gÉologie - revue des professionnels de la nature

14
20 Espaces naturels n° 43 juillet 2013 LE D M atériaux rocheux, dynamisme de la planète : géologie. Intimité secrète des profondeurs : géophysique. Contours des territoires, emprise humaine : géographie. Mesure des distances, calcul des surfaces : géométrie. Formes des reliefs, dessin des paysages : géomorphologie. Géo… comme Gê, la déesse Terre au Panthéon hellénique ! F. Michel FONDEMENT DES HABITATS, GÉOLOGIE GÉOLOGIE Demoiselle coiffée du Sauze, site classé le 20 janvier 1966. Thierry Degen / METL-Medde DES ESPÈCES ET DES

Upload: others

Post on 16-Jun-2022

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

20 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DO

Matériaux rocheux,dynamisme de la planète :géologie. Intimité secrète

des profondeurs : géophysique.Contours des territoires, emprisehumaine : géographie. Mesure desdistances, calcul des surfaces :géométrie. Formes des reliefs,dessin des paysages :géomorphologie. Géo… commeGê, la déesse Terre au Panthéonhellénique ! ● F. Michel

FONDEMENT DES HABITATS,GÉOLOGIEGÉOLOGIE

Demoiselle coiffée du Sauze, site classé le 20 janvier 1966. Thierry Degen / METL-Medde

DES ESPÈCES ET DES ÉC

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page20

Page 2: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 21

DOSSIER

Pour nous, Terriens de la planète«Gê», la géologie correspondaux fondements de l’univers

qui nous entoure. Elle est la sciencequi étudie la Terre, sa structure, lesmatériaux qui la composent, les phé-nomènes qui l’affectent et son his-toire depuis sa formation, il y a en-viron 4,6 milliards d’années. Toutautour de nous est sous-tendu par uncontexte géologique, aucun envi-ronnement n’y échappe.Le barrage est construit là où lesroches qui referment la vallée per-mettent son ancrage avec, en amont,un sous-sol suffisamment imper-méable pour permettre l’implanta-tion d’un lac. Certaines tourbièresde richesse biologique incontestéen’occupent-elle pas l’emplacementd’un maar, cratère d’explosion vol-canique né de la rencontre de la laveet de l’eau ? Tel monde souterrainn’a pu se développer que par la lente action de l’érosion sur des rochescalcaires… Les exemples ne man-quent pas, et pour cause, tout ter-ritoire est implanté sur un subs-tratum géologique. Le découvrir :tel est l’enjeu !N’ayez pas peur ! La géologie : c’estbeau. Certes, cette science n’est pastoujours d’approche facile. Elle né-cessite souvent de nombreux pré-acquis. Elle est à la fois matériaux,phénomènes et histoire. Pour dé-coder, il faut entrer dans l’universde l’espace-temps. Au fil des ères,elle a façonné l’aspect de la planète,visage changeant au gré de la tec-tonique, de l’érosion et des dépôts,le tout sous très forte influence deschangements climatiques qui de-

SOMMAIRE

21 Géologie, j’aime ton nom !

22 Tout l’intérêt des géologues

24 Le recours à la géologie pour gérer et réaménager un site

25 Les paysages sont marqués par leur roche

26 Trouver les chemins de l’eau souterraine

28 Jacques Avoine : « Les cailloux ne se reproduisent pas, ils sont condamnés à disparaître »

29 Benoît Fritsch : Comment nousavons découvert que notre site abritait du patrimoine géologique

31 Intégrer la dimension géologique dans le plan de gestion

32 Trois outils juridiques pour protéger le patrimoine géologique

33 Guy Martini : « La protection in situ, une si bonne idée ? »

33 Stratégie d’éducation au Grand site du Puy Mary

puis des centaines de millions d’an-nées bouleversent les géographiesplanétaires. « L’univers est éter-nel, les mondes naissent et meu-rent, ce qui est la mer peut devenirla terre. Tout change tout le temps»affirmait déjà Aristote, 350 ans avantnotre ère.En matière de contexte géologique,on peut chapitrer chacun de nos en-vironnements selon que le sous-soly est plus ou moins visible, voirenon visible. Souvent la géologiese fait discrète. Elle n’en est pasmoins sous-jacente et structurante.Toute approche naturaliste – maisaussi géographique, urbanistiqueou de travaux publics – d’un terri-toire ne peut se comprendre sans ladécouvrir et y faire référence. Enmatière de sous-sol : aucun terri-toire n’est banal. Il a quelque choseà nous expliquer pour le connaître,le protéger et le faire découvrir.Parfois, le contexte géologique s’en-orgueillit d’une, deux ou troisétoiles, car il est esthétique et sculp-tural ou scientifiquement référent,témoin spécifique d’un phénomèneou des êtres vivants qui nous ontprécédés… Il quitte alors la bana-lité pour devenir «patrimoine géo-logique», paysage, structure, objet,roche, cristal ou fossile à protégercar unique et valeureux. Sa dispa-rition serait une perte.Ce dossier vous invite à entrer engéologie… Laissez-vous tenter. ●François MichelGéologue, auteur, consultant pour leCentre technique de matériauxnaturels de [email protected]

Géologie,j’aime ton nom !

Dossier préparé par Anne Douard Réserves naturelles de France • Roger Estève Conservatoiredu littoral • Jacques Avoine Réserves naturelles de France

EEES ÉCOSYSTÈMES

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page21

Page 3: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

22 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

VAL D’OISE

Tout l’intérêt des géologues

Propriété du conseil général du Val d’Oise, la carrière de Vigny-Longuesse (21 ha) est classée

Espace naturel sensible. Territoire à fortenjeu géologique, l’endroit fut sujet àcontroverses scientifiques pendant plusde cent cinquante ans. La carrière a étéexploitée pour son calcaire du Danien(un co-stratotype du niveau de l’ère ter-tiaire [-65 Ma] très peu visible enEurope). Elle abrite une faune fossileconsidérable et d’anciens récifs coral-liens sont encore visibles.En 2001, c’est la collaboration avec desexperts des sciences de la Terre qui vapermettre d’en orienter la gestion. Ainsi,notamment, l’expertise de géologues del’institut géologique Albert-de-Lapparent(Cergy) empêche le remblaiement dusite en fin d’exploitation. Sur leur avis,les gestionnaires obtiennent le maintiendes fronts de taille les plus intéressantset la conservation du patrimoine bâtid’intérêt sur la carrière, dont le local ducarrier construit en partie avec la pierredu site. Une modification de l’arrêté pré-fectoral de remise en état par le car-rier, lequel a définitivement cessé sonactivité fin 2001, sera alors nécessaire.Deux ans plus tard, en 2003, le premierplan de gestion du site est établi par ungroupement d’études faisant intervenir

”L’avis de

Cons

eil g

énér

al d

u Va

l d'O

ise

Christian MontenatEx-directeur de l’institut géologique Albert-de-LapparentEx-directeur de recherche au CNRS

« Nous ne sommes pas des prestataires »

L’institut Albert-de-Lapparent a prêté main forte aux gestionnairesde terrain. Nous sommes intervenus à Vigny-Longuesse (cf. ar-ticle ci-contre). Notre rôle a consisté à sélectionner des «spots»,

c’est-à-dire à définir ce qu’il fallait mettre en valeur dans cette grandecarrière devenue réserve.En tant qu’école formant des ingénieurs, nos motivations sont cellesde géologues travaillant dans le domaine de la recherche et de l’en-seignement supérieur professionnel. Nous ne sommes pas des pres-tataires de services. Plusieurs aspects ont motivé notre interven-tion. En premier lieu, il nous semble important de vulgariser la géologie.C’est une manière d’affirmer son impact socio-économique et de contri-buer au recrutement d’élèves de bon niveau. Nous avons aussi besoinde disposer de lieux de travaux pratiques permettant à nos étu-diants d’acquérir un entraînement de terrain.Par ailleurs, certains sites, et c’est le cas à Vigny ou Auvers-sur-Oise,sont des « monuments historiques ». Ils racontent une page de l’his-toire de la Terre. Ils appartiennent aussi à l’histoire de la science géo-logique. Elle y a forgé certains de ses concepts et fait évoluer certainesde ses idées.Nous ne pouvions pas, non plus, rester indifférents aux efforts ac-complis pour aménager le site. C’est peu fréquent. Ensuite il faut aussifaire fonctionner ces sites, les animer, les faire visiter, susciter l’in-térêt. Il faut donc un minimum de moyens de fonctionnement et depersonnel. C’est là, assurément, le point faible de l’opération. ●[email protected]

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page22

Page 4: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 23

S

écologues mais aussi géologues. Ils pro-posent des équipements tels que bac àéchantillons, observatoire, belvédère delecture du paysage et aménagementd’une quinzaine de points d’observation.En 2006 puis 2009, lors du chantierd’aménagement du site, c’est encore l’in-tervention de géologues experts (InstitutLasalle) qui va permettre de surveillerles travaux de dégagement des coupes,d’orienter les terrassements, puis d’as-surer la valorisation pédagogique du site(panneaux…). De même, ils rédigent lecontenu d’un livret scientifique destinéà former les enseignants en SVT afinqu’ils organisent leurs sorties scolairessur site.L’intérêt majeur du site a justifié sonclassement en réserve naturelle régio-nale en octobre 2009. Ce classement per-met de travailler avec le Conseil scien-tifique régional du patrimoine naturel,en particulier les géologues, notammentpour la rédaction du nouveau plan degestion de la réserve depuis avril 2012.Celui-ci devrait permettre une évalua-tion régulière de cette gestion à partird’une liste d’indicateurs. ●Sébastien GirardResponsable du service Trame verte et bleueConseil général Val d’[email protected]

L’aménagement de la carrière deVigny-Longuesse par le conseil générala représenté plus de 330 000 eurosd’investissement, hors acquisition. La carrière accueille aujourd’hui de 4 à 5 000 personnes par an, avec unegrande majorité de scolaires, issus duVal d’Oise, mais aussi de tous lesdépartements limitrophes.L’aménagement de ce site, reconnu, etrégulièrement fréquenté par desgéologues du monde entier, confirmela demande sociale de sites supportspour des sorties pédagogiques,notamment en Île-de-France.

Un exemple de mollusque fossile présentsur le site – un campanile – une des 350espèces de fossiles recensées.

INFO

PÉD

AGO

GIQ

UE

Repères Archéologie. Étude des vestiges decivilisations disparues. Contrairement àla géologie, l’archéologie est unescience humaine et non pas une sciencenaturelle. Cela dit, elle utilise destechniques de fouille et de datation quireposent sur des connaissances desédimentologie, pédologie, minéralogie,géochronologie, hydrogéologie...

Pédologie. Discipline desgéosciences à la frontière entre lasédimentologie et la biologie. Elleconsiste en l’étude des sols, du point devue géologique (histoire et évolution) ouagronomique (rendements etadaptations agricoles).

Minéralogie. Discipline desgéosciences qui étudie les minéraux,d’un point de vue systématique et d’unpoint de vue physico-chimique. Cettediscipline a de fortes implications dansl’industrie des matériaux (métallurgie,minérallurgie).

Géosite. Site géologique biencirconscrit et d’importancepatrimoniale. Pour cette raison, il estpotentiellement inscrit sur l’inventairedu patrimoine géologique, vastechantier sur lequel sont actifs uncertain nombre de pays.

Géotope. Parfois confondu avecGéosite. Si on fait un parallèle avecbiotope, c’est plutôt un ensemblegéographique à importance géologique,par exemple un paysage (une falaise,une vallée...) dont on peut se servir pourillustrer l’évolution géologique d’unterritoire.

Géoparc. Label de l’Unesco attribué àun territoire dégageant une activité etdes retombées économiques autour dela géologie. Le premier géoparc à avoirobtenu ce label est français : la Réservenationale géologique de HauteProvence. ●Jean-Yves Reynaud Professeur de géologie - Université de [email protected]

Géosciences. Sciencesdescriptives (naturelles) ou «exactes»(physico-chimiques) s’intéressant aufonctionnement et à l’évolution de laTerre solide et de ses enveloppesfluides. Dans le registre des sciencesnaturelles, on peut citer la géologie, laminéralogie, la paléontologie. Dans leregistre des sciences «exactes» : lagéochimie, la géophysique, lagéodésie... L’océanologie ou lamétéorologie font également partiedes géosciences au sens large.

Géologie. Sous-ensemble desgéosciences regroupant les sciencesdescriptives des objets in situ de laTerre solide. Il en est ainsi de latectonique, la pétrologie, lastratigraphie, la sédimentologie,l’hydrogéologie... La géologie, discipline fondatrice dessciences de la nature dans l’Antiquité,a évolué au cours du 20e siècle en unescience expérimentale s’appuyant surla géochimie et la géophysique.

Géomorphologie. Discipline desgéosciences qui s’intéresse à laformation et à l’évolution géologiquedes paysages. Pour certains de cesaspects, notamment géodésiques (lamesure et la quantification de lagéométrie de la surface terrestre), lagéomorphologie est une sous-partiede la géographie physique. Pour lereste (datations, évolution sur deslongues périodes de temps), c’estplutôt de la géologie.

Paléontologie. Discipline desgéosciences qui s’intéresse auxmessages portés par les fossiles : lesétapes et les modalités de l’évolutionde la vie (affinité avec la biologie), lesrapports entre la biodiversité et leschangements de l’environnement aucours des temps géologiques, lareconstitution des paléogéographiesdisparues...

▼L’Aten offre une formation : Géomorphologie, milieux et monde

minéral, des paysages qui se transforment. L’objectif est de mieuxprendre en compte le sous-sol dans la gestion des milieux et des

sites. Ce stage apporte des éléments utiles à la rédaction des plans degestion. Cinq jours qui permettent d’apprendre à observer les roches, re-pérer les éléments morphologiques principaux, d’aborder les interac-tions entre vivant et minéral, la composition des sols, la notion de temps…Aucune connaissance préalable n’est requise. Les publics concernés sontautant les chargés d’entretien du milieu naturel et les responsables detravaux que les chargés de mission patrimoine naturel, ou responsablesscientifiques. ● En savoir plus : formation.espaces-naturels.fr

Pour se former

Cons

eil g

énér

al d

u Va

l d'O

ise

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page23

Page 5: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Les échelles des tempsgéologiques se comptenten millions d’années.

Aussi, la prise en compte desévolutions minérales est-ellerarement considérée commepertinente pour la gestion desespaces naturels. L’exemple del’Aven d’Orgnac montre aucontraire combien une ap-proche géologique peut êtrefructueuse quand elle intègreles différents domaines de l’hy-drogéologie, la géochimie etplus généralement de l’étudedes transferts dans les rochesterrestres. Elle a par exempleconduit à modifier les condi-tions d’accès au site par le pu-blic et à réaménager totalementles surfaces de parkings.

Comprendre. L’approche desprocessus géologiques du sitea, en effet, permis de percevoirque l’Aven d’Orgnac reste géo-logiquement actif.Les géologues ont construit lemodèle de fonctionnement ac-tuel, lequel est également liéà l’impact de la fréquentationestivale par le public.Pour ce qui est de la dyna-

mique des transferts gazeuxpar exemple, les scientifiquesont pu mettre en évidence quecelle-ci est très active avec uneforte saisonnalité : l’été, deuxtonnes de CO2 biogénique issudu sol sont exportées par jourà l’ouverture de l’Aven, l’hi-ver l’air extérieur pénètre parl’entrée naturelle et ventile

par convection les grands vo-lumes souterrains.Un suivi continu de l’envi-ronnement et des expéri-mentations ont contribué à lafois au contrôle des impactsanthropiques sur le milieu età la construction d’un modèlede fonctionnement actuel.Le travail intègre des phé-nomènes microclimatiquesaux échelles quotidiennejusqu’à pluriannuelle.

Réaménager le site. Ce modèlea guidé le réaménagementcomplet du site. Les mesureset bilans de CO2 ont montréqu’un surconfinement du mi-lieu souterrain (surfaces étan-chées de parkings ou de bâti-ments, clôture partielle desentrées naturelles) augmen-tait les taux de CO2 vers des va-leurs inédites et limites pourla visite. Cette évolution a étéstoppée en restituant les en-trées naturelles et des surfacesdu karst aptes à l’échange hy-drique et gazeux avec les ca-vités. La visite souterrainegrand public a été restreinte àune zone dont l’accès est faci-

lité par un ascenseur, son im-pact sur le milieu est diminuépar un éclairage sectorisé uti-lisant les sources lumineusesles mieux adaptées.Les phénomènes géologiquessont des déterminants impor-tants dans le milieu karstiquemais aussi plus largement danstous les sites dont le substra-tum est un lieu d’échange oude transfert à différenteséchelles de temps.Les modèles en géologie four-nissent ainsi des informationspertinentes pour la gestion rai-sonnée des milieux : identifi-cation des volumes ou surfacesà protéger, échelle de tempsdes phénomènes, évaluationet discrimination entre évo-lutions naturelles et impactsanthropiques.Les incertitudes sur les effetsdes évolutions climatiques né-cessitent d’intégrer pleinementla géologie environnementaleà la réflexion sur l’avenir d’unespace naturel. ●François Bourges [email protected] Genthon [email protected]

Le recours à la géologie pour gérer et réaménager un siteL’approche géologique a montré que la suppression des surfaces étanchées des parkingslimitait les taux de CO2 dans l’Aven.

AVEN D’ORGNAC

Labellisé Grandsite de France en2004, l’Avend’Orgnac estprotégé selon laloi 1930 sur lessites classés. Sonréaménagementa été effectuédans le cadred’une Opérationgrand site.

L’Aven d’Orgnac.La dissolution des calcairesd’âge secondaire par desécoulements souterrains a, au Quaternaire, creusé desréseaux de grands videssouterrains. Ornés deconcrétions remarquablesdans les parties hautes,partiellement colmatésd’argiles plus bas, ilsconstituent un ensembletotalement minéral. C’estaussi un aquifère karstiqueactif où une zone d’infiltrationsurmonte une zone noyéedrainée jusque dans la Cèze.En crue centennale, l’eauenvahit les salles bassessuggérant un lien entre lesgrands dépôts argileux et cetype d’événement.

24 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

Philippe Crochet

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page24

Page 6: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 25

La morphologie et l’allurede nos paysages résul-tent de l’interaction d’un

ensemble de facteurs. À la basede tout: le soubassement, ro-cheux ou alluvial. Ainsi, pas dezones humides, de peupliersou de canards sur des platierscalcaires; pas plus que l’on netrouve des chênes et lézardsverts sur des argiles.C’est ainsi que les délimita-tions d’appellations viticolestiennent compte du sous-sol.L’AOC Chablis n’est attribuéeque pour des terrains cal-caires abritant un fossile par-ticulier : une petite huître,Exogyra virgula, datant duKimméridgien, à savoir duJurassique supérieur (env.155 millions d’années). Certesla pente, l’exposition, le sol…,tout ce qui définit le climatd’un vin intervient, mais laseule chose qui différencie lesCôtes de Nuits des Côtes deBeaune, c’est la roche.

C’est encore la roche qui est àl’origine de la première ré-serve mondiale dans la forêtde Fontainebleau. Sa végéta-tion et ses paysages sont dusau mélange de sables à grosblocs de grès qui émergent demanière irrégulière, sourced’inspiration pour les pein-tres de l’École de Barbizon.En 1836, les coupes de vieillesfutaies sont ajournées tandisque c’est à titre artistique que,en 1861, onze ans avant leParc national de Yellowstone,la première réserve voit lejour (1 000 ha).

D’autres exemples encore ? EnAveyron, à une petite dizainede kilomètres de Decazeville,

Les paysages sont marqués par leur rocheLa géologie fait les paysages, son empreinte influence également habitats et espèces.À l’exemple de la serpentinite dont la composition chimique n’autorise aucun arbre.

DÉCRYPTAGE

la région boisée laisse sou-dainement apparaître une col-line, une seule, sans un arbre,sans une maison. Cette col-line chauve, nomée Puy deWolf (commune de Firmi) estconstituée d’une roche verte,avec de jolies moirures plussombres ou jaunâtres. Cettepierre fut utilisée au Moyen-Âge pour construire notam-ment la fontaine du cloître deConques. Elle ressemble àune peau de serpent, d’où sonnom : serpentinite. Il s’agitd’une partie du manteau ter-restre transformée par circu-lation de fluides hydrother-maux. La serpentinite nepermet pas aux arbres depousser du fait de sa compo-sition chimique: déficience enpotassium et relative défi-cience du calcium par rapportau magnésium, mais aussi,sans doute, présence de mé-taux toxiques (nickel, chrome,cobalt). Les sols de serpentinesont impropres à l’agriculture.Le sous-sol est donc en rela-tion avec le paysage et ne per-met pas toujours à l’hommede le façonner à son gré.

Constitué de roches issues dumanteau terrestre, le Puy deWolf n’est pas pour autant unvolcan. La flore de cette col-line, du fait des serpentinitesest tout à fait particulière etde ce fait inscrite sur le réseauNatura 2000. Ces 134 hectaresconstitueraient le gisementde serpentinite le plus im-portant d’Europe. Elle dated’environ 400 millions d’an-nées et témoigne de la fer-meture d’un ancien océan.

Dans cette lande couverte degenêts purgatifs, se trouveune curiosité : le « Tabouretde Firmi», plante endémiqueen forme de candélabre et àpetites fleurs blanches…unique au monde. À peineplus répandue, la Margueritedu midi comme l’Euphorbede Coste. Pour se défendre dela toxicité de la roche, cesplantes ont développé des dé-fenses particulières et blo-quent les éléments toxiquesdans leurs racines.Quelques autres collines pos-sèdent une telle roche. Ainsidans le Nord de l’Ardèche (au

nord d’Annonay), se remarquele Suc de Clava. Sur ce site laroche est également riche enchrome, cobalt, cuivre etnickel, supposés être des poi-sons pour les plantes. La vé-gétation est très particulière etjustifie son classement en zoneNatura 2000. Seul le pin syl-vestre semble s’accommoderde ce chimisme, les chênes,frênes élevés ou autres sorbiersdes oiseleurs… ne dépassentpas quelques dizaines de cen-timètres de hauteur.Aux limites du territoire na-tional, dans la plaine du Pô,s’illustre aussi le Mont Pelédont la dénomination est sansambiguïté. Au Japon enfin,plusieurs montagnes de ser-pentinite sont appelées Bozu-yama, bozu signifiant soitune tête chauve soit un moinebouddhiste, ce qui revient aumême; et yama, montagne.La géologie fait les paysages,son empreinte influence éga-lement habitats et espèces, cen’est plus à démontrer. ●Patrick De Wever Professeur [email protected]

Le mont Wolf, en Aveyron,contraste par sa nudité :quelques herbes, ni arbres,ni construction. Alors qu’àsa périphérie, la présencedes habitations le dispute àcelle des arbres.“Venue du manteau terrestre, la serpentinite

est composée de métaux toxiques.

Pat

rick

De

Wev

er

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page25

Page 7: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

26 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

Pour qui gère un espace naturel, ilest utile et simple de connaître leschemins de l’eau, des cours d’eau.

Google Earth suffit largement pour cefaire. Dans les régions calcaires cepen-dant, les régions karstiques comme ondit, c’est une tout autre affaire.Prenons l’exemple des Hauts plateaux duVercors (réserve naturelle), la photo aé-rienne ne révèle que rochers nus, forêtsmaigres, pelouses bien grillées à la fin del’été. Mais où passe l’eau de la pluie ?On connaît le principe. L’eau s’infiltre parles fissures de la roche, s’enfonce sousles prairies, et sous les arbres. Elle partpour un voyage inconnu dans les ténè-bres, dans les profondeurs du calcaire,par un cheminement qu’elle a trouvé,agrandi elle-même vers un point de sor-tie au débouché du calcaire, au contactd’une vallée.La recherche du chemin suivi par l’eausouterraine est un problème très diffi-cile. Sa solution exige la collaboration deplusieurs acteurs.L’hydrogéologue s’intéresse à l’eau sou-

VERCORS

Des questions comme la pollution, la contamination des ressources en eau prennent del’importance... Pour connaître les chemins de l’eau, s’adjoindre le concoursd’hydrogéologues, de spéléologues, de géologues... Exemple dans le Haut-Vercors.

terraine. Il part des sources, faciles àtrouver. Pour les Hauts plateaux duVercors, elles sont dans les gorges dela Bourne : la grotte de Bournillon,énorme par son porche et ses débits, lessources d’Arbois plus discrètes, la grottede la Luire perchée sur le bord du pla-teau et une dernière enfin, bien cachée :le Siphon d’Arbois qui ne coule quequelques heures par an.

L’hydrogéologue essaye aussi de délimi-ter le bassin versant de la source, c’est-à-dire l’ensemble des points du plateaupour lesquels l’eau de pluie sort à lasource. Pour cela, il s’appuie sur les ap-ports des spéléologues et des géologues.Les spéléologues sont censés connaîtreles entrailles de la Terre. Ils doivent sa-voir, eux, où passe l’eau, quels sont seslieux d’enfoncement, ses cheminements,ses confluences, ses collecteurs. Ils sontles derniers explorateurs de la planète,arpentant patiemment les chaos calcairesà la recherche de fissures qui donneraientaccès aux gouffres, aux réseaux souter-

rains qu’ils convoitent. En réalité, siles spéléos connaissent bien certainesparties du monde souterrain, on peutdire que la plus grande part leur échappeencore : elle reste à explorer.D’ailleurs, que connaît-on sur les Hautsplateaux ? Plusieurs gouffres ont étéexplorés qui rejoignent le bas des cal-caires mais sans offrir d’accès à des ri-vières souterraines. Néanmoins, le ré-seau de la Luire (Saint-Agnan-en-Vercors,Drôme), le plus grand du Vercors pourle développement (53 km), offre une vuefascinante mais fragmentaire sur les cir-culations souterraines.Les spéléos pratiquent aussi des traçagespermettant de connecter un point dela surface avec une source. Mais si cestraçages jouent le rôle de vérification, ilsne fournissent pas le détail du cheminde l’eau.Ces explorateurs apportent aussi uneconnaissance supplémentaire : leurs to-pographies des gouffres révèlent des élé-ments sur leur structuration.Si l’eau coule à l’air libre dans les gale-

Serge Caillault

L’eau dansla grotte deBournillonen crue2012.

Trouver les cheminsde l’eau souterraine

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page26

Page 8: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

S

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 27

ries (on dit vadose), c’est la pesanteur quiguide l’eau. On constate alors que l’eaudescend assez verticalement dans les cal-caires du Vercors qui sont très fissurés.Et quand les fissures ne permettent pasà l’eau de traverser les bancs, elle secontente de suivre les joints de strate.En revanche, si les conduits sont noyés,l’eau qui est sous pression suit la lignela plus droite possible vers l’exutoireen empruntant les calcaires fissurés.

Le rôle majeur du géologue. Ce sont lespatients levés des géologues de terrain,leur connaissance des épaisseurs descouches, des pendages et des fracturesqui permettent d’imaginer le mieux leschemins de l’eau. Mais quelle est la rè-gle du jeu ? Quelles conditions géolo-giques permettent d’affirmer l’existenced’un cours d’eau souterrain et d’en lo-caliser l’itinéraire?Dans le Vercors nord, l’établissement dela carte des lignes de niveau du toit del’Hauterivien permettrait de répondreà ces questions.En effet, la limite inférieure de la couchecalcaire principale, l’Urgonien, est im-perméable. Il s’agit en général des marno-calcaires de l’Hauterivien. Cette coucheimperméable joue donc le rôle de sur-face de drainage (comme le sol dans lespays non calcaires). Si on connaissaitla forme topographique du toit del’Hauterivien avec les lignes de niveauxcorrespondantes, il suffirait de repérerles talwegs, autrement dit les creux decette surface, pour savoir où l’eau couledans ces creux.S’il existe des cuvettes, il suffit de repé-rer les déversoirs, donc les niveaux pié-zométriques.Avec ce document hypothétique, on pour-rait dessiner le chevelu hydrographiquesouterrain en une heure de travail. Maisce document n’existe pas. Il reste àconstruire et là, il faudra plus qu’uneheure de travail.Dans le sud Vercors, une complication

apparaît car l’Urgonien cesse d’être bienindividualisé, la couche devient plus com-plexe. On n’est pas sûr de savoir à quelniveau géologique l’eau se cale pour cou-ler. Il faut alors réfléchir un peu plus etles traçages sont utiles.

Les cartes n’existent pas. Pourquoi cescartes pour le tracé des chemins de l’eaun’existent pas ? Le lever d’une carte estchose lourde, dévoreuse de temps etd’énergie. Les cartes géographiques ontété les premières car elles intéressaientles militaires. Ont suivi les cartes géolo-giques, très utiles pour la recherche deminéraux, elles intéressaient les mineurs.Mais les enjeux économiques de laconnaissance des chemins de l’eau kars-tique sont bien plus petits, ce qui expliqueque ces cartes n’ont pas encore été le-vées. L’hydrogéologue doit donner desrésultats rapidement. Il s’intéresse plusà l’eau qu’à la géologie et ne consacre pasassez de temps à ces cartes.Pourtant, des questions comme la pol-lution, la contamination des ressourcesen eau, commencent à prendre de l’im-

portance. Il semble donc probable queces cartes finiront par être levées et pu-bliées. Elles devront être construites pardes géologues confirmés. Les études géo-logiques déjà faites constituent une bonnebase. Ainsi, on voit facilement que lescoupes levées par Hubert Arnaud sur leVercors sud permettraient, si elles étaientprolongées vers le bas jusqu’au toit del’Hauterivien, de construire les fameusescartes qui demandent précision et travail.Les gestionnaires d’espaces karstiquesdevraient prendre conscience que la par-tie invisible de ces régions n’est pasmoins intéressante que la partie visible.Le cheminement de l’eau souterrainereste partiellement mystérieux sousles Hauts plateaux du Vercors et dans ungrand nombre de régions calcaires. Cesespaces des ténèbres ne devraient-ils pasfaire l’objet, tout autant que les espacesensoleillés, des soins attentifs de leursgestionnaires? ●Baudouin Lismonde SpéléologueMembre du comité scientifique du PNR Vercors et de RN Hauts [email protected]

Exemple de coupes géologiques rapprochées utiles pour la constitution des cartes.Hubert Arnaud, 1966.

EN SAVOIR PLUS

«Contribution à l’étude géologique des plateaux du Vercors méridional »,Hubert Arnaud, 1966, Géologie alpine, tome 42, p. 33-52.

INFO

PÉD

AGO

GIQ

UE

Repères

Urgonien. Division du Crétacéinférieur située au-dessous duNéocomien.

Hauterivien. Troisième étagestratigraphique du Crétacé inférieur,entre -136,4 ± 2,0 et -130 ± 1,5 milliond’années.

Talweg. Correspond à la ligne quirejoint les points les plus bas d’unevallée.

QUATERNAIRE

AlluvionsÉboulisMoraines

MIOCÈNE

SÉNONIEN

Lauzes calcairesMicroconglomératsCalcaires de base

APTIEN ALBIEN

URGONIEN

Calcaires massifsà Rudistes

Sables vertsMarnes gréseusesCalcarénites àentroque LumachelleCouche marneuse à d’Orbitolines

Molasse

Les Hautsplateaux :aucunruisseau en vue !

F : faille

BL

et C

hris

toph

e Le

foul

on

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page27

Page 9: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

?

28 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

JACQUES AVOINE

ENTRETIEN AVECEnseignant-chercheur à l’université de Caen, Jacques Avoine est géologue. Il estégalement responsable de l’association Patrimoine géologique de Normandie etprésident de la commission Patrimoine géologique de Réserves naturelles deFrance. Ses activités, professionnelles ou non, le conduisent aussi à partager sapassion de la géologie avec le grand public.

exemple, il est bon de s’in-terroger sur ce que l’on dé-truit et en quel pourcentage.Il faut réfléchir sur la manièredont, ce faisant on modifie lepaysage… Et puis, il y a desrègles de base : dans les ré-serves naturelles, on neconstruit rien. Quand on pré-lève des roches, on fait atten-tion à ne pas trop prélever. Etsurtout ne pas jeter !

Avez-vous d’autres argumentspour sensibiliser surl’importance de ce patrimoineultime ?

Dans les parcs par exemple,nous arrivons à sensibiliserles élus à l’intérêt des caillouxen passant par le biais du bâti.Nous faisons la relation entrele patrimoine bâti, le patri-moine culturel et le patri-moine naturel biologique.C’est facile… Mais plus glo-balement, l’idée qu’un cailloune repousse pas est assez fortepour convaincre de la néces-sité de sa préservation. ●Recueilli par Moune Poli

messages faites-vous passerlors de vos animations ?

Cette discipline remet l’hommeà son échelle. C’est le Tempsqu’on touche du doigt. Letemps de la Terre qui est notremaison mère. On réalise querien n’est immuable. Le cal-caire devient sable…C’est aussi tout un voyage.Quand on présente un affleu-rement, des roches, un re-lief… on raconte l’Histoire.On explique comment leschoses en sont arrivées là.Montrez un fossile dans uncalcaire, c’est fabuleux ! Vouspouvez évoquer la mer danslaquelle l’animal a vécu. Vouspouvez parler du climat, peut-être tropical… Les roches per-mettent de reconstituer l’en-vironnement passé. L’hommeest un élément parmi d’autresdans la nature.

Émotion et pédagogie,seraient-ce les deux raisonspour lesquelles il fautprotéger les cailloux ?

Protéger les cailloux, c’estégalement travailler pour lesgénérations futures. Si l’on

souhaite pouvoir continuer àétudier ces objets – la scienceévolue et on ne sait pas tout– il faut les protéger. Cela nese renouvelle pas, un caillou.Cela ne se reproduit pas.Essayons de tout faire pouréviter qu’il disparaisse.

Il faut donc réfléchir avant dedétruire, y compris lagéologie ordinaire ?

Certains objets géologiquesont plus de valeur que d’au-tres. Un granit n’a pas de va-leur particulière. D’autresroches au contraire sont trèsmenacées par la prédation ou,principalement, par la dé-gradation naturelle, par l’éro-sion. Mais la géologie ordi-naire mérite d’être préservéeparce qu’elle est le substratde la végétation, des espèces,et qu’elle « fait » le paysage.On voit aussi que certainesroches ont une compositionchimique un peu particulièrequi permet à un type précisde plantes de pousser.On ne peut pas imaginer detout conserver mais avant deconstruire un bâtiment par

Suivre la trace d’un oiseaudans le ciel, c’est à la foisfugitif et sensible. Nul besoind’être savant pour apprécierla magie d’un tel moment.Pouvez-vous ressentir desémotions similaires encontemplant une pierre ?

L’animal vit quelques se-maines, quelques années, ilse reproduit, l’espèce se per-pétue ou, éventuellement, elleest menacée… Avec la pierre,il en est de même. Elle a unehistoire, elle vient des pro-fondeurs de la Terre. Entre lapierre et l’oiseau, nous nesommes pas dans la mêmeéchelle temporelle mais tousdeux sont vivants. La pierre aune vie propre ; pour la saisiril faut s’inscrire dans une partd’imaginaire. Or, faire par-tager cet imaginaire à un pu-blic, le rendre réceptif, c’estpassionnant. Même si entrerdans la géologie contempla-tive n’est pas facile et que celanécessite un médiateur.

La géologie serait un moyende sensibiliser le public àl’environnement… quels

« Les cailloux ne se reproduisent pas,ils sont condamnés à disparaître »

EN SAVOIR PLUS [email protected]

La vallée Chaudefour.François Michel

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page28

Page 10: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 29

?

Vous avez donc acquis uneformation de géologue…

Non. Nous n’avons pas, en in-terne, les connaissances et lescompétences suffisantes pourappréhender, et donc gérer, cepatrimoine exceptionnel.Personnellement, j’ai beau-coup lu, creusé… mais moninterprétation reste encoretrop superficielle. Quand je mepenche sur des descriptionsgéologiques, j’avoue avoir en-core du mal. C’est pour cela

richesse géologique. Ils y fai-saient des recherches.D’évidence, il y avait là un po-tentiel et il fallait comprendrelequel. Nous avons fouillé labibliographie pour nous aper-cevoir qu’existait toute une lit-térature sur le sujet. En effet,à l’occasion de l’ouverture dela carrière, en 1967, le siteavait été décrit avec précision.

C’est un peu paradoxal… lacréation d’une exploitation,donc l’aliénation de la roche, aété le révélateur desrichesses patrimoniales.

On peut même ajouter que toutce qui a été extrait pendant l’ex-ploitation de la carrière a défi-nitivement disparu. Cependant,cette entreprise a égalementpermis de rafraîchir une paroide la falaise. Et donc de faireévoluer les connaissances surle patrimoine géologique.

Revenons en arrière… Vousavez pris conscience que votreréserve abritait des richessesgéologiques. Comment êtes-vous passé de cette prise deconscience à la mise en placed’une protection effective ?

Celle-ci ne s’est faite vérita-blement qu’à partir du mo-ment où nous avons travailléavec des scientifiques. Et nousavons mis beaucoup de tempspuisque la première étude géo-logique de la réserve naturellen’a été effectuée qu’en 2001,au moment de la mise en œu-vre du plan de gestion. Cettedescription géologique du site,confiée à l’université de Dijon,

nous a permis de nous aper-cevoir que nous travaillionsseuls. Leur bibliographie fai-sait souvent référence auxmêmes personnes, celles quiavaient décrit le site dans lesannées 1970, or nous n’avionspas pris contact avec elles.Nous avions évolué de manièrecloisonnée: d’un côté les scien-tifiques, de l’autre les ges-tionnaires.Depuis, nous essayons de fairetomber ces cloisons.

La Réserve naturelle du Boisdu parc n’a pas le titre deréserve géologique ; pourtant,vous vous préoccupezprincipalement de laprotection de ce patrimoine.Comment expliquez-vous cetétat de fait ?

La réserve a été créée en 1979.À cette époque, il était ques-tion d’étendre une carrièreexistante et l’on envisageait ladéforestation de tout un sec-teur. Les riverains et usagersse sont opposés à ce projet enmettant en avant des intérêtsfloristique et faunistique.Aujourd’hui, ce serait différent,on ne verrait pas que cet as-pect des choses. La géologieserait même sur le devant dela scène. En effet, là où noussommes, l’Yonne a creusé sonlit dans un calcaire dur: un cal-caire corallien. Elle a mis enévidence un récif fossilisé. Danstoute la vallée, les falaises ré-vèlent les écosystèmes natu-rels qui s’y sont fixés. Cette ré-serve naturelle nationale n’apas le titre de réserve géolo-gique. Elle le mérite pourtant.

Mais alors… comment avez-vous pris conscience que vousabritiez un patrimoinegéologique à préserver ?

Nous avons simplement ou-vert les yeux, vu que des géo-logues, des universitaires, fré-quentaient notre site pour sa

Quand la Réserve naturelle nationale du Bois du parc a été créée, les enjeux géologiquesn’étaient même pas évoqués. Il s’agit pourtant d’un patrimoine rare que les gestionnairesont ainsi découvert.

Prudence et observationsont de mise lors destravaux de sécurité sur lesparois des falaises quipeuvent mettre à jour desobjets géologiques.

Comment nous avons découvert que notresite abritait du patrimoine géologique

BOURGOGNE

BENOÎT FRITSCH

ENTRETIEN AVEC

Garde technicien animateur à la Réserve naturelledu Bois du parc

B. Fritsch - RN Bois du parc

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page29

Page 11: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

30 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

que nous développons un par-tenariat et un relationnel trèsfort avec les géologues.

Concrètement comment celase décline-t-il ?

Nous avons proposé à un géo-logue, un ancien professeur del’université de Dijon qui ap-paraissait régulièrement dansles publications, de faire par-tie du comité de gestion de laréserve naturelle. Je l’interrogetrès souvent.

Comment savoir si un siteabrite du patrimoinegéologique ?

Il faut faire un inventaire puisune évaluation. On peut éga-lement avoir la puce à l’oreilleen observant sur le terrain. S’ily a des affleurements, des stra-tifications… Ensuite, il fautavoir la volonté de travaillersur ce thème méconnu ou mé-sestimé; et pour cela, il faut al-ler vers les spécialistes. Il fautaller sur le terrain avec eux,afin qu’ils nous donnent leurlecture des falaises, de la paroi,des fossiles.Nous, professionnels de la na-ture, on voit ce qui pousse tan-dis que le géologue pose sonregard sur une cavité, il ex-plique pourquoi, là, il y a unfossile; pourquoi, ici, le terrainest rempli de sédiments. Il endéduit qu’auparavant il y avaittel type de milieu… Ces gens-là savent faire parler la roche.Ensuite, il incombe au ges-tionnaire de se réapproprier lesinformations, de les traduire etde les vulgariser. Cela supposeun gros effort de la part du pro-fessionnel de la nature.

à cette évaluation sur notre siteet constaté qu’il y avait peud’érosion, car nous sommes enprésence d’un calcaire très dur.En revanche, nous sommessoumis à quelques prélève-ments sauvages. Il est d’ailleursdommage que notre décret decréation ne permette pas uneprotection réglementaire de cepatrimoine. Juridiquement,nous n’avons pas d’outil adé-quat pour verbaliser.

Conseillez-vous à d’autresgestionnaires d’espacesnaturels, pour qui l’intérêtgéologique de leur site estmoins évident, de s’intéresserà la question ?

C’est indispensable car il s’agitd’un patrimoine ultime. Une érosion… et ce patri-moine disparaît ad vitamæternam. Notre formation etnotre instinct ne nous amè-nent pas à nous pencher si na-turellement sur la géologie.Disons… que nous sommesplus attirés par le vivant.Pourtant cette science estutile, ne serait-ce que pourcomprendre comment fonc-tionne un site, comment il aévolué: à l’origine de la flore,de la faune, de tout… il y ala roche. ●Recueilli par Moune Poli

[email protected]

Lors d’une purge (photo pageprécédente), un fossile est misà jour. Il est accroché à la paroi,sous un bloc. Délicatementprélevé puis mis en valeur, ilnous raconte son histoire…

GRANDS CRITÈRES D’ANALYSEDescription géologique

Phénomène : ……

Niveau stratigraphique : ère, période, étage, âge absolu

Intérêts géologiquesIntérêt principal Note ……/3

Rareté du site Note ……/3

Intérêt secondaire Note ……/3

Intérêt pédagogique Note ……/3

Intérêt annexe Note ……/3

Intérêt pour l’histoire de la géologie Note ……/3

Intérêt touristique et/ou économique : ……

VulnérabilitéMenace anthropique Note ……/3

Vulnérabilité naturelle Note ……/3

région de France par les Dreal.Il faut également prendre encompte l’élément «rareté» carc’est lui aussi qui confère unevaleur à ce patrimoine. Cheznous, par exemple, en l’ab-sence de perturbations, les po-lypiers ont été fossilisés en po-sition de vie. C’est assez peufréquent en France.

Faut-il également évaluer ledegré des menaces?

Tout à fait. Celles-ci peuventêtre d’origine naturelle ou an-thropique. Nous avons procédé

Comment sait-on si cetteroche a de la valeur, c’est-à-dire s’il s’agit de patrimoinegéologique?

Il existe des outils d’évaluation,notamment le Vade-mecumétabli par le Muséum. Celui-cipropose de renseigner un cer-tain nombre de critères et d’in-dicateurs pour aboutir à unenotation finale. Mais il faut re-connaître que, là encore, l’ap-pui d’un géologue est néces-saire. Sinon, on peut s’appuyersur l’inventaire du patrimoinegéologique piloté dans chaque

Extrait de Vade-mecum pour l’inventaire du patrimoinegéologique national, P. De Wever, Y. Le Nechet, A. Cornée,Mémoire hors série n° 12, Société géologique de France, 2006,162 p. À télécharger : http://mic.fr/72

O. Girard - CENB

En l’absence deperturbations, lespolypiers ont étéfossilisés en positionde vie. C’est assez peufréquent.

Mon site abrite-t-il du patrimoine géologique ?

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page30

Page 12: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 31

Pourquoi intégrer géolo-gie et patrimoine géo-logique dans son plan de

gestion ? Et pourquoi pas ?Notre responsabilité n’est-ellepas de considérer le patrimoinenaturel dans son ensemble?Prenons l’exemple de laRéserve naturelle régionale dela forteresse de Mimoyecques.Un ancien site militaire sou-terrain creusé dans le massifcrayeux du nord du Boulonnais(62). Un lieu de mémoire fré-quenté chaque année par10000 visiteurs et près de 400chauves-souris, qui en ont faitl’un des plus importants sitesd’hibernation au nord de Paris.Le premier réflexe serait denous concentrer sur la pro-tection des chiroptères. Il se-rait logique de considérer lecontexte géologique, la craie,comme étant le support dé-terminant leurs conditions de vie dans les souterrains.Logique aussi de l’utilisercomme outil pédagogique,pour expliquer ce lien au grandpublic. Mais la géologie a d’au-tres facettes.

Géologie, un enjeu. Envisagerla géologie comme un enjeunaturaliste à part entière, pourses dimensions esthétique, pé-dagogique, scientifique… n’estpas toujours facile et rien nevaut les échanges avec des géo-logues qui ont la connaissancenécessaire pour cela.C’est ce que nous avons fait.Quand, en 2007, l’inventairedu patrimoine géologique aété engagé, le Conservatoired’espaces naturels et la Dreal

Nord-Pas-de-Calais se sont as-sociés aux scientifiques lo-caux. Il a alors été démontréque Mimoyecques était nonseulement un site géologiquemais également un site pa-trimonial : le front de taillequi surplombe l’entrée dessouterrains expose des ni-veaux de marnes d’origine vol-canique1, utilisées à l’échelledu bassin parisien (France-Angleterre), et permet de re-constituer une partie de l’his-toire de la mer, de la craie auCrétacé supérieur.Le conservatoire a donc saisil’argument pour protéger lesite dès 2008. Le plan de ges-

tion pouvait-il l’ignorer?L’étape suivante a consisté à as-socier les données concernantle contexte géologique avec lesenjeux du plan de gestion afinde définir des moyens d’action.Ce n’est pas tout en effet, deconnaître la constitution d’uneroche ou d’identifier la pré-sence d’une faille, encore faut-il connaître les processus géo-logiques en cours et lesmenaces naturelles ou an-thropiques qui pèsent sur cettegéodiversité : développementde la végétation, érosion, pil-lage, aménagement…Le plan de gestion a donc in-tégré ces préoccupations. Sur

le front de taille, la probléma-tique majeure est de concilierconservation, face à une éro-sion importante, et contraintesde sécurité, inhérentes à la va-lorisation touristique du site.Pour cela, une expertise a été commandée à un bureaud’étude géotechnique afinqu’il évalue la dynamique etla dangerosité du front et qu’ilpropose les solutions les plusadaptées.

Actions. À partir de 2009, plu-sieurs opérations ont été en-gagées : pose d’un grillagepare-éboulis, débroussaillageset purges annuels sur et auxpieds des parois rocheuses,suivi régulier de la stabilité,mise en valeur des aspects lesplus pédagogiques du frontpar la pose d’un panneau.Depuis, chaque année, des vi-sites guidées sont organiséessur la thématique Patrimoinescroisés, associant histoire,chauves-souris et géologie.Le challenge consiste à consi-dérer le site dans son ensem-ble. Ne privilégier aucun desenjeux mais protéger et valori-ser chacun d’eux, pour leur va-leur intrinsèque et pour les re-lations qu’ils entretiennent. ●Gaëlle GuyétantCEN Nord-Pas-de-Calais

Intégrer la dimension géologiquedans le plan de gestion

NORD-PAS-DE-CALAIS

Le vrai challenge pour ce site du Conservatoire des espaces naturels a été de neprivilégier ni les enjeux géologiques, ni les enjeux environnementaux. Le plan degestion intègre l’ensemble de ces dimensions.

Pose du grillage pare-éboulis sur le front de taille au-dessusde l’entrée des souterrains sur la Réserve naturellerégionale de la forteresse de Mimoyecques par uneentreprise spécialisée dans les travaux en hauteur. Cetteopération répond à un double objectif de conservation dupatrimoine géologique et de sécurisation : empêcher lachute de blocs sur les visiteurs et limiter le recul de la paroi.

Gaë

lle G

uyét

ant.

[email protected]

1. Les marnes sont des rochessédimentaires composées decalcaires et d'argiles. À Mimoyecques,la fraction calcaire correspond à lacraie tandis que la fraction argileuseprovient de la transformation dedépôts de cendres volcaniques endifférentes argiles.

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page31

Page 13: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

Laboratoires du BRGM, cartothèque.Laurent Mignaux - METL-Medde

32 Espaces naturels n° 43 juillet 2013

LE DOSSIER I GÉOLOGIE : FONDEMENT DES HABITATS, DES ESPÈCES ET DES ÉCOSYSTÈMES

Trois outils juridiques pourprotéger le patrimoine géologique

1EN COURS

L’inventairedu patrimoinegéologiqueIl identifie l’ensemble dessites et objets d’intérêtgéologique. • Il collecteet saisit leurscaractéristiques sur desfiches appropriées. • Ilhiérarchise et valide lessites à vocationpatrimoniale. • Il évalueleur vulnérabilité et lesbesoins en matière deprotection.Cet inventaire seraintégré dans le Systèmed’information sur lanature et les paysagesmis en place par leministère de l’Écologie.Ces données serontmises à la disposition descitoyens. ●http://mic.fr/adfw

23

de Rochechouart-Chassenon (87) ou de laDésirade (97).Sauf autorisation du préfet, il est interdit dedétruire ou modifier l’état ou l’aspect d’uneRN et chaque RN a sa réglementation (ex :interdire des travaux, des activités minières,autoriser des fouilles) et une gouvernancedédiée : un gestionnaire élabore un plande gestion dont la réalisation est suiviepar un comité consultatif et un conseil scien-tifique. La RN permet la gestion uniquede sites géologiques.

• L’arrêté préfectoral de protection de géotope(APPG). La loi Grenelle II (art. L.411-1 codede l’Environnement) interdit de détruire, al-térer, dégrader un site d’intérêt géologique ;d’en prélever, détruire, dégrader les fossiles,minéraux, concrétions, quand un intérêtscientifique particulier ou les nécessitésde la préservation du patrimoine naturel jus-tifient la conservation du site.La dégradation est punie de six mois d’em-prisonnement et 15 000 euros d’amende(amende doublée si l’infraction est commiseen RN ou en cœur de parc national). Un dé-cret attendu déterminera comment éta-blir la liste de sites concernés par cette in-terdiction et, en cas de risque de dégradation,comment les protéger par un APPG régle-mentant les activités.La liste sera établie en tenant compte descritères de l’Inventaire national du patri-moine géologique ou en reprenant les sitesdes inventaires régionaux. ●Marianne Giron Medde

1. Renforcée par la loi du 2 mai 1930.2. On compte 165 réserves naturellesnationales créées par l’État, 6 réservesnaturelles de Corse créées par la collectivitéde Corse, 119 réserves naturelles régionalescréées par des conseils régionaux.

[email protected]

▼Un vade-mecum Géologie pour quoi faire ?

Véritable cahier technique, ce vade-mecum créé par RNF se veutêtre un support concret et très illustré pour inciter chaque ges-tionnaire de réserve à prendre en compte la géologie de son

territoire, afin d’enrichir la base Serena avec de nouvelles données,pour aider à la rédaction des plans de gestion, pour repérer d’éventuelsnouveaux objets géologiques patrimoniaux, et pour inviter à des actionsde sensibilisation et de vulgarisation. Publication RNF, il sera prêt fin2013/début 2014. Contacter Karine Michéa (RNF). ● François Michel

• Le site inscrit ou classé est protégé au vude critères artistiques, historiques, scienti-fiques ou de son caractère légendaire ou pit-toresque. Environ un tiers des sites et mo-numents naturels classés sont de naturegéologique, comme les Gorges du Verdon(83), les Demoiselles coiffées du Sauze (05),ou encore les Pénitents des Mées (04). Laloi du 21 avril 19061 repose sur un proces-sus de reconnaissance sociale de valeurs ex-ceptionnelles liées à des lieux de beautéou de mémoire.Le ministère en charge de l’écologie vise àce que la surface classée passe de 1,5 à 2%du territoire métropolitain d’ici vingt ans.

• La réserve naturelle. Nationale, régionaleou de Corse2, une réserve naturelle (RN)protège le patrimoine naturel terrestre etmarin. La finalité d’une RN peut être laconservation du sol, des eaux, des gisementsde minéraux et de fossiles, au vu de critèrestels que la préservation de formations géo-logiques, géomorphologiques ou spéléolo-giques remarquables. Quatorze réserves na-turelles nationales sont spécifiquement liéesà la protection d’objets géologiques commecelles de Sainte-Victoire (13), de l’Astroblème

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page32

Page 14: GÉOLOGIE - Revue des professionnels de la nature

S

Espaces naturels n° 43 juillet 2013 33

La protection in situ,une si bonne idée ?

Comme pour l’objet culturel ou na-turel, l’objet géologique est un élé-ment de mémoire ; de la mémoire

de la Terre.La prise de conscience pour la protectiondes sites géologiques a été initiée vers1978. En 1991, une étape fondamentaleaboutissait à sa patrimonialisation avecl’adoption de la Déclaration internationaledes droits de la mémoire de la Terre. Et,nourries des concepts sur la nouvelle mu-séologie développés par Georges-HenriRivière, les réflexions sur ce nouveau pa-trimoine géologique ont aussi porté sursa muséalisation.Ainsi la protection in situ a été un conceptde base du patrimoine géologique.En effet, arraché de son contexte d’ori-gine, celui-ci se retrouve isolé, porteurd’une simple information sur sa maté-rialité et coupé de son paléo-environne-ment dans lequel il trouve tout son sens.Un des premiers musées de site futconstruit, en 1980, sur la Réserve géo-logique de Haute Provence, pour proté-ger les restes d’un ichtyosaurien vieux de175 millions d’années.À partir de cette initiative, les expériencesde protection in situ se sont multipliéesdans le monde entier.Or, avec un recul d’une trentaine d’an-nées, l’analyse de ces musées de sitemontre que la roche ou le fossile, ainsiprotégé des éléments climatiques et despossibles détériorations anthropiques,a quand même subi une altération voireune dégradation.Ce constat doit nous conduire à de nou-velles interrogations liées à l’échelle detemps propre à ce patrimoine. La pro-longation de la « durée de vie » d’un fos-sile protégé in situ sur une période de 100,200 voire 500 ans est-elle réellement sé-mantiquement satisfaisante et cohérente;quand la spécificité même de ce patri-moine nous permet de penser le tempsen millions d’années ? ●[email protected]

1. Guy Martini est également membre du bureau Unesco-Global Geopark Network

AUVERGNE

La compréhension d’un site est le meilleur outil deprotection. Le Grand site du Puy Mary décline cettemaxime auprès de ses 500 000 visiteurs chaque été.

La compréhension d’un siteest le meilleur outil de pro-tection. C’est pourquoi le

Grand site du Puy Mary a placé lesservices d’accueil et de découverteau premier plan de ses actions.Un travail de fond a été initié avecdes structures scientifiques et pé-dagogiques locales (BRGM, asso-ciation Volcan terre d’éveil,Muséum des volcans, Biome…)aboutissant à la création d’un li-vret pédagogique. Celui-ci intègreune carte géologique simplifiée etsitue les éléments paysagers d’in-térêt géologique.Par ailleurs, au travers d’une ins-tallation-spectacle, la maison desite du Pas de Peyrol raconte le vol-can : ses formations, transforma-tions, son aspect actuel. Dans unespace intime, le visiteur découvredes projections vidéo et sonores.Enfin, des animations théma-tiques, en majorité gratuites, sontproposées au public, aux écoles etcentres de loisirs. Depuis 2007,celle organisée au sommet du PuyMary vise à présenter la genèse dumassif. À la demande, elle est dis-

pensée en français,anglais, néerlan-dais ou allemandpar des animatricesdiplômées d’État etsalariées du grandsite (une anima-tion est adaptéeaux petits).En 2012, une col-laboration avec leParc naturel régio-nal des volcans

d’Auvergne a fait naître une ex-position temporaire Pierres de vol-cans dans la maison de site deDienne. La muséographie défini-tive approfondira cette thématiquede la rencontre fusionnelle entrel’homme et la pierre, de la matièrebrute jusqu’à ses différents usages.Elle donnera lieu à une expositionpermanente interactive, ludique etsensible organisée autour d’unecarte géologique en relief.La connaissance du volcan can-talien s’est ainsi largement inten-sifiée ces dernières années.Aujourd’hui, le grand site souhaitecréer un réseau de sites géolo-giques et géomorphologiques,améliorant leur connaissance pro-pre et proposant des aménage-ments pédagogiques et d’accessi-bilité pour les visiteurs : lacs delave, bombes volcaniques, éboulis,orgues basaltiques… Le premiersite vient d’être réalisé sur les cas-cades du Sartre et de la Roche(Cheylade). ●Bertrand GauvritDirecteur du Grand site du Puy [email protected]

Stratégied’éducation

Au cœur du volcan du Cantal,plus grand volcan d‘Europe,le Grand site du Puy Mary arécemment été labelliséGrand site de France.

”L’avis deGuy Martini Directeur de la Réserve géologiqueHaute ProvenceExpert international Geopark Unesco1

Pierrick Robert

EN 43_EspacesNat2010 10/06/13 18:00 Page33