guigue sobre estudo das sonoridades opostas de debussy

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L’Étude “pour les Sonorités Opposées” de Debussy : quelles sonorités, quelles oppositions ? Didier GUIGUE – UFPB/CNPQ/GMT [email protected] Texte original: 1996. Revu en 2003. « DEBUSSY transcende le piano de son temps, et le pianisme de son temps, pour nous offrir cette Étude, où il se propose d’explorer contrastes et usages simultanés de timbres, en relation avec couleurs différenciées exprimées par » « l’agencement contrapunctique des registres, des nuances, de la dynamique, des tempi, des vitesses de déroulement, et même des notations de style expressif ». « Il est bien vrai que cette conception s’applique à toute son œuvre pour piano ; l’Étude pour les Sonorités Opposées n’est qu’une étude concentrée du phénomène » 1 . 0. Une étude aux objets sonores Malgré tout l’intérêt que cette œuvre singulière a pu susciter, il semble extrêmement difficile d’élucider, au moyen des outils théoriques dont la musicologie contemporaine dispose, comment DEBUSSY est parvenu, techniquement, à réaliser une composition bâtie sur un paradigme d’opposition de sonorités. Cet essai, au-delà de la tentative de réponse à cette problématique, vise à m en lumière certains éléments structurels spécifiques et sans doute fondamentaux du langage pianistique de DEBUSSY, en ce qu’il recèle de plus prospectif pour la musique du XX e siècle : une pensée compositionnelle qui, se libérant des contraintes d’une logique structurante exclusivement motivico-thématico-harmonique, se réalise à partir du concept d’objet sonore fonctionnelleme articulé, responsable pour l’essentiel de la dynamique formelle, une pensée orientée objets. En affirmant que DEBUSSY « n’entreprit rien de moins que de restituer à la substance sonore l’unité organique que des conceptions logiciennes avaient disloquée », André SOURIS expose les te du défi que représente son œuvre, d’une manière très clairvoyante et stimulante : « En même temps qu’il allégea le langage musical du formalisme symphonique, DEBUSSY le débarrassa des p sévères rigueurs de l’appareil tonal et de presque tout le symbolisme stéréotypé attaché à celui-ci. C’était éliminer d’un seul coup tous les éléments de disjonction qui avaient, durant des siècle séparé les composantes de la substance sonore. Une fois celle-ci restaurée dans son intégrité, toutes les vieilles catégories de l’esthétique musicale devinrent inutilisables. La hiérarchie qui con à la hauteur des sons une prédominance sur ses autres propriétés, dut céder la place à des modalités structurales toujours renouvelées » [1976 : 209 et sq.]. Stefan JAROCINSKY apporte des précisions historiques: « Certes, la musicologie avait aperçu dans l’œuvre de DEBUSSY la participation des valeurs sonores, mais, en leur accordant une import secondaire en regard de l’élément harmonique, elle s’empêchait de tirer de cette constatation une conclusion qui l’ait amenée à réviser ses méthodes de recherche. Kurt WESTPHAL n’était pas l de la vérité en écrivant que la musique de DEBUSSY “ avait découvert le son pur, le son à action acoustique élémentaire […] ” [souligné par nous, n.d.a.]; mais il prêchait dans le désert ». Plus il souligne qu’ « obstinément attachée aux méthodes traditionnelles, la musicologie était en mesure d’expliquer la décomposition du système de l’harmonie fonctionnelle dans l’œuvre de DEBU c’est-à-dire son action destructive, mais ne pouvait qu’échouer à décrire l’action d’un mécanisme nouveau des correspondances et le rôle primordial, et créateur de la forme, que les valeurs son jouaient dans ce mécanisme » [1970 : 68]. En tout état de cause, nous sommes entièrement convaincu, comme ces auteurs et quelques autres 2 , que seuls des outils d’investigation développés spécialement pour cette fin, sont susceptible capter les ressorts de cette conception de la forme et de ces nouvelles modalités structurales. C’est en tout cas sur cette hypothèse que nous avons développé une méthode spécifique de lecture d’évaluation de l’œuvre pianistique de DEBUSSY, à partir d’une position validant l’écrit musical comme dépositaire nécessaire et suffisant à la formalisation de cette optique compositionnelle, d’un postulat systématique qui consiste à considérer les configurations complexes, que nous appelerons génériquement objets sonores, comme une stratte autonome de l’écriture, susceptible de supporter des éléments essentiels de la structure formelle, et passible, par conséquent, d’une analyse fonctionnelle. 1. Une méthode de saisie et d’évaluation orientée objets 1.1. Segmentation Le procédé méthodologique que nous allons succinctement décrire ici a fait l’objet de communications plus détaillées auxquelles nous nous permettons de renvoyer le lecteur 3 . Il consiste en u première étape à reconfigurer la partition sous forme de séquence d’objets globalement homogènes. La procédure de segmentation se fonde sur un principe de rupture de continuité à quelque niveau que ce soit : ruptures macro-formelles (silences, points d’orgues…), interruptions de pédales et/ou de liaisons d’articulation, ruptures de continuité dans les intensités, les registres, les configurations rythmiques, les densités, etc… Si ces critères se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur (la prosodie, l’articulation thématique…), ils n’interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rappo instaurés entre ce niveau supérieur d’organisation et les niveaux sousjacents. Nous invitons le lecteur à consulter, à titre d’exemple de segmentation, la partition annexée en fin d’article. Chaqu segment, on le voit, reçoit un numéro d’ordre, précédé de la lettre “O” pour objet. 1.2 Principes d’évaluation Une fois segmentée, la partition est exportée, via le protocole Midi de transmission de données musicales 4 , vers l’environnement informatique Patchwork dans lequel ont été implémentés les algorithmes d’évaluations 5 . Chaque composant 6 de l’écriture impliqué dans la configuration des objets sonores résultants de la segmentation correspond à un module qui incorpore le (s) algorithme(s) nécessaire(s) à l’évaluation quantitative et/ou qualitative de cette implication. L’information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que le compositeur a affectée au composant, par les caractéristiques de sa configuration écrite. La “complexité” maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus “complexe” , la “riche” — dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100%. À l’autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèr les sonorités les plus “simples” ou “pauvres”. C’est pour éviter ces qualificatifs subjectifs autant que vagues que nous avons choisi de quantifier le contenu du mot “qualité” par l’évaluation de complexité relative de l’écriture des composants propres à configurer une sonorité. Le lecteur voudra bien garder en mémoire notre acception spécifique de l’expression qualité sonore. Naturellement, le sens des notions de “simplicité” et “complexité” varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l’on parle de densités, l’échelle d’appréciation va d “vide” à la “saturation” , alors que la mesure de l’étendue de la tessiture que peut investir un objet s’effectue sur une échelle arithmétique — de 1 à 87 (demi-tons) au piano. Par définition, on pose que la qualité sonore d’un objet est directement proportionnelle à la complexité relative atteinte par les moyens d’écriture. La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d’implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours une valeurrelative. En pratique, elle provient de la mise en facteur de deux nombres, le diviseur correspondant à la valeur maximum possible, et le numérateur, à la valeur effectivement observée d l’objet analysé. On obtient une fraction, qui se traduit en un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale. 1 SCHMITZ 1966 [notre traduction], et BARRAQUÉ 1962 pour la citation centrale. SCHMITZ poursuit en donnant des indications d’interprétation liées à l’articulation des jeux de sonorités en présence dans l’Étude. 2 BIGET 1989, PARKS 1989, et al. 3 en particulier 1997 a et b. 4 Les articles ou ouvrages décrivant les principes et fonctionalités de ce protocole abondent. Cf par exemple BRAUT 1992. 5 Patchwork, environnement logiciel d’aide à la composition développé sur la plateforme Macintosh par LAURSON, M., RUEDA, C., & DUTHEN, J., à l’IRCAM, Paris [cf MALT 1993]. Depuis 2003 cette collection de fonctions d’analyse est devenue une bibliothèque intégrée à l’environnement OpenMusic , toujours de l’IRCAM. 6 Ce terme va être défini plus loin.

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Page 1: Guigue Sobre Estudo Das Sonoridades Opostas de Debussy

L’Étude “pour les Sonorités Opposées” de Debussy :quelles sonorités, quelles oppositions ?

Didier GUIGUE – UFPB/CNPQ/[email protected]

Texte original: 1996. Revu en 2003.

« DEBUSSY transcende le piano de son temps, et le pianisme de son temps, pour nous offrir cette Étude, où il se propose d’explorer contrastes et usages simultanés de timbres, en relation avec descouleurs différenciées exprimées par » « l’agencement contrapunctique des registres, des nuances, de la dynamique, des tempi, des vitesses de déroulement, et même des notations de styleexpressif ».« Il est bien vrai que cette conception s’applique à toute son œuvre pour piano ; l’Étude pour les Sonorités Opposées n’est qu’une étude concentrée du phénomène » 1.

0. Une étude aux objets sonores

Malgré tout l’intérêt que cette œuvre singulière a pu susciter, il semble extrêmement difficile d’élucider, au moyen des outils théoriques dont la musicologie contemporaine dispose, commentDEBUSSY est parvenu, techniquement, à réaliser une composition bâtie sur un paradigme d’opposition de sonorités. Cet essai, au-delà de la tentative de réponse à cette problématique, vise à mettreen lumière certains éléments structurels spécifiques et sans doute fondamentaux du langage pianistique de DEBUSSY, en ce qu’il recèle de plus prospectif pour la musique du XXe siècle : unepensée compositionnelle qui, se libérant des contraintes d’une logique structurante exclusivement motivico-thématico-harmonique, se réalise à partir du concept d’objet sonore fonctionnellementarticulé, responsable pour l’essentiel de la dynamique formelle, une pensée orientée objets.

En affirmant que DEBUSSY « n’entreprit rien de moins que de restituer à la substance sonore l’unité organique que des conceptions logiciennes avaient disloquée », André SOURIS expose les termesdu défi que représente son œuvre, d’une manière très clairvoyante et stimulante : « En même temps qu’il allégea le langage musical du formalisme symphonique, DEBUSSY le débarrassa des plussévères rigueurs de l’appareil tonal et de presque tout le symbolisme stéréotypé attaché à celui-ci. C’était éliminer d’un seul coup tous les éléments de disjonction qui avaient, durant des siècles,séparé les composantes de la substance sonore. Une fois celle-ci restaurée dans son intégrité, toutes les vieilles catégories de l’esthétique musicale devinrent inutilisables. La hiérarchie qui conféraità la hauteur des sons une prédominance sur ses autres propriétés, dut céder la place à des modalités structurales toujours renouvelées » [1976 : 209 et sq.].

Stefan JAROCINSKY apporte des précisions historiques: « Certes, la musicologie avait aperçu dans l’œuvre de DEBUSSY la participation des valeurs sonores, mais, en leur accordant une importancesecondaire en regard de l’élément harmonique, elle s’empêchait de tirer de cette constatation une conclusion qui l’ait amenée à réviser ses méthodes de recherche. Kurt WESTPHAL n’était pas loinde la vérité en écrivant que la musique de DEBUSSY “ avait découvert le son pur, le son à action acoustique élémentaire […] ” [souligné par nous, n.d.a.]; mais il prêchait dans le désert ». Plus loin,il souligne qu’ « obstinément attachée aux méthodes traditionnelles, la musicologie était en mesure d’expliquer la décomposition du système de l’harmonie fonctionnelle dans l’œuvre de DEBUSSY,c’est-à-dire son action destructive, mais ne pouvait qu’échouer à décrire l’action d’un mécanisme nouveau des correspondances et le rôle primordial, et créateur de la forme, que les valeurs sonoresjouaient dans ce mécanisme » [1970 : 68].

En tout état de cause, nous sommes entièrement convaincu, comme ces auteurs et quelques autres 2, que seuls des outils d’investigation développés spécialement pour cette fin, sont susceptibles decapter les ressorts de cette conception de la forme et de ces nouvelles modalités structurales. C’est en tout cas sur cette hypothèse que nous avons développé une méthode spécifique de lecture etd’évaluation de l’œuvre pianistique de DEBUSSY, à partir d’une position validant l’écrit musical comme dépositaire nécessaire et suffisant à la formalisation de cette optique compositionnelle, etd’un postulat systématique qui consiste à considérer les configurations complexes, que nous appelerons génériquement objets sonores, comme une stratte autonome de l’écriture, susceptible desupporter des éléments essentiels de la structure formelle, et passible, par conséquent, d’une analyse fonctionnelle.

1. Une méthode de saisie et d’évaluation orientée objets

1.1. Segmentation

Le procédé méthodologique que nous allons succinctement décrire ici a fait l’objet de communications plus détaillées auxquelles nous nous permettons de renvoyer le lecteur 3. Il consiste en unepremière étape à reconfigurer la partition sous forme de séquence d’objets globalement homogènes. La procédure de segmentation se fonde sur un principe de rupture de continuité à quelqueniveau que ce soit : ruptures macro-formelles (silences, points d’orgues…), interruptions de pédales et/ou de liaisons d’articulation, ruptures de continuité dans les intensités, les registres, lesconfigurations rythmiques, les densités, etc… Si ces critères se veulent aveugles en regard des principes de découpage périodique adoptés par le compositeur (la prosodie, l’articulationthématique…), ils n’interdisent pas leur éventuelle coïncidence, surtout à un niveau structurel hiérarchique élevé. Cette indépendance est toutefois fondamentale pour pouvoir évaluer les rapportsinstaurés entre ce niveau supérieur d’organisation et les niveaux sousjacents. Nous invitons le lecteur à consulter, à titre d’exemple de segmentation, la partition annexée en fin d’article. Chaquesegment, on le voit, reçoit un numéro d’ordre, précédé de la lettre “O” pour objet.

1.2 Principes d’évaluation

Une fois segmentée, la partition est exportée, via le protocole Midi de transmission de données musicales 4, vers l’environnement informatique Patchwork dans lequel ont été implémentés lesalgorithmes d’évaluations 5. Chaque composant 6 de l’écriture impliqué dans la configuration des objets sonores résultants de la segmentation correspond à un module qui incorpore le (s)algorithme(s) nécessaire(s) à l’évaluation quantitative et/ou qualitative de cette implication. L’information qui sert de fondement à cette évaluation, est le taux de complexité relative que lecompositeur a affectée au composant, par les caractéristiques de sa configuration écrite. La “complexité” maximum correspond à la configuration qui produit la sonorité la plus “complexe” , la plus“riche” — dans le domaine où le composant agit. Dans ce cas, le poids participatif attribué à ce composant est de 100%. À l’autre bout, les configurations les plus simples sont celles qui génèrentles sonorités les plus “simples” ou “pauvres”. C’est pour éviter ces qualificatifs subjectifs autant que vagues que nous avons choisi de quantifier le contenu du mot “qualité” par l’évaluation de lacomplexité relative de l’écriture des composants propres à configurer une sonorité. Le lecteur voudra bien garder en mémoire notre acception spécifique de l’expression qualité sonore.Naturellement, le sens des notions de “simplicité” et “complexité” varie en fonction de la nature du composant auquel on se réfère. Ainsi, si l’on parle de densités, l’échelle d’appréciation va du“vide” à la “saturation” , alors que la mesure de l’étendue de la tessiture que peut investir un objet s’effectue sur une échelle arithmétique — de 1 à 87 (demi-tons) au piano.

Par définition, on pose que la qualité sonore d’un objet est directement proportionnelle à la complexité relative atteinte par les moyens d’écriture.

La complexité maximale possible devient le référent pour le calcul du taux d’implication du composant dans la configuration de la complexité sonore globale. Le résultat est donc toujours unevaleurrelative. En pratique, elle provient de la mise en facteur de deux nombres, le diviseur correspondant à la valeur maximum possible, et le numérateur, à la valeur effectivement observée dansl’objet analysé. On obtient une fraction, qui se traduit en un nombre réel situé entre (0.0) et (1.0), correspondant au taux de satisfaction du critère de complexité maximale.

1 SCHMITZ 1966 [notre traduction], et BARRAQUÉ 1962 pour la citation centrale. SCHMITZ poursuit en donnant des indications d’interprétation liées à l’articulation des jeux de sonorités en présence dans l’Étude.2 BIGET 1989, PARKS 1989, et al.3 en particulier 1997 a et b.4 Les articles ou ouvrages décrivant les principes et fonctionalités de ce protocole abondent. Cf par exemple BRAUT 1992.5 Patchwork, environnement logiciel d’aide à la composition développé sur la plateforme Macintosh par LAURSON, M., RUEDA, C., & DUTHEN, J., à l’IRCAM, Paris [cf MALT 1993]. Depuis 2003 cette collection de fonctionsd’analyse est devenue une bibliothèque intégrée à l’environnement OpenMusic , toujours de l’IRCAM.6 Ce terme va être défini plus loin.

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© Didier Guigue 1996 & 2003 2

1.3 La note et le son

L’évaluation de la qualité sonore d’un objet passe, en premier lieu, par l’évaluation de la qualité sonore intrinsèque de chaque son qui le constitue. Les données fournies par les recherchesscientifiques en acoustique du piano ces trente dernières années 7 permettent de dégager assez précisément un comportement typique, qui peut être réduit à un principe de décroissance pondérée dela complexité des spectres proportionnelle à la hauteur de la fréquence fondamentale . Cette permanence causale peut être modulée jusqu’à un certain point par diverses actions sur l’interface del’instrument, en particulier la vélocité d’attaque du marteau, qui contrôle l’intensité relative de la note produite 8. La méthode de saisie part donc de l’encodage de la qualité sonore pondérée desbinômes hauteur/intensité que contient l’objet, qui résulte en une qualité moyenne q 9 .

1.4 Le réseau des composants de l’écriture des sonorités

Les composants sont ordonnés hiérarchiquement sur deux grands axes, qui peuvent être représentés par l’organigramme montré [fig. 1].

SPACE

S T

SYNTHESIS

S-FILL

SPECTRUM EXOGENICS

SPAN T-FILL

fig. 1: structure des composants de niveau supérieur de l’écriture de la sonorité d’un objet, répartis en 2 catégories (S — contenu achronique, et T — contenu diachronique). Chaque“boîte” renferme plusieurs interprètes algorithmiques (vide infra). L’ensemble des évaluations résultent en une pondération synthétique (SYNTHESIS ).

L’axe S (S-AXIS) rassemble ceux qui déterminent les caractéristiques de distribution achronique des binômes 10, à savoir SPACE, qui évalue l’espace (ambitus et registration) qu’ils occupent, etS-FILL, qui étudie les modalités d’occupation de cet espace — densité et caractéristiques de distribution; la synthèse de cette interaction constitue le composant de niveau supérieur SPECTRUM ,lequel peut être modulé par EXOGENICS en fonction des altérations qualitatives de la sonorité, dues à l’utilisation de pédales ou d’accessoires exogènes 11.L’axe T (T-AXIS ) pondère S-AXIS en fonction de ses caractéristiques diachroniques: d’une part est mesuré le laps de temps que dure l’objet (SPAN) et d’autre part sont analysées les modalitésd’occupation de ce temps (T-FILL). Plus les configurations de T-AXIS sont complexes, plus son poids sur les qualités achroniques(S-AXIS ) est élevé, et réciproquement.La plupart de ces composants est en réalité le produit de l’interaction de composants plus élémentaires de l’écriture, que nous appelons interprètes. Les interprètes puisent directement lesinformations dont ils ont besoin dans le fichier Midi de la partition. Nous allons décrire rapidement la fonction de chacun d’eux au sein de chaque catégorie.

S-AXIS : SPACE

• ambitus : ambitus relatif, i.e. taux d’occupation de la tessiture du piano, par rapport à l’ambitus maximum de 87 demi-tons ;• register : pondération relative au nombre de régions de la tessiture que l’objet occupe, et selon la qualité acoustique spécifique à chacune d’entre elles 12.

S-AXIS : S-FILL

• s-density : densité relative d’occupation de l’ambitus, la densité maximum correspondant à la saturation du contenu chromatique compris entre la note la plus grave et la note la plus aigue del’objet ;• S-DISTRIBUTION , composant de synthèse résultant des évaluations de tout ou partie des interprètes suivants:

• s-linearity : taux de linéarité de distribution des hauteurs à l’intérieur de l’ambitus de l’objet, calculé à partir d’un paradigme d’équidistance intervallique; un taux (0.0) correspond à unedistribution rigoureusement régulière (le même intervalle sépare tous les sons);

• harmonicity: évalue l’objet en fonction d’une distribution des sons simulant la structure intervallique des dix premiers partiels 13 d’un spectre harmonique ;• i-generation: évalue dans quelle mesure l’objet peut être analysé comme étant construit à partir d’un unique intervalle générateur;• sonance : taux de dissonance, établi sur des bases psychoacoustiques (la bande critique en particulier 14) et cognitives (la dissonance relative, communément admise 15, des intervalles en

présence) ;

T-AXIS : SPAN

Durée relative de l’objet, comparée à celle de l’objet le plus long observé dans l’œuvre (ou la section analysée); ce dernier reçoit par définition le poids maximum (1.0).

T-AXIS : T-FILL

• t-density : densité relative d’occupation du temps, i.e. nombre d’événements (notes isolées ou groupes de notes simultanées) séquents, par rapport au maximum possible ; ce maximum estparamétré en fonction des plus petites valeurs rythmiques trouvées dans l’œuvre analysée ;• T-ENVELOPE , synthèse des interprètes suivants:

• q-envelope: taux de dispersion 16 de l’enveloppe des qualités sonores intrinsèques q des hauteurs constitutives de l’objet autour de la valeur la plus fréquente, ou, à défaut, de la moyenne;• v-envelope : taux de dispersion de l’envelope des vélocités (i.e. amplitudes, indiquées par les symboles de nuances, eux-mêmes transcrits en une valeur numérique conventionnelle);• t-linearity : taux de linéarité de distribution des événements à l’intérieur du span, par rapport à un paradigme d’équidistance métrique ;• p-direction : profil directionnel relatif, i.e. direction globale de l’enveloppe des hauteurs; le paradigme de référence (poids (1.0)) est l’unidirectionnalité absolue.

7 SUZUKI & NAKAMURA 1990 font un point objectif sur la question.8 On sait que la variation d’intensité altère non seulement le volume mais aussi le timbre de la note. L’action des pédales, dont l’effet agit sur les qualités globales des spectres, est évoquée plus loin.9 q est une abstraction des qualités sonores de chaque binôme hauteur/intensité, en fonction des caractéristiques acoustiques des sons de piano, leur variation le long de l’échelle des hauteurs et l’incidence modulatoire de la vélocité surle résultat sonore; ces caractéristiques ont été modélisées sous forme de plusieurs équations qui ne seront pas détaillées ici.10 La dissociation des objets musicaux en propriétés achroniques (i.e. “hors-temps”) et diachroniques(“en-temps”), introduite par XENAKIS 1963, est un des postulats sur lesquels est basée notre abordage analytique orientés objets.11 Pour une information générale et concise sur les modes de jeu exogènes au piano, cf CASTANET 1988.12 La tessiture du piano a été partitionnée en 7 registres, étiquetés du grave à l’aigu { -3, -2, -1, 0, 1, 2, 3}, sur des critères de différenciations timbrales [McFERRIN 1972; QUITTER 1958; SUZUKI & NAKAMURA op.cit., et al.].L’algorithme retourne, outre la valeur pondérée, une liste d’entiers correspondant à la densité d’occupation de chaque registre, en nombre de notes. Les entiers y sont ordonnés de gauche à droite à partir du registre {-3} jusqu’auregistre{+3} [cf. col. “register-fill” dans le tableau fig. 8].13 Borne utilisée pour la présente étude; paramétrable par l’utilisateur.14 Pour une vue synthétique et critique sur l’ensemble des expériences scientifiques autour de la notion de bande critique, vide BOTTE et al. 1989. Notre algorithme de calcul de la bande critique reprend l’équation proposée parPARNCUTT 1988 : 85.15 Nous montrons ailleurs [1997] qu’en réalité il y a autant d’appréciations de la dissonance cognitive relative des intervalles que de musiciens l’ayant étudiée, et nous justifions notre modèle. L’information est paramétrable parl’utilisateur.16 produit par le calcul de la déviation standard, mesure conventionnelle des sciences statistiques.

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1.5 Une analyse orientée objets

La représentation simultanée, dans un espace géométrique à deux ou trois dimensions 17, des pondérations obtenues pour chaque interprète ou chaque composant de synthèse, pour une séried’objets, permet de rendre compte visuellement du taux et de l’amplitude des contrastes sonores écrits par le compositeur [cf. figs 9 et 10 infra.] Ainsi, il devient possible d’envisager uneappréciation fonctionnelle de ces objets, et de leur rôle comme agents, ou co-agents, de la structure formelle.

L’Étude pour les Sonorités Opposées paraît, et pour cause, le terrain d’application idéal d’un tel postulat méthodologique d’analyse. Mais pour ce faire, nous avons cru utile de repartir d’un degrézéro d’analyse — c’est-à-dire que nous allons d’abord revenir sur le matériau motivico-thématico-harmonique — afin de vérifier dans quelle mesure la composition par les sons pénètre tous lesniveaux de l’écriture.

Notre but sera atteint si nous parvenons à mettre à jour les moyens d’écriture employés pour générer les sonorités, à partir de l’hypothèse d’un paradigme formel basé sur la dialectiquecontinuité/opposition entre les objets sonores que nous avons identifiés dans la partition. Cette démarche a comme finalité d’expliciter, voire de quantifier, les rapports sonores permettantd’installer les situations d’oppositions que le titre de l’Étude induit.

2. Macro-structure

L’Étude pour les Sonorités Opposées se présente sous la forme d’une séquence de dix Momente 18 articulés de manière systématiquement discontinue — c’est-à-dire sans transition ni préparation, àla manière d’un collage. Cette technique, on le sait, allait connaître une certaine fortune au cours du XXe siècle et DEBUSSY fut l’un des premiers à en expérimenter les effets sur la structureformelle. Toutefois, une certaine téléologie, au moins sous-jacente, peut être dégagée; on peut dire que la forme converge vers une section épicentrale (mm. 38-52), suivie d’une dépressionfonctionnant comme anti-climax (53-62) précédant trois évocations de moments antérieurs : de ce point de vue, nous sommes en présence d’une forme relativement conventionnelle, etarchétypique chez DEBUSSY, comme l’a bien montré Roy HOWAT [1983] 19. En voici la macro-structure, basée sur les indications données par le compositeur dans la partition (agogique,paratextes, respirations et doubles barres), avec des indications génériques sur le profil sonore de chaque section, en fonction du double paradigme continuité/opposition, et les objets sonores jugésles plus représentatifs 20. Les sections y sont référées par des lettres. Une lettre commune indique un certain taux de similitude, voire d’identité [fig. 2].

fig. 2: Macro-structure formelle de l’Étude pour les Sonorités OpposéesS = sections

Chaque section se caractérise soit par l’homogénéité sonore (sections B, D, C, C’, A’), soit par la juxtaposition de deux homogénéités (A, F, D’, D”). La section E, qui fonctionne comme climax,est, pour sa part, constituée du développement d’un motif (que O27 expose) au-dessus d’une base harmonique (anticipée dès O25). L’Étude pour les Sonorités Opposées obéit ici à un autrearchétype formel de DEBUSSY : la section centrale, culmen de l’œuvre, est aussi le lieu exclusif d’un développement motivique en continu, toujours accompagné des plus fortes amplitudes de lapièce. On observera que E est la seule section où apparaît ce qui pourrait être considéré comme une harmonisation “traditionnelle”, dans le sens fonctionnel de soutien à un développementthématique dialectique : un accord de “tonique”, présent au départ et à l’arrivée (mm. 40 et sq., mm. 51-52), s’oppose à une séquence de tensions (mm. 47 et sq.).Les oppositions sonores internes de E sont atténuées par la progressivité du développement. Seule la courte phase de conclusion présente un brusque contraste sonore (O35 ≠ O36), revenant à lasonorité du début de la section. Toutes proportions gardées, E reproduit le schéma formel de l’arche dont HOWAT a montré la relative constance chez le compositeur, avec son sommet situé environaux deux-tiers de la durée.

Chaque section peut être appariée à la suivante sur un paradigme d’opposition, et chaque paire ainsi formée se situe à son tour en opposition sonore avec la suivante. Considérant E et F la pairecentrale d’oppositions au niveau de la macro-forme, la dialectique de contrastes sonores mise en œuvre dans cette Étude, décrite de manière globale dans le tableau fig. 2, peut être résuméeainsi [fig. 3].

A ≠ B C ≠ D E ≠ F D'≠C' D"≠A'≠ ≠≠ ≠

----------#-----------Æ##Æ bb b##### b

fig. 3!: Macro-structure des oppositions.La signification des symboles de dièzes et bémols sera explicitée dans l’analyse harmonique.

17 GREY 1977, CUNIBILE 1991, et al. .18 Par cette référence à STOCKHAUSEN [1960], nous voudrions suggérer que, si « la modernité d’une conception comme celle [du compositeur allemand] nous aide à mieux comprendre la modernité de DEBUSSY », comme le montrefort bien BOUCOURECHLIEV [1993], réciproquement, l’écriture de DEBUSSY annonce pour sa part les Gruppen de STOCKHAUSEN, ou même les Constellations de BOULEZ [HALBREICH 1980].19 Voir aussi PARKS [1989 : 225] et GUIGUE [1995].20 Sur le choix de ces objets “représentatifs”, vide infra.

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© Didier Guigue 1996 & 2003 4

3. Structure harmonique

Richard PARKS [1989 : 37 et sq.] développe l’idée selon laquelle les oppositions sonores sont dues à la variété et à la mutation permanente du champ harmonique dans le contexte duquel se place,ou plutôt s’oppose, la note-pivot Sol#, définie comme une « constante solitaire ». « La source du dynamisme de l’Étude [se situe dans] le conflit entre un élément stable [le Sol#] et son arrangementharmonique fluctuant […] La vitalité de la composition dérive des changements constants de la nature de cette opposition ». Même si cette stratégie compositionnelle est loin d’être particulière àl’Étude 21, elle constitue sans nul doute une des dimensions de la concrétisation des contrastes sonores. PARKS représente d’une manière détaillée la diversité des situations harmoniques où se placele Sol#/Lab [p. 38], et note que les moments où cette note s’intègre de forme consonante au contexte sont statistiquement exceptionnels: de telles situations ne se produisent qu’aux mm. 31, 59, et68. « Toutes les autres sonorités “opposent” [le Sol#] à des dissonances » [notre traduction]. Voici ci-dessous quelques-unes de ces situations harmoniques [fig. 4].

fig. 4!: Quelques-uns des environnements harmoniques de la constante Sol#/Lab, d’après PARKS [op. cit. : 38], mettant en évidence la non-répétition des situations, la rareté descontextes consonants, et la faiblesse de la définition tonale.

Sa démonstration, corroborée par des relevés statistiques très éclairants, est incontestable. Ces derniers mettent en particulier en lumière le fait que les deux autres classes de hauteurs les plusfréquemment utilisées dans la pièce sont le Fa et le Si. PARKS ne relève toutefois pas qu’ensemble, ces trois classes forment un triton dont le Sol# est le pivot. On sait que cet intervalle, à cause deses caractéristiques, deviendra paradigmatique des écritures souhaitant échapper à l’ordre tonal, et il est intéressant de voir comment DEBUSSY commençait déjà à le solliciter pour les mêmesraisons. Il est cependant dommage que PARKS se limite au seul paramètre “classe de hauteurs” pour analyser les situations d’opposition de sonorités dans cette Étude, surtout quand l’on sait letravail minutieux qu’il réalise pour d’autres œuvres dans des dimensions comme la registration, l’orchestration, la cinétique, etc. 22.

Le tableau ci-après [fig. 5] est une réduction de la structure harmonique de l’Étude pour les Sonorités Opposées. En haut, sont dénombrées sections et mesures ; les deux portées supérieuresaccueillent deux niveaux de réduction des pivots aigus, la troisième portée, une synthèse des accords, et la quatrième, la basse.On peut suivre ainsi le parcours du Sol#/Lab comme constante presque permanente.Au-dessous, figurent les régions tonales : les lettres renvoient au ton local 23. Les mesures vides signifient l’interruption de la fonction, non sa prolongation.

Dans la phase de progression (de A à F), s’installe un environnement tonal “diésé” (que nous symbolisons par “#”): autour de la note-pivot Sol#, l’harmonie oscille entre un très vague Sol#, plutôtMajeur dans A et E, mineur dans C — un mineur pentatonique avec chromatismes mélodiques —, et un Mi Majeur hexatonal plus explicite en D.À cet environnement principal s’oppose une région tonale “bémolisée”, symbolisée dans ce texte par “b” : un nouveau pivot, Sib, à partir de la m. 7, finit par s’installer comme tonique locale (m.12) d’un Sib Majeur/mineur; la simple enharmonisation de la note-pivot Sol# en Lab suffit à l’intégrer au nouveau contexte.On peut assimiler à cette région secondaire la phrase en Fa hexatonal de D (mm. 33-34), et observer la superposition des deux pôles harmoniques Fa#/Fa, à l’anticlimax F, mm. 53-55.Dans la phase de liquidation (de D’ à la fin), la région #, centrée cette fois sur des tons voisins de Mi Majeur (Sol#m/Do#m/Sim) affirme son hégémonie, bien que la région b soit rappeléesubtilement dans l’arpège de la m. 62.La basse est toujours solidaire de la région tonale locale, dont elle exprime le plus souvent la fondamentale (A, E, F, D”), la quinte (B) ou la tierce (D). Dans C et C’, elle monte dans le médium etadopte un dessin mélodique chromatique autour du Fa#, qui représente alors la 7e de l’accord tonique local.

En synthèse, nous assistons tout d’abord à une tension bipolaire entre la région “principale” (#) et la région “secondaire” (b), qui devient ouvertement conflictuelle dans F (simultanéité des deuxrégions) et qui se résout finalement sur # à partir de D’. On le voit, nous sommes bien au sein d’une logique tonale, mais très diluée.On peut toujours discerner, comme le fait par exemple Claude HELFFER 24, ce que D’ INDY appellerait une « grande cadence » V-IV-I, axée sur les pivots Sol# (début), Fa# (à partir de F) et Do#(qui apparaît pour la première fois, seulement m. 68). Mais il s’agit d’une infrastructure tellement diffuse, contrariée par des harmonies si étrangères aux trois degrés qu’elle en perd ce qui serait lafonction essentielle d’une cadence — rendre apparente une structure tonale — et ne peut pas être d’un grand secours pour la description de la dialectique d’oppositions sonores propre à cette pièce26, .DEBUSSY est tellement bien parvenu à « noyer » le ton que celui-ci devient une dimension tout à fait contingente de l’œuvre 27.

fig. 5

Voyons plutôt dans quelle mesure l’articulation des deux régions tonales participe de la formation d’oppositions sonores. Cette articulation apparaît dans la fig. 3 plus haut, signalée par lessymboles # et b.A et B entretiennent une relation d’opposition par symétrie contraire, dans la mesure où A commence de # pour aboutir à b, et où le parcours s’inverse dans B : ensemble, il contribuent à créer unezone de stabilité harmonique. Le couple de sections C et D s’oppose structurellement : # règne seul en C, alors que D connaît une alternance #-b-#; de même E (stabilité dans la région #) versus F

21 Le Septième Prélude du Premier Livre ( … Ce qu’a vu le vent d’Ouest ) peut être lui aussi décrit comme une suite de « textures et de sonorités contrastantes et variées sur une base fixe Fa# » [GERLING 1994, notre traduction].22 On mentionnera en particulier la qualité de ses analyses, sous cet angle, de Des pas sur la neige et de La fille aux cheveux de lin [pp. 309-313].23 Nous utilisons ici le système de notation germanique, où b = Sib, h = Si ; une majuscule indique un accord majeur, une minuscule, un mineur ; pt = échelle pentatonique ; hx = échelle hexatonique.24 1993, Séminaire de Doctorat sur DEBUSSY, IRCAM, Paris.25 1993, Séminaire de Doctorat sur DEBUSSY, IRCAM, Paris.26 Cette macro-structure cadencielle V-IV-I est en outre détectable dans bien d’autres œuvres ( La Terrasse des Audiences …, Le Vent dans la Plaine ,…), ce qui interdit d’en faire un paramètre signifiant pour l’analyse formelle d’uneœuvre en particulier.27 En outre, il est de coutume de ne pas prêter attention, à tort, à certaines configurations délibérément non harmoniques : l’accord de la m. 14 n’acquiert de fonction tonale que si l’on change le Lab en Sol#, ce qui va à l’encontre de ladécision du compositeur.

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(simultanéité de # et b). C et D d’une part, et E et F, sont par conséquent caractérisés par la tension harmonique. Enfin, la permanence de # dans les sections conclusives les regroupe et en fait deszones stables, ce qui les oppose à nouveau au couple antérieur mais les assimile au couple initial A/B. On peut donc conclure que cette logique tonale diffuse maintient une relation linéaire avec leplan macro-formel. Cette relation contribue sans nul doute à la sédimentation formelle de l’Étude. Celle-ci est renforcée en outre par la gestion du matériau mélodique, comme nous allons le voir àprésent.

4. Matériau mélodique

C’est à partir des principes de l’analyse paradigmatique, méthodologie de segmentation proposée par RUWET 1972, qu’a été effectué le relevé du matériau mélodique, présenté [fig. 6]. On rappelleque la procédure consiste à parcourir « la chaîne syntagmatique » — c’est-à-dire la partition, du début à la fin — en plaçant sur le même « axe paradigmatique » vertical les segments qui setrouvent être des répétitions — exactes ou variées — de segments lus précédemment. L’intégralité du matériel motivico-mélodique peut donc être suivie dans la fig. 6 en commençant en haut àgauche, jusqu’en bas à droite 28. La disposition bi-axiale de cette méthode de segmentation rend compte de manière immédiate du nombre de motifs originaux, les “paradigmes”, en parcourantl’axe syntagmatique de gauche à droite, et du nombre et du degré de leurs répétitions/variations (les axes paradigmatiques verticaux).

L’analyse révèle l’existence de cinq motifs paradigmatiques. Le premier, énoncé mm. 4-5, présente la particularité d’être exclusif de la section A, car il ne sera plus jamais repris par la suite.Le deuxième, qui apparaît mm. 7-10, structure les sections B et E. Il prend la forme d’une séquence de petits intervalles (I1, I2 29), d’abord ascendants puis descendants, sur un rythme trochaïque.On le retrouve brièvement, transformé, dans F et D’. On peut considérer que le cinquième et dernier motif mélodique, qui apparaît au cours de la section E, à partir des mm. 42-43, en est unevariation ; en effet, la structure mélodique des deux groupes de motifs possède le même profil convexe et se développe sur la même structure trochaïque.Le troisième motif paradigmatique, qui introduit la section C (m. 15), consiste en une cellule de deux intervalles successifs et descendants, I2-I5. Elle est reprise de multiples fois — précisémentneuf, sous la forme invariante Ré#-Do#-Sol#. Variée, elle s’imbrique dans d’autres motifs, comme c’est le cas aux mm. 33 et sq., (notes Sol-Fa-Ré 30) où elle s’enchaîne à un motif paradigmatiquede la section D. Inversée, on la retrouve dans E (m. 44.2, notes Réx-Mi#-Sol#). C’est aussi le dernier motif mélodique à être entendu (mm. 71-72, Sol-La-Do (Ré)).Enfin, le quatrième motif, peut-être le plus caractérisé, est celui construit sur le ton de Mi pentatonique. Il est utilisé exclusivement dans les sections D, bien que l’on puisse y assimilerpartiellement, comme on le voit sur le graphique, les finales de E ou F.

28 Tout y est transcrit en clé de sol. Certains groupes rythmiques ont été simplifiés. Les chiffres au-dessous ou au-dessus de certains motifs représentent les intervalles constitutifs. La lettre a correspond à des situations sans contourmélodique apparent, comme c’est le cas dans les deux premières mesures, ou les deux dernières. Ces situations se reproduisent quatre fois.29 Les intervalles sont identifiés par la lettre I suivie du nombre de demi-tons.30 La variation est une transposition compressée de l’original, l’intervalle de quarte se trouvant réduit à une tierce mineure.

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Paradigmes:

| 1 | 2 | 3 | 4 | 5 |

Sections fl

fig. 6!: Synopsis du matériau mélodique, classé selon le paradigme de la répétition.

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Chaque paradigme mélodique présente donc des caractéristiques formatives uniques, ce qui l’oppose de facto à ses voisins. Les principaux traits de ces oppositions adjacentes sont résumés dans letableau ci-dessous [fig. 7], où la colonne “paradigme” énumère les motifs mélodico-thématiques paradigmatiques (dans l’ordre de leur apparition, conformément à la fig. 6). D’autres aspects del’écriture mélodique, que nous ne détaillerons pas ici (la registration, la texture, l’articulation), participent également de cette facture différentielle.

PARA-DIGME

ÉCHELLE DIRECTION MODE RYTHMIQUETAUX DEVARIATION

1 diatonique concave ternaire nul2 chromatique convexe trochaïque élevé3 pentatonique descendante binaire régulier moyen4 pentatonique ascendante binaire irrégulier bas5 chromatique convexe trochaïque varié bas

fig. 7!: tableau des oppositions adjacentes du matériau mélodique

La forme par laquelle les différents motifs sont présentés séquentiellement dans la phase ascendante de l’œuvre, de A à D, sans transition, sans préparation, sans téléologie prévisible, multipliel’effet différentiel, malgré quelques similarités contingentes — A et B terminent par des cellules identiques, C et D possèdent en commun des motifs d’accords descendants en noires. À partir de lasection E, qui concentre le développement menant au climax, plus aucun matériau nouveau ne sera utilisé. Des liens mnémoniques commencent à se solidifier. La section E elle-même débute parun motif-timbre analogue à celui qui ouvre la pièce, jetant ainsi un pont avec le début de l’œuvre. Le développement qui suit utilise un motif que l’on peut rapprocher de celui présent dans B. Poursa part, le sommet du développement (mm. 49-50) emprunte l’échelle pentatonale, qui est typique de D, générant ainsi un contraste structurel interne, puisque l’ensemble de E est construit dans unenvironnement chromatique. Les deux motifs de F sont de clairs rappels de E et D, respectivement et alternativement.

Ainsi se dégagent quelques repères dont la fonction mnémonique stabilisatrice est très importante. Ceci est particulièrement vrai pour la cellule génératrice des éléments composant la section C, quiinfiltre de nombreux autres segments de l’œuvre, et qui de ce fait n’est pas loin de ressembler à un motif basique, dans l’acception de SCHŒNBERG ou RÉTI, et pour le thème mélodique en Mi, dontchaque apparition sonne pratiquement comme un refrain.Dans un contexte où toutes les dimensions de l’écriture sont articulées sur un paradigme de discontinuité, la relative invariance et répétitivité d’une bonne partie du matériel motivico-mélodique,créant des balises sonores et temporelles aisément repérables à l’audition et à la mémoire auditive, conjuguée à la bipolarisation harmonique, interviennent comme facteurs de stabilisation del’œuvre, base sur laquelle le jeu des oppositions sonores va pouvoir s’exercer dans toute sa variété, sur les autres composants de l’écriture.

5. Amplitudes et profondeurs

Quant aux intensités à grande échelle, leur articulation reprend les traits typiques debussystes : en dehors d’un pic élevé, coïncidant avec le climax, l’ensemble évolue dans un contexte de faibleintensité. Il est intéressant de constater que DEBUSSY s’est refusé à utiliser les moyens pianistiques de modulation de l’intensité de manière plus systématique, dans cette œuvre qui pourtant s’yprêtait. Il faut souligner cependant le fp du dernier objet 31, lequel, intervenant à la fin et à l’encontre d’un mouvement d’éloignement et de diminution sonores apparemment inéluctable, amorcé dèsla m. 49, provoque une discontinuité d’amplitudes peut-être sans autre exemple dans son œuvre pianistique.On doit à ce propos relever l’introduction dans cette œuvre d’une dimension spatiale, encore que seulement suggérée par des indications textuelles, sans autres précisions pour l’exécution : lasection D commence “lointain”, puis se rapproche. La m. 36 simule même un relief sonore, avec un thème qui s’est rapproché “de plus près”, alors qu’un autre s’éloigne “sempre calando”. Enfin,l’œuvre semble s’éloigner en fade out, jusqu’à la brusque intervention du dernier objet, très près de nous.

6. Sonorités: une analyse quantifiée des oppositions

6.1. Données utilisées

Pour cette analyse, nous avons choisi, dans chaque section, le ou les objets sonores les plus représentatifs de la sonorité et/ou de la dialectique sonore propre à chacune. Ce choix implique, sansdoute, une certaine part de subjectivité. Toutefois nous invitons le lecteur à vérifier qu’il a été guidé par un souci d’évidence et d’économie. Les objets choisis sont indiqués au début de ce chapitre,dans le tableau fig. 2 (dernière colonne). La liste des évaluations retournées par le programme informatique est reproduite [fig. 8], sur deux tableaux, l’un pour le réseau des composants de l’Axe S,l’autre pour celui de l’Axe T et les évaluations synthétiques conjuguées (2 dernières colonnes).

Dans la fig. 9 infra, les valeurs synthétiques obtenues par l’ensemble des interprètes des axes S et T, qui figurent dans l’avant-dernière colonne de la fig. 8b [Col. ((S+T) : 2)], ont été mises encorrélation avec celles de q [Col. q de la fig. 8a]. Dans cette Étude, les valeurs de q représentent essentiellement les propriétés acoustiques invariantes du piano, puisque, à cinq exceptions près(O32 à 35, et O54), la courbe de variation des intensités est si faible qu’elle devient un paramètre très secondaire pour la modification du timbre.Les 25 objets de la sélection, représentés par leur numéro d’ordre, sont, dans la fig. 9, distribués dans l’espace en fonction d’une part de la variable synthétique sommant les évaluations de S et T[Col. ((S+T) : 2)], portée sur l’axe vertical, et de la variable q, portée sur l’axe horizontal. Les objets d’une même section sont reliés entre eux, afin de faciliter la visualisation de la structure desoppositions sonores propre à chacune. Pour différencier les sections, l’apparence graphique des droites de liaison a été individualisée.

La figure suivante [fig. 10] exclue q, mettant en corrélation seulement les variables synthétiques trouvées pour chaque axe, c’est-à-dire les valeurs de S-AXIS (axe vertical) et T-AXIS (axehorizontal). Elle permet de mesurer l’incidence relative de la configuration de l’espace et du temps dans la qualité sonore globale de chaque objet. On constatera rapidement que pour bon nombred’objets, la qualité des oppositions, c’est-à-dire leur position verticale, n’est pas significativement modifiée quand l’on supprime les évaluations des qualités sonores q [cf en particulier les objetsO1, 3, 23, 21, 30, 36, 38, 43, 49 et 50]. On ne s’en étonnera pas trop, puisque l’auteur s’est volontairement privé du recours aux intensités pour moduler significativement les sonorités intrinsèquesdes notes constituant les objets.

31 Nous tendons à analyser cet objet comme un accord f (émis sur le premier temps), complété par des résonances ajoutées d’harmoniques de plus faibles intensités, DEBUSSY anticipant ici MESSIAEN. On notera aussi le pp final, enpratique inexécutable.

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fig. 8!: Liste des évaluations retournées par le programme pour l’Étude pour les Sonorités Opposées

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S + T

q

46 49

fig. 9!: Une représentation bidimensionnelle des degrés d’opposition sonore entre les objets.La position de chaque objet (représenté par un numéro d’ordre) est fonction de la coordination des variables de la valeur de la synthèse S-AXIS/T-AXIS et de celle de q.

s

a x e T

axe

S

fig. 10!: La même représentation, coordonnant S-AXIS (ordonnées)et T-AXIS (abscisses).

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On pourra en conclure que

la réalisation de la structure sonore de l’Étude est dans de nombreux cas générée par les moyens abstraits d’écriture

qui organisent textures, espaces, densités et distributions.

Les seuls changements importants entre les deux graphiques [figs. 9 et 10] sont justement les positions de O35 et O54, et des droites qui les connectent à leurs voisins, parce que ces objets sontceux qui supportent les seules altérations radicales d’intensité 32.

La [fig. 11] est un tableau complémentaire destiné à expliciter les qualités oppositives, seulement apparentes dans les graphiques : on y lit une énumération des composants de l’écriture qui sontprincipalement responsables des oppositions sonores entre paires d’objets voisins, et une quantification du taux de ces oppositions.

paires composantécart composantécart composantécart autres n comp.1/3 ambitus -59 sonance +53 register -50 harmty, s-lin.,

s-density, span7

3/5 harmty -57 q +87 register +33 sonance 45/6 06/8 harmty +33 18/12 harmty -57 s-linearity +53 p-direction+40 register, q, t-lin612/13 s-density +81 harmty +47 s-linearity -39 v-env 413/21 s-density -47 register +34 221/22 t-density -58 harmty -45 222/23 harmty +75 p-direction-52 span +50 s-distribution 423/25 span -81 p-direction+79 s-density -70 325/27 s-density +47 span +46 227/30 p-direction-66 s-density +36 v-env -25 330/35 s-density -40 q +99 235/36 p-direction+53 q -123 236/37 register +59 s-density -40 v-env +23 337/38 038/42 p-direction-59 ambitus -54 q +79 v-env, t-env 542/43 harmty -59 p-direction+58 ambitus +30 343/46 s-linearity -52 harmty +43 p-direction+37 sonance 446/47 p-direction-80 s-density +64 s-linearity +60 347/49 s-density -50 t-dens -48 249/50 p-direction+79 t-lin +36 harmty +31 s-density 450/53 s-density +81 p-direction-57 span +42 s-lin., harmty 553/54 q +238 s-density -83 p-direction+46 span 4

fig. 11!: Les composants responsables des oppositions sonores.

“paires”!: paires d’objets adjacents (de notre sélection)!;“composant”!: composant!;

“écart”!: écart différentiel observé entre les valeurs des deux objets de la paire pour ce composant, calculé!:((nb) - (na) *100)

où a et b sont les deux objets de la paire, et n la valeur correspondante (conformément à la fig. 8)!;écart différentiel conditionnel, en-deçà duquel l’opposition n’est pas jugée assez marquée pour être formellement pertinente!: (0.31), sauf pour V-ENVELOPE!: (0.22).

La liste q du tableau fig. 8a a été préalablement rééchelonnée dans un ambitus de (0) à (1) pour effectuer ce filtrage analytique, mais c’est l’écart réel qui est reporté ici, multiplié par 1000!;“autres”!: autres composants dont l’écart ≤ 0.31.

“n comp.”!: nombre total des composants impliqués dans l’opposition sonore.

6.2. Description des oppositions sonores

Les oppositions macro-structurelles sont la marque la plus prégnante de l’aspect non-linéaire de la forme : l’écart qualitatif entre le dernier événement d’une section et le premier d’une autre peutvarier de la quasi-continuité à la plus dramatique rupture.En entrant dans le détail de la concaténation des sonorités au sein de chaque section, on s’aperçoit que la qualité et la dimension de l’opposition sonore entre deux moments successifs, est le résultatd’une corrélation organisée par le compositeur, entre le nombre de composants sollicités pour la caractériser, et le taux des modifications apportées.C’est sur la base des informations rapportées dans le tableau fig. 10, résultat de l’analyse de la liste générale des évaluation [fig. 8], et des représentations graphiques tridimensionnelles des figs. 9et 10, que nous pourrons interpréter de manière objective la concrétisation du projet compositionnel.

6.2.1. Section A

La section A se caractérise par la présence de deux groupes d’objets en situation d’opposition sonore, respectivement représentés dans notre sélection par O1, et O3-O5 [cf fig.2]. Observonscomment le contraste entre les deux groupes se réalise par des logiques cinétiques contradictoires et complémentaires. En effet, tandis que les fréquences les plus aiguës sont supprimées dudeuxième groupe, résultat des compressions de l’ambitus et de la registration 33, en compensation, les taux d’inharmonicité et de dissonance augmentent, ainsi que la densité. La distributionspatiale, assez linéaire pour O1, où dominent les octaves, se complexifie sensiblement dans O3 et O5 34. Cette dynamique de complexification est appuyée par une légère augmentation d’intensité,surtout sensible pour O5, qui débute au sommet du crescendo (q = 0.186), et une accélération de la vitesse d’occurrence des événements, comme on le constate à l’observation de l’évolution desvaleurs de SPAN, T-DENSITY, T-FILL pour les trois objets [fig. 8].

Cette complexe articulation sonore résulte en une dynamique de réduction de la complexité des sonorités, du début de la section à la fin : la disposition des trois objets dans les espacestridimensionnels des graphes des figs. 9 et 10 le montre bien. Quelques soient les paramètres choisis pour la représentation, O1 se trouve au centre de l’espace, alors que O3 et O5 se rapprochentdes bornes minimales.

Cette diminution n’est cependant pas progressive, elle est au contraire abrupte. Le vaste et immobile espace sonore créé par les objets O1 et O2 est tout à coup, au début de la m. 4, réduit à uneseule note dans le médium. L’essentiel de l’opposition de sonorités dans la section est lié à cette brusque altération des configurations des composants à ce moment-là.

32 D’autres objets accusent une certaine sensibilité à la valeur de q: O5, 6, 8, 23, 42, 46, 47 et 53. En général, pour ces objets, le poids de q en atténue la qualité globale.33 Écart différentiel du taux d’occupation de l’espace entre O1 et O3 : (-59) ; registrations : O1 {1 0 0 5 1 1 1 0}, O3 {0 0 0 5 0 0 0}, O5 {1 0 1 6 0 0 0} . La valeur d’écart différentiel d’AMBITUS est tirée du tableau fig. 11 ; les listes deregistration, de la col. “register-fill” du tableau fig. 8a.34 HARMONICITY : (+33) ; SONANCE : (+53) ; S-DENSITY : (+37) ; S-LINEARITY : O1 (0.24), O3 (0.60), O5 (0.57).

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6.2.2. Sections B et C

Les sections B et C sont contrastées, mais chacun d’elle est placée sous le signe de la continuité sonore. Pour B, ceci est patent jusqu’à la m. 13, et se traduit en particulier par un ambitus et uneregistration identiques jusque là — malgré une petite expansion d’une octave vers l’aigu dans O10, suivie d’une suppression de la ponctuation grave dans O11. Seul l’objet conclusif (O12) présentequelques différences marquées aux niveaux des composants HARMONICITY, S-LINEARITY, et autres [cf. tableau fig. 11], qui rapprochent la conclusion de la section B de celle de A. Construits àpartir du même motif mélodique, dans un environnement harmonique différent, leurs positions géométriques se rejoignent dans les graphes tridimensionnels. La sonorité de O12 est légèrement plusstable que celle de O5, à cause en particulier de la distribution plus harmonique des sons — le Lab étant alors “pris” pour un Sol# 35.

La qualité sonore des objets configurant C est beaucoup plus élevée : on note un écart significatif entre O12, qui conclue B, et le couple O13/O21, premier et dernier objets de C, écart qui se traduitpar la grande distance qui les sépare dans les graphes tridimensionnels. La qualité sonore de ces derniers les place assez haut dans ces représentations, en même temps que la grande stabilité decette qualité au cours de la section les situe pratiquement au même point géométrique, ce qui signifie que toute la section évolue dans un même environnement sonore.Cette plus grande richesse des sonorités de C est due à une forte densité de sons dans un espace restreint, et à une très haute inharmonicité provoquée par la superposition de motifs chromatiques etd’accords parfaits parallèles liés, sur une échelle pentatonale. La pulsation régulière en croches donne aux objets une coupe très linéaire, en même temps qu’une densité d’occupation du tempsmaximale 36. Tous ces composants sont écrits de telle manière que les sonorités résultantes soient radicalement différentes de ce qui a été écouté jusqu’alors.

6.2.3. Section D

Un nouveau saut qualitatif non préparé annonce D, constitué de deux objets successifs, O22 et O23 — O24 étant basiquement une répétition du premier. La variation du taux d’harmonicité, et desdensité et distribution diachroniques des sons, sont les principaux facteurs responsables de cette différence 37. Par contre, la suite d’accords parallèles descendants présente dans O23, et quis’infiltre dans l’objet suivant, entraîne de sensibles altérations de son aspect sonore 38. On s’aperçoit ainsi que malgré une origine motivico-thématique commune, les deux objets constituant cettesection formalisent un très fort contraste de sonorités, par un aller retour entre une complexité moyenne (0.52 pour O22 et O24) et forte (0.71 pour O23). L’objet O23 se situe d’ailleurs au plus hautniveau dans l’espace tridimensionnel des qualités sonores [figs. 9 et 10].

6.2.4. Section E

Ici, trois composants spécifiques de l’axe S de l’écriture des sonorités contribuent à la logique classique du développement thématique — repos/tension/repos : les intensités (velocities), influantdirectement sur les valeurs de q, et l’utilisation de l’espace (SPACE). La [fig. 12] montre l’évolution des courbes de ces composants dans cette section. En ce qui concerne l’espace, il estintéressant de préciser que la distribution dans les registres, représentée dans le tableau fig. 8a (col. register fill), participe aussi de cette construction formelle :

la préparation du climax est accompagnée d’une progressive extension de la registration vers l’aigu, et la liquidation, d’une contraction 39.

O25 O27 O30 O35 O36

,2

,3

,4

,5

,6

,7

,8

,9

1

Velocities (scaled 0-1)qSPACESYNTHESIS

fig. 12!: Courbes d’évolution des variables de quatre composants, dans la Section E. Le composant “velocity” correspond aux indications symboliques d’intensités (les nuances),transcrites sur une échelle numérique linéaire où (0.0) est le silence et (1.0) la nuance ffff [Guigue 1996].

Mais la structure diachronique des sonorités obéit à une logique qui, pour être elle aussi organisée de manière extrêmement cohérente, n’en prend pas moins le contre-pied de l’évolution dudéveloppement du motif et des sonorités dans l’espace et les amplitudes. En effet,

les caractéristiques de l’organisation des sons dans le temps se simplifient au centre de la section — i.e. entre les objets O30 et O35 —, au moment-même où le développement du thème, dessonorités et des amplitudes atteignent leur apogée.

La [fig. 13] représente les composants qui accusent de manière la plus patente cette contre-évolution. La comparaison visuelle entre les figs. 12 et 13 rend compte de la dialectique de l’écriture desaxes S et T dans ce passage. En d’autres termes, l’agitation propre à la création d’un climax au centre de ce développement, se traduit au moyen de structures sonores plus régulières dans leurconfiguration temporelle, et moins directionnelles.

Si donc la structure des objets sonores de la section configure bien, dans son ensemble, un contexte de climax, comme le confirme la courbe en arche produite par SYNTHESIS [représentée fig. 12],il apparaît que celui-ci est obtenu, non par une poussée homogène et unilatérale de l’ensemble des différents composants de l’écriture, mais plutôt par l’aménagement de tensions contradictoiresdans leur articulation.

35 Sur l’importance de ce “détail”, voir note 27. SYNTHESIS pour O5 et O12 : (0.50, 0.46).36 Pour O13, T-LINEARITY (0.0), T-DENSITY (1.0).37 Écarts entre O21 et O22 : HARMONICITY (-45), T-LINEARITY (+13), T-DENSITY (-58).38 Les composants qui souffrent le plus de modifications sont rapportés dans le tableau fig. 11 (paire O22/O23) ; on peut y ajouter S-DENSITY (écart :+29).39 Séquence des registrations utilisées au cours de E : {-3, 0}, {-3,+1}, {-3,+2}, {-3,+1}.

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T-LINEARITYT-DISTRIBUTIONPITCH-DIRECTIONT-ENVELOPE

0

,1

,2

,3

,4

,5

,6

,7

,8

,9

O25 O27 O30 O35 O36

fig.13!: Courbes d’évolution des valeurs de quatre composants de l’axe T, dans la Section E.

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6.2.5. Section F

Le profil général de l’évolution sonore de F dessine une décroissance progressive [cf. figs. 8 ou 9]. Cette décroissance se concrétise dans les composants organisant l’espace, les densités etl’occupation du temps 40. Elle intervient en prolongement de la liquidation de la phase précédente. C’est pourquoi nous l’avons qualifiée d’ “anti-climax” formel.Au point de vue de la structure interne, F connaît une nette rupture de continuité à la m. 57 (O41). Cette particularité la rapproche de la section A. Les ruptures sont très visibles au niveau desambitus, registres, profils directionnels, densités et distributions temporelles. On notera surtout que la séquence O37-O40 occupe le plus vaste espace de la pièce (registres {-3, +3}), accentuantainsi l’effet de contraste produit par la très forte réduction spatiale des mm. 57-58, qui regroupe les deux objets les plus graves de l’Étude (registres {-3, -1}). Cette concentration dans les graves,toutefois, a une incidence positive sur la qualité q des objets 41. Elle contribue à atténuer cet appauvrissement sonore structurel.

6.2.6. Sections de la phase conclusive

Le récitatif “Lento” qui intervient à la fin de D’ est un événement qui, malgré ses affinités motiviques [cf. fig. 6] s’isole de soi-même du contexte sonore de l’Étude, en raison de sa configurationunique. Parmi ses caractéristiques, on soulignera la ligne monodique qui, bien qu’orientée vers l’aigu, reste contenue dans une seule région sonore — le registre {0}. Ce récitatif constitue unedépression sonore sans équivalent dans le reste de la pièce, bien représentée par sa position dans la fig. 10.

0

,2

,4

,6

,8

1

q (scaled 0-1)REGISTERS-LINEARITYHARMONICITYSONANCET-LINEARITYPITCH-DIRECTIONT-DENSITYT-FILL

O13 O47

fig.14!: Comparaison des facteurs d’opposition sonore entre O13 et O47.

050 053 054

S-FILLSPANT-FILLqREGISTERAMBITUS

0

,1,2

,3

,4,5

,6

,7,8

,9

fig. 15!: Courbe de l’évolution des qualités sonores des trois derniers objets sélectionnés, pour les composants mentionnés.

Velocities (scaled 0-1)q

0,1,2,3,4

,5,6,7,8

050 053 054

fig. 16 : idem (autres composants).

Le matériau de C’ provient très clairement de C, et, à l’identité des motifs mélodiques, de la séquence harmonique et de l’intensité, répond l’identité des valeurs trouvées dans les composantsAMBITUS, S-DENSITY, et SPAN. Mais il faut relever comment le compositeur organise cette similitude de forme à constituer des objets aux qualités sonores sensiblement différenciées. Le graphe[fig. 14] résulte de l’analyse comparée de la valeur de toute une série de composants des objets O13 et O47, et la systématique de la transformation dans le sens d’une réduction de la qualité globaleapparaît on ne peut plus clairement.

Si, dans O47, le compositeur accentue l’irrégularité distributionnelle (S- et T-LINEARITY) — par le rajout d’un quatrième son dans les accords, la septième, formant un intervalle de seconde, et parl’arpègement —, l’élargissement de la registration vers l’aigu, accompagnée de la suppression du médium-grave, a pour conséquence principale la réduction de nombreuses autres qualités — enparticulier les taux de dissonance, d’inharmonicité, et de directionnalité. L’ensemble de ces modifications transforme subtilement mais profondément le modèle original. Il aurait été erroné departir de la constatation de l’identité du matériau thématique pour en conclure à l’identité de la situation sonore créée dans C’, par rapport à l’original C.

La séquence de sonorités qui forme la conclusion de l’Étude (à partir de la m. 68, O50) est articulée sur la base d’une dynamique d’oppositions autour d’une sonorité centrale O53. Les acteurs decette dynamique sont représentés [fig. 15].O53 est le produit conjugué de la simplification de certains composants du son — q, AMBITUS, T-FILL — et de la complexification d’autres — REGISTER, S-FILL, SPAN. Cette kinesisdialectique est typique de la richesse des oppositions sonores élaborées dans cette Étude. La registration en est paradigmatique : de O50 à O52, sont seulement utilisés le sous-grave {-3} et le

40 Lire dans le tableau fig. 7 la chute des valeurs entre 037 et 042 pour AMBITUS, REGISTER, SPACE, T-DENSITY, T-FILL, SYNTHESIS, etc., ainsi que la concentration progressive de la registration vers le grave (register-fill).41 La concentration dans le grave a pour effet de diminuer l’écart entre les valeurs finales obtenues pour O38 et O42 — respectivement (0.54) et (0.50) [fig. 8b, col. SYNTHESIS].

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médium {0}. Par contraste, O53 investit exclusivement les aigus ({0, +3}. Finalement, O54 s’étend sur l’ensemble de la tessiture, en évitant toutefois les extrêmes ({-2, +2}). Le résultat de cetteécriture est la position élevée de O53 sur l’axe S.

Toutefois, O54, le dernier objet, possède un attribut d’autant plus marquant que rarement sollicité par DEBUSSY, comme nous l’avons déjà observé : la rupture d’intensité, provoquée par la nuance fnon préparée qui lui est affectée. Cette intensité élevée a des conséquences directes sur sa sonorité intrinsèque [cf. pour cela [fig. 16] 42] et sur sa position qualitative par rapport au contexteimmédiat et à l’ensemble des sonorités en présence dans l’œuvre [cf. figs. 9, 10, 11].Plus qu’un accord de Do# mineur, O54 est un objet sonore doté de qualités fonctionnelles essentielles et inhérentes à sa position finale, dans le cadre d’une forme fermée. La forte intensité et laregistration de l’accord arpégé mettent en vibration tout le clavier. Les résonances harmoniques, très nombreuses dans cette situation — la pédale P est implicitement sollicitée — sont filtrées par lamise en valeur des Si aigus (7e harmonique et divisions). Le résultat est une ultime sonorité sans référent direct dans l’Étude — une dernière sonorité opposée — qui se trouve toutefois reliée sousdivers aspects à différents moments connus, comme une récapitulation achronique des moments stratégiques de la forme.

Tout d’abord, sa configuration verticale, sans éléments motivico-thématiques, l’associe à deux autres moments essentiels de l’expression de la forme — signalés par la lettre a dans la fig. 6 : ledébut de l’œuvre (mm. 1-3) et le début du développement central préparant le climax (mm. 38-39). Sous cet aspect il fonctionne réellement comme une ponctuation finale, d’autant plus que sastructure harmonique est une synthèse de l’environnement tonal sous-jacent de l’Étude. Mais les références vont plus loin : l’intensité f répercute le climax, en même temps que sa présentationarpégée épouse la configuration sonore caractéristique de l’anticlimax (section F). Enfin, les Si aigus en octaves, piano/pianissimo, suspendus dans le temps, peuvent être entendus comme un échodes Sol# du premier objet.

6.3. Observations statistiques complémentaires

La [fig. 17] mentionne les composants qui, par leur taux relativement élevé de complexité (≤ 0.51), contribuent le plus fortement à augmenter la qualité sonore de chacun des objets sélectionnés.Un relevé statistique de ces données, reproduit [fig. 18], montre que les principales caractéristiques qualitatives d’un grand nombre d’objets se définissent par des taux élevés d’inharmonicité et dedissonance, ce qui n’est que l’effet de la vision prospective et de l’audace expérimentale du compositeur, dans son projet d’émancipation de la sonorité. Le bas de la liste est également intéressant,car elle permet de dégager que les composants les plus stables, les plus simples, concernent certains des aspects de la distribution diachronique des événements.

Objetfacteur principalde complexité

taux facteur secondairede complexité

taux autres facteurs

1 span 0.75 ambitus 0.69 harmonicity3 harmonicity 1.00 sonance 0.89 s-linearity5 q 0.186 sonance 0.58 s-linearity6 q 0.202 harmonicity 0.678 harmonicity 1.00 q 0.218 sonance12 sonance 0.82 s-linearity 0.78 p-direction13 s-density 1.00 sonance 0.93 harmonicity21 sonance 0.88 harmonicity 0.70 s-linearity. s-density22 s-linearity 0.76 sonance 0.61 s-density. p-direction.

ambitus23 harmonicity 1.00 span 1.00 s-density. sonance.

s-linearity25 sonance 1.00 p-direction 0.79 harmonicity.

q. ambitus27 sonance 0.81 p-direction 0.77 span. s-density.

harmonicity.ambitus

30 s-density 1.00 sonance 0.78 s-linearity. span.ambitus. q

35 q 0.237 ambitus 0.71 sonance. s-densityregister

36 p-direction 0.77 sonance 0.76 s-density. harmonicity.ambitus. span.

37 register 0.92 ambitus 0.80 sonance. p-direction.harmonicity

38 ambitus 0.77 register 0.75 sonance. harmonicity.p-direction

42 harmonicity 0.78 sonance 0.75 q43 p-direction 0.63 s-linearity 0.56 ambitus46 p-direction 1.00 sonance 0.80 harmonicity47 s-density 1.00 t-density 0.58 sonance. s-linearity49 sonance 0.84 s-linearity 0.62 harmonicity50 harmonicity 0.91 p-direction 0.80 ambitus.

sonance. s-linearity53 s-density 1.00 sonance 0.78 span. harmonicity54 q 0.266 sonance 0.73 ambitus

fig. 17!: Composants dont le taux de complexité pour l’objet concerné, est supérieur à (0.51).La liste des variables de q a été préalablement rééchelonnée dans un ambitus de (0) à (1) pour permettre une comparaison compatible avec les autres listes, mais c’est la valeur réelle, nonrééchelonnée, qui est reportée ici.! Rappelons aussi qu’un taux élevé dans le composant harmonicity signifie, non l’harmonicité de l’objet, mais au contraire son inharmonicité.

composant n stat.sonance 22 41.50!%harmonicity 17 32.07!%ambitus 12 22.64!%s-linearity 11 20.75!%p-direction 09 16.98!%q 07 13.20!%s-density 06 11.32!%span 06 11.32!%register 03 05.66!%t-density 01 01.88!%t-linearity, q-env. et v-env. 00 00.00!%

fig. 18!: Statistiques de la fig. 17.

7. Conclusions

42 La valeur q de O54 (0.266) est la plus élevée de toutes.

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Les données analytiques que nous mettons à jour dans cet essai et dont nous venons d’interpréter celles qui nous ont semblé les plus significatives, sont susceptibles de permettre de vérifierpourquoi et comment cette œuvre, par delà ses qualités plastiques et pianistiques, constitue une synthèse des idéaux compositionnels les plus audacieux de DEBUSSY, et simultanément une sorte depoint de non-retour dans l’histoire des pratiques compositionnelles.

Un des principaux éléments à retenir réside, il nous semble, dans le fait que le matériau motivico-mélodique instaure, par sa relative invariance et/ou redondance, une stabilité formelle à partir delaquelle le jeu des oppositions sonores peut se déployer, dans toute sa puissance et sa variété, sur les autres dimensions.Un autre élément important concerne la faiblesse fonctionnelle du système harmonique sous-jacent, dans un contexte encore tonal — ou, mieux, « non atonal », pour reprendre la suggestiveexpression de PARKS.Ainsi, les dimensions conventionnelles de l’exercice analytique (la syntaxe motivico-thématique, l’harmonie) s’avèrent ne porter que l’aspect le moins intéressant du projet formel qui a guidél’élaboration de cette Étude. Plus que jamais auparavant dans son œuvre ou dans l’histoire de la musique, DEBUSSY expérimente ici le pouvoir formel du son contre celui de la note.

La réalisation de la forme est déterminée par la qualité et la dimension de l’opposition structurelle entre deux Momente sonores successifs, ou entre deux sections, opposition résultant d’unecorrélation organisée d’une manière chaque fois renouvelée, entre le nombre de composants impliqués dans sa caractérisation — textures, espaces, densités, distributions …—, et le taux desmodifications apportées.

Par conséquent, seule une investigation réalisée au moyen d’outils permettant de prendre en compte de manière objective la facture de ces dimensions complexes, est capable de rendre compte desressorts formels d’une telle œuvre. Cet essai s’inscrit dans le cadre d’une praxis analytique où le choix de l’objet sonore plutôt que de la note, comme niveau d’accès à l’œuvre, ne se pose plus entermes d’alternative entre l’empirisme analogique et la rigueur méthodologique.

Dans ce projet extrêmement singulier et novateur que sont les Douze Études, dont l’intérêt musical a mis du temps à être reconnu, DEBUSSY avance sur un terrain alors inexploré, dont on sait àprésent l’importance pour l’évolution de l’esthétique musicale au cours de notre siècle. Il était conscient de la projection de son travail : « J’ai mis beaucoup d’amour et beaucoup de foi dansl’avenir des Études », dit-il dans une lettre à son éditeur 43.Dans l’Étude pour les Sonorités Opposées, il abolit une grande partie des concepts formels classiques, en particulier les règles de cohérence et continuité sonores.Écrite par un compositeur revendiquant une totale liberté de décision et d’actions, cette Étude ne se prête pas facilement à la formalisation analytique. Nous pensons toutefois avoir produit desinformations renouvelées sur ses propriétés immanentes, dans les dimensions où l’expérimentation avec la plastique pianistique s’est exercée de la manière la plus novatrice.

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43 citée par Claude HELFFER en préface de son édition des Études [1991, Durand-Costallat,Paris].