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1 HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE INTRODUCTION - Une histoire de la république impose tout d’abord de chercher à donner une définition du mot « république » - La république renvoie à la res publica, soit la « chose publique », c’est-à-dire l’intérêt général, le contraire des intérêts privés. - La république se comprend alors comme étant la gestion des affaires communes de la cité indépendamment de la forme du gouvernement - En ce sens, la république ne concerne pas seulement notre histoire des institutions depuis la Révolution de 1789, laquelle n’a d’ailleurs pas connu que des « républiques » au sens commun du terme. - D’ailleurs, dès l’Antiquité, l’on emploie le mot république : ainsi, la définition du mot république est-elle évolutive. - Les origines des idées républicaines remontent à l’Antiquité grecque. - L’idée de république est liée à la naissance de la politique avec la démocratie athénienne : c’est en Grèce que se construit une notion de la politique comme un domaine spécifique lié à la gestion des affaires communes de la cité et opposé à celles de la famille, appartenant à la sphère privée. - L’idée de république est également liée à la notion de liberté. - Au IVe siècle avant notre ère, dans La République le philosophe grec Platon (428-348) distingue la timocratie, le gouvernement des riches, l’oligarchie, le gouvernement d’un petit groupe, la démocratie, le gouvernement du peuple, et la tyrannie, le gouvernement d’un tyran. - Platon veut créer une république qu’il définit comme un Etat stable, doté d’une constitution et respectueux de la philosophie. - Celle-ci doit, selon lui, permettre à chacun d’apprendre les règles de la constitution, c’est à dire du bon gouvernement. - Platon craint la démocratie car il la considère comme étant potentiellement incertaine, il fait confiance à la sagesse du roi pour assurer la pérennité du régime : la république ne nécessite donc pas la disparition de la monarchie. - Au troisième siècle, le philosophe Aristote (384-322) définit et précise à son tour le concept de république dans La politique.

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Page 1: HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE - univ-paris8.fr · -Cicéron (106-43) a notamment rédigé des traités politique souvent d’inspiration platonicienne en s’efforçant de dégager l’idéal

1

HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE

INTRODUCTION

- Une histoire de la république impose tout d’abord de chercher à donner une définition

du mot « république »

- La république renvoie à la res publica, soit la « chose publique », c’est-à-dire l’intérêt

général, le contraire des intérêts privés.

- La république se comprend alors comme étant la gestion des affaires communes de la

cité indépendamment de la forme du gouvernement

- En ce sens, la république ne concerne pas seulement notre histoire des institutions depuis

la Révolution de 1789, laquelle n’a d’ailleurs pas connu que des « républiques » au sens

commun du terme.

- D’ailleurs, dès l’Antiquité, l’on emploie le mot république : ainsi, la définition du mot

république est-elle évolutive.

- Les origines des idées républicaines remontent à l’Antiquité grecque.

- L’idée de république est liée à la naissance de la politique avec la démocratie

athénienne : c’est en Grèce que se construit une notion de la politique comme un domaine

spécifique lié à la gestion des affaires communes de la cité et opposé à celles de la famille,

appartenant à la sphère privée.

- L’idée de république est également liée à la notion de liberté.

- Au IVe siècle avant notre ère, dans La République le philosophe grec Platon (428-348)

distingue la timocratie, le gouvernement des riches, l’oligarchie, le gouvernement d’un petit

groupe, la démocratie, le gouvernement du peuple, et la tyrannie, le gouvernement d’un tyran.

- Platon veut créer une république qu’il définit comme un Etat stable, doté d’une

constitution et respectueux de la philosophie.

- Celle-ci doit, selon lui, permettre à chacun d’apprendre les règles de la constitution, c’est

à dire du bon gouvernement.

- Platon craint la démocratie car il la considère comme étant potentiellement incertaine,

il fait confiance à la sagesse du roi pour assurer la pérennité du régime : la république ne

nécessite donc pas la disparition de la monarchie.

- Au troisième siècle, le philosophe Aristote (384-322) définit et précise à son tour le

concept de république dans La politique.

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- Pour Aristote, précepteur du futur Alexandre le Grand, le pouvoir politique s’adresse

des hommes naturellement libres : c’est un pouvoir d’hommes libres et égaux où chacun peut

être amené à gouverner

- Il s’oppose ainsi au pouvoir du chef de famille sur ses membres

- Au sein de la famille, entendue au sens large, c'est-à-dire comme unité domestique, tous

les membres dépendent naturellement du chef de famille et n’ont donc aucun droit qu’ils

puissent lui opposer ; ils sont comme des esclaves livrés à l’autorité du maître de la famille

- Par contre, dans la société politique, les membres de celle-ci ont des droits, ce sont des

hommes libres, ils sont dotés de statuts et de pouvoirs et peuvent par conséquent élever des

obstacles à l’exercice de l’autorité par le chef

- La cité est donc une communauté de citoyens habitant sur un même territoire et

participant aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en général.

- L’individu n’existe pas en tant que tel puisqu’il n’a de sens qu’au sein de la société qui

seule lui permet de vivre

- Quant au citoyen, il est le membre de la cité qui participe ou peut participer à l’exercice

de la fonction législative au sein des assemblées populaires et à l’administration de la justice

- Cette définition donnée par Aristote est profondément marquée par l’observation de la

Grèce de son temps et s’adapte à la démocratie athénienne qui connaît la pratique de la rotation

des charges renvoyant aux principes démocratiques.

- Le citoyen doit pouvoir être tour à tour gouvernant et gouverné.

- Sont cependant exclus de la citoyenneté les esclaves, et les étrangers qui ne peuvent

participer au pouvoir délibératif et judiciaire.

- Quelle est la meilleure forme de gouvernement, synonyme de constitution pour lui ?

- Aristote a construit ici une théorie qui influencera la tradition républicaine.

- Pour Aristote, ni la démocratie, ni la tyrannie, ni l’oligarchie ne peuvent servir l’intérêt

commun : ces régimes sont donc contraires à la justice

- Aristote met en exergue l’existence de trois « bonnes » constitutions : la monarchie,

l’aristocratie et la politeia que l’on peut traduire par « république » ou « gouvernement

constitutionnel

- En face, il présente trois formes mauvaises : la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie.

- Aristote considère donc que la démocratie est une forme dégénérée de la république,

comme la tyrannie est une forme dégénérée de la royauté, et comme l’oligarchie est une forme

dégénérée de l’aristocratie.

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- Pour lui, la recherche de la satisfaction de l’intérêt général est le critère fondamental

pour l’appréciation de la valeur d’un régime politique

- Il n’y a pas de bon gouvernement si les gouvernants en place cherchent à satisfaire leur

propre intérêt

- On constate ici qu’Aristote ne défend pas une forme particulière de gouvernement mais

simplement une manière d’organiser le gouvernement

- Ainsi la royauté est aussi bonne que l’aristocratie ou encore la politeia dans la mesure

où ces régimes s’efforcent de réaliser l’intérêt général de la société

- Par contre, chaque fois qu’il y a recherche d’un intérêt personnel, on se trouve en face

d’une forme de gouvernement condamnable

- Peu importe qu’il s’agisse de la tyrannie, de l’oligarchie ou de la démocratie, elles sont

toutes également mauvaises

- La « république modérée » d’Aristote est donc une sorte d’aristocratie n’ayant pas

dégénérée en un gouvernement de quelque uns comme l’oligarchie

- Elle réalise un « juste milieu » entre démocratie et oligarchie

- Elle correspond à la politeia ou république et est formée d’un mélange harmonieux entre

démocratie et oligarchie

- La liberté est également au cœur des réflexions des Romains sur la république.

- La liberté à Rome se définit comme étant la somme des droits civils garantis par la loi,

elle ne correspond donc pas à un droit inné.

- C’est aussi l’idée du gouvernement des lois qui s’oppose à l’arbitraire du pouvoir

personnel : les Romains fondent donc la république sur la haine de la royauté.

- Cicéron (106-43) a notamment rédigé des traités politique souvent d’inspiration

platonicienne en s’efforçant de dégager l’idéal d’un gouvernement modéré combinant les

avantages de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie

- Cicéron reste aussi très proche d’Aristote

- Mais il dépasse certaines idées grecques et se place dans un contexte tout autre que celui

de la petite démocratie athénienne.

- Alors que la république romaine (509-27) est en crise, Cicéron publie De republica (54-

51) et De legitibus (vers 52) sur les lois, l’origine du droit et l’organisation du pouvoir.

- Il y définit la philosophie politique de la Rome républicaine.

- Du point de vue de Cicéron en effet, la république renvoie une réalité durable et non à

un type de régime idéal comme pour les Grecs.

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- Il estime que le pouvoir politique doit être exercé dans l’intérêt du peuple par les

magistrats et le sénat

- Cela n’implique donc pas la participation directe du peuple aux affaires de la cité

- D’ailleurs, la république romaine n’est pas démocratique : c’est un régime censitaire

(répartition des citoyens en fonction de leur fortune).

- Dans De republica, Cicéron fait l’éloge de l’engagement au service de la cité

- La république est donc pour Cicéron la « chose de tous » : la « chose publique » est la

« chose du peuple », c’est-à-dire la chose d’un groupe d’hommes associés par leur « adhésion

à une même loi et par une certaine communauté d’intérêts ».

- Ainsi, pour Cicéron, la forme du gouvernement importe peu par rapport à l’existence de

la république.

- Ce qui importe, c’est l’existence d’une cité, d’un peuple organisé et d’un

« gouvernement qui veille sur lui ».

- Comme les Grecs, Cicéron craint la dégénérescence d’un régime et estime nécessaire

de défendre le gouvernement populaire.

- On le voit pour les Grecs et les Romains, la république intéresse l’intérêt commun et ne

renvoie pas à un gouvernement précis.

- Au Moyen Age, la notion res publica n’a pas disparu surtout pour les hommes d’Eglise.

- Les Carolingiens l’emploient volontiers dans la langue administrative.

- Cela est principalement dû à l’idéal du ministerum regis fondé sur le refus de la

conception patrimoniale du pouvoir des royautés barbares et qui repose sur le devoir de

protection générale des sujets par le roi devant s’exercer avec piété et justice.

- La république renvoie donc à la distinction existant en Grèce et à Rome entre sphère

privée de la famille et gestion publique de la cité.

- Au XIIe siècle, la res publica revêt deux significations : le royaume ou bien la

communauté toute entière ; à la fin du XIIe siècle, elle peut signifier aussi certaines collectivités

dotées d’une personnalité morale.

- La res publica ne renvoie que timidement à la notion d’Etat en construction en raison

de la prédominance des termes de royaume et de couronne.

- Avec le XVIe siècle, débute une période de rénovation des idées et de la pensée : La

Réforme et plus tard la philosophie des Lumières ont largement contribué à ce renouveau

- Ces périodes contiennent un certain nombre de réflexions parfois accompagnées de

violence sur la nature du régime de l’Etat et son représentant

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- A la veille de la Révolution de 1789, la république peut être employée comme

synonyme d’Etat.

- Mais plus important, il peut également correspondre à une forme spécifique de régime

politique et se distinguer de la monarchie : cette signification est dominante au XVIIIe siècle.

- En tant que régime politique, la République des Etats-Unis d’Amérique (1787) constitue

la référence en Europe où l’on pensait que la République ne pouvait exister que dans un petit

Etat.

- En France, la République n’est pas réclamée dans les premiers temps de la Révolution

car les Français sont encore attachés à la monarchie.

- Le divorce entre le roi et le peuple ne sera vraiment consommé qu’avec la fuite de Louis

XVI à Varennes en juin 1791.

- La République est proclamée pour la première fois en France qu’en 1792.

- Durant la période révolutionnaire, la République connaitra plusieurs formes de

régimes politiques : Convention, Directoire et Consulat.

- Et même l’Empire ne fait pas disparaître tout de suite la République.

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Première partie

Le concept de république de l’Antiquité à la fin de l’Ancien Régime

Chapitre 1

La République dans l’Antiquité romaine

- Plus que la Grèce, la notion de « république » se rattache à Rome et plus précisément à

l’époque consécutive à l’expulsion des rois étrusques

- Conçue sur la base d’une citoyenneté active mais bornée à une partie de la population

(en sont exclues les femmes, les esclaves et les pérégrins des régions conquises), elle s’incarne

par excellence dans un régime dont les institutions sont élaborées entre 509 et 367 AC

- Sans pouvoir être assimilé à une démocratie, celle-ci est agencée autour de 3 pôles : un

Sénat, instance permanente composée d’anciens magistrats ; des assemblées populaires dont les

comices (assemblées) centuriates, notamment chargées de se prononcer sur les projets de loi ;

des magistrats supérieurs temporaires et responsables

- L’histoire de la République à Rome est celle d’une lutte entre l’aristocratie patricienne

qui s’arroge le pouvoir en 509 par haine de la royauté, et la plèbe composée surtout d’une

population urbaine qui se crée et l’oblige à partager son pouvoir.

- La noblesse des siècles passés prend donc une part active dans la révolution qui a lieu à

Rome en 509.

- Elle crée la constitution républicaine des origines, laquelle est en réalité une oligarchie.

- Elle invente le consulat, qui est une magistrature républicaine, et l’instrument de sa

puissance.

- En 493, éclate une deuxième révolution menée par le peuple urbain qui refuse ce pouvoir

oligarchique.

- Il donne l’exemple d’une organisation populaire, voire démocratique, en se constituant

en commune insurrectionnelle.

- La plèbe romaine qui vit à côté des gentes (grandes familles) et fait partie de la cité, est

née de cette révolution.

- Précisément, en tant que corps constitué, elle naît progressivement aux Ve et IVe siècles

alors qu’elle lutte pour obtenir l’égalité politique.

- Deux Etats se font alors face : l’Etat de droit, Etat oligarchique prétendant représenter

toute la cité et l’Etat de fait, de la plèbe.

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- Les premiers siècles de la République sont l’histoire de ce conflit de ces deux

communautés opposées jusqu’en 367, où il y aura un accord qui partagera le gouvernement de

la cité entre l’oligarchie patricienne et l’oligarchie plébéienne.

Section 1

L’élaboration des institutions de la République consulaire

- La révolution de 509 est une réaction de l’aristocratie patricienne contre le roi : la

république consulaire résulte de cette révolution.

- Le Consulat est bicéphale et annuel.

- Il représente une innovation

- Néanmoins, il reste d’essence monarchique comme le montre les pouvoirs des consuls,

dont la supériorité est d’essence royale : il s’agit de l’imperium consulaire

- L’imperium est une puissance laïque civile et militaire : c’est le pouvoir suprême de

l’Etat

- Les consuls sont des magistrats, ils incarnent l’autorité de l’Etat

- Ils ont le pouvoir d’ordonner et de décider et exercent un pouvoir sans partage (comme

le roi de jadis).

- L’imperium prend deux formes distinctes : l’imperium domi ou civil qui s’exerce dans

la ville et l’imperium militiae ou militaire qui s’exerce en dehors de la ville.

- L’imperium est attribué en deux phases :

- La première fait intervenir le peuple sous la forme d’une loi votée par les comices

curiates qui est une assemblée où le critère d'appartenance était la naissance (cela laisse donc

pleinement s'exercer l'influence des patriciens via leur vaste clientèle).

- Les comices curiates votent la lex curiata de imperio qui n’est que la reconnaissance

civile et préalable accordée par le peuple de l’investiture religieuse.

- Mais le peuple ne choisit pas les magistrats

- Le peuple n’est ni le titulaire, ni le dépositaire de l’imperium : l’intervention du peuple

est donc purement formelle.

- L’investiture religieuse est la véritable source de l’imperium (comme à l’époque

royale) : c’est dans cette seconde phase que l’imperium trouve sa vraie source.

- Ce pouvoir est exercé sans limite.

- La grande rupture entre le consulat et la royauté est que le pouvoir des consuls est

annuel

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- Au début de la République, les consuls sont choisis et nommés par les consuls sortants

avec l’accord du Sénat.

- C’est un système de cooptation qui fait que les consuls sont automatiquement des

sénateurs nobles

- Ainsi, l’aristocratie se réserve la magistrature toute puissante du consulat.

- Le pouvoir de la République consulaire a été en effet confisqué par une nouvelle

noblesse politique, le patriciat républicain.

- Le consulat n’appartient donc qu’à un petit nombre de familles (ce patriciat républicain

subsiste jusqu’au début de l’Empire).

- La République consulaire est en fait et en réalité une oligarchie.

- Le peuple reste étranger à cette République, il ignore de plus les coutumes et le droit

connus uniquement des pontifes (prêtres) et des patriciens.

Section 2

Les institutions de la plèbe face à l’imperium consulaire

- En 493, la plèbe se retire sur l’Aventin (mont sacré situé en dehors de Pomerium) et ne

rentre à Rome qu’après avoir obtenu la signature d’un traité lui accordant le droit d’avoir des

représentants, des défenseurs, en face de la cité et de ses magistrats.

- Ce sont les tribuns de la plèbe (tribuni plebis)

- Ils ne sont ni des prêtres, ni des magistrats, ils n’ont pas l’imperium et ne peuvent pas

convoquer le Sénat

- Ils ont cependant un pouvoir important, celui du droit de veto

- Avec celui-ci, ils peuvent paralyser toute mesure leur paraissant susceptible de nuire à

la plèbe.

- Les tribuns de la plèbe sont élus pour un an.

- De deux en 493, ils sont passés à 4 en 471, à 10 en 457.

- Au départ, leur élection est faite par l’assemblée du peuple, les comices curiates mais

en 471, la plèbe se dote de son assemblée (assemblée de la plèbe ou concilia plebis) organisés

par les tribuns de la plèbe.

- Les conciles de la plèbe ont une fonction électorale pour le choix des tribuns mais aussi

des édiles de la plèbe (Les tribuns ont des auxiliaires : les édiles de la plèbe chargés de la

surveillance des marchés et des distributions de blé à la plèbe en cas de grave disette)

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- Ils ont aussi une fonction législative par le vote des plébiscites : le plébiscite n’oblige

que la plèbe contrairement à la loi qui concerne le populus, soit l’ensemble du peuple

- En 286, avec la loi Hortensia, il est décidé que les plébiscites ont valeur de loi.

- Chaque tribun a autant de pouvoir que les autres et peut donc s’opposer à la décision

d’un autre

- Leur mission est de représenter les intérêts face à l’imperium consulaire : Il représente

donc un élément tendant à équilibrer le pouvoir des magistrats.

- Par le veto, un tribun de la plèbe peut paralyser l’autorité officielle d’un membre de la

République consulaire.

- Il peut suspendre la décision d’un consul prise dans le cadre de l’imperium domi mais il

ne le peut pas pour une décision prise dans la sphère de l’imperium militiae (aucun pouvoir par

exemple sur les soldats enrôlés)

- Ce pouvoir du tribun de la plèbe a permis d’obtenir des concessions pour la plèbe

d’autant qu’au départ, il est inviolable et sacré (la plèbe a juré par serment de conduire à la

mort toute personne, qui ne respecterait pas son organisation et donc ses représentants).

- A partir de 449, le tribunat de la plèbe est devenu légal : Il est donc un véritable contre-

pouvoir à l’imperium des consuls.

- Si la plèbe a voulu s’opposer à l’oligarchie consulaire sur le plan politique, c’est aussi

le cas sur le plan institutionnel.

Section 3

Les conquêtes légales de la plèbe

- Depuis 462, la plèbe réclame des lois écrites fixant l’imperium afin que le droit puisse

être connu de tous et que les limites du pouvoir consulaire soient fixées.

- Le patriciat cède au milieu du Ve siècle et confie à un collège de 10 magistrats

extraordinaires, les décemvirs, le soin de rédiger une constitution et un code juridique.

- Dix tables sont rédigées en 451 et deux en 450 : la loi des douze tables est affichée au

forum sur 12 tables de bronze et a pu ainsi être apprise par cœur par les Romains.

- Le but des législateurs a été de faire triompher l’égalité du droit entre tous les citoyens

et de remplacer le droit coutumier par un droit écrit.

- La loi des douze tables est la première loi votée par les comices centuriates (assemblée

composée de patriciens et de plébéiens).

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- Ce texte donne à l’assemblée une fonction législative : les comices centuriates sont ainsi

entrées dans le « jeu constitutionnel républicain »

- Trois lois vont donner à la constitution romaine sa nature patricio-plébéienne.

- En ce qui concerne les institutions proprement dites, en 449, la loi Valeria Horatia

consacre l’efficacité de la puissance tribunicienne (inviolabilité des tribuns de la plèbe) et

reconnaît une autorité officielle aux plébiscites, c’est-à-dire aux décisions des concilia plebis.

- Puis, en 286, la loi Hortensia donne aux plébiscites force de loi

- La plèbe se mobilise ensuite pour avoir accès au consulat

- Elle l’obtient en 367 par le compromis licino-sextien (3e loi) accepté par le Sénat : Un

consul sur deux désormais pourra être plébéien

- Le principe du partage est respecté jusqu’en 356 et reprend en 343 (Entre 356 et 342,

les patriciens ont essayé de rompre avec ce principe) ; en 172, deux consuls plébéiens sont élus.

- La plèbe a donc peu à peu conquis l’accès à toutes les charges importantes de l’Etat.

- Le gouvernement est aux mains d’une aristocratie la « nobilitas » (caractère

oligarchique des magistratures et du gouvernement) constituée à la fois par les familles

patriciennes et plébéiennes.

Section 4

Les organes du gouvernement républicain

- Les magistratures sont l’élément le plus important dans la République romaine ;

Viennent ensuite le sénat puis le peuple.

Les magistratures :

- 2 pouvoirs caractérisent les magistratures romaines : la potestas et l’imperium

- Les magistrats inférieurs (questeurs, édiles) n’ont que la première, les magistrats

supérieurs (préteurs, consuls, dictateurs) ont à la fois la potestas et l’imperium

- La potestas désigne de façon générale toute forme d’autorité reconnue par le droit à une

personne sur une autre personne ou sur des biens

- La potestas implique la capacité d’exprimer la volonté de la cité sous la forme de

prescriptions qui seront obligatoires pendant la durée des fonctions du magistrat et la possibilité

d’exercer un certain pouvoir de contrainte qui lui permet d’assurer l’observation de ses

prescriptions

- Trois principes dominent l’organisation des magistratures : l’annalité, la

collégialité et la responsabilité

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- Afin de se prémunir contre l’abus d’autorité des magistrats, la république romaine a

étroitement mesuré la durée de leur fonction : celle-ci est en principe annuelle

- L’autre trait des magistratures romaines est la collégialité dans un souci d’éviter que la

concentration de trop de pouvoirs en une même main ne prépare la voie à la tyrannie

- Enfin, pendant leur magistrature, les magistrats ne peuvent pas être critiqués ; à la fin

de celle-ci, ils doivent jurer qu’ils n’ont rien fait de contraire aux lois

- Ils doivent rendre des comptes et peuvent être jugés par le Sénat même si cette

responsabilité est assez théorique puisque le Sénat est lui-même composé d’anciens magistrats

- Remarque sur la dictature qui est aussi une magistrature

- C’est une création de la République : Le dictateur arrive au pouvoir en cas de péril

militaire ou de révolution

- La dictature est fréquente aux Ve et IVe siècles et disparaît au IIIe siècle lors des guerres

puniques (entre Rome et Carthage).

- Elle ne réapparaît qu’avec Sylla et César pour être officiellement abolie en 44 avant JC.

(Cicéron est à l’origine de la loi d’abolition de la dictature).

- Le dictateur est nommé pour 6 mois seulement par les consuls sur proposition du sénat

- Il est investi du pouvoir par les comices curiates

- Il dispose de l’imperium lui permettant d’exercer seul le pouvoir dans le domaine civil.

- Le maître de cavalerie, son subordonné nommé par lui, s’occupe des affaires militaires

- Le dictateur a en fait l’imperium des deux consuls ; Son pouvoir ne supprime pas les

autres magistratures qui néanmoins doivent lui obéir.

Le Sénat républicain :

- Le caractère aristocratique et oligarchique de la cité républicaine n’apparaît pas

seulement dans les magistratures, il ressort aussi de la structure et du rôle du Sénat, second

élément de la constitution républicaine

- Le Sénat est directement issu de la Rome royale.

- Les sénateurs sont 600 à l’époque de la République contre 300 sous la royauté

- Les sénateurs ont d’abord été nommés par les consuls, puis par les censeurs (ils

procèdent au classement des individus et établissent leurs fortunes).

- Au départ, le Sénat est aux mains du patriciat (patres) mais à partir du IIe siècle, la

majorité des sénateurs est d’origine plébéienne (conscripti).

- Le Sénat n’a aucune souveraineté et ne peut pas se réunir de sa propre initiative.

- Il doit être appelé par un magistrat disposant de l’imperium

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- Si le Sénat n’a en principe aucun pouvoir de décision, la tradition romaine depuis

l’époque royale, est que toute décision est prise en conseil.

- De ce fait, jadis, conseil du roi, le Sénat est devenu conseil de la République.

- Le Sénat surveille la gestion des biens de l’Etat, il lève les troupes, reçoit les

ambassadeurs et à cette occasion, il représente l’Etat romain, il négocie les traités, organise les

pays conquis et les attribue aux magistrats

- Enfin, le Sénat peut inciter les magistrats à prendre telle ou telle décision qu’il juge

utile.

- Le Sénat ratifie également les décisions des assemblées, les lois, les élections des

magistrats, les sentences judiciaires.

- A l’origine, seules les concilia plebis lui échappent.

- Le contrôle exercé par le Sénat s’appelle l’auctoritas patrum (autorité des sénateurs),

il se manifeste dans ses décisions les senatus-consulte (opinion majoritaire du Sénat,

expression de son auctoritas).

- Donc avec l’auctoritas patrum, le Sénat rend une décision sur le fond de l’acte et lui

donne une puissance juridique

Les assemblées populaires de la République :

- Ce sont des organes de gouvernement direct.

- Le peuple n’est pas un élément inorganisé et le populus est divisé en différentes unités

- Celles-ci sont à la base de la spécificité des assemblées même si chacune des assemblées

représente le peuple dans son ensemble.

- Les comices curiates existaient à l’époque royale et lui ont survécu.

- C’est une assemblée de patriciens où les plébéiens ne sont pas admis jusqu’au IIIe siècle.

- Mais à partir de cette époque, les comices curiates n’ont plus aucun intérêt pratique :

Elles ne votent que quelques actes rituels comme celui d’investir les magistrats de l’imperium.

- Les comices centuriates datent aussi de l’époque royale.

- Patriciens et plébéiens se rencontrent dans cette assemblée

- Elles constituent donc l’assemblée du peuple romain par excellence

- Les citoyens y sont répartis en fonction de leur fortune

- Les comices centuriates élisent tous les magistrats supérieurs, votent les lois, rendent la

justice, votent la guerre sur proposition du sénat et ratifient les traités de paix.

- Les comices tributes datent de 350

- Patriciens et plébéiens s’y réunissent

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- Elles ont les mêmes attributions que les comices centuriates sauf que les citoyens y sont

répartis selon leur domicile.

- Les conciles de la plèbe datent de 493.

- Elles élisent les magistrats de la plèbe et votent les plébiscites.

- Les assemblées du peuple doivent être convoquées par un magistrat.

- Les séances sont peu nombreuses.

- Elles ne décident pas de leur ordre du jour et n’ont pas de pouvoir d’initiative

- Aucun citoyen n’y prend la parole

- La tribune de l’assemblée est réservée au magistrat entouré de son conseil et de

sénateurs.

- L’assemblée ne peut répondre que par oui ou non aux questions posées par le magistrat

présidant l’assemblée.

- Le vote est oral et public

- Chaque citoyen s’avance à tour de rôle devant le rogator (l’interrogateur officiel) et lui

déclare son intention.

- Ce système est source de multiples pressions (pression du patron sur ses clients).

- Au cours de la deuxième moitié du IIe siècle, trois lois (qui sont en réalité des

plébiscites) imposent le secret du vote (139 : secret pour les élections ; 137, secret pour la

juridiction ; 131, secret pour la législation).

- Si le vote ne donne pas le résultat attendu, le magistrat présidant l’assemblée peut

ajourner la réunion de l’assemblée.

- Donc, la volonté du peuple ne devient exécutoire que si le magistrat présidant

l’assemblée l’a décidé.

- Pour conclure sur la République romaine :

- Les Romains ont élaboré une constitution mixte

- Elle conserve bon nombre de notions héritées de l’autorité royale, mais elle les a limitées

- Ainsi, elle a conservé les magistratures et le Sénat, mais elle a admis le contrepoids des

assemblées populaires.

- Toutefois, cette constitution n’est mixte qu’en apparence.

- Au Ve siècle, elle est nettement aristocratique

- Du V au IIe siècle, avec la lutte de la plèbe, elle devient oligarchique car le pouvoir reste

aux mains d’une minorité, la nobilitas patricio-plébéienne

- L’influence, la fortune, le prestige social réservent à quelques milliers de Romains la

direction de la masse des citoyens bien que les citoyens soient en principe égaux.

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- Pourtant, en face de cette réalité politique, la souveraineté du peuple est affirmée et

personnifie l’Etat, la res publica.

- Mais la fin de la République est ponctuée d’actes commis en violation de la

constitution et connaît de nombreux coups d’Etat.

- La fin de la République est notamment marquée par la dictature de César qui n’a aucun

lien avec la dictature républicaine : C’est une monarchie sans le titre

- César porte le titre d’imperator et établit le principe du gouvernement personnel.

- Il est assassiné en 44 et remplacé par Marc Antoine élu consul la même année

- Puis ce dernier s’entend avec Octave et Lépide pour constituer une magistrature

extraordinaire appelée triumvirat et tous trois se partagent le monde (A Octave l’Occident, à

Lépide, l’Afrique et à Antoine, l’Orient).

- A la suite de la bataille d’Actium en 31 gagnée par Octave sur Antoine, l’Egypte est

annexée à l’Empire et Octave devient le seul maître.

- Octave fonde un Empire qui durera parce qu’il saura donner l’illusion de rétablir

la République dans le respect des institutions.

- Il refuse le plus souvent d’être assimilé à un monarque, au contraire, il est un guide qui

se dévoue pour la République

- Mais c’est en fait la fin de la République car progressivement, les assemblées populaires

ne représentent plus rien, le sénat non plus.

- Le 13 janvier 27, Octave propose habilement d’abandonner ses pouvoirs et les remet

au sénat.

- Celui-ci le prie de les reprendre et il accepte

- Ainsi, Octave a en apparence reçu l’approbation du sénat et du peuple conformément au

régime républicain.

- C’est donc une transition souple entre le régime républicain et l’Empire

- Le 16 janvier 27, il reçoit du Sénat le titre d’Augustus et l’auctoritas (autorité

supérieure aux autres)

- Le pouvoir d’Auguste repose sur deux attributs, la puissance tribunicienne à vie et

l’imperium proconsulaire (qui donne le pouvoir de commandement sur tout l’Empire) sans

limite dans le temps et dans l’espace).

- Il s’agit de pouvoirs traditionnels de type républicain

- Mais deux choses sont nouvelles : la dissolution du pouvoir de la personne de son

titulaire habituel : Auguste a la puissance tribunicienne sans être tribun et il a le pouvoir

proconsulaire sans être proconsul

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- En outre, ces deux pouvoirs sont détenus à vie par une seule personne.

- C’est en cela que consiste la transformation du régime républicain en régime impérial.

Chapitre 2

L’idée républicaine au Moyen Age

- Pendant le haut Moyen Age, l’expression de res publica est occultée mais ne disparaît

pas complètement.

- Elle demeure dans le vocabulaire des hommes d’Eglise.

- Saint-Augustin (354-430) considère déjà qu’un gouvernement fondé sur l’injustice

s’oppose à la République.

- Pour lui, cette justice se trouve dans la république « dont le Christ est le fondateur et le

gouverneur ».

- De fait, là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas de république.

- Les Mérovingiens (5e-7e siècle, première dynastie franque) utilisent très peu le terme

de république.

- Ces derniers ont une conception personnelle du pouvoir.

- Celui-ci réside dans la personne d’un chef régnant sur ses sujets

- Le roi mérovingien s’intitule roi des Francs.

- Ce roi est obéi non pas parce qu’il gère la res publica mais parce qu’on le reconnaît

comme chef et que l’on s’est engagé envers lui par serment

- Le pouvoir et le royaume sont assimilés à un patrimoine privé.

- D’ailleurs, la transmission du pouvoir royal s’effectue comme celle d’un patrimoine

ordinaire, c’est-à-dire au moyen de la transmission héréditaire.

- Le mot république réapparait avec les Carolingiens, notamment avec l’avènement

de Louis le Pieux (778-840) comme empereur.

- L’expression apparaît d’abord dans les documents officiels, signe qu’une volonté

politique au plus haut niveau a présidé à sa réhabilitation

- C’est le signe que cette réhabilitation est bien liée au retour de l’idée impériale en

Occident : celle-ci a brisé le monopole de l’empereur byzantin comme gestionnaire de la res

publica et a donné à la royauté franque la conscience qu’elle gérait elle-même sa part de « chose

publique »,

- Au temps de Charles le Chauve (823-877), res publica demeure très employée dans les

actes officiels, signe que le mot a finalement survécu au déclin de l’idée d’Empire

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- Elle fait notamment irruption dans les œuvres littéraires du temps dans des formules

manifestement empruntées par les lettrés carolingiens à de grands auteurs romains qui

permettent de cerner le sens que lui assignent les hommes du IXe siècle

- La formule romaine « princeps rei publicae » (prince de la république) réapparaît au

profit du roi carolingien

- Les comtes, serviteurs ou ministres dénommés « ministri rei publicae » en sont les

administrateurs

- Cette expression est significative de la volonté de ceux qui l’utilisent de présenter les

agents royaux comme dépositaires d’une fonction de service dans l’intérêt du peuple, comme

gestionnaire de l’intérêt général

- S’ils sont « dirigés par le roi », ils sont d’abord au service de la res publica

- Celle-ci est donc bien au IXe siècle comme dans la Rome antique, cette entité supérieure

à la personne de ses gouvernants et administrateurs, à la prospérité de laquelle tous doivent

œuvrer

- Cette résurgence terminologique est aussi intimement liée au refus de la conception

patrimoniale du pouvoir des royautés barbares

- Le roi exerce un ministère, il a la charge de la res publica et la finalité de sa fonction

demeure le bien commun de ses sujets

- Son ministère lui commande d’agir dans l’intérêt collectif, de conduire le peuple

chrétien vers son salut et protéger l’Eglise et les faibles

- De ce fait, la res publica est comprise comme étant porteuse d’une double exigence de

primauté de l’utilité commune sur les intérêts égoïstes des gouvernants, et de distanciation entre

le principe d’autorité et la personne exerçant cette autorité

- La res publica peut donc convenir à l’Empire conçu comme une sorte de cité de Dieu

dans laquelle l’Eglise et l’Etat semblent ne former qu’un seul tout

- Dès lors, le gouvernement carolingien est un régime théocratique qui ne sépare

plus le domaine politique du domaine religieux

- Il faut rappeler que Pépin le Bref, qui a évincé le dernier roi mérovingien Childéric III,

se fait sacrer deux fois en 751 à Soissons par le légat du pape Boniface, puis en 754 à Saint-

Denis par le pape Etienne II

- Le sacre donne au roi un rayonnement spirituel car il reçoit la caution de l’Eglise et de

la papauté.

- Le roi carolingien a une légitimité nouvelle, celle d’être l’élu de Dieu dont il devient le

mandataire : Il ne peut donc plus exercer le pouvoir dans son intérêt personnel.

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- A l’époque capétienne, le terme res publica persiste mais son emploi est fonction de la

situation politique du roi capétien.

- Il est rare en période de crise (première moitié du Xe siècle, deuxième moitié du XIe

siècle).

- Les sujets restent attachés à la conception archaïque du pouvoir basée sur l’existence

d’un lien bilatéral entre un vassal et son seigneur.

- Or, la vassalité représente le contraire de la politique d’autorité publique.

- Lors de la chute de la dynastie carolingienne, l’autorité publique s’est disloquée, parfois

même elle s’est émiettée

- Cela s’est produit au cours des Xe et XIe siècles et en plusieurs étapes : du niveau du

roi et du cadre du royaume, elle est tombée au niveau des princes territoriaux dans le cadre des

principautés territoriales ; puis au dernier degré de chute, elle se situe au niveau des seigneurs

dans le cadre de la seigneurie qui ont usurpé les prérogatives régaliennes

- L’installation de la féodalité entraîne l’effondrement de l’autorité royale.

- Jusque vers le milieu du XIIe siècle, la coutume règne sans partage et il y a une absence

quasi-totale de législation royale.

- A partir du milieu du milieu de la deuxième moitié du XIIe siècle, la coutume perd son

monopole en raison de la renaissance du droit romain (les légistes s’en sont inspirés pour

développer les prérogatives royales) et de la réapparition d’une législation royale mais il

faudra attendre le XIIIe siècle pour que se développe une véritable législation royale qui

marque la renaissance du pouvoir royal.

- Aux intérêts des seigneurs considérés à bien des égards comme particuliers, les juristes

royaux opposent celui supérieur du royaume : l’intérêt public dont le roi, dans la plénitude

retrouvée de sa fonction, se voudrait l’unique interprète et gardien, le seul juge et dépositaire

suprême

- La notion met en exergue la dimension publique de l’activité royale et contribue à libérer

la royauté de la féodalité.

- Incontestablement, le droit romain a joué un rôle fondamental dans la résurgence du

phénomène étatique.

- Mais si les jurisconsultes emploient le terme de res publica pour désigner l’Etat en

gestation, la res publica n’a forcément pas le sens précis du mot Etat dans les deux derniers

siècles du Moyen Age.

- En effet, les mots de royaume ou de couronne sont préférés à celui de res publica.

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- Dès le XIIe siècle, la couronne en vient progressivement à être considérée comme le

siège abstrait et permanent du pouvoir, déterminant ainsi les prérogatives du souverain

- Avec l’affirmation des lois fondamentales, la couronne acquiert « une personnalité

juridique distincte de son titulaire ».

- Ces principes statutaires se sont dégagés dès le début de la dynastie capétienne sans

plan ni idéologie préconçus, de façon toute pragmatique sous la seule inspiration des

évènements

- Faits naturels, crises politiques ou nécessités, ces évènements ont permis d’ériger

progressivement en coutumes certains principes qui ont donné à la Couronne son statut

- Ces normes supérieures font de la Couronne une réalité de droit public à l’abri de

l’arbitraire du prince (hérédité qui s’est peu à peu substituée au système électif, primogéniture

qui enracine au profit du fils ainé l’indivisibilité du royaume)

- De la même façon, avec le sacre d’Henri II en 1547, la remise de l’anneau au roi au

cours de la cérémonie suggère aux juristes l’idée que le roi devient l’époux de la respublica et

reçoit en dot le domaine.

- Cette métaphore du mariage du roi et de la couronne permet de transposer au domaine

la règle de l’inaliénabilité dotale du droit romain.

- Cette fiction mystique annonce l’avènement du statut de l’inaliénabilité du domaine

(Edit de Moulins de 1566).

Chapitre 3

La république, un concept pluriel (XVIe-XVIIe siècles)

- L’engouement pour l’Antiquité qui caractérise la Renaissance est à l’origine du

prodigieux succès au XVIe siècle du mot République.

- Dans l’Antiquité romaine, la République renvoie au régime ayant succédé à celui des

rois étrusques et à la notion de chose publique.

- Cette dualité de sens réapparaît au XVIe siècle avec Machiavel (1469-1527) et Bodin

(1530-1596).

- Elle débouche sur la conceptualisation d’un Etat moderne qui conforte dans un premier

temps le pouvoir royal

- Au départ, au début du XVIe, la République désigne une communauté subordonnée,

composée d’hommes ayant des intérêts communs, réunis sous l’autorité du prince

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- Mais à l’heure des premiers conflits religieux, le développement d’un courant critique

vis-à-vis d’une royauté potentiellement tyrannique provoque l’autonomie du concept de

république qui commence à être défini en dehors de toute référence à la monarchie

- Les monarchomaques (libellistes s’opposant à l’absolutisme royal à la fin du XVIe)

vont plus loin en dotant la république, vue comme la chose publique, de droits politiques

supérieurs.

- En la dissociant, voire en l’opposant au roi, ils l’érigent en concept autonome

Section 1

Machiavel et la reformulation des idéaux républicains

- Machiavel a renouvelé les théories sur la république dans ses Discours sur la première

décade de Tite-Live (1513-1520 environ), dans L’Art de la guerre (1521) et surtout dans

Histoires florentines (1525).

- Dans un premier temps, Machiavel refuse l’idée de l’origine divine du pouvoir

- Il tranche en cela avec la pensée du Moyen Age et souhaite dégager la politique de

l’emprise des théologiens en supprimant l’image d’un prince élu de Dieu agissant pour le bien

de ses sujets sans limite.

- Et puisque Dieu ne légitime plus le prince, le citoyen peut, estime-t-il, ne pas se

soumettre de manière inconditionnelle à son autorité.

- Chez Machiavel, le mot République désigne l’Etat, même s’il songe à un Etat

gouverné collégialement par opposition à un gouvernement dirigé par un prince.

- Il préfère la république à la monarchie

- Il la juge en effet « plus forte, plus durable, plus sage et plus souple que toute forme de

monarchie »

- Il la juge également plus conforme « à la nature de la cité »

- Il ne songe toutefois pas à laisser l’exercice du gouvernement au peuple qui détient

cependant la souveraineté

- Il estime que l’autorité doit venir de l’élection d’une ou deux personnes devant remplir

des fonctions strictement déterminées par un cadre constitutionnel.

- Mais le pouvoir doit être limité et contrôlé, notamment par le peuple et l’aristocratie.

- Machiavel songe donc à un régime mixte et prône un « régime populaire, administré

par un vigoureux pouvoir central assisté d’une organisation fortement hiérarchisée ».

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- Cependant, il estime que la République ne peut convenir qu’aux petits Etats : il constate

que les grands Etats ont toujours un régime monarchique tandis que la République n’est

effective que dans les cités italiennes.

- Machiavel donne aussi un contenu idéologique à la République

- Il met en évidence un esprit républicain, soucieux de l’intérêt collectif qui seul fait la

puissance d’un Etat

- Dans une République, l’intérêt général tend à s’y confondre avec l’intérêt populaire,

assure-t-il.

- Machiavel explique aussi que la satisfaction de la multitude ne peut s’exercer que si

l’esprit républicain s’organise autour de la valeur principale qu’est la liberté

- C’est la liberté qui contribue à la prospérité d’un Etat et elle suppose la sécurité, propice

à toute activité, et la participation aux affaires de la cité, sinon de tous, du moins de ceux qui

s’avèrent les plus dignes, les plus vertueux.

- La liberté est enfin intimement liée à l’égalité qui place tous les citoyens sur le même

plan face à la loi, ce qui leur permet d’être libres

- Dès lors l’inégalité ne peut plus être réputée naturelle, elle ne peut être que sociale, liées

aux différences d’esprit ou aux différences de fortune.

Section 2

République et guerres de religion

- La république, ordre légal et ordre civil :

- A partir de 1560, dans la période de troubles que connaît la France, le respect

inconditionnel des lois devient une exigence aiguë de la paix civile ; Seul le respect des lois

peut éviter la « destruction des royaumes, républiques et communautés ».

- C’est le moment du déclenchement des guerres de religions qui ruine le pays.

- La Réforme protestante, amorcée au XVIe siècle, est en principe cantonnée au domaine

de la religion, mais elle allait nécessairement avoir des conséquences politiques et alimenter le

débat institutionnel dans un régime où le pouvoir politique repose largement sur le fondement

divin

- Elle est le point de départ d’un conflit d’une violence extrême qui conduit les rois de

France à réprimer sévèrement les hérétiques provoquant une controverse explosive sur le

fondement du pouvoir

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- Beaucoup considèrent que la diversité des croyances n’est pas acceptable pour la

survie de la république

- Michel de l’Hospital (1505-1573), considère que cette sédition a pour origine

l’ambition démesurée de quelques-uns au caractère peu civil qui profitent du différend religieux

- Pour y répondre, il est nécessaire que tous reprennent conscience de ce qu’un royaume

ou une république (tous deux sont synonymes) est un ensemble organique uni par une même foi

dépendant exclusivement du souverain et entièrement soumis à ces lois : il est donc impératif

que l’ordre civil prenne le pas sur les problèmes religieux : « Le fondement d’une République

est de n’y avoir qu’une religion »

- Etienne de La Boétie (1530-1563) abonde dans le même sens

- Convaincu que la coexistence de deux religions entraînerait la création de « deux

diverses républiques opposées de front l’une à l’autre », il refuse d’envisager durablement cette

hypothèse

- L’admettre conduirait à la destruction de la communauté de vie et de destin qui

rassemble les Français, ce qui semble déjà se réaliser en 1561-1562

- Selon lui, les 2 factions manifestent vis-à-vis des magistrats royaux une défiance

préjudiciable à l’autorité du roi et attentatoire aux intérêts nationaux

- Loin de promouvoir la tolérance, il défend l’idéal d’un catholicisme réformé, purgé des

travers apportés par le temps et la corruption mais se révèle franchement hostile au

protestantisme

- Tout autre est la thèse d’Etienne Pasquier (1528-1615) dans son Exhortation aux

princes et seigneurs du Conseil privé du roi pour obvier aux séditions qui semblent nous

menacer pour le fait de la religion (1561) qui songe au contraire que seule une politique de

tolérance est à même de maintenir la cohésion de la république menacée, d’abord par

l’apparition de deux factions puis ébranlée par la guerre civile.

- L’histoire proche ou ancienne montre que deux religions ont pu subsister pacifiquement

dans des républiques bien ordonnées, c’est à dire dans lesquels le Prince n’incline ni vers l’une

ni vers l’autre

- Le pouvoir se doit donc d’être indifférent aux croyances ne contrariant pas ses buts

même s’il peut condamner le prosélytisme (ceux qui cherchent de nouveaux adhérents à leur

foi) générateur de conflits.

- Ces réflexions de Pasquier annoncent la solution de l’Edit de Nantes de 1598.

- Elles dénotent une vision particulière de la république perçue comme un espace

politique soumis à un pouvoir en voie de laïcisation, prenant ses distances avec la religion.

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- La république vue par les monarchomaques :

- Les monarchomaques étaient des libellistes (opposants) qui s'élevaient contre

l’absolutisme royal qui s'établit à la fin du XVIe siècle, en Europe occidentale.

- Ils furent actifs au cours de la deuxième moitié du XVIe et du début du XVIIe.

- Les premiers auteurs monarchomaques émergèrent dans le camp protestant en France

après les massacres de la Saint-Barthélemy : François Hotman, Théodore de Bèze.

- Les thèses monarchomaques furent ensuite reprises par des auteurs catholiques de la

Ligue quand Henri de Navarre (le futur Henri IV) devint l'héritier présomptif du trône de France

à la mort de François d’Alençon frère du roi Henri III en 1584.

- Le principal auteur monarchomaque catholique fut le théologien Jean Boucher

- Jusqu’au début des guerres de religion, la république est assujettie au roi comme le corps

l’est à la tête ou la femme au mari.

- Avec les monarchomaques protestants et catholiques, les choses changent radicalement.

- Malgré leurs divergences doctrinales, les monarchomaques s’entendent sur un point :

le non-respect par le prince des normes suprêmes appelle une sanction en raison de l’idée selon

laquelle le roi n’est qu’un magistrat investi contractuellement d’une mission précise et

impérative.

- C’est donc bien fini de l’union mystique indissoluble du princeps et de la respublica.

- Désormais, le pacte qui remplace cette union mystique est souscrit à l’avantage

imprescriptible de la communauté des sujets-citoyens.

- Les monarchomaques protestants et ligueurs vont en tirer les plus larges conséquences.

- La contribution des monarchomaques protestants :

- L’affirmation des droits politiques de la république s’inscrit dans une logique

« contractualiste ».

- Elle découle des écrits de François Hotman (1524-1590), de Théodore de Bèze (1519-

1605).

- Pour eux, le roi et le peuple sont liés par un contrat synallagmatique.

- François Hotman écrit à ce sujet que « ce sont des choses relatives et enchaînées l’une

avec l’autre par un respect mutuel et obligation réciproque, que le roi et son royaume » (Franco-

Gallia, 1573).

- En cas de manquement aux obligations prévues, l’éventualité d’une sanction est admise.

- Hotman est le premier à doter la république de droits politiques : Il assimile la

république au royaume ou au peuple et la conçoit comme une entité qui demeure alors que les

souverains passent.

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- Cette idée de continuité de la communauté affermit la distinction entre le roi et le

royaume.

- Aussi, affirme-t-il que le peuple peut exister sans roi, alors que celui-ci ne pourrait pas

être en l’absence d’un peuple.

- Théodore de Bèze écrit la même chose en assurant que « les peuples ne sont pas créés

pour les magistrats mais au contraire les magistrats pour les peuples ». (Droit des magistrats,

1574).

- Ces deux auteurs ont été profondément marqués par le massacre sanglant de la Saint-

Barthélemy qui montre qu’un homme seul ayant tous les pouvoirs peut mal faire.

- Pour eux, au moment de la Saint-Barthélemy, le roi s’est comporté en tyran.

- Donc, pour eux, il faut revenir au système politique originel, inscrit dans le caractère

des Francs.

- Hotman croit trouver dans l’étude de leur histoire l’idée d’un profond attachement à la

liberté les conduisant à rejeter la domination d’un roi ou d’une royauté.

- Cette volonté de liberté a conduit au plan institutionnel à obtenir la possibilité d’élire et

de déposer leurs rois.

- Fondé abusivement sur la loi salique (l'expression désigne les règles de succession au

trône de France fondées sur le principe de masculinité qui écarte les femmes du trône et sur le

principe de primogéniture qui désigne le premier né comme héritier de la Couronne), le droit

héréditaire qui sera invoqué plus tard en faveur d’Henri de Navarre doit céder devant le droit

de la république, sans pour autant disparaître.

- Il existe certes une préférence en faveur des héritiers du défunt mais il est toujours

loisible de choisir un roi dans une autre lignée

- A l’inverse, si le peuple fait le roi, il peut le renverser en cas de dérive absolutiste ou

tyrannique.

- A propos des Francs, Hotman explique lorsqu’ils élisaient leurs rois, ce n’était pas pour

qu’ils se transforment en tyrans, mais pour être des gouverneurs, des gardiens et des défenseurs

de la liberté.

- Théodore de Bèze développe les mêmes thèses et est favorable à une monarchie

combinant les principes électif et héréditaire ; l’élection devant servir à exprimer la

souveraineté de l’ensemble du peuple.

- Tous les monarchomaques protestants s’entendent sur un autre point : jamais le

peuple n’a conféré au prince une autorité absolue.

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- D’ailleurs, pour Hotman, la fonction royale est limitée et contrôlée dans son exercice

par l’assemblée des états, les Etats généraux (réunissent les trois ordres, noblesse, clergé et

Tiers-Etat) qui sont la véritable incarnation de la république et d’un peuple organisé

- En tant que tels, ses membres se posent en concurrents du roi puisqu’ils sont les

« patrons et tuteurs de la chose publique »

- Il y voit au final la combinaison de l’élément monarchique, l’élément aristocratique et

l’élément populaire, selon une formule qui renvoie à la structure du régime mixte.

- Il en résulte que la préservation des libertés — sous l’Ancien Régime, on appelait

libertés, les privilèges — la neutralisation de l’arbitraire, voire la résistance à l’oppression

passent par la reconnaissance de droits politiques collectifs.

- Ceux-ci sont exercés, pour la république et en son nom, par une instance représentative

dont l’existence et les prérogatives sont d’ordre constitutionnel.

- Cette instance représentative institue et peut destituer le roi.

- Elle est aussi concernée par « toute l’administration politique du royaume », à savoir la

législation et la nomination des agents publics.

- Les Etats généraux se voient donc reconnaître par les monarchomaques protestants, la

possibilité d’exprimer, de manière autonome, la volonté collective de la république-universitas

dont ils sont les interprètes privilégiés.

- Dans un tel système, le roi n’intervient plus que selon une délégation de pouvoirs

révocable.

- Aussi, n’a-t-il plus qu’un rôle subalterne d’exécution.

- Il s’efface devant la communauté politique et ses représentants qui sont les véritables

détenteurs du pouvoir constitutif et les seuls maîtres du gouvernement.

- Les monarchomaques protestants retrouvent le lien établi par Cicéron entre république

et res-populi.

- Celle-ci, la chose du peuple, se matérialise à travers les Etats généraux.

- Et ils insistent sur le caractère imprescriptible des droits des peuples.

- Mais, attention, comme l’écrit bien Hotman, les monarchomaques ne songent pas à un

régime démocratique : Les protestants se méfient du peuple, à cette époque royaliste et plutôt

catholique.

- L’apport de la Ligue :

- La Ligue catholique, la Sainte Ligue ou la Sainte Union est le nom donné au parti

ultra-catholique qui se forme en 1570 et qui a pour but d’extirper définitivement le

protestantisme de France

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- Les ligueurs réussissent à imposer au roi le principe de catholicité et énoncent à cette

occasion la prépondérance des Etats généraux.

- Eux seuls peuvent déterminer et abroger les règles de valeur constitutionnelle

- Ils peuvent aussi déposer le roi s’il contrevenait à la loi de catholicité.

- Rappel : Au lendemain de la disparition d’Henri III en 1589, le successeur désigné ne

pouvait être qu’Henri de Navarre

- Etant de religion réformée, chef du parti protestant et excommunié par le pape en 1585,

son ascension à la royauté ne pouvait que soulever l’opposition farouche des catholiques, et

plus particulièrement des Ligueurs.

- Voulant parer à une telle situation, et dominant Henri III, les ligueurs l’avaient donc

conduit dès 1588 à promulguer, avec l’appui des Etats généraux, un édit d’union posant la règle

selon laquelle le roi devait obligatoirement être catholique.

- Ainsi, s’est affirmé le principe de catholicité.

- Les Etats généraux de Blois de 1588 ont ratifié cet édit et lui ont donné une valeur de

loi fondamentale.

- Rappel sur les lois fondamentales : ce sont des principes statutaires qui se sont dégagés

dès le début de dynastie franque le plus souvent à l’occasion de crise politique ; ces évènements

ont permis d’ériger en coutumes certains principes qui ont donné à la Couronne son statut : ces

normes supérieures font de la Couronne une réalité de droit public à l’abri de l’arbitraire du

prince (principe d’hérédité, principe de masculinité, principe d’indisponibilité du royaume)

- Henri III assassiné en 1589 par le moine fanatique Jacques Clément, les ligueurs se sont

appuyés sur cet édit pour contester la légitimité d’Henri de Navarre et ils ont affirmé que la

règle de catholicité devait l’emporter sur celle de primogéniture.

- Ils ont d’ailleurs déclaré le trône vacant et désigné le cardinal de Bourbon, oncle paternel

d’Henri III et archevêque de Rouen.

- Mort en 1590 avant d’avoir pu être sacré, la question revenait en pleine actualité.

- En janvier 1593, le duc de Mayenne qui avait reçu le titre de lieutenant général du

royaume, convoque les Etats généraux.

- Les ligueurs tentent de leur imposer la fille de Philippe II d’Espagne, l’infante claire-

Isabelle qui, par sa mère Elisabeth de Valois, était la petite fille du roi Henri II.

- Le principe de masculinité risquait d’être violé et le royaume pouvait tomber en mains

étrangères.

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- Les Etats généraux ont rejeté l’initiative des ligueurs tandis que le parlement a confirmé

cette décision par l’arrêt Lemaistre de juin 1593 en affirmant qu’il était hors de question que

sous prétexte de religion, un prince étranger monte sur le trône de France.

- S’il prend acte de l’existence parmi les lois fondamentales du principe de catholicité, il

estime que celui-ci ne doit pas conduire à écarter les autres formés par la coutume et établissant

les règles de la transmission de la couronne.

- Avant de monter sur le trône, Henri IV abjurera la religion protestante et montera sur le

trône en tant que roi catholique, comme ses prédécesseurs et ses successeurs.

- L’avènement d’Henri IV sur le trône, et l’assassinat du duc de Guise en 1588, chef

du parti catholique transforme les protestants en loyalistes et les ligueurs en rebelles.

- Aussi, les ligueurs complètent-ils les anciennes théories des monarchomaques

protestants en invoquant le tyrannicide pour justifier l’assassinat d’Henri III par Jacques

Clément (Le moine fanatique n’avait pas supporté qu’Henri III cherche à s’entendre avec

Henri de Navarre et accepte l’idée qu’il lui succède)

- Ils ne changent rien à leur perception de la république qu’ils préfèrent cependant appeler

« Etat ».

- Pour Jean Boucher (1551-1646), comme pour Guillaume Rose (1542-1602), la

république des catholiques ressemble fort à celle des protestants.

- Elle s’identifie, elle aussi, à la chose du peuple.

- Elle est définie comme une communauté naturelle et originelle d’hommes libres, le

peuple (la république) possède des droits politiques primordiaux.

- De ce fait, la république établit les rois, leur survit, et peut se passer de l’institution

monarchique.

- Le pouvoir royal ne vient donc pas directement de Dieu et les rois sont liés par les lois.

- Les rois ne sont pas propriétaires des biens de leurs sujets et c’est un « pacte de

gouvernement » qui lie le prince à la république

- Or ce pacte contient des engagements qu’Henri III a bafoués.

- En outre, ce contrat exclut un éventuel renoncement du peuple à ses prérogatives

initiales

- Aussi, le peuple conserve-t-il son droit imprescriptible de démettre un tyran en exercice.

- Comme le peuple fait les rois, il peut les défaire, les renverser

- Les ligueurs estiment par ailleurs, le principe de l’élection supérieur à celui de l’hérédité

ce qui justifie la compétence des Etats généraux de Paris de 1593.

- Boucher a une représentation structurée du peuple

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- Par peuple, il entend les instances habilitées à renverser le tyran : les princes, et les

assemblées des communes et des provinces, autrement dit les éléments constitutifs des Etats-

Généraux en l’absence de ceux-ci

- En revanche, si l’urgence et la nécessité de justifier le régicide de Jacques Clément

commandent en 1589 une telle attitude, Boucher adopte en 1593 un autre point de vue alors que

les Etats Généraux sont réunis à Paris selon le vœu de la Ligue pour désigner un nouveau

monarque

- La supériorité des intérêts de l’Etat prend le pas sur toute autre considération, ici l’unité

de la religion entre le roi et son peuple et le refus d’un roi étranger à la tête de l’Etat.

- Boucher tire donc toutes les conséquences du dogme de la suprématie des Etats et

affirme seuls ceux-ci ont le pouvoir de destituer et de changer les rois.

- Boucher, comme Rose, démontre plus une défiance vis-à-vis de l’absolutisme royal et

un souci de modération qu’un rejet pur et simple de la monarchie

- C’est un fait incontestable que les ligueurs ne souhaitent pas changer de régime, ils

veulent simplement un roi catholique de la même façon que les réformés désirent l’accession

au trône d’un prince protestant

- Pourtant Boucher et Rose en soulignant la faculté des peuples de choisir leur

gouvernement ont en cela développé des théories dangereuses pour la royauté.

- Les partisans de la royauté tenteront de désamorcer ces potentialités révolutionnaires,

notamment Bodin qui s’est le défenseur de la monarchie absolue.

- Seul un pouvoir fort et incontesté pourra rétablir l’unité compromise de la république.

Section 3

Fronde et « républicanisme »

- La Fronde est une période de troubles graves qui frappent le royaume de France pendant

la minorité de Louis XIV (1643-1661), alors en pleine guerre avec l’Espagne (1635-1659) et

qui provoque un brutal fléchissement de l’autorité monarchique

- Cette période de révoltes marque une brutale réaction face à la montée de l’autorité

monarchique en France initiée sous Henri IV et Louis XIII, renforcée par la fermeté de

Richelieu et qui connaîtra son apogée sous le règne de Louis XIV.

- Après la mort de Richelieu en 1642, puis celle de Louis XIII en 1643, le pouvoir

royal est affaibli par l'organisation d'une période de régence, par une situation financière et

fiscale difficile due aux prélèvements nécessaires pour alimenter la Guerre de Trente ans (série

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de conflits armés qui a déchiré l’Europe de 1618 à 1648), par l'esprit de revanche des grands

du royaume réduits au silence par Richelieu.

- Cette situation provoque une conjonction de multiples oppositions aussi bien

parlementaires qu’aristocratiques et populaires.

- Il est très difficile de délimiter avec précision les bornes chronologiques de la Fronde.

- Les historiens ont des avis divergents sur la question.

- On peut toutefois proposer comme point de départ la date du 15 juin 1648 qui est

marquée par la déclaration des 27 articles.

- Cette déclaration faite au Parlement de Paris énonçait la limitation des pouvoirs du

souverain.

- La soumission de la ville de Bordeaux, le 3 août 1653, est l'événement qui clôture les

troubles de la Fronde.

- La chronologie est complexe en raison d'événements multiples.

- Toutefois, l'historiographie a pris l'habitude de distinguer plusieurs phases : la première

correspond à l’opposition des cours souveraines (fronde parlementaire, 1648-1649) ; la seconde

à l’opposition des Grands (fronde des princes, 1651-1653).

- Les frondeurs ont été accusés de « républicanisme » par la régente Anne d’Autriche, au

moment de l’arrêt d’union (1648) (Fronde parlementaire, 1648-1649) : le roi se voit arracher

l’essentiel de son pouvoir législatif ; dans ce système, le roi présente les projets de loi et les

cours souveraines les votent

- Mais les frondeurs sont en réalité des partisans de la monarchie mais ils estiment qu’ils

sont les plus aptes à conseiller le roi ; la noblesse frondeuse connaît trop bien ses intérêts pour

vouloir mettre à mal le régime qui défend le corporatisme et la société des trois ordres.

- Elle défend l’idée de la monarchie absolue limitée par la loi divine, la loi naturelle et les

lois fondamentales du royaume.

- Certains peuvent se montrer favorables à une monarchie plus conforme à un passé

idéalisé (monarchie franque), mais ils demeurent bien en deçà des monarchomaques, même

s’ils s’en inspirent.

- Ils soutiennent l’idée que les rois ont été faits pour les peuples qui originairement

détenaient une souveraineté contractuellement transmise au prince.

- De ce fait, l’autorité royale n’est pas sans limites.

- Le roi n’est maître absolu ni de la vie, ni des biens de ses sujets : Il doit obéir aux lois,

déférer aux remontrances des parlements et ne prendre aucune décision sans le consentement

des Etats généraux.

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- Ils ne remettent cependant pas en cause le système et n’envisagent pas son

remplacement mais ils mettent l’accent sur la faiblesse du régime de la régente et de Mazarin

- Ils insistent notamment sur la faiblesse ou la vulnérabilité des institutions (le roi est

mineur) ; le système du ministériat joue à ses dépens dans un contexte international défavorable

à la royauté

- Cela participe à un républicanisme diffus qui s’exprime dans les rues de Paris au début

de 1649 mais qui ne dure pas : le roi est très chaleureusement accueilli dans Paris à son retour

d’exil à Saint-Germain en Laye, le 18 août 1649.

- Pour autant, en 1652, alors que sévit toujours la Fronde des princes, les critiques

vis-à-vis de la monarchie vont se durcir

- Le roi est désormais majeur et peut-être tenu pour responsable de la politique jusque-là

attribuée à Anne d’Autriche ou à Mazarin.

- La légitimité monarchique est mise en cause.

- Certains estiment en effet que tous les rois sont plus ou moins des tyrans d’origine et

que seule compte la manière dont ils gouvernent.

- Pourtant, les frondeurs ne prônent pas la république et n’emploient d’ailleurs pas le

terme

- Tout au plus, songe-t-on à l’établissement d’un parti face au roi.

- L’objectif des parlements était de prétendre posséder une puissance seconde destinée

à modérer la puissance du roi qui s’exercerait par les refus d’enregistrer et les remontrances

- L’objectif de la Fronde des princes est de ressusciter une France féodale dans laquelle

les grands seigneurs maîtres du Conseil du roi gouverneraient le royaume

- En réalité, il n’y a pas de traces de républicanisme chez les Frondeurs : La Fronde a été

populaire et monarchiste.

Section 4

L’équation République/Etat et l’émergence de l’Etat moderne

- Au sortir des guerres de religion, l’unité nationale sembla acquise.

- Le dogme de l’unité religieuse s’efface devant la diversité confessionnelle instaurée par

l’Edit de Nantes (1598).

- Les Français se reconnaissent désormais dans la soumission à un même prince

catholique tolérant la minorité protestante.

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- Pourtant un siècle plus tard, l’édit de l’Edit de Fontainebleau en 1685 supprime l’Edit

de Nantes, et consacre l’unité religieuse retrouvée.

- On associe à nouveau unité religieuse et unité de la république.

- Cardin Le Bret (1558-1655) écrit d’ailleurs vers 1630 : « il est impossible de conserver

en paix l’Etat de son pays autrement que par l’unité de la religion ».

- Louis XIV en tirera les conséquences donc en 1685, date qui peut désigner l’apogée de

la monarchie absolue

- Tout ploie devant l’autorité du roi qui gouverne en monarque absolu.

- Les Etats généraux n’ont pas été réunis depuis 1614 et ne le seront pas avant 1789.

- Quant aux parlements, ils sont muselés : La Déclaration royale de 1673 leur supprime

le droit d’émettre des remontrances au roi avant l’enregistrement d’une lettre patente

- Ainsi, les parlements s’abstiennent de toute remontrance pendant 42 ans.

- L’œuvre de Bodin sera-t-elle une réponse aux théories subversives pour la royauté des

monarchomaques en défendant la thèse de la monarchie absolue.

- Pour Bodin, la république par excellence est la monarchie royale

- Jusqu'au début du XVIe siècle, c'est à partir de la notion d'imperium qu'est appréhendée

la souveraineté, ce faisceau de prérogatives conquises ou reconquises par le roi comme

monarque indépendant

- Il convenait désormais de mieux définir la conjonction de l'indépendance du roi avec

son autorité souveraine en déconditionnant la notion de souveraineté de son origine impériale

et de la reconstruire de façon à exprimer la concentration nécessaire du pouvoir entre les mains

du roi.

- Le mérite d'avoir forgé le concept moderne de souveraineté revient au jurisconsulte

angevin Jean Bodin dans son ouvrage publié en 1576 sous le titre Les six livres de la

République.

- Bodin et la défense de l’idée d’une république monarchique :

- Sa définition

- Pour assurer son unité et sa conservation, un corps politique, par nécessité, requiert un

pouvoir suprême : « La République est un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce

qui leur est commun, avec puissance souveraine »

- La souveraineté apparaît à travers cette métaphore comme une forme de cohésion,

d’union de communauté politique sans laquelle elle se disloquerait

- Cette souveraineté qui donne ainsi sa forme à l'Etat, Bodin, la définit doublement

comme « une puissance absolue et perpétuelle d'une république »

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- La souveraineté est perpétuelle pour la simple raison qu'elle est l'attribut fondamental

de l'Etat : elle ne peut jamais cesser car sans elle ce dernier n'existerait plus.

- Le pouvoir souverain, comme tel, doit donc rester dans son intégralité ; il ne peut être

ni partagé, ni divisé ; dissociée de la personne du roi ; la souveraineté ne disparaît pas à sa mort,

elle demeure intacte et se transmet automatiquement au successeur selon les lois fondamentales

(sens de l’adage « le roi est mort, vive le roi » qui illustre la continuité royale)

- La souveraineté est aussi absolue, non seulement au sens de ce qui n'est pas lié

juridiquement, mais encore au sens déjà évoqué, selon lequel, étant indivisible, elle ne tolère ni

restrictions ni conditions qui n'en feraient plus une réalité pleine et entière : la souveraineté est

nécessairement associée à l'unité.

- La perpétuité et le caractère absolu, avec leurs corollaires, l'unité et l'indivisibilité,

n'auraient cependant aucune signification si le pouvoir ne remplissait pas une autre condition

pour être réellement souverain.

- Il doit être ultime, c'est-à-dire ne pas émaner de quelque pouvoir supérieur : « Il n'y a

que celui absolument souverain qui ne tient rien d'autrui » ; dans ce sens, la souveraineté n'est

rien d'autre que l'indépendance totale du prince dans le domaine international.

- Ainsi Jean Bodin clôt l'œuvre commencée avec les légistes des XIIIe-XIVe siècles : la

souveraineté apparaît comme un concept construit dans le but d'interpréter le système de la

monarchie pure dans laquelle le roi est seul maître des structures du pouvoir.

- Les marques de la souveraineté

- Déduite de la souveraineté, l'analyse unitaire du pouvoir conduit Bodin à faire la

synthèse des prérogatives royales qu'il qualifie de « marques de la souveraineté ».

- Sur ce point il introduit deux changements notables.

- A l'énumération d'une mosaïque de droits régaliens, il substitue une souveraineté

s'offrant comme un pouvoir abstrait et contraignant dont les diverses « marques » sont

l'émanation.

- Ensuite, parmi ces dernières, « la puissance de donner et de casser la loi » est

l'expression naturelle et distinctive de la puissance suprême, en sorte que les autres « marques

» découlent en définitive toutes de cet attribut essentiel.

- La traditionnelle juridiction en dernier ressort, privilégiée par les juristes

médiévaux, cède donc le premier rang à la puissance législative

- Ce pouvoir de donner la loi à tous en général et à chacun en particulier et de la casser,

le roi l'exerce sans partage, sans qu'il ait besoin du consentement d'aucun

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- La formule « Car tel est notre plaisir » figurant à la fin de chaque ordonnance, n'exprime

pas l'arbitraire royal, mais fait entendre que la loi, issue de la raison bienfaisante du roi

s'accordant au bien commun, ne dépend que de « sa pure et franche volonté ».

- En conséquence, le souverain est legibus solutus, libre vis-à-vis des lois de ses

prédécesseurs comme vis-à-vis des siennes propres.

- Il peut accorder des dérogations et des privilèges exemptant du droit commun, et toutes

espèces de grâces ; s'il le juge bon il peut modifier les coutumes générales et particulières.

- Les autres marques de souveraineté - faire la guerre et décider de la paix, battre

monnaie, lever tailles et impôts, nommer les officiers, juger enfin en dernier ressort par

l'exercice de la justice retenue - procèdent toutes de la puissance législative.

- C'est ainsi que la royauté française, par sa mainmise sur l'ordre juridique, sans violence

et sans heurts crée les bases efficaces de l'Etat moderne

- Les bornes de la législation royale

- Du point de vue de la législation positive, si le souverain est techniquement legibus

solutus, cela ne signifie pas que son pouvoir est sans frein car ce serait là une contradiction avec

la notion de souveraineté « légale ».

- Par conséquent, pour qu'il y ait une vraie respublica, la puissance législative du roi doit

faire corps avec la nécessité du « droit gouvernement ».

- Les sujets obéiront au prince parce qu'il assigne à ses lois un contenu conforme à la

justice et à la raison, aux lois divines et naturelles, sous peine de se rendre coupable de « lèse-

majesté divine »

- Ces normes excluent par elles-mêmes toute autorité tyrannique : le roi n'est roi que s'il

s'identifie à la loi, s'il est la loi vivante conditionnée par l'héritage religieux et politique du

Moyen Age qu'exprime le terme de Très Chrétien.

- Le souverain est donc lié par un certain nombre de chaînes qui sont autant de

bornes au contenu de sa législation.

- Il en est de morales : la conscience chrétienne du roi le soumet aux règles divines et

naturelles.

- Il en est de constitutionnelles : une loi du roi ne peut déroger aux Lois fondamentales,

ces dispositions spéciales qui concernent le statut de la Couronne.

- Il en est aussi qui tiennent au domaine de la législation.

- Les ordonnances continuent d'être pour l'essentiel de droit public : exercice de la justice,

finances et fiscalité, police du royaume, c'est-à-dire maintien de l'ordre et administration

générale, réglementation économique, armée et cultes.

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- Pour le reste, le roi est tenu de respecter les coutumes territoriales régissant le droit

privé ; de même a-t-il normalement égard pour les libertés naturelles et les privilèges de ses

sujets que lui-même et ses prédécesseurs ont concédés ou confirmés.

- Certes dans ces deux derniers domaines, il peut intervenir mais sa prérogative législative

ne doit s'utiliser que dans l'intérêt commun.

- Ainsi il réformera les coutumes de droit privé si elles sont déraisonnables ou s'il faut

prendre des mesures exigées pour le bien de tous : à ce titre, les interventions royales se font

plus nombreuses à partir du XVIe siècle

- A l'endroit des privilèges des sujets, le roi est toujours libre vis-à-vis de la concession

ou confirmation qu'il a faites ; il lui arrive de les réduire ou de les supprimer, mais toujours avec

modération car ces privilèges, ceux de possession immémoriale surtout, rentrent - c'est l'avis

d'un Bodin - dans ce qui appartient en propre aux sujets et qu'un « droit gouvernement » doit

respecter.

- Ce qui caractérise une « monarchie royale » éloignée de tout arbitraire, c'est le souci

qu'a son chef de laisser la société civile vivre selon les coutumes et poursuivre ses activités dans

le cadre de règles d'action, de libertés et de privilèges qui lui sont propres.

- La modération de l'autorité législative dans ces domaines comme son opportunité dans

le domaine qui est naturellement le sien - le droit public - sont tributaires de la pratique du

conseil.

- Pour être vraiment « royale », la monarchie introduit la délibération dans le processus

d'élaboration des ordonnances.

- C'est ainsi que pour un publiciste comme Bodin, la consultation - mais la seule

consultation - des Etats généraux, en entremêlant les trois ordres sociaux du royaume autour du

prince, renforce la responsabilité de celui-ci envers le salut de la respublica ; le « roi en ses

Etats », c'est donc le roi dont l'autorité, reconnue par tous, s'identifie complètement avec la

souveraineté de l'Etat.

- En définitive la pondération du conseil exalte le législateur souverain.

- Cependant, contenue dans ces bornes et bien qu'elle ne soit pas toujours respectée dans

la pratique, la législation royale permet au souverain, du XIVe au XVIe siècle, d'accroître sa

mainmise sur le royaume.

- Ces idées de Bodin seront développées après l’avènement d’Henri IV en 1598 et elles

vont dominer.

- La royauté sort renforcée de l’épreuve des guerres de religion et réunit les Français

autour de la ferveur monarchique pour longtemps.

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- L’idée de république démocratique s’efface pour ne réapparaître qu’à la fin du XVIIIe

siècle et avec le déclenchement de la Révolution de 1789.

- Néanmoins, entre temps, la notion de république continue à intéresser les théoriciens.

- Prédominance de la notion de souveraineté, éclipse de celle de la république :

- La doctrine absolutiste : les successeurs de Bodin.

- A la fin du XVIe siècle, l’essor des idées absolutistes ainsi que l’affirmation théorisée

du droit divin des rois sont dans une large mesure le contrecoup de la période troublée des

guerres de religion : temps de la lutte armée des factions et des révoltes contre une autorité

royale méconnue et bafouée ; temps, aussi de la violence, des massacres, des pillages, de

l’insécurité des personnes et des biens

- Aussi voit-on dans les dernières décennies du XVIe, les meilleurs esprits placer tous

leurs espoirs dans le rétablissement d’un pouvoir royal fort et respecté, capable de faire revenir

la paix civile et la sécurité

- Mais pour parvenir à ce résultat, il était nécessaire de mettre au service de la restauration

de l’autorité monarchique des doctrines capables de faire pièce aux argumentations des

théoriciens d’un pouvoir royal limité, soumis au contrôle et éventuellement à la sanction du

peuple

- Absolutisme et droit divin sont avant tout des contre-théories lancées contre les

idées des auteurs monarchomaques

- Dans ce contexte, les définitions de la république données par les juristes après Bodin

présentent d’évidentes similitudes avec sa pensée

- Leurs écrits se placent dans la première moitié du XVIIe siècle, et ils sont seuls, ou

presque, à s'exprimer.

- Pour l'essentiel, ils ne font que reprendre et illustrer la pensée de Bodin.

- Du moins ces jurisconsultes ont-ils su mettre au service d'une monarchie pure, titulaire

d'une souveraineté entière et non partagée, quelques formules célèbres

- Ainsi Guy Coquille écrit que « le roi... n'a point de compagnon en sa majesté royale »

(Institution au droit français, 1607).

- Ou bien Charles Loyseau, avec sa fameuse comparaison de la souveraineté à la

couronne

- De même que l'on ne peut plus parler de couronne s'il y manque un seul fleuron, de

même la souveraineté n'existe qu'en l'absence de toute trace de division ou de partage : « La

souveraineté n'est point si quelque chose y défaut » (Traité des seigneuries, 1609).

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- Ce qu'exprime peut-être mieux encore la belle image toute mathématique, et en cela

bien caractéristique de son temps, de Cardin Le Bret, pour qui la souveraineté est, par nature,

« non plus divisible que le point en la géométrie » (De la souveraineté du roi, 1632).

- Parallèlement, les mêmes auteurs ont d'ailleurs contribué à poser les fondements d'une

autre doctrine, qui vient compléter celle de l'absolutisme.

- La théorie du droit divin :

- L'idée de la royauté de droit divin n'est pas propre à la France.

- Catholiques ou protestantes, toutes les monarchies européennes des XVIIe et XVIIIe

siècles - hormis l'Angleterre d'après 1688 et la Prusse de Frédéric II - justifient la souveraineté

du prince par le droit divin.

- Mais c'est en France que la construction doctrinale a été la plus achevée.

- Portée de la théorie

- Elle repose sur l'idée que le roi reçoit directement son pouvoir de Dieu, sans nul

intermédiaire.

- En conséquence, c'est à Dieu seul qu'il doit rendre des comptes : Nul homme, nul groupe

humain n'est en droit de lui en demander.

- N'étant responsable que devant Dieu, le roi est irresponsable devant les hommes.

- Concrètement, cela veut dire deux choses.

- Tout d'abord, le pape, qui n'est qu'un homme, ne possède nullement le droit de s'ériger

en juge du roi au temporel.

- Certes, le pouvoir du pape vient directement de Dieu mais celui du roi également

- Le roi n'est donc en rien inférieur au pape, qui ne peut le sanctionner, ni le déposer.

- Le second point est que les sujets du roi se trouvent eux aussi dépourvus de tout droit

de contrôle et de sanction envers le roi.

- L'affirmation de l'origine divine directe du pouvoir royal balaie toute les thèses

contractuelles, fondées sur l'idée d'une autorité venant de Dieu par l'intermédiaire du peuple et

pouvant faire l'objet d'une révocation par celui-ci lorsqu'il la juge mal exercée.

- Rien n'autorise donc les sujets du roi à se révolter contre lui ainsi que certains d'entre

eux l'ont fait depuis un demi-siècle.

- Rien ne peut justifier a fortiori des assassinats comme ceux dont viennent d'être

successivement victimes le dernier des Valois et le premier des Bourbons.

- Le droit divin jusqu'à Bossuet

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- Lors des Etats généraux de 1614-1615, tandis que la France se trouve encore sous le

coup de l'assassinat d'Henri IV, le Tiers Etat souhaite que la doctrine du droit divin reçoive un

maximum d'éclat et d'autorité.

- Le cahier général du Tiers demande que soit arrêté « pour loi fondamentale du

royaume » que le roi ne tient « sa couronne que de Dieu seul ».

- Mais le clergé, blessé que l'on parût douter de son loyalisme envers le roi s’opposa

vivement à ce projet et il gagna la noblesse à ses vues si bien que le pouvoir royal, soucieux

d'éviter un affrontement entre les ordres, évoqua l'affaire à lui, interdisant aux Etats de continuer

à s'en occuper, et promettant de prendre une décision, ce qu'il se garda bien de faire.

- Cela n'empêcha pas la théorie du droit divin de s'imposer.

- Elle se trouve présente chez Loisel : « Le roi ne tient que de Dieu et d’épée » (Institutes

coutumières, 1607).

- On la retrouve chez Le Bret, pour qui « nos rois ne tenant leur sceptre que de Dieu seul

ne sont obligés de rendre aucune soumission à une puissance de la terre ».

- Cette doctrine est aussi celle des Parlements désormais dociles après l’avènement de

Louis XIV qui condamnent systématiquement tous les ouvrages contenant des thèses contraires

au droit divin des rois.

- La Faculté de Théologie se rallie d'ailleurs progressivement à celui-ci.

- Elle proclame en 1663 que le roi « n'a d'autre supérieur au temporel que Dieu seul »,

doctrine qui, par l'intermédiaire des universités, va très largement gagner le clergé.

- Et c'est un évêque, d'extraction bourgeoise il est vrai, qui va donner à la théorie du droit

divin son visage achevé.

- La théocratie royale selon l'Aigle de Meaux

- C'est alors qu'il était précepteur du dauphin que le futur évêque de Meaux écrivit, de

1670 à 1679, à l'intention de son royal élève, l'ouvrage intitulé La politique tirée des propres

paroles de l'Ecriture sainte.

- S'appuyant principalement sur celle-ci, Bossuet formule de manière définitive le dogme

politico-religieux de la théocratie royale.

- Le point fondamental est que Dieu « gouverne tous les peuples et leur donne à tous leurs

rois »

- En conséquence, « le trône royal n'est pas le trône d'un homme mais le trône de Dieu

même » et quiconque s'oppose à un roi qui est le « ministre de Dieu » se comporte en « ennemi

de Dieu ».

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- La théorie de Bossuet exige donc du sujet la même soumission envers le roi

qu'envers Dieu.

- L'obéissance au souverain est un devoir sacré : « Le respect, la fidélité et l'obéissance

qu'on doit aux rois ne doivent être altérés par aucun prétexte. »

- Le pape comme le peuple sont impuissants face au roi.

- La déclaration royale gallicane de 1682 (doctrine religieuse et politique française qui

cherche à organiser l'Église catholique de façon autonome par rapport au pape) dont Bossuet

fut l'inspirateur, proclame solennellement que, dans le domaine temporel, « les rois et les

souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique ».

- Et le texte ajoute que « leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de

l'obéissance qu'ils leur doivent ».

- En un mot, la théorie du droit divin telle que l'exprime Bossuet constitue la justification

religieuse du pouvoir absolu des rois : C'est le sceau de la volonté divine mis sur l'absolutisme.

- C'est donc parce qu'il est de droit divin que le roi peut légitimement exercer une autorité

absolue.

- Et c'est bien ainsi que Louis XV présentera les choses dans l'édit de décembre 1770,

enregistré d'autorité, et dirigé contre les menées des Parlements : « Nous ne tenons notre

couronne que de Dieu. Le droit de faire des lois, par lesquelles nos sujets doivent être conduits

et gouvernés, nous appartient à nous seuls sans dépendance et sans partage. »

- Pourtant, le pouvoir royal n’a rien gagné avec ces doctrines :

- Constatation qui contredit bien des idées reçues.

- Quasi divinisée, absolue, dégagée de toute responsabilité devant les hommes, la

monarchie française semble avoir tiré un immense profit du double mouvement doctrinal du

XVIIe siècle mais ce n'est dans une large mesure qu'une apparence.

- La théorie du droit divin n'ajoute rien à la dimension religieuse traditionnelle

du roi

- Depuis des siècles, le sacre fait de lui le représentant de Dieu sur terre et lui confère

un pouvoir miraculeux.

- Et l'absolutisme ne donne pas au roi de prérogative supplémentaire, hormis, celui

de décider seul de la création de nouveaux impôts (conséquence indirecte de la désuétude

des Etats généraux)

- Mais, ce point mis à part, le roi d'Ancien Régime s'inscrit dans la continuité de ses

prédécesseurs.

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- La signification concrète de la doctrine absolutiste est la suivante : c'est le roi qui

décide en dernier ressort, il tranche et il a toujours le dernier mot.

- Quand la décision personnelle du roi est prise, il n'y a plus de recours et il ne reste

qu'à obéir

- Or tout cela n'est pas nouveau.

- Les rois de la Renaissance et du Moyen Age décidaient eux aussi en dernier ressort

- Simplement, en raison de circonstances de fait, certains rois n'ont pas toujours pu

exercer leur autorité aussi vigoureusement qu'ils l'auraient souhaité.

- Mais cet aspect conjoncturel ne doit pas masquer la permanence du comportement

politique des rois.

- Pas plus que Louis XIV, ils ne concevaient de partager leur pouvoir avec quiconque.

- Certains y furent parfois contraints sous la pression des événements, mais ils

n'eurent de cesse de recouvrer leur indépendance de décision.

- Si absolutisme et pouvoir personnel caractérisent la monarchie de Louis XIV, c'est

tout aussi vrai pour celle de François 1er, de Louis XI, de Charles V ou de Philippe le Bel

- D'ailleurs, c'est depuis le début du XVe siècle que figure couramment dans les lettres

patentes la fameuse formule, à tort reprochée à l'absolutisme, « car tel est notre plaisir »,

qui exprime, on le sait, non pas le caprice mais la volonté réfléchie du souverain.

- L'absolutisme de droit divin n'a pas créé le pouvoir personnel du roi.

- Il lui a simplement permis de résister au choc des théories visant à l'abattre.

- Mais le lourd appareil doctrinal qui assure la sauvegarde de l'autorité royale

ne présentait pas que des avantages pour celle-ci.

- Le point le plus faible en est paradoxalement celui qui semble le plus fort : le

droit divin.

- Cette doctrine présente l'inconvénient de lier trop exclusivement l'autorité du roi à

une investiture divine directe.

- C'est fort efficace tant que la foi reste profonde dans toutes les couches de la société

mais que survienne une poussée d'irréligion, comme ce sera le cas au XVIIIe siècle, et, son

support religieux se trouvant ébranlé, la royauté sera en situation de fragilité.

- Le grand gagnant est en fait l’Etat

- Héritier de la res publica des Romains, l'Etat, entité supérieure et permanente

constitue le véritable bénéficiaire des doctrines absolutistes et de la théorie de droit divin.

- Le roi travaille pour l'Etat.

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- Le roi d'Ancien Régime n'est donc pas autre chose que le premier serviteur de l'Etat, le

premier agent public du royaume.

- Si le roi est qualifié de souverain, c'est à l'Etat qu'appartient en réalité la souveraineté.

- Elle est « inséparable de l'Etat » (Loyseau)

- Le roi ne fait qu'exercer au nom de l'Etat l'autorité souveraine.

- Dans ces conditions, les doctrines affirmant le caractère absolu de la souveraineté

aboutissent en définitive à proclamer l'absolutisme de l'Etat.

- Malgré ses préférences monarchiques, Bossuet écrit : « Dieu prend en sa protection tous

les gouvernements légitimes, en quelque forme qu'ils soient établis. »

- C'est l'Etat en lui-même, quelle que soit sa forme, qui reçoit la caution divine.

- Rien d'étonnant, donc, si l'Etat aspirait à étendre son champ d'action qu’il prétende,

à la limite, régir intégralement la vie de la nation.

- Rien ne devrait pouvoir se faire sans que l'Etat l'ait décidé, ou du moins autorisé.

- Il y a là une logique de l'absolutisme étatique, qui n'est d'ailleurs pas propre à la

France

- Elle caractérise l'ensemble des pays d'Europe, et cela indépendamment des formes

de gouvernement.

- Tantôt le régime est mixte comme en Angleterre, tantôt il s'agit d'un despotisme

comme en Prusse, ou d'une monarchie pure comme en France, mais partout l'Etat se veut

absolu.

- Et encore est-ce paradoxalement en France que cet absolutisme de l'Etat est le

moins entré dans les faits.

- Il n'empêche que, sous l'Ancien Régime, plutôt que du bien commun, comme

autrefois, on préfère en général parler du bien de l'Etat.

- C'est le second, et non plus le premier, que le roi, lors du serment du sacre, s'engage

à respecter.

- C'est lui qu'il invoque quand il expose, dans le préambule d'un texte, les motifs de

sa décision.

- Et, s'il ne lui paraît pas opportun d'expliciter ses mobiles, il précise tout de même

qu'il a été déterminé par « des raisons d'Etat », c'est-à-dire des considérations d'intérêt

général.

- Le bien de l'Etat se trouve donc identifié au bien de tous, au bien de la Nation de

sorte que le roi, qui sert et représente l'Etat, se trouve être du même coup le représentant de

l'universalité de la nation.

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- La royauté est absorbée par l'Etat.

- Le roi ne s'appartient pas

- Il n'a ni vie privée, ni patrimoine privé.

- La personne du roi tout comme ses biens sont la chose de l'Etat.

- Le roi ne peut rien posséder en propre.

- L'idée d'un domaine privé du roi, qui existerait à côté d'un domaine public, est en

complète opposition avec les principes constitutionnels de l'ancienne France.

- Concrètement, cela signifie que tout ce que possède un roi au jour de son avènement

tombe automatiquement dans le domaine de la couronne.

- Ce principe, qui n'a pas été admis sans résistance, ne s'est définitivement imposé

qu'au début du XVIIe siècle

- L'Etat existe indépendamment du roi.

- L'Etat n'appartient pas au roi.

- Certes, celui-ci emploie souvent l'expression : « mon Etat » mais ce n'est qu'une façon

de parler.

- L'Etat est simplement confié au roi, qui en a la responsabilité son règne durant.

- Louis XIV n'a sans doute jamais prononcé la fameuse parole : « L'Etat, c'est moi » ;

formule que, sans preuve, on lui attribuait autrefois, et dont on s'autorisait pour affirmer

que le Roi-Soleil considérait l'Etat comme sa chose.

- Il est par contre certain que Louis XIV, mourant, a dit : « Je m'en vais, mais l'Etat

demeurera toujours. »

- L'Etat reste tandis que les rois passent et il est resté tandis que passait la

royauté elle-même.

- L'Etat fut créé progressivement par la royauté, qui visait à améliorer son

fonctionnement et à assurer sa pérennité.

- La royauté était une vieille réalité historique ayant un très fort contenu humain,

affectif, religieux : elle était profondément concrète.

- L'Etat était une construction théorique et juridique, c'est-à-dire abstraite

- Et on greffa ceci sur cela.

- La notion d'Etat fut utile au roi, elle lui servit à légitimer son pouvoir, à le défendre

contre les agressions idéologiques et les révoltes ; à le faire pénétrer efficacement dans la

vie de la nation.

- Il fut commode au roi de pouvoir se dire le serviteur de l'Etat et donc le représentant

de la nation.

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- Mais, d'un autre côté, en installant et fortifiant l'idée d'Etat, le roi œuvrait à la

puissance d'une entité totalement distincte de sa personne, une entité permanente et

autonome, qui se trouve en l'occurrence servie par une monarchie, mais qui existe

indépendamment de la forme du gouvernement.

- Dès lors, le roi ne peut se passer de l'Etat, tandis que celui-ci peut fort bien se

passer du roi, il peut changer de serviteur et c'est ce qui se produira avec la Révolution

- Ayant bien absorbé la royauté, s’étant nourri et fortifié de sa substance, l’Etat finit

par la rejeter : la royauté disparut, et l’Etat continua sans elle

Chapitre 4

La contestation idéologique de l’Ancien Régime

- Depuis la fin du règne de Louis XIV, un mouvement contestataire se développe, les

institutions de la royauté sont discutées.

- La seconde moitié du règne de Louis XV est marquée par une accélération du

mouvement des idées

- Deux siècles de monarchie absolue ayant habitué les esprits à la stabilité des institutions,

les enjeux se sont déplacés

- Il ne s’agit plus d’affermir un Etat chargé d’assurer la paix civile

- Désormais, toutes les énergies intellectuelles sont employées à prévenir une dérive

arbitraire de l’autorité

- De ce fait, la république gagne plus encore en légitimité car s’enracine l’idée qu’elle

peut être le contre-exemple du despotisme même si dans un premier temps personne ne songe

encore à priver le roi de la souveraineté

Section 1

La république : l’antithèse de la monarchie

- L’accusation de républicanisme portée contre les protestants :

- Tous ceux qui contestent l’autorité représentée par la monarchie sont qualifiés de

« républicains », même s’ils ne sont pas les partisans d’un régime républicain.

- Aussi n’est-il pas surprenant de voir les dissidents religieux supportés l’accusation de

républicanisme

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- Les protestants sont accusés d’être républicains car ils s’opposent à une monarchie ayant

révoqué l’Edit de Nantes (1685), à un ordre politique fondé sur le catholicisme

- Ainsi, leur requête en faveur de la tolérance civile est tenue pour une contestation

- Déjà Louis XIII aurait dit qu’ils « avaient des principes républicains et qu’ils étaient les

ennemis de la hiérarchie et des mœurs de la monarchie ».

- Delamare (1641-1723), évoque ainsi l’esprit d’indépendance qui caractérise les

protestants sous Louis XIII et souligne que « leur premier dessein avait été d’établir entre eux

une espèce de république, et de former, un Etat au milieu de l’Etat »

- Le magistrat ici amplifie la menace protestante qui peut prendre les traits de la sécession

et l’instauration d’un régime non monarchique

- De son côté, Saint-Simon rappelle les volontés indépendantistes des protestants : tant

en raison de son statut que de sa situation géographique, La Rochelle était « presque

république »

- Voltaire, célèbre pour ses plaidoyers en faveur de la tolérance, partage ce point de vue.

- Selon lui, c’est justement l’esprit républicain des premières communautés protestantes

dirigé contre l’autorité, qui est la véritable cause des guerres de religion.

- Il note que la Réforme s’est d’ailleurs implantée dans des Etats hostiles au

gouvernement absolu.

- Voltaire établit un lien très fort entre protestantisme et républicanisme.

- Selon lui, la Réforme conduit à la république et celle-ci ne s’accommode que du

protestantisme.

- Voltaire explique que la plus grande partie de la Suisse n’a eu aucune peine à concevoir

la république : Genève est devenu un Etat entièrement républicain en devenant calviniste

- Dans cet esprit, l’action entreprise par le cardinal de Richelieu en 1627-1628 est saluée

comme une œuvre de restauration de l’autorité engagée pour éviter la dissolution de l’unité

nationale par la constitution d’un ensemble concurrent

- La chute de La Rochelle mit un terme définitif au péril politique protestant

- Pourtant malgré une telle défiance, le loyalisme des protestants est indubitable et

explique la tolérance de fait dont ils vont bénéficier au XVIIIe

- Des parlements suspectés d’un certain républicanisme :

- Le conflit entre le roi et les parlements ne date pas du XVIIIe : les parlements en France

ont en certaines occasions cherché à usurper un rôle politique de premier plan, harcelant

systématiquement le pouvoir et entravant son action

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- Mais au XVIIIe siècle, ce conflit se radicalise : c’est l’idée que face au roi, la nation,

désormais revêtue de droits distincts, est présumée maître de son destin.

- La nation est réputée être au-dessus du roi, elle doit participer à la loi par la voie des

parlements qui la représentent.

- Cette idée fait craindre une dérive vers un système britannique

- En 1689, après la révolution de 1688 qui avait renversé Jacques II, les Anglais ont obligé

Guillaume III d’Orange et son épouse, d’accepter la Déclaration des Droits, le Bill of Rights,

avant de monter sur le trône.

- Le Bill of Rights reconnaît au parlement le droit de se réunir à son gré, de voter l’impôt,

de veiller à l’exécution des lois, et aux citoyens le droit d’élire leurs représentants et d’être jugés

par des jurys.

- A propos de cette critique, rappelons que le parlement est étroitement associé à

l’élaboration des ordonnances royales.

- Dès le début du XIVe siècle, le roi fait lire en audience publique, devant le parlement,

ses ordonnances afin qu’elles soient enregistrées pour y être connues et appliquées.

- Cette formalité donne l’occasion au parlement de faire valoir son point de vue.

- Et progressivement, le parlement s’est mis à adresser des observations au roi, des

remontrances lorsque le texte ne lui paraissait pas conforme à la coutume, au droit et à l’ordre

monarchique.

- La royauté a tout d’abord encouragé cette démarche

- Puis, le parlement est parvenu à faire admettre qu’en l’absence d’enregistrement, les

textes royaux n’avaient aucune valeur exécutoire.

- Le roi tenait cependant à conserver une certaine liberté face au parlement, notamment

en lui ordonnant l’enregistrement par l’envoi d’une lettre de jussion (jubere : ordonner)

- La plupart du temps, le parlement obtempérait.

- Quand ce n’était pas le cas, le roi pouvait se déplacer au parlement et donnait l’ordre

d’enregistrer le texte visé, c’est la procédure du lit de justice (Le roi siégeait au parlement sur

un trône placé sous un ciel de lit).

- Dans cette situation, aucune discussion n’était possible car se déplaçant, le roi reprenait

momentanément aux magistrats, le mandat qu’il leur avait donné.

- Durant le règne de Louis XIII, la tension entre le roi et les parlements ira croissant.

- Les parlements bloquent systématiquement la procédure d’enregistrement des lettres

patentes et comme le roi ne réunit plus ni les Etats généraux, ni les assemblées de notables, ils

se considèrent comme les grands défenseurs des intérêts de la nation.

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- En 1648, au moment de la Fronde parlementaire, la Chambre des comptes, la Cour des

aides et le parlement de Paris se réunissent et rendent l’arrêt d’union qui vise à changer la

constitution de la France et à réformer l’administration.

- Le roi se voit arracher l’essentiel de son pouvoir législatif : les édits fiscaux et ceux

créant des offices doivent recevoir l’accord des cours souveraines ; le roi est tenu de respecter

leur « liberté de suffrage »

- Cela signifie qu’il ne pourra plus ordonner un enregistrement avec la procédure du lit

de justice.

- Dans ce contexte, le roi présente des projets de loi et les cours souveraines les votent.

- Les parlementaires se prononcent aussi pour la diminution des impôts et deviennent

donc très populaires.

- Mais en 1653, la victoire complète de la monarchie voit la défaite totale de la rébellion

parlementaire.

- Très marqué par cet épisode et sa fuite à Saint-Germain en Laye, Louis XIV réussit à

réduire les parlements au silence pendant 42 ans après leur avoir interdit tout droit de

remontrance préalable à l’enregistrement.

- Mais les parlements retrouvent ce droit en 1715 après la mort de Louis XIV (Il a cassé

le testament de louis XIV sur la demande du régent, le duc d’Orléans, dont le roi se méfiait et

avait limité son pouvoir par la création d’un conseil de régence. D’où la récompense faite au

parlement).

- Les parlements multiplient de nouveau de leur droit de remontrance, notamment en

matière fiscale.

- Ils n’ont de cesse de dénoncer la tyrannie du pouvoir royal, accusé de violer les droits

de la nation et d’écraser le peuple d’impôts.

- Et ils remettent en avant la théorie des classes au moment de l’affaire de Bretagne, un

conflit fiscal qui conduisit le parlement de Rennes à démissionner collectivement pour faire

pression sur la royauté.

- Le parlement fut alors reconstitué avec de nouveaux juges, ce qui provoqua un

mouvement solidarité de la part des autres parlements, et notamment celui de Paris.

- Pour justifier leur intervention dans l’affaire bretonne, les parlements invoquèrent donc

cette vieille théorie pseudo-historique des classes.

- Il s’agit d’une thèse selon laquelle les parlements seraient tous issus, par

fractionnements successifs, des plaids généraux des rois francs et à leur suite de la Cour des

premiers Capétiens.

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- En conséquence, tous les parlements du royaume ne seraient que les diverses sections,

les classes, d’une institution unique le grand « parlement de France »

- D’où le nom de théorie des classes.

- En outre, en raison de leur origine prétendue, les parlements s’affirment être les

dépositaires, face au pouvoir royal, des droits de la nation.

- Ils assurent en particulier que la vérification avant enregistrement des lettres patentes

n’est pas une tâche qui leur a été confiée par la royauté, mais une prérogative intangible, leur

appartenant et ne pouvant pas leur être retirée.

- Si bien que selon cette théorie, l’enregistrement des lettres patentes par les parlements,

qui ne sont que des cours de justice, se trouve assimilé au vote des lois par le parlement anglais,

qui est une assemblée politique.

- Les parlements prétendaient donc usurper le pouvoir législatif du roi.

- Il n’eut conservé qu’un simple pouvoir de proposer les lois, nécessairement votées par

les parlements.

- La combinaison de la théorie des classes et la revendication du droit de vérifier

« librement » les lettres patentes était radicalement révolutionnaire : Il s’agissait de transformer

la monarchie en un régime dans lequel le roi n’aurait eu qu’un rôle résiduel.

- Pour en finir avec cette menace pour la royauté, en 1771, le chancelier Maupeou a

supprimé les parlements et complètement réorganisé l’échelon supérieur de la justice.

- Les critiques dont la monarchie est l’objet sont perçus comme allant dans le sens de la

république.

- Le juriste Moreau écrit qu’il faut combattre ces systèmes porteurs de maximes

républicaines qui dénaturent la monarchie et tendent à instituer une aristocratie parlementaire

- De ce point de vue, la république se présente bien comme un régime contraire en tous

points à la royauté

- La royauté victime de la désinformation :

- Les idées nouvelles viennent saper dangereusement les fondements intellectuels de

l'Ancien Régime.

- Celui-ci vénère le passé, et repose sur la coutume et la tradition.

- Ayant fait l'objet au cours des siècles d'une lente élaboration, les institutions politiques

et sociales présentent un caractère disparate et souvent complexe : multiplicité des instances,

variété de leurs appellations et parfois de leurs pouvoirs, fréquentes rivalités de compétence,

non-harmonisation des circonscriptions administratives, judiciaires, militaires, fiscales,

ecclésiastiques ...

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- Cependant, jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, cette diversité ne choque pas, car on

y est habitué, et elle constitue un legs de l'histoire.

- Or, à la tradition, les philosophes opposent la raison critique et la nouveauté à tout prix

- Ce qui est ancien, par définition, ne peut être bon et cela s'applique aux institutions,

que l'on discrédite systématiquement en dénonçant leur caractère « gothique », insupportable

pour des esprits éclairés.

- On affirma que la France n'avait pas de constitution, dès lors que « ses règles

constitutionnelles » étaient restées coutumières » et on en persuada l'opinion, au point que l'un

des grands thèmes des cahiers de 1789 fut la nécessité de donner une constitution à la France

alors qu'il s'agissait en réalité de jeter bas l'ancienne constitution pour lui en substituer une

nouvelle.

- Autre cible privilégiée des philosophes : l'Eglise catholique

- Mais les Lumières ne touchèrent pas la masse des Français, qui demeura profondément

religieuse, croyante et pratiquante.

- En revanche, la haute société et la bourgeoisie cultivée furent largement atteintes par la

propagande antireligieuse de Voltaire ou de Diderot

- Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une partie non négligeable des élites est, soit

déiste (Qui reconnaît l’existence d’un Dieu en dehors de toute religion comme Voltaire), soit

franchement athée.

- Or sans le christianisme, la monarchie traditionnelle devenait incompréhensible.

- Pour un lecteur de l’Encyclopédie, athée ou, vaguement déiste, quelle valeur pouvait

avoir l’explication du pouvoir royal par une délégation de l'autorité divine ?

- Et quelle garantie contre l'arbitraire pouvait-il trouver dans le fait que cette délégation

était assortie d'une obligation pour le monarque de rechercher le bien commun et de respecter

la morale chrétienne ?

- En l'absence de la religion, les esprits « éclairés » ne voient plus de raison de respecter

l'autorité royale et ne perçoivent plus les limites auxquelles celle-ci se soumet volontairement.

- Cette incompréhension n'épargne pas le personnel gouvernemental, et la haute

administration.

- Bien des hommes d'Etat et des grands, administrateurs furent appelés à utiliser ou à

défendre une autorité dont les fondements et les limites reposaient sur des croyances qu’ils ne

partageaient plus ou qu'ils partageaient à peine

- Et les croyants eux-mêmes, tel un d’Aguesseau, n’osent plus invoquer la théorie de droit

divin

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- Jusqu'à la Révolution, et même pendant la Révolution, le prestige du roi reste

malgré tout immense

- Dans son ensemble, le peuple a en lui une foi inébranlable, de nature religieuse.

- Mais la propagande philosophique, les remontrances continuelles des Parlements ainsi

que toute une campagne de pamphlets calomnieux, souvent lancés par des salons aristocratiques

frondeurs, va entamer la foi monarchique du public « éclairé », et même mordre sur certaines

fractions du peuple, notamment dans la capitale.

- La monarchie d'Ancien Régime a été en outre victime d'une foule d'idées reçues,

considérées par l'opinion « éclairée » comme autant d'articles de foi, et qui n'étaient pourtant

que d'énormes contre-vérités.

- Ainsi, l'affirmation que la France est écrasée d'impôts, alors qu'elle est, à la fin du

XVIIIe siècle, un pays moyennement imposé.

- Ou bien la dénonciation des inégalités sociales, qui sont, en dépit de leur ampleur

objective à nos yeux, parmi les plus faibles de l'Europe du temps.

- Ou aussi la critique relative aux folles dépenses du roi en matière de bâtiments,

inintelligente car elle méconnaît le rôle positif du mécénat royal, et au surplus inexacte pour le

XVIIIe siècle.

- Plus gravement encore, la désinformation vise à donner aux Français l'idée qu'ils vivent

dans un régime tyrannique, d'un autoritarisme exceptionnel alors que la France du XVIIIe siècle

est l'un des Etats européens où le gouvernement est le plus modéré.

- Et, Louis XVI régnant, on peut même parler d'un pouvoir faible.

- D'ailleurs, le roi n'a que très peu de moyens de se faire obéir.

- Hormis des officiers, qui n'obéissent pas, il n'existe pratiquement pas de corps

administratif au-dessous de l'intendant et de ses subdélégués.

- Et, en ce qui concerne l'ordre public dans Paris, où la police est très insuffisante, la

royauté a commis l'immense erreur de supprimer pour raison d'économie les meilleures troupes

de la Maison du roi, et notamment les mousquetaires en 1775

- Par cette mesure suicidaire, Louis XVI a placé son pouvoir à la merci d'une émeute

- Pourtant la royauté aurait pu domestiquer la pensée des Lumières en la mettant au

service de la construction de l’Etat

- C'est ce que firent les despotes éclairés, qui se réclamèrent des philosophes et utilisèrent

systématiquement les concepts et le vocabulaire des Lumières pour fonder et justifier leur

entreprise de renforcement de l'Etat.

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- C'était d'ailleurs logique, car une large part de la pensée du XVIIIe siècle - Voltaire,

bien sûr, mais aussi Rousseau, et même Montesquieu - pouvait aisément servir à cautionner

l'affermissement d'un pouvoir monarchique.

- La royauté française eût pu, elle aussi, en tirer parti.

- Sans renier sa nature de monarchie chrétienne, il lui suffisait de continuer à parler

fermement au nom de l'Etat pour ranger dans son camp l'essentiel du parti philosophique.

- Politique qu'elle adopta, et avec succès, à la fin du règne de Louis XV.

- Mais, à l'avènement de Louis XVI, la logique des privilèges, dans ce qu'elle avait de

plus dangereux politiquement (le système de la patrimonialité des offices), l'emporta

radicalement sur la logique de l'Etat.

Section 2

Montesquieu : la république, contre-exemple du despotisme

- La réflexion politique du XVIIIe est dominée par la crainte du despotisme

- Dans l’Esprit des lois qu’il publie en 1748, Montesquieu (1689-1755) érige la

république en contre-exemple du despotisme.

- Pour Montesquieu, il existe trois formes de gouvernements, le républicain, le

monarchique et le despotique.

- Ce qui permet de les différencier est l’attitude des gouvernants face aux lois plus que

leur nombre.

- Comme dans une monarchie, dans une république, le pouvoir a une assise légale.

- Elle doit également être modérée et posséder une constitution

- En ce sens, la république assure la liberté des citoyens et le droit de faire tout ce que les

lois permettent sans crainte d’être inquiété.

- La république se distingue aussi par « une certaine distribution des trois pouvoirs » que

Montesquieu définit.

- Un peuple n’est pas libre parce qu’il est souverain ; en réalité, la liberté politique résulte

d’un équilibre entre les pouvoirs.

- A ce titre, elle concerne les monarchies modérées comme les républiques

- Cependant, Montesquieu remarque que la république se sépare de la monarchie car la

souveraineté n’appartient pas à un seul homme.

- La république peut dès lors être une aristocratie quand « la souveraine puissance est

entre les mains d’une partie du peuple ».

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- Elle peut aussi être une démocratie lorsque « le peuple en corps a la souveraine

puissance ».

- Mais partant du principe que le peuple est incapable de gouverner, de traiter les affaires,

Montesquieu explique que si le peuple adopte les lois, il choisit au sein des classes supérieures

les magistrats et les représentants du conseil (ou sénat) appelés à gouverner.

- Montesquieu imagine donc une république favorable aux notables.

- Montesquieu insiste sur la nécessaire présence de la vertu politique (et non morale) dans

une république qui se traduit par une recherche permanente de l’intérêt public

- Si la vertu disparaît, le bien commun est négligé au profit des intérêts particuliers.

- Cependant, pour Montesquieu, la république n’est viable que dans des petits Etats

et appartient donc au passé

- L’heure est plutôt aux royaumes et aux empires.

- Ceci étant, Montesquieu propose une solution pour les grands Etats : la république

fédérative qui offre « tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain et la force

extérieure du monarchique ».

- Elle se présente comme « une société qui penche du côté de la confédération, chaque

Etat restant souverain et conservant la possibilité de quitter l’union »

- Les constituants américains s’en souviendront même si Montesquieu songeait, quant à

lui, aux Pays-Bas et à la Suisse.

- Appartenant sans conteste au passé, du moins dans sa forme démocratique, la république

pourrait donc devenir le régime de l’avenir, dans sa version fédérative, parfaitement admissible

- Pour autant, Montesquieu n’est pas un adepte de la république, ses préférences vont au

modèle de gouvernement modéré que lui inspire l’Angleterre

Section 3

Rousseau : la république identifiée à la démocratie

- Rousseau s’accorde avec Montesquieu pour considérer que la république s’oppose au

despotisme.

- Mais ensuite, les deux hommes ont des perceptions différentes de la république.

- Rousseau affirme que le contrat social, produit de la volonté générale, est l’acte

juridique fondateur de la république.

- Par ce contrat, chaque associé demeure libre bien qu’ayant accepté d’aliéner une partie

de ses droits à la communauté.

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- En posant le postulat du fondement humain de la société, Rousseau retire tout crédit à

la thèse de l’origine divine du pouvoir et supprime toute justification de l’absolutisme royal.

- L’autorité politique procède d’un accord de volonté

- Les magistrats sont investis de leurs pouvoirs non en raison d’un pacte de soumission

mais en vertu d’une commission.

- Leurs compétences sont donc nécessairement limitées par le droit naturel et par un

contrat.

- Les hommes, naturellement libres et égaux, se sont donnés des chefs pour les défendre

et non pour les asservir.

- Pour Rousseau en effet, dans la mesure où le souverain et l’unique garant de l’ordre

social, il doit nécessairement s’identifier au corps social, c’est-à-dire au peuple, assimilé à un

corps.

- De ce fait, la souveraineté ne peut pas se déléguer car elle est la volonté générale,

laquelle ne se partage pas : La puissance souveraine doit donc demeurer au peuple.

- Et Rousseau rejette toute crainte de despotisme en affirmant que le souverain est formé

d’individus libres et égaux qui ne sauraient souhaiter d’intérêts contraires aux leurs.

- Rousseau affirme la primauté de l’intérêt général qui est la volonté de l’ensemble.

- Il se méfie donc des inclinations particulières des princes ou des individus formant le

corps politique ou même de tous, car elles mettent en péril la république en s’écartant du bien

commun.

- Pour Rousseau, l’éducation forgeant un homme nouveau libéré des passions égoïstes, et

la vertu engendrant l’amour de la patrie, doivent prévenir toute divergence.

- En outre, la contrainte peut remédier à ces écarts dangereux pour la république car « le

pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens ».

- En toute chose, la volonté générale doit prévaloir de manière à ce qu’il n’y ait ni

opposition ni dissidence.

- La loi édictée en vue de l’utilité publique émane du peuple souverain réuni en

assemblées fixes ou extraordinaires qui statue à la majorité sans bénéficier cependant de

l’initiative des lois

- Cette dernière appartient à certains magistrats, ou à un législateur, qui mieux que le

peuple ignorant sait déceler le bien commun et dont les compétences sont clairement établies

- Rousseau au final se modère sur le procédé représentatif moyennant l’introduction du

mandat impératif et le renouvellement fréquent des députés

- Après Bodin, Rousseau différencie le souverain et le gouvernement.

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- Le premier adopte les lois et le second est chargé de son exécution.

- Le premier est la volonté, le second est la force de la république.

- Rousseau ne manque pas d’ailleurs de souligner la différence fondamentale entre l’Etat

monarchique dans lequel les pouvoirs sont concentrés ou confondus et l’Etat républicain qui

les distingue

- Le gouvernement est un organe intermédiaire qui procède du souverain auquel il est

subordonné et qui le contrôle

- Il est formé d’un ou plusieurs membres, demeure subordonné aux lois comme chacun

des citoyens, et pour Rousseau, c’est en cela que consiste la liberté.

- Le gouvernement a pour tâches exclusives de faire observer les lois, de défendre la

liberté, de maintenir les mœurs et de pourvoir aux besoins publics

- Trois types de dérive sont à craindre : soit le gouvernement change de forme pour

arriver par étapes successives à la royauté ; soit le gouvernement usurpe le pouvoir souverain ;

soit les individus qui composent le gouvernement s’investissent séparément du pouvoir dont ils

sont revêtus en corps

- Dans tous les cas, la suprématie d’une volonté différant de la volonté générale fait peser

un risque notable sur les institutions

- Pour y remédier, Rousseau propose de mettre en œuvre périodiquement la responsabilité

des magistrats

- Pour Rousseau, la démocratie est le régime qui permet la plus grande correspondance

entre la volonté de corps et la volonté générale, parce que l’un et l’autre se confondent.

- Quant à la monarchie, elle penche volontiers vers le despotisme car la volonté du prince

tend à prévaloir sur la volonté générale.

- La république doit en conséquence s’imposer dans tous les Etats

- Après avoir pensé que la république ne pouvait exister que dans un petit Etat tel celui

de Genève, Rousseau se met à songer lui aussi au régime fédératif pour assurer l’existence de

la république dans un grand Etat.

- Ce régime fédératif revêt un système à deux degrés combinant démocratie et

représentation.

- Le gouvernement fédératif est organisé à partir d’assemblées locales elles-mêmes

relayées par une assemblée nationale composée de représentants investies d’instructions

précises et tenus de rendre des comptes à leurs commettants dans le but de préserver la

souveraineté du peuple

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- Ces idées ont valu à Rousseau d’être suspecté de créer un despotisme sans despote qui

conduira à l’éradication de toute forme de liberté individuelle et à la Terreur révolutionnaire

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Deuxième partie

La Première république (1789 à 1814) : De la république des Lumières à la république

impériale

- Pendant cette période, on assiste à la mise en place de la res publica après la

disparition du roi.

- Les législateurs révolutionnaires sont pétris de culture antique comme tous les gens

instruits de l’époque

- L’Antiquité va donc constituer chez les législateurs révolutionnaires une référence

continuelle.

- A côté, il y a le modèle de la République américaine bien connu des Français qui ont

participé à la guerre d’indépendance du pays (1775-1783) (La Fayette).

- D’ailleurs, la séparation des pouvoirs, le droit de veto, le critère censitaire sur le modèle

américain sont repris dans le première Constitution française.

- De l’Ancien Régime, le législateur rejette notamment les privilèges de toutes sortes (de

personnes, de professions…), les particularismes, et le régionalisme.

- C’est donc toute une nouvelle philosophie qui vient animer la res publica qui met en

avant les thèmes de la liberté, égalité et fraternité.

- Trois ans seulement s’écoulent entre la réunion des Etats Généraux le 5 mai 1789

et la naissance de la Première République, le 22 septembre 1792

- Après la chute de la royauté le 10 août 1792, le nouveau régime connaît une sorte de

prologue jusqu'au 20 septembre 1792, jour de la victoire de Valmy, où la Législative cède la

place à la Convention.

- Cette période voit la Commune de Paris s'affirmer face à l'Assemblée

- Bras armé des Jacobins, elle lui impose, dès le 17 août, l'institution d'un tribunal

d'exception, destiné à juger les défenseurs des Tuileries et dont le point d’orgue est à l'origine

des massacres de septembre où un millier de détenus, pour la plupart de droit commun, sont

assassinés.

- C'est dans un climat de haine, de suspicion qu'est proclamée la République.

- Lors de sa première séance publique, le 21 septembre, la Convention abolit la royauté

et rompt ainsi le dernier lien par lequel la Révolution tenait encore à l'Ancien Régime.

- Le lendemain, elle décrète que les actes seront désormais datés de « l'an premier de la

République ».

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- Le 25, la formule « la Royauté une et indivisible » cède la place à la formule « la

République française une et indivisible ».

- Tiraillée entre la démocratie directe, au nom de laquelle elle est instituée, et le système

représentatif, dont elle hérite de la Constituante, elle ne parvient pas à se donner une constitution

à laquelle elle puisse se conformer.

- Aux tensions entre les légitimités royale et parlementaire succèdent celles opposant la

légitimité populaire à la légitimité représentative.

- La Première République passe ainsi d'un gouvernement révolutionnaire à un

régime scandé par des coups d'Etat.

- Quant au nouveau régime instauré par Bonaparte après l’échec du Directoire, il ne se

laisse pas facilement saisir.

- Faut-il y voir une dictature militaire ou une expérience de despotisme éclairé ?

- C’est en fait une autre approche qui permet la meilleure qualification politique de la

période : celle qui consiste à la considérer comme organisant une dictature de Salut public à la

romaine, recherchant la sanction populaire.

- A ceci près que Bonaparte va, comme jadis César, tenter de faire de cette institution

dictatoriale, initialement conçue comme circonstancielle, donc provisoire, une institution

définitive.

- De là résulte l’ambiguïté fondamentale du régime, qui utilise la démocratie en vue de

fonder le pouvoir personnel avec un renforcement de l’autorité exécutive transformant la

république consulaire en une monarchie consulaire puis en un Empire.

Chapitre 1

La république reportée

- La période de la monarchie constitutionnelle s’étend de 1789 à 1792

- Elle débute juridiquement le 17 juin 1789, lorsque le Tiers Etat se proclame assemblée

nationale et se termine par la chute de la royauté le 10 août 1792

Section 1

La fin de l’Ancien Régime et le rejet de la république

- Les cahiers de doléances rédigés au niveau des paroisses pour les Etats généraux de

1789 manifestent certaines préoccupations politiques.

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- La plupart des cahiers de bailliages admettent l’idée d’une constitution.

- Celle-ci devrait contenir la garantie de la liberté individuelle (liberté de pensée, liberté

de la presse, d’écrire…).

- On envisage aussi la convocation régulière des Etats généraux pour le vote des impôts

et des lois, ainsi que l’égalité devant l’impôt.

- Le pouvoir législatif aurait alors été exercé par le roi et les Etats généraux.

- La noblesse comme le Tiers demandent une Déclaration des Droits de l’homme que l’on

oppose souvent aux droits féodaux. : Ces droits doivent protéger l’homme de l’oppression par

l’homme.

- La presque totalité des cahiers demande la suppression de la féodalité et la suppression

des privilèges fiscaux.

- Au contraire, les nobles veulent conserver leurs privilèges et l’organisation de la société

en ordres.

- En revanche, très rares sont les cahiers révolutionnaires et aucun ne prévoit le

renversement de la monarchie.

- Les cahiers de doléances expriment tous sans exception des sentiments de loyauté et de

respect à l’égard du roi

- Ses sujets sont alors persuadés que Louis XVI est tout disposé à réaliser les réformes

auxquelles ils aspirent

- Les députés aux Etats généraux se présentent le 2 mai 1789 : Ils sont 1 196 dont 598 du

Tiers.

- La déclaration du roi est très restrictive

- Il ne parle pas de constitution et entend limiter les pouvoirs des Etats aux questions

financières.

- Le conflit éclate vite entre les ordres.

- Le premier problème est de savoir comment l’on vote, par ordre ou par tête.

- Le 10 juin, les députés du Tiers se proclament « Chambre des Communes ».

- Des députés du clergé se joignent au Tiers et forment alors la majorité absolue des Etats

généraux.

- Le 17 juin, la Chambre des Communes se déclare « Assemblée Nationale » et prend

aussitôt un pouvoir autonome.

- Le 20 juin, elle décide qu’il est nécessaire de rédiger une constitution et prend le titre

d’Assemblée Constituante.

- Le roi cède et consacre le titre d’Assemblée nationale.

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- Il donne l’ordre au clergé et à la noblesse de se joindre au Tiers.

- Juridiquement, la Révolution est faite, la monarchie absolue cesse, l’Assemblée

nationale est mandatée par le peuple.

- Dans ces évènements, l’abbé Sieyès a eu une influence considérable

- Dans Qu’est-ce que le tiers Etats ? (1789), Sieyès explique notamment que le Tiers est

tout.

- Sans les ordres privilégiés, le Tiers ne perd rien, au contraire, il aurait un poids en moins.

- Or, jusqu’ici ses droits politiques étaient nuls, il n’est pas libre et la Nation ne peut pas

devenir libre si le Tiers ne l’est pas.

- Or le Tiers est écarté par l’aristocratie qui domine le roi

- Sieyès n’est pas hostile au roi, au contraire, mais il faut, écrit-il, un roi appuyé par le

peuple

- Il y a 25 millions de personnes du Tiers contre 200 000 privilégiés

- Donc le Tiers peut constituer une assemblée représentative de la nation parce que le

nombre, notion démocratique balaie la hiérarchie, notion aristocratique

- Il faut, écrit-il encore, que le tiers devienne « quelque chose » et pour cela, il faut rédiger

une constitution proposée par le roi, ou par le Tiers si le roi ne présente pas de projet.

- En 1789, rares sont ceux qui songent à abolir la monarchie.

- La forme républicaine du gouvernement est en effet écartée : Ni la Nation, ni ses

représentants n’en veulent.

- En même temps, Louis XVI se trouve dans la situation inédite d’un monarque qui ne

gouverne pas.

- C’est l’Assemblée qui dirige le pays et s’attelle à l’œuvre constitutionnelle.

Section 2

L’échec momentané de la république (1789-1791)

- Les fondements du nouveau régime sont contenus dans le fameux décret du 5-11 août

1789 portant abolition des droits féodaux et surtout dans la Déclaration des droits de

l’homme et du citoyen du 26 août 1789

- Si l’assemblée vote dans la nuit du 4 août l’abolition des droits féodaux et de la dîme,

la rédaction du texte donne lieu à de vives discussions dans les jours suivants

- Finalement l’article 1er du décret voté le 11 août commence par la formule solennelle

suivante : « l’assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal »

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- Mais la suite du décret établit une distinction entre les droits féodaux qui sont abolis

purement et simplement et ceux qui ne sont abolis que moyennant rachat

- Or les modalités du rachat furent fixées de manière peu pratique pour les paysans (de

nombreux droits ne pouvaient en fait être rachetés)

- La Déclaration des droits de l’homme est, elle, souvent présentée comme une « machine

de guerre » contre l’Ancien Régime.

- Les constituants ont voulu en faire une déclaration de principe, de portée universelle

valable dans leur esprit pour tous les temps tous les lieux et tous les régimes politiques : c’est

la raison pour laquelle l’emploi du terme roi a été soigneusement évité

- En 1789-1791, la Révolution est relativement modérée, c’est la révolution de la noblesse

libérale et de la grande bourgeoisie

- Ces membres de la Constituante s’inspirent de Montesquieu, ce qui donne la séparation

des pouvoirs, dans une monarchie constitutionnelle où cohabitent Assemblée nationale et roi ;

ils rédigent la première constitution qui sera celle du 3 septembre 1791 et dans laquelle les

Constituants accordent la souveraineté non pas au peuple, mais aux seuls citoyens actifs, le

suffrage étant censitaire et indirect.

§ 1

L’abolition des droits féodaux

- Le 4 août 1789, la Constituante avait décidé de détruire la féodalité ; mais des précisions

étaient nécessaires, car certains droits féodaux, étaient, en réalité, fondés sur un contrat et

paraissaient devoir être maintenus

- La tentative de maintien de certains droits

- Pour résoudre la difficulté, l’Assemblée désigne, le 12 août un comité des droits féodaux

qui prépara le décret des 25-28 mars 1790 et introduisit dans ce texte modéré une distinction

subtile : la féodalité dominante, englobant tous les droits réputés usurpés sur l’Etat (justices

seigneuriales, tailles seigneuriales, péages, banalités, hommages, corvées personnelles,

dîmes…), était abolie sans indemnité tandis qu’était maintenue la féodalité contractante, c'est-

à-dire l’ensemble des droits fondés sur un contrat de concession de terre (cens, corvées réelles,

droits de mutation, rentes…)

- La preuve de l’origine contractuelle des droits n’était pas strictement exigée, on s’en

tenait à la coutume et à un système de présomptions ; mais ils devenaient rachetables et ne

donnaient plus aucune supériorité à leur titulaire

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- La libération totale de la terre

- Cette distinction mécontenta vivement ceux qui avaient cru que cette nuit du 4 août avait

tout aboli et, le progrès des idées révolutionnaires aidant, un décret de l’assemblée législative

des 25-28 août 1792 adopta une solution plus rigoureuse : désormais, pour que les droits fussent

maintenus, il fallait rapporter l’acte de concession et, en fait, cette preuve était presque toujours

impossible

- La Convention adopta plus tard une attitude plus franche : le décret du 17 juillet 1793

supprima sans indemnité tous les droits féodaux

§ 2

La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen

- Il s’agit d’un texte pris en avance sur la constitution à venir : les constituants le votent

en précisant qu’il s’agit d’un texte général qui sera inséré en préambule à la constitution qu’ils

vont écrire et publier plus tard

- Ainsi la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 sera

insérée en tête de la Constitution de 1791 qui sera la première constitution écrite de la

France

- Composée d’un petit préambule et de 17 articles, cette déclaration va avoir un grand

retentissement en Europe et par la suite se retrouver dans les constitutions d’Etats nouveaux

comme par exemple les pays d’Amérique latine dans la première moitié du XIXe siècle ; surtout

elle reste un texte de référence pour les constitutions françaises, celle de 1958 s’y réfère

explicitement

- La déclaration affirme avec éclat le principe de la liberté, avec nuances le principe

d’égalité

- La liberté avec éclat

- Il s’agit évidemment tout d’abord des libertés individuelles de l’homme mais également

des libertés collectives

- Dans les deux cas, les libertés qui sont énoncées trahissent bien l’esprit de l’époque, car

elles apparaissent surtout comme une condamnation implicite des abus qui étaient reprochés à

l’Ancien Régime, tandis que d’autres libertés sont passées sous silence

- Les trois libertés individuelles consacrées :

- La « sûreté » est la garantie contre les arrestations, détentions et condamnations

arbitraires

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- Le citoyen qui obéit aux lois et qui ne nuit pas à autrui doit pouvoir jouir de cette sûreté

en toute tranquillité : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art.

4) ; « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » (art. 5); « Nul homme

ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi » (art. 7) ; non-

rétroactivité des lois (art. 8); « Tout homme (est) présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré

coupable » (art. 9).

- La liberté d'opinion consiste tout d'abord dans la liberté de pensée « pourvu que (sa)

manifestation ne trouble pas l'ordre public », (art. 10), et son prolongement nécessaire réside

dans la liberté de « parler, écrire, imprimer » (art. 11).

- Depuis 1789 tous les moyens d'expression politique (journaux, livres, clubs) échappent

en fait à tout contrôle répressif.

- La liberté de conscience est introduite maladroitement, d'une manière incidente et

presque réticente, par l'article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même

religieuses, ... »

- En 1789, dans une France encore officiellement catholique, il est difficile de faire

admettre sur un même plan toutes les religions indifféremment : l'article 10 garantit donc à

chacun la liberté de conscience, mais ne dit mot de la liberté de culte.

- D'autre part, la reconnaissance de la liberté de conscience impliquait logiquement une

certaine laïcisation de l'Etat : celui-ci ne pouvait plus imposer à tous les citoyens la loi de

l'Eglise catholique, à partir du moment où chaque citoyen était libre de n'être pas catholique.

- Ainsi se justifient les deux mesures votées in extremis par l'Assemblée législative, le

20 septembre 1792, au moment de se séparer : d'une part, l'introduction du divorce, découlant

du principe de la liberté individuelle, « dont un engagement indissoluble serait la perte »; d'autre

part, la laïcisation de l'état civil, mesure déjà adoptée par l'Ancien Régime en 1787, mais pour

les protestants seulement.

- Désormais les naissances, mariages et décès seront constatés par les officiers de l'état

civil de chaque municipalité, et non plus par les curés comme auparavant.

- Les trois libertés individuelles méconnues

- L'esclavage colonial n'est pas aboli, ni condamné

- La Société des Amis des Noirs, fondée à Paris par Brissot en 1788 et animée par

Condorcet, Mirabeau, Sieyès, l'abbé Grégoire, La Fayette, a fait une active propagande

humanitaire pour obtenir d'abord l'abolition de la traite des esclaves entre l'Afrique et

l'Amérique, et ensuite l'abolition de l'esclavage lui-même.

- A l'opposé, le Club de Massiac, du nom du marquis de Massiac chez qui il se tenait,

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défendait les intérêts des planteurs, soutenus à l'Assemblée constituante par Barnave, et qui

invoquaient l'argument technique de la prospérité économique des colonies, indispensable à la

métropole.

- Les Constituants passèrent donc sous silence la question de l'esclavage.

- Les esclaves des colonies françaises d'Amérique furent déçus dans leur espérance et,

faute d'avoir obtenu la liberté désirée par la loi, ils se soulevèrent à Saint-Domingue, principale

colonie française aux Antilles, en août 1791, et la colonie fut définitivement perdue

- A la Martinique, les esclaves s'agitèrent aussi, mais les colons blancs parvinrent à

maîtriser la situation.

- La liberté d'association et de réunion n'est pas évoquée non plus, soit qu'elle ait été

considérée comme une simple modalité de la liberté d'opinion (et de fait les clubs ont librement

prospéré), soit qu'elle ait été considérée comme contraire au troisième principe, l'individualisme

- Les libertés économiques sont passées sous silence aussi : ne voulant mécontenter

personne, les Constituants évitèrent de statuer aussi longtemps que possible, et, quelques jours

avant de se séparer, ils votèrent un Code rural (26 septembre 1791), chef-d'œuvre de

contradiction

- Les trois libertés collectives : elles sont conçues comme la garantie des libertés

individuelles

- La souveraineté nationale est affirmée évidemment sous l'influence de Rousseau qui,

dans son Contrat social (1762), demande au citoyen d'abdiquer totalement sa liberté individuelle

entre les mains de l'Etat, car, d'après lui, la loi, expression de la volonté générale du peuple

souverain, ne peut que garantir les droits individuels.

- Suivant l'article 3 de la Déclaration des droits, « le principe de toute souveraineté réside

essentiellement dans la Nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane

expressément. »

- La Nation souveraine est composée de l'ensemble des citoyens, et « la loi est l'expression

de la volonté générale » (art. 6), donc « tous les citoyens ont le droit de concourir

personnellement ou par leurs représentants, à sa formation », la volonté générale étant la

garantie suprême contre l'arbitraire, la loi est la meilleure garantie de la liberté.

- A noter que la formule de l'article 6 est assez large pour justifier aussi bien la démocratie

directe et la démocratie plébiscitaire (« concourir personnellement »), que la démocratie

représentative (« ou par leurs représentants »).

- La séparation des pouvoirs : La Constitution a établi une stricte séparation des

pouvoirs, moins peut-être sous l'influence de Montesquieu, que par une profonde méfiance à

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l'égard du pouvoir royal, elle est cantonnée maintenant dans le seul pouvoir exécutif, et abaissé

au profit des autres.

- A noter ici encore le lien établi par l'article 16 de la Déclaration, entre la garantie des

droits individuels et la séparation des pouvoirs : « Toute société dans laquelle la garantie des

droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a pas de constitution »

- L’égalité avec nuances

- L'égalité civile :

- Elle résulte du fameux article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux

en droits. »

- « Egaux en droits », et non pas simplement « égaux » : l'égalité de tous devant la loi (art.

6) est la négation du privilège de l'Ancien Régime, et elle conduit à l'abolition du droit d'aînesse

en mars 1790 à l'abolition de la noblesse héréditaire ou personnelle en juin 1790

- L'égalité civile entraîne également l'accès de tous aux « dignités, places et emplois

publics » (art. 6), ainsi que l'égalité de tous devant l'impôt (art. 13).

- Il convient enfin de remarquer, à propos de l'égalité civile, que si l'article 1er de la

Déclaration l'associe à la liberté (« libres et égaux en droits »), l'article 2 ne mentionne comme

« droits naturels et imprescriptibles de l’homme » que la liberté, la propriété, la sûreté et la

résistance à l'oppression.

- Or la sûreté et la résistance à l'oppression peuvent être comprises comme des

explications redondantes de la liberté, et par conséquent, après avoir dit que les hommes

naissent et demeurent « libres et égaux en droits », la Déclaration ne reconnaît comme droits

naturels de l'homme que la liberté et la propriété : liberté-égalité d'un côté, liberté-propriété

de l'autre.

- Toute l'ambiguïté de la Déclaration est contenue dans cette opposition.

- Or, si l'égalité n'est pas reconnue comme l'un des droits naturels et imprescriptibles de

l'homme, c'est bien parce que, à l'inverse de la liberté, elle est susceptible de limitations et

d'abolitions, dans le domaine de l'égalité sociale ou de l'égalité politique, sans même parler de

l'égalité physique, intellectuelle ou morale.

- L'égalité sociale :

- Comme tous les hommes n'ont pas naturellement les mêmes qualités intellectuelles ou

morales, il s'ensuit, à propos des fonctions publiques, que celles-ci ne doivent être attribuées

aux citoyens que « selon leur capacité, leurs vertus et leurs talents ».

- D'autre part, après avoir élevé la propriété à la dignité de « droit naturel et

imprescriptible » dans son article 2, la Déclaration se termine par un article 17 qui fait de la

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propriété « un droit inviolable et sacré », dont nul ne peut être dépouillé si ce n'est pour cause

de « nécessité publique », et « sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

- Les hommes de 1789 ont un profond respect pour la propriété privée : leur égalité

civile n'a rien à voir avec un égalitarisme social.

- Tout au plus doit-on tenir compte dans l'établissement de l'impôt, des facultés

contributives de chacun (art. 16) : de là vient le caractère proportionnel de l'impôt, chacun

payant le même pourcentage du revenu frappé (par exemple 10 % du revenu foncier).

- Dès avant la Déclaration des droits, le décret du 11 août, portant abolition de la féodalité,

avait proclamé l'égalité fiscale (art. 9), ainsi que l'admission de tous à tous les emplois civils et

militaires (art. 11), ce qui impliquait l'abolition de la vénalité et de l'hérédité des charges (art.

7).

- Avec cette Déclaration, les Constituants font preuve d’un grand optimisme : Ils sont

persuadés que tous les maux de la société sont facilement évitables.

- Il suffit, selon eux, de proclamer les droits imprescriptibles de l’homme pour éclairer

tous les esprits et rendre la société parfaite.

- C’est une idée caractéristique de l’idéalisme optimiste de la philosophie du XVIIIe

siècle.

- Par ailleurs, on note le caractère abstrait de la Déclaration qui n’accompagne pas les

principes énoncés de garanties concrètes, assorties de procédures et de délais

- Par comparaison, les Déclarations américaines comportent des garanties juridiques qui

limitent le pouvoir du législateur.

- Le caractère abstrait de la Déclaration de 1789 va de pair avec le culte de la loi.

- Les Constituants estiment que le législateur ne peut se tromper.

- Donc, ils ne conçoivent pas leur Déclaration comme un rempart pour le citoyen contre

les errements éventuels du législateur (ce qui est la conception américaine).

Section 3

Le système politique instauré par l’Assemblée Constituante

- Le premier élément de ce système est la notion de souveraineté nationale avec ses

corollaires, un régime représentatif et la restriction des droits de suffrage.

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§ 1

Le refus de la république

- Le cadre monarchique est fixé dès le début de la Révolution.

- En 1789, la France est indiscutablement royaliste

- Aussi, personne n’envisage réellement d’instaurer une république.

- Sont mises en avant l’idée qu’à un grand Etat, seule la monarchie peut convenir, les

républiques n’étant viables que dans les petits Etats

- On dénonce aussi l’inaptitude politique du peuple, les divisions inhérentes aux

assemblées populaires, le poids de la démagogie, le triomphe de l’injustice et la persécution des

bons citoyens.

- On craint aussi la remise en cause de l’unité du pays avec une république susceptible de

devenir fédérative.

- Aussi, le nouveau découpage territorial en départements a-t-il pour objectif de

réaliser l’unité française.

- Thouret voit dans la multiplicité des départements « une garantie contre des institutions

fédératives ».

- La nouvelle structure administrative a été uniformément appliquée à tout le territoire

national afin d’effacer tous les particularismes locaux

- On rejette aussi un législatif à deux chambres.

- On peut se poser la question, pourquoi une chambre unique ?

- Pourquoi la Constituante a-t-elle décidé que la France n'aurait qu'une Chambre de

représentants et pas deux, comme l'Angleterre et l'Amérique

- La première explication est la suivante : ce n'est pas la peine d'avoir deux chambres

comme dans ces deux pays

- Il n'y a pas en France de justification.

- L'Angleterre a deux chambres parce qu'il y a une chambre pour la noblesse, The House

of Lords.

- Or, dans la nuit du 4 août, la France a aboli la noblesse.

- Une Chambre des représentants de la noblesse serait donc non seulement inutile, mais

illogique.

- On ne peut non plus imiter les États-Unis où le Congrès comprend le Sénat et la

Chambre des représentants.

- En effet, les États-Unis sont un pays fédéral : si la Chambre des représentants est

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fonction du nombre d'habitants électeurs, le Sénat est la représentation égalitaire des Etats (13

à cette époque).

- Mais la France n'est pas un Etat fédéral, même si bien des députés -la future tendance

girondine en particulier - n'excluent pas une telle possibilité.

- La deuxième explication, plus pratique, c'est que lorsqu'il y a deux chambres, les choses

vont beaucoup plus lentement.

- Le travail législatif en est ralenti, par la fameuse navette (que nous connaissons

actuellement en France, sous la Constitution de 1958).

- Or, les constituants savaient qu'il y aurait énormément de lois à voter, que le nouveau

régime aurait à reconstruire la France, et que cette reconstruction de nos institutions devait se

faire rapidement.

- La coexistence de deux chambres aurait tout ralenti, tout gêné.

- En outre, on savait l'effet de tempérament d'une deuxième chambre, et on s'en méfiait

- Telles sont les explications d'une seule chambre dans la Constitution de 1791.

- En outre, l'unité renforçait la puissance du législatif vis-à-vis de l'exécutif, c'est-à-dire

du roi.

§ 2

La souveraineté nationale et ses aménagements constitutionnels

- La Constituante a voulu rendre au peuple la souveraineté

- Mais il existe bien des manières pour le peuple d’exercer sa souveraineté : il peut en

user directement ou bien la déléguer à des représentants

- En ce cas qui jouira du droit de vote ? Qui pourra être élu représentant ?

- La souveraineté nationale est réglé par le titre III de la constitution qui écarte

délibérément la démocratie directe ; non seulement le peuple ne participe au gouvernement que

par l’intermédiaire de représentants mais ni le référendum ni le plébiscite ni le droit d’initiative

ne sont prévus

- Siéyès estimait que la très grande majorité des Français « n’avait ni assez d’instruction

ni assez de loisirs pour vouloir s’occuper directement des lois qui gouvernent la France »

- La nation n'exerce donc sa souveraineté que par l'intermédiaire de ses

représentants, les députés élus ; d'aucuns y ajoutent le roi, considéré comme premier

représentant du peuple.

- La constitution précise que les représentants ne peuvent recevoir de « mandat

impératif » (titre III, chapitre l, section III, article 7).

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- En effet, le député représente la nation tout entière, et non sa seule

circonscription électorale.

- Celle-ci ne saurait donc lui donner de mandat impératif.

- La Constituante restreint en fait la souveraineté nationale à un simple droit

d'élire.

- Par-là, elle montre son vrai visage ; elle craint la démocratie.

- Cette peur apparaît encore dans le partage du droit d'élire.

- En effet, le droit de suffrage n'est accordé qu'à une minorité de Français ; les

femmes sont écartées en masse malgré l'intervention de Robespierre à l'Assemblée

- Les jeunes gens sont également exclus du droit de vote, puisque l'âge électoral

est fixé à 25 ans.

- Mais ce n'est pas tout ; l'Assemblée constituante a suivi le subtil raisonnement

de Sieyès qui distinguait des « citoyens passifs » et des « citoyens actifs ».

- Tous les citoyens, disait Sieyès, sont « passifs », par rapport aux droits civils ;

un petit nombre est « actif » par rapport aux droits politiques.

- En fait, la France était habituée du système censitaire qui était en usage pour les

élections municipales sous l'Ancien Régime, dans les 'villes où un système électoral

avait subsisté.

- De plus, le système censitaire était aussi en vigueur en Angleterre et aux États-

Unis, les deux pays dont les institutions servirent de modèles à l'assemblée

constituante.

- Il ne faut donc s'étonner, ni du projet de Sieyès, ni de son adoption.

- La bourgeoisie libérale ne pouvait guère plus consentir au suffrage universel

qu'à l'égalité économique.

- Pour être « citoyen actif », il fallait donc : être âgé de plus de 25 ans, être

domicilié depuis un an dans la ville ou le canton, ne pas être domestique, être inscrit à

la garde nationale de son domicile, avoir prêté le serment civique, n'être, ni en état

d'accusation, ni failli, ni insolvable non libéré et surtout, payer une contribution directe

égale à trois journées de travail

- C’était là une condition fondamentale : le suffrage était donc censitaire

- Non seulement le suffrage était censitaire, mais il était à deux degrés, nouvelle

précaution contre toute tentative de régime démocratique

- Les citoyens actifs en effet n’élisaient pas directement les députés

- Ceux-ci étaient élus par des électeurs nommés eux-mêmes par les assemblées

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primaires composées de la totalité des citoyens actifs

- C’est une idée reprise de l’Antiquité selon laquelle, ceux qui contribuent à la vie de

l’Etat par le paiement de contributions sont dignes et capables de s’intéresser à la chose

publique.

- Le système a une coloration oligarchique incontestable.

- La bourgeoisie entend exercer le pouvoir en dehors des classes populaires jugées peu

éclairées, peu favorables au progrès et dans leur majorité attachées au roi et à la religion.

- Sur le plan des doctrines politiques, le système s’appuie sur Rousseau, mais le trahit

également.

- Il emprunte à Rousseau toute l’argumentation selon laquelle il établit la souveraineté de

l’intérêt général (et à travers elle, celle du corps social).

- Le système s’écarte de Rousseau pour qui toute délégation du pouvoir législatif rend la

société illégitime.

- Rousseau ne conçoit en effet que la démocratie directe.

- Sur le plan politique, le système organise une concentration du pouvoir législatif aux

mains de la bourgeoisie qui est la classe victorieuse de la Révolution. Elle détient en pratique

le monopole législatif.

§ 3

La nouvelle organisation des pouvoirs publics

- Cette nouvelle organisation est dominée par la séparation des pouvoirs proclamée dans

l’article 16 de la Déclaration du 26 août 1789.

- Elle constitue une des grandes caractéristiques de la Constitution de 1791 avec le régime

représentatif.

- Ainsi, la nation est titulaire de la souveraineté qui est exercée par ses représentants qui

sont l’Assemblée (unique de 751 membres) dans l’ordre législatif et le roi avec ses ministres

(6) dans l’ordre exécutif.

- Mais ces ministres n'ont rien de politique, ils ne sont pas constitués en cabinet

responsable devant l'Assemblée, comme c'était le cas en Angleterre, comme c'est le cas en

régime parlementaire.

- Les ministres sont simplement des technocrates pris par le roi à ses côtés pour lui

permettre d'exécuter les lois.

- Tout au plus l'Assemblée peut-elle convoquer les ministres pour leur demander des

explications, mais elle ne peut émettre une censure à leur égard.

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- Ces pouvoirs sont séparés, indépendants l’un de l’autre.

- L’Assemblée ne peut pas renverser les ministres nommés par le roi, et encore moins

celui-ci, qui est inviolable et sacré.

- Le roi ne peut pas dissoudre l’Assemblée.

- Cependant, par-delà cette séparation des pouvoirs, les constituants ont organisé une

profonde inégalité des pouvoirs.

- Il existe un pouvoir principal, le législatif, et un pouvoir secondaire, l’exécutif.

- Cela s’explique par le culte de la loi.

- Cela est accentué par le fait que le roi ne dispose pas du pouvoir réglementaire.

- Le roi ne peut donc faire que « les proclamations nécessaires pour assurer l’exécution

littérale de la loi »

- La proclamation ne peut rien ajouter par rapport à la loi, même au niveau du détail et

des mesures d’exécution.

- C’est à la limite une négation de la fonction gouvernementale.

- Le roi, chef de l'exécutif, est le chef de l'Administration ; c'est du moins l'aspect

officiel.

- Mais en regardant les choses d'un peu plus près, on s'aperçoit que celle-ci ne dépend pas

réellement de lui.

- En effet, il avait été décidé que dans les diverses branches de l'Administration, que ce

soit la Justice, les Finances publiques, l'Administration locale, les cadres seraient élus par la

Nation, par les citoyens

- Le roi est donc le chef d'une Administration qui n'a pas été choisie par lui, même

si théoriquement il envoie aux administrateurs élus une lettre de nomination qui ne fait

qu'entériner l'élection populaire.

- Le roi doit travailler avec des gens qu'il n'a pas nommés et qu'il ne peut pas révoquer,

qui, tout en dépendant théoriquement de lui, se sentent indépendants.

- Le système est donc faussé et c'est sciemment que l'exécutif a été vidé de sa puissance

réelle : Les constituants de 1789-1791 ont voulu réduire le pouvoir royal, face à celui de

l'Assemblée.

- Et pourtant le roi n'est pas totalement dépouillé, loin de là.

- Si ses châteaux, domaines, biens de la Couronne, ont été repris par la Nation, on lui a

laissé les Tuileries, Saint-Cloud, Compiègne et Pau, on lui a affecté une liste civile importante.

- Il dispose du droit de veto sur toutes les lois qui ne sont pas financières ou militaires.

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- Surtout il reste le chef de la diplomatie française, c'est auprès de lui que sont accrédités

les ambassadeurs, c'est lui qui en envoie et il semble que l'Assemblée, qui se désintéresse des

problèmes extérieurs, ait laissé concrètement au roi le monopole des relations extérieures de la

France.

- Logiquement, dans ce système, l’Assemblée dispose du monopole de l’initiative

législative.

- Toutefois, en raison du poids de la tradition monarchique, les textes votés par

l’Assemblée ne deviennent applicables qu’après avoir reçu l’approbation, la sanction du roi.

- Le roi dispose donc d’un pouvoir d’empêcher, d’un droit de veto suspensif.

- Mais ce pouvoir donné au roi n’est pas dans la logique du nouveau système et le jour où

le roi voudra en faire usage, cela sera considéré comme de la provocation.

- Précisons-en plus que le veto royal ne vaut que pour deux législatures, c'est-à-dire quatre

ans au maximum.

- Si une troisième assemblée revote la loi, le roi ne peut plus opposer son veto et doit

promulguer la loi.

- Également le roi n'a pas le droit d'appliquer son veto aux lois financières ; cela veut donc

dire qu'en matière de finances, c'est-à-dire le nerf de la vie politique, l'Assemblée est seule

maître.

- C'est elle qui tient donc les comptes de la Nation et vote les impôts et les dépenses, donc

les recettes et leur affectation, ce qui est une garantie contre le roi.

- L'Assemblée est aussi seule maîtresse du contingent militaire, ce qui peut paralyser le

rôle diplomatique du roi, privant l'exécutif d'armée avec force suffisante.

- L'Assemblée s'est réservée - comme en Angleterre - les deux points essentiels, l'argent

et l'armée, et déjà en cela elle prive l'exécutif d'une partie de ses moyens.

- Le judiciaire est le troisième pouvoir.

- Confié à des juges élus, donc à leur façon représentants de la Nation, et surtout libres,

c'est un pouvoir indépendant par rapport aux deux autres.

- Mais on ne veut pas qu'il prenne trop de puissance par rapport à l'exécutif et surtout au

législatif.

- On crée bien un Tribunal de cassation auprès du Corps législatif (on ne disait pas

encore Cour) mais on s'arrange pour qu'il n'ait pas du tout les mêmes pouvoirs que la Cour

suprême des Etats-Unis.

- Le Tribunal de cassation n'a pas le droit de prendre de décisions à portée générale, il n'a

pas le droit d'interpréter lui-même une loi, et doit demander au pouvoir législatif par référé

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d'interpréter les lois obscures.

- Son rôle est conçu comme très inférieur à celui de notre Cour de cassation actuelle dont

il est pourtant la forme initiale.

- Les choses ne changeront qu'à partir de 1830.

- Sommet de la pyramide judiciaire sous la Révolution française, il doit s'incliner devant

les deux autres pouvoirs qui le précèdent de loin.

- Les constituants avaient gardé le souvenir des difficultés créées par les parlements au

pouvoir monarchique.

- Passés de l'autre côté de la barricade, ils ne tenaient pas à voir se dresser, cette fois-ci

contre eux, contre le nouveau régime, un judiciaire indépendant et doté de pouvoirs

d'obstruction considérables.

- Au final, C'est donc un régime différent à la fois de l'Angleterre (il n'est pas un

régime parlementaire) et des États-Unis (il y aura une seule chambre, un exécutif affaibli, un

judiciaire mineur) que la Constitution de 1791 établissait.

- Constitution en principe idéale - la première constitution écrite de la France, rédigée par

les cerveaux les plus éminents du pays qui avaient eu deux ans pour la faire - la Constitution de

1791 ne marchera pas et le régime de monarchie constitutionnelle qu'elle avait prévu aboutira

à une véritable impasse.

- En moins d'un an, elle fera preuve de son inadaptation à la conjoncture politique que

traversait la France.

- Pourquoi cet échec ? Pour des raisons, d'abord de mécanique constitutionnelle, pour

des raisons de pure politique ensuite.

- Échec pour des raisons de mécanique constitutionnelle.

- On n'a pas pu ou pas voulu jouer le jeu de la séparation des pouvoirs à fond.

- On avait bien déclaré qu'il y aurait trois pouvoirs, mais on avait établi a priori un

décalage entre l'exécutif et le législatif d'une part, et d'autre part le judiciaire.

- On avait donné par-dessus le marché la primauté au législatif en vidant sournoisement

l'exécutif d'une grande partie de sa force.

- On n'avait pas prévu suffisamment de moyens de communication, de pression, d'un

pouvoir sur l'autre.

- Le seul mécanisme de rapport entre les deux consistait dans la possibilité pour le roi de

faire veto aux lois votées par l'Assemblée.

- L'initiative de la pression d'un pouvoir sur l'autre était au roi, mais c'était une initiative

négative, destructrice.

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- Elle mettait le roi dans la position de l'empêcheur de danser en rond, de l'obstructeur.

- Chaque fois que le roi met son veto aux décisions de l'Assemblée, refuse de les

promulguer, il est celui qui bloque le système, s'oppose aux représentants élus de la Nation, à

la Nation elle-même.

- Le roi va se bâtir ainsi une réputation détestable en se servant d'un outil qui est pourtant

constitutionnel, absolument valable.

- Chaque fois qu'il va l'employer, il soulèvera un tollé, non seulement à l'Assemblée

législative, mais surtout dans le peuple, principalement dans le peuple parisien qui finit par

donner à Louis XVI et à la reine le nom de « Monsieur Veto » et de « Madame Veto ».

- Échec pour des raisons politiques.

- On avait voulu faire un peu la copie du régime britannique, de la vie politique anglaise ;

on s'était dit l'Angleterre vit très bien de façon parlementariste, la nation y est libre depuis les

Révolutions du XVIIe siècle, en particulier depuis la Constitution de 1689 (Bill of Rights) qui

a séparé les pouvoirs entre le roi et le Parlement.

- On avait donc imaginé de copier ce régime.

- Seulement en Angleterre, en 1689, lorsqu'on avait établi un nouveau modus vivendi

entre les chambres et le monarque (sur lequel l'Angleterre vit toujours en principe) on avait

alors changé de roi et même de dynastie

- On commençait un régime nouveau avec un nouveau monarque qui avait accepté de

n'avoir que des pouvoirs extrêmement réduits.

- En 1789-1791, l'erreur a été de vouloir commencer un nouveau régime

constitutionnel avec l'ancien monarque absolu, qui n'oubliait pas son droit divin, et qui

n'avait plus que l'exécutif.

- Louis XVI n'avait pas réussi à changer ses façons de voir, la reine non plus

- Ils n'avaient pas accepté au fond du cœur cette constitution, cet ersatz de pouvoir

- Le jeu normal en a été complètement faussé.

- L'autre explication d'ordre politique c'est que par rapport à ces deux pouvoirs se crée

dans la réalité quotidienne un autre pouvoir qui n'est pas inscrit dans la Constitution, mais dont

il faut tenir compte : l'opinion publique, le peuple de Paris, les clubs, les groupes de pression.

- Les clubs politiques les plus connus sont le Club des Jacobins, révolutionnaire, et le

Club des Feuillants, conservateur.

- On les appelle ainsi parce qu'ils s'étaient installés dans des couvents désaffectés.

- Si ces clubs mènent la vie politique, le peuple parisien manifeste souvent ses exigences,

entoure l'Assemblée quand il ne l'envahit pas, fait pression sur ses décisions.

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- Les Tuileries, palais du roi, sont eux aussi envahis à plusieurs reprises.

- La nouvelle assemblée, la Législative, se réunit le 1er octobre 1791.

- Pourtant la monarchie constitutionnelle n'a plus que quelques mois à vivre.

- En effet, depuis la fuite du roi et son arrestation à Varennes en juin 1791, la rupture est

consommée entre la Révolution et la royauté.

- La guerre qui est ouverte contre l'Europe coalisée, à partir d'avril 1792, va amener à une

radicalisation révolutionnaire.

- L'utilisation maladroite du veto suscite contre Louis XVI la journée insurrectionnelle du

20 juin 1792 au cours de laquelle le peuple parisien envahit les Tuileries et force le roi à se

coiffer d'un bonnet phrygien.

- Le 25 juillet suivant, un manifeste du chef des armées coalisées, le duc de Brunswick,

menaçant Paris d'une exécution militaire en cas d'agression contre Louis XVI et sa famille,

achève de confirmer la collusion du roi avec l'ennemi.

- Le 10 août, les Parisiens prennent d'assaut les Tuileries forçant Louis XVI à se réfugier

auprès des députés qui ne peuvent qu'ordonner son arrestation et son transfert à la prison du

Temple.

- Le 10 août 1792, la royauté est tombée !

- La Constitution de 1791 est caduque de facto et la Législative doit se séparer pour laisser

la place à une nouvelle assemblée, la Convention nationale.

Chapitre 2

La première République dans la tourmente révolutionnaire (1792-1799)

- Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative cède la place à une nouvelle assemblée

élue, la Convention, dont le nom a été inspiré par le vocabulaire politique anglo-américain, et

dont la compétence est double : établir une nouvelle constitution et, en attendant que celle-ci

soit mise en application, exercer toute la souveraineté de l'Etat et gouverner la France.

- Les élections eurent lieu au suffrage universel à deux degrés, sans conditions censitaires

dans les assemblées primaires, mais l'indifférence, la peur ou la violence écartèrent de celles-ci

90 % des électeurs (il n'y eut environ que 700 000 votants sur une population mâle majeure

évaluée à 7 millions).

- C'est donc une toute petite minorité de révolutionnaires exaltés qui désigna les 749

conventionnels : ceux-ci, presque tous issus de la bourgeoisie moyenne ou petite sont de fermes

partisans des conquêtes révolutionnaires réalisées depuis 1789, mais attachés à la conservation

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sociale.

- Ils ont en général une solide expérience de la vie politique et administrative : un tiers

d'entre eux sont des juristes, les deux cinquièmes d'anciens constituants ou d'anciens

législateurs, la moitié a déjà exercé des fonctions dans les administrations locales ou

départementales.

- Ils sont dans la situation difficile d'une minorité politique, portée au pouvoir par une

révolution qui est menacée de l'extérieur par la guerre de coalition européenne, et à l'intérieur

par les forces contre-révolutionnaires où se mêlent les royalistes et les catholiques persécutés.

- De surcroît, ils risquent d'être débordés par l'émeute parisienne car, comme Louis XVI,

ils sont les otages des quartiers populeux de Paris : la Révolution libérale, respectueuse de la

propriété, est dépassée par les revendications égalitaristes des sans-culottes

(révolutionnaires issus de la partie modeste et laborieuse du peuple).

- Le régime républicain, issu du coup de force du 10 août 1792, vicié en quelque sorte par

les conditions mêmes de sa naissance, a perpétuellement vécu dans l'instabilité, en raison d'une

succession ininterrompue de coups de force, soit populaires, soit politiques, soit militaires,

réussis ou avortés, qui ont jalonné son histoire.

- L'histoire politique de la France se présente alors comme une succession zigzagante de

coups de force alternés, tantôt à droite contre les excès ultra-révolutionnaires, tantôt à gauche

contre le danger de restauration monarchique.

Section 1

La République jacobine (1792-1794)

- Correspondant à la phase radicale de la révolution française et s’étendant de septembre

1792 à juillet 1794, cette période voit l’installation du régime républicain et la mise en œuvre

du gouvernement révolutionnaire

- Le 20 septembre 1792, la Convention nationale, élue au suffrage universel et forte de

749 députés, se réunit pour la première fois, le jour même où, à Valmy, les armées françaises

reprennent l'initiative contre la coalition européenne.

- Le lendemain, la Convention décrète l'abolition de la royauté en France.

- Le 22 septembre, l'assemblée décide de dater désormais les actes officiels de l'an 1 de

la République.

- Enfin, le 25 septembre, sur la proposition de Danton, un décret proclame la république

française « une et indivisible »

- La nouvelle assemblée est vite divisée entre plusieurs tendances politiques.

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- A droite, se trouvent les Girondins, emmenés par Brissot : Ils se méfient de Paris et

veulent renforcer le poids des provinces.

- À gauche, siègent les Montagnards, parmi lesquels Danton, Robespierre, Saint-Just ou

encore Marat.

- Ces députés se retrouvent principalement au club des jacobins et dans celui des

cordeliers.

- Ils s'appuient sur Paris

- Au centre, la majorité des représentants se regroupent dans un ensemble disparate, le

Marais ou la Plaine, qui rejoint au gré des ordres du jour et des questions la Gironde ou la

Montagne.

- La grande question qui anime les premiers mois de la Convention est celle du devenir

du roi.

- Depuis le 10 août 1792, Louis XVI est prisonnier au Temple.

- Sur le rapport de son comité de législation, la Convention nationale décide de juger le

roi pour atteinte à la sûreté générale de l'État et conspiration contre la liberté des Français.

- Le procès s'ouvre en décembre 1792 dans une atmosphère lourde et Louis XVI est

reconnu coupable des crimes dont on l'accuse le 15 janvier 1793.

- L'appel au peuple ayant été rejeté, la mort est votée le 19 janvier par une courte majorité

et le roi est exécuté le 21.

- L'événement a une portée considérable.

- Comme l'a dit Danton, « les ponts sont rompus » et tout retour en arrière est rendu

impossible par cet acte terrible.

- L'une des conséquences du procès au plan interne est la rupture irrémédiable entre la

Gironde, accusée d'avoir tenté de sauver le roi, et la Montagne.

- La question de la légitimité du jugement de Louis XVI n'a cessé d'être au cœur des

controverses depuis.

- Il est vrai qu'au plan juridique, il est difficile de justifier le procès fait au roi par la

Convention, celle-ci étant à la fois juge et accusateur.

- Force est de constater que l'affaire ne répond qu'à une logique politique.

- Comme l'ont soutenu certains conventionnels, la condamnation du roi est une mesure

de salut public ; Les députés ont donc dû choisir entre la Révolution et la royauté, entre l'avenir

et le passé.

- Robespierre est celui qui a sans doute le mieux résumé ce dilemme en déclarant à la

tribune de la Convention : « Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive ».

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74

- Dès octobre 1792, la Convention a mis sur pied en son sein un comité chargé d'élaborer

une nouvelle constitution.

§ 1

La Constitution fantôme de l’an I (1793)

- Réunie le 21 septembre 1792 (date aussi du point de départ du calendrier

révolutionnaire), la Convention proclame le jour même l’abolition de la monarchie et

l’avènement de la République.

- Il s’agit de la première république française

- Dans cette période de fin septembre 1792 à octobre 1795, il faut distinguer d’une part

le gouvernement conventionnel ou révolutionnaire, issu des élections de septembre 1792, qui

agit sans autre base et d’autre part, l’élaboration de la constitution de l’an I (1793) qui ne sera

jamais appliquée

- Elle comporte une Déclaration des droits et 377 articles

- La Déclaration des droits reprend bien les thèmes essentiels de celle de 1789 - liberté,

égalité -, mais elle va plus avant dans certains domaines

- Si elle réaffirme le droit de propriété (art. 2 et 16), elle affirme à l'article 21 que « les

secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux,

soit en leur procurant du travail », soit par l'assistance sociale.

- Elle affirme également le droit à l'instruction (art. 22).

- Ainsi toute une série de droits sociaux apparaissent.

- Elle insiste comme nous l'avons dit sur l'égalité : C'est ainsi que l’article 18 interdit la

vente d'un individu (esclavage) et même ne reconnaît plus la domesticité, mais simplement « un

engagement de soins et de reconnaissance envers l'homme qui travaille et celui qui l'emploie ».

- Du point de vue politique, apparaissent des éléments nouveaux : la déclaration de 1793

reconnaît au peuple un droit - et même un devoir à l’insurrection (art. 35) « quand le

gouvernement viole des droits du peuple » et à la mise à mort immédiate de « tout individu qui

usurperait la souveraineté » (art. 27).

- La souveraineté populaire

- La Constitution de l'an 1 repose se sur la souveraineté du peuple (art. 24), et non plus

sur cette entité qu’était la nation de la Constitution de 1791.

- La Déclaration des droits emploie le terme « peuple » onze fois, pas une seule fois le

mot de « nation ».

- Elle instaure le suffrage universel (art. 29 ; art. 7 de l'acte constitutionnel) (bien

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évidemment les femmes sont exclues).

- L'électorat est désormais un droit et non plus une fonction.

- C'est le peuple concret qui exerce ce droit, le plus directement possible ; le suffrage à

deux degrés est supprimé pour le mandat législatif (art. 8 de l'acte constitutionnel).

- Ainsi est-ce une sorte de démocratie semi-directe qui aurait été mise en place si cette

constitution avait été appliquée.

- Si l'on avait suivi Rousseau jusqu'au bout, il aurait fallu faire voter les lois par le peuple

tout entier, sans créer de corps législatif.

- Ce système de démocratie directe, possible dans un canton suisse, était inimaginable

dans un grand pays comme la France.

- Mais il est certain que le mécanisme prévu par la Constitution de l'an 1 prévoit le

maximum de ce qui est possible pour donner au peuple la souveraineté la plus concrète, le

contrôle le plus étroit sur ses représentants.

- Outre le suffrage universel pour tous les hommes majeurs de 21 ans (au lieu de 25 en

1791), il est prévu que le corps législatif soit réélu tous les ans (art. 40), ce qui donne aux

députés l'obligation de se représenter très fréquemment devant leurs électeurs qui peuvent ainsi

mieux les sanctionner.

- Surtout un contrôle est exercé par les électeurs sur le travail législatif.

- Chaque loi, imprimée, reste en projet et doit être envoyée par l'Assemblée à toutes les

communes de la République.

- Ce projet ne devient définitif que si dans les quarante jours, la moitié des départements

n'a pas formé de réclamations (art. 56 à 60).

- Dans la logique de cette constitution, c'est le peuple qui exerce ainsi le veto royal de la

Constitution de 1791.

- Un pouvoir exécutif faible

- Sous l'étroite dépendance du législatif, l’exécutif est assuré par un Conseil exécutif de

vingt-quatre membres.

- Il n’y a aucune séparation des pouvoirs

- Certes, ceux-ci sont élus directement par les assemblées des départements, mais le choix

des vingt-quatre sur la liste totale plus vaste appartient au corps législatif.

- Le Conseil est renouvelé par moitié tous les ans.

- Il doit résider auprès du Corps législatif, il ne peut agir qu'en exécution de ses décrets,

il est surveillé pour la nomination des agents de l'Administration.

- C’est un organe collégial qui décide à la majorité de ses membres (24 !), on imagine le

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peu de cohésion qu'il aurait pu avoir.

- L'exécutif n'est donc plus un pouvoir, cette notion a disparu avec la nouvelle

constitution : Il n'est plus qu'un instrument du législatif.

- Pour résumer : la totalité des pouvoirs, législatif et exécutif, est donc entre les mains

de l’Assemblée (loi du 14 frimaire an II, 4 décembre 1793).

- L’Assemblée vote les lois et les décrets (les décrets correspondent aux matières

secondaires qui relèvent de l’administration plus que de la législation).

- Pour l’exécution matérielle des tâches gouvernementales, l’Assemblée a recours à un

système de comités.

- Elle élit 21 comités renouvelables chaque mois.

- Sous la surveillance de ces comités, on trouve un Conseil exécutif de 24 membres.

- Il n’existe donc pas de véritable pouvoir exécutif.

- Autre caractéristique de la constitution rédigée par la Convention : la révision de la

constitution devait pouvoir se faire avec une très grande facilité, et ceci à l'initiative populaire.

- La Déclaration des droits (art. 28) précisait qu’« un peuple a toujours le droit de revoir,

de réformer et de changer sa constitution, une génération ne pouvant assujettir à ses lois les

générations futures ».

- Aussi la constitution proprement dite (art. 115) prévoyait-elle qu'il suffisait que dans la

moitié des départements plus un, un dixième des électeurs demande la révision de la

constitution, du moins de quelques-uns de ses articles, pour que le Corps législatif convoque à

un référendum constitutionnel, pour l'établissement de la nouvelle Convention constituante.

- Approuvée elle-même par un référendum populaire, organisé de juillet à décembre 1793

selon les départements, le scrutin étant public et oral, il y eut 1 800 000 « oui » et seulement 11

600 « non » ; en revanche, le nombre d'abstentions s'élevait à 4 300 000

- Mais le gouvernement constitutionnel devait être réservé au retour de la paix, la

Convention se rendant compte du besoin d’un exécutif fort pour mener la guerre, ce qui était le

contraire de celui prévu par la constitution de l’an I

- Aussi son application fut-elle remise à plus tard

- Promulgué, son texte fut enfermé dans une arche en bois de cèdre déposée dans la salle

de la Convention

- Elle n’en sortit jamais et ne fut jamais appliquée

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§ 2

Le gouvernement révolutionnaire et la Terreur

- S’il faut attendre 1793 pour que la Convention renonce officiellement à fonder la

République sur une constitution, une nouvelle conception juridique de la Révolution se fait jour

au printemps 1793

- La naissance du gouvernement révolutionnaire :

- Les premières mesures d'exception sont adoptées avant même la chute des Girondins,

en mars-avril 1793 : institution de représentants en mission, envoyés dans les départements pour

y « réchauffer le patriotisme » (9 mars) ; création d'un Tribunal criminel extraordinaire (10

mars) ; organisation des comités de surveillance communaux (21 mars) ; suspension de

l'inviolabilité des députés (1er avril)

- Le Salut public supplante ainsi rapidement les droits de l'homme.

- Débute, selon l'expression de Marat, le « despotisme de la liberté ».

- Paradoxalement, c'est Barère, député de la Plaine, rallié à la Montagne en raison des

nécessités, qui donne de ces mesures la meilleure justification.

- Dans un discours prononcé le 18 mars, il dégage les trois données du moment : on ne

gouverne pas en temps d'exception selon des méthodes normales ; la bourgeoisie doit conserver

son alliance avec les groupes populaires, quitte à en payer le prix par des concessions

économiques et politiques ; la Convention doit demeurer l'élément dirigeant de cette alliance,

prendre l'initiative des mesures révolutionnaires qui risqueraient, sinon, d'être dictées par la rue.

- C'est à cette exigence que répond l'institution du Comité de Salut public, le 6 avril

1793.

- C'est initialement un des 21 comités de la Convention.

- Composé au départ de 9 membres, désignés par l'Assemblée en son sein, il est chargé

de « surveiller et d'accélérer l'action de l'administration confiée au Conseil exécutif », pouvant

même suspendre les arrêtés de celui-ci.

- Il est par ailleurs autorisé à prendre, si les circonstances l'exigent, des mesures de

défense générale extérieure et intérieure.

- Ses arrêtés doivent être exécutés sans délai par le Conseil exécutif.

- Il peut enfin décerner des mandats d'arrêt et d'amener contre les agents d'exécution.

- Pour éviter de se laisser déborder, la Convention prend la précaution de rendre la

trésorerie nationale indépendante du Comité, ne lui accordant que 100 000 livres pour dépenses

secrètes.

- Elle n'institue pas de président ; Plus encore, elle soumet le Comité à un renouvellement

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mensuel.

- Le Comité de Salut public ressemblait ainsi à un ministère responsable devant la

Convention, au moins sur un plan théorique, car la réalité fut tout autre.

- Délibérant en secret, maître des ministres et des fonctionnaires, il devait rapidement

concentrer le pouvoir à son profit.

- Il fut dans un premier temps dominé par Danton qui, usé par les défaites de l'été 1793,

demanda à la Convention de l'écarter le 10 juillet.

- Robespierre y pénétra le 27 juillet.

- Avec lui se constitua le Grand Comité de l'an II, complété en septembre, sous la pression

hébertiste, par Collot d'Herbois et Billaud-Varenne, amputé d’Hérault de Séchelles, le

rapporteur de la constitution montagnarde, ... guillotiné en avril 1794.

- Restait une équipe de douze hommes, unis par leur jeunesse - l'aîné ayant 47 ans et le

benjamin 26 - et par leur formation au service de l'Etat.

- Pour eux, le Salut public fut un apostolat et la violence une arme privilégiée.

- Un pas restait toutefois à franchir : légitimer les mesures d'exception.

- La systématisation du gouvernement révolutionnaire :

- Trois textes sont ici importants : le décret du 19 vendémiaire an II (10 octobre 1793),

portant que le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu'à la paix (rapport

Saint-Just) ; le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) sur le mode de gouvernement

provisoire et révolutionnaire (rapport Billaud-Varenne) ; le discours de Robespierre à la

Convention, le 5 nivôse an II (25 décembre 1793) sur les principes du gouvernement

révolutionnaire.

- Le décret du 19 vendémiaire an II constitue la première formulation de la théorie du

gouvernement révolutionnaire.

- Dans son rapport au nom du Comité de Salut public, Saint-Just déclarait : « Votre

Comité de Salut public, placé au centre de tous les résultats, a calculé les causes des malheurs

publics. Il les a trouvées dans la faiblesse avec laquelle on exécute vos décrets, dans le peu

d'économie de l'administration, dans l’instabilité des vues de l'Etat ... Il a donc résolu de vous

exposer l'état des choses et de vous présenter les moyens qu'il croit propre à consolider la

Révolution, à abattre le fédéralisme, à soulager le peuple et lui procurer l'abondance à fortifier

les armées à nettoyer l'Etat des conjurations qui l'infestent. Il n'y a point de prospérité à espérer

tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. »

- Le gouvernement révolutionnaire est donc un gouvernement de guerre, d'où la

nécessité d’une dictature.

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- Observons toutefois que celle-ci, sur le modèle de la Rome républicaine, se veut que

provisoire.

- Le texte, relativement bref - quatorze articles - est politiquement instructif à deux

égards.

- Il confirme en premier lieu le rôle essentiel du Comité de Salut public.

- Le Conseil exécutif provisoire, les ministres, les généraux, les corps constitués sont

placés sous sa surveillance (art. 2), à charge pour lui d'en rendre compte à la Convention.

- A cette même condition, toute mesure de sûreté est prise par le Conseil exécutif sous

son autorisation (art. 3) : Il présente les généraux au choix de l'Assemblée (art. 5) ; Il dresse le

tableau des productions en grain de chaque district (art. 7) ; C'est également lui qui présente le

plan de direction et d'emploi de l'armée révolutionnaire (art. 12).

- En second lieu, le texte développe une nouvelle conception de la loi et c'est

juridiquement là le point le plus intéressant : « Les lois révolutionnaires doivent être exécutées

rapidement. Le gouvernement correspondra immédiatement avec les districts des mesures de

Salut public » (art. 4) ; « L'inertie du gouvernement étant la cause des revers, les délais pour

l'exécution des décrets et des mesures de Salut public seront fixés. La violation des délais sera

punie comme un attentat à la liberté » (art. 6)

- En ajournant l'application de la constitution, le décret du 19 vendémiaire an II tente de

récupérer le concept de loi : Telle est l'utilité de la référence aux « lois révolutionnaires »,

exigées par les circonstances, donc provisoirement en contradiction avec la constitution.

- Pour ce faire, le texte glisse de la notion de loi à celle d'application de la loi.

- Ce glissement est bien exprimé par le rapport de Saint-Just : « Les lois sont

révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas. Dans les circonstances où se trouve la

République, la constitution ne peut être établie... Elle deviendrait la garantie des attentats contre

la liberté parce qu'elle manquerait de la violence nécessaire pour les réprimer. Il est impossible

que les lois révolutionnaires soient exécutées si le gouvernement lui-même ne s'est constitué

révolutionnairement », c'est-à-dire en dehors de la constitution.

- Cet abandon de ce qui avait été par excellence la conquête de l'Assemblée

constituante caractérise la deuxième période de la Révolution.

- La notion de loi perd son sens originel.

- La loi révolutionnaire n'est plus que la nécessité circonstancielle d'une violence

arbitraire contre les ennemis de la liberté.

- L'arsenal de légitimation de la Terreur est désormais en place et il ne reste plus, en

quelque sorte, qu'à régler les détails d'application : C'est là l'objet du décret du 14 frimaire an

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II.

- Le décret du 14 frimaire an II, riche de 69 articles, constitue une véritable charte du

gouvernement révolutionnaire.

- Il se caractérise politiquement par une extrême concentration du pouvoir et par une

farouche volonté d'efficacité dans l'exécution des lois révolutionnaires.

- La concentration du pouvoir s'exprime tout d'abord au niveau central.

- Jamais la France moderne n’a eu gouvernement plus exécutif, ni plus concentré que ce

gouvernement qui, théoriquement, demeurait le fait de la Convention.

- Certes, la fiction juridique est conservée : L'article 1er prévoit que « la Convention est le

centre unique de l'impulsion du gouvernement », mais l'article 2 s'empresse d'ajouter que « tous

les corps constitués et les fonctionnaires publics sont mis sous l'inspection immédiate du Comité

de Salut public » (section II).

- A moyen terme, cette politique aboutira à la suppression du Conseil exécutif le 12

germinal an II (1er avril 1794) et à son remplacement par douze commissions rattachées au

Comité de Salut public.

- Un même souci de concentration se manifeste en matière diplomatique, où le Comité se

voit chargé des opérations majeures (art. 1er section III).

- Les promotions militaires dépendent également de lui (art. 4).

- Il est en outre autorisé à prendre toute mesure nécessaire pour procéder au changement

d'organisation des autorités constituées (art. 1er, section IV).

- Le décret opère en effet sur le plan local un vaste réaménagement.

- Dans le cadre de la lutte contre le fédéralisme, les administrations départementales, dont

le personnel est sérieusement amputé, subissent une importante réduction de leurs attributions

- Dans les districts et les communes, qui du coup voient leur rôle s'accroître, sont institués

des agents nationaux, nommés par la Convention, mais devant correspondre tous les dix jours

avec le Comité de Salut public pour tout ce qui touche aux mesures de gouvernement et de Salut

public (art. 14 s., section II).

- L'élection s'efface devant la nomination.

- Les administrations locales sont ainsi reconstituées par voie d'épuration par les

représentants du peuple en mission, astreints eux aussi à des comptes rendus décadaires au

Comité de Salut public (art. 2, section III ; art. 2, section IV).

- L'orthodoxie est de rigueur.

- Tâche, à la base, des municipalités et des comités de surveillance, elle est au sommet

l'objet de la vigilance du Comité de Salut public et du Comité de Sûreté générale, chargé de la

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police générale et intérieure (art. 6 et 8, section II).

- Alors que les décrets du 13 juin et du 25 juillet 1793 avaient favorisé le développement

des sociétés populaires, celles-ci se voient désormais privées de toute autonomie, le décret du

14 frimaire an II proscrivant notamment entre elles les possibilités de liaisons horizontales

« comme subversives de l'unité d'action du gouvernement et tendant au fédéralisme » (art. 17,

section III).

- L'urgence l'exigeant, il convient par ailleurs d'accélérer l'exécution des lois.

- C'est à ce but que répond la création d'un Bulletin des lois, qui servira désormais à leur

notification aux diverses autorités (art. 1er, section I).

- Dans chaque lieu, la promulgation de la loi se fait dans les vingt-quatre heures de sa

réception, à son de trompe ou de tambour, la loi devenant dès lors obligatoire (art. 9).

- Pour plus d'assurance, les lois sont lues par le maire ou un officier municipal, ou un

président de section chaque 10 jours (art. 10).

- Des peines sévères frappent les agents qui se rendraient coupables dans la surveillance

ou l'exécution des lois (section V) : privation des droits de citoyen pouvant aller de trois à huit

ans, confiscation de la moitié des biens, voire cinq années de fer.

- Quant aux contrefacteurs du Bulletin des Lois, ils encourent la peine de mort.

- Authentique machine de guerre de la Révolution contre ses ennemis, le décret du

14 frimaire an II concentrait le pouvoir entre les mains du Comité de Salut public, organe certes

de la Convention, mais dictant à celle-ci ses volontés.

- Le processus qui menait à la dictature personnelle de Robespierre devait rapidement se

préciser.

- Le rapport de Robespierre sur les principes du gouvernement révolutionnaire (5

nivôse an II) offre, trois semaines seulement après le décret du 14 frimaire, la théorie la plus

élaborée du gouvernement révolutionnaire.

- En voici un extrait éloquent : « La théorie du gouvernement révolutionnaire est

aussi neuve que la révolution qui l'a amenée. Il ne faut pas la chercher dans les livres

des écrivains politiques, qui n'ont point prévu cette révolution, ni dans les lois des

tyrans qui, contents d'abuser de leur puissance, s'occupent peu d'en rechercher la

légitimité ; aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie qu'un sujet de terreur ou un texte de

calomnie ; pour les tyrans, qu'un scandale ; pour bien des gens, qu'une énigme ; il faut

l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de l'intérêt

public. La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de

la nation vers le but de son institution. Le but du gouvernement constitutionnel est de

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conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. La

révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la constitution est le régime

de la liberté victorieuse et paisible. Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une

activité extraordinaire, précisément parce qu'il est en guerre. Il est soumis à des règles

moins uniformes et moins rigoureuses parce que les circonstances où il se trouve sont

orageuses et mobiles, et surtout parce qu'il est forcé à déployer sans cesse des

ressources nouvelles et rapides, pour des dangers nouveaux et pressants. Le

gouvernement constitutionnel s'occupe principalement de la liberté civile et le

gouvernement révolutionnaire de la liberté publique. Sous le régime constitutionnel,

il suffit presque de protéger les individus contre l'abus de la puissance publique ; sous

le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre

contre toutes les factions qui l'attaquent. Le gouvernement révolutionnaire doit aux

bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la

mort. Ces notions suffisent pour expliquer l'origine et la nature des lois que nous

appelons révolutionnaires. »

- Forme inédite de pouvoir, le gouvernement révolutionnaire échappe au domaine de

la légalité, dans le sens traditionnel de ce terme.

- Il obéit à « des règles moins uniformes et moins rigoureuses ».

- Il constitue pourtant le prélude à l'ordre constitutionnel : ce n'est que lorsque les ennemis

de la Révolution auront été vaincus que pourra être appliquée la constitution.

- Fonder la République consiste donc à en préserver l'existence, non seulement contre

l'ennemi extérieur, mais aussi contre les factions internes.

- Dès le 12 octobre 1793 avait été dénoncée par Fabre d'Églantine une « conspiration de

l'étranger », un complot fomenté par certains étrangers pour perdre la République par des

mesures outrancières.

- Certains siégeaient même à la Convention dont Cloots, qui poussait à des mesures

extrémistes, comme l'annexion de pays étrangers ou la déchristianisation, mesures « ultra-

révolutionnaires ».

- Toujours est-il que le Comité de Salut public crut à une véritable machination : « Les

barons démocrates sont les frères des marquis de Coblentz et, quelquefois, les bonnets rouges

sont plus voisins des talons rouges qu'on ne pourrait le penser. »

- Aussi, le décret des 5-6 nivôse an II (25-26 décembre 1793) exclut-il de la Convention

les quelques étrangers qui y siégeaient depuis l'été 1792.

- Par le même texte, l'Assemblée renvoyait à son Comité de Salut public « la proposition

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d'exclure les individus nés en pays étranger de toutes autres fonctions publiques et la charge de

faire un prompt rapport sur cet objet ».

- Quant aux factions - antonyme de la volonté générale ~ visées par le discours, ce sont

les Hébertistes - qui, sous l'impulsion d'Hébert, avaient repris le flambeau des revendications

sociales laissé vacant par les Enragés, arrêtés en septembre 1793 - et les Indulgents - ces

derniers étant emmenés par Danton qui, dès novembre, avait protesté contre les mascarades

antireligieuses

- C'est la campagne du Vieux Cordelier, de Camille Desmoulins, qui mit le feu aux

poudres : Les deux premiers numéros -5 et 10 décembre -, s'en prenant aux « agents de

l'étranger », n'éveillèrent pas les soupçons ; Mais le troisième numéro - 15 décembre - remit

directement en cause le système du gouvernement révolutionnaire, les Indulgents signant ainsi

leur arrêt de mort.

- Le gouvernement révolutionnaire doit en effet, selon Robespierre, « voguer entre deux

écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l'excès ».

- L'Incorruptible en appelle ainsi à une « voie moyenne », mais « qui tracera la ligne de

démarcation entre tous les excès contraires. L'amour de la patrie et de la vérité ».

- C'est donc en dernier ressort un critère moral qui domine la vie politique.

- La suspension du droit se trouve de la sorte légitimée, au-delà même de la théorie

circonstancielle du Salut public, par l'exigence supérieure de fonder la société sur la vertu des

citoyens.

- On retrouve là la problématique de fond du Contrat social, le passage de l'homme au

citoyen.

- La Révolution a hérité de l'Ancien Régime des hommes corrompus.

- Avant de régner par la loi, elle doit les régénérer.

- Cet objectif permet de comprendre le succès du modèle spartiate, qui illustre la prise

en main par la cité de l'éducation, le mythe de la vie égalitaire et communautaire, l'idéal

d'austérité et de vertu.

- La référence même à la vertu des Anciens n'a rien d'un exercice de style : Elle a pour

but de légitimer l'action de la minorité radicale de la Convention.

- Dans ces conditions, la souveraineté même change de sens.

- Elle n'est plus le droit pour le peuple d'exercer le pouvoir constituant ou celui de

contrôler l'action des représentants qu'il a élus.

- Elle se transforme en une sorte de communauté éthique entre gouvernants et gouvernés.

- La Convention doit dicter au peuple la voie de son salut, mais elle ne doit pas moins

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répondre à l'appel qu'il formule.

- Si la « partie pure » de l'Assemblée représente le peuple, c'est parce que celui-ci prend

lui-même en charge l'épuration, par les comités de surveillance et les sociétés populaires.

- La politique devient ainsi le théâtre d'une logique de guerre qui, après avoir frappé les

Girondins, divise les Montagnards.

- Seule la Terreur semble susceptible de fonder durablement l'unité.

- La Terreur :

- La Terreur est mise à l'ordre du jour le 5 septembre 1793, sous la pression des

militants sans-culottes qui, ayant envahi la Convention dès le matin, réclament du pain et la

guillotine.

- Ces circonstances indiquent que, avant d'être un ensemble d'institutions répressives, la

Terreur est une revendication, un trait caractéristique de l'activisme révolutionnaire.

- De fait, elle existe dès le début de la Révolution, liée à l'idée du « complot

aristocratique » : adversaire mal déterminé, donc surestimé, qui engendre une suspicion

générale, dont les massacres de septembre 1792 sont une lugubre illustration.

- Cela dit, il faut se garder de considérer la Terreur comme un phénomène monolithique.

- L'épisode terroriste de la République connaît une évolution qu'il nous faut retracer pour

mieux la comprendre.

- Dès avant que la Terreur ne soit mise à l'ordre du jour, son appareil est en place.

- Des deux Comités centraux - Salut public et Sûreté générale - aux comités de

surveillance locaux, s'appuyant sur l'armée révolutionnaire et les représentants du peuple en

mission, sa structure administrative se révèle déjà efficace.

- A partir de septembre 1793, son action apparaît tout d'abord étroitement liée aux

circonstances du Salut public.

- Cependant, au printemps 1794, ce lien donne de sérieux signes de relâchement.

- La radicalisation progressive de la Terreur (septembre 1793 - printemps 1794).

- Durant cette première phase, la Terreur, dans la logique directe des exigences du Salut

public, qualifie les ennemis de la Révolution et se donne les moyens de les combattre.

- C'est dans ce but qu'est institué en mars le Tribunal criminel extraordinaire.

- Le 5 septembre, il est l'objet d'une réorganisation destinée à accélérer sa marche.

- Divisé en quatre sections dont deux fonctionnent simultanément, il est constitué de 16

juges chargés de l'instruction, de 60 jurés, d'un accusateur public entouré de substituts, tous

nommés par la Convention sur proposition des deux Comités.

- La justice est clairement subordonnée au pouvoir politique.

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- Le 29 octobre, pour expédier le procès des Girondins, les débats sont limités à trois jours

et le Tribunal est officiellement proclamé révolutionnaire.

- Si on ajoute à cela que, selon le décret du 11 mars précédent, les juges opinent à haute

voix et que leurs sentences sont sans recours, la réalité terroriste apparaît dans toute sa brutalité

et le Père Duchesne de vanter, dans son numéro 312, les vertus de Sainte Guillotine ... Qui donc

passerait sous le « rasoir national » ?

- En mars 1793, la Convention avait entrepris de mettre hors-la-loi certaines catégories

d'individus - contre-révolutionnaires, prêtres, émigrés - mais la « synthèse » n'intervient que le

17 septembre avec le décret relatif aux gens suspects.

- Aux termes de l'article 2 du décret, sont réputés suspects, pour s'en tenir aux catégories

les plus significatives : « ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs

propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de

la liberté ;... ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; les fonctionnaires publics

suspendus ou destitués de leurs fonctions ... ; ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris,

femmes, pères, mères, fils et filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés ».

- Les comités de surveillance furent chargés de dresser les listes de suspects et de les

adresser sans délai au Comité de Sûreté générale (art. 3 et 9).

- En tenant compte des suspects non incarcérés - pour cause -, on atteint le nombre de 800

000 personnes.

- Ces dispositions se doublèrent de mesures économiques dirigistes - maximum général,

voté le 29 septembre ; institution d'une commission des subsistances le 27 octobre - et de

mesures antichrétiennes -la plus importante étant, selon Aulard, l'adoption du calendrier

révolutionnaire le 5 octobre -.'

- Si on dresse un bilan de cette première phase de la Terreur, on constate que c'est

durant la période la plus critique de la République (printemps-été 1793) qu'elle est la moins

sanglante.

- Elle s'amplifie en revanche à partir d'octobre avec le redressement et avec les victoires.

- Cette distorsion, a priori paradoxale, marque un relâchement du lien primordial existant

entre Terreur et Salut public.

- L'intensification de la dictature terroriste procède d'une logique interne, portée à son

paroxysme au printemps 1794.

- La Grande Terreur (printemps 1794 – 9 thermidor an II) :

- A partir de mars 1794, avec l'avènement de la dictature personnelle de Robespierre, on

observe une inflation relative des peines de mort, bientôt suivie par une augmentation

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vertigineuse du nombre des procès.

- Cette évolution résulte de deux facteurs, d'ailleurs indissociables : la lutte entre les

factions et la centralisation à Paris de la justice révolutionnaire

- Dès décembre 1793, Robespierre définissait sa propre ligne politique et jetait l'anathème

sur les Hébertistes et les Dantonistes.

- Fin mars - début avril 1794, ces « hérétiques » sont guillotinés.

- La mort devient la sanction généralisée des conflits politiques.

- La notion d'ennemi de la Révolution acquiert sa signification la plus large.

- Tout ce qui ne relève pas du clan robespierriste est désormais suspect.

- Ce resserrement de l'étau terroriste se traduit institutionnellement par la centralisation

de la justice révolutionnaire.

- Le 27 germinal an II (16 avril 1794) est voté, à l'instigation de Saint-Just, un décret

étendant la compétence du Tribunal révolutionnaire.

- Selon l'article 1er de ce texte, « les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les

points de la République, au Tribunal révolutionnaire de Paris »

- Le processus est couronné par le décret du 22 prairial an II (10 juin 1794) : « Il ne

s'agit pas de donner quelques exemples », déclare Couthon, rapporteur du texte, « mais

d'exterminer les implacables satellites de la tyrannie ».

- La notion d'« ennemi du peuple » amplifie celle de suspect de manière spectaculaire.

- L'article 6, qui en fournit la liste, ne comprend pas moins de onze alinéas

- La variété des griefs retenus n'a d'égale que son imprécision.

- Modèle du genre, l'article 5 dispose que « les ennemis du peuple sont ceux qui cherchent

à anéantir la liberté publique, soit par la force, soit par la ruse »

- En tout cas, une seule peine est prévue : la mort (art. 7)

- Les poursuites peuvent être le fait de tout citoyen (art. 9) ; S'il existe des preuves, soit

matérielles, soit « morales », il n'est pas entendu de témoins (art. 13) ; Toutes les dépositions

doivent être faites en public (art. 15) ; Les « conspirateurs » sont en outre privés de défenseurs

(art. 16), ceux-ci étant réservés aux « patriotes calomniés »...

- En bref, comme l'affirme l'article 8, la procédure se ramène aux « moyens simples que

le bon sens indique pour parvenir à la connaissance de la vérité ».

- Cette machine infernale prononça quelque 700 jugements en prairial et près de 1 000 en

messidor, dont environ 800 exécutions.

- Les prisons parisiennes abritèrent près de 8 000 « ennemis du peuple » début thermidor.

- Née pour exterminer l'aristocratie, la Terreur finit, avec la dictature de Robespierre, en

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moyen de fonder le règne de la vertu.

- Ce glissement suppose une définition du bien et du mal, que donne l'Incorruptible dès

son discours de nivôse

- Dans la même logique, en érigeant la vertu en principe de gouvernement, « cette vertu

magique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome », il rappelle qu'elle consiste

en « l'amour de la patrie et de ses lois » (17 pluviôse an II - 5 février 1794).

- Il ne s'agit pas moins en l'espèce que de créer un homme nouveau, qui devra, selon le

décret du 18 floréal an II instaurant le culte de l'Etre suprême, « détester la mauvaise foi et

la tyrannie, secourir les malheureux, respecter les faibles, défendre les opprimés »

- Telles sont les nouvelles Tables de la loi données par la Montagne à l'humanité.

- Le discours terroriste abandonne donc le terrain circonstanciel pour un ancrage plus

fondamental : la Révolution elle-même, dont la Terreur devient inséparable, coextensive

- Elle seule peut permettre de produire une authentique République de citoyens

- Elle finit ainsi par s'affirmer comme une idéologie indépendante des circonstances de

Salut public, une idéologie qui s'exprime d'autant plus radicalement que le pouvoir

robespierriste est politiquement isolé et que n'existe aucun mécanisme juridique susceptible de

le neutraliser.

- Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), la chute du Tyran mit un terme à ce processus,

qui allait littéralement empoisonner la vie politique française du XIXe siècle.

- En associant l'avènement de la République démocratique à une dictature fanatique, la

Terreur devait donner des arguments aux contre-révolutionnaires, alimenter les craintes des

libéraux, gêner les républicains et isoler les socialistes

- Dans l’immédiat comment sortir de la Terreur ?

Section 2

La république conservatrice (1795-1799)

- Au printemps 1794, la République est sauvée.

- Les insurrections intérieures ont été réduites et les armées révolutionnaires sont

victorieuses à l'extérieur.

- La Terreur qui s'est amplifiée à partir d'avril n'a plus de raison d'être

- L'acharnement des robespierristes va causer leur perte

- Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), à la suite d'une séance dramatique à la Convention,

Robespierre, Saint-Just et certains de leurs partisans sont mis hors la loi et exécutés le

lendemain.

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- C'est la fin de la République jacobine

- Le reflux de la Révolution s'amorce au cours d'une période conservatrice

- La chute de Robespierre est une réaction des conventionnels contre la Terreur.

- Pour autant, certains instruments de l'appareil terroriste, comme le Tribunal

révolutionnaire, sont dans un premier temps maintenus afin d'éliminer la faction robespierriste.

- Toutefois, la réaction thermidorienne n'ouvre aucune possibilité de restauration

monarchiste.

- Il s'agit de maintenir la République comme le montre le décret du 21 nivôse an III (10

janvier 1795) instituant une fête commémorative de « la juste punition du dernier roi des

Français ».

- La convention thermidorienne souhaite donc naviguer entre ces deux écueils : le

jacobinisme et le royalisme.

- La dernière partie de la vie de la Convention est ainsi scandée par l'opposition de ces

deux tendances et la répression dont elles font l'objet.

- Les insurrections populaires de Paris du 12 germinal an III (1er avril 1795) et des 1er-4

prairial an III (20-23 mai 1795) sont réprimées par l'armée.

- Quant aux royalistes, le débarquement qu'ils tentent dans la presqu'île de Quiberon est

repoussé par Hoche en juin 1795 et les prisonniers sont exécutés sur ordre de la Convention.

- Les Thermidoriens souhaitent enfin doter la France d'une constitution.

- Celle de l'an 1 leur paraissant inapplicable en raison de ses caractères démocratiques

trop affirmés, il est nécessaire d'envisager une nouvelle loi fondamentale.

- La commission chargée à partir du 4 floréal an III (23 avril 1795) de la rédaction d'un

nouveau projet est composée de modérés, parmi lesquels Boissy d'Anglas, Daunou,

Cambacérès et Sieyès.

- Leur projet est adopté par la Convention, le 5 fructidor an III (22 août 1795).

- Le même jour, les conventionnels, soucieux de ne pas perdre le pouvoir décident que

les deux tiers d'entre eux devront être réélus dans le prochain corps législatif.

- C'est le fameux décret des deux tiers.

- Ainsi débute le Directoire, le régime que connaît la France sous l'empire de la

Constitution de l'an III jusqu'en 1799.

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§ 1

La constitution de l’an III

- Selon le mot de Pierre Gaxotte, c’est « la Constitution de la peur »

- En effet, l’objectif fondamental de la Constitution est de maintenir au pouvoir et en

vie le personnel politique qui a survécu aux tourmentes des années 1792-1794.

- Une Déclaration des devoirs et des droits :

- Elle a comme première caractéristique d'être la première - et la dernière - de nos

constitutions à doubler la Déclaration des droits (la 3e !) d'une Déclaration des devoirs de

l'homme et du citoyen en neuf articles dont le style, le fond ont discrédité le genre.

- On y trouve par exemple : « Tous les devoirs de l'homme et du citoyen dérivent de ces

deux principes, gravés par la nature dans tous les cœurs : ne faites pas à autrui ce que vous ne

voudriez pas qu'on vous fit. Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en

recevoir ».

- Un peu plus loin : « Nul n'est bon citoyen s'il n'est bon fils, bon père, bon frère, bon ami,

bon époux ».

- Bref une sorte de morale à mi-chemin d'un évangile laïque et de la comtesse de

Ségur.

- La Déclaration des droits supprimait en revanche plusieurs droits posés par 1789 et

surtout 1793.

- Disparaissait en particulier la fameuse phrase de la Déclaration de 1789 : « Les hommes

naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

- Néanmoins, l'égalité était réaffirmée mais uniquement comme égalité civile.

- En 1789, on l’avait défini négativement par rapport aux ordres et aux privilèges, il fallait

donc la définir maintenant positivement : « l’égalité consiste en ce que la loi est la même pour

tous » : il s’agit donc d’une égalité strictement juridique

- La liberté économique est de nouveau affirmée mais tous les droits sociaux de la

Constitution de l'an 1 ont disparu : le droit à l’assistance, le droit à l’instruction et le droit à

l’insurrection : Pas de démocratie sociale

- La Déclaration des devoirs tente de substituer à la morale chrétienne, maintenant ignorée

par l'Etat laïcisé, une morale civique, fondée sur la « Nature » et la « Raison », mais qui n'est

en réalité qu'une morale chrétienne pratique séparée de son fondement religieux qui se termine

explicitement par deux formules qui consacrent l'intangibilité de la propriété, et récusent donc

implicitement tout bouleversement de l'ordre social établi : « C'est sur le maintien des propriétés

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que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l'ordre

social » (art. 8) ; « Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de

l'égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l'appelle à les défendre » (art. 9).

- La propriété est mise sur le même rang que la liberté et l'égalité.

- Le mot « peuple » a disparu du texte de la déclaration

- La Révolution finissante revenait à l'idée de nation, et ceci entraînait une autre vision

politique des choses : abandon du suffrage universel pour le retour au suffrage censitaire à deux

degrés, représentativité, séparation et équilibre du législatif et de l'exécutif.

- Longue et compliquée.

- L'acte constitutionnel lui-même était extrêmement long : 377 articles (contre 210 en

1791, 124 en 1793), et les mécanismes qu'il mettait au point ont fait de tout temps la joie des

constitutionnalistes par leur extrême complication.

- Non seulement le nouveau régime se caractérisait par un retour très net à la séparation

des pouvoirs - la plus forte que notre histoire constitutionnelle ait connue -, mais pour la

première fois était introduit en France le bicamérisme.

- L'intention était de créer un équilibre : le résultat fut une impasse, un échec.

- En outre, jamais autant que sous le Directoire, le modèle - ou le pastiche - de l'Antiquité

gréco-romaine ne fut aussi éclatant.

- Les rédacteurs de la Constitution de 1795 viennent de subir pendant trois ans un pouvoir

central unique, surconcentré, dictatorial et perpétuellement soumis à la menace d'une

insurrection populaire locale.

- Pour conjurer tout risque de pression insurrectionnelle ou de dictature, ils ont donc

divisé et séparé les pouvoirs autant qu'ils l'ont pu

- Pour la première fois le bicamérisme :

- Le pouvoir législatif est coupé entre deux assemblées aux pouvoirs à peu près équilibrés

mais différents ; rien à voir avec la « navette » des constitutions françaises du XXe siècle.

- Un Conseil des Cinq-Cents (dont le nom et le nombre rappellent le Conseil d'Athènes,

dit aussi la Boulê) devait être « les idées », « l'imagination de la République ».

- Aussi était-il composé de 500 représentants jeunes, éligibles dès l'âge de 30 ans (et même

de 25 momentanément, jusqu'en 1798) et c'est à lui qu'était attribué exclusivement le soin de

proposer les lois.

- Le Conseil des Anciens (dont le nom était inspiré de la Gérousia de Sparte) représentait

« la raison ».

- II était composé de gens plus mûrs, qui devaient avoir au moins 40 ans, être mariés ou

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veufs.

- C'est donc à lui qu'était réservé de délibérer sur les propositions de lois faites par le

Conseil des Cinq-Cents, de les approuver, de les rejeter.

- Les membres des deux chambres devaient siéger en toge et toque.

- Les gravures de l'époque nous ont conservé le souvenir de ces costumes aussi recopiés

de l'Antique.

- Un exécutif collégial :

- II est confié à un collège de cinq membres (donc divisé) baptisé « le Directoire de la

République ».

- C'est cette institution particulière qui donnera au régime de la Constitution de l'an III le

nom sous lequel il est généralement connu.

- Le Directoire, c'est en somme un président de la République démultiplié en cinq

directeurs.

- Mais il n'en reste pas moins que le régime est assimilable à un régime présidentiel, du

point de vue des catégories modernes constitutionnelles.

- Le Directoire est élu pour cinq ans, selon des modalités assez subtiles : les directeurs ne

peuvent être choisis que parmi des gens de plus de 40 ans ayant été membres de l'une des

assemblées (présentes ou précédentes) ou ministres.

- Les Cinq-Cents établissent une liste comportant dix fois plus de noms que nécessaire.

- Les Anciens, par vote, retiennent le nombre exact et font donc le choix définitif.

- Mais le mécanisme fut vite faussé.

- Si au début il fallut nommer les cinq directeurs d'un coup, la constitution prévoyait qu'ils

étaient renouvelables au sort chaque année.

- Chaque année donc, les Cinq-Cents présentaient aux Anciens une liste de dix noms

parmi lesquels ils avaient glissé au milieu de neuf incapables le nom de leur vrai candidat, que

les Anciens étaient bien forcés ainsi de désigner.

- Ce renouvellement par 1/5 était destiné à éviter les changements brusques d'orientation

à l'intérieur du collège directorial.

- Pour la présidence du Directoire, il existait entre ses membres un roulement de trois

mois.

- Les Directeurs devaient loger ensemble au palais du Luxembourg aux frais de la

République, ne pouvaient s'éloigner de Paris sans autorisation du Corps législatif, devaient

paraître revêtus du pompeux costume qui leur était fixé ; une garde de 210 hommes à pied et à

cheval leur était affectée.

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- Ils sont aidés de ministres qu'ils nomment et révoquent à leur gré.

- Peu de noms ont traversé les siècles ; de ces directeurs, seuls Carnot, Barras, La

Revellière-Lépeaux, le grand juriste Merlin de Douai, Sieyès connu lui aussi autrement, ont

laissé un souvenir.

- Une séparation minutieuse des pouvoirs :

- L'intérêt de la Constitution de l'an III, c'est la séparation minutieuse et absolue des

pouvoirs.

- Le Directoire ne peut ni dissoudre ni ajourner les assemblées.

- Les assemblées, de leur côté, ne peuvent mettre en cause la responsabilité politique des

directeurs.

- Des précautions minutieuses sont prises par la constitution pour que les deux

pouvoirs ne se rencontrent pas, même matériellement.

- II est prévu des « messagers d'État » qui, tels Mercure, porteront les textes de l'un à

l'autre organe.

- Les Assemblées siégeaient sur la rive droite de la Seine, aux Tuileries, les directeurs,

nous l'avons dit, résidaient au palais du Luxembourg, sur la rive gauche.

- Si l'on observe de plus près la constitution, en ce qui concerne l'exécutif on peut

constater que celui-ci s'est bien renforcé par rapport au pouvoir qui avait été reconnu au roi en

1791.

- II a repris une vraie place dans l'équilibre constitutionnel : Les directeurs gouvernent

par les ministres (6 à 8) qu'ils choisissent et révoquent à leur gré et qui ne forment point un

conseil.

- Le Directoire détient de grands pouvoirs : relations extérieures, force armée,

nomination des fonctionnaires en général - et même des juges - lorsque les places électives

venaient à être vacantes par décès, démission ou destitution.

- En revanche, il est bloqué dans les matières financières.

- En effet, s'il nomme les receveurs généraux des contributions directes, les agents

supérieurs des contributions indirectes et garde la surveillance générale sur toutes les

contributions, le Trésor lui échappe : la constitution l'attribue à cinq commissaires élus par les

deux assemblées, totalement indépendants de lui.

- Le Directoire ne peut donc manipuler les fonds de la nation.

- Mais il va conserver de la Convention l'habitude d'envoyer des représentants en

province.

- Il héritera ainsi du centralisme mis au profit par les Jacobins, qui jouera au profit de

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l'exécutif cette fois.

- Ce sont les « commissaires du Directoire » dans les départements, qui continuent les

représentants en mission et préparent le préfet napoléonien de l'an VIII.

- Quant au système électoral, il est aussi, comme en 1791, un système censitaire à deux

degrés : les citoyens mâles majeurs, âgés de vingt et un ans, et payant une contribution directe,

quel qu'en soit le montant, désignent les électeurs, à raison de 1 pour 200.

- Les électeurs doivent être âgés de vingt-cinq ans au moins, et répondre à des conditions

de fortune variables selon la localité de leur domicile : au total, il n'y a pas pour toute la France

plus de 30 000 électeurs, soit moitié moins qu'en 1791.

- Ce sont ces électeurs qui élisent les députés des deux Conseils, des Cinq-Cents et des

Anciens.

- C'est ce corps politique étroit de propriétaires fortunés qui détient la réalité du

pouvoir.

§ 2

Le coup d’Etat, seul moyen d’action

- Trop peu de rapports étaient prévus par la constitution entre directeurs et

assemblées

- Le Directoire pouvait inviter les Cinq-Cents à « prendre un objet en considération »,

mais il ne pouvait lui présenter un projet de loi.

- A l'inverse, les assemblées pouvaient demander des comptes et des éclaircissements sur

son action au Directoire qui les fournissait par' écrit, de même qu'il devait chaque année

présenter aux assemblées l'aperçu des recettes et dépenses de l'exécutif.

- A part cela, aucun moyen de communication, de pression, n'était prévu d'un organe à

l'autre, le « veto » de 1791 avait même disparu, cela devait fatalement amener des tensions, des

coups d'État

- L'instabilité du régime de l'an III tient à son vice congénital : le Directoire a été conçu

par les Thermidoriens afin de s'y perpétuer au pouvoir.

- Deux logiques s’affrontent donc : celle de la permanence, exprimée par le décret des

deux tiers, et celle du renouvellement prescrit par la constitution

- Chaque élection est ainsi vécue comme une nouvelle menace pour le pouvoir en

place

- L’équilibre est en outre fragilisé par l’absence de synchronisme entre les

renouvellements des conseils (par tiers) et du Directoire (par cinquième) si bien que la

concordance politique entre les deux organes risque d’être annuellement mise en cause

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- De là la pratique du coup d’état préventif

- Et, comme les Conventionnels, les hommes du Directoire ont été en butte au même

double danger, de la contre-révolution royaliste à droite, et de l'ultra-révolution jacobine à

gauche.

- Pour conjurer ces dangers renaissants, ils ont recouru au coup de force répété, et pour

cela ils ont dû s'assurer les services ou la complicité de militaires complaisants.

- D'où la vie malsaine de cette république soumise périodiquement aux coups d'Etat

réalisés avec l'aide des militaires

- Face à la gauche babouviste : le général Brune (1796) :

- Lorsque le Directoire s'installe, quelques jours après le coup de Vendémiaire, le 26

octobre 1795 (4 brumaire an IV), la débâcle financière léguée par la Convention tourne à la

catastrophe

- A ces difficultés s’ajoutent une poussée de la mortalité, la persistance des émeutes de la

faim, la recrudescence de la mendicité et de la délinquance (brigandage sur les routes, sévices

contre les possédants attaqués chez eux).

- Dans de telles conditions sociales et économiques, le mécontentement populaire

entraîne à Paris une renaissance de l'agitation jacobine avec la fondation de club comme le

Club du Panthéon, qui devient le centre de ralliement des nostalgiques de Marat, Hébert et

Robespierre.

- Ces extrémistes jacobins vont trouver un propagandiste véhément dans la personne d'un

journaliste, Babeuf, qui n'est pas membre du club, mais qui publie une feuille, Le Tribun du

Peuple, où sont développées les idées essentielles de Marat et d'Hébert : le peuple, asservi et

trompé, ne peut être libéré que par une minorité insurrectionnelle organisée et décidée à

s'emparer du pouvoir pour exercer une dictature populaire.

- Or Babeuf, sous l'influence de ses lectures, en particulier les philosophes Morelly et

Mably, et sous l'influence de ses expériences professionnelles (issu lui-même d'un milieu très

pauvre, il a été avant 1789 expert en questions féodales, et à ce titre il a bien connu la misère

d'une certaine petite paysannerie picarde), est devenu communiste avant l’heure.

- En réalité, il est plus héritier que précurseur, car son communisme agrarien est fondé

sur un partage des terres et sur la répartition égalitaire des récoltes entre les paysans : il reste

étroitement soumis à la double obsession de l'économie préindustrielle, la terre et la pénurie.

- Pour Babeuf, la Révolution a échoué parce qu'elle n'a pas été poussée jusqu'au bout, à

cause de Thermidor.

- Il faut donc revenir aux mesures du temps de Robespierre (Maximum, réquisitions,

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emprunt forcé sur les riches, répartition autoritaire des denrées, etc.), afin de préparer

l'instauration du communisme, par l'abolition de la propriété foncière individuelle et de

l'héritage

- Le rigoureux hiver 1796 donne un grand retentissement à la campagne de presse du

Tribun du Peuple.

- Le Directoire s'en émeut, et se décide à sévir : le 27 février 1796 il fait fermer le Club

du Panthéon par le général Bonaparte

- Babeuf et un groupe de rescapés du jacobinisme extrémiste organisent une société

secrète, la Société des Egaux, qui prépare une conspiration, la Conspiration de l'Egalité, pour

s'emparer du pouvoir : il s'agissait d'obtenir l'insurrection des troupes du camp de Grenelle, près

du Champ-de-Mars.

- Le Directoire, qui a été mis au courant par l'un des conjurés, fait arrêter Babeuf et ses

complices (10 mai 1796).

- Cependant, quatre mois plus tard, le 10 septembre 1796, quelques centaines d'individus,

venus de Vaugirard, tentent d'entraîner les soldats du camp de Grenelle contre le Directoire :

Dernier sursaut des Jacobins extrémistes ?

- Provocation policière destinée à faciliter la liquidation définitive de ceux-ci ?

- Les deux thèses sont plausibles, séparément et simultanément.

- Toujours est-il que le général Brune se trouvait tout justement et fort opportunément au

camp de Grenelle à l'arrivée des insurgés, et il fit échouer le putsch.

- Les assaillants sont repoussés et arrêtés.

- Le Directoire commet d'urgence une commission militaire, installée au Temple, pour

les juger, et elle s'empresse d'en faire fusiller 31, dont trois anciens Conventionnels

montagnards.

- Quant à Babeuf, il venait d'être transféré à Vendôme avec ses complices : après un long

procès il a été condamné à mort et guillotiné en mai 1797.

- Face à la droite royaliste : le général Augereau (1797) :

- A la fin de 1796 et au début de 1797, les royalistes pensent que leur heure va bientôt

sonner de nouveau : ils reportent leurs espoirs sur le premier renouvellement des assemblées.

- Un tiers des députés est soumis à réélection au printemps 1797.

- Des clubs monarchistes se fondent, dans l'atmosphère de répression antijacobine et

d'ouverture à droite qu'entretient la politique de Carnot

- Des notables modérés, anciens Feuillants et bourgeois catholiques, se réunissent dans

un hôtel particulier de la rue de Clichy : ils se proposent de restaurer légalement une

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monarchie constitutionnelle et de négocier la paix avec l'Angleterre.

- Cependant, la grande faiblesse de leur entreprise, et qui sera au XIXe siècle celle du

royalisme, tient à ce qu'ils n'ont pas réellement de candidat : les frères de Louis XVI, le « roi-

martyr » pour ses fidèles, s'obstinent dans leur intransigeance, tandis que le duc d'Orléans, le

fils du citoyen Egalité, est déshonoré par le vote régicide de son père à la Convention.

- Parmi les royalistes, entre les « absolutistes » et les « constitutionnels », on retrouve le

divorce des « aristocrates » et des « patriotes », et on devine l'opposition des « légitimistes » et

des « orléanistes ».

- De 1789 à 1873, le royalisme a été victime de ses propres partisans,

irrémédiablement divisés entre eux.

- Cependant, la plupart des électeurs, appelés à décider par leur vote, souhaitent la fin des

troubles : ce sont des possédants, satisfaits d'avoir obtenu l'abolition des privilèges, la liberté

individuelle et l'égalité civile, et qui tremblent encore au souvenir des « dépassements » de

1793-1794.

- Mieux vaut encore une monarchie constitutionnelle, garante de la conservation sociale,

qu'une république à laquelle sont associées les images de la guillotine, des assignats, des Sans-

Culottes, de la guerre civile et étrangère, de la persécution religieuse.

- Les élections de mars-avril 1797 sont un désastre pour le tiers sortant des députés,

soit la moitié des « perpétuels » : sur 216 sortants, 11 seulement sont réélus, et il y a au moins

170 élus royalistes.

- Quand les Conseils se réunissent le 20 mai, la majorité se dessine en faveur des

royalistes : les trois candidats de la rue de Clichy sont élus à la présidence des Cinq-Cents

(général Pichegru), à la présidence des Anciens (Barbé-Marbois), et à celui des cinq postes de

directeur soumis au renouvellement annuel (Barthélemy).

- La nouvelle majorité veut abroger les lois contre les prêtres réfractaires, et faire renvoyer

quatre ministres jugés trop jacobins.

- Trois des cinq directeurs (Barras, Reubell et La Revellière) s'entendent entre eux, à

l'écart des deux autres (Carnot et Barthélemy), pour briser la majorité royaliste en recourant

au coup de force.

- Dès la fin de mai 1797, Barras prend contact avec Bonaparte pour s'assurer l'appui de

l'armée d'Italie, considérée comme jacobine.

- Non seulement Bonaparte donne son accord, mais encore il livre à Barras des papiers

saisis en Italie, et qui prouvent la collusion de Pichegru avec le prétendant royaliste, le comte

de Provence.

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- En juillet, Barras fait nommer Hoche ministre de la Guerre

- Comme Bonaparte ne peut alors quitter le commandement de l'armée d'Italie, il envoie

un de ses lieutenants, le général Augereau, pour porter main-forte aux trois directeurs conjurés.

Augereau est nommé commandant de la division militaire de Paris.

- Dans la nuit du 17 au 18 fructidor an V (4-5 septembre 1797), Paris est occupé

militairement par les troupes d'Augereau : Pichegru et Barthélemy sont arrêtés, Carnot

s'enfuit.

- Le putsch politico-militaire a parfaitement réussi.

- Quelques députés présents aux Cinq-Cents et aux Anciens cassent les élections dans

49 départements (198 députés se trouvent ainsi invalidés : on les appela les « fructidorisés »),

et ils votent la déportation à la Guyane sans jugement de 53 de ces députés invalidés, des deux

directeurs Barthélemy et Carnot, et d'un lot de journalistes royalistes.

- Face à la gauche jacobine : le général Bonaparte (1799) :

- Après Fructidor, les royalistes pourchassés s'abstiennent de paraître aux assemblées

électorales : à quoi cela servirait-il, puisque, lorsqu'ils gagnent les élections, ils sont

« fructidorisés » par les républicains...

- Comme les invalidés de Fructidor n'ont pas été remplacés, ce n'est pas le tiers, mais plus

de la moitié des sièges qu'il faut pourvoir (437 sur 750) aux élections de l'an VI (avril-mai

1798).

- Malgré les pressions directoriales, les assemblées électorales dominées par la gauche

seule, puisque la droite royaliste est absente, élisent 300 Jacobins, mais les directeurs, là où les

partisans du gouvernement étaient minoritaires, ont suscité des scissions dans les assemblées

électorales.

- Cette manœuvre leur permet de réaliser le coup de force du 22 floréal an VI (11 mai

1798) : les députés des Cinq-Cents et des Anciens invalident 106 élus de gauche, proclament

élus à leur place 53 élus des assemblées scissionnaires minoritaires, et laissent vacants les 53

autres sièges.

- Réalisé avec la complicité des « perpétuels », le coup de force du 22 floréal dirigé

contre la gauche jacobine, a donné un an de répit au Directoire, mais s'il a contenu la poussée

à gauche, il n'a pas pu l'arrêter.

- Ceux des Jacobins qui n'ont pas été « floréalisés » exploitent à leur profit le discrédit

du régime, en axant leur propagande sur le thème de la guerre aux riches et de la chasse aux

corrompus, qui leur attire la sympathie de tous les mécontents.

- Or, en 1798, le Directoire a repris la politique extérieure d'annexions territoriales, de

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conquêtes et de « républicanisation » des pays « libérés », ce qui provoque la formation de la

seconde coalition européenne contre la France au début de 1799.

- Les armées françaises sont battues partout, et perdent l'Italie.

- Les Jacobins s'appuient sur les généraux mécontents, qui se plaignent du Directoire

(Augereau, Jourdan, Bernadotte, Joubert, Brune, Masséna...).

- Bonaparte est alors en Egypte, où il s'est enlisé dans une expédition militaire contre

l'Angleterre.

- Le Directoire n'a pas été mécontent de se débarrasser ainsi temporairement d'un général

trop populaire, trop indépendant et surtout trop mêlé à tous les coups de force du régime depuis

1795. Cependant le régime survit, impuissant.

- Politiciens et généraux mécontents discutent entre eux de la révision de la

Constitution.

- En mai 1799, Sieyès est élu directeur.

- Cet ex-conventionnel régicide présente l'avantage d'appartenir au syndicat des

Thermidoriens, sans avoir été éclaboussé par le discrédit où est tombé le régime, dont il avait

dénoncé par avance les tares, en critiquant le projet de constitution de Daunou.

- Depuis 1795 il s'est tenu à l'écart, et lorsqu'en 1799 il revient de Berlin, où il avait été

envoyé en ambassade, pour devenir directeur, il apparaît aux yeux de tous comme l'homme de

la « révision ».

- Les élections de l'an VII (avril-mai 1799) viennent d'exprimer une hostilité générale

au Directoire : les royalistes, les catholiques, les modérés ne pouvant faire passer leurs candidats

ont préféré, par haine d'un gouvernement qui les a fructidorisés, faire passer l'extrême gauche

jacobine.

- La vague est si forte que le Directoire n'ose pas recommencer le coup de floréal an

VI.

- D'ailleurs, faute d'un soutien militaire, le peut-il ?

- Disposant maintenant de la majorité aux Assemblées, les Jacobins prennent leur

revanche : le 29 prairial an VII (17 juin 1799), ils annulent l'élection d'un directeur

(Treilhard), et le 30 ils en contraignent deux autres à démissionner (Merlin de Douai et La

Révellière) en les accusant d'avoir préparé un complot contre les assemblées.

- A leur place Sieyès fait élire trois comparses obscurs (Gohier, Moulin, Roger-Ducos),

avec l'accord du cinquième directeur, Barras.

- Une purge ministérielle chasse le personnel le plus corrompu, remplacé par des amis de

Sieyès, anciens Conventionnels de renom, voire de sympathie jacobine marquée (Fouché à la

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Police, Cambacérès à la Justice, Lindet aux Finances), et c'est un général jacobin, Bernadotte,

qui reçoit la Guerre.

- Le Club des Jacobins se reconstitue en juillet 1799, et s'installe dans l'ancienne salle du

Manège aux Tuileries ; au milieu des défaites militaires qui font craindre de nouveau l'invasion,

l'été 1799 va-t-il recommencer l'été 1793 ?

- Le Directoire sur la défensive

- Malgré d'indéniables réussites, comme l'œuvre d'assainissement financier, réalisée en

1798 par le ministre des Finances Ramel, le Directoire est victime d'une profonde

impopularité ; il est tenu pour responsable de l'anarchie intérieure qu'il ne parvient pas à

maîtriser (recrudescence du grand banditisme) et des conséquences des défaites militaires qu'il

a provoquées (mobilisation des hommes, création d'impôts nouveaux).

- Au cours de l'été 1799, la lassitude et la peur sont générales.

- A droite, on a peur des Jacobins, appelés « anarchistes », « buveurs de sang », on

s'insurge contre les réquisitions, l'emprunt forcé sur les riches (rétabli le 28 juin), et la loi des

otages, votée le 12 juillet (Celle-ci permet de prendre en otages tous les parents d'émigrés, tous

les ci-devant nobles, tous les parents des contre-révolutionnaires « notoires », et de déporter

quatre de ces otages pour chaque fonctionnaire, chaque militaire, chaque acquéreur de biens

nationaux assassiné)

- A gauche, on a peur des royalistes : on leur impute la responsabilité de la recrudescence

du grand banditisme.

- Le pays souhaite la poigne d'un pacificateur, au-dedans comme au-dehors.

- En 1789, la France aspirait au changement, en 1799, elle aspire à la stabilisation.

- Ce qu'elle attend confusément, c'est en quelque sorte un roi de la Révolution, un roi qui

lui garantisse les fruits de la Révolution de 1789.

- En continuant à prêcher la violence et l'intolérance à un pays qui désirait retrouver sa

tranquillité, en se croyant revenus en 1793, les Jacobins se trompaient grandement, et ils

faisaient obstacle au dénouement

- Plus avisé, Fouché le comprit : cet ancien clerc renégat, cet athée virulent, cet ultra-

terroriste de 1793, ce massacreur impitoyable des royalistes à Lyon, vint procéder

personnellement à la fermeture du Club des Jacobins (13 août 1799).

- Simultanément, Sieyès était de son côté « à la recherche d'une épée », ainsi qu'il le

disait.

- Bonaparte était bloqué en Egypte, Brune en Hollande (où il contraignait le corps

expéditionnaire anglo-russe à rembarquer, le 18 octobre, tandis que Masséna battait les

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Austro-Russes à Zurich le 25 septembre), Jourdan, Augereau et Bernadotte jouaient la carte

jacobine.

- Le choix de Sieyès se porta sur Joubert, un ancien de la campagne d'Italie de 1796-1797,

mais Joubert se fit battre et tuer à Novi (15 août 1799).

- Sieyès se tourne alors vers Moreau, lorsque le 9 octobre - coup de théâtre imprévu

Bonaparte, qui a quitté l'Egypte et qui est parvenu à tromper la surveillance anglaise, débarque

en France.

- Apprenant la nouvelle, Moreau répond à Sieyès ; « Voilà votre homme, il fera votre

coup d'Etat bien mieux que moi ! »

- Le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) :

- Un vaste complot est ourdi à la fin du mois d'octobre entre Sieyès et Bonaparte, avec la

complicité de deux autres directeurs (Roger-Ducos, et Barras qui s'est laissé acheter), de

quelques ministres (Talleyrand, Fouché, Cambacérès), du financier Ouvrard, du banquier

Perregaux, de l'industriel Claude Périer, et de généraux (Moreau, Leclerc, Murat : Leclerc est

déjà marié à une sœur de Bonaparte, et Murat en épousera une autre quelques jours plus tard).

- Quant à Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, il est député du département corse du

Liamone, et il vient d'être élu président du Conseil des Cinq-Cents.

- La tactique adoptée par les conjurés consiste à invoquer un prétendu complot jacobin

pour obtenir le transfert des assemblées hors de Paris : tandis que Sieyès paralyserait le

gouvernement directorial, Bonaparte contraindrait les Conseils à lui conférer les pleins

pouvoirs, sous la·menace de ses soldats.

- La première partie du plan fut réalisée facilement : convoqués le 18 brumaire à 6 heures

du matin, les Anciens apprennent l'imminence d'une insurrection terroriste.

- Pour mettre les Conseils à l'abri du coup de main jacobin, ils votent le transfert des

Conseils à Saint-Cloud, sous la protection du général Bonaparte, investi du commandement de

la garnison de Paris.

- Barras part pour son château de Grosbois, Sieyès et Roger-Ducos démissionnent, et les

deux derniers directeurs (Gohier et Moulin) sont arrêtés par Moreau : il n'y a plus de

Directoire !

- Le lendemain, à Saint-Cloud, tout faillit se gâter.

- Invectivé par ceux des députés qui n'étaient pas complices, Bonaparte, qui n'a guère

l'habitude d'affronter des assemblées parlementaires, perd contenance, et il n'est sauvé que par

le sang-froid et l'habileté de son frère qui suspend la séance, au moment où les Cinq-Cents

commençaient à voter un décret mettant le général hors la loi, procédure qui le destinait au sort

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de Robespierre.

- Ameutés par Lucien Bonaparte, les soldats, qui cernaient le château, s'engouffrent dans

la salle pour « défendre leur général », et ils n'ont guère de peine à exécuter l'ordre bref que

Murat a tonitrué, de sa voix de stentor : « Foutez-moi tout ce monde dehors ! » En quelques

instants, les députés, empêtrés dans leurs toges chamarrées et leurs chapeaux empanachés,

sautent par les fenêtres, et s'enfuient en désordre à travers le parc du château : il n'y a plus de

Conseils !

- Ce dénouement ridicule allait au-delà des ambitions des conjurés, car ceux-ci voulaient

une abdication en douceur du Directoire, et non une fin brutale.

- On envoya donc chercher, à travers le parc, quelques députés pour les convaincre de

revenir jouer la dernière scène de cette tragi-comédie : sous la présidence de Lucien Bonaparte,

ils votèrent, aux chandelles, tard dans la nuit, le remplacement du Directoire par une

Commission de trois Consuls (Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos), chargée de modifier la

Constitution, après avis de 25 députés des Anciens et 25 députés des Cinq-Cents.

- Paris n'a pas bougé.

- Après vendémiaire an IV, après fructidor an V, après floréal an VI, après prairial an VII,

brumaire an VIII apparaissait comme une « journée » révolutionnaire de plus, un coup de barre

à droite cette fois-ci contre le péril jacobin, dans cette succession annuelle et alternée de coups

de force de droite et de gauche.

- Or Brumaire a terminé la Révolution : il revenait à Sieyès, qui avait frappé les trois

coups de la pièce en janvier 1789 avec sa fameuse brochure « Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? »,

d'en faire tomber le rideau dix ans plus tard avec le coup d’Etat de Brumaire.

- Comme les Thermidoriens, les Brumairiens entendaient conserver les conquêtes civiles

et sociales de la Révolution de 1789, mais, à leur différence, après l'expérience décevante du

Directoire, ils voulaient les mettre sous la sauvegarde d’un militaire à poigne, une sorte de « roi

républicain », de « Washington français » : mais ils ne doutaient pas que le général Bonaparte

serait l'empereur Napoléon.

Chapitre 3/

La marche vers la mort de la première République : le Consulat et l’Empire (1799-1814)

- Les Brumairiens désiraient fortifier la république, et consolider l’œuvre de la

Révolution : libertés publiques, égalité civile, propriété affranchie de la féodalité, tolérance

religieuse, frontières naturelles.

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- Or, loin d’être un instrument neutre, le sabre du coup d’Etat s’empare du pouvoir, et

établit une république autoritaire et plébiscitaire.

- Les Brumairiens formaient cet extraordinaire petit groupe d’hommes (quatre à cinq

cents), qui, élus à la Convention par une infime minorité des électeurs en septembre 1792,

s’étaient emparés du pouvoir en Thermidor, et s’y étaient résolument accrochés et perpétués

grâce à Vendémiaire, à Fructidor, à Floréal, et enfin à Brumaire.

- La plupart de ces hommes étaient liés entre eux par le régicide de 1793, qui identifiaient

pour eux la cause de la Révolution à leur propre maintien au pouvoir.

- Mais Brumaire a transformé leur homme de main en homme providentiel, qui va exercer

un pouvoir personnel fort dans l’intérêt du plus grand nombre.

- En effet, les Français se donnent à lui, parce qu’il apparaît comme le seul pacificateur

possible à l’extérieur, et comme un homme d’ordre à l’intérieur.

- Ce pouvoir personnel se transforme rapidement en monarchie viagère puis

héréditaire.

- Or la pacification souhaitée par les Français n’a pas été possible : pas plus qu’il n’a

été réalisable entre le roi et la Révolution en France, le compromis n’a pu être trouvé entre les

monarchies européennes et la Révolution française stabilisée par Bonaparte.

- Consolider la Révolution en France signifiait donc fatalement poursuivre la guerre

contre les coalitions européennes reconstituées.

- Si donc le Consulat est né du désir de paix, l’Empire naîtra de la reprise de la

guerre : pour les Français, Napoléon restera longtemps le général de la Révolution, poursuivant

le combat mené depuis Valmy par la « grande nation » pour sauvegarder les acquis du nouveau

régime qu’elle s’est donné, et que l’Europe coalisée veut détruire.

- Par une logique inverse, il apparaîtra que la Révolution ne sera définitivement

consolidée en France que si l’Europe tout entière en adopte les principes.

Section 1

De la république consulaire à la monarchie consulaire (1799-1804)

- Par le coup d'État du 18 Brumaire An VIII (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte,

général républicain qui s'était couvert de gloire en Italie et en Égypte, met un terme à la

Révolution.

- Ce qui est officiellement proclamé, d'ailleurs, en décembre 1799 : « La Révolution est

fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ».

- Bonaparte entend stabiliser les institutions françaises en retenant l'héritage de 1789,

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mais également en assurant l'ordre.

- Pour ce faire, il inaugure un régime nouveau, le césarisme, qui emprunte son nom à la

figure tutélaire du dictateur romain Jules César.

- Ce régime, ou plutôt cette pratique gouvernementale, repose sur la rencontre d'un

homme charismatique, auréolé de la gloire militaire, et du peuple.

- En réalité, derrière un démocratisme de façade qui utilise abondamment la technique

du plébiscite, se cache la réalité du pouvoir personnel.

- Les institutions républicaines sont dans un premier temps théoriquement préservées,

même si la monocratie bonapartiste les vide de leur contenu.

- Mais, indiciblement, le régime glisse vers l'empire qui est établi en 1804.

§ 1

La république consulaire (1799-1802)

- Au lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte se présente comme l’artisan de la

réconciliation nationale.

- Il se défend d’être de droite ou de gauche, déclarant : « Ni bonnet rouge, ni talon rouge,

je suis national » (Bonnet rouge, symbole vestimentaire du sans-culotte jacobin ; talon rouge,

symbole vestimentaire de l’aristocrate réactionnaire).

- Cependant le passé de l’homme fait de lui un Robespierre à cheval, un jacobin botté : il

aimera à répéter qu’il est « le fils de la Révolution », et cet ancien robespierriste a fait de sa

carrière politique un obstacle permanent à la restauration royaliste.

- En 1795 (vendémiaire), en 1797 (Fructidor), en 1799 (brumaire), c’est toujours lui qui,

au nom de la Révolution, a barré au roi la route du retour.

- Utilisant simultanément la séduction et la terreur, il impose « sa » réconciliation

nationale. Il inaugure ainsi le régime de Brumaire par une série de mesures d’apaisement :

abrogation de la loi des otages, rappel des proscrits de toute tendance (Barère, Carnot), clôture

définitive de la liste des émigrés, rétablissement du culte dans les édifices religieux, suppression

de la célébration officielle de l’anniversaire du 21 janvier.

- Mais, en même temps, pour bien montrer qu’il reste le général Vendémiaire, il fait

fusiller quelques chouans.

- La réconciliation nationale qu’il offre aux Français est donc fondée sur l’acceptation

de l’héritage révolutionnaire de 1789 : libertés publiques, égalité civile, abolition de la

féodalité, vente des biens nationaux, tolérance religieuse.

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- Pour le reste, la grande entreprise de remise en ordre, opérée sous le Consulat, a

récupéré dans l’édifice de l’Ancien Régime, ruiné depuis 1789, tous les matériaux qui

pouvaient être utilisés pour construire un édifice solide et durable, sur le fondement des

nouveaux principes.

- En particulier, abandonnant les règles décentralisatrices de la Révolution en matière

administrative, Bonaparte rétablit l’administration telle que l’Ancien régime l’avait façonnée.

- L’acceptation du legs révolutionnaire ne signifie donc nullement la répudiation de

l’héritage monarchique.

- Le génie de Bonaparte a su allier dans une synthèse durable le double héritage que son

entreprise de réconciliation devait assumer.

- Un pouvoir politique fort :

- Sieyès a élaboré un projet de constitution compliqué qui traduisait tout à la fois le désir

d’instaurer le règne des notables, et la crainte d’une dictature personnelle.

- Bonaparte modifia complètement le projet, et dicta une constitution en 95 articles,

volontairement « courte et obscure » afin de ne pas être entravé.

- Sieyès s'inclina et désigna Bonaparte comme premier consul.

- Dès le 24 décembre 1799, avant même d'être ratifiée par le vote populaire, la

Constitution de l'an VIII fut mise en vigueur.

- Dans la proclamation consulaire qui accompagnait le texte soumis au plébiscite,

Bonaparte déclarait : « La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée ; elle est

finie » et il se posait en garant « des droits des citoyens et des intérêts de l'Etat ».

- Le vote, à registre ouvert, donna trois millions de oui, contre 1 562 non.

- Par l'agencement constitutionnel qu'il a adopté, Bonaparte s'est réservé l'essentiel du

pouvoir, en escamotant la souveraineté populaire, en fragmentant le pouvoir législatif, et en

majorant le pouvoir exécutif.

- D'autre part, par le choix de ses collaborateurs, il s'est assuré un personnel d'exécutants

zélés et dociles.

- Une souveraineté populaire détournée :

- La Constitution établit en principe le suffrage presque universel, mais en fait elle

supprime les élections directes de représentants, pour instituer un système de présentation de

candidats aux fonctions publiques

- Suivant le système imaginé par Sieyès (une pyramide de listes de notabilités), tous les

Français, mâles majeurs de vingt et un ans, non domestiques à gages, élisent un dixième d'entre

eux, qui forment les listes communales de confiance (environ 600 000 notables communaux).

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- Ces derniers élisent à leur tour un dixième d'entre eux, qui forment les listes

départementales de confiance (environ 60 000 notables départementaux).

- Enfin, ceux-ci, par une sélection analogue, désignent la liste nationale de confiance.

- Dans ces listes doivent être choisis respectivement les fonctionnaires des communes,

des départements et de la Nation, c'est-à-dire les membres des assemblées politiques, les

membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires.

- En réalité, ces listes de notabilités ne furent établies qu'une seule fois, en l'an IX (1801),

et elles ne servirent à rien, car le gouvernement consulaire avait alors déjà organisé à sa guise

tous les pouvoirs, et désigné les représentants politiques, ainsi que les fonctionnaires.

- Le suffrage universel a été escamoté, et réduit à l'approbation plébiscitaire d'une

constitution qui, en ce qui concerne les élections, ne fut appliquée qu'une seule fois, lors du

premier renouvellement du Corps législatif en l'an X.

- Bonaparte qui était hostile à ce système des listes de notabilités le supprimera lors

de la réforme constitutionnelle de l'an X.

- Un pouvoir législatif écartelé :

- La procédure de confection des lois est divisée en quatre phases, auxquelles

correspondent quatre assemblées différentes.

- L'initiative des lois appartient au seul premier consul : son projet de loi est étudié

et mis en forme au Conseil d’Etat, première assemblée, dont il nomme les membres

(conseillers d'Etat, maîtres des requêtes, auditeurs) et qu'il préside.

- Le Conseil d'Etat est la résurrection du Conseil d'Etat du roi de l'Ancien Régime.

- Le projet élaboré par le Conseil d'Etat est soumis ensuite au Tribunat, seconde

assemblée, composée de cent tribuns, et qui conclut ses délibérations par le vote d'un vœu

favorable ou défavorable au projet.

- Celui-ci vient ensuite devant le Corps législatif, troisième assemblée, composée de

trois cents législateurs, dont le rôle consiste à écouter les conseillers d'Etat et les tribuns

rapporteurs, lesquels peuvent parler contradictoirement ; le Corps législatif les écoute en

silence, puis il vote par scrutin secret, n'ayant pas d'autre choix que d'accepter le projet tel quel,

sans discussion ni amendement, ou de le rejeter.

- Cela valut au Corps législatif le cruel surnom de « corps des muets ».

- Si le projet est adopté par le Corps législatif, le premier consul promulgue la loi ou

la renvoie, pour juger de sa constitutionnalité, devant le Sénat conservateur, quatrième

assemblée.

- Le Sénat était considéré par Bonaparte comme une pièce essentielle de la

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construction constitutionnelle : c'est lui qui nomme les consuls, pour dix ans, ainsi que les

membres du Tribunat et du Corps législatif ; d'autre part, il est juge de la constitutionnalité

des lois, à la demande soit du premier consul, soit du Tribunat.

- Sieyès et Roger-Ducos, consuls sortants, sont nommés sénateurs, et avec l'accord

des deux nouveaux consuls, Cambacérès et Lebrun (les hommes de Bonaparte), ils

désignent 31 sénateurs.

- Ceux-ci se coopteront ensuite jusqu'à 60, puis en dix ans, jusqu'à 80.

- Ce qui fait qu'en réalité toutes les assemblées étaient directement ou indirectement

composées, au moins à l'origine, par les consuls.

- Fragmenté, le pouvoir législatif était donc de surcroît dépendant du pouvoir

exécutif.

- Un pouvoir exécutif prépondérant :

- Le pouvoir exécutif est confié à trois consuls, nommés par le Sénat pour dix ans,

et rééligibles ; mais un article de la Constitution désignait déjà les trois consuls en exercice,

Bonaparte, Cambacérès et Lebrun.

- En fait, l'essentiel du pouvoir est concentré entre les mains du premier consul,

Bonaparte, qui, irresponsable politiquement, nomme et révoque les ministres, les membres du

Conseil d'Etat et les fonctionnaires ; il nomme aussi les magistrats, sauf les juges de paix (élus

pour trois ans par les citoyens du canton) et les juges du Tribunal de Cassation (élus à vie par

le Sénat).

- Seul le premier consul a l'initiative des lois, et c'est lui seul qui les promulgue ; il a le

pouvoir de faire des règlements pour l'application des lois ; les ministres ne sont que ses commis

- C'en est bien fini de la collégialité : après les neuf, puis douze membres du Comité de

Salut public, après les cinq directeurs, la triade consulaire dissimule mal le pouvoir exclusif du

premier consul.

- Choix symbolique : Bonaparte s'installe au palais des Tuileries, ancienne résidence

royale, et non au palais du Luxembourg, où siégeait le Directoire.

- Bonaparte est l'incarnation de l'idée prêtée par Cabanis à Mirabeau en 1791 : dans un

vaste empire, dont le peuple n'est pas encore éclairé, et dont les mœurs sont encore fortement

marquées par des siècles de monarchie, une force concentrée dans les mains d'un seul est

nécessaire pour faire respecter les lois, qui sont la garantie des libertés conquises grâce à la

Révolution.

- Ce nouveau souverain qui cache encore son nom est inspiré par les Lumières du siècle :

pour exercer son autorité, le nouveau maître de la France s'entoure d'un personnel remarquable,

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et remarquablement zélé, propre à l'éclairer et à le seconder.

- Un personnel politique docile :

- Inspiré par le souci d’opérer une réconciliation nationale aussi large que possible, le

choix du personnel allie dans un heureux amalgame les talents représentatifs de l'esprit

révolutionnaire modéré, et de l'esprit royaliste opportuniste : jacobins régicides assagis et

royalistes ralliés vont se retrouver ensemble à la tête de l'Etat.

- Le choix même et le rang même du second et du troisième consul sont à cet égard

parfaitement éclairants : le second consul est Cambacérès, un conventionnel régicide, un

thermidorien, qui s'est acquis une réputation de juriste compétent, intelligent et souple (c'est lui

qui, à la Convention, a rapporté des projets de lois particulièrement « avancés » pour l'époque,

tels que la loi sur les droits successoraux de l'enfant naturel du 2 novembre 1793, ou le projet

de Code civil du 9 août 1793, qui se voulait hardiment novateur, et qui rompait avec les

principes séculaires du droit ; et c'est lui qui, sous le Consulat, sera un des principaux

rédacteurs du Code civil de 1804, œuvre très largement traditionnelle !...).

- Le troisième consul est Lebrun, ancien inspecteur des Domaines du roi, ancien

secrétaire du chancelier de Maupeou sous Louis XV, ancien constituant, incarcéré en 1792,

libéré après Thermidor, élu aux Anciens en 1795, de sympathie royaliste, bon connaisseur de

l'ancienne administration royale.

- En prenant en second un conventionnel régicide, et en troisième un royaliste rallié,

Bonaparte donnait tout son sens à son opération de réconciliation : celle-ci ne pouvait se

concevoir que si la tendance révolutionnaire conservait la primauté ; elle ne pouvait être une

revanche des fructidorisés.

- On retrouve le même souci dans le choix des ministres : Lucien Bonaparte, le héros de

Brumaire, républicain autoritaire, devient ministre de l'Intérieur ; les deux complices du coup

d'Etat, Talleyrand et Fouché, gardent leur portefeuille des Relations extérieures et de la Police ;

Carnot reçoit la Guerre ; Gaudin, ancien fonctionnaire des Finances de la monarchie, puis de la

république, reçoit les finances.

- Même éclectisme au Conseil d'Etat, dont les cinq sections sont présidées par Boulay

de La Meurthe (ex-député des Cinq-Cents), Roederer (ex-feuillant), Defermon (ex-girondin),

le général Brune (dont le passé jacobin et les liens avec les Thermidoriens et Bonaparte nous

sont bien connus), et l'amiral Ganteaume (un marin sans passé politique, mais qui s'est lié à

Bonaparte pendant l'expédition d'Egypte).

- Au Sénat se côtoient des gloires scientifiques (Monge, Berthollet, Lacépède, Laplace,

Lagrange, Cabanis...), militaires (Kellermann, Sérurier, Bougainville...), artistiques (le peintre

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Vien), ainsi que le banquier Perrégaux, ou l'économiste et ancien directeur François de

Neufchâteau.

- Au Tribunat ont été placés de nombreux écrivains et philosophes libéraux, animés d'un

esprit critique, parmi lesquels se détachent Jean-Baptiste Say, disciple de Turgot, vulgarisateur

en France du libéralisme économique, Benjamin Constant, littérateur politique genevois, l'ami

de Mme de Staël (fille de Necker), Marie-Joseph Chénier, dramaturge politicien, ancien

conventionnel et ancien député aux Cinq-Cents...

- Quant au Corps législatif, sur ses 300 membres, 277 provenaient des anciennes

assemblées révolutionnaires, toutes nuances confondues, généralement des hommes obscurs et

neutres, à l’exception de l’évêque constitutionnel Grégoire, qui deviendra sénateur en 1802.

- La caractéristique commune à tout ce haut personnel politique est la docilité qu’exige

le Premier consul dans l’exécution du double programme qu’il a esquissé dans sa proclamation

consulaire avant le plébiscite : garantir « les droits sacrés de la propriété, de l’égalité et de la

liberté », rendre la république « chère à tous les citoyens, respectables aux étrangers,

formidables aux ennemis ».

- Rapidement des esprits indociles, comme Lucien Bonaparte et Carnot, républicains

hostiles au gouvernement personnel, doivent quitter leur ministère.

- De même, les tribuns, par l’exercice de leurs critiques, s’aliènent la non sympathie du

Premier consul.

- Un Etat centralisé :

- Aux Tuileries, du fond de son bureau, où seuls pénètrent son secrétaire particulier,

Bourienne, ainsi que le secrétaire d'Etat Maret (secrétaire général du gouvernement), et parfois

Talleyrand ou Fouché, le premier consul décide seul de tout en dernier ressort.

- Contrairement à l'usage de la monarchie, où le roi écoutait en conseil les avis de ses

ministres et se bornait la plupart du temps à adopter l'avis de la majorité, il n'y a pas de véritables

conseils des ministres.

- Les opinions personnelles des ministres ne doivent pas prévaloir.

- Les conseils des ministres ne sont que des réunions d'agents individuels, présentant des

rapports et soumettant des projets au premier consul, investi du pouvoir de décision.

- Situation d'autant plus dépendante que, outre le pouvoir de décision, Bonaparte a le goût

de contrôler les détails de l'exécution.

- Par précaution supplémentaire, autant que par souci de spécialisation, le premier consul,

puis l'empereur dédoublera certains ministères (par exemple, le ministère des Finances, doublé

d'un ministère du Trésor), ou détachera certains services pour les ériger en « directions

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générales » confiées à des conseillers d'Etat (ainsi, pour les Ponts et Chaussées, les Douanes,

les Cultes, l'Instruction publique, les Postes, etc., qui forment autant de petits ministères

techniques).

- A l'agitation politique du Directoire succède une intense activité bureaucratique : après

le temps des politiciens, voici arrivé le temps des fonctionnaires.

- L'administration consulaire a non seulement rétabli l'administration centralisée et

hiérarchisée de l'Ancien Régime, mais elle a bénéficié de l'œuvre de la Révolution : celle-ci a

en effet supprimé tous les corps, communautés, coutumes, privilèges, franchises, etc., qui

faisaient obstacle sous l'Ancien Régime à la volonté gouvernementale.

- En faisant table rase du passé et en uniformisant l'administration, la Révolution a

grandement facilité l'établissement d'un Etat bureaucratique autoritaire et centralisé dans les

trois domaines essentiels des finances, de l'administration générale et de la justice

- Une république pacifiée :

- Pour établir définitivement son autorité sur la Nation, Bonaparte devait vaincre ses

ennemis tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

- A l'extérieur, les victoires militaires aboutissent à la conquête de toute l'Italie, à la paix

avec l'Autriche (traité de Lunéville, 9 février 1801), et à la paix avec l'Angleterre (traité

d'Amiens, 26 mars 1802).

- Pour la première fois depuis le 20 avril 1792, la France n'est plus en guerre.

- La pacification générale paraissait devoir rendre plus de liberté aux opposants à

l'intérieur, mais Bonaparte parvint à renforcer son pouvoir, en liquidant, d'une part, les

oppositions et en obtenant, d'autre part, le ralliement des catholiques.

- Une opposition brisée.

- Bonaparte se sent menacé à gauche par les Jacobins, républicains ardents, nostalgiques

de l'été 1799, hostiles à Brumaire et à l'affermissement du pouvoir personnel, mais peu

nombreux, étroitement surveillés par la police, et sans prise sur les milieux populaires parisiens

neutralisés depuis 1795 ; à droite par les royalistes, qui bénéficient de larges sympathies dans

la population, et qui espèrent que Brumaire leur offrira enfin l'occasion de réussir la restauration

dont ils ont été frustrés en 1795 et en 1797.

- A gauche, il semble que l'agitation jacobine ait été créée artificiellement, bien que la

fronde de généraux républicains (Moreau, Bernadotte) ait pu inquiéter le gouvernement.

- Trois obscurs complots jacobins, dénoncés de septembre à novembre 1800, paraissent

n'avoir été que des machinations policières, conduites par Fouché et par le préfet de police,

Dubois.

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- Ils se terminent par quelques exécutions (5 fusillés, 4 guillotinés).

- Le gouvernement préparait un projet de proscription des agitateurs jacobins, lorsque les

menées royalistes lui fournirent à point nommé un excellent prétexte.

- A droite en effet, les royalistes étaient très actifs provoquée par la poussée jacobine de

l'été 1799, la reprise de la guerre des Chouans dans l'Ouest conduit Bonaparte à pratiquer avec

détermination sa politique à double face, accueil bienveillant des ralliés et élimination sans pitié

des irréductibles.

- Certains chefs chouans déposent les armes et se rallient, d'autres sont vaincus et fusillés

en grand nombre par une armée de 50 000 hommes, commandée par Brune, puis Bernadotte.

- A la fin de 1800, il n'y a plus de chouannerie militaire.

- Malgré les défections et les ralliements le parti royaliste restait puissant : le premier

frère de Louis XVI, le comte de Provence, qui s'est proclamé Louis XVIII à l'annonce de la

mort du fils de Louis XVI en 1795, vivait en exil en Russie.

- Après Brumaire, il écrivit deux lettres flatteuses à Bonaparte pour lui demander

implicitement d'être l'artisan de sa restauration.

- Bonaparte attendit que les succès militaires contre la coalition européenne eussent

consolidé son pouvoir, pour répondre à ces avances par un refus ferme et sec.

- Pour couper court à ces manœuvres, certains brumairiens songent déjà à transformer le

Consulat en monarchie.

- Voyant que le Premier consul repoussait dédaigneusement les propositions du

prétendant, des royalistes organisèrent un attentat à la bombe pour l'assassiner : le 24 décembre

1800 ils firent exploser une « machine infernale » sur son passage, rue Saint-Nicaise, près des

Tuileries.

- Bonaparte sortit indemne de l'attentat, qui fit 22 morts et 56 blessés.

- Bonaparte accusa immédiatement les Jacobins, et ordonna une répression sévère, sous

le prétexte que, même si les Jacobins n'étaient pas responsables de cet attentat, ils en avaient

commis d'autres, et en commettraient d'autres !

- Docile, Fouché, ex-jacobin terroriste, dressa une liste de 130 républicains notoires, dont

98 furent déportés aux Seychelles et à la Guyane.

- La proscription fut ordonnée par un acte de type nouveau, un sénatus-consulte, c'est-à-

dire une décision du Sénat, prise sans le concours des autres assemblées.

- Simultanément, une centaine de royalistes furent arrêtés, et les auteurs de l'attentat

guillotinés.

- Le gouvernement déposa un projet de loi qui autorisait le Premier consul à créer des

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tribunaux criminels spéciaux, jugeant sans jury et sans appel, et pouvant prononcer la peine

de mort : c'était rétablir les tribunaux des prévôts des maréchaux de l'Ancien Régime.

- Le projet fut vivement critiqué au Tribunat, où Benjamin Constant le déclara

inconstitutionnel, et où il ne fut voté que par 49 voix contre 41 ; au Corps législatif, il n'obtint

que 192 voix contre 88, et devint la loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801).

- Par ces tribunaux spéciaux, le gouvernement entendait mettre un terme non seulement

au banditisme politico-criminel, mais aussi à l'agitation éventuelle des miséreux, car les deux

mauvaises récoltes successives de 1799 et de 1800 faisaient monter le prix du pain, et on pouvait

craindre le retour des émeutes de la faim.

- La peur sociale des possédants renforçait le pouvoir de Bonaparte qui apparaissait

comme le rempart de l'ordre, non seulement contre les royalistes chouans et contre les

républicains jacobins, mais aussi contre les émeutiers de la faim.

- Des catholiques ralliés

- Depuis septembre 1794, la France vit pratiquement sous un régime de séparation. Le

catholicisme a beaucoup souffert de la Révolution : schisme opposant le clergé réfractaire au

clergé constitutionnel, persécution violente, déchristianisation.

- L'armée révolutionnaire, très jacobine, affiche une bruyante hostilité aux « calotins » et

aux « capucinades ».

- Les jeunes générations, nées depuis 1789, ont souvent été élevées dans une atmosphère

au moins irréligieuse, sinon antireligieuse.

- L'athéisme, qui n'était répandu avant 1789 que dans la haute société et chez les

intellectuels, s'est largement répandu dans la bourgeoisie.

- Pourquoi Bonaparte s'est-il donc rapproché du catholicisme romain ?

- Pour deux raisons essentielles.

- Une raison sociale d'abord : au-delà d'une indifférence dédaigneuse à l'égard de toute

croyance religieuse, Bonaparte a une conception utilitaire de la religion, dans la mesure où

celle-ci prêche la soumission aux déshérités (« l'opium du peuple », comme le dira bientôt Karl

Marx).

- Une raison politique ensuite : malgré un recul certain, le catholicisme n'a pas été détruit

par la Révolution et peut servir sa politique.

- De plus, l'épreuve révolutionnaire a revivifié la foi et provoqué un renouveau.

- Bonaparte entend récupérer ce mouvement religieux au profit de l’Etat.

- Deux de ses déclarations résument alors parfaitement son point de vue : au royaliste

d'Andigné, il déclare en janvier 1800 : « La religion, je la rétablirai, non pas pour vous, mais

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pour moi », et à l'ex-conventionnel régicide, Thibaudeau, de la première fournée de préfets en

1800 : « Cinquante évêques émigrés et soldés par l'Angleterre conduisent aujourd'hui le clergé

français. Il faut détruire leur influence. L'autorité du pape est nécessaire pour cela. »

- Pour soustraire le catholicisme à l'influence du royalisme émigré, Bonaparte va négocier

avec le pape sa mise en tutelle par l'Etat français.

- D'où le paradoxe : c'est Bonaparte qui a provoqué cette transformation capitale de

l’Eglise de France, jusqu'alors jalouse de son indépendance « gallicane », en bastion de

l'ultramontanisme romain (orientation favorable à la primauté, spirituelle et juridictionnelle, du

pape sur le pouvoir politique en matière religieuse et notamment de nomination des évêques

par opposition au gallicanisme)

- Mais si le Premier consul fait mine de soumettre l'Eglise nationale à Rome par le

Concordat, c'est en réalité pour mieux la soumettre à l'Etat français, et ceci apparaît clairement

dans les articles organiques additionnels au concordat.

- L’entente avec le pape : le Concordat de 1801.

- L'accord fut préparé par des négociations longues et laborieuses, conduites du côté

français par un ancien chef chouan rallié, l'abbé Bernier, et du côté romain par un légat d'abord,

puis par le cardinal secrétaire d'Etat en personne, Consalvi, qui vint à Paris à cet effet.

- Il y eut essentiellement trois points litigieux : la place du catholicisme dans l’Etat (le

pape voulait que le catholicisme redevînt religion d'Etat comme sous l'Ancien Régime), le sort

du clergé (le gouvernement français voulait la démission de tous les évêques, tant réfractaires

que constitutionnels, afin de reconstituer après une hiérarchie concordataire), et le sort des biens

(le gouvernement français voulait que le pape reconnût la confiscation des biens du clergé de

1789, garantie pour les acquéreurs des biens nationaux).

- Les négociations aboutirent à la Convention de Messidor, ou Concordat de 1801, signé

le 16 juillet 1801, texte court composé d'un préambule et de 17 articles, et qui s'inspire

largement du Concordat de Bologne de 1516.

- Malgré le désir du pape, la religion catholique n'est pas rétablie comme religion d'Etat,

mais, au terme de l'article Ier, elle est déclarée religion « de la plus grande majorité des

Français », et les trois consuls font, dans le texte même du Concordat, profession de

catholicisme, à titre personnel.

- En contrepartie le Saint-Siège reconnaît le gouvernement français, impose au clergé le

serment de fidélité et des prières publiques pour la République.

- En ce qui concerne le clergé, le pape promet de demander aux évêques réfractaires leur

démission (en effet, il ne peut pas la leur imposer, car il n'y a contre eux aucun motif canonique

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de déposition !), tandis que le Premier consul impose leur démission aux évêques

constitutionnels.

- Ensuite, les évêques seraient nommés par le Premier consul, et ils recevraient

l'institution canonique du pape.

- C'était le rétablissement pur et simple de la pratique de l'Ancien Régime, réglée par le

concordat de 1516.

- Cependant, ici encore, à cause de l'œuvre destructrice et uniformisatrice de la

Révolution, on allait plus loin que sous l'Ancien Régime dans le sens de la monarchie

épiscopale : les évêques devenaient maîtres absolus dans leurs diocèses, puisqu'ils recevaient le

droit de nommer tous les curés et desservants, ce qui n'était pas le cas avant 1790.

- Le nombre des évêchés est considérablement réduit, ramené à 60, dont 10 archevêchés :

des sièges aussi anciens et glorieux que Reims, Sens ou Chartres sont supprimés.

- Enfin, en ce qui concerne les biens, par une formule subtile, l'article 13 ne reconnaît pas

formellement la confiscation de 1789, mais l'incommutabilité des ventes, et le pape renonce

pour l'Eglise à toute revendication ultérieure ; en contrepartie, l'article 14 prévoit que l'Etat

français servira un traitement convenable aux évêques et aux curés.

- Enfin, à noter que le Concordat ne dit rien des ordres religieux, qui étaient interdits en

France depuis le décret de la Constituante de 1790.

- Conformément à l'esprit de réconciliation qui définissait sa politique, Bonaparte confia

l'application du Concordat à Portalis, royaliste rallié, député des Anciens, fructidorisé,

catholique fervent.

- Le nouvel épiscopat fut constitué dans cet esprit : après avoir exigé et obtenu du pape

que celui-ci déclarât vacants les sièges épiscopaux des prélats réfractaires qui refusaient de

démissionner, le Premier consul pourvut les 60 sièges de l'épiscopat concordataire en y

nommant 16 anciens évêques réfractaires, 12 anciens évêques constitutionnels et 32 nouveaux

promus.

- L’administration des cultes : les articles organiques (1802).

- Rédigés par Portalis à l'insu du pape et publiés le 8 avril 1802, les Articles organiques

se présentent en apparence comme le règlement de police prévu par l'article 1er du Concordat

pour sa mise en application pratique.

- En réalité les 77 articles de ce règlement de la police des cultes faussaient l'esprit du

Concordat.

- Celui-ci a été très mal accueilli par le personnel politique républicain (Fouché parmi les

ministres, plusieurs sénateurs et tribuns représentant l'athéisme intellectuel du XVIIIe siècle).

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- Bonaparte eut l'habileté de faire semblant de donner en partie satisfaction à ces

mécontents, tout en profitant de l'occasion pour renforcer la mainmise de l'Etat sur l'Eglise de

France.

- Les Articles organiques interdisent la publication en France des actes pontificaux sans

l'autorisation du gouvernement, et la tenue de conciles nationaux ou de synodes provinciaux

sans la permission du gouvernement ; ils attribuent toute compétence aux préfets pour

réglementer les cérémonies extérieures du culte et l'usage des cloches ; ils imposent aux

professeurs de séminaires l'obligation d'enseigner la fameuse Déclaration des Quatre Articles

de 1682, le manifeste du gallicanisme qui affirmait l'indépendance du pouvoir temporel, dans

le domaine temporel, à l'égard du pouvoir spirituel, la supériorité du concile œcuménique sur

le pape, l'existence des libertés de l'Eglise gallicane, et contestait l'infaillibilité pontificale.

- De même les Articles organiques soumettent le rétablissement des congrégations et la

création de fondations par les fidèles à l'agrément préalable de l'Etat.

- C'est ainsi que le rétablissement des congrégations ne fut autorisé que si celles-ci étaient

jugées utiles à l'Etat : tout à la fois inspiré par Colbert et par les despotes éclairés du XVIIIe

siècle, Bonaparte était hostile à la vie contemplative, jugée inutile et nuisible à la société.

- Ne furent donc autorisées que les congrégations enseignantes (Frères des Ecoles

chrétiennes pour les garçons, Ursulines pour les filles), charitables (Filles de la charité) ou

missionnaires (Lazaristes).

- Malgré les protestations du pape, Bonaparte maintint les Articles organiques, qu'il

affectait de confondre avec le Concordat, et son exemple fut suivi par tous les gouvernements

jusqu'à la séparation de 1905.

- D'autre part, pour mieux souligner que le catholicisme n'était plus religion d'Etat, le

successeur de Lucien Bonaparte au ministère de l'Intérieur, Chaptal, avait rédigé de son côté

des Articles organiques des cultes protestants, publiés le même jour, 8 avril 1802, qui

soumettaient les pasteurs, les consistoires et les synodes à l'étroite surveillance de l'Etat, tout en

accordant un traitement aux pasteurs.

§ 2

La monarchie consulaire (1802-1804)

- Dix jours après la publication des Articles organiques, fut célébrée solennellement la

messe de Pâques à Notre-Dame de Paris, rendue au culte après dix ans d'interruption (18 avril

1802) : un Te Deum en présence de tous les Corps de l'Etat célébra tout à la fois la pacification

extérieure (traité d'Amiens, 26 mars) et la pacification intérieure (adoption du Concordat et des

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Articles organiques, réunis en une seule loi, par le Corps législatif, 8 avril).

- Le 26 avril les émigrés sont amnistiés : ils peuvent désormais rentrer librement en

France.

- Aux yeux de tous, au printemps 1802, le Premier consul Bonaparte est le pacificateur

du monde.

- Ayant opéré la pacification générale extérieure et intérieure, Bonaparte entreprend

immédiatement de couronner son œuvre par la création d'institutions sociales de consolidation.

- En effet il déclare alors au Conseil d'Etat : « Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais

tout le reste de la nation, qu'est-ce ? Des grains de sable... Tant que j'y serai, je réponds de la

République ; mais il faut prévoir l'avenir. Il faut jeter sur le sol de la France quelques masses

de granit. »

- Et le meilleur moyen d'assurer cet avenir commence évidemment par le renforcement

des pouvoirs du Premier consul.

- Des pouvoirs accrus :

- Le consulat viager

- Lorsque, à la suite de la grande pacification extérieure et intérieure de mars-avril 1802,

Bonaparte jette les fondements de sa stabilisation sociale en mai, il se heurte à l'opposition des

généraux désœuvrés que la paix a ramenés à Paris : « Pas un qui ne se croie les mêmes droits

que moi », ironise le Premier consul.

- L'armée reste foncièrement républicaine.

- Certains généraux jacobins critiquent ouvertement la politique de pacification religieuse

et la conclusion du Concordat, en particulier Brune, Augereau, Lecourbe ou Delmas : ce dernier

a même manifesté hautement son mécontentement pendant le Te Deum de Pâques à Notre-

Dame.

- D'autres tels que Moreau ou Bernadotte sont de surcroît plus ou moins jaloux de

l'ascension de Bonaparte.

- A Rennes, autour de Bernadotte et de son chef d'état-major, le général Simon, se trame

un complot qui se manifeste par un « Appel aux armées françaises par leurs camarades », où

l'on peut lire : « Soldats ! Vous n'avez plus de patrie, la République n'existe plus. Un tyran s'est

emparé du pouvoir... Votre ouvrage ne subsiste plus. Les émigrés sont rentrés de toutes parts ;

des prêtres hypocrites sont salariés par le tyran. »

- Simon et ses complices sont arrêtés, Bernadotte, qu'il faut bien ménager parce qu'il est

le beau-frère de Joseph Bonaparte, n'est que déplacé.

- Ce « complot des libelles » donne au Premier consul l'occasion d'affirmer avec éclat le

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principe de la subordination de l'armée au pouvoir civil et de se débarrasser de l'opposition

militaire, soit en destituant plusieurs généraux (dont Lecourbe), soit en les nommant à de

lointains commandements départementaux ou coloniaux, ou dans des ambassades (Brune à

Constantinople, Lannes à Lisbonne).

- Le 6 mai 1802, au moment où l'on découvrait le complot des libelles, le Tribunat,

récemment épuré, proposa qu'il fût donné au pacificateur « un gage de la reconnaissance

nationale ».

- Le 8 mai le Sénat ne se contenta que de réélire pour dix ans « Napoléon Bonaparte »,

dont le prénom apparaissait pour la première fois dans un acte officiel.

- Cambacérès donna au Premier consul l'idée d'une habile manœuvre : il acceptait, mais

à condition de tenir ses nouveaux pouvoirs du peuple.

- Le 10 mai le Conseil d'Etat décida que le peuple serait consulté par plébiscite, mais la

question formulée allait plus loin que le vote du Sénat : « Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul

à vie ? »

- On vota pendant trois mois, toujours à registre ouvert : 3 millions et demi de oui, 8 000

non.

- Le bonapartisme, nouvelle force politique, défini par la démocratie autoritaire et

plébiscitaire garantissant les acquis de la Révolution, obtenait un large appui populaire, renforcé

par les ralliés (le clergé rétabli et les émigrés amnistiés).

- Le 2 août 1802 le Sénat proclame officiellement Napoléon Bonaparte consul à vie.

- Le « roi de la Révolution » :

- Le Premier consul viager dicte une nouvelle Constitution qui est adoptée sans

discussion par un sénatus-consulte du 4 août 1802 (16 thermidor an X).

- Le Premier consul désigne son successeur, ce qui annonce le retour à l'hérédité du

pouvoir ; le second et le troisième consul sont nommés à vie par le Sénat sur présentation du

Premier.

- Le Premier consul devient un vrai souverain sans le titre : droit de grâce, conclusion

des traités, désignation des candidats au Sénat (qui continue à se recruter par cooptation),

nomination de tous les fonctionnaires.

- Les pouvoirs du Sénat sont accrus, mais il est étroitement domestiqué : le Sénat reçoit

le droit de régler par sénatus-consulte organique « tout ce qui n'est pas prévu par la Constitution

et qui est nécessaire à sa marche », ce qui facilitera l'instauration de l'Empire, mais c'est le

Premier consul qui a l'initiative des sénatus-consultes et des lois qui préside le Sénat, et qui crée

les sénatoreries (dotations foncières viagères, constituées de belles résidences ci-devant

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seigneuriales prélevées parmi les biens nationaux).

- Le nombre des sénateurs est porté à 120, tandis que le nombre des tribuns est réduit à

50.

- La Constitution de l'an X a supprimé les listes de notabilités de la Constitution de l'an

VIII et les a remplacées par des collèges électoraux hiérarchisés et restreints qui les citoyens

domiciliés forment l'assemblée de canton : celle-ci désigne des candidats aux conseils

municipaux et aux justices de paix, sur la liste cantonale de cent citoyens les plus imposés, et

elle nomme à vie les électeurs du collège électoral d'arrondissement et du collège électoral de

département (pour ces derniers, le choix doit être fait sur la liste des six cents citoyens du

département les plus imposés).

- Ces collèges d'électeurs présentent des candidats aux places vacantes dans les conseils

d'arrondissement et les conseils généraux de département, ainsi que dans les assemblées

nationales (Tribunat, Corps législatif, Sénat).

- Ce système électoral, qui survivra jusqu'au début de la Restauration, annonce l'essentiel

du système électoral qui sera pratiqué jusqu'en 1848, et qui reposait sur des collèges électoraux

restreints et censitaires, réunis au chef-lieu d'arrondissement ou de département.

- La Constitution de l'an X a créé une oligarchie de notables inamovibles, tout dévoués

au gouvernement, puisque, selon une déclaration de Lucien Bonaparte, « les principes du

nouveau droit électoral reposent sur la propriété qui inspire un sentiment conservateur de l'ordre

public ».

- Dès la fin de 1802 l'évolution du régime apparaît clairement : le 15 août 1802, date

anniversaire de la naissance de Bonaparte, a été célébré comme fête nationale ; en 1803, l'effigie

du Premier consul, comme celle d'un souverain, apparaît sur les pièces de monnaie.

- Dix ans après la chute de Louis XVI, la France s'est donné un nouveau roi, un roi issu

de la Révolution.

- Une élitiste société juridiquement encadrée :

- Les grains de sable qui inquiètent Bonaparte en 1802 sont le produit de la Révolution,

individualiste et libérale, qui a poursuivi la destruction de tous les corps intermédiaires entre la

Nation et les citoyens.

- Le Premier consul ressent la nécessité de rétablir des corps intermédiaires républicains

(les masses de granit), entre l'Etat et les citoyens : la réorganisation de l'enseignement

secondaire est décidée en même temps que la création de la Légion d'honneur, au début de mai

1802.

- Ces deux réformes se tiennent dans l'esprit de Bonaparte : il s'agit d'assurer le

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recrutement et la formation des élites, destinées à être agrégées dans des corps sociaux

nouveaux, dont la Légion d'honneur est le prototype.

- D'autre part, le franc germinal (avril 1803) et le Code civil (mars 1804) définissent les

moyens économiques et les règles juridiques des relations sociales : l'un est le symbole

économique, l'autre, la charte sociale du nouveau régime.

- Tous les deux expriment le désir de stabiliser la société.

- L’encadrement juridique de la société :

- La monarchie n'est pas parvenue à réaliser l'unification du droit civil ; chaque province

avait sa coutume dans le Nord, et dans le Midi c'était le droit romain qui était appliqué.

- L'affirmation du principe d'égalité en 1789, entendu dans ce sens que la loi est la même

pour tous, imposait implicitement l'unification du droit.

- Ce n'est pas par hasard que le besoin d'opérer cette unification s'exprime au cours de

l'été 1793 : c'est au moment où les Montagnards jacobins sont aux prises avec l'insurrection

girondine, et où ils mènent le combat sur le thème de l'unité de la république.

- En août 1793, Cambacérès présente donc le premier projet de Code civil, œuvre très

brève en 695 articles, car les Conventionnels professaient un profond mépris pour le droit

romain et le droit coutumier, qu'ils traitaient de législations barbares et corrompues : d'après

Barère, il fallait réaliser le rêve des philosophes, et faire par conséquent des lois brèves, simples,

claires, démocratiques, accessibles à tous les citoyens.

- La Convention estima cependant que le projet n'était pas encore assez révolutionnaire

à son goût, elle le rejeta, et décida de nommer une commission de philosophes pour rédiger un

nouveau projet (décret du 3 novembre 1793).

- Les choses en restèrent là.

- Après Thermidor, Cambacérès déposa un second projet, encore plus bref, en 297

articles, tous très laconiques (23 fructidor an II, 14 septembre 1794) : quelques articles en furent

discutés et votés.

- Sous le Directoire, Cambacérès, toujours lui, déposa un troisième projet au Conseil des

Cinq-Cents (24 prairial an IV, 12 juin 1796), mais en raison des difficultés politiques du régime,

ce projet ne vint même pas en discussion : par ses emprunts au droit ancien, il signifiait

l'apaisement de l'ardeur révolutionnaire et la recherche d'un compromis pratique.

- Enfin, dès le lendemain du coup d'Etat de brumaire, un quatrième projet de Code

civil fut déposé par Jacqueminot : il marquait la fin des rêves philosophiques, et le retour aux

techniques juridiques éprouvées par des siècles d'expérience humaine.

- Destiné à satisfaire l'opinion publique, en montrant le désir du nouveau régime de

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conserver ce qui méritait d'être gardé du passé, le hâtif projet Jacqueminot ne fut même pas

examiné, mais le Premier consul désirait réaliser enfin cette œuvre d'unification et de

compromis.

- Une commission de quatre membres fut nommée le 24 thermidor an VIII (13 août

1800), et si l'achèvement définitif du Code n'est intervenu que le 21 mars 1804, c'est parce que

la volonté de Bonaparte s'est heurtée à des oppositions qu'il a dû vaincre.

- La confection du Code civil a donc été une des occasions pour le Premier consul de

transformer son consulat républicain en consulat monarchique : œuvre de compromis, le Code

civil a été une œuvre d'autorité.

- La Commission de quatre membres était composée de magistrats expérimentés, d'âge

mûr (entre cinquante et quatre-vingts ans), deux Méridionaux bons connaisseurs du droit

romain (le Provençal Portalis et le Périgourdin Maleville) et deux Septentrionaux bons

connaisseurs du droit coutumier (le Parisien Tronchet et le Breton Bigot de Préameneu).

- Conformément au désir du Premier consul, la Commission travailla vite : en quatre mois

elle acheva son projet, qui fut soumis pour avis aux tribunaux d'appel et au Tribunal de

Cassation.

- Le projet et les observations des tribunaux vinrent ensuite devant le Conseil d'Etat, pour

l'élaboration du texte définitif qui devait être soumis au Tribunat et au Corps législatif.

- C'est ici que s'exerça l'influence de Bonaparte et de Cambacérès.

- Or, quand les premiers textes parvinrent au Tribunat à la fin de 1801, les choses se

gâtèrent : ce fut un concert de critiques.

- Les tribuns leur reprochaient de n'être qu'une copie servile du droit romain et du droit

coutumier.

- Portalis répondait avec bon sens qu'il ne s'agissait pas de faire une œuvre originale, mais

pratique et claire, destinée à un peuple qui avait des habitudes et une mentalité séculaires, en

dépit des innovations de la Révolution.

- Sensible aux arguments du Tribunat, le Corps législatif rejeta le premier titre du Code,

et il allait rejeter le second, lorsque le Premier consul, ulcéré, arrêta la procédure en retirant les

projets de loi déposés par le gouvernement (3 janvier 1802).

- Le 7 janvier le Conseil d'Etat consulté déclara possible le premier renouvellement du

cinquième des tribuns et des législateurs : comme la Constitution ne précisait pas le mode de

désignation des sortants, le Sénat, docile, désigna ceux dont le Premier consul voulait se

débarrasser, ce qui permit d'éliminer les opposants trop gênants, tels que Benjamin Constant ou

Marie-Joseph Chénier.

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- Puis Lucien Bonaparte, nommé tribun, proposa le règlement du ler avril 1802 : le

Tribunat était divisé en trois sections (législation, intérieur, finances), qui délibéraient à huis

clos sur les projets de loi.

- Par surcroît de précaution, on imagina de pratiquer la communication officieuse : le

Conseil d'Etat communiquait confidentiellement les projets de loi au Tribunat pour qu'il lui

donne son avis.

- Le projet revenait ensuite devant le Conseil d'Etat pour d'éventuelles retouches, et ce

n'est qu'alors que commençait la procédure officielle devant le Tribunat et le Corps législatif.

- Grâce à cette domestication du Tribunat, accentuée par la réforme constitutionnelle

de thermidor an X, les différents titres du Code civil purent être votés, entre mars 1803 et mars

1804, par 36 lois successives.

- L'ensemble, composé de 2281 articles, fut enfin réuni en un seul code, sous le nom de

Code civil des Français, par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804).

- Le Code civil a puisé ses composants à cinq sources différentes.

- La source principale a été l'ancien droit coutumier, en particulier la Coutume de Paris

de 1580, qui a fourni la plupart des dispositions sur l'incapacité de la femme mariée, la puissance

maritale, la communauté de biens entre époux, et nombre de règles successorales.

- L'autorité du père de famille, affaiblie par la Révolution, est renforcée sur la femme et

les enfants : dans la reconstitution des corps où doivent s'agréger les « grains de sable », la

famille joue le premier rôle, sous la conduite de son chef, le père de famille.

- Viennent ensuite, parmi les autres sources, le droit romain qui a surtout inspiré le droit

de la propriété, des obligations, et le régime dotal.

- En ce qui concerne la propriété, le fameux article 544 lui confère un caractère absolu,

qui s'explique par le désir d'empêcher la reconstitution de la féodalité avec sa propriété divisée

et relative.

- C'est ainsi qu'il faut comprendre historiquement la propriété du Code civil, dite « à la

romaine », et qui deviendra ensuite le symbole du capitalisme individualiste du XIXe siècle :

en réalité les rédacteurs de l'article 544 entendaient confirmer implicitement l'abolition de la

féodalité.

- Troisième source, les grandes ordonnances royales de l'époque moderne ont été

conservées pour les actes de l'état civil, pour les donations et testaments, pour le régime de la

preuve, et pour la purge des hypothèques.

- Le droit canonique, pour sa part, a inspiré une partie des règles du mariage et de la

légitimation.

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- Reste enfin le droit révolutionnaire dont les dispositions sont maintenues dans divers

domaines : la liberté civile justifie l'interdiction de tout contrat de louage par lequel une

personne aliénerait sa liberté pour sa vie entière (article 1780, qui veut empêcher la résurrection

du servage) ; l'égalité civile inspire le droit des personnes, des biens et des successions (pas de

« privilège » pour les personnes nobles, les terres nobles, les successions nobles : la loi est la

même pour tous) ; la tolérance religieuse, qui implique la laïcité de l'Etat, justifie le maintien

de l'état civil laïc, du mariage civil et du divorce.

- C'est par ces trois principes essentiels, de liberté individuelle, d'égalité civile et de

laïcité, que le Code civil est devenu en Europe le symbole de la Révolution, et qu'il est apparu

aux yeux de Bonaparte comme une des pièces maîtresses de sa reconstruction sociale.

- Alliage solide de la Tradition et de la Révolution, il devait assurer la stabilité de la

société nouvelle : sa célébrité et son prestige au XIXe siècle prouvent le succès de l'œuvre

consulaire.

- Cependant il convient de noter que le rétablissement de l'esclavage aux colonies (20 mai

1802) a ramené le Consulat sur les positions de la Constituante.

Section 2

La monarchie impériale (1804-1814)

- La paix, conclue à Lunéville avec les Autrichiens en 1801, et à Amiens avec les Anglais

en 1802, et qui avait permis à Bonaparte de parvenir à un pouvoir monarchique quasi absolu,

ne dura pas longtemps.

- La guerre reprit donc en mai 1803 : les menées des royalistes français, soutenus par

l’Angleterre, ont donné à Bonaparte l’occasion d’achever la transformation de son pouvoir en

monarchie héréditaire, conçue comme la garantie de la stabilité définitive de la Révolution, et

du refus de la restauration royaliste.

- Pendant 10 ans, Bonaparte devenu l’empereur Napoléon Ier va exercer un pouvoir de

plus en plus despotique et de moins en moins fidèle à l’esprit de la Révolution et la République

§ 1

La naissance de l’Empire

- La menace royaliste :

- Dès la reprise des hostilités avec la France, le gouvernement anglais donne son appui au

projet d'enlèvement ou d'assassinat du Premier consul, élaboré dans les milieux royalistes

émigrés de Londres, gravitant autour du second frère de Louis XVI, le comte d'Artois (futur

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Charles X).

- La direction de l'opération est confiée au Chouan Cadoudal, qui a déjà organisé

l'attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800.

- Installé à Paris, Cadoudal réunit secrètement autour de lui une vingtaine d'émigrés, dont

les frères Polignac et le général Pichegru : ce dernier, après avoir été fructidorisé et déporté à

la Guyane en 1797, s'est évadé et a rejoint l'émigration royaliste à Londres.

- Les conjurés essaient de rallier Moreau à leur projet, mais celui-ci, toujours indécis, se

dérobe.

- Au début de mars 1804 la police arrête, non sans mal, Cadoudal et ses complices.

- Sous la torture, un des conjurés finit par dire qu'on attendait l'arrivée d'un prince qui

devait mener l'opération.

- La police, sur l'indication d'un agent double, signale alors à Bonaparte la présence à

Ettenheim, dans le duché de Bade, à sept kilomètres du Rhin, du jeune duc d'Enghien, petit-

fils unique du prince de Condé.

- Celui-ci, émigré en 1789, avait commandé longtemps en Allemagne l’armée des

émigrés

- En réalité, le jeune duc est totalement étranger au complot de Cadoudal

- Répondant par l’assassinat aux menaces d’assassinat qui pèsent sur lui, Bonaparte fait

enlever le duc d’Enghien et le fait fusillé

- En endossant la responsabilité personnelle d’avoir fait couler le sang des Bourbons,

Bonaparte entrait à son tour dans le clan des conventionnels régicides et donc il devenait une

garantie contre le retour des Bourbons

- L’entourage du Premier consul et en particulier les anciens conventionnels régicides

comme Fouché, le poussèrent à profiter de la situation : l’hérédité monarchique découragerait

les velléités de la restauration royaliste

- La garantie impériale :

- Un obscur tribun, ancien conventionnel régicide, proposa le 30 avril 1804 que Napoléon

Bonaparte devînt l'empereur héréditaire de la République française

- Le Tribunat l'adopta par 47 voix contre une seule, celle de Carnot, républicain

irréductible.

- Le Sénat approuva : le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1804)

(Constitution de l'an XII) déclare que « le gouvernement de la République est confié à un

empereur », et que Napoléon Ier est « empereur héréditaire des Français » ; il fixe la liste civile

à 25 millions par an (chiffre de la Constitution de 1791).

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- Un plébiscite sur l'hérédité, mais non sur le titre impérial, donna une fois de plus

officiellement 3 millions et demi de oui contre 2 500 non.

- Nominalement, l'Empire fut une modalité du régime républicain, tout au moins au

début : le calendrier républicain fut utilisé jusqu'au 1er janvier 1806, et les pièces de monnaie

portèrent jusqu'en 1808 la double mention « République Française, Napoléon Empereur ».

- En réalité l'Empire est une monarchie militaire destinée à barrer la route du trône au

prétendant royaliste ; en effet l'article 53 de la Constitution de l'an XII impose à l'empereur un

serment qui garantit les acquis de la Révolution: « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire

de la République [c'est-à-dire les frontières naturelles du Rhin et des Alpes] ; de respecter et

faire respecter les lois du Concordat et la liberté des cultes; de respecter et faire respecter

l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux »

- Par les plébiscites Napoléon s'est fait l'unique représentant de la nation, le seul député

du corps souverain.

- La nouvelle Constitution fixe le règlement de la « famille impériale » :

- L'empire est héréditaire dans la descendance de Napoléon, ou à défaut dans la

descendance de deux de ses frères, Joseph et Louis, et non des deux autres, Lucien et Jérôme,

qui se sont mariés contre la volonté de Napoléon.

- Une cour impériale est prévue, avec six grands dignitaires (qui sont Cambacérès,

archichancelier, et Lebrun, architrésorier, plus quatre membres de la famille : les deux frères,

Joseph, grand électeur, et Louis, connétable; Eugène de Beauharnais, beau-fils, archichancelier

d'Etat, et Murat, beau-frère, grand amiral) et six grands officiers (qui sont : trois officiers

favoris du maître, le grand écuyer Caulaincourt, le grand veneur Berthier, le grand maréchal du

palais Duroc; plus un oncle de l'empereur, le cardinal Fesch, grand aumônier, Talleyrand, grand

chambellan, et le comte de Ségur, grand maître des cérémonies).

- Ce choix souligne évidemment le caractère dynastique et militaire du haut personnel de

Cour, et annonce l'évolution ultérieure du régime avec le comte de Ségur, « ci-devant » rallié,

chargé de donner aux ex-citoyens de la Révolution le bel air et le bon ton de l'ancienne Cour de

Versailles...

- Dès le 19 mai sont nommés quatorze maréchaux d'empire, pour la plupart d'anciens

généraux de l'armée d'Italie.

- Issu de la Révolution, dynastique et militaire, le pouvoir impérial a enfin reçu la

consécration de l’Eglise

- Après avoir hésité et espérant obtenir peut-être l'abrogation des Articles organiques, ou

la restitution de la partie de ses Etats que la république lui avait enlevée, le pape Pie VII accepta

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de venir à Paris sacrer Napoléon à Notre-Dame, le 2 décembre 1804.

- Mais, après avoir reçu du pape l'onction du sacre, Napoléon se couronna lui-même

pour bien montrer qu'il ne tenait sa couronne que de lui

§ 2

L’évolution despotique de l’Empire

- L'organisation des pouvoirs publics n'a plus guère changé entre 1804 et 1814, mais

l'esprit du gouvernement a évolué, en fonction du durcissement du caractère de Napoléon,

surtout après son second mariage en 1810 avec une archiduchesse d'Autriche, ce qui le fit neveu

de Louis XVI !

- Entré dans « la famille des rois », peuplant sa Cour et son administration d'anciens

émigrés, sa domination autoritaire l'isole peu à peu de la Nation et rend son pouvoir absolu de

plus en plus fragile.

- Son despotisme s'est affirmé par la concentration des pouvoirs, par la soumission des

âmes et par la direction des esprits.

- La concentration des pouvoirs :

- Elle s'est faite tout d'abord par l'effacement des organes du pouvoir législatif : le

Tribunat a été tout simplement supprimé en 1807.

- Le Corps législatif, composé de fonctionnaires et de militaires dociles, s'est transformé

en chambre d'enregistrement ; d'ailleurs dans certains domaines délicats, Napoléon préfère se

passer de son concours, et utilise la procédure du sénatus-consulte (ainsi pour la levée des

conscrits, mesure particulièrement impopulaire).

- La Constitution de l'an XII a donné à l'empereur le pouvoir de nommer les sénateurs en

nombre illimité : 80 en 1804, ils sont 141 en 1813, gavés d'avantages matériels et serviles à

proportion.

- Quant au Conseil d'Etat, après l'achèvement de l'œuvre de codification (Code de

procédure civile de 1806, Code de commerce de 1807, Code d'instruction criminelle de 1808,

Code pénal de 1810), il fut confiné dans les affaires contentieuses.

- L'empereur légiférait finalement par sénatus-consulte, ou plus simplement par

décret.

- L'évolution du pouvoir exécutif aboutit au même résultat, le renforcement de la volonté

de l'empereur : les ministres devinrent de grands commis, sans personnalité ni pouvoir de

décision.

- Dès 1807, un premier remaniement ministériel écarte de fortes personnalités, comme

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Talleyrand remplacé aux Affaires étrangères par Champagny, effacé et docile.

- A partir de 1810 le gouvernement perd ses derniers représentants de la Révolution :

Fouché est remplacé à la police par un militaire brutal et expéditif, Savary, celui-là même qui

avait été chargé de l'exécution du duc d'Enghien et qui avait montré à cette occasion une

remarquable ponctualité dans l'exécution rapide des ordres reçus !

- A la fin de l'Empire plusieurs ministres appartiennent à la noblesse de l'Ancien Régime

- La soumission des âmes :

- Celle-ci devait être, aux yeux de Napoléon, la conséquence de sa politique

concordataire, mais sa brouille avec le pape lui aliéna finalement le clergé.

- Un peuple fidèle

- L'application du concordat fit de l'Eglise un instrument de domination politique au

profit de l'empereur, qui ne voyait en elle qu'un rouage administratif de l'Etat, dont la

mission était de gouverner les consciences dans le sens du loyalisme et de l'obéissance.

- Le clergé, fonctionnarisé par le traitement reçu de l'Etat, était étroitement surveillé

dans son administration ecclésiastique par le ministère des Cultes et dans sa prédication

religieuse par le ministère de la Police.

- En contrepartie il bénéficiait de larges faveurs : les séminaristes furent exemptés de

service militaire, les processions furent autorisées de nouveau.

- Portalis, directeur des Cultes, voulait aller encore plus loin à propos du respect du

repos dominical, ou des marques de respect au passage des processions.

- Napoléon s'y opposa, voulant maintenir strictement la laïcité de l'Etat.

- Les congrégations féminines purent se développer librement, mais les congrégations

masculines restèrent soumises à une autorisation de l'Etat, qui ne fut accordée que très

parcimonieusement, en raison de la vive hostilité de Napoléon à l'égard des moines.

- L'Eglise concordataire fut reconnaissante et soumise : sauf exception, les évêques

acceptèrent le catéchisme rédigé par l'évêque d'Orléans Bernier, approuvé par l'empereur

(1806).

- Ce catéchisme impérial insiste sur la doctrine traditionnelle de l'Eglise, fondée sur

l'Ecriture sainte, qui fait obligation aux chrétiens d'être soumis aux autorités légitimes.

- Concrètement le catéchisme impérial traduit ce principe en énumérant ainsi les devoirs

des fidèles envers l'empereur Napoléon : « L'amour, l'obéissance, la fidélité, le service militaire,

les tributs (= les impôts) ordonnés pour la conservation et la défense de l'empire et du trône. »

- Et le catéchisme enseigne que manquer aux devoirs envers l'empereur, c'est commettre

un péché mortel, qui destine le coupable à l'enfer.

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- Malgré le manque de prêtres (60000 environ en 1789, 36000 en 1815), et malgré le

manque de vocations sacerdotales (6000 ordinations seulement pour l'ensemble de la France de

1802 à 1814), le culte fut rétabli peu à peu, et sous l'influence de quelques prêtres à l'esprit

missionnaire la reconquête des âmes commença dans une société qui avait fortement subi les

effets d'une active déchristianisation de dix ans.

- Un clergé finalement rebelle

- Les relations de Napoléon et de l'Eglise se détériorèrent à la suite du conflit qui l'opposa

au pape.

- Conflit temporel à l'origine : le pape, souverain temporel, n'admet pas l'occupation de

ses Etats par les troupes françaises.

- A la suite de l'annexion de Rome (17 mai 1809), Pie VII excommunie l'empereur, et

celui-ci fait arrêter le pape qu'il fait interner à Savone, en territoire français.

- Malgré les persécutions de la police de Fouché, le texte de la Bulle pontificale

d'excommunication se répand en France.

- Le pape pratique la résistance passive : il refuse de donner aux évêques nommés

l'investiture canonique prévue au concordat.

- Les uns après les autres de nombreux évêchés deviennent ainsi vacants.

- Napoléon réunit en juin 1811 un concile national, présidé par son oncle le cardinal

Fesch, archevêque de Lyon : les évêques décident que, passé le délai de six mois, faute

d'investiture pontificale, celle-ci serait conférée à un évêque par l'évêque métropolitain (Titre

attribué à l’archevêque placé à la tête d’une province ecclésiastique et ayant autorité sur

d’autres diocèses), et à un évêque métropolitain par le plus ancien évêque de sa province.

- C'était revenir à la Constitution civile du clergé de 1790, condamnée par Pie VI.

- Malgré les concessions apparentes de Pie VII, aucune solution ne fut trouvée, et

Napoléon accentua ses persécutions : le pape fut interné à Fontainebleau, des évêques furent

emprisonnés, les rares congrégations masculines existantes furent dissoutes, les séminaristes

récalcitrants astreints au service militaire.

- Or, si le conflit avec le pape n'a guère ému l'ensemble des fidèles, il n'en fit pas moins

perdre à Napoléon le bénéfice de sa politique concordataire, en réveillant dans le clergé les

sympathies royalistes.

- Paradoxalement, Napoléon, qui a voulu se servir de la papauté pour détacher l'Eglise

nationale des évêques réfractaires royalistes, a fortement contribué à briser les traditions

gallicanes et à former une Eglise ultramontaine, toute dévouée à Rome.

- Contrairement à ce qu'il recherchait, en ayant concédé au pape de grands pouvoirs sur

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l'Eglise de France, il a retourné son œuvre contre lui : pour échapper à l'ingérence de l'Etat dans

le domaine spirituel, l'ancienne Eglise gallicane s'est faite ultramontaine, tout en ralliant

de nouveau le camp royaliste.

- La négation des libertés individuelles :

- La justice fut réorganisée, afin de la mieux soumettre à l'autorité du gouvernement :

malgré l'inamovibilité, il y eut deux épurations, en 1808 et en 1810.

- L'instruction redevint entièrement secrète comme sous l'Ancien Régime.

- De plus, des juridictions d'exception (cours martiales ordinaires ou extraordinaires)

dessaisirent souvent les juridictions ordinaires : tout comme le duc d'Enghien en 1804, le

général Malet sera envoyé au peloton d'exécution par une telle cour martiale en 1812

- La police devint un instrument de gouvernement particulièrement développé et actif,

qui utilisa les méthodes les plus décriées de l'Ancien Régime : ouverture des lettres par le

service des Postes (Cabinet noir), détention arbitraire dans des prisons ou des asiles d'aliénés,

résidence surveillée.

- En ce qui concerne la liberté d'expression, elle fut strictement limitée et surveillée par

une censure vétilleuse qui s'étendit à la presse, à l'imprimerie et au théâtre.

- En fait la liberté de parole et celle de presse disparurent : c'est le gouvernement qui fixait

la liste des journaux autorisés à paraître, et ils ne pouvaient rien publier qui pût lui déplaire.

- La désaffection finale :

- L'évolution despotique du régime et la reprise indéfinie de la guerre suscitèrent à la

longue la désaffection du pays.

- En 1813, l'Europe coalisée de nouveau contre la domination française se libère de celle-

ci, et en janvier 1814, comme en 1792, l'invasion de la France recommence.

- Il faudra toutes les brutalités des armées alliées occupantes pour faire oublier ensuite la

figure du despote belliqueux, de l'« Ogre » sanguinaire, dont la chute fut ressentie en 1814 avec

soulagement.

- Au final, l'impossibilité du compromis avec la monarchie d'Ancien Régime a conduit

les hommes de la Révolution à déclarer la guerre à l'Europe monarchique.

- La guerre, comme l'avait prophétisé Robespierre dès janvier 1792, a produit Bonaparte,

le fils et le soldat de la Révolution, mais la logique d'un tel combat reposait sur son postulat

initial, l'impossibilité du compromis entre la Révolution et l'Ancien Régime monarchique : issu

de la Révolution, le régime impérial était condamné à vaincre l'Europe monarchique tout

entière, ou à être vaincu par elle.

Page 128: HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE - univ-paris8.fr · -Cicéron (106-43) a notamment rédigé des traités politique souvent d’inspiration platonicienne en s’efforçant de dégager l’idéal

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- Au total, le Consulat, l’Empire, et la démocratie césarienne de Napoléon représentent

un phénomène important dans l’histoire constitutionnelle française des XIXe et XXe siècles.

- Souvent, en effet, les Français ont pensé que la solution à leurs difficultés, le remède

aux erreurs et fautes des régimes d’assemblées, se trouve dans la remise de tous les pouvoirs

aux mains d’un homme désigné par la nation.

- C’est la tentation de l’homme providentiel.

- Cela correspond à la coexistence entre un goût parfois profond des solutions

monarchiques, dans un contexte de mentalités restant attachées au concept de souveraineté

populaire.

- La Révolution semblait vaincue : la France était-elle ramenée au 23 juin 1789 ?

- La Révolution avait coupé le cordon ombilical entre la France et la monarchie légitime :

Le pouvoir d’un seul ne pourra plus s’exercer qu’au nom d’une délégation populaire explicite

ou implicite.

- Toutefois, en 1815, la rupture entre la France et la monarchie paraît n’avoir été que

provisoire et la République paraît discréditée.