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Von Humbold : “L’essence du langage consiste à couler la matière du monde phénoménal dans
la forme de la pensée" (citation d’Husserl, Recherche 4)
En préambule,
Ce travail présente une critique de la thèse husserlienne de l’objectivité de la signification.
Elle la traite à partir d’une convergence avérée entre Husserl et Humboldt (1767-1835) relative à
l’immanentisme. Husserl dit se trouver en accord avec l’immanentisme humboldtien concernant le
statut de la signification dans le langage. Cet immanentisme est repris par Merleau-Ponty qui adresse
à Husserl une critique de la thèse de l’idéalité de l’objectivité de la signification chez Husserl.
Ré-orienté vers la reconnaissance du matériau de la langue dont dépend la « vie des signes » qui est le
point de vue que je défends, l’immanentisme est ramené ici à une réévaluation du « matériau » de la
langue, matériau non « formé » que le philosophe depuis Aristote a tant de difficulté à penser et que le
philosophe grec traiterait avec mépris d’ « amorphe » et donc « impensable ». C’est pourtant bien le
matériau à prendre en compte non seulement dans l’écriture de l’écrivain mais aussi dans la part
refoulée de l’exercice de la pensée conceptuelle du philosophe.
1- L’immanentisme de Von Humbold : “L’essence du langage consiste à couler la matière dumonde phénoménal dans la forme de la pensée" (citation d’Husserl, Recherche 4)
Humboldt traite de la manière immanente dont des Weltansichten (perspectives ou vues sur le monde)
sont portées par la langue. Ce sont elles et non les signes et les mots qui font la différence entre les
langues. Je m’appuie sur le développement de René Schérer dans son livre sur Husserl (La
phénoménologie des Recherches logiques, Husserl, PUF 1967 p 245) qui suit sa citation de la phrase
célèbre de W. von Humboldt : “L’essence du langage consiste à couler la matière du monde
phénoménal dans la forme de la pensée" dont Husserl déclare se sentir proche.
Husserl cite Humboldt qu’il apprécie, v. 4e Recherche p 138, in Remarques (Idée de grammaire pure, t
2, 2e partie) : il évoque l’idée d’une « morphologie pure logique » qui manque dans la logique de son
temps (il pense à Bolzano). C’est difficile parce qu’il faut à la fois que le logicien porte son regard sur la forme, et considère les choses en elles-mêmes. Husserl dans le lignes qui suivent mentionne
Steinthal et son « beau résumé de la conception de Humboldt » (p 63 de l’éd. allemande orig. son
Intro à la psychologie et à la science du langage
) tout en donnant raison à Humboldt plutôt qu’à
Steinthal, trop psychologiste à son goût.1
Le chapitre VI du livre de René Schérer (Phénoménologie des Recherches logiques, PUF, Epiméthée,
1967) traitant de la Recherche 4 de Husserl) porte sur la « grammaire » (pure) entendue comme
« logique du sens » comprenant les lois a priori de la signification posant les conditions de l’unité de
sens. Les lois qui régissent la signification sont en œuvre au niveau du langage. Leur théorie est donc
une « grammaire pure ». Schérer précise que c’est bien dans la notion humboldtienne de « innere
Sprachform » que Husserl est amené à se reconnaître, car elle rejoint la thèse de l’articulation a priori
de la forme des significations qui sont également celles de l’expression de toute pensée ( ibid. p 246).
Pourtant, en y regardant de plus près, Humboldt tourne le dos à la thèse de l’objectivité de la
signification. Deux raisons l’y poussent que Husserl ne peut prendre que de haut :
1) La matérialité brute de la langue doit être prise en compte au niveau du son et dans le milieu
sonore où l’articulation (Sprachlaut ) se fait entendre.
2) Humboldt met en conflit pensée et expression dont Husserl au contraire élabore l’adéquation
motivée par l’objectivité signifiée d’un contenu.
3) Enfin, Humboldt, attentif à la diversité des langues, est plus enclin à délogiciser la langue en
1 V. aussi Kelkel, « Monde et langage », Et. Philos. 1958, 4.
Humboldt : Ueber die Vershiedenheiten des menschlichen Sprachbaues, Werke,VI.
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insistant sur le caractère anthropologique-culturel de l’incorporation d’une vision du monde
dans la langue.
2- La thèse de l’objectivité de la signification chez Husserl
Elle traite par le haut (l’idéalité des lois de la signification) l’articulation matérielle, au niveau des
« matériaux », des expressions soumise à une logicité du sens telle que l’idée d’une grammaire pure a
priori s’y plie tout en valant pour une langue donnée. On le constate à la lecture de ces mots :
(Husserl, RL : t 2, 1e partie), le phénomène physique de l’expression, est bien l’acte donateur de sens,
acte remplissant de sens, p 44. Mais l’expression est plus qu’un phénomène sonore (complexe
phonique qui, du point de vue de la signification, considéré sans visée « Meinung » est un « flatus
vocis ») parce qu’elle « vise » quelque chose, quelque chose d’objectif.
Les lois qui régissent la signification sont apriori et régissent les enchaînements de significations qui
donnent des unités de sens.Elles sont doubles : 1- matérielles portant sur les essences particulières des
membres d’une connexion « ce S est P » (cet arbre est vert). Sont « matières » les termes et « formes »
les mots « un » « ce », « ou », « est »…). Les matières ne sont pas fonction de formes ni inversement.
Il y a des formes et matériaux syntaxiques et à l’intérieur de ces derniers des formes et matériauxsyntaxiques non purs.
Le principe général en est le suivant : « l’expression se rapporte à l’objet par le moyen de sa
signification », la signification est un « contenu ». L’expression exprime sa signification
(intention). Elle est le fait pour un complexe phonique articulé de porter sur « quelque chose » que
celui qui parle a l’intention d’exprimer .
Elle est « objective » (même équivoque) = ni subjective ni occasionnelle (instables et fluctuantes),
quand sa signification dépend de sa réalité de phénomène phonétique, du seul fait d’être proférée. En
réalité, ces fluctuations qui sont des fluctuations de l’ acte de signifier, n’empêchent pas l’idéalité (le
caractère universel) des lois de la significtion. Ces significations sont donc de ce point de vue objectif,
des unités idéales. L’unité de signification correspond à l’unité de l’objectivité signifiée (donnée dansune connaissance évidente).
Schérer mentionne deux objections faites à Husserl :
1- Husserl logicise la grammaire (A. Marty)
2- Husserl confond les règles de grammaire indépendamment de qui la profère et des circonstances
avec celles de la logique (Ch. Serrus, le parallélisme logico-grammatical aplatit la forme grammaticale
sur la forme logique)2.
2 J’ai abordé ce problème dans ma thèse publiée aux PUF : La grammairephilosophique de Platon, 1991. Le parallélisme logico-grammatical qui aprévalu depuis Aristote jusqu’à Husserl compris, ne permet pas de
comprendre la question de la « forme logique » (profonde) du langage,laquelle se démarque au contraire de la « forme grammaticale »(apparente). C’est la grande trouvaille de B. Russell, reprise parWittgenstein dès son Tractatus Logico-philosophicus. Le décalage de lagrammaire profonde (niveau du « sens ») par rapport à la formegrammaticale (externe) exclut un tel « parallélisme » ou transparenceentre structure grammaticale et structure logique. Confirment ce décalagela découverte concomitante des grammaires au pluriel des langues dansle monde, et le fait que les schèmes de pensée différents avec chacun leur« logique » ne permettent plus d’universaliser l’un d’entr’eux comme
représentant éminemment « La pensée logique » commune à toutes. Le« comparatisme » des grammaires corrobore donc l’ébranlement dufameux « parallélisme ». C’est un fait des travaux des grammairiens qui
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( cette partie 3 peut être sautée)
3- Vers le grammatical (La critique schlickienne-wittgensteinienne du matériel-apriori)
Dans l’exemple « rouge et vert ne peuvent être en même temps au même endroit », exemple
phénoménologique par excellence qui est également pris en compte par Wittgenstein, de ses premiersécrits aux derniers, mais avec de fortes inflexions et modifications de points de vue, Husserl (3 e et 6 e
Recherche) voit une loi d’essence, fondée sur l’incompatibilité des deux couleurs contraires. Cette loiénonce un » matériel-a priori » ou « phénoménal apriori » dont il y aurait saisie. Les « matières »
s’opposent, et leurs essences propres de la même façon. Le « ne peuvent pas » est une loi d’essencelogique ancrée dans la réalité matériellement contradictoire de ces essences. Le grammatical et lelogique se recouvrent. Une loi innerve la phénoménalité du réel. Cette logicité des relations entrematières des couleurs a fait dire à Schlick contre Husserl que le « ne pas » a un sens certes
grammatical, mais pas logique apriori. Dans une conversation avec Schlick intitulée « Anti-Husserl »de Wittgenstein de 1929, ce point est soulevé qui met en question la « nécessité idéale » qui sous-tend
le conflit dans l’intuition entre deux choses incompatibles au nom d’une expérience pour une relationde ne –pas- pouvoir -être -autrement.
Comme Schlick, mais différemment, Wittgenstein s’opposera à cette contradiction fondée sur des loisd’essence. Il parlera de « grammaire » de la langue relative à l’usage des mots dans un contexte au sein d’une culture. Il proposera même, dans ses écrits ultérieurs, marqués par une dédogmatisationde la « logique » (sa grammaticalisation), de faire varier les « manières de voir » des symboles de lanégation de cette conjonction et de la conjonction, entre rouge et vert selon différentes situationsallant jusqu’à rendre imaginable – pace le logicien - , grâce à sa conception des « aspects » de la
conjonction et de la négation - , qu’un peintre la produise dans un tableau. Un Klee pourra mettreensemble rouge et vert en même temps dans « Rot und Grün, Stufung », 1921, créant même un rythmemusical, la vie des couleurs. Les expositions aujourd’hui sur Klee et la musique révèlent à quel point le musical permettait au peintre d’opérer des liasons logiquement incompatibles3.
Quand Husserl précise donc que : « Il appartient au sens de l’expression absurde de viser des choses
objectivement incompatibles » (Husserl), il entend également dire que « incompatible » garde un sensquoiqu’une intuition fasse défaut. A ce titre il lui correspond bien un vécu intentionnel à caractère
d’acte (une visée : Meinung) présidant à son effectuation d’énoncé dans la langue.Wittgenstein critiquera cette visée (en attaquant Brentano). Cf. Dictée du même nom. 4 Il compare
touche à l’anthropologie que plus personne ne conteste. Dans les années60 en France, période charnière, on était en plein « universalisme »,encore soutenu par des philosophes de la logique tels que Frege, Russellet même, dans une certaine mesure, le premier Wittgenstein (cf. ci-dessus), mais on commençait également à le discuter.3 J’ai évoqué dans plusieurs conférences et articles maintenant anciens,
cet important problème du dépassement d’une loi logique par uneréalisation d’ordre esthétique ou littéraire (ainsi le dialogismepolyphonique de Bakhtine qui a pu indirectement influer sur le dernierWittgenstein). Ce dépassement se présente aussi dans la penséemathématique (cf. G. Granger, in Formes opérations, objets). Ce qui n’estpas pensable en termes logiques stricts peut être « résolu » d’une certainefaçon par des « solutions-objets » (construits) en musique ou enmathématiques. Pour un texte récent de moi-même sur la question, Cf. Lapensée de Gilles Granger, Actes d’un colloque tenu à la MSH PN publiéschez Hermann, 2010, coord. A. Moreno et moi-même.
4 Wittgenstein est un critique acerbe du caractère illuministe oud’hallucinose de la vision d’objet hors langage. La Dictée « Brentano »(année 1931) témoigne de ce diagnostic d’un thérapeute de la langue. Cf.
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l’intentionnalité tendue vers l’idée d’un signifié mental chez Brentano à un acte magique que l’oneffectuerait comme si l’on était muni d’ antennes.
La reconnaissance de l’importance du grammatical mais aussi de sa spécificité pour l’étude dulangage met Humboldt du côté des philosophes du langage entre psychologie et logique, sans abonder
dans un sens ni dans l’autre, car ces deux voies sont deux écueils à éviter. Le premier vient deSteinthal qui rattache la grammaire de nature variable car empirico-historique à la psychologie. Ladeuxième est le point de vue idéal de Husserl pour qui « le logique au sens de la sphère logique
supérieure importe peu à la grammaire » (comme il dit à Marty, cf. Schérer p 248). L’idée d’unelogique pure est sacrifiée chez Marty, et Serrus, lui, l’abaisse au statut d’une « séméiologie
générale ».
4- Le grammatical dans l’usage de la langue, du point de vue de sa matérialité.
Je vais montrer que Wittgenstein est plus proche de Humboldt, dont la conception de la langue
heurte en réalité de front le principe d’adéquation husserlien de la pensée avec l’expression.
-A- Humboldt :
Une chose rapproche Wittgenstein de Humboldt qui échappe à Husserl : le caractère anthropologique
du concept de langage. La dynamique de la vie du langage est immanente, jamais transcendante.
« L’anthropologique et le linguistique prennent le relais de l’impossible métaphysique ». (Ole
Hansen-Love, auteur de Humboldt, la revolution copernicienne du langage , Vrin 1972) ). La langue
« est l’organe qui donne forme au contenu de la pensée » : « das bildende Organ » grâce aux organes
phonatoires et à l’ouïe.
Loin de rabaisser la langue à l’état d’un organisme biologique, l’organicité est un argument (en
principe non biologiste) en faveur de sa cohérence et de son caractère total. On la trouve aussi chez
Schoenberg pour qualifier l’œuvre musicale. L’organicité est un motif important qu’on retrouvera
chez Wittgenstein (Tractatus, 4.002), dans un sens un peu différent et moins « nationalisé » que chez
Humboldt..Cf. Sur l’étude comparée des langues … (prés. Thouard) en bilingue chez Points, p 65. Elle fait de la
langue un phénomène de l’histoire naturelle, mais aussi d’une culture spécifique exigeant l’approche
comparée des langues afin de « relier entr’eux tous les fils de la trame d’ensemble dont certains
passent pour ainsi dire en largeur à travers les parties équivalentes de toutes les langues et d’autres,
pour ainsi dire en longueur, à travers différentes parties de chaque langue » pp 80-81. « Double
trame » où l’usage a le premier mot. La « tapisserie » de la langue soutient ce comparatisme orienté
vers la « construction de comparables » (M. Détienne, in Penser l’incomparable
). La grammaire
comparée ici mobilise la philologie. Le grammairien comparé ressemble à l’anatomiste face aux
fossiles et aux ossements (A. Utaker, Saussure… p 50, PUF, 2002). Pour les comprendre il faut les
rapprocher, image goethéenne reprise par Freud (L’interprétation des rêves
) et Wittgenstein (très
inspiré par Goethe comme on sait). Il n’y a rien de relativiste dans sa conception de la diversité des
langues. Elle résulte de la transformation copernicienne de la philosophie en anthropologie, thèse deHerder que Humboldt reconnaît lui devoir (J. Trabant, l’anthropologie comparée in Traditions de
Humboldt, ed. MSH, 1999, pp 50).
Le « Sprachsinn » s’impose au détriment d’une conception frégéenne de la pure dénotation d’objet
(un « objectiviste de la signification comme Husserl), en vue d’une idéographie conceptuelle. Pour le
saisir il faut passer par la structure d’ensemble de la langue en abandonnant le point de vue de la
correspondance mot-objet. Pas d’éléments simples et insécables ici, mais au contraire, un approche de
la plasticité et malléabilité de la langue, v. p 89.
publiées d’abord aux PUF 1997-8, sous ma direction, amintenant enréédition chez Vrin, pour 2012 : Dictées de Wittgenstein à Waismann et
pour Schlick, La pensée de Wittgenstein dans ces années 1930 est hostileà l’idée de contenu intentionnel tant prisée par les cognitivistesaujourd’hui.
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Le langage n’extériorise pas la pensée, de même que le langage « n’exprime » pas les choses du
monde que la pensée pense. C’est « la révolution copernicienne » du langage de Humboldt : la pensée
s’ordonne au langage dont la « forme interne » « Innere Form » , forme propre d’une langue, est aussi
le signe de son appartenance à un peuple. Vue dans sa dimension morphologique profonde, dans ses
« soubassements » (mot de Grimm) elle constitue la condition de possibilité de la connaissance. C’est
au langage d’abord d’assurer la médiation entre le sujet et l’objectivité du monde dont il établit les
termes avant-même leur dualité, et ce, par un « travail de production infiniment diverse du langage et
des concepts » dont le fruit est la « phrase » porteuse de sens et qui s’apparente à une communauté de
représentation de caractère transcendantal kantien, en vertu comme chez Kant de la priorité de la
forme sur la matière.
B- Humboldt après Kant :
On reconnaît le schéma kantien sous cette médiation, celle que Kant retrace quand il distingue
intuition et concept : par la première, un objet nous est donné, par la seconde, il est pensé. Mais le
langage manque dans l’articulation kantienne originale. En l’introduisant dans le langage, Humboldt
transforme la représentation, reçue chez Kant, en représentation active « energeia » : « l’activité
subjective donne forme à un objet ». « Bilden » est une activité aussi bien orale chargée d’une
richesse plastique, source du « génie » d’un peuple.Lisons les très bonnes pages de Ole Hansen-Love encore sur cette différence entre Kant et Humboldt
pp 54-55 de La révolution copernicienne du langage.
Le son est le milieu dans lequel s’opère la synthèse de l’activité et de la réceptivité de l’esprit. Mais le
son linguistique « Sprachlaut », est articulé. C’est l’articulation, l’essence du langage. Même chose
dans le TLP de Wittgenstein. « Interaction » (« Wechselwirkung ») est le mot juste pour décrire cet
aller-retour entre l’action de l’homme sur la langue et celle de la langue sur lui. L’homme est donc
aussi « agi par la langue ».
la « forme interne », objet de la linguistique, contient le secret de l’immanence par laquelle le langage
s’intériorise lui-même en « coulant la matière du monde des phénomènes dans la forme des
pensées » (voir notre citation au début, dans le texte de Husserl) : « c’est toute sa visée qui est
formelle ». La forme de la langue n’est donc pas réductible à la forme grammaticale. La forme des
langues va bien au-delà des règles de syntaxe. On retrouve cette forme interne chez Herder et Goethe.En désignant non l’ergon, mais l’energeia, elle renvoie à un système de fonctions. Humboldt pense
donc la matière d’une langue en deux sens : substrat déjà « in-formé » (héritage national), et
substrat effectif, matière sans forme.
La diversité des langues est une diversité de points de vue sur le monde (aspect leibnizien). Chaque
langue est une « vision singulière du monde constituant le concept d’objectivité qui nous est
accessible ».
C- Cf. Energeia (Goethe) : activité et non produit : la démarche vers une sémantique propre à chaque
langue s’accompagne d’une plongée dans sa matérialité obscure justifiant qu’on ait appelé Humboldt,
« Humboldt l’obscur » (H. Steinthal, 1850). Cet aspect touche à l’obscurité du « comprendre », « un
bloc d’incompréhension fiché dans le poème » lié à la matérialité complexe enchevêtrée de la langue
bien saisie par H. Meschonnic( à propos de sa traduction d’Agamemnon d’Eschyle). C’est par là aussique le « langage déborde la linguistique », et que poétique et linguistique ne sont pas séparables,
écrit-il (in Sur le caractère national des langues, ed. Thouard, p 186, dossier, « Humboldt et les
linguistes », repris à partir de : Le signe et le poème, Gallimard, 1975).
1-Stratégie du retour au matériau au « matériel du langage » ou « signifiant » (Meschonnic) du son,
dans le « milieu du son » .
Humboldt parle d’un travail de réunion sur un mode contrarié de la pensée avec l’expression (par un
conflit entre pensée et langue où l’esprit peut être d’abord retardé par la pesanteur de l’élément
signifiant, tant que l’esprit n’exerce pas une domination sur la langue, perturbant l’organicité
originaire ) en direction de l’ « Ungeschiedenen », l’indissocié. L’ « indissocié » se niche dans ce qui
est « verwebt » avec la langue et ne connaît pas la synonymie (identité de signification sacrosainte en
philosophie analytique, autorisant la traduction logique d’un énoncé par un autre). Il constitue le pointde départ de l’articulation, p 93.
D’où le travail d’énergie, et non un « ergon ».
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2- La langue comme « masse de formes et de sons embrouillés », en quoi consiste son essence pour
Humboldt.
Pour « corporéiser la vie de la langue », même si son aspiration « est toute formelle » (cf. plus haut) ,
Humboldt distingue 3 niveaux de progression : lire cf. p 89.
La vie des signes ( comme plus tard chez Saussure) rend la langue réfractaire à un traitement logique
du renvoi des expressions à des « objets », car « le langage ne se laisse pas détacher de ce qu’il
désigne ». Bien plus que l’expression de la pensée, la faculté du langage est « l’instinct intellectuel de
la raison » (Humboldt), et à ce titre moins un sujet qui s’exprime dans la langue qu’une langue-esprit-
nation qui est une subjectivité objective, esprit subjectif-objectif (Hegel), écrit Pierre Maniglier (La vie
énigmatique des signe, Leo Scheer 2006), bref « esprit objectif », ou « puissance de pensée échappée »
des sujets individuels. L’expression « esprit objectif » est de Cassirer à propos de Humboldt dans la
philosophie des formes symboliques, I, p 104 (1972, Minuit)5. L’objectif n’est pas donné mais à
conquérir.
Lisons Ernst Cassirer sur l’importance du matériau-sonore de la langue en même temps que l’idée
qu’on ne peut se contenter d’opposer forme et matière. La linguistique recherche le sémantique plutôt
que la nature des sons (phonétique) qui intéresse la physique ou la physiologie. Mais, aujourd’hui,
écrit Cassirer (1944), on ne peut plus séparer les deux orientations. Le phonème est aussi une unitésémantique : une « unité minimale de trait sonore » que chaque langue a en propre. Il y a des
« patterns » phonétiques. Comme l’ont montré les linguistes Trubetzkoy, Sapir , qui caractérisent un
« monde » auquel correspond une langue (Goethe, Humboldt ici sont à nouveau mentionnés par
Cassirer).
Ces approches qui font droit au matériau non formalisable de la langue, suggère la belle image de la
« tapisserie » de la langue, portant avec elle toute une filiation que j’explore en ce moment :
Humboldt, Saussure, Wittgenstein.
D- Cassirer sur Humboldt, v. Philosophie des formes symboliques, I, Le langage n’est plus energeiadans un milieu sonore, mais lui-même un « milieu de vie » (notons Cassirer cité par Merleau-Ponty).
Saussure dira un système vivant, comparé à une « robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre
étoffe », une fourmilière, etc…tout sauf des structures formelles. Lacan a repris cette étonnante phrase sans nommer son auteur Saussure.
5- L’immanence
Bien comprise, l’immanence oblige à renoncer à l’idéalité de l’objectivité de la signification. Je la
formule volontiers en disant que c’est la même pâte qui nous permet d’articuler des significations :
celle des mots avec lesquels on désigne ce qu’il est convenu d’appeler des « choses ». Les moyens
pour dire ne se distinguent pas de ce qui est dit par ces moyens. Or ce sont les propos de René Schérer
sur Merleau-Ponty, p 181-2 et n 1, p 302, 355 et 343 où perce une nette préférence pour Husserl que
René défend à cette époque, qui nous suggèrent un point d’affinité entre Merleau-Ponty sur la
phénoménologie du langage et Humboldt le linguiste anti-linguiste faudrait-il ajouter) : selon moi, la
phénoménologie du langage telle que Merleau-Ponty l’envisage, rejoint « l’indissocié »
humboldtien en l’énonçant autrement qu’Humboldt, dans des termes revus par l’actualité
philosophique de son temps : « l’indissociabilité du signifiant et du signifié » « où ni la pureté de
l’acte de signification ni celle de l’acte de remplissement ne restent intacts ». L’abandon de la
problématique des « choses mêmes », objets idéaux offerts à une connaissance intégralement
rigoureuse, y conduit.
La raison de cet abandon n’est pas lié au choix d’une position empirique, subjective en matière de
signification. La relation à l’objet intentionnel subit un coup dans la démarche de Wittgenstein. Il en
résulte une conception du grammatical plus proche de la philosophie du langage articulé à la vie, qui
5 Expression signée Hegel, elle marque aussi la thématiquedescombiennes de « l’instutionnalité du sens » fortement inspirée deWittgenstein.
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ne nous contraint pas à choisir entre objectivité idéale de signification ou psychologie empirique,
disons, une philosophie « socratylienne » comme je l’appelle du langage, à la fois axée sur l’usage
(ethos), inséparable d’un réquisit de permanence ( ce dont il est question quand on en parle) et non
encore inféodée aux Idées. « L’usage contribue à la signification », rappelle Socrate à Cratyle (434-5
passage que je commente dans ma thèse, cf. note plus haut) qui, lui au contraire, ne voit que « les
choses-mêmes » derrière les mots6. La grammaire a au contraire à nous guérir de l’obsession
(Wittgenstein dit « crispation » à propos de quoi son scribe Friedrich Waismann rajoute le diagnostic
freudien de « névrose obsessionnelle) ) de l’objet visé au bout de mon doigt dont l’évidence
intellectuelle ou empirique (l’évidence chez Schlick est celle de Descartes empiricisée) s’impose au
sujet. Notons pour finir que cette « obsession » qui s’attaque aux philosophies de l’ « évidence »
comme aux théories de l’objectivité idéale de la signification, vise davantage Schlick, cible
contemporaine de Wittgenstein, que Platon.
Antonia Soulez
Paris 16 octobre 2011
6 quoique les « choses-mêmes » ne soient pas entendues bien sûr au sensqu’elles prennent chez Platon ni à plus forte raison, bien plus tard, chezHusserl.
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