hiroshima mon amour
TRANSCRIPT
MargueriteDuras
Hiroshima
monamour
SCÉNARIOETDIALOGUE
réalisation
ALAINRESNAIS
Gallimard
ARGOSFILMS
COMOFILMS
DAIEIMOTIONPICTURECOMPANYLTD
et
PATHEOVERSEASPRODUCTIONS
présentent
EMMANUELLE EIJI RIVA OKADA
dans
HIROSHIMAMONAMOUR
*
Réalisation
ALAINRESNAIS
*
Scénarioetdialogues:MARGUERITEDURAS
*
Avec
STELLADASSAS PIERREBARBAUD
et
BERNARDFRESSON
*
Directeursdelaphotographie
SACHAVIERNY TAKAHASHIMICHIO
OpérateursGOUPIL WATANABE et IODA
Lumière:ITO
*
Musique
GEORGESDELERUE GIOVANNIFUSCO
*
Montage
HENRICOLPI
JASMINECHASNEY
AnneSarraute
*
Décors
ESAKA MAYO
PETRI
Assistantdécorateur:MIYAKUNI
*
Script:SYLVETTEBAUDROT
Assistantsréalisateurs
T.ANDREFOUET I.SHIRAI
J.-P.LÉON ITOI
R.GUYONNET HARA
*
Assistantsopérateurs
J.CHIABAULT Y.NOGATOMO
D.CLERVAL N.YAMAGUTSCHI
RégisseursR.KNABE I.OHASHI
Accessoiristes
R.JUMEAU IKEDA
*
Chefsmaquilleurs
A.MARCUS R.TOIODA
Coiffeuse:ÉLIANEMARCUS
Costumier:GÉRARDCOLLERY
Conseillerlittéraire:GÉRARDJARLOT
Secrétairedeproduction:NICOLESEYLER
*
Ingénieursduson
P.CALVET YAMAMOTO R.RENAULT
Laboratoire:ÉCLAIR
Enregistrements:MARIGNANetSIMO
Directeursdeproduction
SACHAKAMENKA
et
SHIRAKAWATAKEO
*
Producteurdélégue
SAMYHALFON
*
Visaministérielno
29.890
SYNOPSIS
Noussommesdansl'été1957,enaoût,àHiroshima.
Une femme française, d'une trentaine d'années, est dans cette ville. Elle y est
venuepourjouerdansunfilmsurlaPaix.
L'histoirecommencelaveilleduretourenFrancedecetteFrançaise.Lefilmdans
lequelellejoueesteneffetterminé.Iln'enrestequ'uneséquenceàtourner.
C'est la veille de son retour en France que cette Française, qui ne sera jamais
nomméedanslefilm–cettefemmeanonyme–rencontreraunJaponais(ingénieur,
ouarchitecte)etqu'ilsaurontensembleunehistoired'amourtrèscourte.
Lesconditionsdeleurrencontreneserontpaséclairciesdanslefilm.Carcen'est
paslàlaquestion.Onserencontrepartoutdanslemonde.Cequiimporte,c'estce
quis'ensuitdecesrencontresquotidiennes.
Cecoupledefortune,onnelevoitpasaudébutdufilm.Nielle.Nilui.Onvoit
en leur lieu et place des corps mutilés – à hauteur de la tête et des hanches –
remuants–enproie soità l'amour, soità l'agonie–et recouverts successivement
descendres,desrosées,delamortatomique–etdessueursdel'amouraccompli.
Cen'estquepeuàpeuquedecescorpsinformes,anonymes,sortirontleurscorps
àeux.
Ilssontcouchésdansunechambred'hôtel.Ilssontnus.Corpslisses.Intacts.
Dequoiparlent-ils?JustementdeHIROSHIMA.
Elleluiditqu'elleatoutvuàHIROSHIMA.Onvoitcequ'elleavu.C'esthorrible.
Cependant que sa voix à lui, négatrice, taxera les images demensongères et qu'il
répétera,impersonnel,insupportable,qu'ellen'arienvuàHIROSHIMA.
Leurpremierproposseradoncallégorique.Cesera,ensomme,unproposd'opéra.
Impossible de parler de HIROSHIMA. Tout ce qu'on peut faire c'est de parler de
l'impossibilitédeparlerdeHIROSHIMA.LaconnaissancedeHiroshimaétantapriori
poséecommeunleurreexemplairedel'esprit.
Cedébut,cedéfiléofficieldeshorreursdéjàcélébréesdeHIROSHIMA,évoquédans
unlitd'hôtel,cetteévocationsacrilège,estvolontaire.OnpeutparlerdeHIROSHIMA
partout, même dans un lit d'hôtel, au cours d'amours de rencontre, d'amours
adultères.Lesdeuxcorpsdeshéros,réellementépris,nouslerappelleront.Cequiest
vraimentsacrilège, si sacrilège ilya,c'estHIROSHIMAmême.Cen'estpas lapeine
d'êtrehypocriteetdedéplacerlaquestion.
Sipeuqu'onluiaitmontréduMonumentHiroshima,cesmisérablesvestigesd'un
MonumentdeVide,lespectateurdevraitsortirdecetteévocationnettoyédebiendes
préjugésetprêtàtoutaccepterdecequ'onvaluidiredenosdeuxhéros.
Lesvoici,justement,revenusàleurproprehistoire.
Histoirebanale,histoirequiarrivechaquejour,desmilliersdefois.LeJaponais
estmarié,iladesenfants.LaFrançaisel'estaussietelleaégalementdeuxenfants.
Ilsviventuneaventured'unenuit.
Maisoù?AHIROSHIMA.
Cetteétreinte,sibanale,siquotidienne,alieudanslavilledumondeoùelleest
leplusdifficileàimaginer:HIROSHIMA.Rienn'est«donné»àHIROSHIMA.Unhalo
particulier y auréole chaquegeste, chaqueparole,d'un sens supplémentaire à leur
senslittéral.Etc'estlàundesdesseinsmajeursdufilm,enfiniravecladescription
del'horreurparl'horreur,carcelaaétéfaitparlesJaponaiseux-mêmes,maisfaire
renaître cette horreur de ces cendres en la faisant s'inscrire en un amour qui sera
forcément particulier et « émerveillant ». Et auquel on croira davantage que s'il
s'étaitproduitpartoutailleursdanslemonde,dansunendroitquelamortn'apas
conservé.
Entre deux êtres géographiquement, philosophiquement, historiquement,
économiquement, racialement, etc., éloignés le plus qu'il est possible de l'être,
HIROSHIMA sera le terrain commun (le seul aumondepeut-être ?) où lesdonnées
universellesdel'érotisme,del'amour,etdumalheurapparaîtrontsousunelumière
implacable.Partoutailleursqu'àHIROSHIMA,l'artificeestdemise.AHIROSHIMA,il
nepeutpasexistersouspeine,encore,d'êtrenié.
Ens'endormant,ilsparlerontencoredeHIROSHIMA.Différemment.Dansledésir
etpeut-êtreàleurinsu,dansl'amournaissant.
Leursconversationsporterontàlafoissureux-mêmesetsurHIROSHIMA.Etleurs
proposserontmélangés,mêlésdetellefaçon,dèslors,aprèsl'opéradeHIROSHIMA–
qu'ilsserontindiscernableslesunsdesautres.
Toujours leur histoire personnelle, aussi courte soit-elle, l'emportera sur
HIROSHIMA.
Sicetteconditionn'étaitpastenue,cefilm,encoreunefois,neseraitqu'unfilm
decommandedeplus,sansaucunintérêtsaufceluid'undocumentaireromancé.Si
cetteconditionest tenue,onaboutiraàuneespècede fauxdocumentairequi sera
bienplusprobantdelaleçondeHIROSHIMAqu'undocumentairedecommande.
Ils se réveilleront.Et reparleront, tandisqu'elle s'habille.Dechoseetd'autre et
aussideHIROSHIMA.Pourquoipas?C'estbiennaturel.NoussommesàHIROSHIMA.
Et elle apparaît tout à coup, complètement habillée en infirmière de laCroix-
Rouge.
(Danscecostume,quiestensommel'uniformedelavertuofficielle,illadésirera
de nouveau. Il voudra la revoir. Il est comme tout le monde, comme tous les
hommes,exactement,et ilyadanscedéguisementunfacteurérotiquecommunà
tousleshommes.(Éternelleinfirmièred'uneguerreéternelle...)
Pourquoi,alorsqu'elleaussiledésire,neveut-ellepaslerevoir?Ellen'endonne
pasderaisonsclaires.
Auréveil,ilsparlerontaussidesonpasséàelle.
Que s'est-ilpassé àNEVERS,dans sa villenatale,dans cetteNièvreoù elle a été
élevée?Ques'est-ilpassédanssaviepourqu'ellesoitainsi,si libreettraquéeàla
fois,sihonnêteetsimalhonnêteàlafois,siéquivoqueetsiclaire?Sidésireusede
vivredesamoursderencontre?Silâchedevantl'amour?
Unjour,luidit-elle,unjouràNEVERS,elleaétéfolle.Folledeméchanceté.Elle
le dit, comme elle dirait qu'une fois, à NEVERS, elle a connu une intelligence
décisive.Delamêmefaçon.
Sicet«incident»deNEVERSexpliquesaconduiteactuelleàHIROSHIMA,ellen'en
ditrien.Elleracontel'incidentdeNEVERScommeautrechose.Sansendirelacause.
Elles'enva.Elleadécidédenepaslerevoir.
Maisilssereverront.
Quatreheuresdel'après-midi.PlacedelaPaixàHIROSHIMA(oudevantl'hôpital).
Des cameramen s'éloignent (on ne les voit jamais dans le film que s'éloignant
avecleurmatériel).Ondéfaitdestribunes.Ondécrochelesbanderoles.
LaFrançaisedortàl'ombre(peut-être)d'unetribunequel'ondéfait.
Onvientde tournerun film édifiant sur laPaix.Pasun film ridiculedu tout,
maisunfilmDEPLUS,c'esttout.
Unhommejaponaispassedans la foulequicôtoieunefoisdeplus ledécordu
filmqu'onvientdeterminer.Cethommeestceluiquenousavonsvulematindans
lachambre.IlvoitlaFrançaise,s'arrête,vaverselle,laregardedormir.Sonregardà
luilaréveille.Ilsseregardent.Ilssedésirentbeaucoup.Iln'estpaslàparhasard.Il
estvenupourlarevoirencore.
Ledéfiléauralieupresqueimmédiatementaprèsleurrencontre.C'estladernière
séquence du film qu'on tourne là. Défilés d'enfants, défilés d'étudiants. Chiens.
Chats.Badauds.ToutHIROSHIMA sera làcommeil l'esttoujours lorsqu'ils'agitde
servirlaPaixdanslemonde.Défilédéjàbaroque.
La chaleur sera très grande. Le ciel sera menaçant. Ils attendront que passe le
défilé.C'estpendantcelui-ci,quelui,luidiraqu'ilcroitqu'ill'aime.
Ill'emmènerachezlui.Ilsparleronttrèsbrièvementdeleurexistencerespective.
Cesontdesgensheureuxdanslemariageetquinecherchentensembleaucune
contrepartieàuneinfortuneconjugale.
C'estchezlui,etpendantl'amour,qu'ellecommenceraàluiparlerdeNevers.
Elle fuiraencoredechez lui. Ils irontdansuncafé, sur le fleuvepour« tuer le
tempsavantsondépart».Lanuitdéjà.
Ilsresterontlàencorequelquesheures.Leuramouraugmenteraenraisoninverse
dutempsqu'illeurresteraavantledépartdel'avionlelendemainmatin.
C'estdanscecaféqu'elleluidirapourquoielleaétéfolleàNEVERS.
Elle a été tondue àNEVERS, en 1944, à vingt ans. Sonpremier amant était un
Allemand.TuéàlaLibération.
Elle est restée dans une cave, tondue, à NEVERS. C'EST SEULEMENT LORSQUE
HIROSHIMAestarrivéqu'elleaétéassezdécentepoursortirdecettecaveetsemêlerà
lafouleenliessedesrues.
Pourquoi avoir choisi ce malheur personnel ? Sans doute parce qu'il est
également,lui-même,unabsolu.Tondreunefilleparcequ'elleaaiméd'amourun
ennemiofficieldesonpays,estunabsoluetd'horreuretdebêtise.
On verra NEVERS, comme dans la chambre, on l'a déjà vu. Et ils reparleront
encore d'eux-mêmes. Imbrication encore une fois de NEVERS, et de l'amour, de
HIROSHIMAetdel'amour.Toutsemélangerasansprincipepréconçuetdelafaçon
dontcemélangedoitsefairechaquejour,partout,oùsontlescouplesbavardsdu
premieramour.
Ellepartiraencoredelà.Ellelefuiraencore.
Elleessaieraderentreràl'hôtel,d'assagirsonhumeur,n'yarriverapas,ressortira
del'hôteletretourneraverslecaféqui,alors,serafermé.Etresteralà.Sesouviendra
deNEVERS(monologueintérieur),doncdel'amourmême.
L'homme l'a suivie. Elle s'en aperçoit. Elle le regarde. Ils se regardent, dans
l'amour leplusgrand.Amour sansemploi, égorgécommeceluideNEVERS.Donc
reléguédéjàdansl'oubli.Doncperpétuel.(Sauvegardéparl'oublimême.)
Ellenelerejoindrapas.
Elletraîneraàtraverslaville.Etluilasuivracommeilsuivraituneinconnue.Aun
moment donné, il l'abordera et il lui demandera de rester à HIROSHIMA, comme
dansunaparté.Ellediranon.Refusdetoutlemonde.Lâchetécommune
1
.
Lesjeuxsontfaits,vraiment,poureux.
Iln'insisterapas.
Elletraîneraàlagare.Luilarejoindra.Ilsseregarderontcommedesombres.
Plusunmot à sedire àpartir de là.L'imminencedudépart les clouedansun
silencefunèbre.
Il s'agitbiend'amour.Ilsnepeuventplusquese taire.Unescèneextrêmeaura
lieudansuncafé.Onl'yretrouveraencompagnied'unautreJaponais.
Et à une table on retrouvera celui qu'elle aime, complètement immobile, sans
aucune réaction que celle d'un désespoir librement consenti, mais qui le dépasse
physiquement. C'est déjà comme si elle était à « d'autres ». Et lui ne peut que le
comprendre.
A l'aurore, elle rentrera dans sa chambre. Lui, frappera à la porte quelques
minutes après. Il n'aura pas pu éviter cela. « Impossible d'éviter de venir »,
s'excusera-t-il.
Et dans la chambre rien n'aura lieu. Ils en seront réduits l'un et l'autre à une
impuissancemutuelle terrifiante.La chambre « l'ordredumonde », restera, autour
d'euxqu'ilsnedérangerontplusjamais.
Pasd'aveuxéchangés.Plusungeste.
Simplement, ilss'appellerontencore.Quoi?NEVERS,HIROSHIMA.Ilsnesonten
effetencorepersonneàleursyeuxrespectifs.Ilsontdesnomsdelieu,desnomsqui
n'en sont pas. C'est, comme si le désastre d'une femme tondue à NEVERS et le
désastredeHIROSHIMAserépondaientEXACTEMENT.
Elleluidira:«Hiroshima,c'esttonnom.»
1Note:Certainsspectateursdufilmontcruqu'elle«finissait»parresteràHiroshima.C'estpossible.Jen'ai
pasd'avis.L'ayantamenéeàlalimitedesonrefusderesteràHiroshima,nousnenoussommespaspréoccupés
desavoirsi–lefilmfini–ellearrivaitàtransgressersonrefus.
AVANT-PROPOS
J'aiessayéderendrecompteleplusfidèlementqu'ilaétépossible,dutravailquej'ai
faitpourA.ResnaisdansHiroshimamonamour.
Qu'on ne s'étonne donc pas que l'image d'A. Resnais ne soit pratiquement jamais
décritedanscetravail.
MonrôleseborneàrendrecomptedesélémentsàpartirdesquelsResnaisafait son
film.
LespassagessurNeversquinefaisaientpaspartieduscénarioinitial(juillet58)ont
été commentésavant le tournage enFrance (décembre58). Ils fontdonc l'objet d'un
travailséparéduscript(voirappendice:LesÉvidencesnocturnes).
J'aicrubondeconserveruncertainnombredechosesabandonnéesdu filmdans la
mesureoùelleséclairentutilementleprojetinitial.
Je livre ce travail à l'édition dans la désolation de ne pouvoir le compléter par le
compterendudesconversationspresquequotidiennesquenousavions,A.Resnaisetmoi,
d'une part,G. Jarlot etmoi, d'autre part, A. Resnais,G. Jarlot etmoi, d'autre part
encore.Jen'aijamaispumepasserdeleursconseils,jen'aijamaisabordéunépisodede
mon travail sans leur soumettre celui qui précédait, écouter leurs critiques, à la fois
exigeantes,lucidesetfécondes.
MargueriteDuras.
PARTIEI
[Lefilms'ouvresurledéveloppementdufameux«champignon»deBIKINI.
Il faudrait que le spectateur ait le sentiment, à la fois, de revoir et de voir ce
«champignon»pourlapremièrefois.
Ilfaudraitqu'ilsoittrèsgrossi,trèsralenti,etquesondéveloppements'accompagnedes
premièresmesuresdeG.Fusco.
Amesurequece«champignon»s'élèvesurl'écran,au-dessousdelui]
1
,apparaissent,
peuàpeu,deuxépaulesnues.
Onnevoitquecesdeuxépaules,ellessontcoupéesducorpsàlahauteurdelatêteet
deshanches.
Ces deux épaules s'étreignent et elles sont comme trempées de cendres,de pluie,de
roséeoudesueur,commeonveut.
Le principal c'est qu'on ait le sentiment que cette rosée, cette transpiration, a été
déposéepar[le«champignon»deBIKINI],àmesuredesonéloignement,àmesuredeson
évaporation.
Ildevraitenrésulterunsentimenttrèsviolent,trèscontradictoire,defraîcheuretde
désir.
Les deux épaules étreintes sont de différente couleur, l'une est sombre et l'autre est
claire.
LamusiquedeFuscoaccompagnecetteétreintepresquechoquante.
Ladifférenciationdesdeuxmainsrespectivesdevraitêtretrèsmarquée.
LamusiquedeFusco s'éloigne.Unemainde femme, [trèsagrandie], resteposée sur
l'épaulejaune,poséeestunefaçondeparler,agrifféeconviendraitmieux.
Unevoixd'homme,mateetcalme,récitative,annonce:
LUI
Tun'asrienvuàHiroshima.Rien.
Autiliseràvolonté.
Unevoixdefemme,trèsvoilée,mateégalement,unevoixdelecturerécitative,
sansponctuation,répond:
ELLE
J'aitoutvu.Tout.
LamusiquedeFuscoreprend,justeletempsquelamaindefemmeseresserre
encoresurl'épaule,qu'ellelalâche,qu'ellelacaresse,etqu'ilrestesurcetteépaule
jaunelamarquedesonglesdelamainblanche.
Commesilagriffurepouvaitdonnerl'illusiond'êtreunesanctiondu:«Non,
tun'asrienvuàHiroshima.»
Puislavoixdefemmereprend,calme,égalementrécitativeetterne:
ELLE
Ainsil'hôpital, jel'aivu.J'ensuissûre.L'hôpitalexisteàHiroshima.Comment
aurais-jepuéviterdelevoir?
L'hôpital, couloirs, escaliers,malades dans le dédain suprême de la camera
2
.
(Onnelavoitjamaisentraindevoir.)
Onrevientàlamainmaintenantagrifféesansrelâchesurl'épauledecouleur
jaune.
LUI
Tun'aspasvud'hôpitalàHiroshima.Tun'asrienvuàHiroshima.
Ensuite la voixde la femme se fait plus, plus impersonnelle.Faisantun sort
(abstrait)àchaquemot.
Voici le musée qui défile
3
. De même que sur l'hôpital lumière aveuglante,
laide.
Panneauxdocumentaires.
Piècesàconvictiondubombardement.
Maquettes.
Fersravagés.
Peaux,cheveluresbrûlées,encire.
Etc.
ELLE
Quatrefoisaumusée...
LUI
QuelmuséeàHiroshima?
ELLE
Quatre fois au musée à Hiroshima. J'ai vu les gens se promener. Les gens se
promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d'autre
chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute
d'autrechose,lesexplications,fauted'autrechose.
QuatrefoisaumuséeàHiroshima.
J'airegardélesgens.J'airegardémoi-mêmepensivement,lefer.Leferbrûlé.Le
ferbrisé,leferdevenuvulnérablecommelachair.J'aivudescapsulesenbouquet:
qui y aurait pensé ? Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la
fraîcheurdeleurssouffrances.Despierres.Despierresbrûlées.Despierreséclatées.
Descheveluresanonymesque les femmesdeHiroshimaretrouvaient toutentières
tombéeslematin,auréveil.
J'aieuchaudplacedelaPaix.DixmilledegréssurlaplacedelaPaix.Jelesais.
LatempératuredusoleilsurlaplacedelaPaix.Commentl'ignorer?...L'herbe,c'est
biensimple...
LUI
Tun'asrienvuàHiroshima,rien.
Lemuséedéfiletoujours.
Puisàpartirdelaphotod'uncrânebrûlé,ondécouvrelaplacedelaPaix(qui
continuececrâne).
Vitrinesdumuséeaveclesmannequinsbrûlés.
Séquencesdefilmsjaponaisde(reconstitution)surHiroshima.
L'hommeéchevelé.
Unefemmesortduchaos,etc.
ELLE
Lesreconstitutionsontétéfaitesleplussérieusementpossible.
Lesfilmsontétéfaitsleplussérieusementpossible.
L'illusion,c'estbiensimple,esttellementparfaitequelestouristespleurent.
On peut toujours se moquer mais que peut faire d'autre un touriste que,
justement,pleurer?
ELLE
[...quejustementpleurerafindesupportercespectacleabominableentretous.Et
d'ensortirsuffisammentattristépournepasperdrelaraison].
ELLE
[Lesgensrestent là,pensifs.Etsans ironieaucune,ondoitpouvoirdirequeles
occasions de rendre les gens pensifs sont toujours excellentes. Et que les
monuments,dontquelquefoisonsourit,sontcependantlesmeilleursprétextesàces
occasions...]
ELLE
[Acesoccasions...depenser.D'habitude,ilestvrai,lorsquel'occasiondepenser
vousestofferte...avecce luxe...onnepenserien.N'empêcheque le spectacledes
autresquel'onsupposeêtreentraindepenserestencourageant.]
ELLE
J'aitoujourspleurésurlesortdeHiroshima.Toujours.
Panoramique surunephotodeHiroshimaprise après labombe,un «désert
nouveau»sansréférenceauxautresdésertsdumonde.
LUI
Non.
Surquoiaurais-tupleuré?
LaplacedelaPaixdéfile,videsousunsoleiléclatantquirappelleceluidela
bombe,aveuglante.Etsurcevide,encoreunefois,lavoixdel'homme:
Onerresurlaplacevide(à13heures?).
Lesbandesd'actualitésprisesaprèsle6août45.
Fourmis,vers,sortentdeterre.
L'alternancedesépaulescontinue.Lavoixfémininereprend,devenuefolle,en
mêmetempsquelesimagesdéfilent,devenuesfollesellesaussi.
ELLE
J'aivulesactualités.
Ledeuxièmejour,ditl'Histoire,jenel'aipasinventé,dèsledeuxièmejour,des
espècesanimalesprécisesontresurgidesprofondeursdelaterreetdescendres.
Deschiensontétéphotographiés.
Pourtoujours.
Jelesaivus.
J'aivulesactualités.
Jelesaivues.
Dupremierjour.
Dudeuxièmejour.
Dutroisièmejour.
LUI,illuicoupelaparole.
Tun'asrienvu.Rien.
Chienamputé.
Gens,enfants.
Plaies.
Enfantsbrûléshurlant.
ELLE
...duquinzièmejouraussi.
Hiroshimaserecouvritdefleurs.Cen'étaientpartoutquebleuetsetglaïeuls,et
volubilis et belles-d'un-jour qui renaissaient des cendres avec une extraordinaire
vigueur,inconnuejusque-làchezlesfleurs
4
.
ELLE
Jen'airieninventé.
LUI
Tuastoutinventé.
ELLE
Rien.
De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne
jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je
n'oublierai.
Demêmequedansl'amour.
Despinceschirurgicaless'approchentd'unœilpourl'extraire.
Lesactualitéscontinuent.
ELLE
J'ai vu aussi les rescapés et ceux qui étaient dans les ventres des femmes de
Hiroshima.
Unbelenfantsetourneversnous.Alorsnousvoyonsqu'ilestborgne.
Unejeunefillebrûléeseregardedansunmiroir.
Uneautrejeunefilleaveugleauxmainstorduesjouedelacithare.
Unefemmeprieauprèsdesesenfantsquimeurent.
Un homme se meurt de ne plus dormir depuis des années. (Une fois par
semaine,onluiamènesesenfants.)
ELLE
J'aivulapatience,l'innocence,ladouceurapparenteaveclesquelleslessurvivants
provisoires de Hiroshima s'accommodaient d'un sort tellement injuste que
l'imaginationd'habitudepourtantsiféconde,devanteux,seferme.
Toujoursonrevientàl'étreintesiparfaitedescorps.
ELLE,bas.
Écoute...
Jesais...
Jesaistout.
Çaacontinué.
LUI
Rien.Tunesaisrien.
Nuageatomique.
Atomiumquitourne.
Desgensdansdesruesmarchentsouslapluie.
Pêcheursatteintsparlaradio-activité.
Unpoissonnoncomestible.
Desmilliersdepoissonsnoncomestiblesenterrés.
ELLE
Les femmes risquent d'accoucher d'enfants mal venus, de monstres, mais ça
continue.
Leshommesrisquentd'êtrefrappésdestérilité,maisçacontinue.
Lapluiefaitpeur.
DespluiesdecendressurleseauxduPacifique.
LeseauxduPacifiquetuent.
DespêcheursduPacifiquesontmorts.
Lanourriturefaitpeur.
Onjettelanourritured'unevilleentière.
Onenterrelanourrituredevillesentières.
Unevilleentièresemetencolère.
Desvillesentièressemettentencolère.
Actualités:desmanifestations.
ELLE
Contrequi,lacolèredesvillesentières?
Lacolèredesvillesentièresqu'ellesleveuillentounon,contrel'inégalitéposéeen
principe par certains peuples contre d'autres peuples, contre l'inégalité posée en
principeparcertainesracescontred'autresraces,contrel'inégalitéposéeenprincipe
parcertainesclassescontred'autresclasses.
Cortègesdemanifestants.
Discours«muets»dansleshaut-parleurs.
ELLE,bas.
...Écoute-moi.
Commetoi,jeconnaisl'oubli.
LUI
Non,tuneconnaispasl'oubli.
ELLE
Commetoi,jesuisdouéedemémoire.Jeconnaisl'oubli.
LUI
Non,tun'espasdouéedemémoire.
ELLE
Comme toi,moi aussi, j'ai essayé de lutter de toutesmes forces contre l'oubli.
Commetoi,j'aioublié.Commetoi,j'aidésiréavoiruneinconsolablemémoire,une
mémoired'ombresetdepierre.
L'ombre«photographiée»surlapierred'undisparudeHiroshima.
ELLE
J'ai luttépourmoncompte,de toutesmes forces,chaque jour,contre l'horreur
denepluscomprendredutoutlepourquoidesesouvenir.Commetoi,j'aioublié...
Boutiques où, à cent exemplaires, se trouve le modèle réduit du Palais de
l'Industrie, seul monument dont la charpente tordue est restée debout après la
bombe–etquiaétéconservéainsidepuis.
Boutiqueabandonnée.
Cardetouristesjaponais.
Touristes,placedelaPaix.
ChattraversantlaplacedelaPaix.
ELLE
Pourquoinierl'évidentenécessitédelamémoire?...
PhrasescandéesurlesplansdusqueletteduPalaisdel'Industrie.
ELLE
...Écoute-moi.Jesaisencore.Çarecommencera.
Deuxcentmillemorts.
Quatre-vingtmilleblessés.
Enneufsecondes.Ceschiffressontofficiels.Çarecommencera.
Arbres.
Église.
Manège.
Hiroshimareconstruit.Banalité.
ELLE
Il y aura dix mille degrés sur la terre. Dix mille soleils, dira-t-on. L'asphalte
brûlera.
Église.
Réclamejaponaise.
ELLE
Un désordre profond régnera. Une ville entière sera soulevée de terre et
retomberaencendres...
Dusable.Unpaquetdecigarettes«Peace».Uneplantegrasseétaléecomme
unearaignéesurdusable.
ELLE
Desvégétationsnouvellessurgissentdessables...
Quatreétudiants«morts»bavardentauborddufleuve.
Lefleuve.
Lesmarées.
LesquaisquotidiensdeHiroshimareconstruite.
ELLE
...Quatreétudiantsattendentensembleunemortfraternelleetlégendaire.
Lesseptbranchesdel'estuaireendeltadelarivièreOtasevidentetseremplissent
à l'heure habituelle, très précisément aux heures habituelles d'une eau fraîche et
poissonneuse, grise ou bleue suivant l'heure et les saisons.Des gens ne regardent
pluslelongdesbergesboueuseslalentemontéedelamaréedanslesseptbranches
del'estuaireendeltadelarivièreOta.
Letonrécitatifcesse.
LesruesdeHiroshima,lesruesencore.Desponts.
Passagescouverts.
Rues.
Banlieue.Rails.
Banlieue.
Banalitéuniverselle.
ELLE
...Jeterencontre.
Jemesouviensdetoi.
Quies-tu?
Tumetues.
Tumefaisdubien.
Commentmeserais-jedoutéequecettevilleétaitfaiteàlatailledel'amour?
Commentmeserais-jedoutéequetuétaisfaitàlatailledemoncorpsmême?
Tumeplais.Quelévénement.Tumeplais.
Quellelenteurtoutàcoup.
Quelledouceur.
Tunepeuxpassavoir.
Tumetues.
Tumefaisdubien.
Tumetues.
Tumefaisdubien.
J'ailetemps.
Jet'enprie.
Dévore-moi.
Déforme-moijusqu'àlalaideur.
Pourquoipastoi?
Pourquoipastoidanscettevilleetdanscettenuitpareilleauxautresaupointde
s'yméprendre?
Jet'enprie...
Trèsbrutalement, levisagedelafemmeapparaîttrèstendre,tenduvers levisagede
l'homme.
ELLE
C'estfoucequetuasunebellepeau.
Gémissementheureuxdel'homme.
ELLE
Toi...
Le visage du Japonais apparaît après celui de la femmedans un rire extasié
(éclaté),quin'estpasdemisedanslepropos.Ilseretourne:
LUI
Moi,oui.Tum'aurasvu.
Lesdeuxcorpsnusapparaissent.Mêmevoixde femme, trèsvoilée,maiscette
fois,nondéclamatoire.
ELLE
Tuescomplètementjaponaisoutun'espascomplètementjaponais?
LUI
Complètement.Jesuisjaponais.
LUI
Tuaslesyeuxverts.C'estbiença?
ELLE
Oh,jecrois...,oui...jecroisqu'ilssontverts.
Illaregarde.Affirmedoucement:
LUI
Tuescommemillefemmesensemble...
ELLE
C'estparcequetunemeconnaispas.C'estpourça.
LUI
Peut-êtrepastoutàfaitpourcelaseulement.
ELLE
Celanemedéplaîtpas,d'êtremillefemmesensemblepourtoi.
Elleluiembrassel'épauleetsecalelatêtedanslecreuxdecetteépaule.Ellea
latêtetournéeverslafenêtreouverte,versHiroshima,lanuit.Unhommepasse
danslarueettousse.(Onnelevoitpas,onl'entendseulement.)Elleserelève.
ELLE
Écoute...C'estquatreheures...
LUI
Pourquoi?
ELLE
Jenesaispasquic'est.Touslesjoursilpasseàquatreheures.Etiltousse.
Silence.Ilsseregardent.
ELLE
Tuyétais,toi,àHiroshima...
Ilrit,commeàunenfantillage.
LUI
Non...biensûr.
Elleluicaressel'épaulenueencoreunefois.Cetteépauleesteffectivementbelle,
intacte.
ELLE
Oh.C'estvrai...Jesuisbête.
Presquesouriante.
Illaregardetoutàcoup,sérieuxethésitant,puisilfinitparleluidire:
LUI
Mafamille,elle,étaitàHiroshima.Jefaisaislaguerre.
Ellearrêtesongestesurl'épaule.
Timidement,cettefois,avecunsourire,elledemande:
ELLE
Unechance,quoi?
Illaquitteduregard,pèselepouretlecontre:
LUI
Oui.
Elleajoute,trèsgentillemaisaffirmative:
ELLE
Unechancepourmoiaussi.
Untemps.
LUI
PourquoituesàHiroshima?
ELLE
Unfilm.
LUI
Quoi,unfilm?
ELLE
Jejouedansunfilm.
LUI
Etavantd'êtreàHiroshima,oùétais-tu?
ELLE
AParis.
Untempsencore,encorepluslong.
LUI
Etavantd'êtreàParis?...
ELLE
Avantd'êtreàParis?...J'étaisàNevers.Ne-vers.
LUI
Nevers?
ELLE
C'estdanslaNièvre.Tuneconnaispas.
Un temps. Il demande, comme s'il venait de découvrir un lienHIROSHIMA-
NEVERS:
LUI
Etpourquoivoulais-tuvoirtoutàHiroshima?
Ellefaituneffortdesincérité:
ELLE
Çam'intéressait.J'aimonidéelà-dessus.Parexemple,tuvois,debienregarder,
jecroisqueças'apprend.
1Cequiestentrecrochetsestabandonné.
2Apartirdutexteinitialtrèsschématique,ResnaisarapportéungrandnombrededocumentsduJapon.De
ce fait le texte initial a été non seulement débordé mais modifié et considérablement augmenté pendant le
montagedufilm.
3Onrevientrégulièrementauxcorpsassemblés.
4CettephraseestpresquetextuellementunephrasedeHersheydanssonadmirablereportagesurHiroshima.
Jen'aifaitquelareportersurlesenfantsmartyrs.
PARTIEII
Ilpassedanslarueunessaimdebicyclettesquirouleenrouelibre,dansunbruitqui
s'amplifieetdécroît.
Elleestenpeignoirdebainsurlebalcondelachambred'hôtel.Elleleregarde.Elle
tientàlamainunetassedecafé.
Luidortencore.Ilalesbrasencroix,ilestallongésurleventre.Ilestnujusqu'àla
ceinture.
[Unrayondesoleilentreparlesrideauxetfaitsursondosunpetitsigne,commedeux
traitscroisés(outachesovales).]
Elleregardeavecuneintensitéanormalesesmainsquifrémissentdoucementcomme
quelquefois,danslesommeil,cellesdesenfants.Sesmainssonttrèsbelles,trèsviriles.
Tandisqu'elle regarde sesmains, ilapparaîtbrutalementà laplaceduJaponais, le
corpsd'unjeunehomme,danslamêmepose,maismortuaire,surlequaid'unfleuve,en
pleinsoleil.(Lachambreestdanslapénombre.)Cejeunehommeagonise.Sesmainssont
égalementtrèsbelles,ressemblantétonnammentàcellesduJaponais.Ellessontagitéesdes
soubresautsdel'agonie.[Onnevoitpaslevêtementqueportecethommeparcequ'une
jeunefemmeestallongéesursoncorps,bouchecontrebouche.Leslarmesquicoulentde
sesyeuxsemêlentausangquicouledesabouche.]
[La femme – celle-ci – a les yeux fermés. Tandis que l'homme sur lequel elle est
allongéealesyeuxfixesdel'agonie.]
L'imageduretrèspeudetemps.
Elleestfigéedanssapose,adosséeàlafenêtre.Ilseréveille.Illuisourit.Elle,nelui
sourit pas immédiatement. Elle continue à le regarder attentivement, sans changer de
pose.Puiselleluiapportelecafé.
ELLE
Tuveuxducafé?
Ilacquiesce.Ilprendlatasse.Untemps.
ELLE
Aquoiturêvais?
LUI
Jenesaisplus...Pourquoi?
Elleestredevenuenaturelle,trèstrèsgentille.
ELLE
Jeregardaistesmains.Ellesbougentquandtudors.
Ilregardesespropresmains,àsontour,avecétonnementetiljouepeut-êtreà
fairebougersesdoigts.
LUI
C'estquandonrêve,peut-être,sanslesavoir.
Aveccalme,gentillesse,ellefaitunsignedubitatif.
ELLE
Hum,hum.
Ilssontensemblesousladouchedelachambred'hôtel.Ilssontgais.
Ilposelamainsursonfrontdetellemanièrequ'illuirenverselatêteenarrière.
LUI
Tuesunebellefemme,tulesais?
ELLE
Tutrouves?
LUI
Jetrouve.
ELLE
Unpeufatiguée.Non?
Ilaungestesursafigure,ladéforme.Rit.
LUI
Unpeulaide.
Ellesouritsouslacaresse.
ELLE
Çanefaitrien?
LUI
C'est ce que j'ai remarquéhier soir dans ce café.La façondont tu es laide.Et
puis...
ELLE,trèsdétendue.
Etpuis?...
LUI
Etpuiscommenttut'ennuyais.
Elleaversluiungestedecuriosité.
ELLE
Dis-moiencore...
LUI
Tu t'ennuyais de la façon qui donne aux hommes l'envie de connaître une
femme.
Ellesourit,baisselesyeux.
ELLE
Tuparlesbienlefrançais.
Tongai:
LUI
N'est-ce pas ? Je suis content que tu remarques enfin comme je parle bien le
français.
Untemps.
LUI
Moi,jen'avaispasremarquéquetuneparlaispaslejaponais...
Est-ce que tu avais remarqué que c'est toujours dans le même sens que l'on
remarqueleschoses?
ELLE
Non.Jet'airemarquétoi,c'esttout.
Rires.
Après le bain. Elle prend le temps de croquer une pomme, cheveux mouillés. En
peignoirdebain.
Elle est sur le balcon, le regarde, s'étire, et comme pour faire le « point » à leur
situation,ditlentement,avecunesortede«délectation»desmots.
ELLE
Seconnaître-à-Hiroshima.C'estpastouslesjours.
Il vient la retrouver sur le balcon, il s'assied en faced'elle, habillédéjà. (En
chemise,colouvert.)
Aprèsunehésitation,ildemande:
LUI
Qu'est-cequec'étaitpourtoi,HiroshimaenFrance?
ELLE
La finde la guerre, je veuxdire, complètement.La stupeur... à l'idéequ'onait
osé...lastupeuràl'idéequ'onaitréussi.Etpuisaussi,pournous,lecommencement
d'unepeurinconnue.Etpuis,l'indifférence,lapeurdel'indifférenceaussi...
LUI
Oùétais-tu?
ELLE
JevenaisdequitterNevers.J'étaisàParis.Danslarue.
LUI
C'estunjolimotfrançais,Nevers.
Ellenerépondpastoutdesuite.
ELLE
C'estunmotcommeunautre.Commelaville.
Elles'éloigne.
Ilestassissurlelit,ilallumeunecigarette,laregardeintensément.
[Sonombreàelle,s'habillant,passesurlui,detempsàautre.Ellepassejustementsur
lui.]Ildemande:
LUI
TuasconnubeaucoupdeJaponaisàHiroshima?
ELLE
Ah,j'enaiconnu,oui...maiscommetoi...(avecévidence),non...
Ilsourit.Gaieté.
LUI
JesuislepremierJaponaisdetavie?
ELLE
Oui.
Onentendsonrire.Elleréapparaîtaucoursdesatoiletteetdit(trèsponctué):
ELLE
Hi-ro-shi-ma.[Ilfautquejefermelesyeuxpourmesouvenir... jeveuxdireme
souvenircomment,enFrance,avantdevenirici,jem'ensouvenais,deHiroshima.
C'esttoujourslamêmehistoire,aveclessouvenirs.]
Ilbaisselesyeux,trèscalme.
LUI
Lemondeentierétaitjoyeux.Tuétaisjoyeuseaveclemondeentier.
Ilcontinue,surlemêmeton.
LUI
C'étaitunbeaujourd'étéàParis,cejour-là,j'aientendudire,n'est-cepas?
ELLE
Ilfaisaitbeau,oui.
LUI
Quelâgeavais-tu?
ELLE
Vingtans.Ettoi?
LUI
Vingt-deuxans.
ELLE
Lemêmeâge,quoi?
LUI
Ensomme,oui.
Elleapparaîtcomplètementhabillée,aumomentoùelleestentraind'ajuster
sacoiffed'infirmière(carc'esteninfirmièredelaCroix-Rougequ'elleapparaît).
Elles'accroupitprèsdeluidansungestesubit,ous'allongeprèsdelui.
Ellejoueavecsamain.Elleembrassesonbrasnu.
Uneconversationcourantes'engage.
ELLE
Qu'est-cequetufais,toi,danslavie?
LUI
Del'architecture.Etpuisaussidelapolitique.
ELLE
Ah,c'estpourçaquetuparlessibienlefrançais?
LUI
C'estpourça.PourlirelaRévolutionfrançaise.
Ilsrient.
Ellenes'étonnepas.Touteprécisionsurlapolitiquequ'il faitestabsolument
impossibleparcequ'elleseraitimmédiatementétiquetée.Deplus,elleseraitnaïve.
Nepasoublierqueseulunhommedegauchepeutdirecequ'ilvientdedire.
Que la chose sera immédiatementprise ainsi par le spectateur.Surtoutaprès
sonpropossurHiroshima.
LUI
Qu'est-cequec'estlefilmdanslequeltujoues?
ELLE
UnfilmsurlaPaix.
Qu'est-cequetuveuxqu'ontourneàHiroshimasinonunfilmsurlaPaix?
Ilpasseunessaimdebicyclettesassourdissantes.[Ledésirreviententreeux.]
LUI
Jevoudraisterevoir.
Ellefaitsignequenon.
ELLE
Acetteheure-ci,demain,jeserairepartiepourlaFrance.
LUI
C'estvrai?Tunem'avaispasdit.
ELLE
C'estvrai.(Untemps.)C'étaitpaslapeinequejeteledise.
Ildevientsérieux,danssastupéfaction.
LUI
C'estpourçaquetum'aslaissémonterdanstachambrehiersoir?...parceque
c'étaittondernierjouràHiroshima?
ELLE
Pasdutout.Jen'yaimêmepaspensé.
LUI
Quandtuparles,jemedemandesitumensousitudislavérité.
ELLE
Je mens. Et je dis la vérité. Mais à toi je n'ai pas de raisons de mentir.
Pourquoi?...
LUI
Dis-moi...,çat'arrivesouventdeshistoirescomme...celle-ci?
ELLE
Pastellementsouvent.Maisçam'arrive.J'aimebienlesgarçons...
Untemps.
ELLE
Jesuisd'unemoralitédouteuse,tusais.
Ellesourit.
LUI
Qu'est-cequetuappellesêtred'unemoralitédouteuse?
Tontrèsléger.
ELLE
Douterdelamoraledesautres.
Ilritbeaucoup.
LUI
Jevoudrais te revoir.Mêmesi l'avionpartdemainmatin.Mêmesi tuesd'une
moralitédouteuse.
Untemps.Celuidel'amourrevenu.
ELLE
Non.
LUI
Pourquoi?
ELLE
Parceque.(Agacée.)
Ilneparleplus.
ELLE
Tuneveuxplusmeparler?
LUI,aprèsuntemps.
Jevoudraisterevoir.
Ilssontdanslecouloirdel'hôtel.
LUI
Oùvas-tuenFrance?ANevers?
ELLE
Non.AParis.(Untemps.)ANevers,nonjenevaisplusjamais.
LUI
Jamais?
Ellefaitunesortedegrimace,cedisant.
ELLE
Jamais.
Facultatif.
[Neversestunevillequimefaitmal.]
[Neversestunevillequejen'aimeplus.]
[Neversestunevillequimefaitpeur.]
Elleajoute,priseàsonjeu.
ELLE
C'estàNeversquej'aiétéleplusjeunedetoutemavie...
LUI
Jeune-à-Ne-vers.
ELLE
Oui.JeuneàNevers.Etpuisaussi,unefois,folleàNevers.
Ilssontdevantl'hôtel,ilsfontlescentpas.Elleattendl'autoquidoitvenirlaprendre
pourlamenerplacedelaPaix.Ilyapeudemonde.Maislesautospassentsansarrêt.
C'estunboulevard.
Dialoguepresquecriéàcausedubruitdesautos.
ELLE
Nevers, tu vois, c'est la ville du monde, et même c'est la chose du monde à
laquelle, la nuit, je rêve le plus. Enmême temps que c'est la chose dumonde à
laquellejepenselemoins.
LUI
Commentc'étaittafolieàNevers?
ELLE
C'est comme l'intelligence, la folie, tu sais. On ne peut pas l'expliquer. Tout
comme l'intelligence. Elle vous arrive dessus, elle vous remplit et alors on la
comprend.Mais,quandellevousquitte,onnepeutpluslacomprendredutout.
LUI
Tuétaisméchante?
ELLE
C'étaitçamafolie.J'étaisfolledeméchanceté.Ilmesemblaitqu'onpouvaitfaire
unevéritablecarrièredanslaméchanceté.Riennemedisaitquelaméchanceté.Tu
comprends?
LUI
Oui.
ELLE
C'estvraiqueçaaussitudoislecomprendre.
LUI
Çan'ajamaisrecommencé,pourtoi?
ELLE
Non.C'estfini(toutbas).
LUI
Pendantlaguerre?
ELLE
Toutdesuiteaprès.
Untemps.
LUI
Çafaisaitpartiedesdifficultésdelaviefrançaiseaprèslaguerre?
ELLE
Oui,onpeutledirecommeça.
LUI
Quandcelaa-t-ilpassé,pourtoi,lafolie?
Tropbas,commeceladevraitêtredit:
ELLE
Petitàpetit,ças'estpassé.Etpuisquandj'aieudesenfants...forcément.
Bruitdesautosquicroîtetdécroîtenraisoninversedelagravitédespropos.
LUI
Qu'est-cequetudis?
Crié,à«contre-ton»,commecelanepeutpasêtredit.
ELLE
Je dis que petit à petit ça s'est passé. Et puis quand j'ai eu des enfants...,
forcément...
LUI
J'aimeraisbienresteravectoiquelquesjours,quelquepart,unefois.
ELLE
Moiaussi.
LUI
Te revoir aujourd'hui ne serait pas te revoir. En si peu de temps ce n'est pas
revoirlesgens.Jevoudraisbien.
ELLE
Non.
Elles'arrêtedevantlui,butée,immobile,muette.
Ilacceptepresque.
LUI
Bon.
Ellerit,c'estunpeuforcé.
Ellemarqueundépit,léger,maisréel.
Letaxiarrive.
ELLE
C'estparcequetusaisquejeparsdemain.
Ilritavecelle,maismoinsqu'elle.Aprèsuntemps.
LUI
C'estpossiblequecesoitaussipourça.Maisc'estuneraisoncommeuneautre,
non?L'idéedeneplusterevoir...jamais...dansquelquesheures.
L'autoestarrivéeets'estarrêtéeaucarrefour.Ellefaitsignequ'ellearrive.Elle
prendsontemps,regardeleJaponaisetdit:
ELLE
Non.
Illasuitduregard.Peut-êtresourit-il.
PARTIEIII
Ilestquatreheuresde l'après-midi,placede laPaixàHiroshima.Dans le lointain
s'éloigneungroupedetechniciensdecinémaportantunecaméra,desprojecteursetdes
écrans-réflecteurs.Desouvriersjaponaisdémontentl'estradeofficiellequivientdeservir
decadreàladernièreséquencedufilm.
Une remarque importante : onverra toujours les techniciensde loin et onne saura
jamaisquelestlefilmqu'ilstournentàHiroshima.Onn'enverratoujoursqueledécor
qu'onestentraindedéfaire.[Peut-être,toutauplus,ensaura-t-onletitre.]
Desmachinistesportantdespancartesendifférenteslangues,enjaponais,enfrançais,
enallemand,etc...«JAMAISPLUSHIROSHIMA»,circulent.
Donc les ouvriers s'occupent àdéfaire les tribunes officielles et à ôter les banderoles.
Dansledécor,nousretrouvonslaFrançaise.Elledort.Sacoiffed'infirmièreestàmoitié
défaite.Elle estallongée, la tête [contre lepilierd'une énormepancartequia serviau
film][sousquelquechoseouàl'ombred'unetribune].
Oncomprendqu'onvientde tourneràHiroshimaunfilmédifiant sur laPaix.Ce
n'est pas forcément un film ridicule, c'est un film édifiant tout simplement. La foule
passeàcôtéde laplaceoùvientdese tourner le film.Cette fouleest indifférente.Sauf
quelquesenfants,personneneregarde,onal'habitudeàHiroshimadevoirtournerdes
filmssurHiroshima.
Cependant,unhommepasse, il s'arrêteetregarde.C'estceluiquenousavonsquitté
unmomentavantdanslachambred'hôtelqu'habitelaFrançaise.
Le Japonais s'approchera de l'infirmière, il la regardera dormir.C'est le regard du
Japonaissurellequifiniraparlaréveillermaisils'appesantirasurellelongtempsavant.
Pendant la scène, on voit peut-être quelques détails, au loin et par exemple, une
maquetteduPalaisde l'Industrie, [unguideentouréde touristes japonais],[uncouple
d'invalidesdeguerreentenueblanchetendantleurtroncpourquêter],[unefamilleau
coindelarueentraindebavarder]...
Elleseréveille.Safatigues'évanouit.Onretombedansleurhistoirepersonnelled'un
seul coup. Toujours cette histoire personnelle l'emportera sur l'histoire forcément
démonstrativedeHiroshima.
Elleserelèveetvaverslui.Ilsrientmaissansexcès.Puisilsredeviennentsérieux.
LUI
TuétaisfacileàretrouveràHiroshima.
Elleaunrireheureux.
Untemps.Illaregardedenouveau.
Entre euxpassentdeux ouquatre ouvriers qui portentunephotographie très
agrandiequireprésenteleplandelamèremorteetdel'enfantquipleure,dansles
ruines fumantes de Hiroshima – du film Les Enfants de Hiroshima. Ils ne
regardent pas la photo qui passe.Une autre photographie passe, qui représente
Einsteintirantlalangue.Ellesuitimmédiatementcelledel'enfantetdelamère.
LUI
C'estunfilmfrançais?
ELLE
Non.International.SurlaPaix.
LUI
C'estfini.
ELLE
Pourmoi,oui,c'estfini.Onvatournerlesscènesdefoule...Ilyabiendesfilms
publicitairessurlesavon.Alors...àforce...peut-être.
Ilesttrèsassurédanssaconceptionlà-dessus.
LUI
Oui,àforce.Ici,àHiroshima,onnesemoquepasdesfilmssurlaPaix.
Il se retourne vers elle. Les photographies sont complètement passées. Ils se
rapprochentinstinctivementl'undel'autre.Elleréajustesacoiffequis'estdéfaite
danslesommeil.
LUI
Tuesfatiguée?
Elle le regardede façonassezprovocante etdouceà la fois.Elleditdansun
souriredouloureux,précis:
ELLE
Commetoi.
Illafixedefaçonquinetrompepasetluidit:
LUI
J'aipenséàNeversenFrance.
Ellesourit.Ilajoute:
LUI
J'aipenséàtoi.
Ilajouteencore:
LUI
C'esttoujoursdemain,tonavion?
ELLE
Toujoursdemain.
LUI
Demainabsolument?
ELLE
Oui.Lefilmaduretard.Onm'attendàParisdepuisdéjàunmois.
Elleleregardeenface.
Lentement,illuienlèvesacoiffed'infirmière.(Oubienelleesttrèsfardée,elle
a les lèvres si sombres qu'elles en paraissent noires. Ou elle est à peine fardée,
presquedécoloréesouslesoleil.)
Legestedel'hommeesttrès libre,trèsconcerté.Ondevraitéprouverlemême
chocérotiquequ'audébut.Elleapparaît,lescheveuxaussidécoiffésquelaveille,
danslelit.Etellelelaisseluienleversacoiffe,elleselaissefairecommeelleadû
se laisser faire, la veille, l'amour. (Là, lui laisser un rôle érotiquement
fonctionnel.)
Ellebaisse lesyeux.Moueincompréhensible.Elle joueavecquelquechosepar
terre.
Ellerelèvelesyeuxsurlui.Ilditavecunetrèsgrandelenteur.
LUI
Tumedonnesbeaucoupl'envied'aimer.
Ellenerépondpastoutdesuite.Elleabaissélesyeuxsouslecoupdutrouble
dans lequel la jettent sesparoles.Le chatde laplacede laPaix joue contre son
pied?Elledit,lesyeuxbaissés,trèslentementaussi(mêmelenteur).
ELLE
Toujours...lesamoursde...rencontre...Moiaussi...
Passeentreeuxunextraordinaireobjet,denatureimprécise.Jevoisuncadre
de bois (atomium ?) d'une forme très précise mais dont l'utilisation échappe
complètement.Ilsneleregardentpas.Ildit:
LUI
Non.Pastoujoursaussifort.Tulesais.
Onentenddescris,auloin.Puisdeschantsenfantins.Ilsnesontpasdistraits
pourautant.
Ellefaitunegrimaceincompréhensible(licencieuseseraitlemot).Ellelèveles
yeux encore, mais cette fois vers le ciel. Et elle dit, encore une fois,
incompréhensiblementalorsqu'elleessuiesonfrontcouvertdesueur.
ELLE
Onditqu'ilvafairedel'orageavantlanuit.
On voit le ciel qu'elle voit. Des nuages roulent... Les chants se précisent. Puis
commence(lafin)dudéfilé.
Ils se sontreculés.Elle setientdevantlui(commedansles«revues», les femmes)et
metunemainsursonépaule.Sonvisageestcontresescheveux.Lorsqu'ellelèvelesyeux
ellelevoit.Ilessaieradel'entraînerloindudéfilé.Elle,ellerésistera.Maiselles'éloignera
aveclui,sanspresque«lesentir».Surlesenfants,cependant[elles'arrêteratoutàfait,
fascinée].
Défilédejeunesgensportantdespancartes.
Ire
SÉRIEPANCARTES 2e
SÉRIEPANCARTES
1re
pancarte:Siunebombe
atomiquevaut20000
bombesordinaires.
I
Cerésultatprestigieuxfaithonneurà
l'inteligence
1
scientifiquedel'homme.
2e
pancarte:
EtsilabombeHvaut1500
foislabombeatomique.
3e
pancarte: II
Combienvalentles40000
bombesAetHfabriquées
actuellementdanslemonde?
Maisilestregrettablequel'intelligence
politiquedel'hommesoit100foismoins
développéequesonintelligencescientifique.
4e
pancarte:
Si10bombesHlâchéessurle
mondec'estlapréhistoire.III
Etnouspriveàcepointd'admirerl'homme.5
e
pancarte:
40000bombesHetAc'est
quoi?
2eSÉRIE
[1repancarte:
Unephotodefourmi.NOUS,nousnecraignonspasla
bombeH.]
2epancarte:
[Voicilecrides160millions
desSyndiquésdel'Europe.]
3epancarte:
[Voicilecrides100000cadavres
envolésde
HIROSHIMA.]
Desfemmes,deshommes,suiventlesenfantsquichantent.
Deschienssuiventlesenfants.
Deschatssontauxfenêtres.(CeluidelaplacedelaPaixal'habitudeetildort.)
Pancartes.Pancartes.
Toutlemondeatrèschaud.
Leciel,au-dessusdesdéfilés,estsombre.Lesoleilestcachéparlesnuages.
Lesenfantssontnombreux,beaux.Ilsontchaudetchantentaveclabonnevolontéde
l'enfance.LeJaponaisirrésistiblementetpresqueàsoninsupousse laFrançaisedans le
[mêmesens]queledéfiléou[lesensopposé].
LaFrançaisefermelesyeuxetpousseungémissement[envoyantlesenfantsdudéfilé].
Etdanscegémissement,vite,commeunvoleur,leJaponaisdit:
LUI
Jen'aimepaspenseràtondépart.Demain.
Jecroisquejet'aime.
LegémissementdelaFrançaisecontinuedetellefaçonqu'ilpeutdevenircelui
d'un accablement amoureux. Le Japonais enfouit sa bouche dans ses cheveux,
mange ses cheveux, discrètement. La main sur l'épaule est serrée. Elle ouvre
lentementlesyeux.
Ledéfilécontinue.
Lesenfantssontfardésenblanc.Lasueurperleàtraversletalc.Deuxd'entre
euxsedisputentuneorange.Ilssontencolère.
ELLE
[Pourquoilesa-t-onfardéscommeça?
LUI
Pourqu'ilsseressemblent,lesenfantsd'Hiroshima.]
[Cesparolessontprononcéessurlesenfants.]
[(Oudesvoixjaponaisessous-titrées.)Voixcriées.]
ELLE
[Pourquoi?
LUI
Parcequelesenfantsbrûlésd'Hiroshimaseressemblaient.]
Passeunfauxbrûléquiadûjouerdanslefilm.Ilperdsacirequifonddans
soncou.Celapeutêtretrèsdégoûtant,trèseffrayant.
Ilsseregardentdansunmouvementinversedelatête.Ildit:
LUI
Tuvasveniravecmoiencoreunefois.
Ellenerépondpas.
Une admirable femme japonaise passe. Elle est assise sur un char. De (l
'encorbellementdesesseins
2
)prisdansuncorsagenoir,s'envolentdescolombes.
LUI
Réponds-moi.
Ellenerépondpas.Ilsepencheetàl'oreille:
LUI
Tuaspeur?
Ellesourit.Fait«non»delatête.
ELLE
Non.
[Deschatsvoientlescolombesquisortentducorsagedelafemmeets'agitent.]
Leschantsinformesdesenfantscontinuent,maisendiminuant.
Une monitrice gronde les deux enfants qui se disputent l'orange. Le grand
prendl'orange.Lepetitpleure.Legrandcommenceàmangerl'orange.
Toutcecidureplusqu'ilnefaudrait.
Derrièrel'enfantquipleure,lescinqcentsétudiantsjaponaisarrivent.C'estun
peu fatigant, débordant. Il la prend contre lui tout à fait, à l'occasion de ce
nouveaudésordre.Ilsontunregarddedétresse.Lui,laregardant,elle,regardant
ledéfilé.Ondevraitressentirquecedéfilélesspoliedutempsqu'illeurreste.Ils
nesedisentplusrien.Ill'entraîneparlamain.Elleselaissefaire.Ilspartent,à
contre-courantdudéfilé.Onlesperddevue
3
.
Nous la retrouvons debout au milieu d'une grande pièce d'une maison
japonaise.Storesbaissés.Lumièredouce.Sentimentdefraîcheuraprèslachaleur
dudéfilé.Lamaisonestmoderne.Ilyadesfauteuils,etc.
La Française se tient là comme une invitée. Elle est presque intimidée. Il
vient vers elle du fond de la pièce (on peut supposer qu'il vient de fermer une
porte,oudugarage,peuimporte).Ildit:
LUI
Assieds-toi.
Elle ne s'assied pas. Ils restent debout tous les deux. On sent qu'entre eux
l'érotisme est tenu en échec par l'amour, pour l'instant. Lui est debout en face
d'elle. Et dans le même état, presque gauche. C'est le jeu inverse de celui que
joueraitunhommedanslecasd'uneaubaine.
Elledemande,maispourdirequelquechose:
ELLE
TuestoutseulàHiroshima?...tafemme,oùelleest?
LUI
ElleestàUnzen,àlamontagne.Jesuisseul.
ELLE
Ellerevientquand?
LUI
Cesjours-ci.
Ellecontinue,bas,commedansunaparté.
ELLE
Commentelleest,tafemme?
Ildit,enlaregardant.Trèsintentionnel.(Leton:làn'estpaslaquestion.)
LUI
Belle.Jesuisunhommequiestheureuxavecsafemme.
Untemps.
ELLE
Moiaussijesuisunefemmequiestheureuseavecsonmari.
Ceciestditdansuneémotionvéritableimmédiatementrecouverteparl'instant
quicourt.
LUI
...Ç'auraitététropsimple.
(Acemoment-là,letéléphonesonne.)
Ils'approched'ellecommes'illuitombaitdessus.Elleleregardearriversurelle
etdit:
ELLE
Tunetravaillespasl'après-midi?
LUI
Oui.Beaucoup.Surtoutl'après-midi.
ELLE
C'estunehistoireidiote...
Commeelledirait«Jet'aime».
Ilss'embrassentpendantlasonneriedutéléphonequicontinue.
Ilnerépondpas.
ELLE
C'estpourmoiquetuperdstonaprès-midi?
Ilnerépondtoujourspas.
ELLE
Maisdis-le,qu'est-cequeçapeutfaire?
A Hiroshima. [Ils sont ensemble, nus, dans un lit.] La lumière est déjà
modifiée.C'estaprèsl'amour.Dutempsapassé.
LUI
Ilétaitfrançais,l'hommequetuasaimépendantlaguerre?
ANevers.UnAllemandtraverseuneplace,aucrépuscule.
ELLE
Non...iln'étaitpasfrançais.
AHiroshima.Elleestétaléesurlelitcombléedefatigueetd'amour.Lejoura
encorebaissésurleurscorps.
ELLE
Oui,c'étaitàNevers.
ANevers.Imagesd'unamouràNevers.Coursesàbicyclette.Laforêt.Lesruines,
etc.
ELLE
Ons'estd'abordrencontrédansdesgranges.Puisdansdesruines.Etpuisdans
deschambres.Commepartout.
AHiroshima.Dans la chambre, la lumière a encore baissé.On les retrouve
dansuneposed'enlacementpresquecalme.
ELLE
Etpuis,ilestmort.
ANevers.ImagesdeNevers.Desrivières.Desquais.Despeupliersdansduvent,etc.
Lequaidésert.
Lejardin.
AHiroshima,maintenant.Etonlesretrouve[presquedanslapénombre].
ELLE
Moidix-huitansetluivingt-troisans.
ANevers.Dansunecabane,lanuit,le«mariage»deNevers.
(SurlesimagesdeNevers,onlafaitseulementrépondre.Lesquestionsquelui,
luipose,sont«entendues»,«vontdesoi».)
Toujours dans le même enchaînement. Sur Nevers qui consacre la réponse.
Puisàlafin,elledit,calme:
ELLE
Pourquoiparlerdeluiplutôtqued'autres?
LUI
Pourquoipas?
ELLE
Non.Pourquoi?
LUI
A cause deNevers, je peux seulement commencer à te connaître. Et, entre les
milliersetlesmilliersdechosesdetavie,jechoisisNevers.
ELLE
Commeautrechose?
LUI
Oui.
Est-cequ'onvoitqu'ilment?Ons'endoute.Elle,elledevientpresqueviolente,
et,cherchantelle-mêmecequ'ellepourraitdire(momentunpeufou).
ELLE
Non.Cen'estpasunhasard.(Untemps.)C'esttoiquidoismedirepourquoi.
Ilpeutrépondre(trèsimportantpourlefilm).Soit:
LUI
C'est là, ilme semble l'avoir comprisque tu es si jeune... si jeune,que tun'es
encoreàpersonneprécisément.Celameplaît.
Oubien:
ELLE
Non,cen'estpasça.
LUI
C'estlà,ilmesemblel'avoircompris,quej'aifailli...teperdre...etquej'airisqué
nejamaisteconnaître.
Oubien:
LUI
C'est là, ilme semble l'avoir compris, que tu as dû commencer à être comme
aujourd'huituesencore.
(Choisirentrecestroisdernièresrépliquesoulesdonnertouteslestrois
4
,soità
la file, soit séparément, au hasard des mouvements d'amour dans le lit. Cette
dernièresolutionseraitcellequejepréféreraisiçan'allongepastroplascène.)
[Une dernière fois, Nevers défile. Des images s'en succèdent d'une banalité
voulue.Enmêmetempsqu'elleseffraient.]
Unedernièrefoisonrevientsureux.[Ilfaitnoir.]Elledit.Ellecrie:
ELLE
Jeveuxpartird'ici.
Enmêmetempsqu'elles'estagrippéeàluipresquesauvagement.
Ils sont dans la pièce où ils étaient tout à l'heure, rhabillés. Cette pièce est
maintenantéclairée.Ilssontdebouttouslesdeux.Ildit,calme,calme...
LUI
Ilnenousresteplusmaintenantqu'àtuerletempsquinousséparedetondépart.
Encoreseizeheurespourtonavion.
Elleditdansl'affolement,dansladétresse:
ELLE
C'esténorme...
Ilrépond,doucement:
LUI
Non.Ilnefautpasquetuaiespeur.
1Inteligence:fautevolontairementlaisséeparResnais.
2Resnaisachoisiunglobefleuri.
3Resnaislesfaitseperdredanslafoule.
4Aulieudechoisirentrecestroisversions,A.Resnaisachoisilasolutiondelesdonnertouteslestrois.
PARTIEIV
Surlefleuve,àHiroshima,lanuittombeendelonguestraînéeslumineuses.
Lefleuvesevideetseremplitsuivantlesheures,lesmarées.Desgensregardentparfois
lalentemontéedelamaréelelongdesbergesboueuses.
Uncaféestenfacedecefleuve.C'estuncafémoderne,américaniséavecunegrande
baie.Lorsqu'on est assis dans le fonddu café, onne voit plus les rives du fleuvemais
seulementlefleuvelui-même.C'estdanscetteimprécisionquesedessinel'embouchuredu
fleuve. C'est là que finitHiroshima et commence le Pacifique. L'endroit est àmoitié
vide.Ilssontassisàunetableaufonddelasalle.Ilssontl'unenfacedel'autre,soitjoue
contre joue, soit front contre front.Onvientde lesquitterdans ladétresseà l'idéedes
seizeheuresquilesséparentdeleurséparationdéfinitive.Onlesretrouvepresquedansle
bonheur.Letempspassesansqu'ilss'enaperçoivent.Unmiracles'estproduit.Lequel?
Justement, la résurgence de Nevers. Et la première chose qu'il dit, dans cette pose
éperdumentamoureuse,c'est:
LUI
Çaneveutriendire,enfrançais,Nevers,autrement?
ELLE
Rien.Non.
LUI
Tuauraiseufroid,danscettecaveàNeverssions'étaitaimés?
ELLE
J'auraiseufroid.ANeverslescavessontfroides,étécommehiver.Lavilles'étage
lelongd'unfleuvequ'onappellelaLoire.
LUI
JenepeuxpasimaginerNevers.
Nevers.LaLoire.
ELLE
Nevers.Quarantemillehabitants.Bâticommeunecapitale–(mais).Unenfant
peutenfaireletour.(Elles'écartedelui.)JesuisnéeàNevers(elleboit),j'aigrandià
Nevers.J'aiapprisàlire,àNevers.Etc'estlàquej'aieuvingtans.
LUI
EtlaLoire?
Illuiprendlatêtedanslesmains.
Nevers.
ELLE
C'est un fleuve sans navigation aucune, toujours vide, à cause de son cours
irrégulieretdesesbancsdesable.EnFrance,laLoirepassepourunfleuvetrèsbeau,
àcausesurtoutdesalumière...tellementdouce,situsavais.
Tonextasié.Illuilâchelatête,écoutetrèsintensément.
LUI
Quandtuesdanslacave,jesuismort?
ELLE
Tuesmort...et...
Nevers:l'Allemandagonisetrèslentementsurlequai.
ELLE
...commentsupporterunetelledouleur?
ELLE
Lacaveestpetite.
Pourfairedesesmains,legestedelamesurer,elleseretiredesajoue.Etelle
continue,trèsprèsde safigure,maisnonpluscolléeàelle.Aucuneincantation.
Elles'adresseàluitrèspassionnément.
ELLE
...trèspetite.
ELLE
LaMarseillaisepasseau-dessusdematête...C'est...assourdissant...
Ellesebouchelesoreilles,danscecafé(àHiroshima).Ilrègnedanscecaféun
grandsilencetoutàcoup.
CavesdeNevers.MainssaignantesdeRiva.
ELLE
Lesmainsdeviennentinutilesdanslescaves.Ellesgrattent.Elless'écorchentaux
murs...àsefairesaigner...
Des mains saignent quelque part, à Nevers. Les siennes, sur la table, sont
intactes.
RivalèchesonpropresangàNevers.
ELLE
...c'esttoutcequ'onpeuttrouveràfairepoursefairedubien...
ELLE
...etaussipourserappeler...
ELLE
...J'aimaislesangdepuisquej'avaisgoûtéautien.
Ils se regardent à peine quand elle parle. Ils regardentNevers. Ils sont, tous
deux,unpeucommedespossédésdeNevers.Ilyasurlatabledeuxverres.Elle
boitavidement.Luipluslentement.Leursmainssontposéessurlatable.
Nevers.
ELLE
Lasociétémeroulesurlatête.Aulieuduciel...forcément...Jelavoismarcher,
cettesociété.Rapidementpendantlasemaine.Ledimanche,lentement.Ellenesait
pasque jesuisdans lacave.Onmefaitpasserpourmorte,morte loindeNevers.
Monpèrepréfère.Parcequejesuisdéshonorée,monpèrepréfère.
Nevers : un père, un pharmacien de Nevers, derrière la vitrine de sa
pharmacie.
LUI
Tucries?
LachambredeNevers.
ELLE
Audébut,non,jenecriepas.Jet'appelledoucement.
LUI
Maisjesuismort.
ELLE
Jet'appellequandmême.Mêmemort.Puisunjour,toutàcoup,jecrie,jecrie
trèsfortcommeunesourde.C'estalorsqu'onmemetdanslacave.Pourmepunir.
LUI
Tucriesquoi?
ELLE
Tonnomallemand.Seulementtonnom.Jen'aiplusqu'uneseulemémoire,celle
detonnom.
ChambredeNevers,crissilencieux.
ELLE
Jeprometsdenepluscrier.Alorsonmeremontedansmachambre.
ChambredeNevers.Couchée,lajamberelevée,dansledésir.
ELLE
Jen'enpeuxplusd'avoirenviedetoi.
LUI
Tuaspeur?
ELLE
J'aipeur.Partout.Danslacave.Danslachambre.
LUI
Dequoi?
TachesauplafonddelachambredeNevers,objetsterrifiantsdeNevers.
ELLE
Deneplusterevoir,jamais,jamais.
Ilsserapprochentdenouveaucommeaudébutdelascène.
ELLE
Unjour,j'aivingtans.C'estdanslacave,mamèrevientetmeditquej'aivingt
ans.(Untemps,commepoursesouvenir.)Mamèrepleure.
LUI
Tucrachesauvisagedetamère?
ELLE
Oui.
(Commes'ilssavaientensembleceschoses.)Ilsedétached'elle.
LUI
Bois.
ELLE
Oui.
Iltientleverre,lafaitboire.Elleesttoujourshagardeàforcedesesouvenir.Et
toutàcoup:
ELLE
Après,jenesaisplusrien.Jenesaisplusrien...
Lui,pourl'encourager,l'inspirer.
LUI
Cesontdescavestrèsanciennes,trèshumides,lescavesdeNevers...tudisais...
Elleselaisseprendreaupiège.
ELLE
Oui.Pleinesdesalpêtre.[Jesuisdevenueuneimbécile.]
SabouchecontrelesmursdelacavedeNevers,quimord.
ELLE
Quelquefoisunchatentreetregarde.Cen'estpasméchant.Jenesaisplusrien.
UnchatentredansunecaveàNeversetregardecettefemme.
Elleajoute.
ELLE
Aprèsjenesaisplusrien.
LUI
Combiendetemps?
Ellenesortpasdelapossession.
ELLE
L'éternité.(Avecévidence.)
Quelqu'un, un homme tout seul,met un disquemusette français dans le juke-box.
Pourquedurelemiracledel'oublideNevers,pourquerienne«bouge», leJaponais
verselecontenudesonverredansceluidelaFrançaise.
DansunecavedeNeversbrillentlesyeuxd'unchatetlesyeuxdeRiva.
Quandelleentendledisquemusette(saouleoufolle),ellesouritetellecrie.
ELLE
Ah!Quej'aiétéjeuneunjour.
Elle revient àNevers, à peine en est-elle sortie. Elle est hantée (le choix des
adjectifsestvolontairementvarié).
ELLE
Lanuit...mamèremefaitdescendredanslejardin.Elleregardematête.Chaque
nuitelleregardematêteavecattention.Ellen'osepasencores'approcherdemoi...
C'est la nuit que je peux regarder la place, alors je la regarde. Elle est immense
(gestes)!Elles'incurveensonmilieu.[Ondiraitunlac.]
Soupirail de la cave de Nevers. A travers ce soupirail, roues irisées des
bicyclettesquipassentdansl'auroredeNevers.
ELLE
C'estàl'aurorequelesommeilvient.
LUI
Parfoisilpleut?
ELLE
...lelongdesmurs.
Ellecherche,ellecherche,ellecherche.
ELLE
Jepenseàtoi.Maisjeneledisplus.(Presquemaligne.)
Ilsserapprochent.
LUI
Folle.
ELLE
Jesuisfolled'amourpourtoi.(Untemps.)Mescheveuxrepoussent.Amamain,
chaquejour,jelesens.Çam'estégal.Maisquandmême,mescheveuxrepoussent...
RivadanssonlitàNevers,lamaindanssescheveux.
Ellepassesesmainsdanslescheveux.
LUI
Tucries,avantlacave?
ELLE
Non.Jenesensrien...
Ilssontjouecontrejoue,lesyeuxàmoitié
fermés,àHiroshima.
ELLE
[Ils sont jeunes.Ce sontdeshéros sans imagination.] Ilsme tondent avec soin
jusqu'aubout.Ilscroientdeleurdevoirdebientondrelesfemmes.
LUI
Tuashontepoureux,monamour?(Trèsnet.)
Latonte.
ELLE
Non.Tuesmort.Jesuisbientropoccupéeàsouffrir.Lejourtombe.Jenesuis
attentive qu'au bruit des ciseaux sur ma tête (ceci est dit dans la plus grande
immobilité).Çamesoulageuntoutpetitpeu...de...tamort...comme...
... comme,ah ! tiens, jenepeuxpasmieux tedire, commepour lesongles, les
murs,delacolère.
Ellecontinue,éperdumentcontreluiàHiroshima.
ELLE
Ah ! quelle douleur. Quelle douleur au cœur. C'est fou... On chante La
Marseillaisedanstoutelaville.Lejourtombe.Monamourmortestunennemidela
France.Quelqu'unditqu'ilfautlafairesepromenerenville.Lapharmaciedemon
pèreestferméepourcausededéshonneur.Jesuisseule.Ilyenaquirient.Dansla
nuitjerentrechezmoi.
Scène de la place àNevers. Elle doit pousser un cri informemais que dans
toutes les « langues » du monde on reconnaisse comme celui d'un enfant qui
appellesamère:maman.Lui,toujours,contreelle.Etilluitientlesmains.
LUI
Etpuis,unjour,monamour,tusorsdel'éternité.
ChambreNevers.
Rivatourneenrond.Renversedesobjets.Sauvage,animalitédelaraison.
ELLE
Oui,c'estlong.
Onm'aditqueç'avaitététrèslong.
A six heures du soir, la cathédrale Saint-Étienne sonne, été comme hiver. Un
jour, il est vrai, je l'entends. Je me souviens l'avoir entendue avant – avant –
pendantquenousnousaimions,pendantnotrebonheur.
Jecommenceàvoir.
Jemesouviensavoirdéjàvu–avant–avant–pendantquenousnousaimions,
pendantnotrebonheur.
Jemesouviens.
Jevoisl'encre.
Jevoislejour.
Jevoismavie.Tamort.
Maviequicontinue.Tamortquicontinue
ChambreetcavedeNevers.
etquel'ombregagnedéjàmoinsvitelesanglesdesmursdelachambre.Etque
l'ombre gagne déjà moins vite les angles desmurs de la cave. Vers six heures et
demie.
L'hiverestterminé.
Untemps.AHiroshima.
Elletremble.
Elleseretiredelafigure.
ELLE
Ah!C'esthorrible.Jecommenceàmoinsbienmesouvenirdetoi.
Iltientleverreetlafaitboire.Elleesthorrifiéeparelle-même.
ELLE
...Jecommenceàt'oublier.Jetrembled'avoiroubliétantd'amour...
...Encore(àboire).
Elledivague.Cettefois.Seule.Luilaperd.
ELLE
OndevaitseretrouveràmidisurlequaidelaLoire.Jedevaisrepartiraveclui.
QuandjesuisarrivéeàmidisurlequaidelaLoireiln'étaitpastoutàfaitmort.
Quelqu'unavaittiréd'unjardin.
LejardinduquaideNevers.
Elledélire,neleregardeplus.
ELLE
Jesuisrestéeprèsdesoncorpstoutelajournéeetpuistoutelanuitsuivante.Le
lendemainmatinonestvenuleramasseretonl'amisdansuncamion.C'estdans
cette nuit-là que Nevers a été libérée. Les cloches de l'église Saint-Étienne
sonnaient...sonnaient...Ilestdevenufroidpeuàpeusousmoi.Ah!qu'est-cequ'il
aétélongàmourir.Quand?Jenesaisplusaujuste.J'étaiscouchéesurlui...oui...
le moment de sa mort m'a échappé vraiment puisque... puisque même à ce
moment-là, etmême après, oui,même après, je peux dire que je n'arrivais pas à
trouverlamoindredifférenceentrececorpsmortetlemien...Jenepouvaistrouver
entrececorpsetlemienquedesressemblances...hurlantes,tucomprends?C'était
monpremieramour...(crié).
LeJaponaisluienvoieunegifle.(Oubien,commeonvoudra,illuiécraseles
mainsdanslessiennes.)Elleagitcommesiellenesavaitpasd'oùluivientcemal.
Maiselleseréveille.Etfaitcommesiellecomprenaitquecemalétaitnécessaire.
ELLE
Etpuisunjour...J'avaiscriéencore.Alorsonm'avaitmisedanslacave.
Savoixreprendsonrythme.
(Icitoutelascènedelabillequirentredanslacave,qu'elleramasse,quiest
chaude,surlaquelleellerefermesamain,etc.,etqu'ellerendauxenfants,au-
dehors,etc.)
ELLE
...Elleétaitchaude...
Illalaisseparlersanscomprendre.Ellereprend.
ELLE
(Untemps.)Jecroisquec'estàcemoment-làquejesuissortiedelaméchanceté.
Temps.
Jenecrieplus.
Temps.
Jedeviensraisonnable.Ondit:«Elledevientraisonnable.»
Temps.
Unenuit,unefête,onmelaissesortir.
Al'aurore,àNevers,aubordd'unerivière.
C'est le bord de la Loire.C'est l'aurore.Des gens passent sur le pont plus ou
moinsnombreuxsuivantlesheures.Deloin,cen'estpersonne.
PlacedelaRépublique,àNevers,denuit.
ELLE
Cen'estpastellementlongtempsaprèsquemamèrem'annoncequ'ilfautqueje
m'en aille, dans la nuit, à Paris. Elleme donne de l'argent. Je pars pour Paris à
bicyclette,lanuit.
C'estl'été.Lesnuitssontbonnes.
Quand j'arrive à Paris, le surlendemain, le nom Hiroshima est sur tous les
journaux.Mescheveuxontatteintunelongueurdécente.
Jesuisdanslarueaveclesgens.
Quelqu'unaremisledisquedemusettedanslejuke-box.
Elleajoute.Commesielleseréveillait.
ELLE
Quatorzeansontpassé.
Illuisertàboire.Elleboit.Elleredevientapparemmenttrèscalme.Ilssortent
dutunneldeNevers.
ELLE
Mêmedesmainsjemesouviensmal...Deladouleur,jemesouviensencoreun
peu.
LUI
Cesoir?
ELLE
Oui, ce soir jem'en souviens.Mais un jour, je nem'en souviendrai plus.Du
tout.Derien.
Ellelèvelatêtesurluiàcemoment-là.
ELLE
Demainàcetteheure-cijeseraiàdesmilliersdekilomètresdetoi.
LUI
Tonmari,ilsaitcettehistoire?
Ellehésite.
ELLE
Non.
LUI
Iln'yaquemoi,alors?
ELLE
Oui.
Ilselèvedelatable,laprenddanssesbras,laforceàseleveràsontour,et
l'enlacetrèsfort,scandaleusement.Lesgensregardent.Ilsnecomprennentpas.Il
estdansunejoieviolente.Ilrit:
LUI
Iln'yaquemoiquisache.Moiseulement.
Enmêmetempsqu'ellefermelesyeux,elledit:
ELLE
Tais-toi.
Elleserapprocheencoreplusdelui.Ellelèvesamain,et,trèslégèrement,elle
luicaresselaboucheavecsamain.Elledit,presquedansunbonheursoudain:
ELLE
Ah!quec'estbond'êtreavecquelqu'unquelquefois.
Ilsseséparent,trèslentement.
LUI
Oui(avecsesdoigtssursabouche).
[Le disque, sur la machine, le juke-box vient de diminuer subitement de
volume.]Unelampes'éteintquelquepart.Soitsurlabergedufleuve,soitdansle
bar.
Elle a sursauté. Elle a retiré sa main restée sur la bouche. Lui, n'avait pas
oubliél'heure.Ildit:
LUI
Parleencore.
ELLE
Oui.
Ellecherche.N'yarrivepas.
LUI
Parle.
Elledit,àplat:
ELLE
[J'ail'honneurd'avoirétédéshonorée.Lerasoirsurlatête,ona,delabêtise,une
intelligenceextraordinaire...]
Jedésireavoirvécucetinstant-là.Cetincomparableinstant.
Ildit,retirédumomentprésent:
LUI
Dansquelquesannées,quandjet'auraioubliée,etqued'autreshistoirescomme
celle-là,parlaforceencoredel'habitude,arriverontencore,jemesouviendraidetoi
commedel'oublidel'amourmême.Jepenseraiàcettehistoirecommeàl'horreur
del'oubli.Jelesaisdéjà.
Desgensentrentdanslecafé.Ellelesregardeetdemande(l'espoirrevient):
ELLE
Lanuit,çanes'arrêtejamais,àHiroshima?
Ilsentrentdansunecomédiedernière.Maiselles'ylaisseprendre.Cependant
qu'ilrépondenmentant.
LUI
Jamaisçanes'arrête,àHiroshima.
Ellesourit.Et,dansuneextrêmedouceur,dansunedétressesouriante,elledit
(adorablement):
ELLE
Commeçameplaît... les villesoù toujours il y adesgensqui sont réveillés, la
nuit,lejour...
Lapatronneaubaréteintunelampe.Ledisques'estterminé.Ilssontpresque
danslapénombre.L'horairetardifmaiscependantinéluctabledelafermeturedes
cafésàHiroshimaestatteint.
Ilsbaissentlesyeuxtouslesdeux,commesaisisparuneextrêmepudeur.Ilssont
foutus à la porte du monde ordonné où leur histoire ne peut pas s'inscrire.
Impossibledelutter.
Ellelecomprendtoutàfait,d'unseulcoup.
Quandilsrelèventlesyeux,ilssourientcependant«pournepaspleurer»au
senslepluscourudel'expression.
Elleselève.Ilnefaitaucungestepourlaretenir.
Ilssontdehors,danslanuit,devantlecafé.
Ellesetientdeboutdevantlui.
ELLE
Ilfautéviterdepenseràcesdifficultésqueprésentelemonde,quelquefois.Sans
ça,ildeviendraittoutàfaitirrespirable.
(Cettedernièrephraseestditedansun«souffle».)
Unedernièrelampes'éteintdanslecafé,trèsprès.Ilsontlesyeuxbaissés.[Un
canotàmoteurévoquantlebruitd'unavionremontelefleuveverslamer.]
ELLE
Éloigne-toidemoi.
Ils'éloigne.Regardelecielauloinetdit:
LUI
Lejourn'estpasencorelevé...
ELLE
Non.(Untemps.)Ilestprobablequenousmourronssansnousêtrejamaisrevus?
LUI
Ilestprobable,oui.(Untemps.)Sauf,peut-être,unjour,laguerre...
Untemps.
Ellerépond.Marquerl'ironie.
ELLE
Oui,laguerre...
PARTIEV
Encoreunefoisdutempsapassé.
Onlavoitdansunerue.Ellemarchevite.
Puisonlavoitdanslehalldel'hôtel.Elleprenduneclef.
Puisonlavoitdansl'escalier.
Puisonlavoitouvrirlaportedesachambre.Pénétrerdanscettechambreets'arrêter
netcommedevantungouffreoucommesiquelqu'unétaitdéjàdanscettechambre.Puis
s'enretireràreculons.Puisonlavoitrefermerdoucementlaportedecettechambre.
Monterl'escalier,ledescendre,leremonter,etc.
Revenirsursespas.Alleretvenirdansuncouloir.Setordrelesmains,cherchantune
issue,nelatrouvantpas,revenirdanslachambre,toutàcoup.Etcettefois,supporterle
spectacledecettechambre.
Ellevaverslelavabo,setrempelevisagedansl'eau.Etonentendlapremièrephrase
desondialogueintérieur:
ELLE
Oncroitsavoir.Etpuis,non.Jamais.
ELLE
[Apprendre la durée exacte du temps. Savoir comment le temps, parfois, se
précipitepuissalenteretombéeinutileetqu'ilfautnéanmoinsendurer,c'estaussi
ça,sansdoute,apprendrel'intelligence(haché,répétitions,bafouillage).
ELLE
ElleaeuàNeversunamourdejeunesseallemand...
NousironsenBavière,monamour,etnousnousmarierons.
Ellen'estjamaisalléeenBavière.(Elleseregardedanslaglace.)
QueceuxquinesontjamaisallésenBavièreosentluiparlerdel'amour.
Tun'étaispastoutàfaitmort.
J'airaconténotrehistoire.
Jet'aitrompécesoiraveccetinconnu.
J'airaconténotrehistoire.
Elleétait,vois-tu,racontable.
Quatorzeansquejen'avaispasretrouvé...legoûtd'unamourimpossible.
DepuisNevers.
Regardecommejet'oublie...
–Regardecommejet'aioublié.
Regarde-moi.
[Par la fenêtre ouverte on voit Hiroshima reconstruit et paisiblement
endormi.]
Ellerelèvelatêtebrusquement,sevoitdanslaglacelevisagetrempé(commede
larmes),vieillie,abîmée.Et,cettefois,fermelesyeux,dégoûtée.
Elles'essuielevisage,reparttrèsvite,retraverselehall.
Onlaretrouveassisesoitsurunbanc,soitsuruntasdegraviers,soitàunevingtaine
demètresducaféoùilsétaientensembleunmomentavant.
La lumière du restaurant (le restaurant) est dans ses yeux. Banal, presque désert,
duquelilestparti.
Elle(s'allonge,s'assied)surlegravieretcontinueàregarderlecafé.(Uneseulelumière
est allumée alors dans le bar. La salle dans laquelle ils étaient ensemble un moment
avantest fermée.Par laportedubarcette sallereçoitunefaibleclartéreflétéequi,au
hasarddeladispositiondestablesetdeschaises,faitdesombresprécisesetvaines.)
[Lesderniersclientsdubarfontécranentrelalumièreetlafemmeassisesurletasde
graviers.Ellepasseainsidel'ombreàlalumière,auhasarddupassagedesclientsdubar.
Cependantqu'ellecontinuedansl'ombre,àregarderl'endroitduqueliladéserté.]
Ellefermelesyeux.Puisellelesrouvre.Oncroitqu'elledort.Maisnon.Quandelle
les rouvre c'est tout d'un coup. Comme un chat. On entend sa voix, monologue
intérieur:
ELLE
JevaisresteràHiroshima.Aveclui,chaquenuit.AHiroshima.
Elleouvrelesyeux.
ELLE
Jevaisresterlà.Là.
Ellequittelecafédesyeux,regardeautourd'elle.Ettoutd'uncoupse
recroquevillesurelle-mêmeleplusqu'ilestpossiblequ'ellelefasse,dansun
mouvementtrèsenfantin.Figurecachéedanslesbras.Piedsrepliés.
Le Japonais arrive près d'elle.Elle le voit, ne bouge pas, ne réagit pas.Leur
absence de « l'un à l'autre » a commencé. Aucun étonnement. Il fume une
cigarette.Ildit:
LUI
ResteàHiroshima.
Elleleregarde«endouce».
ELLE
BiensûrquejevaisresteràHiroshimaavectoi.
Elleserecoucheletempsdeledire(enfantinement).
ELLE
Quejesuismalheureuse...
Ilserapproched'elle.
ELLE
Jenem'yattendaispasdutout,tucomprends...
ELLE
Va-t'en.
Ils'éloignetandisqu'ildit:
LUI
Impossibledetequitter.
On les retrouve sur un boulevard.De loin en loin, des boîtes de nuit éclairées.Le
boulevardestparfaitementdroit.
Ellemarche.Lui la suit.Onpeut les voir l'un, puis l'autre. Ils ont lemêmevisage
désespéré.Illarattrapeetilluiditdoucement:
LUI
ResteàHiroshimaavecmoi.
Elle ne répond pas. On entend sa voix alors, presque criée (du monologue
intérieur).
ELLE
[Je désire ne plus avoir de patrie.Ames enfants j'enseignerai laméchanceté et
l'indifférence,l'intelligenceetl'amourdelapatriedesautresjusqu'àlamort.]
ELLE
Ilvavenirversmoi,ilvameprendreparlesépaules,ilm'em-bras-se-ra...
ELLE
Ilm'embrassera...etjeseraiperdue.
(Perdueestditdansleravissement.)
Onrevientàlui.Etons'aperçoitqu'ilmarchepluslentementpourluilaisser
duchamp.Qu'aucontrairederevenirverselleils'enéloigne.Elleneseretourne
pas.
SuccessiondesruesdeHiroshimaetdeNevers.MonologueintérieurdeRiva.
ELLE
Jeterencontre.
Jemesouviensdetoi.
Cettevilleétaitfaiteàlatailledel'amour.
Tuétaisfaitàlatailledemoncorpsmême.
Quies-tu?
Tumetues.
J'avaisfaim.Faimd'infidélités,d'adultères,demensongesetdemourir.
Depuistoujours.
Jemedoutaisbienqu'unjourtumetomberaisdessus.
Jet'attendaisdansuneimpatiencesansborne,calme.
Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne
comprenneplusdutoutlepourquoidetantdedésir.
Nousallonsresterseuls,monamour.
Lanuitnevapasfinir.
Lejourneselèveraplussurpersonne.
Jamais.Jamaisplus.Enfin.
Tumetues.
Tumefaisdubien.
Nouspleureronslejourdéfuntavecconscienceetbonnevolonté.
Nousn'auronsplusriend'autreàfaire,plusrienquepleurerlejourdéfunt.
Dutempspassera.Dutempsseulement.
Etdutempsvavenir.
Dutempsviendra.Oùnousnesauronsplusdutoutnommercequinousunira.
Lenoms'eneffacerapeuàpeudenotremémoire.
Puis,ildisparaîtratoutàfait.
Ill'abordecettefoisdeface.C'estladernièrefois.Maisilresteloind'elle.Elle
estdésormaisintouchable.Ilpleut.C'estsousl'auventd'unmagasin.
LUI
Peut-êtrequec'estpossible,queturestes.
ELLE
Tulesaisbien.Plusimpossibleencorequedesequitter.
LUI
Huitjours.
ELLE
Non.
LUI
Troisjours.
ELLE
Letempsdequoi?D'envivre?D'enmourir?
LUI
Letempsdelesavoir.
ELLE
Çan'existepas.Niletempsd'envivre.Niletempsd'enmourir.Alors,jem'en
fous.
LUI
J'auraispréféréquetusoismorteàNevers.
ELLE
Moiaussi.MaisjenesuispasmorteàNevers.
Nous la retrouvons installée sur une banquette de la salle d'attente de la gare de
Hiroshima.Le tempsa encorepassé.A côtéd'elle,unevieille femme japonaiseattend.
OnentendlavoixdelaFrançaise(monologueintérieur):
ELLE
Neversquej'avaisoublié,jevoudraisterevoircesoir.Jet'aiincendiéchaquenuit
pendantdesmoistandisquemoncorpss'incendiaitàsonsouvenir.
LeJaponaisestentrécommeuneombreetils'estassissurlemêmebancquela
vieillefemme,àl'opposédelaplaceoùelleest.IlneregardepaslaFrançaise.Son
visageesttrempédepluie.Sabouchetremblelégèrement.
ELLE
Tandisquemoncorpss'incendiedéjààtonsouvenir.JevoudraisrevoirNevers...
laLoire.
Nevers.
PeuplierscharmantsdelaNièvrejevousdonneàl'oubli.
Lemot«charmants»doitêtreditcommelemotamour.
Histoiredequatresous,jetedonneàl'oubli.
RuinesdeNevers.
Unenuitloindetoietj'attendaislejourcommeunedélivrance.
Le«mariage»àNevers.
Unjoursanssesyeuxetelleenmeurt.
PetitefilledeNevers.
PetitecoureusedeNevers.
Unjoursanssesmainsetellecroitaumalheurd'aimer.
Petitefillederien.
Morted'amouràNevers.
PetitetonduedeNeversjetedonneàl'oublicesoir.
Histoiredequatresous.
Commepourlui,l'oublicommencerapartesyeux.
Pareil.
Puis,commepourlui,l'oubligagneratavoix.
Pareil.
Puis,commepourlui,iltriompheradetoitoutentier,peuàpeu.
Tudeviendrasunechanson.
ELLE
[Vers septheuresdu soir, en été,deux foules se croisent sur leboulevardde la
République, paisiblement, dans le souci des achats. Des jeunes filles aux longs
cheveuxnefontplusdetortàleurpatrie.JevoudraisrevoirNevers.Nevers.Bêteà
pleurer.]
ELLE
[C'est dans cette cave deNevers que l'amour de cet hommem'est venu.Que
l'amourdetoim'estvenu.
Dans le quartier deBeausoleil oùmon souvenir reste commeun exemple àne
plussuivrel'amourdetoim'estvenu.]
[C'estparcequedanslequartierdeBeausoleilmonsouvenirestrestécommeun
exempleànepas suivre,que je suisdevenue,un jour, librede t'aimer. Jen'aurais
jamais osé t'aimer si je n'avais pas laissé à Beausoleil cet inqualifiable souvenir.
Beausoleil,jetesalue,jevoudraisterevoircesoir,Beausoleil,bêteàpleurer.]
LeJaponaisestséparéd'elleparcettevieillefemmejaponaise.
Ilprendunecigarette,serelèvelégèrementettendlepaquetàlaFrançaise.
« C'est tout ce que je peux pouvoir faire pour toi, t'offrir une cigarette, comme je
l'offriraiàn'importequi,àcettevieillefemme.»Ellenefumerapas.
Ill'offreàlavieillefemme,laluiallume.
LaforêtdeNeversdéfiledanslecrépuscule.EtNevers.Tandisquelehaut-parleurde
lagaredeHiroshimaannonce:«Hiroshima!Hiroshima!»surlesimagesdeNevers.
LaFrançaisesembles'êtreendormie.Ilsveillentsurcesommeil.Parlentbas.
C'estparcequ'ellelacroitendormiequelavieillefemmeinterrogeleJaponais.
VIEILLEFEMME
Quic'est?
LUI
UneFrançaise.
VIEILLEFEMME
Qu'est-cequ'ilya?
LUI
EllevaquitterleJapontoutàl'heure.Noussommestristesdenousquitter
1
.
Elle n'est plus là.On la retrouve aux abords de la gare. Ellemonte dans un taxi.
S'arrêtedevantuneboîtedenuit «LeCasablanca ».Devant laquelle, il arrive à son
tour.
Elle est seuleàune table. Il s'assiedàuneautre tableà l'opposéde l'endroitqu'elle
occupe.
C'estlafin.Lafindelanuitautermedelaquelleilsseséparerontpourtoujours.
UnJaponaisquiétaitdanslasallevaverslaFrançaiseetl'abordeainsi(enanglais):
LEJAPONAIS
Areyoualone?
Ellenerépondqueparsignes.[Luidésignesoitlachaise,soitletabouretàcôté
d'elle.]
LEJAPONAIS
Doyoumindtalkingwithmealittle?
L'endroitestpresquedésert.Desgenss'ennuient.
LEJAPONAIS
Itisverylatetobelonely?
Elle se laisseaborderparunautrehommeafinde «perdre » celuiquenous
connaissons. Mais non seulement ce n'est pas possible, c'est inutile. Il est déjà
perdu.
LEJAPONAIS
MayIsitdown?
LEJAPONAIS
AreyoujustvisitingHiroshima?
Detempsentemps,ilsseregardent,trèspeu,c'estabominable.
LEJAPONAIS
DoyoulikeJapan?
LEJAPONAIS
DoyouliveinParis?
Toujours,l'aubegrandit[auxvitres].
Lemonologueintérieur,lui-même,acessé.
CeJaponaisinconnuluiparle.Elleregardel'autre.LeJaponaisinconnucesse
deluiparler.
Etvoici,àtraversdesvitres,terrifiante,«l'auroredescondamnés».
Onlaretrouvederrièrelaportedelachambre.Ellealamainsurlecœur.
Onfrappe.
Elleouvre.
Ildit:
LUI
Impossibledenepasvenir.
Ilssontdebout,danslachambre.
Debout l'un contre l'autre,mais lesbras le longdu corps, sans se toucherdu
tout.
Lachambreestintacte.
Lescendrierssontvides.
L'auroreesttoutàfaitarrivée.Ilyadusoleil.
Ilsnefumentmêmepas.
Lelitestintact.
Ilsnesedisentrien.
Ilsseregardent.
Lesilencedel'aubepèsesurtoutelaville.Ilentredanslachambre.Auloin,
Hiroshimadortencore.
Toutàcoup,elles'assied.
Elleseprendlevisageentrelesmains,etgémit.Plaintesombre.
Danssesyeuxàelleilyalaclartédelaville.Ellemetpresquemalàl'aiseet
ellecrietoutàcoup:
ELLE
Jet'oublierai!Jet'oubliedéjà!Regarde,commejet'oublie!Regarde-moi!
Illatientparlesbras,[lespoignets],ellesetientfaceàlui,latêterenverséeen
arrière.Elles'écartedeluiavecbeaucoupdebrutalité.
Ill'assistedansl'absencedelui-même.Commesielleétaitendanger.
Illaregarde,tandisqu'elleleregardecommeelleregarderaitlavilleetl'appelle
toutàcouptrèsdoucement.
Elle l'appelle«auloin»,dans l'émerveillement.Ellearéussià lenoyerdans
l'oubliuniversel.Elleenestémerveillée.
ELLE
Hi-ro-shi-ma.
ELLE
Hi-ro-shi-ma.C'esttonnom.
Ilsseregardentsanssevoir.Pourtoujours.
LUI
C'estmonnom.Oui.
[Onenestlàseulementencore.Etonenresteralàpourtoujours.]Tonnomàtoi
estNevers.Ne-vers-en-Fran-ce.
FIN
1Enjaponais.Nontraduit.
APPENDICES
LESÉVIDENCESNOCTURNES
(NotessurNevers)
1
SURL'IMAGEDELAMORTDEL'ALLEMAND
Ilssonttouslesdeux,àégalité,enproieàcetévénement:samortàlui.
Iln'yaaucunecolèrenichezl'unnichezl'autre.Iln'yaqueleregretmortelde
leuramour.
Mêmedouleur.Mêmesang.Mêmeslarmes.
L'absurditédelaguerre,miseànue,planesurleurscorpsindistincts.
Onpourraitlacroiremortetellementellesemeurtdesamortàlui.
Il essaie de lui caresser la hanche, comme dans l'amour, il le lui faisait. Il n'y
arriveplus.
Ondiraitqu'ellel'aideàmourir.Ellenepensepasàellemaisseulementàlui.Et
queluilaconsole,s'excusepresqued'avoiràlafairesouffrir,d'avoiràmourir.
Quandelleestseule,àcetendroitmêmeoùilsétaienttoutàl'heure,ladouleur
n'a pas encore pris place dans sa vie. Elle est simplement dans un indicible
étonnementdeseretrouverseule.
SURL'IMAGEDUJARDINDUQUELONATIRÉSURL'ALLEMAND
Onatirédecejardincommeonauraittiréd'unautrejardindeNevers.Detous
lesautresjardinsdeNevers.
Seullehasardafaitquecesoitdecelui-ci.
Cejardinestdésormaismarquéausignedelabanalitédesamort.
Sa couleur et sa forme sont désormais fatidiques. C'est de là que sa mort est
partie,éternellement.
UNSOLDATALLEMANDTRAVERSEUNEPLACEDEPROVINCEPENDANTLAGUERRE
Quelque part en France, vers la fin de l'après-midi, un certain jour, un soldat
allemandtraverseuneplacedeprovince.
Mêmelaguerreestquotidienne.
Lesoldatallemandtraverselaplacecommeunecibletranquille.
Nous sommes dans le fond de la guerre, lemoment où l'on désespère de son
issue.Les gensneprennentplus garde aux ennemis.L'habitudede la guerre s'est
installée.LaplaceduChamp-de-Marsreflèteunedésespérancetranquille.Lesoldat
allemand la ressent aussi.Onneparlepas assezde l'ennuide la guerre.Dans cet
ennui, des femmes derrière des volets clos regardent l'ennemi qui marche sur la
place.Icil'aventureselimiteaupatriotisme.L'autreaventuredoitêtreétranglée.On
regarde,n'empêche.Rienàfairecontreleregard.
SURLESIMAGESDESRENCONTRESENTRERIVAETLESOLDATALLEMAND
Nousnoussommesembrassésderrière les remparts.Lamortdans l'âme,certes,
maisdansunirrépressiblebonheurj'aiembrassémonennemi.
Les remparts étaient toujours déserts pendant la guerre. Des Français y furent
fusilléspendantlaguerre.Etaprèslaguerre,desAllemands.
J'ai découvert ses mains quand elles touchaient des barrières pour les ouvrir
devant moi. Ses mains me donnèrent très vite l'envie de les punir. Je mords ses
mainsaprèsl'amour.
C'estdanslesmursdelavillequejesuisdevenuesafemme.
Jenepeuxpasencoremesouvenirdelaportedufonddujardin.Ilm'attendait
là,desheuresparfois.Lanuitsurtout.Chaquefoisqu'uninstantdelibertém'était
donné.Ilavaitpeur.
J'avaispeur.
Quand il fallait traverser la ville ensemble jemarchaisdevant lui,dans lapeur.
Les gens baissaient les yeux.Nous crûmes à leur indifférence.On a commencé à
devenirimprudents.
Je lui demandais de traverser la place, derrière la grille de... afin qu'une fois je
puisse l'apercevoirdans le jour. Ilpassaitdoncchaque jourdevant cettegrille, les
yeuxbaissés,ilselaissaitregarderparmoi.
Danslesruines, l'hiver, leventtournesurlui-même.Lefroid.Seslèvresétaient
froides.
UNNEVERSIMAGINAIRE
Neversoùjesuisnée,dansmonsouvenir,estindistinctdemoi-même.
C'estunevilledontunenfantpeutfaireletour.
Délimitéed'unepartparlaLoire,d'autrepartparlesRemparts.
Au-delàdesRempartsilyalaforêt.
Neverspeutêtremesuréeaupasd'unenfant.
Nevers « se passe » entre les Remparts, le fleuve, la forêt, la campagne. Les
Rempartssontimposants.LefleuveestlepluslargedeFrance,leplusrenommé,le
plusbeau.
Neversestdoncdélimitéecommeunecapitale.
Quandj'étaisunepetitefilleetquej'enfaisaisletour,jelacroyaisimmense.Son
ombre,danslaLoire,tremblait,l'agrandissantencore.
Cette illusion sur l'immensité de Nevers je l'ai gardée longtemps, jusqu'au
momentoùj'aiatteintl'âged'unejeunefille.
AlorsNeverss'est ferméesurelle-même.Elleagrandicommeongrandit.Jene
savaisriendesautresvilles.J'avaisbesoind'unevilleàlatailledel'amourmême.Je
l'aitrouvéedansNeversmême.
DiredeNeversqu'elleestunepetitevilleestuneerreurducœuretde l'esprit.
Neversfutimmensepourmoi.
Lebléestàsesportes.Laforêtestàsesfenêtres.Lanuit,deschouettesenarrivent
jusquedanslesjardins.Aussifaut-ils'ydéfendred'yavoirpeur.
L'amouryestsurveillécommenullepartailleurs.
Des gens seuls y attendent leur mort. Aucune autre aventure que celle-là ne
pourrafairedévierleurattente.
Danscesruestortueusessevitdonclalignedroitedel'attentedelamort.
L'amour y est impardonnable. La faute, à Nevers, est d'amour. Le crime, à
Nevers,estlebonheur.L'ennuiyestunevertutolérée.
Desfouscirculentdanssesfaubourgs.Desbohémiens.Deschiens.Etl'amour.
DiredumaldeNeversseraitégalementuneerreurdel'espritetducœur.
SURLESIMAGESDELABILLEPERDUEPARLESENFANTS
J'ai encore crié.Et ce jour-là j'ai entenduun cri.Ladernière foisque l'onm'a
mise dans la cave. Elle est arrivée versmoi (la bille) en prenant tout son temps,
commeunévénement.
Al'intérieurcoulaientdesrivièrescolorées,trèsvives.L'étéétaitàl'intérieurdela
bille.Del'étéelleavaitaussilachaleur.
Jesavaisdéjàqu'onnedevaitplusmangerleschoses,mangern'importequoi,ni
lesmurs,nilesangdesesmainsnilesmurs.Jel'airegardéeavecgentillesse.Jel'ai
poséecontremabouchemaissansmordre.
Tantderondeur,tantdeperfection,posaientuninsolubleproblème.
Peut-être vais-je la casser. Je la jette mais elle rebondit vers ma main. Je
recommence.Ellenerevientpas.Elleseperd.
Quandelleseperd,quelquechoserecommencequejereconnais.Lapeurrevient.
Unebillenepeutpasmourir.Jemesouviens.Jecherche.Jelaretrouve.
Crisdesenfants.Labilleestdansmamain.Cris.Bille.Elleestauxenfants.Non.
Ilsnel'aurontplus.J'ouvrelamain.Elleestlà,captive.Jelarendsauxenfants.
UNSOLDATALLEMANDVIENTSEFAIREPANSERLAMAINDANSLAPHARMACIEDUPÈRE
DERIVA
[Danscepleinétéjeportaisdeschandails(noirs).LesétéssontfroidsàNevers.
Étésdelaguerre.Monpères'ennuie.Lesrayonnagessontvides.J'obéisàmonpère
commeuneenfant.Samainbrûlée, je la regarde.Je lui faismalen lui faisant son
pansement.Letempsdeleverlesyeuxjevoissesyeux.Ilssontclairs.Ilritparceque
jeluifaismal.Jenerispas.]
SOIRÉEDENEVERSPENDANTLAGUERRELESOLDATALLEMANDGUETTESURLAPLACE
LAFENÊTREDERIVA
[Monpèreboitetsetait.Jenesaismêmepass'ilécoutelamusiquequejejoue.
Lessoiréessontmortellesmaisjenelesaispasencoreavantcesoir-là.L'ennemilève
la tête versmoi et sourit àpeine. J'ai le sentimentd'uncrime. Je ferme les volets
commedevantunspectacleabominable.]Monpèresursonfauteuildortàmoitié
commeàl'accoutumée.Surlatableilyaencorenosdeuxcouvertsetlevindemon
père. Derrière les volets la place bat comme la mer, immense. Il avait l'air d'un
naufragé.Jevaisversmonpèreetjeleregardedetrèsprès,presqueàletoucher.Il
dortdanslevin.Jenereconnaispastrèsbienmonpère.
SOIRÉEDENEVERS
Seule dansma chambre àminuit. Lamer de la place duChamp-de-Mars bat
toujours derrièremes volets. Il a dû encore passer ce soir. Je n'ai pas ouvertmes
volets.
LEMARIAGEDENEVERS
Jedevins sa femmedans le crépuscule, lebonheur et lahonte.Quandça a été
fait,lanuitétaitvenuesurnous.Nousnenousenétionspasaperçus.
Lahonteavaitdisparudemavie.Nousavonsété joyeuxdevoir lanuit.J'avais
toujourseupeurdelanuit.Celle-làétaitunenuitnoirecommejamaisjen'enaivu
depuis.Mapatrie,maville,monpèreivre,s'ytrouvèrentnoyés.Avecl'occupation
allemande.Danslemêmesac.
Nuitnoiredelacertitude.Onl'aregardéeavecattentionetensuiteavecgravité.
Puisuneàune,desmontagnessontmontéesàl'horizon.
AUTRENOTESURLEJARDINDUQUELONATIRÉSURL'ALLEMAND
L'amoursertàmourirpluscommodémentàlavie.
CejardinpourraitfairecroireenDieu.
Cethomme,ivredeliberté,avecsacarabine,cetinconnudelafindejuillet44,
cethommedeNevers,monfrère,commentaurait-ilpusavoir?
SURLAPHRASE:«ETPUIS,ILESTMORT»
Rivaneparlepluselle-mêmequandcetteimageapparaît.
Donnerunsigneextérieurdesadouleurseraitdégradercettedouleur.
Elle vient seulement de le découvrir,mourant, sur le quai, dans le soleil.C'est
pournousautresquel'imageestinsupportable.PaspourRiva.Rivaacessédenous
parler.Elleacessé,toutsimplement.
Ilvitencore.
Riva,surlui,estdansl'absoludeladouleur.Elleestdanslafolie.
Lavoirluisourireàcemoment-làseraitmêmelogique.
La douleur a son obscénité. Riva est obscène. Comme une folle. Son
entendementadisparu.
C'était son premier amour. C'est sa première douleur. Nous pouvons à peine
regarder Riva dans cet état. Nous ne pouvons rien faire pour elle. Qu'attendre.
Attendrequeladouleurprenneenelleuneformereconnaissableetdécente.
Fressonmeurt.Ilestcommeliéausol.Ilaétéprisdepleinfouetparlamort.Son
sangcoulede luicommele fleuveetcommele temps.Commesa sueur. Ilmeurt
commeuncheval,avecuneforceinsoupçonnable.Ilesttrèsoccupéàcela.Puisune
douceurinterviendraavecsavenueàelleetlacertitudedel'inutilitédeluttercontre
samort.Douceurdes yeuxdeFresson. Ils se sourient.Oui.Tuvois,mon amour,
mêmecelanousétaitpossible.Triomphefunèbre.Accomplissement.Jesuissûredene
paspouvoirtesurvivre,àcepointquejetesouris.
APRÈSQUELECORPSDUSOLDATALLEMANDAÉTÉEMPORTÉDANSUNCAMION,RIVA
RESTESEULESURLEQUAI
Le soleil fut, ce jour-là, glorieux. Mais comme chaque jour cependant le
crépusculeestarrivé.
CequirestedeRiva,surcequai,seréduitauxbattementsdesoncœur.(Ilaplu
verslesheuresdefind'après-midi.IlaplusurRivacommeilaplusurlaville.Puis
lapluieacessé.PuisRivaaététondue.Etilreste,surlequai,laplacesèchedeRiva.
Placebrûlée.)
Sur ce quai, on dirait qu'elle dort. Elle est à peine reconnaissable. (Des bêtes
passentsursesmainssaliesparlesang.)
Chien?
LADOULEURDERIVA.SAFOLIE.LACAVEDENEVERS
Rivaneparlepasencore.
L'étécontinueimpunément.LaFranceentièreestenfête.Dansledésordreetla
joie.
Lesfleuves,euxaussi,coulenttoujoursimpunément.LaLoire.LesyeuxdeRiva
commelaLoirecoulent,maisordonnésparladouleur,danscedésordre.
Lacaveestpetitecommeellepourraitêtregrande.
Rivacriecommeellepourraitsetaire.Ellenesaitpasqu'ellecrie.
Onlapunitpourluiapprendrequ'ellecrie.Commeunesourde.
Ilfautqu'onluiapprenneàentendrequandellecrie.
Onluiaracontéçaaprès.
Elle s'écorche les mains comme une imbécile. Les oiseaux, lâchés dans les
chambres, se rognent les ailes et ne sentent rien.Riva se fait saigner les doigts et
mangesonsangensuite.Faitlagrimaceetrecommence.Elleaappris,unjour,sur
unquai,àaimerlesang.Commeunebête,unesalope.Ilfautbienregarderquelque
chose.Rivan'estpasaveugle.Elleregarde.Ellenevoitrien.Maiselleregarde.Les
piedsdesgensselaissentregarder.
Lesgensquipassent,passentdansununiversnécessaire,levôtreetlemien,dans
uneduréequinousestfamilière.
LeregarddeRivasurlespiedsdecesgens(aussisignificatifsqueleursvisages)se
passedansununivers organique, désertépar la raison.Elle regardeunmondede
pieds.
LEPÈREDERIVA
Lepèreestfatiguéparlaguerre.Iln'estpasméchant.Ilestabrutiparcequilui
arriveetqu'iln'apasvoulu.Ilesthabilléennoir.
LAMÈREDERIVA
Lamèreestvive.Bienplusjeunequelepère.Cequ'elleaimeleplusaumonde
estsonenfant.QuandRivacrie,elles'affolepourelle.Lamèreapeurquel'onfasse
encoredumalàsonenfant.Elletienttoutelamaisondanssesmains.Elleestforte.
ElleneveutpasqueRivameure.Elleestavec sonenfantd'une tendressebrutale.
Maisd'unetendressesans limites.Contrairementaupère,ellenedésespèrepasde
Riva.
Ilsladescendentdanslacavecommesielleavaitdixans.Ilssontennoir.Riva,
aumilieudesdeux,esthabilléeenclair.Chemisedenuitendentelles,detrèsjeune
fille,faiteparlamère,parunemèrequioublietoujoursquesonenfantgrandit.
RIVADANSLACAVEDENEVERSETDANSSACHAMBRED'ENFANT
Riva est dans un coin de la cave, toute blanche. Là comme ailleurs, toujours.
ToujoursdesyeuxdeLoire.Ceuxduquai.Innocentée.Enfanceterrifiante.
C'estlanuitquesaraisonrevient.Qu'ellesesouvientqu'elleestlafemmed'un
homme. Elle aussi le désir l'a frappée de plein fouet.Qu'il soitmort n'empêche
qu'elleledésire.Ellen'enpeutplusd'avoirenviedelui,mort.Corpsvidé,haletant.
Saboucheesthumide.Ellealaposed'unefemmedansledésir,impudiquejusqu'à
lavulgarité.Plusimpudiquequepartoutailleurs.Dégoûtante.Elledésireunmort.
RIVATOUCHELESOBJETSDESACHAMBRE.«JEMESOUVIENSAVOIRDÉJAVU...»
N'importequoipeutêtrevuparRivadanscetétat.Toutunensembled'objetsou
ceux-ciprisséparément.Peuimporte.Toutseravuparelle.
RIVALÈCHELESALPÊTREDELACAVE
Fauted'autrechose,lesalpêtresemange.Seldepierre.Rivamangelesmurs.Elle
lesembrasseaussibien.Elleestdansununiversdemurs.Lesouvenird'unhomme
estdanscesmurs,intégréàlapierre,àl'air,àlaterre.
UNCHATENTREDANSLACAVEDENEVERS
Lechat, toujours égal à lui-même, entredans la cave. Il s'attendà tout.Riva a
oubliél'existencedeschats.
Leschatssontdomestiquéscomplètement.Leurconduiteestdegentillesse.Leurs
yeuxnesontpasdomestiqués.LesyeuxduchatetlesyeuxdeRivaseressemblentet
seregardent.Vidés.Presqueimpossibledesoutenirleregardd'unchat.Rivalepeut.
Elle entrepeu àpeudans le regarddu chat. Iln'y aplusdans la cavequ'un seul
regard,celuiduchat-Riva.
L'éternitééchappeàtoutequalification.Cen'estnibeaunilaid.Çapeutêtreun
caillou, l'anglebrillantd'unobjet ?Leregardduchat ?Tout à la fois.Lechatqui
dort.Rivaquidort.Lechatquiveille.L'intérieurduregardduchatoul'intérieur
duregarddeRiva?Pupillescirculairesoùrienn'accroche.Immenses,cespupilles.
Descirquesvides.Oùbatletemps.
LAPLACEDENEVERSVUEPARRIVA
Laplacecontinue.Oùvontcesgens?Ilsontleurraison.Lesrouesdebicyclettes
ressemblentàdessoleils.Cequiremueseregardemieuxquecequineremuepas.
Rouesdebicyclettes.Lespieds.Toutremuesurplace.
Parfois,c'estlamer.C'estmêmeassezrégulièrementlamer.Plustardellesaura
quec'estl'aurore,cequ'elleprendpourlamer.Çaluidonnesommeil,l'aurore,la
mer.
RIVA,COUCHÉE,LESMAINSDANSLESCHEVEUX
Dumomentqu'ellen'estpasmortesescheveuxrepoussent.Entêtementdelavie.
Denuit,dejour,sescheveuxpoussent.Souslefoulard,endouce.Jecaressematête
doucement.C'estmeilleuràtoucher.Çanepiquepluslesdoigts.
LATONTEDERIVAANEVERS
Ilslatondent.
Ils le fontdans ladistractionpresque. Il fallait la tondre.Faisons-le.Maisona
bienautrechoseàfaire,ailleurs.Cependantonfaitnotredevoir.
L'endroitestparcouruparleventchaudquiarrivedelaplace.Pourtant,onya
plusfraisqu'ailleurs.
Lafillequiesttondue,c'estlafilledupharmacien.Elletendpresquesatêteaux
ciseaux.Elleaidepresqueà l'opérationcommeàunautomatismeacquis,déjà.Ça
faitdubienàlatêted'êtretondue,çalarendpluslégère.(Elleestpleinedecheveux
tombéssurelle.)
Ontondquelqu'unquelquepartenFrance.Ici,c'est lafilledupharmacien.La
Marseillaisearriveavecleventdusoirjusquedanslagalerieet.encourageàl'exercice
d'unejusticehâtiveetimbécile.Ilsn'ontpasletempsd'êtreintelligents.Lagalerie
estun théâtreoùrienne se joue.Rien.Quelquechoseauraitpuse jouer,mais la
représentationn'apaseulieu.
Unefoistondue, la filleattendencore.Elleestà leurdisposition.Dumalaété
faitdans la ville.Ça faitdubien.Çadonne faim. Il fautque cette fille s'en aille.
C'estlaid,peut-êtreest-cedégoûtant.Commeelleal'airdevouloirresterencelieu,
ilfautlachasser.Onlachassecommeunrat.Maisellenepeutpasmonterl'escalier
très vite, aussi vite qu'on le désirerait. On dirait qu'elle a devant elle un temps
énorme.Ondiraitqu'elles'attendaitencoreàautrechosequin'apaseulieu.Qu'elle
est presque déçue de devoir encore remuer, avancer les jambes, se déplacer. Elle
trouvequelarampeestfaitepours'aideràfairecela.
AMINUITRIVARENTRECHEZELLE,TONDUE
Rivaregardesamèrearriververselle.«Direquetum'asmiseaumonde»esten
deçàduregarddeRiva.Cequil'exprimeraitlemieuxc'est:«Qu'est-cequeçaveut
dire?»
Rivafroncepeut-êtreunpeulessourcilsetinterrogeleciel,samère.Elleestàla
limite exacte de ses forces.Quand samère arrivera vers elle, elle aura dépassé ses
forcesettomberadanslesbrasdesamèrecommeévanouie.Maissesyeuxresteront
ouverts.
Cequisepasseàcemoment-làentreRivaetsamèreestseulementphysique.La
mèreprendraRivaavecadresse.Elleconnaîtlepoidsdesonenfant.Rivasemettraà
la place du corps de samère où depuis l'enfance elle a l'habitude d'attendre que
passentleschagrins.
Rivaafroid.Samèrefrotterasesbrasetsondos.Elleembrasseralatêteraséede
son enfant sans s'en apercevoir. Sans aucunpathétisme, rien. Son enfant vit.C'est
relativementunbonheur.Ellel'emportechezelle.Ellel'arrachelittéralement,ilfaut
l'arracherdecetarbre.Rivaaalorslepoidsqu'elleauraunefoismorte.
PORTRAITDERIVA.RECOMMENCEMENTDESARAISON
Elletourneenrond.Dutempsapassé.
Sa folie est maintenant remuante. Il lui faut bouger. Elle tourne en rond. Le
cerclesefermemaisilvaéclater.C'estlederniertemps.
Le visage deRiva est commeplâtré.Ce visage n'a pas servi depuis desmois. Les
lèvressontdevenuesminces.Leregardpeutmaigrir.Lecorpsneplusriensignifier.
Le corps deRiva quand elle tournene sert plus qu'à porter sa tête.Elle l'appelle
encoremaislentementetàdesintervallestrèslongs.Souvenirdusouvenir.Lecorps
estsale,inhabité.Ellevaêtrelibre,çavayêtre.Lecerclevaéclater.Elledétruitun
ordreimaginaire,renversedesobjets;lesregardeàl'envers.
FOLIEDERIVA
Quand elle regarde les angles bas de la chambre et qu'elle reconnaît quelque
chose,seslèvrestremblent.Ellesouritouellepleure?Mêmechose.Elleécoute.On
diraitqu'elleprépareunsalecoup.Maisnon.Elleécouteseulementlesclochesde
Saint-Étienne. Consommation complète de la douleur. Elle écoute le bruit de la
ville.Puistournedenouveausurelle-même.Toutàcoupelles'étire.Laraisonqui
luirevienteffraie.Ellechasseavecsespieds,quoi?Desombres.
RIVAARRIVESURLEQUAIDELALOIRE,AMIDI
Rivaarriveenhautdel'escalierduquaicommeunefleur.
Juperondeetcourte.Naissancedescuissesetdesseins.
SORTIEDERIVA,AL'AURORE,SURLESQUAISDELALOIRE
Onmelaissesortir.Jesuistrèsfatiguée.Tropjeunepoursouffrir,dit-on.Ilfait
doux,dit-on.Huitmoisdéjà,dit-on.Mescheveuxsontlongs.Personnenepasse.Je
n'aipluspeur.Voilà.Jenesaispasàquoijem'apprête...Mamèresurveillemasanté
àcet effet. Je surveillema santé Ilne fautpas trop regarder laLoire,dit-on. Je la
regarderai.
Desgenspassentsurlepont.Labanalitéestfrappanteparfois.C'estlapaix,dit-
on.Cesontcesgensquim'onttondue.Personnenem'atondue.C'estlaLoirequi
meprendlesyeux.Jelaregardeetjen'arriveplusàlesretirerdel'eau.Jenepenseà
rien,àrien.Quelordre.
RIVARENTREAPARIS,DENUIT
Quelordre.Ilmefautpartir.Jepars.Dansunordrerevenu.Riend'autrenepeut
m'arriverqued'exister.D'accord.
Lanuitestbonne.JequittelaLoire.LaLoireestauboutdechaquerouteencore.
Patience.LaLoiredisparaîtrademavie.
1Sansordrechronologique.«Faitescommesivouscommentiezlesimagesd'unfilmfait»,m'aditResnais.
NEVERS
(Pourmémoire)
RIVARACONTEELLE-MÊMESAVIEANEVERS
A sept heures du soir, la cathédrale Saint-Lazare sonnait l'heure. La pharmacie
fermait.
Élevéedanslaguerrejeneprenaispastellementgardeàcelle-cimalgrémonpère
quim'enentretenaitchaquesoir.
J'aidaismonpèredans la pharmacie. J'étais préparatrice. Je venais de finirmes
études.Mamère
1
vivaitdansundépartementdusud.Jelaretrouvaisplusieursfois
paran,auxvacances.
A septheuresdu soir, été commehiver, dans lanuitnoirede l'occupation, ou
danslesjournéesensoleilléesdejuin,lapharmaciefermait.C'étaittoujourstroptôt
pourmoi.Nousmontionsdans lespiècesdupremierétage.Tous les filmsétaient
allemands ou presque. Le cinéma m'était interdit. Le Champ de Mars, sous les
fenêtresdemachambre,lanuit,s'agrandissaitencore.
L'hôteldevilleétaitsansdrapeau.Ilfallaitquejemerappellemapetiteenfance
pourmesouvenirdelampadairesallumés.
Lalignededémarcationfutfranchie.
L'ennemiarriva.DeshommesallemandstraversaientlaplaceduChamp-de-Mars
enchantant,àheuresfixes.Parfoisl'und'euxvenaitàlapharmacie.
Lecouvre-feuarrivaaussi.
PuisStalingrad.
Lelongdesrempartsdeshommesfurentfusillés.
D'autres hommes furent déportés. D'autres s'enfuirent pour rejoindre la
Résistance. Certains restèrent là, dans l'épouvante et la richesse. Le marché noir
battit sonplein.LesenfantsdufaubourgouvrierdeSt-...crevaientde faimtandis
qu'au«GrandCerf»onmangeaitdufoiegras.
MonpèredonnaitdesmédicamentsauxenfantsdeSt...Je les leurportaisdeux
foisparsemaine,enallantprendremaleçondepiano,unefoislapharmaciefermée.
Quelquefoisjerentraisenretard.Monpèremeguettaitderrièrelesvolets.Parfois,le
soir,monpèremedemandaitdeluijouerdupiano.
Après que j'ai joué, mon père devenait silencieux, et son désespoir s'affirmait
encore.Ilpensaitàmamère.
Aprèsquej'ai joué, lesoir,ainsi,dans l'épouvantedel'ennemi,majeunesseme
sautait à la gorge. Je n'en disais rien àmonpère. Ilme disait que j'étais sa seule
consolation.
Lesseulshommesdelavilleétaientallemands.J'avaisdix-septans.
Laguerreétaitinterminable.Majeunesseétaitinterminable.Jen'arrivaisàsortir,
nidelaguerre,nidemajeunesse.
Lesmoralesd'ordrediversbrouillaientmonesprit,déjà.
Ledimancheétaitpourmoijourdefête.Jedévalaistoutelavilleàbicyclettepour
aller à Ezy chercher le beurre nécessaire à ma croissance. Je longeais la Nièvre.
Parfoisjem'arrêtaissousunarbreetjem'impatientaisdelalongueurdelaguerre.
Cependant que je grandissais envers et contre l'occupant. Envers et contre cette
guerre.Larivièremefaisaittoujoursbienplaisiràvoir.
Unjour,unsoldatallemandvintà lapharmaciese fairepansersamainbrûlée.
Nous étions seuls tousdeuxdans lapharmacie. Je luipansais samain commeon
m'avaitappris,danslahaine.L'ennemiremercia.
Ilrevint.Monpèreétaitlàetmedemandadem'enoccuper.
Jepansaissamainunenouvellefoisenprésencedemonpère.Jenelevaispasles
yeuxsurlui,commeonm'avaitappris.
Cependant,lesoirdecejour,unelassitudeparticulièremevintdelaguerre.Jele
disàmonpère.Ilnemeréponditpas.
Jejouaidupiano.Puisnousavonséteint.Ilm'ademandédefermerlesvolets.
Sur laplace,un jeuneAllemandà lamainpansée était adossé àunarbre. Je le
reconnusdanslenoiràcausedelatacheblanchequefaisaitsamaindansl'ombre.
Cefutmonpèrequirefermalafenêtre.Jesusqu'unhommem'avaitécoutéjouer
dupianopourlapremièrefoisdemavie.
Cet homme revint le lendemain. Alors je vis son visage. Comment m'en
empêcher encore ?Monpère vint versnous. Ilm'écarta et annonça à cet ennemi
quesamainnenécessitaitplusaucunsoin.
Lesoirdecejourmonpèremedemandaexpressémentdenepasjouerdepiano.
Ilbutduvinbeaucoupplusquedecoutume,àtable.J'obéisàmonpère.Jelecrus
devenuunpeufou.Jelecrusivreoufou.
Monpère aimaitmamère d'amour, follement. Il l'aimait toujours. Il souffrait
beaucoupdesaséparationavecelle.Depuisqu'ellen'étaitpluslà,monpères'était
misàboire.
Quelquefois,ilpartaitlarevoiretmeconfiaitlapharmacie.
Ilpartitlelendemaindecejour,sansmereparlerdelascènedelaveille.
Lelendemaindecejourétaitundimanche.Ilpleuvait.J'allaisàlafermedeEzy.
Jem'arrêtai,commed'habitude,sousunpeuplier,lelongdelarivière.
L'ennemi arriva peu après moi sous ce même peuplier. Il était également à
bicyclette.Samainétaitguérie.
Ilnepartaitpas.Lapluietombait,drue.Puislesoleilarriva,danslapluie.Ilcessa
demeregarder,ilsourit,etilm'ademandéderemarquercommentparfoislesoleil
etlapluiepouvaientêtreensemble,l'été.
Jen'airiendit.Quandmêmej'airegardélapluie.
Ilm'aditalorsqu'ilm'avaitsuiviejusque-là.Qu'ilnepartiraitpas.
Jesuisrepartie.Ilm'asuivie.
Unmois durant, ilm'a suivie. Je neme suis plus arrêtée le long de la rivière.
Jamais.Mais il y étaitposté là, chaquedimanche.Comment ignorerqu'il était là
pourmoi.
Jen'endisrienàmonpère.
Jememisàrêveràunennemi,lanuit,lejour.
Et dansmes rêves l'immoralité et lamorale semélangèrent de façon telle que
l'unenefutbientôtplusdiscernabledel'autre.J'eusvingtans.
Unsoir,faubourgSt-...,alorsquejetournaisunerue,quelqu'unmesaisitparles
épaules.Jenel'avaispasvuarriver.C'étaitlanuit,huitheuresetdemiedusoir,en
juillet.C'étaitl'ennemi.
Ons'estrencontrésdanslesbois.Danslesgranges.Danslesruines.Etpuis,dans
deschambres.
Unjour,unelettreanonymearrivaitàmonpère.Ladébâclecommençait.Nous
étionsenjuillet1944.J'ainié.
C'est encore sous les peupliers qui bordent la rivière qu'il m'a annoncé son
départ.Ilpartait le lendemainmatinpourParis,encamion.Ilétaitheureuxparce
quec'étaitlafindelaguerre.IlmeparladelaBavièreoùjedevaisleretrouver.Où
nousdevionsnousmarier.
Déjà il y avait des coups de feu dans la ville. Les gens arrachaient les rideaux
noirs.Lesradiosmarchaientnuitetjour.Aquatre-vingtskilomètresdelà,déjà,des
convoisallemandsgisaientdansdesravins.
J'exceptaiscetennemi-cidetouslesautres.
C'étaitmonpremieramour.
Jenepouvaisplusentrevoirlamoindredifférenceentresoncorpsetlemien.Je
nepouvaisplusvoirentresoncorpsetlemienqu'unesimilitudehurlante.
Soncorpsétaitdevenulemien,jen'arrivaisplusàl'endiscerner.J'étaisdevenue
lanégationvivantede laraison.Ettoutes lesraisonsqu'onauraitpuopposeràce
manquederaison,jelesauraisbalayées,etcomment,commechâteauxdecartes,et
comme, justement, des raisons purement imaginaires.Que ceux qui n'ont jamais
connud'êtreainsidépossédésd'eux-mêmesmejettentlapremièrepierre.Jen'avais
plusdepatriequel'amourmême.
J'avaislaisséunmotàmonpère.Jeluidisaisquelalettreanonymeavaitditvrai:
que j'aimais un soldat allemand depuis six mois. Que je voulais le suivre en
Allemagne.
Déjà, àNevers, laRésistance côtoyait l'ennemi. Il n'y avait plus depolice.Ma
mèrerevint.
Ilpartaitlelendemain.Ilétaitentenduqu'ilmeprendraitdanssoncamion,sous
desbâchesdecamouflage.Nousnousimaginionsquenouspourrionsneplusnous
quitterjamais.
On est encore allés à l'hôtel, une fois. Il est parti à l'aube rejoindre son
cantonnement,versSaint-Lazare.
Nous devions nous retrouver à midi, sur le quai de la Loire. Lorsque je suis
arrivée,àmidi,surlequaidelaLoire,iln'étaitpasencoretoutàfaitmort.Onavait
tiréd'unjardinduquai.
Jesuisrestéecouchéesursoncorpstoutlejourettoutelanuitsuivante.
Le lendemain on est venu le ramasser et on l'a mis dans un camion. C'est
pendantcettenuit-làquelavillefutlibérée.LesclochesdeSaint-Lazareemplirentla
ville.Jecroisbien,oui,avoirentendu.
Onm'amisedansundépôtduChampdeMars.Là,certainsontditqu'ilfallait
metondre.Jen'avaispasd'avis.Lebruitdesciseauxsurlatêtemelaissadansune
totale indifférence. Quand ce fut fait, un homme d'une trentaine d'années
m'emmenadans lesrues.Ils furentsixàm'entourer.Ilschantaient.Jen'éprouvais
rien.
Monpère,derrièrelesvolets,adûmevoir.Lapharmacieétaitferméepourcause
dedéshonneur.
OnmeramenaaudépôtduChampdeMars.Onmedemandacequejevoulais
faire.Jedisquejen'avaispasd'avis.Alorsonmeconseilladerentrer.
C'étaitminuit.J'aiescaladélemurdujardin.Ilfaisaitbeau.Jemesuisétendue
afindemourirsurl'herbe.Maisjenesuispasmorte.J'aieufroid.
J'aiappeléMamantrèslongtemps...Versdeuxheuresdumatinlesvoletssesont
éclairés.
Onmefitpasserpourmorte.Etj'aivécudanslacavedelapharmacie.Jepouvais
voirlespiedsdesgens,etlanuit,lagrandecourbedelaplaceduChamp-de-Mars.
Jedevinsfolle.Deméchanceté.Jecrachais,paraît-il,auvisagedemamère.Jen'ai
quepeudesouvenirsdecettepériodependant laquellemescheveuxontrepoussé.
Saufcelui-ciquejecrachaisauvisagedemamère.
Puis,peuàpeu,j'aiperçuladifférencedujouretdelanuit.Quel'ombregagnait
l'angledesmursde la caveversquatreheuresetdemieetque l'hiver,une fois, se
termina.
La nuit, tard, parfois, on me permit de sortir encapuchonnée. Et seule. A
bicyclette.
Mescheveuxontmisunanàrepousser.Jepenseencorequesilesgensquim'ont
tondue s'étaient souvenusdu tempsqu'il fautpourque les cheveux repoussent ils
auraienthésitéàme tondre.C'estpar fauted'imaginationdeshommesque je fus
déshonorée.
Unjour,mamèreestarrivéepourmenourrir,commeellefaisaitd'habitude.Elle
m'aannoncéquelemomentétaitvenudem'enaller.Ellem'adonnédel'argent.
JesuispartiepourParisàbicyclette.Larouteétait longuemais il faisaitchaud.
L'été.QuandjesuisarrivéeàParis,lesurlendemainmatin,lemotHiroshimaétait
sur tous les journaux. C'était une nouvelle sensationnelle. Mes cheveux avaient
atteintunelongueurdécente.Personnenefuttondu.
1LamèredeRivaétaitsoitjuive[soitséparéedesonmari].
PORTRAITDUJAPONAIS
C'est un homme d'une quarantaine d'années. Il est grand. Il a un visage assez
«occidentalisé».
Le choixd'un acteur japonais à typeoccidental doit être interprétéde la façon
suivante:
Unacteurjaponaisautypejaponaistrèsaccusérisqueraitdefairecroirequec'est
surtoutparcequelehérosestjaponaisquelaFrançaiseestséduiteparlui.Doncon
retomberait,qu'onleveuilleounon,danslepiègedel'exotisme,etdansleracisme
involontaireinhérentnécessairementàtoutexotisme.
Ilnefautpasquelespectateurdise:«QuelesJaponaissontdoncséduisants!»,
maisqu'ilsdisent:«Quecethomme-làestdoncséduisant!»
C'estpourquoiilvautmieuxatténuerladifférencedetypeentrelesdeuxhéros.
Si le spectateur n'oublie jamais qu'il s'agit d'un Japonais et d'une Française, la
portéeprofondedufilmn'existeplus.Silespectateurl'oublie,cetteportéeprofonde
estatteinte.
MonsieurButterflyn'apluscours.DemêmeMademoiselledeParis.Ilfauttabler
sur la fonction égalitaire du monde moderne. Et même tricher pour en rendre
compte.Sanscela,quelintérêtyaurait-ilàfaireunfilmfranco-japonais?Ilfautque
cefilmfranco-japonaisn'apparaissejamaisfranco-japonais,maisanti-franco-japonais.
Ceseraitlàunevictoire.
De profil, il pourrait presque être français. Front haut. Bouche large. Lèvres
prononcéesmaisdures.Aucunemièvreriedanslevisage.Aucunanglesouslequelil
apparaîtraituneimprécision(uneindécision)destraits.
En somme, il est d'un type « international ». Il faudrait que sa séduction soit
immédiatement reconnaissablepar tout lemonde comme étant celledeshommes
quisontarrivésàleurmaturitésansfatigueprématurée,sanssubterfuges.
Ilestingénieur.Ilfaitdelapolitique.Cen'estpasparhasard.Lestechniquessont
internationales. Le jeu des coordonnées politiques l'est aussi. Cet homme est un
homme moderne, déniaisé quant à l'essentiel. Il ne serait dépaysé profondément
dansaucunpaysdumonde.
Ilcoïncideavecsonâge,etphysiquement,etmoralement.
Iln'apas«triché»aveclavie.Iln'apaseuàlefaire:c'estunhommequeson
existence a toujours intéressé et toujours suffisamment intéressé pour qu'il ne
«traîne»par-derrièreluiunmaldel'adolescencequifait,sisouvent,leshommesde
quaranteans,desfauxjeuneshommesencoreàlarecherchedecequ'ilspourraient
bien trouver à faire,pourparaître sûrsd'eux-mêmes.Lui, s'iln'estpas sûrde lui-
même,c'estpourdebonnesraisons.
Il n'a pas de vraie coquetterie mais il n'est pas négligé non plus. Il n'est pas
coureur. Il a une femme qu'il aime, deux enfants. Il aime cependant les femmes.
Maisjamaisiln'afaitunecarrière«d'hommeàfemmes».Ilcroitquecegenrede
carrière-làestunecarrièrede«remplacement»méprisable,etdeplussuspecte.Que
celuiquin'ajamaisconnul'amourd'uneseulefemmeestpasséàcôtéetdel'amour
etmêmedelavirilité.
C'estpourcelamêmequ'ilvitaveccettejeuneFrançaiseuneaventurevéritable,
mêmesielleestderencontre.C'estparcequ'ilnecroitpasàlavertudesamoursde
rencontrequ'ilvitaveclaFrançaiseunamourderencontreaveccettesincérité,cette
violence.
PORTRAITDELAFRANÇAISE
Elleatrente-deuxans.
Elleestplusséduisantequebelle.
Onpourraitl'appelerelleaussid'unecertainemanière«TheLook».Tout,chez
elle,delaparole,dumouvement,«enpasseparleregard».
Ceregardestoublieuxdelui-même.Cettefemmeregardepoursoncompte.Son
regardneconsacrepassoncomportement,illedébordetoujours.
Dans l'amour, sans doute, toutes les femmes ont de beaux yeux.Mais celle-ci,
l'amour la jette dans le désordre de l'âme (choix volontairement stendhalien du
terme)unpeuplusavantquelesautresfemmes.Parcequ'elleestdavantagequeles
autresfemmes«amoureusedel'amourmême».
Ellesaitqu'onnemeurtpasd'amour.Elleaeu,aucoursdesavie,unesplendide
occasiondemourird'amour.Ellen'estpasmorte àNevers.Depuis, et jusqu'à ce
jour, à Hiroshima, où elle rencontre ce Japonais, elle traîne en elle, avec elle, le
«vagueàl'âme»d'unesursitaireàunechanceuniquededéciderdesondestin.
Cen'estpaslefaitd'avoirététondueetdéshonoréequimarquesavie,c'estcet
échec en question : elle n'est pasmorte d'amour le 2 août 1944, sur ce quai de
Loire.
Ceci n'est pas contradictoire à son attitude à Hiroshima avec le Japonais. Au
contraire,ceciestenrelationdirecteavecsonattitudeavecceJaponais...Cequ'elle
raconte au Japonais, c'est cette chancequi, enmême tempsqu'elle l'a perdue, l'a
définie.
Lerécitqu'ellefaitdecettechanceperduelatransportelittéralementhorsd'elle-
mêmeetlaporteverscethommenouveau.
Selivrercorpsetâme,c'estça.
C'est là l'équivalence non seulement d'une possession amoureuse, mais d'un
mariage.
EllelivreàceJaponais–àHiroshima–cequ'elleadepluscheraumonde,son
expressionactuellemême,sasurvivanceàlamortdesonamour,àNevers.
GALLIMARD
5rueSébastienBottin,75007Paris
www.gallimard.fr
©ÉditionsGallimard,1960.Pourl'éditionpapier.
©ÉditionsGallimard,2013.Pourl'éditionnumérique.
MargueriteDuras
Hiroshimamonamour
LUI:Tun'asrienvuàHiroshima.Rien.
ELLE:J'aitoutvu.Tout...Ainsil'hôpitaljel'aivu.J'ensuissûre.L'hôpitalexiste
àHiroshima.Commentaurais-jepuéviterdelevoir?
LUI:Tun'aspasvud'hôpitalàHiroshima.Tun'asrienvuàHiroshima...
ELLE:Jen'airieninventé.
LUI:Tuastoutinventé.
ELLE : Rien.Demême que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de
pouvoirnejamaisoublier,demêmej'aieul'illusiondevantHiroshimaquejamaisje
n'oublierai.Demêmequedansl'amour.
Lescénario,ledialogue,lescommentairesparMargueriteDuras,ducélèbrefilm
d'AlainResnais,Hiroshimamonamour,unclassiqueducinéma.
OUVRAGESDEMARGUERITEDURAS
LESIMPUDENTS(1943,roman,Plon–1992,Gallimard,Foliono
2325).
LAVIETRANQUILLE(1944,roman,Gallimard,Foliono
1341).
UNBARRAGECONTRELEPACIFIQUE(1950,roman,Gallimard,Folio
no
882).
LEMARINDEGIBRALTAR(1950,roman,Gallimard,Foliono
943).
LESPETITSCHEVAUXDETARQUINIA(1953,roman,Gallimard,Folio
no
187).
DESJOURNÉESENTIÈRESDANSLESARBRES,suivideLEBOA–
MADAMEDODIN–LESCHANTIERS(1954,récits,Gallimard,Folio
no
2993).
LESQUARE(1955,roman,Gallimard,Foliono
2136).
MODERATOCANTABILE(1958,roman,éditionsdeMinuit).
LESVIADUCSDELASEINE-ET-OISE(1959,roman,Gallimard).
DIXHEUREETDEMIEDUSOIRENÉTÉ(1960,roman,Gallimard,Folio
no
1699).
HIROSHIMAMONAMOUR(1950,scénarioetdialogues,Gallimard,Foliono
9).
UNEAUSSILONGUEABSENCE(1961,scénarioetdialogues,encollaboration
avecGérardJarlot,Gallimard).
L'APRÈS-MIDIDEMONSIEURANDESMAS(1962,récit,Gallimard).
LERAVISSEMENTDELOLV.STEIN(1964,roman,Gallimard,Foliono
810).
THÉÂTREI:LESEAUXETFORÊTS–LESQUARE–LAMUSICA(1965,
Gallimard).
LEVICE-CONSUL(1965,roman,Gallimard,L'Imaginaireno
168).
LAMUSICA(1966,filmcoréaliséparPaulSeban,distr.Artistesassociés).
L'AMANTEANGLAISE(1967,roman,Gallimard,L'Imaginaireno
168).
L'AMANTEANGLAISE(1968,théâtre,Cahiersduthéâtrenationalpopulaire).
THÉÂTREII:SUZANNAANDLER–DESJOURNÉESENTIÈRESDANS
LESARBRES–YES,PEUT-ÊTRE–LESHAGA–UNHOMMEESTVENU
MEVOIR(1968,Gallimard).
DÉTRUIRE,DIT-ELLE(1969,éditionsdeMinuit).
DÉTRUIRE,DIT-ELLE(1969,film,distr.Benoît-Jacob).
ABAHNSABANADAVID(1970,Gallimard,L'Imaginaireno
418).
L'AMOUR(1971,Gallimard,Foliono
2418).
JAUNELESOLEIL(1971,film,distr.Benoît-Jacob).
NATHALIEGRANGER(1972,film,distr.FilmsMoulletetCompagnie).
NATHALIEGRANGERsuivideLAFEMMEDUGANGE(1973,Gallimard).
INDIASONG(1973,texte,théâtre,film,Gallimard,L'Imaginaireno
263).
LAFEMMEDUGANGE(1973,film,distr.Benoît-Jacob).
LESPARLEUSES(1974,entretiensavecXavièreGauthier,éditionsdeMinuit).
INDIASONG(1975,film,distr.FilmsSunshineProductions).
BAXTER,VERABAXTER(1976,film,distr.SunshineProductions).
SONNOMDEVENISEDANSCALCUTTADÉSERT(1976,film,distr.D.D.
productions).
DESJOURNÉESENTIÈRESDANSLESARBRES(1976,film,distr.Benoît-
Jacob,Foliono
2993).
LECAMION(1977,film,distr.D.D.Prod).
LECAMIONsuivideENTRETIENAVECMICHELLEPORTE(1977,en
collaborationavecMichellePorte,éditionsdeMinuit).
L'ÉDENCINÉMA(1977,théâtre,MercuredeFrance,Foliono
2051,1999,
Gallimard,ThéâtreIV).
LENAVIRENIGHTsuivideCÉSARÉE,LESMAINSNÉGATIVES,AURÉLIA
STEINER,AURÉLIASTEINER,AURÉLIASTEINER(1979,Mercurede
France,Foliono
2009).
LENAVIRENIGHT(1979,film,distr.FilmsduLosange).
CÉSARÉE(1979,film,distr.BenoîtJacob).
LESMAINSNÉGATIVES(1979,film,distr.BenoîtJacob).
AURÉLIASTEINERditAURÉLIAMELBOURNE(1979,film,distr.Benoît
Jacob).
AURÉLIASTEINERditAURÉLIAVANCOUVER(1979,film,distr.Benoît
Jacob).
VERABAXTEROULESPLAGESDEL'ATLANTIQUE(1980,éditions
Albatros.JeanMascoloetéditionsGallimard,1999,ThéâtreIV).
L'ÉTÉ80(1980,récit,éditionsdeMinuit).
L'HOMMEASSISDANSLECOULOIR(1980,récit,éditionsdeMinuit).
LESYEUXVERTS(1980,CahiersduCinéma).
AGATHA(1981,éditionsdeMinuit).
AGATHAETLESLECTURESILLIMITÉES(1981,film,distr.BenoîtJacob).
OUTSIDE(1981,AlbinMichel,rééd.P.O.L.1984,Foliono
2755).
LAJEUNEFILLEETL'ENFANT(1981,cassette,DesFemmeséd.Adaptationde
l'ÉTÉ80parYannAndréa,lueparMargueriteDuras).
DIALOGUEDEROME(1982,film,prod.Coop.LongaGittata,Rome).
L'HOMMEATLANTIQUE(1981,film,distr.BenoîtJacob).
L'HOMMEATLANTIQUE(1982,récit,éditionsdeMinuit).
SAVANNAHBAY(1re
éd.,2e
éd.augmentée,1983,éditionsdeMinuit).
LAMALADIEDELAMORT(1982,récit,éditionsdeMinuit).
THÉÂTREIII:LABÊTEDANSLAJUNGLE,d'aprèsHenryJames,adaptation
deJamesLordetMargueriteDuras–LESPAPIERSD'ASPERN,d'aprèsHenry
James,adaptationdeMargueriteDurasetRobertAntelme–LADANSEDE
MORT,d'aprèsAugustStrindberg,adaptationdeMargueriteDuras(1984,
Gallimard).
L'AMANT(1984,ÉditionsdeMinuit).
LADOULEUR(1985,P.O.L,Foliono
2469).
LAMUSICADEUXIÈME(1985,Gallimard).
LAMOUETTEDETCHEKHOV(1985,Gallimard,1999,Gallimard,Théâtre
IV).
LESENFANTS,avecJeanMascoloetJean-MarcTurine(1985,film,distr.Benoît
Jacob).
LESYEUXBLEUS,LESCHEVEUXNOIRS(1986,roman,éditionsdeMinuit).
LAPUTEDELACÔTENORMANDE(1986,éditionsdeMinuit).
LAVIEMATÉRIELLE(1987,P.O.L,1994,Gallimard,Foliono
2623).
EMILYL.(1987,roman,éditionsdeMinuit).
LAPLUIED'ÉTÉ(1990,P.O.L,1994,Gallimard,Foliono
2568).
L'AMANTDELACHINEDUNORD(1991,Gallimard,Foliono
2509).
LETHÉÂTREDEL'AMANTEANGLAISE(1991,Gallimard;1999,Gallimard
ThéâtreIV;L'Imaginaireno
265).
YANNANDRÉASTEINER(1992,P.O.L).
ÉCRIRE(1993,Gallimard,Foliono
2754).
LEMONDEEXTÉRIEUR(1993,P.O.L).
C'ESTTOUT(1995,P.O.L).
LAMERÉCRITE,photographiesdeHélèneBamberger(1996,Marval).
THÉÂTREIV:VERABAXTER–L'EDENCINÉMA–LETHÉÂTREDE
L'AMANTEANGLAISE–AdaptationsdeHOME–LAMOUETTE(1999,
Gallimard).
Œuvresréunies
ROMANS,CINÉMA,THÉÂTRE,UNPARCOURS1943-1994(1997,
Gallimard,Quarto).
Adaptations
LABÊTEDANSLAJUNGLE,d'aprèsunenouvelledeHenryJames.Adaptation
deJamesLordetdeMargueriteDuras(1984,Gallimard,ThéâtreIII).
LADANSEDEMORT,d'AugustStrindberg.AdaptationdeMargueriteDuras
(1984,Gallimard,ThéâtreIII).
MIRACLEENALABAMAdeWilliamGibson.AdaptationdeMargueriteDuraset
GérardJarlot(1963,L'Avant-Scène).
LESPAPIERSD'ASPERNdeMichaelRedgraved'aprèsunenouvelledeHenry
James.AdaptationdeMargueriteDurasetRobertAntelme(1970,Éd.Paris-
Théâtre,1984,Gallimard,ThéâtreIII).
HOMEdeDavidStorey.AdaptationdeMargueriteDuras(1999,Gallimard,
ThéâtreIV).
LAMOUETTEd'AntonTchekhov(1985,Gallimard;1999,Gallimard,Théâtre
IV).
OUVRAGESSURMARGUERITEDURAS
PARUSAUXÉDITIONSGALLIMARD
LaureAdler,MARGUERITEDURAS(Gallimard,1998).
M.-P.Fernandes,TRAVAILLERAVECDURAS(Gallimard,1986).
M.-Th.Ligot,UNBARRAGECONTRELEPACIFIQUE(Foliothèqueno
18).
M.Borgomano,LERAVISSEMENTDELOLV.STEIN(Foliothèqueno
60).
J.Kristeva,«Lamaladiedeladouleur:Duras»inSOLEILNOIR:DÉPRESSION
ETMÉLANCOLIE(FolioEssaisno
123).
CetteéditionélectroniquedulivreHiroshimamonamourdeMargueriteDurasaétéréaliséele29janvier2013
parlesÉditionsGallimard.
Ellereposesurl'éditionpapierdumêmeouvrage(ISBN:9782070360093-Numérod'édition:243669).
CodeSodis:N50178-ISBN:9782072451935-Numérod'édition:208617
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