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Nomogrammes et éducation physique PAR R. THOMAS, J. VIVÈS Apparus, semble-t-il, dans le domaine de l'enseignement de l'athlétisme il y a une vingtaine d'années, les nomogrammes ont ces derniers temps proliféré dans le champ de la pédagogie de l'éducation physique. Ils ont désormais pris une place privilégiée et prépondérante parmi les outils d'évalua- tion formative et certificative, au point qu'on parle d'évaluation nomographique et que rares sont les publications traitant de la didactique des APS qui ne proposent ce ty- pe d'outil. Cet engouement trouve une explication dans les nombreux avantages que l'on de- vrait attendre de l'utilisation des nomo- grammes. Ils fourniraient enfin la possibili- de distinguer de façon objective l'efficience de l'efficacité pour permettre dans une seule notation de tenir compte, pour chaque élève, non seulement de sa performance physique, mais également de ses savoir-faire (sa maîtrise d'exécution) fruits de son travail et partant de l'inter- vention du maître. Mais outre l'évaluation d'une production et sa traduction en nombres les nomo- grammes posséderaient comme autre vertu celle de donner à l'élève une information propre à le guider dans son apprentissage et dans l'élaboration d'un projet. Ainsi les nomogrammes, par leur caractère graphique, apparaîtraient comme les meilleurs instruments de mesure et de si- mulation, les mieux appropriés à faciliter la compréhension des élèves et à obtenir leur adhésion. Enfin ils auraient l'avantage d'introduire plus de justice dans la notation, puisque les acquis participeraient à la notation des élèves au même titre que l'inné, c'est-à-dire les aptitudes. Devant l'exubérance désordonnée des no- mogrammes, tel un phénomène de mode, il nous est apparu souhaitable d'examiner cet outil de manière critique. Ainsi après avoir analysé la nomographie nous nous interrogerons d'une part sur la validité du nomogramme outil d'évalua- tion, d'autre part sur la légitimité de son utilisation au regard des objectifs poursui- vis. Note : Dans le vocabulaire pédagogique actuel, le degré d'effi- cience d'une action est évoqué par plusieurs termes avec des acceptions souvent très proches : habileté, savoir-faire ou maîtrise de l'exécution. Aussi emploierons-nous parfois indifféremment ces vocables pour un même concept, tout en accordant une place privilégiée à la maîtrise de l'exécu- tion, officialisée par les textes relatifs aux épreuves d'EPS des examens et concours. 1. Nomographie et EPS. Qu'est-ce qu'un nomogramme ? Construction d'un nomogramme en EPS. Différents types de nomogrammes en EPS. 2. Validité du nomogramme, outil d'évaluation. Choix des variables utilisées. Echelles de mesure. Addition pondérée des variables. 3. Légitimité de l'utilisation des nomogrammes en EPS. Nomogrammes outils pédagogiques. Nomogrammes outils de certification. ILLUSTRATION : R. ROTH EPS 249 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1994 15 Revue EP.S n°249 Septembre-Octobre 1994 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Nomogrammes et éducation physique

PAR R. THOMAS, J. VIVÈS Apparus, semble-t-il, dans le domaine de l'enseignement de l'athlétisme il y a une vingtaine d'années, les nomogrammes ont ces derniers temps proliféré dans le champ de la pédagogie de l'éducation physique. Ils ont désormais pris une place privilégiée et prépondérante parmi les outils d'évalua­tion formative et certificative, au point qu'on parle d'évaluation nomographique et que rares sont les publications traitant de la didactique des APS qui ne proposent ce ty­pe d'outil. Cet engouement trouve une explication dans les nombreux avantages que l'on de­vrait attendre de l'utilisation des nomo­grammes. Ils fourniraient enfin la possibili­té de distinguer de façon objective l'efficience de l'efficacité pour permettre dans une seule notation de tenir compte, pour chaque élève, non seulement de sa performance physique, mais également de

ses savoir-faire (sa maîtrise d'exécution) fruits de son travail et partant de l'inter­vention du maître.

Mais outre l'évaluation d'une production et sa traduction en nombres les nomo­grammes posséderaient comme autre vertu celle de donner à l'élève une information propre à le guider dans son apprentissage et dans l'élaboration d'un projet.

Ainsi les nomogrammes, par leur caractère graphique, apparaîtraient comme les meilleurs instruments de mesure et de si­mulation, les mieux appropriés à faciliter la compréhension des élèves et à obtenir leur adhésion.

Enfin ils auraient l'avantage d'introduire plus de justice dans la notation, puisque les acquis participeraient à la notation des élèves au même titre que l'inné, c'est-à-dire les aptitudes.

Devant l'exubérance désordonnée des no­mogrammes, tel un phénomène de mode, il nous est apparu souhaitable d'examiner cet outil de manière critique.

Ainsi après avoir analysé la nomographie nous nous interrogerons d'une part sur la validité du nomogramme outil d'évalua­tion, d'autre part sur la légitimité de son utilisation au regard des objectifs poursui­vis.

Note : Dans le vocabulaire pédagogique actuel, le degré d'effi­cience d'une action est évoqué par plusieurs termes avec des acceptions souvent très proches : habileté, savoir-faire ou maîtrise de l'exécution. Aussi emploierons-nous parfois indifféremment ces vocables pour un même concept, tout en accordant une place privilégiée à la maîtrise de l'exécu­tion, officialisée par les textes relatifs aux épreuves d'EPS des examens et concours.

1. Nomographie et EPS. Qu'est-ce qu'un nomogramme ? Construction d'un nomogramme en EPS. Différents types de nomogrammes en EPS. 2. Validité du nomogramme, outil d'évaluation. Choix des variables utilisées. Echelles de mesure. Addition pondérée des variables. 3. Légitimité de l'utilisation des nomogrammes en EPS. Nomogrammes outils pédagogiques. Nomogrammes outils de certification.

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1. N O M O G R A P H I E ET EPS

Qu'est-ce qu'un nomogramme ?

Le nomogramme est une variété d'abaque. L'abaque était chez les anciens une machine à calculer, tel notamment le boulier chinois, ou en­core au Moyen Age des tablettes destinées à fa­ciliter les calculs. Actuellement l'abaque est un système de courbes tracées sur une feuille en vue de la réalisation de calculs numériques. Le no­mogramme est un calcul graphique permettant de combiner plusieurs variables afin de synthéti­ser les résultats en une seule autre variable, et dans notre cas. en général, une note attribuée à un élève. S'il existe une relation mathématique entre n variables, on peut, connaissant les valeurs de (n-l ) de celles-ci calculer la valeur de la niè-me. La nomographie permet, à l'aide d'un dessin fait sur un plan, de déterminer par une simple lecture la valeur de cette variable. Ce procédé de calcul a été inventé par Marius d'Ocagne en 1891 à partir des abaques de Lalanne et de celles de Lallemand ( 1885). On peut par exemple cal­culer la relation xy = k. Du fait que log x + log y = log k. Il suffit de construire deux échelles logarithmiques, une de la variable x l'autre de la variable y et de tracer trois droites parallèles. On porte les valeurs de log x sur la première, celles de log y sur la troisième et on trouve log k sur la deuxième. Les nomogrammes sont utilisés pour des calculs rapides : par exemple, à partir du poids de corps et de la taille d'une personne connaître sa surface corporelle grâce à un nomogramme ( I ). De même on peut calculer une valeur spécifique telle la VO2 Max d'un sujet connaissant un travail déterminé à une puissance donnée et la fréquence cardiaque correspondan­te (2). Pour mieux comprendre les fondements mathé­matiques du n o m o g r a m m e le lecteur pourra se reporter à l 'encadré ci-dessous.

La construction d'un nomogramme en EPS

L'idée qui préside à la construction d 'un nomo­gramme en EPS réside dans l 'intention de me­surer à la fois les acquisitions de l 'élève et les ef­fets des interventions de l 'enseignant. Pour cela le concepteur d 'un nomogramme cherche à éta­blir un rapport entre le résultat brut d 'une pro­duction, la performance et la manière de l 'obte­nir en n e u t r a l i s a n t é v e n t u e l l e m e n t la va l eu r physique du sujet. 11 établit donc un graphique comportant trois échelles presque toujours paral­lèles . L 'une représente en général la performan­ce, la deuxième une habileté ou une aptitude et la note se trouve entre les deux comme le représen­te la figure n° 1. Bien entendu suivant le rapport en t re les d i s t a n c e s r e s p e c t i v e s de l ' une des échelles et la note, une des variables sera valori­sée. Ainsi dans la figure n° 1B la performance est valorisée, puisque son échelle est plus proche de celle des notes que celle de la maîtrise de l 'exé­cution. A la limite si l 'échelle des performances se confond avec celle des notes, seule la perfor­mance compte dans la note. Evidemment les uni­tés de chaque échelle jouent aussi un rôle dans le poids de chaque variable. Plus les unités de me­sure d ' u n e échel le sont g randes par rapport à celles de l 'autre, plus la première est valorisée au détriment de l 'autre. A la limite lorsque les éche­lons d 'une des variables deviennent très petits, l ' influence de celle-ci sur la note devient nulle.

Différents types de nomogrammes en EPS

On peut d i s t inguer différents types de n o m o ­grammes utilisés en EPS selon les critères sui-vants : • Nomogrammes appliqués aux APS qui mesu­rent et ceux appliqués aux APS qui hiérarchisent. Athlétisme, natation d 'un côté, sports collectifs, sports de pleine nature, sports duels de l 'autre. • Nomogrammes qui prennent en compte les ca­pacités (aptitudes) et ceux qui ne les prennent pas en compte. • Nomogrammes simples et nomogrammes avec p lus de d e u x va r i ab le s ( n o m o g r a m m e s m u l ­tiples). • N o m o g r a m m e s avec échelles l inéaires et no­mogrammes avec échelles non linéaires. Voici quelques exemples de la diversité des no­mogrammes :

• Dans les APS dont la performance fait l 'ob­jet de mesure on met généralement cette perfor­mance en rapport avec : - soit un facteur technique que l 'on isole et que l 'on mesure séparément (cadence des bras ou temps de prise d 'a i r en natat ion, longueur des foulées, temps de réaction, répartition des bonds en triple saut, etc.).

- soit une aptitude physique qui expliquerait une partie de la performance (détente verticale mesu­rée par le Sargent test au saut en hauteur, déten­te horizontale par le saut à pieds joints en lon­gueur). Ce cas dans lequel renseignant cherche a pondérer la performance de l 'élève en fonction de ses capacités est d'ailleurs un peu surprenant. On pénalise le sujet qui présente une capacité élevée (3). Si certains tests indiquent que l 'élève est mauvais, alors sa performance sera augmen­tée par rapport à un sujet doté d 'une capacité éle­vée. On imagine difficilement un professeur de mathématiques augmenter la note d'un élève qui résoud mal ses exercices parce que les tests men­taux révèlent que ses capaci tés intel lectuel les sont très fa ib les . Mais les capac i tés in te l lec­tuelles sont moins évidentes que les capaci tés physiques.

• En sports col lect ifs , la per formance indivi­duelle et la maîtrise de l 'exécution ne peuvent être mesurées qu ' indirectement par des indica­teurs fondés sur des indices. Pour la performan­ce les enseignants adoptent en général un seul in­dice, le plus souvent le volume de jeu (le nombre de ballons joués) qu ' i ls mettent en relation avec le rapport entre la somme du nombre de balles d 'at taque et du nombre de balles conquises divi­sée par le nombre de balles perdues (balles d'at­taques + balles conquises) / balles perdues (4) voir figure n°2.

• Dans les sports de pleine nature, on a cherché un type général d 'évaluation qui pourrait être, en l 'adaptant à chacune de ces activités, la vitesse de déplacement en rapport avec un « indice de lecture ». Ainsi en esca lade le nombre de se­condes par mètre de déplacement mesurerait la performance, le nombre de prises touchées par seconde, le niveau d'habileté (5).

Pour introduire un coefficient entre les variables, le concepteur joue sur la distance entre les échelles, comme nous l'avons montré, ou fait va­rier ses unités de mesure à l'intérieur d'une ou de chaque échelle, ou encore incline une échelle, ceci selon qu'il veut valoriser tel facteur. Parfois les deux échelles utilisées sont une com­binaison de performances. Par exemple du type A + B et A - B ou du type A - B et B. (A repré­sentant la performance dans l'activité objet de l'évaluation, B la performance dans une activité choisie de manière que la différence A - B tra­duise la maîtrise de l'exécution à apprécier (cf. § 2 « Addition pondérée des variables »)]. Enfin certains ont cherché à mieux représenter l'habileté en associant plusieurs facteurs, mais ils se sont rendu compte qu'en les multipliant on complexifiait la représentation graphique au point de la rendre pratiquement inexploitable. Ces quelques exemples montrent combien, à

Les bases mathémat iques.

Le spécialiste qui construit une abaque obtient le plus sou­vent des courbes longues et difficiles à tracer. Par une dé­formation appelée anamorphose il cherche alors à trouver des droites remplaçant les courbes. Soit la fonction z = f(x.y.) de la variable x paramétrée en y. S'il est possible de l'écrire sous la forme : a j(z) = b y(x)+c j et y étant deux fonctions continues et monotones, le graphe de la fonction est une droite à condition de prendre sur les axes les fonctions d'échelles f(z) et y(x) puis-qu'alors la fonction prend la forme : al. Z = bl:X+c. 11 et 12

étant les modules des échelles. On peut maintenant obte­nir des abaques à échelles rectilignes parallèles. Il faut qu'il y ait certains liens entre les modules et les distances entre les droites. Il s'agit donc avec le nomogramme de représenter une fa­mille de courbe. Prenons l'exemple du nomogramme four­nissant une note en fonction d'un temps réalisé sur une course de 30 m (y) et de l'écart (x) entre ce temps dit sans contrainte et le temps sur 30 m de course avec des lattes posées au sol réduisant l'amplitude de course (temps avec contrainte). Si nous prenons un temps réalisé sur 30 m sans contrainte (y=y.) nous aurons un diagramme cartésien et une fonction qui relie la note n à l'écart de temps x re­présenté sur la figure n° ?. Pour une autre valeur de y (y-y) nous obtiendrons une autre fonction. Dans cet exemple il s'agit donc d'une famille de droites parallèles de la forme n = ax+b. Dans le cas que nous présentons la relation est linéaire, mais évidemment ce n'est pas toujours le cas. La relation peut d'ailleurs changer de forme suivant la valeur de y.

Figure 1

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partir d'un même type de construction, les en­seignants d'EPS ont pu. suivant les activités, les buts poursuivis, les facteurs privilégiés, élaborer des nomogrammes d'une grande diversité. Mais cette variété n'est qu'apparente dans la mesure où la synthèse de la performance et de la maîtri­se de l'exécution, quelles que soient leurs expressions, aboutit en général à une note de 0 à 20.

2. V A L I D I T É DU N O M O G R A M M E , OUTIL D ' É V A L U A T I O N

Devant un nomogramme il convient de se poser un cer ta in n o m b r e de q u e s t i o n s . N o t a m m e n t toutes celles que l'on se pose devant un test :

• Choix des variables, de leur validité, de leur fi­délité, éventuellement de leur sensibilité.

• Logique des échelles utilisées.

• Addition pondérée des variables.

Choix des variables

En ce qui concerne la performance, qui constitue le plus souvent une des variables, on se trouve devant divers cas de f igure : - soit elle procède d'une mesure du plus haut ni­veau au sens mathématique du terme (6) et éta­blit une distance entre les sujets, l'un, par exemple, a sauté en longueur 650 cm, l'autre 640 cm et 10 cm les séparent.

- soit cette performance s 'apprécie par une hié­rarchie, l 'un est premier, l 'autre est second, mais on ne sait pas quelle distance les sépare et la per­formance est plus difficile à quantifier. Il s'agit notamment des sports collectifs,

- soit la performance s 'apprécie encore plus dif­ficilement, comme dans le cas de l 'escalade. Mais la performance ne suffit pas aux ensei­gnants, ils s'intéressent donc à d'autres va­riables. Ils partent du principe que la performan­ce d'un élève dépend de ses aptitudes (une ou des variables possibles) ainsi que de sa technique, gérée elle-même par un ensemble de comporte­ments. Dès lors, ils envisagent deux démarches, l'une cherchant à isoler les aptitudes, l'autre à découvrir un comportement décisif, c'est-à-dire un élément clef de la technique qui sera apprécié de manière quantifiable. • Les partisans de la première démarche se fon­dant sur l'idée d'une équation très simple Perfor­mance = aptitudes + technique. P = A+T. pensent par conséquent apprécier la technique en sous­trayant les aptitudes de la performance. T = P-A. Certains nomogrammes sont plus ou moins sous-tendus par cette idée. La conjugaison de deux ré­sultats chiffrés, l'un appréciant la performance, l'autre une aptitude ou une différence qui est censée mesurer des aptitudes, leur permet, croient-ils, de prendre en compte des acquisi­tions. • Les adeptes de la seconde démarche à partir d 'une analyse de la technique en général focali­sent leur attention sur un seul aspect. Ainsi dans le triple saut ils considèrent qu 'une certaine ré­partition des bonds est un facteur décisif. Et pour aboutir à une note ils réalisent une moyenne pon­dérée entre la performance et une appréciation de la répartition des sauts. En se fondant sur cette d é m a r c h e , le c o n c e p t e u r ne s emble pas teni r compte de tous les présupposés qui régissent la notation dont un des plus déterminants consiste à considérer qu ' i l n ' y a pas de relat ions entre la technique et les apti tudes physiques, ce qui re­vient à admettre que l'efficience des moyens mis en œuvre par un élève, c 'es t -à-dire de la tech­nique, peut être apprécier en référence à une nor­me sans tenir compte de ses aptitudes.

Il convient ici de remarquer que la performance est fonction de multiples facteurs. Les premiers modèles très é lémentaires que l 'on trouve sont issus de l 'ergonomie (7). Ils ont été repris au dé­but par les chercheurs travaillant dans le secteur sportif. La performance de l 'ouvrier était décrite comme fonction de quelques variables simples. Ainsi Norman Maier en 1946 écrit P = AxFoxM-Fa. Dans cet te équat ion A représente les apti­tudes (ou capacités). Fo la formation (ou la tech­nique). M la motivation et Fa la fatigue. On voit déjà que même dans ce modèle simple, les liai­sons sont mu l t ip l i ca t ives et q u ' i n t e r v i e n n e n t d ' au t res variables que la technique et les apti­tudes. Mais surtout les chercheurs ont vite com­pris que les facteurs de la performance étaient multiples et qu 'en conséquence, les modèles ex­pl ica t i fs deva ien t ê t re p lus c o m p l e x e s . Nous a v i o n s , dans une é t u d e pa rue d a n s la R e v u e EP .S , ana lysé la pe r fo rmance du saut en lon­gueur (8). A partir d 'une équation simple P = f (M.C.T) dans laquelle P est la performance. M la morphologie . T la technique et C les capacités physiques, nous avons essayé de reconstituer la performance d 'un sujet en connaissant M, C et T dans leurs principales d imensions . Nous étions arrivés à la conclusion que tous les facteurs de la performance étaient en forte interrelation ainsi que tous les éléments de la technique, ce qui ren­

dait toute analyse de cette dernière, probléma­tique.

Jusqu'ici notre réflexion a porté essentiellement sur les sports individuels. Les quest ions soule­vées par les sports collectifs sont beaucoup plus complexes et posent des problèmes spécifiques. En particulier, il est très difficile de juger d 'une performance individuel le , pu isque , par défini­tion, ce qui est apprécié c'est le résultat collectif. L 'équipe A est meilleure que l 'équipe B. mais le joueur x est-il meilleur que le joueur y ? Les en­traîneurs s'en remettent le plus souvent à leur ju­g e m e n t subjec t i f , e t / ou u t i l i s en t d e s g r i l l e s d 'analyse.

Dans un souci louable de rigueur le concepteur du nomogramme. pour juger de la maîtrise de l'exécution individuelle, prend en compte géné­ralement un nombre fondé sur le volume des balles jouées, gagnées et perdues, mais ce fai­sant, il apprécie plusieurs fois le même aspect, la maîtrise du ballon, et surtout il omet les princi­paux facteurs explicatifs de la performance, le jeu sans ballon, la création des déséquilibres, la prise de risque, la défense.... bref tout ce qui constitue le fondement véritable du jeu. Cette manière d'apprécier la valeur d'un joueur est for­tement réductrice. D'autre part, l'utilisation de rapports (nombre de balles gagnées divisé par nombre de balles jouées par exemple) peut en­gendrer des erreurs lorsque l'enseignant effectue des moyennes arithmétiques sur de tels nombres. Dans les activités de pleine nature, il est égale­ment très difficile de définir sans la déformer, la performance du pratiquant, de la quantifier et de mesurer l'efficience ; comme nous l'avons précédemment évoqué avec l'exemple de l'esca­lade.

Echelles de mesure

Après le choix des variables, il convient de s 'in­terroger sur différents aspects des mesures : que veut-on mesurer ? La logique de chaque échelle ? Quelle échelle de mesure a-t-on définie ? Quelle relation a été établie entre les échelles composant le nomogramme ?

Concernant l 'échelle « performance » en général on sait ce que l 'on mesure, mais on peut se poser la question des unités choisies, car le concepteur du nomogramme peut décider de changer la va­leur des unités au fur et à mesure que l 'on monte ou que l 'on descend sur l 'échelle. Ainsi 10 cm dans un lancer, peut représenter deux échelons au début, puis un seul par la suite. Ce problème rejoint celui des tables de cotation évoqué ci-des­sous.

Pour les au t res éche l les (eff ic ience, habi le té , maîtrise de l 'exécution.. .) , il ne suffit pas de se poser la question de la pertinence du critère rete­nu, mais il faut reprendre les questions évoquées à propos de la performance, à savoir la pertinen­ce de la mesure. Quelle échelle a-t-on créée ? Les tables de cotation e l les-mêmes échelles de mesure, sont construites selon une logique, une in tent ion. Ains i , la table Letess ier donne une augmentat ion du nombre de points fonction du rapport dp/p. formule dans laquelle p est la per­formance et dp l 'accroissement de la performan­ce. Letessier reprenait la loi de Fechner (9), l 'un des fondateurs de la psychophysique, pour qui la sensat ion d 'un accroissement d 'exc i ta t ion dé­pend de la valeur de l 'excitation, et qui proposa la formule de/e = k. On conçoit que le sujet qui améliore sa performance de 10 cm en passant de 110 cm à 120 cm gagne plus de points (10/110) que celui qui réalise la même progression en pas­sant de 210 cm à 220 cm (10/210) . Le gain de

Figure 2

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points s'avère donc d'autant plus difficile que l'on s'élève dans la performance. Ceci est un choix d'échelle. Mais il est possible de prendre une autre logique : par exemple, donner toujours le même nombre de points pour un accroisse­ment dp quelque soit le niveau de la performan­ce. On obtient alors une relation linéaire entre performance et nombre de points. D'autres tables ont été conçues de manière à donner plus de points pour un même accroissement de per­formance au fur et à mesure que cet accroisse­ment se fait vers les performances élevées. Quels sont les choix sous-tendus par chacune des échelles du nomogramme et leur relation ? Il ne semble pas que le concepteur en ait toujours plei­nement conscience. Mais toute échelle implique une option, intentionnelle ou pas ! (Se reporter à la Figure n°3. Différents types de tables de cota­tion d'après des courbes établies par Jean Brenot. statisticien).

Addition pondérée des variables

La combinaison des variables se fait de manière additive. La note est une moyenne pondérée des deux variables : l ' importance de chaque facteur pouvant changer sur chaque échelle selon les ni­veaux. L ' add i t ion des var iables n ' e s t pas sans poser quelques problèmes au concepteur d 'un nomo­gramme. s'il veut bien répondre au but qu ' i l s'est fixé, à savoir donner sa juste place à la maîtrise de l 'exécution. A partir de quelques exemples, nous allons évo­quer ces difficultés et montrer que des résultats surprenants sont quelquefois à craindre. Prenons en athlétisme le cas des sauts et des lancers. Pour favoriser l'élève qui maîtrise bien la technique il serait possible de concevoir deux échelles, l'une représentant la performance, c'est-à-dire le résultat avec élan (E). l'autre les possibilités de l'élève lorsqu'il est privé de cet élan, le résultat sans élan (S). A une performance donnée (Ei). on attribuerait une note (Ni) d'autant plus élevée que le résultat sans élan (Si) serait faible. Bien entendu, si l'on proposait une telle procédure à l'élève, il ne forcerait guère son talent pour l'épreuve sans élan I Certes ce biais élémentaire pourrait être évite simplement en substituant à une performance, en l'occurrence au lancer sans élan, une note d'ha­bileté, ponant dans ce cas sur les critères tech­niques de l'élan. C'est ce que d'aucuns l'ont par­fois dans les nomogrammes de sports individuels (fig. 4). sans ignorer sans doute qu'ils créent un

biais d 'un autre type, l 'élève pouvant avoir inté­rêt à limiter sa performance au bénéfice d ' une mei l leure « démons t ra t ion technique ». Quoi ­qu' i l en soit la plupart des concepteurs de nomo­g r a m m e s s 'a t tachant à rechercher des cri tères objectifs et mesurables utilisent d 'autres procè­des.

Un premier procédé consiste d 'une part, à addi­tionner sur une échelle, les performances avec et sans élan, et d 'autre part, à représenter sur l 'autre échelle, la maîtrise de l 'exécution par la diffé­rence entre les deux performances (E - S) . Le concepteur pense ainsi inciter l 'élève à faire un lancer sans élan m a x i m u m puisque ce résultat c o m p t e d a n s la p e r f o r m a n c e de la p r e m i è r e échelle.

Mais si les deux échelles sont pondérées de la même manière, cela revient à attribuer une note en additionnant (E + S) avec (E - S), soit 2E. Le résultat sans élan a disparu I Seule une variation dans la pondération de variables permet de prendre en compte le résultat sans élan : mais, étant donné que les performances des élèves ont une faible dispersion, l'addition des perfor­mances reste toujours localement très voisine de 2E. Un autre procédé consiste à additionner l 'écart entre les pe r fo rmances avec élan et sans élan (E - S) et la pe r formance sans élan (S) . Cet te somme (E - S) + (S) égalant E. c o m m e précé­demment, l 'attribution de la note ne tiendrait pas compte du sans élan si le concepteur ne jouait sur le poids relatif des deux échelles. Pour illustrer notre propos, examinons les nomo­grammes de la figure n° 5. 11 s'agit de l 'évalua­tion du saut en longueur. L'échelle de notes est à égale distance entre l 'échelle de l'écart E - S et celle du sans élan S. Mais, le concepteur a donné plus de poids à l 'échelle du sans élan en portant des unités plus grandes que celles du saut avec élan. Apparemment, ce nomogramme semble ré­pondre au but fixé, puisque, pour un saut sans élan donné , la note augmente en même temps que l 'écart entre les performances avec élan et, sans élan.

Il faut pourtant considérer ce cas de plus près. Lorsqu 'un élève saute 3,60 m avec élan et 1,60 m sans élan, il obtient la note 6. Avec la même performance avec élan et 1,70 m sans élan, il obtient également 6. C'est-à-dire la même note avec un écart inférieur, ou autrement dit avec une moins bonne maîtrise de l ' exécu­tion ! Ceci provient du l'ait que, dans cette zone

de performances, les variables sont pondérées de la m ê m e m a n i è r e . Nous s o m m e s dans le cas (E - S) + (S). Mieux encore ! Lorsqu 'on passe à des performances sans élan, supérieures à 2 m, la pondération de l 'échelle de droite étant supérieu­re à celle de gauche, on obtient des résultats en­core plus éloignés du but fixé ! Soit un élève qui saute 4.70 m avec élan, s'il réalise 2 m sans élan, il obtient 11,5 et sa note augmente à mesure qu' i l améliore sa performance sans élan (respective­ment 12. 12, 12,5, 13 p o u r d e s s a u t s à 2 , 1 0 m-2.20 m-2,30 m).

Se trouve ainsi largement favorisé celui qui utili­se le moins bien son élan. En ce qui concerne les exemples précédents, on peut envisager d 'autres procédures telle que la pondé ra t ion dif férente des va r i ab les , mais il semble que l 'addition des variables soit toujours susceptible de causer bien des surprises. Et d e tou te f açon , que l que soit le m o d e de construction du nomogramme. il paraît difficile de suppr imer to ta lement le bia is qui cons is te pour un élève à chercher à optimiser une des va­riables pour obtenir la meilleure note.

3 . LÉGITIMITÉ DE L'UTILISATION DE N O M O G R A M M E S EN EPS

L'analyse précédente débouchant sur des com­menta i res assor t is de q u e l q u e s réserves nous conduit, après avoir considéré les nomogrammes c o m m e moyens de mesure, à procéder avec le même souci d'objectivité, à l 'examen de la ma­nière dont les enseignants d 'EPS les utilisent et de la légitimité de leurs attentes.

• Les nomogrammes sont d'abord des outils pédagogiques

Ce rôle qui leur est dévolu est parfaitement résu­mé dans les phrases suivantes extraites d 'un do­cument de Formation Professionnelle Continue

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(FPC) : « les critères retenus par l 'enseignant et mis en évidence dans la construction des nomo­grammes montrent la voie du progrès. Ils indui­sent donc des stratégies chez les élèves » (10). Ainsi, les nomogrammes ne sont pas seulement utilisés comme instrument de diagnostic mais ils ont une fonction prospective, celle de prescrip­tion.

Un instrument de diagnostic ? Ils le sont sûre­ment mais de façon généralement très restrictive puisqu ' i ls ne renseignent que sur le ou les cri­tères p r éa l ab l emen t sé l ec t ionnés par l ' e n s e i ­gnant, souvent un à deux maximum. Quelle que soit la performance de l 'élève, quelle que soit sa stratégie personnelle de production, quels que soient ses points forts et ses poin ts faibles, le nomogramme fournit une information qualitative et quantitative sur une seule dimen­sion, la dimension considérée par l 'enseignant la plus significative pour tous ses élèves. A moins que l ' indicateur ne corresponde à une dimension suffisamment générale pour s 'adres­ser également à tous. Mais dans ce cas s'agit-il d 'une véritable information ? A titre d 'exemple , lorsque le critère technique en triple saut est le mode de répart i t ion des trois bonds, l ' indicateur, par comparaison avec la ré­partition des champions, renseigne sur le niveau technique du pratiquant. Lorsqu' i l saura mieux sauter, il aura une meilleure répartition ! Ou bien, autre exemple , lorsqu 'on confronte la mesure de la détente vert icale d 'un élève à sa performance en saut en hauteur, on met en évi­dence son niveau technique général sans obtenir la moindre information sur la valeur relative des différentes composantes techniques du saut. Aussi à ce propos, pourrait-on s ' interroger sur la façon dont s'y prendrait un professeur-entraîneur qui devrait établir un diagnostic sur la prestation d 'un élève. Ne prendrait-il pas en considération plusieurs critères d'efficience, et, en définitive, son diagnostic ne reflèterait-t-il pas la singulari­té de son élève ? Mais utiliserait-il une batterie de nomogrammes et se sentirait-il dans l 'obliga­tion d ' assor t i r son d iagnost ic d ' u n e note de 0 à 2 0 ?

Un outil de prescription et d'élaboration d'un projet ? A ce titre il faudrait admettre que les cri­tères choisis ne sont pas se simples indicateurs d 'une dimension de la motricité, car de la même façon qu 'en médecine on n'agit pas sur les symp­tômes, on ne peut en sport se perfectionner sans remonter aux causes, aussi variées que difficile­ment identifiables.

Certes les effets sont souvent des indicateurs ai­sément perceptibles mais la recherche des causes renvoie à la complexité de la performance spor­tive, véritable système aux multiples interrela­tions. Et les effets ne sont-ils pas eux-mêmes à considérer comme des causes d 'autres effets non retenus ? P r e n o n s c o m m e e x e m p l e la p r e m i è r e fou lée d 'une course de vitesse : - par sa longueur elle peut être un indicateur de la qualité du départ c 'est-à-dire aussi bien des di­verses actions de poussée, que de la position ou de la nervosité du coureur ! Sans oublier la re­présentation qu ' a le coureur de l 'accélération et de la course el le-même. - mais l 'efficacité de l ' accéléra t ion init iale, et même de toute la course ne dépend-elle pas de la longueur de cette première foulée ? Aussi, ne serait-il pas plus indiqué d 'orienter le perfect ionnement sur r a l l o n g e m e n t ou le rac­

courcissement de la première foulée de course qu ' i l ne serait profitable au triple saut (déjà cité) d 'axer l 'entraînement sur la longueur relative des bonds.

Ainsi , très réducteur de la performance, limité dans la portée et l ' individualisation du diagnos­tic, le nomogramme risque, en fonction du rôle déterminant donné aux indicateurs de la motrici­té dans la notation, d 'engager les élèves, à l ' insu de celui qui l 'a construit, sur des voies de perfec­tionnement sans issue ou tout au moins très res­treintes dans leur portée.

Du point de vue pédagog ique , il nous revient d 'examiner également la stratégie engendrée par l'utilisation des nomogrammes. La no ta t ion a s soc i ée au n o m o g r a m m e invi te l 'élève, comme nous l 'avons constaté, à s'inter­roger sur le projet le plus rentable. A-t-il intérêt à augmenter sa performance, ou bien sa maîtrise d 'exécution, voire à limiter l 'une ou l 'autre ? L'élaboration d 'une stratégie ne peut se réduire au maniement d 'une simple réglette permettant de simuler le progrès sur les échelles et de lire la progression des notes.

N 'es t -ce pas le rôle de l 'enseignant de faire com­prendre à l'élève tout ce que le nomogramme . dans sa simplicité et la sécheresse des nombres, ne peut pas dire ? En particulier, que le progrès n'est pas linéaire et lié à une quelconque formu­le mathémat ique ! Il doit savoir q u ' u n gain de maîtrise ne se répercute pas automatiquement sur la performance et. plus difficile pour lui à ad­mettre, que. quels que soient ses efforts et la per­tinence des conseils, il peut se traduire dans un premier temps par une diminution de celte per­formance.

Par ailleurs l 'usage du nomogramme risque de dévier la motivation de l 'élève en l 'orientant vers la note alors que l 'enseignant s'efforce de la fixer sur l 'act ivi té , t ransformant une motivat ion in­trinsèque en une motivation extrinsèque (11).

• Les nomogrammes sont devenus des outils de certification

Lorsqu 'on aborde la certification, qu ' i l s 'agisse de c o n c o u r s , vo i re d ' u n e x a m e n , on doi t ré­pondre à plusieurs quest ions, dont deux essen­tielles : - l'outil d'évaluation permet-il une appréciation « adéquate à ce à quoi il prétend s'appli­quer ?» (12), - est-il assez sensible pour différencier suffisam­ment entre eux les candidats ? En l 'occurrence, toutes les remarques formulées lorsque nous avons examiné la construction des n o m o g r a m m e s nous aident à nous forger une opinion tant sur les cri tères choisis que sur les modes de notation (13). Dans les sports individuels, athlétisme et nata­tion, les critères retenus ne nous ont pas paru en parfaite adéquation avec l 'étendue des savoirs et des savoir-faire , c ' es t -à -d i re de la maîtr ise de l 'exécution prise au sens large. Par exemple, il est difficile d'affirmer que le rythme de la cour­se est suffisant pour app réc i e r les savoi rs en course de fond.

Dans les sports collectifs, ainsi que nous l 'avons précédemment souligné, l 'appréciation porte sur la performance individuelle ramenée à un indice et sur les c r i t è res de l ' e f f ic ience . Ni le souci d'objectivité qui fait sélectionner des indices fa­cilement identifiables, ni la volonté de neutrali­ser le niveau de l 'adversaire par des formules ori­g ina le s de r encon t r e s , ne peuven t nous faire oublier que la qualification d 'un joueur doit être à la mesure de sa contribution à l 'équipe. En outre, étant donné que généralement le mode d'évaluation est communiqué à l'avance aux candidats, il ne semble pas que l'on puisse échapper aux dangers d'une stratégie mal fon­dée, orientée par les seuls critères retenus et à un bachotage qui déforme l'image de l'activité et celle d'un authentique perfectionnement. Par ailleurs, il convient de remettre en question, en la tempérant, l 'opinion que l 'évaluation no-mographique apporterait plus de justice dans la cert if ication en E P S . la prise en c o m p t e de la maîtrise de l 'exécution établissant un juste équi­libre dans la notat ion, en pondérant la perfor­mance.

En effet, de nombreuses dimensions sont igno­rées dans les nomogrammes : parmi elles, des di­mensions très inégalement réparties comme la personnali té, les expériences passées et surtout les différences individuelles relatives aux poten­tialités de progrès et à la vitesse d 'acquis i t ion. Sans oublier que les critères choisis, les mêmes pour tous, correspondent plus ou moins au profil de chacun des élèves.

C O N C L U S I O N

Au terme de cette étude, sans doute incomplète et trop superficielle tant le sujet est vaste puis­qu ' i l impl ique deux domaines aussi sensibles que l 'analyse de la performance et la docimolo-gie. nous nous garderons de tout jugement pé-remptoire. Nous admet t rons que si le déve loppement des nomogrammes a pris une telle ampleur c 'est que ce nouveau mode d 'évaluat ion pourrait en pre­mière analyse présenter pour les enseignants des points très positifs. Parmi eux. citons : • Fac i l i té de cons t ruc t ion avec poss ib i l i t é de choix pe rsonne l des va r i ab les et des éche l l e s d 'évaluation.

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• Motivation des élèves par une matérialisation des résultats et par une possibilité de simulation des progrès. • Objectivité de la notation dans la mesure où les indicateurs sont facilement identifiables par tous. Pourtant, en nous appuyant sur notre examen cri­tique, nous sommes amenés à tempérer ce nouvel enthousiasme.

En pédagogie. Le nomogramme doit être consi­déré comme un simple auxiliaire parmi d'autres moyens, en particulier de diagnostic. Son utilisa­tion ne dispense nullement l'enseignant d'une action personnelle en profondeur pour obtenir l'adhésion des élèves par la compréhension de tout ce qui se rapporte à la performance, à son analyse et à son perfectionnement. Et surtout, il faut éviter de donner aux nombres une valeur mythique qui risque d'enlever tout esprit cri­tique.

En certification. Nous serons plus réservés et nous insisterons, en les résumant, sur les argu­ments déjà développés : • Les nomogrammes sont trop réducteurs et ne permettent pas d'évaluer suffisamment de di­mensions. • En la réduisant, ils risquent de déformer l'acti-vité sportive au point de lui substituer une « acti­vité spécifique d'examen ou de concours ». • Ils ont trop d'influence sur la préparation des candidats, favorisant, comme nous l'avons vu, le bachotage. Autant d'arguments développés précédemment qui nous incitent à penser que si les examinateurs peuvent les utiliser avec profit, c'est en les consi­dérant uniquement comme une grille strictement

personnelle d'évaluation à laquelle ils ne don­nent aucune publicité en dehors de leur jury. Cet­te grille, à caractère objectif, fournissant la base d'un jugement, devrait être modulée en prenant en compte des dimensions plus générales, même si elles paraissent subjectives. Citons dans une telle perspective une formule adoptée par certains jurys de sports collectifs au CAPEPS. Le classement par des experts des can­didats au cours de plusieurs matches et l'addition des rangs obtenus par chacun d'eux. Enfin, nous prendrons nettement position à la fois :

- en soulignant la nécessité de mettre en œuvre une expérimentation pour tester scientifique­ment l'évaluation nomographique dans tous ses aspects et toutes ses conséquences. - et en invitant à diversifier largement l'éventail des outils d'évaluation pour mieux répondre aux objectifs de l'Education Physique d'aujourd'hui qui prône l'individualisation des interventions vers une plus grande autonomie des élèves.

Raymond Thomas Professeur des Universités.

Jean Vivès.

Notes bibliographiques

(1) Me Ardle (W.). Katch (F.). Kateh (V.) « Exercices Phy-siology » Philadelphie : Lea and Febrigu, éditions 1991, p. 61 . (2) Astrand (Po.), Zodahl (k.) « Test book of Wort Physio-logy » New York : Mc Graw - Hill, 1970, p. 356.

(3) Gouju (J.-L.) « Course d'endurance - Didactique et mo­tivation ». Revue EP.S 1993. N° 241. pp. 54-57.

(4) Groupe sports collectifs de l 'Académie de Dijon - « Di­dactique des sports collectifs à l'école » - Paris - Editions Revue EP.S. 1993.

(5) Testevuide (S.) - « Activité en milieu naturel et incer­tain - évaluation ». Revue EP.S 1994. N° 246. pp. 32-35.

(6) Thomas (R.), Dehedin (J.). Crescenzi (E.). « Statistique 1. cours et exercices » - Paris : Presses Universitaires de France, 1981.

(7) Thomas (R.) « Les aptitudes motrices » - Paris - Edi­tions Vigot. 1989.

(8) Thomas (R.), Vivès (J.) « Analyse de la performance athlétique ». Revue EP.S 1972. N° 115, pp. 13-20.

(9) Fechner dédia cette loi à son maître Weber. Mais Fech-iici et Weber s'étaient inspirés d'un travail de Laplace, le­quel avait repris des idées de Bernouilli et pensait qu'un ac­croissement de fortune « morale » dépendait de l'état de la « fortune physique » présente. Celui qui vient de gagner

100 F n'éprouve pas le même plaisir s'il possède 100 000 F ou s'il possède I 000 F. L'avantage éprouvé du fait d'un gain supplémentaire dx serait inversement proportionnel à la somme x des biens déjà possédés et garderait de ce fait une valeur constante. Dans toutes ces lois, on obtient donc la relation y = k log x.

(10) Adriou (D.) « Informatique et Athlétisme » In Paris F.P.C. Bulletin de liaison des enseignants EP.S de l'Acadé­mie de Paris - Avril 1994, N°12. (11) Gemigon (C.) « La motivation de l'élève et son inves­tissement en EPS ». Revue EP.S 1992. N° 236. pp. 14-15. (12) Bonboir (A.) « La docimologie » - Paris ; Presses Uni­versitaires de France, 1972. (13) Aux épreuves d'EPS au baccalauréat « la note at­tribuée à l'activité évaluée est le produit de la note ob­tenue à la maîtrise de l'exécution et de l'indice relatif à la performance... ». Dans le cas où la maîtrise de l'exé­cution est déterminée par un nomogramme on observe que la notation prend deux fois en compte la perfor­mance (dans le nomogramme et dans l'indice). Ne pour­rait-on concevoir deux épreuves indépendantes ? Par exemple une épreuve de performance et/ou une « ques­tion de cours » (un exercice de maîtrise de l'exécution portant sur la « gymnastique pour la vie » - utilitaire, d'entretien, de musculation, de relaxation...), en réfé­rence aux savoirs spécifiques de l'EP.S.

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