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HOLLYWOOD Article écrit par Francis BORDAT Prise de vue Depuis le milieu des années 1910, le nom de Hollywood est quasi synonyme de « cinéma américain ». Moins le cinéma des « auteurs » (à l'européenne) que celui de « l'usine à rêves », qui fournit à la planète entière ses divertissements les plus spectaculaires, les plus populaires et les plus rentables. Investie dès l'époque du muet par des artistes accourus du monde entier et des stars dont la vie fastueuse et parfois scandaleuse défraye la presse des potins, la « Mecque du cinéma » (Cendrars) est gérée en oligopole par ses « nababs », pour la plupart immigrants juifs d'Europe centrale. Le studio system qu'ils mettent progressivement en place après la Première Guerre mondiale fonctionne à plein régime dans les années 1930 et 1940, lorsque huit grandes compagnies (les « majors ») se partagent la production, la distribution et l'exploitation de quelque 500 films par an. Il périclite ensuite, victime des actions antitrusts de l'après-guerre et de la concurrence de la télévision. Mais depuis les années 1970, malgré l'inflation des coûts de production et la contestation idéologique de la génération du baby-boom, Hollywood est redevenu la capitale du cinéma mondial, où sont conçus, financés et le plus souvent réalisés les films à gros budget (La Guerre des étoiles, 1977, Titanic, 1998) ainsi que la majorité des fictions télévisuelles à vocation internationale. Avec l'entrée dans le XXI e siècle, l'environnement industriel et technologique de la côte du Pacifique semble plus que jamais propice aux grandes synergies qui conditionnent la réalisation et l'exploitation des images de demain. I-Les origines Le nom de Hollywood (« bois de houx ») est donné en 1886 par Daeida Wilcox au ranch acheté par son mari dans la vallée de Cahuenga, en Californie. Agent immobilier, Harvey Henderson Wilcox découpe sa vaste propriété en vingt-cinq blocs comprenant chacun de dix à vingt-quatre parcelles, et les revend avec profit. Le lotissement, délimité au nord par Franklin Avenue, au sud par Sunset Boulevard, à l'est par Gower Street et à l'Ouest par Whitley Avenue (le centre du Hollywood actuel), acquiert statut de ville en 1903, avec 700 habitants. Dix ans plus tard, il en compte plus de 7 000, et il est annexé par l'agglomération de Los Angeles. C'est alors qu'y arrivent les pionniers du cinéma américain. Contrairement à une légende tenace, ce ne sont pas les compagnies « indépendantes » de l'époque qui sont à l'origine de cette migration. Les membres du « trust » Edison, la Motion Picture Patents Company, tous originaires de la côte est et de Chicago, s'installent également en Californie au tournant des années 1910. David Wark Griffith y tourne pour la Biograph dès 1909, et c'est la même année que la compagnie Selig de Chicago s'établit à Los Angeles. Les compagnies Vitagraph et Lubin, elles aussi membres de la M.P.P.C., ouvrent des studios californiens en 1911 et 1912. Mais le premier studio à Hollywood proprement dit est construit en 1911 par David Horsley pour réaliser les westerns de la compagnie Nestor. Et c'est pour tourner Le Mari de l'Indienne, une production de la Jesse L. Lasky Feature Play Company, que Cecil B. DeMille y aménage en 1913 une grange désaffectée de Vine Street. Quand, un an plus tard, Griffith reconstitue les champs de bataille de la guerre de Sécession dans la campagne avoisinante pour La Naissance d'une nation (1915) avant d'ériger, au pied des collines, les décors monumentaux de la Babylone d'Intolérance (1916), on peut dire que l'essentiel de la production cinématographique américaine, tous statuts et tous genres confondus, se trouve désormais regroupé à Hollywood et dans ses environs. Il l'est toujours, près d'un siècle plus tard. Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch Les metteurs en scène Cecil B. DeMille (1881-1959) et Ernst Lubitsch (1892-1947).(John Kobal Foundation/Hulton Getty) Les raisons de ce succès sont nombreuses et diverses. Il y avait la qualité de l'ensoleillement, indispensable aux pellicules de l'époque, y compris pour les séquences d'intérieur. La diversité des paysages

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Lien inclus : Omar Sy à Hollywood le 6 avril 2013.

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Page 1: Hollywood

HOLLYWOOD

Article écrit par Francis BORDAT

Prise de vue

Depuis le milieu des années 1910, le nom de Hollywood est quasi synonyme de « cinéma américain ».Moins le cinéma des « auteurs » (à l'européenne) que celui de « l'usine à rêves », qui fournit à la planèteentière ses divertissements les plus spectaculaires, les plus populaires et les plus rentables. Investie dèsl'époque du muet par des artistes accourus du monde entier et des stars dont la vie fastueuse et parfoisscandaleuse défraye la presse des potins, la « Mecque du cinéma » (Cendrars) est gérée en oligopole par ses« nababs », pour la plupart immigrants juifs d'Europe centrale. Le studio system qu'ils mettentprogressivement en place après la Première Guerre mondiale fonctionne à plein régime dans les années1930 et 1940, lorsque huit grandes compagnies (les « majors ») se partagent la production, la distribution etl'exploitation de quelque 500 films par an. Il périclite ensuite, victime des actions antitrusts de l'après-guerreet de la concurrence de la télévision. Mais depuis les années 1970, malgré l'inflation des coûts de productionet la contestation idéologique de la génération du baby-boom, Hollywood est redevenu la capitale du cinémamondial, où sont conçus, financés et le plus souvent réalisés les films à gros budget (La Guerre des étoiles,1977, Titanic, 1998) ainsi que la majorité des fictions télévisuelles à vocation internationale. Avec l'entréedans le XXIe siècle, l'environnement industriel et technologique de la côte du Pacifique semble plus quejamais propice aux grandes synergies qui conditionnent la réalisation et l'exploitation des images de demain.

I-Les origines

Le nom de Hollywood (« bois de houx ») est donné en 1886 par Daeida Wilcox au ranch acheté par sonmari dans la vallée de Cahuenga, en Californie. Agent immobilier, Harvey Henderson Wilcox découpe savaste propriété en vingt-cinq blocs comprenant chacun de dix à vingt-quatre parcelles, et les revend avecprofit. Le lotissement, délimité au nord par Franklin Avenue, au sud par Sunset Boulevard, à l'est par GowerStreet et à l'Ouest par Whitley Avenue (le centre du Hollywood actuel), acquiert statut de ville en 1903, avec700 habitants. Dix ans plus tard, il en compte plus de 7 000, et il est annexé par l'agglomération de LosAngeles. C'est alors qu'y arrivent les pionniers du cinéma américain.

Contrairement à une légende tenace, ce ne sont pas les compagnies « indépendantes » de l'époque quisont à l'origine de cette migration. Les membres du « trust » Edison, la Motion Picture Patents Company, tousoriginaires de la côte est et de Chicago, s'installent également en Californie au tournant des années 1910.David Wark Griffith y tourne pour la Biograph dès 1909, et c'est la même année que la compagnie Selig deChicago s'établit à Los Angeles. Les compagnies Vitagraph et Lubin, elles aussi membres de la M.P.P.C.,ouvrent des studios californiens en 1911 et 1912. Mais le premier studio à Hollywood proprement dit estconstruit en 1911 par David Horsley pour réaliser les westerns de la compagnie Nestor. Et c'est pour tournerLe Mari de l'Indienne, une production de la Jesse L. Lasky Feature Play Company, que Cecil B. DeMille yaménage en 1913 une grange désaffectée de Vine Street. Quand, un an plus tard, Griffith reconstitue leschamps de bataille de la guerre de Sécession dans la campagne avoisinante pour La Naissance d'une nation(1915) avant d'ériger, au pied des collines, les décors monumentaux de la Babylone d'Intolérance (1916), onpeut dire que l'essentiel de la production cinématographique américaine, tous statuts et tous genresconfondus, se trouve désormais regroupé à Hollywood et dans ses environs. Il l'est toujours, près d'un siècleplus tard.

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

Les metteurs en scène Cecil B. DeMille (1881-1959) et Ernst Lubitsch (1892-1947).(John KobalFoundation/Hulton Getty)

Les raisons de ce succès sont nombreuses et diverses. Il y avait la qualité de l'ensoleillement, indispensable aux pellicules de l'époque, y compris pour les séquences d'intérieur. La diversité des paysages

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Lien vers Omar Sy à Hollywood actu. du 6 avrile 2013.
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– mer, montagne, forêts et déserts à une heure de route – permettait le tournage de n'importe quels« extérieurs », et les tribus indiennes vivant près de la côte fournissaient aux westerns d'utiles figurants. Lefait que, en l'absence de syndicats reconnus, les salaires journaliers de Los Angeles étaient deux foisinférieurs à ceux des grandes villes de l'Est, constituait lui aussi une forte incitation.

C'est en s'installant en Californie que le cinéma américain devient une véritable industrie, pourvoyeuserégulière de courts et longs-métrages aux quelque 10 000 nickelodeons (appellation populaire des salles deprojection) du début des années 1910. C'est aussi à cette époque que Thomas H. Ince, dans son studio deSanta Inez Canyon, met au point des méthodes d'écriture, de tournage et de montage qui préfigurent ladivision du travail et la réalisation des films « à la chaîne » dans le cadre du studio system. Au mêmemoment, Adolph Zukor, William Fox et Carl Laemmle, immigrants d'Europe centrale enrichis dansl'exploitation des salles, abordent la production en y développant le star system. À rebours de l'anonymat quiprévaut encore dans le cinéma de l'époque, ils font reposer l'économie du film sur des vedettes, tantôtplébiscitées par le public (Pearl White, héroïne des premiers serials, Charles Chaplin, qui réalise sestrente-cinq premiers Charlot aux studios Keystone de Mack Sennett dans la seule année 1914, ou MaryPickford, la « petite fiancée de l'Amérique »), tantôt imaginées et fabriquées de toutes pièces par les nababsavec le soutien des premiers fan magazines : ainsi Theda Bara, première vamp américaine, sortie toutharnachée, en 1914, du crâne de William Fox. Enfin, la Première Guerre mondiale, tout en donnant la pleinemesure de l'influence du nouveau média (réquisitionné dès 1917 par la propagande gouvernementale),anéantit les cinématographies concurrentes : l'Amérique, qui, jusqu'au début des années 1910, importaitencore en masse les productions européennes, réalise au début des années 1920 plus de la moitié des filmsprojetés dans le monde.

II-Un pôle d'attraction national et international

Au début des années folles, Hollywood est déjà un mythe que toute une littérature journalistique,supervisée par quelques reines du potin (Louella Parsons, plus tard Hedda Hopper) amplifie et colporte auxquatre coins du monde. Un rituel quasi religieux organise la sortie des films et le culte de leurs stars (GretaGarbo, Rudolph Valentino) au rythme des « premières » organisées au Grauman Chinese Theater (le débutde Chantons sous la pluie en propose une très amusante parodie). À partir de 1927, la cérémonie des oscars,où les 2 000 membres de l'Academy of Motion Picture Arts and Science décernent les vingt-trois statuettesdessinées par Cedric Gibbons (directeur artistique de la M.G.M.), devient l'événement-phare du calendrierhollywoodien. Ultime expression du rêve américain, la consommation ostentatoire des rich and famous, leluxe des demeures construites à Beverly Hills (comme le célèbre « Pickfair » de Douglas Fairbanks et MaryPickford), la liberté, les plaisirs et les scandales de « Tinseltown » fascinent des générations d'adolescentsqui rêvent de trouver gloire et fortune en Californie. Peu réalisent ce rêve, que les films sur Hollywood, quirelèvent presque d'un genre à part entière dès l'époque du muet, contribuent à promouvoir, même lorsqu'ilsprétendent en dénoncer l'illusion (Show People de King Vidor, 1927, ou A Star is Born de George Cukor,1954).

Le Fils du cheik

Une photo de l'acteur italo-américain Rudolph Valentino (1895-1926) à l'occasion de son dernierrôle, dans Le Fils du cheik, une fantaisie exotique de George Fitzmaurice (1926).(Hulton Getty)

En revanche, les studios californiens attirent effectivement des artistes du monde entier, dont un certainnombre d'acteurs (Pola Negri, Greta Garbo, plus tard Marlene Dietrich ou Maurice Chevalier), mais surtoutdes réalisateurs de premier plan (le Français Maurice Tourneur, le Suédois Victor Sjöström, l'Allemand ErnstLubitsch, le Hongrois Michael Curtiz) et beaucoup d'autres professionnels de l'image, du décor ou descostumes. Comment ces artistes n'auraient-ils pas été séduits par les moyens et le prestige offerts par lesstudios ? Dès les années 1910, Hollywood a ainsi bénéficié de l'apport permanent de talents étrangers. Il estmême permis de penser que la créativité toujours renouvelée du cinéma américain au long de son histoiredoit beaucoup à cette dialectique féconde entre la culture proprement américaine d'une moitié du personnel(pour s'en tenir aux réalisateurs : Griffith, DeMille, Walsh, Vidor ou Hawks) et celle, souvent moinsconsensuelle, plus volontiers critique ou ironique, des « étrangers au Paradis » (Chaplin, Stroheim, Lang,Wilder ou Hitchcock).

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C'est aussi au cours des années 1920 que les structures de l'industrie trouvent leur maturité : face à unvivier persistant de petites compagnies « indépendantes », une demi-douzaine de gros « studios »verticalement intégrés (c'est-à-dire réunissant des activités de production, de distribution et d'exploitation),également appelés « majors », dominent le marché et se protègent de la concurrence en s'organisant enmonopole. Ces majors se regroupent en 1922 dans la Motion Picture Producers and Distributors of America(M.P.P.D.A., devenue aujourd'hui M.P.A.A.). William Hays est placé à la tête de cet organisme, dontl'importance ne cessera de croître. Il lui est notamment confié la lourde tâche de stopper le développementdes censures locales ou d'État (de plus en plus nombreuses et virulentes au début des années 1920) enmettant sur pied un code interne d'autocensure – qui trouvera sa forme définitive en 1930.

Dans l'« usine à rêves » des années 1920, les artistes du muet conservent une marge importante deliberté, soit qu'ils parviennent, grâce aux fortunes qu'ils amassent, à produire eux-mêmes leurs films(Douglas Fairbanks, Gloria Swanson, Charles Chaplin), soit que les compagnies qui les ont engagés acceptentd'investir les sommes parfois énormes nécessaires à leurs projets (Erich von Stroheim pour un temps, CecilB. DeMille, F. W. Murnau). Et si l'on a pu reprocher aux majors des années 1920 d'avoir surtout géré lecommerce des picture palaces (les gigantesques et somptueux cinémas construits aux États-Unis après laPremière Guerre mondiale), on ne saurait dire que les 800 longs-métrages réalisés chaque année àHollywood entre 1920 et 1927 (le chiffre tombe à 500 à l'arrivée du parlant) se contentent de répéter desformules éprouvées, même si l'adaptation des textes littéraires demeure la première source des scénarios.Avec le recul, on est au contraire impressionné par la quantité d'œuvres qui se distinguent du tout-venant.Avec Mack Sennett, Charles Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd, Harry Langdon et Laurel et Hardy, lesburlesques à eux seuls ont produit en dix ans un nombre stupéfiant de chefs-d'œuvre. Mais le mélodrame,avec David Wark Griffith et Frank Borzage, la comédie sophistiquée, avec Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch,le western, avec John Ford et James Cruze, ou le film fantastique, avec Wallace Worsley et Tod Browning,comptent eux aussi beaucoup de « classiques » du septième art, bien servis au demeurant par des acteursinoubliables : Lillian Gish, Lon Chaney, Gloria Swanson, Clara Bow ou William S. Hart.

Harold Lloyd

Harold Lloyd dans Monte là-dessus (Safety Last, 1923 ), film muet de Fred Newmeyer.(HultonGetty)

Frank Borzage

Le réalisateur Frank Borzage dirige Joan Crawford et Alan Curtis dans une scène de Mannequin(1938).(Hulton Getty)

III-L'avènement du parlant et l'apogée du « classicisme »hollywoodien

Produit par les frères Warner, Le Chanteur de jazz déclenche en 1927 la révolution du parlant. En l'espace de deux ans, les studios sont reconstruits et les salles équipées pour les talkies. Mais les dépenses considérables que l'industrie doit engager, aggravées peu après par les effets de la Dépression, conduisent à de profondes restructurations, dont l'effet principal est le renforcement du studio system. Tout au long des années 1930 et 1940, huit studios dominent sans partage la dream factory : les « Big Five », propriétaires de salles (Paramount, M.G.M., Warner Bros., 20th Century Fox et R.K.O.), et les « Little Three », seulement producteurs et/ou distributeurs (Universal, Columbia et United Artists). Les petits studios de « Poverty Row » complètent la production des séries B pour les « doubles programmes », qui se généralisent dans les cinémas des années de la Dépression. La production des films « à la chaîne », selon des règles très strictes de division du travail, tend elle aussi à se consolider, amenant un pouvoir accru des executive producers : Irving Thalberg, Louis B. Mayer et Dore Schary à M.G.M., B. P. Schulberg et Barney Balaban à Paramount, Hal B. Wallis et Jack Warner à Warner Bros., Darryl F. Zanuck à 20th Century-Fox, David O. Selznick à R.K.O., Cliff Work à Universal, Harry Cohn à Columbia et Samuel Goldwyn à United Artists. Sans décider de la politique générale des compagnies (définie par les présidents new-yorkais avec l'aval de Wall Street), ces derniers font la pluie et le beau temps dans les studios californiens. Tout le personnel important, scénaristes, réalisateurs et acteurs compris, est salarié, et lié à son employeur par des contrats (de sept ans pour les acteurs) qui

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réduisent beaucoup sa liberté – y compris celle pour une star de choisir ses rôles (Bette Davis, parmid'autres, contestera cet état de fait).

David O. Selznick

Figure mythique de Hollywood, David O. Selznick (1902-1965) est l'archétype du producteuraméricain qui dirige ses films à l'image d'une entreprise, contrôlant toutes les étapes de laréalisation, du début à la fin, imposant sa griffe à l'histoire. À bien des titres, on peut leconsidérer comme le père effectif de plusieurs de ses productions, …(Alfred Eisenstaedt/ TimeLife Pictures/ Getty)

Innombrables et bien connus sont les griefs des artistes à l'égard de ce système. Mais ses avantagesméritent aussi d'être signalés, en particulier la possibilité pour un réalisateur, un acteur, un directeurartistique ou un compositeur de travailler presque sans interruption et de perfectionner son art comme il nepouvait le faire nulle part ailleurs. De plus, malgré le souci de chaque studio de marquer sa différence endéveloppant un style identifiable et de ménager une place, aux marges du système, à un petit pourcentagede productions moins surveillées, sinon expérimentales, la nouvelle économie hollywoodienne favorise uneécriture « classique » qui s'impose progressivement comme norme. Outre le respect des bienséances(condition du « sceau d'approbation » de la M.P.P.D.A. délivré par la Production Code Administration – P.C.A.),elle requiert la séparation des genres, la chronologie du récit, la discrétion du style – qui, même s'il estspectaculaire, ne doit jamais attirer l'attention sur lui-même – et la focalisation du scénario sur les aventuresd'un héros, une star à laquelle le spectateur est incité à s'identifier. Les péripéties et les dilemmes auxquelsle héros doit faire face sont normalement, quoique non systématiquement, résolus par un happy ending.Cette écriture et l'idéologie qui la sous-tend atteignent leur apogée à la fin des années 1930. Toutefois, un anaprès la sortie d'Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939), Citizen Kane (Orson Welles, 1940) enremet déjà tous les principes en question – ne serait-ce que par sa déconcertante construction en flash-back.Ce chef-d'œuvre, un des très rares films hollywoodiens dont le réalisateur ait bénéficié du montage final(final cut), strictement réservé aux patrons des studios, n'en puise pas moins largement à la traditionhollywoodienne. Il en propose même une sorte d'inventaire jubilatoire. À cet égard, il s'agit bien d'un filmpivot, qui résume le passé et annonce l'avenir.

Malgré la répétition des formules, favorisée par le système des genres et la soumission étroite auxmodes qu'encourage le box-office, c'est l'extraordinaire diversité de la production classique qui s'impose àl'observateur. Toute généralisation sur le « cinéma classique hollywoodien » risque de ce fait d'être abusive.C'est donc avec prudence qu'on dira que les années 1930 ont vu le double essor d'un cinéma « social »,mobilisé par les dures réalités de la Dépression et par la politique volontariste de l'administration Roosevelt,et d'un cinéma « d'évasion », qui délaisse le réel au profit du rêve, de la fantaisie et de l'exotisme, et auquelle développement de la couleur, dans la deuxième moitié de la décennie, vient conférer un supplémentd'impact (Les Aventures de Robin des Bois, William Keighley et Michael Curtiz, 1938, Le Magicien d'Oz, VictorFleming, 1939). L'opposition entre ces deux tendances traverse les genres favoris de l'époque, et souvent lesœuvres elles-mêmes : les films de gangsters, satires cyniques du désordre ambiant, mais refuges inattendusdes valeurs de l'American way of life (Scarface, Howard Hawks, 1932) ; les comédies musicales, qui rivalisentde luxe et d'érotisme, mais refusent d'oublier les misères quotidiennes de la Crise (Gold Diggers of 1933,Mervyn Le Roy, 1933) ; les comédies loufoques, qui idéalisent la réunion des classes dans le meilleur desmondes possibles, mais posent un regard lucide et généreux sur les souffrances et les injustices de leurtemps (L'Extravagant Monsieur Deeds, Frank Capra, 1936). On en dirait autant, dans les années 1940, descomédies musicales (Le Chant du Missouri, Vicente Minnelli, 1944), des westerns (Le Massacre de FortApache, John Ford, 1948), des films fantastiques (La Féline, Jacques Tourneur, 1942) ou des films noirs(Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944), qui reflètent d'autant plus profondément leur époque qu'ilss'emploient en apparence à y échapper. Paradoxalement, c'est peut-être le cinéma de propagande et ledocumentaire de guerre qui, commandés à Hollywood par le gouvernement américain, ont alors proposé lesimages les moins « réalistes » du monde (Mission to Moscow, Michael Curtiz, 1943).

Le Magicien d'Oz

Dorothy Gale (Judy Garland) et le bonhomme de fer-blanc (Jack Haley) dans Le Magicien d'Oz deVictor Fleming (1939), d'après un conte populaire de Frank L. Baum.(Getty)

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L'Extravagant M. Deeds, de Frank Capra

Gary Cooper et Jean Arthur dans Mr. Deeds Goes to Town (L'Extravagant M. Deeds, 1936), deFrank Capra.(Columbia Pictures Corporation/ Collection privée)

IV-Le déclin du « studio system »

Le studio system dépendait du contrôle de l'exploitation qui, seul, pouvait assurer l'écoulement régulierd'une production de masse, planifiée à long terme selon les genres, les budgets et les stars. En contraignantles studios, au nom de la loi antitrusts, à vendre leur parc de salles, la Cour suprême signe en 1948 l'arrêt demort de ce « système », au moment où l'avènement de la télévision et l'exode des classes moyennes versles banlieues commence à affecter sérieusement la fréquentation. Les conséquences sont immédiates : lesstudios diminuent leur production (elle tombe à 250 films par an dès le milieu des années 1950) et réduisentdes trois quarts leur personnel sous contrat : en quelques années, ils abandonnent non seulementl'exploitation, mais aussi l'essentiel de la production à des compagnies indépendantes, pour concentrer leuractivité sur le secteur plus sûrement rentable de la distribution. Les films sont désormais produits au couppar coup, le plus souvent hors du studio, et couramment hors des États-Unis, à destination d'un public plusdivers, plus jeune et surtout plus rare : il y avait 80 millions de spectateurs hebdomadaires en 1946 ; on n'encompte déjà plus que 50 millions dix ans plus tard. Pour résister à la concurrence du petit écran (dont ellesdeviennent toutefois le principal fournisseur en réalisant téléfilms, séries et feuilletons pour les networks), lesmajors développent, en même temps que les budgets de leurs plus gros films, de nouvelles technologiesspectaculaires : le technicolor se généralise et l'écran large s'impose. Avec des succès artistiques etfinanciers contrastés, la décennie est ainsi jalonnée par la sortie de superproductions : des péplums (Les DixCommandements, Cecil B. DeMille 1956, Ben-Hur, William Wyler, 1959), mais aussi des films de guerre (LePont de la rivière Kwaï, David Lean, 1957) et des films d'aventure (Le Tour du monde en 80 jours, MichaelAnderson, 1956).

Soucieux de conquérir et de fidéliser un nouveau public, les responsables des studios laissent par ailleursdavantage d'initiative à des « auteurs » à forte personnalité (Elia Kazan, Joseph L. Mankiewicz, Nicholas Ray,Arthur Penn, Billy Wilder, Stanley Kubrick) qui imposent des scénarios exigeants et des styles originaux.Parallèlement, le Code d'autocensure s'assouplit. Il s'accommode de hardiesses thématiques, et notammentd'un érotisme inédit qu'incarne une nouvelle génération de stars (Marilyn Monroe, Kim Novak, James Dean,Marlon Brando). Mais la « chasse aux sorcières » que la Commission des activités antiaméricaines (H.U.A.C.)déclenche contre Hollywood en 1947 et que les patrons des studios acceptent lâchement est désastreusepour beaucoup d'artistes qui se voient interdits de travail par les « listes noires », et installe à Hollywood unclimat délétère. Elle n'est pas sans conséquences sur les films eux-mêmes : elle étouffe le courant « social »en plein essor après la guerre (Les Plus Belles Années de notre vie, William Wyler, 1946) et, dans le contextede la Guerre froide, ranime dans divers genres (espionnage, science-fiction) l'esprit de propagande. Elleencourage aussi, pour le meilleur parfois, pour le moins bon souvent, des œuvres plus « littéraires » et plus« psychologiques », un peu lourdement symboliques ou métaphoriques. Fréquemment interprétées par lesjeunes acteurs de l'Actors Studio (Paul Newman, Shelley Winters), elles réveillent et exacerbent lescontradictions idéologiques de « l'ère Eisenhower » – non sans en dénoncer parfois avec couragel'intolérance et la médiocrité (On murmure dans la ville, Joseph L. Mankiewicz, 1952).

Grand spectacle et cinéma d'auteur se conjuguent pourtant avec bonheur dans au moins trois genres quibrillent, en cette décennie, d'un éclat particulier : la comédie musicale qui, grâce à la survie de « l'unitéFreed » à la M.G.M., produit ses plus beaux joyaux (Singin' in the Rain, Stanley Donen et Gene Kelly, 1952) ;le western, qui, avec John Ford, Howard Hawks, Anthony Mann ou Delmer Daves, redécouvre avec la couleuret l'écran large les paysages américains et « problématise », souvent avec finesse, la vision traditionnelledes épopées de l'Ouest (La Prisonnière du désert, John Ford, 1956) ; le mélodrame, enfin, qui, avec DouglasSirk, livre alors ses plus « flamboyants » et ses moins complaisants chefs-d'œuvre (Tout ce que le cielpermet, 1956).

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Gene Kelly

À Hollywood, en 1965, Gene Kelly (1912-1996), danseur et chorégraphe, réalise Hello Dolly avec,dans les principaux rôles, Barbra Streisand et Walter Matthau.(Ernst Haas Courtesy of HultonGetty)

Le déclin de Hollywood se confirme au cours des années 1960. Les studios mettent en vente leurs tropgrands terrains, et jusqu'aux costumes de leurs stars. Plusieurs sont absorbés par des conglomérats sansrapport avec le cinéma (Paramount est ainsi racheté par Gulf and Western Industries), avec des effets plutôtnégatifs sur la politique de production : le rachat de United Artists par Transamerica entrave lefonctionnement du studio dans les années 1970, avant que la catastrophe financière de La Porte du paradis(Michael Cimino, 1980) ne mette fin à son existence. L'essentiel du pouvoir de décision passe alors auxmains des imprésarios qui gèrent la carrière des stars (ainsi Michael Ovitz à Creative Artists Agency), cesdernières s'impliquant par ailleurs plus souvent dans la production de leurs « véhicules ». Les filmseuropéens, portés par une liberté de ton encore contenue en Amérique par le Code d'autocensure (le « CodeHays », qui ne sera abrogé qu'en 1968), jouissent d'un succès sans précédent. La Nouvelle Vague françaiseremet profondément en question l'idéologie et les méthodes hollywoodiennes. Mais même en termesd'efficacité commerciale, les James Bond anglais et les westerns italiens dament alors le pion auxblockbusters hollywoodiens (films à gros budget visant le plus large public national et international).Quelques films magnifiques de grands réalisateurs, souvent incarnés par des stars vieillissantes (JohnWayne, Clark Gable, James Stewart), ne suffisent pas à redorer le prestige ni surtout à renflouer les caissesdes studios : ni L'Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1961), ni Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963),ni même Spartacus (Stanley Kubrick, 1960) ne compensent le désastre financier de Cléopâtre (JosephL. Mankiewicz, 1963). Car les gros budgets ne garantissent plus le succès. Si La Mélodie du bonheur deRobert Wise, en 1965, arrive en tête du box-office, la fin de la décennie voit s'accumuler des échecscuisants : Hello Dolly, Darling Lili et Tora ! Tora ! Tora ! amènent la 20th Century-Fox au bord de la faillite.Les signes d'un renouveau possible apparaissent cependant grâce à quelques réalisateurs de la générationdite « de la télévision » : Sidney Lumet, Sam Peckinpah, Sydney Pollack, Arthur Penn. Ce dernier enparticulier signe, avec Bonnie and Clyde (1967), une œuvre qui marque un tournant dans l'histoire deHollywood, par sa forme très libre inspirée de Godard et de Truffaut, par sa violence « graphique » (Pennlance la mode du filmage au ralenti), et par sa contestation affichée de l'idéologie dominante, qui annonce lacontre-culture de la fin de la décennie. La fréquentation ne cesse pas pour autant de s'effondrer : elleconnaîtra son plus bas niveau en 1971 avec 17 millions de spectateurs hebdomadaires. L'Amérique produitalors moins de cent cinquante films par an, et on parle en Europe de la mort de Hollywood.

V-La « Renaissance hollywoodienne »

Le remplacement, en 1968, du Code d'autocensure par le système de classification par âge, encore en place aujourd'hui, va contribuer au redémarrage de la production. Mais c'est surtout la récupération par Hollywood de la contre-culture des années 1960 et du « cinéma-bis » de « Poverty Row » (notamment les exploitation movies de Roger Corman, spécialisés dans la violence et l'érotisme) qui permet de redresser la barre. Conformément à la dialectique qui dynamise depuis ses origines le cinéma américain, les majors renaissent de leurs cendres en commercialisant les trouvailles des indépendants : après le succès imprévu d'Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), un road movie réalisé avec très peu de moyens et violemment satirique à l'égard des comportements et des valeurs de l'Amérique profonde, les studios ouvrent la porte à des œuvres anticonformistes, voire franchement contestataires qui, dans le contexte traumatisant de la guerre du Vietnam et du Watergate, s'emploient à décrire, plutôt que le rêve, le cauchemar américain, et vont jusqu'à « réviser » les grands mythes fondateurs de la nation (Little Big Man, Arthur Penn, 1971). Grâce à cette veine, quelques cinéastes des années 1960 renouvellent puissamment leur inspiration (Sydney Pollack, Sidney Lumet, Alan J. Pakula, Sam Peckinpah, Arthur Penn, Hal Ashby). Ils sont rejoints, derrière Francis Ford Coppola, par un nouveau groupe de jeunes réalisateurs fraîchement sortis des écoles de cinéma (Martin Scorsese, George Lucas, William Friedkin, Steven Spielberg, Michael Cimino, Brian De Palma), et épaulés par une nouvelle génération de stars, essentiellement masculines (Jack Nicholson, Dustin Hoffman, Robert De Niro, Al Pacino). Ce courant artistiquement très riche, même si on peut trouver quelque complaisance et une certaine paranoïa dans l'image extrêmement négative qu'il projette de l'Amérique (Les Trois Jours du Condor, Sydney Pollack, 1975), est supplanté au milieu de la décennie par le redémarrage du grand spectacle : dans

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le sillage des films-catastrophes qui remportent alors un énorme succès (Airport, George Seaton, 1970,L'Aventure du Poséidon, Ronald Neame, 1972), William Friedkin (L'Exorciste, 1973) et surtout StevenSpielberg (Les Dents de la mer, 1975) ramènent massivement les spectateurs dans les multisallesrécemment construites dans les centres commerciaux suburbains. La fréquentation remonte à 20 millions despectateurs hebdomadaires – où elle se stabilise jusqu'aux années 1990.

Easy Rider, de Dennis Hopper

Easy Rider (1969), une nouvelle traversée des États-Unis et un tournant dans l'histoire du cinémaaméricain. Ici, Dennis Hopper (à gauche) et Peter Fonda.(Coll. Tout le cinéma/ D.R.)

La deuxième moitié de la décennie voit ainsi renaître et s'amplifier le phénomène des blockbusters, dansle domaine de la science-fiction d'abord (La Guerre des étoiles, George Lucas, 1977), mais aussi dans celuidu film criminel (les deux Parrain, Francis Ford Coppola, 1972 et 1974), de la comédie musicale (Grease,Randal Kleiser, 1978) et du film de guerre (Voyage au bout de l'enfer, Michael Cimino, 1978). Parallèlement,le ciblage systématique des teenagers, la distribution saturante – qui rompt définitivement avec l'ancienneopposition entre exclusivité et exploitation générale, les films importants sortant maintenant simultanémentdans des milliers de salles – et, à partir de Superman (Richard Donner, 1978), l'attention systématique portéeà la réalisation et à la commercialisation des produits dérivés renouvellent en profondeur l'économiehollywoodienne. Au début de l'ère Reagan, on a affaire à un grand cinéma de divertissement, plus sûr delui-même que jamais et qui, derrière Spielberg (DreamWorks) et Disney (Buena Vista), accompagnel'euphorie économique et idéologique des années 1980.

Les gros profits sont de retour, chaque année étant marquée par de nouveaux records. Au box-office detous les temps (calculé en mars 1999), Titanic (James Cameron, 1998) est déjà en tête de liste, suivi par LaGuerre des étoiles (1977), E.T. (Steven Spielberg, 1982) et Jurassic Park (Id., 1993). Certes, sur dixsuperproductions hollywoodiennes, trois seulement réalisent des bénéfices. Mais l'exploitation vidéo et lesrevenus du câble et des networks (aujourd'hui la moitié du revenu national) ainsi que les recettes des sallesétrangères (qui égalent désormais celles des cinémas américains) donnent à ces gains des proportions sansprécédent, qui compensent les pertes de tous les autres films. Cette évolution n'est pourtant pas sans poserde sérieuses questions pour l'avenir. La dépendance croissante à l'égard des marchés étrangers a desrépercussions sensibles sur les scénarios et sur les styles. Les majors sont plus soucieuses de respecter le« plus grand commun dénominateur » intellectuel et culturel, tant du côté du « politiquement correct » quedu recours aux valeurs sûres de la violence et des effets spéciaux. Ainsi est apparu, depuis vingt ans, commeproduit hollywoodien type, un cinéma qu'il est de plus en plus difficile de nommer « américain ».Charles-Albert Michalet l'appelle « cinéma-monde ». La multiplication des remakes et des suites est aussi unsymptôme du conservatisme qu'encourage le gigantisme, et il est significatif que la réalisation de ces filmssoit souvent confiée à des réalisateurs peu connus, auxquels on demande surtout de piloter sans heurts niimprévus les énormes machines mises entre leurs mains. Au dire de ces cinéastes eux-mêmes, l'art y trouvedifficilement son compte. Enfin, malgré l'augmentation des revenus, l'inflation des budgets prend un tourpréoccupant. Le coût moyen a plus que doublé en dix ans (60 millions de dollars par film, auxquels il fautajouter une trentaine de millions de publicité). L'augmentation des cachets des stars les plus populaires (en1999 : Tom Cruise, Harrison Ford, Mel Gibson, Tom Hanks et Brad Pitt) n'est qu'une cause parmi d'autres decette dérive, qui peut à terme déboucher sur une crise grave : face à une conjoncture qui paraît de plus enplus incertaine, Steven Spielberg lui-même a renoncé, en 1999, au projet de construction d'un nouveaustudio à Playa Vista pour sa compagnie DreamWorks.

VI-Le défi des nouvelles technologies

L'avenir artistique et peut-être, à terme, économique, de Hollywood dépendra de la façon dont les nouvelles technologies de la communication parviendront à compenser, plutôt qu'accélérer, les tendances actuelles. Le « décollage » de la télévision par câble et du magnétoscope dans les années 1980 a suscité, tout comme l'essor de la télévision après la guerre, des inquiétudes à Hollywood, mais la multiplication des médias, et notamment le boom de la vidéo, avec 40 000 magasins de vente et de location aux États-Unis, s'avère pour les studios une source extraordinaire de nouveaux profits. L'exploitation en salles, que certains jugeaient condamnée au début des années 1980, a été stimulée par des améliorations considérables de

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l'image et surtout du son, et n'a finalement pas souffert de la concurrence de ce nouveau mode de diffusion.Elle en assure d'ailleurs la promotion : si beaucoup de films bon marché – l'équivalent des séries B de jadis –ne sortent plus en salle et sont directement distribués en vidéo, la sortie cinéma reste la vitrineindispensable de toute œuvre qui ambitionne une diffusion nationale, a fortiori internationale.

L'essor des nouveaux médias (chaînes à péage du câble et du satellite, magnétoscope, vidéo-disque,CD-ROM et DVD, en attendant la haute définition et la généralisation du transport des films sur Internet)semblait ouvrir, dès le milieu des années 1980, des possibilités inédites à une production indépendantediversifiée, désormais capable d'avoir accès à des sources de financement nombreuses sans l'assistance desmajors distributrices. Yoram Globus, des défuntes productions Cannon, assurait alors que n'importe quel filmau budget modeste devait, sauf incompétence flagrante de ses producteurs, trouver sa rentabilité. Créé en1978 par Robert Redford en marge de Hollywood, le festival de Sundance confirmait cet espoir, contribuantdu même coup à la découverte de nouveaux talents (Steven Soderbergh, Quentin Tarantino ou les frèresHughes). Cette créativité est pourtant menacée depuis la fin des années 1980 par le mouvement deconcentration économique qui accompagne la politique des blockbusters. L'explosion des nouveaux médias aen effet été suivie de leur prise de contrôle par les géants de l'industrie des loisirs qui espèrent en tirer denouvelles synergies. Six compagnies contrôlent aujourd'hui, outre la totalité des grands studioshollywoodiens, l'essentiel de la production et de la diffusion éditoriale et audiovisuelle aux États-Unis : TimeInc. (Warner), Disney, Sony (Columbia Tristar), Seagram (Universal), Viacom (Paramount) et News Corp.(20th Century-Fox).

Cet oligopole a repoussé la production indépendante dans des « niches » où elle est étroitementsurveillée et facilement récupérée mais où elle peine de plus en plus à survivre. Une situation qui affectedéjà l'évolution du jeune cinéma américain, sensiblement plus commercial et convenu qu'à la fin des années1980. Le risque est grand pour les majors de tuer ainsi la poule aux œufs d'or, à savoir le laboratoirepermanent de recherche et d'innovation que constitue depuis toujours la production indépendante. Il esttoutefois permis d'espérer que le développement de technologies sans cesse plus performantes et plusaccessibles pourra, sinon renverser, du moins limiter l'évolution en cours, et conserver au cinémahollywoodien la diversité et la vitalité qui le font aimer aujourd'hui encore. Reste que l'avenir du cinémaaméricain, sinon du cinéma tout court, continue plus que jamais à se jouer à Hollywood. Centre incontesté dedécision et de fabrication, son leadership se voit encore renforcé par la proximité des lieux de recherche depointe dans le domaine de l'informatique et des technologies de l'image et du son : l'Industrial Light andMagic de George Lucas près de San Francisco, U.C.L.A. à Los Angeles, Microsoft à Seattle, ou les nombreusessociétés spécialisées de jeux vidéo et d'images de synthèse de la Silicon Valley qui font parfois donner aunouvel Hollywood le nom de « Siliwood ».

Francis BORDAT

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