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15 Gouvernance, approche territoriale et peuples autochtones Pedro Garcia Hierro En matière de reconstruction, de légalisation et de propriété de leurs territoires, le chemin parcouru par les communautés d’Amazonie, les peuples autochtones et leurs organisations est appréciable. Les générations autochtones du dernier demi-siècle ont joué un rôle qui se révélera sans doute crucial pour la survie de leurs peuples, en dépit des altérations et des pertes qu’elles ont été contraintes d’accepter, ainsi que des erreurs auxquelles elles ont pu contribuer. Pour ceux qui considèrent la forêt comme un cadre de vie, les territoires autochtones amazoniens sont perçus favorablement. Pour ceux qui sont d’un avis contraire et qui n’ont constamment vu dans l’Amazonie qu’une source inépuisable de matières premières, ces territoires représentent un obstacle et un casse-tête. En termes légaux, les terres autochtones ont obtenu un statut constitutionnel et, dans certains cas, sont même considérées comme des « territoires ». Les pays de la région se définissent dorénavant comme multiethniques et pluriculturels. Les constitutions de l’Equateur et de la Bolivie font ainsi place à la notion de « peuples

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Gouvernance, approche territoriale et peuplesautochtones

Pedro Garcia Hierro

En matière de reconstruction, de légalisation et de propriété de leursterritoires, le chemin parcouru par les communautés d’Amazonie, lespeuples autochtones et leurs organisations est appréciable. Lesgénérations autochtones du dernier demi-siècle ont joué un rôle qui serévélera sans doute crucial pour la survie de leurs peuples, en dépitdes altérations et des pertes qu’elles ont été contraintes d’accepter,ainsi que des erreurs auxquelles elles ont pu contribuer.

Pour ceux qui considèrent la forêt comme un cadre de vie, lesterritoires autochtones amazoniens sont perçus favorablement. Pourceux qui sont d’un avis contraire et qui n’ont constamment vu dansl’Amazonie qu’une source inépuisable de matières premières, cesterritoires représentent un obstacle et un casse-tête.

En termes légaux, les terres autochtones ont obtenu un statutconstitutionnel et, dans certains cas, sont même considérées commedes « territoires ». Les pays de la région se définissent dorénavantcomme multiethniques et pluriculturels. Les constitutions del’Equateur et de la Bolivie font ainsi place à la notion de « peuples

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autochtones » comme catégorie juridique. Une proposition à cet effeta été favorablement accueillie lors du processus de révisionconstitutionnelle et juridique au Pérou. En Equateur, comme enColombie, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur les droitsterritoriaux de certains peuples autochtones et est allée jusqu’àprotéger ces droits contre des entreprises multinationales. Bien quel’on ne puisse en tirer une règle générale, il est bon de le noter dans lecadre d’une évaluation des résultats atteints. Presque tous les paysvoient se multiplier les initiatives et propositions d’ordre juridique enrelation avec les questions territoriales.

L’implication des organisations autochtones dans le processus dedélimitation de leurs territoires s’accentue, que ce soit sous la formed’un accord politique (comme en Bolivie), de procéduresadministratives (comme au Pérou) ou d’une mobilisation sociale(comme en Equateur).

À l’exception de la Bolivie, les territoires légalisés atteignentprogressivement les objectifs avancés par les mouvementsautochtones dans chaque pays andin. Dans un bon nombre de cas, cesterritoires remplissent aujourd’hui les conditions nécessaires, entermes de taille et de ressources, pour permettre de définir un projet devie, sous réserve que les décisions de court terme n’accélèrent pas unedégradation qui pourrait se révéler irréversible.

Les organisations représentatives ont été, à l’origine, établiescomme des outils de relations publiques dont le but principal était decréer un espace politique et légal capable de satisfaire lesrevendications autochtones, revendications prioritairementterritoriales. Ces peuples qui ont réussi à légaliser et à prendre lecontrôle d’un territoire qu’ils croient adapté à leurs besoins cherchentmaintenant à définir et mettre en œuvre un nouveau « thème » pourl’étape suivante du processus, tout en conservant l’importante, maissubsidiaire, fonction de leurs organisations politiques etreprésentatives.

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Etablissement de titres territoriaux au PérouClichés : Alejandro Parellada

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La question du « peuple » émerge donc comme le nouveau pointfocal pour construire l’avenir. La question du territoire a été nonseulement un puissant moteur de la mobilisation autochtone maisaussi un terrain fertile pour d’autres revendications. L’enjeu duterritoire s’est articulé à de multiples autres. Les questions de culture,d’éducation, de propriété intellectuelle, de spiritualité,d’administration de la justice, de gouvernement etd’autodétermination interne, d’économie, de bien-être, de la réformede l’Etat, de la gestion territoriale et du développement, de laparticipation politique, du marché et de nombreuses autres ont étéstimulées par les revendications territoriales.

Des problèmes non résolus

Récapituler les problèmes posés par la question territoriale despeuples autochtones d’Amazonie n’est pas une tâche aisée. On peutcependant souligner quelques enjeux rendus des plus problématiquespar la situation actuelle.

La reconnaissance légale des terres

Il reste encore un grand nombre de terres et de territoires autochtonesnon légalement reconnus. En Bolivie, le processus est encorebalbutiant. Au Pérou, les communautés sont physiquement séparéespar des espaces qui apparaissent comme des solutions de continuitédans leurs territoires. Un processus ambitieux d’extension devra êtresoutenu pour garantir que les zones territoriales seront confortéesaussi vite que possible.

La procédure de reconnaissance légale des terres que préfèrent lespeuples autochtones correspond à la « méthode territoriale »d’attribution de titres de propriété. Cependant le seul pays à avoirassuré la légalisation de cette façon, la Bolivie avec les TierrasComunitarias de Origen (TCOS) – Terres communautaires d’origine),l’applique de manière limitée et les résultats espérés n’ont pas étéobtenus.

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L’équipe de terrain de l’AIDESEP (région d’Ucayali)Clichés : Alejandro Parellada

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Réglementations

En premier lieu, il faut noter qu’il existe de nombreuses variantes surle chemin qui mène des constitutions aux lois sur les territoiresautochtones en passant par les lois ordinaires, les normes locales et lesdécisions administratives. Cela signifie que la forme prise, endéfinitive, par un territoire autochtone s’explique souvent mieux par lejeu des marchandages que par la logique territoriale. Les peuplesautochtones devraient donc disposer de mécanismes légaux leurpermettant de réorganiser leurs territoires reconnus selon leur proprerationalité.

Les procédures de reconnaissance légale sont en généralinutilement complexes, longues et coûteuses. Elles sont facilementmises en péril par la chicane administrative et juridique. Les critèresdu Code civil utilisés pour évaluer les droits préexistants n’étant pasappliqués impartialement, des critères pluriculturels seraientnécessaires.

Faire passer la question des terres autochtones sous le régime dudroit général ne va pas sans poser de sérieux problèmes. Le pouvoirjudiciaire adopte une attitude pleine de préjugés et les tribunaux sontde fait inaccessibles aux organisations sociales autochtones pour desraisons multiples.

Il reste toujours essentiel que les territoires autochtones soientdotés de dispositions légales qui permettent leur protection et leurgestion. Les clauses d’imprescriptibilité, d’insaisissabilité etd’inaliénabilité sont classiques. Mais il en est d’autres qui pourraientrenforcer l’intégrité territoriale. Quant à l’exclusivité du pouvoir dedécision des autochtones en matière d’usage des sols, l’exercice deleurs droits territoriaux devrait être assorti de l’autonomie, dans toutesses dimensions concrètes (en particulier les droits de réglementation,de juridiction, d’exclusion ou d’inclusion, de contracter et deconsultation préalable).

Les procédures de réversion et de récupération de terre ne sontprévues par aucune des législations alors qu’elles sont absolumentnécessaires dans de nombreux cas pour restaurer l’intégrité desterritoires mis à mal depuis quelques années par des actions illégalesou violentes.

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Registre foncier et cadastre

Prendre en compte la dimension technique des outils qui permettentd’établir la propriété autochtone et rendent possible son intégrationdans les registres fonciers usuels et le système cadastral est essentiel.De nombreuses cartes sont imprécises, les références de la grandemajorité de celles-ci sont déficientes et beaucoup se chevauchent. Lescartes d’ensemble existantes révèlent des incohérences insoupçonnéesd’une importance cruciale (par exemple la non cartographie d’espacescensés être déjà reconnus) qui se révèleront quand les technologiesadaptées seront rendues disponibles. Les archives sont souventincomplètes, perdues ou endommagées et la conservation du registrefoncier négligée. Ces éléments doivent être pris en compte car ilsseront préoccupants quand la propriété autochtone sera confrontée àdes recours déposés par des tierces parties.

La révision technique des plans et des rapports, dans une optiquecadastrale et foncière, est une tache primordiale. Elle exige que soientdéveloppées des procédures adaptées de manière à éviter desréexamens de délimitations pouvant se traduire par de nouveauxconflits. Il y a un besoin urgent à reconstruire, réorganiser et mettre enordre les dossiers fonciers des communautés et des peuples. Desarchives performantes, placées sous la responsabilité d’organisationsdotées d’outils techniques appropriés, sont essentielles pour laprotection et la planification territoriales.

Protection

Le problème le plus grave reste le manque de ressources suffisantespour garantir efficacement la protection légale des territoiresautochtones. Très peu de peuples autochtones jouissent del’environnement pacifique nécessaire à des décisions stables et à longterme de gestion du territoire. Le conflit est la règle générale. À ladifférence d’autres propriétaires ou usagers, les communautés etpeuples autochtones ne peuvent compter que sur leurs propresinitiatives pour assurer la protection de leurs terres. Les préjugés desresponsables publics et des juges, l’éloignement et, dans certain cas, le

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parti pris de l’appareil d’Etat local facilitent, quand ils n’y poussentpas, le mépris manifesté à l’égard des droits autochtones par lescolons, forestiers ou autres agents économiques. Une conceptioncoloniale sous-jacente selon laquelle « des pionniers conquièrent denouvelles terres infestées d’Indiens » reste présente. Les peuples etcommunautés autochtones qui portent leurs différends devant lestribunaux, au prix de grandes tensions internes et de dépensesconsidérables, finissent, en général, par être déçus des résultatsobtenus. Chez les Aguarama du Pérou septentrional, l’expulsion, enapplication d’une décision de justice favorable, de colons installésillégalement, s’est traduite, à deux reprises, par des actes de violencenécessitant une intervention de la police, pourtant venue garantirl’exécution de cette décision. Fréquemment, les autochtones nereçoivent comme message que celui de leur exclusion officielle de laprotection des lois.

Colonisation

Un problème sérieux réside dans la concurrence farouche pour lesterres d’Amazonie et leurs ressources, ainsi que dans les risques quecette concurrence fait courir à un environnement écologiquementvulnérable. On constate dans toute la région que :

• La question agraire de la zone s’est largement déplacée vers l’est,avec un haut niveau de conflit ;

• Les problèmes sociaux sont complexes, et peuvent prendre uncaractère violent, en raison de conflits entre autochtones, colonsdéjà installés et nouveaux migrants ;

• Compte tenu des programmes d’ajustement économique, de laconcentration de la propriété agricole, de la situation actuelle del’agriculture andine, de la croissance démographique et de labaisse systématique de l’emploi urbain, il est peu probable que cemouvement vers l’est se ralentisse, bien au contraire ;

• Bien que les Etats subissent une pression extérieure pour octroyerdes terres aux communautés et peuples autochtones, ils neplanifient pas réellement l’occupation de l’Amazonie, maisfavorisent plutôt des projets de colonisation et d’exploitations

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extractives. Cela signifie que l’attention qu’ils portent auxquestions territoriales autochtones se réduit souvent à un soucimanifesté a posteriori devant des « faits accomplis » ;

• Dans certains cas, comme au Pérou, la colonisation a étéencouragée par des dépenses considérables. Le poids économiquede la région s’accroît et les principales ressources budgétaires decertains pays, comme l’Equateur, dépendent du pétrole amazonien.La Bolivie et le Pérou ont doublé la surface des terres mises enproduction depuis l’expansion vers l’Est. Sur le plan budgétaire, lacoca est un élément important des économies nationales. Bienqu’il y ait une coordination économique locale, ces processuss’accélèrent et l’économie vieillit prématurément. Dansl’Amazonie péruvienne, de nombreuses personnes sont passées del’abondance à la pénurie en une seule génération. La concentrationurbaine et la multiplication des bidonvilles sont des phénomènesplus que jamais d’actualité, la mendicité augmente et les habitantsdu « grenier » amazonien en sont réduits à importer de lanourriture pour survivre. La capacité physique de la terre, facteurlimitant le plus évident en Amazonie, pourrait bien être proche deson point de rupture. La complexité croissante de l’économie estsans doute une bombe à retardement : on est en train de tuer lapoule aux œufs d’or.

En résumé, l’Amazonie n’est plus, depuis un certain temps, laterre des seuls autochtones. Les données officielles montrent que,globalement, ils en constituent même une minorité. Beaucoup de genssont aujourd’hui intéressés par les terres amazoniennes et le problèmeprincipal des peuples autochtones est la préservation de leursterritoires au milieu de cette compétition générale. Il leur faut tenircompte des autres secteurs avec lesquels ils partagent la région, nonseulement au moment de la délimitation et de la reconnaissance légalede leurs territoires, mais, ultérieurement, dans leurs projets. Il ne serasans doute pas facile de surmonter ces divergences. Dans des payscomme le Pérou, il est peu vraisemblable qu’à court terme desalliances puissent être conclues. Il n’est cependant pas constructif devivre dans une confrontation continuelle. Un terrain d’entente devraêtre trouvé afin que les groupes qui cherchent à s’installer et lespopulations autochtones puissent tirer un avantage mutuel de leur

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coexistence, ou, à tout le moins, ne pas vivre dans un état d’hostilitépermanente.

Chaos officiel

Des programmes d’installation de colons, mal organisés comme dansle cas péruvien, bricolés à partir d’interventions qui initialementavaient d’autres finalités, comme en Equateur celles de soutenirl’industrie pétrolière, ou de favoriser des groupes influents à l’imagede la colonisation inadaptée de la région de Santa Cruz en Bolivie, ontenclenché des dérives si graves qu’ils sont dorénavant au-delà de toutepossibilité de contrôle par l’Etat. La complexité de départ a dépasséles capacités de gestion étatique et, dans certains cas, ce sont lescollectivités locales (incluant les fonctionnaires, mais agissant pour lecompte de ces dernières) qui l’ont emporté en se substituant à l’Etat.Dans d’autres, ce sont les forces sociales organisées, les mafiasdélinquantes ou tout simplement des mercenaires appartenant à lapègre qui pilotent les politiques locales.

Ressources renouvelables

La « conquête » de l’Amazonie a détruit le socle des ressources,parfois irréversiblement. Celles des forêts ont été livrées au capital,grand et moyen, qui opère à son gré, en toute impunité. Lasurimposition légale ou tolérée de droits d’exploitation forestière surles droits territoriaux autochtones est une constante dans les conflitsamazoniens. La puissance de ce secteur ne se limite pas à la seuleexploitation des ressources et il est prêt à tout pour liquider les boisprécieux d’Amazonie. De nombreux experts en sont venus à penserqu’il faudra attendre la disparition de l’acajou et du cèdre avant quel’on puisse sérieusement parler d’une gestion forestière autochtone.Nous sommes beaucoup plus proches de ce point de non-retour quel’on pourrait imaginer. Ce sont ces concessions et réserves forestièresqui constituent l’obstacle principal à une véritable territorialitéautochtone. Le front d’exploitation forestière favorise de plus, en toutelogique, une colonisation ultérieure.

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Ressources non renouvelables

Pour les trois pays de la région, les concessions pétrolières englobentune proportion appréciable de l’Amazonie, les concessions minières,plus réduites, étant plus dispersées. Tous ces quadrillages quis’imposent aux terres autochtones génèrent des conflits latents etsouvent ouverts. En dépit de l’abondance des promesses, il n’est pasun seul cas prouvé où un peuple autochtone soit sorti indemne d’uneconfrontation avec une concession, aussi limitée soit-elle. Continuer àfermer les yeux sur le dossier Texaco en Equateur, ou sur celui, plusrécent, du peuple Nanti dans l’Urumbumba péruvien est franchementimmoral. Les liens entre la présence des bases pétrolières et lamortalité due à l’hépatite B parmi les membres de la communautéKandoshi dans le Pastaza au Pérou ne peuvent être passés soussilence. Des peuples comme les Achuar ou les Kechua au Pérou et enEquateur sont en conflit depuis plus de dix ans avec les compagniespétrolières.

Quelques jugements constitutionnels, en Colombie et en Equateur,pourraient signifier que nous devons nous faire à l’idée quel’acceptation automatique de la présence des compagnies pétrolièresn’est plus une question taboue et que la règle devrait êtreinversée : une concession ne devrait pas être accordée sans que lapreuve de la totale sécurité des autochtones et de leur patrimoine soitapportée et, bien sûr, leur consentement préalable vérifié. Au Pérou,en Bolivie, et en Equateur, des procédures ont été instituées pourréguler ces activités extractives lorsqu’elles se déroulent en territoireautochtone. À l’expérience, le bilan est plus que décevant pour lesorganisations autochtones. Tant que l’interférence avec l’autonomieautochtone sera considérée comme « inévitable par principe », il seravain de parler de gestion territoriale autrement qu’en termessymboliques.

Les visées des multinationales sont focalisées sur l’exploitationd’une grande partie des ressources naturelles et définissent desconditions particulières à leurs investissements. La modernisationselon les canons de la doctrine libérale est un cadre tout à faitapproprié pour ces exigences. Toutefois les gouvernements sontdéchirés entre les demandes des organisations internationalesenvironnementales qui ont conquis une indéniable influence politique,

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et l’indulgence à l’égard des multinationales, qui les rendentcomplices de catastrophes écologiques. Leur dépendance à l’égard deces entreprises les place dans une situation difficile. Les peuplesautochtones réussiront sans doute à mettre de nombreusesmultinationales pétrolières au banc des accusés devant des coursinternationales pour crimes contre l’humanité, mais il semble qu’ilfaille attendre qu’il soit trop tard pour réparer les dommages subis.

L’ordre du jour international et les territoires autochtones

De nombreux programmes de légalisation de droits fonciers sont reliésaux objectifs de l’ordre du jour international, notamment la réductionde la pauvreté ainsi que la libéralisation et la revitalisation du marchéfoncier.

Alors que l’identité autochtone a dû s’imposer contre desconnotations historiques défavorables, une nouvelle assignationidentitaire devient de plus en plus prégnante : les autochtones sontdésignés comme pauvres. Cette identification n’est pas innocente. Ellefavorise la victimisation, le clientélisme politique et la dépendance. Ledéveloppement d’une économie de marché devient la recette pourréduire la pauvreté autochtone, mais c’est justement ce typed’évolution qui est souvent à l’origine de la pauvreté. Il y a donc unlien étroit entre cette dernière et l’ouverture des marchés et desréseaux commerciaux. Lier ou conditionner le financement de lalégalisation foncière à des projets de développement (ainsi que lepropose la Banque Mondiale) conduit à donner la préférence à ceuxqui sont, en théorie, les plus à même de favoriser ce développement.Les propriétaires terriens du Beni, en Bolivie, cherchent à imposerl’idée selon laquelle si les autochtones obtiennent des titres foncierspour des terres actuellement dévolues à l’élevage bovin, la régions’appauvrira et les autochtones eux-mêmes souffriront du chômagequi en découlera.

De nombreux programmes de soutien à l’établissement de titres depropriété visent à conforter la propriété pour dynamiser le marchéfoncier. Parfois, la légalisation de terres autochtones relève de ce typed’initiatives dans lesquelles les priorités sont de régularisermassivement les propriétés non autochtones puis de faire une

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distribution du domaine public de l’Etat. Abondamment financés, cesprojets pourraient amputer les territoires autochtones de nombreuxespaces. Au Pérou, le Proyecto Especial de Titulación de Tierras ycadastro rural (PETT) affirme avoir achevé la régularisation decentaines de milliers de propriétés de colons. En Bolivie, larégularisation des terres autochtones suppose la régularisationpréalable des propriétés privées.

Aires naturelles protégées, ressources du domaine public etterritoires autochtones

Tous les pays éprouvent des difficultés à harmoniser protection deszones naturelles et attribution de territoires autochtones. Au Pérou eten Bolivie la question du chevauchement entre ces deux types dezones a fait quelques progrès. En Bolivie, l’un des territoiresautochtones est aussi une zone protégée. Au Pérou, il est proposé derevoir les avantages spécifiques qui avaient été accordés à ceux-ci, defaçon à pousser à une réelle protection in situ. En Equateur, cettequestion, affectant tous les peuples autochtones d’une manière oud’une autre, nécessite une réflexion approfondie.

Par ailleurs, la constitution et les lois stipulent que les ressourcesnaturelles appartiennent à tout le monde ou relèvent de l’intérêtgénéral. Cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes à l’égard del’intégrité territoriale autochtone. Sont concernés, les rivières et leursrives, les lacs, les réservoirs artificiels, les grandes routes et l’accès àcelles-ci. Le cas de l’eau et des rivières est crucial dans la mesure oùcelles-ci ont, pour tous les peuples, au-delà de leur fonction essentiellesur le plan économique, un caractère sacré et primordial. Très souventles zones soumises à cet usage public ont été le point d’entrée degrandes invasions territoriales ; il en est ainsi pour les terres longeantles routes avec le droit d’accès public au réseau routier.

Les peuples autochtones sans contact ou en contact sporadique

Ce problème est tout à fait spécifique. Ces peuples sont vulnérables auplus haut point. Leur survie peut être à la merci des choix politiques

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du gouvernement. Actuellement, ils habitent des territoires qui, du faitde leur inaccessibilité, gardent en réserve des ressources convoitéespar différents exploitants qui, en plusieurs endroits, commencent à enfaire le siège. L’exemple du peuple Nanti dans l’Urubamba péruvien asouligné la réticence des Etats et des entreprises à reconnaître le risqueélevé d’extinction que fait courir à ces peuples l’implantation deprojets géants.

Conclusion

En dépit de toutes ces difficultés, les peuples autochtonesd’Amazonie, du moins ceux qui ont reconquis un territoire correct ontla possibilité d’adopter une gouvernance à la fois moderne etendogène, étant donné les caractéristiques de leurs institutions et lesmécanismes de décision traditionnelle ainsi que l’approche territorialequi est la leur. Ils ont aussi la possibilité de procurer des alternatives àl’uniformisation économique et culturelle et à la rapacité mercantilistedarwinienne.

C’est pourquoi il est important d’éviter un certain avant-gardismethéorique et les propositions technocratiques venues de l’extérieur ; ilfaut faire confiance au bon sens de chacun de ces peuples. Aux« grandes vérités » imposées par la mondialisation, « aux véritéstechniques des experts », il faut opposer les petites vérités descommunautés locales et des peuples, tout particulièrementautochtones, pour peser dans le sens d’un changement global deparadigme, en étendant et en diversifiant la disponibilité d’espacespublics non étatiques.

Dans cette entreprise, les seuls guides utiles sont le bon sens et lasagesse tirée des expériences de chacun. Peut-être est-il plus importantpour les peuples autochtones de considérer favorablement lesexpériences de leurs semblables et de conclure des alliancesnovatrices pour affronter les enjeux du futur que de faire desincursions enthousiastes dans le capitalisme comme le font certainesinitiatives modernes.

Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est que les processus deréflexion ne subissent pas de pressions (qu’elles soient de natureéconomique ou qu’elles viennent de conseillers extérieurs).

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En résumé : dans le cas d’un peuple (ou d’une nation), le conceptde gestion territoriale (défini comme l’une des composantes de songouvernement) implique la liberté de ce peuple (ou de cette nation) àjouir et à gérer les ressources et les richesses de son patrimoine, selonses propres priorités de développement. Il implique aussi la liberté dedéterminer la nature de ses relations (sociales, culturelles,économiques, juridiques) avec les sociétés voisines ou, le cas échéant,géographiquement incluses dans son territoire.

Cette liberté dans un territoire contrôlé par une nation (ou par unpeuple) n’est rien d’autre que ce que les peuples autochtones appellentl’autodétermination. En d’autres termes, il s’agit d’un élémentclassique de l’idéologie politique autochtone.

Ce qui est nouveau, dans le scénario actuel, c’est l’apparitiond’autres défis. Une réflexion sur ce que nous sommes précisémentaujourd’hui s’avère alors d’une importance « fondatrice » car elleconduit à apprendre à nous connaître et à construire ce que noussouhaiterions être. Peut-être qu’à présent la tâche primordiale est dedécouvrir les conditions idéales dans lesquelles la question, préalableà la gestion, peut se poser tout naturellement : et maintenant,que faire ?