hiroshima mon aour

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  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    1/110

    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL

    POTIQUE DE LA MMOIRE DANS HIROSHIMA MON MOUR

    MMOIRE

    PRSENT

    COMME EXIGENCE PARTIELLE

    DE

    LA MATRISE EN TUDES LITTRAIRES

    PAR

    MAGALI BLEIN

    Juin

    2007

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    2/110

    UNIVERSIT DU QUBEC

    MONTRAL

    Service des bibliothques

    vertissement

    La diffusion de ce mmoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a sign

    le formulaire utorisation e reproduire et e diffuser un travail e recherche de cycles

    suprieurs

    (SDU-522 - Rv.01-2006). Cette autorisation stipule que conformment

    l'article

    du

    Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde

    l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et de

    publication de

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    totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour

    des fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorise

    l'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre des

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    intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et de

    commercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    3/110

    REMERCIEMENTS

    Au terme du prsent mmoire,

    j

    dsire tmoigner toute ma gratitude ma directrice

    de recherches, ille Johanne Villeneuve, pour ses conseils judicieux, sa disponibilit, sa

    rigueur et sa patience. La pertinence et la qualit de ses corrections auront permis de

    rehausser la valeur de ce travail.

    Je tiens

    exprimer ma reconnaissance aux trois plus proches membres de ma famille

    qUI m ont soutenue tout au long de mes tudes, et particulirement lors des travaux de

    rdaction.

    Je remercie galement mes fidles amis Sylvie, Gatan, Danielle, Ginette, Louise,

    Jean, Marie, Alexandra, Walter et Jean-Franois R. dont les tmoignages d amiti, le

    dynamisme et les connaissances ont su maintenir

    mon

    enthousiasme son meilleur.

    Enfin,

    un

    merci tout spcial Franoise et Alain pour leur gnrosit et leur

    inbranlable confiance mon gard.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    4/110

    TABLE DES

    MATIRES

    RSUM : VI

    INTRODUCTION 7

    PREMIER CHAPITRE

    PRSENTATION DU CORPUS ET DFINITIONS GNRALES

    10

    1.

    La

    prsentation

    du

    corpus:deuxmatrialitsl'tude

    10

    1 1 Lajustificationde

    la

    divisionselondeuxmatrialits........................................ I l

    1.2

    La

    matrialitetla forme textuelles 11

    1.3

    La

    matrialitet laformefilmiques 13

    2. Les dfnitionsgnrales

    14

    2.\ La mmoire 14

    2.2 Le

    souveniret la remmoration 17

    2.3

    La notionde traceetl'oubli................................................................................ 18

    3. Freud

    et la

    mmoire

    19

    3.1 Refoulementetrefoul 20

    3.2 Rsistanceetrptition 21

    3.3 Le travail du deul...............................................................................................

    22

    3.4

    Le

    bloc-notesmagique........................................................................................ 23

    4. La dialectiquede

    la

    mmoireetde l'oublidans

    Hiroshima

    mon

    amour

    24

    4.1 L'imagecinmatographiqueetla mmoire 24

    4.2 L'tudede la mmoiredans

    Hiroshima mon

    amour 29

    DEUXIME CHAPITRE

    L M TRI LIT

    DU

    TEXTE

    DE

    M RGUERITE

    DURAS

    31

    1.

    La reconstitutiondessouvenirsintimes......................................................................... 31

    1.1

    La figurerhtorique

    de la

    rptition 32

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    5/110

    \.2 L'vnementtraumatiqueoriginel...................................................................... 34

    1.2.1 Le deuil mlancolique 35

    \.3 La luttecontre l'oubli 36

    \.3.\

    La

    lutte par

    le

    cri...................................................................................... 37

    1.3.2 La

    lutte par l'tatd'veil 39

    lA

    La sujtionl'oubli 41

    IA \

    Lacave

    41

    1.5

    Le retour

    de

    l'oubli 43

    1.5.\

    La

    rsistance

    au

    retourde l'oubli 44

    1.5.2

    Le

    travail

    du

    deuil

    non

    achevNevers

    45

    1.6

    Le retour

    de

    l'oubli 48

    1.6.\ Le travail

    du

    deuil inachev

    Hiroshima 48

    \.6.2 Une histoirebanale,

    non

    mmorable 52

    2. La

    reconstitution historique 54

    2.1 Le tmoignage impossible 54

    2.1.1

    Une problmatisation

    du

    sujet.................................................................

    55

    2.1.2 L'impossibilit

    de

    parlerd'Hiroshima :

    ..

    56

    2.\.3 L'entiret

    du

    tout 58

    2.IA

    Le

    regard remis

    en

    question

    58

    2.\.5 Une prise

    tmoin 59

    2.2

    La partplus positivede l'oubli

    61

    TROISIMECHAPITRE

    LA

    MATRIALIT

    DU FILM

    D'ALAIN RESNAiS

    63

    1

    La

    reconstitutiondessouvenirsintimes......................................................................... 64

    1.1

    Le procdstylistique

    du

    montageparenchanements....................................... 64

    1.2

    La reprsentationd'unemmoirefragmente 67

    1.3 Leslmentscorporelsfavorisantle rappel.......

    69

    1.3.1 La

    fonction des mains...................... 70

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    6/110

    1.3.2

    La reprsentation

    du

    regard intrieur.......................................................

    74

    1.3.3 La position des acteurs 78

    1

    Le rappolt

    au

    temps 82

    IA.I L absence

    de

    flash-back 82

    IA 2

    L image-temps

    85

    1.5

    La notion de trace: la reprsentation de l absence.... 88

    2. La reconstitution historique........................................................................................... 89

    2.1

    U

    ne

    mmoire poussireuse

    89

    2.2

    La

    mmoire archive 94

    2.2.1 Le

    traitement

    de la

    voix: une impossible objectivit

    95

    2.2.2

    Le

    montage clat

    et

    subjectif.................................................................

    97

    2.2.3 Le regard remis en question

    100

    CONCLUSION 103

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

    106

    Corpus

    106

    tudes sur Hiroshima on amour 106

    tudes sur

    la

    mmoire

    et

    sur l oubli

    107

    tudes sur le cinma 107

    tudes sur l uvre d Alain Resnais 108

    tudes sur l uvre

    de

    Marguerite Duras

    108

    Autres rfrences ,

    109

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    7/110

    RSUM

    uvre cinmatographique ralise par Alain Resnais en

    1959 iroshima mon amour

    est galement reconnue pour sa valeur scnaristique, autrement dit littraire,

    que

    l on doit

    au

    travail de Marguerite Duras, et qui a d ailleurs fait l objet d une publication distincte aprs la

    sortie

    du film.

    L originalit

    de la

    prsente recherche repose sur

    la

    distinction des deux

    mdiums coexistants, une division qui

    non

    seulement oriente mais enrichit

    la

    rflexion sur

    une

    dialectique

    de la

    mmoire et

    de

    l oubli.

    Si

    la matrialit filmique et la matrialit

    textuelle, chacune l aide des procds

    qui lui

    sont propres, interrogent le devoir de mmoire

    et

    la

    fonction

    de

    l oubli,

    l

    appert que

    le

    texte oriente davantage

    la

    question

    de

    l oubli, alors

    que le

    film

    fait voir plus positivement

    le

    travail de la mmoire.

    L criture

    de

    Marguerite Duras se voit marque par

    un

    style pur

    o

    la

    figure

    rhtorique de

    la

    rptition prdomine et propose une vision du monde o l oubli, au mme

    titre

    que

    la guerre, est invitable et rcurrent.

    Le

    traitement

    de

    l image cinmatographique

    d Alain Resnais permet de confrer aux images mentales une matrialit

    au

    sein d un

    montage clat.

    Ce

    dernier participe d une reprsentation directe

    du

    temps et

    du

    processus

    psychique

    de la

    remmoration, de mme qu il donne voir l histoire d un monde devenu

    impossible

    apprhender objectivement sans

    en

    voquer

    la

    fragmentation.

    De

    surcrot,

    la

    structure de l uvre contenant l apposition d une tragd

    ie

    personnelle

    et d une catastrophe historique, l tude de

    la

    mmoire tient compte de cette distinction entre

    les

    dimensions intime et historique. L analyse

    de la

    partie intime envisage

    la

    remmoration

    comme un effort de rappel qui repose sur l mergence de la trace mnsique caractrise par

    sa persistance. En parallle,

    la

    partie

    plus

    historique convie penser la trace documentaire

    selon son caractre prissable et ses limites

    servir la mmoire historique.

    MOTS

    CLS: MARGUERITE DURAS/

    ALAIN

    RESNAIS/ HIROSHIMA

    MON

    AMOUR/

    LITTRATURE

    ET

    CINMA/ MMOIRE/ OUBLI/ RPTITION/ IMAGE-TEMPS

    /TRACE

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    8/110

    INTRODUCTION

    La

    musicalit et l oxymore

    du

    titre

    Hiroshima mon amour

    prludent

    la

    posie

    comme la complexit

    de

    l uvre annonce,

    qui

    plus

    de

    quarante ans aprs sa cration,

    suscite toujours autant d adm iration et d interrogations. Ds sa prem ire projection publ ique

    au

    Festival

    de

    Cannes

    en

    1959 ce

    film

    est prsent comme

    le

    fruit d une troite collaboration

    entre Alain Resnais, le ralisateur, et Marguerite Duras

    qui

    est confi le travail d criture

    du scnario et des dialogues. Quelques mois aprs

    sa

    sortie

    en

    salles,

    les

    ditions Gallimard

    en publient une version texte, dans

    un

    recueil qui rassemble le synopsis et le script original de

    Marguerite Duras, enrichis

    des

    commentaires de l crivaine. Cette initiative ditoriale vient

    ainsi matrialiser

    la part textuelle de l uvre cinmatographique.

    Brivement, l histoire d Hiroshima mon amour se droule

    en 1957

    Hiroshima, o

    une actrice franaise est venue tourner

    un film

    sur

    la

    paix. La nuit prcdant

    son

    dpart, elle

    rencontre

    un

    architecte japonais avec lequel elle a

    une

    aventure amoureuse. Cette brve liai

    son donne lieu l vocation trs personnelle des circonstances historiques du bombardement

    atomique d Hiroshima ainsi qu la remmoration de l amour de jeunesse de la jeune femme.

    Hiroshima, mon amour s inscrit dans une dialectique

    de

    la mmoire et de l oubli ll

    les deux phnomnes

    ne

    s opposent pas mais sont traits en troite relation l un avec l autre.

    S il est un al1 de la mmoire, Hiroshima mon amour prsente un art de l oubli impossible

    saisir sans voquer la mmoire.

    De

    ce fait, le film et le texte, chacun l aide des procds

    qui

    lui sont propres, interrogent le devoir de mmoire et la fonction de l oubli. Dans le cadre

    de

    la prsente recherche, nous posons comme hypothse que

    le

    texte oriente davantage

    la

    question de l oubli, alors

    que le

    film fait voir plus positivement

    le

    travail

    de la

    mmoire. Afin

    de

    respecter

    la

    structure

    de

    l uvre,

    qui

    contient

    en

    elle-mme l apposition - voire l opposi

    tion - d une tragdie personnelle et d une catastrophe historique, l tude de

    la

    potique de

    la

    mmoire dans

    le

    corpus se concentrera d abord sur

    la

    dimension intime de celle-ci, puis sur

    sa dimension historique. Pour ce faire, la dmarche analytique interrogera l uvre de

    la

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    9/110

    8

    manire suivante: Quels sont les procds employs par chacun des mdiums? Comment ces

    stratgies sont-elles exploites en lien avec le travail

    de

    la mmoire qui traverse l uvre?

    Quelles en sont les vises narratives et esthtiques?

    Le

    1en amoureux

    tabl

    i

    H

    irosh ima

    permet,

    non

    sans rsistance, la reconstitution

    d un pisode pass et oubli de la vie de la jeune

    femme

    alors

    que

    celle-ci vivait

    Nevers.

    Or,

    il

    ne s agit

    pas de

    faire appel la mmoire pour narrer, de

    faon

    organise,

    des

    vne

    ments anciens, mais plutt

    de

    raviver, comme s il s agissait de faire renatre

    la conscience,

    des lments oublis, comme autant

    de

    fragments pars qui semblaient

    jamais perdus. Dans

    cette perspective, la reconstitution des vnements intimes repose sur un vritable travail de

    remmoration, redevable

    au

    statut et

    au

    traitement

    de

    l image cinmatographique, tout autant

    que sur

    une

    lutte contre l oubli,

    w

    laquelle

    le

    texte n a de cesse d insister. La remmoration,

    considre dans

    ce

    cas prcis comme un effort de rappel, repose sur l mergence de la trace

    mnsique, savoir une trace psychique caractrise

    par sa

    persistance.

    En

    parallle, la tentative

    de

    reconstitution des vnements historiques est amorce

    par la voix hors champ et

    se

    poursuit dans

    un

    dialogue dualiste

    au

    cur duquel l objectivit

    et la fonction du regard se trouvent remises en question. Si le propos oscille entre Tu n as

    rien vu Hiroshima et J ai tout vu Hiroshima c est qu il interroge la possibilit de

    tmoigner d un

    tel

    vnement.

    Le

    texte fait alors cho

    l image documentaire

    qui

    convie

    penser la trace selon son caractre prissable et ses limites servir la mmoire historique.

    D un point de vue socio-historique, la cration de l uvre s accomplit une poque

    d aprs-guerre marque par le souci, voire la ncessit, de rinvention des formes artistiques.

    En effet, aprs Auschwitz et Hiroshima, comment crire et dire l indicible, comment filmer et

    montrer l irreprsentable sinon

    par un

    renouvellement

    des

    fonnes propre donner

    une

    vision

    juste d un monde dsormais

    rompu la

    destruction?

    Pour sa

    part, l criture

    de

    Marguerite

    Duras

    se voit marque par un style pur o la figure de la rptition est employe pour dire,

    re-dire, tenter

    de

    dire autrement tout

    en

    insistant sur l impossibilit

    de

    l acte.

    Les

    ellipses

    comme la dmesure

    des

    redites proposent une vision du monde o l oubli, au

    mme

    titre

    que

    la guerre, est invitable et rcurrent. Avec le cinma d Alain Resnais, on assiste la

    matrialisation l cran d images mentales

    qui

    s animent au sein d un montage clat,

    caractris par l enchalnement par similitude.

    Ce

    type de montage participe d une

    reprsentation directe du temps et du processus psychique de la remmoration, de mme qu il

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    10/110

    9

    donne voir l histoire d un monde devenu impossible apprhender objectivement sans en

    voquer la fragmentation.

    e faon plus formelle,

    le

    premIer chapitre prsente le corpus,

    les

    matrialits

    textuelle et filmique, ainsi que la justification d une telle division.

    l

    s agit ensuite de

    circonscrire les principaux concepts qui serviront l analyse, savoir la mmoire, le souvenir,

    la remmoration, la notion de trace et l oubli, ainsi que les lments thoriques relatifs la

    psychanalyse. Enfin, le chapitre se clt sur la relation entretenue entre la mmoire et le

    cinma, puis, dans une moindre mesure, entre ce mdium et la mmoire historique.

    Le deuxime chapitre repose sur la matrial

    it

    et la forme du texte de Marguerite

    Duras. En premier lieu, l a pour objet d tude la reconstitution des souvenirs intimes. C est

    la figure de la rptition sous ses diverses formes directes et indirectes qui sert, d une palt,

    mettre

    en

    lumire les diffrentes causes qui ont men l oubli de l histoire d amour de

    Nevers et, d autre part, dmontrer que le travail du deuil de l amant allemand reste

    inachev. Puis, en ce qui concerne la reconstitution valeur historique, une tude sur le

    tmoignage tend faire ressortir l impossibilit plurielle de parler des vnements survenus

    Hiroshima. Que le phnomne de l oubli soit envisag l chelle individuelle ou collective,

    le texte

    en

    propose une conception douloureuse, invitable et rcursive.

    Le troisime chapitre a trait la matrialit du film d Alain Resnais. La

    reconstitution des souvenirs intimes prcde, ici aussi, celle des vnements historiques. Il

    s agit d abord d analyser comment la matrialit filmique s emploie reprsenter le travail

    de remmoration tout en dmontrant que l image cinmatographique est une image-temps,

    telle que dfinie par Gilles Deleuze. Ce chapitre prend la forme d une analyse des

    associations, inhrentes au montage, entre des lments comme

    les

    mains,

    le

    regard, qui

    servent

    de

    fil conducteur au jaillissement des traces mnsiques. e plus, une tude de

    la

    reprsentation du temps s attarde mettre

    en

    vidence que le prsent, dans

    Hiroshima mon

    amour est en coalescence avec

    le

    pass et contient dj l avenir. Enfin, l examen des

    squences relatives la reconstitution dite historique tend dmontrer qu i1existe aussi une

    impossibilit de montrer ce qui est arriv Hiroshima. Une importance prpondrante est

    accorde

    au

    traitement

    de

    la voix hors cham p et la fonction de l image documentaire quant

    sa possibilit de tmoigner du pass et, particulirement, de la destruction atomique

    d Hiroshima.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    11/110

    PREMIER CHAPITRE

    PRSENTATION DU

    CORPUS

    ET DFINITIONS GNRALES

    J

    est absurde de parler

    ufilm

    de Resnais: il

    est absurde de parler du texte de Marguerite

    Duras.

    Le

    texte n aurait pas t

    le

    mme s il

    n avait attendu l image et l image n aurait

    pus

    t la mme si elle n avaiL rpondu au texte.

    (Marguerite Duras)

    l, La prsentation du corpus: deux matrialits l tude

    En

    s entretenant de

    la

    sorte

    propos d Hiroshima mon amour avec Michel

    Delahaye, Marguerite Duras explique clairement l apport complmentaire

    des

    deux

    m-

    diums, tout

    en

    voquant paradoxalement leur existence distincte.

    Une

    existence qui, pour

    la

    part textuelle,

    va

    se matrialiser

    en un livre,

    pour reprendre

    une

    expression chre

    l cri-

    vaine, quelques mois aprs la sortie du film, et publi comme un roman (Ropars-

    Wuilleumier, 1970, p,

    148 ,

    En effet, en 1960, le livre intitul Hiroshima mon umour,

    Scnario et dialogue est publi par les ditions Gallimard, dans

    la

    collection Folio, sous

    la

    forme d un ouvrage reprenant

    les

    travaux d criture tels qu ils ont t produits

    la

    demande

    d Alain Resnais, sans coupure, et auquel sont ajouts

    des

    appendices.

    On

    apprend que Duras

    a

    eu le

    dsir

    de se

    dmarquer, produisant

    un

    texte

    en

    continuit,

    ou

    plutt

    en

    contigut, avec

    le

    film, et qui, davantage qu un simple complment

    ou

    commentaire, ralise une reprise de

    l ensemble

    en son

    nom et

    ton

    propres, prenant

    la

    valeur

    de ce

    que l on peut appeler

    un sc-

    nario littraire,

    La

    palt textuelle

    de

    l crivaine ainsi matrialise traduit

    de

    surcrot

    la

    volont

    de conserver

    la

    trace crite, voire documentaire, d une uvre

    l origine strictement filmique.

    La

    rfrence

    au

    titre de l uvre

    se fera

    dsormais selon l abrviation HAJA.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    12/110

    l

    1 1 La justification

    de

    la division selon deux matrial its

    Contrairement

    la

    plupart des critiques tels Carlier, Leutrat, Pingaud, nous avons

    choisi de traiter individuellement l apport de la part textuelle de celui

    de

    la part filmique.

    propos de la collaboration de Resnais avec Robbe-Grillet l occasion

    de la

    cration de

    L Anne dernire Marienbad, Gilles Deleuze souligne qu il semble extraordinaire [quel

    cette collaboration ait produit une uvre

    aussi

    consistante alors que

    les

    deux artistes

    l ont

    conue de manire si diffrente, presque oppose. Peut-tre rvlent-ils par

    l la

    vrit de

    toute collaboration vritable, o l uvre est non seulement vue, mais fabrique suivant des

    processus de cration tout fait diffrents qui s pousent dans une russite renouvelable,

    mais chaque fois

    unique

    (Deleuze, 1999,

    p

    135). Le rapprochement

    est

    invitable entre

    cette premire association et celle qui a men l laboration d HMA, convoquant cette fois

    Marguer ite Duras.

    Le passage de l criture cinmatographique, savoir celle

    du

    scnario et des

    dialogues

    d un

    film, la ralisation filmique est toujours passage d un langage un autre. Or,

    le

    travail d criture

    de

    Marguerite Duras, en plus

    de

    son incontestable valeur scnaristique, se

    distingue par

    le

    recours

    des

    procds 1ttraires. Ce sont donc

    ces

    processus de cration

    diffrents

    d un

    mdium l autre que nous proposons d observer isolment.

    la lumire du

    commentaire

    de

    Deleuze,

    il ne

    s agit nullement

    de les

    opposer

    dans le

    but

    de

    dmontrer

    l existence de deux uvres Bien

    au

    contraire, il importe de

    les

    discerner afin d en montrer la

    complmentarit, riche

    de

    sens et d inventivit.

    1 2

    La matrialit et

    la

    forme textuelles

    La matrialit textuelle, dans

    le

    cas d

    HMA,

    se

    dfinit

    bien entendu par

    la

    disponibilit de

    l objet

    - le l ivre - mais aussi par son contenu en tant que trace crite et

    langage verbal. Le livre de Marguerite Duras prsente

    le

    scnario - dialogues et didascalies-

    d HMA divis en cinq parties, prcd d un avant-propos et suivi

    de

    quatre textes sis en

    appendice. Le scnario s apparente

    la

    composition de la tragdie classique, dont il

    emprunte

    la

    division en cinq actes et l unit

    de

    temps de 24 heures. Malgr le traitement

    de

    thmes classiques comme l amour et

    la

    guerre,

    on

    verra que le scnario

    se

    distingue de

    ce

    genre littraire.

    Sa

    segmentation

    en

    tant que telle s est vue maintes fois discute par

    les

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    13/110

    12

    critiques, tant

    il

    est difficile d en rendre compte. Irrductible

    toute forme de rsum,

    l uvre rvle sa complexit mme sa construction.

    Il Y a trs tt chez [Duras] - au moins depuis

    HM

    - comme une influence de

    la

    pratique du thtre et du cinma sur l criture romanesque crit Noguez (200 1

    p.

    24) Entre

    autres, les didascalies, c est--dire

    les

    indications de mise

    en

    scne, de mouvements propres

    au script et qui se prsentent comme une criture dpouille l extrme (Noguez, 2001,

    p.

    25) parce qu elles ne sont gnralement

    pas

    destines tre lues prennent dans HM plus

    d importance

    que

    dans tout autre texte du genre. D un point de vue stylistique, elles

    appartiennent la potique durassienne et en sont, en quelque sorte, une bauche de

    ce

    qui va

    s affirmer aprs

    les

    annes

    1960.

    Noguez rapporte justement

    que

    l usage

    de

    cette criture

    pauvre, utilitaire, presque tlgraphique, va

    quitter, chez Duras,

    les

    coulisses de l crit

    thtral ou

    de l crit cinmatographique prparatoire

    pour

    gagner le devant

    de

    la scne, tous

    les

    textes (Noguez, 200 l,

    p.

    25). C est dire que ce style pur, qu i va par

    la

    su ite contribuer

    se distinguer

    de

    la nonne, lve HM au rang

    de

    texte littraire, c est--dire au-del

    du

    simple script. Qui plus est,

    en ce qui

    concerne la matrialit, les didascalies sont videmment

    une tentative de retenir, d inscrire en tant que traces, ce qui est occult par la matrialit

    filmique, savoir ce qui ne

    peut

    tre vu l cran tout autant

    que

    ce qui n a

    pas

    t retenu par

    Alain Resnais. Cette volont de prservation des traces crites est, comme il sera dmontr,

    troitement lie la dialectique de la mmoire et de l oubli dans l uvre.

    L existence des appendices relve elle aussi de cette intention de conservation,

    mais selon une forme plus documentaire. En fait, l origine, c est une demande

    de

    Resnais

    qui voulait que l crivaine rdige des textes faonnant la continuit souterraine

    2 du

    tilm,

    compose d une srie de donnes sur l histoire et sur les personnages. Duras a trac,

    en

    marge

    du

    scnario, un rseau de pistes romanesques dont le film ne s inspire qu en les

    effaant (Ropars-Wuilleumier, 1990, p.35).

    Ces

    supplments appartiennent donc la

    gense de l uvre.

    Ils

    ont, habituellement,

    un

    caractre transitoire - fantomatique - et

    ne

    sont

    destins qu contribuer au dveloppement

    du

    film. Or puisque

    le

    film est

    une

    uvre

    acheve au moment

    de

    la

    publ

    ication

    du

    1vre la prsence de ces textes prend une valeur de

    trace documentaire

    non

    ngligeable relativement la potique de la mmoire et qui, tout

    comme

    les

    didascalies, confirme la singularit matrielle

    du

    texte de

    Duras.

    Selon l expression

    mme du

    ralisateur

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    14/110

    3

    1 3 La matrialit et la forme filmiques

    En ce qui concerne la matrialit filmique, elle est dtermine avant tout par

    la

    prsence

    de

    l image, au cur

    du

    dispositif propre au cinma et de l archives. L image

    cinmatographique se dfinit,

    en

    gnral, comme

    une

    reprsentation visuelle et sonore

    caractrise par

    le

    mouvement. Elle relve de

    la

    reproduction et s inscrit dans une dure, de

    mme que dans

    un

    cadre spatial et temporel. L image,

    en

    tant que prsence

    de

    l absence,

    donc en tant que matrialit au prsent de

    ce

    qui a t, est apprhender comme

    une

    trace.

    Dans HMA

    le

    style d Alain Resnais repose,

    en

    partie, sur cette notion de trace.

    En

    effet, l image cinmatographique devient image mentale et rappelle alors

    la

    trace mnsique.

    Lorsque l image se fait archive, c est--dire trace documentaire, elle

    pose

    la question de la

    reprsentation de l irreprsentable, savoir sa capacit - en tant qu elle rend visible le rel

    tmoigner non seulement de

    ce

    qui

    fut

    en tant qu absolu,

    mais

    de ce qui reste. Comme le

    rappelle Niney, l indicible, le fragmentaire comme la re-prsentation de l inimaginable sont

    des sujets qui ont tourment Resnais ainsi que

    les

    autres jeunes cinastes franais de

    l aprs-guerre conscients

    de

    devoir rinventer

    le

    cinma,

    commencer par

    le

    documentaire

    (2000, p 95).

    HA1A

    constitue

    non

    seulement

    le

    prem ier

    long-mtrage

    de

    Resnais, mais

    son prem

    ier

    film de fiction. En effet, les dix annes prcdant cette ralisation ont t employes la

    conception de documentaires plaant la double problmatique de l archive et de la mmoire

    l avant-scne de ses proccupations. Or, s il est indniable qu HMA appartient au registre de

    la fiction, l insertion d images d archives et leur traitement tmoignent d un flottement entre

    les

    genres qui est envisager non pas comme une imprcision involontaire, mais bien comme

    une intention ouverte deflirter avec

    le

    documentaire et d en clairer les 1

    m

    ites

    Le montage, c est--dire l enchanement des images et le rythme qui en dcoule,

    appartient

    lui

    aussi

    la

    matrialit filmique. Resnais se prsente lui-mme plus volontiers

    comme monteur, mtier qu il a pratiqu plusieurs annes. De fait, sa conception

    du

    montage

    s est rapidement distingue et demeure une caractristique essentielle de son style, dans

    HA1A

    comme dans l ensemble

    de

    son uvre.

    Le

    montage chez Resnais se traduit par une alternance

    de

    plans fixes et courts, et

    de

    travell ings par dfinition beaucoup plus longs Il se caractrise

    par

    la

    rupture,

    la

    collision,

    de

    mme que par l association des thmes. Dans HMA,

    la

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    15/110

    14

    prsence du montage - au sens o celui-ci se veut souvent apparent - joue

    un

    rle primordial

    non dans

    la

    comprhension de l intrigue -

    le

    montage, au contraire, participerait plutt

    embrouiller la narration - mais dans le traitement imitatif du processus psychique

    de

    la

    remmoration et

    le

    rapport au temps.

    2.

    Les

    dfin itions gnrales

    Avant d entreprendre l analyse proprement dite du corpus, l est ncessaire de dfinir

    les concepts cls constituant les assises mthodologiques du propos, tels la mmoire, le

    souvenir,

    la

    remmoration et la notion de trace.

    2. \ La mmoire

    Dans son acception

    la

    plus courante, la mmoire (du latin

    memoria)

    est

    la

    facult de

    conserver et de restituer des informations, plus prcisment

    de

    rappeler des tats de

    conscience passs et ce

    qui s y

    trouve associ. Le substantif fminin dsigne galement

    l esprit,

    en

    tant qu il garde le souvenir du pass, puis, en troisime entre, la mmoire est

    dfinie comme tant

    la

    facult collective

    de se

    souvenir (Dictionnaire Le petit Robert,

    1993, p. 1551). Selon

    le

    sens individuel qui lui est attribu,

    l

    s agit donc d une double

    proprit d emmagasinage et

    de

    reprsentation

    qui

    ncessitent des oprations mentales. Ces

    dern ires permettent de se reprsenter les objets ou les vnements en leur absence et les

    principaux modes sont

    le

    langage et l image mentale. Enfin,

    la

    mmoire fait appel une autre

    facult essentielle, celle d valuer

    le

    temps, sans laquelle la rfrence

    au

    pass dans les

    souvenirs serait impossible.

    Dans L art de la mmoire

    qui

    se prsente comme une vaste fresque historique,

    Frances A. Yates rappelle, entre autres, l troit

    lien

    entretenu depuis l Antiquit entre

    la

    mmoire et l image.

    En

    effet, Cicron, dj, accordait l image ainsi qu au lieu une grande

    importance dans

    le

    processus

    de

    mmorisation: les 1

    ieux

    sont les tablettes

    de

    cire sur

    lesquelles on crit;

    les

    images sont les lettres qu on y trace (Cicron n Yates, 1975, p. 16 .

    Les

    ars memoraliva,

    en tant que mnmotechniques (techniques

    de

    mmorisation et

    de

    restitution des ides, des souvenirs), devaient alors serY ir l orateur dans l organ isation de sa

    pense et s offraient lui sous la forme d une visite virtuelle d un difice l instar d un

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    16/110

    5

    muse dans lequel seraient classes

    les

    ides

    en

    tant qu images. Comme l crit Cicron, il

    s agit de choisir

    en

    pense des emplacements distincts,

    se

    former

    les

    images

    des

    choses

    qu on veut retenir, puis ranger ces images dans

    les

    divers emplacements. Alors l ordre des

    lieux conserve l ordre des choses, tandis que

    les

    images rappellent

    les

    choses elles-mmes

    (Cicron in Yates,

    1975, p. 14 .

    C est donc

    un

    art

    de la

    mmoire fond sur une conception

    associative des images qui,

    ce

    faisant,

    ignore la contrainte des traces (Ricur, 2000,

    p.

    79), soit celle de l oubli.

    Pour sa part, Platon a

    mis

    en lumire

    le

    problme

    de la

    frontire entre

    la

    mmoire,

    particulirement

    le

    souvenir, et l imagination.

    Le

    souvenir est alors pos comme l eikon

    (image symbolique) prsente d une chose absente ayant exist auparavant. Ainsi, cette

    conception est articule autour d un axe

    qui lie

    la prsence, l absence et l antriorit.

    La

    prsence est la trace de l image, l empreinte (le tupos), comme une marque mallable dans

    la

    cire, qui reste d une chose qui a disparu. Cette conception permet de penser non seulement la

    question de l imagination comme modification de la trace, mais galement celle de l oubli en

    tant qu effacement

    de

    la trace.

    La croyance selon laquelle

    la

    mmoire tait conue comme un rservoir d images a

    ensuite t dmentie par Aristote, pour qui

    la

    mmoire se caractrisait plutt par

    une

    sorte de

    recherche apparente

    au

    syllogisme et par une rfrence

    au

    pass. Contrairement Platon

    pour

    qu

    i

    la

    mmoire est

    la

    reprsentation prsente d une chose absente, selon Aristote

    la

    mmoire est

    la

    reprsentation d une chose antrieurement perue. Ainsi,

    la

    mmoire (...] a

    rapport au pass (1951,

    p.

    57) et la relation d association entre les images,

    les

    ides, existe

    en tant que mtaphore ou mtonymie,

    savoir une copie de l image, qu Aristote dtinit

    plutt comme une marque mnmonique. articule le concept de mmoire et de rminiscence

    autour d un axe

    qui lie le

    temps, l image

    et la

    perception. Dans l article intitul

    e la

    mmoire et de la rminiscence, l

    affirme:

    la

    mmoire ne se confond ni avec

    la

    sensation ni

    avec

    la

    conception intellectuelle; mais elle est ou

    la

    possession ou

    la

    modification de l une

    des deux, avec la condition d un temps coul. Il n y a

    pas de

    mmoire

    du

    moment prsent

    dans le moment mme (...]

    l

    n y a que sensation pour le prsent, esprance pour l avenir, et

    memoire pour le pass (1951,

    p.

    65). De ce fait, la notion de distance temporelle est

    inhrente

    l essence

    de la

    mmoire et assure

    la

    distinction

    de

    principe entre mmoire et

    imagination (Ricur, 2000,

    p.

    23).

    La

    mmoire est encore concevable sur

    le

    modle de

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    17/110

    16

    l'empreinte:

    la

    perception ralise comme

    une

    peinture dans l'me,

    la

    mmoire est

    la

    permanence

    de

    cette peinture. Cependant, Aristote disjoint

    la

    mmoire

    de la

    rminiscence

    (acte de

    remmoration) et remarque que cette dernire est un processus psychologique

    qui

    se

    distingue du simple procd de l'emmagasinage dans la mmoire. Cette distinction entre

    mnm et onomnsis peut, selon RicUl , se traduire par la diffrence entre

    l'vocation

    simple [du souvenir] et l'effort de rappel (2000, p. 23) tablie plus tard par Bergson

    J

    .

    Dans l'essai Malire el Mmoire, Henri Bergson (1939) tablit le rapport entre

    l'esprit et la matire partir de l'exemple de la mmoire, en plaant le souvenir

    au

    point

    d'intersection. l distingue alors la mmoire-habitude et la mmoire pure.

    La

    mmoire-habitude est

    de

    nature essentiellement

    sensori-motrice,

    bien

    situe dans

    le

    corps;

    c'est une mmoire de conservation des impressions passes

    qui

    influent sur notre

    comportement sous forme d'automatismes (par exemple, rouler bicyclette).

    La

    mmoire

    pure, par ailleurs, est d'essence spirituelle, situe plutt dans

    la

    conscience, et donc autonome

    du corps. Elle est seule capable

    de

    restituer

    les

    tats

    de

    notre pass sous forme de souvenirs

    prcis et situs.

    La

    mmoire pure est elle-mme compose

    cie

    trois lments:

    le

    souvenir

    pur,

    le

    souvenir-image et

    la

    perception

    Le

    souvenir-image sert relier

    le

    souvenir

    pur et

    la

    perception qui sont

    de

    nature oppose.

    Bergson s'est videmment intress

    la

    problmatique

    du

    temps, particulirement

    celle de la dure. Suivant l'exemple de la leon apprise par cur

    qui

    relve de la mmoire

    habitude, Bergson observe qu'elle

    fait partie [du] prsent au mme titre que l' habitude 'de

    marcher

    ou

    d crire; elle est vcue, elle est agie , plutt qu'elle n'est reprsente (1939,

    p. 227). Alors que

    le

    souvenir d'une leon en paliiculier relevant de

    la

    mmoire pure est

    une reprsentation, et une reprsentation seulement (1939, p.226) puisque, en tant

    qu'vnement dat

    et

    forcment pass,

    l ne

    peut que se rpter. Ainsi,

    la

    mmoire

    qui

    rpte, s'oppose une mmoire qui imagine.: Pour voquer le pass sous forme d'images, l

    faut pouvoir s'abstraire

    de

    l'action prsente [

    ...

    ]

    l

    faut vouloir rver (1939,

    p.

    228).

    Par ailleurs, selon la lecture de Gilles Deleuze des principales thses bergsoniennes

    sur

    le

    temps,

    le

    pass coexiste avec

    le

    prsent qu'il a

    t; le

    pass se conserve en soi,

    L emploi

    du

    terme

    rminiscence

    dans

    le

    prsent mmoirc s cntendra surtout

    dans son

    sens

    le

    plus usuel d un

    souvenir vague. imprcis.

    o

    domine la tonalit affective)}

    Dictionnaire

    e

    petit Robert,

    1993. p 2155).

    c est--dire comme synonyme dc trace mnsique.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    18/110

    17

    comme pass en gnral (non-chronologique);

    le

    temps se ddouble

    chaque instant en

    pl sent et pass,

    pl sent qui

    passe et pass

    qui

    se conserve (1985, p. 1

    10). En

    outre, si

    Bergson a considr la dure comme tant subjective et constituante de la vie intrieure, ses

    rflexions l ont ensuite amen poser le temps comme ce dans quoi nous vivons. C es t

    paltir de ces travaux, eux-mmes hritiers de la tl adition aristotlicienne, que Deleuze a par

    la suite labor ses thories SUI l image cristalline et l image-temps, prcisant qu il y a dans

    l image-temps coexistence du pass, du prsent et mme du futul . l s agit d un pass qui

    n est pas saisi par rappolt

    au

    prsent en fonction duquel il est pass, mais qui est saisi par

    rapport au

    prsent qu il a t.

    2.2

    Le

    souvenir et

    la

    remmoration

    En ce qui concerne la restitution des informations ou autrement appele remmo

    ration, celle-ci est facilite par des indices de rcupration externes verbaux, visuels et des

    repres chronologiques.

    Le

    processus

    de

    rappel inclut

    le

    souvenir comme objet (substantif) et

    comme action (verbe pronominal)

    au

    caractre toujours objectal, puisque l on se souvient de

    quelque chose

    ou de

    quelqu un. Bergson, dans L nergie spirituelle (1959), fait

    la

    distinction

    entre deux formes de rappel, soit

    le

    rappel instantan (vocation simple, spontane) et

    le

    rappel laborieux (effort de rappel). Dans

    le

    prem

    ier

    cas,

    le

    travai 1 de recherche du

    souvenir est nul, au

    sens

    o

    le

    souvenir-image est immdiat et relve plutt de

    la

    mmoire

    habitude, alors que dans

    le

    second,

    le

    travail

    de

    recherche requiert

    un

    effort d ordre

    intellectuel. Bergson propose un modle partir

    de la

    notion de plans

    de

    conscience et de

    l image,

    qui

    vise dpartager

    la

    part d automatisme et celle

    de

    rflexion, entendue comme

    une reconstitution intelligente. Bergson affirme que

    le

    sentiment de l effort d intellection se

    produit sur

    le

    trajet

    du

    schma

    l image (1959, p. 95).

    Ce

    schma consiste en

    une

    attente

    d images, en une attitude intellectuelle destine [

    ...

    ]

    prparer l arrive d une certaine image

    prcise, comme dans le cas de la mmoire (1959, p. 101).

    Par ailleurs, il est un autre type de remmoration, que Marcel Proust a qualifi de

    mmoire involontaire. L crivain affirme que son uvre est domine par la distinction entre

    la mmoire involontaire et la mmoire volontaire. l ajoute que cette distinction ne figure pas

    dans la philosophie de Henri Bergson et que, de surcrot, elle serait mme contredite par

    celle-ci. Quoi qu elle ne soit pas aussi pleinement loigne du rappel instantan que

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    19/110

    8

    l envisage j crivain, l exprience d une opration involontaire de la mmoire se caractrise

    par

    une

    image-souvenir dclenche subitement par

    un

    lment sensitif.

    Ainsi

    troitement

    associe

    la

    sensation, la mmoire involontaire chappe l intention comme la raison.

    C est pourquoi Proust l oppose radicalement la mmoire de l intelligence qui, selon lui ne

    peut rien conserver du pass.

    Enfin, la recherche du souvenir conue comme un effort peut aussi supposer une lutte

    contre l oubli. une chelle collective, elle est associe au devoir de mmoire.

    2.3 La notion de trace et l oubli

    Comme plusieurs thoriciens, Paul Ricur distingue le souvenir

    de

    la trace.

    Son

    essai intitul Mmoire histoire oubli (2000)

    se

    prsente comme une imposante rflexion tout

    la fois phnomnologique, pistmologique et hermneutique sur la mmoire et son rapport

    l Histoire, autrement dit sur l homme et son rappoli au pass. Divis

    en

    trois grands

    thmes, cet ouvrage passe chaque fois

    en

    revue

    les

    grands penseurs des sujets traits tout en

    tayant ses propres hypothses.

    La prem ire

    partie met

    en lum ire la

    mmoire et

    les

    diffrents phnomnes mnmoniques, et s labore partir

    de

    la notion

    de

    la trace,

    de

    l empreinte hrite de la tradition grecque,

    en

    passant par le travail de rappel et le deuil. La

    deuxime paliie est consacre

    l aspect historique,

    au

    devoir de mmoire, et traite, entre

    autres choses, de la problmatique

    de

    la mmoire archive,

    de la

    trace documentaire et

    du

    tmoignage. Enfin,

    la

    dernire partie se prsente comme une mditation sur l oubli et

    le

    pardon dans

    une

    perspective historique.

    Ricur recense trois sortes de traces et deux fonnes principales d oubli:

    premirement {

    la

    trace crite,

    qui

    est devenue au plan de l opration historiographique trace

    documentaire (2000,

    p.

    539), laquelle est

    en

    fait matrielle et forcment externe. celle-ci

    nous adjoignons l ide

    de la

    trace filmique (image d archive).

    Sa

    nature tangible l expose

    l altration, voire la destruction qui peut s apparenter un oubli profond par effacement

    de

    traces - correspondant l une des deux formes d oubli. Paradoxalement, { c est, entre autres

    finalits, pour conjurer cette menace de l effacement que l archive est institue (2000,

    p.539). Deuximement, il y a { la trace psychique, qu on peut appeler impression plutt

    qu empreinte, impression au sens d affection, laisse en

    nous

    par un vnement marquant

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    20/110

    19

    (2000,

    p

    539), galement appele

    trace mnsique

    4

    en

    psychanalyse.

    Ce

    type

    de

    trace

    intime, contrairement

    au

    prcdent, n est thoriquement jamais appel

    disparatre

    totalement,

    mais

    devient plutt provisoirement inaccessible.

    Mme

    lorsque

    la

    trace semble

    perdue, elle est susceptible

    de se

    manifester

    nouveau

    la

    conscience

    tout moment par jeu

    d association

    ou par

    reconnaissance sensitive d

    ind ices du

    pass. Ricur parle alors de

    persistance des traces (2000,

    p

    554),

    ce qui

    est,

    par

    consquent,

    rapprocher d un oubli

    de

    rserve, correspondant

    la

    seconde forme d oubli. Troisimement, Ricur mentionne

    la

    trace crbrale, corticale, dont traitent

    les

    neurosciences (2000.

    p

    539), mais

    qui

    sera de

    peu

    d utilit dans le cadre

    de

    notre tude. Comme Bergson, Ricur n oppose pas

    radicalement

    la

    mmoire l oubli, mais envisage l oubli comme une des conditions

    de

    la

    mmoir:e: l oubli dfinitif [

    ] est

    vcu

    comme

    une

    menace [

    ] c est contre cet oubli-l

    que nous faisons uvre

    de

    mmoire (2000,

    p

    552).

    La fine distinction existant entre

    le

    souvenir

    et la

    trace se rvle probante dans

    le

    cas

    de la

    trace mnsique, dans

    son

    acception psychanalytique.

    Dans la vie

    psychique, l oubli

    dfinitif est tlne thse rfute: mme lorsqu il y a oubli,

    il

    y a persistance de traces. Pontalis

    (2001) dmontre que, dans

    le

    cadre d une cure psychanalytique

    o la

    remmoration tient

    une

    place prpondrante,

    ce

    n est

    pas

    sur

    le

    souvenir que porte

    le

    refoulement, mais sur la trace.

    ou

    plus prcisment, comme l explique ensuite Aug, le

    trac trac secret, inconscient, [et

    donc] refoul (1998,

    p

    32). Ainsi, la trace est ce

    qui

    reste dissimul

    derrire le souvenir

    et

    ce qui

    est marquant, signifiant, car elle est signe

    de

    l absence.

    3 Freud

    et

    la

    mmoire

    On trouve, dans la psychanalyse freudienne, plusieurs lments susceptibles

    de

    servir

    l analyse des thmes

    de la

    mmoire et de l oubli dans

    le

    cadre

    du

    prsent mmoire. Prcisons

    d emble que Sigmund Freud

    ne

    s est

    pas

    attard analyser

    le

    processus

    de la

    mmoire, mais

    qu il s est plutt intress

    la

    remmoration d vnements maintenus hors

    du

    champ de

    la

    conscience comme technique employe au cours des sances d analyse.

    l

    a

    de

    plus t

    amen tudier

    le

    phnomne de l oubli en tant que symptme

    lors de

    ses observations sur

    les

    actes manqus, comme

    les

    lapsus

    ou le

    fait d garer frquemment

    un

    mme objet. En

    Cette expression est employe dans son acception psychanalytique. et

    ce

    en opposition Ricur qui

    l emploie dans in contexte neuroscientifiquc.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    21/110

    20

    3.1

    s interrogeant sur les motivations psychiques de ces erl eul s

    , appal emment

    anodines, il a

    saisi qu elles taient fondes sur ( oubli. Non un simple oubli

    ,

    comme on le suppose

    gnralement,

    mais un

    oubli rvlateur et qui a

    bel

    et bien une cause qui

    cherche

    s exprimer

    , si

    l on ose dire.

    Refoulement et refoul

    Selon Freud,

    l essence

    du

    refoulement ne consiste qu en ceci: mettre l cart et

    tenir distance du conscient (1968, p.

    47).

    Le refoulement - l un

    des

    concepts cls

    de

    la

    thorie freudienne, est donc

    un

    processus grce auquel

    un

    acte susceptible de devenir

    conscient [

    ...

    ] devient inconscient.

    Et

    il

    Y a encore refoulement lorsque l acte psychique

    inconscient n est

    mme

    pas admis dans le systme prconscient voisin, la censure l arrtant

    au passage et lui faisant rebrousser chemin. (Freud, 1989, p. 321)

    Plus

    prcisment, le

    refoulement serait le fait qu une reprsentation - un souvenir, une impression - inconciliable

    avec le Moi parce que trop dsagrable, rejoigne le systme inconscient. Devenue alors

    inaccessible - oublie - elle cesse toute volution, mais continue nanmoins dterminer le

    comportement du sujet, influencer

    ses

    penses.

    son

    discours. Maintes causes peuvent tre

    l origine d un refoulement.

    Parmi

    les exemples tudis pal Freud, deux ont retenu notre

    attention: la nvrose de guerre et le deuil.

    Le

    retour du refoul, pour sa

    part,

    se prsente comme l opration contigu au

    refoulement,

    en

    ce sens que la reprsentation

    qui

    est maintenue distance de la conscience

    tend, en dpit du dplaisir gnr, ressurgir sous forme symbolique par le rve, l acte

    manqu, le

    lapsus,

    le

    symptme, etc.

    En

    d autres termes,

    la

    reprsentation refoule ne l est

    jamais compltement.

    Dans

    Lth - Art et critique de l ouNi, Weinrich (1999,

    p. 188)

    assimile volontiers l oubli l inconscient freudien, justifiant sa comparaison par

    le

    fait que

    les

    deux notions - oubli/ et inconscient- appartiennent respectivement la terminologie

    secondaire et principale de

    la

    thorie psychanalytique.

    Ce mme

    rapprochement contribue

    comprendre

    que

    l oubli, ou plus exactement l oubli, puisse tre associ au refoul.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    22/110

    2

    3.2 Rs istance et rptition

    En gnral,

    le

    terme

    rsistance

    traduit l action d une force

    qui

    s oppose

    une

    autre,

    que celle-ci soit physique

    ou

    morale.

    Si ce

    terme s est enrichi de nombreux sens techniques,

    en psychanalyse

    on

    peut

    le

    dfinir comme tant tout ce qui fait obstacle au travail de

    la

    cure,

    qui entrave l accs du sujet sa dtermination inconsciente. Dans

    tudes sur l hystrie

    (1956), Freud relie J origine

    de

    la rsistance l approche de l inconscient lui-mme: les

    souvenirs que la cure rvle sont groups concentriquement autour d un noyau central dit

    pathogne. Au il des sances, lors de l vocation de ses souvenirs, plus le sujet s approche

    de ce noyau, plus la rsistance s intensifie; tout comme si

    une

    force

    de

    rpulsion intervenait

    pour contrarier

    la

    remmoration et rfuter toute interprtation.

    Dans Psychopathologie de la vie quotidienne,

    Freud (1967)

    fait tat de ses dcou

    vertes sur

    la

    rptition

    de

    certains mots pouvant tre interprte comme la manifestation d un

    refoulement.

    Parmi

    les exemples qu il donne,

    on

    trouve celui

    de

    l crivain qui rpte

    un

    mot qu il a dj crit, [qui] montre par

    l

    mme qu il

    lui

    est difficile de se sparer de ce mot,

    que dans

    la phrase

    o

    figure ce mot

    il

    aurait

    pu

    dire davantage, mais qu il a omis de le faire

    (Freud, 1967, p. 103 . Freud classe un tel fait sous l appellation cas de persvration , tra

    duisant en cela l existence d une insistance signifiante, volontaire ou non, dans

    la

    rptition.

    Dans Au-del du principe de plaisir, Freud

    (1989)

    se penche sur

    le

    phnomne de la

    rptition partir

    de

    sujets nvross de guerre. Ces derniers, par l entremise de cauchemars

    ou d actes manqus, rptent une scne traumatisante dont ils souffrent pourtant. Freud

    observe l une insistance

    du

    refoul et sa mise

    en

    acte au-del du principe de plaisir, comme

    si

    les sujets y trouvaient quelque chose de plus fort que le plaisir. Succinctement, le

    principe de plaisir a t dfini par son auteur comme

    un

    principe selon lequel l activit psy

    chique tend viter le dplaisir et procurer le plaisir.

    Il

    relve des pulsions dites

    d autoconservation - que Freud divisera plus tard entre pulsions de vie et pulsions de mort-

    mais doit

    se

    plier aux rgulations du principe de ralit.

    Enfin, dans l article intitul

    Remmoration, rptition

    t

    perlaboration,

    Freud (1953)

    attribue une remarquable importance aux trois facteurs ponymes en faisant de la

    remmoration le vritable but du travail analytique et en considrant le dsir de rptition,

    au

    lieu de

    la

    remmoration, comme un symptme de rsistance qu il faut, comme tel, viter.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    23/110

    3.3 Le travai 1du deu i1

    La notion de travail

    du

    deui 1est introduite pour la premire fois en 1915 par Freud

    dans

    un

    article intitul

    Deuil et mlancolie

    Aprs l laboration de

    sa

    thorie sur le rve,

    le

    deuil constitue pour Freud une voie suivre dans le but de comprendre l essence de

    la

    m-

    lancolie

    en

    la comparant avec l affect normal

    du

    deuil (1968, p. 145 .

    Le

    deuil y est

    compris comme

    un

    phnomne normal qui survient la suite de la disparition d un objet

    d amour, qu il s agisse d un individu ou d une abstraction mise sa place,

    la

    patrie, la

    libert,

    un

    idal, etc. (1968, p. 146 . Freud tablit une gradation entre

    le

    deuil normal,

    le

    deuil pathologique et

    la

    mlancolie.

    rebours, en tant que pathologie grave,

    la

    mlancolie est caractrise par

    une

    dpression profondment douloureuse, une suspension de l intrt pour le monde extrieur,

    la

    perte

    de

    la capacit d aimer, l inhibition

    de

    toute activit et la diminution du sentiment

    d estime qui

    se

    manifeste

    en

    des auto-reproches et des auto-injures et va

    jusqu

    l attente

    dlirante du chtiment (1968, p. 146), et mme la tentative de suicide. Lorsque le deuil

    conduit

    un

    tat de dpression grave, les caractristiques, une fois compares, ressemblent

    point par point celles de

    la

    mlancolie; la diffrence relevant alors du fait que, dans

    le

    cas

    du deuil pathologique (ou mlancolique),

    la

    perte originelle est relle alors qu elle ne l est

    pas

    en

    ce qui concerne

    la

    mlancolie.

    En

    outre, dans

    le

    cas d un deuil normal, certains des

    symptmes sont observables l exception de l autodprciation, des penses punitives et

    suicidaires.

    En

    d autres termes,

    il

    n y a alors

    pas

    d appauvrissement du

    Moi,

    ce qui permet au

    travail

    du

    deuil de s accomplir progressivement, aprs

    un

    dlai relativement raisonnable.

    L essentiel

    du

    travail du deuil est reprsent par

    le

    dtachement douloureux des liens

    avec le dfunt. Selon Freud,

    le

    Moi sert de mdiateur entre les pulsions internes du sujet et la

    ralit du monde extrieur; il est

    le

    sige des mcanismes de dfense inconscients labors

    pour se protger contre l angoisse. Ainsi, c est

    son niveau que s opre

    le

    travail du deuil,

    pendant lequel le Moi est totalement absorb. Les tapes du travail d un deuil normal peuvent

    se schmatiser ainsi : choc - dni: rbellion, rsistance - dpression - adaptation. Il y a

    achvement du travail du deuil lorsque Le Moi [...] redevient libre et sans inhibitions

    (1968, p. 148), c est--dire lorsqu il y a nouveau investissement

    de

    la libido dans un objet

    une personne

    ou

    une activit - signifiant que le sujet se tourne dsonnais vers l avenir.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    24/110

    23

    Toutefois, lors d un deuil pathologique, l ambivalence du sujet l gard de l objet

    d amour perdu le fait se sentir coupable de sa disparition et modifie le deuil en le diffrant

    ou

    en allongeant sa dure. Lorsque le sujet vit la phase

    de

    rbellion si intensment qu il en vient

    se dtourner de la ralit et maintenir l objet par une psychose hallucinatoire de dsir [si

    bien que] l existence de l objet perdu se poursuit psychiquement (1968, p. 148 - malgr le

    dplaisir et la douleur engendrs - les tapes de dni et de dpression sont alors beaucoup

    plus longues et intenses. Le dsinvestissement

    de

    l objet perdu semble impossible, car le

    sujet ne parvient pas, aprs une priode raisonnable, confronter

    ses

    souvenirs au dcret de

    la ral

    it.

    Le sujet reste,

    au

    contraire, dans la remmoration, accordant ainsi une manire de

    survie

    son

    objet d amour. De plus, comme dans le cas

    de

    la mlancolie,

    on

    observe une

    nette diminution

    du

    sentiment d estime

    de soi qui se

    traduit souvent par

    une

    insomnie, un

    refus de nourriture et [...]

    la

    dfaite de la pulsion

    qui

    oblige tout vivant tenir bon la vie

    (1968,

    p. 150 .

    Le

    rapport 1iant

    deu

    1et mmoire

    se

    caractrise par la remmoration. La remmora

    tion seule n est toutefois pas suffisante, puisqu elle ne vise qu faire revivre le pass, en

    maintenant psychiquement prsent l objet perdu. Pour que le travail du deuil puisse s ac

    complir, l est ncessaire que chaque souvenir soit associ l ide de la disparition. Ainsi, la

    fin du travail du deuil normal n aboutit pas

    un

    oubli total, mais plutt un oubli affectif. Ce

    qui

    est oubli, attnu,

    ce

    n est

    pas

    l objet, autrement dit les souvenirs, mais la douleur

    qui

    lui

    est associe,

    bien

    qu 1subsistera toujours une trace des

    bou

    leversements vcus lors du

    deu

    i

    1

    3.4

    Le bloc-notes magique

    En

    1925,

    Freud tablit une analogie entre l appareil perceptif psychique et un jouet

    appel le bloc notes magique. Il s agit d un petit instrument compos

    de

    trois feuillets sur

    lequel on trace les notes l aide d un style, notes que l on peut effacer simplement

    en

    soulevant

    la

    couche

    de

    cellulod suprieure.

    Or, en

    sparant cette couche

    du

    feuillet cir,

    on

    s aperoit que, la faveur d un clairage particulier, les notes y sont encore visibles. Partant

    du principe que l appareil psychique

    a une capacit indfinie de recevoir des perceptions

    toujours nouvelles et pourtant [qu ]il en fournit des traces mnsiques durables, mme si elles

    ne

    sont

    pas

    inaltrables (1985,

    p.

    120 ,

    Freud

    constate que

    ni

    la feuille de papier

    ni

    le

    tableau d ardoise

    ne

    constituent des dispositifs aptes rellement aider notre mmoire, la

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    25/110

    24

    4.1

    surface du premier puisant

    bientt sa capacit de rception , alors que si

    la

    surface du

    second

    reste indfiniment capable

    de

    rception (1985,

    p. J

    21)

    L ne

    fois

    les

    donnes

    effaces, il prsente l inconvnient d une destruction totale de la trace. Par contre, le bloc

    notes magique s apparente

    la

    double fonction de l appareil psychique puisque non

    seulement il fournit une surface rceptrice toujours rutilisable [

    ...

    ] mais aussi des traces

    durables de l inscription (1985, p. 121 .

    4. La dialectique de la mmoire et

    de

    l oubli dans Hiroshima mon amour

    L une des vises

    du

    prsent mmoire tant de mettre

    en

    lumire

    les

    procds

    cinmatographiques aptes reprsenter

    le

    processus de remmoration et, dans une moindre

    mesure,

    la

    transmission de la mmoire, nous aborderons maintenant plusieurs lments

    thoriques retraant le parcours de l image cinmatographique eu gard

    au

    devoir de

    mmoire en gnral, suivis d un rsum de quelques tudes sur Hiroshima mon amour qui

    ont galement mis en valeur la dialectique de

    la

    mmoire et de l oubli.

    L image cinmatographique et la mmoire

    Depuis

    les dbuts du cinma et surtout depuis Citizen Kane d Orson Wells (1940), on

    a constat que

    le

    cinma entretenait

    un

    rapport privilgi avec

    la

    mmoire:

    L histoire et la remmoration des vnements allaient ainsi dlaisser l ordre exclusif

    du langage qui leur servait jusque-l d unique vhicule pour s instrumentaliser et

    devenir une ralit optique [... ]

    la

    bibliothque,

    o

    toute

    la

    mmoire

    du mondeS

    se

    concentre, allait voir

    son

    empire archivistique morcel par

    les

    photothques,

    cinmathques, vidothques. (Bdard)

    Alexandre Tylski en precIse mme l origine plus lointaine: Au commencement

    tait l ombre. L imago princeps. Une jeune femme veut garder en mmoire son amoureux et

    dessine alors

    la

    silhouette

    de

    celui-ci grce

    son

    ombre. [... ]

    De

    ce subjectile marqu

    la

    craie dcoulerait l art de la reprsentation,

    la

    peinture, le cinma. (2001) Dj avec

    l invention de la photograph

    ie,

    l image avait rompu avec son statut exclusi f de reprsentation

    pour devenir, dans sa fixit, miroir mmoire , comme

    on

    se plaisait qualifier les

    daguerrotypes

    au

    dbut du XIX

    e

    sicle. Andr Bazin, dans Ontologie

    de

    l image

    Taule a mmoire du monde

    est galement le titre d un documentaire

    d Alain

    Resnais et Chris Marker datant

    de

    1956

    et portant sur la Bibliothque Nationale, Paris

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    26/110

    2S

    photographique

    fait tat d une comparaison entre

    les

    arts visuels que sont

    la

    peinture, la

    photographie et

    le

    cinma et dmontre que ces deux derniers sont des dcouvertes qu i

    satisfont dfinitivement et dans son essence mme l obsession du ralisme (1987, p. 12).

    En effet, contrairement la peinture

    o

    le travail de l homme est ncessaire pour reprsenter

    la ral it,

    avec

    la

    photographie et plus tard

    le

    cinma,

    on

    assiste

    une

    reproduction

    mcanique

    o

    l intervention crative

    de

    l homme est, pour

    la

    premire fois dans l histoire de

    l art, exclue.

    En

    effet,

    si

    l homme intervient dans

    le

    choix, l orientation et

    la

    pdagogie du

    sujet photographi

    ou

    film,

    il ne lui

    appartient pas

    de

    produire l image.

    Il

    en dcoule

    un

    bouleversement de

    la

    psychologie de l image et

    de

    sa crdibilit

    :

    Quelles que soient les

    objections de notre esprit critique nous sommes obligs

    de

    croire l existence de l objet

    reprsent [

    ...

    ] c est--dire rendu prsent dans

    le

    temps et dans l espace (1987, p.

    13 .

    De

    surcrot, l image cinmatographique, caractrise par

    le

    mouvement,

    ne

    se contente plus

    d tre prsence de vies arrtes comme la photographie, mais devient aussi image de leur

    dure. Poursuivant l analogie, Bazin crit:

    La

    photographie

    [00 ] n a

    pas

    le

    pouvoir

    du

    film,

    elle

    ne

    peut reprsenter qu un agonisant

    ou un

    condamn,

    non

    point

    le

    passage insaisissable

    de l un l autre (1987, p. 69-70).

    La

    photographie et

    le

    cinma se sont donc imposs comme deux techniques d enre

    gistrement qui, en apparence, recrent

    les

    conditions d une nouvelle mmoire arpentant

    le

    monde par

    le

    regard, supplant aux visions vagues et incertaines des images mentales qui se

    fonnent dans

    le

    souvenir, celles des images prleves directement sur

    le

    rel. Ces instants

    fixs sont ds lors perus comme autant de moments rescaps

    de

    l oubli. (Bdard)

    Toutefois, grce

    cette caractristique propre qui

    lui

    permet de saisir

    la

    vie

    en

    mouvement,

    dans son immdiatet,

    le

    cinma matrialise

    en

    quelque sorte

    le

    passage

    du

    temps. Non

    seulement permet-il de se faire mmoire du monde en montrant

    les

    changements

    qui

    animent

    le

    monde

    au

    lieu

    de

    n en montrer que

    [es

    tats - comme

    la

    photographie -, mais

    il

    donne

    voir les traces

    du

    pass dans

    un

    prsent apparemment permanent.

    Le

    document [cinmato

    graphique] est une trace laisse par

    le

    pass dans

    le

    prsent. Sa dimension est donc double:

    il

    est

    effet

    produit par ce

    qui

    s est pass et il devient

    signe

    d un pass absent. (Osterero,

    1991, p. 93) Dans

    un

    esprit de continuit faisant cho

    au

    mythe d immortalisation,

    le

    cinma

    a donc subverti l image ptrifie qu tait la photographie en un souvenir vivant,

    dynamique et constamment actualis

    du

    simple fait que l image - mme tmoin

    du

    pass

    est toujours le prsent du spectateur.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

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    26

    Le

    film peut donc apprhender le monde

    en

    l enregistrant, l archiver

    en

    conservant

    des

    traces visuelles et sonores et organiser celles-ci

    pour

    les restituer ultrieurement aux

    spectateurs. Ces proprits rappellent la dfinition qui a t donne de la mmoire. Cette

    analogie, mettant l accent sur les processus

    de

    mmorisation et

    de

    remmoration par les

    codes sensitifs visuels et sonores, induit l ide selon laquelle le cinma est le mdium ayant

    le mieux pris

    en

    charge la mmoire. Et parce

    que

    ses fonctions le rendent apte transmettre

    des souvenirs d vnements passs, le film pourrait aussi prtendre devenir un lieu de

    mmoire, comparable d autres lieux commmoratifs comme les monuments historiques, les

    muses, etc. Toutefois, si la fonction rfrentielle l Histoire inhrente aux lieux

    commmoratifs traditionnels est strictement symbolique, la reprsentation de la mmoire

    dans

    le

    cinma est toujours concrte (Weber).

    Pour sa part, dans Le signifiant imaginaire, Christian Metz dmontre que

    si

    l activit

    de

    perception est

    plus

    relle

    au

    cinma que dans beaucoup d autres moyens d expression

    artistique, ce qui est

    peru

    n est pas l objet lui-mme,

    mais

    une rplique. Ainsi, le signifiant

    du cinma est avant tout imaginaire.

    l instar d Andr Bazin, Jacques Aumont, Jean-Pierre

    Esquenazi et Edgar Morin, Metz s est attard tudier l art cinmatographique du point de

    vue

    du

    spectateur, donc

    en

    termes de rception. On

    lui

    doit, entre autres, la notion d identi

    fication qui, emprunte l tude psychanalytique du stade du miroir, permet d expliquer

    pourquoi et comment

    un

    spectateur parvient

    suivre un

    film projet sur

    un

    cran. Metz

    compare l cran, et mme

    le film

    un miroir qui rflchit

    une

    rplique du

    rel

    sans pourtant

    jamais renvoyer le double du corps du spectateur. D emble, il conoit donc la place

    qu occupe le spectateur du film non seulement par rapport au reflet d une image Sur un cran,

    mais par rapport

    au

    regard. C est--dire l aptitude d un spectateur voir u film, acte plus

    complexe qu il n y parat, car il induit les notions d imaginaire,

    de

    rel et

    de

    symbolique.

    Succinctement, deux types d identifications spectatorielles entrent

    en

    jeu lors d une projec

    tion

    filmique: l identification primaire qui concerne l incorporation

    du

    point de vue visuel et

    met

    le

    spectateur

    en lieu et

    place

    de

    la

    camra, et l identification secondaire

    qui

    a

    lieu par

    rapport aux personnages.

    Le

    spectateur, en somme, s identifie lui-mme

    [...]

    comme

    pur

    acte de perception: comme condition de possibilit du peru et donc comme une sorte de

    sujet transcendantal. (Metz,

    1984 p.

    69)

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    28/110

    27

    Pour comprendre le film,

    le

    spectateur doit avoir vcu l exprience

    du

    miroir;

    l lui

    faut percevoir l image projete (mise

    en

    reflet) comme absente, sa reprsentation comme

    prsente et la prsence de cette absence comme signifiante}) (Metz, 1972, p. 80). Le spec

    tateur doit symboliquement se prendre pour

    le

    personnage. L image cinmatographique

    relve ainsi de

    la

    projection

    du

    rel, dgageant une impression

    de

    ralit}) (Metz, 1972,

    p.

    13

    laquelle le spectateur peut se rfrer plutt que la ralit elle-mme. Cette action

    rfrentielle est commune avec l acte

    de

    remmoration, justement parce que, mme

    SI

    l image

    du

    souvenir est rellement perue dans l instant, tout sujet est conscient

    de

    la

    distance avec

    la

    ralit.

    Dans

    un

    chapitre intitul

    L esprit du spectateur et son corps,

    Esquenazi (1994)

    poursuit

    la

    rflexion sur

    la

    perception du cinma par

    le

    spectateur amorce par Andr Bazin.

    Il labore l analogie entre mmoire et cinma en prcisant l importance du cadre-espace et du

    cadre-temps, et en introduisant

    les

    notions de corps imaginaire et

    de

    dure. L image

    cinmatographique, projete sur

    un

    cran, se caractrise par le

    mouvement

    de la

    matire

    lumire sonore (1994,

    p.

    97 : elle est,

    en

    outre, l empreinte d une certaine dure et se

    trouve isole par

    les

    limites

    de son

    cadre. Selon Esquenazi,

    le

    cadre se dfinit comme ce

    qui

    tablit et ce qui circonscrit la perception du spectateur. Autrement dit, l image-mouvement

    du film est toujours cadre la

    fois

    spatialement et temporellement (1994, p. 100).

    Si

    le spectateur,

    il

    va sans dire, se situe toujours l extrieur

    du

    film,

    l

    s agit pour

    Esquenazi de prciser

    la

    position qu il occupe rellement afin que l adhsion au systme

    perceptif

    du

    film ait

    lieu.

    Si, tout comme Christian Metz,

    l

    situe

    le

    spectateur hors-cadre,

    il

    prcise qu il

    ne

    s agit que

    de

    sa corporit et

    de

    son aptitude intervenir dans

    le

    film, alors

    que

    le

    spectateur en tant que systme percevant et interprtatif

    est

    l intrieur de l horizon

    perceptif}) (1994,

    p.

    102 du film. Esquenazi va plus loin que Christian Metz et propose que

    le spectateur doit alors oubl ier son propre corps et adopter un corps imaginaire, celui que

    le

    film propose. En effet, sa thorie se construit non plus partir de l identification, mais sur la

    notion de reconnaissance corporelle et attentive emprunte aux travaux de Henri Bergson. La

    reconnaissance corporelle consiste

    s adapter, dans l instant,

    la proposition corporelle faite

    par

    le

    film. Le corps bascule pour devenir

    le

    corps qu exige

    la

    situation. Quant au deuxime

    type de reconnaissance, il s agit d laborer

    le

    sens,

    de

    construire

    la

    srie mmorielle.

    Comprendre un film, c est donc explorer le corps imaginaire que le film offre.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    29/110

    28

    Si

    le

    lien qui

    unit spectateur et

    film

    peut tre constituant d une mmoire dans le sens

    o

    le

    film

    propose

    au

    spectateur la possibilit

    de se

    rappeler, lorsque l image

    se fait

    archive,

    l

    s agit toujours

    de

    souvenirs emprunts,

    de

    perceptions d vnements

    qui

    n ont

    pas

    t

    vcus par

    les spectateurs. Devant les films documentaires

    de

    cet ordre, les spectateurs

    deviennent tmoins oculaires [d images] filmes par un tmoin oculaire (Balazs, 1977,

    p.

    197).

    C est gnralement ce que les historiens reprochent au cinma, et l une des raisons

    pour lesquelles

    ils

    se mfient de son utilisation des fins historiographiques.

    En

    ce sens, les

    actualits sont l indice des limites

    du

    cinma. [00 ] ces images n auront aucune valeur

    documentaire pour les historiens (Balazs,

    1977,

    p.

    197)

    puisque, d une part, elles

    ne

    leur

    apprendront

    rien

    sur les vnements historiquement dcisifs (Balazs,

    1977, p. 197)

    et,

    d autre part, parce qu elles relvent d une construction absolument subjective: celle de

    l individu qui filme (Balazs, 1977,

    p.

    203). De plus,

    la

    distanciation temporelle ncessaire

    l existence

    de

    la trace mmorielle comme telle fait dfaut au spectateur qui, comme il a t

    expliqu, fait l exprience

    du

    visionnage filmique dans l instantanit. En effet, Ricur

    (2000) explique que pour qu une trace mmorielle puisse se constituer

    l

    faut que sa

    substance appartienne

    au

    pass, que

    du

    temps puisse s couler entre

    le

    moment

    o le

    processus

    de

    mmorisation s effectue et celui

    o

    aura lieu

    la

    remmoration.

    En

    outre, comme l voque Marie-France Osterero dans son analyse du

    film

    Shoah de

    Claude Lanzmann,

    la

    trace est toujours un

    reste

    et son image l cran,

    une

    prsence. Ce

    que toute trace montre, c est ce

    qui

    n a

    pas

    disparu.

    Le

    problme

    de la

    trace rejoint celui de

    l image;

    ni

    l une,

    ni

    l autre

    ne

    peuvent signifier ce

    qui

    n est

    pas.

    (1991,

    p.

    95) Ainsi, selon

    l auteure,

    si l image cinmatographique est toute dsigne pour montrer

    le

    processus et

    le

    rsultat

    de

    l acte

    de

    remmoration, elle n est

    pas

    apte,

    de

    par sa nature mme,

    reprsenter

    une manifestation concrte de l oubli, puisque celui-ci est justement caractris par

    l effacement

    de la

    trace. Seuls le silence

    et

    l abolition

    de

    toute trace peuvent tmoigner de

    la dimension

    de

    l effacement. (1991,

    p.

    96) Ainsi, quelques rares procds cinmatogra

    phiques, comme une totale suppression de bruits et

    les

    fondus

    au

    noir, parviennent exprimer

    par l absence un

    tel

    tat vid

    de

    sa substance - expression emprunte Carlier (1994)

    dans

    un

    autre contexte -

    qui

    suggre l oubli.

    Le

    recours

    de tels procds,

    on le

    comprend

    aisment,

    ne

    peut tre que parcimonieux; et l

    o, en

    quelque sorte, le cinma fait

    face

    un

    cueil,

    la

    littrature en tant que matrialisation d une pense toute langagire parvient

    djouer la difficult que suppose

    la

    reprsentation par l crit.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

    30/110

    29

    Enfin, en ce qui concerne

    la

    capacit du cinma tmoigner, dans son article intitul

    L uvre d art l poque de sa reproduction mcanise

    ,

    Walter Benjamin (1970) explique

    que

    le

    dveloppement technique des nouvelles formes d art comme

    la

    photographie et le

    cinma permet la reproduction infinie de l art qui perd ainsi

    son

    caractre sacr,

    son

    aura

    ,

    le hic et nunc de l original

    se

    trouvant dprcis. Cette notion d aura comprend l authenticit,

    la

    dure matrielle tout autant que

    son

    pouvoir de tmoignage historique. Ce tmoignage,

    reposant sur la matrialit, se voit remis

    en

    question par

    la

    reproduction, d o toute

    matrialit s est retire. Sans doute seul ce tmoignage est-il atteint, mais

    en lui

    l autorit de

    la chose et son poids traditionnel. (1970, p 711) En revanche, l art ainsi reproductible

    devient plus accessible.

    son importance esthtique s ajoute une dimension politique, une

    fonction sociale; l art peut devenir proprit des masses, ce qui octroie au spectateur une

    nouvelle responsabilit, celle

    de juger

    titre individuel de l authenticit d une uvre.

    4.2 L tude de la mmoire dans iroshima mon amour

    Si

    le

    Comit du Festival de Cannes

    de

    1959 refuse

    de

    prsenter HMA pour des

    raisons diplomatiques

    6

    , la Commission de slection accepte cependant d en faire la projection

    hors comptition.

    Et

    ds

    sa

    sortie en salles,

    le

    film connat

    un

    succs commercial immdiat,

    de mme qu il provoque de vives ractions souvent polmiques de

    la

    part de la presse crite.

    Pourtant, quatre dcennies plus tard,

    HMA

    suscite encore l admiration du public et est devenu

    une uvre tudie

    l chelle internationale.

    Parmi les nombreuses tudes consacres la dialectique de

    la

    mmoire et de l oubli

    dans HMA celle de Christophe Carlier (1994) propose que le thme de la mmoire est

    le

    fil

    conducteur reliant les cinq parties du scnario. La premire partie serait domine par

    un

    chec de la mmoire historique au sens o celle-ci relve de souvenirs appris et fabriqus; la

    deuxime partie met l accent sur

    la

    mmoire individuelle et sur la rminiscence involontaire;

    dans la troisime partie,

    il

    y aurait une fois encore dnonciation

    du

    mensonge de la mmoire

    historique qui s effacerait dfinitivement

    au

    profit de

    la

    mmoire intime, mise nue dans

    la

    quatrime partie sous la forme d un entretien psychanalytique, au cours duquel le pass

    ar crainte que les tats-Unis n en soit choque. Il

    est

    noler que trois

    ans

    auparavant, le documentaire

    de

    Resnais Nuit et brouillardavait essuy un refus similaire par crainte

    de

    protestation

    de

    la part

    de

    l Allemagne.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

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    30

    effacerait le prsent; la cinquime partie serait marque par le souvenir prenant la place du

    prsent comme celle de l avenir, traduisant une impossibilit d chapper au pass.

    Auparavant, Jean-Louis

    Bory

    (1963) a prsent HMA comme

    une

    uvre en rsis

    tance la dsintgration matrielle et l oubli, ce dernier tant considr comme le pendant

    psychologique

    de

    la destruction physique. Marie-Claire Ropars-Wuilleumier a rdig

    plusieurs articles et essais sur HMA Selon celle-ci, la rptition y fait figure de chant,

    d incantation qui rend compte d une obsession du temps, celui

    qui

    mne au

    souvenir comme

    l oubli. Elle singularise les noncs visuels de l nonciation vocale ainsi: l image comme

    la parole ou plutt la voix constituent deux variations sur un

    mme

    thme (1970,

    p.

    20). De

    son

    analyse ressort galement

    une

    critique

    de

    l acte

    de

    voir;

    si

    par

    la

    voix

    le

    sujet affirme

    avoir

    vu

    le travail de l image dnie l nonc en plus d insrer la ngation dans la v s o -

    de

    la vision (1990,

    p.

    39).

    Bernard Pingaud (1962) a

    lui

    aussi labor une tude

    du

    temps dans HMA et

    mis

    en

    vidence

    une

    confusion temporelle base sur l entremlement de deux prsents, l un objectif

    et l autre subjectif. Le temps objectif serait celui du pass dont on a connaissance et qui est

    explicatif, alors

    que

    le temps subjectif serait celui du prsent dont on a conscience relevant

    de

    la perception, donc de la mmoire. Enfin, l essai de Jean-Louis Leutrat (1994) se prsente

    comme

    une

    synthse

    des

    analyses de l uvre.

    Sa

    propre critique porte davantage sur

    les

    procds filmiques et dgage la thmatique dominante comme tant, l encore, une

    interpntration

    des

    temporalits. S il y a remonte

    des

    souvenirs, celle-ci ne vise aucune

    explication ni

    mme

    une rsolution en finale.

    Malgr

    que

    certaines conclusions issues

    de ces

    tudes

    se

    trouveront infirmes

    au

    cours de notre analyse, la plupart ont, bien entendu, permis d enrichir celle-ci. Ainsi, la

    thmatique d une mmoire rompue l oubli, la problmatique de la subjectivit et de l acte de

    voir, tout comme la question de l interpntration

    des

    temporalits seront amplement reprises

    et discutes

    en lien

    avec notre propre hypothse.

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

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    DEUXIME CHAPITRE

    LA MATRIALIT DU TEXTE DE MARGUERITE DURAS

    Nous commenons

    par

    l tude

    de

    la

    matrialit

    du

    texte

    de

    Marguerite Duras.

    Deux

    raisons prsident

    ce

    choix,

    ce qui

    ne

    constitue

    en rien une

    prise de position quant

    la

    prpondrance d une matrialit sur l autre. D une part, l criture

    du

    scnario prexiste

    sa

    ralisation cinmatographique; d autre part, l oubli devance naturellement

    la

    remmoration,

    car afin d tre retrouve,

    une

    impression doit d abord avoir t

    perdue

    . l

    est donc indiqu

    d aborder

    la

    question

    de

    l oubli avant d entreprendre l examen

    du

    travail

    de

    rappel. Selon

    notre hypothse,

    si

    le texte d

    HM

    peut aussi

    se

    prsenter comme une narration de souvenirs

    faite par

    la

    protagoniste (et, travers ceux-ci, l histoire

    de son

    amour

    de

    jeunesse), c est

    la

    matrialit filmique

    qui

    s emploie principalement

    les

    reprsenter sous

    la

    forme

    de

    traces

    mnsiques visuelles, alors que

    la

    matrialit textuelle fait constamment rfrence l oubli,

    et plus prcisment

    une

    exprience intime de j oubli.

    1

    La

    reconstitution des souvenirs intimes

    J ai mis face au chiffre norme des morts

    d Hiroshima l histoire

    de

    la mort d un seul

    amour invent par moi.

    (Marguerite Duras)

    Interroge sur sa conception de

    la

    mmoire, Duras explique:

    La

    mmoire, c est

    toujours pareil:

    une

    sorte de tentative, de tentation d chapper l horreur de l oubli. [

    ...

    ] La

    mmoire,

    de

    toute faon, est

    un

    chec. Vous savez, ce dont

    je

    traite, c est toujours

    la

    mmoire

    de

    l oubli.

    On

    sait qu on a oubli, c est a

    la

    mmoire,

    je la

    rduis

    a (Duras Montral,

    1981

    p. 41) Ainsi,

    la

    mmoire est envisage comme

    une

    lutte contre l oubli, ce dernier tant

  • 7/25/2019 Hiroshima mon aour

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    32

    non

    seulement invitable, voire fatal, mais considr la plupart du temps de faon ngative

    puisqu il est le plus souvent associ la douleur. Dans ses uvres, Duras propose un

    mouvement circulaire pouvant se schmatiser de

    l