généralement considérées comme les principaux intervenants

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UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA MATURATION La maturation des viandes, période pendant laquelle s’élabo- rent les qualités organoleptiques du produit final, prend en compte l’évolution positive et négative de ces caractéristiques et les mécanismes qui y contribuent. Parmi ces qualités, la ten- dreté, et de façon plus générale la texture de la viande, reste, encore aujourd’hui, la qualité la plus recherchée par les consommateurs. En effet, si la viande est souvent considérée comme trop ferme pour la viande bovine et porcine, elle est parfois jugée comme n’étant pas assez ferme pour d’autres espèces (poissons, poulet,...). L’attendrissage des viandes est un processus enzymatique impliquant les systèmes protéolytiques endogènes (Ouali, 1992 ; Sentandreu et al., 2002). Dans ce contexte, l’attention des chercheurs a été principalement focalisée sur deux systèmes enzymatiques connus depuis plusieurs décennies qui sont les cathepsines et les calpaïnes. Ceci a conduit à l’appari- tion de trois courants de pensées : - ceux qui sont persuadés que les calpaïnes sont seules res- ponsables du processus d’attendrissage des viandes - ceux qui suggèrent que les deux systèmes cités participent à ce processus, - et, enfin, un troisième groupe, dont je fais partie, qui propo- sent un processus multienzymatique impliquant ces systèmes et probablement d’autres dont la fonction, dans le muscle post mortem, est moins bien connue (proteasomes, caspases, ... ). Dans cette revue, nous nous proposons de reconsidérer les connaissances accumulées sur la maturation des viandes en intégrant une nouvelle donnée qui est la mort cellulaire ou apoptose dont les effets connus pourraient expliquer une bonne partie des observations et constats faits jusque là. Maturation des viandes Une nouvelle donne pour la compréhension de la maturation des viandes OUALI A. (1) (2) , HERRERA-MENDEZ C-H. (1) , BECILA S. (2) ,BOUDJELLAL A. (2) (1) QuaPA, BPM, INRA de Clermont Ferrand Theix, 63122 Saint Genès Champanelle, France (2) INATAA, Université de Constantine, Route de Aïn El Bey, 25000, Constantine, Algérie Science et technique Les calpaïnes sont généralement considérées comme les principaux intervenants dans le processus enzymatique qu’est la maturation des viandes. Les auteurs suggèrent qu’un autre groupe de peptidases, les caspases, pourraient être impliquées ; in vivo, elles sont à la fois initiatrices de la mort programmée des cellules et actrices puisqu’elles sont spécialisées dans la dégradation des structures cellulaires. Cette nouvelle ouverture pourrait constituer l’explication d’observations jusqu’à là inexpliquées. Viandes Prod. Carnés Vol 24 (6) 205

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UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA MATURATION

La maturation des viandes, période pendant laquelle s’élabo-rent les qualités organoleptiques du produit final, prend encompte l’évolution positive et négative de ces caractéristiqueset les mécanismes qui y contribuent. Parmi ces qualités, la ten-dreté, et de façon plus générale la texture de la viande, reste,encore aujourd’hui, la qualité la plus recherchée par lesconsommateurs. En effet, si la viande est souvent considéréecomme trop ferme pour la viande bovine et porcine, elle estparfois jugée comme n’étant pas assez ferme pour d’autresespèces (poissons, poulet,...).

L’attendrissage des viandes est un processus enzymatiqueimpliquant les systèmes protéolytiques endogènes (Ouali,1992 ; Sentandreu et al., 2002). Dans ce contexte, l’attentiondes chercheurs a été principalement focalisée sur deuxsystèmes enzymatiques connus depuis plusieurs décennies quisont les cathepsines et les calpaïnes. Ceci a conduit à l’appari-tion de trois courants de pensées :- ceux qui sont persuadés que les calpaïnes sont seules res-

ponsables du processus d’attendrissage des viandes- ceux qui suggèrent que les deux systèmes cités participent à

ce processus,- et, enfin, un troisième groupe, dont je fais partie, qui propo-

sent un processus multienzymatique impliquant ces systèmeset probablement d’autres dont la fonction, dans le musclepost mortem, est moins bien connue (proteasomes, caspases,... ).

Dans cette revue, nous nous proposons de reconsidérer lesconnaissances accumulées sur la maturation des viandes enintégrant une nouvelle donnée qui est la mort cellulaire ouapoptose dont les effets connus pourraient expliquer unebonne partie des observations et constats faits jusque là.

Maturation des viandes

Une nouvelle donne pour lacompréhension de la maturationdes viandes

OUALI A. (1) (2), HERRERA-MENDEZ C-H.(1), BECILA S.(2),BOUDJELLAL A.(2)

(1) QuaPA, BPM, INRA de Clermont FerrandTheix, 63122 Saint Genès Champanelle, France

(2) INATAA, Université de Constantine, Route de Aïn El Bey, 25000, Constantine, Algérie

Scien

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niqu

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Les calpaïnes sontgénéralement considéréescomme les principauxintervenants dans leprocessus enzymatiquequ’est la maturation desviandes. Les auteurssuggèrent qu’un autregroupe de peptidases, lescaspases, pourraient êtreimpliquées ; in vivo, ellessont à la fois initiatricesde la mort programméedes cellules et actricespuisqu’elles sontspécialisées dans ladégradation des structurescellulaires. Cette nouvelleouverture pourraitconstituer l’explicationd’observations jusqu’à làinexpliquées.

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LA MORT CELLULAIREPROGRAMMÉE OUL’APOPTOSE

Dans les organismes vivants, les cel-lules ont une durée de vie limitée ettoutes vont, à un moment donné,s’engager vers une mort inéluctablemais régulée de façon très précise.Ceci s’applique d’autant mieux auxcellules musculaires que l’activitémétabolique intense de ce tissu per-siste en raison de la nécessité des’adapter en permanence au travailqu’il doit accomplir. La mort cellulai-re programmée fait partie intégrantede la physiologie normale du vivant.Contrairement à la mort par nécrose,elle correspond à un “suicide” cellu-laire génétiquement très contrôlé.Ainsi au cours des nombreusesmitoses et différenciations cellulairesqui permettront de créer un organis-me à partir d’un œuf, il est en perma-nence nécessaire d’éliminer les cel-lules superflues ou potentiellementdangereuses. Ce phénomène d’élimi-nation sélective des cellules est assurépar un processus appelé APOPTOSE.Le mot apoptose fait référence à lachute programmée des feuilles à l’au-tomne : apo pour éloignement et ptosepour chute.

La régulation très stricte de ce pro-gramme est essentielle pour s’assurerqu’il est activé uniquement dans lacellule concernée et au bon moment.À l’inverse, la dérégulation du pro-cessus apoptotique conduit, chezl’homme, à diverses pathologiescomme, par exemple, le(s) cancer(s),les maladies auto-immunes et lesmaladies neurodégénératives.

L’apoptose fait appel à une machine-rie très complexe qui commence àêtre bien connue dans le monde ani-mal. Par contre, si tous les chercheurssont d’accord pour dire que ce pro-cessus de mort cellulaire programméeexiste aussi chez les végétaux, lesdifférents intervenants sont, dans cecas, encore relativement mal connus.Pourtant, son rôle dans le développe-ment et la morphogenèse des plantesest considéré comme essentiel. Eneffet, il est bien admis que, dans lerègne végétal, une dérégulation del’apoptose est très souvent associéenon seulement à des perturbationsnombreuses et très diverses du déve-loppement mais aussi, à une fortelétalité (Sanmart N. et al., 2005).

Pour se convaincre du caractère ubi-quitaire de ce processus, notons que

les premières découvertes sur le rôlebiologique des caspases, enzymesprincipalement responsables de lamort programmée des cellules, ont étéréalisées sur le nématodeCaenorhabditis elegans (Yan et al.,1993). C’est chez ce nématode que lepremier gène responsable de la mortcellulaire a été identifié, gène codantpour CED3, une cystéine protéasetrès homologue à ICE (Interleukin-1Converting Enzyme), enzyme décou-verte chez l’homme peu auparavant(Thomberry et al., 1992 ; Cerretti etal., 1992). Ces découvertes consti-tuent le point de départ des nombreuxtravaux développés par la suite surces peptidases et leurs régulateurs,travaux qui ont conduit très rapide-ment à une meilleure compréhensiondes mécanismes impliqués dansl’apoptose.

UNE MORT CELLULAIREORDONNÉE

La notion d’apoptose a été introduiteen 1972 par Kerr et coll. pour dési-gner une forme de mort cellulairetotalement différente de la nécrose,tant d’un point de vue morphologiqueque biochimique.

La nécrose est considérée comme unemort cellulaire “désordonnée”. Eneffet au cours de la nécrose, les cel-lules se gorgent d’eau au point quecela entraîne la lyse de leur membra-ne plasmique. C’est une véritableexplosion cellulaire qui conduit à lalibération, dans le milieu environnant,du contenu cytoplasmique. Les orga-nites cellulaires eux aussi gonflent etse vident de leur contenu. L’ADNnucléaire est dégradé, de manière“aléatoire”, par des endonucléasesactivées notamment par des sérinepeptidases. La taille des fragmentsd’ADN ainsi générés est très hété-rogène. La nécrose d’une celluleaffecte les autres cellules par l’actiondes enzymes intracellulaires libéréeset des macrophages qui viennent enrenfort pour nettoyer le site (inflam-mation locale). Le résultat est quetoute une région de l’organe devraêtre régénérée après destruction totaledes cellules endommagées.

Par opposition à la nécrose, l’apopto-se est considérée comme une mortcellulaire “ordonnée”, procédant endifférentes étapes.- Tout d’abord, les cellules en apop-

tose s’isolent des autres par pertedes contacts entre les cellules.

- On assiste ensuite à une importante

condensation à la fois du noyau etdu cytoplasme ce qui induit unediminution significative du volumecellulaire.

- Les mitochondries de la celluleapoptotique subissent plusieursmodifications majeures : libérationdu cytochrome c dans le cytoplas-me, diminution du potentiel mem-branaire et altération de la perméa-bilité membranaire avec ouverturede pores spécialisés.

- Après condensation du noyau, lachromatine est clivée en fragmentsréguliers d’environ 180 paires debases.

- Parfois, la membrane plasmiquebourgeonne et forme des corpsapoptotiques renfermant une partiedu cytoplasme de la cellule.

- Afin de faciliter la reconnaissancedes corps apoptotiques par les pha-gocytes, la cellule signale son étatapoptotique à son environnementgrâce au changement de localisationdes molécules de phosphatidylsé-rines qui passent d’une orientationcytoplasmique à une orientationextracellulaire.

La mort cellulaire programmée est unprocessus rapide (quelques minutes àquelques heures). Par rapport à lanécrose, l’un des points majeurs del’apoptose est que la membrane plas-mique n’est jamais totalement altéréeau cours du processus, ce qui permetd’éviter le déversement du contenucellulaire et ainsi de prévenir toutdommage infligé aux cellules voi-sines.

LES CASPASES, UNENOUVELLE FAMILLE DEPEPTIDASES

Pour plus d’information sur les cas-pases et leur régulation, les lecteurspourront se reporter à la synthèsepubliée récemment par Fuentes-Prioret Salvesen (2004).

Rappelons que, pour une très grandemajorité, les peptidases sont classéesselon la nature de l’acide aminé quiparticipe à la réaction d’hydrolyse.Celui-ci peut être une sérine (pepti-dases à sérine ou serine peptidases),une cystéine (cystéine peptidases) ouun acide aspartique (aspartyl pepti-dases). Dans le cas des cystéine pep-tidases, le résidu cystéine est l’acideaminé qui catalyse la réaction d’hy-drolyse de la liaison peptidique avecl’aide d’autres acides aminés quifavorisent la liaison du groupementthiol (SH) de la cystéine avec la liai-

Science etTechnique

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son peptidique. Il s’agit le plus sou-vent de résidus histidine (His ou H) etaspartyl (Asp ou D).Les peptidases apoptogènes sont despeptidases à cystéine qui possèdentune spécificité stricte de clivage deleurs substrats après un résidu d’acideaspartique (Asp ou D). Cette spécifi-cité de clivage n’est partagée qu’avecune seule autre peptidase, le granzy-me B (une sérine peptidase présentedans les lymphocytes T cyto-toxiques).Une nouvelle nomenclature proposéepar Alnemri et coll. en 1996, regrou-pe désormais les peptidases apop-togènes sous le nom de CASPASE.Le C du mot caspase représente lacystéine du centre actif ; “asp” définitla spécificité stricte de clivage dessubstrats de cette famille de pepti-dases après un acide aspartique, l’en-semble étant suivi du suffixe “ase”qui est le suffixe commun à toutes lesenzymes. L’ICE, (interleukin-1b-converting enzyme) qui fut, chrono-logiquement la première caspasecaractérisée, a donc été tout naturelle-ment rebaptisée caspase 1. À ce jour14 caspases ont été identifiées mais ilne fait aucun doute que cette listen’est pas exhaustive. Certaines cas-pases semblent propres à une espèceanimale. Ainsi, la caspase 11 n’a ététrouvée que chez la souris et le ratalors que la caspase 13 ne sembleexprimée que chez le bovin. Pour sapart, la caspase 12 ne serait présenteque chez la souris. La connaissance dela structure de ces dernières (Caspases11, 12 et 13) est moins avancée quepour les autres (Caspases 1 à 10) hor-mis, peut-être, la caspase 13.

Dans le monde vivant, toutes les cas-pases ont une structure très conservée(Figure 1) comprenant:- un prodomaine N-terminal de taille

variable, ayant un rôle primordial dansles interactions protéine-protéine, enparticulier avec les protéines régula-trices de l’apoptose

- un second domaine qui deviendra,après clivage, la grande sous-unité (Lpour Large) et qui porte le site actif del’enzyme avec un résidu cystéine (C)et un résidu histidine (H)

- un troisième domaine qui deviendra,après clivage, la petite sous-unité (Spour small) et qui a un rôle conforma-tionnel.

Sous cette forme, l’enzyme est inacti-ve. Pour qu’elle soit activée, l’enzy-me doit subir une maturation au coursde laquelle le prodomaine N-terminalest éliminé. Puis, deux moléculesd’enzyme s’associent pour former undimère, possédant deux sites actifs enposition tête-bêche (Figure 2).L’activation des sites actifs ne peut sefaire qu’au niveau du dimère aprèsassociation à des complexes activa-teurs par l’intermédiaire d’interactionDED-DED (Death Effector Domains)ou CARD-CARD (CaspaseRecruitment Domain).

Science etTechnique

FIGURE 1Structure schématique des précurseurs des caspases identi-

fiées chez l'homme et de quelques caspases exprimées unique-ment dans quelques espèces animales mais pas chez l'homme.Les caspases humaines ont été groupées sur la base de leursimilarité de séquence. Les homologies de séquence divisentles caspases 1 à 10 en trois sous-familles en accord avec leurfonction physiologique et de leur implication dans les proces-sus inflammatoires, dans la phase d'initiation ou d'exécution

de l'apoptose. La caspase 14 se distingue des autres par le faitqu'elle n'est exprimée que dans l'épiderme et qu'elle est clivée,lors de son activation, à des sites ne contenant pas de résiduaspartate. Les caspases actives sont composées d'une grande

sous-unité (L pur large) et d'une petite sous-unité (S poursmall). L'activation de ces caspases passe par un certain

nombre de clivages (flèches) qui vont éliminer les extrémitésN-terminales et le fragment associant la petite et la grandesous-unité sauf dans le cas des caspases 3, 10, 14 et 13. Les

régions N-terminales de plusieurs caspases contiennent diversdomaines importants pour les interactions proteine-protéine

lors de leur activation (Domaines DED: Death EffectorDomain et CARD: CAspase Recruitement Domain). La numé-rotation correspond à celles des acides aminés de l'extrémitéN-terminale vers l'extrémité C-terminale. Les lettres C et H

dans la grande sous-unité indiquent la position de la cystéineet de l'histidine du site actif.

FIGURE 2Schéma de maturation du précurseur de la caspase 3 en caspase 3 active,enzyme qui est un dimère avec deux sites actifs diamétralement opposés

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On distingue trois classes de cap-sases :- les caspases impliquées dans les

processus inflammatoires (caspases1, 4, 5). La fonction précise de cescaspases est moins bien connue quecelles des deux autres classes.

- les caspases impliquées dans laphase d’initiation de l’apoptose(caspases 8, 9, 10). Ces caspasessont caractérisées par des prodo-maines de grande taille contenantsouvent des régions essentiellespour leurs interactions avec d’autresprotéines. Par exemple, les prodo-maines des caspases 8 et 10contiennent des DomainesEffecteurs de Mort Cellulaire(Death Effector Domains : DEDs).Ces structures vont permettre laliaison de ces caspases aux molé-cules régulatrices (activateurs ouinhibiteurs) porteuses de domainessimilaires au travers d’interactionsDED-DED. Certaines autres cas-pases (caspases 1, 2, 4, 5 et 9)possèdent un Domaine de

Recrutement des Caspases (CaspaseRecruitment Domain : CARD).Comme les domaines DED, lesdomaines CARD sont responsablesde l’interaction des caspases avecune grande variété de moléculesrégulatrices (activateurs ou inhibi-teurs) par le biais d’interactionsCARD-CARD.

- les caspases effectrices qui déstruc-turent la cellule lors de la phased’exécution (caspases 3, 6 et 7). Parrapport aux caspases initiatrices,celles-ci ont généralement des pro-domaines de petite taille.

SCHÉMA GÉNÉRAL DEL’APOPTOSE

Le processus apoptotique se déroule,en général, selon un programme rela-tivement précis, caractérisé successi-vement par une phase d’initiation,dépendante de la nature du stimuluset du type de cellule, suivie d’unephase d’exécution via les caspaseseffectrices (Figure 3).

Le stimulus déclenchant le processusd’apoptose peut provenir de l’exté-rieur (voie extrinsèque) par l’intermé-diaire de l’activation des récepteursde mort ou de l’intérieur (voieintrinsèque) en réponse à des condi-tions très défavorables à la survie dela cellule. Dès lors, les caspases ini-tiatrices vont être activées au niveaude complexes oligomériques etcelles-ci vont à leur tour activer lescaspases exécutrices qui vont prendreen charge la déstructuration des cel-lules.

RÉGULATION DU PROCESSUSAPOPTOTIQUE

Les modes de régulation de l’apopto-se vont dépendre de la nature du sti-mulus initial. Sur cette base on peutdistinguer 3 grandes voies de déve-loppement du processus de mort cel-lulaire (Figure 4).- La voie 1 correspond à un stimulus

impliquant les récepteurs de mortcellulaire qui sont capables de fixer

Science etTechnique

FIGURE 3Schéma général du processus apoptotique

Selon l'effecteur déclenchant de l'apoptose, on distingue deux voies d'initiation du processus qui sont la voie extrinsèque et la voie intrinsèque. Lavoie extrinsèque implique les récepteurs de mort présents sur la face externe de la membrane cellulaire qui, après activation, vont conduire à la for-mation de complexes membranaires intracellulaires. Ce complexe est l'activateur des caspases initiatrices, lesquels iront activer ensuite les caspasesexécutrices. La voie intrinsèque est initiée par une protéine pro-apoptotique de la famille de Bcl-2 (Bid) qui va s'associer à la mitochondrie et libérer

le cytochrome c dans le cytoplamse. Parallèlement, le calcium dont l'origine peut être diverse (reticulum sarcoplasmique, extracellulaire, …) vas'accumuler dans la mitochondrie et contribuer à la libération du cytochrome c. Ce cytochrome c va former un complexe capable d'activer la procas-pase 9 laquelle activera, à son tour, les caspases exécutrices. Le point commun à ces deux voies est le passage nécessaire par des complexes d'acti-

vations des caspases initiatrices.

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des protéines inductrices (ligand +)ou inhibitrices (ligand -) du proces-sus apoptotique. Dans le cas d’uneprotéine inductrice d’apoptose(Inducing Apoptose Protein), safixation au récepteur va activer uncomplexe intracellulaire qui va pou-voir lier les peptidases initiatricesque sont les caspases 8 et 10, parl’intermédiaire des domaines DEDou CARD. Cette étape est réguléepar des protéines inhibant cetteinteraction et porteuses du mêmetype de domaines. Un excès de cesprotéines va détourner les caspasesde leur complexe activateur cible.La caspase 8 active, prise enexemple ici, ainsi que la caspase 10peuvent, à ce stade, être renduesinactives par fixation, au voisinagede leur site actif, de protéines inhi-bitrices d’apoptose ou IAP(Inhibitors of APoptose). Dans lecas contraire, ces caspases vont êtreen mesure d’activer à leur tour les

caspases exécutrices (caspases 3 et7) responsables de la déstructura-tion de la cellule.

- La voie 2 correspond à des situa-tions particulières où la cellule n’apas d’autres solutions que le suici-de. C’est donc elle-même qui vadéclencher l’apoptose. Ce proces-sus implique une détérioration desmitochondries par des protéinesproapoptotiques de type Bax. Lesmitochondries subissent une pertedu potentiel membranaire et uneperméabilisation de la membraneexterne conduisant à la libération ducytochrome c (facteur proapopto-tique) dans le cystosol. Cette altéra-tion est liée à la fixation d’un com-plexe protéique incluant Bax auniveau de la membrane mitochon-driale. À noter que Bcl2, une protéi-ne de la même famille que Bax a,quant à elle, une activité antiapopto-tique et tendra à préserver la mem-brane mitochondriale. Le rapport de

concentration de ces deux protéinesantagonistes définira la vitesse aveclaquelle le cytochrome c sera libérédans le cytosol.Le cytochrome c libre va alors for-mer un complexe appelé apoptoso-me, impliquant, entre autre, uneprotéine désignée sous le nom deApaf-1 (apoptotic protease activa-ting factor-1) et la caspase 9.L’apoptosome constitue le site d’ac-tivation de la caspase 9. Une foisactivée, la caspase 9 pourra à sontour activer les caspases effectrices(caspases 3 et 7). Cette action peutêtre bloquée par des inhibiteurs dela famille des IAP (Inhibitors ofApoptosis).

- Cas particulier du stress qui consti-tue la voie 3 : quelle que soit sanature, le stress conduit la cellule àsynthétiser des protéines protec-trices (protéines de stress) capablesde préserver l’ensemble desprotéines cellulaires contre tous

Science etTechnique

FIGURE 4Régulation du processus apoptotique

Voie 1 aussi appelée extrinsèque : après activation du récepteur de mort par son effecteur proapoptotique, il y a activation du complexe membranai-re intracellulaire associé au récepteur qui va fixer diverses protéines pour former un complexe capable d'activer la procaspase 8 par des interac-

tions spécifiques. Cette voie est régulée par des inhibiteurs porteurs des mêmes motifs de liaison de la caspase 8 que ceux qui sont présents sur lescomplexes activateurs. Ces inhibiteurs vont venir en compétition avec les activateurs pour fixer les procapases 8 et 10. Si les caspases initiatrices

parviennent à être activées, la cellule possède des inhibiteurs d'apoptose (IAP) capables de ralentir voire stopper le processus en inactivant la cas-pase 8. Ces IAP seraient aussi capables d'inactiver les capases effectrices (caspases 3 er 7).

Voie 2 aussi appelée intrinsèque : Sous l'impulsion de Bax (partie en vert), une protéine proapoptotique, il y a formation d'un complexe qui va sefixer sur la membrane externe de la mitochondrie et altérer cette dernière avec une accumulation concomitante de calcium dans la mitochondrie.

Cette altération va conduire à la libération de cytochrome c qui va contribuer à la formation, avec d'autres protéines, d'un complexe responsable del'activation de la procaspase 9. Cette action de Bax peut être contrecarrée par Bcl-2, protéine à activité antiapoptotique. Si le complexe parvient à

se former, le processus peut encore être bloqué par les inhibiteurs d'apoptose (IAP) qui vont s'associer à la procapase 9 et empêcher son activation.Voie 3 : cette voie constitue la conséquence primaire des différents types de stress que la cellule ou l'organisme va subir. Dans ce cas, la réactiondes cellules se traduit par une synthèse intense d'HSP's (Heat Shock Proteins) dont l'action va globalement se traduire par un ralentissement du

processus apoptotique. En parallèle, le stress peut conduire à une activation de la voie 2 ou voie mitochondriale et calcium dépendante.Abréviations : Apaf-1, APoptose Activating Factor-1 ; IAP, Inhibitor of APoptose ; Bax et Bcl2 : deux protéines de la même famille avec effetsopposés ; Activat. : complexe d'activation des caspases initiatrices ; Cyt c : cytochrome c ; HSP: heat shock proteins ou protéines du stress.

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risques de dénaturation et perteéventuelle de leur fonction. Lesprotéines de stress ou Heat ShockProteins (HSP) sont très nom-breuses et classées en sous-famillessur la base de leur taille : Hsp 90,Hsp 70, Hsp 40, Hsp 27, etc. Dansla cellule, ces protéines apparais-sent dès que celle-ci se trouve endanger. Elles ont un rôle essentielpuisqu’elles vont contribuer à labonne conformation spatiale desprotéines, conformation indispen-sable pour que ces dernières puis-sent assurer convenablement leurrôle. Il faut donc s’attendre à ce queces protéines aient, lors d’une mortcellulaire programmée, une fonc-tion antiapoptotique.

Dans le phénomène d’apoptose, cesHSPs sont capables d’intervenir àdifférents niveaux :- Formation d’un complexe avec les

caspases actives (initiatrices oueffectrices) les empêchant ainsid’assurer leur fonction

- Protection des protéines cibles (sub-strats) des caspases effectricesempêchant ou retardant ainsi leurdégradation par ces enzymes.

- Réparation ou tentative de répara-tion des protéines ayant subi desdommages structurels suite austress lui-même ou à l’initiation duprocessus apoptotique ou encore, àcause de l’action du stimulus qui està l’origine de l’entrée en apoptose.

Le stress aura donc, au travers desHSPs, un ensemble d’actions, toutesde nature anti-apoptotique. Il pourraen outre, dans les cas de stress inten-se, induire une mort cellulaire par lavoie impliquant les mitochondries(voie 2) et décrite précédemment.

LA MORT CELLULAIRE ET LESQUALITÉS DE LA VIANDE

Quelle que soit l’espèce animale etquelle que soit la technologie d’étour-dissement utilisée, la dernière phasedu processus d’abattage est la sai-gnée. Dès lors, toutes les cellules etles tissus vont être irréversiblementprivés de nutriments et d’oxygène.Face à ces conditions environnemen-tales très néfastes, les cellules muscu-laires et les autres n’auront pasd’autre alternative que de s’engagersur la voie du suicide avec toutes lesconséquences que nous avons vues.Toutes les considérations qui vontsuivre concernent la viande bovinemême si les observations réalisées surcette espèce peuvent s’étendre àtoutes les espèces bouchères.L’objectif va être de prendre, un à un,

les principaux changements cellu-laires associés à l’apoptose et de fairele lien avec les modificationsobservées dans le muscle en cours dematuration en relation avec les qua-lités organoleptiques et plus particu-lièrement la tendreté, qualité majeurepour le consommateur.

INVERSION DE LA POLARITÉDES MEMBRANES

In vivo, les membranes cellulaires ontune polarité bien définie liée à larépartition des phospholipides. Lesgroupements phosphatidylserine,plutôt électronégatifs, sont sur la faceintracellulaire de la membrane alorsque les groupements phosphatidyl-choline et phosphatidyléthanolamine,electropositifs, sont extracellulaires.Lors de l’entrée en apoptose, on assi-te à une inversion de cette distributiondes phospholipides, les groupementsphosphatidylsérine passant sur la faceexterne de la membrane par un pro-cessus bien connu de flip-flop etinversement pour les autres phospho-lipides. Cette opération permet à lacellule de s’isoler des autres celluleset de signaler son engagement sur lavoie de l’apoptose. Cela présupposeque la membrane reste imperméable,au moins pendant un certain temps,pour éviter la diffusion des consti-tuants intracellulaires vers l’extérieur.Le transfert des groupements phos-phatidylserine sur la face externe dela membrane constitue aussi un signe

de reconnaissance par les macro-phages qui vont participer à la dégra-dation de ces cellules. Mais, dans lemuscle post mortem, l’interventiondes macrophages n’est plus possible.

Ce processus n’est absolument pascoordonné de sorte que chaque cellu-le décidera du moment où elle vaentrer en apoptose. Cela est d’autantplus vrai que, au sein d’un muscle, lesfibres sont très hétérogènes et chacu-ne réagira à sa propre vitesse.

Quelles conséquences cette inversionde polarité va avoir post mortem? Ausein des cellules, des constituants àcaractère acide sont remplacés pard’autres constituants à caractère plutôtbasique. On peut donc s’attendre àune neutralisation partielle des pro-tons générés par la glycolyse et, parvoie de conséquence, à un ralentisse-ment du processus d’acidification.C’est ce que nous avons observé dansune étude récente portant sur près de180 animaux bovins d’âge, de sexe etde race différents, pour lesquels le pHa été mesuré toutes les heures jusqu’à8 h post mortem. Les mesures sui-vantes ont été réalisées à 24 h, 48 h et72 h post mortem. La très grandemajorité de ces animaux présente unou deux paliers dans la chute du pH,paliers qui apparaissent rapidementaprès l’abattage et persiste pendantune durée variable allant de 2 à 6 hselon les cas. La figure 5 illustre, pourquelques animaux, ce phénomène.

Science etTechnique

FIGURE 5Profil d'évolution du pH dans le muscle Longissimus d'un échantillon de 3

animaux charolais d'âge et de sexe différents.

Les trois animaux sont 2 taurillons de 19 mois (M-Ch-19M-1 et -2) et une vache de réforme (F-Ch-54M) de 54 mois. Le pH est mesuré toutes les heures pendant les 8 premières heures qui sui-vent l'abattage puis à 24 h, 48 h et 72 h Le profil global est présenté pour chacun des animauxavec la vitesse moyenne de chute du pH indiqué sur chacune des courbes et exprimée en UnitépH par heure (UpH h-1). Dans l'insert sont présentées les courbes d'évolution de ce paramètreau cours des 8 premières heures post-abattage. Comme pour les courbes globales, la vitesse de

chute du pH est indiquée pour chacun des paliers observés.

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Les animaux sélectionnés [(2 tau-rillons charolais de 19 mois (M-Ch-19M-1 et 2) et une vache de réformecharolaise de 5 ans environ (F-Ch-54M)] reflètent les différents cas defigure rencontrés pour une très grandemajorité des animaux. Seuls quelquesrares animaux ne présentent aucunpalier dans le profil d’évolution postmortem du pH. Pour les trois profilsprésentés dans la figure 5, la vitesseglobale de chute du pH varie entre0,065 Unité pH/heure (UpH h-1) et0,21 UpH h-1, l’animal femelle ayantla chute de pH la plus rapide.L’analyse plus fine de l’évolution dupH pendant les 8 premières heuresqui suivent l’abattage montre une dis-continuité de la chute de pH condui-sant à la présence de un (F-Ch-54M,M-Ch-19M-2) ou deux paliers (M-Ch-19M-1) correspondant à une rela-tive stabilité du pH pendant une duréevariable allant de 2 à 5 h. Pour le pre-mier animal (M-Ch-19M-1), un pre-mier palier est observé entre 1 h et 3 hpuis un second entre 4 et 8 h. Lesvitesses de chute de pH estimées dansles plages 0-3 h, 3-8 h et 8-24 h sontde 1,91, 0,65 et 0,99 UpH h-1, res-pectivement. Pour le second taurillon(M-Ch-19M-2), un seul palier appa-raît entre 4 h et 6 h. Les vitesses dechute de pH estimées dans les plages0-6 h et 6-24 h sont de 0,36 et0,16 UpH h-1, respectivement. Pourle dernier animal, un seul palier estégalement observé entre 1 h et 3 havec une vitesse de chute de pH de4,18 UpH h-1, donc très rapide danscette première phase (0-3 h), et de0,23 UpH h-1 dans la seconde phase(3-24 h).

Après l’abattage des animaux, lemuscle va utiliser ses réservesénergétiques pour subvenir à sesbesoins et, après épuisement de laphosphocréatine, la principale sourcesera le glycogène dont la dégradationest assurée par la glycolyse. Ce pro-cessus se déroule à une vitessevariable selon le type de muscleconsidéré mais demeure continu tantque les enzymes impliquées ne sontpas inhibées par le pH. La disconti-nuité dans la chute de pH observée icine peut donc pas s’expliquer par unediminution transitoire de la vitessed’action de la phosphocréatine kinaseou et des enzymes de la glycolyse surleurs substrats mais par une modifica-tion transitoire du pouvoir tamponet/ou de la répartition des chargesdans la cellule musculaire. Le rempla-cement de constituant à caractèreacide (phosphatidylserine) par des

constituants à caractère basique(phosphatidyl-choline et phosphati-dyléthanolamine) dans le comparti-ment intracellulaire accompagnéd’une redistribution des ions pourraitexpliquer ces paliers transitoires de lacourbe de chute du pH. La présencede ces paliers dans une plage compri-se entre 1 h et 8 h post mortem laissepenser que l’inversion de polarité dela membrane plasmique se produitdurant les 8 premières heures postmortem alors que le pH est comprisentre 6,4 et 6,8 environ. Cette consta-tation est confortée par les modifica-tions de la conductivité du tissu mus-culaire, estimée par impédancemétrie,observées entre pH 6,4 et 6,8. (Damezet al., 2005).

CALCIUM ET MATURATION DELA VIANDE

Depuis pratiquement les années1960-70, nous savons que l’injectionde calcium à la viande accélère le pro-cessus d’attendrissage (Khan andKim, 1975). Tout le monde attribuaitet attribue encore cette action du cal-cium à une activation des calpaïnes,peptidases calcium dépendantes.Aujourd’hui, il existe probablementune autre explication si nous considé-rons qu’après l’abattage, les cellulesn’ont d’autre alternative que de s’en-gager dans la voie du suicide ouapoptose. Ce cation est en effet uneffecteur indispensable au déclenche-ment de l’apoptose et à son bondéroulement (Orrenius et al. 2003 ;Szabadkai et Rizzuto, 2004). Dans lemuscle post mortem, le taux de cal-cium augmente progressivement dansle cytoplasme au cours de l’installa-tion de la rigidité cadavérique et, cela,au dépend du réticulum sarcoplam-sique qui se vide de son contenu(Vignon et al 1989). Nous savonsaujourd’hui que ce cation est un élé-ment central du processus apopto-tique. Il va s’accumuler dans les mito-chondries au dépend du réticulumsarcoplasmique et participer à la pertedes fonctions de cet organite ainsiqu’à la libération du cytochrome c. Lecytochrome c, élément moteur de lamort cellulaire, présente une activitéproaptototique et constitue un élé-ment central de l’activation des cas-pases initiatrices. Ce processus se ter-mine par l’activation de la caspase 9qui, à son tour, activera les caspaseseffectrices. Sachant que le processusd’apoptose est irréversible, il va, unefois enclenché, se poursuivre pendanttoute la durée de conservation de laviande à l’état réfrigéré.

VARIATION DES ESPACESINTRA- ET EXTRACELLULAIRESDANS LE MUSCLE POSTMORTEM

Au cours de ces dernières décennies, denombreux travaux ont été consacrés àcette évolution post mortem des espacesintra- et extracellulaires en relation avecles mouvements de l’eau dans le muscleet la rétention d’eau (voir les synthèsesde Offer et Knight, 1988a, b). Toutes lesétudes menées admettaient que la prin-cipale cause de ces changements était larépartition de l’eau entre ces deux com-partiments, eau qui est présente dans cetissu à hauteur de 75 % de son poidsenviron. L’acidification du muscle faitque la charge des protéines diminue etque celles-ci devenant progressivementplus hydrophobes vont fixer de moinsen moins d’eau. Ceci est conforté par lacorrélation très élevée observée entrel’augmentation de l’espace extracellu-laire et le pH du muscle (Guignot et al.,1993). Le seul point qui demeurait inex-pliqué était le fait que l’augmentation del’espace extracellulaire débutait dès lamort de l’animal alors que le pH étaitencore très proche de la neutralité. Lesévénements associés à la mort cellulairefournissent aujourd’hui une explicationpuisqu’une cellule entrant en apoptosese dissocie des autres et se rétracte. Laconséquence va être une diminution del’espace intracellulaire et une augmenta-tion parallèle de l’espace extracellulaire.

Nous avons vu que l’évolution postmortem du pH était polyphasique et pré-sentait un ou deux paliers dans les 8 pre-mières heures qui suivent l’abattage. Paranalogie, Guignot et al., (1993) mon-trent que l’espace extracellulaire atteintsa valeur maximale environ 10 heurespost mortem. Cette observation indiqueque la rétraction des cellules liée auphénomène de mort cellulaire coïncideavec la période où les paliers de pH sontprésents et avec la phase d’augmenta-tion progressive de l’espace extracellu-laire. Tous ces résultats suggéreraientque la rétraction cellulaire et vraisem-blablement aussi l’inversion de la pola-rité des membranes, deux conséquencesmajeures de la mort cellulaire, ontatteint leur point ultime environ 8-10 hpost-abattage.

ALTÉRATION DESMITOCHONDRIES ETOXYDATION CELLULAIRELes mitochondries sont au cœur du pro-cessus de mort cellulaire et constituentun élément moteur majeur dans le bondéroulement de l’apoptose (Bras et al.,2005). Ceci est d’autant plus vrai que,

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post mortem, le stimulus déclencheurest la cellule elle-même et non un acti-vateur agissant via les récepteurs demort cellulaire. Outre la chaîne respira-toire qui perd sa capacité à oxyderl’oxygène moléculaire, la mitochondrievoit sa membrane externe devenirperméable à tous les constituantsprotéiques localisés dans l’espace inter-membranaire dont le cytochrome c, unélément indispensable à l’activation dela caspase 9. D’autres protéines à acti-vité proapoptotique sont égalementlibérées dans le compartiment cytoso-lique. Parallèlement, le calcium contenudans le reticulum endoplasmique va, viades chemins pas toujours clairementdéfinis, être transféré vers les mitochon-dries. Celles-ci deviennent surchargéesen calcium et vont voir leur membraneinterne se détériorer. L’oxygène molécu-laire, n’étant plus totalement oxydé parla chaîne respiratoire, va former desradicaux oxygène libres capables d’oxy-der tous les constituants cellulaires(lipides, protéines,…).

STRESS ET APOPTOSE

Il est bien admis que le stress conduit àune détérioration du processus de matu-ration de la viande conduisant générale-ment à une viande plus dure. L’exemplequi illustre le mieux ce phénomène estprobablement le cas des porcs exsuda-tifs.Face à n’importe quel type de stress, lesorganismes vivants réagissent par l’é-mission de signaux d’alerte vers les cel-lules en commençant par diverses hor-mones. Si le stress est particulièrementintense, les cellules recevront des mes-sages déclencheurs d’apoptose via lesrécepteurs de mort cellulaire (ex: stressoxydatif). Dans le cas contraire, cesindications permettront aux cellules depréparer leur défense aussi rapidementque possible. Parmi les moyens dontdisposent ces dernières, le plus connuest la synthèse de diverses protéines pro-tectrices que sont les HSP (Heat ShockProteins), protéines chargées de préser-ver les constituants et les structuresintracellulaires contre tous risques deperte de leurs fonctions biologiques.Par rapport au problème qui nousconcerne ici, nous avons vu que les HSPont une activité anti-apoptotique. Cettefonction va donc ralentir le processus demort cellulaire et constituer un obstacleau bon déroulement de la maturation.Encore une fois, le concept d’apoptosecomme première étape du processus dematuration, fournit une réponse aumoins partielle à la question relative aumode d’action du stress sur le processusd’attendrissage.

PEPTIDASES ET PROTÉOLYSE

L’attendrissage des viandes résulte del’altération de la structure contractilepar les enzymes protéolytiquesendogènes. Les mécanismes sont doncen majorité de nature enzymatique etimpliquent les peptidases endogènes(voir revue de Sentandreu et al., 2002).Parmi les systèmes les plus étudiés,notons:- les cathepsines, système découvert

vers les années 1950 par De Duve etcol. (1955)

- les calpaïnes, peptidases calciumdépendantes mises en évidence pourla première fois dans le cerveau de ratpar Guroff en 1964.

- le protéasome découvert vers lesannées 1980 par Wilk et Orlowski(1980).

Les cathepsines furent le premier systè-me enzymatique considéré dans lecadre des études menées sur les méca-nismes d’attendrissage des viandes.Vinrent ensuite les calpaïnes qui ontretenu beaucoup plus d’attention queles cathepsines en raison principale-ment de leurs capacités à altérer la den-sité de la strie Z, modification souventobservée post mortem mais néanmoinspas corrélée à la tendreté. Plus récem-ment, quelques travaux ont été consa-crés au rôle potentiel du protéasome20S dans ce processus. Certains résul-tats démontrent clairement que ce der-nier système pourrait contribuer à l’at-tendrissage des viandes en cours deconservation (Dutaud 1998 ; Ouali,1999 ; Sentandreu et al., 2002).L’analyse de l’ensemble de la littératu-re publiée à ce jour dans ce domaineindique que le processus d’attendrissa-ge des viandes résulte très vraisembla-blement de l’action synergique de plu-sieurs systèmes enzymatiquesendogènes même si les principales pep-tidases au cœur du processus ne sontpas identifiées.Si nous reconsidérons maintenant cepoint essentiel qu’est l’attendrissagedes viandes à la lueur des modificationsassociées aux conséquences de l’entréedes cellules musculaires en apoptosedès que l’animal a été abattu, on réaliseque les premières peptidases à entrer enaction seront, très certainement, les cas-pases. Ces peptidases sont beaucoupmieux placées que les autres pourdéstructurer les structures cellulairespuisqu’il s’agit de leur fonction premiè-re. Enfin, une intervention immédiatede ces peptidases apporterait la réponseaux affirmations souvent entendues etattestant que les premières heures quisuivent l’abattage sont essentielles pour

le bon déroulement de la maturation desviandes sans pour cela apporter desréponses claires à cette interrogationencore d’actualité.

CONCLUSION

La mort cellulaire programmée, proces-sus mis en évidence dans les années1995, est maintenant relativement bienconnue. Si tous les intervenants ne sontpas encore identifiés, la connaissancedes mécanismes impliqués dans l’apop-tose est aujourd’hui suffisante pour quenous puissions intégrer cette informa-tion dans l’étude du processus de matu-ration des viandes. Il est en effet clairque l’entrée des cellules musculaires enapoptose est un fait qu’il est difficile decontester compte tenu des conditionsenvironnementales qui existent après lasaignée de l’animal. C’est un passageobligé pour l’ensemble des cellules etdes tissus de l’animal qui vient d’êtreabattu et, cela, quelle que soit l’espèceconsidérée. L’analyse des conséquencesdu processus apoptotique par rapportaux connaissances que nous en avons invivo, apporte des réponses à de nom-breuses questions posées, depuis longuedate, par tous les scientifiques impliquésdans l’étude du processus de transfor-mation du muscle en viande. Même si laparticipation de ces peptidases n’ex-plique pas tout, il est probable que sonintervention très précoce est un élémentessentiel facilitant l’action des autressystèmes protéolytiques dont nousavons parlé auparavant.

Il est donc temps aujourd’hui de seremettre en question et d’intégrer toutesles connaissances disponibles dansnotre réflexion sur l’attendrissage desviandes et sur les marqueurs prédictifspotentiels de cette qualité essentiellepour les consommateurs que noussommes tous. La recherche de prédic-teurs biologiques de la tendreté et desautres qualités de la viande est unenécessité absolue pour valoriser aumieux les carcasses en les orientant,rapidement après l’abattage, vers uneutilisation optimale sur la base de leursqualités potentielles. C’est aussi unenécessité absolue pour pouvoir incorpo-rer les qualités de la viande dans les pro-grammes de sélection génétique.Dans le schéma traditionnel de transfor-mation du muscle en viande (Figure 6),il serait donc nécessaire de rajouter uneétape avant la phase de rigor mortis quicorrespondrait à la phase de mise enplace de la mort cellulaire et de l’apop-tose avec toutes les conséquences qui luisont associées et ses effets sur les phasesde rigor et de maturation.

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FIGURE 6Les différentes phases de transformation du muscle en viande à prendre en considération.

En plus des phases connues de rigor et de maturation, il faudrait ajouter une phase précoce antérieure à la rigor qui correspondrait à la phased'initiation du processus de mort cellulaire et ses conséquences biochimiques et structurales sur la cellule.

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