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FAUST I ET IILES SOUFFRANCES DU JEUNE WERTHER

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GOETHE

LES AFFINITÉSÉLECTIVES

Traductionpar Jean-Jacques POLLET

Présentation, notes,chronologie et bibliographie

parRoland KREBS

Traduit avec le concoursdu Goethe-Institut

GF Flammarion

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Jean-Jacques Pollet, recteur de l’académie de Nancy-Metz, est profes-seur des Universités en littérature allemande. Il a notamment traduitdifférentes œuvres de Gustav Meyrink (La Nuit de Walpurgis, L’Ange àla fenêtre d’Occident, Histoires fantastiques pragoises) dans la collectionGF-Flammarion.

Professeur émérite de littérature allemande à l’université de Paris IV-Sorbonne, Roland Krebs est spécialiste de l’histoire des idées desLumières au classicisme. Il a consacré de nombreuses études à l’histoiredu théâtre allemand au XVIIIe siècle, et a récemment publié Helvétiusen Allemagne ou la Tentation du matérialisme (Honoré Champion,2006) et, avec Raymond Heitz, Schiller publiciste (Peter Lang, 2007).

© Éditions Flammarion, Paris, 2009.ISBN : 978-2-0812-0975-6

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PRÉSENTATION

Qui dira jamais la part qui revient au titre dans lacélébrité d’une œuvre ? Celui, mystérieux et poétique à lafois, du roman que Goethe publia en 1809 n’a, en toutcas, pas peu contribué à assurer sa notoriété. Mais ceroman est-il pour autant lu, compris et apprécié à sajuste mesure ? On peut en douter, du moins en ce quiconcerne la France. Tout se passe comme si Goethedevait y rester éternellement l’auteur des Souffrances dujeune Werther (1774), à l’aune desquelles on continue àmesurer ses œuvres postérieures qui relèvent pourtantd’un tout autre esprit, d’une tout autre esthétique. Déci-dément, seul le Goethe « romantique » – qu’il n’a pour-tant jamais été – fait recette en France, alors que le« classique » est volontiers considéré comme froid etempesé. Un lecteur aussi fin que Julien Gracq sacrifie àcette image convenue lorsqu’il déplore que rien n’arrêteGoethe, « maître Jacques de la culture allemande en ges-tation », « sur le chemin scabreux qui va de l’artiste ultra-sensible du Werther à la pesanteur du dernier Meister, enpassant par la froide épure des Affinités électives 1 ». Etd’imaginer un Goethe « précocement attaqué de la poi-trine » s’établissant en Italie, échappant ainsi « au congé-lateur de Weimar », ce qui aurait débarrassé « toutel’œuvre du Père fondateur des lettres allemandes » de

1. En lisant en écrivant, dans Œuvres complètes, t. II, Gallimard,1995, p. 716.

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« son arrière-goût de veau froid mayonnaise 1 ». On pour-rait aussi bien lui reprocher de ne pas s’être suicidécomme Kleist ou de ne pas être devenu fou commeHölderlin, et, au lieu de cela, d’être mort de vieillessedans son lit à quatre-vingt-deux ans !

Œuvre majeure du Goethe de la maturité, Les Affinitésélectives se dérobent à une lecture identificatrice et à uneinterprétation unique. Elles exigent une lecture attentive,peut-être même répétée. Goethe n’a-t-il pas lui-mêmeattiré l’attention sur la complexité du roman en disantqu’il y « avait mis beaucoup de choses et beaucoup cachéaussi 2 » ? Les circonstances de sa rédaction, l’accueilqu’elle a reçu des contemporains, permettent une pre-mière approche de cette œuvre singulière.

Le moment historique et biographique

Au moment de la parution du roman, cela fait plus detrente ans que Goethe est installé dans la minuscule capi-tale d’une petite principauté de Thuringe, Weimar. Il ya occupé pendant dix ans d’importantes responsabilitésadministratives et politiques. Cependant, depuis sonretour, en 1788, d’un long séjour en Italie, il ne s’occupeplus guère que des institutions culturelles du duché(théâtre, université, collections) et a retrouvé le tempsd’écrire. Avec Friedrich Schiller, il a entrepris d’unemanière très volontariste de donner à l’Allemagne unelittérature classique. Mais la mort prématurée de l’écri-vain en 1805 porte à ce projet commun un coup fatal ;avec lui disparaît aussi l’utopie d’une éducation esthé-tique rétablissant l’unité et l’harmonie de la personne

1. Ibid., p. 717.2. Lettre à Carl Friedrich Zelter du 1er juin 1809, citée d’après

Goethe, Werke, éd. Erich Trunz, Hambourg, Wegner, 1948-1960, t. VI,p. 621. Sauf indication contraire, les citations sont traduites par RolandKrebs.

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humaine qui, selon Goethe et Schiller, avaient régné dansla Grèce antique et que la société moderne avaitdétruites. Goethe perd avec Schiller non seulement unallié, mais aussi un ami et un interlocuteur privilégié :cette mort ne peut que renforcer le sentiment de sa soli-tude et de son relatif isolement dans le champ littéraire.

Le centre de gravité de la culture allemande se déplaceen effet alors de Weimar à Berlin, et c’est désormais lajeune génération romantique qui donne le ton. Goethepeut de ce fait avoir le sentiment d’avoir définitivementperdu le contact avec son public. Sans compter quel’approche de la vieillesse se fait sentir. Est-ce pour celaque le quasi-sexagénaire s’engage dans de si nombreusesrelations amoureuses avec des jeunes filles ou de trèsjeunes femmes ? Relations qui se terminent fatalementpar de douloureux renoncements… Ainsi que Goethele confesse dans ses Annales (1807) : « Pandore et LesAffinités électives expriment le douloureux sentiment dela privation 1. »

En même temps, les événements historiques prennentun tour dramatique. Pendant dix ans, Weimar avait pro-fité de la paix que la neutralité de la Prusse, négociéeau traité de Bâle, conférait à l’Allemagne centrale. En larompant en 1806, le roi de Prusse précipite Weimar dansla guerre. C’est sur son territoire que Napoléon inflige auxtroupes prussiennes dans lesquelles sert le duc Charles-Auguste, l’ami et le mécène de Goethe, les terriblesdéfaites d’Iéna et d’Auerstaedt ; et Weimar est livrée aupillage. Ce que Goethe avait décrit de loin dans sonrecueil de nouvelles, Entretiens des émigrés allemands(1795), ou dans son épopée bourgeoise Hermann etDorothée (1797), devient réalité vécue : violences, des-tructions, malheurs privés et publics. Un monde s’écroule

1. Goethe, Écrits autobiographiques 1789-1815, éd. Jacques Le Rider,Bartillat, 2001, p. 219.

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que symbolise la dissolution du Saint Empire romaingermanique dont, adolescent, il avait encore vu en 1764les fastes, à vrai dire déjà surannés, lors du couronnementde Joseph II à Francfort. La situation personnelle deGoethe et le sentiment qu’il a de vivre une crise histo-rique sans précédent se conjuguent pour conférer auxœuvres de cette période un caractère marqué d’inquié-tude et d’incertitude. Les Affinités électives n’échappentpas à ce climat particulier ; et c’est avec raison que lescontemporains ont pu y trouver une image fidèle de leurstemps troublés.

Lorsque Goethe, en 1807, songe à donner une suiteà son roman Les Années d’apprentissage de WilhelmMeister (1795-1796), il prévoit d’y inclure une série denouvelles qui constitueraient une sorte de contrepoint àl’action principale. De fait, si Les Années de voyage deWilhelm Meister (1829) présentent les projets et les entre-prises pratiques de ceux que le roman désigne comme des« renonçants 1 », les nouvelles se situent en général dansun univers dominé par le sentiment ou les passions. Enavril 1808, l’auteur cite Les Affinités électives, en mêmetemps que L’Homme de cinquante ans, comme une desnouvelles destinées au nouveau Meister. Mais il s’aper-çoit vite que la matière outrepasse largement les dimen-sions d’une nouvelle et il envisage alors d’en tirer unroman indépendant. La rédaction est inhabituellementrapide : dès l’été 1808, une première version du romanen dix-huit chapitres est terminée dans la ville de cure deKarlsbad. Le travail est cependant interrompu après leretour à Weimar et ne reprend qu’en avril de l’année sui-vante ; il est alors très vite mené à son terme. L’impres-sion commence tandis que la rédaction et la révision ne

1. Le titre complet du roman est en effet Les Années de voyage deWilhelm Meister ou les Renonçants. Les « renonçants », hommes oufemmes, se caractérisent par le fait qu’ils se sont détournés du souci desoi pour se consacrer à une activité sociale utile à tous.

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sont pas encore achevées, et le roman paraît en deuxvolumes, respectivement en septembre et en octobre1809.

La structure de la nouvelle reste visible dans l’œuvreachevée : en témoignent le nombre restreint de person-nages, le caractère dramatique que prend par momentsle récit et surtout l’existence de « l’événement singulier ettout à fait nouveau » qui pour Goethe caractérise legenre de la nouvelle 1. Il s’agit du fameux « adultère parla pensée » que commettent les deux protagonistes, lesépoux Charlotte et Édouard, en ayant tous les deux àl’esprit quelqu’un d’autre lors d’une nuit d’amour (I, XI).L’enfant qu’ils engendrent à cette occasion portera surson visage les marques de ce double fantasme : fait « sin-gulier », il ressemblera aux deux absents… Les Affinitésélectives n’en sont pas pour autant une nouvelle étendueaux dimensions d’un roman. L’œuvre, en effet, répondbien aux caractéristiques dégagées par Goethe et Schillerdans leur réflexion commune sur ce qui différencie leroman du drame : ainsi, la marche des événements estsouvent lente et le narrateur apparaît bien, face à desévénements passés, comme cet « homme sage les embras-sant dans une réflexion tranquille 2 ».

L’accueil du roman

Comme presque toutes les œuvres du Goethe de lamaturité, le roman reçoit un accueil contrasté. Si certainsécrivains et critiques sont impressionnés par la réussite

1. Conversations de Goethe avec Eckermann, traduction de JeanChuzeville, nouvelle édition revue et présentée par Claude Roëls,Gallimard, 1988, conversation du 25 janvier 1827, p. 203.

2. Poésie épique et poésie dramatique, dans Goethe, Écrits sur l’art,textes choisis, présentés et annotés par Jean-Marie Schaeffer, présentéspar Tzvetan Todorov, Klincksieck, 1983, p. 118.

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littéraire, l’art de la narration, l’acuité de l’analyse psy-chologique, d’autres, comme le plus jeune des frèresGrimm, Wilhelm, trouvent l’œuvre ennuyeuse, froide etartificielle 1. Quant au publiciste Joseph Görres, prochedes romantiques, il déplore l’introduction, dans uneœuvre qu’il admire, de « hors-d’œuvre » qu’il compare àdes « fleurs de givre » ou à des « préparations anato-miques bien conservées 2 ». Le roman fait sensation etéveille une vive curiosité, mais déçoit les attentes de nom-breux lecteurs. Aussi Goethe, déjà conscient de sonmanque de popularité véritable, écrit-il à ce moment qu’ildiffuse son roman comme une « lettre circulaire » à sesamis, et qu’il n’attend aucune compréhension véritablede la part de la masse de ses lecteurs 3. Il le réserve exclu-sivement aux happy few capables de l’apprécier commeœuvre d’art.

Mais c’est surtout l’esprit de l’œuvre qui choque beau-coup de lecteurs. Dans une atmosphère intellectuellemarquée par l’idéalisme moral et le renouveau du chris-tianisme, le roman trouble les cœurs purs, parce qu’ils netrouvent nulle part décrit le combat attendu de la passionet du devoir avec pour issue, bien sûr, la victoire de celui-ci. On est scandalisé par l’épisode central du doubleadultère par la pensée (I, XI). Une fois de plus, Goethedoit subir le reproche d’immoralité et s’entendre direqu’il est un mauvais chrétien ; à son habitude, il n’est pastendre envers ce public qui en reste à la surface deschoses. Aussi se défend-il par le sarcasme en en rajoutantsur l’interprétation moralisante et religieuse ; il prétendainsi n’avoir voulu que paraphraser le mot du Christ :

1. Voir sa correspondance à ce sujet avec son frère Jakob (Goethe,Werke, op. cit., t. VI, p. 640-642).

2. Lettre du 1er janvier 1810 à Achim von Arnim, citée d’aprèsGoethe, Die Wahlverwandtschaften. Erläuterungen und Dokumente,éd. Ursula Ritzenhoff, Stuttgart, Reclam, 2004, p. 132-133.

3. Lettre du 31 décembre 1809 au comte Reinhard, Werke, op. cit.,t. VI, p. 623.

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« Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjàcommis, dans son cœur, l’adultère avec elle 1. » Ouencore, faisant allusion aux deux jeunes héroïnes deFaust et des Affinités, il feint de s’indigner : commentpeut-on l’accuser d’être un païen, lui qui « a fait exécuterMarguerite et mourir de faim Odile » – « n’est-ce pasassez chrétien pour les gens ? Que veulent-ils encore deplus 2 ? »…

La critique de deux anciens amis de jeunesse, HeinrichJung-Stilling et Fritz Jacobi, nous fait entrer dans le cœurdu débat, dont l’enjeu est la question de la liberté. Jung-Stilling affirme dans une lettre au romantique Friedrichde La Motte-Fouqué du 12 novembre 1810 que le fata-lisme est et a toujours été le système de croyance deGoethe, qu’il se lit aussi bien dans son dernier romanque dans l’ensemble de sa vie : « ses dons naturels, sestendances et ses prédispositions en liaison avec les cir-constances extérieures le mènent inexorablement, ilsl’entraînent irrésistiblement avec eux 3 ». De son côté,Fritz Jacobi n’hésite pas à écrire : « cette œuvre deGoethe est totalement matérialiste », et assure ne pas êtredupe de l’apparente spiritualité de la fin qui n’est que« l’apothéose du désir 4 ». Aux yeux des lecteurs idéalisteset chrétiens, Goethe soulignerait trop le poids des déter-minations qui pèsent sur ses personnages – « fatalisme »signifie « déterminisme » dans le langage du temps – etne ferait pas triompher suffisamment en eux la liberté

1. Passage de l’Évangile selon saint Matthieu (5, 28), que Goethe necite que partiellement – il s’arrête au terme « désirer » – dans une lettreà Joseph Stanislaus Zauper du 7 septembre 1821 (Werke, op. cit., t. VI,p. 625).

2. Propos indirectement rapporté par l’écrivain et diplomate Varnhagenvon Ense, cité d’après Goethe, Werke, op. cit., t. VI, p. 623.

3. Lettre du 12 novembre 1810, dans Goethe, Die Wahlverwandt-schaften. Erläuterungen und Dokumente, op. cit., p. 148-149.

4. Lettre du 12 janvier 1810 au professeur Friedrich Köppen, dansGoethe, Werke, op. cit., t. VI, p. 645.

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que confère la loi morale ou la grâce divine. Ils seraienttrop soumis aux lois de la nature et n’affirmeraient pasassez l’autonomie de la raison. Bref, ils ne répondent pasaux attentes des lecteurs, que ceux-ci soient rationalistesou sentimentaux à la manière ancienne, ou encore reli-gieux comme le voulait l’esprit du siècle nouveau.Lorsque Mme de Staël, de son côté, assure que, certes,Goethe dans son roman fait la preuve de sa « profondeconnaissance du cœur humain », mais qu’il s’agit d’une« connaissance décourageante » et que la vie y est repré-sentée « comme une chose assez indifférente », elleexprime le même sentiment de frustration 1.

Un critique bienveillant, Rudolf Abeken, expliquacependant dès 1810 que la véritable transfiguration queconnaissait à la fin le personnage d’Odile, pourtantexceptionnellement soumis aux forces de la nature, révé-lait la présence en l’homme d’une force supérieure quiassurait sa liberté. Cette interprétation fut authentifiéepar Goethe lorsqu’il assura devant son secrétaire Frie-drich Wilhelm Riemer que les « philistins » qui regret-taient l’absence d’un combat entre la moralité etl’inclination n’avaient pas vu que c’est dans l’expiation etla mort d’Odile que le sentiment moral triomphait 2.C’est ainsi que se créa ce qui constitua jusqu’à une daterécente la doxa de la critique.

Si Les Affinités électives, au cours du XIXe siècle, restaune œuvre quelque peu confidentielle, la thématique dela passion, du couple et du mariage qui est en son centreconnut une fortune exceptionnelle dans le roman euro-péen, ainsi qu’en témoignent Madame Bovary (1857) deGustave Flaubert, Anna Karénine (1877) de Léon Tolstoï

1. De l’Allemagne (1813), éd. Simone Balayé, GF-Flammarion,1968, t. II, p. 47.

2. Le texte de Rudolf Abeken est reproduit dans le tome VI deGoethe, Werke, op. cit., p. 627-633. Pour le commentaire de Goethe,voir ibid., p. 622.

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et Effi Briest (1894) de Theodor Fontane. Il faut en outrerappeler que dès le début du XXe siècle, les plus grandsnoms de la littérature allemande, de Hugo vonHofmannsthal à Thomas Mann, n’ont cessé d’exprimerleur admiration pour les qualités formelles des Affinitésélectives. Et l’adaptation cinématographique des frèresTaviani en 1996 prouve que l’œuvre de Goethe, près dedeux siècles plus tard, continue de susciter curiosité etintérêt.

Les Affinités électives, un roman social ?

À première vue, le roman semble passablement intem-porel. Le temps qui y est décrit semble être exclusivementcelui, naturel, de la succession des saisons et du rythmede croissance de la végétation, non celui de l’Histoire. Lechâteau d’Édouard et de Charlotte pourrait être situénulle part ou partout. Les personnages ne sont en généraldésignés que par leur prénom, leur titre (« le comte »,« la baronne »), leur grade (« le Capitaine », « le Com-mandant ») ou leur profession (« l’architecte », « le direc-teur adjoint », « le jardinier »). Aucun événementhistorique contemporain n’est évoqué avec précision :même la guerre à laquelle participe Édouard reste ano-nyme. Et pourtant, le roman est daté parce qu’il se réfèreà une crise historique précise : celle que connut lanoblesse terrienne traditionnelle dans la période qui sui-vit la Révolution française et qui précéda l’époque desgrandes réformes prussiennes. Ce qui peut donner unefausse impression d’intemporalité, c’est le traitementsymbolique que Goethe applique à la réalité sociale ; lui-même indique du reste qu’il a voulu, dans son nouveauroman, « représenter sous une forme symbolique desconditions sociales et leurs conflits 1 ».

1. Journal de Friedrich Wilhelm Riemer à la date du 28 août 1808,cité d’après Goethe, Werke, op. cit., t. VI, p. 620.

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L’ancrage social de l’œuvre est indiqué dès le premierparagraphe, qui présente Édouard comme un « richebaron » (I, I). Les personnages principaux sont tousnobles, cependant l’aristocratie décrite ici n’est pas celledu Wilhelm Meister, une noblesse éclairée et réforma-trice, consciente de ses responsabilités sociales et sou-cieuse de s’adapter à l’esprit des temps nouveaux.Charlotte et Édouard ont connu dans leur jeunesse la viede cour avec sa culture de l’apparence et de la représenta-tion, mais, après leur mariage tardif, ils se sont retirésdans le domaine d’Édouard, bien décidés à vivre poureux-mêmes, loin du grand monde, dans une solitude àdeux qu’agrémente le confort que confèrent la richesse etles loisirs. Ils entreprennent de construire systématique-ment autour d’eux un cadre idyllique, et modèlent au gréde leur fantaisie le parc entourant le château et le pay-sage alentour. Lorsque le roman commence, Édouardtermine son travail de greffe dans sa pépinière et partadmirer la cabane aux pierres moussues que sa femmevient de faire construire. Mais ce genre de vie ne peut, àla longue, convenir au caractère impatient et agitéd’Édouard, et, bientôt, celui-ci rompt l’idylle de la vieà deux en demandant à Charlotte l’autorisationd’accueillir un ami, le Capitaine, un noble sans fortunepour l’instant sans emploi, et qu’il faut sauver de l’inacti-vité forcée. En dépit de quelques hésitations, Charlotteaccepte cette demande, parce qu’elle-même envisage derecevoir au château sa pupille Odile. C’est ainsi que semet en place le quatuor dans lequel ne va pas tarder à sedéployer le jeu des « affinités électives » : Édouard vas’éprendre d’Odile, et Charlotte être attirée par leCapitaine…

Malgré certains efforts de Charlotte pour s’en déta-cher, les deux époux pratiquent le style de vie qui caracté-rise la classe oisive qu’est devenue la noblesse. Tout estsubordonné chez eux à l’agrément, et, qu’il s’agisse de

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PRÉSENTATION 17

réorganiser le domaine ou de faire construire une nou-velle maison, le souci esthétique l’emporte généralementsur les considérations économiques ou pratiques. Lanoblesse terrienne tire ses ressources de l’exploitation deses domaines ; pourtant, avant l’arrivée du Capitaine, lebaron Édouard ne possède même pas un relevé exact deses propriétés, et, par la suite, les transformations entre-prises pour le simple plaisir des yeux le conduisent àvendre une métairie – certes, elle rapportait peu, mais lecapital ainsi dégagé est consacré à des travaux d’embellis-sement et ne rapporte plus rien du tout ! Un appauvrisse-ment progressif se dessine et l’avenir du domaine privéd’héritier est bien incertain. En restant attachée à unstyle de vie rendu inadapté par l’évolution historique,c’est donc le fondement économique de son pouvoir etde son prestige que la noblesse met en péril.

Le couple irrégulier que forment deux visiteurs, lecomte et la baronne – qui s’aiment mais sont mariés cha-cun de son côté, et ne se voient qu’occasionnellement –,illustre les traits traditionnellement liés à la noblesse decour dans la littérature du temps : oisiveté, principes demorale quelque peu relâchés, indifférence aux conven-tions sociales ; à quoi il faut ajouter, pour la baronne, uncertain goût de l’intrigue. Un autre visiteur qui fait sonapparition dans la seconde partie du roman, le lordanglais, voyageur et esthète égoïste, mène une vie errante,d’auberge en maison amie, trouvant avantage, comme ill’avoue non sans une pointe d’élégant cynisme, « à ce qued’autres bâtissent, plantent et gèrent pour [lui] les affairesdomestiques » (II, X). Il n’est du moins pas importun, àla différence de Lucienne, la fille de Charlotte, qui réuniten elle tout ce que l’on peut reprocher à une classe ayantperdu sa véritable raison d’être.

Lucienne, à la pension où elle a été élevée en compa-gnie d’Odile, a passé pour une jeune fille accomplie,répondant à toutes les exigences d’une éducation aristo-cratique réussie. Mais lorsqu’elle arrive au château avec

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son fiancé (II, IV), elle se révèle être un modèle de coquet-terie, de vanité et de narcissisme. Ainsi, les « tableauxvivants » qu’elle organise, et qui visent à reproduire desœuvres picturales connues en mettant en scène les invitésprésents (II, V), n’ont qu’une seule visée : mettre envaleur sa beauté. Toujours à la recherche d’un divertisse-ment nouveau, elle crée autour d’elle un tourbillon per-manent sans tenir compte des sentiments de sonentourage. Cette incapacité à se mettre à la place desautres peut, à l’occasion, provoquer des catastrophescomme lorsqu’elle tente d’arracher à sa solitude volon-taire une jeune voisine mélancolique dont elle aggravel’état (II, VI). Certes, il arrive aussi à Lucienne d’avoirune influence bénéfique, par exemple lorsqu’elle redonnecourage à un jeune mutilé (II, V). Ainsi, elle est tantôtsecourable, tantôt maléfique – ange ou démon, c’estselon. Mais dans les deux cas, elle ne se laisse guider quepar son bon plaisir et par le désir de se mettre en valeur.

Comme souvent chez Goethe, l’approche sociale nesuffit pas à rendre compte de ce personnage : Lucienneincarne, certes, la culture de l’apparence, la superficialitéde l’aristocratie traditionnelle, son parasitisme et sa pra-tique de la « dépense » – la cour qu’elle a réunie autourd’elle est comparée à un « essaim » qui s’abat sur undomaine pour le dévaster (II, V) –, mais elle représenteaussi une tendance « moderne », celle de l’hypertrophiedu moi, d’un individualisme destructeur de toute sociabi-lité authentique. De ce point de vue, elle est l’antithèseabsolue d’Odile dont on pourrait dire que le moi est troppeu affirmé et qui, de ce fait, pousse l’attention auxbesoins des autres jusqu’à l’effacement et à une humilitéexcessive, ce que Charlotte lui reproche dès son arrivéeau château (I, VI). Lucienne est aussi un double caricatu-ral d’Odile : il est révélateur que son prénom, commecelui d’Odile, évoque les yeux et la lumière – si Odileporte le prénom d’une sainte invoquée pour guérir les

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N° d’édition : L.01EHPN000165.N001Dépôt légal : janvier 2010

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