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René Reouven Histoires secrètes de Sherlock Holmes Extrait de la publication

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René ReouvenHistoires secrètes de Sherlock Holmes

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Denoël

René Reouven

Histoires secrètesde

Sherlock HolmesCelles que Watson a évoquées

sans les raconterCelles que Watson n’a jamais

osé évoquer

Préface de Jacques Baudou

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L’assassin du boulevard© Éditions Denoël, 1985

Le bestiaire de Sherlock Holmes© Éditions Denoël, 1987

Les passe-temps de Sherlock Holmes© Éditions Denoël, 1989

Le drame ténébreux qui se déroulaentre les frères Atkinson de Trincomalee

© René Reouven, 1989

Histoires secrètes de 1887© René Reouven, 1992

Élémentaire, mon cher Holmes© Éditions Denoël, 1982

Le détective volé© Éditions Denoël, 1988

La plus grande machination du siècle© René Reouven, 1990

© Éditions Denoël, 2002, pour la présente édition.

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René Reouven, né en 1925 à Alger, est entré dans l’arméeaprès son baccalauréat puis a été démobilisé en 1945 avant dedevenir commissaire au service des enquêtes économiques.Deux ans plus tard, il part en Israël travailler dans un kib-boutz où il sera successivement docker, garde-frontière, che-minot et ouvrier. Revenu en France en 1951, affecté auservice académique de l’Éducation nationale à Alger puis àParis, René Reouven publie son premier roman, La route desvoleurs, en 1959. Suivront de nombreux ouvrages dont L’as-sassin maladroit, Grand Prix de littérature policière 1971, etc’est en 1982, avec Élémentaire, mon cher Holmes, prix Mys-tère de la critique 1983, qu’il entame un cycle consacré àSherlock Holmes qu’il pastiche à merveille.

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Préface

Le présent volume témoigne d’une singulièreaventure littéraireÞ: la confrontation d’un des meil-leurs écrivains français de suspense (il fit ses pre-mières armes au sein du célébrissime Crime Club quirassembla sous sa bannière Boileau-Narcejac, LouisC.ÞThomas, Sébastien Japrisot, Hubert Monteilhet,Jean-François Coatmeur… excusez du peuÞ!) avecun personnage qui est devenu au fil du temps unvéritable mythe et sans doute même le plus my-thique de tous les héros de romanÞ: Sherlock Hol-mes.

Tout a commencé par la parution en 1982 dans lacollection Sueurs froides, des Éditions Denoël, d’unouvrage au titre délibérément provocateurÞ: Élémen-taire, mon cher Holmes. Provocateur parce qu’en dé-tournant la réplique célèbre — mais néanmoinsapocryphe — Élémentaire, mon cher Watson, il sem-blait placer Sherlock Holmes, le roi incontesté des dé-tectives, dans une position où ses intenses facultésd’observation et de déduction auraient été mises endéfaut. Il suggérait de manière allusive mais limpide

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que l’hôte du 221b Baker Street avait trouvé son maî-tre, rencontré un esprit plus agile que le sien.

Mais en même temps, il paraissait annoncer la cou-leur. Avec une telle enseigne, l’ouvrage ne pouvaitqu’appartenir à cette vague de suites et d’apocryphesholmesiens qui, depuis 1966 et le A Study in Terrord’Ellery Queen1, s’était considérablement développéedans les pays anglo-saxons. Le principe en était sim-ple et prenait appui sur le postulat fondamental d’unescience hautement spéculative, l’holmesologie, quidisposait déjà de ses principaux traitésÞ: SherlockHolmes avait réellement existé — ou du moins il con-venait de feindre de le croire. Il s’agissait donc d’ima-giner de nouvelles aventures de Sherlock Holmes qui,tout en respectant les données du Canon2, lui fassentrencontrer d’autres personnages historiques. Le mou-vement prit d’abord appui sur le cinéma avec des no-vélisations où Holmes résolvait l’énigme du criminelle plus célèbre de son époqueÞ: Jack l’Éventreur (AStudy in Terror, Murder by Decree3) ou élucidait l’af-faire du monstre du loch Ness (The Private Life ofSherlock Holmes4).

Puis il trouva son autonomie et des cheminements

1. A Study in Terror a été traduit en France sous le titre SherlockHolmes contre Jack l’Éventreur. Il s’agit de la novélisation du scriptdu film de James Hill A Study in Terror (1965).

2. Les holmesologues désignent par ce terme l’ensemble des ro-mans et nouvelles mettant en scène Sherlock Holmes écrits parConan Doyle.

3. Murder by Decree, de Robert Weverka, est la novélisation duscript du film homonyme de Bob Clark (1978) intitulé en FranceMeurtre par décret.

4. The Private Life of Sherlock Holmes de Michael et MollieHardwick est la novélisation du script du film homonyme de BillyWilder (1970). Tous deux sont sortis en France sous le titre La vieprivée de Sherlock Holmes.

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diversÞ: certains auteurs préférant faire rencontrer àSherlock Holmes quelques notables personnages ro-manesques de son époque, certains s’intéressantplus précisément à d’autres personnages de la sagaholmesienne tels que Moriarty, le Napoléon ducrime1. C’est ainsi que Holmes fit soigner sa cocaï-nomanie à Vienne par le Dr Sigmund Freud (La so-lution à 7Þ%, de Nicholas Meyer, 1975), lutta avecBertrand Russell contre les agissements d’AleisterCrowley (The Case of the Philosopher’s Ring, deRandall Collins, 1978), affronta Dracula (SherlockHolmes versus Dracula, de Loren D.ÞEstleman, 1978,The Holmes-Dracula File, de Fred Saberhagen,1978) ou le Dr Jekyll (Dr Jekyll and Mister Holmesde Loren D.ÞEstleman, 1979), échangea des lettresmeurtrières avec George Bernard Shaw (L’horreurdu West End, de Nicholas Meyer, 1976) ou participaà la guerre des mondes (Sherlock Holme’s War of theWorlds, de Manly W.ÞWellman et Wade Wellman,1975).

Le succès en France du roman de Nicholas Meyer,La solution à 7Þ%, et du film qu’Herbert Ross en tirasous le titre Sherlock Holmes attaque l’Orient-Expressfit-il des émules, suscita-t-il des vocationsÞ? Toujoursest-il qu’en 1981 Alexis Lecaye faisait paraître dans lacollection Fayard Noir un fort intéressant Marx etSherlock Holmes qui voyait notre détective encorenéophyte accepter, à la demande de Karl Marx, unemission sur le continent, et tomber amoureux, enpleine Commune de Paris, d’une fausse Laura Lafar-

1. The Return of Moriarty et The Revenge of Moriarty, de JohnGardner. Le premier de ces romans a été traduit en France sous letitre Le retour de Moriarty.

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gue, la fille de Karl qui avait épousé l’auteur du Droità la paresse1.

En fait Élémentaire, mon cher Holmes n’apparte-nait pas à cette vague et ne suivait pas la voie tracéepar Alexis Lecaye. «ÞPrenant garde d’ajouter un cha-pitre supplémentaire à l’interminable saga du détec-tive de Baker Street, l’auteur a délaissé la méthodeéprouvée qui consiste à faire se rencontrer Holmes etun des grands de son temps. Il a préféré procéder parallusions et faire graviter des astres plus obscursautour d’un soleil holmesien qui, ici, brille par son ab-sence mêmeÞ», écrivait Paul Gayot dans sa pertinentecritique du roman2. Mais si Holmes était tout à faitabsent de l’ouvrage, sinon en mince filigrane, et le DrWatson itou, Arthur Conan Doyle, leur créateur, y fi-gurait ainsi que ceux qui lui avaient servi de modèlespour la composition de ses deux personnagesÞ: le DrJoseph Bell, son maître à la faculté de médecine, quiinspira Holmes, et Alfred Wood, son secrétaire, quiinspira le bon docteur.

À cette inversion spectaculaire — ce sont les modè-les historiques qui deviennent ici héros de roman enlieu et place de leurs «Þillustres hypostasesÞ» — Élémen-taire, mon cher Holmes ajoutait une construction trèsinhabituelleÞ: il était en effet constitué par trois récitsreliés en kyrielle par la circulation d’un livre mauditdont les propriétés s’apparentaient à celles du fameuxNécronomicon de l’Arabe dément Abdul al-Hazred…Chacun de ses récits s’orchestrait autour de la per-sonnalité d’un criminel célèbre. Le premier est le Dr

1. Il convient de noter qu’existait en France une certaine tradi-tion du pastiche holmesien qui avait tenté quelques plumes de qua-litéÞ: Paul Reboux, Jean Giraudoux, Thomas Narcejac…

2. La troisième tache, n°Þ1, janvierÞ1984.

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Cream dont le Dictionnaire des assassins nous apprendqu’il fréquenta assidûment les prostituées londonien-nes et les soigna à l’aide de pilules empoisonnées qui fi-rent quelques victimes. Le second est Monk Eastman,ce gangster juif new-yorkais que Jorge Luis Borges fitfigurer dans son Histoire de l’infamie. Le troisième estGeorges Chapman, alias Séverin Klosowski, empoison-neur, qui fut soupçonné un temps d’avoir été le trop fa-meux Jack the Ripper, ce tueur en série qui assassinadans des conditions atroces plusieurs prostituées deWhitechapel. L’identité de ce dernier n’a jamais étépercée et a fait, au fil des années, l’objet de nombreu-ses hypothèses. Élémentaire, mon cher Holmes enavance une nouvelle, qui a, de surcroît, le mérite dedonner une réponse satisfaisante et bien étayée à l’unedes grandes énigmes de l’holmesologieÞ; pourquoi Sher-lock Holmes n’a-t-il pas enquêté sur la plus étonnanteaffaire criminelle de son tempsÞ?

Pour expliquer le silence du détective, certains hol-mesiens, arguant du fait que Jack l’Éventreur possé-dait incontestablement des notions de chirurgie,avaient avancé l’idée que le Dr Watson n’était peut-être pas étranger à l’hécatombe d’hétaïres… La solu-tion avancée par Albert Davidson était infinimentplus séduisante et vraisemblable.

Le succès critique de cette spéculation littéraire etcriminelle fut considérableÞ: Élémentaire, mon cherHolmes, distingué pour l’originalité profonde de sonintrigue et l’élégance de son style, obtint l’un des prix«ÞMystère de la critiqueÞ» les plus mérités.

Restaient deux énigmes.Celle de son titre d’abord. Elle se dissipe, la lecture

du roman achevée. Cet «ÞÉlémentaire, mon cher Hol-mesÞ» est une adresse de l’auteur au détective dont il

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a utilisé les méthodes pour créer sa propre fiction.Tout comme Holmes trace la biographie de ses visi-teurs du 221b Baker Street à partir de quelques dé-tails finement observés et judicieusement interprétés,Albert Davidson a su puiser dans la biographie dedeux écrivains (Stevenson, Conan Doyle) et dans cel-les de quelques assassins les anecdotes qui lui ont per-mis de fonder l’architecture irrésistible et imparablede son roman. Il a su rassembler un faisceau d’événe-ments aussi disparates et dissemblables que les indicesd’une affaire criminelle sous une lumière qui les expli-que, les connecte et les justifie. Il était donc juste qu’ilparaphrase le Maître avec malice…

La seconde était celle de l’identité de l’auteur quis’avançait masqué sous le pseudonyme d’Albert Da-vidson. René Reouven s’en est expliqué dans un en-tretien.

«ÞLe pseudonyme, c’est une idée de la directrice dela collection Sueurs froides à l’époque, Noëlle Loriot,qui a pensé que le livre se vendrait mieux s’il étaitsigné d’un pseudonyme anglo-saxon. Mon deuxièmeprénom est Albert qui peut être anglaisÞ; mon pères’appelait DavidÞ: je me suis donc appelé Albert Da-vidson.Þ»

La rumeur se répandit bien vite de l’identité de ceDavidson inconnu au bataillon. Mais avant déjà, cer-tains avaient percé le mystère. Je me souviens deClaude Aveline me disant, au cours de l’une de mesvisites dans son appartement parisien de la rue Re-naudotÞ: «ÞIl y a du Reouven là-dessousÞ», en me dé-signant la tache rouge d’Élémentaire, mon cherHolmes sur sa table de chevet. Et bien sûr, il avaitraison…

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Je ne sais sur quels indices il appuyait son intimeconviction. Mais à la réflexion, un solide faisceau deprésomptions désignait René Reouven comme l’auteurle plus susceptible d’avoir signé ce très virtuose exer-cice de style. Outre la clarté et la qualité de son style,et le fait qu’il était «Þde la maisonÞ», il avait publié en1974 un Dictionnaire des assassins dans lequel il avaitconsacré des notices circonstanciées à Georges Chap-man, Monk Eastman et Jack l’Éventreur (ThomasNeil Cream n’y figure pas, mais comme on le trouvedans la deuxième édition du dictionnaire (1986), il y agros à parier que René Reouven avait déjà enquêté àson sujet). Il connaissait donc suffisamment bien leursbiographies pour se livrer aux extrapolations d’Élé-mentaire, mon cher Holmes. Mieux encore, il avaitdéjà commis le même genre de délit dans un ouvragetrop méconnu publié en 1977Þ: Les confessions d’unenfant du crime. S’appuyant d’un côté sur l’étrangepersonnalité d’un criminel du Second Empire, Char-les Jud, qui aurait inspiré le Fantômas de MarcelAllain et Pierre Souvestre1 et sur l’arrière-plan d’es-pionnage que dévoile sa fort intrigante biographie, etde l’autre sur l’anecdote controversée du suicide deGérard de Nerval, René Reouven s’était déjà livré àune très brillante spéculation2. «ÞLe génie de Reouvenest d’avoir ajouté à la biographie reconstituée deCharles Jud un épisode dont le lecteur finira par dou-ter qu’il ne soit qu’imaginaire et d’avoir trouvé aux

1. Lire à ce sujet «ÞLe premier crime de FantômasÞ» de RenéSussan, Historia, n°Þ367 bis, repris dans Enigmatika, n°Þ40.

2. On retrouve ce goût de la spéculation dans une nouvelle durecueil L’anneau de fumée, «ÞLe grand sacrilègeÞ», qui aborde ma-gistralement un des faits divers les plus fascinants de l’histoire dupeuple de FranceÞ: la bête du Gévaudan.

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agissements de Jud l’insaisissable une explication denature conjecturelle qui mêle habilement détails his-toriques et inventions littérairesÞ», écrivais-je dansEnigmatika à la publication de ce roman dans lequelun manuscrit perdu joue, comme la première mouturedétruite du Dr Jekyll and Mister Hyde dans Élémen-taire, mon cher Holmes, un rôle essentiel.

Une histoire — véridique — de vol de manuscritest, elle aussi, au principe du second roman de la suiteholmesienneÞ: L’assassin du boulevard. Ce titre a undouble sens. Il fait très clairement allusion à l’une desenquêtes effectuées par Holmes et que Watson neconsigna point. Dans la nouvelle «ÞLe pince-nez enorÞ», il indique simplement que Sherlock Holmesmena à bien l’arrestation à Paris d’Huret, l’assassin duboulevardÞ; ce qui lui valut une lettre autographe duprésident de la République française et la croix dechevalier de la Légion d’honneur.

René Reouven n’a pas pris l’expression «Þl’assassindu boulevardÞ» au pied de la lettreÞ; il l’a interprétéeen accordant au mot «ÞboulevardÞ» le sens qu’on luidonne lorsqu’il est question de théâtre. Et c’est ainsiqu’il a organisé une rencontre assez inattendue entreSherlock Holmes et Georges CourtelineÞ! S’il n’avaitapproché le mythe sherlockien que de façon biaiséedans Élémentaire, mon cher Holmes, il s’inscrivaitavec L’assassin du boulevard dans le grand courantdes suites et apocryphes holmesiens.

«ÞL’assassin du boulevard est une idée que j’avaiseue bien avant mais que je n’avais pas pu réaliseravant que Sherlock Holmes ne tombe dans le do-maine public. C’était de récrire Messieurs les ronds-de-cuir en introduisant dans la peau du conservateurqui mène une véritable enquête au service des cultes

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le personnage de Sherlock HolmesÞ», a révélé RenéReouven dans un entretien1. Mais il ne s’était paslancé à la légère dans cette aventure. Il ne l’avait passituée n’importe où dans la minutieuse chronologiedes enquêtes de Sherlock Holmes. Il avait choisi dedonner sa version d’une autre des grandes énigmes dela sherlockologie qui avait fait — et continue de faire— l’objet de débats passionnés dans les principales re-vues holmesiennes, le Baker Street Journal américainou le Sherlock Holmes Journal anglaisÞ: l’énigme duGrand Hiatus (maiÞ1891-avrilÞ1894).

On sait que dans la nouvelle «ÞLe dernier pro-blèmeÞ», Sherlock Holmes affrontait son ennemi mor-tel, le Pr Moriarty, disparaissait avec lui dans leschutes de Reichenbach en Suisse et passait pour mort.Trois ans après, il était de retour à Londres pour com-battre et défaire le colonel Moran, le sinistre secondde Moriarty. Ce que rapporta Watson dans la nou-velle «ÞLa maison videÞ». Qu’avait donc fait Holmespendant ces trois annéesÞ? Il prétendit avoir voyagépendant deux ans au Tibet sous l’identité d’un explo-rateur norvégien nommé Sigerson et y avoir rencon-tré le Grand Lama avant de traverser la Perse, devisiter LaÞMecque et de se rendre au Soudan, où il eutun entretien avec le calife de Khartoum. De retour enEurope, il séjourna quelques mois dans le midi de laFrance, à Montpellier notamment, où il fit des recher-ches chimiques sur les dérivés du goudron de houille.La lecture dans la presse du compte rendu d’une af-faire criminelle à laquelle était mêlé Moran le con-vainquit finalement de rentrer à Londres et dereprendre son ancienne fonction de détective conseil.

1. Entretien avec René Reouven, Enigmatika, n°Þ40, juinÞ1992.

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Si ces explications convainquirent Watson, ellespartagèrent les holmesiens en deux campsÞ: d’un côté,ceux qui acceptèrent cette version des événements ettentèrent de minimiser les invraisemblances et les er-reurs qui la ponctuentÞ; de l’autre, ceux qui, intriguéspar ces dernières, en déduisirent qu’elle n’était qu’unparavent conçu de manière assez désinvolte et destinéà occulter les véritables agissements de Sherlock Hol-mes durant cette période. René Reouven se situe ré-solument dans cette seconde catégorie.

Sa version a le mérite de montrer Sherlock Holmesconduisant bataille contre la bande de Moriarty et sesmenées sur le continent. Comment peut-on imaginerqu’il ait pu abandonner la lutte contre le gang du Na-poléon du crime alors qu’il venait de remporter unevictoire décisiveÞ? Elle a le mérite également de rap-peler avec vigueur les origines françaises de SherlockHolmes — «ÞMa grand-mère était la sœur de Vernet,le peintre françaisÞ», déclare-t-il dans «ÞL’interprètegrecÞ». Elle a le mérite, enfin, de nous faire faire laconnaissance d’Oscar Meunier, ce sculpteur greno-blois dont l’œuvre — un buste en cire représentantSherlock — servira à piéger le colonel Moran dans«ÞLa maison videÞ».

Avec L’assassin du boulevard, René Reouven fai-sait preuve d’une connaissance érudite du Canon etd’une solide vertu d’holmesologueÞ: cette connais-sance profonde des Textes sacrés1 ne paralyse pas sonimagination, elle la stimule bien plutôtÞ! Et son appro-che n’est ni exagérément dévote, ni imprudemmenticonoclasteÞ: judicieusement audacieuse.

1. Cette expression est synonyme du mot Canon.

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L’étape suivante de sa quête holmesienne devait leconduire à la forme de prédilection des aventures deSherlock Holmes, celle qui lui a permis de connaîtrela gloireÞ: la nouvelle. Elle devait l’amener aussi à pas-ser la Manche et à se confronter au terrain de chassehabituel du détectiveÞ: l’Angleterre de l’époque victo-rienneÞ; donc à franchir un nouveau degré dans l’artdu pastiche, armé, il est vrai, d’une maxime de PierreMac Orlan dont il démontre le bien-fondéÞ: «ÞOn nedécrit bien que ce qu’on n’a jamais vu.Þ»

Enfin et surtout, il abordait un territoire qui n’a ja-mais cessé de fasciner les holmesologues de tout poilÞ:celui des untold stories. On désigne sous ce vocabletoutes les affaires auxquelles Sherlock Holmes a étémêlé et que Watson a mentionnées au passage maissans avoir cru bon de les relater en détail. Il s’est con-tenté en général de les citer brièvement à l’aide d’uneformule ramassée qui possède souvent la vertu d’exci-ter les imaginations… Qui n’a rêvé de lire un jour l’af-faire du rat géant de Sumatra — cette histoire pourlaquelle le monde n’est pas encore préparé — ou lerécit de la disparition de M.ÞJames Phillimore qui,rentré chez lui pour prendre un parapluie, n’a plus ja-mais reparuÞ?

Adrian Conan Doyle, le propre fils d’Arthur, etJohn Dickson Carr avaient donné l’exemple en pui-sant dans le répertoire ouvert des untold stories dequoi générer les douze nouvelles des Exploits de Sher-lock Holmes. René Reouven a fait de même pour Lebestiaire de Sherlock Holmes. «ÞJ’ai écrit ces textes enréférence à des allusions de Watson parce que j’avaistoujours été frustré par le fait que Watson ne faisaitque citer ces affaires dont le simple énoncé me parais-

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sait riche de promesses. C’est la raison pour laquellej’ai entrepris d’en écrire quelques-unes à sa place.Þ»

Pour donner une unité à ce premier recueil de nou-velles, René Reouven a choisi de poursuivre la voiedéjà tracée par Conan Doyle avec un roman commeLe chien des Baskerville ou des nouvelles comme«ÞFlamme d’argentÞ» ou «ÞLa crinière du lionÞ». Il acomposé un bestiaire, mais un bestiaire en grandepartie fantastique comme l’y invitait Watson avec sesallusions au ver inconnu de la science ou à la répu-gnante sangsue rouge. Seule la première histoire nerelève pas d’un bestiaire tératologique puisque cerécit d’espionnage met en scène un cormoran tout cequ’il y a de normal… Il met également en scène My-croft, le frère de Sherlock Holmes dont Reouven, àl’instar de nombreux autres holmesiens, fait un res-ponsable des services secrets britanniques. Pour lestrois autres, il s’est laissé aller à son goût pour lascience-fiction. Mais composer des untold stories ensuivant au plus près les indications du Dr Watson nelui suffisait point. Il lui fallait aller encore plus loindans le jeu de la fiction en jonglant avec dextéritéentre Canon, réalité historique et spéculations. C’estpourquoi ces nouvelles ont des «Þguest-starsÞ» presti-gieusesÞ: un officier de marine d’origine polonaise quise fera connaître sous le nom de Joseph ConradÞ; le PrChallenger, cet autre héros conan-doylien qui ramenaun ptérodactyle de son expédition vers Le mondeperdu, et le Dr Herman Holmes que Robert Bloch asurnommé pertinemment «ÞLe boucher de ChicagoÞ».Cela non plus n’était pas suffisant, il lui fallait mettrela barre encore plus haut, accroître le caractère syn-crétique du mythe holmesien. Ce fut chose faite grâce

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Préface 21

à un court mais époustouflant épilogue où se télesco-pent Fiction et Histoire…

Dans cet épilogue, Sherlock Holmes fait allusion àun ouvrage paru en 1896 dans lequel il est aisé de re-connaître L’île du docteur Moreau d’Herbert GeorgeWells, autre insolite et cauchemardesque bestiaire…

C’est à Wells aussi que René Reouven emprunta lamachine à explorer le temps qui lui a permis d’imagi-ner la double confrontation sur laquelle repose sonouvrage suivantÞ: Le détective volé. Sherlock Holmes yenquête à Paris d’abord sur l’identité du chevalierDupin qui fut, selon Conan Doyle lui-même, l’une dessources d’inspiration de son personnageÞ; à Philadel-phie ensuite, sur la mort curieuse d’Edgar Allan Poe,le père du conte policier.

Dans ce pèlerinage aux sources du genre, RenéReouven s’est appuyé sur deux des textes fondateurs,«ÞLa lettre voléeÞ» et «ÞLe mystère de Marie RogetÞ»,pour bâtir d’audacieuses conjectures qui puisent leursétais dans l’histoire criminelle, l’histoire littéraire etl’histoire tout court, selon un système déjà bien rodéprécédemment. Mais il obtient dans la seconde partiedu Détective volé un vertigineux effet de mise enabîme, en utilisant le vrai mystère de Mary Rogers —l’affaire criminelle véridique dont Edgar Allan Poes’était emparé pour en donner sa version fictivementtransplantée dans le Paris de Dupin — afin d’éclaireret d’expliquer la fin tragique du poète de The Raven.Et René Reouven conclut malicieusement son romanpar un paradoxe temporel qui le rend cyclique…

De temps, il est aussi question dans le dernier re-cueil de l’opus holmesien qui s’intitule justement Lespasse-temps de Sherlock Holmes. Mais point n’est be-soin pour Holmes d’emprunter ici la machine de

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Wells pour remonter le cours de l’histoire. Dans cetteseconde volée d’«Þuntold storiesÞ» enfin révélées aumonde (la tragédie des Addleton qui inspira à PoulAnderson une nouvelle de La patrouille du temps, lamort subite du cardinal Tosca, la persécution spécialedont était victime John Vincent Harden, le million-naire du tabac), René Reouven n’a pas non plus li-mité son ambition au seul challenge holmesien de direces histoires. Chacun des trois récits traite d’uneénigme historique à forte connotation littéraire quel’auteur a placée sous le patronage tutélaire de troisécrivainsÞ: Joséphine Tey, le remarquable auteur de«ÞLa fille du tempsÞ» — et cette dédicace, comme lesdeux autres, est loin d’être innocente —, John Dick-son Carr, le spécialiste funambulesque de la chambreclose, et Thomas de Quincey, l’aimable essayiste deL’assassinat considéré comme un des beaux-arts. Autantd’indices laissés par l’auteur pour aiguillonner le lec-teur dans le savant dédale de ses fictions où il croiserade forts pittoresques personnages comme ThomasWatson, poète et agent secret, l’énigmatique papeGerbert ou Karl Wilhelm Jerusalem, le vrai Wer-ther… À lire ces trois nouvelles qui constituent certai-nement le chef-d’œuvre holmesien de René Reouven,on ne sait qu’admirer le plusÞ: la verve et la confor-mité du pastiche, l’ingéniosité des intrigues policières,l’érudition vertigineuse au service de spéculations sifermement étayées qu’on ne sait plus où commence lafiction, l’alacrité du style…

La conjonction de ces vertus rend en tout cas leurlecture intensément jubilatoire.

En revenant dans «ÞLa persécution spécialeÞ» sur lamort de Gérard de Nerval, René Reouven bouclaitson grand voyage au pays des mythologies littéraires

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GRAND-PÈRE EST MORT, 1983.

LES CONFESSIONS D’UN ENFANT DU CRIME, 1977.

LE QUIDAM ET LA MORT, 1976.

LE BOUTON DU MANDARIN, 1976.

Dans la collection Présences

LES SURVENANTS, 1996.

LES GRANDES PROFONDEURS, 1991, Présence du fantasti-

que, n°Þ38.

Dans la collection Roman français

RÉCITS DE LA TROISIÈME BRIGADE, 1990.

Chez d’autres éditeurs

LA VÉRITÉ SUR LA RUE MORGUE, Flammarion, 2002.

BOUVARD, PÉCUCHET ET LES SAVANTS FOUS,

Flammarion, 2000.

Extrait de la publication

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Histoires secrètes de Sherlock Holmes René Reouven

Cette édition électronique du livre Histoires secrètes de Sherlock Holmes de René Reouven

a été réalisée le 26 novembre 2013 par les Éditions Gallimard.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070428922 - Numéro d’édition : 241670).

Code Sodis : N56122 - ISBN : 9782072493928 Numéro d’édition : 254330.

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