hémisphères

67
HOLLANDE GENDARME DE L’AFRIQUE Hémisphères N°1 - Janvier 2014 -

Upload: raphael-badache

Post on 22-Feb-2016

216 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Mensuel traitant de l'actualité internationale.

TRANSCRIPT

Page 1: Hémisphères

HOLLANDEGENDARME DE

L’AFRIQUE

Hémisphères

N°1

- Janvier 2014 -

Page 2: Hémisphères

CENTRAFRIQUE 4 Deux guerres en moins de 12 mois : François Hollande est-il réellement le gendarme de l’Afrique ? A Bangui, la situation vire au chaos.

UKRAINE 12 Des manifestations agitent le pays depuis le mois de novembre, faisant vaciller le pouvoir. Retour sur les causes de cette presque-révolution.

EGYPTE 18 Sur fond d’attentats, les Egyptiens sont appelés aux urnes pour se prononc-er sur leur nouvelle Constitution, très favorable aux militaires.

THAILANDE 24 La Première ministre Shinawatra est fortement contestée. Ses adversaires, les “chemise jaunes”, veulent retourner à un régime plus monarchique.

INSOLITE 34Les applications pour smartphones sont parfois les miroirs des nations qui les créent. Tour du monde de ces “appli”.

ARABIE SAOUDITE 38Pour lutter contre le chômage des jeunes, la monarchie renvoie ses travail-leurs clandestins. Traqués, un million d’entre eux ont été expulsés en 2013.

RWANDA 42Une nouvelle méthode de circoncision pourrait bien révolutionner la lutte contre le sida. Le Rwanda est le premier pays à l’appliquer à grande échelle.

CHINE 46Le régime opère un tournant dans sa politique familiale. Celle de l’enfant unique touche à sa fin alors que le cas des “laissés derrière” devrait évoluer.

VENEZUELA 54Devant la forte inflation qui frappe son pays, le président Maduro a lancé ce qu’il nomme une “guerre économique”. Sa cible : les “bourgeois”.

ECONOMIE 58La Banque mondiale a lancé des “obligations-femmes”, un produit destiné à financer des entreprises gérées par des femmes dans les pays émérgents.

RETOUR SUR ... 62Tchad, 1982-1990 : Hissène Habré a instauré une dictature qui fut l’une des plus sanglantes d’Afrique. Un rapport revient sur ces huit années de terreur.

JAPON 30La question de la souveraineté des îles Senkaku fait monter d’un cran les tensions entre le Japon et la Chine, guidés par un nationalisme exacerbé.

2

Page 3: Hémisphères

Sommaire

3

Page 4: Hémisphères

4

Page 5: Hémisphères

CENTRAFRIQUE

Hollande

LUI

GENDARMEMalgré

Le 6 décembre, la France a déclenché une in-tervention en Centrafrique, l’opération Sangar-is. Il s’agit avant tout pour Paris de mettre fin au bain de sang et d’empêcher que la Centrafrique devienne une zone de non-droit. Mais les ob-jectifs de François Hollande sont loin d’être at-teints. L’ONU parle même de possible génocide.

5

Page 6: Hémisphères

En envoyant des troupes en Centrafrique à la fin de l’année 2013, la France a décidé d’intervenir dans un pays où elle a peu d’intérêts économiques. Les objectifs de François Hollande sont doubles : évi-ter un génocide et tout faire pour que le pays n’implose pas et devienne une zone de non-droit.

La France gendarme de l’Afrique ? Cette ques-tion, souvent lancée à la cantonade, a pris un nouvel écho depuis quelques années. En trois ans, la France a lancé quatre grandes opérations

sur le sol africain : Libye et Côte d’Ivoire en 2011, Mali et Centrafrique en 2013. Elles ont mobilisé de forts moyens financiers et humains et illustrent l’intérêt que la France éprouve toujours pour le continent.

Les échanges commerciaux entre Paris et Bangui sont très faibles

Bien sûr, Paris cherche à préserver ses intérêts économi-ques et énergétiques, mais la crise centrafricaine semble prouver, à ceux qui en doutaient encore, que la France intervient parfois, aussi, sans qu’elle n’ait d’intérêt économ-ique évident. Car la Centrafrique est un nain commercial et économique où les entreprises françaises n’ont pas de débouchés. Si le pays est très étendu, il ne compte que 4,65 millions d’habitants et figure parmi les dix nations les plus pauvres du monde. En 2012, son PIB par hab-itant n’était que de 446 $. 96 fois moins qu’un Français. Pas de marché donc. Les entreprises françaises rechignent

également à y investir à cause du manque d’infrastructures. L’Etat manque de moyens pour administrer un territoire plus grand que la France et la Belgique réunies. Cette absence de la puissance publique favorise par ailleurs le développement de bandes armées. « En raison du faible coût de l’uranium depuis Fukushima et de l’insécurité présente dans le pays depuis plusieurs mois, AREVA a annoncé, en septembre 2012, la suspension de l’ex-ploitation minière de Bakouma en République Centra-fricaine », peut-on lire sur le site du géant du nucléaire. Cette décision a été prise après l’attaque violente du site de Bakouma en juin 2012. Malgré les liens historiques évidents entre la France et son ancienne colonie, les relations commerciales sont donc très restreintes. Moins d’une dizaine de sociétés français-es y sont implantées, principalement pour exploiter des

ressources naturelles. Total, Castel, et Bolloré travaillent depuis des an-nées avec le pays. France Télécom s’y développe également depuis 2007. Au total, les échanges com-merciaux entre les deux pays ne représentent que 52 millions d’euros annuels. Une goutte d’eau quand on sait que les relations commer-

ciales avec l’Allemagne représentent plus de 159 milliards d’euros.

Malgré les liens historiques évi-dents entre la France et son ancienne colonie, les relations commerciales sont très restreintes. Moins d’une dizaine de sociétés françaises y sont implantées, principalement pour ex-

ploiter des ressources naturelles.

6

Page 7: Hémisphères

CENTRAFRIQUE

La Centrafrique vit de ses ressources agricoles et minières. Elle produit et exporte du tabac, des bananes, du coton, du bois et son sous-sol est riche en diamants. Mais d’un point de vu géostratégique, ces ressources n’ont qu’un in-térêt limité. Même l’uranium, présent en trop faible quan-tité, ne représente un intérêt stratégique majeur. Rien ne semblait donc pousser donc la France à intervenir.

La crainte d’une nouvelle Somalie

Si la France a lancé l’opération Sangaris, c’est presque à contrecœur. Elle était la seule nation capable d’interven-ir rapidement et conséquemment en Centrafrique. Anci-enne puissance coloniale, Paris dispose d’une excellente connaissance des problèmes politiques du pays. Sur place, elle disposait de 650 soldats et d’un état-major connaissant le terrain. Et d’autres contingents présents en Afrique de l’Ouest étaient capables de s’y déployer rapidement. La principale raison de l’intervention est humanitaire : évit-er que la Centrafrique ne sombre dans le chaos le plus ab-solu et que les massacres ne se transforment en génocide. La France souhaite aussi éviter que la disparition de l’Etat centrafricain ne laisse place à une vaste zone de non-droit au cœur du continent. Les dirigeants français ont constaté à quel point l’émergence de telles zones peut déstabiliser une région, voire provoquer de nouveaux conflits. En Af-rique, les cas du Nord-Mali et de la Somalie, où les idéol-ogies extrémistes et les trafics prospèrent, servent d’exem-ple. Pour Paris, l’objectif est donc d’éviter un embrasement d’une région déjà très instable, gangrénée par de nombreux conflits locaux. La Centrafrique doit en effet composer avec des voisins

encombrants et des frontières d’une grande porosité. L’est du pays subit depuis des années les exactions d’un mou-vement de rébellion ougandais, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui a causé la mort de plus de 100 000 personnes depuis 25 ans. Chassée d’Ouganda, cette milice s’est répandue dans la région et la Centrafrique en paye le prix. Bangui a également une frontière avec le Sud-Soudan, plongé depuis décembre dans une guerre civile entre différentes factions de l’armée. Autre voisin explosif : le Soudan, déstabilisé depuis des années par le conflit au Darfour. Sans oublier la République démocratique du Congo, probablement l’un des pays les plus dangereux et instables du monde...Enfin, la Centrafrique se trouve sur la ligne de démarca-tion entre musulmans et chrétiens d’Afrique : les premiers vivent au nord du pays, les seconds au sud. Or, leur antago-nisme pose de plus en plus de problèmes sur le continent et se traduit par une montée des tensions. Preuve en est avec le développement des groupes extrémistes religieux ces dernières années. L’exemple le plus marquant est celui de l’organisation extrémiste musulmane Boko Haram. Née dans les années 2000 au Nigéria, elle s’inspire du mouve-ment des talibans afghans pour instaurer la charia dans un pays également partagé entre musulmans et chrétiens. François Hollande est-il marqué par le précédent rwanda-is ? Tout juste concède-t-il mi-janvier « avoir forcément à l’esprit ce qui s’était produit au Rwanda ». Alors jeune conseiller de François Mitterrand, il avait vu l’ancien prési-dent soutenir le pouvoir en place. Avec le résultat que l’on connaît : le massacre de 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, entre avril et juillet 1994.

Maxime Thuillez

S’est-elleFrance

POURQUOILa

ENGAGÉE ?

7

Page 8: Hémisphères

1900 militaires1400 militaires sont permanents, appartenant à des unités pré-positionnées et tournantes qui constituent les forces de présence.

Côte d’Ivoire

Tchad

Centrafrique

Djibouti

1600 militairesDepuis le 5 décembre 2014, l’opération Sangaris, a été lancée pour assurer la sécurité dans le pays, sous mandat de l’ONU.

950 militairesLe dispositif Épervier compte aujourd’hui près de 950 militaires, mis en place au Tchad en 1986 afin de contribuer au rétablissement de la paix du Tchad.

Mali2500 militaires

Actuellement présents sur le sol malien et poursuivent une mission de sécurisation visant à affaiblir durablement les groupes terroristes, tout en appuyant le transfert de la zone aux contingents relevant de la MINUSMA.

450 militairesLa force Licorne est déployée en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002, pour assurer lasécurité des ressortissants français après une tentative de coup d’Etat.

Gabon900 militaires

Les forces françaises au Gabon constituent un réservoir de forces prépositionnées en Afrique. A ce titre, elles maintnent en alerte des moyens pour soutenir les opérations menées en Afrique de l'ouest et en Afrique centrale. De nombreux militaires sont partis rejoindre la Centrafrique pour l’opération Sangaris.

Sénégal350 militaires

Les éléments français au Sénégal sont essentiellement constitués de personnels en mission longue durée sur le territoire. Au total, ils représentent actuellement un effectif de 350 militaires, dont environ 260 permanents.

1900 militairesLes trois armées y sont représentées.

Réunion

Forces militaires Françaises en aFrique

Base permanente

Opération extérieure

Source : Ministère de la Défense

8

Page 9: Hémisphères

1900 militaires1400 militaires sont permanents, appartenant à des unités pré-positionnées et tournantes qui constituent les forces de présence.

Côte d’Ivoire

Tchad

Centrafrique

Djibouti

1600 militairesDepuis le 5 décembre 2014, l’opération Sangaris, a été lancée pour assurer la sécurité dans le pays, sous mandat de l’ONU.

950 militairesLe dispositif Épervier compte aujourd’hui près de 950 militaires, mis en place au Tchad en 1986 afin de contribuer au rétablissement de la paix du Tchad.

Mali2500 militaires

Actuellement présents sur le sol malien et poursuivent une mission de sécurisation visant à affaiblir durablement les groupes terroristes, tout en appuyant le transfert de la zone aux contingents relevant de la MINUSMA.

450 militairesLa force Licorne est déployée en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002, pour assurer lasécurité des ressortissants français après une tentative de coup d’Etat.

Gabon900 militaires

Les forces françaises au Gabon constituent un réservoir de forces prépositionnées en Afrique. A ce titre, elles maintnent en alerte des moyens pour soutenir les opérations menées en Afrique de l'ouest et en Afrique centrale. De nombreux militaires sont partis rejoindre la Centrafrique pour l’opération Sangaris.

Sénégal350 militaires

Les éléments français au Sénégal sont essentiellement constitués de personnels en mission longue durée sur le territoire. Au total, ils représentent actuellement un effectif de 350 militaires, dont environ 260 permanents.

1900 militairesLes trois armées y sont représentées.

Réunion

9

Page 10: Hémisphères

L’intervention française en Centrafrique n’est pas parvenue à pacifier le pays. L’escalade de la vio-lence entre chrétiens et musulmans a provoqué la mort de plus d’un millier de personnes depuis dé-cembre. Le 16 janvier, l’un des responsables de l’ONU est allé jusqu’à évoquer un possible génocide.

La crise a tous les éléments que nous avons vus ailleurs dans des endroits comme le Rwanda et la Bosnie. Les éléments sont là pour un génocide, il n’y a pas de doute. » Un mois et

demi après le début de l’opération Sangaris, John Ging dresse un tableau noir de la situation en Centrafrique. Ce haut responsable de l’ONU, directeur des opérations humanitaires de l’ONU, détaille l’« énorme tragédie » centrafricaine par des chiffres éloquents : 2,6 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire et 880 000 ont été déplacées. Rien qu’à Bangui, elles sont 510 000 à avoir dû quitter leur foyer. Soit près un habitant de la capitale sur deux. Un millier de morts en décembre Le relatif optimisme des premiers jours de décembre a dis-paru. La veille de l’intervention française, le 5 décembre, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian précisait les objectifs de Paris : « Il s’agit d’arrêter la catastrophe en République centrafricaine et de reconstruire un pays qui n’existe plus. » Le tout en six mois. Mais force est de constater que l’opération Sangaris - du nom d’un papillon rouge sang des forêts centrafricaines - est pour l’instant un échec. Le conflit vire à l’affrontement confessionnel entre musulmans et chrétiens et les 1 600 sol-

dats français assistent à une escalade de la violence que rien ne semble pouvoir enrayer. Un rapport de Human Rights Watch (HRW) fait état de la mort d’environ un millier de personnes en décembre. L’ONG s’alarme du « grand risque de voir se multi-plier les massacres sectaires ».2014 débute comme 2013 s’est achevée. Le jour du Nouvel An, des échanges de tirs à Bangui font un mort et poussent des centaines de civils à fuir vers l’immense camp de déplacés situé près de l’aéroport de Bangui. Un membre de Médecins sans frontières confie son désarroi à l’AFP : « Ça n’arrête pas. Hier encore, on a reçu un bébé de six mois qui est décédé après avoir reçu une balle perdue. » « Nous avons peut-être sous-estimé la haine entre communautés » Les prémices de ce chaos apparaissent en mars 2013. La Séléka, une coalition de groupes armés hétéroclites ma-joritairement musulmans, renverse le président Bozizé et porte au pouvoir Michel Djotodia. L’heure est à la

« Ça n’arrête pas. Hier encore, on a reçu un bébé de six mois qui est décédé après avoir reçu une balle perdue. »

Un membre de MSF.

10

Page 11: Hémisphères

CENTRAFRIQUE

Aux crimes des « ex-Sélé-ka » répondent les massacres des « anti-balaka ». Les mêmes méthodes sont utilisées : une cruauté inouïe à laquelle per-

sonne ne doit survivre.

« revanche » après des décennies passés dans l’ombre des élites centrafricaines, chrétiennes. « La frustration des communautés musulmanes en Centrafrique est le fruit d’années de marginalisation par les gouvernements suc-cessifs depuis l’indépendance du pays il y a plus de 50 ans, explique le sous-secrétaire d’Etat américain Jeffrey Feltman. Ainsi, alors que la communauté musulmane représente environ 20% de la population centrafricaine, aucune fête musulmane n’est observée officiellement par le pays. »La revanche des Séléka arbore un visage sanglant : des vil-lages peuplés de chrétiens sont brûlés et pillés. Leurs hab-itants sont massacrés, y compris les enfants. Soutenu par le Tchad d’Idriss Déby, Michel Djotodia se montre incapable de tenir ses troupes et la Séléka éclate en septembre. L’an-archie gagne le pays et les exactions contre les populations civiles chréti-ennes se multiplient. En réaction, des milices d’autodéfense émergent, les « anti-balaka » - « an-ti-machette » en sango. En plus de civils chrétiens, elles sont composées de soldats des ex-Forces armées centrafricaines, vestiges du régime de François Bozizé. C’est ainsi qu’aux crimes des « ex-Sélé-ka » répondent les massacres des « anti-balaka ». Les mêmes méthodes sont utilisées : une cruauté inouïe à laquelle personne ne doit survivre.Près d’un mois après le lancement de « Sangaris », une phrase de l’ambassadeur français aux Nations un-

ies, Gérard Araud, illustre la stupeur du Quai d’Or-say : « Je pense que nous avons peut-être sous-estimé la haine et le ressentiment entre communautés. »

Les scènes d’horreur s’accumulent L’immuable incapacité du président Djotdodia à rétablir l’ordre poussent François Hollande et Idriss Déby à le lâcher. Il quitte le pouvoir contre son gré le 10 janvier. Son successeur, Alexandre-Ferdinand Nguendet, nom-mé pour un intérim d’une dizaine de jours, annonce la fin de « la récréation », assurant que « le chaos est terminé ». Ses promesses sont vite brisées.

Le 15 janvier, sept nouveaux cadavres jonchent les rues de la capitale, dont celui d’un jeune d’une quinzaine d’an-nées. A Bangui, les scènes d’horreur s’accumulent : actes de cannibalisme, corps brûlés et découpés. En mi-norité, les musulmans n’ont d’autre choix que de quitter Bangui.

Malgré la gravité de la situation, François Hollande continue à afficher une certaine confi-ance. Lors de sa grande conférence de presse du 14 janvier, il déclarait avoir « espoir que progressivement l’apaise-ment revienne, le désarmement puisse se produire et la transition politique également ». Un « espoir » à mettre en perspective avec les craintes de génocide exprimées par les Nations unies.

Raphaël Badache

RÈGNELe

CHAOSDu

11

Page 12: Hémisphères

12

Page 13: Hémisphères

Ukraine

Depuis le 24 novembre, des manifes-tants occupent la place Maïdan à Kiev. À l’origine, ils souhaitaient que l’Ukraine signe un accord d’association avec l’Union européenne. Un contrat brandi depuis des mois par le gouvernement comme l’ave-

nir du pays mais annulé à la dernière min-ute. Car c’est avec la Russie que le chef d’Etat

ukrainien Viktor Ianoukovitch a scellé un accord commercial. Aujourd’hui, la foule est clairse-

mée place Maïdan. La mobilisation s’essouffle mais ne s’éteint pas. Retour sur les origines d’une

presque-révolution.

FEUXENTRE

KIEVPris Deux

13

Page 14: Hémisphères

Le 21 novembre 2012 restera synonyme d’un camouflet cinglant pour l’Union euro-péenne. A une semaine de la signature de l’accord d’association et de libre-échange entre Bruxelles et l’Ukraine, le président Viktor Ianoukovitch annonce renoncer au projet. Trois années de préparation sont réduites en cendres sous la pression

de Vladimir Poutine. Au cours de l’été 2012, la Russie avait multiplié les contrôles douaniers sur les marchandises ukrainiennes et fait planer la menace de mesures de rétorsions en cas d’accord avec l’UE. Pour remplacer cet accord d’association, Ianoukovitch propose de créer une commission tripartite sur le commerce, incluant Moscou et Bruxelles.

L’opposante Ioulia Timochenko, qui purge une peine de sept ans de prison pour abus de pouvoir, appelle à manifester contre cette déci-sion. Son avocat publie une lettre où l’ancienne Première ministre compare la situation à un coup d’Etat.

22 novembre

Des milliers de personnes se rassemblent à Kiev. Elles brandissent les drapeaux européen et ukrainien, mais aussi le rouge et noir de l’Armée insurrectionnelle d’Ukraine. Ce sym-bole de la lutte pour l’indépendance du pays est souvent repris par le parti ultranationaliste Svoboda, qui voit dans l’Union européenne un bouclier contre les velléités d’expansion russes.

24 novembre

L’opposition demande la démission de Viktor Ianoukovitch. « Le rapprochement avec l’Un-ion européenne correspond à une revendica-tion profonde dans la mesure où Ianoukovitch n’a cessé de dire que l’UE était la perspective de l’Ukraine, explique Alexandra Goujon, maî-tre de conférence à l’université de Bourgogne et spécialiste des États postsoviétiques. En-suite, les revendications se sont élargies aux questions de politique intérieure . Les mani-festants sont en effet convaincus qu’un futur rattachement à l’UE serait synonyme d’une modernisation du pays. »

29 novembre

En cas d’accord, l’Ukraine devait adhérer à un programme de réformes du FMI

Viktor Ianoukovitch explique renoncer à l’accord d’association pour des raisons fi-nancières. L’aide de 610 millions d’euros offerte par Bruxelles est trop faible. Le nou-veau ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, l’a d’ailleurs reconnu : « Nous avons présenté une proposition d’aide financière et économique, loin de ce qui est nécessaire pour sauver l’Ukraine de la faillite et l’associer économique-ment durablement à l’Europe. » En outre, cette proposition est conditionnée au respect d’un programme de réformes élaboré par le FMI, qui implique en particulier l’augmentation des prix de l’énergie pour la population, la dévaluation de la monnaie et le gel des salaires. Ces conditions auraient sûrement contribué à dégrader les conditions de vie de la population, ce qui apparaît très risqué pour un président qui briguera un second mandat en 2015. Selon la chercheuse Alexandra Goujon, « les réformes exigées par le FMI entraîneraient sans doute du chômage à l’est du pays, majoritairement pro-russe. A l’inverse, la Russie ne demande aucune réforme, seulement une loyauté politique. » Néanmoins, comme le soulignaient Thomas Guénolé et Katerina Ryzhakova Proshin sur Slate.fr, « il n’y a pas d’un côté des Ukrainiens de l’ouest qui seraient ouverts, démocrates, modernes, et pro-européens; et de l’autre, des Ukrainiens de l’est qui seraient bornés, partisans d’un régime autoritaire à la biélorusse, conservateurs et pro-russes ». Le rejet de l’intégration européenne parfois observé à l’est est dû avant tout à la crainte de voir s’effondrer une économie essentiellement industrielle. « L’industrie ukrainienne est très consommatrice d’énergie », rappelle Alexandra Goujon, ce qui rend les condi-tions du FMI très difficiles à accepter.

14

Page 15: Hémisphères

Après une semaine de manifestations pacifiques, le mouvement est violemment réprimé. La tension monte d’un cran. Ioulia Timochenko appelle de sa cellule à rester dans la rue jusqu’à ce que le régime soit renversé.

30 novembre

Les institutions du pays sont bloquées par les manifestants. Les autorités dénoncent un coup d’Etat. Le Premier ministre, Mikola Azarof, insinue que le mouvement est orchestré de l’étranger : « Nous voulons que nos partenaires ne pensent pas que tout leur est permis. » De son côté, Vladimir Poutine dénonce des mani-festations « préparées de l’extérieur ».

2 décembre

Ukraine

“ L’Ukraine est un Etat à souveraineté limitée. ”

(José Manuel Barroso)

15

Page 16: Hémisphères

Pour Alexandra Goujon, comme au moment de la Révolution orange de 2004, on sur-estime l’influence étrangère sur les mouvements spontanés en Ukraine : « Le

mythe de l’ONG américaine qui distribue des sandwichs aux man-ifestants, je n’y crois pas trop. Bien sûr il y a une influence

étrangère, dans la mesure où il y a des Ukrainiens qui ont fait des études ailleurs en Allemagne par exemple. »

Mais pour la chercheuse, « ces méthodes de pro-testation, d’occupation des lieux publics sont typiquement ukrainiennes », et s’inscrivent dans la « tradition contestataire » du pays. La situation soulève pourtant des enjeux géopoli-tiques réels. « L’Ukraine est prise en étau en-tre deux puissances régionales qui veulent l’associer », confirme-t-elle. D’un côté, l’Union européenne veut s’allier l’Ukraine mais n’est pas prête à l’intégrer. De l’autre, la Russie, qui parle volontiers de son « étranger proche »,

veut reconstituer une puissance régionale. Une perspective redoutée par les nationalistes, qui y

voient un retour de l’Union soviétique.

“ Les manifestations en Ukraine sont préparées de l’extérieur. ”

(Vladimir Poutine)

16

Page 17: Hémisphères

Des militants du parti Svoboda renversent une statue de Lénine à Kiev. Une autre sculpture du chef de la Révolution russe de 1917 subit le même sort à Kotovsk, dans une région russo-phone et réputée acquise au pouvoir. L’acte n’est pas revendiqué.

2 et 3 décembre

Viktor Ianoukovitch se rend à Moscou, officiel-lement pour renforcer le partenariat stratégique entre les deux pays. Au programme, entre au-tre, la levée de l’embargo russe sur les choco-lats ukrainiens Roshen, déclarés impropres à la consommation par les services sanitaires russes en juillet. Les deux Etats signent finalement un accord de rapprochement économique. La Russie promet d’investir 15 milliards de dollars dans des titres du gouvernement ukrainien et de réduire d’un tiers le tarif de ses livraisons de gaz à l’Ukraine - 268,50 dollars les 1000 m3 con-tre plus de 400 aujourd’hui. En Europe, José Manuel Barroso dénonce une mise sous tutelle de l’Ukraine et parle d’un Etat à « souveraineté limitée ».

17 décembre

Des leaders aux aspirations bien différentes

Depuis la fin de l’année 2013, les initiatives citoyennes se multiplient : assistance juridique aux personnes vic-times de violences policières, rondes de surveillance autour de la place, ravitaillement… Mais pour l’in-stant, les manifestants n’ont rien obtenu, si ce n’est la condamnation de responsables de la répression du 30 novembre. Un constat amer, qui peut s’expliquer par l’absence de leader fédérateur. Le mouvement réunit en effet trois grands partis aux aspirations très différentes. D’un côté, Batkivchtchina, « Patrie », le parti de Ioulia Timochenko ; de l’autre, le parti Oudar, « Coup de poing », dirigé par l’ex-cham-pion de boxe Vitali Klitschko ; et au milieu de tout ça, de façon assez ironique pour un mouvement pro-eu-ropéen, le parti ultranationaliste Svodoba, « Liberté ». Le slogan de ce dernier, « Gloire à l’Ukraine, gloire aux héros », a été adopté par les deux autres. « Avec Ioulia Timochenko en prison, il était difficile de trouver un leader qui puisse être concurrentiel pour le gouverne-ment », souligne la chercheuse Alexandra Goujon. La question est de savoir si les manifestants de la place Maïdan arriveront à transformer la mobilisation en une opposition politique pour les élections de mars 2015. Interrogée par Le Monde, la politologue Ioulia Shukan s’est montrée plutôt pessimiste à ce sujet : « Une réflexion s’est engagée sur le fait de présent-er un candidat unique à la présidentielle. Mais cette solution est difficile à mettre en œuvre en raison des divergences idéologiques très importantes entre les trois partis d’opposition ainsi que des ambitions per-sonnelles de leurs chefs. » Place Maïdan, quelques manifestants continuent pourtant d’y croire.

La Russie prête ses trois premiers milliards. Un premier versement salutaire pour l’économie ukrainienne, proche de la faillite, mais qui est loin d’être un cadeau de la part de Moscou : le crédit a une durée de deux ans et en 2015, à l’is-sue de l’échéance présidentielle, l’Ukraine devra rembourser sa dette. Quant à la ristourne sur le gaz, Vladimir Poutine a expliqué qu’elle était « provisoire » et qu’il faudrait bientôt passer à la « coopération ». Parallèlement, la mobilisation évolue. L’opposi-tion a renoncé à la signature de l’accord d’as-sociation avec l’Europe et se concentre sur des revendications de politique intérieure. Ils veu-lent mettre fin à la corruption, au règne de l’oli-garchie et à l’arbitraire de la police.

24 décembre

50 000 personnes manifestent pour dénoncer l’agression de la journaliste d’opposition Tetia-na Tchornovol. La jeune femme, mère de deux enfants, enquêtait sur les propriétés des hauts fonctionnaires. Elle a été violemment battue dans la nuit du 24 au 25 décembre. Dans le même temps, 5 000 opposants se ren-dent devant la résidence de campagne de Viktor Ianoukovitch.

29 décembre

Le passage à tabac par la police d’un des leaders de l’opposition, l’ancien ministre de l’Intérieur Iouri Loutsenko, déclenche une manifestation monstre dans le centre de Kiev.

11 janvier

Ukraine

Margaux Leridon

17

Page 18: Hémisphères

18

Page 19: Hémisphères

EGYPTE

Les 14 et 15 janvier, les Egyptiens sont appelés à se prononcer sur la ratification d’une nouvelle Constitu-tion. Élaboré par une commission de cinquante mem-bres après la destitution de Mohamed Morsi, le texte est très favorable aux militaires. « Opération illégale » pour les Frères musulmans, mais seul moyen d’obtenir la stabilité politique aux yeux de nombreux Egyptiens ; menace de sabotage du scrutin d’un côté, risque de fraude de l’autre… La nation égyptienne s’apprête à vivre un nouveau processus politique à haut risque.

HAUTERéférendum

TENSIONSous

19

Page 20: Hémisphères

« En matière de religion la différence avec la Constitution en vigueur sous Moubarak est

très cosmétique ».Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Egypte.

portée juridique lorsqu’elle est sans ambiguïté. Mais « cela concerne essentiellement ce qui est mentionné dans le Coran », précise Stéphane Lacroix. Les autres sources du droit islamique (tradition, jurisprudence religieuse…) ne pourront pas être invoquées. Autre différence notable, l’autorité compétente pour trancher ces questions n’est plus Al Azhar, l’université is-lamique, mais la Cour constitutionnelle, plutôt libérale et « nommée par le pouvoir », précise Gamal, journaliste au Caire pour un média anglophone. L’article 4 de la nou-velle Constitution précise simplement qu’Al Azhar est « la principale institution religieuse » d’Egypte. En matière de religion, « la différence avec la Constitution en vigueur sous Moubarak est très cosmé-tique », conclut Stéphane Lacroix. Sur le plan militaire, la Constitution de 2013 va même un peu plus loin puisque la nomination du ministre de la Défense doit se faire avec l’aval du Conseil des forces armées. « Dans toutes les démocraties du monde, c’est le gouvernement qui contrôle l’armée, en Egypte, on tente d’imposer le contraire », déplore le porte-parole des Frères musulmans, Tarek Al-Morsi. De plus, le détail du budget de l’armée reste hors du contrôle du Parle-ment, et les tribunaux militaires sont maintenus. « Des tribunaux militaires vont continuer à juger le peuple,

Il s’agit d’une nouvelle étape dans la marche tourmen-tée de l’Egypte depuis la révolution de 2011. Pour la deuxième fois en trois ans, les Egyptiens sont appelés à voter pour une nouvelle Constitution. Le référen-

dum aura lieu les 14 et 15 janvier. Il doit conforter le pouvoir du nouvel homme fort du pays, le général Adbel Fattah Al-Sissi, responsable de la destitution de l’ancien président Mohamed Morsi en juillet 2013. Le texte qui sera proposé aux Egyptiens présente de nombreuses similitudes avec la Constitution de 1971, en vigueur sous les régimes de Sa-date et de Moubarak.

Moins de religion pour plus d’armée

La première Constitution post-révolutionnaire, approu-vée par 64% des Egyptiens en 2012, était le miroir d’un Parlement alors dominé par les Frères musulmans et les salafistes. « Elle ouvrait la voie à une islamisation du droit, explique Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po et spécialiste de l’Égypte. Avec celle de 2013, ce n’est plus le cas. » Les Frères musulmans sont exclus du débat politique depuis juillet 2013 et le contenu de la nouvelle Constitution s’en ressent. Preuve en est avec la suppression de l’article 219, qui per-mettait aux préceptes du droit musulman de devenir les sources du droit civil. « Il avait fait hurlé les libéraux », précise le chercheur. Dans la nouvelle Constitution, la charia n’est plus mentionnée qu’à titre symbolique. Pour satisfaire les salafistes - qui ont pris part à l’élaboration du texte -, le préambule prévoit toutefois qu’elle prenne une

20

Page 21: Hémisphères

« La Constitution donne le droit de manifester. Pourtant, le gouvernement militaire vient de mettre en place plusieurs

lois anti-manifestations. » Gamal, journaliste égyptien.

c’est une usurpation totale des droits de l’homme », poursuit Tarek Al-Morsi.

Des avancées sur les libertés publiques mais un « gouvernement civil » qui interroge Si la Constitution est volontiers autoritaire, elle présente quelques avancées en matière de droits et libertés, comme la liberté de culte accordée aux juifs et aux coptes, la mi-norité chrétienne d’Egypte. Mais « la situation reste difficile pour les baha’is (une autre minorité religieuse, NDLR) et les chiites », tempère Gamal. La nouvelle loi fondamentale est aussi plus favorable aux femmes, explique Stéphane Lacroix : « Il y avait un débat entre les notions de complémentarité et d’égalité entre les hommes et les femmes, finalement, c’est la notion d’égalité, moins ambiguë, qui a été retenue. » Mais la vraie question, est de savoir si la Constitution sera

appliquée. Rien ne garan-tit pour l’instant que l’armée respectera strictement la nou-velle loi fondamen-tale. « Par exemple, souligne Gamal, la Constitution donne

le droit de manifester. Pourtant, le gouvernement militaire vient de mettre en place plusieurs lois anti-manifestations. » Une anecdote est passée relativement inaperçue mais est

significative de la mainmise des militaires. Dans le texte qui a été voté, le préambule affirmait que « le pouvoir est civil », c’est-à-dire laïque et non militaire. Or, le texte a été modifié après le vote, et parle finalement de « gouverne-ment civil ». Selon Gamal, « c’est complètement contra-dictoire dans la mesure où la Constitution prévoit que des militaires puissent participer au gouvernement ». Une commission à la légitimité contestée Pour Tarek Al-Morsi, la commission constitutionnelle a été nommée par « l’autorité du coup d’Etat. Nous avons toujours un président démocratiquement élu (Mo-hamed Morsi, NDLR) qui n’a pas terminé son mandat, c’est lui qui détient la légitimité démocratique. Les militaires ont voulu créer un texte pour eux. » Rédiger une Constitution démocratique à la suite d’un coup d’Etat semble en effet ambitieux. Mais les Egyptiens ne s’accord-ent pas sur le fait de considérer la destitution de Mohamed Morsi comme un coup d’Etat. Fait symptomatique, le titre de l’article Wikipedia consacré à l’événement a été modifié à de nombreuses reprises. Les cinquante membres de la commission constitution-nelle ne comptaient que six représentants de partis poli-tiques, parmi lesquels deux islamistes dont un Frère musulman en rupture de ban. « Il est clair que ce n’est pas une Constitution qui émane de la population, mais une Constitution qui émane de l’Etat, explique Stéphane Lacroix. Parmi les membres de la commission, beaucoup de gens avaient déjà des responsabilités sous

EGYPTE

21

Page 22: Hémisphères

Moubarak et chez les libéraux, il y avait des hommes comme Amr Moussa, qui sous Moubarak n’étaient pas des opposants très agressifs. » Les partis religieux interdits Le Président égyptien par intérim, Adly Mansour, s’est adressé à ses détracteurs lorsqu’il a annoncé le référendum, le 14 décembre : « Je vous invite à avoir du courage, à renoncer à l’obstination et à l’entêtement - qui, nous le savons, a eu un coût pour la sécurité et les intérêts du peuple - à rejoindre la marche nationale et à arrêter de poursuivre un mirage et des illusions. » Mais pour Tarek Al-Morsi, « c’est un texte qui n’a pas de légitimité », et les Frères musulmans appellent à boycott-er le référendum. Le 16 décembre, Hamza Al-Farawi, porte-parole de l’Alliance anti-coup d’Etat, dominée par les Frères musulmans, a affirmé rejeter « tout vote organisé sous le régime militaire ». Il accuse l’armée de censurer l’opposition : « Pourquoi n’y a-t-il pas une seule affiche appelant à voter non ? Lors du référendum de 2012, il y avait même des publicités à la télévision en faveur du non ! » Pour Gamal, « il est vrai que la couverture médiatique est favorable au oui, et en 2012, les médias privés ap-pelaient effectivement à voter non. Mais cette situation n’est pas le fruit d’une pression du pouvoir ! Les chaînes satellitaires aujourd’hui sont plus royalistes que le roi, elles sont réellement pour la nouvelle Constitution. » Malgré cette apparente neutralité du pouvoir à l’égard des

médias, trois journalistes d’Al-Jazeera ont été arrêtés le 24 décembre au Caire. Dans un communiqué, le ministère public les accuse d’avoir diffusé des informa-tions pouvant porter atteinte à la sécurité nationale et d’appart-enir à un groupe ter-roriste. La répression à l’égard des Frères musulmans, dont certains cadres sont en prison, n’a cessé de s’intensifier à l’approche du scrutin. La nouvelle Constitution consacre d’ailleurs l’interdiction, jusqu’alors seulement législative, des partis religieux. Un climat intérieur délétère La vague de violence intervenue dans les derniers jours de l’année 2013 n’a rien fait pour favoriser l’organisation re-ligieuse, accusée d’être à l’origine des troubles. Le 24 décembre, au quartier général de la police de Mansoura, à une centaine de kilomètres du Caire, un attentat à la voiture piégée a tué 15 personnes, dont 14 policiers. Deux jours plus tard, une explosion a blessé cinq civils dans un bus de la capitale et une autre bombe a été désamorcée. Dix-huit membres des Frères musulmans ont été arrêtés, et le mouvement a été déclaré « organisation terroriste ». « Les médias privés ont tous salué la décision, précise

Trois journalistes d’Al-Jazeera ont été arrêtés le 24 décembre au Caire. Le ministère public les accuse d’avoir diffusé des informa-tions pouvant porter atteinte à la sécurité nationale et d’ap-partenir à un groupe terroriste.

22

Page 23: Hémisphères

EGYPTE

Malgré les menaces des Frères musulmans, l’issue du scrutin ne fait guère de doute. Depuis 1956, l’Egypte a organisé 27 référendums, et le oui l’a tou-

jours emporté.

Gamal. Seul le mouvement révolutionnaire du 6 Avril a sorti un communiqué condamnant ce choix, tout en précisant ne pas soutenir pour autant la confrérie. » La situation a empiré le 3 janvier, lorsque des heurts entre manifestants pro-Morsi et policiers ont fait treize morts et des dizaines de blessés au Caire. Pour Gamal, ce regain de violence est aujourd’hui la prin-cipale préoccupation des Egyptiens : « Le référendum n’est pas le centre d’intérêt des gens, qui sont très inquiets au sujet de la sécurité intérieure. » Selon lui, il est clair que les récents attentats vont influencer le référendum : « Soit cela va amener les gens à soute-nir le nouveau pouvoir, soit ils vont avoir peur d’aller voter. »« Les conditions du vote vont être très difficiles, confirme Stéphane Lacroix, puisque les Frères ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient tout faire pour que cela ne se fasse pas normalement. » Néanmoins, « la décision de manifester le jour du scrutin ne sera pas la seule décision de no-tre parti, tempère Tarek Al-Morsi, pour qui la résignation n’est pas de mise : « On a toutes les options pour lutter contre le coup d’Etat. Il est temps que l’armée retourne aux casernes. » Malgré les menaces des Frères musulmans, l’issue du scru-tin ne fait guère de doute. Depuis 1956, l’Egypte a organisé 27 référendums, et le oui l’a toujours emporté.

Margaux Leridon

23

Page 24: Hémisphères

24

Page 25: Hémisphères

Permettre le retour au pays de l’ancien chef du gouverne-ment Thaksin Shinawatra, frère de l’actuelle Première minis-tre Yingluck Shinawatra : voilà l’objet de la loi d’amnistie qui a mis le feu aux poudres en Thaïlande en novembre. La ten-sion n’est pas retombée depuis, loin de là. L’opposition, les « chemises jaunes », réclame la démission d’un gouverne-ment soi-disant fantoche qui serait dirigé par Thaksin depuis son exil à l’étranger. A une démocratie qu’ils jugent corrompue et instable, les manifestants préfèrent une monarchie puissante, incarnée par le roi Bhumibol.

THAILANDE

RetouR

ROI ?Le

Du

25

Page 26: Hémisphères

Le coup est parti au début de mois novembre 2013. La Première ministre thaïlandaise, Yingluck Shinawatra, dépose une loi d’amnistie devant permettre notamment le retour au pays

de son frère Thaksin, ancien Premier ministre renversé par un coup d’Etat militaire en 2006, exilé depuis à Dubaï. Le texte fait l’unanimité contre lui et des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue. Même le Sénat le rejette, ce qui ne calme pas pour autant les manifestants. Accusée d’être le pantin de Thaksin, Yingluck promet alors de nouvelles élections législatives le 2 février pro-chain. Mais rien n’y fait. La mobilisation perdure.

Une opposition royaliste et conservatrice

L’opposition, les « chemises jaunes », est essentiellement composée des élites, des classes moyennes urbaines et des milieux d’affaires. Royalistes, les « chemises jaunes » se méfient du suffrage universel. Et pour cause : depuis 1998, elles ont perdu toutes les élections nationales face à leur ennemi juré, les « chemises rouges » du clan Shinawatra. Le leader des « chemises jaunes », Suthep Thaugsuban, ne cesse de le répéter : au-delà de la chute du gouvernement voire du départ de Yingluck Shinawatra, l’objectif est de modifier en profondeur les institutions thaïlandaises. Leur projet est de remplacer le gouvernement par un Conseil du peuple formé sur la base de corporations professionnelles puissantes dans les villes. Pas question d’élections car ce

Conseil serait nommé directement par le roi Bhumibol Adulyadej, ou Rama IX. Sa figure est restée forte dans le pays car depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, le roi apparaît comme seul garant de la stabilité politique du pays. Ces 80 dernières an-nées, la Thaïlande a connu une vingtaine de coups d’Etat, réussis ou non, et pas moins de dix-hu-it Constitutions. A l’inverse, Bhumibol règne depuis 1950. Il est d’ailleurs le plus ancien chef d’Etat en exercice au monde. Les manifestants lui ont rendu hommage en choisissant le jaune pour couleur, traditionnellement associé à la royauté en Thaïlande. Preuve de son autorité morale : le 4 décembre dernier, alors que l’opposition ne désarmait pas depuis trois semaines, les manifestants ont observé une trêve afin de respecter son anniversaire. Thaksin Shinawatra, symbole abhorré par les « chemises jaunes » Bhumibol a cependant vu sa popularité s’effriter auprès d’une frange de la population depuis 2010. A cette épo-que, les « chemises rouges » sont dans l’opposition. Au printemps, elles descendent dans la rue et accusent le

Ces 80 dernières années, le pays a connu une vingtaine de coups d’Etat, réussis ou non, et pas moins de dix-huit constitu-tions. En comparaison, Bhumi-

dol règne depuis 1950.

26

Page 27: Hémisphères

THAILANDE

gouvernement de servir les élites royalistes. Elles de-mandent une meilleure représentation des classes pop-ulaires. La réaction du Parti démocrate au pouvoir - qui défile aujourd’hui avec les « chemises jaunes » - est sanglan-te : 91 personnes sont tuées et 1 900 blessées. Le pays est au bord de l’implosion et pour la première fois, des slogans anti-monarchiques se font entendre. Pour les royalistes, le responsable de cette situation est tout trouvé : l’ancien Premier ministre exilé Thaksin Shinawatra, qui financerait les manifestations depuis Dubaï. Bien qu’il provienne d’une famille riche, ils ne voient en lui qu’un parvenu, un politicien populiste corrom-pu qui n’existerait que par son immense fortune. Bâtie sur un empire informatique et téléphonique, elle est estimée à

1,7 milliard de dollars par le magazine Forbes. Ses opposants aiment rappeler que la Cour suprême thaïlandaise l’a condamné en oc-tobre 2008 à deux ans de prison par contumace pour une affaire de conflit d’in-térêts. Deux mois plus

tard, c’est son parti, le PPP, qui est reconnu coupable de fraude électorale aux législatives de 2007. Depuis, les accusations d’achat de

votes pleuvent sur les Shinawatra et leur nouveau parti, le Pheu Thai.

La Thaïlande coupée en deux Ce portrait de Thaksin Shinawatra brossé par les « che-mises jaunes » est cependant réducteur. Sa politique dans les campagnes très pauvres du nord-est s’est avérée effi-cace. Selon la Banque mondiale, le revenu moyen d’un paysan de cette zone a grimpé de 46% sous le mandat de l’ancien Premier ministre, entre 2001 et 2006. Sa recette : des subventions conséquentes dévolues au développe-ment des villages déshérités permettant la quasi-gratuité des frais de santé. Le clan Shinawatra s’est ainsi assuré une base indéfectible et nombreuse.Sans être républicain, Thaksin entretient des relations ten-dues avec le roi Bhumibol. Les « chemises jaunes » l’accusent d’avoir affaibli la monarchie. Avec sa sœur - qu’il désigne comme « son clone » -, ils incarnent aux yeux des « chemises jaunes » toutes les tares de la démocratie à l’occidentale. Pour Eugénie Mérieau, doctorante à l’Institut national des langues et civilisations orientales, cette perception révèle l’existence d’un clivage entre les électeurs thaïlandais : « Celui-ci divise le pays en deux entre une Bangkok aisée, éduquée, moderne, occi-dentalisée, et des masses rurales paupérisées, sans éducation et traditionalistes. Les deux Thaïlande ne participeraient pas en termes équivalents à la produc-

La politique de Thaksin Shinawatra dans les très pau-vres campagnes du nord-est s’est avérée efficace. Selon la Banque mondiale, le revenu moyen d’un paysan de cette zone a grimpé de 46% sous le mandat de l’ancien Premier ministre, entre 2001 et 2006.

27

Page 28: Hémisphères

tion de l’intérêt général », explique-t-elle dans un article paru en décembre 2013 sur le site du Monde. Selon la vision des citadins aisés, le choix électoral des ruraux se porterait sur des hommes malhonnêtes portés par une surenchère populiste tandis que les élites urbaines, plus éclairées, plus éduquées, parfois

même issues d’universités étrangères ne désign-eraient que des experts ultra-compétents et désintéressés. « Or, selon le principe du suf-frage universel, les votes des masses rurales, plus nombreuses, l’emportent sur ceux des des autres », ajoute Eugènie Mérieau.

L’électorat des Shinawatra les juge trop respectueux de la monarchie

Même parmi les partisans des Shinawatra, le roi apparaît comme un facteur de discorde. Pendant la campagne électorale de 2011, Yingluck avait voulu s’inscrire dans la droite lignée de son frère. Lors d’un discours dans le nord-est du pays, la Première ministre avait exhorté les foules dans ces termes : « Aimez la soeur comme vous aimez le frère ! »

Si elle a bien repris le flambeau fraternel en augmentant le salaire minimum de 40% et en soutenant à bout de

bras le marché du riz, sa base la trouve trop tiède à l’égard des institutions monarchiques.

C’est l’article 112 du code pénal thaïlandais qui cristallise

la rancoeur des

28

Page 29: Hémisphères

« chemises rouges ». Celui-ci punit de 3 à 15 ans d’emprison-nement quiconque insulte ou critique trop vertement « le roi, la reine, le prince ou le régent du royaume ». Quand Yingluck Shinawatra arrive au pouvoir, la tendance est à sa révision voire à son abolition. Or, un an après, en décembre 2012, les Thaïlandais apprennent que la Cour constitutionnelle a décidé de le maintenir. Une grosse désillusion pour les soutiens de la Première ministre. Ce virage s’explique par le fait que le gouvernement sent un besoin de donner des gages et de policer ses relations avec les royalistes. D’autant que ces derniers peuvent compter sur le soutien de l’armée thaïlandaise. Déjà responsables de la sanglante répression contre les « chemises rouges » au printemps 2010, les militaires ont laissé les « chemises jaunes » occu-per le ministère des Finances, le quartier général de la po-lice et le siège de l’armée de terre le 29 novembre dernier. Un contexte de fin de règne Le contraste est frappant avec le silence presque total du roi Bhumibol. Sa seule intervention notable dans le débat se limite à un discours prononcé à la télévision le jour de son anniversaire, le 4 décembre. Le monarque a alors ap-pelé au consensus en demandant à chaque Thaïlandais d’« assumer son rôle pour le bénéfice du pays, c’est-à-dire la stabilité et la sécurité du pays ». Âgé de 86 ans et en mauvaise santé, le souverain est con-traint depuis plusieurs années à la discrétion sur la scène politique. Mais son capital politique reste immense.

L’ethnologue Bernard Formoso, de l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, explique : « Le roi a progressivement renforcé le potentiel économique, sinon de la famille royale directement, au moins de la propriété de la couronne qui a pris des parts majoritaires dans l’une des grandes banques nationales et dans l’une des principales entreprises de construction. Tout cela

constitue une fortune considérable. Pen-dant vingt à trente ans, le roi a usé de cet argent pour ses “œuvres”, c’est-à-dire qu’il détenait le monopole du développement rural, de l’aide aux tribus du Nord ou aux campagnes. » L’opposition Bhumibol/Shinawatra tourne donc à l’affrontement de deux

clientélismes dans les campagnes. A l’échelle de l’Etat, leurs partisans respectifs préfèrent opposer deux systèmes politiques : les « chemises jaunes » défendent une démocratie paternaliste centrée autour du roi, ou au moins d’un conseil nommé par lui, alors que les « chemises rouges » misent sur un régime parlementaire également teinté de paternalisme.Actuellement, le souverain n’est pas menacé par la crise qui secoue son pays. Depuis que le projet de loi d’amnistie a été abandonné, Thaksin Shinawatra ne peut plus rentrer au pays et Yingluck a décidé de ne pas l’affronter. Pour la monarchie, l’enjeu est ailleurs. Le roi Bhumibol n’est pas éternel et sa santé pose la question de sa succes-sion. A son décès, le trône reviendrait à son fils, Maha Vajiralongkorn. Problème : il est presque aussi impopu-laire auprès des « chemises jaunes » qu’auprès des « che-mises rouges ».

Robin Verner

Âgé de quatre-vingts six ans et en mauvaise santé, le souve-rain est contraint depuis plu-sieurs années à la discrétion sur la scène politique. Mais son cap-

ital politique reste immense.

Bhumibol, un souverain populaire qui a su affirmer son autorité

Né aux Etats-Unis en 1927, Bhumibol arrive en Thaïlande l’année suivante. Son cinquième anniversaire coïncide avec la chute de la monarchie absolue. Sa mère l’emmène alors en Suisse. En 1935, son frère aîné, le prince Ananda, est appelé sur le trône. Il meurt dans des circonstances troubles en 1946. Bhumibol lui succède sous le nom de Rama IX et rentre en Thaïlande en 1950. Il affirme son autorité en 1957, lorsqu’il soutient le coup d’Etat du général Sarit et déclare la loi martiale. Bouddhiste convaincu, le roi s’intéresse de près au développement rural de son pays et multiplie les déplacements à la rencontre des paysans. Au fil des années, il s’attire la sympathie, voire la vénération de ses sujets par ses nombreuses bonnes actions. Son aura atteint son apogée en 1992 lorsqu’il parvient à empêcher le pays de sombrer dans une guerre civile entre militaires et progressistes. Dans les années 2000, la fortune, les réseaux et la popularité du Premier ministre Thaksin Shinawatra auprès des paysans menacent le pouvoir du roi. Mais Shinawatra est renversé en 2006, l’année où Bhumibol fête le 60ème anniversaire de son règne. Plus ancien chef d’Etat en exercice, il serait également le plus riche. Selon le quoti-dien britannique The Independant, sa fortune est de 23 milliards d’euros.

THAILANDE

29

Page 30: Hémisphères

30

Page 31: Hémisphères

Îles DISCORDE

Les

De LA

La Chine et le Japon se livrent un combat diplo-matique acharné pour s’attribuer 7 km² de terres en mer de Chine orientale. Ce conflit autour des îles Senkaku/Diaoyu, qui remonte à la guerre si-no-japonaise de 1895, ravive les tensions entre les deux Etats.

Japon

31

Page 32: Hémisphères

Senkaku ou Diaoyu ? Aujourd’hui, ces cinq îles inhabitées de la mer de Chine appartiennent au Japon. Mais la Chine est bien décidée à ce que les Senkaku redeviennent Diaoyu, nom chinois

de l’archipel. Le conflit autour de ces cailloux perdus de 7 kilomètres carrés envenime les relations diplomatiques entre les deux pays, déjà en froid.

Un conflit séculaire Pour comprendre cette nouvelle discorde, il faut remonter plus d’un siècle en arrière. En 1895, le Japon prend posses-sion des îles à l’issue de la guerre sino-japonaise. L’empire du Soleil levant n’en gardera le contrôle qu’une cinquan-taine d’années. Sa défaite lors de la Seconde Guerre mondiale l’amène à laisser les Etats-Unis administrer ces territoires. En 1972, Washington rétrocède les îles au Japon mais la Chine conteste l’accord, revendiquant sa souve-raineté. Pékin estime que l’archipel fait partie intégrante de son territoire. Les dirigeants chinois se réfèrent notam-ment aux manuscrits de la dynastie Ming, écrits au XIVe siècle, qui le mentionnent sous le nom de Diaoyu. Autre argument avancé : le Japon, s’étant accaparé ces îles par la force, ne peut en être le souverain légitime. Les tensions autour des îles restent latentes des années durant. Et en 2012, un nouveau rebondissement crispe les relations entre la Chine et le Japon. Jusqu’alors propriété d’une riche famille japonaise, les îles Senkaku sont en

partie rachetées par le gouvernement nippon. Le 11 sep-tembre, l’Etat acquiert trois des cinq îles de l’archipel. Montant de la transaction : environ 20 millions d’eu-ros. Officiellement, il s’agit d’empêcher le maire de Tokyo, Shintaro Ishi-haara, d’en devenir pro-priétaire car cela risque-rait de provoquer l’ire de Pékin. L’édile voulait en effet y développer des infrastruc-tures, dont un casino. Un geste d’apaisement en somme de la part du gouvernement japonais. Problème : la Chine ne croit pas du tout à cette version. Elle pense plutôt que le Japon tente d’affirmer son autorité sur l’archipel. En réponse, Pékin présente à l’ONU un nouveau tracé de ses lignes territoriales, incluant cette fois les îles Senkaku.

Le premier ministre nippon défend l’idée d’un « Japon fort »

Peu à peu, les relations entre les deux pays se normalisent. Mais, en novembre 2013, la crise éclate avec plus d’acuité encore. Pékin annonce une nouvelle zone d’identification aérienne de défense comprenant les îles Senkaku. Le pas-sage dans cette zone implique que chaque pilote doit re-specter des règles strictes, comme donner sa nationalité,

En novembre 2013, la cri-se éclate avec plus d’acuité encore. Pékin annonce une nouvelle zone d’identification aérienne de défense com-

prenant les îles Senkaku.

32

Page 33: Hémisphères

Les fonds marins de l’ar-chipel renfermeraient d’im-menses réserves de pétrole. Entre 100 et 300 millions de barils selon les expertises

japonaises et chinoises.

prévenir les autorités de son passage, ainsi que se tenir prêt à leur répondre par radio. Immédiatement, les Etats-Un-is envoient deux bombardiers B-52 survoler la zone. Le nationalisme zélé du Premier ministre japonais Shinzo Abe exacerbe un peu plus la crise. Son mot d’ordre : le retour du « Japon fort ». En fin d’année, le Premier ministre se rend au mémorial Yasukuni, symbole du Japon impérialiste dédié à la mémoire des Japonais morts pour la patrie. Parmi eux, de nombreux criminels de guerre ayant participé aux ex-actions japonaises en Chine. Parallèlement, Abe explique vouloir revenir sur la Constitution imposée par les Amér-icains. Profondément pacifiste, elle limite les capacités militaires du pays, comme en témoigne l’article 9 : « As-pirant sincèrement à une paix internationale fondée sur

la justice et l’ordre, le peu-ple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit sou-verain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de

règlement des conflits internationaux. » L’article précise que « pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de

l’Etat ne sera pas reconnu. » Pour les nationalistes, Shin-zo Abe en tête, ce pacifisme n’est que naïveté ou irénisme, dans la mesure où la Chine réarme à une vitesse record. Les fonds marins de l’archipel renfermeraient d’immenses réserves de pétrole

Derrière les rivalités séculaires et le conflit territorial se cachent également des motivations géostratégiques plus prosaïques. Les fonds marins de l’archipel renfermeraient d’immenses réserves de pétrole. Entre 100 et 300 millions de barils selon les expertises japonaises et chinoises. Est-ce là le cœur du problème ? Certes, la question énergétique est une composante, sinon essentielle, du moins impor-tante. Pour autant, aucun rapport n’évalue avec préci-sion la quantité d’énergie fossile présente dans les eaux de la zone. Et c’est finalement la rivalité historique entre Chine et Japon qui sous-tend chaque nouvel épisode du feuilleton Senkaku. La Chine n’a jamais oublié les années d’occupation japonaise, tout comme le Japon a toujours refusé de faire son mea culpa pour ses conquêtes qu’il es-time, aujourd’hui encore, légitimes. De leur côté, les Etats-Unis voient d’un bon œil l’affirma-tion des frontières maritimes japonaises. L’administration américaine, de plus en plus concentrée sur les affaires asi-atiques, surveille attentivement les activités maritimes de Pékin.

Maxime Thuillez et Constantin de Vergennes

Japon

33

Page 34: Hémisphères

34

Page 35: Hémisphères

Près de deux milliards de smartphones dans le monde fin 2013, 250 millions vendus rien qu’au deuxième trimestre... De Paris à Santiago en passant par Séoul, les téléphones intelligents se sont intégrés à nos habitudes. Si le support et les fonctionnalités de bases sont les mêmes partout, les applications disponibles varient, elles, d’un pays à l’autre. Au delà de l’aspect amusant des appli folkloriques, cer-taines se font le miroir des sociétés qui les créent, reflet de leurs obsessions et de leurs névroses. Petit tour d’ho-rizon de l’appli-store mondial.

TOURMONDE

DU

MONDE

“APPLI”DES

35

Page 36: Hémisphères

Le géant Fujitsu a lancé en 2012 Hada Memori, littéralement « Mémoire de la peau ». L’appli aide ses utilisateurs à surveiller l’évolu-tion de leur peau et à repérer d’éventuelles anomalies. Après avoir pris son épiderme en photo avec son smartphone, l’appli nous livre son diag-nostic. Elle propose aussi une sélection de produits de beauté adaptés à la peau de chacun. Succès garanti dans un pays qui représente le deuxième marché des cosmétiques au monde, derrière les Etats-Unis.

En Corée du Sud, l’appli Ium est en passe de révolutionner le secteur de la rencontre en ligne. Tous les jours, à 12h30 précise, elle propose à son utilisateur un rendez-vous avec une personne sélectionnée par un algorithme, à prendre ou à laiss-er. La proposition expire au bout d’une demi-heure. Si l’on est tenté, on paie 2,30 euros pour dire « oui ». Si la personne proposée a elle aussi décidé de se lancer, les coordonnées sont échangées, et c’est parti !

Pour les élections présidentielles de 2013, l’Université du dével-oppement de Santiago a lancé l’application Candidatos Chile 2013, permettant de découvrir les programmes des différents candi-dats. L’utilisateur pouvait sélection-ner des thématiques (délinquance, économie, éducation, énergie), et recevait en temps réel des notifica-tions l’informant des déclarations des candidats sur leurs sujets de prédilection.

Japon

Corée du Sud

Chili

Etats-UnisAlors qu’environ 40% de la nourriture disponible est jetée (selon une étude publiée en 2009 dans la revue Plos One), l’appli Leftover Swap permet d’échanger ses restes avec ses voisins. Lancée en septembre, elle repose sur un système simple : on poste les photos de ses restes, et les intéressés se manifestent via l’appli. Un concept qui devrait plaire aux freegans, ces Américains qui s’op-posent à la société de consommation en ne mangeant que de la nourriture gratuite.

36

Page 37: Hémisphères

Dans ce pays peuplé d’à peine 320 000 habitants souvent lointainement liés par le sang, l’appli IslandigaApp permet d’éviter l’inceste in-

volontaire. Les utilisateurs sont invités à cogner leurs télé-phones l’un contre l’autre ; si leurs propriétaires sont

de trop proches parents, les appareils émettent un signal d’alarme. L’appli a été réalisée dans

le cadre d’un concours visant à renouveler l’usage de l’Islandiga Book, un livre qui

trace les arbres généalogiques des Islandais depuis 1200 ans.

A l’heure où la sécurité du pays est fragilisée par la crise syrienne, l’armée a lancé l’appli LAF Shield, qui permet à tous les Libanais de signal-er des éléments suspects par le biais de photos, d’enregistrements ou de messages. Attaque à main armée, franchissement illégal de frontière et colis abandonnés sont communiqués en temps réel à l’armée par les habitants. L’appli fournit aussi à ses utilisateurs une carte indi-quant les zones de danger et les numéros à appe-ler en cas d’urgence.

La police a mis au point une application permettant de détecter des chansons néonazies interdites. Surnommée « Nazi Shazam » en référence à la célèbre appli de reconnaissance musicale, elle est pour l’instant utilisée uniquement en Saxe, l’un des Länder où le parti nationaliste d’ex-trême droite NPD réalise ses meilleures scores. Le hard-rock néonazi est une voie de recrutement importante pour les groupes extrémistes, et la multiplication des web-radios douteuses inquiète les autorités.

Radio Netherlands Worlwide s’est associé à des cyber-activistes chinois pour lancer en octobre dernier FreeWeibo, une appli permettant d’accéder aux messages censurés de Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. Le 28 novembre, l’application était retirée de l’App Store chinois par Apple, à la demande du gouvernement selon ses créateurs. Elle reste disponible dans d’autres pays, dont la France.

Islande

Allemagne

Liban

Chine

Tunisie

Egypte

MONDE

Pour protéger les manifestants des ar-restations arbitraires, le développeur Badr Moharam a créé l’application Byt2abad, signifiant « J’ai été arrêté ». Si un utilisateur vient à être interpellé par la police, il peut envoyer en un clic un message informant une liste prédéfinie de contacts (avocat, famille...). Le texto est accompagné d’une géolocalisation qui permet de signaler l’endroit où il a été appréhendé.

Les matchs de football profession-nels ont été interdits au public pour des

raisons de sécurité, au grand dam des support-ers. L’appli Mobilizing the 12th Man, qui connecte les smartphones à des haut-parleurs dans les stades, leur permet d’encourager leur équipe à distance. Ils déclenchent l’application, regardent le match à la télé, poussent tous les cris qu’ils veulent, et leurs hurlements

de victoire (ou de désespoir) sont transmis en direct dans les stades.

37

Page 38: Hémisphères

HARO

38

Page 39: Hémisphères

ARABIE SAOUDITE

Désireuse de limiter le nombre de travailleurs étrangers sur son sol, l’Arabie Saoudite expulse massivement ses clandestins depuis le début du mois de novembre. Déjà près d’un million d’entre eux ont dû plier bagage. Le royaume, qui emploie des méthodes radicales, cherche à régler le problème d’un chômage galopant qui touche surtout les jeunes Saoudiens.

HAROImmigrés

SurLES

39

Page 40: Hémisphères

La chasse aux clandestins repart de plus belle en Arabie Saoudite. Depuis le 4 novembre, la monarchie du roi Abdallah emploie la manière forte pour expulser ses immigrés illégaux, qui

bénéficiaient jusque là d’une trêve de sept mois afin de ré-gulariser leur situation ou quitter le pays. L’accalmie rela-tive a laissé la place à une traque implacable. Menacés d’une peine de prison de deux ans et de 20 000 euros d’amende, les clandestins n’ont d’autre choix que de se terrer ou se rendre. Ceux qui optent pour la reddition sont alors entassés dans des centres de déportation, en at-tendant leur expulsion. Ils doivent laisser derrière eux tous leurs biens.

Un million de clandestins ont quitté l’Arabie Saoudite en 2013

Ces immigrés illégaux sont par ailleurs victimes de dérives de la part des forces de l’ordre saoudiennes qui tendent la société. Symbole de cette violence : le cas des Ethiopiens. Mi-novembre, Addis-Abeba déplorait la mort de trois d’entre eux à la suite d’une émeute. Début décembre, des Ethiopiens, rassemblés dans un centre de déportation dans l’ouest du royaume, trompaient la vigilance de leurs gardiens pour aller protester sur une autoroute. Le len-demain, nouvelle affaire : dans la région de Jeddah, trois Ethiopiens étaient agressés par des Saoudiens...Pour protéger ses ressortissants, le gouvernement éthiopi-en a lancé une grande opération de rapatriement. Au

8 décembre, ils étaient déjà 115 000 à avoir quitter l’Ara-bie Saoudite, selon le ministre éthiopien des Affaires étrangères Thédros Adhanoma. L’un de ces rapatriés a raconté son calvaire à l’AFP : « Quand j’ai été emmené à la police, j’avais 3.500 riyals (700 euros), j’ai finalement été conduit en prison, j’ai perdu mes bagages et tout mon argent a été pris par la police. Ils ont même pris mes chaussures. »La fermeté de la mon-archie saoudienne peut surprendre car elle a longtemps compté sur sa main d’oeuvre étrangère. A tel point qu’aujo-urd’hui, sur les 28 millions d’habitants que compte le pays, 9 millions sont des immigrés. Selon les chiffres officiels du pays, ils représentent près de 50 % de la population active. Cette époque de bonne cohabitation entre l’Arabie Saou-dite et ses migrants semble donc révolue. Si 4 millions ont été régularisés en 2013, près d’un million ont été contraints de quitter le pays. Beaucoup sont Indiens, Philippins, Pa-kistanais, Yéménites, et donc Ethiopiens.

Nationaliser l’emploi pour éviter une révolte

Pour comprendre la volonté saoudienne de nationaliser sa main d’oeuvre, il faut remonter à la fin des années 1980. Et aller un peu plus au sud, à Oman. En 1987, le Sultanat

Sur les 28 millions d’habit-ants que compte le pays, 9 mil-lions sont des immigrés. Ils représenteraient près de 50 %

de la population active.

40

Page 41: Hémisphères

nationalisation des emplois : il fait adopter la « Nitaqat Law », obligeant les entreprises de plus de 10 salariés à embaucher un quota fixe de Saoudiens. Sa date de mise en œuvre est donc fixée à 2013, le temps de mettre sur pied des équipes d’inspecteurs qui sillonneront le pays pour contrôler les entreprises.

Des immigrés pris au piège de la « kafala »

Si certains migrants sont entrés illégalement ou restés sans autorisation après leur pèlerinage à La Mecque, d’autres sont victimes de la « kafala ». Ce système de tutorat ob-

ligatoire - kafil signifie tuteur en arabe - lie les visas de travail des étrangers à leur employeur. Ce dernier doit accorder sa permission pour que le travailleur puisse entrer en Arabie Saoudite, changer d’emploi ou quit-ter le pays. Or, de nombreux immigrés vivent au sein du royaume depuis des an-

nées voire des décennies. Ils ont sou-vent changé de travail et se retrouvent donc en situation irrégulière. Leur seule porte de sortie : payer une fortune pour trouver un nouveau « parrain ». Des témoignages font état de sommes allant jusqu’à 20 000 riyals (3 900 eu-ros), bien loin des salaires misérables qui leur sont souvent versées.

Raphaël Badache

interdit onze catégories d’emploi aux étrangers : agent de sécurité, chauffeur, conducteur de bus, pêcheur... Séduit par l’initiative de son voisin, le roi Fahd décide de favoriser les Saoudiens sur le marché du travail. En 1994, il lance ainsi un programme de « saoudisation » de l’emploi. L’objectif affiché : mettre en place des quotas de travail-leurs locaux au sein des entreprises privées. Mais l’échec est total. Les Saoudiens boudent le secteur privé car ils jugent les salaires insuffisants et s’estiment trop qualifiés. Par ailleurs, la jeunesse saoudienne éduquée est victime de l’archaïsme du système public d’enseignement : axé sur la théorie religieuse, il n’offre pas une formation adaptée aux réalités du secteur privé. Le « Printemps arabe » bouleverse la donne. Le roi Abdallah com-prend que les problèmes sociaux furent un puissant moteur des révoltes qui ont éclaté au Magh-reb, au Moyen-Orient et dans le Golfe persique. Or, l’échec de la politique de Fahd a engendré une augmentation inquiétante du taux chômage - il serait aujourd’hui de 12,3 %, et bien plus élevé chez les jeunes. Abdallah décide donc d’endiguer la cri-se sociale saoudienne afin de préserver la stabilité de son royaume. En mars 2011, il étouffe un début de révolte en lançant un plan d’aides colossal de 70 milliards d’euros. Et c’est donc logiquement qu’en juin 2011, le monarque relance l’idée de

Ce système de tutorat obliga-toire (la kafala) lie les visas de tra-vail des étrangers à leur employeur. Ce dernier doit accorder sa permis-sion pour que le travailleur puisse entrer en Arabie Saoudite, changer

d’emploi ou quitter le pays.

ARABIE SAOUDITE

41

Page 42: Hémisphères

42

Page 43: Hémisphères

Que diriez-vous de vous faire circoncire sans sub-ir d’opération chirurgicale, sans ressentir la moindre douleur et en seulement quelques minutes ? C’est au-jourd’hui possible grâce à l’invention d’un mécanisme permettant une circoncision non chirurgicale, Prepex. Mais cette création d’une entreprise israélienne a sur-tout pour but de lutter contre la propagation du sida en Afrique. Preuve des espoirs placés dans ce projet : le Rwanda a lancé à la fin de l’année une campagne nation-ale de circoncision basée sur la méthode Prepex. Une première.

RWANDA

AUX

SIDA

PrépucesCHASSE

43

Page 44: Hémisphères

Quel lien existe-t-il entre la circoncision et le virus du sida ? Si de nombreux moyens de pré-vention pour éviter la contamination existent, ONUSIDA et l’Organisation Mondiale de la

Santé (OMS) ont déclaré que la circoncision masculine médicale volontaire est le procédé le plus efficace pour en-diguer l’épidémie dans le cadre de rapports hétérosexuels. De nombreuses études dirigées par le programme com-mun des Nations Unies sur le VIH ont démontré que ce type de circoncision réduit d’environ 60% les risques de contamination. La solution est donc largement encoura-gée mais la mise en place de telles campagnes de circon-cision se révèle difficile. Souvent, les produits de base né-

cessaires à l’opération viennent à manquer. Si l’on y ajoute le manque de personnel médical qualifié et le coût de tels programmes, les chances de succès sont bien minces.

Une circoncision rapide, sans écoulement de sang et sans douleur

Il semblerait néanmoins qu’une petite révolution scienti-fique permette de contourner toutes ces difficultés. L’OMS vient de procéder à la préqualification d’un dispositif de circoncision non chirurgicale, baptisé Prepex. Elaboré par la start-up israélienne Circ. MedTech, ce dispositif est destiné aux hommes adultes vivant dans des régions à faible ressources. La procédure est simple et ne nécessite aucun geste chirurgical. Il s’agit de placer une bague à l’intérieur du prépuce sur laquelle viendra se superposer une bague élastique extérieure pen-dant sept jours. Ce faisant, la partie supérieure du prépuce sera privée de tout afflux de sang. Le prépuce est alors atrophié et peut être retiré simplement, sans écoulement de sang et sans douleur. Le tout en huit minutes. Même s’il est recommandé aux hommes qui ont recours à

Les chiffres du sida

En 2012, environ 35,5 millions de per-sonnes vivaient avec le VIH et 1,6 million en sont décédées. Avec près d’un adulte sur 20 contaminé, l’Afrique subsaharienne est la plus touchée par l’épidémie : 69% des personnes ayant le sida vivent dans cette région. Depuis sa découverte, le Sida a fait 36 millions de morts.

Le port de Prepex n’occa-sionne aucune gêne et n’a au-cune incidence sur le quotidien des hommes qui y ont recours.

44

Page 45: Hémisphères

cette technique de s’abstenir de tout rapport sexuel pen-dant six semaines, le port de Prepex n’occasionne aucune gêne et n’a aucune incidence sur leur quotidien. Les pa-tients peuvent reprendre leur activité professionnelle le jour même. De plus, le procédé ne nécessite pas d’environnement stérile puisqu’il n’y aucun geste chirurgical à réaliser. Et le personnel infirmier est en mesure de se charger de cette circoncision après une formation d’une semaine. En 2011, une entreprise chinoise, Wuhu SNNDA Medical Treatment Appliance Technology Co. avait élaboré une autre technique de circoncision appelée Shang Ring, mais en raison du léger geste chirurgical que ce dispositif néces-sitait, sa mise en œuvre était contraignante. Prepex répond donc le mieux à tous les défis qui condition-nent la lutte contre le virus du sida. Il a déjà fait l’objet de tests pilotes au Kenya, en Ouganda, au Zimbabwe, en Zambie, au Mozambique, en Afrique du Sud et au Bot-swana. Aujourd’hui, le Groupe consultatif technique de l’OMS recommande son utilisation.

Le Rwanda veut que 60% de sa population soit circoncise en 2015

Dans un pays comme le Rwanda, qui compte seulement 300 médecins pour 10 millions d’habitants, un tel dispositif

a tout de la solution miracle. Ainsi, à la fin de l’année 2013, le ministère de la Santé rwandais a lancé une campagne de circoncision nationale suivant la méthode Prepex. Une première dans le monde. L’objectif est que 60% des Rwan-dais soient circoncis d’ici à 2015. Bien que la part de sa population contaminée par le sida, à savoir 3,9%, en fasse l’un des pays de la région les plus épargnés par l’épidémie, cette campagne pourrait ser-vir de modèle à bon nombre de ses pays voisins.Dans une interview donné au journal électronique Silicon-wadi.fr, Tzameret Fuerst, co-fondatrice et présidente de Circ MedTech explique que l’entreprise « demeurera en-gagée à travailler avec les parties prenantes de la lutte contre le VIH dans le monde pour empêcher la prop-agation du sida. Avec Prepex, l’extension rapide de la circoncision masculine peut être une réalité pour l’Af-rique. » Si les résultats sont conformes aux attentes, il s’agira d’envisager l’élargissement du dispositif Prepex aux enfants puisqu’il est pour l’instant réservé uniquement aux adultes.

Malika Touddimte

Dans un pays comme le Rwanda, qui compte seulement 300 médecins pour 10 millions de personnes, un tel dispositif a

tout de la solution miracle.

RWANDA

45

Page 46: Hémisphères

46

Page 47: Hémisphères

CHINE

L’Etat chinois revient sur une de ses mesures emblématiques : la politique de l’enfant unique. In-staurée en 1979, elle est devenue le symbole de la mainmise de l’Etat sur la société. Malgré des résultats positifs pour le pays, le contrôle des naissances a provoqué un vieillisse-ment et une masculinisation de la population qui inquiètent le régime au plus au point.

Unique

LA FIN De

L’enfant

47

Page 48: Hémisphères

A l’heure du bilan, il est impossible de nier l’efficacité du contrôle des naissances, qui s’est profondément en-

raciné dans la société.

L’Etat a décidé de donner un peu d’air à la société, en tout cas dans sa chambre à coucher. Depuis plus de 30 ans, la loi interdit aux Chinois d’avoir plus d’un enfant. C’est ce que l’on appelle la poli-

tique de l’enfant unique. Instaurée en 1979, elle vient d’être largement assouplie par la nouvelle administration. Désor-mais, tout couple dont l’un des membres est lui-même en-fant unique, aura le droit d’avoir deux enfants. La « bureaucratie céleste » - surnom de l’administration du Parti - remet rarement en cause ses grandes orientations. On peut donc supposer que cette mesure n’est qu’une première entorse à la politique de l’enfant unique qui pour-rait, à terme, être abandonnée. Si la nouvelle administra-tion réforme la politique de l’enfant unique c’est parce que la démographie et l’économie chinoise ont profondément changé.

Démographie freinée, économie boostée...

Lorsque Deng Xiao Ping, président de la République de l’époque, instaure cette politique, il souhaite d’abord limit-er la croissance d’une population qui augmente dangere-usement. En 1979, les dirigeants craignent une explosion démographique dans un pays qui compte déjà plus de 970 millions d’habitants. Deng Xiao Ping espère stabiliser la population autour d’1,2 milliard d’habitants dans les années 2000. La politique de l’enfant unique s’avère toutefois dif-

ficile à mettre en œuvre dans un pays aussi vaste et peuplé. L’Etat doit s’adapter aux réalités locales en instaurant une batterie d’exceptions. Dans les campagnes, où les enfants sont considérés comme une source de revenus, Pékin lâche du lest. Dès 1984, les ru-raux se voient accord-er des dérogations au cas où leur premier enfant est une fille. Quant aux minorités ethniques - 11% de la population -, vivant généralement dans des régions frontalières et périphéri-ques, elles en sont exemptées. Dans un mémoire consacré à la question, l’universitaire ge-nevois Pascal Rocha Da Silva estime que seuls 36% des Chinois étaient réellement astreints à n’avoir qu’un en-fant. Trop peu pour remplir les objectifs de Deng Xiao Ping : la Chine compte aujourd’hui 1,35 milliard d’habit-ants. Mais néanmoins suffisant pour freiner la croissance démographique chinoise. A l’heure du bilan, il est impossi-ble de nier l’efficacité du contrôle des naissances, qui s’est profondément enraciné dans la société : « Un tiers des femmes de 15 à 64 ans n’auraient qu’un enfant », estime Michel Cartier, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). En menant cette politique, Deng Xiao Ping souhaitait

48

Page 49: Hémisphères

également améliorer les conditions de vie de ses compatri-otes. Il estimait que la régulation des naissances permet-trait de relancer la croissance économique. Son objectif était d’atteindre un PIB par habitant compris entre 800 et 1000 dollars par an à l’aube du XXIe siècle. Il est aujo-urd’hui supérieur à 6 000 dollars, selon le FMI.

... Mais une population vieille et masculine

Le remède n’est cependant pas meilleur que le mal. Avec le temps, la politique de l’enfant unique s’est transformée en menace pour la société chinoise. Elle a causé de graves déséquilibres démographiques. Tout d’abord, sa popula-tion vieillit. Selon les Nations unies, la part des personnes

de 65 ans ou plus, qui était de 7% en 2000, devrait atteindre 24% en 2050. La Chine compterait alors 330 millions de per-sonnes âgées. Autre problème : sa pop-ulation se masculinise.

Depuis 1980, il est né en Chine 38 millions de garçons de plus que de filles. Dans un pays où seul l’homme est sus-ceptible de prendre en charge ses parents, de nombreus-es Chinoises ont avorté lorsqu’elles attendaient une fille. La démographe Isabelle Attané explique qu’au moins 24

millions de Chinois se retrouveront mathématiquement célibataires.

Les Chinois ne veulent plus faire d’enfants

Deng Xiao Ping et ses successeurs sont pris à leur propre jeu. Alors que le gouvernement tente de relancer la crois-sance démographique, les Chinois aspirent désormais à n’avoir qu’un seul enfant. Pour Yves Dolais, professeur de droit chinois à l’université d’Angers, « la hausse du niveau de vie a entraîné le rapprochement des vues des jeunes ménages chinois et des occidentaux ». La Chine s’urban-ise à vive allure et il est compliqué d’avoir plus d’un enfant lorsqu’on vit en ville. Un sondage mené à Shanghaï en 2009 montrait que parmi « les couples éligibles » (à avoir un sec-ond enfant), 20% d’entre eux seulement se déclaraient prêts à avoir un autre enfant. Si la Chine ne remplit pas à nouveau ses maternités, elle sera vieille avant de s’être vue riche. Régler un tel problème implique une refonte complète de la politique démo-graphique du pays. Autrement dit un reniement du dis-cours que le Parti communiste a tenu pendant plus de trente ans. D’ici peu de temps, les Chinois pourraient donc bien as-sister à un spectacle étonnant : voir les anciens apôtres de la contraception prêcher les joies de la famille nombreuse.

Maxime Thuillez et Robin Verner

La part des personnes de 65 ans ou plus, qui était de 7% en 2000, devrait attein-dre 24% en 2050. La Chine compterait alors 330 mil-

lions de personnes âgées.

CHINE

49

Page 50: Hémisphères

50

Page 51: Hémisphères

On les appelle les « laissés derrière ». Aussi nom-breux que la population française, ces enfants des campagnes chinoises ont été abandonnés par leurs parents, partis en ville pour trouver du travail sans pouvoir les emmener. En cause : un système de livret de famille qui ne donne pas les mêmes droits aux ruraux qu’aux citadins. Face au grondement de la société, le régime commence à le réformer.

CHINE

“LaissésDE

61Derrière”

Millions

51

Page 52: Hémisphères

Le hukou ouvre l’accès aux logements sociaux, aux aides, aux transports et aux écoles. Mais il divise les Chinois en deux catégories : ruraux et urbains. En effet, pour bénéficier de ces prestations, le détenteur du hu-kou doit vivre là où il est né. Au-trement dit, un Chinois né à la campagne ne pourra pas inscrire son fils dans une école en ville.

Ils sont aujourd’hui 61 millions en Chine, selon un rap-port de la Fédération nationale des femmes chinoises (FNFC), vitrine féministe du Parti communiste chinois. Les « laissés derrière », ces enfants des cam-

pagnes abandonnés par leurs parents partis travailler en ville, symbolisent les effets pervers de la politique familiale chinoise. S’ils sont juridiquement reconnus, le rapport de la FNFC affirme que leurs difficultés « ne sont toujours pas résolues, et que de nouveaux problèmes se posent chaque jour ». En cause notamment : les défaillances de l’éducation proposée par des parents de substitution par-fois dépassés, ou encore la vulnérabilité de ces « laissés derrière ». Les faits divers les impliquant sont fréquents. En août dernier par exemple, un professeur a violé huit fil-lettes dont les parents travaillaient en ville.

Le « hukou », symbole d’une société duale

L’exode rural chinois s’est accentué ces dernières années. En 2000, la Chine comptait 470 millions de citadins con-tre 690 millions en 2011, selon le Bureau national des statis-tiques. Cette émigration a débuté après l’ère Mao, quand la décollectivisation agricole a contraint les paysans sans terre à l’exil. Depuis, l’industrialisation et l’augmentation

constante des salaires en ville ont amplifié un phénomène que les autorités regardent avec bienveillance car les reve-nus des exilés permettent aux villages de vivre. Le revers de la médaille est que les parents sont souvent contraints de quitter leur village sans leurs enfants. La cause : le hukou. Ce livret de famille ouvre l’accès aux logements so-ciaux, aux aides, aux transports, ainsi qu’aux écoles. Mais il divise les Chinois en deux catégories : ruraux et urbains. En effet, pour bénéficier de ces prestations, le détenteur du hukou doit vivre là où il est né. Autrement dit, un Chinois né à la campagne ne pourra pas inscrire son fils dans une école en ville. Partir avec ses enfants revient donc à choisir entre deux mauvaises solutions : les déscolariser ou les inscrire dans

52

Page 53: Hémisphères

CHINE

« Le gouvernement envisage de mod-ifier le hukou en accordant progressive-ment le hukou “non agricole” aux habit-ants des petites villes, puis de localités de

plus en plus grandes. »Michel Cartier, spécialiste de la poplation chinoise.

l’une des écoles illégales fondées par les migrants eux-mêmes. Celles-ci « ne peuvent pas délivrer de diplôme, ni d’équivalence, explique Chloé Froissart, du départe-ment des études chinoises de l’université Rennes 2. Elles sont par ailleurs régulièrement frappées d’interdiction et démolies sans que les autorités s’occupent de placer les enfants dans d’autres établissements scolaires. »

La mise en avant des « laissés derrière »

L’opinion publique s’émeut de la situation de ces « laissés derrière », aussi nombreux que la population française. Elle est aujourd’hui entendue par le régime. Sa voix officielle, le Quotidien du Peuple, a dénon-cé la séparation forcée des ces familles en laissant la parole à un psychologue spécialiste de l’en-fance. Il y affirmait que « plus longtemps les parents restent travailler en ville, plus graves sont les problèmes psychologiques de leurs enfants ». Et le rapport critique de la FNFC n’est autre qu’une ob-servation sur l’état de la société.

Désormais, les cadres locaux cessent d’encourager le départ des ruraux vers les villes en lançant des formations dans des usines à proximité du village. La consigne de l’Etat est claire : il faut développer l’intérieur des terres. Cette action pourrait bientôt se doubler d’un second volet. Selon Michel Cartier, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de la population chinoise, « le gouvernement envisage de modifier le hukou en accordant progressivement le hu-kou “non agricole” aux habitants des petites villes, puis de localités de plus en plus grandes, à l’exception des très grandes villes. »

La situation économique du pays pousse d’ailleurs en ce sens. Pour la première fois, la popu-lation active chinoise a reculé en 2012, passant de 940 à 937 mil-lions. En manque de bras, les entre-prises ont donc tout intérêt à un

assouplissement de la loi qui leur permettrait d’attirer plus facilement des employés ruraux. Une bonne raison pour faciliter les réunions de famille.

Robin Verner

53

Page 54: Hémisphères

54

Page 55: Hémisphères

venezuela

GuerreMADURO

ENENTRE

Pour lutter contre l’inflation galopante qui touche le Venezuela, le président Nicolas Maduro a annoncé en novembre qu’il mènera une « guerre économique » con-tre ses ennemis « les bourgeois ». Dans le secteur de l’électroménager, le successeur de Hugo Chavez a en-voyé l’armée occuper des magasins pour faire baisser les prix alors que des gérants d’entreprise ont été ar-rêtés. Bien que défaite aux dernières élections munici-pales, l’opposition vénézuélienne crie au fascisme.

55

Page 56: Hémisphères

Aux grands maux, les grands remèdes. Avec 54 % d’inflation sur l’année 2013, le Venezuela se retrouve dans une situation économique préoc-cupante. Le président Nicolas Maduro a déci-

dé de frapper un grand coup : fustigeant un électroménager dont les prix ont augmenté selon lui de 1 000%, il lance dé-but novembre, lors d’une allocution télévisée, une « guerre économique ». Cette déclaration est immédiatement sui-vie de faits, le chef de l’Etat annonçant, face caméra : « Je viens d’ordonner l’occupation par l’armée [des magasins d’électroménager] et la vente des produits au public et ce à un prix juste. Qu’il ne reste plus rien sur les étals. »

La « bourgeoisie » en ligne de mire

Les reportages réalisés par les médias sud-américains ou occidentaux montrent une forte affluence dans les dif-férents magasins visés. Dans la chaîne d’électroménager Daka, il n’était pas rare de trouver des télévisions à 5 000 euros, alors même que l’enseigne les avait mises en vente aux alentours de 2 500 et achetée à moins de 500. Des télé-visions donc, mais aussi des réfrigérateurs ou des lave-lin-ge, vendus à moitié prix. Les soldats de la garde nationale dépêchés sur place permettent d’éviter les mouvements de foule.Les journaux vénézuéliens font remonter de cet épisode des avis contrastés. Pour les uns, cette offensive contre l’électroménager était nécessaire, car l’inflation devenait

intolérable. Pour les autres, il ne s’agit que d’un coup élec-toral en vue des municipales de décembre. La vérité est difficile à cerner, tant Nicolas Maduro brouille les pistes. Dans des discours télévisés durant parfois plusieurs heu-res, il récupère toute la rhétorique chaviste et continue de faire feu sur ceux qu’il considère comme les ennemis du peuple vénézuélien. Leur nom ? Les « bourgeois ». Pour lui, ce sont eux les véritables responsables de la crise des produits d’élec-troménager. La descrip-tion qu’il en fait est d’une rare violence : « Ces bour-geois sont des voleurs, des antichrétiens. Ils dépouillent le pauvre pour mieux s’enrichir. »

Une centaine de gérants d’entreprise arrêtés

Hugo Chavez, le précédent dirigeant, avait déjà la bour-geoisie en ligne de mire. « Apatrides », « spéculateurs », « parasites », autant de termes récurrents désignant les gérants d’entreprise, financiers et membres de l’opposition accusés de ne pas avoir un « cœur vénézuélien », au point parfois d’être désignés comme des « impérialistes » - com-prendre des agents de Washington. Maduro reste donc sur la même ligne marxiste et anti-impérialiste, cœur de l’héritage d’Hugo Chavez.

“Ces bourgeois sont des voleurs, des antichrétiens. Ils dépouillent le pauvre

pour mieux s’enrichir.”Nicolas Maduro

56

Page 57: Hémisphères

Aussi, l’occupation des magasins s’est suivie d’arrestation de près d’une centaine de gérants d’entreprise. En décem-bre, il n’y avait plus qu’une vingtaine de personnes détenues. Elles sont accusées d’« accaparement » et d’« usure » et pourront être poursuivies pour ces chefs d’accusation.

Les élections municipales de décembre victorieuses pour Maduro

Maduro, lui, ne quitte pas des yeux la guerre économique annoncée et s’est vu octroyer la possibilité de gouverner par décret pendant un an et de fixer ainsi des « prix just-es » dans les secteurs de l’économie touchés par l’inflation. Henrique Capriles, leader de l’opposition, a fustigé les « fascistes corrompus du régime Maduro » et appellait à transformer les élections municipales de décembre en « plébiscite ». Le résultat a sonné comme un désaveu à son encontre car le parti de Maduro en est sorti vainqueur. L’occasion pour le président de demander « à l’oligarchie d’assumer sa responsabilité, de respecter la volonté du peuple vénézuélien et de s’en aller ». Maduro a jusqu’aux législatives de fin 2015 pour libérer le Venezuela de son inflation galopante. Pour le moment, rien n’est dit sur l’arrêt de la guerre économique. Mais avec une opposition assommée par sa nouvelle défaite, le gou-vernement chaviste peut continuer sereinement sa « lutte contre la bourgeoisie ».

Constantin de Vergennes

Maduro ordonne l’occupation par l’armée des ma-gasins Daka pour que l’enseigne baisse ses prix.

8 novembre

Le Parlement octroie des pouvoirs spéciaux à Ma-duro, lui permettant de gouverner par décret.

19 novembre

Arrestations d’une centaine de commerçants ac-cusés d’« accaparement » et d’ « usure ».

29 novembre

Le PSUV (chaviste) remporte les municipales avec 49,2% des voix, contre 42,7% pour l’opposition.

8 décembre

Maduro prend l’initiative inhabituelle de recontrer certains de ses principaux opposants.

18 décembre

7 janvierMaduro annonce une augmentation du salaire mini-mum de 10% afin de faire face « aux perturbations de l’économie ».

venezuela

57

Page 58: Hémisphères

58

Page 59: Hémisphères

ECONOMIE

Un produit financier créé spécialement pour venir en aide aux femmes entrepre-neurs dans les pays émergents : c’est l’idée de la Banque mondiale, qui a lancé en no-vembre dernier des « obligations-femmes ». Elles sont destinées à financer des entre-prises gérées par des femmes.

FemmesLa

Mondiale

LES

BanqueMISE

Sur

59

Page 60: Hémisphères

Un tiers des entreprises dans le monde sont lan-cées par des femmes. Pourtant, seules 10% de ces entreprises ont accès au crédit bancaire. Ce constat a inspiré à la Banque mondiale

une initiative novatrice. Depuis novembre 2013, l’institu-tion financière émet des obligations spécifiquement des-tinées à financer des sociétés employant une majorité de femmes, où dans lesquelles elles disposent d’un cinquième des parts et exercent des postes de direction et d’encadre-ment. Ces produits financiers, d’une valeur totale de 165 millions de dollars, sont émis par une institution membre de la Banque dont les activités concernent exclusivement le secteur privé, l’IFC (International Finance Corpora-tion). Classées triples A, les obligations ont été placées auprès d’investisseurs japonais. Leurs revenus seront can-alisés vers des intermédiaires locaux dans différents pays. Ce sont ces intermédiaires financiers qui prêtent ensuite directement aux entrepreneuses, selon des critères d’attri-butions strictes.

Installer les femmes dans le secteur privé

Pour Paul Seabright, professeur à la Toulouse School of Economics et auteur de Sexonomics, « les femmes sont souvent moins visibles que les hommes sur le marché du crédit ». De ce fait, poursuit-il, « il est fort probable

que certaines entreprises aient moins de reconnaissance qu’elles ne le méritent ; une activité qui invite les ban-ques à s’intéresser aux activités gérées par les femmes est donc forcément une bonne chose ». Il ne s’agit pas seulement d’une exigence morale de parité, mais d’abord d’un souci d’efficacité économique : en pas-sant à côté d’activi-tés potentiellement rentables menées par des femmes, les institutions fi-nancières perdent de multiples occa-sions de créer de la valeur. En soi, le fait que la Banque mondiale se préoccupe de la situation des femmes n’a rien de révolu-tionnaire, cet enjeu est au cœur du travail de l’institution. Les « obligations-femmes » s’intègrent dans un programme plus large de l’IFC, Banking on Women, qui, depuis 2010, a déjà consacré 700 millions de dollars au financement de projets menés par des femmes. « Soutenir des opportu-nités pour les femmes dans le secteur privé est essentiel pour éradiquer la pauvreté et atteindre notre objectif de prospérité partagée », explique Alexandra Klöpfer,

Il ne s’agit pas seulement d’une exigence morale de parité, mais d’abord d’un souci d’ef-ficacité économique : en pas-sant à côté d’activités potentiel-lement rentables menées par des femmes, les institutions fi-nancières perdent de multiples occasions de créer de la valeur.

60

Page 61: Hémisphères

Le risque principal est que des entrepreneurs déclar-ent des noms de femmes sur leurs comptes pour pouvoir

obtenir des crédits.

ECONOMIE

chargée de communication à l’IFC. En revanche, le procédé employé est assez inhabituel. « Autrefois, la Banque mondiale maintenait une stricte séparation entre son actif, c’est à dire les prêts qu’elle accordait dans la cadre de son activité de lutte contre la pauvreté, et son passif, c’est à dire les obligations qu’elle lançait pour se financer, explique le professeur Seabright. Là, la Banque joue avec son passif en émet-tant des obligations qui sont en lien avec les objectifs qu’elle poursuit. »Le procédé est similaire à celui des « obligations vertes », lancées par l’IFC en 2009 pour permettre aux investisseurs de soutenir des projets liés au changement climatique. « Comme les obligations vertes, les obligations-femmes sont configurées de façon à ce que les revenus soient mis de côté sur un compte séparé, utilisé pour investir uniquement dans des projets qui fa-vorisent l’accès au crédit pour les en-treprises gérées par les femmes dans les marchés émergents », précise Al-exandra Klöpfer. Les 165 millions de dollars alloués aux « obliga-tions-femmes » peuvent sembler dérisoires au regard des objectifs poursuivis, mais le précédent des « obligations vertes » laisse espérer que l’initiative fasse des petits. En

effet, quatre ans après l’institution de Washington, la Ban-que africaine de développement à lancé son propre pro-gramme d’ « obligations vertes » en octobre dernier. En France, EDF a bouclé en novembre sa première émission d’ « obligations vertes » pour un montant total de 1,4 mil-liard d’euros. Une somme sensiblement supérieure au 350 millions de dollars levés par la Banque mondiale en 2009.

La mise en oeuvre s’annonce délicate

Si l’initiative de la Banque mondiale est enthousiasmante, sa mise en œuvre risque cependant d’être délicate. « À chaque fois que l’on crée un programme avec une discrimination, on crée un risque », explique Paul Sea-

bright. En l’occurrence, le risque principal est que des entrepreneurs déclarent des noms de femmes sur leurs comptes pour pouvoir obtenir des crédits. « Le fait que l’emprunteuse nominative soit une femme ne veut pas dire que l’activité est réellement gérée par

une femme », précise-t-il. Un examen très poussé des dossiers sera donc nécessaire pour éviter les fraudes, et il faudra attendre les premiers résultats con-crets de l’initiative pour se féliciter.

Margaux Leridon

61

Page 62: Hémisphères

62

Page 63: Hémisphères

RETOUR SUR...

Human Rights Watch a publié le 3 décembre un rapport consacré aux multiples crimes commis sous l’ère de l’ancien président du Tchad

Hissène Habré. « La Plaine des morts » se base sur des milli-ers de documents provenant de l’ancienne police politique

du régime et sur près de 300 témoignages, aussi bien de victimes que d’anciens tortionnaires. Au pouvoir

entre 1982 et 1990, Hissène Habré dirigea l’un des régimes les plus sanguinaires d’Afrique, qui au-

rait causé la mort de plus de 40 000 personnes. L’ancien despote est depuis juin 2013 entre

les mains de la justice sénégalaise.

HABRÉ,LE

1982-1990

Sanguinaire

TCHAD

Hissène

63

Page 64: Hémisphères

Juin 1982. Le Tchad est le théâtre d’un nouveau coup d’Etat. A sa tête, Hissène Habré, 40 ans, connu hors des frontières tchadiennes pour sa responsa-bilité dans l’enlèvement de plusieurs ressortissants

européens et l’exécution d’un émissaire du gouvernement français, le commandant Galopin, en 1975. Renversé en dé-cembre 1990, le régime Habré aurait causé la mort de plus de 40 000 personnes, selon une commission d’enquête créée par le gouvernement tchadien après sa chute.

Coups d’Etat, guerre civile et influences étrangères

Lorsque Hissène Habré s’empare du pouvoir, le Tchad est plongé dans le chaos. Les précédents gouvernements se sont montrés incapables de mettre fin aux multiples luttes armées - principalement des conflits inter-ethniques. Le pays est coupé en deux, dans un cli-mat de guerre civile permanente. D’un côté, un Nord désertique peuplé de bergers musulmans – d’où est originaire Habré. De l’autre, un Sud fertile en voie de christianisation qui avait obtenu les faveurs de la colonisation française. Les bonnes relations entre les Français et les Tchadi-ens du Sud ont permis à ces derniers d’obtenir les postes majeurs de l’administration de leur pays. Conséquence : la fracture ne cesse de s’amplifier entre un Nord délaissé par les élites et un Sud de plus en plus riche.La situation est aggravée par l’intervention de nombreuses puissances étrangères : les Etats-Unis souhaitent à tout prix limiter l’influence de la Libye dans la région alors

que la France considèrent le Tchad comme un terrtoire militaire à contrôler coûte que coûte. Pendant que le ré-gime du colonel Kadhafi soutient les mouvements armés rebelles du nord du pays, la France et les Etats-Unis font tout pour maintenir le pouvoir en place. C’est dans un tel contexte que Hissène Habré se fait con-naître. En 1971, il rejoint le Front national de libération du Tchad (Frolinat), un mouvement rebelle du Nord con-sidéré par la Libye comme le seul gouvernement légitime du Tchad. Habré en devient la grande figure avec Gou-kouni Oueddeï. Financés par Kadhafi, les deux hommes combattent le régime en place et le monopole du pouvoir des Tchadiens du Sud. Mais la cohabitation ne dure pas : en 1976, Habré tourne le dos à Tripoli, quitte le Frolinat, et prend le contrôle des Forces armées du Nord (FAN). Son projet est toujours de renverser le régime en place mais sans l’aide d’une Libye qu’il juge trop intrusive.

A la fin des années 70, la tendance est au compromis au Tchad. Hissène Habré devient Premier ministre en 1978 et l’année suivante, les fac-tions du Nord et du Sud s’enten-dent sur la formation d’un gou-vernement d’union nationale de transition. Goukouni Oueddeï est propulsé à la tête du Tchad ;

Habré devient son ministre de la Défense. Très vite, la question libyenne provoque à nouveau de vives tensions entre les deux hommes. Hissène Habré tente alors un coup d’Etat en s’appuyant sur ses FAN mais la Libye intervient pour protéger le régime de Oueddeï. 5 000 soldats libyens entrent au Tchad, par les airs et par la mer, obligeant Habré à prendre la fuite. Nous sommes en

La CIA approvisionne Habré en armes et lui fait parvenir des sommes considérables. C’est grâce à ce finance-ment que le 7 juin 1982, les troupes de Hissène Habré prennent la capitale N’Djaména et chassent du pouvoir

Goukouni Oueddeï.

64

Page 65: Hémisphères

décembre 1980. Le putschiste s’exile au Soudan. Il y reçoit l’appui de l’administration Reagan, bien décidée à lutter contre l’influence grandissante de la Libye dans la région. La CIA approvisionne Habré en armes et lui fait parvenir des sommes considérables. C’est grâce à ce financement que le 7 juin 1982, les troupes de Hissène Habré prennent la capitale N’Djaména et chassent du pouvoir Goukouni Oueddeï.

La DDS, ou la naissance d’une police politique sans limite

Sachant son pouvoir fragile, Hissène Habré se lance dans une répression féroce envers ceux qui ne le reconnaissent pas. Sa première cible est le sud du Tchad, en situation de quasi-autonomie. Dès l’été 1982, il envoie les FAN repren-dre les principales villes de la région. Les soldats ont les mains libres. Ils multiplient les pillages et les exactions en-vers les civils. En réaction, une opposition armée s’organ-ise dans le Sud : les CODOS. Parallèlement, Goukouni Oueddeï, en exil, fonde l’Armée nationale de libération, financée par la Libye. Habré prend peur. Il estime que les méthodes classiques de contrôle des populations - armée, police, renseigne-ment - ne suffiront pas à le protéger. Dès lors, en janvier 1983, il créé une police politique : la Direction de la docu-mentation et de la sécurité (DDS). Au total, plus de mille agents sont chargés de surveiller et réprimer les « enne-mis de la nation » par tous les moyens. C’est le règne des exécutions sommaires, de la confiscation des biens, des déportations et des disparitions forcées. Les agents de la DDS incarnent la justice : aucun procès n’est accordé aux personnes arrêtées. Les rafles et la délation se multiplient. La torture devient très vite une méthode de gouverne-

ment, organisée et codifiée. Des hommes sont formés par une commission spéciale à de multiples et cruelles tech-niques. En premier lieu, l’arbatachar. Elle consiste à attacher les deux bras aux che-villes derrière le dos de manière à faire bomber la poitrine. Ce ligotage entraîne la paralysie – parfois définitive – des membres en bloquant la circulation des membres. Autre méthodes utilisées par les tortionnaires : le supplice des baguettes, l’ingurgitation forcée d’eau, les décharges électriques, la flagellation, l’ex-traction d’ongles... Parmi ces milliers de victimes, Fatime Sakine, une com-merçante arabe suspectée d’apporter des explosifs en provenance du Cameroun, raconte son calvaire : « Ils me chicotaient (frappaient) encore et encore. J’ai eu des plaies sur le dos. Ils ont mis un masque électrique sur mes yeux pour me rendre aveugle. Ils ont mis le courant électrique sur mon dos, ils l’ont passé devant les yeux... Des baïonnettes ont été introduites dans le vagin de cer-taines femmes, moi j’ai reçu des coups de matraque. »

Des détenus réduits à l’état animal

A la torture s’ajoute une autre souffrance, permanente. Celle des conditions de détention. Depuis l’arrivée au pouvoir de Hissène Habré, les prisons sont spécialement aménagées pour les prisonniers politiques et les prison-niers de guerre, aussi bien à N’Djaména que sur le reste

« Ils ont mis le courant électri-que sur mon dos, ils l’ont passé devant les yeux... Des baïonnettes ont été introduites dans le vagin de certaines femmes, moi j’ai reçu des

coups de matraque. »Fatime Sakine, commerçante arabe.

RETOUR SUR...

65

Page 66: Hémisphères

du territoire tchadien. Symbole de celles-ci : « La Piscine ». Située à côté d’une agence américaine pour le développe-ment international, elle était réservée aux loisirs des familles de militaires français durant la colonisation. Devenue un centre de tortures quotidiennes, la DDS l’incline afin que les prisonniers ne puissent pas se maintenir en équilibre, même précaire. C’est ainsi que s’entassent jusqu’à quat-re-vingt-dix détenus dans dix cellules minuscules de 3 m2.La plus grande prison est celle des « Locaux », l’ancien mess des officiers français. Le quotidien des détenus y est terrible : une ration journalière de nourriture composée de cinq bouchées de riz et d’une sauce avariée, une « co-habitation » avec des cadavres que les gardiens laissent sciemment pourrir et une chaleur pouvant atteindre 50 degrés. Parmi les différentes parties de cette prison, la cel-lule « C », ou « cellule de la mort », destinée aux personnes dont le régime se méfie le plus. En l’occurrence une cen-taine, regroupées dans 100 m2 sans jamais avoir le droit de sortir, de prendre l’air. Il n’y a ni fenêtre, ni sanitaire. « Au mois de mars, les murs étaient pleins de sueur et la res-piration était impossible, explique l’infirmier major de la DDS Saria Asgnegué. Plusieurs prisonniers témoignent que les cadavres de leurs codétenus, abandonnés dans les cellules, étaient frais et servaient de coussins dans la chaleur intense. Il y avait beaucoup de problèmes d’asphyxie et de paralysies ; les détenus ne marchaient jamais. Ils étaient assis les jambes pliées. »

« Monsieur le professeur, la responsabilité est collective »

Dans sa folie meurtrière, le régime de Hissène Habré ne s’attaque pas seulement aux combattants armés. Si une personne part en rébellion, le régime s’en prend à toute sa famille, à toute sa communauté et parfois même à toute son ethnie. Le premier exemple est celui des Arabes tchadiens,

suspectés d’être des alliés naturels de la Libye. Victimes collatérales du conflit entre Habré et Oueddeï, ils sont ar-rêtés et torturés tout au long du régime du dictateur, dès 1982. Loin de s’arrêter à la traque des Arabes de son pays, Habré s’emploie à détruire toute ethnie contestant ou suspecté de contester son pouvoir. Y compris ses compagnons de lutte. Ainsi, les Had-jaraïs, qui l’ont pour-tant porté au pouvoir, perdent la confiance du despote à partir de 1984. Dans un premier temps, Habré les évince du pouvoir. Puis des leaders de l’ethnie meurent dans des circonstances troubles. L’escalade continue. Certains Hadjaraïs partent en rébellion. Habré fait alors arrêter les figures majeures. Elles sont sommairement exécutées. A partir de ce jour, tout Hadjaraï, y compris civil, est con-sidéré comme ennemi du régime. A cette liste de potentiels « traitres » s’ajoutent les Zagha-was. Epine dorsale de l’armée de Hissène Habré, ils oc-cupent des postes essentiels au sein de l’administration tchadienne. En 1989, le chef d’Etat-major, le ministre de l’Intérieur et le conseiller militaire du président, Idriss Déby – l’actuel président du Tchad – sont Zaghawas. En avril, inquiet de leur influence grandissante, Habré accuse les trois hommes de tentative de coup d’Etat. Seul Déby en sort vivant. Il gagne le Soudan, pays qui avait accueilli Habré dix ans plus tôt. A la différence de la répression con-tre les Hadjaraïs, les Zaghawas sont du jour au lendemain considérés comme des menaces à éliminer. Ils sont arrêtés quelle que soit leur classe sociale : responsables politiques,

Dans sa folie meurtrière, le régime de Hissène Habré ne s’attaque pas seulement aux combattants armés. Si une personne part en rébel-lion, le régime s’en prend à toute sa famille, à toute sa communauté et parfois

même à toute son ethnie.

66

Page 67: Hémisphères

Habré dans l’attente de son procès

Après son renversement par Idriss Déby, Hissène Habré fuit le Tchad et s’installe au Sénégal avec la complicité des Etats-Unis. Il faut attendre dix ans et le mois de janvier 2000 pour que l’association représentant les victimes du régime Habré porte plainte au Sénégal. L’ancien dictateur est alors inculpé pour « complicité de crimes contre l’humanité, actes de torture et de barbarie ». Si le juge d’instruction Kandji est dessaisi en rai-son de l’incompétence juridictionnelle des au-torités judiciaires sénégalaises, Habré est placé en résidence surveillé. C’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat africain est poursuivi par la justice du pays dans lequel il avait fui. Nouvelle arrestation en novembre 2005. S’ap-puyant sur le Convention internationale contre la torture, le juge belge Daniel Fransen délivre un mandat d’arrêt international à l’encontre de Habré. Il est placé en garde à vue mais une fois encore, la justice sénégalaise se déclare in-compétente et le relâche. L’année suivante, l’Union africaine (UA) insiste pour que le Sénégal le juge « au nom de l’Afri-que ». Malgré l’insistance de l’UA, le président sénégalais Abdoulaye Wade rechigne à le juger ou à l’extrader. Il faut attendre l’élection de Macky Sall en 2012 pour que la situation se décante. En décem-bre, l’Assemblée nationale du Sénégal crée des Chambres africaines extraordinaires. Le 30 juin 2013, Habré est arrêté et placé en détention provisoire. Son procès, qui doit se dérouler à Dakar et devrait être radiotélévisé, est espéré pour la fin de cette année ou début 2015.

militaires, professeurs, fonctionnaires, chômeurs, berg-ers, étudiants, élèves... Cette persécution prend fin avec le coup d’Etat qui renverse Habré dans la nuit du 30 novem-bre au 1er décembre 1990. Son responsable n’est autre que le Zaghawa Idriss Déby. Une scène symbolise la logique du régime Habré. Elle se passe dans la moiteur d’une geôle tchadienne. L’écrivain et universitaire Zakaria Fadoul Khidir, d’ethnie zaghawa, est arrêté car il est le parent d’un supposé putschiste d’avril 1989. Alors qu’il clame son innocence, la réponse de son bourreau est implacable : « Monsieur le professeur, la responsabilité est collective. » Si l’écrivain ne perd pas la vie, 135 membres de sa famille sont exécutés ou meurent en détention.

« Habré dépassait les limites de l’être humain »

Habré ne se contente pas de « régner ». Il participe parfois aux séances de tortures, physiquement ou par l’intermédi-aire d’un talkie-walkie. Idem pour son rôle de chef mili-taire : pour certaines batailles, Habré se rend sur le terrain pour commander ses troupes et organiser la répression.Gali Gatta Ngothé fut l’un des conseillers de Hissène Habré. Tombé en disgrâce puis arrêté, il décrit son ancien patron comme un individu « très cynique », qui « dépas-sait les limites de l’être humain ». Selon lui, « il ne faut pas toucher à son pouvoir, ni à son armée, ni à son ar-gent. Celui qui y touche est déjà mort ». L’ancien con-seiller donne également des détails sur la psychologie de Habré : « Il voulait faire croire que l’individu n’est pas autonome du système. On veut que tu produises mais pas que tu aies une valeur intrinsèque. Si tu as l’autono-mie, tu es un ennemi et l’ennemi doit être détruit. » Une logique qui a abouti à la mort et à la torture de dizaines de milliers d’ « ennemis ».

Raphaël Badache

RETOUR SUR...

67