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Ho:ffimagë rendu.à'J~n':'Claudè' Naude 'lors' dè' ses obsèqueS . . .. . . . Lettre à mon plus fidèle ami par Yves Legrand Mon cher Jean Claude, mes amis, "On ne se méfie jamais assez des mots" C'est ce qu'a écrit Céline, ton auteur préféré, dans son Voyage au bout de la nuit. Aussi vais-je rester sur mes gardes. Qui d'entre nous ne s'est jamais plaint d'un genou qui craque, d'une vertèbre qui s'égare ou du mauvais temps qui perdure? C'est si habituel dans notre langage quotidien que l'on n'y fait plus guère attention. Il y en a même parmi nous, je suis de ceux-là, qui aiment à philosopher longuement sur l'impuissance humaine à juguler le torrent destructeur du temps. Et dans ce cas précis, nous ne manquons pas de mots pour alimenter nos jérémiades. Mais lorsque avec une soudaineté impitoyable, la Camarde ainsi que la nommait Brassens, nous prive d'un compagnon aimant et attentif, d'un ami fidèle et attentionné, d'un homme exigeant dans ses formes de pensées, d'un artiste inspiré et protéiforme, pétri d'humour et fin connaisseur des plaisirs de la vie ... Tout bascule. Les uns hurlent leur douleur, crient à l'injustice, accusent autrui des circonstances fatales qui ont précipité les choses ... avec de pauvres arguments vite noyés sous un flot de larmes. D'autres ne disent rien. Un grand vide s'est fait en eux, asséchant leur esprit, bloquant leur parole. Seul le coeur leur dicte la conduite à tenir. Le mien a ouvert en grand les portes de ma mémoire et m'a conseillé de parler, de parler de toi. Avec ta modestie coutumière, mon cher Jean Claude, je suis prêt à parier que tu ne te reconnais pas dans ce compagnon, cet ami ou cet homme si riche de qualités. Il m'appartient donc de t1en apporter quelques preuves. Une simple plongée dans le coffre bien rempli de mes anciennes émotions, suffira à faire réapparaître ces épisodes marquants qui ont celés notre amitié. Te souviens-tu d'un poème que je t'avais dédié, comme tant d'autres écrits censés agrémenter tes anniversaires? Oui je le pense car cela te permettait parfois de minorer mes prétentions de scribouillard. Il y était question d'un roi peu ordinaire. En voici un extrait. Il est des Rois sans équipage, De bien plus nobles que sang bleu, Qui façonnent de belles pages, Mais dont l'Histoire se soucie peu.

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  • Ho:ffimagë rendu.à'J~n':'Claudè' Naude 'lors' dè' ses obsèqueS .. .. .. .

    Lettre à mon plus fidèle amipar Yves Legrand

    Mon cher Jean Claude, mes amis,

    "On ne se méfie jamais assez des mots"C'est ce qu'a écrit Céline, ton auteur préféré, dans son Voyage au boutde la nuit.Aussi vais-je rester sur mes gardes.

    Qui d'entre nous ne s'est jamais plaint d'un genou qui craque, d'unevertèbre qui s'égare ou du mauvais temps qui perdure?C'est si habituel dans notre langage quotidien que l'on n'y fait plus guèreattention.

    Il y en a même parmi nous, je suis de ceux-là, qui aiment à philosopherlonguement sur l'impuissance humaine à juguler le torrent destructeur dutemps. Et dans ce cas précis, nous ne manquons pas de mots pouralimenter nos jérémiades.Mais lorsque avec une soudaineté impitoyable, la Camarde ainsi que lanommait Brassens, nous prive d'un compagnon aimant et attentif, d'unami fidèle et attentionné, d'un homme exigeant dans ses formes depensées, d'un artiste inspiré et protéiforme, pétri d'humour et finconnaisseur des plaisirs de la vie ...Tout bascule.Les uns hurlent leur douleur, crient à l'injustice, accusent autrui descirconstances fatales qui ont précipité les choses ... avec de pauvresarguments vite noyés sous un flot de larmes. D'autres ne disent rien. Ungrand vide s'est fait en eux, asséchant leur esprit, bloquant leur parole.Seul le cœur leur dicte la conduite à tenir. Le mien a ouvert en grand lesportes de ma mémoire et m'a conseillé de parler, de parler de toi.

    Avec ta modestie coutumière, mon cher Jean Claude, je suis prêt àparier que tu ne te reconnais pas dans ce compagnon, cet ami ou cethomme si riche de qualités. Il m'appartient donc de t1enapporterquelques preuves. Une simple plongée dans le coffre bien rempli de mesanciennes émotions, suffira à faire réapparaître ces épisodes marquantsqui ont celés notre amitié.

    Te souviens-tu d'un poème que je t'avais dédié, comme tant d'autresécrits censés agrémenter tes anniversaires? Oui je le pense car cela tepermettait parfois de minorer mes prétentions de scribouillard.Il y était question d'un roi peu ordinaire. En voici un extrait.

    Il est des Rois sans équipage,De bien plus nobles que sang bleu,Qui façonnent de belles pages,Mais dont l'Histoire se soucie peu.

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    Je sais un Roi pour moi unique,Qui n'a ni trône ni sujet,Pas de couronne mirifique,Et que n'honore aucuns hauts faits ...

    Pardonne-moi ce minimalisme Jean Claude. La quête de la rime parfaitem'avait conduit à falsifier la vérité.Pas de couronne mirifique, certes, mais des hauts faits, je peux en citerau moins cinq auxquels j'ai glorieusement participé. Dans la fièvre etavec un si fol enthousiasme.Souviens-toi.- De ton premier concert de Jazz avec ton Big Band façon Count Basie.En public et enregistré par l'ORTF.- Du premier disque de ton Big Band. Un "long player" titré: "Enfin".Uniquement des compositions signées et orchestrées par toi. Avec enprime, des séances de studio inoubliables.- De ta première émission télévisée avec le Big Band, pour JeanChristophe Averty.- De ta première participation, avec ce même Big Band, au Festival deJazz d'Antibes. Un fabuleux coup de poing dans le Jazz français, commel'avaient écrit certains journalistes.- De ta première musique de film. Soixante musiciens et solistesinterprétant un florilège de styles musicaux d'où émanait une grandeforce évocatrice.

    Ma comptabilité s'arrêtera là, car la multiplication de tes "Premières"dépasse mes capacités de mémorisation.Oh oui! Ce furent des moments bénis, exceptionnels et insouciants. Dieuque c'était merveilleux de ressentir au fond de soi, les pulsations et lesvibrations qui, à l'unisson de ma batterie, provenaient des cœurs de tantde musiciens passionnés.

    Tu étais le créateur, l'ordonnateur et l'organisateur de nos orgiesmusicales. Et pour ce faire, tu t'enfermais des jours durant dans lapénombre enfumée de ta chambre à Jazz, burinant, modelant sansrelâche, des compositions qui transcendaient l'orchestre et le public.Ta jeune expérience de trompettiste dans les caves du quartier Latin,t'avait apprise que le Jazz se passe fort bien de décorum. Que cettemusique venue d'ailleurs était une alchimie dont la forme modale, laligne mélodique, l'harmonie et le rythme, faisaient naître une flamme quiréchauffait les âmes en errance. A cette époque, Saint Germain enregorgeait.

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    Certains soirs, sous l'impétuosité de ton souffle alors inépuisable, tuimpulsais à ta trompette une force phénoménale. Et à l'exemple de teslointains confrères de Jéricho, tu faisais chuter des murs de solitude touten offrant aux rats des caves, des brasiers de chaleur humaine.Hélas, aussi éclatante que soit la flamme de ces feux éphémères, celane suffisait pas à faire vivre ta famille. Et pour ne rien arranger, nousavions toi et moi des estomacs insatiables.

    Nous nous sommes donc résolu à intégrer un monde de paillettes et destrass. Là où la douteuse complaisance flirtait avec l'indigestecompromis.

    Nos chemins prirent alors des directions différentes. Pas notre amitié, ,fort heureusement. De loin en loin, chacun de nous savait ce que l'autre,l'ami, le frère, faisait de sa vie.

    Ereintante et contraignante fut la tienne. Famille nombreuse et travailexcessif ne font pas bon ménage. J'en mesurerai moi-même et à mongrand désarroi, les effets négatifs. Etranges destinées que les nôtres.Elles se voulaient parallèles, elles devinrent tangentielles. De quoirendre perplexe un géomètre pointilleux.

    Peu nous importait alors que nos vies tanguent ou se disloquent.La musique nous prodiguait argent, succès et notoriété. Toi tu passaisde ton obscure chambre d'écriture à l'aveuglante clarté des sunlights,avec l'aisance d'un Dieu Hadès mâtiné de Vulcain. Moi je réitérais lesexploits d'Ulysse, visitant maints pays, vivant des aventures pittoresqueset des rencontres improbables.Comme tout semblait aller de soi durant ces années-là.

    Jusqu'au jour funeste où, balayés par un Tsunami moderniste quidévasta par vagues successives ce métier que nous aimions tant, nousnous sommes retrouvés naufragés et meurtris sur les ruines de notrejeune passé.

    Années grises et noires. Le choix était mince et l'adversité tenace.Ensemble nous irons vers un Canossa mercantilisé, vendre n'importequoi pour tenter de survivre. Vaines tentatives qui n'auront pas raison denotre attachement envers la musique.Mais en plaçant Martine sur ta route, le destin fut pour toi plusaccommodantFemme providentielle, eUefaida à surmonter tes épreuves. T'insuffla unenouvelle énergie pour poursuivre tes études pianistiques, abandonnéesdans l'adolesceoce au profit de ta trompette. Or depuis quelque temps

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    déjà, tu ne pouvais plus l'emboucher à cause de problèmes orthodon-tiques.

    Le cœur en loques ne s'émeut plus,Mais bat encore pour ceux qui sèment,En nos sillons de cuir fourbu,Graines d'amour ou plants de haine.

    Martine deviendra peu à peu ton âme sœur, ton égérie, l'épicentre de tonexistel:lce. Elle fut à l'origine de nos retrouvailles et de halteschaleureuses, que ta générosité ennoblissait et qui me permirent degarder la tête hors de l'eau. En ces temps perturbés, ne pas couler à pictenait du prodige quotidien. Et ce prodige portait l'estampille de vosnoms entrelacés.

    Qu'il fut bon être ton ami,Et celui de ta belle de cœur,Car vos deux âmes réuniesEtaient une source de bonheur.

    La vie est une fieffée garce.Les mécréants que toi et moi nous avons toujours été, viennent d'êtrebrutalement 'rappelés aux tragiques réalités humaines.La musique, à l'inverse des croyances égyptiennes qui t'interpellaientparce qu'elles s'inscrivaient dans une souveraine immortalité, la musiquedisais-je, ne confère pas, hélas, la vie éternelle aux musiciens. Tout justeune postérité cinquantenaire entretenue par la sacro-Sainte Sacem.

    Et nous voici maintenant tous réunis autour de toi, compagne, enfants etamis, la tête pleine de regrets et le cœur déchiré. Que de chosesaurions-nous pu encore partager ensemble. Pourquoi n'avons-nous pasfait ceci ou cela pour te faire plaisir? Pourquoi est-ce toi qui part et pasmoi, qui vit seul et sans avenir?Bref, l'injustice suprême.

    S'il est des Rois sans équipage,De bien plus nobles que sang bleu,Tu fus Jean Claude et sans partage,Un Roi solaire, hôte fabuleux.

    Je veux croire que tous ici, nous nous efforcerons de garder de toi millesouvenirs fugitifs mais à prolongement durable. Oui. ..J'imagine que cetteopposition de sens faura fait sourire. Toi-même tu n'en étais pas avare.

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    Saches que nous aurons à cœur de raconter à nos proches combien tuétais unique. Par ton talent, par ta personnalité attachante, par tonhumanité cachée sous un regard parfois frondeur et derrière tes facétiesde carabin.

    Le gaulois que tu étais, furieusement contestataire et râleur comme il sedoit, abritait en son sein le druide d'une religion du bon vivre. Je tenteraide la perpétuer. Mais je ne te cacherai pàs Jean Claude, que sans taprésence, j'aurai grand peine à en dire la messe.

    Voilà ...Voila ce que je tenais à te dire, mon ami.Ah! J'allais oublier. J'espère que tu n'estimes pas t'être débarrassé àjamais de ma grande carcasse et de mon humour douteux. Nous nousretrouverons, Jean Claude. Tôt ou tard, là où tu es. A moins que ... Oui àmoins que Saint Pierre t'ait réservé une place particulière, pour ne pasdire privilégiée. Prés, tout prés des maîtres de la musique, au coude àcoÜde avec ces géants du jazz qui ont inspiré tes compositions les plusabouties.Nos amis musiciens venus te rendre hommage et moi même, aimerionstant t'écouter jouer aux côtés de Louis Armstrong, de Catie William et deRex Stewart, chez Duke Ellington ou Count Basie. Et pourquoi pas unquatre mains avec Jerry Roll Norton, Fats Waller, Errol Garner ou OscarPéterson?Nous sommes déjà impatients d'entendre le méga concert céleste quevous ne manquerez pas d'organiser pour nous. Du moins pour ceux dontles oreilles sont encore intactes. Comme tu le vois, tu as du travail en

    perspective.

    En attendant ce jour fastueux, permets-moi Jean Claude, de saluer entoi l'homme sans lequel le jeune musicien que j'étais, ne serait pasdevenu ce qu'il fut. Et pour conclure cette avalanche de mots,j'emploierai les seuls qui puissent quelque peu adoucir notre séparation.Ils sont simples et beaux.

    Ce n'est qu'un au revoir, mon frère ... Oui, ce n'est qu'un au revoir. ..

    Y.Legrand

    Ylegrandhommagefuneraire.pdfP3Ylegrandhommagefuneraire