identification des levures par spectrométrie de masse de type maldi-tof

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CANDIDA REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2013 - N°450 // 63 article reçu le 8 novembre, accepté le 12 novembre 2012. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. SUMMARY MALDI TOF for fast and reliable identification of clinical yeast isolates MALDI-TOF mass spectrometry (MALDI-TOF MS) is a new powerful tool increasingly used in microbiolo- gical laboratories over the past years to identify rapi- dly and reliably bacterial and yeast microorganisms isolated from clinical samples. In the present review, we will describe the principle and the main features of MALDI-TOF MS use for yeast identification and discuss the results obtained with different systems available on the market. Mycology – yeasts – identification – mass-spectrometry RÉSUMÉ La spectrométrie de masse de type MALDI-TOF a fait une entrée fra- cassante dans le monde de la microbiologie clinique en permettant une identification rapide et standardisée de l’ensemble des microorganismes, bactéries et champignons, isolés en routine dans un laboratoire. Dans cette revue, nous présentons les particularités associées à l’identification de levures par MALDI TOF et les résultats obtenus avec les différents systèmes commercialisés. Mycologie – levures – identification – spectrométrie de masse. Marie-Elisabeth Bougnoux a,b, *, Cécile Angebault a,b , Julie Leto b , Jean-Luc Beretti b Identification des levures par spectrométrie de masse de type MALDI-TOF Schématiquement, les espèces fongiques à identifier dans les laboratoires de mycologie peuvent être séparées en deux groupes : les levures et les champignons filamenteux. Alors que l’identification conventionnelle des champignons filamenteux repose sur une approche non standardisée par analyse des caractéristiques macro- et microscopiques des colonies, l’identification des levures repose sur l’utilisation de tests standardisés basés sur les propriétés biochimiques et immunologiques de ces micro-organismes (réactions enzymatiques, agglutination de particules de latex, fer- mentation et assimilation des sucres). Cependant, ces méthodes sont associées à un taux relativement important d’identifications erronées et nécessitent un délai d’identi- fication de quelques jours, en moyenne 2 à 3 jours [1-3]. L’identification de l’espèce de levures responsable d’une infection est un élément déterminant pour le clinicien dans le choix de la molécule antifongique à prescrire. En effet, le spectre de sensibilité aux antifongiques est bien établi pour les différentes espèces de levures. De plus, contrai- rement aux bactéries, il n’y a pas de transfert de gènes de résistance entre espèces et l’acquisition de résistance reste un phénomène rare. L’identification précise et rapide de l’espèce est donc primordiale en pratique quotidienne car elle est le plus souvent suffisante pour guider le traitement antifongique. Cependant, un certain nombre de nouvelles espèces de levures responsables d’infections opportunistes ont été décrites ces dernières années grâce à l’introduction de méthodes de biologie moléculaire, ces espèces ont la particularité de ne pas être identifiables par les méthodes 1. Introduction La spectrométrie de masse de type MALDI-TOF a fait une entrée fracassante dans le monde de la microbiologie cli- nique. Cette technique, encore inconnue il y a quelques années dans le contexte de l’identification des microor- ganismes, est devenue un outil incontournable dans la conception actuelle d’un laboratoire de microbiologie. Cependant, la transition entre méthodes conventionnelles et MALDI-TOF, pour l’identification des microorganismes, nécessite une profonde adaptation tant méthodologique que logistique. Dans cette revue focalisée sur « spectrométrie de masse et levures », nous développerons tout d’abord l’aspect technique : comment le MALDI-TOF permet-il l’identifica- tion des levures à partir de cultures pures ou de bouillons d’hémocultures ? Nous ferons ensuite le point sur les stratégies proposées par les différentes sociétés qui ont développé cet outil et discuterons de leurs avantages et de leurs inconvénients respectifs. Enfin, nous présenterons une autre application du MALDI-TOF, qui vise à déterminer la sensibilité des levures aux antifongiques. a Unité de parasitologie-mycologie b Service de microbiologie Hôpital universitaire Necker Enfants Malades 149, rue de Sèvres 75730 Paris cedex 15 Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité * Correspondance [email protected]

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CANDIDA

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2013 - N°450 // 63

article reçu le 8 novembre, accepté le 12 novembre 2012.

© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

SUMMARY

MALDI TOF for fast and reliable identification

of clinical yeast isolates

MALDI-TOF mass spectrometry (MALDI-TOF MS) is a new powerful tool increasingly used in microbiolo-gical laboratories over the past years to identify rapi-dly and reliably bacterial and yeast microorganisms isolated from clinical samples. In the present review, we will describe the principle and the main features of MALDI-TOF MS use for yeast identification and discuss the results obtained with different systems available on the market.

Mycology – yeasts – identification – mass-spectrometry

RÉSUMÉLa spectrométrie de masse de type MALDI-TOF a fait une entrée fra-cassante dans le monde de la microbiologie clinique en permettant une identification rapide et standardisée de l’ensemble des microorganismes, bactéries et champignons, isolés en routine dans un laboratoire. Dans cette revue, nous présentons les particularités associées à l’identification de levures par MALDI TOF et les résultats obtenus avec les différents systèmes commercialisés.

Mycologie – levures – identification – spectrométrie de masse.

Marie-Elisabeth Bougnouxa,b,*, Cécile Angebaulta,b, Julie Letob, Jean-Luc Berettib

Identification des levures par spectrométrie de masse de type MALDI-TOF

Schématiquement, les espèces fongiques à identifier dans les laboratoires de mycologie peuvent être séparées en deux groupes : les levures et les champignons filamenteux. Alors que l’identification conventionnelle des champignons filamenteux repose sur une approche non standardisée par analyse des caractéristiques macro- et microscopiques des colonies, l’identification des levures repose sur l’utilisation de tests standardisés basés sur les propriétés biochimiques et immunologiques de ces micro-organismes (réactions enzymatiques, agglutination de particules de latex, fer-mentation et assimilation des sucres). Cependant, ces méthodes sont associées à un taux relativement important d’identifications erronées et nécessitent un délai d’identi-fication de quelques jours, en moyenne 2 à 3 jours [1-3]. L’identification de l’espèce de levures responsable d’une infection est un élément déterminant pour le clinicien dans le choix de la molécule antifongique à prescrire. En effet, le spectre de sensibilité aux antifongiques est bien établi pour les différentes espèces de levures. De plus, contrai-rement aux bactéries, il n’y a pas de transfert de gènes de résistance entre espèces et l’acquisition de résistance reste un phénomène rare. L’identification précise et rapide de l’espèce est donc primordiale en pratique quotidienne car elle est le plus souvent suffisante pour guider le traitement antifongique. Cependant, un certain nombre de nouvelles espèces de levures responsables d’infections opportunistes ont été décrites ces dernières années grâce à l’introduction de méthodes de biologie moléculaire, ces espèces ont la particularité de ne pas être identifiables par les méthodes

1. Introduction

La spectrométrie de masse de type MALDI-TOF a fait une entrée fracassante dans le monde de la microbiologie cli-nique. Cette technique, encore inconnue il y a quelques années dans le contexte de l’identification des microor-ganismes, est devenue un outil incontournable dans la conception actuelle d’un laboratoire de microbiologie. Cependant, la transition entre méthodes conventionnelles et MALDI-TOF, pour l’identification des microorganismes, nécessite une profonde adaptation tant méthodologique que logistique.Dans cette revue focalisée sur « spectrométrie de masse et levures », nous développerons tout d’abord l’aspect technique : comment le MALDI-TOF permet-il l’identifica-tion des levures à partir de cultures pures ou de bouillons d’hémocultures ? Nous ferons ensuite le point sur les stratégies proposées par les différentes sociétés qui ont développé cet outil et discuterons de leurs avantages et de leurs inconvénients respectifs. Enfin, nous présenterons une autre application du MALDI-TOF, qui vise à déterminer la sensibilité des levures aux antifongiques.

a Unité de parasitologie-mycologie b Service de microbiologieHôpital universitaire Necker Enfants Malades149, rue de Sèvres75730 Paris cedex 15Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité

* [email protected]

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conventionnelles. Ainsi, il est apparu que l’identification de certaines espèces d’importance médicale correspon-dait à une identification d’espèce au sens large - sensu lato -, c’est-à-dire en fait à plusieurs espèces qui par-tagent des caractéristiques phénotypiques très proches voire superposables. Ces complexes d’espèces incluent l’espèce sensu stricto plus d’autres espèces récemment décrites. Par exemple, des études récentes ont révélé que certains isolats cliniques, préalablement identifiés par méthode conventionnelle comme étant des Candida gla-brata, étaient en réalité des Candida nivariensis ou Candida bracarensis, espèces proches de C. glabrata [1, 5]. De la même manière, des identifications erronées concernent les isolats anciennement identifiés Candida parapsilosis, qui appartiennent au complexe d’espèces C. parapsilosis, telles que Candida orthopsilosis, Candida metapsilosis ou Lodderomyces elongispora |5, 6]. Cependant, au sein des complexes d’espèces les spectres de sensibilité des espèces sensu stricto peuvent être différents, ce qui peut conduire à des traitements antifongiques inadaptés. Enfin, certaines espèces sont constamment mal identifiées par les méthodes conventionnelles [1, 3, 7, 8]. Par exemple, la confusion entre Candida famata et Candida guilliermondii a été rapportée fréquemment, or le spectre de sensibilité aux antifongiques de ces deux espèces est très différent [3, 8]. Dans ce contexte, des nouvelles exigences apparaissent afin d’atteindre un niveau d’identification optimal des levures. La spectrométrie de masse MALDI-TOF (matrix-assisted laser desorption ionization time-of-flight) a été proposée comme outil d’identification bactérienne depuis de nombreuses années [9], mais c’est seulement récem-ment que les progrès techniques ont permis de l’inté-grer dans les méthodes courantes d’identification des microorganismes, bactériens ou fongiques [10, 11]. La spectrométrie de masse MALDI-TOF permet l’identification

rapide des microorganismes grâce à la reconnaissance de profils spectraux spécifiques d’espèces obtenus à partir de colonies isolées. Actuellement, trois systèmes différents d’identification des levures par MALDI-TOF MS ont été développés et commercialisés.

2. MALDI-TOF MS

2.1. Principe du MALDI-TOFLa spectrométrie de masse (SM) est une technique de détection et d’identification de microorganismes entiers par mesure de leur masse. La SM à ionisation douce de type MALDI-TOF associe une source d’ionisation laser assistée par une matrice (MALDI, matrix-assisted laser desorption/ionisation) et un analyseur de temps de vol (TOF, time-of-flight) [12].L’analyse d’un échantillon (microorganisme entier) par SM de type MALDI-TOF comporte trois phases qui sont schématisées sur la figure 1.1. Une phase d’ionisation et de désorption de l’échantillon : l’échantillon et la matrice sont déposés sur un support métallique (cible) ou ils vont co-cristalliser après l’éva-poration des solvants. L’ensemble est soumis au tir d’un faisceau laser UV. Le rôle de la matrice est d’absorber l’énergie provenant du laser, ce qui provoque la vaporisa-tion (étape de désorption) de l’échantillon puis l’ionisation permettant ainsi la formation d’ions de masses différentes. 2. Une phase de « vol » : les molécules ionisées sont ensuite accélérées et séparées dans une colonne de vide – ou « tube de vol » – au sein de laquelle est appliqué un champ électrique. L’accélération des molécules est proportion-nelle à leur charge (z) et inversement proportionnelle à leur masse (m). La phase de « vol » permet d’individualiser les molécules de l’échantillon selon leur rapport m/z.3. Une phase de détection : à l’extrémité de la colonne se situe un détecteur qui transforme l’information électrique (produite par les ions à la fin de leur vol) en un courant électrique. L’information est ensuite amplifiée puis numéri-sée selon le temps de vol (TOF). Le résultat est un spectre de masse représenté sous la forme d’un graphique. Clas-siquement, l’axe des abscisses correspond au rapport masse sur charge (m/z) et l’axe des ordonnées à l’intensité relative du signal. L’identification des microorganismes par cette technique repose sur la mise en évidence d’un profil spectral qui va être différent d’un genre à l’autre et d’une espèce à l’autre. La réalisation des banques de données qui regroupent l’ensemble des spectres de référence nécessaires à l’identification des microorganismes est un élément clé dans la mise en œuvre d’une stratégie fiable permettant une identification précise [13]. Deux types de banques de données sont actuellement disponibles. Elles ont été développées selon des stratégies différentes : la première consiste en la construction d’une banque de données dans laquelle, pour une espèce, les pics des spectres de plusieurs souches sont conservés. L’identification de l’espèce est basée sur la grande simi-litude entre le spectre du microorganisme à identifier et celui d’une des souches de référence présente dans la base de données. Cette stratégie nécessite l’insertion de nombreuses souches pour une même espèce. La seconde

Figure 1 – Représentation schématique des différentes

étapes de la spectrométrie de masse de type MALDI-TOF.

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stratégie a pour objectif de sélectionner et de ne retenir que les pics spécifiques d’espèce correspondant aux pics ayant une intensité relative élevée et constants au sein de l’espèce. Le spectre de la souche à tester est alors comparé aux pics spécifiques retenus dans la banque de données. Dans cette approche, le nombre de pics est plus restreint [14].La précision de l’identification d’un microorganisme dépend de la qualité du spectre obtenu. Les conditions de culture, les méthodes d’extraction des protéines, les méthodes de dépôt de l’échantillon et la nature de la matrice sont autant de paramètres expérimentaux qui peuvent modifier la qualité des spectres et qui doivent être parfaitement standardisés [15]. Ainsi, par exemple, la qualité du dépôt varie en fonction de l’opérateur, du séchage du dépôt ou encore de la méthode de dépôt (öse, écouvillon, cône…). Elle peut également varier selon l’utilisation ou non d’une étape d’extraction du microorganisme d’intérêt. Pour les levures, l’étape d’extraction, qui consiste en une extrac-tion protéique à l’aide d’acide formique, est indispen-sable. Cependant, elle peut être réalisée préalablement au dépôt ou directement sur la plaque lors du dépôt. Tous ces facteurs influencent la qualité des spectres en modifiant la cristallisation de la matrice avec l’échantillon et, par conséquent, l’efficacité d’ionisation des molécules testées. Les différentes stratégies mises en œuvre pour l’identification des levures varient donc en fonction des systèmes développés par les fabricants.

2.2. Préparation des échantillons

pour identification des levures L’identification par SM est effectuée sur des colonies issues de cultures pures obtenues après 24 à 48 heures d’incubation sur milieux chromogènes (BBL-CHROMagar Candida™ ou CandiSelect4™) ou sur milieu de Sabou-raud additionné d’antibiotiques. Deux procédures ont été développées. La première consiste en une extraction réalisée préalable-ment au dépôt de l’échantillon sur la plaque. Cette méthode est celle utilisée dans le système Bruker®. Brièvement, 3 à 5 colonies de levures sont prélevées à l’aide d’une öse de 1 μl et mises en suspension dans 300 μl d’eau démi-néralisé et 900 μl d’éthanol absolu 70 % (Sigma-Aldrich). Après centrifugation à 13 000 tours/min pendant trois minutes, le culot de cellules est séché puis remis en suspension dans 50 μl d’acide formique 70 % (Sigma-Aldrich). Après 30 minutes d’incubation, un volume de 50 μl d’acétonitrile (Sigma-Aldrich) est ajouté. Enfin, après une nouvelle centrifugation à 13 000 tours/min pendant trois minutes, 1,5 μl de surnageant est déposé puis séché sur une plaque métallique (AnchorchipTM 96-spot ou Polished Steel™ 384 spots, Bruker Daltonics) à l’emplace-ment d’un spot. Un volume de 1,2 μl de solution de matrice (alpha-cyano-4-hydroxycinnamic acide [HCCA ; Bruker Daltonics]) à 10 mg/ml est ajouté à l’extrait de protéines fongiques et séché [16, 17].

Figure 2 – Représentation schématique des 2 procédures disponibles pour l’identification

de levures à partir de colonies isolées par spectrométrie de masse de type MALDI-TOF.

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La deuxième procédure consiste en une extraction réalisée directement sur la plaque lors du dépôt. Cette méthode est utilisée par les systèmes Andromas® et Saramis® [16, 18]. Une petite quantité d’une colonie de levures est préle-vée à l’aide d’une öse de 1 μl, transférée sur une plaque métallique à l’emplacement d’un spot et recouverte de 1 μl d’acide formique 70 % puis séchée. On ajoute ensuite 1 μl de matrice HCCA que l’on laisse co-cristalliser avec l’échantillon. Les deux procédures de préparation des échantillons sont résumées dans la figure 2.

2.3. MALDI-TOF MS sur bouillons d’hémocultures positifs à levuresLe MALDI-TOF peut également permettre, en routine, l’identification immédiate des espèces de levures iso-lées à partir de flacons d’hémocultures. La procédure se rapproche de celle utilisée à partir des colonies, mais nécessite des étapes supplémentaires de concentration et de séparation des substances interférentes contenues dans le bouillon d’hémocultures (hématies, milieu de culture). Dans le système Bruker®, un aliquote de 8 ml de bouillon d’hémoculture est analysé [19]. Dans le sys-tème Andromas®, une microméthode rapide à partir d’un aliquote de 200 μl de bouillon est proposée [20]. Les flacons d’hémocultures Bactec® (Becton-Dickinsone) ou BacT/ALERT® sans charbon sont utilisables. Les flacons Bactec® à la différence des flacons BacT/ALERT® ne contiennent jamais de charbon, connu pour altérer la qualité des spectres. La résine, utilisée par le système Bactec® pour absorber les antibiotiques pouvant être présents dans le prélèvement sanguin, n’interfère pas sur la qualité des spectres.

3. Comparaison des différents

systèmes de MALDI-TOF MS

Comme nous l’avons vu précédemment, la procédure de préparation des échantillons diffère entre les systèmes Bruker®, Saramis® et Andromas®. Le type de bases de données développées et les systèmes experts d’analyse des pics sont basés sur des algorithmes et des critères d’identification différents. Dans le système Bruker®, des scores d’identification sont générés : un score = 2 permet une identification d’espèce ; un score compris entre 1,7 et 1,9 permet une identification du genre. Pour un même isolat, deux scores successifs compris entre 1,7 et 1,9 permettent une identification de l’espèce ; un score < 1,7 ne permet pas d’identification.Dans le système Andromas®, l’identification de la souche à tester correspond à l’espèce ayant le profil spectral le plus proche dans la base de données. Le système expert considère l’identification comme valide si le pourcentage de similitude entre les profils est au minimum de 70 % avec la première espèce proposée par la base de don-nées et si la différence entre les deux premières espèces proposées est d’au moins 10 %. Si celle-ci est inférieure à 10 %, l’identification est considérée comme incorrecte. L’identification se situe toujours au niveau de l’espèce. En effet, la majorité des levures d’intérêt médical appar-tiennent à un seul genre, le genre Candida. Les bases

de données ont ainsi intégré un nombre important mais non exhaustif de spectres de référence des principales espèces de Candida isolées en clinique. En dehors des Candida, les autres levures identifiables par MALDI-TOF rassemblent les principales espèces d’intérêt médical des genres Cryptococcus, Trichosporon, Geotrichum et Rhodotorula. La figure 3 montre deux exemples de profils spectraux obtenus pour des souches d’espèces différentes mais appartenant à un même complexe d’espèces. Cette figure illustre l’intérêt du MALDI-TOF pour l’identification précise des espèces de levures, y compris lorsqu’il s’agit d’espèces proches. Très peu d’études ont évalué spécifiquement les per-formances des différents systèmes d’identification des levures par MALDI-TOF MS. Une étude récente de Sendid et coll. rapporte les performances obtenues par deux équipes françaises utilisant le système Bruker® avec la base de données BioTyper® (Version 2.0 ; Bruker Dalto-nics). L’équipe du CHU de Lille utilisait le spectromètre de masse de type Microflex® (Bruker Daltonics) et l’équipe du CHU de Dijon, celui de type Autoflex® speed LRF (Bruker Daltonics). Les deux appareils étaient équipés du logiciel FlexControl® (version 3.0) [17]. Sur un total de 1 207 souches analysées, une concordance entre SM et identification conventionnelle (IC) a été observée pour 1 105 souches (91,5 %) alors que la proportion de souches identifiées différemment n’était que de 6,1 %. Pour les souches discordantes, la biologie moléculaire confirmait l’identification obtenue par SM dans 98 % des cas. La SM n’a été mise en défaut que pour 2,3 % des souches, lesquelles appartenaient aux espèces Candida famata, Candida lambica, Candida magnoliae et aux genres Geotrichum spp. et Trichosporon spp. Cette étude saluait les performances du système Bruker® pour l’identification précise des levures, y compris des espèces appartenant à des complexes d’espèces comme cela avait déjà été démontré par Santos et coll.(21]. Enfin, l’étude de Sendid et coll. quantifiait le gain économique associé au SM en com-paraison aux IC [17]. La comparaison des performances de différents systèmes MALDI-TOF pour l’identification de mêmes collections de levures a été rapportée par deux équipes seulement. Dans l’étude de Bader et coll., le système Bruker® a été comparé au système Saramis® pour l’identification de 1 192 isolats cliniques avec un pourcentage de bonne identification de 97,6 % pour le système Bruker® et 96,1 pour le système Saramis® [16]. Dans l’étude de Lacroix et coll., le système Bruker/ Biotyper v.2® a été comparé au système Andromas® pour l’identification de 1 383 isolats cliniques de Candida spp. avec un pourcentage de bonne identification de 98,2 %, identique pour les deux systèmes [22]. Toutefois, si les deux systèmes (Andromas® et Bruker/Biotyper v.2®) étaient démontrés supérieurs aux techniques conventionnelles et équivalents entre eux en terme de performance d’identi-fication des Candida, la procédure d’identification était plus simple et plus rapide avec le système Andromas®. Au total, ces deux études comparatives (réalisées par une équipe allemande et une équipe française) ont confirmé sur un large panel de souches la fiabilité des différents systèmes MALDI-TOF – Bruker®, Saramis® et Andromas® –

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Figure 3 – Profils spectraux obtenus chez des espèces appartenant à des complexes d’espèces.

A. Profils spectraux du complexe d’espèce C. parasilosis avec de haut en bas les profils de C. orthopsilosis, C. metapsilois et C. parapsilosis.

B. Profils spectraux du complexe d’espèce C. glabrata avec de haut en bas les profils de C. bracariensis, C. glabrata et C. nivariensis.

A

B

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pour l’identification précise des levures, Cependant, le système Bruker® est beaucoup moins rapide que les deux autres dans la mesure où la préparation des échantillons requière une étape supplémentaire qui allonge la procé-dure d’identification de 30 min comme cela est détaillé sur la figure 2.

4. Intérêt du MALDI-TOF

pour la détection de la sensibilité

des levures aux antifongiques

Une nouvelle application de la spectrométrie de masse de type MALDI-TOF, encore en cours de développement, concerne la détection de la sensibilité des levures aux antifongiques. Cette application innovante est basée sur l’hypothèse que la composition en protéines des levures varie lorsque celles-ci sont soumises à une pression antifongique. À ce jour, deux équipes ont décrit et testé une méthode mettant à profit la technologie MALDI-TOF pour évaluer la sensibilité des levures au fluconazole, d’une part [23], et à la caspofungine, d’autre part [24]. Le principe proposé est le suivant : des inoculums calibrés de levures (106 cel-lules/ml) sont incubés en plaque, à 37°C, en milieu RPMI additionné de concentrations croissantes d’antifongique. Après 15 h, les levures sont lavées puis préparées selon la procédure utilisée dans le système Bruker® (cf. § 2.2.). Les spectres de masse des cultures sont alors détermi-nés et analysés à l’aide d’un algorithme statistique qui permet de définir la concentration minimale entraînant un changement significatif du profil du spectre (ou CMCP). L’équipe de Marinach, qui a inventé cette méthodologie, a déterminé les CMCP au fluconazole de 17 souches de Candida albicans et les a comparées aux concentrations

minimales inhibitrices (CMI) des mêmes souches déter-minées par la méthode de référence (méthode de dilu-tion en milieu liquide du CLSI, M27-A3). Une très bonne corrélation entre CMCP et CMI a été observée [23]. De Carolis et coll. ont confirmé cette corrélation en com-parant les CMCP à la caspofungine de 34 souches de Candida spp. (C. albicans, C. glabrata, C. parapsilosis et C. krusei) avec leurs CMI respectives : deux dilutions, au maximum, séparaient CMCP et CMI et plus de 90 % des échantillons étaient classés dans la même catégorie de sensibilité en appliquant les « breakpoints » les plus récents du CLSI [25].

5. Conclusion

Les résultats très encourageants de ces deux études ouvrent ainsi de nouvelles perspectives en ce qui concerne les techniques de détermination de la sensi-bilité des levures aux antifongiques. La spectrométrie de masse MALDI-TOF pourrait ainsi devenir une alter-native intéressante aux techniques de références. Plus rapide que ces dernières, dotée d’une détermination plus objective de la concentration minimale critique (produc-tion d’un spectre de masse plutôt que lecture visuelle), peu onéreuse pour les laboratoires déjà équipés d’un spectromètre MALDI-TOF, cette nouvelle application pourrait convaincre les utilisateurs. Toutefois, un grand nombre de souches devront encore être testées avant de pouvoir confirmer la robustesse de la méthode et de pouvoir affirmer son équivalence avec les techniques de référence.

Déclaration d’intérêts : Marie-Elisabeth Bougnoux, Julie Leto

et Jean-Luc Beretti ont participé au développement de la base

de données Andromas.

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CANDIDA

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2013 - N°450 // 69

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