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Bion in Marrakech 2015 passe un week-end à Marseille. « Changement catastrophique ou peur de l’effondrement » Le colloque Bion 2015 : « Changement catastrophique ou peur de l’effondrement : une perspective clinique » s’est déroulé à Marseille du 26 février au 1er mars, coordonné par Monica Horovitz (SPP-SPI) et Ronny Jaffé (SPI). Cette rencontre a fait suite à celle organisée par Monica Horovitz et Larry Brown (USA) à Marrakech en 2013 : « Crainte et conflit dans la relation analytique : réflexions sur l’œuvre de Bion ». L’une et l’autre ont accueilli un nombre limité de participants (une soixantaine venue de différentes parties du monde) afin de favoriser un climat de travail actif permettant à chacun d’exprimer son point de vue, en français et en anglais, dans une spirale en évolution constante. La méthode de travail utilisée a été la suivante : 1)présentation d’un matériel exclusivement clinique par un intervenant, 2)bref commentaire théorico-clinique d’un discutant, 3)discussion du public, la plus large possible, sur le modèle de l’association libre susceptible d’ouvrir à de nouvelles pensées. Comme Dana Amir l’a si bien formulé dans sa conclusion « Establishments et concepts messianiques : le mot de la fin » : « la réunion à Marseille a été une belle illustration de cette exploration même à travers l’inconnu : qui permet d’être simultanément dans la durée et hors de la durée, dans un lieu et hors du lieu ; qui a permis un carrefour unique de langues, devenu un langage en soi ». Dans le dedans et le dehors des temps et des lieux, entre les césures que l’homme traverse continuellement, s’est déroulé le tapis de la narration « Prélude à la mémoire du futur » de Monica

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Bion in Marrakech 2015 passe un week-end à Marseille.

«   Changement catastrophique ou peur de l’effondrement   »

Le colloque Bion 2015 : « Changement catastrophique ou peur de l’effondrement : une perspective clinique » s’est déroulé à Marseille du 26 février au 1er mars, coordonné par Monica Horovitz (SPP-SPI) et Ronny Jaffé (SPI). Cette rencontre a fait suite à celle organisée par Monica Horovitz et Larry Brown (USA) à Marrakech en 2013 : « Crainte et conflit dans la relation analytique : réflexions sur l’œuvre de Bion ».

L’une et l’autre ont accueilli un nombre limité de participants (une soixantaine venue de différentes parties du monde) afin de favoriser un climat de travail actif permettant à chacun d’exprimer son point de vue, en français et en anglais, dans une spirale en évolution constante.

La méthode de travail utilisée a été la suivante :1) présentation d’un matériel exclusivement clinique par un intervenant,2) bref commentaire théorico-clinique d’un discutant,3) discussion du public, la plus large possible, sur le modèle de l’association libre

susceptible d’ouvrir à de nouvelles pensées.

Comme Dana Amir l’a si bien formulé dans sa conclusion « Establishments et concepts messianiques : le mot de la fin » : « la réunion à Marseille a été une belle illustration de cette exploration même à travers l’inconnu : qui permet d’être simultanément dans la durée et hors de la durée, dans un lieu et hors du lieu ; qui a permis un carrefour unique de langues, devenu un langage en soi ».

Dans le dedans et le dehors des temps et des lieux, entre les césures que l’homme traverse continuellement, s’est déroulé le tapis de la narration « Prélude à la mémoire du futur » de Monica Horovitz. Ce n’est donc pas une coïncidence si le lieu retenu pour notre colloque a été la ville de Marseille, porte de l'Orient donnant sur le Maghreb où se trouve Marrakech, point d'origine de ce dialogue franco-anglophone.

Les divers lieux marseillais où se sont tenus repas du soir et échanges amicaux semblaient également hors lieu et hors temps, offrant ainsi un sentiment de continuité et d’intimité. Cependant, cette dimension de rêve et d’inconnu -qui doit être expérimentée sans se prêter ni à des pseudo-mythes ni à des idéalisations-, nous a mis au contact de la dimension de la peur et de la tristesse inhérentes au changement catastrophique, thème abordé dans plusieurs présentations cliniques.

Le travail avec un patient présenté par Amira Yeret et le commentaire qu'en a donné Giuseppe Civitarese, nous ont permis de ressentir les deuils qui ont traversé le psychisme de l’analyste et de son analysant. Le thème du deuil de l’analyste n’avait pas été dévoilé dans la présentation du matériel clinique ; il se tapissait dans l’ombre, entre les lignes de l’écriture et des mots, mais les intuitions du discutant et les hypothèses du groupe sur les affects et les émotions du couple analytique ont permis à l’auteur d’évoquer devant le groupe un événement personnel qui s’y rattachait. Cette association a été possible grâce à une rencontre : la koinonia, autrement dit le partage de la douleur et de l’acte de foi, au sens où l’on croit en certaines intuitions et perceptions ; alors, comme le précise Claudio Neri, l’acte de foi jaillit en un instany et permet à tous - intervenante, discutant, participants - de lire le matériel sous différents angles. Le groupe s'est ainsi trouvé en mesure d’éprouver la souffrance sans avoir besoin de s’en défendre ni de l'évacuer.

A partir de cette présentation du fonctionnement du groupe, nous allons nous attacher aux trois autres présentations cliniques, de façon plus détaillée.A travers le cas de Pierre, Monica Horovitz illustre « la complexité des différentes transformations décrites par Bion », particulièrement « les transformations projectives », ainsi que l’a remarqué Alessandro Bruni, son discutant. Il s’agit d’un patient qui a du incorporer la conflictualité de ses parents lorsqu’ils vivaient autrefois dans un pays soumis à une dictature où le régime faisait régner la terreur et la violence. Sa mère était une très belle femme qui, pour sauver son mari de l’emprisonnement et de la mort, livra son corps à de nombreux hommes du régime. Ce choix, si chèrement payé, entraîna chez elle un grave état dépressif.

Cette dépression maternelle et le souvenir d’un père misogyne et rancunier s’installèrent silencieusement chez Pierre jusqu’à éclater de façon dramatique quand sa femme eut un cancer, ce qui provoqua chez lui des états de rage et de peur qu’il exprimait en disant qu'une fin terrifiante lui semblait préférable à une terreur sans fin. Se trouver en contact continu avec la maladie et la toux de sa femme lui était aussi insupportable que de relier la dépression de l'une au cancer de l'autre.

Le thème de la maladie envahit également la scène analytique quand Pierre accuse arbitrairement l’analyste de fumer et de se tuer ainsi à petit feu, comme s'il se sentait à la fois victime et témoin de trois femmes malades : sa mère, sa femme et l’analyste. Cette dernière ne se prête pas à ce pacte mortifère et relie, lors d’une séance, deux images apparues en rêve : la première est un tableau représentant douze hommes étranglés et la seconde une tête de femme. La liaison entre ces deux images évoque au patient une fellation et, surtout, celles que la bouche de sa mère avait du faire aux hommes du régime pour sauver son mari. Il s’agit là d’un tournant fondamental dans l’analyse, un changement catastrophique qui permet de revenir à l’origine du trauma et que A. Bruni commente ainsi : « L’origine du malheur devrait être retrouvée dans les catastrophes pré-œdipiennes et œdipiennes vécues avec ses parents et décongelées au cours de la relation analytique, jusqu’au résultat qui consiste à débusquer et à surmonter la violence générée par les sentiments transgénérationnels précipités dans son monde intérieur. »

La question des origines de la souffrance psychique apparaît également dans le travail brillant de René Roussillon que Dana Amir a commenté avec beaucoup d’attention et d’originalité.

R. Roussillon expose le cas d’un patient âgé qui a suivi des psychothérapies depuis plusieurs dizaines d’années sans aucun résultat ; sa vie psychique est toujours aussi entravée, congelée, lorsqu’il vient demander un traitement analytique. Il exerce un métier très particulier : inventeur spécialiste, dans le domaine technique, de systèmes de conjonction et de connexion. « Il a consacré sa vie - affirme Roussillon - à inventer des moyens de « faire tenir ensemble » des objets » : un système très sophistiqué sur le plan technique produisant des inventions qui « le protègent de tout lien mais se focalisent également sur le lien » (D. Amir). R. Roussillon présente quatre séances successives au cours de la même semaine, où apparaissent de nombreux rêves : il est intéressant de constater que leur fil conducteur est toujours la connexion d’éléments techniques en lien avec son corps et, plus précisément, avec les torsions de ses intestins pleins de gaz, de mauvaises odeurs, d’obstructions, d’évacuations qui lui rappellent lui-même petit, quand il était un enfant souvent laissé dans son caca. L’analyste a, de façon surprenante, restitué au patient, et au groupe, un langage sensoriel entrelacé de scènes où il mimait le patient et pouvait ainsi en incarner les mots dans son corps : l’espace de pensée de l’analyste accompagné de cette qualité de contact à travers le langage sensoriel a permis de décongeler les zones du patient restées paralysées malgré les nombreuses thérapies antérieures. Puis, comme dans un roman policier, R. Roussillon nous a conduits à l’origine de cette paralysie mentale dans laquelle le patient peut, certes, se faire inventeur mais en restant incapable, comme l’a relevé D. Amir, de soumettre ses inventions à d’autres. Il demeure ainsi dans le champ de l’illusion narcissique et ses inventions restent lettre morte. Il apparaît peu à peu qu’il a toujours évité les relations : enfant, il s’est senti négligé par une mère déprimée et asthmatique qui le laissait dans son caca sans le nettoyer, et pas seulement métaphoriquement. Quant à son père, il s’en souvient comme d’un homme qui s’occupait plus de ses frères que de lui et il ne peut le garder dans son esprit que comme « planqué et conservé comme des anchois dans une boîte », selon l’image apparue dans un de ses rêves. Tout au long de sa vie, puisque « on ne répondait pas à ses pulsions », le patient a fait comme s'il « valait mieux éviter d’en créer en se limitant à recycler les existantes » (D. Amir) et il semblerait que ce blocage et cette paralysie aient eu des répercussions somatiques gastro-intestinales.

Le matériel clinique présenté par Alberto Eiguer fait référence à la fonction analytique conçue comme la fonction symbolique détoxiquante de la mère. Nous voyons ici l’analyste doté d’une capacité négative qui lui permet de travailler « à la limite du soutenable - à la frontière entre la mise en acte et la symbolisation » (Nicola Abel-Hirsch). En effet, l’analyste recueille deux révélations de sa jeune patiente qui marquent un changement douloureux et catastrophique dans le psychisme de l'analyste ainsi qu’un réaménagement contre-transférentiel complexe. Il nous dira qu’il a dû radicalement remettre en cause ce qu’il pensait de sa patiente.

Celle-ci semblait avoir entrepris une analyse pour des problèmes concernant la sexualité où apparaissaient des confusions identitaires ainsi que des éléments pervers polymorphes et indifférenciés, déterminés en partie par un contexte familial difficile marqué par la promiscuité. La patiente avait d’ailleurs vécu une tentative d’abus. Naturellement, ces éléments sont apparus dans le transfert et ont été traités en tant que tels par l’analyste.

1. La patiente, qui fait usage de drogues et d’alcool, lui révèle un jour le fait suivant : « Je vous ai payé avec de l’argent de la drogue », alors qu’elle avait précédemment indiqué qu’elle avait un travail « qui lui permettait de gagner correctement sa vie ». Ceci suscite chez l’analyste un sentiment de colère mais surtout, dira-t-il au groupe : « je me suis senti trompé et complice malgré moi. Ceci me faisant sortir de ma fonction et de l’éthique de la psychanalyse. »

2. La patiente avouera ensuite un vol mais, surtout, elle révèlera qu’elle s’est adressée à lui avant le jugement parce que le fait d’être en analyse serait le gage qu’elle se soignait et qu’elle avait donc conscience de ses problèmes : « Ça compte dans un procès », dit-elle. S’adressant au groupe, A. Eiguer précisera : « Elle a voulu m’utiliser à mon insu ».

Ces deux épisodes ont confronté l’analyste à des réactions d’étonnement, de dépaysement, de malaise. Il nous semble qu’il a fait face à un changement catastrophique qui ne l’a toutefois pas conduit à réagir sur un mode moralisateur, ce qu’il avait été tenté de faire, mais à tenter d’apprendre et de comprendre les revirements de sa patiente.

En guise de conclusion, l’ensemble de ces cas a conduit le groupe, à travers ses porte-paroles (les quatre rapporteurs et les discutants), à vivre une expérience émotionnelle intense qui a parcouru les champs de la sexualité, de la corporéité, de la maladie et des angoisses de mort. Dans ce contexte, les moments de distraction et de plaisir ont été particulièrement bienvenus, dans les méandres et les espaces inconnus d’une ville aussi mystérieuse que Marseille, avec ses brumes, ses vents, ses clairs-obscurs et ses turbulences climatiques.

Monica Horovitz, Ronny Jaffè

From left to right: Annie Triniac Thierry Bokanowski Alberto Konichekickis Sergio Lewkowicz Adolfo Bronstein Alicia Lewkowicz Catalina Bronstein in piedi Ronny Jaffe Moni

Martine Estrade M Horovitz Mr Fançois Levy Ronny Jaffé Mme Levy Mr et Mme Rene Roussillon Alexandre Roussillon