grandes femmes de l’ancien testamentl’Égypte et s’y était installée, avant de fuir devant...

Grandesfemmesdel’AncienTestament

NicoleVray

Grandesfemmesdel’AncienTestament

L’appeletlafoi

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

royaume. Mais à la mort de Salomon, après des conflitsinternes, le royaume est coupé en deux : au nord Israël,avec Samarie comme capitale, et au sud Juda, avecJérusalem pour capitale. Samarie tombe aux mains desAssyriens en 722, puis Jérusalem est vaincue parNabuchodonosorIIen586.LeroiperseCyrus,aprèss’êtreemparédeBabyloneen539,offreauxHébreuxquiavaientété déportés dans cette ville, de rentrer à Jérusalem. Peuchoisirontcettevoie,maisceuxquirentrerontàJérusalemcommenceront à écrire leur histoire, d’où la datation «postexilique»decertainstextesdel’AncienTestament.

Juridiquement, c’est à Babylone que le roi Hammurabi* ainstituéuncode*delois.Davantagequedes loisd’ailleurs,cesontdesentencesetrèglesdevieensociétéqu’ilvas’agir.S’iln’a pas été le premier à établir des codes de vie pour un bonfonctionnementdelasociété–ilenavaitexistéd’autresdèsleIIe millénaire –, ce dernier traditionnellement appelé Coded’Hammurabi est resté le plus célèbre et sans doute le plusabouti.Plustard,avecMoïse,leDécalogueseraditinspirédececodedelois.

C’estégalementainsique,danscettevillericheetcultivée,les Hébreux, qui n’ignoraient rien des croyances polythéistes,seront encore davantage au cœur des récits fondateurs, destraditions anciennes et de l’évolution des religions. En effet,après l’expérience du pharaonAkhénaton et du disque solairecommeseuldieu,puiscelleduroideBabyloneNabonide*avecleculteauseuldieuLune,lesHébreuxonteuconnaissancedumazdéisme*aveclesPerses.Dansleurpanthéon,plushautqueMithra*, dieu du soleil, trône le dieu suprêmeAhura-Mazda*qui n’a pas créé lemondemais l’a organisé, lui-même incréé,

auto-engendré,masculinetfémininàlafois.LesHébreuxrestésàBabyloneconnaîtrontcettenouvellereligion.

Plustard, lesroisperses,CyrusleGrandquiavaitautoriséles Hébreux déportés à rentrer à Jérusalem, Darius Ier* puisXerxès Ier* tentent de maintenir Babylone dans son prestige.Mais lesPerses,à leur tour, sontvaincuspar lesGrecs.D’uneautrecivilisation,AlexandreleGrandpénètreenProche-Orientancien. Il pense faire deBabylone la capitale de son immenseempire. Mais il meurt dans cette ville en 323 ; Grecs puisRomains vont lui succéder. Et si l’histoire événementielle deBabylones’arrêtelà,lemythebabylonienvaprendrelerelaisetrendrelavilleimmortelledanstouteslesimaginations.

Cependant, lepaysdeCanaanvitalors sous ladominationgrecque,elle-mêmebientôtvaincueparlesRomains.Eneffet,en63,Pompées’emparedeJérusalemquisubiraencore,en70denotre ère, les assauts des troupes de Titus. Les dernièresrésistancesseronten73àMassada,laforteressedelariveouestdelamerMorte.LatraditionveutquelesJuifsréfugiéslàaientpréférésedonnerlamortplutôtqu’êtreprisparl’ennemi.PuisceseralarévoltedeBarKohbaen135,lechefdelarésistanceauxRomains,quinéanmoinsn’empêcherapasladestructiondeJérusalem.Ainsi,enCanaan,lepremiersiècledenotreèreest-ilromain, et l’ancienne Judée prend le nom de Palestine. Unpremier siècle qui s’inscrit comme un tournant dans l’histoirepolitiqueetreligieusedupays.

Les Cananéens ont ainsi croisé – et combattu – bien despopulations. Ils se sont enrichis de leurs savoirs, ont apprisd’autresformesdepensée.Pourtant,nombredecespopulationssontdevenuespourlaplupartdesennemiesdèsl’affirmation,delapartdesIsraélites,d’unDieuunique.D’abordavecAbraham

puis avec Moïse, les prémices du monothéisme* fontprogressivementleurapparitionenterrepolythéiste*oùsesontmêléestantdecroyances.Etainsil’histoiredupeuplecananéenseconfondra-t-elleaveccelleduProche-Orientancien,articuléeaveccelledelanouvellefoienunDieuunique.

Aprèsletempsdesorigines,oùlesrécitsdelacréationdelaGenèsesont inspirésdesmythes fondateurs2, se situe le tempsdes patriarches. Abraham, premier patriarche*, est suivi desdeuxautrespatriarches,IsaacetJacob,sesfilsetpetit-fils.IsaacestnédeSaraetAbraham,etJacobestfilsd’IsaacetRébecca.

Pour le professeur Thomas Römer3, Abraham est lepatriarche«œcuménique»pourlejudaïsme,lechristianismeetl’islam.Pour l’islamen effet,Hagar, la servante égyptiennedeSara, a donné naissance à un fils, Ismaël. Celui-ci restantégyptien,ilestégalementporteurdumessagedeDieuet,commeIsaac,engendrera«desnations».Abraham,ancêtredecestroisreligions monothéistes, pose cependant quelques questions,notammentladatationdel’épopéeoulenom,restéinconnu,dupharaon.

Puis, dans le temps de l’Exode, le second personnageimportantpourcedébutdumonothéismeestMoïse4.Légendairedans son histoire dès sa naissance, puis lors de toutes lesaventuresquivont lemenerd’ÉgypteenpaysdeMadian,puisde retour en Égypte. Après l’épisode des « Dix plaies », ildirigeralasortied’ÉgyptedupeupledesHébreuxparlepassagede lamerRouge.Cetévénementa longtempsété rapprochédeHyksos*, population sémite* qui avait envahi le nord del’Égypteets’yétaitinstallée,avantdefuirdevantlesÉgyptiensqui les expulsaient. Mais les problèmes de datation,contradictoires entre le fait sémite et l’histoire égyptienne,

avaientrelevéce jeudemotspossible,et lesensdifférentdes traductions. Ce jeu et cette « vie » traverseront lesmillénairesjusqu’àlaGenèse11.

Auverset 23, cette nouvelle création est définie commeosde [ses] os et chair de [sa] chair par l’être vivant quil’appellerafemme.

Cette«femme»peutdoncsemblersecondeparrapportàlacréationdel’êtrehumain.Maisqu’étaitl’«êtrehumain»?Ilestencore appelé l’« être d’argile », ha adama, l’« argile » enhébreu ; le terme«adam»n’estpasencoreunnompropre telqu’illuiseraattribuéplustardlorsqu’ildeviendra«Adam».Iln’estencoreiciquecettesortedestatuetted’argilefaçonnéeparle Dieu « potier ». Or, dans ce verset, sont écrits pour lapremière fois lesmotsde ish et isha, lepremiervoulantdire«homme, mâle » et le second « femme sexuée ». Il n’est plusquestiond’un«êtrevivant»oud’un«êtred’argile»,maisbiend’un « homme sexué », et la femme n’est pas qu’une autrecréation,elleestune«femmesexuée».Maisilestégalementàremarquer alorsque lemot isha est écrit en premier, et ish ensecond.Sémantiquement,lafemmeapparaîtlapremièredansletexte.Quelleenaétélavolontédurédacteur?Lafemmedoit-elle être représentée la première, comme peut-être uneréminiscencedesdéesses-mèresàl’originedesnaissancesetdela vie ? Plus tard, au chapitre 3,20, cette femme s’appellera «Ève », qui signifie « la vie ». Peut-on y voir une suite à isha,comme l’être premier dans la « création » d’autres êtreshumains12?

Lafindecechapitre2montre l’hommeet lafemmenusetqui n’en avaient pas honte. La réponse en sera donnée aux

versets7et21duchapitre3.

Lechapitre3esttoutentierréservéàlarelationentreDieu,l’homme, la femmeet le serpent.C’est cedernierquiouvre lascèneenétantprésentécommerusé.Ce termemérite attentioncar,enhébreu, la racinedearumest lamêmepourruséetnu.L’homme et la femme s’étaient trouvés nus et voici le serpentrusé. Volonté de l’auteur biblique, qui présente en outre leserpent avec un certain mépris et une méfiance qui ne sedémentiront pas tout au long de son récit ?À cette lecture, etcomptetenudelamêmeracineenhébreupour«rusé»et«nu»,l’ambiguïté est-elle choisiepour lesprotagonistes enprésence,leserpentetlesdeuxêtreshumains?

Laquestionpeutseposerdurôlenégatifduserpent.Certes,il est d’abord dans le Proche-Orient ancien considéré commesacré, qui peut tuer ou guérir, que l’on croitmort et qui revit,symboledel’immortalitéparsaformeenroulée.DansL’Épopéede Gilgamesh, le serpent ne paraît que furtivement, mais defaçon essentielle puisqu’il dérobe à Gilgamesh sa plante del’immortalité.LeserpentdelaGenèseneserapasfurtifmais«rusé»,etsera-t-ilmalveillant?C’estàlafemmequ’ils’adressed’abord et tout leur dialogue jusqu’au verset 5 ne consiste-t-ilpas à faire prendre conscience à la femme de sa possibilitéd’avoir la«connaissance»engoûtantdufruitde l’arbrede laconnaissance?C’estàlafemmeencorequel’astucieuxserpents’évertuera à expliquer que la « désobéissance » n’est pasforcément la mort, mais le savoir. Les rédacteurs hébreux ontdoncdonnéau serpentun rôle important, celuidu« satan»–quisignifieenhébreu«adversaire»ou«accusateur».Danscesens,leserpentest«rusé»,ets’iln’aplussoncaractèresacrédes religions anciennes, il n’est sans doute pas le personnagenégatif,voirenéfaste,quiaétédéfini,maisun«adversaire»qui

rendsoninterlocuteurresponsabledesesréponses.Nénamoins, sous son influence, la femme va goûter de ce

fruitinterdit.Ellequiacomprislestroisqualitésdel’arbredelaconnaissance: lebondanslegoût, lebeaudanslavue,et la«tentation ».Cette tentation était déjàmentionnée dansEnki etNinhursag, où le fait de goûter des fruits dans des butsinavouablesdeséductionétaitsuividesanctions.

Aprèsquelafemmeeutdonnécefruitàl’êtrehumain,son«vis-à-vis », qui l’accepte, la première conséquence du gesteaccompli,malgrélamiseengardedivine,estladécouvertedelanudité, prétexte à éviter la « rencontre » avec Dieu, dans lesversets6-7.Puis,de8à19,cesontlessanctionsenvoyéesparDieu, sur l’être humain, la femme et le serpent. Parmi lespunitions divines, l’auteur biblique a-t-il voulu, au verset 16,annoncerouaffirmerlasupérioritédel’hommesurlafemmeetainsijustifierlepatriarcat?

Au verset 20, la femme est nommée. Elle s’appellera Ève,nomméelapremièreavantl’êtrehumainmasculinunedeuxièmefois.Elledonnera« la vie», donc sera essentielle à la sociétéqui,pourtant,afficheracepatriarcat.

Leverset21répondauverset7,oùDieucouvredetuniqueslesdeuxfautifs.Legesten’estpasanodin,quiprouvelabontéetlepardondeDieucontrairementàlareligionmésopotamienneoù n’existe ni bonté ni pardon divin, le seul devoir des êtreshumains étant l’obéissance sous peine de sanctions, voire demort.Lafinduchapitre,versets22-24,expliquecommentDieureconnaît que les êtres humains auront désormais laconnaissance, mais l’arbre de la vie ne leur sera jamaisaccessible.L’immortalitén’appartientqu’àDieu,commedanslareligion mésopotamienne, et les êtres humains faits d’argileretournerontàlapoussière.Etdoncdèslorsdes«chérubins*»

l’immortalité que Gilgamesh doit trouver est enfouie aufonddeseaux.

Ici,aprèslelongvoyageduserviteurd’Abraham,cesontleshommesmaisaussi lesanimauxquiontbesoind’eau.Rebeccane s’y trompe pas qui, outre donner à boire aux hommes, vapuiserdel’eaupourleschameauxjusqu’àcequ’ilsaienttousbu25.

Le serviteur d’Abraham remarque vite cette générosité etcetteattentiondeRébecca,etsonchoixseravitefait:elleseral’époused’Isaac.Levieilhommes’apprêtedoncàlapratiquedel’endogamiequiconsisteàscelleruneuniondansunmêmeclan.Faire partie de la même famille, outre les questions toujoursdélicates de patrimoine, permet d’éviter qu’une femme «étrangère » introduise d’autres traditions, voire d’autres dieux.CelaseproduiralorsqueÉsaüépouseradesfemmeshittitesquirendrontlavieamèreàJacobetRébecca26.

LaréponsedeRébecca :J’irai,d’un ton ferme,nepouvaitégalement que plaire au serviteur. La jeune femme fait preuved’assurance et de personnalité. Répond-elle à un « appel » ?Connaissantlecland’Abraham,elleasansdoutecomprisàquelavenirelleestpromise.Etelle«va»,ellequittesafamillepourrejoindrecelled’Isaac.

Le chapitre 25 comporte plusieurs passages différents,commejuxtaposés.Lamortd’Abrahamestsuiviedelapostéritéd’Ismaëlavantquelerécitnereprennel’histoiredeRébecca.Leproblèmedesagrossesseestlepremierpointabordé,suividelaprièred’Isaac.Lecoupleestexaucé,maislesjumeauxannoncésportentdéjàunmessagerévéléparDieuàRébecca:Ilyadeux

nationsdanstonventre,deuxpeuplesdistinctsnaîtrontdetoi.L’un sera plus fort que l’autre, l’aîné suivra le plus jeune27.Pourl’heureincompréhensible,laprédictionseferaréelle.

Les enfants seront différents, le premier-né, Ésaü28, et lesecond, Jacob, qui usurpera le droit d’aînesse de son frère, etainsi le« supplantera»,d’où ladeuxièmesignificationde sonnom, « supplanter ». Chacun des enfants sera plus attaché aupèrequ’à lamère.Ésaü représente-t-ilpour Isaac la forceet lavirilité ? Et Jacob est-il le préféré de Rébecca parce que plusfragile et calme ? C’est lui, néanmoins, qui négociera le droitd’aînessedesonfrèrepourunplatdelentilles.Pourêtrecalme,n’en est-il pasmoins un bon négociateur ? Et Ésaü, dans sescomportements quelque peu frustes, ne manque-t-il paségalementderéflexion,ouest-iltropconfiant?

Suitalors,danslechapitre26,l’épisodedesPhilistins,parailleurs anachronique selon l’histoire, les Philistins ne s’étantétablisausuddeCanaanqu’àl’époquedesJuges.

IsaacressembleiciàsonpèrequiavaitfaitpasserSarapoursasœurauprèsdupharaon:ilvaproposeràRébeccadeprendreelle aussi le titre de « sœur » pour Abimélek, le roi desPhilistins, ce qu’elle accepte. Et, comme pour Abraham,l’histoireaune finheureusequandAbimélekapprend lavéritésanscolère.

Lechapitre27estconsacréàRébeccaetàJacob.Rusedelamère et jeu du fils. Rébecca, craignant qu’Isaac ne meure,souhaite le voir bénir Jacob. Or la bénédiction paternelles’exercesur l’aîné.Rébeccavadonctrouverunmoyendefairebénir son second fils, Jacob : elle le couvre de peaux dechevreaux de telle sorte qu’Isaac, presque aveugle, croit

reconnaîtreÉsaü.LeplanfonctionneetJacobestbéni.Ruseetappropriation d’un droit ? Au-delà de cet étrange jeu, labénédiction du père voulue par Rébecca a valeur symbolique.Elle est lemiroirde la filiationdivineetdumessagedeDieu.Rébecca,parsavolontéetsonautorité,jouelerôled’unemèreprêteàtout.Elleaorientélapromessedivine,parlabénédictiondupèresurJacobqui,defait,devientàlafoishéritieretporteurdecettepromesse.

Maissitoutaétéprévu,ets’estaccompli,resteincontrôléela colère d’Ésaü qui découvre la supercherie en rentrant de lachasse, et avec lui Isaac.Cependant,malgré ses supplications,Ésaü ne pourra recevoir de bénédiction de son père. Maispersonne ne semble en vouloir à Rébecca, père et fils nesavaient-ilspas son rôle?Et Jacobdevra fuir lacolèrede sonfrère, qu’il aura trompé deux fois, pour son droit d’aînesse etpourlabénédiction.

Le chapitre 28 s’ouvre sur les adieux d’Isaac à Jacob quis’apprête à quitter le clan devant la colère de son frère. IsaacréitèreàJacobsesmisesengarde,luirecommandantd’épouserune femme de leur parenté. Ésaü l’apprenant, lui qui avaitépousé des femmes hittites, décide de s’unir avec une autrefemmedeleurclan,ceseralafilled’Ismaël.

Cechapitresetermineaveclerêvedel’échelledeJacob,oùDieuluiapparaîtpourlapremièrefois,etoùsabénédictionestconfirmée.

Aux chapitres 29 et 30, de « trompeur » Jacob deviendratrompé à son tour, mais sera réconforté. En effet, il quitte safamilleetseretrouverachezLaban.C’estcedernierquiduperaJacob en« échangeant »Rachel pourLéa, et enobligeant songendreà travaillerseptanssupplémentaires.Néanmoins,Jacob

Rappeldel’histoiredeJacob

Jacob est le second jumeau, après Ésaü, d’Isaac et deRebecca. Il deviendra « Israël » après son « combat avecDieu », comme le dit l’étymologie de son nouveau nom.Jacob épouse Léa puis Rachel, et de cette dernière naîtJoseph, le onzième des douze fils de Jacob. Après denombreuses aventures, notamment avec ses frères, JosephfuiraenÉgypteoùilserabientôtappréciédupharaon,enparticulierpourl’interprétationdesrêves.MaisdeCanaan,où une famine a sévi, la famille de Joseph émigre versl’Égypteégalement,oùleclansereconstitueraàlamortdeJoseph.

Ainsilelivredel’Exodedébute-t-il,aprèslagénéalogie,parlamort de Joseph et l’arrivée d’un nouveau pharaon. Celui-cicraintlasupérioritédémographiquedesHébreux,dontlegrandnombre avait été annoncé par Abraham, pour la sécurité del’Égypte.

Ce pharaon prend deux décisions. La première est decontraindrecettepopulationàdestravauxforcés,lasecondeestlamortannoncéedesgarçonsnouveau-nés,maispasdesfilles.Pour ce faire, il convoque d’abord les sages-femmes desHébreux.Faitdéjàétonnant:unpharaonquisollicitedessages-femmes. Et puis, sont-elles israélites ou égyptiennes ? Leursnomspeuvent-ilsêtrerévélateurs?Lepremier,Shifra,n’apparaîtqu’uneseulefois,commeunhapax*,danslaBiblehébraïque,etn’est pas non plus attesté dans des documents égyptiens. Laseconde sage-femme s’appelle Poua, également un hapax, quiseraitunnomougaritique.

LacraintequecesfemmesontdeDieu,aundoubleaspect:soit elles le craignent parce qu’elles appartiennent au peuplehébreudeDieu,soitellessontégyptiennes,doncpaïennes,maiselles ont quandmême peur d’unDieu qu’elles ne connaissentpas.

Les sages-femmes n’obéissent donc pas au pharaon, etlorsque celui-ci leur demande de s’expliquer, elles répondentquelesfemmesdesHébreuxnesontpascommelesÉgyptiennes–celles-ciétaient-ellesplusfragilesouplusfaibles?–,qu’ellessontpleinesdevieetqu’ellesaccouchentavantl’arrivéedelasage-femme39.ShifraetPouasesont révéléesastucieuses,à lafoispourellesetpourlesnouveau-nésqu’ellesontainsisauvésdeleurmortannoncée.

Lessages-femmesontprouvél’intelligence«diplomatique»quiétait indispensableà leursurvieetàcelledesHébreux.Lepharaonne leuren tiendrapas rigueuretDieu leurdonnaunedescendance,ouunefamille.Àqui?«Leur»signifie-t-ilauxsages-femmes ainsi récompensées par Dieu, Dieu familier siellessontisraélites,ouDieuétrangersiellessontpaïennes?Oubien s’agit-il dupeuplehébreuqui, grâce aux sages-femmes, aétéépargné?

Unautrecomportementde«survie»poursauverl’undecesgarçons nouveau-nés se trouve encore dansExode 2,1-10.CarPharaonmaintient son ordre. Alors quand, dans la maison deLévi,ungarçonvoit le jour, lamèren’adecessede le sauver.Personnen’estnommé.Ilnes’agiticiqued’unbelenfantetdesamère.Elle l’a cachépendant troismois et doit à présent seséparerdeluisielleneveutpaslevoirexécutéparleshommesdupharaon.

Elle le couche dans une boîte40 enduite de bitume qu’elle

dépose au bord du Nil, cachée dans les joncs. Non loin unefilletteobservelascène,lasœurdel’enfant.Ellenonplusn’estpas nommée, qui sera plus tardMiryam.Les filles ne tombantpas sous l’ordre dupharaon, le garçonnouveau-népeut-il êtrealorsconsidérécomme«premier-né»?Est-elle l’aînéecar,auverset8,lafilletteseraenhébreu«alema»,«nubile»,oubienest-ceAaron,lefrère?

Une autre femme intervient alors, la fille du pharaonaccompagnéedesesservantes.Elleaperçoitlaboîte/berceau,lafaitrécupérerparl’unedesesservantes,l’ouvreetvoitl’enfantqui pleure. S’ensuit une saynète où toutes ces femmes ont unrôle à jouer. La fille du pharaon reconnaît l’enfant comme unpetit Hébreu. Comment ? La jeune fille égyptienne a-t-elleobservé que la « boîte » est enduite de bitume et de poix, lebitumeétant traditionnellementutilisépar lesHébreux?Oulafilledupharaon,sachantl’ordrequiaétédonnédetuertouslesnouveau-néshébreux,déduit-elle rapidementqu’unbébécachédansuneboîtedérivantsurlefleuvenepeutêtrequel’undecespetitscondamnésàmortquel’onavoulusauver?Carl’absencede circoncision du bébé, comme l’expliquera la suite del’histoiredeMoïse,n’estd’aucuneaideoudéduction.

Et voici la sœur du nourrisson, témoin de la scène, quiproposeàlaprincesse,enluiparlantlibrement,voired’égaleàégale,detrouverunenourrice.Ceseralamère,toujoursprésenteici,quiseralanourricedesonpropreenfant.Elleenrecevraunsalaire,puisl’enfantsevréserarenduàlafilledupharaon.Lesservanteségyptiennesnedoiventpasêtreoubliées,dontiln’estplus fait mention dans le textemais qui, logiquement, ont dûobservercequis’estpasséetpromettrepeut-êtredesetaire.

Cesquatrecourtsversets,de5à9,nesontpasquelesimple

précisémentposelaquestiondel’hospitalitéenProche-Orient.Par tradition,Siserapeut sepenserà l’abri,dèsqu’ilaété

reçuparYaél.Orcelle-cisera«bénie»pouravoirfrappéàmortl’hôte de passage. La coutume ancestrale disparaît derrière lavolonté divine révélée par la prophétie. Sisera n’est pas un «hôte » mais un ennemi des Israélites, donc du Dieu d’Israël.Selon une autre interprétation, c’estDieu qui se bat pour sonpeuple, par un intermédiaire choisi62, ici à la fois Débora etYaél.

Le cycle « désobéissance, punition, repentir, interventiondivine et arrivée du Juge » doit être respecté. Yaél est lepersonnagequiagirapourleJuge/prophètequ’estDébora.C’estellequiaccomplitpleinementl’actesalvateur,fût-illamortd’unhomme.

Les femmes ennemies subissent le même sort. Notammentlesdeuxfemmes,toutesdeuxphilistines,danslaviedeSamson,sonépouseetDalila.Lapremièreseraexécutéeparsonpropreentourage ; la seconde a séduit Samson. Le grand Juge luiavouera le secret de sa forcequi est dans sa longue chevelure,sera capturé par les Philistins, amis de Dalila, et réduit enesclavage.Maissescheveuxayantrepoussé,Samsonretrouvesaforce inégalable et détruira le palais où les Philistins étaientréunis. Ilmet ainsi àmort tous ses ennemis, sans doute aussiDalila qui ne reparaît jamais. Lui-même sera enseveli sous lesdécombres.

Enfin, la religionmésopotamienne ne peut sans doute pasêtre oubliée ou exclue chez les Hébreux. Dans les croyancesanciennes répandues dans tout le Proche-Orient ancien, ladésobéissance des êtres humains aux divinités était toujourssanctionnée. Ils étaient alors touchés de diverses punitions,maladies,échecsdesguerres,morts.

AvecleDieud’Israëlunchangementprofondalieu,carlesdésobéissants aurontuneautrechancede se racheter auxyeuxdeDieu.

Lesmythesanciensnesontpasperdusmaisadaptésparlesrédacteursdel’AncienTestament.Cette«chance»accordéeparDieuauxhommessignifie la ruptureentre la religionancienneetlanouvelle.

Ainsi,dans le livredes Juges, s’articulent inextricablementlesmythes,lespeursancestralesetlavolontéd’unenouvellefoienDieu.C’estpourquoilesrédacteurschoisirontd’exposerdesactionsréellesoulégendairesdehérosquiresteraientimmortels.Ici,deuxfemmes:DéboraetYaél.

RUTH

LivredeRuth

Lafaminepoussesouventlespopulationsàémigrer.C’estlecas de la famille de Noémi qui, de Bethléem, décide de sediriger vers le pays de Moab où tous s’établissent. L’histoireserait banale si d’autres éléments ne venaient l’enrichir. CarNoémi, mariée à Elimélek, est mère de deux fils. Arrivés enMoab, les deux frères épousent des Moabites. Mais le sorts’acharne sur la famille et bientôt le mari et les deux fils deNoémimeurent. Se retrouvant seule et sans ressources,NoémipenseàretourneràBethléem.

Sadécisionprise,elledonnelechoixàsesdeuxbelles-fillesde partir avec elle ou de rester enMoab.L’une d’elles refuse,préférantcontinueràvivredanssonpays.Lasecondeacceptedequitter sa terre natale et décide de suivre sa belle-mère. Elles’appelleRuth.

DeretourenCanaan,lapauvretéestcependantencorelelotdesdeuxfemmes.AinsiRuthira-t-elleglaner,ainsiqu’ilestdetradition,dansunchampqui s’avère appartenir àunparentdeNoémi,Booz,lui-mêmedescendantdePerets,filsdeTamar(Rt4,18-21).VoyantRuthglaner,Boozesttouchéparsagrâce,soncouragepour un travail peugratifiant, et sonhumilité.Noémi,inquiètepourl’avenirdeRuth,comprendl’attachementpossibledeBoozpourlajeuneveuveàquiellevadoncdonnerquelquesconseilsdontl’objectifestuneunionavecBooz.

Ruth suit ces conseils, et se passe notamment la scène,restée célèbre et immortalisée, de Ruth qui passe la nuit auxpieds de Booz endormi. La découvrant en se réveillant, il

Jérusalem,oùtoussesamissontréunis.Nathan,quil’aappris,eninformeBethsabée,quilerapporteàDavid.Levieuxroifaitalorsrapidementsacrersonfilsparunprêtre.IlpeutalorsfairereconnaîtreetacclamerSalomoncommesonfutursuccesseur.

Néanmoins, à la mort de David, Adonias reprend sesrevendicationsroyalesetpensearriveràsesfinsendemandantàépouser la dernière épousedeDavid.Lui serait alors confirmédéfinitivementletitredesuccesseurduroidéfunt.Bethsabée–innocente ou rusée ? – donne son accord mais en informeSalomon.Lestratagèmed’AdoniasestvitedémasquéetAdoniassera exécuté sur les ordres de Salomon. Désormais, rien nipersonnenepourracontesterlaroyautéàSalomon,filsdeDavidetBethsabée.

Cetépisodede l’interventiondeBethsabéefaceàSalomonestrelatédans1Rois2,13-25.Leroiàlalégendairesagesseserévèle ici être sûr de sa légitimité, de son pouvoir et de sadécisiondemettresonfrèreàmort.

La question reste entière quant à l’attitude de Bethsabéedont le rédacteur ne dit rien d’autre que les paroles qu’elleauraitadresséesàSalomon.

La datation de la rédaction de ces chapitres est donnéeaujourd’hui pour être probablement postexilique, même simœurs anciennes, légendes et traditionoralenepeuvent y êtreétrangères.

Les objectifs des rédacteurs se devinent. David est le roidontlepeupled’Israëlavaitbesoin.RoiinvestiparDieuetquisauraconserverlebienleplusprécieux,lecoffredel’Alliance.Lescomplexitéspolitiques,lesguerres,lesmeurtresetl’adultèresont oubliés. Ne reste qu’un roi sage qui danse devant lesanctuaireducoffredel’AllianceàJérusalem,roirepentidesafauteetdontlefilslégitimenédeBethsabéeluisuccédera.

L’histoire de David et Bethsabée s’inscrit comme unaboutissement dans la construction à la fois historique,légendaireet idéologiquevoulueparlesrédacteursdel’AncienTestament.Dansceschapitres,à teneurpour lesunsépique,etpourd’autresplustraditionnelle,l’ancienneMésopotamieresteencore sous-jacente. La mort du premier enfant adultérin estbiencompriseparDavid, et expliquéeparNathan, commeunesanction divine. Tandis que le fils légitime, qui est comme laréponse au pardon accordé par Dieu après l’union légitimée,seraunebénédiction.Traditionnellementappelé«Salomon»,«le pacifique », l’enfant par l’intermédiaire de Nathan leprophète (sera nommé) Yedidia, Bien-Aimé du Seigneur, àcauseduSeigneur75.

Car après le fait essentiel de l’avènement de David à lamonarchie, l’installation à Jérusalem et la protection du coffrede l’Alliance, il va s’agir à présent de Salomon, le fils etsuccesseur.

Par le jeudesgénéalogies, à partir deDavid etBethsabée,un autre enfant naîtra, quelque plus de mille ans plus tard, àBethléem : Jésus.C’est dans cemême petit village queDavidavaitreçul’onctiondeSamuel76.Ainsi,commeparunebouclesacrée, l’histoire théologique s’est nouée. Par le biais desamoursdeDavidetBethsabée.

LAREINEDESABA

1Rois10,1-13;2Chroniques9,1-12

L’histoire est banale. Une rencontre a lieu entre deuxsouverains,unroietunereine,aussipuissantsetrichesl’unquel’autre : le roi Salomon et la reine de Saba. La rencontrecommence par un jeu, celui des énigmes, suivi de la visite dupalais, d’un festin, de cadeaux et de bénédictions, faitstraditionnelsalorsdanscescivilisations.Puisàlafindetoutescesfestivités,lareinerepart.Findel’histoire.

Danscecourtrécitdequelquesversets,apparemmentbanal,se posent un certain nombre de questions et la curiosité estéveillée.

Tout d’abord, c’est une femme qui rend visite à un roi.Souveraine d’un pays bien lointain, du sud de l’Arabie, leroyaumedeSaba.La reine semblenevouloir rencontrer ce roique par pure curiosité de sa sagesse, dont la réputation estarrivée jusqu’aux confins de l’Arabie. Pour cette seulerencontre, elle n’hésite donc pas à décider d’un long voyagejusqu’àJérusalem,villedéjàreconnuepourleTemplequeleroiSalomon a fait construire. Temple pour un Dieu que la reinepaïenneneconnaîtpas,fidèledesnombreusesdivinitésadoréesdanssonpays.

Tout se déroule comme prévu dès l’arrivée de la reine, etjusqu’àsondépartlesdifférentsmomentsàpeinedécritsdansletextebibliquerecèlentpourtantdesaspectsàlafoishistoriqueset théologiques : le choix de cette reine d’un royaume silointain, sa supposée curiosité du roi, sa découverte du Dieud’Israël, son départ rapide après une visite qui l’avait été tout

présenté comme Assyrien, mais peut-être est-il aussi l’imaged’Antiochus IV (175-164) ? Le nom deHolopherne est perse.Est-il l’image du frère du satrapeAriarathe deCappadoce ? Ilétait supposé avoir fait partie de l’expédition d’Atraxerxés III.Cedernier,de351à341,avaitconquisl’Égypteetpouvaitavoirparticipé aux combats contre les Hébreux dont des groupess’étaient révoltés contre les Perses90. La géographie même dulieu où se déroule l’histoire est confuse. Où est Bétulie ?Traditionnellement située en Samarie du Nord, proche desplainesd’Esdrelonoud’Yizréél91?

Enbref,denombreuxdoutes font renonceràconsidérercetextecommehistoriqueetpencherversd’autresinterprétations.

Le livre de Judith est-il un roman tissé de réminiscencesgréco-orientales ? Ou bien est-elle proche d’une allégorie ?Mêlant aussi des traditions anciennes, que signifient alors lecélibat et le non-remariage de Judith, car il était quasimentimpossible qu’une veuve restât seule et sans famille ?Et danscette supposée allégorie fallait-il tant de violence ? Et toutd’abord,quiestJudith?

Elle est présentée comme une héroïne, dotée d’une longuegénéalogie, veuve de Manassé, riche, pieuse et il n’y avaitpersonneàcolportersurelledemauvaispropos92.

Sonnom,donnéaulivrebibliqueetquiveutdire«juive»,signifie bien qu’elle sera le personnage principal des seizechapitres. L’arrivée en scène de Judith présente d’ailleurs unecoupure du texte en deux parties égales de chacune huitchapitres.Lapremièreétaitl’expositiondelasituationdupayssous la domination de leurs ennemis dont le chef estHolopherne, tandisquelaseconden’estconsacréequ’àJudith,débutantavecsaprésentationetseterminantaveclecantiquede

Judith,avantlesquelquesversetsfinauxexpliquantlafindesavie,toujoursnonmariée,pieuseetgénéreuse.

LerôledeJudith,au-delàduseulassassinatd’Holopherne,auraétédepersonnifierunactehéroïquesymbolique.Éliminerlegénéralennemidevantquitremblenttouteslespopulationsetmême les armées, équivaut à sauver le peuple entier. À lepréserver du roi-tyran qui se fait appeler maître de toute laterre93, s’assimilant lui-même à un dieu, et représentant ainsiunemenacesupplémentairepourlesHébreux.

DansBétulieendangeretleshabitantsmenacés,devantleshésitations et lemanquede couragedeshommesquiontpeur,tremblant pour le Temple de Jérusalem, Judith décide d’agir.Seuleetdéterminée,ellenedonnepasd’autresexplicationsauxhommesquineluidemandentquedeprier,cardèsledébutde(sa)vie,toutlepeupleareconnu(son)intelligenceetlabontédespenchants(deson)cœur94.

Quepourraient d’ailleurs supposer les habitants ?Tentent-ilsdedevinercequecettefemmepeutavoirentête lorsqu’ellelesharanguedanslechapitre8:aprèslesreproches(11-15),elleleur reproche d’avoir traitéDieu comme un homme (16), puisellelesinviteàprier(17-20),avantdecomparerBétulieàtoutlepays(21-24),pourenfinleurexpliquerl’épreuvequeDieuleurenvoieetqu’ilfautsurmonter(25-27).Laréponsedeshommesseradeluidemanderdeprier,ceàquoiJudithannoncequ’elleferaune action qui parviendra aux fils de notre race jusqu’àdes générations de générations […] mais vous, ne vousenquérez pas de mes agissements, car je ne vous dirai rienjusqu’àcequesoitachevécequejefais95.

À ces paroles énigmatiques qui pourraient piquer leur

curiosité, ils ne répondent seulement qu’en renouvelant laconfiancequ’ilsontenelleetenDieu.

Dans sa longue prière qui suit, au chapitre 9, Judith sesouvient des interventions deDieu, de l’orgueil et de la forcedes Assyriens dénués de foi en Dieu, pour enfin demander àDieu de l’aider. Elle sera l’intermédiaire entre Dieu et leshommes, le « bras » de Dieu pour sauver son peuple. Si leshommes de Bétulie avaient mieux écouté, ils auraient pu êtreinterpelléspar lesparolesdeJudithadresséesàDieu, toujoursénigmatiquesmaisaussiquelquepeuplussuggestives:Donneàmamain de veuve la force que j’aiméditée. Frappe parmeslèvres trompeuses l’esclaveàcôtéduchefet lechefàcôtédeson serviteur, broie leur haute taille par unemain de femme.[…]Exaucemaprièreetfaisquemaparoletrompeuseblesseetmeurtrisse ceux qui ont fait de durs projets contre tonalliance96…

C’estalorsqueJudithmetsonplanenroute.Encinqétapes.LapremièreconsisteàseprépareretàquitterBétulie.Elleestsibelle qu’elle fait l’admiration de tous qui, sans autrecommentaire ni inquiétude apparente, la voient décidée à sediriger,accompagnéedesaservante,verslecampennemi.Va-t-elle négocier avecHolopherne ?Avec quels arguments ? Sansposer de questions, les hommes se contentent de la regarderjusqu’à ce qu’elle eût descendu la montagne et traversé levallon,puisilsnelavirentplus97.

La deuxième étape fait arriver Judith à l’avant-poste desAssyriens.Ellepourrait se sentir endangermaiscequ’elleditauxsoldatslesconvaincdesabonnefoi:informerHolophernedelameilleurefaçondevaincredéfinitivementlesHébreux.Les

Juda, Rahab la prostituée, Ruth la Moabite l’étrangère, etBethsabée«lafemmed’Urie»d’abordadultèreavantd’épouserDavid. Sans douteMatthieu veut-il exprimer par là que Jésuss’enracine dans le péché du peuple qu’il sauvera, et qu’il vaporter à travers ce même peuple le péché de tous leshommes108. De même, présenter ces femmes dont, pourcertaines,onseraittentédedouterdel’exemplaritéavantd’avoircomprislafinalitédeleursgestes,signifieprécisémentqu’ellessont témoins de la bonté de Dieu et de la volonté del’universalitédumessagedivin.

AinsiMatthieu ouvre-t-il son évangile par cette généalogietandisqueLuc,quiprésenteaussiunegénéalogie,laplacedansle troisième chapitre de son évangile, et sans les femmes.Uneautre différence existe encore entre les deux évangélistes :Matthieu commence par David et Abraham, quand Luccommencepar Joseph.Néanmoins, pour les deux évangélistes,la question de l’engendrement est soulignée, qui signifie labénédictiondivinetransmiseàtraverslesgénérations.

D’aprèslesdatesdelachronologiedel’histoireetcellesdurecensement,Marie serait née dans les temps dits de l’AncienTestament,vers21ou18.Néeetélevéedanscestemps,elleestnourriesansdoutedecetteculture.Etcequiseraditàsonsujet–etcequ’ellevivra–enserasouventuntémoignage.Marienepeut ignorer les coutumes et les traditions de l’AncienTestament, la célébration des fêtes et notamment le pèlerinageannuel à Jérusalemqu’elle effectuera avec Joseph et Jésus (Lc2,41), la circoncision ou le rite de purification aprèsl’accouchement.

Ainsi,malgrélesdifficultésénoncées,descaractéristiquesetdes similitudes avec l’Ancien Testament peuvent-elles être

décelées.Tout d’abord, « l’annonciation » est adressée en premier à

Joseph dans l’évangile de Matthieu (Mt 1,18-25), commeAbraham aussi avait été averti d’un fils à naître de Sara (Gn18,9-10).PuisMatthieumontreledésarroideJosephqui,selonles lois traditionnelles, devrait répudier la femme adultère (Dt22,22-24). Mais Joseph acceptera l’annonce et l’explicationdonnée par l’« ange du Seigneur ». En revanche, Luc nementionnerariendecesfaits.

Pour Marie, l’annonciation n’est-elle pas un appel ? Lemême que les femmes étudiées ici, et qui ont précédéMarie,avaient entendu et auquel elles avaient répondu ? L’«annonciation»n’est-ellepasenmêmetempsun«appel»etunepromesse ? La réponse de l’adolescente à l’ange est uneacceptation(Lc1,26-38),lejeuneSamuelavaitrépondupresquedanslesmêmestermes109.

LavisiteensuitequerendMarieàsacousineÉlisabeth,estplusqu’unesimplerencontrededeuxcousines,enceintestouteslesdeux,ettoutesdeuxdefaçoninexpliquée,Élisabethn’étantplusenâged’enfanter,etMarie«vierge».CequideviendraleMagnificat, premier mot du chant en latin, est la réponse deMarie à sa cousine, en vérité une confession de foi etd’obéissance à la volonté de Dieu110. Ce Magnificat sonnecomme une réplique du cantique d’Anne dans l’AncienTestament111,commeuneseconderéponseàl’appel.

Eneffet, ne retrouve-t-onpasdansLc1,51, les accentsdupsaume 118,15-16 qui célèbrent la force et la puissance deDieu?Puis, dansLc1,54, le« souvenir», la«mémoire»deDieufidèleàsapromessecommepar lepasséfaceàNoéouàMoïse?

Ainsi Marie, dans son chant, rend-elle grâces pour la «continuitédespromessesfaitesàAbraham112»et,commedansle chant d’Anne, dans le Livre de Samuel (1 S 2,1-10), Dieurétablitjusticeetéquité.

Marieneprononcerapasd’autresparoles,nisouslaplumede Matthieu ni sous celle de Luc. Ce dernier précisera queMarie, notamment lors de la visite des bergers (Lc 2,19),retenaittoutesceschosesetyréfléchissait,maisseullesilencesouligné par Luc, sans commentaire, et qui n’appartient qu’àMarie et la distingue du reste de la scène, entoure lamère etl’enfant.

LecardinaldeBérulleauXVIIesiècleécrira:LepartagedelaViergeestd’êtredanslesilence.C’estsonétat,c’estsavoie,c’est sa vie. Sa vie est une vie de silencequi adore laParoleéternelle… Et sa vie se passe ainsi de silence en silence, desilenced’adorationen silencede transformation…Cesilencede la Vierge n’est pas un silence de bégaiement etd’impuissance,c’estunsilencedelumièreetderavissement…Aussi est-ce unemerveille de voir que tout lemonde parle etqueMarieneparlepoint.Lesangesparlentetentreeux-mêmeset aux bergers, et Marie est en silence. Les rois arrivent,courent et fontparler.EtMarie est en retraite et en silence…Voicil’étatetl’occupationdelaVierge113.

Ainsilesévangélistesnesont-ilsjamaisloindelacultureduProche-Orientancien,desamémoireetdesesréminiscences.

Des naissances «miraculeuses » se sont souvent produitesdans le Proche-Orient ancien. Femmes stériles ou trop âgées,femmes enceintes alors qu’elles avaient abandonné tout espoird’enfanterontsouventétérencontréesdansl’AncienTestament.Tout enfantement « miraculeux » est preuve de bénédiction

objective et non pour leur seul intérêt. Elles deviennent alorsredoutablesdansleurefficacité.JudaseretrouveraprisaupiègedeTamar,Siseraaura le crâneenfoncéparYaél etHolophernesera décapité par Judith.Mais sans doute la ruse n’aurait-ellepas suffi. Il aura encore fallu à ces femmes une intelligencepolitique. Il leur fallait comprendre la situation dans laquelleelles-mêmesetleurpeuplesetrouvaient,etsavoirs’yadapter.Laruse sans l’anticipation d’un plan préparé et mûri n’aurait euguère de chance de réussir. Ainsi Judith et sa servanten’auraient-elles pu quitter librement la tente ensanglantéed’Holopherne,puislecampennemi,sansleprétextedesprièresàrespecter,doncdeleursalléesetvenuesrégulièresetentoutelibertédansethorsducamp.

Certes, lesmomentsoùces femmesagissent sontcruciaux.En famille ou en guerre, elles obéissent à ce qu’elles ontsupposéêtreleurdevoir.

Envérité,ellesnecombattentpaslesarmesàlamain.Ellesn’exécutentpas l’ennemi sur le champdebataille,maisquandl’heure est venue, fût-ce lorsqu’il est endormi de fatigue oud’ivresse. Tous ces actes sont par ailleurs individuels etponctuels. Sauf les harangues deDébora ou de Judith, ou leschantsdeMiryamoudeMarie,ilnesepassenimouvementsdefoule, ni formations de groupes. Elles sont et restent seulesavant, pendant et après les décisions prises. Les narrateurs nes’appesantissentd’ailleurspassurlasuitedeleurvie,ramasséeenquelquesversetslaconiques.L’essentielestleuraction.

Chacun des actes en réalité répond aux questionsprimordiales, sociétales et théologiques, de la descendance, del’appartenanceàunpeupleetdel’identitéreligieuse.Touteslesfemmes évoquées ici sont des miroirs de ces trois points.Concernées par ces questions, elles s’affirment dans leur

identité.Lemeurtrerituel,lesacrificeacceptésileplanéchoue,lebesoindedescendance,toutrevient,avecl’échecdel’ennemi,àrenforcerl’attachementaupeupled’IsraëletàDieu.

Celienàl’identitépasseparlaguerres’illefaut,maisaussipar la descendance. Le besoin d’assurer la descendance estcommun dans tout le Proche-Orient ancien, mais plusspécifiquementchezlesHébreuxpourplusieursraisonsdontladémographie,puislalignéefamilialeliéeàlathéologie.

La démographie a pu à certaines périodes être en danger.Guerres,migrations,faminesetépidémiessontautantderisquesde voir disparaître les hommes, et dans certains cas l’élitemasculine.Toussontconscientsdeceproblèmequipeutfrôlerlaperteidentitaire,etlesfemmessontcellesquisaurontmettretout en œuvre pour y parer, fût-ce par la duperie et lasupercherie.

Cette identité et ce besoin de descendance se retrouventdanstousleslivresévoquésetlespersonnagesfémininsétudiés.C’est ainsi que Sara, confrontée au problème de la stérilité, «missionne»Hagarpourqu’unenfantnaisse,commeleferontàleurtourLéaetRachelavecZilpaetBila.RusedeTamarpourenfanter,malgré le refusde Judade respecter la loi du lévirat.Sages-femmes, mère et sœur deMoïse, toutes complices pourquelenouveau-névive.PersuasiondeNoémienversRuthpourqu’elle se remarie avec Booz, et un fils naîtra. Par Bethsabéeégalement, une descendance se fera. Esther, sans enfant, feraapparaîtreunritueldepréservationdupeupleetdesareligion.Auboutdelachaîne,Marieauraunfilsaprèsquilemondeneserapluslemême.

Les narrateurs savaient-ils quelle pérennisation seraitaccordéeà leurs textes?Pourquiécrivaient-ils?Ilyapeude

tableaux familiersdansces récits, saufRuthen traindeglanerdans les champs, ou Hagar dans le désert qui craint de voirmourir son fils, ou encoreMarie qui a donné naissance à sonenfant. La simple vie quotidienne ne paraît pas être leurpremière préoccupation quand, en revanche, les scènes sontnombreuses dans les palais. Les banquets y sont décrits, ainsique la toilette somptueuse des femmes dont la beauté esttoujourssoulignée.Cesrécitssont-ilsalorsdestinésauxJuifsendiaspora, les persuadant qu’à Jérusalem comme à Suse leuridentitépeutêtrepréservée?

Ces récits, pour la plupart écrits après l’exil, veulent-ilsrendrehommageenfiligraneàtouteslesfemmes?Àcellesquiavaient vécu la déportation et l’exil, comme à celles qui,appauvries, restées à Jérusalem avaient subi les saccages de laville,ladestructionduTemple,lesagressionsetlesviols?Lesfaitsliésàl’histoirepeuventêtredécryptésdanscesrécits,soitclairement soit quelque peu déformés par une hagiographieimplicite, mais le lecteur attentif ne s’y trompera pas etcomprendra les enjeux, notamment la question des mariagesintercommunautaires entre les exilés de retour avec lesautochtonesrestéssurplace.

Les rédacteurs bibliques ont-ils eu la volonté de mettre àl’honneur ces femmes qu’ils décrivent dans des situations quiparaissentinextricables?Ont-ilsvouluforcerl’admiration?Lesadmiraient-ilseux-mêmes?Euxquiétaientaussidesmaris,despères de famille, des chefs de clans, ont sans doute étéimpressionnésparcesfemmeshorsducommunquiharanguaientet galvanisaient des soldats ou des foules, comme Débora ouJudith.Ellessebattaientavecleursarmesqui,pourêtrelaruseou le jeu de l’innocence, n’en étaient pas moins efficaces.L’empathie,pourcesfemmesexceptionnelles,decesnarrateurs

Légende – Du latin legere : lire. Histoire ou récit où lesfaits sont transformés, déformés ou embellis par l’imaginairepopulaireoupoétique.

Lévirat–La loidu léviratobligeuneveuveàépousersonbeau-frèreouunparentprochepourassurerladescendance.

Loi,danslejudaïsme–LaloiestcellequiaétérévéléeàMoïse parDieu sur lemont Sinaï. Lemêmemot est employépourlescinqpremiersLivresdel’AncienTestament,la«Torah»enhébreu,oule«Pentateuque»engrec.

Marduk–DieudeBabylone.

Mazdéisme–Religiondualisteoùs’affrontentleBienetleMal, révélée à Zoroastre (ou Zarathoustra), et pratiquée dansl’empire perse. Sondieu suprême estAhura-Mazda, symboliséparlefeu,quiamisenordrelechaos,créélecieletlaterre,etfondélabatailleentrelebienetlemal,lalumièreetlesténèbresqui coexistent dans tout être vivant. Le dieu de la lumière estMithra.

Zoroastre(VIIesiècle)estunhommereligieuxquiatransmislemazdéisme,religionperse,enformalisantcequiestdevenule« zoroastrisme», religionofficielle desPerses assanides (224-651)jusqu’àl’arrivéedel’islam.

Mithra–DieudelalumièrechezlesPerses.v.Mazdéisme.

Moïse – Personnage biblique, dont l’histoire s’inspire decelle du roi Sargon Ier, qui conduit le peuple hébreu horsd’Égypte lors de l’Exode. C’est àMoïse queDieu révèle son

nom,etconfielesTablesdelaLoiaumontSinaï.

Monothéisme – Reconnaissance d’un dieu unique, enoppositionaupolythéisme.

Mythe – Du grecmuthos : récit. Récit imaginaire où leshéros peuvent être humains ou divins. Il sert demémoire pourune communauté, est un ensemble de connaissances et decroyancesquel’auditeuroulelecteurperpétueparlarépétitionetlerite.Lemythetentededonnerdesréponsesauxquestionsquitouchentàl’originedel’universoudel’homme,ouencoreàlamort, au sensde lavie, etc.Lemythemêle souventhistoirevéridique et imaginaire, où le rêve l’emporte souvent sur lerationnel.

Nabonide (556-539 av. J.-C.) – Dernier roi de Babylone,NabonideestconnupouravoirsouhaitédévelopperunculteauseuldieuShin,enoppositionàtoutleclergé.AyantvéculoindeBabylone,illuiserareprochédenepasavoirrespectélafêteduNouvelAn,l’Akitu,etdes’êtreattirélacolèredesdieuxdontlasanctionaétésadéfaitedevantCyrusen539.

Nabuchodonosor II (604-562) – Chaldéen, roi deBabylone, ilestconnupouravoirmarqué l’apogéede l’empirebabylonien. De toutes ses victoires, reste célèbre celle surJérusalemen586quiestsuiviedeladéportationdesHébreuxàBabylone.

Olivier – C’est l’un des arbres important dans tout leProche-Orient ancien,mentionné dès le IIIe millénaire. Il étaitconsidéré commeun arbre pourvoyeur de richesses : son bois,sesfruitsetsonhuileutiliséepourlacuisine,lesparfumsetla

médecine.LesGrecsluiattribuaientuneoriginedivine.

Ougarit – Ville sur la côte phénicienne. L’alphabetcunéiformedit«ougaritique»estlepremieràn’avoircomportéqu’unetrentainedesignes.

Panthéon – Ensemble de tous les dieux dans lepolythéisme.

Paradis – Du grec paradeisos, d’après le terme persan «jardin»,lieuoùl’eaudoitêtreprésente.

v.Éden.

Patriarches – Nom donné aux trois ancêtres du peupled’Israël:Abraham,IsaacetJacob.Nepasconfondreavecles«Anciens».

v.Anciens.

Perses – Peuple indo-européen qui s’installe au Iermillénairesurleplateauiranien.Parmigrations,ilssefixentaudébut du VIIe siècle au sud-est de l’Iran. Une dynastie estinstaurée avecCyrus Ier (v.610-585), Cambyse Ier (v.585-559),puis Cyrus II (559-530) notamment. La langue perse est le «vieux-perse », transcrite en cunéiforme, mais avec moins designesqu’enMésopotamie.Lareligionperseestlemazdéisme.

v.Mazdéisme.

Peuple – Groupe qui constitue une société régie par deslois,surunmêmeterritoire.

Peuplesde laMer – Populations, dont les Philistins, quiontenvahilescôteségyptiennesetcananéennesv.1200.

Tabledesmatières

Avant-propos

I- LECADREPOLITIQUEETRELIGIEUX

Proche-OrientancienetAncienTestament

Lesfemmesétudiéesdanslespériodesdel’AncienTestament

II- LESFEMMESDEL’ANCIENTESTAMENT

Ève(Genèse2et3)

Sara(Genèse12-23)

Rebecca,LéaetRachel(Genèse24-28;29-35)

Tamar(Genèse38)

Lesfemmesdel’Exode(Exode1-40)

Débora(Juges4-5)

Ruth(LivredeRuth)

Bethsabée(2Samuel,11-12;1Rois2,13-25)

LareinedeSaba(1Rois10,1-13;2Chroniques9,1-12)

Judith(LivredeJudith)

Esther(Livred’Esther)

Marie(1Samuel2,1-10;Matthieu1,1-24;2,1-19;Luc1,26-56;2,1-21)

Épilogue

Repèreschronologiques

Glossaire

Bibliographie

Cartes

Remerciements

Remerciements

Messincèresremerciementsàceuxquiontgoûtécetteétudeetdont l’éruditionm’aéclairée:ThomasRömer,professeurauCollège de France ; Jean Meyer, professeur émérite àl’Université de Paris-Sorbonne ; Jean Dujardin, prêtre del’Oratoire et ancien secrétaire du Comité épiscopal pour lesrelations avec le judaïsme ; Henri Fischer, pasteur de l’Égliseprotestante unie de France ; Yvon Gilabert, formateur enthéologie.

À tous va ma gratitude pour leurs riches conseils, tant enhistoire qu’en recherche théologique, mythologique etbibliographique.

Achevéd’imprimerparXXXXXX,endécembre2015N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2015

ImpriméenFrance

grandes femmes de l’ancien testamentl’Égypte et s’y était installée, avant de fuir devant...

Documents