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03/06/10 18:41 « Détroncher » le ghetto français | Daniel Goldberg | Luc Bronner Page 1 sur 6 http://laboratoiredesidees.parti-socialiste.fr/mail/n9/lab-n9.html « DÉTRONCHER » LE GHETTO FRANÇAIS ENTRETIEN CROISÉ La Loi du ghetto (Calmann-Lévy, 2010) est le fruit dʼun travail approfondi de journaliste mené par Luc Bronner, prix Albert Londres 2007. Cinq années à arpenter les banlieues françaises, de jour comme de nuit, quand elles brûlent mais aussi dans les périodes de calme apparent. Cinq années à rencontrer les habitants des banlieues, à raconter leur quotidien et à tenter de comprendre et d'interpréter la particularité de ces territoires. « Détroncher* » le ghetto, en somme. Seulement, l'ouvrage dépasse la simple enquête journalistique. La Loi du ghetto dresse également une complexe fresque socio-culturelle d'un « territoire tabou » dont le décryptage effectué par Luc Bronner est précieux à l'heure d'imaginer des solutions. Luc Bronner, journaliste au Monde, a accepté de partager avec nous les conclusions de son enquête et d'en discuter avec Daniel Goldberg, élu de la Courneuve et député de Seine-Saint-Denis. La lettre du Lab revient sur cet entretien, dont vous trouverez également un extrait vidéo sur le site du Lab. La Loi du ghetto s'appuie sur une description extrêmement fine de la réalité quotidienne et du mode de société qui caractérisent les quartiers. Aujourd'hui, les banlieues françaises sont-elles ce "village gaulois" dont l'image est reprise à plusieurs reprises dans l'ouvrage ? Luc Bronner : Le village gaulois est une image que certains de mes interlocuteurs ont en effet employé pour parler des quartiers et de leurs modes de vie. Contrairement aux descriptions habituelles sur les "grands ensembles", l'utilisation de cette expression exprime au fond une perception différente des rapports sociaux existant dans les quartiers, dont la réalité ressemble parfois à celle que l'on peut connaître dans le monde rural. Après, il faudrait sans doute s'attarder plus longuement sur l'idée que ce village serait l'image de la résistance au reste de la société, expliquer le fonctionnement des quartiers et questionner les rapports à la police. Mais l'image du village gaulois a une signification qui, je crois, dépasse le simple clin d'œil. Il y a quelque chose d'assez fin dans l'analyse. Daniel Goldberg : Je partage tout à fait votre analyse mais je renverserais peut-être les choses : ceux qui ne veulent pas être envahis, le village gaulois, ce sont finalement les autres. C'est, pour ne pas citer exclusivement Neuilly-sur-Seine, la ville d'Issy-les-Moulineaux par exemple. Des villes qui hérissent des barrières autour d'elles et qui veulent surtout ne pas être mélangées, ni avec les habitants d'Aubervilliers ou de la Courneuve, ni avec des "un peu moins riches qu'eux". En France, la logique de ghetto s'est constituée "par le haut". Jamais une ville de Seine-Saint- Denis ne s'est dit qu'elle allait construire des barrières autour de ses quartiers pour que personne n'en sorte : bien au contraire, c'est le EDITO La lecture du livre de Luc Bronner, La Loi du ghetto, et de lʼentretien croisé de cette lettre du Labʼ ont de quoi inquiéter par la brutalité des faits qui y sont rapportés. Mais il est temps dʼouvrir les yeux sur une réalité sociale qui dépasse la simple idée rassurante de « quartiers populaires ». Ceux-ci doivent faire lʼobjet dʼune attention toute particulière pour éviter de glisser dans la spirale de la relégation sociale et continuer dʼêtre des quartiers dans lesquels un avenir est offert à tous. Sans tout mélanger et sombrer dans la généralisation rapide et médiatique, il faut aussi maintenant lever le voile et dénoncer, en France, lʼexistence de territoires de grande relégation, de pauvreté et dʼexclusion. Des quartiers où lʼavenir semble définitivement sombre, fait dʼéchecs scolaires, de précarité, de pauvreté, dʼéconomie parallèle et de violences. La société a peur de ces ghettos, elle y a enfermé ses pires secrets et ses maux : lʼassignation à résidence par la ségrégation urbaine, lʼéducation qui ne conduit pas à lʼintégration, la violence, le repli communautaire... Face à cette situation, la responsabilité politique impose de ne plus retarder une mobilisation sans précédent de la puissance publique. Daniel Goldberg a raison, « les banlieues ne sont pas l'avenir de la République, elles sont son présent ». Parce quʼelle est un lieu de réinvention et de changement politique, la ville du 21ème siècle devra être solidaire et émancipatrice. LA LETTRE DU LAB N°9 3 JUIN 2010 « DÉTRONCHER » LE GHETTO FRANÇAIS EDITO REVUE DE WEB LA QUINZAINE DU LAB

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« DÉTRONCHER » LE GHETTO FRANÇAISE N T R E T I E N C R O I S É

La Loi du ghetto (Calmann-Lévy, 2010) est le fruit dʼun travailapprofondi de journaliste mené par Luc Bronner, prix Albert Londres2007. Cinq années à arpenter les banlieues françaises, de jour commede nuit, quand elles brûlent mais aussi dans les périodes de calmeapparent. Cinq années à rencontrer les habitants des banlieues, àraconter leur quotidien et à tenter de comprendre et d'interpréter laparticularité de ces territoires. « Détroncher* » le ghetto, en somme.Seulement, l'ouvrage dépasse la simple enquête journalistique. La Loidu ghetto dresse également une complexe fresque socio-culturelled'un « territoire tabou » dont le décryptage effectué par Luc Bronnerest précieux à l'heure d'imaginer des solutions.

Luc Bronner, journaliste au Monde, a accepté de partager avec nousles conclusions de son enquête et d'en discuter avec DanielGoldberg, élu de la Courneuve et député de Seine-Saint-Denis. Lalettre du Lab revient sur cet entretien, dont vous trouverez égalementun extrait vidéo sur le site du Lab.

La Loi du ghetto s'appuie sur une description extrêmement finede la réalité quotidienne et du mode de société qui caractérisentles quartiers. Aujourd'hui, les banlieues françaises sont-elles ce"village gaulois" dont l'image est reprise à plusieurs reprisesdans l'ouvrage ?

Luc Bronner : Le village gaulois est une image quecertains de mes interlocuteurs ont en effet employépour parler des quartiers et de leurs modes de vie.Contrairement aux descriptions habituelles sur les"grands ensembles", l'utilisation de cette expressionexprime au fond une perception différente des

rapports sociaux existant dans les quartiers, dont la réalité ressembleparfois à celle que l'on peut connaître dans le monde rural.

Après, il faudrait sans doute s'attarder plus longuement sur l'idée quece village serait l'image de la résistance au reste de la société,expliquer le fonctionnement des quartiers et questionner les rapports àla police. Mais l'image du village gaulois a une signification qui, jecrois, dépasse le simple clin d'œil. Il y a quelque chose d'assez findans l'analyse.

Daniel Goldberg : Je partage tout à fait votreanalyse mais je renverserais peut-être les choses :ceux qui ne veulent pas être envahis, le villagegaulois, ce sont finalement les autres. C'est, pour nepas citer exclusivement Neuilly-sur-Seine, la villed'Issy-les-Moulineaux par exemple. Des villes qui

hérissent des barrières autour d'elles et qui veulent surtout ne pas êtremélangées, ni avec les habitants d'Aubervilliers ou de la Courneuve, niavec des "un peu moins riches qu'eux". En France, la logique deghetto s'est constituée "par le haut". Jamais une ville de Seine-Saint-Denis ne s'est dit qu'elle allait construire des barrières autour de sesquartiers pour que personne n'en sorte : bien au contraire, c'est le

EDITOLa lecture dulivre de LucBronner, La Loidu ghetto, et delʼentretien croiséde cette lettre du

Labʼ ont de quoi inquiéter par labrutalité des faits qui y sontrapportés. Mais il est tempsdʼouvrir les yeux sur une réalitésociale qui dépasse la simpleidée rassurante de « quartierspopulaires ». Ceux-ci doiventfaire lʼobjet dʼune attention touteparticulière pour éviter de glisserdans la spirale de la relégationsociale et continuer dʼêtre desquartiers dans lesquels un avenirest offert à tous.

Sans tout mélanger et sombrerdans la généralisation rapide etmédiatique, il faut aussimaintenant lever le voile etdénoncer, en France, lʼexistencede territoires de granderelégation, de pauvreté etdʼexclusion. Des quartiers oùlʼavenir semble définitivementsombre, fait dʼéchecs scolaires,de précarité, de pauvreté,dʼéconomie parallèle et deviolences. La société a peur deces ghettos, elle y a enfermé sespires secrets et ses maux :lʼassignation à résidence par laségrégation urbaine, lʼéducationqui ne conduit pas à lʼintégration,la violence, le replicommunautaire...

Face à cette situation, laresponsabilité politique impose dene plus retarder une mobilisationsans précédent de la puissancepublique. Daniel Goldberg araison, « les banlieues ne sontpas l'avenir de la République,elles sont son présent ». Parcequʼelle est un lieu de réinventionet de changement politique, laville du 21ème siècle devra êtresolidaire et émancipatrice.

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quartiers pour que personne n'en sorte : bien au contraire, c'est lecomportement général de la société française qui a mené à laconstitution de ghettos sociaux sur lesquels les différentes politiquespubliques conduites jusqu'à présent n'ont pas eu de prise.

Luc Bronner : Ce que vous venez de dire est unpoint central : nos ghettos français se constituentautant de l'intérieur que de l'extérieur. Comme vousl'évoquez, ce sont d'abord nos comportementsindividuels - scolaires, résidentiels - et les pratiquessociales des classes moyennes et supérieures qui

fabriquent les ghettos. Nous sommes dans cette logique de "l'entre-soi" développée par Eric Maurin : les volontés individuelles de seprotéger, de conjurer la peur du déclassement participentinconsciemment aux phénomènes de ségrégation, qu'elle soit sociale,ethnique ou urbaine.

Ensuite, dans un second mouvement, ces ghettos, avec leurs logiquespropres, se constituent et viennent renforcer cette ségrégation.Comme le dit très bien le sociologue Didier Lapeyronnie, le ghetto està la fois "une cage et un cocon" : c'est un lieu de protection à courtterme mais c'est aussi un enfermement qui, à long terme, renforce lesmouvements d'évitement et de ségrégation. Les logiques internes etexternes sont ainsi complémentaires et conduisent à une situation àpeine concevable il y a quelques années, me permettant aujourd'huid'affirmer que l'on peut effectivement parler de "ghettos français".

Daniel Goldberg : Concernant cette doubledynamique de "cage et de cocon", je pense qu'il fautégalement insister sur l'aliénation, fondamentale dansla constitution du ghetto. L'une des manifestations lesplus frappantes de ce phénomène est à rechercher àl'école, où les principales inégalités dans les parcours

scolaires résident aujourd'hui dans la construction de réseaux sociaux.En d'autres termes, ceux qui auront accès au stage adapté ou ceuxdont les familles seront en mesure de les informer vont réussir à sedébrouiller dans le système scolaire, indépendamment de leurscapacités personnelles. Mais pour les autres, il faut une volonté et uncourage hors du commun pour s'en sortir ou pour candidater là où ons'est toujours entendu répéter que ce n'était « pas fait pour soi ».

Pourquoi les conventions "Zep - Sciences Po" sont-elles par exempleun tel succès ? En réalité, elles ont permis de démontrer trèsconcrètement l'existence de cette barrière culturelle et sociale, de cephénomène d'aliénation. Au fond, en mettant en place un dispositifd'entrée un peu adapté, des jeunes - qui en avaient les capacités - ontpu franchir des portes qui sans cela leur seraient restées fermées.

Luc Bronner : C'est tout à fait vrai. Je rajouterai justeun point en lien avec les travaux de François Dubetsur "les places et les chances". Dans une société quitient un discours sur l'égalité des chances, toutes cesréussites individuelles peuvent aussi servir deprétexte pour ne rien changer au système dans son

ensemble. Il est difficile d'aller contre l'expérience de Sciences Po quiest une démonstration formidable d'une politique de réformecourageuse des idées reçues mais, paradoxalement, c'est aussi cetype de mesures qui permet ensuite de ne pas mettre en place deréforme globale.

Daniel Goldberg : Mais ces expériences sontimportantes car nous avons aussi besoin d'exemplespositifs ! Après, vous avez entièrement raison, on nechangera pas la vie des 150 000 jeunes qui sortentdu système scolaire sans aucune qualification avecun concours adapté pour rentrer à Sciences-Po. Il

s'agit donc de tenir les deux bouts de la chaîne : permettre à la fois àceux qui visent l'excellence de ne pas être handicapés par leuradresse et offrir à l'ensemble des jeunes les conditions de réussiteindividuelle. En un mot, ne laisser personne au bord du chemin.

solidaire et émancipatrice.

Marianne Louis, secrétairenationale du PS en charge de laPolitique de la ville

REVUE DE WEBMicro-trottoir tabou : des jeunesde Seine-Saint-Denis interrogentles habitants de Plaine Communesur leur relation au territoire.

« L'être humain et le réverbère »,piliers rigides dans les banlieueslivides : Roçé chronique le ghetto.

Selon Braconnier et Dormagen, ladémocratie s'abstient dans lesquartiers populaires.

Entretien avec Michèle Tribalat,qui nous invite à ouvrir les yeuxsur l'immigration.

Quand la France s'embrase,remarquable documentaire deDavid Dufresne sur les émeutesde 2005 et les manifestationscontre le CPE.

La « racaille en politique »,enquêtes sociologiques sur lesjeunes « connus des services depolice »

« Nique ta mère », une tribune deJean Baudrillard sur les émeutesde 2005.

LA QUINZAINE DU LAB :UN APERÇU

Un groupe de travail “Jeunesen 2010” se réunit pour lapremière foisLe groupe “Civilisationsnumériques” reprend letravail sur “la société creative”Le groupe sur les Servicespublics personnalisésfinalise son rapportLe groupe "Grande pauvretéet droits fondamentaux"auditionne des associations deterrainLe comité scientifique duforum « Ville du 21èmesiècle » débat sur laconstruction et le financement

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L'ouvrage aborde tour à tour l'ombre médiatique qui plane sur lesghettos et le désert politique qui caractérise les banlieuesfrançaises. A-t-on aujourd'hui, médiatiquement et politiquement,déserté le ghetto ?

L. B. : En réalité, les deux phénomènes sontintimement liés et traduisent une position plus largede la société française vis-à-vis de ses quartiers.

Médiatiquement, il existe un sur-traitement desviolences et des incidents ponctuels. On l'a encore vu

récemment avec l'exemple de Tremblay qui a déclenché une pressionet un déferlement médiatique invraisemblables. À l'inverse, en périodede calme - de calme apparent car la crise sociale est toujours là - il n'ya plus un journaliste dans les banlieues. C'est valable pour lesjournaux nationaux mais aussi pour la presse régionale et locale. EnIle-de-France, Le Parisien fait un travail souvent remarquable mais ilne consacre que quatre pages à la Seine-Saint-Denis. Quatre pagespour raconter le quotidien d'un million et demi d'habitants, c'esttotalement dérisoire et cela entraîne une grave conséquence sociale :cela signifie que n'apparaissent plus dans les médias quel'exceptionnel et le spectaculaire, au détriment de la banalité de la viequotidienne. On va parler du braquage, de l'agression du chauffeur debus et pas de l'assemblée générale ou du mariage. Or, cette primeuraccordée au fait divers se traduit ensuite par un changement dans lareprésentation qu'ont les habitants de leur propre quartier.

Ensuite, il faut aussi souligner des réflexes journalistiquescatastrophiques, preuve qu'aucun enseignement n'a été tiré de la crisede 2005. Aujourd'hui, la plupart des médias proposent soit untraitement outrageusement négatif, soit une perspectiveexcessivement positive où l'on va chercher l'exemple très rare d'uneréussite qui justifie que l'on ne touche à rien dans l'ensemble. Je suistrès sévère sur notre approche médiatique collective parce que j'ai lesentiment que ce traitement en dents de scie ou en balancier finit parrenvoyer une image finalement très éloignée des réalités sociales.

Pour moi, le désert politique s'exprime notamment à travers lesniveaux actuels de l'abstention dans les banlieues. Depuis 2007, oùétait né un espoir, un mouvement de participation politique, la chute aété continuelle. Sur ce sujet, Dormagen et Braconnier ont publié uneenquête sur la Cité des Cosmonautes dont la lecture est aussipassionnante que terrible : leur étude conclut en effet sur une distanceet une indifférence vis-à-vis de la démocratie où finalement la normeest de ne pas voter. Il y a là une inversion de la perception du systèmeélectoral et politique avec une conséquence très inquiétante :rationnellement, des partis peuvent se dire que s'intéresser auxquartiers, d'un point de vue cynique et purement électoral, ne rapporterien. Et c'est une lecture que je crains car elle aurait desconséquences politiques graves : sans pression électorale, il n'y a pasd'incitation pour les pouvoirs publics à mener de plan Marshall desbanlieues.

D. G. : Bien évidemment, être élu par un nombre trèsfaible de citoyens nous remet en cause. En 2007,pour mon premier mandat de député, j'ai été élu avec30% de moins de participation par rapport à laprésidentielle. Pendant la campagne, je me rappellemême, sentant un peu venir les choses, avoir été

obligé de faire un bandeau "on y retourne, ça vaut le coup".

Il y a là d'abord une question de représentation : il faut que lescitoyens puissent se sentir représentés par des personnes qui leurressemblent. Cela doit nous interroger sur la manière dont onconstitue nos listes, sur les modes de scrutins à adopter afin depermettre à la diversité de la société d'être représentée…On a unexemple très concret de ce problème de représentation avec lesconseillers territoriaux, dont la réforme du mode de scrutin envisagéepar le gouvernement va beaucoup peser sur la manière dont sontaujourd'hui élus les conseillers régionaux. J'ai un peu enquêté sur lesujet : un département comme le mien va par exemple être très

construction et le financementdes formes urbaines dedemainLancement des ateliers deréflexion "Ville intense" et"Ville habitée"Les deux groupes surl'éducation, "Savoirs etémancipation” et"Territoires" font ensemble lepoint sur l'avancée de leurstravaux respectifs et préparentleur rapport d'étapeLe groupe “Pour unenouvelle politique de santémentale” met au point latrame de son rapport d'étapeLe groupe "L'autreéconomie" finalise sonrapport d'étape.Le groupe “Réforme delʼEtat” complete ses travauxavec une audition sur “visionet finalités de lʼEtat”, avant declore ses travaux avec unrapport

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sujet : un département comme le mien va par exemple être trèsdésavantagé par le mode de scrutin. La répartition au sein des listess'organise en effet en fonction du nombre de voix apporté par chaquedépartement à la liste. Or, pour la Seine-Saint-Denis - où il y abeaucoup d'étrangers, beaucoup de jeunes et où l'on s'inscrit peu surles listes électorales - le nombre de conseillers régionaux tous partisconfondus issus du département est de 19 alors que son poidsdémographique par rapport à l'Ile de France devrait nous en donner27 ! Avec un tel mode de scrutin, nous souffrons d'un considérabledéficit d'élus originaires de Seine-Saint-Denis.

Ensuite, vous disiez que les faibles niveaux de participation pourraientavoir des conséquences néfastes. C'est malheureusement tout à faitexact. Je me souviens par exemple avoir entendu Alain Marleix, lesecrétaire d'Etat aux collectivités territoriales, suggérer de repenser lesfutures circonscriptions législatives en fonction du nombre d'électeursinscrits. Mais qui veut-on éliminer quand on parle en termes denombre d'électeurs inscrits ? D'abord les jeunes : dans des villescomme les miennes vous avez 30 à 35 % de la population qui a moinsde 20 ans, et beaucoup d'entre eux qui n'ont pas 18 ans. Ensuite, biensûr, les étrangers : c'est toute une partie de la population que l'onécarte et que l'on veut voir moins représentée et moins pesante. Dansce sens, la question du droit de vote des étrangers aux électionslocales me paraît déterminante. Que les étrangers, dans des villescomme les miennes, puissent choisir leur maire, décider où implanterles écoles ou comment se fait le ramassage scolaire me semble aussiun bon moyen de redonner, ce que vous recommandez dans La Loidu ghetto, du poids aux adultes dans les quartiers.

La Loi du ghetto peint en effet un tableau assez sombre del'évolution actuelle des banlieues, marquées par une dominationadolescente nihiliste et où la politique est vue comme un"spectacle ésotérique". Quels enseignements le Parti socialistepeut-il tirer de ce constat et quelle réflexion doit-il mener sur lesbanlieues ?

L. B. : Pour le PS, le discours sera forcémentcompliqué. On est en effet sur un dossierextrêmement complexe qui touche à de nombreusesproblématiques, de la crise sociale à l'immigration enpassant par l'éducation.

Prenons par exemple la question générationnelle : quand on connaît lasituation budgétaire et sociale de la société française, il est évidentqu'un grave conflit de génération se dresse devant nous. Or, lespremiers qui, demain, n'auront pas de retraite sont les jeunes desquartiers. Mécaniquement, c'est d'abord dans les banlieues que ceconflit prendra corps. Il faudrait alors être aveugle pour ne pas serendre compte que la situation va s'aggraver dans les vingt prochainesannées. Même constat sur la question de la crise sociale : aujourd'hui,un tiers des habitants de zones urbaines sensibles (et un peu moinsde 50 % des mineurs) vit sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, il me paraît indispensable de parler de la question del'immigration. Le PS doit aborder cette question en utilisant des termessimples et compréhensibles par tout le monde sous peine de resterinaudible sur la question des banlieues. Il est profondément inutile decontinuer à faire comme si elle n'existait pas car elle correspond auvécu qu'ont les habitants de leur quartier. Attention, mon propos neporte pas sur la régulation de l'immigration. Je dresse simplement leconstat que les quartiers les plus pauvres et les plus précarisés sontaujourd'hui les principales portes d'entrée de l'immigration en France.Des études sur la composition des quartiers ont notamment étémenées par Michèle Tribalat, qui s'est appuyée sur un indicateurimparfait mais révélateur qui est le nombre de jeunes entre 0 et 18ans dont un parent au moins est né à l'étranger. Pour certaines villescomme Clichy-sous-Bois ou Villiers-le-Bel, la proportion de jeunes dedeuxième génération est de près de 75 %. A l'échelle du quartier oude l'immeuble, on est donc parfois quasiment à 100 %. Il ne faut doncpas avoir peur de le dire : aujourd'hui, dans des quartiers ou dans despetites villes, on est confronté à des phénomènes de ghettoïsation

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petites villes, on est confronté à des phénomènes de ghettoïsationethnique.

Des quartiers comme celui de Grigny à la Grande Borne ou des villescomme Clichy-sous-Bois se retrouvent ainsi dans des situationsingérables. L'afflux de populations pauvres, fragilisées et issues del'immigration, fait que de toute façon ces communes n'y arriveront pas,et ce pour de multiples raisons : richesse fiscale très faible, questiondu droit de vote, question du lien social et des réseauxprofessionnels… Je ne propose pas de réponse mais si le Partisocialiste veut être crédible sur la question des quartiers, il fautnommer les choses telles qu'elles sont et aborder cette problématiquede l'immigration de manière frontale.

Mais l'action publique pour les banlieues touche aussi aux questionsde développement économique, d'éducation, de répartition dudéveloppement du territoire, de stratégies des classes moyennes etsupérieures. Tous ces facteurs cumulés font que le discours du PS surces sujets sera difficile et complexe. Mais il faudra être courageux, cequi signifie d'abord d'accepter de dire certaines choses indicibles.

D. G. : Personnellement, je crois que les ghettos seconstituent d'abord socialement. Cela n'empêche pasque nous sommes également confrontés aux réalitésque vous évoquez quant à l'origine ou la nationalitédes gens qui y résident. Sur le point de vue ethnique,il faut d'abord signaler que l'immigration n'est pas un

phénomène immuable. Aujourd'hui, les nouvelles vagues d'immigrationne viennent plus simplement de l'ancien empire colonial mais duPakistan, de Chine, etc, ce qui donne lieu à de nouvellesproblématiques que nous devons prendre en compte. La sociétéfrançaise est par exemple totalement à côté de la plaque au sujet desressortissants ou des descendants de personnes venues d'Afriquenoire. En Afrique, les enfants sont sous la protection de l'ensemble dela communauté, de telle sorte que n'importe quel adulte a l'autoritépour reprendre un enfant qui traverse mal la rue. Ce n'est pas le casici. Or, nous n'avons, par exemple, absolument pas réfléchi auxmoyens d'aider les parents à prendre en compte cette réalité.

Une autre question est celle des jeunes Français dont les parents etles grands parents sont français mais que l'on ne considère finalementjamais comme tels. Ils doivent en permanence justifier leur identité lorsdes contrôles de police, parfois jusqu'à quinze fois par jour. Vousparliez des jeunes dont au moins un des parents est étranger.Aujourd'hui, pour eux, la situation a beaucoup changé : ils ne sont plusconsidérés comme Français avant leurs 18 ans alors qu'auparavantnotre tradition du droit du sol faisait justement qu'un enfant né ici deparents étrangers était français jusqu'à sa majorité, âge auquel ilpouvait choisir sa nationalité. Aujourd'hui on a inversé la preuve. Et ilest compliqué de se sentir complètement Français quand on vousrefuse en permanence cette reconnaissance. Des travaux commeceux de Vincent Tiberj ont d'ailleurs montré que les comportementssociaux et politiques des Français dont au moins un des quatre grandsparents était étranger rejoignaient ceux de l'ensemble de la sociétéfrançaise. On a donc finalement à faire à des citoyens qui ne sont pasdifférents dans leurs comportements mais qui le sont dans le regardque l'on porte sur eux.

Il y a par ailleurs un discours sur les banlieues que personnellement jene supporte plus, celui qui dit que nos villes sont l'avenir de laRépublique et que "dans 20 ans, ça sera fantastique". Non, la Seine-Saint-Denis n'est pas l'avenir de la République, c'est son présent.C'est maintenant, en 2010, que l'on doit apporter des réponses à lamal-vie dans les quartiers, aux conditions de réussite, aux conditionsd'emploi, aux phénomènes discriminatoires, etc.

Dans 20 ans, si on nʼa pas réglé le problème, la France sera dans unesituation grave. Après les émeutes de 2005, on semblait, pour prendreune image forte, avoir pris conscience que si la vie s'arrêtait à Clichysous Bois, elle s'arrêtait aussi à La Défense. Finalement, cinq ansaprès, on a tout oublié : ces évènements ont eu très peu de

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après, on a tout oublié : ces évènements ont eu très peu deconséquences sur les politiques publiques, sur les moyens donnés àces quartiers, sur les perspectives d'avenir… Et je pense que lamajorité en place n'a absolument pas saisi ce qui s'était passé etl'urgence de la situation. Quand on parle d'urgence sociale, que ce soitdans votre travail de journaliste ou dans notre rôle d'élu, ce ne sontpas que des mots, ce n'est pas un simple slogan de campagne. C'estune vraie urgence sociale qui touche ces quartiers, qui touche lesgens qui y habitent et qui fait qu'aujourd'hui c'est l'ensemble de laFrance qui ne marche pas sur deux jambes.

Propos recueillis par Pierre Boisson

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