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Pr. P. WAUTHY - Histoire de la Chirurgie – Année académique 2012-2013 1/12 Histoire de la chirurgie 1. Introduction La chirurgie se définit comme l’ensemble des opérations manuelles et/ou instrumentales réalisées sur ou dans un corps vivant à des fins thérapeutiques. La chirurgie est probablement l’un des plus anciens arts médicaux. Les maladies pouvant être traitées par cet art manuel thérapeutique font partie des pathologies chirurgicales. Elles regroupent des traumatismes, certaines infections, tumeurs, pathologies dégénératives et malformations. Ces pathologies ont de tous temps existé et il est donc fort probable que des actes manuels, effectués à des fins thérapeutiques, ont existé depuis les premières heures de l’humanité. Cependant, leur efficacité et leur développement ont longtemps été limités par les facteurs suivants : 1) Les peurs, croyances et tabous L’existence de croyances et tabous qu’elles soient d’origine religieuse ou païenne, les croyances ont guidé les gestes des hommes à bien des occasions tout au long de l’humanité. Le caractère « tabou » des dissections anatomiques a limité de façon considérable l’essor de la chirurgie, en particulier durant le Moyen Âge. 2) Les connaissances physiologiques de base Sans ces connaissances précises de l’architecture et du fonctionnement du corps humain, les interventions ne pouvaient dès lors porter sur les organes vitaux et étaient essentiellement limitées aux traitements des membres ainsi qu’aux traitements des plaies. 3) La maîtrise de la coagulation Bien que l’on observait de longue date la possibilité pour le sang de se coaguler, la compréhension physiopathologique de l’hémostase ne verra le jour qu’au 20 e siècle. Les interventions s’accompagnaient régulièrement de saignements artériels qui étaient contrôlés par compression mécanique externe ou cautérisation. Ce n’est que récemment que sont apparues les techniques de « contrôle des vaisseaux ». Par clampage externe tout d’abord et ensuite par obstruction intracavitaire (mise en place de sondes à ballonnets). Ces dernières techniques permettaient d’effectuer une suture des vaisseaux ainsi que des tissus lésés contrairement aux premières. 4) L’antalgie Les interventions chirurgicales entraînant des réactions antalgiques parfois importantes, elles s’accompagnaient de réactions motrices réflexes de défense ou d’évitement ainsi que de réactions de chocs parfois irréversibles pour les patients.

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Pr. P. WAUTHY - Histoire de la Chirurgie – Année académique 2012-2013 1/12

Histoire de la chirurgie

1. Introduction La chirurgie se définit comme l’ensemble des opérations manuelles et/ou instrumentales réalisées sur ou dans un corps vivant à des fins thérapeutiques. La chirurgie est probablement l’un des plus anciens arts médicaux. Les maladies pouvant être traitées par cet art manuel thérapeutique font partie des pathologies chirurgicales. Elles regroupent des traumatismes, certaines infections, tumeurs, pathologies dégénératives et malformations. Ces pathologies ont de tous temps existé et il est donc fort probable que des actes manuels, effectués à des fins thérapeutiques, ont existé depuis les premières heures de l’humanité. Cependant, leur efficacité et leur développement ont longtemps été limités par les facteurs suivants :

1) Les peurs, croyances et tabous L’existence de croyances et tabous qu’elles soient d’origine religieuse ou païenne, les croyances ont guidé les gestes des hommes à bien des occasions tout au long de l’humanité. Le caractère « tabou » des dissections anatomiques a limité de façon considérable l’essor de la chirurgie, en particulier durant le Moyen Âge.

2) Les connaissances physiologiques de base Sans ces connaissances précises de l’architecture et du fonctionnement du corps humain, les interventions ne pouvaient dès lors porter sur les organes vitaux et étaient essentiellement limitées aux traitements des membres ainsi qu’aux traitements des plaies.

3) La maîtrise de la coagulation Bien que l’on observait de longue date la possibilité pour le sang de se coaguler, la compréhension physiopathologique de l’hémostase ne verra le jour qu’au 20e siècle. Les interventions s’accompagnaient régulièrement de saignements artériels qui étaient contrôlés par compression mécanique externe ou cautérisation. Ce n’est que récemment que sont apparues les techniques de « contrôle des vaisseaux ». Par clampage externe tout d’abord et ensuite par obstruction intracavitaire (mise en place de sondes à ballonnets). Ces dernières techniques permettaient d’effectuer une suture des vaisseaux ainsi que des tissus lésés contrairement aux premières.

4) L’antalgie Les interventions chirurgicales entraînant des réactions antalgiques parfois importantes, elles s’accompagnaient de réactions motrices réflexes de défense ou d’évitement ainsi que de réactions de chocs parfois irréversibles pour les patients.

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Il a fallu attendre la fin du 19e siècle pour que des techniques évoluées d’anesthésie permettent de résoudre ces problèmes d’analgésie.

5) L’asepsie, l’antisepsie et le traitement des infections Les interventions avant la maîtrise de ces trois éléments s’accompagnaient régulièrement de surinfection des sites opératoires menant dans bons nombres de cas au décès du patient. C’est à la fin du 19e siècle, suite à la découverte des microbes par Louis Pasteur et secondairement à cela à la découverte de l’antisepsie par Joseph Lister, qu’une évolution considérable a été engendrée. Des connaissances plus appuyées sur l’immunité du corps humain et le développement de médicaments appelés « antibiotiques » ont enfin permis de faire chuter la mortalité postopératoire de façon significative.

Si au début de son développement, la chirurgie se présentait comme une discipline éloignée de la médecine, la maîtrise et le développement des connaissances médicales et chirurgicales les ont profondément rapprochés et ont permis ce que l’on peut appeler le développement de progrès médico-chirurgicaux.

C’est certainement dans le courant du 19e siècle que les plus importantes découvertes médicales ayant contribué à l’essor de la chirurgie ont été faites.

2. Historique Huit grandes périodes peuvent être identifiées dans le développement de la chirurgie :

1. L’époque préhistorique 2. L’Antiquité 3. Le Moyen-Âge 4. La Renaissance 5. Les XVIIe et XVIIIe siècles 6. La Révolution et l’Empire 7. Le XIXe siècle 8. Le XXe siècle

1) L’époque préhistorique Des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des pièces squelettiques fossiles ayant traversé les âges et attestant de la réalisation de gestes chirurgicaux. Il s’agissait essentiellement de craniotomies et d’amputations des membres (pièces plus rares) datées du Mésolithique. De nombreux crânes fossilisés ayant fait l’objet de trépanations ont été découverts. Les signes de cicatrisation sur les bords de ces trépanations osseuses permettent de déduire que la craniotomie avait été réalisée du vivant du patient. La survie de ces patients atteste du caractère non forcément fatal de ces actes et d’une survie significative, malgré l’importance observée de certaines de ces résections. En Europe occidentale, durant la période Néolithique, trois cas d’amputations ont pu être identifiés.

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Dans les régions à l’est de l’actuelle Allemagne, à Sandershausen, il été mis en évidence la réalisation d’une amputation de bras. En Moravie, à Vedrovice, c’est un cas d’amputation de la main qui a pu être mis en évidence, et dans l’actuelle France, à Buthiers-Boulancourt en Seine et Marne, une amputation de l’avant-bras gauche. Des ossements des membres attestent également de la consolidation de fractures complexes ayant fort probablement nécessité une immobilisation. Le caractère « thérapeutique », tel que nous l’entendons aujourd’hui, ne peut être attesté de façon formelle concernant toutes ces pièces archéologiques. Il en va de même des techniques utilisées pour réaliser, en particulier, ces craniotomies. L’étude des techniques utilisées par les peuples primitifs d’Amérique du Sud ou de l’Ile de Bornéo permet cependant de se faire une idée des techniques qui ont pu être utilisées à l’époque préhistorique. Il est fort probable que « l’anesthésie » du patient, à savoir son endormissement, a pu être réalisée à l’aide de dérivés du pavot.

Trépanation d’un crane datant de la préhistoire

Le réveil spontané qui devait suivre l’intervention impliquait la réalisation de pansements primitifs, probablement constitués d’éléments végétaux comme la gomme et les feuilles de nénuphars possédant, on le sait aujourd’hui, des propriétés antiseptiques. L’argile a également pu être utilisée sur des gelures telles qu’en attestent des empreintes découvertes dans des cavernes de l’époque magdalénienne. Il est évident que le succès de ces actes atteste d’une maîtrise des infections assurée par des connaissances rudimentaires en asepsie. L’observation contemporaine de peuples primitifs d’Amérique du Sud ou de Bornéo a également permis de constater l’existence d’actes chirurgicaux élémentaires.

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2) L’Antiquité C’est grâce à la présence de certains écrits qui ont pu traverser les temps qu’ont été mises en évidence certaines connaissances déjà acquises lors de la période de l’Antiquité.

Prothèse égyptienne

Dans l’Egypte antique, certains gestes thérapeutiques proviennent du mélange d’observations empiriques et croyances religieuses. Durant cette période, les disciplines médico-chirurgicales étaient dans les mains des prêtres. Trois papyrus témoignent de pratiques chirurgicales sous les noms d’Ebers, de Brush et d’Edwin Smith du nom des propriétaires de ces manuscrits hiéroglyphes traduits dans le courant du 19e siècle. Le document d’Ebers pourrait être comparé à un traité sur les plaies et leur prise en charge. Quant au document d’Edwin Smith, il concernait essentiellement des actes de neurochirurgie. Les documents de l’Egypte ancienne relatent la présence durant ces interventions d’un homme, ni médecin, ni chirurgien, dit hémostatique. Sa présence à elle seule était censée limiter, voire maîtriser, les saignements observés. A cette époque, le statut de médecin et de chirurgien n’était pas dissocié et l’on parlait de médecins trépanateurs pour ce qui est des craniotomies. Ces documents attestent pour la première fois de l’implication du médecin dans la réalisation d’actes pouvant être qualifiés de chirurgicaux.

Papyrus de Edwin Smith

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Au contraire, dans la civilisation babylonienne, les médecins et les chirurgiens formaient des castes totalement différentes. Dans cette civilisation, la loi du Talion était de rigueur et impliquait en cas de décès du patient durant ou après l’acte opératoire une sanction physique sur l’opérateur. Généralement, il s’agissait de lui couper les mains. Les chirurgiens dans cette civilisation exerçaient leur art de façon ambulatoire dans l’espoir d’échapper à leur destin.

Dans la Grèce antique, les pratiques ont évolué au cours des siècles et les évolutions ont été rythmées au gré des guerres entreprises (Guerre de Troie, …). La chirurgie, sommaire à ses débuts, se limitait à effectuer des extractions de corps étrangers : flèches ou autres armes restées en place dans le patient ainsi qu’à des débridements de plaies tardant à cicatriser et se nécrosant. Les infections étaient limitées par lavage des plaies et application d’extraits végétaux. Les mauvais résultats observés par ces actes réalisés avant la période d’Hippocrate s’expliquent probablement par le fait que la plupart des chirurgiens étaient ambulants. Cela avait pour conséquence que les écoles chirurgicales n’existaient pas et donc que les connaissances sommaires acquises par ces praticiens ne pouvaient se faire que par transmission de père en fils. Les connaissances anatomiques ont également évolué durant cette période. A l’époque, la dissection humaine étant proscrite, les connaissances se sont essentiellement développées suite à des dissections animales telles que l’a fait Alcméon sur des chèvres. Ensuite, toujours dans la Grèce, vient la période d’Hippocrate datée des 4e et 5e siècles avant JC. Cette période a été beaucoup plus prolifique que les précédentes au niveau de l’acquisition de connaissances médico-chirurgicales. Hippocrate était avant tout philosophe mais portait un grand intérêt à la maladie. Cet intérêt l’amena à écrire le « corpus hippocratique » constitué d’une soixantaine de livres dont 6 dédiés à la chirurgie. Hippocrate a le grand mérite d’avoir instauré une forme d’enseignement dit enseignement hippocratique dans lequel la médecine et la chirurgie n’étaient une nouvelle fois pas scindées. La médecine hippocratique fait entrer en compte pour la première fois des éléments de déontologie. Le serment d’Hippocrate et le célèbre « Primum non nocere ».

Serment d’Hippocrate

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L’enseignement des connaissances médico-chirurgicales était également présent en Inde durant le 1er siècle avant JC. L’apprentissage technique s’effectuait au sein d’écoles sur des animaux. L’une des principales connaissances acquises durant cette période est la technique du lambeau indien qui consiste en une réparation plastique des amputations de la pyramide nasale, qui était un châtiment subi par les femmes adultères et les voleurs dans cette société. L’intervention consistait à découper un segment de peau du front et à le faire basculer vers la pyramide nasale sous la forme d’un lambeau pour reconstituer un « semblant de nez ».

Reconstruction de la pyramide nasale par la technique du lambeau indien

Dans la Rome antique, la plupart des connaissances chirurgicales ont été importées de Grèce. La chirurgie était principalement utilisée pour les besoins de l’armée ainsi que dans le cadre des jeux du cirque. Celse a été un des premiers personnages clé de cette période. Il est l’auteur d’une des premières « encyclopédies médicales ». Y sont rapportés pour la première fois les quatre symptômes clé de l’inflammation : Tumor, Rubor, Calor et Dolor. Outre les traitements traumatologiques, c’est également durant cette période que sont apparues les premières césariennes. Il n’est pas impossible que ce type d’opérations ait porté le nom d’un des ancêtres de Jules César. Un autre personnage clé de cette époque romaine est Galien. Galien est l’instigateur de bons nombres de découvertes anatomiques et innovations techniques mais par convictions religieuses fait interdire la dissection anatomique humaine.

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Cela a de lourdes conséquences en Occident où petit à petit cette interdiction conduira à une perte des connaissances anatomiques et ce, jusqu’à la Renaissance, moment durant lequel reprendront les dissections. Galien était à l’origine de la théorie des humeurs. Les humeurs sont au nombre de quatre et comportent la bile jaune, la bile noire, le sang et le flegme. Cette médecine va se perpétuer durant une bonne partie du Moyen Âge. La décision de Galien, pour des raisons philosophiques et guidé probablement par l’empereur Marc Aurèle, a fortement contribué à la régression importante des pratiques chirurgicales que l’on observa en Occident durant le Moyen Âge.

3) Le Moyen Âge Durant le Moyen Âge, l’Occident sombre donc dans l’ignorance des connaissances chirurgicales. Les chirurgiens sont de plus en plus critiqués pour leurs gestes et il n’existe plus d’école chirurgicale. C’est à cette époque que l’on observe clairement une séparation distincte entre la pratique médicale et la pratique chirurgicale. Les médecins érudits philosophent et sont fortement sous l’emprise du clergé. Les chirurgiens, quant à eux, en voie de disparition, voient leurs fonctions reprises par des basses classes parfois même illettrées. Les chirurgiens sont alors appelés les barbiers. Ces barbiers opèrent de hernies de la paroi abdominale, de calculs essentiellement vésicaux, de cataractes ainsi que des multiples traumatismes générant des plaies ouvertes. Leurs résultats sont souvent très mauvais, ce qui fait considérer de la part des médecins ces pratiques comme non utiles, voire délétères. A cette période de l’histoire, nous assistons clairement à une décadence de la chirurgie.

Par contre en Orient, on voit se développer des universités de médecine, telles qu’à Damas, Bagdad ou le Caire. Un des personnages clés de l’époque est Abulcassis de Cordoue. Il est l’auteur d’une œuvre médicale des plus significatives pour l’époque et nommée le Tarsif. Dans celui-ci, il prône entre autres la réalisation d’hémostases par cautérisation des plaies et des sutures cutanées à l’aide d’agrafes biologiques constituées par des mandibules de fourmis. C’est la première fois que l’on voit évoquer la possibilité de « suturer » certaines plaies cutanées. Contemporain d’Abulcassis, Avicenne, d’origine iranienne, est quant à lui l’auteur du Canon de la médecine. Avicenne à l’âge de 20 ans maîtrisait déjà la plupart du savoir scientifique de son époque : la physique, l’astronomie, les mathématiques, la logique, la géologie, la musique, la théologie et la philosophie. La médecine faisait également partie de ses disciplines qu’il maîtrisait. Son but était très clair : rendre les hommes meilleurs et plus heureux. Dans son Canon de la médecine, Avicenne effectue une synthèse exemplaire des doctrines d’Hippocrate, d’Aristote et de Galien. Cette œuvre a été l’ouvrage de référence de la médecine pendant près de sept siècles et il fut longtemps à la base des études médicales effectuées tant en Orient qu’en Occident.

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Averroès de Cordoue est également une figure emblématique de cette période de l’histoire de la médecine. Son ouverture d’esprit et sa modernité lui ont valu les foudres des autorités musulmanes de l’époque qui ont été jusqu’à l’exiler en tant qu’hérétique. Averroès était l’auteur de plusieurs livres qui ont été brûlés sur ordre de ces mêmes autorités. De façon générale, du Ve au XIe siècle après JC, la pratique de la chirurgie est empirique et charlatanique. Durant cette période, le clergé a main mise sur la médecine en occident et la chirurgie tombe dans les mains des artisans. Un renouveau chirurgical va cependant naître à Salerne, via la Sicile, influencé très certainement par la présence arabe. Le maintien des connaissances chirurgicales au sein de la culture arabe sera certainement à la base d’une école chirurgicale occidentale au IXe après JC à Salerne.

Il faudra encore attendre trois siècles pour qu’une seconde école chirurgicale emblématique soit créée cette fois à Bologne avec Théodoric. Théodoric est à la base de bon nombre d’observations en faveur d’une antisepsie des plaies par lavage de celles-ci à l’aide de diverses substances et de l’analgésie par application d’éponges imbibées de substances opioïdes. Au XIIIe, forte de près de 10 000 étudiants dans son université de médecine et de chirurgie, Bologne est la plus grande université d’Europe. Ce statut lui permettra d’autoriser la reprise des dissections cadavériques. En France, la première école chirurgicale a été créée à Montpellier en 1220. Suite aux instabilités et aux guerres civiles qui frappent l’Italie, les écoles de Salerne et de Bologne vont émigrer vers Paris où sera créée la Confrérie de Saint-Côme. C’est sous l’impulsion de Lanfranc que cette grande école chirurgicale fut créée.

Au XVe siècle, en France, le paysage médical était occupé par les quatre protagonistes suivants :

1° Le médecin qui était généralement un homme du clergé 2° Le barbier qui effectuait des gestes de base en plus de son activité de rasage 3° L’inciseur nomade qui est généralement considéré comme un charlatan de

l’époque 4° Le barbier chirurgien, auteur de gestes techniques chirurgicaux plus évolués

A cette époque, le schisme entre médecins et chirurgiens est extrêmement présent. C’est ainsi que la Confrérie de Saint-Côme va rentrer en conflit avec la Faculté de Médecine de Paris. Il s’en suivra un procès long de près de trois siècles qui aboutira malheureusement à la dissolution de la Confrérie de Saint-Côme en 1660. Cette disparition s’accompagnera d’une disparition de l’école chirurgicale de Paris. Cela aura pour conséquence que les chirurgiens seront alors interdits de pratiques médicales. A la fin du Moyen Âge donc, la pratique chirurgicale est toujours exercée par ces fameux barbiers ne connaissant que peu ou prou des progrès médicaux.

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4) La Renaissance Durant la Renaissance, les armes à feu vont se développer et apporter une pathologie traumatique plus abondante et bien différente. Effectivement, les balles occasionnant des impactes importants sont à l’origine de nouvelles plaies jusqu’alors peu fréquentes : les plaies artérielles et nerveuses.

A cette période, l’imprimerie va favoriser la diffusion du savoir en anatomie et en chirurgie. La reprise des dissections ira de pair avec une augmentation des connaissances dont la diffusion sera dès lors hautement favorisée.

C’est durant cette période qu’Ambroise Paré se formera au métier de barbier chirurgien dont il accédera à la profession dès l’âge de 26 ans. Il fut chirurgien royal de quatre rois de France et est à l’origine de la description des ligatures de vaisseaux. Beaucoup le considèrent comme à l’origine de la chirurgie moderne. Durant cette période également, reprennent les études chirurgicales en Italie grâce à Léonard de Vinci qui pratiquera plusieurs dissections cadavériques. Il sera accompagné par André Vésale et Fallope. André Vésale, par son travail, a fait progresser de façon considérable les connaissances anatomiques et a hautement participé à leur diffusion. Il est l’auteur de l’œuvre « De humani corporis fabrica » illustrant de façon brillante par de multiples planches l’anatomie humaine.

5) XVIIe et XVIIIe siècles La Confrérie de Saint-Côme sera dissoute au XVIIe siècle et cela aura pour conséquence de bannir une fois de plus les chirurgiens de la médecine. C’est finalement Louis XIV, le roi soleil, qui aidera à la réintégration des chirurgiens dans la pratique médicale. Souffrant d’une fistule anale et ayant déjà eu plusieurs traitement médicaux basés essentiellement sur des laxatifs, Louis XIV fera finalement appel à son premier chirurgien, Charles-François Félix. Charles-François Félix effectuera une cure chirurgicale de la fistule anale de Louis XIV et le guérira. Reconnaissant de ce geste, Louis XIV participera dès lors de façon importante à la réhabilitation de la chirurgie. Son successeur Louis XV inaugurera l’Académie Royale de Chirurgie et rétablira définitivement l’égalité hiérarchique entre médecins et chirurgiens. C’est la fin du barbier chirurgien !

C’est également au XVIIe siècle que Harvey en 1628 décrira la circulation sanguine. Harvey détaillera plus précisément qu’auparavant l’anatomie des vaisseaux artériels et sanguins et décrira une première idée de la physiologie circulatoire. Au XVIIIe siècle, en 1761, Morgani corrèlera les découvertes anatomo-pathologiques post-mortem aux observations des symptômes cliniques pré-mortem des patients. Cette démarche contribuera indéniablement à une meilleure connaissance des pathologies.

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A la fin du XVIIIe siècle, dès lors la chirurgie se voyait débarrassée des obstacles que représentaient les croyances et tabous d’origine religieuse ou païenne, l’évolution des connaissances physiologiques et anatomiques de base allait lui permettre enfin un réel essor. Restaient dès lors à maîtriser la coagulation, l’analgésie et la sédation ainsi que l’asepsie. 6) La Révolution et l’Empire A la Révolution, l’Académie Royale Chirurgicale a été dissoute, mais persistait la nécessité de former de nouveaux chirurgiens. Dès lors, deux écoles de santé ont été créées pour former ces « officiers de santé » qui ont été formés dans le plus grand empressement pour répondre à la demande.

Parmi ces officiers, deux d’entre eux ont particulièrement marqué leur époque : Pierre-François Percy et Jean-Dominique Larrey. J.-D. Larrey s’est particulièrement illustré durant la bataille de Borodino durant laquelle il a réalisé de l’ordre de 200 amputations dans le court délai d’approximativement 24 heures, avec une mortalité observée de 3 pour 10 (ce qui était très peu pour l’époque et la situation sanitaire locale).

Un autre chirurgien, Pierre Lefort va particulièrement s’illustrer dans la Marine Impériale qui connaît son lot de traumatisés. Celui-ci va exercer dans les hôpitaux des grands ports ainsi que sur les vaisseaux de la Marine Française mais également sur des prisonniers sur les pontons anglais après la défaite de Trafalgar.

7) Le XIXe siècle C’est au XIXe siècle que les médecins se rendront compte que les infections représentent le principal obstacle au développement de la chirurgie en milieu hospitalier. Effectivement, la promiscuité offerte aux patients dans les établissements hospitaliers de l’époque sera à l’origine de bon nombre d’infections. Celles-ci mèneront régulièrement à devoir réaliser des amputations chez des patients ayant présenté des traumatismes lors de différentes guerres sévissant à l’époque et ayant été traités par chirurgie. L’observation de certains hôpitaux anglais présentant des taux moindres d’infections conduira à la réalisation d’une structure nettement plus aérée de l’architecture hospitalière.

Concernant l’anesthésie, c’est en 1800 que Davy découvre les propriétés euphorisantes du protoxyde d’azote. Faraday, quant à lui, un de ses successeurs, observera et publiera en 1818 que les vapeurs d’éther produisent les mêmes effets sur la conscience et le mental que le protoxyde d’azote. La première application lors d’une intervention superficielle de l’administration d’éther l’a été par Crawford Long en 1842. Il va endormir un de ses patients en lui faisant respirer de l’éther et dès lors pouvoir réaliser son intervention dans les meilleures conditions.

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Malheureusement, Crawford Long ne fera pas part de son expérience à ses confrères et sa première tombera dans l’oubli. Après l’éther, c’est le chloroforme qui sera utilisé. C’est le gynécologue James Young Simpson d’Edimbourg qui fera sa première utilisation en 1847.

L’anesthésie permettait indéniablement d’améliorer les conditions opératoires mais la présence de contractions musculaires continuait à rendre certains actes chirurgicaux difficiles. Dès lors, inhiber cette contraction musculaire allait devenir l’un des progrès considérables de l’anesthésie à cette époque. C’est en 1844 que Claude Bernard découvre que le curare agit sur la jonction neuromusculaire entraînant une paralysie du muscle. Cette observation ne sera applicable en clinique qu’au milieu du XXe siècle. Effectivement, la paralysie respiratoire occasionnée par les curares restera problématique jusqu’à cette époque. C’est à la fin du XIXe siècle en 1872 que l’utilisation de barbituriques par voie intraveineuse sera instaurée. Une fois de plus son application en clinique devra attendre de multiples années et c’est en 1932 que l’hexobarbital sera utilisé pour la première fois en clinique. Suivront ensuite le thiopental ainsi que d’autres barbituriques à action rapide.

Pour ce qui est de l’anesthésie locale, c’est grâce à la cocaïne que certaines chirurgies oculaires pouvaient être réalisées dès 1884. La cocaïne a été pendant de multiples années la première substance utilisée pour la réalisation d’anesthésies locales.

Pour ce qui est des progrès en termes d’infections, Jenner sera à l’origine de la première vaccination au XIXe siècle. Ignace Semmelweis, quant à lui, observera une diminution significative des fièvres puerpérales suite au lavage des mains et au port de vêtements « chirurgicaux ». Il faut signaler que durant de nombreuses années, guidés par les enseignements de Galien, les médecins considéraient l’infection des plaies comme faisant partie intégrante de leur évolution et de la cicatrisation. Longtemps, l’émission de pus par une plaie était considérée comme un signe positif d’évolution de celle-ci.

Lister observera en utilisant des phénols pour laver les plaies opératoires et les plaies traumatiques qu’une cicatrisation pouvait être obtenue sans émission de pus. L’asepsie et antisepsie allaient naître. Pasteur, et ses découvertes sur les microbes, allait faire progresser ces connaissances de façon significative.

Ainsi à l’époque vont se développer des vaporisations d’acide phénique sur les sites opératoires pour pouvoir travailler en « asepsie ». Cette pratique va permettre en Angleterre d’observer une chute de la mortalité opératoire de 48 % à 10 %.

Durant le XIXe siècle, l’asepsie va continuer à se développer avec l’utilisation de gants en caoutchouc, l’invention de l’autoclave, la création de salles d’opération et enfin de blocs opératoires. L’hôpital Necker sera le premier à disposer d’un bloc opératoire en France en 1912.

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Pour ce qui est de l’hémostase en 1883, G. Hayem découvre le clou hémostatique en expérimentant des plaies veineuses sur des vaisseaux mésentériques de grenouilles. En 1890, Arthur et Pages découvraient le rôle capital du calcium ionisé dans la coagulation. Les progrès suivants seront observés au XXe siècle. A noter la découverte de l’héparine par Mc Lean en 1916 et la découverte de la structure chimique de cette héparine par Howell en 1918. C’est en 1931 que l’on découvrira les coumariniques observant des décès de bovidés suite à l’ingestion massive de trèfles. Par fermentation, le trèfle produisait des dérivés coumariniques à l’origine du décès de ces bovins par hémorragie cataclysmique. Malgré sa découverte en 1916, ce n’est qu’en 1936 que l’héparine sera utilisée en clinique. 8) Le XXe siècle Le XXe siècle sera marqué par la survenue des deux grandes guerres mondiales que sont celles de 1914-1918 et de 1940-1945. Cependant, c’est avant la première guerre mondiale qu’ont été mises au point les grandes techniques chirurgicales qui resteront en vigueur durant le siècle. Ainsi naîtra la chirurgie de la paroi de l’abdomen, du tube digestif, du thorax ainsi que la gynécologie.

Durant la 2e partie du XXe siècle après la seconde guerre mondiale, les progrès technologiques ainsi que l’évolution des techniques chirurgicales vont participer à moderniser la chirurgie. C’est durant cette période que va naître la chirurgie cardiaque. On voit également se développer des greffes d’organes, en commençant tout d’abord par le rein en 1950. La première transplantation cardio-pulmonaire sera réalisée en 1982 par l’équipe du Docteur Cabrol.

Enfin, enchaînant après le XXe siècle, le XXIe siècle verra la première transplantation de deux bras entiers réalisée à Munich, en Allemagne, par une équipe de 40 personnes.

Les progrès de la chirurgie n’auraient pu être réalisés sans l’apport de nouvelles techniques d’imagerie telles que la radiographie survenue en 1895, mais bien plus tard également l’échographie (1970), le CT scanner (1980), l’IRM et le PET scan (1990) en clinique.