.

Quel programme de l’IHEID a eu le plus de succès auprès des étudiants en termes de candidature?

Nous avons eu cette année un peu moins de 1200 candidatures réparties pourmoitié entre les programmes interdis-ciplinaires – master en affaires interna-tionales, master et doctorat en études du développement – et les quatre mas-ters et doctorats disciplinaires – droit in-ternational, économie, science politique, histoire et politique. Cela nous donne des profils d’étudiant intéressants, les uns se dirigeant manifestement vers une car-rière professionnelle, et les autres consi-dérant leurs études de master commela préparation à un doctorat. Le pro-gramme ayant connu la plus forte aug-mentation de candidatures est le master en affaires internationales, les autres programmes ont plutôt stagné, voire un peu baissé pour ce qui est du master en développement et des masters discipli-naires, à l’exception du droit internatio-nal, qui connait une progression régulière chaque année.

1 http://www.unige.ch/bari/presentation/

1 doyens.html, consulté le 14 décembre

Page 15: International Ink n°5

Pour aborder le sujet des taux d’ad-mission, combien y a-t-il eu d’étu-diants de l’Université de Genève ad-mis à l’Institut?

De manière générale, le taux d’admission cette année a été de 25%. Pour les candi-dats provenant de l’Université de Genève (environ 90 étudiants), il a été de 29%. Il y a donc eu une probabilité plus grande d’être admis en venant de l’Université de Genève que du reste du monde. Outre les candidatures de Genève, nous avons reçu cette année plus de 200 candidatures venant d’institutions universitaires suis-ses. La grande majorité des candidats est donc venu du reste du monde, ce qui est conforme à la vocation internationale de l’Institut.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le processus de sélection des candidatures?

Le processus d’examen des dossiers est uniforme au niveau de l’Institut et repose sur l’évaluation des résultats universitai-res, des lettres de recommandation et de la lettre de motivation. Le taux de sélection peut, lui, varier d’un programme d’études à l’autre, chacun d’eux possédant sa com-mission de professeurs chargés de l’ad-mission, ce qui conduit à des différences claires dans la sélectivité, notamment en fonction de la qualité moyenne des can-didatures présentes dans une année don-née. C’est pour le master en affaires inter-nationales que la sélectivité a été la plus forte cette année.

Nombre de questions liées aux candida-tures estudiantines demeurent encore, notamment en ce qui concerne le bachelor en relations internationales qui attire un nombre toujours plus élevé d’étudiants…

Les étudiants du BARI sont les bienvenus et je suis persuadé qu’une fois passée la période de consolidation de cette filière elle vaudra à l’Institut des candidatures très intéressantes. Mais j’aimerais attirer l’attention des étudiants intéressés sur deux éléments, souvent sous-estimés, d’un dossier de candidature. D’abord, les lettres de recommandation jouent un rôle important. Lors de la sélection des candi-dats, il est clair qu’une lettre détaillée et motivée d’un professeur sur les capacités personnelles d’un étudiant aura un bien meilleur effet qu’une simple et courte note de recommandation « standard ». Je com-prends qu’avec un nombre élevé d’étu-diants, il puisse être difficile pour les pro-fesseurs de connaître personnellement les personnes pour lesquelles ils rédigent une

recommandation, mais les étudiants de-vraient s’assurer que les enseignants sont à même de le faire, par exemple sur la base d’un travail écrit fourni en cours d’année etc. Ensuite, la lettre de motivation est également d’une grande importance. A nouveau, une lettre bien argumentée et structurée aura plus d’impact qu’une let-tre courte, sans vraie personnalité.

Qu’avez-vous à dire sur l’augmenta-tion des taxes et le système de bour-ses, que vous aviez promis plus effi-cace?

Les bourses ne sont pas plus efficaces, elles sont devenues beaucoup plus nom-breuses. Lorsque j’ai pris la direction de l’ex-HEI il y a 4 ans, une quarantaine de bourses étaient distribuées ; de son côté,l’IUED en allouait une dizaine. Cette an-née, l’Institut en a distribué 180. L’aug-mentation des taxes – qui sert essentiel-lement à financer les bourses – n’est du coup pas un sujet de discussion au sein de l’Institut. Chacun peut voir que ces bour-ses donnent une chance supplémentaire à des étudiants peu favorisés, en particu-lier venant du Sud, de faire des études de qualité et que les taxes qui les financent ne représentent pas un handicap pour les étudiants venant de milieux favorisés. Par ailleurs, en tant qu’institution dont le corps estudiantin est à 70% non-résident, ce qui nous vaut la méfiance d’une droite nationaliste qui n’est de loin pas en recul, cette organisation des taxes et des bour-ses nous permet de défendre avec plus de force notre vocation qui est d’être une institution d’ouverture sur le monde et de solidarité internationale.

Que répondez-vous aux interroga-tions concernant l’orientation du nouvel Institut et ses relations avec l’Université?

Les relations avec l’Université ont été re-définies dans une convention signée en 2006 et sont aujourd’hui excellentes. Nos centres et programmes conjoints, comme l’Académie de droit international humani-taire et des droits de l’homme ou le MAS en règlement des différends, fonctionnent à la pleine satisfaction des deux parties. Ce partenariat avec l’Université est un axe essentiel pour nous et le demeurera, même le jour où nous serons, comme je l’espère, financé majoritairement par la Confédération. Ensemble, nous formons une communauté universitaire sur le ter-ritoire de ce canton et je suis convaincu que la combinaison de nos forces servira encore davantage à l’avenir le rayonne-ment de Genève.

VIE UNIVERSITAIRE VIE UNIVERSITAIRE

Cette dernière réponse, débordante d’op-timisme et de bonnes intentions, mérite d’être nuancée par un constat plus som-bre. En effet, le manque de coordination entre l’Université et l’Institut durant ce moment charnière qui a vu la création quasi simultanée du bachelor en relations internationales et de l’IHEID a amené la séparation brutale des deux volets d’une formation auparavant unifiée. Cela a semé la confusion parmi les principaux inté-ressés, à savoir les étudiants du BARI. Il s’agit maintenant de tirer, des deux côtés, les conséquences de cette séparation. Si l’Université a bien affirmé ce que le bache-lor en relations internationales est – une excellente formation interdisciplinaire s’ancrant de plain pied dans le processus de Bologne – elle a néanmoins omis de préciser ce qu’il n’est pas, ou plus. Car le BARI n’est ni une porte privilégiée vers l’IHEID ni une formation aux débouchés académiques assurés. Encore en pleine phase d’incubation et d’ajustement, le BARI exige des étudiants non seulement une flexibilité certaine, mais également des choix importants et complexes sur le contenu même de leur formation. Plus encore, les futurs détenteurs du BARI de-vront ensuite trouver leur voie parmi les multiples possibilités qui s’offrent à eux. Une diversité de débouchés énorme donc, mais qui exige en échange un fort inves-tissement personnel et de la détermination dans la conduite de sa formation. En ef-fet, le BARI mise sur la mobilité estudian-tine, ce que confirme une étude effectuée l’année dernière1. Or une telle démarche représente un travail astreignant et de lon-gue haleine.

I l en va de même pour les masters de l’IHEID, et l’on voit d’ailleurs que ceux-ci n’attirent pour le moment pas un nombre important de Genevois (90, toutes forma-tions confondues). Cependant l’accrois-sement rapide du nombre d’étudiants du BARI et de l’Université en général est voué à accroître le nombre de candidatures à l’IHEID. Face à l’augmentation de la de-mande, l’Institut devra peut-être assouplir sa politique d’admission pour répondreaux attentes des étudiants genevois. Se souviendra-t-on alors des liens et de l’ori-gine commune qui unissent l’Université etl’IHEID? Si ce dernier veut et doit être une porte ouverte de Genève sur le monde, il ne peut pour autant délaisser son assise au bout du Lac et le réseau académique

local. Le cosmopolitisme et l’internatio-nalisme sont des choix revendiqués et respectables, mais ils ne doivent pas se faire aux dépens du partenaire principal de l’Institut. Bien au contraire, l’Univer-sité peut profiter de cette ouverture et de la renommée apportée par l’IHEID pour développer ses relations académiques, at-tirer des enseignants de qualité et propo-ser des formations en accord avec le fort caractère international de Genève. Mais cela ne peut se faire sans une collabora-tion accrue entre les deux institutions, non seulement au niveau de la formation de 3e cycle (c’est-à-dire après obtention d’un master) mise en avant par M. Burrin, mais également dans un domaine qui tou-che de beaucoup plus près les étudiants, à savoir les 5 ans d’enseignement bachelor/master. C’est à ce niveau-là surtout qu’il s’agit de mieux coordonner l’action des deux institutions, en encourageant d’une part les échanges de professeurs et les partenariats tant pour la recherche que pour l’enseignement, et en créant d’autre part des programmes communs sur le mo-dèle du master en études asiatiques.

En effet, si l’Université ne peut venir concurrencer l’Institut sur son propre terrain en créant des cursus similaires à ceux offerts par ce dernier, elle dispose néanmoins de compétences propres, complémentaires à celles que l’on trouve à l’IHEID qui, de par sa nature même, cou-vre un champ académique spécifique et bien délimité. L’Unige, au contraire, puise sa force dans la diversité et la richesse des domaines d’études abordés. De nouvelles formations communes dans des domaines encore inexplorés – un master de politique internationale en matière de santé publi-que, par exemple, mettrait à profit la qua-lité reconnue de la formation médicale de notre Université – offriraient ainsi d’une part de nouveaux débouchés académi-ques genevois aux étudiants du BARI et permettraient d’autre part d’approfondirune coopération bénéfique aux deux par-ties. Mais cela nécessite de l’Université une volonté forte de mettre en valeur et de développer la filière internationale nouvel-lement créée. En affirmant sa volonté d’en faire un « pôle stratégique » de l’Unige, le rectorat s’est implicitement engagé à soutenir et à encourager sa croissance, engagement qui peine aujourd’hui à se concrétiser. Car il ne suffit pas de mettre en place une formation de qualité; il s’agit

ensuite de l’entretenir en lui accordant les fonds et l’attention nécessaire. Espérons que le bachelor en relations internationa-les ne deviendra pas un contre-exemple en la matière...

UNE COLLABORATIONNÉCESSAIRE Antoine Roth

28 29

1 Il ressort de cette étude que suivre une formation

de master dans une université étrangère est

l’option favorite pour plus d’un tiers des futurs

détenteurs du BARI, et pour plus de 80% d’entre

eux si l’on cumule leurs trois premiers choix.

L’étude en question, « Enquête (2007) auprès

des étudiantEs de deuxième année en bachelor

de science politique et en bachelor de relations

internationales », est disponible à l’adresse

http://www.unige.ch/ses/spo/Etudes.html

Page 16: International Ink n°5

Docteur InkÉDITORIAL (pages 4 à 5)

BARI, un ami qui vous veut du bien ?Chiffres concernant le nombre d’étudiants et l’argent

rapporté par les accords cités dans l’article trouvé

dans le rapport de gestion du BARI

DOSSIER (pages 6 à 19)

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SOURCES

BIBLIOGRAPHIES Selon rubriques correspondantes

30

REMPLISSAGE

31

Page 17: International Ink n°5

A VENDREEUPHORIE, bon état, car très peu utilisé, stockéà l’abri de l’humidité (garage).

M. Guh

Bon anniversairemon gros nougat !

Mme Levrat

GRANDE BRADERIE

syndicat d’étudiants,

suspension en bon

état, direction bloquée

sur la gauche.

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Petites annonces

Page 18: International Ink n°5

CENTRE D’ÉTUDES ASIATIQUES (IHEID) ET/OU ASSOCIATION GENÈVE-ASIE

• Mardi 24 février 2009 – lunch-conference à 12h00• HINDOUISM AND MODERN TREND• Avec Dr Satish JOSHI, President INDO Science, Art & Culture (INDOSAC), Zürich• Inscription auprès de [email protected].• Paiement (membres 55 CHF – non-membres : 60 CHF) sur place.• Lieu : Cercle de la Terrasse, 4 rue Gabriel Eynard, Genève• Org. : AGA

• Mardi 10 mars 2009 à 18h30 – conférence suivie d’un dîner• THAÏLANDE : blessures politiques au pays du sourire• Avec Richard WERLY, Journaliste à la Rubrique internationale au Journal Le Temps, Bruxelles• Lieu : IHEID, 132, rue de Lausanne, Genève – salle à confirmer• Org. : AGA et CEA

• Mardi 31 mars 2009 à 18h30 – conférence publique• L’OCCIDENT DE LA CHINE, Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001)• Avec Thierry KELLNER, Chercheur associé au Brussels Institute of Contemporary China Studies (BICCS)• et collaborateur scientifique associé à l’Institut de sociologie de l’Université Libre de Bruxelles• Lieu : Auditorium (AJF), IHEID, 132, rue de Lausanne, Genève• Org. : Centre d’études asiatiques et AGA

CYCLE DE CONFÉRENCES PHILOSOPHIQUES

Le cycle de manifestations proposé consiste en 7 samedis après-midis, de 14h à 17h. Les manifestations seront suivies d’un apéritif convivial qui permettra de s’entretenir de manière informelle et d’ainsi approfondir la discussion.

• 14 mars 2009• « La machine à expérience », la philosophie et le plaisir• de 14 à 17h, Uni-Mail, MS150• Fabrice TERONI et Julien DEONNA, MERs au Pôle de Recherches sur les Sciences Affectives

• 28 mars 2009• « Achille et la tortue », la philosophie par les paradoxes• de 14 à 17h, Uni-Mail, MS150• Pascal ENGEL, professeur ordinaire au Département de Philosophie, Julien DUTANT, assistant au Département de Philosophie

• 18 avril 2009• « Robinson Philosophe », le philosophe et la société• de 14 à 17h, Uni-Mail, MS160• Laurent CESALLI, collaborateur scientifique au département de philosophie et Curzio CHIESA, maître d’enseignement• et de recherche au département de philosophie

• 25 avril 2009• « Le cerveau dans une cuve », dogmatisme et scepticisme• de 14 à 17h, Uni-Mail,salle à déterminer• Fabrice CORREIA, professeur FNS au Département de Philosophie et Anne MEYLAN, assistante FNS au Département de Philosophie

• 9 mai 2009• « Jim et les Indiens » : « que devons-nous faire ? »• de 14 à 17h, Uni-Mail, MS150• Bernard BAERTSCHI, MER à l’Institut d’éthique biomédicale et Samia HURST, MER à l’Institut d’éthique biomédicale.

• 23 mai 2009• « La star du basket » : « qu’est-ce qu’une société juste ? »• de 14 à 17h, Uni-Mail, salle à déterminer• Francis CHENEVAL, chargé de cours à l’Institut Européen (Université de Genève) et Privatdozent für Politische Philosophie• à l’Université de Zurich et Nicolas TAVAGLIONE, chargé de cours suppléant au Département de Sciences Politiques.

Pour plus d’informations, consultez le site : http://www.philosophie.ch/index.php?id=101

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ÉVENEMENT

CONFÉRENCES DE FÉVRIER À MAI 2009

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