globalisation economique. genese, formes et perspectives

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UNIVERSITE D’ALGER FACULTE DES SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION THESE DE DOCTORAT D’ETAT TITRE GLOBALISATION ECONOMIQUE. GENESE, FORMES ET PERSPECTIVES PREPAREE PAR BOUFEDJI ABDELOUAHAB DIRECTEUR DE THESE BOUKELLA MOURAD JURY COMPOSE DES PROFESSEURS KOUDRI AHMED FERFERA MOHAMED YACINE INAL MYRIAM BENABDELLAH YOUCEF

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UNIVERSITE DALGER FACULTE DES SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION

THESE DE DOCTORAT DETAT

TITRE

GLOBALISATION ECONOMIQUE. GENESE, FORMES ET PERSPECTIVES

PREPAREE PAR

BOUFEDJI ABDELOUAHABDIRECTEUR DE THESE

BOUKELLA MOURADJURY COMPOSE DES PROFESSEURS KOUDRI AHMED FERFERA MOHAMED YACINE INAL MYRIAM BENABDELLAH YOUCEF

Remerciements

IL ya sept ans, lorsque je mtais engag dans ce travail de recherche, javais du mal opter pour un sujet prcis. Mon directeur de thse, le Professeur Boukella Mourad, en me proposant de travailler sur ce sujet passionnant quest la globalisation conomique, ma t dun grand secours afin de rsoudre ce problme. Cela a t le point de dpart dune relation de travail aussi fructueuse quamicale. Tout au long de cette priode, Monsieur Boukella na mnag aucun effort pour maider mener ce travail son terme. Quil trouve ici mes plus vifs remerciements. Je tiens aussi exprimer ma profonde reconnaissance aux membres du jury qui ont bien voulu donner de leur prcieux temps pour que ce travail reoive la sanction quil mrite. Le Professeur Kellou Mohamed Larbi a mis des suggestions prcieuses qui mont t fort utiles dans la prparation des diffrents chapitres. Je tiens lui exprimer toute ma gratitude pour lapport de son extrme comptence. Mes remerciements vont galement au Professeur Kheniche Idir pour les encouragements quil ma prodigus afin que je mengage dans cette entreprise et la termine. Melle Naima na mnag ni son temps ni ses talents lors de la prparation de cette thse. Ce travail doit aussi beaucoup mon oncle Hocine. Sans le soutien indfectible de ma grand-mre Zineb, ce travail naurait probablement pas pu voir le jour. Mon ami Kamel Dahmani a apport une aide apprciable lors de la ralisation de ce travail. Je les en remercie beaucoup.

A Zineb, Salah, Saliha, Fayal, Meissoune et Ilhem

TableINTRODUCTION GENERALE 6 15

CHAPITREI. LA GOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE.SECTION I. Aux origines du phnomne de globalisation : avnement, essor et dclin de lentreprise de production de masse standardise . I- Le march libre, lieu privilgi de la rgulation conomique. II- Lpoque de la grande entreprise et de la rgulation monopoliste.. III- Les principaux aspects de la crise contemporaine..... SECTION II. Un nouveau paradigme technico-conomique bas sur le savoir et linformation . I- Les formes et les enjeux de la comptition technologique... II- Emergence dune conomie fonde sur le savoir. SECTIONIII. Les acteurs et les organisations de lconomie du savoir .. I- Lorganisation des entreprises de lconomie du savoir : la firme-rseau II- Le rseau mondial

18 18 24 42 56 61 79 88 95 114 124 126 127 159 180

CHAPITRE II. LA GLOBALISATION A LUVRE.SECTION I. Stratgies globales :configuration, coordination et concurrence I- Le caractre mondialis de la concurrence... II- Les instruments de la globalisation conomique. III- La globalisation dans le contexte de la formation de lconomie mondiale.

SECTION II . Globalisation : concepts et dfinitions ... 192 I- Dfinition du processus de globalisation conomique.... 199 II- Vers un nouveau paradigme .. 224

CHAPITRE III. LA GLOBALISATION ET LETAT- NATIONSECTION I. La globalisation, facteur deffacement de lconomie nationale et de la souverainet de lEtat- nation .... I- Lentreprise-rseau et la fin de lconomie nationale II- La convergence des systmes conomiques nationaux ... III- Un rle conomique plus limit de lEtat . IV- Pour une nouvelle faon de voir les questions conomiques V- Les exigences dune conomie fonde sur le savoir . VI- La globalisation et le devenir de la nation ....

233

237 237 244 247 250 258 265

SECTION II. La prennit du cadre conomique national I- La rfrence un cadre conomique national immuable . II- La nation, source privilgie de lavantage concurrentiel .. III- Le mythe de la globalisation .... IV- Les racines nationales de lconomie globale .... V- Un cas de non-globalisation : la technologie. VI- La globalisation et lEtat- nation ...

284 287 291 306 321 333 339

CHAPITRE IV. LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPPEMENTSECTION I. Sous-dveloppement et marginalisation conomique.. I- Le processus de rattrapage conomique. II- La loi implacable de la marginalisation conomique. III- Globalisation et marginalisation conomique. IV- La persistance du sous-dveloppement . V- Le dveloppement conomique dans une perspective historique VI- Le dveloppement conomique, une ncessit pour les pays du Sud. VII- La thorie du dveloppement : leons et perspectives. SECTION II. La globalisation, un dfi et une opportunit I- La ncessit dune approche plus raliste au mouvement de globalisation. II- Pour une politique de la globalisation : linvestissement dans le capital humain III- La ncessit imprieuse dune transition un modle conomique plus performant..

362 364 364 375 386 390 396 402 407 413 413 422 435

CONCLUSION 451 NOTES. 458 BIBLIOGRAPHIE. 472

INTRODUCTION GENERALE

Introduction gnraleLune des principales caractristiques du dbat sur la mondialisation est quil aboutit le plus souvent des gnralisations htives et imprudentes et, parfois, proprement errones. Tout ce qui est susceptible de rapprocher les hommes les uns des autres tombe ainsi sans discernement dans la case de la mondialisation. On ne distingue pas entre la cause et la consquence, entre lobjectif recherch et linstrument utilis pour y parvenir, entre ce qui est dj advenu et ce qui nest encore quune tendance. Le monde est devenu un village plantaire, cette phrase de McLuhan rsume elle seule beaucoup de ce qui se dit sur la mondialisation. Si tel tait le cas, il est peut-tre plus juste de dater le commencement de la mondialisation par la dcouverte de lAmrique par Christophe Colombs qui dit aprs la ralisation de son exploit : les hommes ne savent pas combien le monde est petit. Cela na rien dtonnant dans la mesure o bon nombre de ceux qui interviennent dans ce dbat ne le font pas titre de connaisseurs, dexperts ou duniversitaires spcialiss. Leurs rflexions et leurs contributions manquent de rigueur scientifique car elles ne sont pas dlimites par des disciplines clairement dfinies comme lanalyse conomique, la gostratgie ou la sociologie. A titre dexemple, dans son livre The Lexus and the Olive Tree (la Lexus et lolivier ), Thomas Friedman, ditorialiste du New York Times, associe la Lexus, qui est une marque de voiture de luxe japonaise, au processus de mondialisation1. Selon lui, cette voiture dont la conception et la production ont ncessit la collaboration de groupes de travailleurs situs aux quatre coins de la plante symbolise lre nouvelle de la mondialisation qui a succd la priode de la guerre froide. Lauteur soutient que la mondialisation se dfinit comme un mouvement dinterdpendance accrue des relations conomiques, technologiques et culturelles entre les diffrentes nations. La mondialisation serait donc facteur de convergence entre les parties constitutives du nouveau systme international et, ce titre, favorise la paix et la coopration entre les pays du monde. A linverse de la Lexus, lolivier symbolise le conflit isralo-arabe et, au-del, toutes les guerres ethniques et religieuses ainsi que lexacerbation des sentiments nationalistes, sources de conflits rgionaux violents . Cette analyse rappelle une tude mene sur le thme de la mondialisation auprs dun groupe denseignants de lUniversit du Kowet 2. Parmi les questions poses dans le cadre de cette enqute, on pouvait y lire ceci : la mondialisation est-elle une des formes de lhgmonie culturelle subie par le monde arabe ? La mondialisation est-elle contraire nos valeurs islamiques ? Il est vrai que ces deux questions ont recueilli des rponses affirmatives hauteur de 50 % pour la premire et 36% pour la seconde. Mais ce nest pas l le plus important. Ce qui compte le plus nos yeux, cest de montrer comment deux tudes1 2

Thomas Friedman, The Lexus and the Olive Tree, Anchor Books, 2000.

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INTRODUCTION GENERALE

donnent du mme phnomne, la mondialisation en loccurrence, deux significations diamtralement opposes. Des exemples de ce type peuvent tre multiplis souhait. Ils tendent tous faire accrditer lide que, en dpit du nombre impressionnant douvrages dtudes et de colloques qui ont t consacrs au phnomne de mondialisation, celui-ci pose toujours un dfi conceptuel difficilement surmontable. En effet, les diffrentes approches et analyses du processus de mondialisation sont tellement divergentes les unes par rapport aux autres quil est difficile voire impossible de parvenir une dfinition qui soit acceptable par tous. Cette divergence tient en partie au fait quil sagit l dun phnomne complexe qui peut tre abord de diffrentes manires et mthodes. Cependant, comme disent les thoriciens de lvolution, les phnomnes complexes ne sont complexes que parce quils sont uniques. Dans ces conditions, nous avons jug utile lors de lentame du prsent travail de recherche de privilgier une problmatique gnrale qui traite du problme dans sa globalit et non dans un de ses aspects spcifiques. La question centrale qui sous-tend cette problmatique peut tre formule ainsi : quel est le trait fondamental qui permet de dfinir le mouvement de globalisation de faon simple et prcise ? Bien sr, notre dmarche nest pas de nature exhaustive et na pas pour but dpuiser le sujet. Il sagit plutt de parvenir isoler llment le plus caractristique du processus de globalisation afin quil puisse servir de grille de lecture pour dchiffrer les diffrentes composantes qui forment ce phnomne. Nous avons choisi dutiliser le terme de globalisation plutt que celui de mondialisation car, notre avis, le second terme recouvre ou correspond aussi des phnomnes extra-conomiques multiples, compliqus et interdpendants quil serait trs dlicat de sparer des processus exclusivement conomiques. Si nous russissons travers cette thse rpondre de manire satisfaisante la question centrale prcdemment mentionne, c'est--dire dfinir le processus de globalisation en lidentifiant travers son essence mme, il nous sera plus facile, plus tard, de mener nos recherches de faon plus mthodologique sur une multitude de sujets qui sont en rapport avec ce mouvement. Parmi les thmes qui peuvent inspirer de futurs travaux de recherche, on peut citer les effets de la globalisation sur le rle conomique de lEtat, notamment en matire de politique montaire, de politique macroconomique et de politique industrielle. La globalisation va galement affecter profondment le systme des changes commerciaux internationaux. Les thories sur le commerce extrieur ainsi que sur les stratgies de dveloppement conomique vont connatre, coup sr, un regain dintrt considrable. Le terme de mondialisation ou de globalisation est un thme rcurrent qui revient comme un leitmotiv dans tous les discours et toutes les tudes. Il a dabord dsign un phnomne limit, une mondialisation de la demande, mais il sest enrichi au fil du temps, au point dtre identifi de nos jours une nouvelle phase de lconomie mondiale 3. En fait, limportance croissante quon associe aujourdhui au3

En 1983, Thodore Levitt emploie ce terme pour dsigner la convergence des marchs dans le monde entier. Ainsi, la firme globale agit comme si les principales rgions du monde constituaient une entit unique. Elle -7-

INTRODUCTION GENERALE

processus de globalisation est telle quil ne peut sagir que dune nouvelle phase de lconomie mondiale. Cependant il nest pas possible de se contenter de dfinir ce processus partir de ce seul lment. Le plus important est, en effet, de dire en quoi la globalisation constitue-elle une nouvelle tape de lconomie mondiale. Beaucoup de thses qui ont t avances pour rpondre cette question ont privilgi lide que cest lessor considrable des changes extrieurs qui marque le commencement de la phase de globalisation. Certes, les chiffres sur le commerce extrieur tmoignent, incontestablement, dune croissance remarquable des changes internationaux de biens et services depuis la fin du XXe sicle. Nanmoins, ces chiffres sont exprims en valeurs absolus, tandis que rapports aux valeurs des PIB des grandes nations commerciales, ils montrent une grande stabilit dans le temps 4. Par ailleurs, cette thse sur le rle prpondrant du commerce international dans le processus de globalisation parat plus fragile encore face aux arguments de ceux qui disent que la fraction de la production globale qui tait change par les grandes puissances commerciales la fin du XIXe et au dbut du XXe sicle tait plus importante quelle ne lest aujourdhui. Bien sr, il sagit l dun argument de statique comparative qui ne fait quopposer une situation par rapport une autre. Il ne tient pas compte du caractre dynamique du phnomne analys et ne prend pas en compte, non plus, le rle de lvolution du niveau des prix des biens changs entre les diffrents pays. En effet, si un bien connat une hausse dans le volume de ses ventes ltranger, la valeur de celles-ci pourrait bien rgresser si la demande mondiale pour ce bien est caractrise par une faible lasticit par rapport au prix. A vrai dire, aprs considration de lensemble des facteurs lis lvolution rcente du commerce extrieur, il parat logique de dire que lessor des changes extrieurs ces vingt dernires annes est plus une consquence de la globalisation quune des causes de celle-ci. Et la mme chose peut tre dite, avec certaines nuances, propos de laccroissement exponentiel des investissements directs ltranger depuis le dbut des annes 1980. La globalisation a t considre aussi comme une stratgie concurrentielle dveloppe par les grandes firmes occidentales afin de contenir les firmes issues de pays moins dvelopps parties lassaut des marchs mondiaux, notamment pour les biens de moyenne et faible technologie. Cette stratgie consisterait intensifier linnovation technique et technologique de sorte hausser les barrires dentre aux marchs des nouveaux biens et dissuader ainsi les firmes des pays mergents de sengager dans cette course concurrentielle quils ont dailleurs peu de chances de remporter. Ceux qui craignent que la croissance des pays mergents devienne nuisible la prosprit des pays riches sappuient sur lide dune redfinition des hypothses fondamentales de lhumanit . Un des exemples de cette redfinition est que le monde est traditionnellement divis entre pays riches, bnficiant dun fort taux de productivit et de salaires levs, et pays pauvres faible productivit et salaires bas. Mais aujourdhui, certains pays mlent haute productivit et bas salaires. Lavend la mme chose, de la mme manire partout. En ce sens, la globalisation des marchs soppose n la vision antrieure dun cycle du produit qui consistait vendre aux pays moins avancs les produits devenus obsoltes dans les pays les plus riches. T.Levitt, The Globalization of Markets, Harvard Business Review, mai-juin 1983. 4 Paul Krugman, America ; The Boastful, Foreign Afffairs, Mai-Juin 1998. -8-

INTRODUCTION GENERALE

prsence de plus en plus manifeste de ces pays sur les marchs mondiaux est en train daboutir une restructuration massive de lappareil productif, ce qui ne permet pas aux pays riches de maintenir leur niveau de vie antrieur . En dautres termes, la concurrence des conomies mergentes du Tiers monde est devenue une menace pour les pays occidentaux riches. Les craintes exprimes propos de la croissance des pays mergents semblent se focalises sur les flux de capitaux plutt que sur le commerce . Les problmes de chmage dans les conomies occidentales taient expliqus par la mobilit du capital. Le capital du premier monde semblait ne crer demplois que dans le Tiers monde. En effet, dans le cas des pays en dveloppement, il existe une relation de dpendance troite entre flux dexportations et stocks dinvestissements trangers reus. Le plus souvent, les premiers nont pu tre ports des niveaux significativement levs que parce que les seconds lont t aussi . La thse selon laquelle la concurrence du Tiers monde serait lun des plus graves problmes auxquels doivent faire face les pays avancs est la fois discutable dun point de vue thorique et dmentie par les faits. En effet, les chiffres concernant les exportations de capital vers les pays mergents peuvent paratre importants, mais ils sont relativement faibles en comparaison du stock de capital et des investissements dans les pays avancs. En 2002, environ 2 % seulement des investissements des pays de la zone O.C.D.E. furent dtourns vers lextrieur 5. Par ailleurs, comme le commerce avec les pays bas salaires reprsente moins de 2 % du PNB, son incidence sur le niveau de vie des pays dvelopps parat limit6. De ces explications dcoule la thse qui sera dfendue dans ce travail . La proposition centrale sur laquelle sappuie cette thse peut tre formule ainsi : la globalisation est une nouvelle tape de lconomie mondiale dans le sens o elle reprsente une tendance la cration dun march mondial du travail global et unifi. Jusqu prsent, lintgration du march du travail lchelle internationale a toujours t pense comme tant synonyme dune mobilit accrue de la force de travail. Dans toutes les analyses, limmigration des populations vient en tte des formes de mobilit de la main-duvre. Et comme les dplacements internationaux de population se sont plutt tasses depuis la fin du XIXe sicle, tous les auteurs en viennent conclure une mobilit plus rduite de la force de travail par rapport ce quelle tait auparavant. Il est clair que de ce ct-ci rien de vritablement significatif ne sest produit qui puisse justifier de dfinir le mouvement de globalisation comme tant une tendance lunification du march du travail lchelle mondiale. Qu'est ce qui a donc chang de fondamental qui permet de tenir la thse dune globalisation base sur lintgration croissante des marchs de travail nationaux au sein dun march mondial du travail ? La premire hypothse de travail sur laquelle nous nous appuyons pour apporter une rponse cette question est dordre pistmologique . En effet, le premier pas significatif vers la globalisation a peut-tre t franchi la faveur de la matrise par lhomme des ondes lectromagntiques. Celles-ci lui permettent via les rseaux de5 6

CNUCED, World I nvestment Report 2003. P.25. Calcul fait sur la base de statistiques pour lanne 2003 fournies par le site officiel de lO.C.D.E: www.oecd.org -9-

INTRODUCTION GENERALE

tlcommunication de transporter la vitesse de la lumire tous les lments de linformation, c'est--dire du texte, du son et de limage. Cette vitesse abolit les distances, introduisant ainsi le temps mondial ou le temps rel la place du temps local. Cette volution est si importante que tout ce qui trait la gographie tend cder devant lavance des phnomnes constituant ce quil faut bien appeler la chronographie . Thoriquement, toutes les activits dont lexcution dpend en partie ou en totalit de la disponibilit de linformation adquate peuvent tre rparties travers tous les pays de faon obtenir une configuration globale optimale en termes de cots et / ou en termes de productivit. Bien entendu, on est encore loin de ce schma idal. Pour lheure, ce sont les activits, gnralement de services, ncessitant des comptences et des savoirs de haut niveau qui se prtent ce genre dorganisation productive. La finance internationale en est le meilleur exemple. Mais la globalisation est loin de se rsumer des entits, spares gographiquement mais interdpendantes, lies entre elles par des liaisons lectroniques permettant d'acheminer dun point un autre des donnes de diverses natures afin de raliser leur traitement pour les transformer en services commercialisables sur les diffrents marchs de la plante. La seconde hypothses de notre thse est quil est impossible de saisir la logique de la globalisation en dehors de la dynamique grandiose du capitalisme. Elle en est une des manifestations les plus rcentes. Le capitalisme est fondamentalement un processus dynamique. Il est en perptuel changement. Il est, de ce fait, plus proche des thories de lvolution de la vie quil ne lest des autres disciplines des sciences humaines. Cest linnovation, sous toutes ses formes, qui est le moteur du dynamisme du systme capitaliste. Linnovation peut sappliquer aux biens et services, aux techniques de production et de commercialisation ainsi quaux entits et institutions qui les mettent en uvre. Ainsi, le produit, le procd de fabrication ou lorganisation productive qui simpose sur le march est vite dpass par un autre produit, un autre procd de fabrication ou une autre organisation productive, jugs plus satisfaisants par les consommateurs. Dans ce systme, lentreprise qui obtient une position dominante sur le march nest jamais sre de la conserver trs longtemps car la concurrence est tout le temps en qute de moyens plus efficaces pour la dtrner. Lconomie capitaliste est en permanence caractrise par une valse des gants. Ainsi, si lon examine le classement des cent premires entreprises amricaines, on saperoit que, tente cinq ans plus tard, 60 dentre elles ne figuraient pas dans le classement de 1966 7. La vitalit du systme capitaliste est telle quil ne peut pas faire autrement que dtruire des ressources conomiques, par dfinition rares, pour les remplacer par dautres plus performantes et plus productives. Cest le principe de la destruction cratrice nonce et popularise par lconomiste autrichien Joseph schumpeter (1883-1952) qui veut quune conomie moderne est toujours en dsquilibre dynamique. Lconomie de schumpeter nest pas un systme ferm mais elle volue et change sans cesse selon un mode biologique plutt que mcanique. Schumpeter soutenait que cest linnovateur qui est le vritable sujet de lconomie. Pour lui,7

Information recueillie sur le site www.fortune.com du magazine amricain Fortune. - 10 -

INTRODUCTION GENERALE

linnovation constitue lessence mme de la science conomique et plus certainement dune conomie moderne. Notre hypothse veut donc que la globalisation soit analyse comme tant une tape dans lvolution du systme capitaliste. Elle est le produit dune srie de transformations dont lensemble marque lavnement dune conomie fonde sur linformation et le savoir . Le savoir est en passe de devenir le facteur de production le plus important et, vraisemblablement, le plus dcisif. Il succde ce statut au capital. Les conomies sappuient de plus en plus sur le savoir et linformation scientifique. Le savoir est dsormais reconnu comme moteur de la croissance conomique. Cette volution ne doit tonner personne car le capitalisme a son destin troitement uni celui de la science. Sans la science, jamais le capitalisme triomphal que nous connaissons depuis le XIXe sicle naurait t possible. Linfinitude de lexploration scientifique du rel peut rejoindre linfinitude de lexploration capitaliste des produits et des techniques de production. Cette jonction est devenue si troite que lon court le risque de perdre de vue que science et capitalisme ne se confondent pas. Dans une conomie fonde sur le savoir et le connatre, les firmes ne peuvent pas conserver les mmes organisations structurelles qui ont t lorigine de lessor de productivit lors de la periode prcdente. Faire le pari que la prosprit et lexpansion de lentreprise passent dsormais par la promotion de ses activits qui sappuient le plus sur linnovation exige des firmes concernes dopter pour une organisation structuelle qui soit axe sur le savoir et linformation. Cest une rorientation stratgique de premier ordre. Cest ainsi que les firmes pyramidales fortement hirarchises et bien adaptes la production de masse standardise ont cd la place aux firmes-rseaux dont lessentiel de la valeur provient de la capacit de leurs travailleurs les plus talentueux indentifer et rsoudre les problmes les plus complexes. La prosprit de ce genre dentreprises repose de moins en moins sur les activits de production proprement dite et de plus en plus sur loffre de services haute valeur ajoute. Les usines, les immeubles et les machines nont plus quune importance relative et sont le plus souvent utilises la commande. Laccentuation de la tendance la dlocalisation des activits de fabrication dans les pays en dveloppement est trs rvlatrice de cette transformation. Lentreprise caractristique de lconomie du savoir ne ressemble plus une pyramide mais un rseau. Chaque noeud du rseau comprend un nombre relativement rduit de membres ou de partenaires et stend sur plusieurs sites travers les pays, lis entre eux par des liens organiques plus ou moins troits. Les comptences individuelles sont combines de faon obtenire des effets de synergie importants. Chaque nud de lntreprise-rseau constitue une combinaison unique de comptences et est difficile reproduire par les autres firmes. La firme-rseau qui emploie surtout des identificateurs et des rsolveurs de problmes ainsi que les managers qui sont chargs de leur faciliter le travail devient vite un rseau mondial. Cette diffusion lchelle internationale se comprend aisment. En effet, les travailleurs du savoir de la firme-rseau passent leur temps identifier et rsoudre des problmes de diverses ordres. Or, ce genre dactivits peut tre fourni partout dans le monde car il existe un march mondial pour les services- 11 -

INTRODUCTION GENERALE

didentification et de rsolution de problmes. Plus la demande qui sadresse aux prestataires de ces services est importante, plus les rmunrations quils recevront en contrepartie seront leves. La logique qui sous-tend la cration des rseaux mondiaux est dlargir son champ daction afin de toucher le plus grand nombre de consommateurs, utilisateurs de services de rsolution et didentification de problmes sur les principaux marchs mondiaux. Cette extension gographique sopre travers les investissements trangers en rachetant des entreprises existantes ou en crant de nouvelles. Notre hypothse est donc que les investissements trangers constituent un instrument de la globalisation. En sinternationalisant, la firme-rseau participe la cration dun march mondial du travail. Dsormais, les travailleurs du savoir les plus talentueux travaillent directement pour lconomie mondiale. Leur richesse matrielle et leur confort moral dpendent de la valeur quaccorde celle-ci leurs talents et leur perspicacit. Lorsque la firme ou le rseau recrute ses employs en fonction de leurs aptitudes et leur comptences sur une base, priori, mondiale, cela signifie que la comptition entre les protagonistes, sujets de cette slection, se joue galement lchelle mondiale. Dsormais, les entits domestique ne jouent plus leur traditionnel rle dintermdiation entre les nationaux et lconomie mondiale. La suppression progressive de lintermdiation des firmes locales dans le recrutement du personnel domestique traduit un dbut de dcloisonnement des marchs nationaux du travail. Nous retrouvons ainsi notre proposition centrale, savoir que la globalisation conomique traduit la tendance la cration dun march mondial du travail unifi. Il doit apparatre maintenant que la globalisation est le rsultat de transformations structurelles opres par le systme capitaliste afin de rpondre aux exigences dune conomie dsormais fonde sur le savoir. Le lien de causalit va donc de lconomie du savoir au rseau mondial, puis au processus de globalisation. Sans lavnement dune conomie fortement tributaire de linformation et du savoir, il ny a pas de raison pour que le phnomne de globalisation ait eu lieu. Il est trs important que cette relation de cause effet soit correctement apprhende. En effet, le processus de globalisation nest important en lui-mme que dans la mesure o il dcoule directement dune conomie de savoir et dinformation en passe dimposer sa loi toutes les socits, Ainsi, la plupart des dsquilibres et difficults conomiques rencontrs par les individus, les firmes et les conomies nationales que lon impute gnralement au phnomne de globalisation trouvent, en fait, leurs causes originelles dans les transformations et mutations induites par lavnement de lconomie du savoir. Ceux qui perdent de vue ce lien de causalit en sen prenant au mouvement de globalisation se trompent de cible, ne posent pas les problmes dans les bons termes et ne peuvent donc pas proposer des solutions appropries. En reliant le phnomne de globalisation lvolution vers une conomie du savoir, on saperoit que le phnomne en question constitue au fond un dfi et non pas un problme. Il devient certainement un problme lorsque les individus, les firmes et les Etats se drobent leurs obligations et, au lieu de relever ce dfi, prfrent mener une politique de fuite en avant. En effet, les individus et les firmes doivent- 12 -

INTRODUCTION GENERALE

savoir que les connaissances et les comptences qui font leur attractivit et leur productivit ne sont pas des acquis dfinitifs. Il est de leur responsabilit de se remettre continuellement en question afin de rester en adquation avec les exigences de la nouvelle conomie, de plus en plus tributaire du connatre et de linformation. Concernant les Etats, leur principale action face au dfi que leur pose le mouvement de globalisation est de faire en sorte que les forces centriptes qui lient les individus dune nation les uns aux autres en garantissant sa cohsion compensent et neutralisent les effets des forces centrifuges de lconomie mondiale qui, linverse des premires, distendent les relations intercommunautaires au sein de la nation. Cela ncessite dentreprendre une politique long terme fonde sur la promotion de la qualit de la force de travail et lamlioration de son attractivit pour le capital local et tranger, sans sgrgation aucune. Les firmes, les rgions et les conomies les plus prospres seront celles qui emploieront en grand nombre des personnes bien formes et disposant dinfrastructures modernes et performantes. Les pouvoirs publics ne doivent donc pas hsiter porter leurs efforts en priorit sur les secteurs de lducation, la sant, la formation professionnelle, la recherche scientifique, les tlcommunications dont les performances ( ou les contre-performances) ont une influence directe sur les capacits productives des travailleurs actuels ainsi que sur celles des gnrations futures. Le cas des pays en dveloppement est encore plus dlicat car lintensification de linnovation et lacclration de son rythme que favorise lconomie du savoir creusent lcart de dveloppement conomique qui les spare des pays avancs et aggrave le risque de marginalisation conomique, mais aussi technologique, politique et culturelle quils encourent sur la scne mondiale. Pour mettre en vidence la thse que nous soutenons et les hypothses de travail qui ltayent, nous avons opt pour le plan de travail suivant: Chapitre premier : la globalisation dans une perspective historique ; Chapitre second : la globalisation luvre ; Chapitre troisime : la globalisation et lEtat-Nation ; Chapitre quatrime : la globalisation et les pays en dveloppement. La globalisation fait partie de ces termes issus de la sphre conomique et qui, par limportance des phnomnes quils expriment et leurs effets sur les conditions de vie des groupes et des populations, deviennent des termes gnriques qui sont employs par le plus grand nombre de personnes. Mais cette dmocratisation de lutilisation du mot globalisation ne sest pas faite bon escient. Manifestement, elle a manqu de rigueur et de prcision si bien que le terme de globalisation peut dsigner dun commentateur un autre une chose et son contraire. Cela est prvisible vu que cette notion est synonyme de phnomnes complexes qui ne peuvent pas tre compris sans faire appel des thories conomiques dont la comprhension et fortiori lutilisation ncessitent une formation approfondie. En choisissant de dfinir le mouvement de globalisation par son trait le plus fondamental, savoir lintgration du march du travail lchelle mondiale, nous avons opt pour une dmarche analytique mais aussi, et surtout, pdagogique. Notre- 13 -

INTRODUCTION GENERALE

but est de comprendre et de rendre cette comprhension accessible au plus grand nombre. Nous pensons que dans le domaine de lconomie mondiale, vu les moyens de recherche dont nous disposons, il est prfrable et plus productif de limiter ses ambitions ce genre dobjectifs scientifiques. Cette dmarche permet aussi douvrir la voie dautres travaux de recherche o le mouvement de globalisation sera analys par rapport dautres problmatiques comme le commerce, linvestissement international, le dveloppement conomique, le rle et les politiques conomiques de lEtat, etc.

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CHAPITRE I LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

John Maynard Keynes disait propos de lconomie que cest une discipline facile o pourtant, peu excellent. Daprs lui, ce paradoxe est d au fait que la bonne comprhension des grands principes de lconomie ncessite des connaissances profondes dautres disciplines, comme lhistoire, la politique, la sociologie, etc. Lconomie est difficile aussi apprhender du fait du caractre fortement accumulable de ses informations. Tenter de comprendre ou dexpliquer une thorie ou un phnomne conomique important sans sintresser aux thories et aux phnomnes conomiques adquats qui les ont prcds aboutit forcment des rsultats insatisfaisants. Ltude du processus de globalisation obit parfaitement ce principe. Un phnomne de lampleur de celui de la globalisation qui est luvre depuis une vingtaine dannes ne peut lvidence surgir du nant. Des vnements multiformes, des phnomnes conomiques et extra-conomiques et des politiques menes dlibrment ou involontairement ont conjugu leurs effets pour faonner au final le phnomne en question. Lobjectif de ce premier chapitre est de restituer le mouvement de globalisation dans son contexte historique afin dessayer de dterminer sa gense, dune part, et de faire ressortir les facteurs qui ont favoris son mergence, dautre part. Ce premier chapitre se compose de trois sections. Dans la premire section nous avons essay de retracer grands traits les principales tapes traverses par lconomie capitaliste occidentale. Nous avons cet gard identifi deux grandes priodes, marques chacune par un type particulier de rgulation macro-conomique. Dans la premire, domine par les petites entreprises familiales, la rgulation est dite concurrentielle dans la mesure o ce sont les mcanismes du march qui dterminent, en dehors de toute intervention extrieure significative, lquilibre conomique global. La seconde priode commence avec lapplication et la diffusion des principes de production Tayloriens qui ouvrent la voie la production grande chelle et au rgne de la grande entreprise. La mise en uvre des principes de production fordiens constitue lachvement de cet difice conomique qui, sur le plan institutionnel, se traduit par lapplication dune rgulation macro-conomique appele monopoliste. Celle-ci se caractrise par un rle conomique accru de lEtat travers lapplication de politiques gouvernementales conjoncturelles dinspiration keynsienne ainsi que la fixation par lEtat de normes sociales que les entreprises se doivent de coordonner la mise en uvre avec des syndicats pleinement reconnus. Dans les pays occidentaux, cet difice conomico-institutionnel sera lorigine de rsultats remarquables en termes demploi et de prosprit conomique, notamment durant la priode 1945-1973. Les annes 1970 marquent un peu partout en occident, lexception notable du Japon, le dbut dune priode de crise conomique svre. Le chmage et, paradoxalement, linflation atteignent des niveaux trs levs, alors que la production connat une profonde stagnation. Face cette situation indite, les tentatives de relance par les traditionnelles politiques anticycliques se sont avres vaines. La situation conomique densemble, lchelle nationale et internationale, voluait de telle manire quelle rendait impossible le rtablissement des conditions conomiques prvalant avant lapparition de la crise. Dans ces conditions, la sortie de crise, reposait plus sur les mesures et les politiques que parviendraient entreprendre les entreprises16

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que sur celles mises en uvre au niveau des Etats. Cest ce qui doit ressortir de la lecture de la section suivante. Dans la seconde section, nous avons en effet essay de montrer quaprs une priode dhsitation, les grandes entreprises occidentales se sont engages dans une nouvelle stratgie visant organiser leurs activits sur de nouvelles bases de comptitivit. Jusque l, la forme de production dominante dans les conomies occidentales tait la production de masse standardise. Dans ce type de production, le facteur de comptitivit primordial dpend de limportance des conomies dchelle ralises. Le cot de production unitaire moyen doit dcrotre mesure que la production augmente. Lune des consquences de la crise des annes 1970 a t que ce facteur ne revtit plus limportance quil avait auparavant mesure que le mode de production de masse standardise cdait la place dautres principes dorganisation de la production. Les produits qui taient issus de ces processus de production rforms taient plus personnaliss, plus miniatures et comprenaient une part plus grande de services haute valeur ajoute. En outre, la part des activits tertiaires suprieures tait en constante progression par rapport au secteur secondaire notamment. De mme, les secteurs les plus troitement lis aux nouvelles technologies de linformation et de la communication ont vu leurs positions se renforcer. Le point commun entre toutes ces volutions est que la position comptitive des firmes devenait troitement dpendante de facteurs tels que la technologie, les savoirs et les comptences. Lintensification de la concurrence entre les entreprises occidentales et entre elles et des firmes de pays en dveloppement condamnait les premires un recours accru ces facteurs de production spcifiques. La seconde section analyse donc cette vritable mutation et rvle les raisons qui ont fait que les facteurs de comptitivit concerns se singularisent et smancipent par rapport aux autres facteurs de production plus traditionnels, en particulier le travail ouvrier. Cependant, ces transformations taient dune ampleur et dune profondeur telles quil ntait pas possible pour les entreprises concernes de procder leur excution sans oprer au pralable ou en parallle un profond ramnagement de leurs structures fonctionnelles. La structure pyramidale et fortement hirarchise, trs caractristique des entreprises de production de masse standardise ne pouvait pas servir, lvidence, de cadre propice la nouvelle stratgie comptitive. Celle-ci ncessitait une structure qui puisse offrir des qualits telles que souplesse, flexibilit, ractivit et travail en synergie. Ces caractristiques sont ncessaires pour que le savoir et les connaissances technologiques, sur lesquels est fonde la nouvelle comptitivit des entreprises soient pleinement productifs. La structure retenue a t celle dentrepriserseau qui runit entre eux les travailleurs du savoir dont les comptences sont indispensables la bonne marche de lentreprise. La troisime section est ainsi consacre ltude de lentreprise-rseau, ses composantes et son fonctionnement.

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SECTION IAux origines du phnomne de globalisation : avnement, essor et dclin de lentreprise de production de masse standardise.I. Le march libre, lieu privilgi de la rgulation conomique

Pour comprendre cette situation il faut revenir aux conditions conomiques qui taient celles de la grande partie du XIXe sicle. A lpoque, les conomies occidentales fonctionnaient telles quelles taient dcrites par Smith, Say, Ricardo et les autres auteurs classiques. En rgle gnrale, les secteurs dactivit taient composs dune multitude de petites entreprises, souvent de type familial, ne dtenant chacune delles quune part limite du march. De ce fait, la concurrence qui y rgnait tait considrable ce qui fait que ces entreprises navaient pas de prise sur les prix avec lesquels elles offraient leurs produits. Dans ce systme, les prix taient flexibles et se fixaient librement selon le jeu autonome de loffre et de la demande. Mme les salaires taient soumis cette logique et fluctuaient au gr de la conjoncture, de lvolution dmographique et des prix des biens de subsistance. Les premiers principes fondant la logique de ce systme ont t poss par Adam Smith ds 1776. Ils ont t repris et dvelopps par les autres auteurs classiques commencer par le franais J.B. Say. Le trait, son uvre majeure, publi en 1803 jette les bases du libralisme la franaise. Influenc par la richesse des nations de son illustre prdcesseur cossais, il sen carte cependant sur certains points, tels leffacement de la valeur - travail au profit de la valeur - utilit, lextension du travail productif tous les domaines (sciences - arts) concourant crer une utilit et surtout la fameuse loi des dbouchs qui stipule que toute production trouve acqureur sur le march parce quelle aura engendr dautres productions. Cette loi que les conomistes anglo-saxons de Ricardo aux no-libraux actuels sen revendiquent pose toute laxiomatique de lcole classique et no-classique : lquilibre gnral du march livr lui-mme sans interfrences extrieures. Say postule que cest la production qui ouvre des dbouchs aux produits . Avant daller plus loin dans ce sens, il convient de signaler combien il est surprenant dapprendre quen formulant sa loi des dbouchs, Say navait pas perdu de vue limportance de la demande dans le fonctionnement du systme conomique. Il disait ce sujet que les entrepreneurs des18

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diverses branches dindustrie ont coutume de dire que la difficult nest pas de produire, mais de vendre ; quon produirait toujours assez de marchandises, si lon pouvait facilement en trouver le dbit1. La difficult nest pas de produire mais de vendre; cest sur ce thme que se basera Keynes un sicle et demi plus tard pour construire sa thorie. Say et les classiques dans leur majorit, rfutent cette ide et inversent quelque peu la relation de priorit entre loffre et la demande. Chez les classiques, cest la production et les facteurs qui tendent son accroissement qui comptent le plus. Say prcise cette ide en disant que lhomme dont lindustrie sapplique donner de la valeur aux choses en leur crant un usage quelconque ne peut esprer que cette valeur sera apprcie et paye que l o dautres hommes auront les moyens den faire lacquisition. Et de sinterroger, ces moyens, en quoi consistent - ils ? En dautres valeurs, dautres produits, fruits de leurs industries, de leurs capitaux, de leurs terres : do il rsulte que cest la production qui ouvre des dbouchs aux produits2. Par consquent, dans tout Etat, plus les producteurs sont nombreux et les productions multiples, et plus les dbouchs sont faciles, varis et vastes. Une des caractristiques majeures de ce systme est limpossibilit de voir surgir en son sein une crise gnralise de surproduction. La flexibilit des prix et des salaires et leur libre dtermination, font que la demande et loffre sajustent lune lautre rendant impossible la persistance dun dsquilibre significatif entre eux. Cette problmatique, dgage par Say, sera systmatise plus tard par les classiques et surtout les noclassiques : cest la conception des facteurs de production comme services schangeant sur le march suivant le principe de loffre et de la demande, indpendamment les uns des autres. Les prix des biens de capital, mais aussi du travail ouvrier se fixeront chacun de son cot, suivant loffre et la demande des quantits changes sur un march libre de toutes entraves. In fine, le march assurera lquilibre pour lensemble des services productifs et tendra leur plein emploi. Cette rduction du processus productif la mise en relation de services productifs, plus tard appels facteurs de production, permet Say dapprhender la rpartition en termes de rmunration de ces services. Ainsi le fermage ou la rente, lintrt ou le profit, et le salaire sont les rmunrations respectives du terrain, du capital et du travail ouvrier. Les revenus des propritaires terriens obissent au principe de la rente diffrentielle dont la dmonstration t faite par Ricardo. Ce genre de revenus est fonction de la fertilit des terres mises en exploitation. De leur cot, les salaires sont des salaires de subsistance ; ils se fixent au niveau qui assure lentretien de louvrier et de sa famille. A court terme, le salaire de louvrier est dtermin par les prix des biens de subsistance, alors qu plus long terme, cest de lvolution dmographique de la population que dpend le niveau des salaires3. Quant au profit de lentrepreneur capitaliste, il est constitu de la diffrence positive entre lensemble de ses revenus et la somme des avances quil a consenties sous forme de cots de production. Ce dtour thorique nous permis de comprendre ce qui fait la richesse des individus et des nations chez les classiques et ce quil faut entendre par production chez eux, car il ny a de production que production de richesse. Cest cette production19

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qui dtermine la rpartition des richesses entre les diffrentes classes sociales (suivant les prix que consentent offrir certains individus et groupes dindividus pour obtenir une quantit donne de services productifs proposs la vente par dautres individus et groupes dindividus ) ; ce sujet nous avons eu un aperu des lois qui rgissent ce processus chez les classiques. Ceux-ci considrent donc que la production dtermine la rpartition, et cette dernire dtermine laccumulation qui elle-mme dtermine son tour la production selon une approche circulaire et macro-conomique qui peut tre schmatise comme suit :

Production Accumulation Rpartition

Chez les classiques, laccumulation de capital revt une grande importance, car cest sur elle que repose la poursuite du processus de production. Ce rle est dvolu la classe des capitalistes grce aux profits quelle parvient raliser. Cette catgorie, en prenant en charge la fonction daccumulation grce ses vertus en matire dpargne, joue un rle dutilit sociale. Plus ses profits sont importants, plus son pargne est importante alimentant dautant plus ses fonds daccumulation ce qui en fin de compte fait lever la production et la richesse nationales des niveaux suprieurs. En dernier ressort, les ouvriers eux-mmes bnficieront de cette volution favorable la faveur dun niveau demploi suprieur et donc des salaires en hausse. Pour que se concrtisent ces promesses, le gouvernement doit respecter la libert dentreprendre, mais aussi de ne pas imposer lourdement les profits. Cette conception, on le voit bien, est celle dune conomie de loffre o la production joue le rle de moteur de lactivit conomique. Les classiques et les noclassiques ont tous adhr cette conception qui a ainsi domin la pense conomique jusquaux annes trente de ce sicle lorsquelles ont t remises en question par les thses keynesiennes bases sur le principe de la prminence de la demande effective.

Une croissance essentiellement extensive.Ce qui nous intresse le plus de cette vocation des principes fondamentaux de la pense classique, cest de reconstituer grands traits la structure conomique de lpoque afin de pouvoir donner un aperu de la faon dont sobtenait la croissance conomique. Cette dernire tait intimement lie la capacit dpargne de la communaut des capitalistes. Lpargne tait leve au rang de vertu. Un pays marche dautant plus rapidement vers la prosprit que chaque anne il sy trouve plus de valeurs pargnes et employes productivement. Les capitaux augmentent ; la masse dindustrie mise en mouvement devient plus considrable ; et de nouveaux20

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produits pouvant tre cres par cette addition de capitaux et dindustrie, de nouvelles pargnes deviennent toujours plus faciles disait J. B. Say ce sujet. Il est vrai quen ces temps, la croissance conomique tait le fruit dun effort pnible et de longue haleine. Lpargne ntait obtenue quau prix de la frugalit de ceux qui la fournissent et de la misre extrme de la grande masse douvriers condamns ne recevoir en contrepartie dun dur labeur quun salaire dairain ne leur assurant que la consommation des produits les plus grossiers. Voici ce que disait Say ce propos : Laccroissement des capitaux est lent de sa nature ; car il na jamais lieu que l o il y a des valeurs vritablement produites, et des valeurs ne se crent pas sans quon y mette outre les autres lments, du temps, et de la peine 4. En somme la croissance conomique se mrite. Ainsi, malgr de longues phases daccroissement de la production en Europe et aux Etats-Unis durant le XIXe sicle, les niveaux de production nont pas pu tre ports l ou ils auraient assur laisance matrielle de la population. Les conditions de vie de la grande majorit sont restes celles dune humanit millnairement stagnante. Elles taient, en tous les cas, trs diffrentes de celles dont jouissent ces mmes populations aujourdhui. Il aura fallu attendre la fin de la premire moiti du sicle dernier pour que commencent se mettre en place les conditions dun changement radical dans le fonctionnement du systme conomique. Ces changements sont dordres divers et allaient seffectuer travers des tapes successives stalant sur plusieurs dcennies. Ces transformations permettront ultrieurement, au cours du XXe sicle, dlever sensiblement les niveaux de production et de rendre accessible le rve dune socit de consommation de masse 5.

La Rvolution industrielle et lapparition de grandes units de production.Le premier grand changement a t laccomplissement de la rvolution industrielle dont les premires manifestations remontent selon plusieurs historiens aux annes 1750. Cette rvolution sinscrit dans la ligne des grandes transformations qui ont marqu le monde europen depuis le moyen ge. Une de ces mtamorphoses sest produite au cours du XIIIe sicle lorsque les peuples dEurope se sont regroups dans des villes nouvelles. La mtamorphose suivante a eu lieu deux sicles plus tard, au cours des soixante ans qui vont de linvention par Gutenberg, en 1455, du caractre dimprimerie mobile et du livre imprim, la rforme protestante lance par Luther en 1517. Durant ces quelques dcennies, on vit spanouir et senraciner le mouvement de renaissance en Europe. En 150 ans, de 1750 1900, le capitalisme et la technologie ont conquis le monde et cre une civilisation mondiale. La nouveaut absolue se fut la rapidit de leur diffusion et leur emprise universelle. Cette volution saccompagna dun changement radical dans la signification de la notion de savoir. En Occident comme en Orient, le savoir, croyait-on depuis toujours, sappliquait ltre. Dsormais, il allait sappliquer au faire. Le savoir, depuis toujours, relevait du domaine priv, dun seul coup, il allait tomber dans le domaine public.

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Dans un premier temps, un sicle environ, le savoir sappliqua aux outils, aux procds et aux produits. Cest ainsi que naquit la rvolution industrielle. Les inventions de la rvolution industrielle se rpandirent instantanment et dans toutes sortes de mtiers et dindustries. Dentre de jeu elles furent considres comme des techniques, ce qui est trs diffrent de ce qui stait produit auparavant ; car la presque totalit des innovations techniques dautrefois restaient rserves un seul mtier ou une seule application. La mme chose peut-tre dite propos du capitalisme qui, sous une forme ou une autre, stait manifest maintes reprises travers les ges. Ce quil y a dunique et sans prcdent dans les dveloppements des deux cents cinquante dernires annes, cest leur rapidit et leur ampleur. Le capitalisme devenait la socit. Les changements apports la socit par le capitalisme et la rvolution industrielle mirent moins de cent ans pour acqurir en Europe occidentale, leur impact maximal. Les changements dont nous avons parl plus haut, concernant la signification du savoir rendirent alors le capitalisme invitable et assurrent sa domination 6. Dabord et surtout, la rapidit du progrs technique cra une demande de capitaux suprieure tout ce quun artisan pouvait se procurer. Ensuite, les nouvelles techniques conduisaient concentrer la production, cest--dire engendrait lusine. La nouvelle technologie exigeait aussi des masses dnergie dont la production ne peut pas tre dcentralise. Le fait essentiel, cest que la production cessa du jour au lendemain dtre fonde sur les mtiers pour se fonder sur la technologie en tant qulment fondamental dans llaboration doutils de production plus sophistiqus. Et quen consquence, le capitaliste se trouva plac dans un bref laps de temps, au centre de la socit et de lconomie alors quil ny dtenait auparavant quune place secondaire. Jusquen 1750, la grande entreprise ntait jamais prive mais nationale. Mais partir de 1830, cest au tour de la grande entreprise prive capitaliste de dominer en Occident. Le capitalisme, et surtout la rvolution industrielle nont pratiquement connu aucune rsistance pour se rpandre. Smith, Ricardo et bien dautres observateurs de la socit ne dcrivaient dans leurs livres que la production des mtiers. Dans les annes 1830, Honor De Balzac dcrivait une socit franaise domine par les banquiers et la bourse. Cette volution des firmes la concentration et lutilisation doutils de production plus labors et plus puissants se poursuivit tout au long du XIXe sicle. Cette tendance fut renforce par une transformation non moins importante dans les procds dexcution du travail productif. Taylor a t lartisan de ce bouleversement dans les mthodes de travail prcisment au sein des grandes entreprises amricaines dont le principe fut ensuite repris par les firmes europennes. Il sen est suivi un extraordinaire bond dans la productivit du travail. Jusqu Taylor, personne ne stait rellement intress au travail. Chacun savait que le seul moyen de produire davantage consiste travailler plus longtemps ou plus dur. Le taylorisme consiste affirmer et agir en sorte que toute tache peut-tre tudie, analyse, divise en une srie de mouvements simples et rptitifs dont chacun doit tre accompli comme il faut, dans un temps minimum, et avec des outils adapts. Affirmer cela ctait soutenir quil nexiste pas de travail qualifi ce qui constitue un crime impardonnable aux yeux des syndicats. Nous verrons plus loin comment la rvolte des ouvriers industriels contre les mthodes taylorisantes a t lun des facteurs majeurs de la fin de la croissance exceptionnelle de la priode de laprs-guerre.22

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Le taylorismeLa forme Taylorienne dorganisation des entreprises doit son nom aux travaux de rationalisation du travail industriel entrepris aux Etats-Unis la fin du sicle dernier par Frederick Taylor. Celui-ci stait efforc de donner une dfinition rigoureuse des tches accomplir par les ouvriers dune usine de la Midvale Steel Compagny o il tait lui-mme employ. Lapproche analytique de Taylor permit de faciliter la formation de nouveaux ouvriers et dassurer leur insertion rapide dans les structures industrielles de production. Cest la raison pour laquelle lutilisation du modle Taylorien sest rapidement tendue aux Etats-Unis, dans les premires dcennies de ce sicle, au moment de lafflux des immigrants europens et des dbuts de la production de masse. Lapproche analytique de Taylor peut-tre schmatise comme suit :

LES SOURCES DU TAYLORISMEDEMANDE ABONDANTE DE CONSOMMATION DEMPLOI PEU QUALIFIES

MARCHE DOFFRE LA PRODUCTION PEUT ETRE ORGANISEECOMME UN SYSTEME FERME(PUSH SYSTEM)

PRODUCTION DE MASSE PAREMIETTEMENT REPETITION DES TACHES DEXECUTION

STANDARDISATIONDES PRODUITS

SPECIALISATIONDES TACHES

ECONOMIES DECHELLE

APPRENTISSAGERAPIDE

Le taylorisme en tant que srie de transformations majeures du procs de travail concide ou peut-tre fait partie de la deuxime rvolution industrielle qui a commenc dans la seconde moiti du XIXe sicle. Cest la priode ou le mode de production23

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capitaliste met systmatiquement en place les systmes de forces productives capables dassocier troitement plus-value absolue et plus-value relative. Le fondement en est le principe mcanique qui incorpore dans son mode opratoire les caractristiques qualitatives des travaux pralablement assums par les ouvriers. Le machinisme est un complexe de forces productives ou une srie doutils est mise en mouvement par une puissance mcanique, le moteur, grce des relais qui assurent la transmission. Il y a donc renversement de la relation entre les travailleurs et les moyens de travail. Au lieu de diriger les outils comme cela se passait auparavant, les travailleurs deviennent les appendices des machines. En transfrant les caractres qualificatifs du travail la machine, la mcanisation rduit le travail un cycle de gestes rptitifs caractris exclusivement par sa dure, la norme de rendement. Dans ce contexte, le taylorisme se prsente comme lensemble des rapports de production internes au procs de travail qui tendent acclrer la cadence des cycles de gestes sur les postes de travail et diminuer la porosit de la journe de travail 7. Le taylorisme trouve son aboutissement dans lorganisation du travail en quipes. Ce mode dorganisation prend de limportance avec laugmentation de la taille des collectifs de travail mettant en mouvement un capital fixe dune valeur trs leve, immobilise dans des infrastructures productives dont la mise en uvre est trs coteuse.

II- Lpoque de la grande entreprise et de la rgulation monopoliste :Cela suppose que les dernires dcennies du XIXe sicle ont t marques par un cycle daccumulation de capital soutenu. Cest durant cette priode que les grandes firmes industrielles, ayant une base nationale, dont certaines taient des multinationales, font leur apparition aux Etats-Unis et en Europe. Dj en 1904, le tiers des actifs industriels amricains tait dtenu par 318 firmes gantes8. Laccroissement de la taille des units de production par rapport au march auquel elles sadressaient et la spcialisation des ressources associe au passage la production grande chelle au milieu des annes 1880, par exemple, dans lindustrie des cigarettes, la production de trente machines suffisait saturer le march 9 donnent naissance un systme industriel compos des grandes entreprises fonctionnant selon une logique nouvelle et ad hoc avec planification et contrle des prix. Les mouvements de constitution de cartels en Europe et de fusion des entreprises aux Etats-Unis ont t les principaux moyens par lesquels ont t atteints ces objectifs. Comme il a t dit plus haut, la rgulation concurrentielle qui est en vigueur au e XIX sicle, jusquaux annes 1920, repose sur une forme daccumulation de capital qualifie dextensive. La valorisation des capitaux est assure non par modernisation des quipements mais par une extension du salariat. Autrement dit, la croissance rsulte de lextension des capacits de production plutt que du dveloppement de la productivit. Les salaires sont rguls au plus bas par la concurrence sur les marchs, et la norme de consommation noffre pas de dbouchs importants ; la consommation ouvrire est largement oriente vers les dpenses alimentaires.

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A la fin du XIXe sicle et au dbut du XXe sont jetes donc conjointement au taylorisme, les bases dun nouveau mode daccumulation dite intensive. La modernisation priodique des quipements et une croissance rapide et rgulire de la productivit en sont les deux traits majeurs. Ainsi, la dcennie qui a suivi la grande guerre a connu une certaine prosprit marque par llargissement de la section II par cration dune demande solvable partir de la dpense dune partie de la plus-value comme revenus individuels (construction de logements, automobiles, etc). En rapport avec lextension de la production capitaliste dans la section II, il y eut une transformation des procs de travail caractrise par une forte conomie de travail vivant et un largissement de la capacit productive. Mais la disproportion entre lextension de la section II et laccumulation dans la section I slargit rapidement puisque les forces de travail taient aussi responsables de lamenuisement de la demande solvable pour les marchandises de la section II. De 1923 1928 la production de biens dquipement augmenta de 50%, alors que la production industrielle ne saccrut que de 25%. Cette priode fut marque par un accroissement rapide des ingalits de revenus, en partie due une quasistagnation du salaire rel horaire (2% de hausse entre 1920 et 1929). Cest pourquoi, compte tenu de lensemble des donnes sur la distribution des revenus et son volution, il a pu tre estim que 40 45% environ des mnages taient hors du march des biens de consommation except pour les marchandises rudimentaires de premire ncessit 10. Laggravation des ingalits engendre par la mise en place des mthodes de production de masse tait antagonique avec le besoin dexpansion des marchs de la section II. Ainsi, si les entreprises produisent mieux et plus, si le profit augmente, les retombes sont inexistantes pour les ouvriers. Rsultat, la production crot mais sans pouvoir trouver de dbouchs suffisants puisque les salaires et la consommation stagnent. Ainsi dfinie, la crise de 1929 peut sanalyser comme lexpression dune accumulation intensive (avec la mise en place du taylorisme) dans un cadre ou la rgulation reste encore concurrentielle. Le mode de rgulation concurrentielle est li un rapport salarial individualiste, de march, avec quilibrage par flexibilit des prix. Les situations plus ou moins concentres peuvent tre concurrentielles si les prix restent le mcanisme essentiel dajustement. Cette interprtation de la crise des annes 1930 relve dune catgorie de thories qui font de linadquation des mcanismes de formation des salaires face lessor sans prcdent du taylorisme lun des facteurs cls de la crise de 1929. La crise de 1929 est donc une crise de la rgulation concurrentielle. Les gains de productivit permettent la hausse des profits, mais les salaires concurrentiels restent bas. La section des biens de production est disproportionne par rapport celle des biens de consommation, limite par la faiblesse de la demande. La crise de 1929 serait donc lie la combinaison trop de profits, pas assez de salaires . Le blocage est lev dans les annes 1930 avec la lente mise en place dun mode de rgulation monopolistique. Celui-ci substitue les groupes organiss lindividu : les dcisions sont ngocies, les ajustements rsultent des rapports de force, les prix sont administrs. Il sagit l dune schmatisation des transformations historiques du capitalisme, passant du stade libral au stade dirig.

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Le mode de rgulation monopolistique srige sur de nouveaux piliers : force accrue des organisations syndicales de salaris, cartellisation et fusion des grandes entreprises, dveloppement de lintervention tatique, indexation des salaires sur la productivit.

Le rapport salarial fordisteLa grande dpression ouvrit deux dcennies de transformations des institutions de la socit amricaine et europenne un peu plus tard. Cette mutation samora comme une raction leffondrement de l conomie pour en amortir limpact. Mais elle continua avec la Seconde guerre mondiale et leffort entrepris dabord pour convertir lconomie la production de guerre, inscrite pour la grer sous la pression du conflit, et finalement pour reconvertir lappareil de production et empcher lconomie de sombrer dans une nouvelle dpression. A la fin des annes 1940, cet amalgame dexpriences a finalement abouti une structure nouvelle et relativement stable de rgulation macro-conomique appele rapport salarial fordiste. Aussi, lexplication du passage au fordisme fait-elle intervenir lentrelacement de diffrents facteurs, aussi bien micro que macro-conomiques 11. Sur le plan micro-conomique, le fordisme constitue un dpassement du taylorisme en ce sens quil dsigne un ensemble de transformations majeures du procs de travail. Celles-ci sont troitement lies aux changements dans les conditions dexistence du salariat qui engendrent la formation dune norme sociale de consommation et tendent institutionnaliser la lutte conomique des classes sous la forme de la ngociation collective. Le fordisme caractrise un stade nouveau de la rgulation du capitalisme, celui du rgime de laccumulation intensive o la classe capitaliste recherche une gestion globale de la reproduction de la force de travail salarie par larticulation troite des rapports de production et des rapports marchands par lesquels les travailleurs salaris achtent leurs moyens de consommation 12. Le fordisme constitue donc une sorte darticulation du procs de production et du procs de consommation. Le procs de travail caractristique du fordisme est la chane de production semiautomatique. Ce type de procs de travail sest tabli aux Etats-Unis dans la production en grande srie des moyens de la consommation de masse partir des annes 1920 et sest tendu en amont dans la production des composants intermdiaires standardiss entrant dans la fabrication de ces moyens de consommation. Du point de vue de la production, le fordisme sappuie sur un dveloppement considrable des machines, ce qui ntait ncessairement pas le cas du taylorisme dont il constitue par ailleurs lachvement travers une parcellisation approfondie du travail. De vritables systmes de machines, relies entre elles par llment fondamental quest le convoyeur font que ce nest plus louvrier qui se dplace la marche pied nest pas une activit rmunratrice disait Ford mais lobjet en cours de fabrication qui circule devant une srie douvriers attachs leur poste de travail (travail post ). Ceux-ci sont de ce fait rendus totalement solidaires entre eux ce qui nest pas sans importance et totalement asservis au rythme de travail que leur

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impose la machine, laquelle peut-tre utilise plein temps (travail par quipes en 3 X 8h ). La chane, cest donc le travail totalement dqualifi et alin, rduit un seul geste perptuellement rpt. Cest le despotisme absolu des temps et des mouvements sous le contrle constant des chefs de ligne. La chane achve lclatement du mtier et aboutit un fort accroissement de lintensit du travail puisquelle vise liminer toute porosit de la journe de travail en liminant les temps morts . De ce fait elle ralise un allongement camoufl de la journe de travail, accrot la productivit apparente de celui-ci et le taux dexploitation des travailleurs tout en rduisant les cots de formation de la main-duvre dont la majorit est dpourvue de toute qualification13. La manire dont le fordisme approfondit le taylorisme dans le procs de travail tient deux principes complmentaires : Le premier est lintgration des diffrents segments du procs de travail par un systme de convoyeurs et de moyens de manutention qui assurent le dplacement des matires en transformation et leur prsentation devant les machines outils. Ce systme justifie lemploi du terme de chane de production semi-automatique. Il reprsente une mutation des forces productives dans le sens ou il abaisse considrablement les temps de dplacement et de manipulation dobjets souvent fort lourds. Ce systme est galement lorigine dune grande conomie de forces de travail et dune lvation considrable de la composition organique du capital. Son fonctionnement nest possible que grce une rvolution nergtique qui a gnralis lemploi industriel de lnergie lectrique. Le second principe est la fixation des ouvriers des postes de travail dont lemplacement est rigoureusement dtermin par la configuration du systme de machines. Cest aussi la perte totale de contrle de chaque ouvrier sur la cadence de travail. Le flux linaire et continu soumet le rythme du collectif des travailleurs luniformit du mouvement du systme de machines. Avant daller plus loin dans ce raisonnement, il importe de dire que les produits qui sortent des usines qui ont adopt les principes de production fordiens sont des produits standardiss parce quissus de machines usage spcifique cest--dire conus pour un seul produit. Nous utilisons donc le terme de production de masse standardise pour dsigner la production qui caractrise le systme conomique fordiste. Lintroduction, puis la gnralisation de lordre productif fordiste aux Etats-Unis a t lorigine dune phase de croissance exceptionnelle qui sest amorce ds la seconde guerre moiti des annes 1930. Le mme phnomne sera observ en Europe, aprs la Seconde guerre et la fin de la priode de reconstruction. Le quart de sicle qui sest achev avec la fin des annes 1960 a t marqu dans les pays capitalistes dvelopps par des taux moyens de croissance ingals jusqualors (5 % environ en moyenne sur lensemble des pays membres de lOCDE). En 1969, le PNB amricain a t de 962 milliards de dollars alors quil ntait que de 235 milliards avant la guerre, soit presque son triplement en lespace de trente ans.

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Une croissance quilibre.Contrairement la croissance des annes 1920 qui tait centre sur lexpansion de la section II, la croissance de laprs-guerre ntait pas affecte par ce genre de dsquilibre. Cela est d au long procs historique qui a commenc au dbut du XXe sicle et qui a t la pntration de la production capitaliste dans la fabrication des moyens de consommation individuelle de la grande masse des salaris. Cest dans ce dploiement que le capitalisme accomplit le bouleversement historique par lequel il ralise ses potentialits dans la formation sociale. En effet, tant que le capitalisme transforme dune manire prdominante le procs de travail par cration de moyens collectifs de production sans remodeler le mode de consommation, laccumulation progresse par coups. Il sagit dun rgime daccumulation principalement extensif, fond sur ldification de lindustrie lourde par pans successifs. Les -coups proviennent du dveloppement ingal de la section I qui dprime le taux de rendement global du capital. A cet effet, lpoque daprs-guerre se distingue par luniversalisation des rapports de production capitalistes lensemble des activits productives et du dveloppement corrlatif de la circulation marchande. Le ressort essentiel en fut la transformation des conditions dexistence de la classe ouvrire permettant lintroduction de mthodes de production capitalistiques dans lensemble de la section II. Cette dynamique permettait ou mme passait par une certaine harmonisation de lexpansion des deux sections de production travers la densification de leurs changes. Cette neutralisation partielle de la tendance au dveloppement ingal de la section I a t responsable de la croissance approximativement rgulire du produit global dans la majeure partie de laprs-guerre, en contraste avec les -coups de laccumulation caractristiques du rgime prdominance extensive antrieur aux transformations des conditions dexistence du salariat. Les graphiques 1 et 2 retracent lexpansion des deux sections de production durant la priode de laprs-guerre.

GRAPHIQUE I.1. Production industrielle dans la section productrice de biens de production (volution en volume ; indice 1957-1959 = 100)

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GRAPHIQUE I.2. Production industrielle dans la section productrice de biens de consommation (volution en volume ; indice 1957-1959 = 100)

Source : U.S. Department of Commerce

Llargissement de la production capitaliste des moyens de la consommation prive devait surmonter un certain nombre de problmes pour pouvoir durer dans le temps. En effet, les moyens matriels de consommation, produits selon des procds capitalistes, sont des marchandises issues dune production de srie et destines tre achetes par les revenus individuels. Il faut pour cela que les conditions de production de ces marchandises soient celles de la production en grande srie. Mais pour quil en soit ainsi, il faut que la demande globale sadressant ces branches soit suffisamment large et rapidement croissante. Lide damliorer progressivement lefficacit en restreignant lutilisation des ressources la fabrication dun seul produit reste donc tributaire dun paramtre dcisif ; la dynamique de la spcialisation ne peut tre enclenche et maintenue que si elle est accompagne dun accroissement de la demande. De toute vidence, il serait insens de modifier les rouages de la production de faon augmenter le rendement sil ny avait pas de march pour absorber lexcdent n de cette spcialisation productive accrue et, si, du fait de ce nouvel arrangement, la reconversion des ressources un autre usage devenait trop coteuse. Les premires firmes engages dans la production en srie sont apparues partir de la fin du XIXe sicle et, aprs la Premire guerre mondiale, cette forme dorganisation sest rapidement rpandue14. Lenjeu est donc dassurer un minimum dquilibre entre offre et demande. De ce fait, on peut caractriser le fordisme comme un systme productif daccumulation intensive qui, travers un compromis salarial institutionnalis entre patrons et syndicats, favorise dimportants gains de productivit dont une bonne partie est distribue aux salaris. Le fordisme repose sur la ncessit dassurer la continuit du cercle vertueux qui lie systme productif et consommation.

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La rgulation macro-conomiqueLe dcalage entre les progrs de la production de masse entre 1921 et 1929 et le retard stablir un nouveau mode ncessaire de rpartition et de consommation a jou un rle essentiel dans le dclenchement de la crise et surtout dans lampleur de la dpression 15. Le caractre ncessaire de larticulation entre production de masse et consommation de masse fut trs tt aperu par H. Ford. Il voit trs bien que le five dollars day rpond au besoin dune telle complmentarit. Il esquissera en 1924 la nouvelle thorie pr-keynsienne de la demande effective. Notre propre russite, crit-il, dpend en partie de ce que nous payons. Si nous rpandons beaucoup dargent, cet argent est dpens. Il [] se traduit par un accroissement de la demande pour nos automobiles . Il serait cependant erron de croire quune entreprise individuelle, fut-elle de la taille de la Ford Compagny est capable de raliser elle seule cette complmentarit entre production et consommation de masse. Le doublement en 1914 du salaire journalier moyen par Ford tait intervenu dans un contexte particulier marqu surtout par un profond dgot des travailleurs lendroit du travail la chane. Cette mesure ne visait qu rduire le phnomne du turn-over qui, lpoque, nuisait srieusement au bon droulement des activits au sein des usines Ford16. Ladquation de la production de masse avec la consommation est une tche qui dpasse largement les capacits dorganisation et de financement individuelles des firmes. Elle relve plutt de la conjonction des efforts de trois principaux acteurs socio-conomiques. Les grandes entreprises, les syndicats en tant que reprsentants des collectifs des travailleurs et lEtat dont limplication dans cette tche est de plus en plus importante depuis les annes 1930 le new deal amricain. Les relations conventionnelles que se sont tisses entre eux ces trois acteurs en vue de raliser lobjectif de complmentarit entre offre et demande forment ce quil convient dappeler la macro-rgulation. Cest la grande dpression qui ouvrit deux dcennies de transformations des institutions de la socit amricaine en Europe cela a dbut plus tard et a dur plus longtemps. Cette mutation samora comme une raction leffondrement de lconomie pour en amortir limpact. Ces transformations constitues dun amalgame dexpriences ont finalement abouti une structure nouvelle et relativement stable de rgulation macro-conomique. La pice matresse de la stabilisation conomique daprs-guerre rsidait dans le systme national de fixation des salaires issu de lessor des syndicats dans les industries de production en srie et de lhabitude de plus en plus rpandue de recourir des ngociations collectives. Alors quavant la grande dpression, le rle des syndicats amricains dans les relations professionnelles tait rest ngligeable; il devint dcisif pour lorganisation de la main-duvre, notamment aprs la Seconde guerre mondiale.

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Dans ces industries, le systme de dtermination des salaires reposait sur cinq principes essentiels : 1- La formule modle de convention inaugure par lindustrie automobile (laccord sign en 1948 entre United Auto Workers - UAW- et le constructeur automobile General Motors ) ; 2- La ngociation standard (qui tendit laccord adopt dans la construction automobile au reste du secteur syndiqu ) ; 3- La lgislation fdrale du travail (qui facilita limplantation des syndicats et fora les employeurs dont les ouvriers ntaient pas syndiqus aligner les salaires sur les conventions collectives ) ; 4- La loi sur le salaire minimum ; 5- Les mcanismes de fixation des salaires dans le secteur public (qui liaient lvolution des traitements verss par lEtat aux conditions obtenues par les travailleurs syndiqus ).

La formule dtablissement des salaires, ngocie en 1947 entre la confdration des travailleurs de l'automobile (UAW) et GM, constituait la cl de vote de lensemble du systme de rgulation macro-conomique aux Etats-Unis. Cette formule fit de laugmentation de la productivit du travail long terme et lchelle de lensemble de lconomie et des variations de lindice des prix la consommation, le critre standard en matire dtablissement des salaires. Laugmentation des salaires serait dsormais indexe chaque anne sur ces facteurs. Lapplication rigoureuse et uniforme de la nouvelle formule tous les salaires et traitements tait cense garantir que le pouvoir dachat des consommateurs se dvelopperait au mme rythme que la capacit nationale de production. Et cest prcisment ce qui sest pass aprs la gnralisation de cette formule dans le cadre des institutions charges des relations professionnelles et de la fixation des salaires. Aprs la Deuxime guerre mondiale, cest--dire pendant la priode que lon peut pleinement qualifier dge dor du fordisme et avant que la crise de lorganisation du travail nait perturb le processus global de laccumulation ( partir de la seconde moiti des annes 1960 pour ce qui est des Etats-Unis ), le taux de croissance annuel moyen du salaire a volu comme suit :

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Tableau I.1. Evolution du taux de croissance annuel moyen du salaire aux EtatsUnis Taux de croissance annuel moyen (%) Salaire nominal horaire de base Indice des prix la consommation Salaire rel hebdomadaireSource : M. Aglietta, op. cit, p.177.

1951 3,6 2,0 2,2

1961 3,9 1,6 3,5

1966 4,6 4,6 -1,5

1970

Laccroissement soutenu et sur une longue priode du salaire rel aux Etats-Unis et en Europe permet la masse des salaris daccder aux biens de consommation durables dont ils taient exclus durant la priode de lentre-deux guerres. Ainsi pour la premire fois de lhistoire, lordre productif nouveau quest le fordisme, comporte une norme de consommation ouvrire. Par cette norme sociale de consommation, le mode de consommation est intgre dans les conditions de production. Par leur sparation vis--vis des moyens de production, les travailleurs sont forcment lis au capitalisme par la consommation individuelle des marchandises issues de la production de masse. Ce mode de consommation uniforme de produits banaliss est une consommation de masse. Cest une condition essentielle de laccumulation capitaliste parce quelle contrecarre la tendance au dveloppement ingal de la section I.

Une accumulation de capital soutenueIl nest peut-tre pas ncessaire de rappeler que la ralisation de cette consommation de masse ouvrire ne sest pas faite au dtriment des intrts des grandes entreprises. Les concessions quelles ont consenties leurs employs sous forme de hausses substantielles de salaires nont pas affect dune manire durable et absolue leur niveau de formation de capital. Les mutations de forces productives engendres dans la section I trouvent leur destination capitaliste dans la section II par labaissement de la valeur de la force de travail et laugmentation corrlative du taux de plus-value. Le rythme de lessor de la consommation de masse est la fois induit par laccumulation antrieure qui a transform les conditions de production (lvation de la composition organique du capital ) et constitue une base pour laccumulation future (amortissement de cette hausse par abaissement de la valeur unitaire des moyens

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de production et lvation du taux de plus-value par abaissement de la valeur de la force de travail ). En rsum, on peut dire quentre la production et la consommation, il y a la rpartition et lon saperoit alors que dans un univers salaris, une hausse des salaires, accompagnant et mme prcdent la hausse de la productivit, laisse le taux de profit inchang. Ces problmes ont t reconnus dans les travaux thoriques depuis Keynes sous le titre du problme de la demande effective 17. En situation normale, le systme fordiste doit fonctionner selon le schma suivant qui montre comment la conjonction entre production et consommation de masse produit un cercle vertueux. Schma I.1: Fonctionnement du systme fordiste en situation favorable

Rationalisation du travail (taylorisme et fordisme)

Forts gains productivit partags en

de

Augmentation des salaires Augmentation des profits Consommation de masse

Production de masse

Investissements

Forte demande

En a-t-il t ainsi dans la ralit ? Logiquement, on doit sattendre ce que la priode de laprs-guerre qui, comme on la dj dit, peut-tre pleinement qualifie de fordisme, corresponde une phase exceptionnelle dans lhistoire du capitalisme. Effectivement, tous les auteurs qui se sont intresss cette poque sont unanimes reconnatre le caractre particulier de cette priode dans le sens ou les principaux paramtres conomiques marquent pour la premire fois dans lhistoire des pays concerns, une volution favorable, forte et convergente. La grande mutation dans les conditions de production (1920 1930 ) a donn naissance une phase dexpansion longue, dun rythme et dune rgularit inconnues jusqualors (les trente glorieuses ). Priode exceptionnelle de prosprit qui mrite, de ce fait, dtre qualifie dge dor de laccumulation du capital pour reprendre une expression de Joan Robinson ; ge dor du point de vue du capital, mais qui verra galement une lvation sensible du taux de salaire rel et du niveau de vie dune large fraction de la

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socit ouvrire et plus gnralement des salaris qui accdrent la consommation de masse. Ces volutions vertueuses apparaissent la lumire du tableau suivant qui constitue une illustration quantifie du schma prcdent : Tableau I.2 : Comparaison entre les priodes caractristiques du XXe sicle des taux de croissance moyens annuels (%) en France1900-13 Valeur ajoute SI SII Investissement brut SI SII Emploi SI SII Productivit du travail SI SII Capital par tte SI SII Taux de salaire rel 2,9 1,9 4,7 3,0 1,2 0,1 1,7 1,8 1,5 1,9 2,1 1913-29 1,5 1,6 2,6 2,4 1,2 0,1 0,4 1,6 0,6 1,5 0,9 1921-29 9,6 5,9 12,2 6,2 3,3 0,1 5,7 6,0 -0,8 1,6 -0,1 1929-38 -5,0 -0,5 -7,7 -3,8 -4,4 -1,1 -0,6 0,6 4,7 2,7 0,4 1950-59 4,8 4,7 9,5 4,4 1,0 -0,5 3,8 5,3 3,2 4,2 4,1 1959-74 7,7 5,5 8,7 7,7 2,3 0 5,3 5,5 5,6 6,1 4,1

SI : Section productive des moyens de production SII : Section productive des biens de consommationSource : Dockes et Rosier, op.cit, p.208

Lvolution vers cette situation conomique favorable sest fate grce la conjonction de plusieurs facteurs avantageux. Tout dabord, en ce qui concerne les grandes entreprises, celles-ci nont pas manqu datouts pour parvenir la situation de prosprit que lon connat. En premier lieu, laccumulation intensive de capital dont ont bnfici les grandes firmes industrielles occidentales est due en partie la centralisation de capital qui a caractris cette poque de forte croissance. La centralisation est un processus discontinu dans le temps, situ par rapport aux phases de la formation de capital se produisant simultanment dans lensemble de lconomie, effets irrversibles. Dans la centralisation du capital, une foule de capitaux individuels disparat par absorption et dautres sont agglomrs par fusion ou consolidation. Le tableau ci-dessous retrace lvolution de la concentration des actifs de 1925 1968 telle que rapporte par la Federal Trade Commission dans son rapport pour le congrs amricain.

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Tableau I.3 : Evolution de la concentration des actifs des entreprises amricainesAnnes 1925 1929 1933 1939 1947 1954 1958 1962 1965 1968 % des actifs totaux dtenus par Les 100 premires firmes Les 200 premires firmes 34.5 -38.2 45.8 42.5 49.5 41.9 48.7 37.5 45.0 41.9 50.4 46.0 55.2 45.5 55.1 45.9 55.9 48.4 60.4

Source :M. Aglietta, op. cit. p. 193.

Ces rsultats montrent que la centralisation du capital progresse dans les priodes de flchissement de la plus-value relative et dans les priodes de fortes dvalorisations du capital. Elle reste au contraire stable ou diminue lgrement dans les phases dessor dune accumulation approximativement rgulire. Les grandes firmes ont mis profit les tapes successives du mouvement de centralisation du capital pour faire orienter les lois de la concurrence conomique dans le sens qui les arrange le plus. La centralisation du capital est un changement qualitatif qui remodle lautonomie des capitaux et tablit des rapports de concurrence nouveaux. En fait, les lois de la concurrence drivent de la loi daccumulation.

La planificationLa firme moderne emblmatique du rgime fordiste exploite des systmes de production de grande dimension. Ces systmes mettent en uvre des ensembles de machines complexes qui ont ncessit des dpenses colossales en termes de cots fixes. Les cots fixes sont ceux que lentreprise encourt mme si elle ne produit pas. Ils sont indpendants du volume de la production et lentreprise est tenu de les payer, quelle produise ou non. Le capital investi de cette manire dans la production, indpendamment de celui qu'exige laccroissement de cette production, na pas cess daugmenter. Cest lune des consquences de limportance croissante de la technologie en tant quapplication systmatique de la science, et de toutes les connaissances organises des tches pratiques. Il sen est suivi aussi que des dlais croissants sparent le commencement de tout projet de production, de son achvement. Ce projet ou cette tche doit tre dfinie de faon prcise et laquelle on applique des quipements spcifiques. La contrepartie invitable de la spcialisation est lorganisation. Cest elle qui oriente le travail des spcialistes vers lobjectif vis. Ainsi donc, plus la technologie est complexe, plus seront en gnral importants les pralables qui psent sur une production. La multitude et la complexit des problmes surmonter ont pour corollaire la ncessit dune programmation qui va jusqu la planification. Ainsi les conditions qui prvaudront au moment o lensemble de la tche sera achev doivent tre prvues avec un degr apprciable dexactitude.35

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Tout ce qui est susceptible de supprimer ou neutraliser leffet de tous les phnomnes contrariants doit tre entrepris. Lessor de la production en srie sest traduit par une sensibilisation particulire de linvestissement au volume de la demande pour un produit. Les units de production avaient pris une telle dimension par rapport lensemble du march que les investissements dans les quipements de production avaient tendance se conformer au niveau prsum dutilisation de la capacit de production, plutt quaux changements intervenant dans le cot des intrants. Les producteurs voulaient avoir la certitude que ce quils allaient produire trouverait acqureur un prix au-dessous duquel leur production ne sera pas rentable. Il va de soi qu mesure que les capitaux en jeu augmentent et que la dure de lancement des productions sallonge, il est de plus en plus risqu de sen remettre aux ractions spontanes du consommateur. Lentreprise doit donc prendre toutes les mesures en son pouvoir afin que ce quelle dcide de produire soit voulu par le consommateur un prix qui soit rmunrateur pour elle. La planification existe parce quon ne peut plus sen remettre au processus autorgulateur du march concurrentiel. Il existe des stratgies varies pour pallier lincertitude croissante des marchs. Le march peut-tre limin par leffet de ce quon appelle communment lintgration verticale. Lunit planificatrice prend le contrle de sa source de ravitaillement ou de son dbouch. Dans la plupart des cas, ce processus a commenc par des regroupements : des producteurs se mettaient daccord pour fixer les prix ou limiter la production. Lorsque mme les accords de regroupement les plus sophistiqus savraient inefficaces, les socits finissaient par se tourner vers une forme dintgration plus directe en recourant des fusions horizontales. Ltape suivante a t la consolidation de ces nouvelles entits par le remaniement de leurs installations productives (fermeture des units les plus faibles ) en intervenant pour organiser le march et stabiliser la production. Les stratgies de stabilisation diffraient selon les caractristiques techniques du produit concern ; mais toutes refltaient le dsir