iii. l'opposition entre la chair et l'esprit en galates...

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-Exégèse du Nouveau Testament--------- Un verset difficile, qui torture les commentateurs ou que les commentateurs torturent... Et voici qu'une hypothèse simple dissipe la difficulté; qu'elle invoque, en outre, l'appui du contexte! C'est l'oeuf de Christophe Colomb! C'est en tout cas une hypothèse qui mérite examen. Sylvain ROMEROWSKI nous la propose; il enseigne à l'Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, après avoir étudié la théologie à Philadelphie et la linguistique à l'Université Paris III. L'opposition entre la chair et l'Esprit en Galates 5.17. par Sylvain ROMEROWSKI C ar la chair a des désirs contraires à ceux de l'Esprit, et l'Esprit en a de contraires à ceux de la chair; ils sont opposés l'un à l'autre, afin que vous ne fassiez pas ce que vous voudriez. On considère couramment que, dans ce texte, l'apôtre Paul présente l'être intérieur du chrétien comme un champ de bataille où s'affronteraient deux forces opposées, la « chair» et l'Esprit. Pour certains, l'opposition entre la « chair» et l'Esprit serait une autre manière de dire l'opposition entre notre ancienne nature et notre nouvelle nature, née de l'Esprit et animée par l'Esprit, Dans une forme plus nuancée de cette interprétation, Paul parlerait de l'opposi- tion entre ce que Calvin appelait « les résidus» (les restes) de notre ancienne nature et le Saint-Esprit. La Bible en français courant reflète ce genre d'inter- prétation dans sa traduction : « Car notre propre nature a des désirs con- traires à ceux de l'Esprit... », L'interprétation qui voit dans notre texte une allusion au conflit entre l'ancienne et la nouvelle natures du chrétien soulève d'abord une objection d'ordre psychologique. Employer un tel --14 Foc.Réflexion na 33

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-Exégèse du Nouveau Testament---------

Un verset difficile,qui torture les commentateurs ou que les commentateurs torturent...

Et voici qu'une hypothèse simple dissipe la difficulté;qu'elle invoque, en outre, l'appui du contexte!

C'est l'œuf de Christophe Colomb!

C'est en tout cas une hypothèse qui mérite examen.Sylvain ROMEROWSKI nous la propose;

il enseigne à l'Institut Biblique de Nogent-sur-Marne,après avoir étudié la théologie à Philadelphie

et la linguistique à l'Université Paris III.

L'opposition entre la chair etl'Esprit en Galates 5.17.

par Sylvain ROMEROWSKI

Car la chair a des désirs contraires àceux de l'Esprit, et l'Esprit en a decontraires à ceux de la chair; ils sont

opposés l'un à l'autre, afin que vous nefassiez pas ce que vous voudriez.

On considère couramment que, dansce texte, l'apôtre Paul présente l'êtreintérieur du chrétien comme un champde bataille où s'affronteraient deuxforces opposées, la « chair» et l'Esprit.

Pour certains, l'opposition entre la« chair» et l'Esprit serait une autremanière de dire l'opposition entre notreancienne nature et notre nouvelle nature,

née de l'Esprit et animée par l'Esprit,Dans une forme plus nuancée de cetteinterprétation, Paul parlerait de l'opposi­tion entre ce que Calvin appelait « lesrésidus» (les restes) de notre anciennenature et le Saint-Esprit. La Bible enfrançais courant reflète ce genre d'inter­prétation dans sa traduction : « Carnotre propre nature a des désirs con­traires à ceux de l'Esprit... »,

L'interprétation qui voit dans notretexte une allusion au conflit entrel'ancienne et la nouvelle natures duchrétien soulève d'abord une objectiond'ordre psychologique. Employer un tel

--14 Foc.Réflexion na 33

----------Exégèse du Nouveau Testament-

langage revient en effet à dire que lechrétien aurait deux « moi », l'un portévers le mal et l'autre vers le bien. Or jen'ai aucunement conscience de la pré­sence en mon être de deux « moi ».C'est le même « moi» qui fait le mal ous'efforce de plaire à Dieu.

O.T. Allis a bien exprimé quels pro­blèmes cause cette conception desdeux natures, qu'il trouvait dans lesnotes de la Bible Scofield :

Affirmer sans autre une distinction trèstranchée entre le " vieil homme" et" l'homme nouveau" revient à dire quele chrétien a une double personnalité. Il aune ancienne nature, le vieil homme, quine peut que pécher, et une nouvellenature, l'homme nouveau, qui ne peutpas pécher. Dans sa note sur Ep 4.24,Scofield nous dit que" l'homme nou­veau est l'homme régénéré, qui diffèredu vieil homme ", et qu'" il ne s'agit enaucun cas du vieil homme restauré ouamélioré ". C'est là une manière erronéeet dangereuse de présenter une véritéprécieuse. L'homme nouveau n'est pasle vieil homme amélioré. Il est le vieilhomme re-fait. Le chrétien est" renou­velé dans tout son être selon l'image deDieu ". Ce renouvellement, ce change­ment graduel du vieil homme enl'homme nouveau, c'est la sanctificationprogressive, qui est l'œuvre du Saint­Esprit. Alors que l'homme nouveaus'affermit, le vieil homme s'affaiblit. CarPaul ne parle pas, à proprement parler,de deux natures distinctes, mais dedeux conditions distinctes d'une seule et

même nature. S'il n'en était pas ainsi, ladistinction entre le vieil homme etl'homme nouveau reviendrait à dire pra­tiquement que Saül le pharisien et Paull'apôtre étaient deux personnes dis­tinctes, et que Christ n'a pas sauvé Saülmais qu'il a substitué Paul à Saül en lais­sant Saül (la vieille nature) périr dans soniniquité. Mais Paul avait la conscienced'être le Saül qui avait persécuté l'Eglise,celui que Christ avait rencontré et dontil avait triomphé sur le chemin deDamas. Et tout chrétien, y compris leplus avancé en sainteté, sait qu'il est lepécheur perdu que Jésus a cherché etsauvé (1).

Une autre objection, d'ordre théolo­gique cette fois, s'oppose aussi à cettelecture: quelques versets plus loin, Paulaffirme: Ceux qui sont au Christ Jésusont crucifié la chair avec ses passions etses désirs (v. 24). Si notre vieille nature aété crucifiée, comment peut-elle s'oppo­ser à l'Esprit?

Dans sa forme plus nuancée, l'inter­prétation évite l'objection psycholo­gique. On ne considère plus que le chré­tien aurait deux natures, mais qu'il estl'homme nouveau en devenir et qu'ilsubsiste en lui quelque chose du vieilhomme. La crucifixion de la « chair » aeu lieu, à partir de la régénération, maiselle n'est pas encore pleinement ache­vée et il reste en lui quelque chose de la

(1) O,T. Allis, Prophecy and the Church (Philadel­phia : Presbyterian and Reformed Pub, Co.,1945), p. 43s.

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« chair ". Ce sont ces restes de la« chair", les restes de ce qu'il était avantsa conversion, qui s'opposeraient, en lui,à l'Esprit.

Cette conception est saine et biblique.Mais l'interprétation ainsi offerte pournotre texte est-elle adéquate? Evite-t­elle l'objection théologique? Bien sûr, onpourra dire qu'au verset 24, la crucifixionde la « chair" n'est que partielle, ouencore que l'apôtre veut simplement direque le chrétien a dit non à la « chair" etaux passions et désirs qu'elle engendred'une manière qui engage définitivementtoute sa vie. N'empêche que si Paulparle d'un conflit intérieur au croyantdans le verset 17, la « chair" et l'Espritapparaissent comme deux adversairesjouant un rôle à part égale en lui, alorsqu'au verset 24, il est déclaré de manièreforte que la « chair" ne tient de loin pasdans sa vie une place semblable à cellede l'Esprit. Une difficulté demeure donc.

Si Paul parle d'un conflit inté­rieur au croyant dans le ver­set 17, la « chair» et l'Espritapparaissent comme deuxadversaires jouant un rôle àpart égale en lui.

Un troisième problème, d'ordre exé­gétique, n'est généralement pas résolude manière satisfaisante par les tenantsde l'interprétation courante. Si Paul parled'un conflit intérieur au chrétien, si la« chair" désigne notre ancienne natureou ses restes, on voit mal ce que veut

dire la fin du verset: afin que vous nefassiez pas ce que vous voudriez. Dequelle volonté est-il ici question?

Certains ont pensé qu'il s'agissait dela volonté « charnelle » (ainsi Chryso­stome et Théodoret (2

)), d'autres de lavolonté de faire le bien, comme enRm 7.14ss (ainsi Calvin, Lightfoot,J.H. Marshall (3)). Pour Burton, la fin duverset signifierait que « la chair s'opposeà l'Esprit afin que les hommes ne fas­sent pas ce qu'il veulent en accord avecla pensée de l'Esprit, et l'Esprit s'opposeà la chair afin qu'ils ne fassent pas cequ'ils veulent selon la chair (4

) ».

Les deux premières options rompent lasymétrie formelle qui structure les deuxpremières propositions du verset. Cebalancement dans les deux premièrespropositions indique que l'apôtre veutsouligner le caractère réciproque del'antagonisme entre la « chair» et l'Esprit.Il est donc arbitraire et mal venu deprendre la fin du verset comme se réfé­rant, soit à la volonté charnelle, soit à lavolonté de bien faire.

(2) D'après Charles J, Ellicot, A Critical and Gram­matical Commentary on St. Paul's Epistle ta theGa/at/ans (Andover : Warren F. Draper, 1902).p. 131.

(~J.B, Lightfoot, The Epistle ofSt. Paulto the Ga/a­tians (Grand Rapids: sans date). p, 209 etI,H, Marshall, " Preparation for Exposition:Gal 5.16-20 ", IS,F. Bulletin 70 (1974), p, 9,

(4) Ernest De Witt Burton, A Critical and ExegeticalCommentary on the Epistle ta the Ga/atians(Edinburgh : 1. & 1. Clark, 1977), p, 302. Dernêrne John Eadie, Commentary on the Epistleof Paul ta the Ga/atians, Edinburgh, 1. &1. Clark,1884, p. 411.

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Fung oppose encore à la premièreoption qu'elle ne s'accorde pas bienavec la présence de la particule adver­sative dé (<< mais ») au verset 18 : ellesuggère en effet que la victoire n'estobtenue que lorsque le croyant est réel­lement conduit par l'Esprit l51 , doncquand sa volonté n'est pas celle de la« chair ».

La troisième option présente l'avan­tage de respecter la symétrie. Mais, il estdouteux que l'expression « ce que vousvoudriez» se réfère à la fois aux bons etaux mauvais désirs de la personne enqui la « chair» et l'Esprit seraient opé­rants (ainsi Marshall 16l).

En outre, avec Fung, nous trouvonsdifficile de considérer la « chair» etl'Esprit comme le sujet commun, réali­sant tous deux ensemble le but expriméà la fin du verset, ou de considérercomme étant le but un état d'oppositioncontinuelle 171.

Fung propose un autre type de solu­tion. Il prend la dernière proposition duverset comme l'expression d'un résultatou d'une conséquence, et non pas d'unbut : en sorte que vous ne fassiez pas...

(5) R.Y.K. Fung, « The Impotence of the Law:Toward a Fresh Understanding of Romans 7:14­25 ", Scripture, Tradition and Interpretation(W,w, Gasque ed., Grand Rapids: Eerdmans,1978), p. 37.

(6)« Impotence of the Law", p. 9, Commentary,p.251.

(7) « Impotence of the Law", p. 36, et The Epistle tothe Galatians (NICNT), (Grand Rapids: Eerd­mans, 1988), p. 250.

L'idée serait alors que « dans la lutteentre la chair et l'Esprit, la neutralité estimpossible(8

) ». Fung considère lui aussique la « chair » désigne la nature péche­resse du croyant. Mais si on adoptecette ligne d'interprétation de la fin duverset, une autre lecture des deux pre­mières propositions convient mieux.

A notre sens, Paul ne parle pas d'unconflit intérieur au chrétien, mais iloppose deux modes d'existence et devie. La « chair» n'est pas notre anciennenature, ou ses restes; le terme sert àdésigner la condition de l'homme qui n'apas l'Esprit et qui se trouve donc livré àses propres ressources et capacités.C'est la condition de l'incroyant, celledans laquelle nous nous trouvions avantnotre conversion. L'Esprit est l'Esprit deDieu qui anime le croyant, lui commu­nique une vie nouvelle (v. 24) et donne àtout son être, en particulier à ses désirs,une nouvelle orientation, conforme auxdésirs de l'Esprit.

Paul oppose deux modesd'existence et de vie. La« chair » n'est pas notreancienne nature, ou sesrestes j le terme sert à dési­gner la condition de l'hommequi n'a pas l'Esprit.

Les désirs de la « chair» sont doncceux que produit l'homme dans sacondition naturelle, tant qu'il n'a pas

(8) Op. cit., p. 37.

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l'Esprit. Paul affirme qu'ils se trouvent enopposition radicale aux désirs du Saint­Esprit, que celui-ci communique à ceuxqui ont l'Esprit.

Ainsi, les deux premières propositionsde Ga 5.17 ne décrivent pas un combatdont le croyant serait le théâtre, ellesexpriment simplement des affirmationsgénérales concernant la « chair» etl'Esprit; elles soulignent l'incompatibilitéentre deux conditions et deux modes devie.

Kümmel nous paraît indiquer dansquel sens il faut chercher à comprendrele texte:

La phrase en 5. 17 veut seulement direque l'homme est dominé, soit par lachair, soit par l'Esprit... Le sens deGa 5.17 n'est donc pas que le chrétienassiste impuissant à la lutte entre la chairet l'Esprit, mais qu'il doit servir soit lachair soit l'Esprit l91 •

Pour reprendre en les adaptant lestermes de Fung, nous dirons que la findu verset a pour fonction de soulignerque, vu l'opposition entre la « chair» etl'Esprit, la neutralité est impossible. Vousne pouvez pas faire ce que vous vou-

[9)« Der Satz 5:17 will also nur sagen, dass derMensch von sarx oder pneûma beherrschtwird ... Der Sinn von Gal 5: 17 ist also nicht, dassdie Christen ohnmachtig dem Kampf von sarxund pneûma zuschauen, sondern dass sie ent­weder der sarx oder dem pneûma dienen müs­sen. " w'G. Kümmel, Ramer 7 und die Bekeh­rung des Paulus (Leipzig: J.C. Heinrichs, 1929),p.106.

driez signifie: vous ne pouvez pas vivretantôt Par l'Esprit, tantôt selon la« chair », ou un peu par l'Esprit et un peuselon la « chair ». C'est l'un ou l'autre, ilfaut choisir! On ne peut pas à la fois êtreun chrétien, un homme qui a l'Esprit, eten même temps vivre comme quelqu'unqui est « dans la chair », qui n'a pasl'Esprit, comme un non chrétien.

Dans le contexte, Paul aborde le sujetde la liberté chrétienne. Il a défenducette liberté contre les judaïsants quivoulaient imposer aux croyants d'originepaïenne d'observer les prescriptionsrituelles de la loi mosaïque (5.1). Mais ilfaut maintenant se garder d'une com­préhension libertine ou antinomienne decette affirmation de la liberté chrétienne.L'apôtre écrit donc qu'il ne faut pas,sous prétexte de liberté, vivre selon la« chair » (v. 13), c'est-à-dire comme unincroyant. Car qu'est la liberté? Ce n'estpas la liberté de faire ce qui nous passepar la tête. Il ne peut en être ainsi. Eneffet, comme il ya une opposition radi­cale entre les désirs de la " chair », dunon-chrétien, et ceux de l'Esprit quianime le chrétien, nous sommes soitd'un côté soit de l'autre (v. 17). En fait,si nous vivons selon la" chair », commedes incroyants, nous serons esclaves dupéché et nous perdrons notre liberté (cf.Rm 6.16). La véritable liberté, c'estd'être du côté de l'Esprit, de façon à nepas accomplir les désirs de la " chair»(v. 16).

Les listes de vices et de vertus qui sui­vent, « les œuvres de la chair» et le " fruit

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de l'Esprit », servent ensuite à illustrerl'opposition radicale entre la « chair » etl'Esprit qui vient d'être affirmée. Puis Pauldéclare que ceux qui sont au Christ­Jésus ont crucifié la chair avec ses pas­sions et ses désirs (v. 24). C'est là unemanière de dire de quel côté se trouve lechrétien. Il a reçu une vie nouvelle parl'Esprit (v. 25a). Il doit donc marcherselon l'Esprit, c'est-à-dire se comporteret vivre d'une manière qui s'accordeavec l'œuvre de l'Esprit en lui, et nonplus vivre comme avant sa conversion.

Pour Paul, v;vre dans la« chair » équIvaut dans cetexte à se remettre sous la loi.L'oppositIon entre la « chair»et l'EsprIt est liée à l'opposi­tion entre la loitet la toi.

Un élément du verset 18 confirmeencore notre lecture. Paul y oppose lavie conduite par l'Esprit à l'appartenanceau régime de la loi : Si vous êtesconduits par l'Esprit, vous n'êtes passous la loi. Cette nouvelle oppositioncorrespond à l'opposition entre la« chair » et l'Esprit. En effet, au verset16, l'apôtre avait écrit: Marchez selonl'Esprit et vous n'accomplirez pas lesdésirs de la chair. La loi occupe au ver­set 18 un rôle semblable à celui de la« chair» au verset 16. Ce lien entre la loiet la « chair » s'opposant tous deux àl'Esprit se retrouve dans les deux autrestextes de l'épître aux Galates où l'apôtreoppose la « chair » et l'Esprit, ainsi qu'en

un texte de l'épître aux Romains. Or,dans aucun de ces textes, la « chair» nedésigne les restes de l'ancienne natureen lutte contre l'Esprit dans l'être ducroyant. Bien plutôt, la « chair» est miselà pour la condition de l'homme sansl'Esprit, la condition qui était la nôtreavant notre conversion.

Au chapitre 3 tout d'abord, Paul rap­pelle aux Galates qu'ils ont commencéleur vie chrétienne par l'Esprit et qu'ilsont reçu l'Esprit, non pas en vertu deleur obéissance à la loi mais par la foi(v. 2-3). Et il leur demande si, après cela,ils veulent finir par la chair. Ce qui est encause là, ce sont les prescriptionsrituelles de la loi mosaïque. Ainsi, pourPaul, vivre dans la « chair » équivautdans ce texte à se remettre sous la loi.L'opposition entre la « chair » et l'Espritest pour Paul liée à l'opposition entre,respectivement, la loi et la foi.

Puis au chapitre 4, Paul met en oppo­sition Ismaël, engendré selon la chair, etIsaac, engendré selon l'Esprit (v. 28-31).Dans le contexte, Ismaël représente lesJuifs incrédules, toujours esclaves sousle régime de la loi, et Isaac représenteles croyants, Juifs ou non-Juifs, libérésde cet esclavage. Là encore, « selon lachair» s'applique à ceux qui sont sousla loi. Le thème de la liberté des enfantsengendrés par l'Esprit prépare le cha­pitre 5. Et dans ce chapitre, le verset 18reprend l'opposition entre la loi etl'Esprit. Tout ceci montre qu'en 5.13-18Paul poursuit la pensée du chapitre 4.Autrement dit, dans ce texte aussi, la

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« chair" doit être la caractéristique deceux qui sont sous la loi, c'est-à-diredes incroyants (au moins ceux qui sontIsraélites).

Un troisième texte établit et éclaire larelation entre la « chair" et la loi, celui deRm 7.5-6. Paul y déclare que nous étionsdans la « chair", mais que nous sommesmorts à la loi et qu'ainsi dégagés de la loi,nous servons sous le régime nouveau del'Esprit. Par conséquent là encore, êtredans la « chair" c'est être sous la loi, unecondition qui s'oppose à celle que nousavons par l'Esprit.

Deux choses méritent d'être souli­gnées ici. Paul écrit: lorsque nous étionsdans la chair (v. 5). Pour l'apôtre lacondition « dans la chair" est celle quenous connaissions avant notre conver­sion ; ce n'est plus la nôtre actuellement(de même que nous ne sommes plussous la loi, évidemment). Ceci confirmeque la « chair ", en notre texte, n'est pasnotre ancienne nature ou ses restes quisubsistent en nous après notre conver­sion, mais que Paul utilise ce terme pourévoquer la situation de l'inconverti.

Le deuxième point, c'est que, aussiparadoxal que cela puisse sembler, la lois'allie à la « chair" pour produire lepéché et nous condamner (v. 5). Il fautbien saisir que le régime de la loi se défi­nit par deux caractéristiques: l'obliga­tion pour ceux qui sont sous la loid'obéir à la loi, faute de quoi ils se trou­vent sous le coup d'une condamnationà mort, et le fait que l'homme sous la loi

est livré à ses propres ressources etcapacités pour produire cette obéis­sance. L'expression « dans la chair" sertprécisément à désigner la condition del'homme livré à ses propres ressources,par opposition à celle de l'homme ayantl'Esprit. C'est pourquoi être sous la loi,c'est être « dans la chair ".

Or depuis que le péché est entré dansle monde et a atteint l'être de touthomme, l'homme livré à ses propres res­sources est incapable de remplir sesobligations; il transgresse la loi et setrouve condamné. Par conséquent, sousla loi, dans la « chair ", on ne produit quede mauvais fruits qui entraînent la mort.

Revenant à notre texte, nous saisis­sons maintenant toute la portée du ver­set 18. En se faisant circoncire, et peut­être aussi en se pliant à d'autres ritesmosaïques, comme les judaïsants lesincitaient à le faire, les croyants de Gala­tie allaient se remettre sous le régime dela loi. Paul semble en effet considérerque les prescriptions rituelles de la loimosaïque font partie intégrante durégime de la loi tel que nous l'avonsdéfini, qu'elles en sont indissociables, desorte que se les imposer, c'est seremettre sous le régime de la loi (voirGa 3.10) (101. Or se remettre sous ce

(10, C'est ce qui explique que, pour lutter contre lesjudaïsants, Paul proclame l'Evangile de la justifi­cation par la foi. Le principe de la justification parla foi est contraire au régime de la loi (Ga 3.12 ;Rm 10.5-11). Si l'on est justifié par la foi, onn'est donc plus sous ce régime et, par consé­quent, on n'est plus lié aux prescriptions rituellesqui en font partie.

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régime ne servira à rien pour plaire àDieu, au contraire. Si on se remet sousle régime de la loi, on se retrouvera dansla « chair» et l'on produira les œuvres dela « chair ». La seule manière de l'éviterest de marcher par l'Esprit, en demeu­rant sous le régime de l'Esprit. Maisalors on ne se trouve plus sous le régimede la loi et il n'y a pas lieu d'observer lesprescriptions rituelles de celle-ci.

Compris comme nous l'avons fait, letexte de Ga 5.13ss s'insère bien dans lapolémique contre les Judaïsants ets'accorde avec la nécessité de ne pasdonner prise à une compréhension liber­tine ou antinomienne de la théologiepaulinienne.

Peut-on alors le traduire dans un fran­çais intelligible, en tenant compte del'interprétation proposée? Bien quel'opération s'annonce périlleuse, nousfaisons ici une tentative :

Car l'homme livré à lui-même a desdésirs contraires à ceux de l'Esprit, etl'Esprit en a de contraires à ceux del'homme livré à lui-même .. ils sont oppo­sés l'un à l'autre, en sorte que vous nepouvez pas faire ce que vous voulez.

Cette étude ne serait pas complètesans aborder le texte parallèle deRm 8.5-8. Là encore, on a souventcompris la « chair» comme étant notreancienne nature, ou ses restes, s'oppo­sant en nous à l'action de l'Esprit.

Ce texte a même été vu comme unerecette pour la sanctification. En effet, on

en tire parfois l'idée que, notre anciennenature étant radicalement corrompue,nous ne devons pas essayer de plaire àDieu « par nos propres forces » maisbien plutôt laisser l'Esprit agir en nous etfaire les choses lui-même. Faut-il le dire,cette manière de présenter les chosesest en contradiction avec l'Ecriture quinous exhorte, entre autres, à faire tousnos efforts en vue de la sanctification(2 Pi 1.5 ; pour l'apôtre, nos efforts nesont pas à opposer à l'œuvre de Dieu ennous, au contraire, ils en découlent, v. 3et cf. Phil 2.12-13).

En Rm 8, tout comme en Ga 5, nouscroyons que la « chair » désigne lacondition de l'homme sans l'Esprit,donc celle de l'homme irrégénéré. Il fautbien voir que dans cette section del'épître, Paul s'emploie à répondre àl'objection selon laquelle sa théologie dela grâce, et en particulier de la justifica­tion par la foi, conduirait les chrétiens àprendre la liberté de pécher allègrement(5.21-6.1 ; 6.15).

PIJul .'emplole • répondre j"objection .elon laquelle sathéologie conduirait les chré·tiens. pécher all.grement.

Au chapitre 7, Paul a évoqué notremort à la loi (v. 1-6). Ceci l'amène àouvrir deux parenthèses pour expliquercertaines de ses affirmations (7.7-12 et7.13-25). Puis au chapitre 8, il énonce laconclusion de ce qu'il a dit sur la mort àla loi : il n 'y a donc maintenant aucune

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condamnation pour ceux qui sont enJésus-Christ (v. 1). On pourrait ici encoreen déduire que celui qui est en Christpeut se permettre de s'adonner aupéché sans crainte d'être condamnépour cela.

Les versets 5 à 9 ont pour but d'écar­ter cette déduction. L'argumentation estla suivante. C'est en Christ que l'on n'estpas condamné (v. 1). Or, si l'on est enChrist, on a le Saint-Esprit, car celui quin'a pas l'Esprit de Christ ne lui appartientpas (v. 9). Et si l'on a l'Esprit de Christ,on vit selon l'orientation que l'Espritcommunique. Cette orientation est radi­calement opposée à celle de la « chair»,c'est-à-dire celle du non-chrétien (v. 5-8).Par conséquent le chrétien ne peut pasvivre comme un non-chrétien.

L'opposition entre la « chair» et l'Esprit(v. 5-8) sert ici aussi à mettre les lecteursen face de leurs responsabilités en lesplaçant devant un choix. La « chair» etl'Esprit sont en opposition radicale, sibien qu'il faut choisir entre les deux. Oubien nous vivons selon la chair, à lamanière des non-chrétiens, et cela

indique que nous n'avons pas l'Esprit;par conséquent nous ne sommes pasen Christ et l'affirmation du verset 1 nevaut pas pour nous. Ou bien noussommes en Christ, nous avons l'Esprit,et nous ne pouvons alors pas vivre selonla chair, c'est-à-dire comme des non­chrétiens.

Au verset 9, comme il l'avait fait enGa 5.24, Paul indique de quel côté setrouvent en fait ses lecteurs: Pour vous,vous n'êtes plus dans la chair (on noteraune fois de plus que la condition « dansla chair JJ est une condition que lecroyant a abandonnée). Il n'est doncpas question pour eux de vivre commedes non-chrétiens ou de continuer àvivre comme avant leur conversion.

Faisons donc tous nos efforts dans cesens. Dieu est fidèle et c'est lui qui noussanctifiera (11

) ! •S.R.

(11) Pour une position qui se rapproche de la nôtre,voir encore Walter Bo Russel, III, " Ooes theChristian have 'fiesh' in 8aI5:13-267 ", Journalof the Evangelical Theological Society, 36/2(1993), p. 179-187.

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