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HEC MONTRÉAL Le processus d’internationalisation des firmes créatives par Joëlle Sarrailh Sciences de la gestion (affaires internationales) Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maîtrise ès sciences (M.Sc.) Janvier, 2010 © Joëlle Sarrailh, 2010

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HEC MONTRÉAL

Le processus d’internationalisation des firmes créatives

par

Joëlle Sarrailh

Sciences de la gestion

(affaires internationales)

Mémoire présenté en vue de l’obtention

du grade de maîtrise ès sciences

(M.Sc.)

Janvier, 2010

© Joëlle Sarrailh, 2010

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Sommaire

Au cours des années 1990, les industries créatives ont connu une croissance

économique dans les pays de l‟OCDE deux fois plus importante que les industries du

service et quatre fois plus importante que les industries manufacturières (Howkins,

2001 : xvi). Utilisant comme intrants de base la créativité et le capital intellectuel, ces

industries constituent aujourd‟hui un des secteurs les plus dynamiques du commerce

mondial. Plusieurs firmes créatives poursuivent de façon rigoureuse les opportunités

dans les marchés d‟exportation (UNCTAD, 2008). Malgré l‟essor des industries

créatives et leur contribution au commerce mondial, nous n‟avons recensé, à notre

connaissance, aucune étude académique portant sur le phénomène de

l‟internationalisation des firmes créatives.

Notre mémoire vise donc à comprendre la nature du processus d‟internationalisation

des firmes créatives. Il vient ainsi documenter un phénomène qui ne peut qu‟augmenter

en importance si on se fie à la croissance de l‟économie créative. Pour répondre à

notre question de recherche, nous avons construit cinq études de cas portant sur le

parcours international de cinq firmes créatives montréalaises, soit Sid Lee, Aedifica,

Juste pour rire, Harricana et le Cirque du Soleil. Nos résultats indiquent que le

processus d‟internationalisation des firmes créatives est à la fois séquentiel et

progressif. Il est enclenché par un besoin de croissance et via une première expérience

à l‟international, quelle qu‟en soit sa nature. Notre analyse montre également que la

capacité créative, définie comme la capacité de comportements et d‟actions créatifs

(Napier et Nilsson, 2006), qui distingue les firmes de notre échantillon agit comme

l‟avantage compétitif qui leur permet de percer les marchés internationaux. Puis, la

présence dans les marchés internationaux permet à son tour de renforcer cette

capacité créative. En conclusion, nous pouvons affirmer que l‟internationalisation des

firmes créatives, une fois mise en mouvement, est une roue qui tourne.

Mots clés : Théories d‟internationalisation, industries créatives, Sid Lee, Aedifica, Juste

pour rire, Harricana, Cirque du Soleil, capacité créative

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Table des matières

Sommaire ii

Table des matières iii

Liste des tableaux viii

Liste des figures ix

Remerciements x

1. INTRODUCTION 1

1.1 PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE 1

1.1.1 Vers une nouvelle économie 1

1.1.2 Les industries créatives : classification et essor 2

1.1.3 Contribution au commerce mondial et stratégies d‟internationalisation 3

1.1.4 L‟internationalisation des firmes créatives : un sujet encore peu étudié 3

1.1.5 Questions de recherche et contributions 4

1.2 STRUCTURE DE LA RECHERCHE 5

2. REVUE DE LA LITTÉRATURE 6

2.1 THÉORIES DE L‟INTERNATIONALISATION DE L‟ENTREPRISE 6

2.1.1 La théorie des investissements directs étrangers (IDE) 6

2.1.2 Le cycle de vie du produit de Vernon 8

2.1.3 Le modèle d‟internationalisation d‟Uppsala 9

2.1.4 La perspective des réseaux 11

2.1.5 L‟entrepreneuriat international 12

2.1.6 Synthèse des théories de l‟internationalisation de l‟entreprise 14

2.2 CARACTÉRISTIQUES DES INDUSTRIES CRÉATIVES 14

2.2.1 Définition et classification des industries créatives 15

2.2.2 Propriétés des industries créatives 16

2.2.3 La chaîne de valeur dans les industries créatives 18

2.2.4 La classe créative et les entrepreneurs créatifs 20

2.2.5 Synthèse des caractéristiques des industries créatives 21

2.3 CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE 22

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iv

3. MÉTHODOLOGIE 24

3.1 JUSTIFICATION DE LA MÉTHODE DES CAS 24

3.2 DESIGN DE LA RECHERCHE 25

3.2.1 Question de recherche 25

3.2.2 Sélection des cas 26

3.3 PROTOCOLE DE LA RECHERCHE 27

3.3.1 Méthodes de collecte de données 27

3.3.2 Traitement des données 29

3.3.2 Analyse des données 29

3.3 QUALITÉ DE LA RECHERCHE 30

4. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS 31

4.1 SID LEE 31

4.1.1 Description des activités de la firme 31

4.1.2 Présentation du parcours international 32

4.1.3 Décision de s‟internationaliser 33

4.1.4 Choix des marchés 34

4.1.5 Mode d‟entrée 35

4.1.6 Internationalisation subséquente 35

4.1.7 Avantages de l‟internationalisation 36

4.1.8 Défis de l‟internationalisation 37

4.1.9 Clés du succès 38

4.2 AEDIFICA 39

4.2.1 Description des activités de la firme 39

4.2.2 Présentation du parcours international 40

4.2.3 Décision de s‟internationaliser 41

4.2.4 Choix des marchés 41

4.2.5 Mode d‟entrée 42

4.2.6 Internationalisation subséquente 43

4.2.7 Avantages de l‟internationalisation 44

4.2.8 Défis de l‟internationalisation 45

4.2.9 Clés du succès 45

4.3 JUSTE POUR RIRE 46

4.3.1 Description des activités de la firme 46

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v

4.3.2 Présentation du parcours international 47

4.3.3 Décision de s‟internationaliser 48

4.3.4 Choix des marchés 49

4.3.5 Mode d‟entrée 50

4.3.6 Internationalisation subséquente 52

4.3.7 Avantages de l‟internationalisation 53

4.3.8 Défis de l‟internationalisation 55

4.3.9 Clés du succès 55

4.4 HARRICANA 56

4.4.1 Description des activités de la firme 56

4.4.2 Présentation du parcours international 57

4.4.3 Décision de s‟internationaliser 58

4.4.4 Choix des marchés 58

4.4.5 Mode d‟entrée 59

4.4.6 Internationalisation subséquente 61

4.4.7 Avantages de l‟internationalisation 61

4.4.8 Défis de l‟internationalisation 62

4.4.9 Clés du succès 63

4.5 CIRQUE DU SOLEIL 63

4.5.1 Description des activités de la firme 63

4.5.2 Présentation du parcours international 65

4.5.3 Décision de s‟internationaliser 68

4.5.4 Choix des marchés 68

4.5.5 Mode d‟entrée 71

4.5.6 Internationalisation subséquente 73

4.5.7 Avantages de l‟internationalisation 73

4.5.8 Défis de l‟internationalisation 74

4.5.9 Clés du succès 75

4.6 TABLEAUX SYNTHÈSES DES OBSERVATIONS 77

4.6.1 Sid Lee 77

4.6.2 Aedifica 78

4.6.3 Juste pour rire 79

4.6.4 Harricana 80

4.6.5 Cirque du Soleil 81

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vi

5. ANALYSE DES RÉSULTATS 82

5.1 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES 82

5.2 DÉCISION DE S‟INTERNATIONALISER 83

5.2.1 L‟internationalisation : une question de croissance 83

5.2.2 Un avant-goût de l‟international 84

5.2.3 L‟ambition internationale des entrepreneurs 85

5.3 CHOIX DES MARCHÉS 87

5.3.1 Des choix de marchés opportunistes 87

5.3.2 Trouver le bon bassin 88

5.3.3 Un marché à la fois 88

5.4 MODE D‟ENTRÉE 90

5.4.1 Maximiser les connaissances et minimiser les risques 90

5.4.2 Le rôle des partenaires locaux 91

5.4.3 Un investissement à la fois 92

5.5 INTERNATIONALISATION SUBSÉQUENTE 93

5.5.1 Toujours en mode progression 93

5.5.2 Point d‟ancrage des activités créatives 94

5.6 AVANTAGES DE L‟INTERNATIONALISATION 95

5.6.1 Avantages financiers et non financiers 95

5.6.2 Tous les avantages mènent à la créativité 97

5.7 SOMMAIRE DE L‟ANALYSE 98

6. DISCUSSION DES RÉSULTATS 102

6.1 CONTRIBUTIONS DES THÉORIES D‟INTERNATIONALISATION 102

6.1.1 La structure internationale de Dunning 102

6.1.2 La pertinence du modèle de Vernon 103

6.1.3 L‟applicabilité du modèle d‟Uppsala 104

6.1.4 Le rôle des réseaux 105

6.1.5 L‟entrepreneur dirigé vers l‟international 106

6.1.6 L‟entrepreneur comme bâtisseur de l‟avantage compétitif 107

6.2 RECOMMANDATIONS 108

6.2.1 Recommandations académiques 108

6.2.2 Recommandations managériales 109

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vii

7. CONCLUSION 111

7.1. LIMITES DE LA RECHERCHE 111

7.1.1 Étendue des industries couvertes 111

7.1.2 Type et quantité de données 111

7.2. CONCLUSION 112

Annexes 114

Annexe 1 – Questionnaire d‟entretien 114

Annexe 2 – Tableau comparatif (analyse inter-cas) 115

Bibliographie 116

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viii

Liste des tableaux

Tableau 1 – Synthèse des théories de l‟internationalisation de l‟entreprise 14

Tableau 2 – Déroulement des entretiens 28

Tableau 3 – Grille de collecte et de traitement des données 28

Tableau 4 – Tendances dégagées de la comparaison inter-cas 82

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ix

Liste des figures

Figure 1 – Chaîne de valeur traditionnelle 18

Figure 2 – Chaîne de valeur dans les arts de la scène 19

Figure 3 – Cadre conceptuel initial 23

Figure 4 – Matrice de communications 38

Figure 5 – Révision du cadre conceptuel 100

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x

Remerciements

Merci d‟abord et avant tout à Monsieur Bertrand Cesvet, Monsieur Michel Dubuc,

Monsieur Gilbert Rozon, Madame Mariouche Gagné et Monsieur Mario D‟Amico de

m‟avoir donné de leur temps précieux pour discuter du parcours international de leur

entreprise. Ces rencontres ont permis d‟obtenir des réponses indispensables à la

réalisation de ce mémoire et ont aussi donné lieu à des discussions passionnantes.

Merci à Monsieur Alain Noël d‟avoir dirigé ce projet de recherche avec une grande

écoute et une grande rigueur.

Merci à Monsieur Patrick Cohendet de m‟avoir ouvert les portes de l‟économie créative

et des industries qui en font partie.

Merci à mon père et ma mère pour leur support et leurs encouragements.

Merci à Simon. Pour tout.

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1. Introduction

1.1 PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE

1.1.1 Vers une nouvelle économie

«The turn of the millennium is a turn from hamburgers to software. Software is an idea;

hamburger is a cow. There will still be hamburger makers in the 21st century, of course,

but the power, prestige, and money will flow to the companies with indispensable

intellectual property» (Coy, 2000). Par cette phrase très imaginée, la revue Business

Week fut la première à introduire le concept de l‟économie créative – une économie

basée sur les idées plutôt que sur le capital physique. L‟économie industrielle cède sa

place à l‟économie créative proclama alors le magazine d‟affaires. Peu de temps après,

Howkins (2001) fut le premier à dresser un portrait complet de cette nouvelle économie.

Dans son livre The Creative Economy : How People Make Money from Ideas (Howkins,

2001), il évalua l‟économie créative de 1999 à plus de 2,2 milliards de dollars à l‟échelle

mondiale poursuivant une croissance annuelle de 5%. Ce que l‟auteur essaya de

mettre en lumière par ce portrait est la force économique incroyable que possède

aujourd‟hui la créativité. Car c‟est bien ce qui est nouveau selon lui, car «creativity is

not new and neithers is economics, but what is new is the nature and the extent of the

relationship between them and how they combine to create extraordinary value and

wealth» (Howkins, 2001, viii).

Aujourd‟hui, la transformation de l‟économie mondiale d‟une économie industrielle à

une économie créative fait consensus aux quatre coins du monde. Il n‟y a qu‟à

constater les derniers rapports de l‟Organisation des Nations Unies (ONU), de l‟Union

européenne (UE) et de l‟Organisation de coopération et de développement

économiques (OCDE) qui offrent tous un plaidoyer pour de nouveaux modèles de

développement économique basés sur la créativité. Selon le Creative Economy Report

2008 publié par l‟ONU, non seulement l‟économie créative génère des retombées

positives sur le plan des revenus et de la création d‟emplois, mais elle contribue

également à la promotion de l‟inclusion sociale, de la diversité culturelle et du

développement humain (UNCTAD, 2008). En dépit du manque d‟une définition unique

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2

pour décrire l‟économie créative, les rapports convergent tous vers ce qui permet de

déterminer son ampleur, c‟est-à-dire les industries créatives qui la composent.

1.1.2 Les industries créatives : classification et essor

Utilisant comme intrants de base la créativité (définie comme l‟habileté de générer

quelque chose de nouveau, Howkins, 2001) et le capital intellectuel, les industries

créatives se distinguent notamment des industries traditionnelles par le type de biens et

de services qu‟elles produisent. Elles offrent en effet des biens tangibles et des

services intellectuels ou artistiques intangibles qui ont en commun un contenu créatif,

une valeur économique et des objectifs de marché (UNCTAD, 2008). Notons que

l‟utilisation du terme «industries créatives» varie selon les pays et les frontières de ces

industries sont encore sujettes à débat. Nous prendrons ici le système de classification

élaboré par le Département britannique de la culture, des médias et du sport (DCMS)

qui reconnaît les 13 industries suivantes comme créatives (DCMS, 2009):

- publicité - musique

- architecture - arts de la scène

- arts et antiquités - éditions

- artisanats - logiciels

- design - jeux vidéo

- mode - télévision et radio

- film

Selon le DCMS (2009), «The creative industries are those that are based on individual

creativity, skill and talent. They also have the potential to create wealth and jobs

through developing and exploiting intellectual property.»

Au cours des années 1990, les industries créatives ont connu une croissance

économique dans les pays de l‟OCDE deux fois plus importante que les industries du

service et quatre fois plus importante que les industries manufacturières (Howkins,

2001 : xvi). L‟ONU (UNCTAD, 2008) attribue cet essor incroyable à deux moteurs : la

technologie et l‟économie. D‟une part, la convergence du multimédia et des

technologies de télécommunications a entraîné de nouveaux moyens par lesquels les

contenus créatifs sont produits, distribués et consommés, mais a également fait naître

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3

de nouvelles formes d‟expression artistiques et créatives. D‟autre part, l‟ONU

(UNCTAD, 2008) explique que la hausse des revenus ménagers a eu tendance à

augmenter la demande pour des produits élastiques tels que les biens et les services

créatifs. Howkins (2001) note aussi que le budget alloué aux activités de loisir dans les

pays industrialisés a augmenté radicalement dans les dernières années. Ces conditions

d‟offre et de demande réunies, il n‟est pas étonnant que les industries créatives soient

désormais l‟un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial.

1.1.3 Contribution au commerce mondial et stratégies

d‟internationalisation

Si les transformations technologiques ont contribué de façon importante à l‟essor des

industries créatives, Turok (2003) affirme qu‟elles ont aussi facilité le commerce

international de ces biens et services en ouvrant les canaux de marketing et de

distribution aux producteurs locaux. Entre 2000 et 2005, le commerce de biens et de

services créatifs a augmenté en moyenne de 8,7% par année (UNCTAD, 2008 :4). La

valeur des exportations mondiales de biens et de services créatifs a quant à elle atteint

424,4 milliards de dollars, totalisant 3,4% du commerce mondial total. Dans ce contexte

d‟affaires internationales, l‟ONU (UNCTAD, 2008 :69) remarque que «Strategies for

developing domestic creative industries that are outward-looking and actively target FDI

and export markets in addition to local markets for creative products appear to be a key

feature of successful creative industries.» Les industries créatives des États-Unis par

exemple, très compétitives et dotées d‟une solide réputation, poursuivent de façon

rigoureuse les opportunités dans les marchés d‟exportation (UNCTAD, 2008). Le

phénomène de l‟internationalisation des firmes créatives - c‟est-à-dire le processus par

lequel une firme passe d‟une situation où elle opère exclusivement sur le marché

national à une situation dans laquelle elle opère sur les marchés internationaux

(Buckley et Casson, 1998) - semble donc aller de soi.

1.1.4 L‟internationalisation des firmes créatives : un sujet encore peu

étudié

Malgré l‟essor des industries créatives et leur contribution au commerce mondial, nous

n‟avons recensé, sauf erreur, aucune étude académique portant sur le phénomène de

l‟internationalisation des firmes créatives. Nous avons répertorié quelques articles sur

l‟internationalisation de certaines des industries identifiées par le DCMS, soit

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l‟internationalisation des agences de publicité (Carpano et Shao, 1994), des firmes de

logiciels (Bell, 1995) et de l‟industrie du film (Brunet et Gornostaeva, 2006), mais la

littérature ne semble pas faire état du phénomène des industries créatives dans leur

ensemble. De plus, ces études cherchent bien souvent à comprendre l‟applicabilité des

théories d‟internationalisation dans une industrie en particulier, mais sans s‟arrêter sur

le fait qu‟elle soit créative plutôt que traditionnelle. La dynamique d‟internationalisation

qui découle des caractéristiques propres aux industries créatives n‟a donc toujours pas

été mise en valeur.

Selon Hartley (2005 : 6), il est nécessaire, alors que les industries créatives prennent

de l‟ampleur en taille et en nombre, de les prendre comme un tout puisque «Their

shape, interrelationships, and trends can only be observed from a bird’s-eye view,

where larger patterns can be seen». Malgré l‟étendue des industries qu‟elles couvrent,

les industries créatives partagent des caractéristiques (incertitude de la demande,

production collective – voir Caves, 2000) qui leur donnent une cohérence interne, tout à

fait propice à leur étude. Face à ce manque criant d‟analyse globale du phénomène, il

apparait des plus pertinents de se pencher sur la question du processus

d‟internationalisation des firmes créatives.

1.1.5 Questions de recherche et contributions

À partir des théories d‟internationalisation et des caractéristiques propres aux industries

créatives, notre mémoire cherchera à répondre à la question suivante : «Quelle est la

nature du processus d’internationalisation des firmes créatives?». Cette question

principale se décline en cinq sous-questions :

1) Pourquoi les firmes créatives choisissent-elles de s‟internationaliser?

2) Vers quels marchés les firmes créatives se tournent-elles?

3) Quels sont les modes d‟entrée privilégiés par la firme?

4) Comment se traduit l‟internationalisation subséquente des firmes créatives?

5) Quels sont les avantages retirés de l‟internationalisation?

Nous analyserons donc à la fois les facteurs qui motivent l‟enclenchement du

processus d‟internationalisation (le «pourquoi») ainsi que le déploiement du processus

d‟internationalisation (le «comment»).

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Comme, à notre connaissance, aucune étude n‟a traité jusqu‟à ce jour du processus

d‟internationalisation des firmes créatives, nos observations et notre analyse serviront à

documenter un phénomène qui ne peut qu‟augmenter en importance si l‟on se fie à la

croissance de l‟économie créative. En joignant les théories d‟internationalisation au

contexte spécifique des industries créatives, nous croyons que nos résultats seront

susceptibles d‟intéresser les chercheurs de disciplines variées que ce soient des

affaires internationales, du management ou de l‟économie créative. Finalement, en

présentant des cas de firmes montréalaises qui ont internationalisé leurs activités, nous

espérons que notre mémoire aura une portée également pratique. Nos

recommandations pourraient ainsi servir aux gestionnaires de firmes créatives

cherchant à s‟internationaliser ou poursuivant leur internationalisation à bien distinguer

comment la préoccupation créative au centre de leur modèle d‟affaires doit être prise

en compte dans leur stratégie de développement international.

1.2 STRUCTURE DE LA RECHERCHE

Notre mémoire sera structurée de la façon suivante. Nous présenterons dans le

chapitre 2 un recensement de la littérature sur les théories d‟internationalisation et sur

les caractéristiques des industries créatives. Cette revue de la littérature nous

permettra de construire le cadre conceptuel qui guidera la collecte et l‟analyse de nos

données. Nous détaillerons dans le chapitre 3 la méthodologie qui sera utilisée afin de

répondre à notre question de recherche, soit l‟étude de cas. Le chapitre 4 sera

consacré à la présentation des résultats et se terminera par la présentation de tableaux

synthèses. Nous poursuivrons par l‟analyse des données dans le 5e chapitre où les cas

seront alors comparés et les grandes tendances seront dégagées. Le chapitre 6 fera

guise de discussion des résultats puisque nous confronterons les résultats de notre

recherche à la littérature en plus d‟offrir nos recommandations académiques et

managériales. Nous discuterons pour conclure des limites de notre recherche.

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2. Revue de la littérature

Ce chapitre a pour objectif de recenser les principaux écrits dans la littérature

académique pertinente à l‟objet du mémoire. Comme notre sujet, la nature du

processus d‟internationalisation des firmes créatives, appert à la discipline des affaires

internationales, mais dans le contexte spécifique des industries créatives, notre revue

de la littérature sera divisée en deux sections. Nous aborderons dans un premier temps

les différentes théories formulées pour expliquer l‟internationalisation des entreprises.

Les limites de chacune d‟elles seront soulignées afin de pouvoir bien comprendre

l‟évolution de la pensée dans cette discipline, mais aussi la nécessité de combiner

plusieurs théories et approches pour étudier le processus d‟internationalisation des

entreprises, comme suggéré par Melin (1992). Dans un deuxième temps, nous nous

pencherons sur les caractéristiques des industries créatives pour saisir en quoi et

comment elles sont différentes des industries traditionnelles. Nous terminerons ce

deuxième chapitre avec la présentation de notre cadre conceptuel qui guidera la

collecte et l‟analyse des données.

2.1 THÉORIES DE L’INTERNATIONALISATION DE L’ENTREPRISE

La littérature des affaires internationales comprend un vaste nombre de théories qui

expliquent le déclenchement et le parcours des firmes à l‟international. Afin de rendre

cette section la plus pertinente qui soit, nous avons sélectionné les plus couramment

utilisées dans les démarches empiriques portant sur l‟internationalisation des

entreprises.

2.1.1 La théorie des investissements directs étrangers (IDE)

La théorie des investissements directs à l‟étranger (IDE) cherche à comprendre

pourquoi les firmes envoient leurs activités de production à l‟étranger sous la forme

d‟IDE plutôt que de collaborer avec des partenaires locaux ou d‟exporter leurs produits

à partir du marché national (O‟Farrell, Wood et Zheng, 1998). Pour répondre à cette

question, cette théorie fait appel aux concepts des coûts de transaction (Coase, 1937)

et de l‟internalisation (Buckley and Casson, 1976). Ainsi, les entreprises, en tant

qu‟entités rationnelles qui cherchent à minimiser les coûts de transaction, évalueront la

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structure la plus optimale à adopter pour chaque étape de production en choisissant

entre l‟internalisation et l‟externalisation des activités. Par exemple, lorsque les

transactions sont perçues comme risquées et demandant des ressources

substantielles, la firme préfèrera internaliser cette activité au sein de sa structure

hiérarchique plutôt que de la faire réaliser par une tierce partie (Coviello et Martin,

1999). En effet, Dunning (1988 : 3) observe que «the greater the perceived costs of

transactional market failure, the more companies are likely to exploit their competitive

advantages through international production rather than by contractual arrangements

with foreign firms».

Selon Johanson et Vahlne (1990), un des cadres d‟internationalisation basés sur la

théorie des IDE les plus acceptés est le paradigme éclectique de Dunning (1988). Le

paradigme de Dunning, aussi appelé paradigme OLI, explique que l‟envergure, la forme

et le cheminement de la production internationale sont reliés à la présence de trois

types d‟avantages (Noël, 2009) :

- les avantages propres à la firme (O), tels que les marques, les brevets, les

capacités de synergie entre les filiales, les économies d‟échelle et d‟intégration,

bref, les facteurs de concurrence nationale;

- les avantages d‟internalisation (I), c‟est-à-dire les bénéfices d‟intégrer les «O»

au sein de la firme, par exemple par la création d‟une filiale plutôt que par la

vente d‟une licence;

- les avantages liés à la localisation des unités de production en fonction des

pays (L), tels que les ressources naturelles, les coûts de transport et de

l‟énergie, les entraves tarifaires, etc.

Nous pouvons constater que les avantages «L» sont externes à la firme, alors les «O»

et les «I» sont internes et propres à la firme. Plus les avantages «O» seront grands,

plus la firme sera incitée à les internaliser (Andersen, 1997). Les avantages présentés

dans le paradigme éclectique aideront la firme à décider de la façon la plus appropriée

de s‟internationaliser. Le paradigme de Dunning peut donc être utilisé comme un outil

d‟analyse pour les gestionnaires afin de prendre une décision quant au choix du mode

d‟entrée – typiquement l‟exportation, la vente de licence, le partenariat conjoint ou la

création d‟une filiale (Dunning, 1988). Plusieurs études empiriques (Agarwal et

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Ramaswami, 1992; Brouthers, Brouthers, et Werner, 1996; cités par Choi, 2008) ont

démontré que plus les avantages OLI augmentaient, plus les firmes choisissaient un

mode d‟entrée tel que la création d‟une filiale afin de maximiser ses avantages et

garder le privilège du plein contrôle.

Le paradigme éclectique souffre toutefois de quelques lacunes qui demandent une

prudence dans son utilisation. Selon Melin (1992), même si Dunning tente d‟insuffler

une orientation plus behaviorale et dynamique à la théorie des coûts de transaction, le

modèle demeure statique. Le paradigme explique la présence des multinationales qui

veulent tirer profit des avantages OLI, mais échoue à expliquer le processus par lequel

ces firmes s‟internationalisent. Johanson et Mattsson (1988; cités par O‟Farrell et coll.,

1998) soulignent également le fait que la théorie ignore le rôle que jouent les relations

sociales dans les transactions. Finalement, les auteurs qui ont testé la validité du

modèle de Dunning de façon empirique dans des industries du service, par exemple,

émettent une mise en garde dans l‟utilisation de tels modèles élaborés en fonction de

l‟industrie manufacturière (Javalgi, Griffith et White, 2003; cités par Ody, 2004). À la

lumière de ces critiques, nous prendrons le modèle de Dunning pour ce qu‟il peut nous

apporter : un outil pour nous aider à comprendre le mode d‟entrée privilégié par la firme

selon les avantages OLI identifiés. Nous savons déjà que d‟autres théories

d‟internationalisation devront être intégrées pour avoir une image plus globale et plus

dynamique du processus d‟internationalisation.

2.1.2 Le cycle de vie du produit de Vernon

Calqué sur le cycle de vie du produit, le modèle d‟internationalisation de Vernon (1966)

se distingue de la théorie des IDE et du paradigme éclectique de Dunning par l‟aspect

dynamique et temporel qu‟il apporte à la compréhension des flux d‟IDE. Le modèle

stipule que l‟internationalisation de la firme se déploiera selon une séquence de

développement en trois étapes suivant le volume des ventes réalisé dans le pays

d‟origine (Noël, 2009).

- Étape 1 : Exportation (nouveau produit)

Cette première étape repose sur la capacité d‟innovation de la firme. Celle-ci développe

une compétence distinctive sur son marché national, sous la forme d‟un nouveau

produit ou d‟une avancée technologique, qui lui permettra d‟accéder par l‟exportation

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aux marchés internationaux.

- Étape 2 : Production à l‟étranger (produit mature)

Une fois que les ventes dans le pays d‟origine ont bien augmenté, la firme établira des

sites de production à l‟étranger en vue de contourner les obstacles à l‟exportation et

obtenir un avantage de coûts pour faire face à l‟apparition de concurrents locaux.

- Étape 3 : Ré-exportation (produit en déclin)

Dans cette troisième étape, la production est réalisée entièrement à l‟étranger et

possiblement ré-exportée des pays en développement à faibles coûts de main-d'œuvre

vers le marché de la maison mère. La firme mise alors sur un haut niveau de

standardisation et d‟économies d‟échelle et sur les avantages de localisation (elle

cherche la source d‟approvisionnement la moins chère).

Le modèle de Vernon met en lumière par ces trois étapes le rôle de l‟innovation du

produit, l‟importance des économies d‟échelle et l‟influence de l‟incertitude sur le

cheminement de la production internationale (Vernon, 1966). Comme le note Ody

(2004), l‟intérêt du modèle de Vernon est qu‟il présente des étapes de développement à

l‟international qui sont à la fois propres à la firme, mais qui reconnaissent aussi l‟impact

des forces du marché. Tout comme ce fut le cas pour le paradigme éclectique de

Dunning (1988), ce modèle a fait l‟objet de critiques au niveau de sa validité empirique

dans des industries autres que celles manufacturières. Par exemple, dans le cas de

l‟industrie des services, il n‟est pas toujours possible de choisir entre exportation et

production à l‟étranger, les deux pouvant être requis dès le départ (Boddewyn, Halbrich

et Perry, 1986; cités par Ody, 2004). Nous trouvons particulièrement intéressant, dans le

cadre de notre mémoire sur les firmes créatives, l‟étape 1 du modèle

d‟internationalisation de Vernon qui lie la capacité d‟innovation de la firme à la décision

de s‟internationaliser. Nous retiendrons cet élément du modèle.

2.1.3 Le modèle d‟internationalisation d‟Uppsala

Découlant de la logique par étapes introduite par Vernon (1966), le modèle d‟Uppsala,

développé par Johanson et Vahlne (1977; 1990), conçoit également

l‟internationalisation de la firme comme un processus d‟apprentissage par lequel

l‟entreprise augmente graduellement son implication internationale. Le parcours

international de la firme est le produit d‟une série de décisions incrémentales. Alors que

la théorie des IDE avait pour base les théories économiques, le modèle d‟Uppsala,

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nommé d‟après l‟université où il est né, s‟ancre dans une approche beaucoup plus

behaviorale. L‟hypothèse de base du modèle d‟Uppsala est que le manque de

connaissances concernant les marchés étrangers et les opérations étrangères agit

comme un obstacle important au développement international des firmes et que ces

connaissances peuvent être acquises principalement par l‟expérience dans le marché

(Johanson et Vahlne, 1977).

Le modèle d‟internationalisation d‟Uppsala explique deux cheminements dans le

processus d‟internationalisation de la firme. Le premier cheminement est que

l‟engagement de la firme dans un pays se développe selon une chaîne

d‟établissements. Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) identifient une série de quatre

étapes incrémentales par lesquelles la firme se déploiera à l‟étranger :

- Étape 1 : activités d‟exportations irrégulières et opportunistes

- Étape 2 : exportations via un agent indépendant

- Étape 3 : implantation d‟une succursale/filiale de vente

- Étape 4 : production dans le pays étranger

Cette séquence d‟étapes montre bien que l‟implication dans le pays étranger augmente

au fur et à mesure que la firme gagne en expérience dans les marchés internationaux.

Le deuxième cheminement expliqué par le modèle d‟Uppsala est que les firmes vont

entrer dans les nouveaux marchés avec une distance psychique successivement plus

grande. Le concept de distance psychique y est défini comme «the sum of factors

preventing the flow of information from and to the market. Examples are differences in

language, education, business practices, culture and industrial development»

(Johanson et Vahlne, 1977). Ayant initialement peu d‟expérience internationale, les

firmes s‟internationaliseront d‟abord dans les pays qu‟elles arrivent à comprendre plus

facilement et ensuite elles iront dans des pays à plus grande distance psychique.

Malgré son caractère plus dynamique que les modèles précédents et le fait qu‟il ait

gagné un appui significatif (Johanson et Vahlne, 1990), le modèle d‟Uppsala a subi

maintes critiques. Reid (1983; cité par Bell, 1995) accuse le modèle d‟Uppsala d‟être

beaucoup trop déterministe, comme s‟il n‟y avait qu‟un chemin et quatre modes

d‟entrée possibles, en avançant que le processus d‟internationalisation des firmes est

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unique à la firme et hautement lié à leur situation propre. Le modèle d‟Uppsala est

souvent pointé du doigt pour le manque de preuves empiriques concernant la

succession graduelle des étapes. En effet, Hedlund et Kverneland (1985; cités par Bell,

1995) démontrent une accélération du processus d‟internationalisation, les firmes

optant pour des modes d‟entrée plus directs et rapides que ceux proposés par

Johanson et Wiedersheim-Paul (1975). Le saut des étapes intermédiaires serait par

ailleurs observé chez les petites et moyennes entreprises (PME) (Gankema et coll.,

2000). Conscients de ces nombreuses lacunes, nous retiendrons toutefois du modèle

d‟Uppsala, non pas la progression linéaire des firmes au travers des quatre étapes

proposées par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), mais bien l‟influence que peut

avoir la distance psychique sur le choix du marché et l‟influence que peut avoir

l‟expérience internationale sur le mode d‟entrée. Par contre, tout comme le paradigme

éclectique, nous notons que le modèle d‟Uppsala n‟indique en rien ce qui a déclenché

le processus d‟internationalisation en premier lieu – la décision de s‟internationaliser est

présentée comme un choix passif et réactif.

2.1.4 La perspective des réseaux

Proposant une vision alternative à la théorie des IDE et aux modèles par étapes

(Vernon et Uppsala), l‟approche des réseaux étudie le comportement de la firme dans

le contexte d‟un réseau de relations interorganisationnelles et interpersonnelles

(Axelsson et Easton, 1992; cités par Coviello et McAuley, 1999). Comme ces relations

peuvent impliquer consommateurs, fournisseurs, compétiteurs, agences privées et

publiques, famille et amis, les frontières de l‟organisation incorporent autant les

relations d‟affaires (formelles) que sociales (informelles) (Coviello et McAuley, 1999).

Selon la perspective des réseaux, qui s‟appuie sur les théories de l‟échange social et

de la dépendance face aux ressources, une firme dépend de ressources contrôlées par

d‟autres entreprises et obtient l‟accès à ces ressources externes au travers de sa

position dans le réseau (Johanson et Mattson, 1988 ; cités par O‟Farrell et coll., 1998).

Le processus d‟internationalisation ne dépend donc pas exclusivement du

comportement de la firme étudiée (Bell, 1995).

Selon Coviello et McAuley (1999), la perspective des réseaux apporte une vision

complémentaire à la théorie des IDE puisque cette dernière, comme nous l‟avons

souligné, ne tient pas compte du rôle et de l‟influence des relations sociales dans les

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transactions d‟affaires. De plus, la décision de s‟internationaliser et le déploiement des

activités internationales émergent dans la perspective des réseaux comme une fonction

des comportements des membres des différents réseaux alors que la théorie des IDE

considère que les décisions stratégiques sont prises de façon rationnelle. En

comparant le modèle d‟internationalisation d‟Uppsala à la perspective des réseaux,

Johanson et Vahlne (1992; cités par Coviello et McAuley, 1999) constatent que cette

dernière apporte un élément plus multilatéral à l‟internationalisation puisque l‟entrée

dans le marché, si graduel soit-il, est le résultat des interactions et du développement

de relations dans le temps. En somme, l‟approche des réseaux présente

l‟internationalisation comme un processus beaucoup plus complexe et moins structuré

(Bell, 1995) que les théories et les modèles que nous avons présentés précédemment.

La littérature remarque que la perspective des réseaux a la qualité d‟apporter une

perspective rafraîchissante sur le processus d‟internationalisation de la firme

particulièrement dans le cas des PME dont le développement a tendance à être

dépendant de relations avec les autres (Alexsson et Easton, 1992 ; cités par Coviello et

Munro, 1995). Johanson et Mattsson (1988 ; cités par Coviello et Munro, 1995)

soulignent que le succès de l‟entrée d‟une firme sur les marchés internationaux est plus

une question des relations qu‟elle entretient dans ses marchés, national et international,

que le marché lui-même et ses caractéristiques culturelles. Ils expliquent que les firmes

peuvent passer du marché national à international grâce à leurs relations existantes qui

leur proposent des contacts et les aident à développer de nouveaux partenaires.

Bjorkman et Forsgren (2000 ; cités par Thai, 2008) remarquent toutefois que l‟approche

a un problème majeur : elle offre des conclusions imprécises sur les manifestations de

l‟internationalisation. Cela dit, nous trouvons intéressant la perspective des réseaux

parce qu‟elles nous amènent à élargir nos avenues pour expliquer le processus

d‟internationalisation, c‟est-à-dire en regardant le rôle que peuvent avoir les réseaux de

relations sur la décision de s‟internationaliser, le choix des marchés et le mode

d‟entrée.

2.1.5 L‟entrepreneuriat international

Les théories et modèles présentés jusqu‟à maintenant ont mis une certaine emphase

sur l‟environnement de la firme dans l‟explication du processus de développement

international de la firme. Pourtant, le concept même de la stratégie d‟entreprise articulé

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par Andrews (1971) est basé sur l‟évaluation de l‟environnement et des capacités

organisationnelles de la firme jumelée à la raison d‟être de la firme et les valeurs

personnelles de ses dirigeants. Il convient donc pour comprendre la stratégie de

développement international de l‟entreprise, d‟analyser le rôle des acteurs clés de

l‟organisation. Dans le contexte du processus d‟internationalisation, le champ de

l‟entrepreneuriat international s‟avère particulièrement intéressant par l‟attention qu‟il

porte sur la formation de la stratégie de développement international. Combinant les

théories des affaires internationales et de l‟entrepreneuriat, l‟entrepreneuriat

international est défini comme «the process of creatively discovering and exploiting

opportunites that lie outide a firm’s domestic markets in the pursuit of competitive

advantage» (Zahra et George, 2002 :261). L‟entrepreneuriat international est porté par

un entrepreneur, décrit comme «une personne imaginative, caractérisée par une

capacité à se fixer et à atteindre des buts. Cette personne maintient un niveau élevé de

sensibilité en vue de déceler des occasions d‟affaires […]. » (Filion, 1997), qui s‟oriente

vers le marché international. Zahra et George (2002) notent la proactivité, l‟innovation

et la prise de risques dont ces firmes entreprenantes font preuve lors de l‟expansion

internationale de leurs opérations. L‟entrepreneuriat international, par le mode proactif

de l‟entrepreneur, contraste ainsi avec le modèle d‟internationalisation d‟Uppsala.

Notons que ici que l‟entrepreneuriat international ne se limite pas à la question du

«timing» de l‟internationalisation, c‟est-à-dire à la rapidité à laquelle la firme

s‟internationalise.

Les études empiriques menées dans le champ de l‟entrepreneuriat international

démontrent que les caractéristiques des hauts dirigeants influencent la volonté de la

firme à s‟internationaliser (Zahra et George, 2002). Les entrepreneurs qui possèdent

une vision internationale, qui ont étudié à l‟étranger ou qui ont une expérience de travail

à l‟étranger sont les plus susceptibles de reconnaître les opportunités d‟affaires en

dehors du marché national et de poursuivre des stratégies d‟internationalisation malgré

les limites de leurs ressources (Zahra et coll., 2003). Ils font preuve d‟un intérêt et d‟une

motivation à œuvrer à l‟international. Malgré le flou qui persiste dans la littérature sur la

délimitation de ce champ de recherche (Tortellier, 2005), la définition et les

caractéristiques des entrepreneurs proposées par Zahra et George (2002) nous

permettent d‟ajouter une dimension entrepreneuriale jusqu'alors peu abordée dans les

modèles traditionnels de description du processus d‟internationalisation (Etrillard,

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2004). En plus de mettre en lumière le rôle des acteurs clés dans la décision de

s‟internationaliser, la définition d‟entrepreneuriat international suggère de se pencher

sur les avantages compétitifs recherchés par la firme lors de l‟internationalisation. Nous

croyons que les premières retombées financières et non financières seront susceptibles

d‟influencer l‟internationalisation subséquente de la firme. Bref, nous croyons que

malgré la nouveauté de ce champ de recherche, le champ de l‟entrepreneuriat

international nous permet de compléter le portrait d‟analyse du processus

d‟internationalisation que nous tentons de dégager par cette revue de la littérature.

2.1.6 Synthèse des théories de l‟internationalisation de l‟entreprise

Cette première section de notre revue de la littérature nous a permis de cerner les

apports des théories d‟internationalisation de l‟entreprise les plus couramment utilisées

dans les démarches empiriques portant sur le processus de développement

international. Nous pouvons constater que chacune des théories relevées apporte une

explication à la décision de s‟internationaliser, au choix des marchés, au mode

d‟entrée, à l‟internationalisation subséquente ou aux avantages de l‟internationalisation.

La nature du processus d‟internationalisation peut donc être conceptualisée sous la

forme de cinq dimensions qui correspondent aux cinq sous-questions de recherche

présentées dans le chapitre 1. Le tableau 1 montre les liens qui peuvent être faits entre

ces dimensions et les théories d‟internationalisation de l‟entreprise.

Tableau 1 : Synthèse des théories de l’internationalisation de l’entreprise

Dimension Théories d’internationalisation

Décision de s‟internationaliser Vernon, réseaux, entrepreneuriat international

Choix des marchés Uppsala, réseaux

Mode d‟entrée Dunning, Uppsala, réseaux

Internationalisation subséquente Entrepreneuriat international

Avantages de l‟internationalisation Entrepreneuriat international

2.2 CARACTÉRISTIQUES DES INDUSTRIES CRÉATIVES

Le domaine de l‟économie créative s‟est bonifié au cours des dix dernières années par

de nombreux concepts qui permettent de cerner en quoi cette nouvelle économie est

différente de l‟économie industrielle. Nous puiserons dans la littérature les concepts qui

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ont trait plus particulièrement aux industries créatives soit ses caractéristiques et ses

acteurs pour dégager le contexte spécifique dans lequel œuvrent les firmes créatives.

Cette section fera donc office de note d‟industries.

2.2.1 Définition et classification des industries créatives

Il existe dans la littérature académique de l‟économie créative encore un nombre

considérable d‟inconsistances et de désaccords sur la définition même des industries

créatives, particulièrement sur la distinction avec les industries culturelles (UNCTAD,

2008). L‟ONU (UNCTAD, 2008) offre une définition en cinq points des industries

créatives :

- elles sont le cycle de création, de production et de distribution de biens et

services qui utilisent la créativité et le capital intellectuel comme intrants de

base;

- elles constituent un groupe d‟activités basées sur les connaissances,

concentrées sur, mais non exclusivement, l‟art, générant potentiellement des

revenues du commerce et de la propriété intellectuelle;

- elles comprennent des produits tangibles et des services intellectuels ou

artistiques intangibles ayant en commun un contenu créatif, une valeur

économique et des objectifs de marché;

- elles sont au croisement des secteurs de l‟artisanat, des services et industriel;

- elles constituent un nouveau secteur dynamique dans le commerce mondial.

Afin de bien saisir la distinction entre industries culturelles et industries créatives, l‟ONU

suggère de s‟attarder aux biens et services qu‟elles produisent. Les biens et services

culturels, comme les œuvres d‟art, les performances musicales, la littérature, les films,

se distinguent des autres commodités entre autres par le type de valeur qu‟ils incarnent

ou génèrent (UNCTAD, 2008). En effet, ces biens et services ont une valeur culturelle

en plus de la valeur commerciale qu‟ils peuvent posséder et cette valeur est

difficilement mesurable en terme monétaire. Les consommateurs placent donc une

valeur, pour des raisons sociales, culturelles ou des considérations esthétiques, qui

complémente ou transcende une évaluation purement économique. En ce sens, les

biens et services culturels sont une sous catégorie de la catégorie plus large des biens

et services créatifs. La catégorie de biens créatifs va au-delà des biens culturels pour

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inclure des produits comme la mode et les logiciels dont la production nécessite la

créativité humaine, mais qui sont perçus comme essentiellement commerciaux

(UNCTAD, 2008).

Parmi les différents modèles de classification des industries créatives mis sur pied

depuis le milieu des années 1990, nous retiendrons celui du Département britannique

de la culture, des médias et du sport (DCMS) élaboré en 1997 dans le but de

positionner l‟Angleterre comme une économie basée sur la créativité. Selon le DCMS

(2009) «The creative industries are those that are based on individual creativity, skill

and talent. They also have the potential to create wealth and jobs through developing

and exploiting intellectual property.» Elles comprennent les 13 industries suivantes: la

publicité, l‟architecture, les arts et antiquités, l‟artisanat, le design, la mode, le film, les

arts de la scène, l‟édition, les logiciels, les jeux vidéo et la télévision et radio. McGuigan

(1998; cité par Flew, 2002) pointe toutefois l‟élément ad hoc et pragmatique dans la

classification du DCMS. Il affirme qu‟«In the UK case, the inclusion of sectors such as

architecture and antiques is connected to the institutionally alignment of culture with the

heritage sector, while the inclusion of areas such as designer fashion may reflect both

the fact that Britain is a world leader in the area […]». En dépit de cette critique, l‟ONU

rappelle qu‟il n‟y a pas de bon ou de mauvais modèle de classification des industries

créatives et qu‟il faut choisir celui le plus approprié selon l‟objectif d‟analyse visé

(UNCTAD, 2008).

2.2.2 Propriétés des industries créatives

Par la dimension de la créativité qui les unit, les industries créatives possèdent des

propriétés distinctes qui affectent à la fois leur organisation, leur impact économique et

leur localisation (Turok, 2003). Selon Hartley (2005), elles se différencient de plusieurs

façons des industries manufacturières. Alors que les industries d‟autrefois étaient

composées d‟entreprises à grande échelle, les industries créatives sont plutôt des

micro-entreprises ou des petites et moyennes entreprises (PME). Tandis que les

industries d‟autrefois présentaient une forme d‟organisation industrielle, les industries

créatives sont organisées autour de projets et non d‟une usine ou d‟un bureau.

Dans son livre Creative Industries : Contract Between Arts and Commerce, Caves

(2000) identifie sept propriétés uniques aux industries créatives.

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1. Incertitude de la demande

Parce que les produits créatifs sont des produits expérientiels («experience

goods»), il y une incertitude considérable entourant leur demande. Rarement

connaît-on d‟avance la réaction des consommateurs et la satisfaction qu‟ils

retireront du produit sera largement subjective et intangible;

2. «L‟art pour l‟art»

Les créateurs dans les industries créatives se soucient passionnément de la

qualité de leurs produits et retirent une forme de satisfaction non économique de

leur travail et de leurs activités créatives;

3. Production collective

La production de certains produits créatifs complexes, comme les films, est de

nature collective. Il y a un besoin de développer et maintenir des équipes

créatives aux habiletés variées qui possèdent souvent des intérêts et des

attentes très différentes quant au produit final;

4. Variété infinie

Il y a la possibilité d‟une variété infinie de produits à la fois sur un format

particulier et entre les formats;

5. Liste A / liste B

Les habiletés des artistes sont différentiées verticalement ce qui mène au

phénomène d‟une «liste A / liste B» dans la façon dont ils sont évalués. Une

petite différence dans les habiletés des artistes peut mener à une grande

différence dans le succès des projets créatifs;

6. Espace-temps serré

Les différentes activités créatives doivent être coordonnées dans un espace-

temps et des délais souvent serrés;

7. Durabilité des produits

Les produits créatifs ont un aspect de durabilité puisque des rentes

économiques peuvent être retirées (par la protection intellectuelle) bien après

leur production.

Flew (2002) remarque que par ses sept propriétés, Caves (2000) met en lumière le

risque majeur et l‟incertitude autour des retombées économiques des activités

créatives. Ce risque et cette incertitude ont un impact sur la façon dont les industries

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créatives sont structurées et organisées. En effet, Caves (2000) avance que les

activités créatives sont gérées sous forme de contrats qui lient les différentes parties

impliquées dans la production et la distribution du produit créatif de façon à réconcilier

les intérêts artistiques et économiques de chacun.

2.2.3 La chaîne de valeur dans les industries créatives

Un autre aspect, relevé dans la littérature, qui distingue les industries créatives des

industries traditionnelles concerne leurs chaînes de valeur, c‟est-à-dire l‟organisation de

la production et la création de valeur à chaque étape de la production. Brecknock

(2004) explique que tous les produits, créatifs ou non, entrent dans une chaîne de

production qui amène les idées originales jusqu‟aux consommateurs. La chaîne de

valeur traditionnelle prend ainsi la forme de la figure 1.

Figure 1 : Chaîne de valeur traditionnelle

Source : Brecknock (2004)

Brecknock (2004) avance que la chaîne de valeur des industries créatives diffère de

celle-ci puisque l‟unicité des produits créatifs introduit dans le processus de production

deux nouveaux joueurs : le créateur (l‟encodeur) et le consommateur (le décodeur). La

figure 2 illustre la chaîne de valeur dans l‟industrie des arts de la scène. Brecknock

(2004) fait remarquer qu‟il y a un processus de communication d‟information

symbolique entre l‟artiste et le public. Ce que cette deuxième figure nous montre bien

est que la valeur dans les industries créatives est créée à la fois en amont, par les

talents, et en aval, par les consommateurs qui donnent un sens, une valeur aux

produits créatifs.

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Figure 2 : Chaîne de valeur dans les arts de la scène

Source : Brecknock (2004)

Si nous regardons de plus près du côté des talents, en amont, il est vrai que les

industries créatives dépendent fortement des ressources humaines. Zapata (2008)

mentionne l‟exemple de l‟industrie de la publicité où le travail ne dépend pas que des

outils graphiques utilisés pour imprimer, pour faire le design ou pour dessiner les

concepts, mais dépend aussi et surtout du talent humain des employés, soit leur

expérience, leur éducation et leur créativité. Ce sont ces éléments qui vont augmenter

la valeur du produit final. Caves (2000) exprime cette dynamique de talents créatifs

avec le principe de la liste A / liste B mentionné plus haut. Les artistes sont évalués en

fonction de leurs habiletés, leur originalité et leurs compétences dans les processus

créatifs. Des petites différences dans le talent et les habiletés peuvent entraîner de

grandes différences dans le succès des produits. Trouver le meilleur talent qui soit est

donc un enjeu crucial dans les industries créatives. Miège (1989; cité par Hartley,

2005 :351) parle même de «a permanent crisis in ‘creativity’ [where] producers must

constantly be on the lookout for new ‘forms’ or new talent».

Si nous regardons cette fois du côté du consommateur, en aval, il faut comprendre que

les consommateurs jouent aussi un rôle déterminant dans le succès d‟un produit ou

d‟un service créatif (Hartley, 2005). Caves (2000) souligne le fait que «the consumer (or

market, more accurately) is ‘sovereign’ to the extent that the value of creativity as an

input can’t be gauged until it is used». La valeur apposée à la créativité est subjective et

intangible et déterminée suite à sa consommation. Selon Hartley (2005), pour

comprendre les industries créatives, il faut donc se concentrer sur cette nouvelle

dynamique de consommation, source de valeur dans la chaîne de production. Le

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consommateur a évolué du stade passif, où il consommait ce que l‟industrie voulait bien

produire, à un stade où il s‟exprime lorsqu‟il consomme. Il est désormais «a thinking,

emotional, creative being» (Hartley, 2005 :24) . Pour Hartley (2005 :24), l‟analyse des

industries créatives requiert «[that] we dump the behavioral model of the consumer, and

instead begin an analysis that is sited on consumption as much as production – but

consumption as action, not behavior».

2.2.4 La classe créative et les entrepreneurs créatifs

La littérature sur l‟économie créative s‟est penchée sur ce qui caractérisait les

industries créatives, mais également sur les acteurs qui en font partie. Les travaux de

Florida (2002) démontrent que l‟économie créative a donné lieu à l‟émergence d‟une

nouvelle classe sociale : la classe créative. Dans son livre The Rise of the Creative

Class (2002), il affirme que près de 30% la main d‟œuvre totale des États-Unis

appartient à cette nouvelle classe de travailleurs créatifs. Il fait la distinction entre deux

catégories de professionnels appartenant à la classe créative. La première est formée

par des individus qui sont complètement impliqués dans le processus de création et qui

sont payés pour être créatifs, pour créer de nouvelles technologies ou de nouvelles

idées – le «super creative core». Ce sont entre autres les scientifiques, les ingénieurs,

les artistes, les architectes, etc. La deuxième catégorie est formée de «creative

professionals», des professionnels avec un haut niveau de qualification et une capacité

d‟innovation, oeuvrant dans les domaines du droit, de la médecine, de la gestion et de

la finance et qui, eux, sont impliqués dans la résolution de problèmes complexes. En

d‟autres mots, par leur créativité, tous ces travailleurs ajoutent une valeur à un produit

ou une idée. Florida (2002) avance que les villes qui réussiront dans l‟économie

créative seront celles capables d‟attirer et de retenir la classe créative. Si les travaux de

Florida sont reconnus pour avoir fait avancer le discours public sur l‟économie créative,

ils ont aussi maintes fois été critiqués, généralement pour la définition même de la

classe créative, trop vaste pour être réellement pertinente (UNCTAD, 2008).

À la tête des industries créatives se trouve un type bien particulier d‟acteurs : les

entrepreneurs créatifs. Ils sont définis comme des entrepreneurs talentueux capables

de transformer des idées en des produits et services créatifs pour la société (UNCTAD,

2008). Ceux-ci se distinguent des entrepreneurs d‟autrefois, car ils vont chercher leur

matière non pas dans le capital, mais à l‟intérieur d‟eux-mêmes : «They use creativity to

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unlock the wealth that lies within themselves. Like true capitalists, they believe that this

creative wealth, if managed right, will engender more wealth» (Howkins, 2001 : 129).

Selon Howkins (2001), les entrepreneurs créatifs partagent les cinq caractéristiques

suivantes:

- Vision. Ils ont un rêve et veulent transformer ce rêve en réalité.

- Concentration. Ils sont déterminés et ils fixent leur attention sur une seule

chose.

- Perspicacité financière. Ils ont des habiletés financières suffisantes pour bâtir

une entreprise.

- Fierté. Ils sont fiers d‟eux-mêmes et de leurs idées et ne lâchent pas prise.

- Sentiment d‟urgence. Ils agissent rapidement, ils sont pressés d‟atteindre leur

objectif.

Il est intéressant d‟ajouter qu‟ils ont aussi une habileté à aller chercher le meilleur du

talent et de la créativité du groupe qu‟ils dirigent (Leadbeater, 1999; cité par Flew,

2002). Le Digital Media Alliance (cité par Howkins, 2001 :131) les décrit comme

détenant «an easy ability to group and regroup talent, fast decision-making and hot-

house conditions for distilling creative ideas». Napier et Nilsson (2006) complètent ce

portrait de l‟entrepreneur créatif en spécifiant que celui-ci joue le rôle de l‟architecte, du

supporteur et du développeur de la capacité créative de l‟organisation. La capacité

créative est composée de l‟ensemble des routines et des processus qui renforce la

capacité de comportements et d‟actions créatifs de l‟organisation. Comme cette

capacité créative est en soi la source de leur avantage compétitif, l‟habileté de

l‟entrepreneur à développer et utiliser cette capacité créative est primordiale pour les

firmes créatives.

2.2.5 Synthèse des caractéristiques des industries créatives

À la lumière de cette note d‟industries, nous pouvons constater que plusieurs des

caractéristiques des industries créatives laissent envisager que les firmes créatives

adopteraient un comportement d‟internationalisation différent des firmes

manufacturières. L‟incertitude quant aux retombées économiques des produits créatifs

fait que les entrepreneurs créatifs auront à gérer un haut niveau de risques en étendant

les activités de la firme à l‟international. Nous pourrions penser que cette notion de

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risque pourrait influencer la décision de s‟internationaliser. Les firmes créatives ont

aussi la particularité de posséder, contrairement aux firmes manufacturières, peu

d‟actifs fixes et beaucoup d‟actifs intangibles. Cette différence est assez marquante

pour que les priorités en terme de marchés et de mode d‟entrées se reflètent dans un

processus d‟expansion internationale propre aux firmes créatives. Puis, finalement,

nous remarquons qu‟en plus d‟être de petite taille, les firmes créatives sont menées par

des entrepreneurs déterminés. Les décisions quant à la stratégie d‟expansion à court et

à long terme risquent d‟être centrées autour d‟une seule personne, émotivement liée au

succès de l‟entreprise. Ces pistes d‟hypothèses ne font que renforcer la pertinence de

se pencher sur la nature du processus d‟internationalisation des firmes créatives, de la

décision de s‟internationaliser jusqu‟aux avantages retirés une fois l‟internationalisation

enclenchée.

2.3 CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE

Le recensement des écrits complété, nous sommes en mesure de construire un cadre

conceptuel qui guidera le présent mémoire. Rappelons que nous cherchons à répondre

à la question suivante : «Quelle est la nature du processus d’internationalisation

des firmes créatives?» Pour ce faire, nous allons répondre à cinq sous-questions qui

correspondent aux cinq dimensions du processus d‟internationalisation, soit la décision

de s‟internationaliser, le choix des marchés, le mode d‟entrée, l‟internationalisation

subséquente et les avantages de l‟internationalisation. Ces cinq dimensions sont

représentées par les cinq boîtes du cadre conceptuel présenté en figure 3. Les cinq

boîtes réunies, pour l‟instant sans liens causals, nous permettront de comprendre à la

fois les facteurs qui motivent l‟enclenchement du processus d‟internationalisation (le

«pourquoi») ainsi que le déploiement du processus d‟internationalisation (le

«comment»). Si nous nous penchons sur le contexte dans lequel l‟internationalisation a

pris racine, notre cadre conceptuel n‟inclut pas le paramètre du «timing» de

l‟internationalisation. Ce cadre conceptuel initial servira de balises à notre démarche

terrain, mais nous nous permettrons de le bonifier à la lumière des résultats obtenus

par l‟analyse de cas.

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Figure 3 : Cadre conceptuel initial

Nature du processus d’internationalisation

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3. Méthodologie

Ce chapitre a pour objectif de présenter la démarche méthodologique qui sera utilisée

pour répondre à notre question de recherche : «Quelle est la nature du processus

d‟internationalisation des firmes créatives?» Nous débuterons par expliquer pourquoi

parmi les différentes méthodes de recherche proposées en sciences sociales nous

avons opté pour la méthode des cas. Ensuite, nous détaillerons le design de la

recherche, c‟est-à-dire la structure que prendront nos cas. Puis, nous développerons

notre protocole de recherche soit les méthodes de collecte et d‟analyse des données.

Nous terminerons par les tests utilisés pour s‟assurer de la qualité de la recherche.

3.1 JUSTIFICATION DE LA MÉTHODE DES CAS

Parmi les différentes stratégies de recherche qui nous sont proposées dans la

discipline des affaires internationales, soit les expériences, les enquêtes, les études

historiques et les analyses d‟archives, nous retrouvons la méthode des cas (Yin, 2009).

Yin (2009 :18) définit cette méthode comme «an empirical inquiry that investigates a

contemporary phenomenon in depth and within its real-life context». Yin (2009) propose

trois conditions pour déterminer si la méthode des cas se prête à l‟objet à l‟étude : (1) la

nature des questions, (2) le contrôle dont dispose le chercheur sur les événements et

(3) la nature de l‟événement (contemporain ou historique). Yin (2009) affirme que la

méthode de cas est la plus appropriée pour des recherches avec des types de

questions comme «comment» et/ou «pourquoi» portant sur des événements

contemporains sur lesquels le chercheur a peu de contrôle. Notre mémoire s‟inscrit en

tout point dans ces conditions. Nous nous interrogeons sur pourquoi et comment les

firmes créatives s‟internationalisent, nous allons étudier le phénomène d‟un point de

vue externe sans manipulation des événements et nous allons nous baser sur le

parcours d‟internationalisation des firmes pour dégager des tendances actuelles sur la

question du processus d‟expansion internationale.

Outre la justification de la méthode de cas par les conditions de Yin (2009), nous

apprécions cette méthode notamment pour le niveau de profondeur et l‟accent sur

l‟objet à l‟étude qu‟elle nous permet (Ghauri, 2004). À travers les différentes sources de

données qu‟une collecte de donnée nécessite pour former un cas (Ghauri, 2004), nous

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allons réussir à véritablement cerner la dynamique d‟internationalisation de chaque

firme créative. Parmi les avantages de la méthode de cas, Ghauri (2004) souligne

qu‟elle permet d‟adopter une perspective longitudinale. Ceci implique que nous

pouvons relater le parcours d‟internationalisation de façon temporelle, de la décision de

s‟internationaliser jusqu‟au plan futur d‟internationalisation. Elle permet aussi de placer

dans son contexte le comportement des objets à l‟étude donc de prendre en

considération l‟environnement dans lequel les firmes créatives évoluent. Grâce à son

niveau de profondeur, la méthode des cas permet de construire des théories («theory

building») donc de passer du particulier au général (Ghauri, 2004).

3.2 DESIGN DE LA RECHERCHE

3.2.1 Question de recherche

Eisenhardt (1989) souligne l‟importance de définir en premier lieu la question de

recherche en citant à ce propos Mintzberg (1979) qui note «No matter how small our

sample ou what our interest, we have always tried to go into organizations with a well-

defined focus – to collect specific kinds of data systematically». La question de

recherche principale de notre mémoire est la suivante : «Quelle est la nature du

processus d‟internationalisation des firmes créatives?» Comme, à notre connaissance,

notre sujet de recherche n‟a jamais été étudié, notre mémoire se situe dans une

démarche exploratoire dont le but est de développer des hypothèses et des

propositions pertinentes qui pourront faire l‟objet de recherches futures (Yin, 2009).

Pour ce faire, Eisenhardt (1989) recommande de ne pas jumeler à la question de

recherche des propositions puisque ceux-ci pourraient biaiser et même limiter les

résultats. Elle suggère plutôt aux chercheurs de préciser à partir de la littérature

existante quelques variables potentiellement importantes, mais toujours avec le soin

d‟éviter de penser à des relations entre les variables et les théories. À partir de la

littérature sur les théories d‟internationalisation, nous avons convenu d‟étudier le

processus d‟internationalisation sous cinq dimensions, soit la décision de

s‟internationaliser, le choix des marchés, le mode d‟entrée, l‟internationalisation

subséquente et les avantages de l‟internationalisation. C‟est donc notre cadre

conceptuel qui a servi de balises à notre travail de recherche sur le terrain.

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3.2.2 Sélection des cas

Notre question de recherche indique clairement que l‟unité d‟analyse de notre mémoire

est la firme créative. Nous nous pencherons sur l‟analyse des comportements de celle-

ci approchant chaque firme dans sa globalité, c‟est-à-dire de manière holistique. Pour

arriver à dresser un portrait le plus révélateur qui soit des industries créatives,

répertoriées au nombre de 13 par le DCMS (2009), nous avons choisi de faire l‟étude

de cinq firmes créatives ayant internationalisé leurs activités. Avec cinq cas et une

seule unité d‟analyse, nous nous retrouvons avec un design de cas multiples holistique.

Si la conduite d‟une étude de cas multiples nécessite plus de temps et de ressources,

Yin (2009) mentionne qu‟elle a son lot d‟avantages. Les constats tirés de plusieurs cas

sont souvent considérés comme plus convaincants et le projet de recherche est perçu

comme plus robuste (Herriott et Firestone, 1983; cités par Yin, 2009).

Comme la pertinence de notre recherche provient du fait qu‟aucune étude ne s‟est

penchée sur les industries créatives dans leur ensemble, il allait de soi d‟examiner

plusieurs industries créatives. La sélection des cas s‟est effectuée de la façon suivante.

Nous avons pris la classification des industries créatives formulée par le DCMS (2009)

et nous avons répertorié pour chacune des industries les firmes créatives oeuvrant à

l‟étranger que nous connaissions. Nous nous sommes concentrés sur les firmes

siégeant à Montréal pour faciliter le déroulement des entretiens individualisés. La

recherche Internet nous a permis de valider si les firmes correspondaient bien au profil

recherché, c‟est-à-dire une firme appartenant à une des treize industries créatives et

ayant internationalisé ses activités. Nous avons tout d‟abord contacté les firmes où

nous possédions un contact personnel ou personnel pour augmenter nos chances

d‟obtenir un entretien avec un haut dirigeant. Une des firmes rencontrées nous a

également référé à d‟autres firmes correspondant au profil recherché. Nous nous

sommes finalement arrêtés sur cinq firmes, un nombre qui nous permettait de couvrir

quatre industries créatives différentes et d‟obtenir de la variance dans nos résultats.

Notre échantillon comprend donc une firme de publicité (Sid Lee), une d‟architecture

(Aedifica), une de mode (Harricana) et deux des arts de la scène (Juste pour rire et le

Cirque du Soleil).

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3.3 PROTOCOLE DE LA RECHERCHE

3.3.1 Méthodes de collecte de données

Comme conseillé par Ghauri (2004), afin de recueillir une quantité suffisante

d‟information pour expliquer le parcours d‟internationalisation unique de chaque cas et

pour faire ressortir les caractéristiques communes à tous, nous avons procédé à une

collecte de données à l‟aide de plusieurs sources. Selon Länsisalmi, Peiro, et Kivimäki

(2004), l‟avantage d‟aller chercher le plus de sources d‟évidence possible est de

pouvoir bénéficier des forces de chacune des sources en plus de pouvoir appliquer le

principe de triangulation des données. La triangulation consiste à corroborer une

information par plusieurs sources de données (Yin, 2009). Nous avons construit nos

cinq cas à partir de données secondaires et primaires obtenues par la recherche

documentaire et la conduite d‟entretiens. Nous avons suivi le même modèle pour

chacun des cas.

La recherche documentaire a consisté au recensement et à l‟analyse de divers articles

de journaux, d‟études de cas et de livres publiés sur les cinq firmes de notre

échantillon. Comme les cinq firmes sont de propriété privée, l‟obtention de données de

nature plus financière a été plus limitée. Nous nous sommes également beaucoup

servis des informations publiées sur les sites Internet des firmes et des communiqués

de presse diffusés aux médias. La recherche documentaire nous a permis de bien

cerner les activités nationales et internationales de chaque firme et d‟être bien préparés

pour la conduite des entretiens.

Les entretiens semi-structurés se sont tenus au cours de l‟été 2009 aux bureaux des

répondants. Nous avons effectué un seul entretien par firme avec une personne de la

haute direction, sauf pour Juste pour rire où nous avons rencontré deux répondants (le

deuxième nous a demandé de conserver anonyme son nom). Notre questionnaire

d‟entretien (annexe 1) comprenait des questions ouvertes portant sur les cinq

dimensions du processus d‟internationalisation. Nous avons choisi d‟ajouter deux

questions supplémentaires sur les défis liés à l‟expansion internationale et sur les clés

du succès pour approfondir encore plus les enjeux de l‟internationalisation. Ces

entretiens nous ont permis d‟aller chercher la grande majorité des informations

nécessaires pour la construction de nos cas. Le tableau 2 présente les dates des

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entretiens ainsi que le nom et la fonction des répondants interrogés.

Notre collecte et notre traitement des données ont été effectués selon la grille

présentée sous la forme du tableau 3. Pour chacun des cas, nous avions un certain

nombre d‟informations à recueillir correspondant à l‟une des cinq dimensions du

processus d‟internationalisation.

Tableau 3 : Grille de collecte et de traitement des données

Dimension Informations à recueillir

Décision de s‟internationaliser - La firme avait-elle une expérience préalable à

l‟international?

- Quels sont les facteurs internes et externes qui

ont motivé l‟internationalisation de la firme?

- Qui a amorcé le projet d‟internationalisation?

Quelles sont ses caractéristiques?

Choix des marchés - Vers quels marchés la firme s‟est-elle tournée?

- Quels sont les critères qui ont guidé le choix des

marchés?

Mode d‟entrée - Quels sont les modes d‟entrée privilégiés par la

firme?

Internationalisation subséquente - Quels sont les objectifs de croissance de la firme

à l‟international?

- Quelle stratégie compte-t-elle mettre en place?

Avantages de l‟internationalisation - Quels sont les avantages retirés de

l‟internationalisation?

Tableau 2 : Déroulement des entretiens

Cas Firme Nom du répondant Date de l’entretien

#1 Sid Lee Bertrand Cesvet, président du conseil 11 juin 2009

#2 Aedifica Michel Dubuc, président 17 juin 2009

#3 Juste pour rire - Gilbert Rozon, fondateur

- Vice-président ventes et marketing

3 juillet 2009

31 août 2009

#4 Harricana Mariouche Gagné, présidente-

designer

28 août 2009

#5 Cirque du Soleil Mario D‟Amico, vice-président

principal, marketing

16 septembre 2009

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3.3.2 Traitement des données

Une fois les données secondaires et primaires recueillies pour chacune des cinq firmes,

nous avons entrepris le traitement des données. Le traitement a pris la forme dans un

premier temps de la présentation de cas. Eisenhardt (1989) affirme que la présentation

des cas, qu‟elle nomme «case study write-ups», est souvent simplement une

description des cas, mais elle est centrale à l‟émergence de résultats puisqu‟elle

permet de gérer l‟énorme volume de données recueillies. Nous avons suivi le même

modèle pour chacun des cas. Nous avons dans un deuxième temps construit un

tableau synthèse qui présente visuellement les observations recueillies pour chacun

des cas. Tel qu‟avancé par Eisenhardt (1989), le traitement des données nous a permis

de nous familiariser avec chaque cas de façon individuelle et de faire ressortir les

spécificités de chacun.

3.3.2 Analyse des données

Pour pouvoir formuler des propositions sur la nature du processus d‟internationalisation

des firmes créatives, nous avons procédé à deux techniques d‟analyse, soit

l‟appariement de modèles et l‟analyse inter-cas. L‟appariement de modèles consiste à

établir des liens entre les données et les propositions de recherche (Yin, 2009). Comme

nous avions convenu de faire usage d‟un cadre conceptuel pour baliser notre

recherche, et non de propositions de recherche, nous avons lié les données obtenues

pour chaque cas aux cinq dimensions de notre cadre conceptuel. Le modèle

d‟internationalisation de chaque firme se présente sous la forme d‟un tableau synthèse.

L‟analyse inter-cas, quant à elle, consiste à traiter chaque cas (dans notre cas, chaque

firme) de façon individuelle et de les mettre en parallèle l‟un aux autres (Yin, 2009).

Nous avons pris chacun des tableaux synthèses, contenant les mêmes cinq

dimensions, et nous les avons mis ensemble pour créer un seul et même tableau

réunissant toutes les observations. En mettant les résultats ainsi en parallèle, pour

chaque dimension, nous avons surligné les tendances observées à travers les cas.

Nous sommes allés puiser dans la présentation des cas pour aller chercher les

explications pour chaque tendance. Ces deux techniques d‟analyse nous ont permis

d‟émettre quelques propositions théoriques et de répondre ainsi à notre question de

recherche principale et à ses cinq sous-questions.

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3.3 QUALITÉ DE LA RECHERCHE

Yin (2009) propose quatre critères de qualité qui doivent être pris en compte pour

augmenter la robustesse des résultats. Premier critère, la validité de construit, consiste

à établir les mesures opérationnelles adéquates pour les concepts à l‟étude (Yin, 2009).

Pour ce faire, Yin (2009) suggère de faire appel à de multiples sources d‟évidences

ainsi que d‟établir une chaîne d‟évidence entre les questions, les données et les

conclusions tout au long de la collecte de données. Comme nous l‟avons expliqué,

nous avons utilisé principalement deux sources de données, la recherche documentaire

et les entretiens semi-structurés, qui nous ont permis d‟appliquer une triangulation des

données. Nous avons également suivi avec rigueur le protocole de recherche établi

pour s‟assurer de maintenir une chaîne d‟évidence.

Le critère de validité interne, deuxième critère, se prête uniquement aux études

explicatives ou descriptives puisqu‟il a pour but d‟établir l‟existence de relations

causales entre les données et les propositions (Yin, 2009). Comme notre recherche est

de type exploratoire qui ne vise pas à établir des liens de cause à effet, la validité

interne n‟est ici pas mise en cause. Toujours selon Yin (2009), le troisième critère, la

validité externe, consiste à définir le domaine de généralisation des résultats obtenus

par les cas. Dans le cas de notre travail terrain, nous sommes capables de généraliser

les résultats de nos cinq cas à des théories, c‟est-à-dire à des propositions de

recherche. Nous avons une généralisation de type théorique et non statistique. En

privilégiant un design de recherche de cas multiples et en sélectionnant des firmes de

différentes industries créatives identifiées par le DCMS (2009) nous avons pu assurer

la validité externe de notre recherche.

Finalement, le quatrième critère, celui de fidélité, vise à démontrer que si les

procédures de la collecte de données étaient répétées par un autre chercheur, celui-ci

arriverait aux mêmes résultats (Yin, 2009). Pour nous assurer de la fidélité de notre

recherche, nous avons misé sur la transparence de la méthodologie. Comme de fait,

nous avons détaillé dans ce chapitre la formulation des questions de recherche, la

sélection des cas et les techniques de collecte et d‟analyse des données. Tout au long

du mémoire, nous avons inclus bon nombre de tableaux (synthèses et comparatifs) qui

laissent la trace la plus claire possible de notre démarche.

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4. Présentation des résultats

Dans ce quatrième chapitre de notre mémoire, nous présenterons les cas des cinq

firmes étudiées pour comprendre le processus d‟internationalisation des firmes

créatives soit Sid Lee, Aedifica, Juste pour rire, Harricana et le Cirque du soleil. Pour

faciliter l‟appariement de modèles et l‟analyse inter-cas, la présentation des cas suit un

même cadre : (1) description des activités de la firme, (2) présentation du parcours

international, (3) décision de s‟internationaliser, (4) choix des marchés, (5) mode

d‟entrée, (6) internationalisation subséquente, (7) avantages de l‟internationalisation,

(8) défis de l‟internationalisation, (9) clés du succès. Rappelons que, tel qu‟illustré dans

notre cadre conceptuel, notre analyse portera principalement sur les points 3 à 7, mais

que nous avons jugé bon d‟ajouter les autres points pour bien mettre en contexte le

parcours et les enjeux d‟internationalisation de chaque firme.

4.1 SID LEE

4.1.1 Description des activités de la firme

Loin d‟une agence de publicité traditionnelle, Sid Lee est une agence de créativité

commerciale dont l‟approche intègre à la fois la publicité, l‟art, le design, le Web et

l‟architecture (Dansereau, 2008). Sid Lee est fondé en 1993 par Philippe Meunier et

Jean-François Bouchard sous le nom de Diesel marketing puis procède à un

changement de nom en 2007 suite à la confusion du nom de l‟agence avec la marque

de jeans italienne. On notera que Sid Lee est un anagrame de Diesel. Son président,

Jean-François Bouchard, décrit Sid Lee comme «un collectif multidisciplinaire qui

repousse les frontières de la création» (Sid Lee, 2008). Si l‟agence a réussi à percer les

marchés nationaux et récemment internationaux, c‟est grâce à l‟accent sur la créativité

qui infuse toutes les facettes de son modèle d‟affaires. Des bureaux et des murs de

l‟agence jusqu‟à la gestion des équipes de projet, tout est mis en place au service de la

création. Sid Lee est même l‟hôte d‟un incubateur de créativité, Sid Lee Collective, une

sorte de plateforme où les employés (désignés à l‟agence comme des artisans)

peuvent travailler sur des projets personnels qu‟ils lancent eux-mêmes. Environ 2% des

revenus de la firme sont investis dans le collectif qui agit comme un véritable

laboratoire de recherche et développement (Dansereau, 2008). La force créative de Sid

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Lee repose aussi sur l‟intégration des disciplines au sein des projets créatifs. Elle

compte ainsi sur une équipe de talents des plus diversifiées qui regroupe des

rédacteurs, des webmestres, des idéateurs, des architectes et des designers industriels

(Champagne, 2009a). Aujourd‟hui, le portfolio de Sid Lee inclut des clients québécois

comme le Cirque du Soleil, Loto-Québec, Tourisme Montréal et la Société des alcools

du Québec, mais aussi des clients internationaux comme Heineken, Red Bull, Wall-

Mart et Adidas. En obtenant en 2008 le compte mondial d‟Adidas, l‟agence devient

d‟ailleurs la première agence de publicité canadienne à décrocher un contrat de telle

envergure à l‟international (Champagne, 2009a). La firme affiche une croissance d‟une

moyenne de 25% depuis les sept dernières années (Champagne, 2009a) avec un

chiffre d‟affaires se chiffrant à 30 millions de dollars en honoraires (Dansereau, 2008).

La PME de 22 associés compte aujourd‟hui 300 employés répartis dans ces bureaux

de Montréal, d‟Amsterdam et de Paris. Notre répondant, Bertrand Cesvet, président du

conseil et stratège en chef, a lancé en collaboration avec ses collègues Tony Babinski

et Eric Alper le livre Le capital conversationnel (2009) qui explique les secrets de

l‟approche conçue par Sid Lee pour concevoir des expériences de marque qui

maximisent le bouche-à-oreille.

4.1.2 Présentation du parcours international

Selon notre répondant, la chance serait à l‟origine du parcours international de Sid

Lee : la chance d‟avoir rencontré le Cirque du Soleil. C‟est à partir de 2001 que la plus

grande entreprise de cirque au monde devient le client de l‟agence. S‟ensuit un tour du

monde avec la troupe de Guy Laliberté. Plus qu‟un client, le Cirque du Soleil aurait agi

comme mentor pour Sid Lee : «Guy [Laliberté] nous a pris sous son aile et nous a

vraiment enlevé notre cran d‟arrêt» (Cesvet, 2009). Ce premier client international leur

a permis de rencontrer des gens aux quatre coins du monde et même de ramener de

nouveaux clients à l‟extérieur des frontières, entre autres, l‟hôtel MGM Mirage à Las

Vegas – nid de plusieurs spectacles du Cirque du Soleil. Travailler avec la

multinationale circassienne a été non seulement une excellente carte de visite, dans le

milieu de la publicité où la première question posée est «Tu travailles pour qui?», mais

aussi une grande source d‟apprentissages des affaires internationales. Selon Cesvet

(cité par Champagne, 2009a), «Nous étions préparés quand nous sommes allés

chercher un client comme Adidas».

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Outre les opportunités internationales qui ont été présentées par le Cirque du Soleil,

Cesvet (2009) ajoute que le fait de côtoyer la troupe de Guy Laliberté aura également

changé leurs aspirations. Si l‟agence avait déjà cette intuition d‟internationalisation, le

Cirque a tôt fait de confirmer la force de la créativité québécoise. Il affirme qu‟«Il n‟y a

pas un modèle de créativité plus extraordinaire que le Cirque pour te convaincre toi-

même que la créativité québécoise peut être vendue partout» (Cesvet, 2009). C‟est

avec ce nouvel état d‟esprit, cette nouvelle position mentale, que Sid Lee a continué à

récolter des clients internationaux. Une fois leur portfolio de clients bien solide, l‟agence

décide d‟ouvrir en 2008 un atelier d‟une trentaine d‟employés à Amsterdam. L‟année

suivante, Sid Lee annonce d‟un coup l‟ouverture d‟un autre atelier en sol européen,

cette fois à Paris, et l‟obtention du compte mondial du géant français des jeux vidéo,

Ubisoft. La croissance de la firme à l‟international se structure sous la forme d‟un

réseau. Sid Lee fonctionne comme une seule boîte dans laquelle les différents bureaux

sont interdépendants. Cesvet (2009) nous explique que pour chaque projet, les talents

créatifs de Montréal, de Paris et d‟Amsterdam peuvent être combinés. Avant d‟ouvrir un

nouvel atelier, aux États-Unis fort probablement, Sid Lee compte se concentrer sur le

marché européen.

4.1.3 Décision de s‟internationaliser

Comme nous venons de le présenter, le Cirque du Soleil a été un véritable catalyseur

dans l‟aventure internationale de Sid Lee. Mais d‟autres facteurs sont aussi derrière la

décision de s‟internationaliser. Cesvet (2009) souligne d‟abord la question des clients. Il

affirme qu‟avec un bassin de client limité, le Québec avait commencé à être petit

comme marché. «À un moment donné, il y a une limite à ce que Montréal peut tirer

comme monde» affirme-t-il (Cesvet, 2009). Et les grandes marques se trouvent la

plupart à l‟extérieur de la province. Un autre facteur à l‟origine du projet d‟expansion

internationale est aussi la question des talents. Comme le dit Cesvet (cité par

Dansereau, 2008) : «Nous, on est dans le business de la créativité. Notre force, c'est

d'être capable d'engager des créatifs et de gérer le processus de création.» C‟est donc

dire que Sid Lee carbure aux talents créatifs et encore là le Québec devenait trop petit.

Les ressources en talent brut que la firme peut aller chercher à l‟étranger étaient, et

sont toujours, une grande motivation de croissance internationale. Puis finalement, le

projet de Sid Lee à l‟international s‟ancre à un niveau plus personnel. Cesvet (2009)

constate que les associés qui composent le noyau de l‟agence font tous partie de la

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génération X, une génération qu‟il voit comme bien tournée vers le monde. Il raconte

que «c‟est les 22 [associés] qui avaient ce "trip"-là, de se dire que notre ensemble de

références ça ne va pas être le Québec, ça ne va pas être le Canada, ça va être le

monde». Parlant de son histoire personnelle à lui, Cesvet (2009) nous dit qu‟en tant

qu‟enfants de parents immigrants, il s‟est toujours senti un peu «outsider», en marge de

la société québécoise. Sa motivation vient de là aussi. Alors que son père était un

immigrant au comportement plutôt prudent qui lui disait «don‟t rock the boat», Cesvet

avait au contraire toujours voulu prouver qu‟il était capable de faire bouger les choses.

4.1.4 Choix des marchés

Alors que plusieurs agences de publicité se sont tournées vers Toronto comme premier

marché d‟expansion en dehors de la province, telles que Cossette et Taxi, nous

explique Cesvet (2009), pour Sid Lee, il n‟a jamais été question de grandir en Ontario.

Si Cesvet (2009) admet qu‟il y a beaucoup de talents dans la Ville Reine, il remarque

une certaine dynamique d‟auto suffisance chez les agences canadiennes, celles-ci ne

se contentant bien souvent que du marché canadien. Un esprit qui ne convient pas trop

avec celui de Sid Lee. Cesvet (2009) nous dit «Les autres avant nous se sont dit on va

aller à Toronto, nous on a dit "let‟s go everywhere"». Avec des contrats de clients

européens de plus en plus importants, l‟ouverture d‟un atelier en Europe était de mise.

Parmi les différentes villes créatives envisagées, la ville d‟Amsterdam avait tous les

atouts pour Sid Lee. D‟abord géographiquement, la ville est à moins d‟une heure à la

fois de la France et de l‟Allemagne, leur permettant de se rapprocher des mandats

internationaux déjà existants (Sid Lee, 2008). De plus, Montréal et Amsterdam sont liés

par un vol aérien direct – un point sacré pour des gestionnaires comme Cesvet qui se

rend en Europe jusqu‟à 30 fois par année. Puis culturellement, Sid Lee remarque les

grandes similitudes entre la Hollande et le Québec. Les deux dirigeants de l‟atelier

hollandais de déclarer, via communiqué de presse annonçant l‟ouverture du bureau

d‟Amsterdam : «Nous nous sentons très proches des Québécois. Nous sommes deux

petits pays, nous avons l‟habitude de voyager, de nous positionner à l‟étranger» (Sid

Lee, 2008). Finalement, Cesvet (2009) ajoute qu‟Amsterdam était une ville très

attrayante pour eux au niveau du recrutement des talents. En plus de son grand

rayonnement créatif, la capitale hollandaise regorge d‟artistes et d‟artisans de toutes

disciplines.

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Le second marché d‟expansion internationale, Paris, a quant à lui découlé d‟une

opportunité externe. Bien sûr, la Ville lumière était intéressante du point de vue des

talents («La qualité du monde en France c‟est effrayant» d‟affirmer Cesvet, 2009), mais

Sid Lee n‟avait pas à prime à bord eu l‟intention de travailler dans la capitale française.

Cesvet (2009) raconte qu‟un jour, il a reçu un appel de Sylvain Triarche – selon lui l‟un

des plus grands créatifs de France. Triarche venait alors de quitter son emploi à

l‟agence DDB et lui a tout simplement dit «Je veux faire Sid Lee Paris». La première

réaction de Cesvet fut de dire «De quoi tu parles?», puis de se lancer dans l‟aventure.

Voilà donc pour la raison de l‟ouverture de l‟atelier parisien.

4.1.5 Mode d‟entrée

L‟entrée de Sid Lee dans les marchés internationaux s‟est faite de façon très organique

constate Cesvet (2009). Ce n‟est qu‟après avoir exporté leurs services dans les

marchés américains et européens en réalisant les mandats à partir de l‟atelier de

Montréal que l‟agence s‟est décidée à établir des bureaux à l‟étranger. Plutôt que

d‟acheter une boîte de publicité existante, Sid Lee a décidé d‟y aller à sa manière avec

de petits ateliers. Même très petit dans le cas de Paris où l‟atelier loge dans un petit

appartement de cinq pièces. Cesvet (2009) explique que l‟ouverture d‟atelier en propre

a été privilégiée à l‟acquisition entre autres à cause de la façon de faire bien spéciale

de Sid Lee. En effet, il croit qu‟il est plus facile pour une firme de publicité traditionnelle

de dénicher une autre firme assez similaire à acheter que pour Sid Lee de trouver une

autre agence qui se marie bien avec leur approche unique et avant-gardiste,

notamment la réconciliation du monde de la publicité avec celui du design industriel et

de l‟architecture.

4.1.6 Internationalisation subséquente

L‟agence maintenant bien tournée vers l‟international, Sid Lee a pour plan de

poursuivre sa percée en Europe puis continuer son internationalisation vers le marché

américain. Il est intéressant d‟ajouter ici quelques précisions sur la structure

internationale des activités de l‟agence. Cesvet (2009) nous explique que pour Sid Lee,

Montréal représente le plus bas centre de coût au monde, en partie grâce à la fiscalité

avantageuse et au faible coût de la vie. Lorsque l‟agence vend ses services en Europe,

en devises européennes, pour ensuite les réaliser dans son atelier montréalais, elle

réalise des profits substantiels. La firme gagne en terme financier, mais aussi

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compétitif. Sur l‟échiquier national, elle se trouve à faire des profits de 40% alors que

ses compétiteurs en font 15% et cette vigueur financière leur permet d‟engager les

meilleurs talents, récolter de plus gros mandats et faire encore plus de développement

des affaires. Nous constatons donc par cette logique de production internationale que

Sid Lee retire des avantages de coûts énormes de l‟internationalisation et cela lui

permet même de soutenir ses plans d‟expansion internationale future.

La vision à long terme de Sid Lee inclut donc plusieurs bureaux à l‟étranger, mais avec

toujours un «back office» à Montréal très international. Par très international, Cesvet

(2009) veut dire regroupant des employés de tous les ateliers de Sid Lee. Ainsi, si un

jour l‟agence comptait 3000 employés, 2000 seraient en poste à Montréal. De cette

façon, peu importe l‟origine du client, Sid Lee s‟assurerait de pouvoir comprendre sa

marque. L‟amalgame de cultures à Montréal donne à l‟agence une vision véritablement

mondiale. Cesvet (2009) voit que déjà, avec 10 employés à l‟atelier de Paris et 30

employés français à Montréal, Sid Lee peut travailler sur des sujets «hyper franco-

français comme Auchan» puisqu‟avec 40 Français en poste, l‟agence arrive à

comprendre sans problème les spécificités de ce géant de la distribution au détail. Avec

l‟internationalisation, la mentalité de Sid Lee est devenue transnationale. Cesvet (2009)

nous raconte que : «De Paris à Amsterdam, jamais les clients ne nous disent "we have

a sense that you are not from here". Les clients sont comme "Where is Sid Lee from,

we don‟t know... probably from here".»

4.1.7 Avantages de l‟internationalisation

Les avantages retirés de l‟internationalisation sont nombreux pour Sid Lee. L‟expansion

internationale crée au niveau national un avantage compétitif incroyable croit Cesvet

(2009). D‟abord, l‟internationalisation de la firme leur apporte une force de frappe

importante lorsqu‟il s‟agit de décrocher de nouveaux mandats. Lorsqu‟un appel d‟offres

est lancé, Sid Lee se démarque de ses compétiteurs par son portfolio de marques

prestigieuses et internationales. Et dans une industrie où le portfolio est clé, il avoue

que «Ce n‟est pas facile de compétitionner contre nous en ce moment» (Cesvet, 2009).

Le succès international apporte aussi une certaine aura, un charme, voir même un côté

«sexy» à Sid Lee qui attire les clients potentiels. Mais ce ne sont pas seulement auprès

des clients que l‟international est un avantage compétitif, mais aussi auprès des jeunes

– ces ressources en talent brut recherchées par la firme. Cesvet (2009) nous confie

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que l‟agence est mythique auprès des jeunes de moins de 25 ans. Chaque année, ils

reçoivent près de 10 000 curriculum vitae d‟un peu partout dans le monde. Il explique

ceci en partie parce qu‟il croit que les jeunes d‟aujourd‟hui veulent travailler à

l‟international. Avec ses ateliers à Paris et à Amsterdam, Sid Lee se démarque encore

une fois de ses compétiteurs par les opportunités de mandats internationaux qu‟elle

offre. Ça bouge chez Sid Lee nous dit Cesvet (2009) : «"Any given day" chez Sid Lee, il

y a quelqu‟un quelque part.»

Où l‟internationalisation est encore une fois intéressante pour Sid Lee est dans l‟impact

qu‟elle a sur sa force créative. Selon Cesvet (2009), il existe deux conditions

essentielles à la créativité, toutes deux remplies par l‟internationalisation : la cinétique

et la diversité. Le président du conseil croit que pour être créatif, il faut du mouvement :

«Il faut que tu bouges pour imaginer les choses. Si tu ne bouges pas, tu ne crées pas»

(Cesvet, 2009). Il va sans dire que l‟internationalisation les fait bouger. Pour ce qui est

de la diversité, le recrutement international de Sid Lee amène une équipe de tous

horizons culturels, autant des Français que des Suédois ou autres. Au grand bonheur

de Cesvet qui confie que «Mon rêve un jour est de t‟amener ici, de te bander les yeux

et te demander où tu es et que tu n‟en aies aucune idée.» (Cesvet, 2009). Cette

multiplicité des langues et des cultures est très riche pour l‟agence en terme créatif, car

elle permet la multiplication des points de vue et des idées. Il y a donc un métissage

des cultures et des métiers chez Sid Lee qui opère comme un véritable avantage

compétitif.

4.1.8 Défis de l‟internationalisation

Si l‟expansion internationale semble déjà être très bénéfique pour Sid Lee, Cesvet

(2009) est conscient des défis qui attendent l‟agence dans cette croissance à l‟extérieur

des frontières québécoises. Un de ceux-ci relève du besoin de formaliser les

communications et les façons de faire. Il explique que la communication peut être vue

sous la forme d‟une matrice 2 x 2, qu‟il nous dessine sur le coin de la table et que nous

avons reproduite en figure 4. Il nous indique que Sid Lee, tout comme le Cirque du

Soleil d‟ailleurs, se situe dans la case «informelle-implicite». Leur façon de faire est

implicite et leur communication très informelle, ce que Cesvet qualifie de «high touch».

Avec les nouveaux bureaux qui commencent à pousser en Europe, Sid Lee se doit

maintenant de formaliser ses communications qui, à l‟intérieur de l‟atelier de Montréal,

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se font de façon orale. Tous ces éléments qui font de Sid Lee une agence unique – le

fait qu‟il n‟y ait pas d‟organigramme, très peu de hiérarchie – peuvent être déroutants,

des dires de Cesvet, pour les employés d‟outre-mer. Et comme il n‟y a pas de mode

d‟emploi, le président du conseil sent donc le besoin de documenter et de formaliser

pour mieux transmettre et maintenir ce qu‟est Sid Lee à travers les différents ateliers.

Figure 4 : Matrice de communications

Source : Cesvet (2009), reproduction libre

4.1.9 Clés du succès

Les clés du succès d‟une firme créative à l‟international reposent sur plusieurs

éléments selon Cesvet (2009). D‟un point de vue un peu plus technique, disons, il croit

que la firme créative doit posséder des systèmes, c‟est-à-dire une infrastructure

technologique qui permet de réaliser et coordonner les activités internationales. La

mobilité est aussi importante pour lui. Quand les gens lui demandent comment il a

réussi à amener son agence dans de nouveaux marchés, il leur répond souvent : «j‟ai

pris l‟avion». Et comme ces voyages sont souvent durs et stressants, il faut avoir le

goût de vivre l‟aventure internationale. Cesvet (2009) revient ainsi à cette idée de

posture mentale qui a agi comme moteur à l‟internationalisation de Sid Lee.

Finalement, comme la compétition monte d‟un niveau lorsqu‟une firme joue sur

l‟échiquier mondial, Cesvet (2009) parle de l‟importance d‟avoir le niveau et la

réputation de «world class» pour jouer avec les champions.

Plus que tout, la base de la réussite d‟une firme créative à l‟international est selon lui

bien entendu le talent – le talent de création. Mais jumelé à ce talent créatif, il faut du

charisme. Il affirme ainsi que «la créativité, c‟est une business de "mojo"». Il croit ce

Sid Lee

IBM Explicite

Implicite

Formel Informelle

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pouvoir de charmer essentiel à toutes les firmes créatives, peu importe leur secteur,

que ce soit en architecture ou en beaux-arts. Il croit que même Picasso a connu le

succès à cause de son charisme et de sa personnalité. Il faut donc avoir le portfolio,

mais aussi vendre ce portfolio. Comme l‟explique Cesvet (2009) : «Nous c‟est une

vente très sophistiquée parce que quand je rencontre quelqu‟un, il faut que j‟aie un

point de vue sur sa business. Je ne vends pas en jouant au golf avec lui ou en

négociant des prix. Il faut que je convainque le client que je suis la personne la plus

intelligente qu‟il ait jamais vue, la plus créative et que je vais régler son problème. Ce

n‟est pas tout le monde qui a ce qu‟il faut pour faire ça.»

4.2 AEDIFICA

4.2.1 Description des activités de la firme

Aedifica œuvre dans le milieu du design et de l‟architecture depuis près de trente ans.

Fondé en 1979 sous le nom Les Architectes Dupuis Dubuc et Associés (la boîte

changera de nom en 1999 et fusionnera en 2005 avec la firme d‟architecture Tétreault

Parent Languedoc), le positionnement d‟Aedifica se distingue par le service intégré de

design, d‟architecture et d‟ingénierie qu‟elle offre à ses clients. Comme l‟explique notre

répondant, le président Michel Dubuc (2008), «Nous avons choisi de ne pas être un

bureau de design ou un bureau d‟études, mais d‟être un bureau de créativité

architecturale. C'est-à-dire que nous voulons être capables de créer, mais nous voulons

être capables de réaliser aussi». Ce faisant, la firme est capable de s‟occuper d‟un

projet de A à Z; de la stratégie d‟image, à l‟inauguration du bâtiment en passant par la

surveillance des travaux (Fiore, 2007). Aedifica est ainsi dotée d‟une équipe de plus de

115 employés, répartie entre ses bureaux de Montréal et de Saint-Louis (Missouri,

États-Unis), caractérisée par sa grande multidisciplinarité. Elle compte donc à la fois

des architectes, des ingénieurs, des chargés de projets, des graphistes et d‟autres

spécialistes. Les services d‟Aedifica se regroupent en 5 secteurs : architecture,

aménagement commercial, environnements de travail, encadrement écologique et

ingénierie (Aedifica, 2008). L‟architecture verte et durable est d‟ailleurs un secteur dans

lequel Aedifca se positionne comme un leader et pour lequel elle a reçu de nombreux

prix d‟excellence. Au fil des ans, la firme s‟est bâti un portfolio de clients de grands

noms tels que le groupe Aldo, Air Transat, BriteSmile, Bose, Zara et Club Monaco. La

firme a aussi participé au façonnement du visage créatif de Montréal en travaillant sur

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des projets comme l‟agrandissement du Palais des Congrès de Montréal, le pavillon

des Sciences biologiques de l‟UQÀM, la Tohu, le Locoshop Angus et aujourd‟hui le

nouveau quadrilatère du Quartier des spectacles et la future salle de l‟Orchestre

symphonique de Montréal (Aedifica, 2008). En 2008, Aedifica affichait un chiffre

d‟affaires de 14 millions de dollars (Les Affaires, 2009).

4.2.2 Présentation du parcours international

C‟est en 1984 qu‟Aedifica commence son expansion internationale avec l‟entrée dans

le marché américain. Le tout débute de façon totalement opportuniste. Dubuc (2009)

nous raconte qu‟à l‟époque, sa firme travaillait avec les magasins de vêtements

québécois Le Château dans l‟articulation d‟un concept pour les magasins de la chaîne

aux États-Unis. Le Château avait alors engagé un concepteur de Boston pour livrer la

marchandise. Mais rapidement, les promoteurs immobiliers américains ont conseillé au

Château d‟arriver avec un concept beaucoup plus frappant que celui proposé par les

concepteurs de Boston. C‟est alors que le détaillant de mode s‟est tourné vers l‟équipe

de Dubuc. Dubuc (2009) se souvient qu‟ils avaient alors passé près de 48 heures à

travailler sur un concept à présenter. Le résultat est tombé en plein dans l‟esprit

recherché par les promoteurs immobiliers qui voulaient un concept qui allait ajouter une

valeur au centre commercial. Le Château a donc fait son entrée avec le concept

d‟Aedifica et Dubuc (2009) explique que «ces promoteurs américains là, ayant identifié

Aedifica comme une boîte créative ont commencé à mettre notre nom sur des listes de

firmes recommandées, autre que celles américaines, et c‟est comme ça que ça a

déboulé».

C‟est donc via un client canadien qu‟Aedifica a été introduit au marché américain et que

le bouche-à-oreille a fait son œuvre. L‟entreprise a réussi à percer le marché et a

réalisé des projets pour de grandes chaînes américaines entre autres à cause du

design et de la création qu‟ils amènent au concept. La firme poursuit sa lancée aux

États-Unis et décide en 1999 de s‟ancrer physiquement dans le pays avec l‟acquisition

d‟une firme d‟ingénierie à Saint-Louis dans l‟État du Missouri. La décision est alors

prise pour «consolider sa base aux États-Unis et de mieux offrir à ses clients son

expérience en génie mécanique et électrique» (Proulx, 1999). Depuis, Aedifica a réalisé

plus de 4000 boutiques et magasins aux Canada et aux États-Unis (Fiore, 2007).

Aujourd‟hui, Aedifica regarde vers une prochaine expansion vers l‟Ouest canadien, plus

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41

précisément Vancouver, qui pourrait éventuellement servir de tremplin vers les

marchés asiatiques.

4.2.3 Décision de s‟internationaliser

Bien que le processus d‟expansion chez nos voisins du Sud a été déclenché par une

opportunité externe - «les portes se sont ouvertes un peu par chance» explique Dubuc

(2009) – deux grandes motivations sont à l‟origine du projet d‟expansion internationale.

Dubuc (2009) nous parle d‟abord d‟une motivation entrepreneuriale. Il explique qu‟il est

très difficile de faire des affaires au Québec tout simplement à cause de la petite taille

du marché québécois. Il ajoute que «quand on a commencé à faire des concepts, on

s‟est vite aperçu que les gros joueurs n‟étaient pas chez nous». Dubuc (2009) voulait

voir grandir sa boîte et pour ce faire il fallait s‟engager à l‟extérieur de la province. Mais

en plus d‟être motivé par la recherche de nouveaux clients, Aedifica l‟était aussi par le

type de clients qu‟ils pouvaient aller chercher. En effet, les gros joueurs américains sont

intéressants pour une firme en créativité architecturale comme Aedifica à cause des

moyens qu‟ils leur donnent «tant en honoraire, qu‟en liberté pour utiliser ta créativité à

quelque chose» (Dubuc, 2009). Il nous explique qu‟ils étaient donc aussi à la recherche

de joueurs qui voient la créativité comme investissement, voire même une stratégie de

développement des affaires. Il ajoute que dans le commerce de détail, à l‟opposé des

petits opérateurs, «quand tu travailles avec un opérateur qui lui veut prendre la planète

ou tout le marché américain, il sait qu‟il doit s‟équiper d‟outils en terme de concept qui

va lui donner un avantage compétitif. Et là il a tendance à faire appel à la créativité»

(Dubuc, 2009). Dubuc (2009) admet qu‟entre voir la créativité comme un coup de dés

ou comme un investissement est une vision complètement différente. Il est donc

intéressant de voir que la question de la vision a eu une influence sur la décision de

s‟internationaliser. Dubuc (2009) affirme : «je voyais le potentiel et surtout que pour

créer des concepts intéressants ça prenait une masse critique en terme d‟honoraires,

en terme de répétition, en terme d‟impact. C‟est clair que ce marché-là était là-bas, il

n‟était pas chez nous».

4.2.4 Choix des marchés

Le choix des États-Unis comme marché d‟expansion internationale s‟explique non

seulement par les opportunités qu‟Aedifica a su saisir, mais aussi par un certain «fit»

entre le marché américain et les services créatifs de la firme. D‟abord, Dubuc (2009)

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affirme que les Américains font preuve d‟une grande ouverture à des entrants créatifs

et qui n‟hésitent pas à aller les chercher à l‟extérieur de leurs frontières. Il remarque

dans ce sens qu‟il est parfois plus facile de travailler dans de grandes villes

américaines comme New York et Los Angeles que Toronto en raison de la dynamique

nationale. Ensuite, Dubuc (2009) note que le marché américain répond très bien à la

différence qu‟Aedifica est capable d‟avoir en étant des créateurs montréalais. Aedifica

arrive à se démarquer de ses compétiteurs locaux par «notre capacité d‟objectivisation

de leur problématique créative par rapport aux concepteurs américains». Il constate en

effet que les boîtes d‟architecture américaine s‟en tiennent souvent à des stéréotypes.

Aedifica arrive ainsi à aller chercher les clients américains qui veulent jouer sur la

différence pour se doter d‟un avantage compétitif. Dubuc (2009) voit que «Non

seulement on est des créatifs, mais des créatifs avec une personnalité suffisamment

différente pour que le "move" créatif ait encore plus d‟impact». Finalement, le choix des

États-Unis s‟est aussi bien prêté de par sa proximité culturelle. Les Américains voient

en effet Aedifica comme une boîte canadienne, pas trop loin, et s‟exprimant tout aussi

bien en français qu‟en anglais qui fait «qu‟on est assez nord-américain pour que leur

confort soit garanti» (Dubuc, 2009).

4.2.5 Mode d‟entrée

Aedifica a amorcé son entrée sur les marchés étrangers sous la forme de l‟exportation

de ses services d‟architecture et de design. En effet, encore aujourd‟hui les concepts

destinés au marché américain sont réalisés à partir du bureau de Montréal, le tout

facilité par les nouvelles technologies de communications. Lorsqu‟en 1999, Aedifica

procède à l‟acquisition d‟une firme d‟ingénierie à Saint-Louis, Dubuc (2009) explique

que la décision relève principalement d‟une stratégie de déploiement. Ainsi, cette

nouvelle boîte lui permettait, par les sceaux d‟ingénierie qu‟elle possède, de livrer les

projets d‟ingénierie dans tous les États où la firme réalisait déjà des projets de design et

d‟architecture. Cette capacité de certifier des documents allait donc permettre à

Aedifica de peaufiner davantage son offre et de s‟ancrer sur l‟ensemble du territoire

américain. Mis à part le côté législatif, Dubuc (2009) avoue également que par crainte

de chauvinisme, l‟acquisition était aussi une façon de pouvoir montrer aux clients

américains qu‟Aedifica a une réelle présence américaine. Juste en cas où le fait de

traiter avec une firme strictement canadienne s‟avèrerait être un inconvénient pour un

client américain.

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Aedifica a décidé tout au long de l‟accroissement de sa présence dans le marché

américain de maintenir le rôle d‟Aedifica Case (la boîte de Saint-Louis) à sa vocation de

départ, celle d‟un bureau d‟ingénieur. Ainsi, le président n‟y a pas ajouté une fonction

design ou architecture comme c‟est le cas du bureau mère. Dubuc (2009) croit que

pour qu‟Aedifica Case soit dotée elle aussi d‟une équipe de conception, il aurait fallu

qu‟Aedifica ait une masse critique de créatifs sur place et qu‟à l‟origine, la firme n‟avait

pas la taille requise pour disperser son équipe créative de la sorte. Dubuc (2009)

affirme qu‟il est aussi plus facile au niveau de la gestion de garder l‟ingénierie comme

vocation de la firme acquise. En effet, il mentionne que «si c‟était une firme créative, il y

aurait une pression beaucoup plus grande pour s‟assurer qu‟il y ait une culture du

design qui soit assez commune. Quand tu es dans l‟ingénierie, c‟est beaucoup plus

facile, parce qu‟on parle de codes, de normes et de systèmes qui fonctionnent pareil à

New York qu‟à Montréal. […] Le facteur joue beaucoup moins dans la technicité»

(Dubuc, 2009).

4.2.6 Internationalisation subséquente

Aujourd‟hui, Aedifica cherche à poursuivre son expansion internationale, mais cette fois

du côté de l‟Asie via l‟Ouest canadien. Les motivations de s‟étendre demeurent les

mêmes qu‟à l‟origine. Dubuc (2009) affirme qu‟encore une fois, pour générer de la

croissance, la firme doit sortir du marché québécois. Le président cherche à ne pas être

dépendant de celui-ci puisqu‟il est un marché restreint. La ville de Vancouver comme

choix d‟internationalisation subséquente est venue se placer dans les plans de

développement au fil de contrats qu‟Aedifica a réalisés pour des clients dans l‟Ouest

canadien. C‟est ainsi qu‟ils ont eu l‟occasion de repérer un partenaire potentiel qui

servirait potentiellement de tremplin pour le marché chinois – un marché en pleine

expansion au niveau de l‟architecture. Dubuc (2009) remarque que l‟important dans le

développement d‟un partenariat est «d‟avoir des ressources locales qui partagent ta

façon de voir les choses et éventuellement la bonifier». Aedifica compte bien conserver

la même structure d‟activités que celle mise en place avec les États-Unis puisque les

mandats pourraient être exécutés à partir de Montréal. Même si se rendre à Vancouver

représente 5 heures d‟avion («aussi loin que Mexico» fait remarquer Dubuc, 2009) la

firme pourrait chercher de nouveaux contrats, de grande envergure, et les réaliser ici.

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La question du risque est importante dans la stratégie d‟expansion internationale

d‟Aedifica. Pour l‟instant, la structure mise en place pour la réalisation des mandats à

partir de Montréal fonctionne, mais Dubuc (2009) admet que ce n‟est toutefois pas

simple de travailler sur des projets à distance. Ouvrir une filiale à l‟étranger demande

par contre un investissement majeur qui doit prendre en considération une masse

critique de revenus. Il nous dit : «Ça prend une base de marché pour du service

professionnel dans notre domaine. C‟est risqué aussi, on essaie de minimiser ces

risques-là. Aller investir et s‟assurer que les emplois rentrent. On n‟a pas ces moyens-

là» (Dubuc, 2009). Il faut soit des clients ou soit des partenaires qui puissent conforter

tel investissement à l‟étranger.

Il est intéressant de souligner ici la vision du président d‟Aedifica sur le potentiel

d‟exportation de la créativité montréalaise. Selon Dubuc (2009), la créativité en général

s‟exporte bien parce que justement l‟origine de la boîte n‟a pas tellement d‟importance.

En utilisant pour analogie la chimie d‟un couple, il nous explique:

Dans le domaine créatif, c‟est intéressant parce qu‟un PDG va être séduit par un concept comme tu es séduit par une personne. Oui, il y a souvent une stratégie, une rationalité, un calcul économique derrière ces choix-là. Mais il y a aussi un choix spontané, affectif. Tu vas aimer la production d‟une boîte, son style. Il y a quelque chose qui t‟allume et dans lequel tu te retrouves […] Que ce soit une firme de Montréal ou de Vancouver, je ne suis pas sûr que ça l‟ait une origine. C‟est le match un peu magique. Au fond, c‟est une forme de "dating". On n‟est pas dans la technique. On est dans l‟émotion, dans le rêve. (Dubuc, 2009)

4.2.7 Avantages de l‟internationalisation

Les avantages qu‟Aedifica retire de son expansion internationale sont multiples, mais

peuvent être regroupés sous trois impacts. Premièrement, l‟expansion internationale

rend Aedifica plus fort. Dubuc (2009) explique que d‟un côté, la compétition sur les

marchés internationaux est forte et de l‟autre côté, les clients sont exigeants. Ces deux

conditions réunies les forcent donc à devenir de meilleurs joueurs, en développant par

exemple des méthodes de travail et de communication toujours plus efficaces. Dubuc

(2009) raconte que l‟entrée de la firme sur le marché américain s‟est fait sentir dans

toute l‟organisation : les systèmes, la gestion de projets, etc. Pour être plus forts, ils ont

dû procéder à diverses améliorations qui au final ont été très payantes. Être meilleur

pour l‟international, a rendu également Aedifica un meilleur joueur au local, «nettement

plus aguerri… c‟est comme passer de la marche à l‟escalade» affirme Dubuc (2009).

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Deuxièmement, Dubuc (2009) affirme que l‟internationalisation a aussi eu pour

avantage de rendre Aedifica plus séduisant. La présence dans le marché américain

leur permet d‟attirer des ressources, leur prévaut donc d‟une certaine capacité à aller

chercher du talent. Il explique que «C‟est un marché plus large, les gens se sentent

mieux que dans une boîte qui ne gère que localement. C‟est stimulant» (Dubuc, 2009).

Troisièmement, l‟expansion internationale rend l‟entreprise plus prospective. Son

président raconte qu‟elle lui a amené une curiosité nouvelle. Il y découvre de nouvelles

façons de faire, de voir les choses qui le garde constamment stimulé. Il raconte que

«plus tu y as goûté, plus tu as envie d‟en faire plus. Tu te demandes : c‟est quoi le

prochain "step", c‟est qui le prochain client, comment on peut aller en chercher plus».

Dubuc (2009) croit donc qu‟au fil des leçons que la firme tire des expériences à

l‟étranger, elle acquiert un minimum de confiance qui lui permet d‟aller encore plus loin.

4.2.8 Défis de l‟internationalisation

Alors qu‟Aedifica se penche sur l‟expansion dans l‟Ouest canadien et de là l‟Asie sous

forme de partenariat ou d‟acquisition, Dubuc (2009) dit voir la nécessité de formaliser la

démarche créative pour arriver à intégrer avec réussite de nouvelles personnes et des

nouvelles boîtes. Le défi en est un double puisqu‟il s‟agit à la fois de baliser des

comportements souvent informels liés à la démarche d‟aménagement, mais en même

temps de ne pas encadrer la créativité «au point de la restreindre» (Dubuc, 2009).

Notamment parce qu‟Aedifica se distingue des autres firmes du secteur de

l‟architecture par son offre de service intégré de design, d‟architecture et d‟ingénierie, le

président affirme qu‟un autre des défis liés à la croissance et au développement dans

de nouveaux marchés est de rendre l‟arrimage entre création et réalisation encore plus

performant (Dubuc, 2008). La firme croit que son succès repose sur la qualité de

l‟arrimage entre ingénieurs et architectes et que c‟est cet arrimage qui les dotera de la

capacité à se déployer sur des marchés encore plus grands.

4.2.9 Clés du succès

Pour qu‟une firme créative ait du succès dans l‟expansion internationale de ses

activités, Dubuc (2009) croit qu‟elle doit savoir communiquer son talent. Il faut qu‟elle

sache se présenter et communiquer ce qu‟elle a. Cette nécessité est, selon lui, encore

plus de mise à l‟ère d‟Internet où les gens peuvent avoir accès aux projets réalisés via

le site Web de la compagnie. Ce que Dubuc (2009) constate est le fait que plus une

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firme devient internationale, plus elle est motivée à travailler sur la façon dont elle se

présente. Il croit qu‟«à partir du moment où tu décides de rayonner dans un cercle plus

large, il faut que tu aies les moyens pour rayonner» (Dubuc, 2009). Un autre facteur de

réussite est donc en quelque sorte la stratégie qui sera mise en place par la firme pour

assurer son rayonnement en dépensant le moins d‟argent possible tout en ayant le

maximum d‟impact possible. À ce sujet, Dubuc (2009) recommande d‟être accompagné

par un expert dans cette entreprise spéculative. Il raconte qu‟à un certain moment

Aedifica a pu bénéficier d‟un soutien au niveau marketing à travers un programme du

Ministère de l‟Industrie et du Commerce. Cet accompagnement dans la mise en place

de la stratégie de développement sur les marchés étrangers leur a été des plus

bénéfiques. Dubuc (2009) y a alors constaté toute l‟importance d‟être capable de

montrer sa capacité de création et de structurer ses communications.

4.3 JUSTE POUR RIRE

4.3.1 Description des activités de la firme

En 1983, Gilbert Rozon décide de créer un festival d‟humour auquel personne n‟avait

pensé avant lui : le Festival Juste pour rire. Vingt-six ans plus tard, le Festival Juste

pour rire demeure le premier et le plus grand festival d‟humour au monde et l‟entreprise

est devenue une véritable multinationale dont la mission est de produire et distribuer

l‟humour sous toutes ces formes (Juste pour rire, 2009). En effet, le modèle d‟affaires

du Groupe Juste pour rire se compose de quatre piliers. En plus du festival, la firme

montréalaise œuvre dans la télévision, la production de spectacles et la représentation

d‟artistes (Bourdeau, 2009). Ces piliers se renforcent mutuellement. Par exemple, les

spectacles produits par l‟entreprise et présentés durant le Festival Juste pour rire sont

captés pour la télévision et ensuite vendus à différentes chaînes à travers le monde

indique notre premier répondant, Gilbert Rozon (2009). Le Groupe Juste pour rire

rayonne dans toutes ces facettes à l‟international. L‟émission de télévision Les Gags

est présentée dans 140 pays et sur une centaine de lignes aériennes, la preuve que

«l‟humour c‟est une des choses qui se vend le mieux à la télé» (vice-président ventes

et marketing, 2009). Quant au festival qui a propulsé la firme, en plus de l‟édition

montréalaise, il est présenté chaque année à Nantes (depuis 2005), à Toronto (depuis

2007) et Chicago (depuis 2009). Les cinq marchés principaux de Juste pour rire sont le

Québec, le Canada, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni (Bourdeau, 2009). La

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multinationale de l‟humour compte une équipe de 150 employés dans son siège de

Montréal, environ 75 employés dans ses 3 bureaux à l‟étranger (Paris, Londres et Los

Angeles) en plus de 300 autres employés dans une quarantaine de tournées

(Bourdeau, 2009). Le chiffre d‟affaires de Juste pour rire tourne autour des 150 millions

de dollars, dont les deux tiers proviennent de l‟étranger (Bourdeau, 2009). Rozon

souhaite amener cette proportion à 80% (Bouchard, 2009).

4.3.2 Présentation du parcours international

Notons que sur les quatre piliers du Groupe Juste pour rire, nous avons décidé de nous

concentrer sur l‟internationalisation du pilier le plus visible et le plus documenté, soit le

Festival Juste pour rire. Comme nous l‟avons mentionné, le premier Festiva l Juste pour

rire est lancé en 1983 à Montréal. Dès le départ, Rozon avait en tête un festival à

vocation internationale. Beaunoyer (2007) relate que lorsque que l‟idée d‟un festival

d‟humour a été mise sur la table, Rozon aurait immédiatement annoncé : «Je veux que

ce soit un festival international. Je veux une pérennité, pas un festival reggae rien que

parce que c‟est à la mode. Je veux quelque chose qui dure. Et puis le festival doit être

international, et un festival d‟humour ça n‟existe pas. Un festival international d‟humour,

c‟est encore plus fou!» La programmation de la première édition, qui s‟étend sur quatre

jours au milieu du mois de juillet, attire l‟attention par le retour sur scène du chanteur

français Charles Trenet dont Rozon est un fervent admirateur. Les retrouvailles de

Trenet avec le public sont d‟un tel succès que le chanteur décide de reprendre ses

activités et engage Rozon comme responsable de sa tournée mondiale de 1984 à 1987

(Beaunoyer, 2007). Le chanteur-poète ouvrira pour Rozon les portes des grandes

capitales du monde et le mettra en contact avec les plus influents intervenants du

monde du spectacle et des communications en France et en Europe. Le fondateur de

Juste pour rire affirme : «Trenet, c‟est ma carte de visite» (Beaunoyer, 2007).

Alors que le Festival Juste pour rire de Montréal continue de croître en taille et en

succès, les diffuseurs télévisuels s‟intéressent de plus en plus à l‟événement et à son

volet anglophone. Le Festival Just for Laughs, ajouté en 1985, devient un

incontournable pour l‟industrie du spectacle aux États-Unis. Juste pour rire est donc

connu internationalement, même avant d‟être international, de souligner notre

deuxième répondant, le vice-président ventes et marketing de Juste pour Rire (2009).

Au cours des années 1990, l‟entreprise prend carrément son envol international avec

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une percée spectaculaire en Europe. Juste pour rire produira de nombreux spectacles,

en partenariat avec la maison de gérance Show Devant, où il fera tourner des grands

noms de l‟humour québécois. L‟entreprise installera sa première filiale à l‟étranger à

Paris en 1992 (Beaunoyer, 2007).

Devant le succès incroyable de l‟entreprise en France, il apparaît tout à fait naturel

qu‟un jour ou l‟autre un festival s‟installe au pays. Pourtant, ce n‟est qu‟en 2005 que la

ville de Nantes propose à Rozon de tenir la première édition du Festival Juste pour rire

à l‟extérieur de Montréal. La première réaction du fondateur est ... négative. Il avoue

avoir été contre l‟idée initialement, mais d‟avoir accepté «juste pour voir» (Rozon,

2009). Le succès qu‟obtient l‟édition nantaise du Festival Juste pour rire vient confirmer

le plein potentiel de l‟internationalisation de ce pilier. L‟expérience qu‟ils ont acquise

durant les quinze ans de travail en territoire français leur aura servi de modèle. Rozon

se dit alors, «On a été capable de bâtir une première fois, on doit bien être capable de

le faire ailleurs» (Rozon, 2009). Cet «ailleurs» prendra la forme de l‟Amérique du Nord.

En 2007, Juste pour rire lance le Festival Just for Laughs de Toronto. En 2009, c‟est au

tour de Chicago d‟avoir son festival d‟humour, Just for Laughs : A Very Funny Festival,

organisé cette fois en partenariat avec le réseau de télévision américain TBS.

Aujourd‟hui, l‟expansion internationale du festival est une véritable priorité stratégique.

Rozon affirmait à la Presse au début de 2009 que d‟ici les cinq prochaines années il

espérait créer un circuit international de festival qui comprendrait jusqu‟à 10 villes

(Bourdeau, 2009). La firme met le cap sur Londres et Los Angeles, mais le fondateur dit

qu‟il lorgne également les villes de Dubaï ou Sidney (Bourdeau, 2009).

4.3.3 Décision de s‟internationaliser

Comme nous venons de le présenter, le Festival a franchi les frontières du Québec

pour la première fois en raison de la proposition externe formulée à Rozon par la ville

de Nantes. Mais la décision de s‟internationaliser vient aussi d‟un besoin de croissance.

Rozon (2009) raconte qu‟à un moment donné, il a senti que le marché québécois

devenait trop petit pour les activités de sa firme. Le sentiment d‟être à l‟étroit a agi

comme véritable déclencheur à l‟expansion internationale : «Le seul moyen de tenir le

fort est en ayant des assises à l'étranger. On ne peut pas vivre avec le sentiment qu'il

n'y a plus de croissance possible.» (Rozon, cité par Bouchard, 2009).

L‟internationalisation permettait aussi de ne pas être dépendant d‟une seule économie,

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d‟un seul marché ou d‟une seule devise. La décision d‟internationaliser le Fest ival Juste

pour rire vient également de la nature d‟entrepreneur de son fondateur. Il se décrit

ainsi : «Je suis un bâtisseur, un entrepreneur, c'est ce sang qui coule dans mes veines.

L'idée, c'est de grandir, de mettre un pas devant l'autre» (Rozon, cité par Bouchard,

2009). Amener le Festival à l‟étranger vient combler son «bonheur de construire» et lui

apporte une grande stimulation: «il y a un moment où tu sais des choses et de le faire

grandir ça te confronte à d‟autres idées et qui finalement te permettent d‟apprendre»

(Rozon, 2009).

Avec une ambition internationale dès sa fondation et un fondateur à la grande

détermination, nous pouvons nous questionner sur pourquoi il a fallu près de vingt ans

pour qu‟un premier festival soit présenté dans une autre ville que Montréal. Rozon

(2009) explique que les apprentissages ont dû être importants avant de pouvoir faire ce

saut à l‟étranger. Aucune firme dans le monde ne produit et ne diffuse de l‟humour

comme Juste pour rire le fait. Leur modèle d‟affaires a dû être construit à partir de rien.

Il raconte qu‟«au début, on a été tellement maladroit dans notre domaine. Ç‟a été long

avant d‟être capable de transformer ça en quelque chose de viable» (Rozon, 2009).

4.3.4 Choix des marchés

De Montréal à Chicago, le choix des marchés d‟exportation du Festival Juste pour rire

suit une progression logique. D‟abord, l‟établissement du premier festival hors Québec

à Nantes était un choix tout à fait naturel de par la notoriété de Rozon en France, la

langue commune, les échanges d‟artistes et la filiale déjà implantée. Une fois le succès

du concept confirmé hors de sa ville natale, Juste pour rire a commencé à regarder

vers une prochaine destination. Le vice-président ventes et marketing (2009) avance

que rapidement la direction a réalisé que l‟avenir de Juste pour rire ne pouvait pas se

confiner qu‟aux marchés francophones. Entre la Belgique, la Suisse et la France, il y

avait un nombre limité de vedettes à aller chercher.

Juste pour rire s‟est alors décidé à se tourner vers le marché anglo-saxon, un marché

plus porteur pour les produits de la firme. Les yeux tournés vers l‟Amérique du Nord, le

choix de Toronto était aussi tout à fait naturel selon le vice-président ventes et

marketing (2009). Avec la notoriété du volet anglophone déjà bien établie dans le

Canada anglais, l‟expansion de Montréal à Toronto était destinée au succès. Pourtant,

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le vice-président ventes et marketing (2009) nous confie qu‟avec le recul, l‟idée

d‟installer un festival aussi près de Montréal, le point d‟ancrage de Juste pour rire, à

Toronto n‟était peut-être pas la meilleure. Il avance qu‟il y a en effet un risque de

cannibalisation entre l‟édition de Montréal et celle de Toronto. S‟il advenait que les deux

festivals atteignent la même grosseur, la concurrence pourrait désavantager le Just for

Laugh de Montréal en attirant les vedettes du côté de Toronto, comme ce qui s‟est

produit avec le Festival des films du monde.

Après Toronto, les États-Unis devenaient un marché absolument prioritaire pour Juste

pour rire. La firme avait l‟avantage d‟être présente dans le pays de l‟Oncle Sam depuis

plusieurs années déjà avec une filiale à Los Angeles et avait aussi fait l‟expérience de

productions de spectacles dans quelques grandes villes du pays. Mais surtout, pour

Rozon, il est évident que pour réussir dans le monde du divertissement, il faut être fort

aux États-Unis : «c‟est peut-être une évidence que je vous dis là, mais pour moi ça été

long à comprendre» (Rozon, 2009). Cette révélation explique peut-être pourquoi la

firme n‟a pas commencé son expansion internationale par le marché américain. Le

vice-président ventes et marketing (2009) croit que toujours dans une préoccupation de

cannibalisation, le choix de Chicago a beaucoup de sens. La ville constitue un bon

«hub» connectant efficacement Montréal et Los Angeles tout en conservant une bonne

distance entre les festivals.

4.3.5 Mode d‟entrée

L‟entrée du Festival Juste pour rire dans un nouveau pays suit un modèle par étapes

nous indique le vice-président ventes et marketing (2009). En effet, Juste pour rire

entre dans un marché sous la forme d‟un événement Juste pour rire qui consiste en la

production de quelques spectacles en salle pour une durée de trois ou quatre jours.

L‟événement Juste pour rire leur permet d‟à la fois acquérir des connaissances sur le

marché et également d‟établir une notoriété. Ce n‟est qu‟une fois l‟événement bien

implanté que les organisateurs développent quelque chose de plus substantiel avec

des scènes extérieures et des animations dans la rue. C‟est alors que l‟événement

devient officiellement un Festival Juste pour rire qui lui s‟étend sur une dizaine de jours

et comprend des spectacles d‟humour, des pièces de théâtre ou des comédies

musicales, des numéros gratuits à l‟extérieur, etc. De manière parallèle ou suite à

l‟implantation du festival, le vice-président ventes et marketing (2009) ajoute que les

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spectacles en salle peuvent partir en tournée et être présentés dans différentes villes

du pays. À travers ces événements ambulants, Juste pour rire arrive à faire rire et

conquérir l‟ensemble du territoire. Les étapes qui mènent d‟un événement à un festival

grandeur nature peuvent prendre du temps, voire jusqu‟à cinq ans, précise Rozon

(2009) : «je veux connaître la ville sur le bout des doigts avant de me lancer» (Cloutier,

2009). En entrant de façon progressive dans un marché, Juste pour rire arrive à

minimiser le risque qu‟implique l‟expansion internationale. Il avoue qu‟«Avec les

années, je suis moins audacieux et têtu qu'avant. Dans le calcul de mes risques, je suis

le plus prudent possible. Au pire, je risque le profit d'une année. Pas la survie de

l'entreprise.» (Rozon, cité par Bourdeau, 2009)

L‟entrée dans un nouveau marché ne suit pas de règles fixes quant à son mode de

propriété. Le fondateur de Juste pour rire tente de regarder toutes les possibilités avec

la même ouverture d‟esprit (Rozon, 2009). C‟est donc dire qu‟entre l‟établissement d‟un

partenariat et l‟implantation d‟un festival en propre, tout est possible. Dans le cas du

festival de Nantes, c‟est la filiale de Paris qui s‟occupe de l‟organisation complète du

festival avec la ville de Nantes. Pour ce qui est de l‟édition de Toronto, la maison-mère

de Montréal s‟en est occupé dans son intégralité la première année, puis un peu moins

les années suivantes. Le festival reste toutefois téléguidé depuis Montréal nous

explique le vice-président ventes et marketing (2009). Puis pour le dernier né, le festival

de Chicago a été monté sous la forme d‟un partenariat conjoint («moitié-moitié») avec

le réseau de télévision américain TBS. Le cas du A Very Funny Festival de Chicago est

intéressant parce que la chaîne de télévision est un joueur plus important que Juste

pour rire. Selon le vice-président ventes et marketing (2009), «TBS aurait pu dire, "on

va le faire nous-mêmes". Ils sont plus gros, plus forts que nous. Ils ont plus de contacts

que nous [...]. Mais ils n‟ont pas le savoir-faire ». Juste pour rire exporte bien plus qu‟un

concept de festival, mais bien un savoir-faire précis dans l‟architecture d‟un événement

d‟humour.

Lorsque Juste pour rire décide d‟entrer sous la forme d‟un partenariat, Rozon (2009)

souligne que la question des affinités est clé, que le partenaire soit public ou privé. Il

doit y avoir une bonne chimie avec le partenaire et celui-ci doit partager la vision de la

firme en plus d‟être dédié au succès de l‟implantation du Festival. «C'est un processus

bilatéral et on ne vise pas le court terme» indique Rozon (2009). L‟avantage d‟entrer

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dans le marché avec un partenaire local réside dans toutes les connaissances du

marché que le joueur local détient. Ces connaissances sont cruciales puisqu‟à chaque

endroit, Juste pour rire dessine le Festival à l‟image du marché. Rozon (cité par

Bourdeau, 2009) «c‟est du sur mesure – pas question d‟imposer un calque. [...] On y

amène 70% des produits qu'on connaît bien. Les 30% restants prendront en

considération les facteurs locaux.» Le vice-président ventes et marketing (2009) affirme

que Juste pour rire doit avoir les deux oreilles bien branchées sur le marché, car si

l‟humour existe partout, la façon de présenter le festival (prix, promotion et produit) doit

être adaptée à chaque marché. Les partenariats leur permettent donc de s‟implanter

doucement dans les marchés et de dégager des apprentissages au fur et à mesure.

L‟entrée dans un marché est un processus itératif croit-il (vice-président ventes et

marketing, 2009).

4.3.6 Internationalisation subséquente

Les plans d‟internationalisation subséquente de Juste pour rire incluent l‟établissement

d‟un nouveau Festival au rythme d‟une nouvelle ville, tous les deux ans. Le choix des

villes n‟est pas encore confirmé. Rozon avance qu‟«il faut travailler beaucoup

d'opportunités de front, mais toujours à l'intérieur d'un plan. Après ça tu t'aperçois que

tu as le bon partenaire, la bonne opportunité, le bon "timing", et tu y vas» (Barbeau,

2009). Le fondateur regarde donc du côté de l‟Angleterre, de Londres par exemple, où

la firme possède un bureau, mais aussi de Brighton, Liverpool et Manchester (Barbeau,

2009). L‟Écosse pourrait aussi être un marché potentiel pour le festival puisque Juste

pour rire présente déjà des spectacles à Édimbourg (Barbeau, 2009). Finalement, Los

Angeles est aussi une ville très attirante pour un prochain festival affirme le vice-

président ventes et marketing (2009). D‟une part, la ville californienne possède un bon

bassin de consommateurs potentiels et d‟autre part, elle loge les grands diffuseurs

potentiels des spectacles d‟humour. Le potentiel de revente des captations de

spectacles est élevé à Hollywood, la mecque du divertissement et de la télévision. Le

vice-président ventes et marketing (2009) nous rappelle que c‟est avec le piétage

télévisuel que le festival remplit ses coffres. Rozon (2009) précise que pour qu‟un

marché soit intéressant, il faut que le pays soit structuré et développé en terme

d‟infrastructures culturelles. L‟Angleterre, les États-Unis et l‟Australie sont des endroits

où la culture de l‟humour est très forte, que ce soit par la télévision et les comédies de

situation («sitcom»), et la comédie y est bien organisée. Bref, Rozon (2009) résume sa

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stratégie d‟internationalisation future ainsi: «Je me suis dit, essayons d‟être les

premiers dans les marchés qui sont les premiers. Si on est premier dans les premiers

marchés, normalement dans le reste du monde, on sera un point de repère». Il faut que

dans le monde occidental, lorsque que l‟on pense à humour, on pense à Juste pour

rire, ajoute le vice-président ventes et marketing (2009).

À travers ces projets d‟établissement de festival à l‟étranger, Rozon souhaite bâtir d‟ici

les cinq prochaines années un véritable circuit international en ajoutant entre autres

une ville dans l'Ouest canadien (Edmonton, Calgary ou Vancouver) et une autre dans

l'Ouest américain (Santa Barbara, Los Angeles ou Las Vegas) (Bourdeau, 2009). Le

fondateur dit s‟inspirer du modèle mis sur pied par le Cirque du Soleil (Bouchard, 2009).

Selon le vice-président ventes et marketing (2009), la construction du circuit aurait un

bénéfice direct sur la gestion des artistes qui prennent la scène lors des Festival Juste

pour rire. Au lieu de faire signer aux artistes un contrat par festival, Juste pour rire

l‟embarquerait pour la totalité du circuit. Cela empêcherait les artistes de choisir

certains festivals au profit des autres. Même si plusieurs festivals étaient rapprochés, il

n‟y aurait ainsi pas de risque de cannibalisation.

Rozon (2009) constate que le potentiel d‟exportation du Festival Juste pour rire est

aujourd‟hui plus que jamais lié à la stratégie culturelle mise de l‟avant par des villes aux

quatre coins du monde. Il nous avoue qu‟il ne pensait jamais voir ça de sa vie, mais

qu‟il remarque que des villes sont maintenant en train de mettre la culture au centre de

leur développement économique (Rozon, 2009). Le coup de maître de Rozon, selon

Beaunoyer (2007), en plus de donner à l‟humour une infrastructure et des bases

solides, est d‟avoir su lui redonner ses lettres de noblesse. Rozon (2009) affirme

qu‟autrefois l‟humour n‟était même pas considéré comme faisant partie du domaine

culturel. Plusieurs considéraient l‟humour comme trivial. Il s‟enthousiasme du fait que la

vapeur est renversée : «là aujourd‟hui, les villes veulent faire de l‟humour un instrument

pour leur donner de la personnalité. Et Juste pour rire est le meilleur pour ça» (Rozon,

2009).

4.4.7 Avantages de l‟internationalisation

Les avantages que Juste pour rire retire de la présence internationale de ses festivals

sont à la fois d‟ordre stratégique, économique, créatif et personnel à son fondateur. Si

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nous regardons au niveau stratégique, en sortant du marché québécois, Rozon (2009)

affirme que cela lui permet d‟assurer la pérennité de son entreprise, en plus de lui

donner force et stabilité. Un autre avantage stratégique perçu est la possibilité de faire

de meilleures offres aux artistes. En effet, le responsable du volet Just for Laughs de

Montréal, Bruce Hills, affirme que «Our buying power, our reach for artists has never

been better. When we can go to John Cleese and say you can go to two cities in five

days and do a series of British galas, that’s a lot more attractive offer than, "hey, I’ve got

one thing for you"» (Wyatt, 2009). Il ajoute : «Larger paycheques get people’s

attention» (Wyatt, 2009). Comme ce sont les artistes qui font rouler l‟entreprise, la

capacité de faire monter sur scène les meilleurs talents est un bénéfice énorme. Au

niveau économique, la rentrée de devises étrangères est aussi un avantage de

l‟internationalisation puisqu‟elle permet à Juste pour rire d‟être moins à la merci d‟une

seule économie grâce à des revenus répandus sur plusieurs pays. Finalement, Rozon

(2009) retire des bénéfices très personnels à parcourir le monde pour s‟occuper du

développement international des festivals. Il nous confie que les voyages qu‟il fait et la

connaissance de différentes cultures qui en découlent lui apportent beaucoup.

L‟accès à d‟autres cultures via l‟établissement de festivals à l‟étranger s‟avère un vrai

catalyseur de créativité pour Juste pour rire. Rozon (2009) n‟hésite pas à dire, «je ne

me suis jamais senti aussi créatif que depuis que j‟exporte». Cette créativité réside

selon le fondateur dans l‟interaction avec les nouveaux créateurs qui amènent de

nouvelles idées. Au début, Rozon croyait que c‟était Montréal qui allait servir d‟exemple

aux autres festivals et que les idées générées dans la métropole montréalaise allaient

être appliquées dans les festivals établis à l‟étranger. C‟est l‟inverse qui s‟est plutôt

produit, a-t-il rapidement constaté. Il donne l‟exemple de Nantes en disant que «très

rapidement Nantes a apporté des idées à Montréal parce que les Nantais ont une autre

façon de voir les choses. Il faut que tu t‟enracines dans la culture nantaise et que tu

regardes les activités culturelles et leurs créateurs et alors tu commences à avoir une

interaction avec eux. Et c‟est dans cette interaction que naissent les idées.» Pour

illustrer de quelle façon Rozon perçoit le processus par lequel l‟internationalisation a un

impact sur la créativité, il nous offre l‟analogie suivante :

Disons que je suis un fabricant de tasses et que mes tasses je les vends au Japon. La madame qui vend mes tasses au Japon, elle découvre alors une autre façon de faire des tasses qui soit plus chic, plus raffinée. Et que je m‟aperçois qu‟elle utilise le bois

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pour boire certains liquides. Ça donne une idée de faire de l‟import-export. Ce sont donc des idées que je prends d‟ailleurs et que je remets à ma sauce. L‟idée a une origine, mais elle a des fois la capacité de voyager.

4.3.8 Défis dans l‟internationalisation

Un des défis qu‟aura à faire face Juste pour rire dans l‟internationalisation des festivals

est inhérent au produit lui-même, c‟est-à-dire à sa logique de financement. Bien des

villes souhaitent aujourd‟hui être l‟hôte d‟un Festival Juste pour rire, mais cette

demande ne se transforme pas toujours en contrat signé. Rozon (2009) nous dit que

dans 9 cas sur 10, la simple vue du coût d‟entrée fait reculer les villes. L‟architecture

d‟un événement de l‟envergure du Festival Juste pour rire est compliquée et Rozon

(2009) indique qu‟il doit bien souvent appuyer le client dans la recherche de solutions,

notamment au niveau du financement. Il dit «Tu peux pas juste vendre le produit, il faut

que tu trouves comment le client va te payer. Tu te retrouves dans la position où tu

vends une maison et il faut que tu trouves le financement hypothécaire» (Rozon, 2009).

La gestion des partenaires avec qui Juste pour rire entre dans les marchés étrangers

est aussi un défi. Dans le cas d‟un partenaire public, il y a toujours un risque que

l‟association avec un maire tombe à l‟eau à la suite d‟élections. Dans le cas d‟un

partenaire privé, Rozon (2009) indique que là encore la négociation peut être féroce et

demande l‟implication d‟avocats. Bref, Rozon (2009) avance qu‟il faut être très flexible

intellectuellement et bien outillé en terme de connaissances de système d‟achat. Le cas

du partenariat avec TBS est un exemple où il a fallu que Rozon soit selon lui «créatif en

business» puisqu‟il lui fallait trouver une façon de conclure une entente dans laquelle

Juste pour rire allait être minoritaire, mais avec le contrôle de l‟opération. Ceci a mené

à une situation où: «tu n‟es pas maître chez vous, même si c‟est pour un produit pour

lequel tu es investigateur» (Rozon, 2009).

4.3.9 Clés du succès

La clé du succès réside d‟abord et avant tout pour Rozon dans la qualité du contenu

offert. Dans le cas d‟une firme d‟humour, ça prend un bon «show» (Rozon, 2009). Il

admet que dans l‟industrie dans laquelle Juste pour rire navigue et ce, plus que dans

une autre, les firmes ne peuvent pas se permettre de tricher. En offrant un produit

culturel, Rozon (2009) croit qu‟il s‟établit une relation particulière avec le

consommateur. Il affirme que le consommateur qui consomme un produit culturel ne

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consomme pas un produit comme les autres. Il consomme un produit éphémère et

intangible qui nourrit son âme, son esprit. Rozon croit donc que si le consommateur

paie le prix d‟un spectacle, qu‟il planifie sa soirée pour finalement s‟asseoir deux heures

et écouter un humoriste, le produit doit être bon. Selon Rozon (2009), tu ne peux

absolument pas faire perdre le temps de quelqu‟un qui vient consommer un produit

culturel. La règle d‟or est donc le produit, «first thing comes first» comme il le dit. Mais

le produit n‟est pas tout pour Rozon. Il faut ensuite, selon lui, savoir l‟exploiter et être

capable de le vendre sur le marché local ou international. Il fait l‟allusion au peintre Van

Gogh qui a connu la gloire seulement après sa mort parce que personne n‟a su

exploiter les peintures phénoménales qu‟il produisait de son vivant. Finalement, il

conclut en nous donnant un mot qui résume bien le tout: le talent. «Le talent humain

d‟exploitation et le talent des artistes : c‟est la clé» (Rozon, 2009).

4.4 HARRICANA

4.4.1 Description des activités de la firme

Fondée en 1997 par la designer Mariouche Gagné, Harricana (qui signifie le long

chemin, en algonquin) est une firme de mode spécialisée dans le recyclage de la

fourrure. Gagné entre en contact avec la fourrure pour la première fois à l‟âge de 22

ans alors qu‟elle étudie en design à la Domus Academy de Milan (Harricana, 2007).

Elle décide de participer à un concours de design organisé par le Conseil canadien de

la fourrure. Manquant d‟étoffe pour compléter la création d‟un vêtement de ski

réversible, elle eut l‟idée d‟utiliser le vieux manteau de fourrure de sa mère. Non

seulement Gagné remporte la deuxième place du prestigieux concours, mais elle

réalise alors tout le potentiel à la fois mode et environnemental de la fourrure recyclée.

En 1994, elle lance sa première collection d‟accessoires (sacs, mitaines, foulards)

entièrement conçue avec de la fourrure recyclée. Au fil des ans, ses collections se sont

garnies d‟une vaste gamme de vêtements mode et de produits pour la maison. La

création à partir de tissus recyclés est l‟essence de la firme qui transforme entre sept et

huit mille manteaux par année (Harricana, 2007). Il faut dire que la préservation

environnementale est au cœur des préoccupations de la présidente-designer. Près d‟un

demi-million de bêtes ont été sauvés par le concept écoluxe d‟Harricana (Harricana,

2007). Les activités d‟Harricana se déclinent en deux volets à proportion égale: le sur

mesure (transformation personnalisée des manteaux des clients) et le détail (collection

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écoluxe) (Gagné, 2009). Aujourd‟hui, la PME de 20 employés transforme aussi les

carrés de soie et les doublures de manteau et donne seconde vie aux robes de

mariées. Selon La Presse Affaires, depuis sa fondation, Harricana a connu une

croissance pratiquement ininterrompue – frôlant les 80% certaines années

(Champagne, 2009b). Le chiffre d‟affaires d‟Harricana, sans être divulgué, atteint

quelques millions (Turcotte, 2008).

4.4.2 Présentation du parcours international

En 2001, Gagné reçoit une invitation de la Société pour le développement des

entreprises culturelles (la SODEC) et le Conseil des arts à se rendre en France pour

faire de l‟animation dans le village Québec-St-Malo. Notre répondant, la présidente-

designer Mariouche Gagné (2009), nous explique qu‟elle a alors accepté l‟invitation

avec joie puisque cela allait être pour elle l‟occasion de présenter ses produits aux

Français et tester leur réception dans ce marché. Malgré le fait que le village Québec-

St-Malo se déroule sous le chaud soleil de l‟été et que la mer se trouve à quelque pas,

les Français sont conquis par le concept de fourrure recyclée d‟Harricana et elle arrive

à vendre tous ces produits. Suite à cette réaction positive, Gagné décide de se rendre

l‟année suivante dans les Alpes, carnet de commandes en mains. Elle raconte qu‟en

très peu de temps, elle remplit ledit carnet à la hauteur de ce qu‟elle pouvait en

prendre au Québec en un an. Cette incursion en France débloque ensuite vers d‟autres

marchés européens et rapidement ses produits de recyclage haut de gamme font le

tour du monde. Harricana est aujourd‟hui présente dans 300 points de vente dans 18

pays, dont la Suisse, la France, l‟Autriche, l‟Allemagne, l‟Italie, l‟Espagne, la Hollande,

les Émirats arabes, la Grèce, le Japon, la Russie et l‟Australie (Harricana, 2007). Plus

de 50% de son chiffre d‟affaires provient de l‟étranger (Lehmann, 2007). La France

suivie du Japon sont ses marchés les plus forts (Gagné, 2009). L‟expansion

internationale d‟Harricana a pris forme autour d‟une structure d‟exportations gérée à

partir du siège social de Montréal qui fait également office d‟atelier-boutique. Le design

et la transformation des manteaux de fourrure sont donc ancrés en sol québécois. Une

boutique dans le Vieux-Québec a vu le jour en 2008. Harricana s‟engage présentement

dans une nouvelle étape de son parcours d‟internationalisation : l‟ouverture de

boutiques à l‟étranger. La première boutique devrait avoir pignon sur rue en septembre

2010 en France ou en Suisse puis l‟expansion des boutiques se poursuivrait ensuite

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vers les autres marchés d‟exportation. L‟objectif de Gagné : «avoir des boutiques un

peu partout dans le monde» (Champagne, 2009b).

4.4.3 Décision de s‟internationaliser

Avant l‟animation du village Québec-Saint-Malo, l‟idée d‟exporter ses collections

écoluxe avait déjà germé dans l‟esprit de Gagné, mais l‟expansion internationale n‟était

pas encore bien concrète dans sa tête. C‟est donc une opportunité externe qui est

venue déclencher l‟internationalisation d‟Harricana. L‟expérience française lui a alors

vraiment fait réaliser la valeur de son produit à l‟étranger. Dans son cas, on peut parler

d‟un véritable appel du marché. En effet, le marché du luxe dans lequel ses produits

s‟inscrivent est très fort en Europe et au Japon où se nichent les grandes stations de

ski huppées. Il y avait des affaires en or pour elle chez les Chamonix et Val-d'Isère de

ce monde. De plus, Gagné croit que ses produits ont aussi trouvé preneurs chez les

Européens pour qui l‟image du Canada et de la fourrure est très positive. Elle admet

d‟emblée qu‟elle avait un capital de charme assez élevé : «Réussir à avoir des rendez-

vous avec des Européens, avec mon accent québécois, mais en même temps avec

mes notions de mode européenne fonctionnait assez bien» (Gagné, 2009).

La décision d‟internationaliser les activités d‟Harricana vient aussi des ambitions

internationales de la présidente-designer qui à l‟âge de 17 ans rêvait déjà de diriger une

entreprise internationale (Lehmann, 2007). Pour qu‟Harricana devienne un jour la

première marque de luxe écologique au monde comme le souhaite Gagné, la firme

devait s‟étendre à l‟extérieur des frontières. «Les Japonais ne viendront pas tous me

voir ici au Québec» explique Gagné (2009). La volonté d‟amener sa marque sur

l‟échiquier international a donc agi comme moteur très puissant derrière

l‟internationalisation d‟Harricana. Surtout que l‟expansion dans les nouveaux marchés

implique de grandes ressources financières avec les risques qui y sont associés. Selon

Lehmann (2007), «une gageure dans un secteur où le Québec peine à se vendre à

l‟extérieur». Mais, Gagné se décrit comme une fonceuse qui n‟a pas froid aux yeux.

4.4.4 Choix des marchés

Comme nous l‟avons présenté, la France fut le premier marché d‟expansion

internationale d‟Harricana. Ce choix semble s‟être fait sur une base opportuniste. Entre

l‟Europe et les États-Unis, Gagné (2009) explique que le vieux continent s‟est mis à

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fonctionner plus rapidement c‟est ainsi que l‟expansion a démarré de l‟autre côté de

l‟Atlantique. L‟Europe était aussi un marché où la présidente-designer avait une

certaine aisance de par ses intuitions quant aux préférences des consommatrices.

L‟expansion dans le territoire japonais est venue un peu plus tard, aussi par l‟entremise

des salons de mode. Aujourd‟hui un des ses deux marchés les plus forts, Gagné (2009)

avoue que le marché japonais a pris un peu plus de temps à démarrer à cause des

différences culturelles plus marquantes dans la façon de conduire les affaires. Une fois

ces différences comprises, le marché s‟est avéré très fructueux.

Le choix des points de vente dans chaque marché est quant à lui le résultat d‟un

processus de sélection rigoureux. Dans chacun des marchés d‟exportation, Harricana

s‟assure que ses produits se trouvent dans des endroits qui disposent d‟un bassin de

consommatrices cibles. Gagné (2009) décrit sa cliente cible comme «une cliente qui a

envie de se différencier, d‟avoir quelque chose d‟un peu plus "glam", mais aussi d‟un

peu plus différent». Non seulement elle vise une clientèle qui démontre une sensibilité à

un produit créatif, mais aussi suffisamment fortunée pour s‟offrir des produits trois fois

plus dispendieux qu‟à Montréal en raison des coûts de transport (Lehmann, 2007).

Gagné choisit donc des boutiques bien précises qui sont reconnues à travers le monde

pour aller chercher les dernières petites tendances, par exemple chez Colette à Paris

(Gagné, 2009). Ces boutiques avant-gardistes se prêtent bien à l‟aspect unique de

chaque morceau de la collection d‟Harricana et l‟aspect écologique de la matière. En

plus, les boutiques choisies se doivent d‟être les plus prestigieuses de chacune des

régions visées pour correspondre au luxe de la marque. Ce critère de sélection est

crucial pour maintenir le prestige de la marque et le gage de qualité des produits.

Même que Gagné (2009) affirme que «Je préfèrerais ne pas vendre si ce n‟est pour ne

pas vendre dans la boutique la plus belle. Je ne vends qu‟à des boutiques qui sont

magnifiques».

4.4.5 Mode d‟entrée

Jusqu‟à présent, le mode d‟entrée privilégié par Harricana est l‟exportation de ses

produits. Initialement, l‟exportation était un choix naturel puisque le modèle d‟affaires

n‟incluait pas la vente au détail, mais que les collections et le sur-mesure. Il est donc

logique que la firme ait voulu ouvrir une boutique dans son marché national avant

d‟avoir pignon sur rue à l‟international. L‟exportation a aussi été privilégiée par

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Harricana en raison des ressources financières disponibles – rappelons qu‟Harricana

avait été fondé à peine quatre ans auparavant. Gagné (2009) indique qu‟avec l‟aide

financière accordée par la SODEC, l‟entreprise y est allée petit pas par petit pas à la

hauteur de ses moyens. Gagné (2009) souligne bien le risque lié aux activités

d‟exportation et aux dépenses rattachées – que ce soit au niveau des déplacements,

de la participation à des salons, de l‟incertitude des ventes et des paiements, etc.

Finalement, Harricana souhaitait attendre que l‟image de sa marque soit forte et claire

avant d‟ouvrir des boutiques à l‟étranger. Gagné (2009) explique que construire une

marque prend du temps surtout que la compétition entre les grands noms du luxe est

féroce sur l‟échiquier international.

Avec désormais deux boutiques au Québec, une à Montréal et l‟autre à Québec,

Harricana a cumulé de l‟expérience dans la vente au détail qu‟elle souhaite maintenant

transférer dans une nouvelle phase d‟internationalisation, cette fois avec comme mode

d‟entrée l‟établissement de boutiques exclusives à la marque. Gagné (2009) affirme

que l‟ouverture de boutiques requerra un investissement financier initial plus important

que l‟exportation, mais en contrepartie les rentrées d‟argent auront lieu immédiatement

– les portes sont ouvertes, les clients viennent acheter. Là où Gagné (2009) constate

que l‟aventure des boutiques devient intéressante pour les affaires est dans la

construction de la marque Harricana. La présidente-designer explique qu‟avoir des

boutiques en propre à l‟étranger lui permettra de montrer la marque comme elle le

souhaite et de mettre en lumière ce qui la distingue des autres marques de luxe. Elle

donne l‟exemple de son service de transformation des vêtements. Harricana est le seul

créateur de vêtements au monde qui travaille avec la matière fournie par le client. Ce

service ne peut qu‟être offert que dans une boutique qui lui appartient et dotée

d‟employés formés pour offrir ce service aux clientes. Gagné (2009) croit que c‟est

également dans tous les petits détails comme la musique, les produits, le décor,

l‟accueil personnalisé, l‟histoire qui est racontée qu‟une marque se crée. Dans le cas

d‟Harricana, qui propose une combinaison unique de fourrure recyclée et de luxe,

l‟écoluxe, les messages doivent être extrêmement bien véhiculés. Avec ses boutiques

en propre, elle sera en mesure de créer une vraie expérience Harricana pour les

consommatrices. Gagné (2009) explique que c‟est entre autres pour s‟assurer du soin

de la marque qu‟elle souhaite ouvrir ses boutiques à l‟étranger avec un partenaire. Elle

précise que les partenaires qui seront choisis doivent démontrer les capacités

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financières à l‟expansion des boutiques, mais aussi adhérer aux dix-huit valeurs qui

définissent Harricana. Elle admet que trouver ce «fit» entre son entreprise et un

partenaire n‟est pas si facile que ça, mais qu‟il est capital dans l‟implantation de la

marque à l‟étranger (Gagné, 2009).

4.4.6 Internationalisation subséquente

D‟ici l‟ouverture d‟une première boutique à l‟étranger, Harricana se concentre sur

l‟apprentissage du monde du détail et la structuration de cette partie des activités pour

que tout soit au point pour le virage international des boutiques. À ce propos, Gagné

compte sur l‟appui d‟un coach qui l‟aide à comprendre les secrets de la vente au détail,

mentorat dont elle bénéficie par l‟entremise du Groupement des chefs d‟entreprise du

Québec auquel elle fait partie (Turcotte, 2008). L‟ouverture subséquente des bout iques

se fera au rythme d‟une par année et le nombre par territoire variera – en France, par

exemple, 5 villes ont été identifiées (Gagné, 2009). Harricana croit que le déploiement

des boutiques dépendra de la gestion de cette nouvelle structure de l‟entreprise, mais

aussi des connaissances qui devront être acquises sur la culture de chaque marché.

4.4.7 Avantages de l‟internationalisation

L‟internationalisation d‟Harricana se transpose en un avantage éminent sur la créativité

de l‟entreprise. Selon Gagné (2009), la vente de ses produits à l‟étranger pousse la

marque à être encore plus créative à cause de la compétition à l‟international. Alors que

sur le territoire québécois, elle remarque qu‟il n‟y pas de compétiteurs qui la mettent au

défi (la «challengent»), la situation est tout autre à l‟étranger alors qu‟elle se retrouve

dans un salon à côté de Prada ou que l‟acheteuse qui la reçoit vient tout juste de

rencontrer les représentants de Miu Miu. Elle doit impressionner. Cette compétition

devient extrêmement stimulante du point de vue de la créativité, car elle la force à

constamment raffiner, peaufiner et innover pour se tailler une place au travers des

grands noms du luxe. La créativité d‟Harricana est également renforcée par les

consommatrices pour qui elle crée hors de son marché. La présidente-designer

explique qu‟en Europe «la consommatrice va aller pour quelque chose d‟un peu plus

fou» (Gagné, 2009). Le même produit vendu sur les marchés européens peut prendre

jusqu‟à deux ans à se vendre au Québec. Côtoyer ce bassin de clientes qui ne

consomment pas un produit de luxe pour se rassurer (tel un Louis Vuitton), mais bien

pour se différencier est un vrai plaisir pour son esprit créatif. Elle retrouve cette même

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dynamique de consommation chez les acheteuses des marchés étrangers, qui pour se

tailler une place au travers de la myriade de boutiques de luxe des grandes métropoles

doivent avoir sur leurs étagères des produits hautement créatifs à offrir aux clientes

avant-gardistes. Elle remarque que les acheteuses québécoises vont avoir un

comportement beaucoup plus prudent et privilégier les classiques (Gagné, 2009).

Outre la capacité créative, Harricana perçoit également d‟autres avantages que lui

procure son internationalisation. Gagné (2009) mentionne entre autres la perception de

certaines clientes qui vont accorder une valeur au fait que la marque soit internationale

et que ce qu‟elles achètent ici ait été vu à Paris ou à Aspen. Il y a également l‟attention

que réservent les médias au parcours international de son entreprise qui la stimule.

Finalement, elle ressent un sentiment de fierté chez ses employés qui voient leurs

réalisations envoyées dans des magasins aux quatre coins du monde.

4.4.8 Défis de l‟internationalisation

Puisque la question de la marque occupe une place centrale dans le choix des

marchés et le mode d‟entrée, un des défis qu‟entrevoit Harricana dans le processus

d‟internationalisation de l‟entreprise est celui de maintenir le message de la marque

claire. Gagné (2009), qui porte à cœur la philosophie environnementale de ses produits

de fourrure, ne souhaite pas que le message écologique se noie dans les attributs de

luxe ou du design de la marque. La gestion de la nouvelle structure de boutiques se

dessine aussi comme un défi de type organisationnel pour Harricana. Gagné (2009) dit

devoir s‟assurer que les nouvelles boutiques sentent que malgré la distance

géographique ou culturelle, elles font toutes parties d‟une même famille, qui partage les

mêmes valeurs. Dans le même ordre d‟idée, la présidente-designer souhaite ne pas

commettre l‟erreur de délaisser son marché national en ne se préoccupant que de

l‟international. Finalement, un défi beaucoup plus personnel cette fois pour Gagné est

d‟arriver à balancer à la fois son rôle de présidente, sa vie de famille, ses loisirs et ses

amis. Mère de deux enfants en bas âge, elle admet que l‟internationalisation en

demande beaucoup et que si le côté voyage lui plaît énormément il requiert beaucoup

de temps et d‟énergie (Gagné, 2009).

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4.4.9 Clés du succès

Pour qu‟une firme créative réussisse son expansion internationale, Gagné (2009) croit

qu‟elle doit être armée d‟une vision claire, d‟une équipe solide, de bonnes ressources

financières et d‟une bonne structure organisationnelle. Tout aussi important, le succès

s‟explique par l‟esprit qui guide les affaires en marché étranger. Elle affirme qu„il faut

s‟intégrer dans le pays où on l‟on souhaite s‟établir et non s‟y attaquer, y aller pas à pas

en prenant temps de comprendre la culture et surtout ne rien prendre pour acquis, car

Gagné (2009) nous dit «tu peux avoir 5 marchés qui fonctionnent et rendus au 6e, ça ne

fonctionne pas».

4.5 CIRQUE DU SOLEIL

4.5.1 Description des activités de la firme

Célébrant en 2009 son 25e anniversaire de fondation, en établissant le record Guiness

du plus grand rendez-vous d‟échassiers, le Cirque du Soleil est sans contredit le cas le

plus connu de réussite d‟une firme créative québécoise à l‟international. Le Cirque du

Soleil érige son chapiteau bleu et jaune pour la première fois en 1984 à l‟occasion des

célébrations du 450e anniversaire de l‟arrivée de Jacques Cartier au Canada. Les deux

fondateurs de cette compagnie de Baie-Saint-Paul, Daniel Gauthier et Guy Laliberté,

décident alors de créer un cirque sans animaux mêlant l‟acrobatie à la danse et au

théâtre. Une approche qui allait complètement révolutionner les arts du cirque. Depuis

ces modestes débuts, le Cirque du Soleil n‟a jamais cessé de croitre évoluant d‟une

troupe de 20 amis saltimbanques à une multinationale de 4000 employés (Cirque du

Soleil, 2009a). Avec ses 1000 artistes provenant de 40 pays parlant plus 25 langues, le

Cirque du Soleil est comparé à une représentation miniature de l‟Organisation des

Nations Unies (Tischler, 2005). Plus de 1800 employés travaillent dans le siège social

international de Montréal. Le Cirque du Soleil compte aussi quatre bureaux régionaux,

à Las Vegas (États-Unis), Londres (Angleterre), Macau (Chine) et Melbourne

(Australie). Si l‟activité principale de cette firme de divertissement artistique demeure la

création de spectacles (présentés sous des chapiteaux ou dans des théâtres fixes),

depuis quelques années, le Cirque du Soleil a diversifié ses activités d‟affaires dérivées

de ses spectacles pour inclure la création de produits pour la télévision, l‟organisation

d‟événements privés et le développement de produits dérivés («merchandising»)

(Cirque du Soleil, 2009a). Dans les années à venir, la firme souhaite aussi s‟engager

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dans des activités de «licensing» allant au-delà des activités dérivées des spectacles,

comme des projets dans le domaine de l‟hospitalité (restaurant, bar, spa, etc.) (Cirque

du Soleil, 2009a)

Le succès du Cirque du Soleil est planétaire. Depuis sa fondation, plus de 90 millions

de spectateurs dans plus de 200 villes dans 40 pays sur tous les continents, à

l‟exception de l‟Afrique et de l‟Antarticque, ont assisté à un spectacle du Cirque du

Soleil. En 2009, plus de 19 spectacles ont été présentés simultanément (Cirque du

Soleil, 2009a). Le Cirque du Soleil affichait en 2006 des revenus de 620 millions de

dollars américains. 95% de ses activités se font à l‟étranger et 90% des revenus

reviennent à Montréal (Turcotte, 2007). Guy Laliberté est aujourd‟hui le propriétaire

principal de cette firme qui malgré sa grosseur demeure une structure à propriété

privée.

En révolutionnant les arts du cirque par un «étonnant mélange théâtralisé des arts du

cirque et de la rue, enveloppé dans des costumes loufoques et saugrenus, sous des

éclairages magiques et sur une musique originale» (Cirque du Soleil, 2009b), le Cirque

du Soleil a réussi à créer ce que les auteurs Kim et Mauborgne (2005) nomment une

stratégie de l‟océan bleu. Cette stratégie consiste à créer un nouveau marché à

exploiter, plutôt que de compétitionner dans une industrie déjà existante et à multiples

joueurs. Malgré l‟émergence avec le temps de compétiteurs, le Cirque du Soleil a

réussi à bâtir après plus de 25 ans une machine capable de livrer un niveau

d‟innovation difficile à imiter. Jusqu‟à ce jour, le Cirque du Soleil a continué à tenir la

barre haute en prouvant être capable de réinventer la marque à chaque nouvelle

production (Tischler, 2005). Fidèle à la clé de son succès, le Cirque du Soleil maintient

une attention constante sur la créativité. Le président et chef de la direction, Daniel

Lamarre (cité par Tischler, 2005) affirme que Laliberté a une volonté de mettre la

créativité avant les profits. Chaque année, près de 70% des profits sont redirigés dans

les nouvelles initiatives, la recherche et le développement et les nouveaux spectacles. Il

explique : «We built our brand on creativity and if we don’t respect this first value of our

brand, it would be counterproductive for us in the long term» (Lamarre; cité par Tischler,

2005 ).

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4.5.2 Présentation du parcours international1

Cette section retrace les grandes orientations internationales de la stratégie du Cirque

du Soleil au cours des 25 dernières années.

1984-1987 : les débuts

Le Cirque du Soleil se concentre les premières années sur le territoire du Québec et du

Québec en présentant dans différentes villes son spectacle La magie continue.

Rapidement, la firme réalise que le climat canadien, rigoureux en hiver, pose un

problème à la viabilité d‟un spectacle de cirque présenté sous le chapiteau. Guy

Laliberté (cité par Beaunoyer, 2004 :87) affirmait en 1987 : «Un cirque n‟est pas

rentable s‟il limite ses activités au territoire du Canada. Pour être rentables, nous

devons fonctionner neuf mois par année et la température au Canada ne nous permet

pas de présenter des spectacles pendant plus de six mois. Alors, il faut aller vers le sud

et le sud, c‟est les États-Unis». C‟est ainsi que le Cirque du Soleil décide de migrer vers

son voisin immédiat. Selon Delong et Vijayaraghavan (2002), le Cirque sent déjà le

potentiel outre frontière de leur concept de cirque unique déjà international dans la

composition de sa troupe : «Even when Cirque started out with its first small-scale

shows in Canada, it was mindful of globalization, both in staffing and content;

eventually, it achieved globalization in audience too, leaving Canada for the first time in

1987.»

1987 : les États-Unis

L‟année 1987 marque l‟entrée du Cirque du Soleil au pays de l‟Oncle Sam. La

présentation de son spectacle Le Cirque réinventé à Los Angeles est alors un pari très

risqué pour la troupe de Guy Laliberté. Il raconte : «Nous n‟avions plus d‟argent et nous

risquions le tout pour le tout. Si nous avions subi un échec à Los Angeles, nous

n‟aurions pas été en mesure de payer l‟essence de nos camions pour revenir à la

maison. Nous vivions une énorme tension» (Laliberté, cité par Beaunoyer, 2004). Une

gageure qui s‟avéra payante puisque le Cirque du Soleil remporte un succès

fracassant. Le Cirque réinventé parcourt différentes villes de la Californie puis prend la

direction de l‟est des États-Unis. Grisé par le succès qu‟obtient le Cirque du Soleil

partout sur son passage, Laliberté rêve de couvrir la planète en entier (Beaunoyer,

1 La majorité des informations de cette section ont été recueillies dans le document «La Grande Odyssée» produit par le Cirque du Soleil (2009).

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2004). La conquête du très lucratif marché américain aura eu un impact non seulement

sur les aspirations de son chef, mais aussi sur les apprentissages que

l‟internationalisation aura permis à la jeune entreprise. Delong et Vijayaraghavan (2002)

notent : «Cirque really became Cirque when they crossed the border and went to Los

Angeles. They learned how to present the mystique, the branding, the cross-cultural

message».

1990 – 1992 : au tour de l‟Europe et du Japon

Le Cirque réinventé traverse l‟Atlantique pour la première fois en 1990 où il sera

présenté à Londres et à Paris. En 1992, c‟est au tour du Japon de recevoir le Cirque du

Soleil avec le spectacle Fascination, un amalgame des meilleurs numéros des

spectacles précédents. La même année, la firme complète une tournée en Suisse en

compagnie du célèbre cirque européen, le Cirque Knie. L‟implantation du Cirque du

Soleil en Europe mènera en 1995 à l‟établissement d‟un siège social européen à

Amsterdam (Hollande).

1993 : les premiers spectacles permanents

Suite au succès remporté par les différents spectacles de tournées à Las Vegas, le

Cirque du Soleil décide d‟y ancrer son premier spectacle présenté dans un théâtre fixe.

La firme signe un contrat de 10 ans avec le Mirage Resorts pour présenter le spectacle

Mystère. Une salle est alors construite dans l‟hôtel Treasure Island spécialement pour

accueillir les artistes circassiens. Le Cirque du Soleil y établit aussi un bureau régional.

Le Cirque du Soleil multipliera les années suivantes les spectacles fixes, une stratégie

qui permet d‟attirer la manne de touristes séjournant dans la capitale du divertissement.

Entre 1993 et 2006, le Cirque installera 4 autres spectacles permanents à Las Vegas

(O au Bellagio en 1998, Zumanity au New York-New York Hotel & Casino en 2003, Kà

au MGM Grand en 2004 et LOVE au Mirage en 2006).

1998 – 2002 : le Cirque rayonne encore plus

Maintenant doté d‟un siège social international inauguré en 1997 à Montréal, le Cirque

du Soleil poursuit son expansion internationale. En 1998, la firme prolonge la tournée

du spectacle Saltimbanco jusqu‟à en Asie-Pacifique avec comme point de départ

Sidney (Australie). En 2002, c‟est avec le spectacle Alegria que le Cirque du Soleil fait

ses premiers pas au Mexique. De 1999 à 2002, le Cirque se lance également dans la

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production télévisuelle et cinématographique en produisant plusieurs émissions, films et

même une production IMAX. Ce dernier, distribué par Sony Pictures Classic, permet de

faire découvrir le Cirque du Soleil par voie d‟écran géant aux quatre coins du monde.

2006 à aujourd‟hui : un nouveau cycle de développement international

Le Cirque du Soleil entreprend depuis 2006 un nouveau cycle de développement

international caractérisé par de nouveaux points d‟ancrage et la conquête de nouveaux

marchés. En 2006, la firme fait une première percée en Amérique du Sud avec la

présentation de Saltimbanco au Chili, en Argentine et au Brésil. En 2008, le Cirque du

Soleil inaugure un record de trois spectacles permanents. Criss Angel Believe voit le

jour à l‟hôtel Luxor à Las Vegas et pour la première fois, deux spectacles permanents

sont installés à l‟extérieur de l‟Amérique du Nord soit ZAIA, à Macao en Chine et ZED

au Tokyo Disney Resort au Japon. Aujourd‟hui, le Cirque du Soleil fait rouler

simultanément 8 spectacles en tournée et 10 spectacles permanents (6 à Las Vegas et

1 à New York, Orlando, Macau et Tokyo).

Et demain?

Le carnet de projets du Cirque du Soleil réserve de nombreuses nouveautés pour les

prochaines années. En plus de présenter à la fin de 2009 le spectacle de tournée Elvis

Presley, qui devrait être complété d‟«expériences Elvis» multimédias interactives, le

Cirque du Soleil s‟aventurera dans des contrées encore jamais explorées. Le Cirque du

Soleil amorcera d‟ici la fin de 2009 son entrée en Russie. Un partenariat signé avec

George et Craig Cohon, les Canadiens qui ont introduit et fait prospérer les restaurants

McDonald et la marque Coca-Cola en Russie, inclut la création de Cirque du Soleil

Rus, «une entreprise russe qui sera dirigée par des Russes pour des Russes» (Cirque

du Soleil, 2009b). Suite à l‟important partenariat avec le premier promoteur immobilier

privé au monde, Nakheel, conclu en 2007, un premier spectacle permanent dans les

Émirats arabes devrait être présenté à The Palm Jumeirah à Dubaï en 2011. De

nombreux autres projets devraient naître au Moyen-Orient puisque depuis 2008,

Isthimar World Capital et Nakheel détiennent une participation de 20% dans les intérêts

du Cirque du Soleil. Selon le Cirque du Soleil, ces deux nouvelles ententes

internationales permettront à la multinationale de se concentrer sur ses deux priorités,

soit la gestion de sa croissance et la réalisation de ses objectifs créatifs à l‟échelle

mondiale (Cirque du Soleil, 2008a).

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4.5.3 Décision de s‟internationaliser

Une des raisons qui explique le déclenchement de l‟histoire incroyable de

développement international du Cirque est la question de la rentabilité du produit lui-

même. Laliberté (cité par Beaunoyer, 2004) affirme que l‟expansion internationale

n‟était pas un choix dans leur cas, mais bien un impératif pour survivre. Une fois la

bonne occasion de se produire aux États-Unis s‟est présentée, la firme s‟est lancée

avec détermination et audace. Il est intéressant de constater que la question de

rentabilité du produit explique encore aujourd‟hui la présence du Cirque du Soleil sur

plusieurs continents. Comme l‟explique Tischler (2005), chaque spectacle est non

seulement unique, mais aussi extrêmement couteux. Les coûts de production peuvent

atteindre 25 millions de dollars pour un spectacle en tournée. La présence sur plusieurs

territoires permet d‟augmenter la durée de vie de ces produits. Jean Héron (cité par

Marketing Magazine, 1996), de l‟ancien bureau européen d‟Amsterdam (aujourd‟hui

déménagé à Londres), affirmait en 1996:

When we originally started in 1984, the life expectancy of a show was three months. Now it's between five and six years. The whole creative process (per show) takes up to 18 months to develop. It then travels across North America in the second year and to Japan in the third year and now to Europe [...]. Touring shows through Europe also helps keep the performers busy. For example, the current European tour of the Cirque's Saltimbanco show, which started in Montreal in 1992, employs 80% of the original cast.

Si le Cirque du Soleil a pris le risque, énorme, de franchir la frontière canadienne en

1987, il faut reconnaître aussi le rôle qu‟a joué Guy Laliberté à l‟époque. Le fondateur

est reconnu pour son tempérament de «gambler» (il adore le poker) et le goût du

risque. Mais ce qui explique que Laliberté ait misé tous les avoirs du Cirque du Soleil

sur la présentation d‟un seul spectacle à Los Angeles est son rêve de voyages. Notre

répondant, le vice-président marketing Mario D‟Amico nous confie que Laliberté depuis

l‟âge de 14 ans rêvait de faire le tour du monde. Ayant grandi dans une famille aux

revenus modestes, le Cirque du Soleil allait lui permettre d‟accomplir son rêve. Il nous

dit : «Pour Guy, le début ici au Québec c‟était juste une phase pour partir son entreprise

parce que ses intentions étaient de s‟internationaliser le plus vite possible.

L‟international a donc toujours fait partie de l‟ADN du Cirque du Soleil.»

4.5.4 Choix des marchés

Nous pouvons faire la distinction entre le choix des marchés selon les zones

d‟expansion géographique, les spectacles de tournées et les bureaux régionaux.

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Zones d‟expansion géographique

D‟Amico (2009) indique que l‟expansion internationale du Cirque du Soleil a pris la

forme d‟une série d‟étapes progressives allant des marchés plus proches jusqu‟à des

marchés plus loin. La multinationale a commencé son parcours aux États-Unis où elle a

obtenu un vif succès notamment par tout l‟univers théâtral de ses spectacles qui leur a

permis de se distinguer dès lors, de la panoplie de cirques traditionnels présents dans

le marché. Beaunoyer (2004) associe la popularité de la firme aussi au fait que «[le

Cirque] a misé sur sa spécificité québécoise française et a ainsi séduit les Américains

qui pour la plupart ont toujours confondu arts raffinés et France». Ce n‟est qu‟une fois

l‟Amérique du Nord conquise que le Cirque du Soleil s‟est tourné vers l‟Europe. Avec sa

tradition millénaire de cirque, le marché européen était un choix naturel pour les

tournées de la troupe de Guy Laliberté (Marketing Magazine, 1996). D‟Amico (2009)

raconte qu‟une fois l‟Europe devenue un territoire confortable, le Cirque a poursuivi son

internationalisation vers l‟Asie-Pacifique. Lamarre (cité par Turcotte, 2007) précise que

le choix de l‟Asie comme marché d‟expansion était aussi lié à la volonté de diversifier

les marchés dans lesquels les spectacles sont présentés et de profiter de la croissance

économique vertigineuse des pays de cette zone géographique. Et maintenant que

l‟implantation du Cirque du Soleil est réussie dans ces trois gros territoires, la firme se

tourne vers la Russie, un marché qui connaît une véritable renaissance sur le plan

culturel (Cirque du Soleil, 2008b), et la ville de Dubaï, un pôle touristique moderne au

Moyen-Orient. D‟Amico (2009) remarque que cette progression dans les zones

d‟expansion géographiques va des marchés les plus faciles en terme de similitudes des

règles d‟affaires à des marchés dont les habitudes sont les plus différentes de celles

retrouvées dans les pays Occidentaux.

Villes des spectacles de tournée

Selon Beaunoyer (2004), le consommateur type du Cirque du Soleil est un

consommateur qui est plus éduqué et a des revenus plus élevés que la moyenne. En

se basant sur ce profil de consommateurs, le Cirque du Soleil détermine les villes où

sera érigé le chapiteau selon cinq facteurs : la densité de la population, le revenu par

personne, le niveau d‟éducation des habitants, les conditions climatiques et les coûts

de transport (Espiard, 1993). D‟Amico (2009) nous indique que la question des revenus

est particulièrement importante dans la planification des villes des spectacles de

tournées puisque le produit qu‟offre le Cirque du Soleil demeure un produit de luxe.

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Selon D‟Amico, il faut s‟assurer que les marchés visés aient une capacité à payer les

prix des billets, c‟est-à-dire que les habitants ont les revenus médians appropriés. Pour

que le Cirque du Soleil puisse amortir les coûts élevés que requiert l‟infrastructure d‟un

spectacle, la firme doit s‟assurer de pouvoir écouler 10 000 billets par emplacement.

D‟ailleurs, les coûts fixes du spectacle, peu importe qu‟il soit présenté en Angleterre, en

Russie ou au Brésil, expliquent pourquoi le prix des billets ne varie qu‟à l‟intérieur d‟un

écart de 10%. Outre les cinq facteurs énumérés, D‟Amico (2009) ajoute que le Cirque

du Soleil se penche également sur les données statistiques ayant trait au niveau de

consommation de produits de divertissement «live» par habitant d‟une ville. En effet, en

se détachant des cirques traditionnels, le produit qu‟offre le Cirque se classe dans la

catégorie des produits culturels. La firme va donc regarder la propension des habitants

à consommer des spectacles sur scène aussi bien le théâtre, l‟opéra que le ballet.

Bureaux régionaux

En plus de son siège social international situé à Montréal, le Cirque du Soleil possède

quatre bureaux régionaux, sur quatre continents. Loin de n‟être que de simples centres

de profits (les profits sont centralisés à Montréal), ces bureaux sont plutôt dédiés à une

fonction marketing. Ils sont responsables de la diffusion et de la distribution des

tournées. Ils mettent tout en place au niveau de la mise en marché, de la promotion et

de la publicité afin de s‟assurer de la vente des billets dans leurs régions respectives.

Les bureaux régionaux ont donc été établis dans des lieux géographiques stratégiques.

Las Vegas, comme siège du bureau américain, a été un choix naturel vu l‟ampleur de la

présence du Cirque du Soleil dans la capitale du Nevada. Melbourne dessert le

continent océanique et Macao est un «hub» pour toute région de l‟Asie-Pacifique, à mi-

chemin entre le spectacle permanent au Japon et les spectacles en tournées, en

Australie. Lors de notre entretien, D‟Amico (2009) nous apprend qu‟à l‟été 2009, le

Cirque du Soleil a décidé de déménager son bureau européen installé depuis 1995 à

Amterdam vers Londres. À l‟époque, Amsterdam avait été choisi pour ses avantages

fiscaux attrayants, le bilinguisme de la population et le lien aérien direct depuis

Montréal, mais ils avaient ensuite éprouvé de la difficulté à attirer des talents dotés

d‟une expérience dans le divertissement «live» dans les Pays-Bas. D‟Amico (2009)

souligne que Londres est non seulement aujourd‟hui le centre du divertissement «live»

en Europe, mais est aussi une ville qui montre une grande ouverture vers

l‟international.

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4.5.5 Mode d‟entrée

Tout comme l‟expansion progressive de pays en pays, l‟entrée dans chaque marché

suit aussi une série d‟étapes. D‟Amico (2009) nous explique que le Cirque du Soleil

s‟implante tout d‟abord dans un marché par les spectacles de tournée. La tournée leur

permet non seulement de bouger à travers le pays et de couvrir du territoire, mais aussi

d‟acquérir le maximum de connaissances sur les préférences des consommateurs.

Pour ce vice-président marketing, il est crucial qu‟avant d‟investir des millions de dollars

dans un théâtre fixe, de bien connaître de quelle façon le pays apprécie le produit du

Cirque. Une fois que la multinationale a bien saisi le marché, elle peut poursuivre par

l‟implantation d‟un spectacle permanent.

D‟Amico (2009) ajoute que dans le cas des nouveaux territoires, où le Cirque n‟est peu

ou pas de tout connu de la population, la firme adopte une entrée encore plus prudente.

Au travers de leur division Événements spéciaux, ils organisent des petits événements

privés qui leur permettent de se faire connaître dans le pays. D‟Amico (2009) donne un

exemple hypothétique d‟une compagnie d‟automobiles qui organise son congrès annuel

à Beijing et qui pourrait alors faire appel au Cirque du Soleil pour que des artistes

performent pendant l‟événement. Encore une fois, par cette approche, le Cirque du

Soleil peut tester le marché et se faire connaître à une plus petite échelle. En plus, ces

événements servent à créer du bouche-à-oreille bénéfique dans l‟éventualité d‟un

spectacle de tournée. D‟Amico (2009) rappelle l‟importance de bâtir au préalable une

notoriété avant d‟entrer dans un marché. Si le Cirque n‟a plus besoin de présentation

au Canada, aux États-Unis et en Europe, il souligne qu‟il reste encore bien des endroits

dans le monde qui ne connaissent toujours pas la troupe de Laliberté. Le fondateur

expliquait d‟ailleurs ceci au sujet de l‟entrée dans les nouveaux continents:

Dans notre cas, nous ne prenons pas pour acquis que le public du Chili ou de la Chine connaît le Cirque du Soleil au même niveau qu'un Montréalais ou même un Européen ou un Japonais. Donc, nous revenons à la case départ. Il faut avoir cette discipline de ne pas sauter d'étape sous prétexte que nous sommes meilleurs sur le plan international. (Laliberté; cité par Théroux, 2006)

La stratégie d‟entrée du Cirque repose essentiellement sur le travail avec des

partenaires locaux qui connaissent bien leurs marchés. D‟Amico (2009) précise que

deux types de partenariats peuvent être développés, selon le marché. Dans les

marchés comme le Brésil, le Mexique et la Chine, où la firme ne considère pas

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connaître assez le marché pour y aller seul, le Cirque du Soleil cherche des partenaires

de type financier, qui vont investir et partager le risque d‟amener le grand chapiteau.

L‟usage de commanditaires est très répandu dans ces pays où de nombreuses

entreprises souhaitent s‟associer aux valeurs que représente le Cirque du Soleil et

veulent être les premiers à amener un spectacle de la multinationale dans leur pays.

Dans les marchés plus occidentaux dans leur façon de faire, le Cirque du Soleil va

plutôt conclure des ententes avec des partenaires de type services. Ceux-ci vont les

introduire dans les réseaux de médias et de publicités et les faire rencontrer des

commanditaires, etc. Ces partenaires vont aussi leur offrir un genre de cours en

accéléré sur la ville, la région ou le pays. D‟Amico (2009) explique qu‟au fil de

l‟expérience dans un pays, le besoin d‟avoir ces partenaires de service s‟estompe et

après quelque temps, le Cirque finit pas avoir le contact direct dans le marché. Qu‟il soit

de types financiers ou de services, dans les deux cas, le choix des partenaires se fait

selon une grille de critères qui inclut des exigences sur la taille de l‟entreprise,

l‟expérience et la connaissance des produits de divertissement «live». Mais, D‟Amico

(2009) nous avoue que malgré cette grille objective, le choix se fait souvent tout

simplement sur la base des affinités avec le partenaire potentiel. Comme il le dit «"at

the end of the day", c‟est plutôt une question de si tu aimes la personne avec qui tu

ferais affaires». D‟ailleurs, il attribue ceci au côté très humain que le Cirque a maintenu

au travers de toute sa croissance. Il y a des matrices stratégiques, mais il y a aussi

«how you feel about people».

Finalement, ce qu‟il faut retenir du mode d‟entrée du Cirque du Soleil est l‟approche

très régionale et locale qui guide l‟expansion dans chacun des nouveaux marchés.

D‟Amico (2009) a une position ferme là-dessus, «tu ne peux pas jouer la carte

internationale». Il souligne qu‟il leur faut être capable pour chaque endroit de rentrer

dans la peau des gens, tout connaître de leurs habitudes d‟où l‟importance des

partenaires locaux. Comme le mentionnait Laliberté : «il s'agit de mettre temps et

énergie à bien expliquer son entreprise et ses produits» (cité par Théroux, 2006). Si on

y réfléchit bien, le Cirque du Soleil voyage aux quatre coins du monde avec un produit

universel, sans paroles, basé sur l‟imaginaire et le rêve. Comme la firme ne modifie en

rien le produit lui-même, ce qu‟il adapte aux particularités locales est plutôt la stratégie

marketing autour du spectacle soit la promotion, l‟emplacement, le prix, etc.

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4.5.6 Internationalisation subséquente

Comme l‟affirmait Lamarre en 2007 : «Nous ne sommes pas arrivés, nous sommes au

début d‟un nouveau cycle [...] le cap est totalement maintenu sur le développement

international» (cité par Turcotte, 2007). D‟Amico (2009) croit d‟ailleurs que l‟expansion

dans de nouvelles zones géographiques est de mise pour assurer la croissance de

l‟entreprise. Il fait remarquer que contrairement à d‟autres firmes qui lorsqu‟elles lancent

un nouveau produit cannibalisent leurs autres produits, lorsque le Cirque du Soleil

ouvre des nouveaux marchés comme la Chine et la Russie, ces nouveaux marchés

représentent des revenus additionnels nets pour la firme.

4.5.7 Avantages de l‟internationalisation

Avant de comprendre comment l‟internationalisation du Cirque du So leil opère comme

un avantage compétitif, D‟Amico (2009) rappelle la force contenue dans la marque de

commerce du Cirque du Soleil. En effet, en 2007, le Cirque du Soleil a mené une vaste

enquête internationale, auprès de 12 000 répondants dans une trentaine de pays, afin

de mesurer sa notoriété (Cloutier, 2007). Les résultats ont alors démontré une cote de

reconnaissance positive de près de 90 pour cent à la firme, supérieure à la cote donnée

à des marques de commerce comme Apple et Harley-Davidson (Cloutier, 2007). Cela

dit, D‟Amico (2009) avance qu‟il se trouve dans le monde de nombreux petits cirques,

parfois des perles au niveau de la créativité, mais qui malheureusement n‟arrivent pas

à s‟internationaliser parce qu‟ils n‟ont pas cette force au niveau leur marque de

commerce. L‟avantage du Cirque du Soleil envers cette compétition locale est énorme.

Il explique que «Nous sommes capables avec cette internationalisation de jouer à

plusieurs niveaux, de compétitionner avec les gros, mais aussi avec les petits»

(D‟Amico, 2009).

D‟Amico (2009) souligne qu‟en dehors de trapèzes et des tentes, les artistes

représentent la matière brute du Cirque du Soleil. L‟internationalisation s‟avère aussi

dans leur cas un avantage en terme de recrutement des meilleurs talents provenant de

milieux divers comme la gymnastique artistique, la trampoline, le plongeon, la danse, le

chant et la musique. Il explique qu‟un artiste prêt à vivre la vie de tournée, aussi

exigeante soit-elle, ne peut passer à côté du Cirque du Soleil. Le Cirque du Soleil offre

aux jeunes la chance unique de parcourir le monde tout en s‟épanouissant dans leur art

ou leur discipline. Le Cirque du Soleil offre aussi aux athlètes de haut niveau dont la

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carrière tire à sa fin de continuer à mettre à profit leurs talents en se joignant à la

troupe. Au fur et à mesure de l‟internationalisation de la firme et de sa croissance, le

besoin en entraîneurs a aussi augmenté. La multinationale se retrouve dans une

situation avantageuse où plus le Cirque est international, plus il y a des besoins de

talents et plus le Cirque est international, plus il arrive a recruter du talent.

De Franco Dragone à Robert Lepage, le Cirque a eu la chance de travailler avec plus

200 concepteurs dont les plus grands créateurs et metteurs en scène de la planète.

D‟Amico (2009) affirme que le Cirque du Soleil continue à attirer des créateurs qui

viennent de partout dans le monde. Par le processus de création qui s‟opère à

l‟intérieur des murs d‟un immense studio, situé à même le siège social international, les

créateurs viennent alimenter et nourrir la créativité du cirque nous précise-t-il. Le Cirque

du Soleil représente un lieu de création hors du commun où les créateurs qui

séjournent à Montréal peuvent travailler l‟esprit libre, écrire à leur guise et à leur

manière, et surtout compter sur des moyens financiers à la hauteur de leurs

inspirations.

4.5.8 Défis dans l‟internationalisation

Parmi les préoccupations liées à l‟internationalisation croissante du Cirque du Soleil,

D‟Amico (2009) souligne celui de la saturation possible du marché américain, un

marché où la multinationale présente aujourd‟hui plus de 6 spectacles permanents en

plus des spectacles de tournée. D‟Amico (cité par Delong et Vijayaraghavan, 2002)

compare la situation particulière au marché américain à celle d‟une maîtresse : «We

are the mistress, we come to town for six weeks, the customer has a great time with us,

then we go, the customer longs for the day we come back. Now, with three or four tours

in the U.S., we are frightened that the customer might get tired of the mistress.»

D‟Amico (2009) explique qu‟avant les spectacles de tournée visitaient les États-Unis

tous les trois ans, alors qu‟aujourd‟hui c‟est plutôt tous les ans. Avec l‟expansion

accélérée qu‟a connue le Cirque du Soleil depuis les dix dernières années, la firme a

ajouté de nombreux nouveaux produits sur le marché américain passant d‟une situation

où la demande pour les spectacles était plus grande que l‟offre à une situation où l‟offre

et la demande sont beaucoup plus balancées. Pour relever ce défi, D‟Amico (2009)

croit que le Cirque du Soleil doit s‟assurer d‟offrir à chaque visite un spectacle qui fera

vivre une expérience encore meilleure aux spectateurs, une expérience si forte qu‟ils

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auront envie de revenir à la visite suivante. Pour ce faire, le Cirque du Soleil se met

continuellement au défi d‟innover, de créer des produits différents (par exemple, des

spectacles de magie) et surtout de continuer à faire rêver les spectateurs. D‟Amico

(2009) dit que c‟est exactement le défi que Guy Laliberté donne à ces créateurs.

Le défi de la créativité en est effectivement un constant pour le Cirque du Soleil. À la

lumière des résultats du sondage sur la force de la marque, Lamarre avait alors affirmé

qu‟avec le sentiment de fierté venait aussi le sentiment de responsabilité accrue :«Cette

marque est bâtie uniquement sur la créativité, c‟est-à-dire qu‟elle a un fondement fragile

basé exclusivement sur la capacité de pouvoir continuer à créer» (Cloutier, 2007). Il

avait alors admis qu‟il existe une crainte incroyable de ne pas réussir à chaque nouvelle

création. Le Cirque doit sans cesse se demander comment croître sans compromettre

la qualité. Selon D‟Amico (2009), ce stress agit plutôt comme moteur pour la créativ ité.

Il croit que le Cirque du Soleil, en tant qu‟entité artistique, vit avec le stress ultime qu‟un

jour les gens n‟apprécieront plus ses œuvres, mais qu‟en même temps, ça la pousse à

se mettre au défi, à essayer de nouvelles choses, bref, ça alimente sa créativité.

4.5.9 Clés du succès

Guy Laliberté donne les conseils suivants aux firmes québécoises qui souhaitent

prendre leur place dans un contexte de mondialisation : «Avoir une vision claire et le

goût du risque. Prendre le temps de développer un réseau de partenaires en qui vous

aurez confiance et avec qui vous tisserez des alliances qui seront bénéfiques pour les

deux parties» (cité par Théroux, 2006). Le goût du risque est en effet, selon D‟Amico

(2009), une des raisons pour laquelle le Cirque du Soleil s‟est rendu là où elle est

aujourd‟hui. Ce risque continue de faire avancer la multinationale en la poussant à

innover : «We like to take risks. It’s part of who we are. Every time we come in a

comfort zone, we will find a way to get out, because being comfortable in our business

is very very dangerous» (Lamarre; cité par Tischler, 2005). Puis finalement, D‟Amico

(2009) abonde dans le sens de Laliberté en soulignant à son tour la vision comme clé

du succès à l‟international. Il affirme «si tu n‟as pas cette vision-là, ça devient une

compagnie comme les autres, ça va être un petit "flash"». Selon lui, il faut d‟abord bien

définir sa vision puis continuer à la nourrir. Le Cirque du Soleil continue à nourrir cette

vision au travers des employés qui prennent part au succès de la multinationale. Les

4000 employés sont liés par cette histoire incroyable qu‟est le Cirque du Soleil. Cette

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histoire est si vivante que même D‟Amico (2009), qui s‟est joint au Cirque du Soleil il y a

dix ans, a parfois l‟impression qu‟il était là, à Baie-Saint-Paul, quand tout a commencé.

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4.6 TABLEAUX SYNTHÈSES DES OBSERVATIONS

4.6.1 Sid Lee

- année de fondation : 1993 - taille : 300 employés - 3 ateliers : Montréal, Amsterdam, Paris - chiffre d‟affaires (2007) : 30 millions de dollars en honoraires - ce qu‟elle: créativité commerciale

Décision de s’internationaliser

- expérience internationale avec un client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients et de nouveaux talents - motivation personnelle et générationnelle

Choix des marchés

- bassin de clients et de talents - opportunité externe - vol aérien direct

Mode d’entrée

- exportation - croissance organique (ateliers en propre)

Internationalisation subséquente

- Europe, États-Unis - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

Avantages de l’internationalisation

- capacité de décrocher mandats - recrutement de talents - force créative

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4.6.2 Aedifica

- année de fondation : 1979 - taille : 115 employés - 2 bureaux : Montréal et Saint-Louis (Missouri) - marchés : Québec (41%), États-Unis (49%)2 - chiffre d‟affaires (2008) : 14 millions de dollars - ce qu‟Aedifica exporte : savoir-faire en design commercial

Décision de s’internationaliser

- expérience internationale avec client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients - motivation entrepreneuriale

Choix des marchés

- opportunité externe - «fit» au niveau créatif

Mode d’entrée

- exportation - acquisition

Internationalisation subséquente

- partenariat firme Ouest canadien (porte vers le marché asiatique) - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

Avantages de l’internationalisation

- force - séduction - prospection

2 Les Affaires (2009). Les 300 PME au Québec, [en ligne] <http://carrieres.lesaffaires.com/fr/enaffaires/super500/Detail.asp?P=5&ordre=X_Revenu&id=5910&Id_Tableau=10&Retour=Liste.asp > (Réf. du 20 mai 2009).

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4.6.3 Juste pour rire

- année de fondation : 1983 - taille : 550 employés - bureaux : Montréal, Londres, Paris, Los Angeles - marchés : Québec, Canada, France, États-Unis et Royaume-Uni - chiffre d‟affaires (2008) : 150 millions – 2/3 provenant de l‟étranger - ce que Juste pour rire exporte : savoir-faire en architecture d’événement d’humour

Décision de s’internationaliser

- expérience internationale avec client - limite du marché québécois (besoin de croissance) - éviter dépendance à un seul marché - motivation entrepreneuriale

Choix des marchés

- opportunité externe - marchés avec notoriété acquise - marchés stratégiques

Mode d’entrée

- exportation - par étapes (événement à festival) - partenariat public ou privé

Internationalisation subséquente

- États-Unis, Angleterre, Ouest canadien, etc. - création d‟un circuit de festivals - «être premier dans les marchés premiers»

Avantages de l’internationalisation

- assurer pérennité de la firme, rentrée de devises étrangères - recrutement de talents - bénéfices personnels au fondateur - nouvelles idées créatives

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4.6.4 Harricana

- année de fondation : 1997 - taille : 20 employés - ateliers : Montréal et Québec - marchés : 300 points de vente, 18 pays - ce qu‟Harricana exporte : écoluxe

Décision de s’internationaliser

- expérience internationale avec organisme - limite du marché québécois - motivation entrepreneuriale

Choix des marchés

- opportunité externe - bassin de clientes

Mode d’entrée

- exportation - établissement de boutiques en propre

Internationalisation subséquente

- Europe (pays à déterminer) - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

Avantages de l’internationalisation

- force créative - charmant pour clientèle, attention médiatique, fierté des employés

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4.6.5 Cirque du Soleil

- année de fondation : 1984 - taille : 4000 employés - sièges sociaux : Montréal (siège social international), Melbourne, Macao, Londres, Las Vegas - marchés : 18 spectacles en simultanée sur 5 continents - chiffre d‟affaires (2006): 620 millions de dollars (US) - ce que le Cirque du Soleil exporte : rêve et émotions

Décision de s’internationaliser

- question de rentabilité du produit - tempérament «gambler» et rêve international du fondateur

Choix des marchés

- étapes progressives (marché facile à plus difficile) - bassin de consommateurs types

Mode d’entrée

- étapes progressives (événements spéciaux à tournée de spectacle à spectacle permanent) - partenariats locaux (financiers ou de services)

Internationalisation subséquente

- nouveaux marchés en expansion (Moyen-Orient, Russie et Amérique du Sud) - cap sur le développement international - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

Avantages de l’internationalisation

- compétition avec grands et petits joueurs - recrutement d‟artistes et d‟athlètes de haut niveau - créateurs de partout dans le monde viennent nourrir créativité

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5. Analyse des résultats

5.1 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES

Les tableaux synthèses que nous avons construits suite à la présentation des cas nous

ont permis de procéder à une première analyse de nos données selon la technique

d‟appariement de modèles. Nous avons lié pour chaque firme les données recueillies

aux cinq dimensions de notre cadre conceptuel pour arriver à cinq modèles

d‟internationalisation, uniques à chaque cas. À partir de ces tableaux, nous avons

procédé à une deuxième analyse par la technique de la comparaison inter-cas qui

consiste à traiter chaque cas de façon individuelle et de les mettre en parallèle les uns

aux autres (Yin, 2009). Pour faciliter la mise en lumière des similitudes et des

différences entre les cas, nous avons regroupé tous les tableaux de traitement en un

seul et même tableau (voir annexe 2). Nous avons réussi à dégager les grandes

tendances de l‟internationalisation des firmes créatives en surlignant en gris les

«patterns » communs à un minimum de deux firmes sur cinq. Le tableau 4 reprend ces

tendances pour chaque dimension du cadre conceptuel avec entre parenthèses la

proportion des firmes chez qui la tendance est présente.

Tableau 4 : Tendances dégagées lors de l’analyse inter-cas

Dimension Tendances

Décision de s‟internationaliser expérience internationale (4/5), limite du marché

québécois (4/5), recherche de nouveaux clients et/ou

talents (2/5), motivation entrepreneuriale (4/5)

Choix des marchés bassin de talents et/ou consommateurs (3/5),

opportunité externe (4/5)

Mode d‟entrée exportation (4/5), en propre (2/5), par étapes (2/5),

partenariats (2/5)

Internationalisation subséquente point d‟ancrage de la créativité à Montréal (4/5)

Avantages de l‟internationalisation recrutement (3/5), force compétitive (3/5), créativité (4/5)

Dans ce chapitre d‟analyse, nous présenterons les tendances dégagées pour chacune

des dimensions, en tirant nos explications de la présentation des cinq cas. Ceci nous

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permettra de généraliser les résultats de notre échantillon à des propositions

théoriques.

5.2 DÉCISION DE S’INTERNATIONALISER

5.2.1 L‟internationalisation : une question de croissance

Les firmes créatives interrogées sont unanimes : le marché québécois est trop petit. Le

Québec est limité à la fois en terme de consommateurs et de talents. Les répondants

ont tous affirmé que pour avancer et croître, il leur fallait se tourner vers l‟étranger. Sid

Lee, Aedifica et Harricana ont toutes trois commencé à exporter leurs biens et services

pour aller puiser dans de nouveaux bassins de clients nécessaires pour la croissance

de leurs activités. Nous notons que ces trois firmes créatives sont à la recherche d‟un

type bien particulier de clients qui ont une sensibilité à la créativité et qui sont prêts à

débourser pour la valeur qu‟elle leur apporte. Cette combinaison des deux

caractéristiques est difficile à trouver dans un seul marché, surtout lorsqu‟il est petit

comme le Québec. Aedifica souligne que les gros joueurs, dans leurs cas les grands

opérateurs, ceux qui ont des grands budgets et qui voient la créativité comme un

investissement, se trouvent à l‟extérieur des frontières québécoises. Les

consommatrices d‟Harricana, dont les produits de fourrure recyclés s‟inscrivent dans la

niche du luxe écologique, se trouvent davantage en abondance dans les stations de ski

et boutiques huppées du Japon et de l‟Europe, par exemple, que celles du Québec.

Non seulement ces firmes créatives doivent s‟ouvrir à l‟international pour générer de la

croissance, mais elles veulent aussi accéder à ces plus gros bassins de clients

potentiels pour la stimulation que ces consommateurs créatifs leur procurent. Aedifica

et Harricana disent s‟éclater du point de vue de la créativité avec ce type de clients

retrouvés dans les marchés internationaux.

Certaines firmes créatives de notre échantillon ont aussi décidé de s‟internationaliser

pour accéder à de nouveaux bassins de talents. N‟oublions pas que comme l‟a souligné

Brecknock (2004), ce sont les créateurs, en amont de la chaîne de valeur, qui ajoutent

de la valeur aux biens et services créatifs. Aller acquérir des nouvelles ressources de

talent brut a été une grande motivation pour Sid Lee d‟internationaliser ses activités et

ouvrir des ateliers en Europe. Les cas de Juste pour rire et du Cirque du Soleil

soutiennent d‟ailleurs ce besoin des firmes créatives d‟aller voir ailleurs pour se

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procurer de la matière première sous forme de talents. Ces deux firmes se sont dotées

dès leur première année d‟existence d‟une équipe de talents à caractère international.

Les éditions du Festival Juste pour rire de Montréal ont toujours présenté des artistes

venus d‟Europe ou des États-Unis alors que les artistes du Cirque du Soleil ont toujours

été recrutés aux quatre coins du monde même lorsque les spectacles n‟étaient que

présentés au Canada. Le bassin québécois ne leur a jamais été suffisant en terme

d‟humoristes ou acrobates, en soient des talents créatifs très spécifiques. Pour assurer

le succès de leurs produits et services créatifs dans le temps, ces trois firmes créatives

doivent constamment se renouveler en talents créatifs. Ce qui ressort de ces résultats

est que la décision de s‟internationaliser provient d‟un besoin stratégique très rationnel,

celui d‟assurer la croissance de l‟entreprise, par les consommateurs et/ou les talents.

L‟internationalisation apparaît comme une nécessité plus qu‟un choix.

5.2.2 Un avant-goût de l‟international

La décision de s‟internationaliser chez les firmes créatives de notre échantillon relève

également d‟une opportunité externe d‟œuvrer à l‟international. Nous remarquons en

effet que les firmes ont goûté une première fois à l‟expérience internationale avant

d‟intégrer de façon stratégique le développement international dans leur modèle

d‟affaires. Cette expérience, que nous pourrions désigner comme pré-

internationalisation, a toujours été présentée par une tierce personne. Ce constat

confirme la pertinence de la perspective des réseaux comme explication à la décision

de s‟internationaliser. Sid Lee a été introduit aux marchés internationaux par son client,

le Cirque du Soleil, avec qui l‟agence a fait le tour du monde. Aedifica a aussi suivi un

client québécois, le détaillant le Château, dans son expansion vers les États-Unis. Dans

les deux cas, ces firmes sont entrées dans les marchés étrangers avec un client

national qui les a à leur tour présenté ou recommandé à d‟autres firmes et c‟est ainsi

que les deux firmes ont pu décrocher de nouveaux clients à l‟étranger. Pour Harricana,

ce n‟est pas un client qui lui a donné la chance de faire une première incursion hors du

Québec, mais bien un organisme public. C‟est à l‟invitation de la SODEC qu‟elle

présente ses produits au marché français lors du village Québec-Saint-Malo. Puis

finalement, le succès de Juste pour rire en France où la multinationale d‟humour y

exporte son premier festival vient entre autres de la relation entre le fondateur et le

chanteur français Charles Trenet pour qui Rozon fut le responsable de sa tournée

mondiale. Que ce soit donc un client, un organisme public ou un chanteur-poète, ces

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tierces personnes font partie d‟un premier réseau de relations qui ont présenté les

firmes créatives à leurs propres réseaux (de clients ou de consommateurs) dans les

marchés étrangers.

Outre les connaissances des marchés internationaux et les contacts que leur a permis

cette pré-internationalisation, nous constatons que cette première aventure

internationale a agi aussi comme un vrai déclic quant au potentiel de leur créativité à

l‟international. Nous pensons que d‟avoir connu un premier succès en dehors du

marché national a éclairci tous les doutes qui auraient pu occuper l‟esprit des dirigeants

des firmes créatives interrogées. La pré-internationalisation est ainsi venue confirmer la

force de leurs produits (Harricana réalise la demande pour ses produits écoluxes en

Europe), de leur approche créative (Aedifica constate que son approche en design

commercial se distingue aux États-Unis), de leur force créative (Sid Lee voit la place de

la créativité québécoise à l‟échelle internationale), de leur nouveau marché (la

proposition de cirque réinventé du Cirque du Soleil plaît aux foules) ou de leurs talents

(les humoristes québécois sous l‟aile de Juste pour rire connaissent la popularité en

France). Toutes ces firmes ont connu le succès au Québec. Elles savent donc que leur

capacité créative, c‟est-à-dire leur capacité de comportements et d‟actions créatifs

(Napier et Nilsson, 2006), est un avantage compétitif. Mais avant d‟être introduites dans

les marchés étrangers, elles ne réalisaient peut-être pas encore la force de cet

avantage hors de leur marché national. Tortellier (2005) précise que l‟entrepreneur est

quelqu‟un qui, par nature, s‟adapte au contexte et donc s‟adapte aux changements qui

se produisent dans son environnement. Il explique que même si à l‟origine

l‟entrepreneur n‟envisageait que le marché local, la perception qu‟il a de ses affaires

peut évoluer au fil des expériences et faire prendre à ses activités le chemin de

l‟international. Ces premières expériences à l‟international vécues par les firmes

créatives sont de toute sorte de nature et ne visaient pas nécessairement une intention

de s‟internationaliser comme le laisserait penser le modèle d‟internationalisation de

Vernon.

5.2.3 L‟ambition internationale des entrepreneurs

Nous savons par la littérature sur l‟internationalisation de l‟entreprise que le processus

d‟expansion est un processus risqué où les firmes cherchent à minimiser les risques

possibles. Nous savons également par les propriétés des industries créatives

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répertoriées par Caves (2000) que les firmes créatives se caractérisent par une haute

teneur en incertitude. Avec ces risques combinés, nous pouvons supposer que

l‟expansion internationale pourrait rebuter plus d‟un entrepreneur. Au fil de nos

entretiens, nous nous sommes aperçus que nos répondants correspondaient au profil

d‟entrepreneur créatif décrit par Howkins (2001) et possédaient des caractéristiques

susceptibles d‟influencer la volonté de s‟internationaliser relevées par Zahra, Matherne

et Carleton (1993). Les cinq firmes de notre échantillon sont dirigées par des

entrepreneurs qui ont une vision claire pour leur entreprise, qui sont portés par un rêve

et qui dégagent une grande confiance en leurs capacités. De plus, ils ont pour la

plupart étudié, travaillé ou voyagé à l‟étranger ce qui les dote d‟une aisance à concevoir

l‟international dans le développement de leur firme.

Les traits des gestionnaires que nous avons observés nous permettent d‟avancer que

la décision de s‟internationaliser s‟explique aussi par les ambitions internationales de

ceux qui dirigent les firmes créatives. Pour bien comprendre les motivations à aller

dans les marchés étrangers, il faut dépasser le niveau rationnel du monde des affaires

et aller creuser dans les aspirations personnelles, une idée soutenue par Noël (1989)

qui parle d‟une obsession magnifique qui guide la formation de la stratégie des PDG.

Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil, a toujours rêvé de voyages et d‟accomplir

le tour du monde. À 17 ans, Mariouche Gagné, présidente-designer d‟Harricana

souhaitait être à la tête d‟une entreprise internationale. Bertrand Cesvet, président du

conseil de Sid Lee, parle de la génération X, bien tournée vers le monde, dans laquelle

lui et ses associés font partie, mais aussi des origines immigrantes de ses parents qui

l‟amènent à vouloir faire bouger les choses. Gilbert Rozon, fondateur de Juste pour rire,

a voulu dès le premier jour que son festival soit international, démontrant une grande

ouverture vers le monde. Bref, ces entrepreneurs nous apparaissent dans une certaine

mesure prédisposés à l‟aventure internationale. Nous supposons que d‟autres types

d‟entrepreneurs n‟auraient peut-être pas, suite à une première expérience

internationale, pris les rênes du processus d‟internationalisation comme ces

entrepreneurs créatifs l‟ont fait, et ce, malgré des ressources limitées. Ils auraient peut-

être attendu plus longtemps ou y seraient peut-être allés plus doucement. Nos

répondants ont plutôt vu dans l‟internationalisation le véhicule idéal pour atteindre leurs

ambitions.

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Proposition #1 : Les firmes créatives décident de s’internationaliser par besoin de

croissance, mais c’est via une première expérience internationale que le véritable

processus s’enclenche.

5.3 CHOIX DES MARCHÉS

5.3.1 Des choix de marchés opportunistes

L‟analyse de nos données montre que le choix du premier marché d‟expansion des

firmes créatives est influencé dans la majorité des cas par la pré-internationalisation

dont nous venons tout juste de discuter. En effet, les firmes créatives vont connaître le

succès et s‟ancrer à l‟endroit où elles ont justement fait leur premier pas à

l‟international. Aedifica est entrée aux États-Unis par l‟entremise du détaillant de mode

Le Château et depuis son portfolio continue de se garnir de clients américains. Elle a

même fait l‟acquisition d‟une firme d‟ingénieurs à Saint-Louis dans l‟État du Missouri.

Harricana a goûté au succès à Saint-Malo et s‟est ensuite mis à exporter sa collection

de produits de fourrure recyclée dans les Alpes. La France demeure son marché le plus

fort. Le Cirque du Soleil a émerveillé la foule de Los Angeles pour la première fois en

1987 et malgré une expansion qui l‟a mené sur les cinq continents, le plus grand

nombre de spectacles permanents reste toujours aux États-Unis. Juste pour rire a fait

sa première percée internationale en France et c‟est là qu‟a eu lieu le premier Festival

Juste pour rire à l‟étranger. Nous pouvons faire le lien entre l‟opportunité de

s‟internationaliser qui a été présentée par une relation dans leur réseau et qui a mené

au déclenchement du processus d‟internationalisation et le choix du premier marché

d‟expansion.

Le côté opportuniste que revêt le choix du premier marché d‟expansion se retrouve

également dans la sélection des marchés subséquents. Par exemple, l‟ouverture du

deuxième bureau à l‟étranger de Sid Lee, à Paris, s‟est décidée suite à la sollicitation

d‟un publicitaire français de renom. L‟opportunité est venue cogner à la porte de

l‟agence et ils l‟ont fait entrer. Nous observons que plusieurs de nos répondants ont un

plan concret de développement international, mais que les destinations demeurent au

gré des opportunités qui se présenteront. Harricana sait qu‟elle ouvrira sa première

boutique à l‟étranger en 2010, mais entre la France et la Suisse, le marché choisi sera

celui qui débloquera le premier. Juste pour rire se dirige vers la construction d‟un circuit

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de festivals. Les villes qui en feront partie ne sont pas encore confirmées, le fondateur

admettant qu‟il met des cannes à pêche un peu partout et attend de voir ce qu‟il va

remonter. Pour comprendre le choix des marchés des firmes créatives, il faut aussi

prendre compte dans l‟analyse des variables comme le contexte, la chance et les

contacts.

5.3.2 Trouver le bon bassin

Si les opportunités expliquent les marchés dans lesquels les firmes créatives

s‟aventureront, il serait faux de croire que les firmes créatives n‟y vont pas de stratégies

rationnelles. Comme l‟une des principales raisons derrière la décision de

s‟internationaliser est la question de la croissance, il n‟est pas étonnant de constater

qu‟elles vont choisir des marchés qui leur permettront de combler ce besoin. Les firmes

créatives vont se diriger vers des marchés où ils auront accès à un bon bassin de

clients et/ou de talents, selon leur préoccupation de départ. Sid Lee, qui recherchait par

l‟internationalisation à acquérir des nouveaux talents, a installé ses ateliers à

Amsterdam et Paris, deux villes «cool» qui regorgent de jeunes créatifs de qualité.

Aedifica qui souhaitait travailler pour des clients prêts à investir dans la créativité s‟est

tourné vers États-Unis, un marché tout indiqué puisqu‟il s‟y trouve des opérateurs avec

des ambitions de conquête mondiale. Harricana, quant à elle, a choisi d‟exporter ses

produits vers les marchés qui se démarquent par leur bassin de clientes se nichant

dans son créneau écoluxe, soit entre autres les stations de ski huppées de l‟Europe et

du Japon. Finalement, quand le Cirque du Soleil planifie la tournée de ses spectacles, il

vise les villes dans lesquelles il y a une proportion rentable de consommateurs types –

un consommateur au revenu au dessus de la moyenne, avec une bonne éducation et

une propension à dépenser pour des produits de divertissement «live». Nous

constatons donc que le choix des premiers marchés d‟expansion est lié à la dimension

précédente, celle de la décision de s‟internationaliser.

5.3.3 Un marché à la fois

En comparant le parcours d‟internationalisation des cinq firmes créatives de notre

échantillon, nous voyons se dessiner une tendance de fond dans la sélection des

marchés. Les firmes avancent de façon progressive d‟un marché à un autre. Nous

notons qu‟elles suivent le cheminement proposé par Johanson et Vahlne (1977) par

lequel les firmes vont entrer dans des nouveaux marchés avec une distance psychique

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successivement plus grande. La distance psychique regroupe «les facteurs qui

empêchent ou perturbent le flux d‟information entre la firme et le marché, soit la

différence de langue, de culture, de système politique, de niveau d‟éducation ou de

niveau de développement industriel» (traduction libre; Johanson et Vahlne, 1977).

Juste pour rire a débuté son expansion dans un marché ayant la même langue que

celle de son marché national. Harricana a connu ses premiers succès d‟exportations

dans les marchés européens où elle possédait des bonnes connaissances quant aux

préférences culturelles des clientes en terme de mode, ayant étudié et vécu en Europe.

Dans les raisons derrière le choix de l‟atelier d‟Amsterdam, Sid Lee souligne les

similitudes culturelles trouvées entre la Hollande et le Québec.

Nous croyons que l‟applicabilité du modèle d‟internationalisation d‟Uppsala aux firmes

créatives provient du besoin de connaissances qui est à la fois l‟hypothèse de base du

modèle et également une des préoccupations clés des industries créatives. En effet, le

manque de connaissances des marchés internationaux se révèle selon Johanson et

Vahlne (1977) comme un obstacle important au développement international que seule

l‟expérience à l‟étranger peut amoindrir. Il est important de se rappeler que comme le

soulignaient Brecknock (2004), Caves (2000) et Hartley (2005), le consommateur joue

un rôle important dans le succès d‟un produit ou d‟un service créatif puisque c‟est lui,

qui suite à sa consommation, qui appose une valeur subjective à la créativité. Hartley

(2005) suggère de bien comprendre cette dynamique particulière de consommateur où

le consommateur s‟exprime lorsqu‟il achète un produit ou un service créatif. Cette

dynamique est d‟autant plus complexe lorsque nous constatons que nos répondants

associent leurs produits ou leurs services à des attributs plus intangibles et personnels

qu‟un objet utilitaire. Le Cirque du Soleil met en scène du rêve, Aedifica œuvre dans le

domaine de l‟émotion, Harricana propose une expérience écoluxe et Juste pour rire

offre un produit qui nourrit l‟âme. Nous pouvons penser, dans ce contexte particulier

aux industries créatives, que les firmes créatives privilégieront initialement des marchés

où il sera plus facile pour eux de comprendre les actions des consommateurs, c‟est-à-

dire dans des marchés avec une distance psychique moindre. Elles acquièrent au fur et

à mesure de leur présence à l‟international des connaissances sur les consommateurs

et ces expériences leur permettront de croître dans des marchés plus difficiles, à plus

grande distance psychique.

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Proposition #2 : Le choix du premier marché d’expansion des firmes créatives est

guidé par le besoin de croissance et la première expérience internationale.

5.4 MODE D’ENTRÉE

5.4.1 Maximiser les connaissances et minimiser les risques

Nous observons que le mode d‟entrée initialement privilégié par les firmes créatives

s‟arrime avec le besoin de connaissances discutées dans le choix des marchés. Tout

comme le choix du marché se fera en fonction des connaissances du consommateur

nécessaires au succès du produit ou du service créatif, le mode d‟entrée choisi servira

aussi à bien saisir la dynamique de consommation présente dans le marché visé par

l‟internationalisation. En effet, les firmes créatives de notre échantillon semblent

s‟implanter de façon à maximiser leurs connaissances autant sur les habitudes que les

aspirations de leurs clients. Pour ce faire, elles vont privilégier lors de leur entrée sur

les marchés internationaux des modes d‟entrée comme l‟exportation, dans le cas de

Sid Lee, d‟Aedifica et d‟Harricana ou par une entrée via une version taille réduite de

leur produit comme c‟est le cas pour les firmes de divertissement. Ces modes d‟entrée

auront l‟avantage de leur permettre d‟écouter les particularités des consommateurs du

marché sans requérir une implantation substantielle. Il est intéressant de noter que les

firmes créatives vont donc chercher non seulement à maximiser les connaissances,

mais aussi à minimiser les risques.

Comme nous l‟avons déjà mentionné, les firmes créatives doivent gérer un double

risque : celui inhérent à l‟internationalisation des activités et celui inhérent à la propriété

d‟incertitude des industries créatives (Caves, 2000). Puisque l‟expansion internationale

requiert une mobilisation importante en terme de ressources financières et humaines,

les firmes créatives vont privilégier la prudence dans l‟entrée dans un nouveau marché.

Il faut voir aussi que, comme le note Hartley (2005), les industries créatives sont plutôt

composées de micro-entreprises ou des petites et moyennes entreprises plutôt que des

entreprises à grande échelle comme il se trouve dans les industries traditionnelles. En

effet, mis à part le Cirque du Soleil et ses 4 000 employés, notre échantillon comprend

en majorité des petites et moyennes entreprises pour qui il peut être parfois difficile

d‟investir de grandes ressources dans le développement international. Elles doivent

alors être stratégiques dans leur façon d‟entrer dans le marché afin de réussir à percer,

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mais sans tout risquer. Même Juste pour rire, qui roule sa bosse depuis 25 ans, fait

usage de prudence dans le calcul des risques liés au marché et au mode d‟entrée.

5.4.2 Le rôle des partenaires locaux

Plusieurs des firmes créatives de notre échantillon ont expliqué faire affaires avec des

partenaires locaux dans l‟entrée dans un nouveau marché. Nous remarquons que dans

certains cas, ces partenaires servent à maximiser les connaissances sur les

consommateurs alors que dans d‟autres cas, ces partenaires servent à minimiser les

risques de l‟implantation. Prenons d‟abord les connaissances à maximiser. À

l‟exception du festival de Toronto, Juste pour rire bâtit toujours un festival en

collaboration avec un partenaire, soit public ou privé. Comme la firme adapte chacun

des festivals qu‟elle exporte aux spécificités du marché, elle doit s‟assurer de connaître

le marché du bout des doigts. D‟ailleurs, cela peut prendre jusqu‟à cinq ans à

développer tel produit sur mesure. Juste pour rire travaille donc avec des partenaires

locaux qui savent ce qui fait rire le marché. Dans le cas du Cirque du Soleil, la

multinationale du cirque doit mettre temps et énergie, non pas à adapter le produit

comme tel puisque le spectacle parcourt la planète sous la même forme, mais bien à

présenter le produit d‟une façon emballante. Ce que le Cirque du Sole il adapte est donc

le reste des éléments de sa stratégie marketing soit la distribution et la promotion. Les

partenaires locaux de services avec qui ils font affaires initialement vont les aider à

entrer dans la peau des consommateurs et à présenter le Cirque du Soleil de la bonne

façon.

Prenons maintenant les risques à minimiser. Harricana établira ses boutiques à

l‟étranger avec l‟aide d‟un partenaire local. Celui-ci servira à conserver l‟expérience de

marque qu‟elle tente de bâtir avec ce mode d‟entrée, mais aussi à partager les risques

liés à l‟implantation. Le partenaire choisi permettra de combler la mise de fonds

nécessaire à l‟ouverture d‟une boutique, élevée surtout dans les grandes capitales, des

fonds que la PME de 20 employés ne pourrait disposer toute seule. Lorsque le Cirque

du Soleil entre dans des marchés où la firme possède moins d‟expérience et où les

risques sont donc plus grands, elle développe des partenariats de type financiers. Ces

investisseurs externes vont venir mitiger les risques financiers qu‟implique la venue

d‟un spectacle coûteux en terme de déplacement d‟infrastructures. Dans le cas de la

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troupe de Guy Laliberté, nous voyons que l‟usage d‟un certain type de partenaires

découle directement du choix du marché à entrer.

5.4.3 Un investissement à la fois

Tout comme le choix des marchés suit une progression (de marché à distance

psychique successivement plus grande), nous remarquons que les firmes créatives de

notre échantillon entrent aussi dans chaque marché de façon progressive. Elles

débutent dans le marché par un mode d‟entrée qui demande un moins grand

investissement en terme de ressources financières ou humaines (privilégiant

l‟exportation par l‟exemple) puis au fil de l‟expérience passent à un mode d‟entrée qui

requiert un plus grand investissement comme l‟acquisition ou l‟établissement d‟une

filiale. Dans la majorité de nos cas, la première étape dans l‟entrée en marchés

étrangers a été l‟exportation de leurs produits ou de leurs services créatifs. Sid Lee et

Aedifica ont débuté par exporter leurs services dans les marchés étrangers sans y avoir

d‟adresses fixes, réalisant les mandats à partir de Montréal et livrant les plans

d‟architecture ou les publicités finales bien souvent par Internet. Avant d‟orienter son

expansion internationale vers l‟établissement de boutiques, Harricana a commencé à

exporter ses produits dans plus de 300 différents points de vente. Dans son cas aussi,

les activités de production et de design demeurant dans ses ateliers de création de

Montréal. Une fois que Sid Lee, Aedifica et Harricana y ont construit une base de

clients solides et y ont établi une notoriété, elles sont passées à une autre étape

d‟investissement à l‟étranger. D‟ailleurs, la possibilité qu‟ont les firmes créatives d‟entrer

dans des marchés étrangers sans s‟implanter physiquement démontre bien le rôle

qu‟ont joué les transformations technologiques dans l‟essor des industries créatives et

leur participation au commerce mondial (Turok, 2003). Les nouvelles technologies de

communications et d‟informations permettent à ces firmes de communiquer aisément

avec leurs clients étrangers et transmettre leurs livrables à moindres coûts.

Nos résultats concordent avec l‟approche par étapes proposée par le modèle

d‟internationalisation d‟Uppsala où l‟engagement de la firme dans un pays selon une

chaîne d‟établissement. Par contre, nous ne retrouvons pas les quatre étapes

identifiées par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), mais bien la logique de décisions

incrémentales qui guide le déploiement de la firme à l‟étranger. C‟est l‟expérience à

l‟étranger, qui se traduira par l‟acquisition de connaissances clés sur la dynamique des

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consommateurs locaux et la construction d‟une notoriété, qui explique qu‟une firme

passe à des modes d‟entrée successivement plus grands.

Proposition # 3 : Le mode d’entrée privilégié par les firmes créatives dépend des

connaissances à maximiser et des risques à minimiser dans les marchés visés.

5.5 INTERNATIONALISATION SUBSÉQUENTE

5.5.1 Toujours en mode progression

Les firmes créatives de notre échantillon mettent toutes le cap vers le développement

international à différents niveaux d‟intensité. Nous remarquons qu‟elles ont toutes goûté

au succès dans les marchés étrangers, ont toutes acquis des apprentissages, ont

peaufiné leur modèle d‟affaires et leurs processus de gestion et sont maintenant prêtes

à plus. L‟internationalisation fait aujourd‟hui partie d‟un plan d‟avenir bien défini qui

permettra de générer encore plus de croissance. La dynamique de progression que

nous avons pu observer au niveau des dimensions du choix des marchés et du mode

d‟entrée se retrouve dans les plans d‟internationalisation subséquente des firmes

créatives. Dans certains cas, les firmes comptent diriger leur expansion internationale

vers des pays à plus grande distance psychique. Après avoir conquis l‟Amérique du

Nord, l‟Europe et l‟Asie pacifique, le Cirque du Soleil met temps et énergie vers des

pays encore jamais explorés comme la Russie et les Émirats arabes. Aedifica compte

trouver un partenaire dans l‟Ouest canadien qui permettra à la boîte de s‟engager dans

le marché chinois. Dans d‟autres cas, les firmes poursuivent leurs entrées dans les

marchés internationaux par l‟entremise de plus grands investissements. Le

développement international d‟Harricana s‟aligne aujourd‟hui sur l‟établissement de

boutiques en propre plutôt qu‟uniquement l‟exportation dans les points de vente. Malgré

le fait que les firmes créatives analysées ont gagné en succès et en expérience en

dehors de leur marché national, leurs plans futurs d‟internationalisation reflètent

toujours le souci de maximiser les connaissances et minimiser les risques. Non

seulement l‟internationalisation découle de la logique de progression des deux

dimensions précédentes, le choix des marchés et le mode d‟entrée, mais

l‟internationalisation subséquente est dans tous les cas motivée par les mêmes raisons

que l‟internationalisation initiale (taille du marché, recherche de clients, de

consommateurs et de talents).

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5.5.2 Point d‟ancrage des activités créatives

Peu importe le degré, l‟étendue ou l‟ampleur de l‟expansion internationale, nous

remarquons qu‟au cœur des plans d‟internationalisation des firmes créatives, le marché

national agit toujours comme point d‟ancrage de leurs activités créatives. Nous pouvons

déterminer deux raisons qui expliquent le rôle central que joue le marché national dans

la structure internationale des firmes créatives de notre échantillon. Premièrement, il y a

la question de la structure de coûts. Sid Lee envisage à long terme de posséder des

ateliers un peu partout dans le monde, mais toujours avec un atelier international très

fort à Montréal. De cette façon, l‟agence pourra réaliser les mandats à partir de

Montréal, selon eux le plus bas centre de coût au monde dans leur domaine d‟activités,

tout en étant rémunérer en devises étrangères fortes. Aedifica compte

s‟internationaliser vers l‟Ouest canadien tout en maintenant la réalisation des mandats

par l‟équipe de concepteurs basée à Montréal. La firme d‟architecture opère ainsi non

pas pour bénéficier des avantages de coûts que procure la métropole, mais plutôt pour

réduire les coûts qu‟impliquerait la division de son équipe de créatifs en plusieurs lieux.

Deuxièmement, il y a la question du contrôle sur l‟avantage compétitif. Nous

comprenons par l‟analyse des cinq cas d‟internationalisation de firmes créatives que

l‟avantage compétitif qui leur permet d‟abord le succès dans le marché national puis

dans les marchés internationaux réside dans leur capacité créative, c‟est-à-dire dans

leur capacité à produire des biens et des services créatifs. La capacité créative peut

être associée à l‟avantage spécifique de la firme, le «O» de Dunning. Sans que nos

cinq cas nous l‟aient exprimé ainsi, nous pouvons penser qu‟elles ont choisi d‟ancrer

leurs activités créatives, génératrices de valeur, dans le marché national parce qu‟elles

peuvent ainsi en garder le plein contrôle. Nous pouvons également penser qu‟il pourrait

être risqué et demandé des ressources substantielles que de déplacer du marché

national aux marchés internationaux les processus et les routines, générateurs de cette

capacité créative.

Proposition # 4 : Au fil de l’internationalisation, les firmes créatives vont montrer

une progression dans le choix des marchés (de plus faible à plus grande distance

psychique) et le mode d’entrée (de plus petit à plus grand investissement).

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5.6 AVANTAGES DE L’INTERNATIONALISATION

5.6.1 Avantages financiers et non financiers

Les firmes créatives de notre échantillon ont affirmé retirer des avantages à la fois

d‟ordre financier et non financier. Débutons par les avantages qui relèvent de la sphère

économique et financière. Juste pour rire affirme que l‟expansion internationale a

amené une pérennité et une force à son entreprise en plus d‟une vigueur financière

associée à l‟entrée de devises étrangères. Tout comme la firme de Rozon, Aedifica

mentionne aussi l‟avantage d‟avoir une diversification des entrées d‟argent diminuant la

dépendance à un seul marché. L‟internationalisation de Sid Lee a un impact direct sur

la performance financière de l‟agence. En vendant ses services en Europe, en devise

européenne, et en réalisant les mandats au bas coût de Montréal, la firme affirme

afficher une marge de profits de quasi le double de ses compétiteurs locaux. Ces profits

additionnels renforcent non seulement leur force dans le marché local, mais leur

permettent d‟investir dans les talents et dans le développement des affaires. Mais

somme toute, nous apercevons que ce ne sont pas tant les avantages financiers qui

sont mis de l‟avant par les firmes créatives que ceux en dehors des livres comptables.

À l‟exception d‟Harricana, pour qui le contenu créatif est le fruit de la présidente-

designer elle-même, toutes les firmes créatives de notre échantillon ont lié

l‟internationalisation à la capacité d‟attirer et de garder les talents créatifs dans leur

organisation. Le rayonnement de Sid Lee à l‟international fait que l‟agence reçoit un

nombre inouï de curriculum vitae de jeunes de partout dans le monde souhaitant mettre

leur talent au profit des projets créatifs du collectif. Quoique déjà depuis longtemps la

référence en terme d‟humour et donc bien en vue des humoristes, Juste pour rire

avoue que la multiplication des festivals des deux côtés de l‟Atlantique permet à la

firme de faire de meilleures offres aux artistes en leur offrant la possibilité d‟une tournée

de plusieurs spectacles avec un meilleur salaire en prime. Force mondiale dans les arts

du cirque, la présence du Cirque du Soleil sur les cinq continents en fait une firme

incontournable pour les athlètes, gymnastes et clowns qui rêvent de se joindre à la

troupe de Guy Laliberté. Le Cirque du Soleil et Sid Lee notent que de plus en plus de

jeunes sont avides de découvrir le monde et de voyager, et par leurs activités

internationales, ces firmes attirent ces ressources talentueuses. L‟internationalisation

devient source d‟attraction, mais aussi de motivation pour les créateurs. Aedifica

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constate que ses employés se sentent bien et stimulés du fait que la boîte gère des

projets internationaux. Les artisans de Sid Lee sont aussi très motivés par les

opportunités de se déplacer en Europe pour travailler pour de grandes marques

européennes.

Pour les firmes de services comme Sid Lee et Aedifica, l‟internationalisation a aussi

pour avantage de renforcer leur capacité à décrocher de nouveaux clients. Il faut

toujours avoir en tête que lorsqu‟elles se présentent devant un client, elles ne peuvent

leur faire tester une campagne de publicité ou un design – elles vendent de la créativité

à consistance intangible. C‟est pourquoi le portfolio est un outil si important pour ce

type de firmes. L‟expansion internationale leur permet de renforcer, bonifier et solidifier

leur portfolio de clients et de projets et d‟accrocher le regard de nouveaux clients.

Comme le raconte Sid Lee, la première question qui leur est posée est bien souvent «tu

travailles pour qui?» et en étant internationale, leur liste devient beaucoup plus longue

et prestigieuse. Les deux firmes ont relié la clé de leur succès à l‟international au

pouvoir de la séduction, Sid Lee n‟hésitant pas à clamer que «la créativité, c‟est une

business de mojo». Il faut avoir le portfolio, mais aussi avoir les atours pour le vendre

auprès du client. L‟internationalisation permet alors d‟apporter à Sid Lee un côté

séduisant à sa vente et à Aedifica la motivation à constamment travailler la façon dont

elle communique son talent.

On utilise souvent en affaires internationales le terme échiquier international pour

décrire le terrain de jeu sur lequel les firmes se retrouvent. Cette image de jeu d‟échec

ressort à plusieurs reprises dans les entretiens avec les gestionnaires des firmes

créatives qui constatent que l‟internationalisation renforce leur position par rapport à

leurs adversaires. Elle agit comme un moteur de performance. Harricana, Sid Lee et

Aedifica mentionnent qu‟en allant à l‟international et en affrontant de plus gros joueurs,

elles ont dû apporter des améliorations à leurs processus, à leurs systèmes et à leurs

façons de faire en général pour être capable de se tailler une place parmi les grands. Il

leur a fallu être un peu plus «tout». Au bout du compte, se battre dans les marchés où il

y a soudainement beaucoup plus d‟adversaires qu‟au Québec n‟a eu que du bon. Elle

leur a apporté d‟être en mesure de compétitionner autant au niveau local

qu‟international.

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5.6.2 Tous les avantages mènent à la créativité

À l‟unanimité, les firmes créatives de notre échantillon affirment que

l‟internationalisation renforce leur capacité créative. Pour Sid Lee, la présence dans les

marchés étrangers remplit les deux conditions essentielles à la créativité, soit la

cinétique et la diversité. La multiplicité des cultures, donc la multiplicité des points de

vue jumelée au mouvement constant des employés insuffle une créativité sans pareil à

leurs projets. Pour Aedifica, les clients pour lesquels elle travaille en sol américain lui

donnent les moyens en honoraires et en liberté de faire éclater leur créativité. Pour

Juste pour rire, ce sont les interactions avec les différentes cultures dans lesquelles les

festivals à l‟étranger s‟imbriquent qui font naître les nouvelles idées et font rejaillir la

créativité. Pour Harricana, les consommatrices étrangères pour qui elle crée en

demandent plus et en demandent créatif. La designer doit continuellement pousser sa

créativité pour ses consommatrices tendance. Pour le Cirque du Soleil, la notoriété

acquise partout sur la planète met la firme dans la position où elle doit sans cesse se

renouveler, arriver à de nouveaux concepts, bref faire grandir et évoluer sa créativité.

Finalement, nous sommes en mesure d‟avancer que pour de multiples raisons (le

contact avec les cultures, la pression des compétiteurs ou les demandes des clients),

l‟expansion internationale a un impact sur ce qui se trouve au cœur des firmes

créatives : leur capacité créative. L‟internationalisation et la capacité créative se

renforcent mutuellement. La capacité créative des firmes créatives est ce qui leur

permet de percer à l‟étranger et l‟internationalisation vient à son tour renforcer cette

capacité créative. Nous pouvons comparer l‟internationalisation des firmes créatives à

une roue qui tourne. Plus les firmes créatives se retrouvent sur la scène internationale,

plus elles y renforcent leur capacité créative, plus elles deviennent performantes, plus

elles ont le goût de poursuivre leur internationalisation et plus elles ont la capacité pour

le faire.

Proposition # 5 : L’internationalisation renforce la capacité créative des firmes

créatives et fait tourner la roue de l’internationalisation.

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5.7 SOMMAIRE DE L’ANALYSE

Ce chapitre d‟analyse nous permet maintenant d‟apporter des réponses précises à

notre question de recherche, soit «quelle est la nature du processus

d’internationalisation des firmes créatives?». Rappelons les cinq propositions

théoriques que nous avons obtenues à partir de l‟appariement de modèles et de

l‟analyse inter-cas.

Proposition #1 : Les firmes créatives décident de s’internationaliser par besoin de

croissance, mais c’est via une première expérience internationale que le véritable

processus s’enclenche.

Proposition #2 : Le choix du premier marché d’expansion des firmes créatives est

guidé par le besoin de croissance et la première expérience internationale.

Proposition # 3 : Le mode d’entrée privilégié par les firmes créatives dépend des

connaissances à maximiser et des risques à minimiser dans les marchés visés.

Proposition # 4 : Au fil de l’internationalisation, les firmes créatives vont montrer

une progression dans le choix des marchés (de plus faible à plus grande distance

psychique) et le mode d’entrée (de plus petit à plus grand investissement).

Proposition # 5 : L’internationalisation renforce la capacité créative des firmes

créatives et fait tourner la roue de l’internationalisation

Notre première sous-question de notre mémoire consistait à analyser les facteurs qui

motivent l‟enclenchement de l‟internationalisation des firmes créatives (décision de

s‟internationaliser). Nous savons maintenant que les entrepreneurs à la tête des firmes

créatives prennent d‟abord la décision de s‟internationaliser par besoin de croissance et

via une première expérience à l‟international, quelle qu‟en soit sa nature. En effet,

l‟avant-goût de l‟international est acquis de différentes façons (par un contrat avec un

client ou par une participation à un événement à l‟étranger), mais sans nécessairement

avec l‟intention d‟internationaliser les activités de la firme. Nos quatre autres sous-

questions visaient à analyser le déploiement du processus d‟internationalisation (choix

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des marchés, mode d‟entrée, internationalisation subséquente, avantages de

l‟internationalisation). Une fois le processus d‟internationalisation enclenché, nous

voyons au travers des cinq dimensions identifiées dans notre cadre conceptuel, que

celui-ci se déploie de façon séquentielle et progressive. Le choix des marchés

internationaux est lié directement à la décision de s‟internationaliser. Les marchés

choisis répondront au besoin de croissance (par les talents et/ou les clients) identifié

par la firme créative et correspondront au marché de la première expérience à

l‟international vécue. Le mode d‟entrée privilégié par les firmes créatives reflètera quant

à lui les marchés dans lesquels la firme décidera de s‟implanter, c‟est-à-dire que le

mode d‟entrée retenu dépendra entre autres des connaissances et des risques des

marchés. Au fil de leur internationalisation, nous avons observé une progression dans

le choix des marchés (de distance psychique plus faible à plus élevée) et dans le mode

d‟entrée (de petit investissement à plus grand investissement). Ce processus progressif

se retrouvera dans les plans futurs d‟internationalisation que projettent les firmes

créatives. Finalement, une fois le processus d‟internationalisation mis en mouvement,

les firmes renforcent leur capacité créative et font tourner la roue de

l‟internationalisation.

Il nous apparaît ici d‟ajouter quelques précisions sur le processus d‟internationalisation

dans le contexte spécifique des industries créatives. En regardant les cinq propositions

théoriques à travers les caractéristiques des industries créatives relevées dans la revue

de la littérature, nous pouvons apercevoir quelques éléments qui semblent influencer

les dimensions du processus d‟internationalisation. Les entrepreneurs qui prennent la

décision de s‟internationaliser partagent les traits des entrepreneurs créatifs décrits par

Howkins (2001). Le choix des marchés indique des bassins de talents créatifs et de

consommateurs sensibles à la créativité. Les marchés choisis et la manière avec

laqelle entrent les firmes créatives dans ce marché suivent une progression attribuable

à la dynamique de consommation et l‟incertitude de la demande retrouvée dans les

industries créatives. Malgré l‟influence que semble avoir le facteur «créativité» commun

aux firmes de notre échantillon, nous ne sommes toutefois pas certains que ces

«patterns » soient totalement exclusifs aux firmes créatives. La notion d‟entrepreneurs

à forte vision, pris d‟un sentiment d‟urgence et d‟une fierté hors du commun n‟est-elle

pas propre à tout entrepreneur? Les firmes ne s‟internationalisent-elles toutes pas vers

des marchés où leurs produits et services trouveront acheteurs? Le besoin de

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maximiser les connaissances et minimiser les risques n‟est-il pas à la base du modèle

d‟internationalisation d‟Uppsala démontré empiriquement dans des industries

traditionnelles? Ce que nous croyons comme véritablement révélateur du contexte

spécifique des industries créatives est plutôt la capacité créative qui se retrouve comme

cause et conséquence du processus d‟internationalisation. En effet, la capacité créative

est la compétence de base des firmes créatives qui leur permet de bâtir un avantage

compétitif sur leur marché national et d‟exporter par la suite avec succès leurs produits

ou services créatifs. Puis, la présence dans les marchés internationaux permet à son

tour de renforcer cette capacité créative par l‟acquisition de nouveaux talents et par le

besoin de répondre à des clientèles de plus en plus exigeantes.

À la lumière des réponses à notre question de recherche, nous pouvons désormais

réviser notre cadre conceptuel initial pour y inclure à la fois l‟aspect séquentiel qui lie

les cinq dimensions du processus et la capacité créative qui fait prendre le processus

d‟internationalisation des firmes créatives la forme d‟un cycle. La figure 5 montre

comment nous pouvons passer du cadre conceptuel initial au final.

Figure 5 : Révision du cadre conceptuel

Processus d’internationalisation (cadre initial)

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Processus d’internationalisation des firmes créatives (cadre final)

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6. Discussion des résultats

La présentation de cinq cas de firmes créatives ayant internationalisé leurs activités

nous a permis d‟obtenir par la technique d‟appariement de modèles le portrait du

processus d‟internationalisation de chaque firme. L‟analyse inter-cas à laquelle nous

avons procédé nous a par la suite permis de généraliser le processus

d‟internationalisation de Sid Lee, Aedifica, Harricana, Juste pour rire et du Cirque du

Soleil à des propositions théoriques. Prises ensemble, ces propositions nous ont

amené à proposer un processus d‟internationalisation séquentiel, progressif et cyclique.

Ce chapitre discutera maintenant de l‟apport des théories et concepts présentés dans

notre revue de la littérature aux résultats de notre recherche. Cette discussion nous

permettra d‟énoncer quelques recommandations académiques et managériales.

6.1 CONTRIBUTIONS DES THÉORIES D‟INTERNATIONALISATION

6.1.1 La structure internationale de Dunning

Nous avions mentionné que certains auteurs (dont Javalgi et coll., 2003; cités par Ody,

2004) émettent une mise en garde dans l‟utilisation de modèles d‟internationalisation

formulés pour l‟industrie manufacturière, comme le paradigme éclectique de Dunning

(1988). En effet, nous trouvons que le paradigme éclectique est un peu moins pertinent

dans l‟explication des comportements des firmes créatives, des firmes qui ne sont pas

orientées dans une logique de production manufacturière internationale. Par exemple,

lorsque les firmes créatives comparent différents choix de marchés, les avantages de

localisation (le «L» du paradigme) qu‟elles prennent en considération n‟ont pas tant trait

à des facteurs comme les barrières tarifaires ou le coût de l‟énergie – des facteurs qui

affectent les coûts de production et le transport de biens manufacturiers. Les firmes

créatives vont plutôt être préoccupées par la présence de leurs intrants de base (la

créativité et le capital intellectuel) sous la forme d‟une main-d'œuvre créative. Là où le

paradigme de Dunning (1988) apporte une contribution est dans la compréhension de

la structure internationale adoptée par les firmes créatives. En effet, nos résultats

démontrent que dans les plans futurs d‟internationalisation, le marché national agit

toujours comme point d‟ancrage de leurs activités créatives. Nous associons ce constat

au fait que la capacité créative représente l‟avantage spécifique de la firme (le «O») et

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que comme l‟explique Andersen (1997), plus les avantages «O» seront grands, plus la

firme sera incitée à les internaliser (l‟avantage «I»). Les firmes vont donc internaliser la

capacité créative dans leur expansion internationale en conservant les activités

créatives dans le marché national pour s‟assurer de garder le maximum de contrôle sur

cet avantage concurrentiel. C‟est ainsi que plusieurs firmes privilégieront l‟exportation,

un mode d‟entrée qui reflète cette dynamique de contrôle. Lorsqu‟elles s‟établissent à

l‟étranger, elles peuvent décider d‟établir une entité en propre ou s‟associer avec un

partenaire, mais toujours avec le soin de protéger leur capacité créative.

6.1.2 La pertinence du modèle de Vernon

Le premier des modèles à présenter une logique de déploiement international

séquentiel est celui de Vernon (1966). Calqué sur le cycle de vie du produit, le modèle

stipule que l‟internationalisation de la firme se déploiera selon une séquence de

développement en trois étapes (exportation, production à l‟étranger et ré-exportation)

suivant le volume des ventes réalisé dans le pays d‟origine (Noël, 2009). Comme ce fut

le cas pour le paradigme de Dunning (1988), le modèle de Vernon suit une logique

d‟internationalisation trop axée sur la production pour s‟appliquer efficacement dans le

contexte des industries créatives qui, nous le rappelons, se distinguent par une

dynamique de consommation. Par contre, Vernon (1966) met en lumière un aspect qui

est crucial dans l‟analyse du processus d‟internationalisation des firmes créatives –

celui de la compétence distinctive bâtie sur le marché national qui permettra à la firme

d‟accéder par l‟exportation aux marchés internationaux. Par la définition des industries

créatives, nous savons que les firmes créatives offrent des biens tangibles et des

services intellectuels ou artistiques intangibles qui ont en commun un contenu créatif,

une valeur économique et des objectifs de marché (UNCTAD, 2008). Les nouveaux

produits et services qu‟elles arrivent à mettre sur le marché reposent ainsi sur la

capacité créative de la firme. Elles ne peuvent survivre et encore moins croître à

l‟international sans cette capacité. Le modèle d‟internationalisation de Vernon (1966)

nous permet ainsi de positionner la capacité créative comme élément de départ à la

décision de s‟internationaliser. Puis, nos résultats montrent que l‟internationalisation

vient renforcer cette compétence distinctive et redémarre un nouveau cycle de vie de

produit.

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6.1.3 L‟applicabilité du modèle d‟Uppsala

Nous avons démontré par l‟analyse de nos résultats que le parcours international des

firmes créatives est progressif, suivant la logique des modèles d‟internationalisation par

étapes de Vernon et Uppsala (Johanson et Vahlne,1977). Ce dernier s‟est ainsi avéré

des plus pertinents en soulignant bien le rôle que joue l‟acquisition des connaissances

dans la progression des firmes à l‟international. Ainsi, les firmes créatives vont effectuer

le choix des marchés selon la distance psychique, commençant leur expansion dans

des pays où elles ont une plus grande compréhension, soit des habitudes et

préférences des consommateurs ou des règles d‟affaires en vigueur dans le marché.

Le mode d‟entrée des firmes créatives s‟effectue aussi de façon progressive évoluant

d‟un mode qui requiert moins d‟investissements à un mode à investissements plus

substantiels. Nous avons noté dans notre analyse des résultats que l‟applicabilité du

modèle d‟Uppsala au sujet de l‟internationalisation des firmes créatives se prêtait

particulièrement bien dans le contexte des industries créatives qui présentent un besoin

de connaissances élevées, par la dynamique de consommation, et un besoin de

minimiser les risques, par l‟incertitude de la demande.

Malgré la contribution d‟Uppsala à notre mémoire, nous devons apporter quelques

nuances. D‟abord, au niveau du choix des marchés, nous constatons que la distance

psychique n‟est pas le seul facteur déterminant. Le choix est influencé par d‟autres

facteurs comme le rôle des réseaux de clients ou par la présence d‟un bassin de talents

ou de consommateurs. Il est intéressant de noter que la proximité géographique n‟a

pas toujours eu beaucoup d‟impact sur l‟expansion des firmes créatives. Quelques-

unes se sont aventurées en Europe avant même d‟explorer le reste du Canada ou les

États-Unis qui pourtant auraient pu être perçus comme plus près psychiquement.

Ensuite, au niveau du mode d‟entrée, les quatre étapes proposées par Johanson et

Wiedersheim-Paul (1975) se sont avérées trop statiques, comme souligné par Reid

(1983; cité par Bell, 1995). Soulignons que le mode d‟entrée ne s‟explique pas

seulement par l‟acquisition d‟expérience, mais également par d‟autres facteurs comme

le modèle d‟affaires de la firme, les ressources financières disponibles, le style

d‟entrepreneuriat et la volonté des dirigeants et les spécificités du produit ou du service

créatif (certaines firmes peuvent exporter via Internet, d‟autres doivent déplacer

physiquement une troupe).

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6.1.4 Le rôle des réseaux

La perspective des réseaux, qui stipule que l‟expansion internationale dépend du

réseau de relations interorganisationnelles et interpersonnelles de la firme (Coviello et

McAuley, 1999), apporte un éclairage important à notre analyse. Nous retrouvons

l‟influence des réseaux dans plusieurs dimensions du processus d‟internationalisation

des firmes créatives. La décision de s‟internationaliser vient presque dans tous les cas

d‟une première expérience à l‟international présentée par un contact de la firme.

Ensuite, nous avons noté que les relations formelles et informelles influencent aussi le

choix du marché initial d‟expansion. Les firmes vont s‟ancrer dans le marché dans

lequel le réseau les a introduits la première fois. Comme prédis par Johanson et

Mattsson (1988 ; cités par Coviello et Munro, 1995), le réseau a aussi facilité l‟entrée

des firmes créatives dans un nouveau marché en leur fournissant des contacts avec

d‟autres réseaux locaux ou en les aidant à développer de nouveaux partenariats. Dans

cette même perspective de collaborations et d‟interactions, il pourrait être intéressant

d‟approfondir le concept de grappes. Porter (2000) définit celles-ci comme «groups of

interrelated companies and associated institutions that cooperate and compete to drive

wealth creation within a geographic area». Les firmes faisant partie d‟une grappe

profitent d‟un bassin de main-d'œuvre qualifiée, d‟un approvisionnement de produits et

de services par des fournisseurs spécialisés et de la diffusion de connaissances

(Marshall, 1920; cité par Zapata, 2008). Il faudrait ainsi voir le comportement des firmes

créatives au sein des grappes dans leur marché national et dans les marchés où elles

sont introduites et comment ces collaborations renforcent leur capacité créative.

La perspective des réseaux s‟accorde bien avec notre sujet de recherche entre autres à

cause des particularités des firmes étudiées. La majorité de notre échantillon se

compose de petites et moyennes entreprises qui, comme le notent Alexsson et Easton,

(1992; cités par Coviello et Munro, 1995), dépendent souvent de leurs réseaux de

contacts. Certaines firmes créatives ont bien expliqué qu‟elles devaient souvent

composer avec des ressources limitées dotant l‟expansion internationale d‟un côté

plutôt spéculatif. Les membres de leur réseau les aident, grâce à leurs connaissances

du marché, à prendre les décisions qui auront le plus d‟impact. L‟apport de la

perspective des réseaux à notre étude est donc de mettre en évidence l‟importance

d‟élargir les frontières de la firme lors de l‟étude du processus d‟internationalisation. Elle

montre aussi le caractère opportuniste du déclenchement du processus

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d‟internationalisation qui sévit via les membres d‟un réseau. L‟opportunité de

s‟internationaliser qui est saisie par les entrepreneurs vient d‟ailleurs appuyer l‟analyse

du rôle des acteurs clés de l‟organisation.

6.1.5 L‟entrepreneur dirigé vers l‟international

L‟insertion du champ de l‟entrepreneuriat international à la revue de la littérature des

théories d‟internationalisation venait apporter un niveau d‟analyse jusqu‟alors peu

abordé par les théories précédentes : celui du rôle des acteurs clés de l‟organisation

dans la stratégie de développement international. L‟entrepreneuriat international met en

avant-plan la capacité de l‟entrepreneur à identifier des opportunités d‟affaires se

trouvant à l‟extérieur des frontières et de faire preuve d‟innovation et de prise de

risques dans cette poursuite d‟avantages compétitifs. Nos résultats sur

l‟internationalisation des firmes créatives pointent de façon concluante vers le lien entre

la volonté internationale des dirigeants des firmes créatives et la décision de

s‟internationaliser. Nous retrouvons en effet plusieurs caractéristiques de hauts

gestionnaires mentionnés par Zahra et coll. (2003), comme l‟éducation à l‟étranger,

l‟expérience internationale et la vision internationale. Cet élément marquant dans notre

étude mériterait d‟ailleurs qu‟on y porte encore plus d‟attention. La démarche

d‟observation entreprise par Noël (1989) pour déceler au travers des activités

quotidiennes des PDG la formation de la stratégie nous porte à croire que la quête de

données plus personnelles aux entrepreneurs pourrait nous permettre de comprendre

encore plus cette motivation internationale qui semble agir comme moteur à

l‟internationalisation de ces firmes.

La définition de l‟entrepreneuriat international souligne bien la poursuite d‟avantages

compétitifs qui motive les entrepreneurs. Nous avons jugé bon d‟ajouter les avantages

retirés de l‟internationalisation comme cinquième dimension de notre cadre conceptuel.

Nos résultats montrent qu‟en effet les firmes retirent des avantages financiers et non

financiers de leur internationalisation, dont la plus importante est le renforcement de

leur capacité créative. Par contre, la définition utilisée par Zahra et George (2002) sous-

entend que les firmes ont pleine conscience des avantages compétitifs qu‟ils

poursuivent. Pourtant, selon les réponses de nos répondants, ce n‟est qu‟une fois

l‟internationalisation enclenchée, donc avec un certain recul, qu‟elles réalisent que leur

capacité créative est renforcée par leur présence sur les marchés internationaux. Les

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avantages ne sont pas exclusivement ceux pour lesquels la firme décide de

s‟internationaliser. Pour sa contribution à la décision de s‟internationaliser et au

déploiement de la stratégie à l‟international, nous croyons que ce champ de recherche

mérite une attention particulière et un approfondissement dans l‟étude de l‟expansion

internationale des firmes créatives.

6.1.6 L‟entrepreneur comme bâtisseur de l‟avantage compétitif

Outre l‟aspect séquentiel et progressif que prend le déploiement du développement

international des firmes créatives, une des grandes découvertes de notre mémoire est

le rôle de la capacité créative comme cause et conséquence du processus

d‟internationalisation. Nous savons par la description de l‟entrepreneur créatif de Napier

et Nilsson (2006) que l‟entrepreneur a non seulement le rôle d‟identifier les

opportunités, prendre les risques, rassembler les ressources nécessaires dans l‟objectif

de créer un nouveau produit ou un nouveau service, mais aussi de bâtir la capacité

créative de l‟organisation qu‟il dirige. C‟est donc lui qui, à la base de

l‟internationalisation, a mis en place l‟avantage concurrentiel (le «O» de Dunning) qui

permettra à la firme d‟aller à la première étape d‟exportation du cycle de Vernon (1966).

Cela dit, nos données nous expliquent peu comment cette capacité créative a été bâtie.

Nos données ne couvrent pas non plus comment cette capacité créative se transforme

par la présence dans les marchés internationaux. Comme l‟environnement dans lequel

croît la firme se complexifie au fil de la croissance internationale, il faudrait également

se pencher sur l‟adaptation des routines et des structures aux nouveaux besoins de la

firme. Comment la firme adapte-t-elle sa structure organisationnelle? Comment codifie-

t-elle ses expériences pour créer de nouveaux produits ou de nouveaux services?

Comment bonifie-t-elle ces routines et ces processus de création? Nous croyons que

pour bien comprendre le renforcement de la capacité créative par l‟internationalisation,

il faut voir l‟entrepreneur à la tête des firmes créatives comme la personne qui fait le

pont entre les apprentissages et les nouvelles idées qu‟il décèle au travers de

l‟internationalisation (environnement) et l‟organisation des routines et processus qui

composent la capacité créative (organisation). Ce niveau d‟analyse additionnel figure

parmi les recommandations formulées à l‟intention des chercheurs.

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108

6.2 RECOMMENDATIONS

6.2.1 Recommendations académiques

En confrontant, comme nous venons de le faire, la littérature sur les théories

d‟internationalisation de l‟entreprise à nos résultats, nous sommes en mesure de

formuler quelques recommandations destinées à la poursuite des recherches sur le

sujet de l‟internationalisation des firmes créatives. Dans un premier temps, nous

abondons dans le sens de Melin (1992) qui souligne l‟importance d‟intégrer plusieurs

théories et approches afin de bien comprendre le processus d‟internationalisation des

firmes. Les résultats de notre mémoire montrent bien en quoi une approche intégrative

prenant compte de plusieurs théories est en effet la plus appropriée. Aucune des

théories d‟internationalisation présentée dans la revue de la littérature n‟explique à elle

seule les facteurs causant l‟internationalisation et le processus par lequel se déploie

l‟internationalisation. À l‟image du concept de stratégie formulé par Andrews (1971),

l‟étude de l‟internationalisation des firmes créatives doit comprendre l‟analyse de

l‟environnement d‟affaires, des capacités organisationnelles de la firme ainsi que des

valeurs personnelles de ses dirigeants.

Dans un deuxième temps, nous croyons que les recherches sur l‟internationalisation

des firmes créatives doivent accorder une place d‟importance au rôle des

entrepreneurs, et ce, à deux niveaux. D‟abord, au niveau de son rôle comme décideur

central de la direction de l‟internationalisation soit la décision de s‟internationaliser et la

prise de risques dans la saisie des opportunités d‟affaires à l‟étranger. Il faudrait à cette

fin approfondir la littérature sur l‟entrepreneuriat, notamment le concept d‟effectuation

(inverse de causalité) développé récemment par les travaux de Sarasvathy (2008) qui

suggère que les entrepreneurs ne font pas que découvrir les opportunités, mais créent

également les opportunités. Ensuite, une analyse doit être portée au niveau de

l‟entrepreneur comme architecte, supporteur et développeur de la capacité créative. Il

faudrait observer de plus près ce qui à trait à son style de leadership, ses habiletés de

gestion d‟équipes et sa capacité à implanter et faire évoluer les processus et les

routines de créativité. Nous pensons qu‟une plus grande attention au rôle de

l‟entrepreneur s‟inscrit bien dans le contexte des firmes créatives dirigées par des

entrepreneurs qui exercent une grande influence sur le parcours d‟internationalisation.

De plus, ce rôle de décision se fait encore plus sentir au sein des petites entreprises,

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qui représentent la majorité de l‟économie créative composée d‟un nombre élevé de

micro-entreprises et de PME locales et de quelques grandes firmes multinationales

(Leadbeater, 1999).

6.2.2 Recommandations managériales

Par l‟étude de cas de firmes créatives qui ont internationalisé leurs activités, nous

souhaitions apporter une portée pratique à notre mémoire. Suite à la discussion de nos

résultats, quelques recommandations peuvent être formulées à l‟égard des

gestionnaires des firmes créatives qui veulent internationaliser leurs activités ou qui

poursuivent leur internationalisation. Premièrement, les gestionnaires devraient mettre

un accent sur la fonction des ressources humaines. Un élément crucial à la réussite de

la firme créative est les talents qu‟elle possède. Ce sont les travailleurs qui par leur

créativité arrivent à produire des biens et des services à haute valeur créative. Elle doit

donc s‟assurer de recruter et de retenir les meilleurs talents au sein de son

organisation. Pour ce faire, elle doit bien comprendre ce qui motive les travailleurs

créatifs. Caves (2000) souligne par la propriété «l‟art pour l‟art» que les employés des

industries créatives dérivent une satisfaction non économique de leur travail. Les

gestionnaires doivent s‟assurer de bien comprendre les motivations de ce type

particulier de travailleurs et les conditions de travail qui leur permettent d‟exercer leur

créativité.

Deuxièmement, les gestionnaires devraient tenir un processus de réflexion sur les

routines et les processus qui forment leur capacité créative et la structure

organisationnelle qui soutient cet avantage compétitif. La fonction management de la

firme doit être mise à profit. Il va de soi pour les firmes créatives de s‟armer de talents,

mais il faut que les entrepreneurs sachent tirer le plein potentiel de ce talent en gérant

le processus de création. Nous croyons qu‟il est important pour les gestionnaires d‟être

capable d‟articuler ce qui dote leur entreprise d‟une capacité de création, pour deux

raisons : d‟abord pour être capable au fil de la croissance à l‟international d‟intégrer

avec succès des nouveaux employés dans le processus de création et ensuite être

capable de rendre cette capacité de création encore plus performante face à la

compétition plus accrue des marchés internationaux. Comme il l‟a été mentionné par

certaines firmes créatives, il est important de baliser le processus de créativité, tout en

prenant soin de ne pas étouffer la créativité.

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Troisièmement, nous recommanderions aux firmes créatives souhaitant

s‟internationaliser, d‟investir dans leur fonction marketing. Une fois le talent recruté et

mis à contribution, il faut savoir présenter la firme et ses produits ou services au

marché. Elles devraient s‟armer d‟outils servant à bâtir une image de marque au niveau

de la créativité et aussi à montrer à ses publics cibles leur capacité de création. À cet

effet, le pouvoir de l‟Internet est puissant. En présentant sur leur site Web leurs

réalisations passées (sous forme de photos ou vidéo), la firme créative pourra

augmenter instantanément la couverture de son rayonnement auprès de talents créatifs

et de consommateurs potentiels. À mesure que la firme croît à l‟international, elle devra

s‟assurer de tenir une fonction marketing unie et cohérente à travers les marchés pour

ne pas diluer l‟image de créativité qu‟elle souhaite projeter. Le marketing de la firme est

d‟autant plus important lorsqu‟elle se met à compétitionner sur l‟échiquier international

contre des joueurs féroces à la réputation internationale.

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7. Conclusion

7.1 LIMITES DE LA RECHERCHE

Nous avons identifié deux principales limites méthodologiques à notre projet de

mémoire : l‟étendue des industries couvertes et le type et la quantité de données.

7.1.1 Étendue des industries couvertes

Lors de la sélection des cas, nous avons pris soin de choisir des firmes appartenant à

plusieurs des industries créatives identifiées par le DCMS (2009) afin d‟obtenir un

échantillon diversifié. Nous nous sommes toutefois aperçus au cours de l‟analyse des

résultats que les firmes choisies dans notre échantillon présentaient une certaine

homogénéité. C‟est-à-dire que nous n‟avons pas eu des résultats très contrastants qui

auraient pu enrichir notre analyse. Nous avons réalisé que plusieurs d‟entre elles

partagent des liens d‟affaires. Sid Lee et Aedifica collaborent depuis quelques années

sur des projets d‟architecture et de design. Sid Lee est aussi l‟agence de référence du

Cirque du Soleil. Comme il s‟est révélé que le partage de la vision est important dans le

choix des firmes partenaires, les liens entre ces firmes nous font constater qu‟elles

abordent toutes une vision similaire de la créativité. En somme, elles se classent toutes

les cinq dans des industries créatives très orientées vers le marché. Elles possèdent un

côté créatif et un côté affaires très forts. Il aurait donc été intéressant de ratisser un peu

plus large parmi les treize industries créatives afin d‟obtenir une véritable vue

d‟ensemble des firmes créatives, dans toute leur diversité. Nous aurions pu chercher

des firmes à forte créativité artistique, comme une troupe de danse et des firmes à forte

créativité technologique, comme une firme de logiciel. Nous pensons que l‟ajout

d‟industries aurait ainsi renforcé encore plus la validité externe de notre mémoire.

7.1.2 Type et quantité de données

Si nous avons utilisé deux sources d‟évidence, soit la recherche documentaire et les

entretiens semi-structurés, nous permettant d‟effectuer une triangulation minimale des

données et d‟augmenter la validité de construit, il demeure que la grande majorité des

résultats de notre recherche provient des réponses obtenues par le biais d‟entretiens.

Les rencontres en face à face ont permis de recueillir des informations privilégiées, qu‟il

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n‟aurait pas été possible d‟avoir par la recherche documentaire, comme les aspirations

et ambitions des entrepreneurs, mais cette méthode de collecte de données comporte

aussi quelques limites. Yin (2009) note que le chercheur peut introduire des biais par

son interprétation subjective de la réalité, mais aussi dans la façon dont il formule les

questions. De son côté, le répondant peut aussi introduire des biais s‟il ne comprend

pas bien les questions posées ou bien répondre à l‟avantage de l‟image de son

entreprise. Il peut aussi y avoir un problème de réflexivité lorsque le répondant formule

ses réponses dans l‟intention de donner au chercheur ce qu‟il veut entendre. Pour

limiter tout élément de subjectivité qui aurait pu fausser nos résultats, il aurait été

recommandé de conduire des entretiens avec plus d‟un individu par firme créative (cela

n‟a été le cas que pour Juste pour rire) ou interroger des observateurs, comme des

académiciens ayant mené des études sur ces firmes. Cela aurait permis de corroborer

les informations obtenues par les répondants, mais aussi d‟augmenter la quantité de

données sous la main. En effet, comme les firmes créatives de notre échantillon sont

toutes à propriétaire privée, nous avons eu accès pour certaines firmes à un nombre

restreint de données, tout particulièrement celles concernant les chiffres d‟affaires et la

croissance des revenus. Plus de données nous auraient permis de bonifier nos études

de cas et par le fait même nos résultats de recherche.

7.2. CONCLUSION

Dans le contexte de l‟essor incroyable des industries créatives et de leurs contributions

au commerce mondial, notre mémoire avait pour objectif d‟étudier la nature du

processus d‟internationalisation des firmes créatives, un sujet qui, à notre

connaissance, n‟avait été traité jusqu‟à ce jour. Prenant pour support méthodologique la

méthode des cas, nous avons analysé et comparé le parcours internationalisation de

cinq firmes créatives montréalaises soit Sid Lee, Aedifica, Juste pour rire, Harricana et

le Cirque du Soleil. Nos résultats indiquent que le processus d‟internationalisation des

firmes créatives est à la fois séquentiel et progressif. Il est enclenché par un besoin de

croissance et via une première expérience à l‟international, quelle que soit sa nature.

Notre analyse montre également que la capacité créative, définie comme la capacité de

comportements et d‟actions créatifs (Napier et Nilsson, 2006), qui distingue les firmes

de notre échantillon agit comme l‟avantage compétitif qui leur permet de percer les

marchés internationaux. Puis, la présence dans les marchés internationaux permet à

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son tour de renforcer cette capacité créative. En conclusion, nous pouvons affirmer que

l‟internationalisation des firmes créatives, une fois mise en mouvement, est une roue

qui tourne.

En nous penchant sur ce phénomène à la fois peu documenté, mais qui ne peut

qu‟augmenter en importance si l‟on se fie à la croissance de l‟économie créative, nous

espérons que notre travail puisse servir de base à de futures recherches sur le

processus d‟internationalisation des firmes créatives. Les recommandations

académiques que nous avons formulées pointent vers le besoin de joindre les forces

des disciplines des affaires internationales, du management et de l‟économie créative

pour être à mieux de cerner les dynamiques de développement international entourant

ces nouvelles industries. Nous avons aussi recommandé aux chercheurs d‟accorder

une place importante au rôle de l‟entrepreneur comme acteur clé dans la décision de

s‟internationaliser et comme développeur de la capacité créative, c‟est-à-dire l‟avantage

compétitif de la firme.

En présentant le parcours d‟internationalisation de cinq firmes créatives montréalaises

ayant internationalisé leurs activités avec succès, nous pensons que cette étude

présente un intérêt qui va au-delà du milieu académique. Nous avons formulé quelques

recommandations à l‟intention des gestionnaires des firmes créatives qui veulent

internationaliser leurs activités ou qui poursuivent leur internationalisation. Nous

avançons que ces gestionnaires doivent porter une attention aux fonctions des

ressources humaines, du management et du marketing de leur organisation. Ils doivent

recruter et retenir les talents créatifs en amont de leur chaîne de valeur. Ils doivent

pouvoir soutirer le meilleur de leurs talents au travers d‟un processus de création

soutenu par des structures et des routines. Ils doivent finalement pouvoir mettre en

marché les produits et services créatifs, fruits des talents créatifs, en démontrant aux

clients potentiels leur capacité de création. Ces efforts devront s‟intensifier au fur et à

mesure que la firme croît à l‟international. Nous espérons que ces conseils puissent

aider les firmes créatives à profiter de la conjoncture favorable à leur déploiement à

l‟international, soit l‟accroissement de la demande pour les biens et services créatifs

jumelé à l‟accessibilité des marchés internationaux permise par les transformations

technologiques.

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Annexes

ANNEXE 1 : QUESTIONNAIRE D’ENTRETIEN

Cas # :

Nom du répondant : Date de l‟entretien :

Décision de s‟internationaliser

1. Parlez-moi du parcours international de votre entreprise. Quels sont les facteurs qui

ont motivé l‟internationalisation de vos activités?

Pré-internationalisation

2. Aviez-vous une expertise ou une expérience préalable à l‟international?

3. Qui est à l‟origine du projet d‟internationalisation dans votre entreprise? Quelles sont

les caractéristiques de cette personne?

Choix des marchés

4. Sur quels critères avez-vous basé le choix des marchés d‟expansion?

Mode d‟entrée

5. Quels modes d‟entrée avez-vous envisagés et pourquoi avoir choisi ces modes en

particulier?

Internationalisation subséquente

6. Quels sont vos plans futurs d‟internationalisation? Allez-vous poursuivre la même

stratégie?

7. Quels défis entrevoyez-vous dans l‟internationalisation subséquente de votre

entreprise?

Avantages de l‟internationalisation

8. Quels avantages retirez-vous de votre internationalisation?

Clés du succès

9. Selon vous, quelles sont les clés du succès d‟une firme créative à l‟international?

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ANNEXE 2 : TABLEAU COMPARATIF (ANALYSE INTER-CAS)

Dimension

Sid Lee Aedifica Juste pour rire Harricana Cirque du soleil

Décision de s‟internationaliser

- expérience internationale avec un client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients et de nouveaux talents - motivation personnelle et générationnelle

- expérience internationale avec client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients - motivation entrepreneuriale

- expérience internationale avec client - limite du marché québécois - éviter dépendance à un seul marché - motivation entrepreneuriale

- expérience internationale avec organisme - limite du marché québécois - motivation entrepreneuriale

- question de rentabilité du produit - tempérament «gambler» et rêve international du fondateur

Choix des marchés

- bassin de clients et de talents - opportunité externe - vol aérien direct

- opportunité externe - «fit» au niveau créatif

- opportunité externe - marchés avec notoriété acquise - marchés stratégiques

- opportunité externe - bassin de clientes

- étapes progressives - bassin de consommateurs types

Mode d‟entrée

- exportation - croissance organique (ateliers en propre)

- exportation - acquisition

- exportation - par étapes - partenariat public ou privé

- exportation - boutiques en propre

- par étapes - partenariats locaux (financiers ou de services)

Internationalisation subséquente

- Europe, États-Unis - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

- partenariat firme Ouest canadien (porte vers le marché asiatique) - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

- États-Unis, Angleterre, Ouest canadien, etc. - création d‟un circuit de festivals - «être premier dans les marchés premiers»

- Europe (pays à déterminer) - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

- nouveaux marchés en expansion - cap sur le développement international - point d‟ancrage de la créativité à Montréal

Avantages de l‟internationalisation

- capacité de décrocher mandats - recrutement de talents - force créative

- force - séduction - prospection

- pérennité, devises étrangères - recrutement de talents - bénéfices personnels - nouvelles idées créatives

- force créative - charmant pour clientèle, attention médiatique, fierté des employés

- compétition - recrutement d‟artistes et d‟athlètes - nourrir créativité

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