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ND 2260 - 205 - 06 HST INRS - Hygiène et sécurité du travail - Cahiers de notes documentaires - 4 e trimestre 2006 - 205 / 41 La recherche 1 présentée a consisté à reconstituer, a posteriori, l’activité d’un ergonome et de deux préventeurs responsables de l’intégration de l’ergonomie et de la SST dans un projet de construction d’une aluminerie québécoise. Leur activité a pu être décrite à partir d’une méthodologie cohérente avec le courant théorique de la cognition située. Cinq stratégies d’intervention ont été identifiées et étayées : avancer pas à pas en cours de projet ; s’ajuster à l’ingénierie ; légitimer leurs actions ; recourir à la logique d’utilisation pour tester la conception ; construire une mémoire de leurs actions. Ces stratégies ont permis d’influencer la conception des situations de travail, d’éliminer un grand nombre de risques à la source et de concevoir le programme de prévention avant le démarrage de l’usine. Cependant, d’autres gains auraient été obtenus si les contextes organisationnel et de gestion de projet avaient été différents. La recherche ouvre sur des moyens de penser ces contextes autrement, de manière à favoriser une intégration plus efficace de l’ergonomie et de la SST. Ces moyens touchent : la démarche projet ; l’articulation entre ergonomie et SST au sein de l’organisation ; l’articulation entre l’intervention par les spécialistes et la prise en charge par des non spécialistes de l’ergonomie et de la SST ; la gestion des projets confiés à des sous-traitants. GESTION DE PROJET, ERGONOMIE ET SANTÉ-SÉCURITÉ : LE CAS DE LA CONCEPTION D’UNE USINE QUÉBÉCOISE h Fernande LAMONDE, Université Laval, Québec, Québec, Canada h Jean-Guy RICHARD, Institut de Recherche Robert Sauvé en Santé et Sécurité du Travail (IRSST), Montréal, Québec, Canada h Philippe BEAUFORT, Ergonome consultant, Béziers, France ERGONOMICS, PROJECT MANAGEMENT AND HEALTH AND SAFETY: THE CASE OF THE DESIGN OF A QUÉBEC PLANT This research 2 involves reconstituting, a posteriori, the activity of an ergonomist and two preventionists responsible for integra- ting ergonomics and occupational health and safety (OHS) into a Québec aluminium plant construction project. Their activity was documented through a methodology consis- tent with the theoretical line of thought on the cognition of situated action. Five inter- vention strategies were identified and docu- mented: advancing step by step, as the pro- ject progresses; adjusting to the engineering process; legitimizing their actions; having the design choices tested by the users’ acti- vity; and constructing a record of their actions. With these strategies, the three professionals were able to influence work situation design, to reduce a large number of risks at source, and to develop the preven- tion program before the plant was started. However, other gains could have been made if the organizational and project manage- ment contexts were different. The research suggests ways to consider these contexts differently so as to achieve a more effective integration of ergonomics and OHS. These are related to the project steps; the rela- tionship between ergonomics and OHS within the organization; the relationship bet- ween the model of intervention by specia- lists and the take charge approach by non- specialists of ergonomics and OHS; the management of subcontracted projects. 3 Ergonomics 3 Project management 3 Industry 3 Engineering U ne véritable démarche d’élimina- tion des risques à la source et de prise en compte des besoins des utilisateurs exige une intégration réussie de la santé-sécurité au travail (SST) et de l’ergonomie dans toutes les phases de la conception des installations et des équipements de production. Depuis plus de 20 ans, la littérature affirme que cette intégration assure la mise à l’épreuve des choix de conception qui déterminent les situations de travail à des moments où les marges de manœuvre pour les influencer sont optimales [1, 2, 3]. Cependant, les moyens de réaliser et de réussir une telle intégration restent à développer [ex. : 4]. La recherche peut y contribuer en produisant et en diffusant des connaissances critiques sur les stratégies et les outils mis en œuvre dans des situations concrètes par des professionnels de l’ergonomie et de la prévention. En ergonomie, l’objectif de modéliser l’activité des intervenants est partagé par plusieurs chercheurs dont Daniellou [5 à 8], Falzon [9, 10] et Lamonde [11 à 14]. Ce type de démarche est également observé dans une large variété de professions dont celles du préventeur [15], de l’ingénieur [16 à 22], du travailleur social [23], de l’enseignant [24], du psychologue, de l’urbaniste et de l’architecte [22] pour ne citer que celles-là. Ces recherches mettent en évidence les mécanismes par lesquels les professionnels interviennent et obtiennent des succès ou des échecs. 3 Ergonomie 3 Conduite de projet 3 Industrie 3 Ingénierie 1 Cette recherche a été financée par l'Institut de recherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), Montréal ; les résultats détaillés sont publiés dans [13] et disponibles sur www.irsst.qc.ca. 2 This research was funded by the Institut de recherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST) of Montréal; full results are published in [13] and available on www.irsst.qc.ca.

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ND 2260 - 205 - 06HST

INRS - Hygiène et sécurité du travail - Cahiers de notes documentaires - 4e trimestre 2006 - 205 / 41

La recherche1 présentée a consisté à reconstituer, a posteriori, l’activité d’un ergonome et de deuxpréventeurs responsables de l’intégration de l’ergonomie et de la SST dans un projet de constructiond’une aluminerie québécoise. Leur activité a pu être décrite à partir d’une méthodologie cohérenteavec le courant théorique de la cognition située. Cinq stratégies d’intervention ont été identifiées etétayées : avancer pas à pas en cours de projet ; s’ajuster à l’ingénierie ; légitimer leurs actions ;recourir à la logique d’utilisation pour tester la conception ; construire une mémoire de leurs actions.Ces stratégies ont permis d’influencer la conception des situations de travail, d’éliminer un grandnombre de risques à la source et de concevoir le programme de prévention avant le démarrage del’usine. Cependant, d’autres gains auraient été obtenus si les contextes organisationnel et de gestionde projet avaient été différents. La recherche ouvre sur des moyens de penser ces contextesautrement, de manière à favoriser une intégration plus efficace de l’ergonomie et de la SST. Cesmoyens touchent : la démarche projet ; l’articulation entre ergonomie et SST au sein del’organisation ; l’articulation entre l’intervention par les spécialistes et la prise en charge par des nonspécialistes de l’ergonomie et de la SST ; la gestion des projets confiés à des sous-traitants.

GESTION DE PROJET,ERGONOMIE ET SANTÉ-SÉCURITÉ :LE CAS DE LA CONCEPTIOND’UNE USINE QUÉBÉCOISE

h Fernande LAMONDE, Université Laval, Québec, Québec, Canada

h Jean-Guy RICHARD, Institut de Recherche Robert Sauvé en Santé et Sécurité

du Travail (IRSST), Montréal, Québec, Canada

h Philippe BEAUFORT, Ergonome consultant, Béziers, France

ERGONOMICS, PROJECT MANAGEMENTAND HEALTH AND SAFETY: THE CASE OFTHE DESIGN OF A QUÉBEC PLANT

This research2 involves reconstituting, aposteriori, the activity of an ergonomist andtwo preventionists responsible for integra-ting ergonomics and occupational healthand safety (OHS) into a Québec aluminiumplant construction project. Their activity wasdocumented through a methodology consis-tent with the theoretical line of thought onthe cognition of situated action. Five inter-vention strategies were identified and docu-mented: advancing step by step, as the pro-ject progresses; adjusting to the engineeringprocess; legitimizing their actions; havingthe design choices tested by the users’ acti-vity; and constructing a record of theiractions. With these strategies, the threeprofessionals were able to influence worksituation design, to reduce a large number ofrisks at source, and to develop the preven-tion program before the plant was started.However, other gains could have been madeif the organizational and project manage-ment contexts were different. The researchsuggests ways to consider these contextsdifferently so as to achieve a more effectiveintegration of ergonomics and OHS. Theseare related to the project steps; the rela-tionship between ergonomics and OHSwithin the organization; the relationship bet-ween the model of intervention by specia-lists and the take charge approach by non-specialists of ergonomics and OHS; themanagement of subcontracted projects.

3 Ergonomics3 Project management3 Industry3 Engineering

Une véritable démarche d’élimina-tion des risques à la source et deprise en compte des besoins desutilisateurs exige une intégration

réussie de la santé-sécurité au travail (SST)et de l’ergonomie dans toutes les phasesde la conception des installations et deséquipements de production. Depuis plusde 20 ans, la littérature affirme que cetteintégration assure la mise à l’épreuve deschoix de conception qui déterminent lessituations de travail à des moments où lesmarges de manœuvre pour les influencersont optimales [1, 2, 3].

Cependant, les moyens de réaliser etde réussir une telle intégration restent àdévelopper [ex. : 4]. La recherche peut ycontribuer en produisant et en diffusantdes connaissances critiques sur lesstratégies et les outils mis en œuvredans des situations concrètes par desprofessionnels de l’ergonomie et de la

prévention. En ergonomie, l’objectif demodéliser l’activité des intervenants estpartagé par plusieurs chercheurs dontDaniellou [5 à 8], Falzon [9, 10] etLamonde [11 à 14]. Ce type de démarcheest également observé dans une largevariété de professions dont celles dupréventeur [15], de l’ingénieur [16 à 22],du travailleur social [23], de l’enseignant[24], du psychologue, de l’urbaniste etde l’architecte [22] pour ne citer quecelles-là. Ces recherches mettent enévidence les mécanismes par lesquelsles professionnels interviennent etobtiennent des succès ou des échecs.

3 Ergonomie3 Conduite de projet3 Industrie3 Ingénierie

1 Cette recherche a été financée par l'Institut derecherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail(IRSST), Montréal ; les résultats détaillés sont publiésdans [13] et disponibles sur www.irsst.qc.ca.2 This research was funded by the Institut derecherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail(IRSST) of Montréal; full results are published in [13]and available on www.irsst.qc.ca.

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Ainsi, elles contribuent à mieux lesoutiller en pointant les déterminants deleur pratique favorables ou défavorablesà une action efficace, en fournissant desrepères pour l’action et pour la réflexiondans l’action et enfin, en ouvrant sur despistes de conception de formationsinitiales et continues « professionnali-santes ». Bien que ces recherches procè-dent le plus souvent par études de cas,par accumulation, de telles retombéesgénérales sont possibles [ex. : 10].

L’étude de cas présentée ici s’inscritdans cette lignée. Elle consiste en effeten une modélisation de l’activité de deuxpréventeurs et d’un ergonome impliquésdans la conception d’une alumineriequébécoise. Au chapitre de la méthodo-logie et de la généralisation des résultats,cette étude de cas a bénéficié des acquisd’un programme de recherches pluslarge sur la pratique professionnelledéveloppé depuis plusieurs années parla première auteure du présent article[12]. La modélisation proposée décrit lesstratégies d’intervention déployées parces trois intervenants, les retombées deleurs interventions (notamment en termesd’élimination de dangers à la source) etenfin, les déterminants de leur pratiquede même que les pistes de transforma-tions que leur mise en évidence soulèvepour l’organisation participante. Au-delàde l’étude de cas, la recherche s’est donnéeles moyens de dégager des enseigne-ments généraux transposables à d’autrestypes d'entreprises et à d'autres types deprojets de conception.

MÉTHODOLOGIE

Le programme de recherches quenous menons depuis plusieurs annéesfournit un cadre théorique et métho-dologique général pour l’analyse decertaines pratiques professionnelles etpour la généralisation des enseigne-ments issus de telles études de cas.Cependant, la recherche exposée ici,comme chaque étude de cas, a demandéde prendre en compte le contexte spéci-fique de travail des professionnels dontnous analysions la pratique, pour ainsidévelopper une méthodologie spécifiqueet adaptée de recueil et d’analyse desdonnées.

En les remodelant, on peut améliorerleur travail et les résultats qu’ils obtien-nent au bénéfice des projets futurs (decorrection ou de conception) comme del’exploitation quotidienne des installa-tions et des équipements de production.

Le cadre théorique et méthodologiquequi sous-tend les analyses de pratique aété exposé dans l’ouvrage paru à l’issuedu cas de la bibliothèque (la premièreétude de cas réalisée) [12]. Qu’il suffiseici de préciser qu’au démarrage de ceprogramme de recherches, les diversphénomènes caractérisant la pratiqueprofessionnelle d’intervention ont étéidentifiés à partir d’une revue de la litté-rature sur l’intervention ergonomique etdans d’autres disciplines) de même quesur l’activité humaine en générale (litté-rature issue de disciplines aussi variéesque la psychologie cognitive, l’anthropo-logie cognitive, l’éthologie humaine,l’ethnométhodologie, etc.). Rappelonsquelques uns des enseignements tirésde cette analyse documentaire :

1 la pratique professionnelle s’inscritdans le cours d’une vie, c’est-à-direqu’une intervention donnée est issue detoutes les actions passées et de tout lebagage culturel de l’intervenant d’unepart (culture générale, culture de métier,culture locale voire personnelle) et que,d’autre part, cette même intervention estl’occasion de construire la culture del’intervenant ;1 elle est en tout temps liée aux circons-tances particulières, ici et maintenant. Ellen’est donc pas donnée a priori maiscontingente au contexte, lequel est carac-térisé par la situation de l’intervenant (y compris ses tâches prescrites), sonétat (ses émotions, ses valeurs, etc.) et saculture ;1 elle est relative à l’intervenant lui-même i.e. qu’elle n’est pas équivalenteà la tâche prescrite, à la demandeformulée. C’est l’intervenant qui cons-truit le chemin de l’intervention en mêmetemps qu’il le découvre. Pour comprendrel’intervention, il faut comprendre le sensqu’il donne à tout instant à ses actions età ses communications.

Cette position ontologique a conduit àchoisir, parmi les candidatures théoriquessur la cognition, celle de l’anthropologiecognitive située, un courant théorique quitrouve écho depuis une vingtaine d’annéesdéjà dans l’analyse ergonomique du travail[17, 26]. En prolongement, les principes etméthodes de recueil et d’analyse de donnéesmis en œuvre s’inspirent très largement de

PROGRAMME GÉNÉRAL DE RECHERCHESSUR LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE

Les pratiques professionnelles quiretiennent l’attention dans le cadre de ceprogramme sont celles des acteursoeuvrant à la modernisation et à laconception d’installations, d’équipe-ments et de systèmes de travail et deproduction. Le programme de recherchesvise à identifier des pistes de transfor-mation du contexte de travail de cesprofessionnels, lequel est souvent déter-miné par la gestion des entreprises etdes projets. L’objectif général est unemeilleure prise en compte (plus d’effica-cité et de sécurité) de l’utilisation (à l’opé-ration comme à la maintenance) dans laconception des situations de travail. À cejour, trois études de pratique ont étéréalisées dans le cadre de ce programme[12, 13, 25] ; une quatrième est en cours[14]. Le Tableau I détaille ces études partype de pratique étudiée et par typed’intervention.

Naturellement, un tel programmerequiert de se pencher sur :

1) la question de la démarche de trans-formation du contexte de travail pro-fessionnel à privilégier ;

2) les questions ontologiques, théoriqueset méthodologiques que soulève l’ana-lyse de la pratique professionnelle,voire de l’activité humaine en général ;

3) la question de la généralisation desrésultats des études de cas.

Rappelons ici que la démarchegénérale de transformation qui sous-tend ces études de cas est empruntée àl’ergonomie de langue française.

Elle consiste en effet à poser un dia-gnostic mettant en lien :

1) l’activité des professionnels ; 2) les déterminants de leur activité ; 3) les effets de cette activité sur les choix

de correction et/ou de conception,mais également sur la conduite duprojet (acteurs, structuration, etc.) etla gestion de l’entreprise (politiques,valeurs, etc.).

De là, pour une étude de cas donnée,il est possible d’identifier les caractéris-tiques de l’entreprise participante et, lecas échéant, du projet concerné, qui sontfavorables ou défavorables à une actionefficace du ou des professionnels dontla pratique est étudiée. Ces caractéris-tiques influencent en effet leur activité.

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ceux proposés par le cadre théorique ducours d’action [27, 28]. C’est dire, concrè-tement, que les analyses de pratique sontcentrées sur la dynamique de l’interactiond’un acteur avec ce qui, dans son environ-nement, lui apparaît pertinent, ici et main-tenant, pour son organisation interne.L’activité est analysée d’un point de vueintrinsèque i.e. en se centrant sur la signi-fication, à tout instant, pour l’acteur, de sesactions et de ses communications. Lamodélisation repose sur des données d’ob-servation continue et en temps réel demême que sur des verbalisations, pour laplupart, en autoconfrontation ou interrup-tives. Les données d’observation fournis-sent des traces riches des actions et com-munications et du contexte dynamique danslequel se déroule l’activité; des techniquesparticulières de recueil papier crayon ont

contexte de travail professionnel » quepour le volet « analyse de la pratique ».C’est, d’une part, par accumulation d’étudesde cas que le programme de recherchesgénère un certain nombre de connais-sances permettant la généralisation àl’un et l’autre de ces niveaux [10] : chaqueétude de cas bénéficie des acquis desautres études de cas et alimente le pro-gramme de recherches en retour.D’autre part, la généralisation repose surla mise à profit de la littérature : celle quitraite de la pratique professionnelle et del’activité humaine en général ; celle quitraite des conditions d’efficacité de l’in-tervention des acteurs impliqués dans lamodification et la conception des instal-lations, équipements et systèmes de pro-duction (par exemple, la littérature sur lagestion de projet – notamment celleissue des recherches en ingénieriesimultanée, en sociotechnique, sur leTotal Quality Management et en ergono-mie de conception – et la littérature surla sociologie et le management desorganisations).

MÉTHODOLOGIE SPÉCIFIQUE À L’ÉTUDEDE CAS : UNE RECONSTITUTION DEL’ACTIVITÉ A POSTERIORI

Ainsi, le programme de recherchesa été initialement conçu dans l’optiqued’analyser des pratiques professionnelles« en train de se faire ». Or, au démarragede l’étude de cas exposée ici, le projetde conception dans lequel les deux pré-venteurs et l’ergonome intervenaientétait relativement avancé. Il a donc falludévelopper une méthodologie singulièrepour constituer des traces capables desupporter la verbalisation en auto-confrontation.

Les temps du projet et de la recherche

Le projet de conception de l’usine,une aluminerie d’une capacité de pro-duction de 400 000 tonnes par an, s’estdéroulé sur environ cinq ans. Les phasesde ce projet étaient similaires à cellesclassiquement rencontrées en ingénierie(voir la 2e colonne du Tableau II).

Au moment où les chercheurs ontété approchés pour analyser la pratiquedes trois intervenants, la phase V (cons-truction) était avancée et la phase VI(vérifications pré-opérationnelles) débu-tait. Des contraintes méthodologiques etpratiques ont mené à rejeter d’embléel’idée d’étudier, en parallèle, l’activitépassée et celle en cours. Bien que les

été développées, l’enregistrement vidéoétant apparu peu adapté à l’étude des acti-vités professionnelles [12]. L’autoconfron-tation prend appui sur ces données d’ob-servation pour documenter la signification,à chaque instant. L’observation, la verbalisa-tion et la modélisation exigent une phase defamiliarisation avec les professionnels dontnous souhaitons analyser l’activité demême qu’avec leur contexte de travail ;les exigences de cette phase ont été expo-sées antérieurement [12]. Les résultatsde toute analyse de pratique font l’objetd’une validation auprès des profession-nels concernés, comme il est d’usage dele faire en ergonomie.

La question de la généralisationdes résultats des études de cas se posetant pour le volet « transformation du

Type de pratique professionnelle

Ergonome Préventeur Ingénieur

Correction de postes Correction

dans une bibliothèque [12] — —

Projet de certification ISO-9002 [25] — —

Projet de conception d'une aluminerie [13]

Projet de conception — — confié à une firme

de génie conseil [14]

Type d'intervention

Conception

Programme de recherches sur la pratique professionnelle : quatre études de casResearch Program on Professional Practices: Four Case Studies

TABLEAU I

Période de recueil Années Phases du projet au sein desquelles et d’analyse des données

du projet les intervenants sont impliqués Activité Recueilanalysée effectif

I. le préconcept (étude de faisabilité, comparaison des implications financières et des chances de réussite de différentes options 1d’innovation)

II. le concept (choix final, détermination du budget d’investissement)

III. l’ingénierie préliminaire (précision des objectifs du projet pour l’option retenue en termes techniques, de qualité, d’échéance et 2de coûts, division du projet en sous projets, réalisation de séries d’études, rédaction des devis généraux)

IV. l’ingénierie détaillée (distribution des charges entre les responsables des sous projets, rédaction du cahier des charges 3ou des devis spécifiques avec, à l’appui, plans, esquisses, dossiers techniques, etc.)

4 V. les appels d’offre et la construction

VI. les vérifications pré-opérationnelles (tests sur des parties 5d’installations)

5 et suivante

VII. le démarrage, incluant les corrections

Les temps du projet et de la rechercheProject Phases and Research Stages

TABLEAU II

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phases V à VII sont aussi des occasionsd’observer les intervenants s’investirpour influencer la démarche et les choixde conception, les phases amont sontreconnues être plus cruciales, les margesde manœuvre étant plus grandes [ex. : 29à 33]. C’est donc sur elles que l’étude decas a été centrée. Le recueil de donnéessur les phases I à IV inclusivement s’estéchelonné sur une période de cinq moischevauchant les deux derniers tiers de laconstruction et les deux premiers tiersdes vérifications pré-opérationnelles.

Des traces de l’activité passée pour supporter l’autoconfrontation

Trois conditions particulièresdevaient être prises en compte : l’activitéprofessionnelle analysée s’est déployéesur une période de trois ans ; elle s’étaitdéroulée au mieux quatre mois avant ledémarrage de la recherche, au pire unpeu plus de trois ans plus tôt ; elle étaiten partie individuelle, en partie partagée,les trois intervenants n’ayant pas éténommés aux mêmes moments du projet(voir partie suivante). De là, la méthodo-logie mise en œuvre a été la suivante.

Un matériau de remplacement desdonnées d’observation en temps réel aété constitué pour servir de base à l’auto-confrontation. À la suite d’une phase defamiliarisation visant à comprendre lesgrandes lignes du projet (temps, budget,étapes, acteurs, etc.), des documents etoutils utilisés par les intervenants ont étérépertoriés pour, ensuite, récupérer destraces manifestes de l’activité des troisintervenants laissées sur ces documentset outils : notes à l’agenda, annotationde plans, comptes rendus de réunion,versions successives de sections inclusesdans les devis généraux à la demandedes intervenants, etc. Aidés en cela parles intervenants, nous avons daté etreplacé ces traces en ordre chronolo-gique de manière à disposer d’un récitdes faits, mais également des actions (ycompris des communications) posées pareux au fur et à mesure du projet. C’est ens’appuyant sur ces traces que les verbalisa-tions en autoconfrontation ont été réalisées.

L’autoconfrontation a été guidée pardeux préoccupations majeures :

1) replacer nos interlocuteurs en étatd’évocation des décisions prises à unmoment donné du projet de même quedes éléments de contexte et de savoirsignificatifs pour eux et ce, « comme s'ilsne connaissaient pas la fin de l’histoire » ;

L’analyse et la modélisation ont étéréalisées autour de la notion de «straté-gie». Cette notion est définie comme unregroupement des significations desactions et des communications des inter-venants, de leur point de vue, en fonctiondes objets de préoccupations sous-jacents (autour desquels les actions etcommunications étaient organisées)ainsi que le processus dynamique deprise de décision relatif à chacun de cesobjets de préoccupation. Ces stratégies ontété mises en évidence à l’aide d’unedémarche analytico-régressive, c’est-à-direen partant d’une analyse de l’activité ache-vée et en revenant en arrière sur les diffé-rents moments de cet achèvement plutôtqu’en analysant pas à pas le processusd’engendrement de ces actions (méthodesynthético-progressive) [27, 28].

RÉSULTATS SPÉCIFIQUES À L’ÉTUDE DE CAS

Ils sont présentés en trois temps.Quelques données sur le projet et surl’entreprise complètent les informationsrelatives au contexte de travail des troisintervenants fournies jusqu’ici. Puis, lesrésultats qu’ils ont obtenus sont présen-tés de façon succincte, l’objectif étant demontrer l’intérêt d’en savoir plus surleur activité. Cette description de leuractivité est donc ensuite présentée. Aprèsquoi, les recommandations formuléesà l’entreprise participante sur la base dece diagnostic sont énumérées. Ainsi, àl’issue de la présente partie, l’ensembledes données nécessaires à la formulationd’enseignements généraux aura été exposé.

2) valider et compléter la cohérence durécit de la signification des actions.

L’exemple suivant permet d’illustrercette méthodologie. Lors des premiersentretiens (avant les autoconfronta-tions), les trois intervenants parlaientd’eux comme ayant formé une équipetout au long du projet : c’était là, à leuravis, la clé de leur succès. La reconstitu-tion chronologique des traces a permisde voir que l’ergonome avait reçu unappel du futur directeur de l’usine pourfaire partie de l’équipe exploitation (voirla partie suivante) dès l’étape du pré-concept et que chacun avait en fait éténommé à des moments différents, avecdes mandats différents, dans des équipes(projet et exploitation) différentes. Laverbalisation de l’ergonome sur l’épisodede cet entretien téléphonique a permisde combler le récit des actions et commu-nications et de documenter leur signifi-cation, pour lui ; par exemple, après, l’er-gonome a pris contact avec le préventeurmembre de l’équipe projet, sa préoccu-pation étant de se constituer en sous-groupe et coordonner leurs actions, dufait de leurs préoccupations convergentes.

Au total, l’activité des intervenantsa été reconstituée a posteriori à partir de27 heures d’entretiens (analyse des traces)et d’autoconfrontations enregistrés etretranscrits (539 pages de verbatim)(Tableau III). De plus, 10 heures et demid’entretiens (182 pages de verbatim)semi structurés complémentaires avecsix de leurs interlocuteurs (dont leschefs des équipes projet et exploitationdécrites dans la partie suivante) ont étéréalisées pour comprendre la dyna-mique sous-jacente à la mise en place ducontexte de travail des intervenants ; cesentretiens ont parfois permis de compléterla chronologie des faits.

Entretiens Nombre Durée Total

Interlocuteurs : les deux préventeurs et l’ergonomeEntretiens : mise en chronologie des traces de leurs

3/pers. 3 à 6 27 heures

actions et communications ; autoconfrontation individuel heures

539 pages (signification, pour eux, de ces actions et communications)

ou en groupede verbatim

Interlocuteurs : six acteurs projets, interlocuteurs des intervenants, impliqués dans les équipes projet 10 1/2 heureset exploitation

1/pers. 1 1/2 à 2 182 pages

Entretiens : semi structurés sur le contexte de travail individuel heures

de verbatimdes intervenants (le projet)

37 1/2 heuresTotal 12 721 pages

de verbatim

Données d’entretien recueilliesCollected Interview Data

TABLEAU III

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LE CONTEXTE DE TRAVAIL DES DEUXPRÉVENTEURS ET DE L’ERGONOME

Deux éléments de ce contexte detravail requièrent d’être précisés iciavant de présenter la modélisation del’activité des trois intervenants : la variétéet le rôle des acteurs projet en fonctiondu temps ; le degré et les formes d’inser-tion de la SST et de l’ergonomie au seinde l’entreprise au moment du démarragedu projet.

Les acteurs projet

Le projet de conception de l’alumi-nerie présentait un défi technologiqueimportant : il fallait innover dans diverssecteurs de la production dont le centrede coulée (avec la coulée horizontale),l’usine de pâte et le traitement desmégots. Mais il fallait également conce-voir une usine respectant les valeursfondamentales de l’entreprise en matièred’ergonomie, de SST, de protection del’environnement et de gestion desressources humaines. Fait remarquable,le directeur de la future usine a éténommé en même temps que le chef deprojet pour influencer la conception etcontribuer à relever au mieux ce défi.Chacun a mis en place une équipe autourde lui appelée, respectivement, l’« équipeexploitation » (EE) et l’« équipe projet »(EP). Les deux préventeurs dont l’activité aété analysée faisaient partie de la seconde,l’ergonome de la première ; pour faciliterleur repérage, ils apparaissent en gras dansles deux sous-sections qui suivent.

L’équipe projet (EP)

Au préconcept, le directeur du projeta réuni autour de lui 10 consultantstechnologiques : neuf responsables déci-sionnels du processus d’ingénierie d’unsecteur de l’usine (centre d’électrolyse,

tion afin de faciliter son appropriation.Leur rôle les a naturellement poussés àquestionner l’équipe projet et à influencerla conception.

Des outils et des compétencesdisponibles au départ

Après vingt années d’expérience etde développement, les trois intervenantsdisposaient, au démarrage du projet,d’un certain nombre d’éléments consti-tuant leur contexte de travail :

1 une politique d’entreprise plaçantles enjeux d’ergonomie et de SST aupremier plan ;1 une « procédure ingénierie », soitune méthodologie de conduite desprojets élaborée dès les années 80 (doncune vingtaine d’années avant le projet),énonçant le principe « d’éliminer lerisque avant qu’il n’entre » et, depuis1987, obligeant la tenue de revuescritiques SST, c’est-à-dire la révisiond’une « check list » par les concepteursafin d’identifier les risques liés auxlieux, aux équipements ou aux pratiquesen mettant à contribution, au besoin, lepersonnel d’exploitation et des spécia-listes (en SST, en ergonomie, en hygièneindustrielle, etc.) ;1 un processus de pré qualificationdes entrepreneurs réservant le droit desoumissionner à ceux qui respectentcertains critères relatifs, notamment, àl’ergonomie et à la SST ;1 un bassin d’entrepreneurs de larégion connaissant et ayant expérimentéla culture et les pratiques de l’entrepriseen matière de SST et d’ergonomie ;1 un bassin d’ingénieurs, de technicienset autres, oeuvrant dans les usines enexploitation et ayant reçu des formationsde base en ergonomie et en SST et travailléen collaboration avec des spécialistes deces domaines ;

des anodes, de coulée, tour à pâte, hautetension, etc.) et un spécialiste en envi-ronnement, hygiène industrielle etsécurité, nommé pour les influencer. Ilsdevaient faire respecter le budget tempsdu projet, formaliser les spécificationstechniques et piloter l’ingénierie externe,l’entreprise n’entretenant pas une équi-pe interne d’ingénieurs pour les projetsmajeurs. Au cours des phases du projetétudiées, des liens contractuels ont étéétablis avec sept firmes externes pourrépondre aux besoins en ingénierie, enarchitecture et en gérance du projet. Autotal, 2 millions d’heures d’ingénierieont été nécessaires et 700 à 1 000concepteurs (ingénieurs, techniciens,dessinateurs, etc.) ont travaillé à la défi-nition détaillée de l’usine.

L’équipe exploitation (EE)

Pour influencer la conception, ledirecteur de la future usine s’est adjointles services de divers groupes et spécia-listes à des moments variés du projet(Figure 1). D’abord, dès la phase du pré-concept, il a fait appel à un ergonomepour suivre le projet jusqu’à la fin.Ensuite, de la fin du préconcept à 50 %de l’ingénierie détaillée, il a créé desgroupes témoins, un par sous-secteur dela future usine, chacun réunissant desutilisateurs (ingénieurs, techniciens,etc.) des usines existantes, afin de tirerprofit de leur expérience et d’éviter derépéter les erreurs observées ailleurs.Puis, il a nommé un préventeur, à 50 %de l’ingénierie préliminaire, responsablejusqu’à la fin du projet de voir à ceque les choix de conception facilitent lagestion de la prévention dans la futureusine. Enfin, il a créé des groupes depilotage à 50 % de l’ingénierie détaillée,constitués de la future équipe de directionet ayant pour mission d’« apprendre » lanouvelle usine simultanément à sa concep-

Acteurs des équipes projet (EP) et exploitation (EE) en fonction de leur moment d’arrivée dans le projet et de la période aucours de laquelle ils sont intervenus (en grisé)Actors in project team (EP) and operation team (EE), by time of arrival in the project and period during which they intervened (shaded areas)

FIGURE 1

Spécialiste environnement, hygiène et sécurité (EP)

Ergonome (EE)

Préventeur (EE)

Gr. témoins (EE)

Groupes de pilotage (EE)

Phases couvertes par l’étude

année 1 année 2 année 3 année 4 année 5 année 5-6

Préconcept Concept Ingénieriepréliminaire Ingénierie détaillée Appels d’offre et

construction Vérifications

pré- opérationnelles Démarrage

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1 des résultats d’une recherche finali-sée peu avant le démarrage du projet,menée par des chercheurs de l’IRSST deconcert, entre autres, avec l’ergonomedont l’activité a été analysée ici. Cetterecherche a conduit à développer uneméthodologie, la « simulation dyna-mique », améliorant les revues critiquesSST de type « check list » en s’inspirantde la démarche d’approche de l’activitéfuture répandue en ergonomie [29, 34,35].

Tout en bénéficiant de ces acquis,les trois intervenants ont dû innover caril s’agissait là d’une première expérienced’intégration de la SST et de l’ergonomieà des phases aussi en amont d’un projetd’une telle envergure. Leur travail apermis d’obtenir les résultats suivants.

LES RETOMBÉES DE L’INTÉGRATIONDE LA SST ET DE L’ERGONOMIE DANSLE PROJET

Au chapitre de la prévention, ungrand nombre de situations dangereusespour les futurs travailleurs ont pu êtreéliminées au stade de la conception.Cependant, des gains supplémentairesauraient pu être effectués aux niveaux dela prévention SST et de l’ergonomie.

Les retombées positives, notammentau chapitre de la prévention

Ces retombées concernent l’élimi-nation de situations dangereuses à lasource, la planification du programmede prévention avant le démarrage de l’u-sine et enfin, des résultats positifs«secondaires».

culière est décrite dans la section portantsur l’activité des intervenants. En ce qui atrait aux risques « majeurs » identifiés, ilsse répartissent comme suit : circulation (57 %), énergie zéro (18 %), appareils delevage (10 %), convoyeurs (8 %) et espacesclos (7 %). Il s’agit là de cinq catégoriesconsidérées prioritaires par l’organisation,compte tenu des indicateurs compilés dansles usines en exploitation, sur lesquels les intervenants ont concentré leur action.La Figure 3 montre, quant à elle, la réparti-tion des risques « importants » identifiés ;la plus forte proportion est classée dans la catégorie « ergonomie » (34 %). Suivantla définition en vigueur au sein del’organisation, un risque est « ergono-mique » s’il est attribuable aux postures etmouvements de même que s’il est lié à l’aménagement physique des lieux.

Un exemple concret de risqueéliminé peut être fourni en rapportant

Les situations dangereuses identifiées et éliminées à la source

Les deux préventeurs et l’ergonomeont pu contribuer à diminuer de façontrès marquée les risques dans lesmilieux de travail et donc réaliser desgains financiers importants à court et àlong termes pour l’organisation. Eneffet, 3 108 risques majeurs ont étéidentifiés et amenés à l’attention desingénieurs concepteurs (Figure 2). De cenombre, 2 051 ont été éliminés et 497ont été diminués au stade de l’ingé-nierie ; la gestion des 1 057 risques rési-duels a pu être planifiée avant le démar-rage de la nouvelle usine.

Ces situations à risque ont étéidentifiées grâce aux revues critiques réali-sées dès que 50 % de l’ingénierie prélimi-naire fut effectuée et cela, jusqu’à la fin del’ingénierie détaillée ; cette démarche parti-

Risques SST éliminés à la sourceOHS risks eliminated at source

FIGURE 2

Risques « importants » identifiés au stade de l’ingénierie par catégoriesRisks identified at the engineering stage, by category

FIGURE 3

3 108 risquesmajeurs identifiés

2 051 éliminés(66%)

1 057 "conservés" (34%)(à gérer pendant le cycle de vie de l'usine)• 560 (18%) = risques demeurés majeurs• 497 (16%) = risques réduits de majeurs et importants à importants et mineurs

programmede prévention

ergonomie34%

gardes de sécurité0%

danger électrique0%

chutes12%

CED(contrôle des

énergies dangereuses)1%

explosion-incendie3%

santé-hygiène14%

autres31%

entraînement-coincement3%

brûlures2%

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le cas du convoyeur aérien ayant pourfonction d’acheminer la matièrepremière, nécessaire à la fabrication desanodes, vers le sommet du bâtiment dela tour à pâte. Ce convoyeur d’unelongueur de 150 mètres est situé, enpente, à une hauteur importante :66 mètres de haut à une extrémité et32 à l’autre. La conception initiale pré-voyait un convoyeur à rouleaux installésur une passerelle permettant l’accès pourla maintenance. L’aire de circulation,située d’un côté du convoyeur, devaitavoir 8 mètres de large. La passerelledevait être munie d’un garde-corpsrespectant les normes minimales, soitun grillage de 1,1 mètre côté circulationet 1,4 mètre côté convoyeur ; au-dessusde cette passerelle, une structure ajouréeétait prévue. Au moment des revuescritiques, quatre types de risques pourles travailleurs assurant la maintenancedu convoyeur ont été relevés : des risquesreliés à l’émanation de poussières, desrisques ergonomiques lors du change-ment de la courroie et des rouleaux, desrisques de chute lors des travaux surle convoyeur (ni le garde-corps ni lastructure ajourée n’auraient pu empêcherla chute) et enfin, des risques d’entraîne-ment par le convoyeur. Quatre catégoriesde modifications ont été apportées : l’ins-tallation d’un convoyeur à courroie sup-portée par air (élimination des rouleauxet de la poussière et réduction desbesoins d’entretien et de maintenance),l’élargissement de l’aire de circulation, laconception d’une structure ferméemunie de fenêtres (élimination du garde-corps et de la structure ajourée) et, enfin,l’installation d’un tiret d’urgence.

Le potentiel perdu

Les chiffres qui viennent d’êtreexposés sont impressionnants. Il n’estdonc pas surprenant que les interve-nants observés ainsi que les dirigeantsde l’entreprise aient été intéressés à parti-ciper à notre recherche afin de formaliserla démarche mise en œuvre au cours dela conception de l’aluminerie de manièreà ce qu’elle devienne « une norme mini-male ».

Cependant, un potentiel de retombéen’a pas été exploité si, dans une optiqued’amélioration continue, les mêmesretombées « positives » sont considé-rées « par la négative » :

1 1 057 risques, pourtant identifiés austade de l’ingénierie, n’ont pas été éliminéset devront de ce fait être gérés tout letemps de la durée de vie de l’usine ;1 les risques non majeurs n’ont pasété traités de façon systématique dans lecadre du projet, par manque de temps,non de moyen de le faire ;1 la conception de certaines parties del’usine n’a pu être suivie par les interve-nants et ce, pour toutes les catégories derisque (par exemple, si la conceptionétait achetée clé en main) ;1 des risques n’ont pu être identifiésqu’au démarrage de l’usine ;1 les problèmes d’utilisation générantde l’inefficacité sans pour autant générerdes risques SST ont été identifiés defaçon secondaire, le processus mis enœuvre par les intervenants étant princi-palement dédiés à l’identification et aucontrôle des risques SST. En particulier,

Ainsi, n’eut été l’activité des interve-nants, 2 051 risques auraient généré descoûts de compensation et de gestionpendant tout le cycle de vie de la nouvel-le usine. De plus, 497 risques résiduelsseraient restés dans la classe des risquesmajeurs ou importants, là encore, àgérer et à compenser pendant tout lecycle de vie de la nouvelle usine.

La planification du programme de prévention avant le démarrage de l’usine

Un système de suivi des modificationsà la conception apportées ou non pour tenircompte des risques identifiés a été conçu encours de projet ; nous y reviendrons dans lapartie sur l’activité des intervenants. Qu’ilsuffise ici de dire que ce système a permis,en fin de projet, d’avoir une idée claire desrisques dits « résiduels », non éliminés à laconception. De là, le programme de pré-vention a pu être planifié avant même ledémarrage de l’usine.

Les retombées «secondaires»

Les intervenants ont égalementamélioré le processus global d’ingénierie.Ainsi, le système de suivi a égalementété conçu pour aider l’équipe exploita-tion à retrouver à tout moment lesplans d’ingénierie. De même, au coursdes activités dédiées à la SST auxquellesl’ergonome a participé, celui-ci a pu ciblerdes équipements non indispensables àla bonne marche des opérations ainsique des choix de conception qui auraientgénéré de l’inefficacité sans pour autantprésenter de risques SST.

Description extrinsèque de l'activité des intervenants en cours de projetExtrinsic Description of Professionals' Activity during the Project

FIGURE 4

1Données historiques (accidents et méthodologies d’intégration de la SST et de l’ergonomie aux projets)Sites de référenceGroupes témoins et devis généraux

2Revues critiquesDevis spécifiques

3Système de suivi des risques identifiés lors des revues critiques

4Groupes de pilotage

Phases couvertes par l’étude

Préconcept Concept Ingénieriepréliminaire Ingénierie détaillée Appels d’offre et

construction Vérifications

pré- opérationnelles Démarrage

année 1 année 2 année 3 année 4 année 5 année 5-6

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l’ergonomie a été utilisée comme unetechnique d’identification des risquesSST, ce qui est restrictif.

Ce potentiel perdu mérite que l’ons’interroge sur ses causes et sur lesmoyens de rendre le travail des préventeurset des ergonomes encore plus efficace, demanière à augmenter la plus value de leurimplication dans les projets.

L’ACTIVITÉ RÉELLE D’INTERVENTION DESDEUX PRÉVENTEURS ET DE L’ERGONOME

La reconstitution des traces et lesverbalisations ouvrent sur une modélisa-tion de l’activité des trois intervenants àla fois d’un point de vue extrinsèque, enmettant l’accent sur les outils et moyensmis en œuvre pour agir et d’un point devue intrinsèque, en décrivant les straté-gies d’intervention déployées tout aulong du projet.

Les moyens d’intervention mis en œuvre en cours de projet(description extrinsèque)

Quatre principaux moyens ont étémis en œuvre par les deux préventeurset l’ergonome en cours de projet et ce, parle biais de collaborations étroites avec ledirecteur et les membres de l’équipeprojet, le directeur et les groupestémoins et de pilotage de l’équipe exploi-tation, le responsable qualité et les ingé-nieurs concepteurs externes. La Figure 4illustre à quels moments du projet chacunde ces moyens a été mis en place.

D’abord, les intervenants ont fait lepoint sur les problématiques majeuresd’accident dans les usines existantes etdans des situations de références, puisils ont participé aux groupes témoins àla fin du préconcept afin d’enrichir lesdevis généraux.

Ensuite, ils ont coordonné et parti-cipé à la réalisation de revues critiquesSST. Il s’agissait alors de réunir autourd’une même table des concepteurs, desopérateurs et un préventeur ou un ergo-nome, suivant le type de revue critiquemenée, soit :

1 des revues critiques « traditionnelles »,animées par le préventeur (celui nomméen deuxième au sein de l’équipe projet),consistant à identifier les risques à partird’une check list ;1 des « simulations dynamiques » oùl’ergonome mettait en œuvre une

Les stratégies d’interventiondéployées par les intervenants(description intrinsèque)

La signification pour les trois inter-venants de leurs actions révèle cinqprincipales stratégies déployées tout aulong du projet. Nous en présenterons unportrait global suivi d’un exempledétaillé.

Les stratégies d’intervention : un portrait global

Ces stratégies sont les suivantes :avancer pas à pas ; s’ajuster auxexigences de l’ingénierie ; légitimer lesactions en SST et en ergonomie ; mettreles choix de conception à l’épreuve dela logique d’utilisation ; et construireune mémoire de leurs actions. Elles serésument comme suit :

9 Très expérimentés dans leurdomaine, mais isolés et nommés à desépoques différentes, les trois interve-nants travaillent pour la première foisensemble à l’intérieur d’un projet decette envergure. La méthodologie appro-priée n’est pas connue a priori dans ledétail ; elle doit être adaptée, voire crééele plus rapidement possible puisqu’ils’agit d’un projet fast track. Pour intervenirlà où ils sont les plus utiles à la conceptionmais sans être en réaction, les intervenantsfont une analyse constante de l’évolutiondu projet et de leur propre activité : ilsavancent pas à pas.

9 Ils sont conscients de l’importancede se mouler au plus près du projet etde ne pas mettre en place un processusSST - ergonomie parallèle à celui del’ingénierie. Toutes les décisions qu’ilsprennent - y compris celle de se regrouperà trois - sont donc conçues pour accom-pagner la progression de l’ingénierie. Ilsprivilégient donc l’action intégrée auprojet (plutôt que l'action parallèle).

9 Cependant, le processus général deconception n’a pas vraiment intégrédans ses méthodes les problématiquesSST et ergonomie ; ce processus estprincipalement programmé en fonctiondes étapes et des besoins de l’ingénierie.Les intervenants se retrouvent doncdans une situation ambiguë : nomméspour intervenir à l’intérieur du processusde conception, ils doivent négocier leursméthodes, nouvellement créées parfois,et démontrer constamment qu’elles serventle projet : ils cherchent à légitimer leursactions.

démarche de projection de l’activitéfuture telle que celle que l’on connaît energonomie.

Puis, les intervenants ont « inventé »le système informatisé de suivi desrisques (la banque de données « Revuescritiques et plan d’intervention ») encours de projet pour répondre auxbesoins du contexte (notamment, legrand nombre de risques identifiés).Ce système fonctionnait de la façonsuivante : lorsqu’un risque était détectélors d’une revue critique, il était classifiépar les intervenants (majeur, important,mineur) et son correctif était évalué.L’information était ensuite entrée dansla banque de données. Lorsque la correctionétait effective, le responsable de cette correc-tion (un consultant technologique ou un ingé-nieur) indiquait l’endroit où elle se trouvait(sur quels devis, dessins, plans, etc.). Troistypes de correctifs étaient possibles :

1) la conception est modifiée pouréviter le risque ;

2) la conception est conservée maisle risque est réduit grâce à des modifica-tions techniques ;

3) le risque ne peut être traité austade de l’ingénierie, il devra donc êtrepris en compte par l’équipe d’exploita-tion à l’aide du programme de préven-tion sous forme de risque résiduel.

Cette banque de données s’est avé-rée utile à plusieurs niveaux pour suivreet contrôler l’intégration de la SST et del’ergonomie. Elle permettait eneffet d’enregistrer les risques et leur(s)traitement(s) sous une forme dyna-mique (outil historique d’états succes-sifs) d’une part, et d’effectuer un suivides correctifs sous forme de tracking sys-tem (outil de gestion) d’autre part. Elle apar ailleurs servi à planifier le program-me de prévention avant le démarrage del’usine et à guider la réalisation de vérifi-cations pré-opérationnelles (phase VI duprojet) de façon systématique. Enfin, il aété mentionné qu’elle a été conçue demanière à servir les intérêts de l’ingénierieet de l’exploitation : elle contenait tous lescorrectifs par séquence de réalisation(chronologie des plans où se trouvent lesmodifications) de sorte que l’exploitationpouvait à tout moment retrouver les plansd’ingénierie en quelques minutes.

Enfin, les intervenants ont travailléétroitement avec les futurs exploitantsde l’usine, soit les comités de pilotageconstitués à partir de la fin de l’ingénieriedétaillée. Ces comités constituaient unbon véhicule pour continuer d’influencerla conception.

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9 Leur objectif vise à influencer laconception en traduisant les choixd’ingénierie en termes de « situationsde travail (de production et d’entre-tien) ». Partant, ils cherchent à détecterles risques d’inefficacité et de SST géné-rés par ces choix du point de vue de« l’utilisation ». Pour réaliser cette détec-tion, les intervenants ne peuvent donc secontenter de données sur le procédé etles équipements. Ils mettent à l’épreuveles choix de conception en projetantdans le détail les opérations futuresd’exploitation, c’est-à-dire en raisonnantavec la simulation dynamique. Cettestratégie, partagée par les trois interve-nants, était surtout portée au quotidienpar l’ergonome.

9 Avec l’avancée du projet dans letemps, le nombre d’informations aug-mente de façon exponentielle. L’équipeprojet comprend onze personnes, lesconcepteurs sont, au plus fort de projet,au nombre de 1 000, les intervenantseux, ne sont que trois. Ils développentdonc une série de moyens pour que rienne soit oublié et pour garder le contrôle.Certains de ces moyens pourraientdevenir des pratiques durables pour desprojets futurs. Les intervenants construi-sent ainsi une mémoire de leurs actionspour la durée du projet et au-delà.

L’exemple qui suit montre que cescinq stratégies s’articulent entre elles etregroupent des stratégies plus fines des-quelles se dégagent les liens entre lesdéterminants de l’activité des intervenantset ses effets. Il met également en évidencele fait que chaque stratégie est ancrée dansune dynamique qui dépasse celle du projet :les intervenants construisent leur inter-vention en fonction du contexte mis enplace au fur et à mesure des interventionspassées (en conception comme en correc-tion) et se préoccupent de remodeler leurcontexte d’intervention futur.

L’exemple du dosage entre expertise etprise en charge par des non spécialistes

La stratégie consistant à « s’ajusteraux exigences de l’ingénierie » rendcompte du fait que pour influencer aumieux la conception (choix et processus),les intervenants prenaient en compteles contraintes de l’ingénierie, lesinfluençaient au besoin mais, surtout,évitaient de mettre en place un processusparallèle de design. Privilégier ainsi uneaction intégrée reposait sur trois stratégiesplus fines dont une consistait à réaliserun arbitrage constant entre :

de l’application de normes… aussi biendéléguer en donnant simplement accèsaux guides existants ;1 au contraire, travailler en expertavec quelqu’un d’ouvert et d’initié étaitla seule façon d’avoir une plus grandevaleur ajoutée au niveau du projet et demettre en place des façons de faire plusavancées, qui serviraient d’exemple pourle futur.

C’est ainsi que les intervenants ontchoisi de consacrer du temps à travaillerétroitement avec un des membres del’équipe projet pour expérimenter, dèsla première revue critique, la démarchenouvellement développée de « simula-tion dynamique ». Ce membre de l’équi-pe projet avait acquis une bonne expé-rience de collaboration avec l’ergonomedu projet, au travers d’interventions encorrection et en conception passées.Travailler avec lui permettait d’optimiserles chances que l’expérience soit un suc-cès et partant, qu’elle serve d’exemple etencourage les autres acteurs projet às’engager dans la simulation dynamiquedans le projet en cours comme dans lefutur.

Cependant, le modèle du transfert etde la prise en charge par les non spécia-listes sur lequel on avait beaucoup tablédepuis une vingtaine d’années compor-tait aussi ses revers. En effet, il avaitconduit à « négliger l’expertise » : la valeurajoutée des interventions menées par lesspécialistes de la prévention et de l’ergono-mie et les particularités des interventionsmenées par eux avaient été peu valorisées,formalisées et diffusées. Par exemple, la« procédure ingénierie » évoquée plushaut obligeait les concepteurs à réaliserdes revues critiques mais :

1) leur laissait la responsabilité de déter-miner si l’implication d’un spécialisteen SST ou en ergonomie était ou nonnécessaire ;

2) ne prévoyait rien d’autre dans la pro-grammation des projets, comme si letravail de ces spécialistes, en conception,se limitait à la réalisation de telles revuescritiques.

Ainsi, dans le cadre du projet, lesintervenants ont eu à composer avec lesentiment, développé par certains acteursde la conception, de pouvoir faire de l’ergo-nomie et de la SST sans spécialiste puisqu’ilsuffit d’appliquer sporadiquementquelques techniques simples. Un cerclevicieux s’était installé : les spécialistesavaient simplifié leurs savoirs et savoir-

1 faire soi-même, voire avoir recoursà plus spécialisé que soi en SST (hygié-niste industriel ou acousticien, parexemple) ou en ergonomie (ergonomespécialisé en conception de logiciels, parexemple) ;1 déléguer à des non spécialistesayant une formation ou des informationsde base (les ingénieurs concepteurs, leresponsable qualité de la firme externed’ingénierie, etc.).

Un tel dosage était possible parceque les deux types de compétencesétaient disponibles. Depuis vingt ans, lesexperts en ergonomie et en SST avaientmultiplié les activités de transfert de leursavoir-faire à l’interne et aux firmesexternes de la région (processus de pré-qualification) favorisant ainsi le consensusautour de la valeur SST, l’acquisition depratiques saines (réalisation de revuescritiques, application de normes, etc.) etle développement de compétences à l’amé-lioration des situations de travail. Ilsavaient également développé desformations et des outils d’interventionfaciles à transférer qui ont permis deformer les concepteurs des firmesexternes n’ayant jamais travaillé pourl’organisation. Étant en nombre limitépar rapport aux 700 à 1 000 concepteurs,les trois intervenants ne pouvaienttraiter tous les aspects SST et ergonomie.Doser ainsi « expertise » et « transfert àdes non spécialistes » leur a permis des’investir là où ils avaient le plus devaleur ajoutée et de faire en sorte que laSST et l’ergonomie influencent les choixde conception même en leur absence ;cette stratégie a sans aucun doute contri-bué à l’élimination de risques à la source.

Les responsabilités que se sontréservées les spécialistes et les critèrespris en compte pour arbitrer entre « fairesoi-même » ou « déléguer » ont pu êtremis en évidence [9]. L’un de ces critèresétait le degré d’expertise et d’ouverturedu non spécialiste avec lequel il fallaitcollaborer ou à qui il fallait déléguer.Or, il s’est avéré que les trois interve-nants n’associaient pas nécessairement« compétence et ouverture élevée » à« choix de déléguer ». Cela pouvaitmême être le contraire, les intervenantsvoyant là une opportunité de privilégierune action intégrée à l’ingénierie touten reconfigurant leur contexte futurd’intervention :

1 à l’échelle du projet, consacrer dutemps à quelqu’un de peu formé et deréticent n’apportait souvent pas plus que

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faire pour faciliter leur appropriation parles non spécialistes ; en retour, plusieursd’entre eux n’avaient pas développé unevision claire des compétences et de lacomplexité du travail des experts. Parexemple, certains interlocuteurs interro-gés avaient des conceptions erronées,non partagées par les spécialistes, dutype « rencontrer les travailleurs et les gensd’exploitation est le meilleur moyen d’iden-tifier les problèmes de SST et d’efficacité,leurs causes et les moyens de les résoudre »,ce qui sous-estime les compétences quel’ergonome met en œuvre pour contour-ner les difficultés que les exploitants ontà mettre en mots leur travail réel et pourétablir des liens entre les problèmes,l’activité et la conception [36, 37, 47].

Dans le cas du projet étudié ici, laculture du transfert et de la prise encharge par des non spécialistes a entreautres nui à l’élaboration d’une pro-grammation de projet réellement capa-ble de supporter la conception multi-disciplinaire. De sorte que les trois inter-venants ont perdu beaucoup de tempsà structurer la coopération souhaitéeavec les concepteurs et à se construiredes marges de manœuvre en cours deprojet. Ce temps, consacré à la stratégie« légitimer sa place », a été pris sur celuiqui aurait dû être dédié à des interven-tions « à valeur ajoutée directe ». Deplus, des compromis ont été faits là oùil n’était pas possible de légitimer saplace sauf au prix d’efforts considéra-bles ; par exemple, les spécialistes ontsouvent eu à se fier aux concepteurs bienqu’ils savaient plus avantageux, voirenécessaire, d’agir en expert.

impliqués dans d’autres types de projetsde conception et d’organisations.

Cependant, certaines limites à sonutilité et à la généralisation de ses résul-tats doivent être soulignées.

PORTÉE GÉNÉRALE DES RÉSULTATS

L’étude de cas fournit un exempleconcret de la valeur ajoutée de l’intégrationde l’ergonomie et de la SST dans les projetsde conception. Elle permet également deformuler quelques principes directeurssusceptibles d’orienter l’élaboration, pard’autres entreprises, d’une stratégie globalede gestion de la SST et de l’ergonomie.Certains de ces principes correspondentà l’état actuel des connaissances enmatière d’intégration de ces disciplines enconception, tandis que d’autres attirentl’attention sur des éléments moins présentsdans la littérature.

La valeur ajoutée de l’intégration del’ergonomie et de la SST en conception

A défaut de lui « associer un prix »,la recherche que nous avons effectuéedonne une idée de l’ampleur de la valeurajoutée par l’intégration de la SST et del’ergonomie en conception. Cette valeurest décrite en termes de risques éliminésà la source, qui n’auront jamais à êtrecompensés ou corrigés pendant le cyclede vie de l’usine. La diffusion de cesrésultats complète les efforts des troprares recherches dédiées à évaluer lesretombées économiques de l’intégrationde l’ergonomie et de la SST en conception[38 à 42]. L’ensemble de ces recherches

LES FACTEURS D’EFFICACITÉET D’INEFFICACITÉ DE L’INTÉGRATIONDE L’ERGONOMIE ET DE LA SST

Dans un processus de conception, laprise en compte de la SST et de l’ergo-nomie se heurte le plus souvent autemps, à l’argent et à la technologie, lestrois principaux régents des projets. Laplus value d’une étude de l’activité réelledes préventeurs et des ergonomes résidedans sa capacité à aller au-delà de cetteexplication rapide et répandue.

C’est ainsi que quatre catégories dedéterminants de l’activité des interve-nants ont été révélées par l’étude de caset on fait l’objet de recommandationsformulées à l’entreprise participante. LeTableau IV regroupe ces déterminantssuivant qu’ils sont relatifs à la conduitedu projet, à la place de l’ergonomie, à laplace de l’expertise ou aux liens avec lessous-traitants. On conviendra aisémentque ces déterminants débordent letemps du projet et concernent, aussi,l’organisation dans son ensemble.

PORTÉE GÉNÉRALE ETLIMITE DES RÉSULTATS

Au-delà des pistes de transformationdégagées pour l’entreprise participante,l’étude de cas présentée ici est porteused’enseignements susceptibles d’influen-cer les pratiques d’autres intervenants

Aperçu général des déterminants de l’activité des intervenants qui ont agi comme facteurs favorables et défavorables à uneaction optimale dans le projetOverview of determining factors of the professionals’ activity which were conducive or not conducive to optimal action in the project

TABLEAU IV

Catégories de facteurs déterminants Facteurs déterminants

Relatifs àla conduite de projet et à son amélioration continue h les objectifs axés sur la performance globale du projet pour l’organisation ;la possibilité d’influencer, tôt, le directeur du projet et l’exploitant ;la prépondérance de l’ingénierie au niveau de la programmation du projet ;la SST et l’ergonomie en correction et en conception pensées comme un continuum ;l’existence d’une «norme» organisationnelle en matière d’intégration de la SST et de l’ergonomie en conception ;l’existence de pratiques formalisées d’amélioration continue des projets.

Relatifs à la place de l’ergonomie h à la mise à l’épreuve des choix de conception du point de vue de la logique d’utilisationet ce, non seulement pour améliorer la prévention, mais également l’efficacité ;la distinction entre les métiers de préventeur et d’ergonome.

Relatifs à la place de l’expertise h la flexibilité pour adopter le type d’intervention (avec spécialiste ou non) ayant le plus de valeur ajoutée ;la valorisation de l’«expertise» en prévention et en ergonomie (par rapport au créneau d’intervention des acteurs d’autres disciplines initiés à ces domaines).

Relatifs aux liens avec les sous-traitants h une culture et des façons de faire partagées de longue date avec des sous-traitants ;la démarche de conception propre aux sous-traitants.

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est, selon nous, de nature à favoriser l’a-doption plus généralisée de démarchesenrichies de conduite de projets. Ellesmontrent toutes en effet que ce type dedémarches de conception cadre parfaite-ment avec les programmes à valeur ajou-tée (PVA) variés que les entreprises met-tent de plus en plus en place pour élimi-ner les activités qui ne contribuent pas àleur rentabilité.

Les principes de gestion de la SST etde l’ergonomie dans les entreprises

L’étude de cas permet de dégager desprincipes directeurs susceptibles de gui-der l’élaboration d’une stratégie globalede gestion de la SST et de l’ergonomie.Ces principes, illustrés par la Figure 5,appuient la poursuite d’objectifs de per-formance globale pour l’organisationpuisqu’ils traitent de conduite de projetsde conception, d’arrimage entre les acti-vités d’exploitation et de conception etenfin, d’équilibre à créer entre la fusiondes spécialités et l’expertise au seind’une organisation.

De par leur nature, ces principess’adressent aux préventeurs et ergonomesqui interviennent sur les situations detravail, aux responsables d’autres fonctions(ingénierie, services techniques, méthodes,etc.) et aux dirigeants des entreprises.Plus généralement, ils concernent lesorganisations, quels que soient leur secteurd’activité, leur taille, leurs ressources etleur expérience en SST et en ergonomie.Cependant, ils nous semblent être parti-culièrement pertinents pour celles quidémarrent dans ces domaines. En effet,ce sont 20 années d’expérience d’uneentreprise qui ont été examinées à lalumière des connaissances scientifiquesactuelles, notamment en conception.L’exercice permet donc d’identifier lesécueils qu’une entreprise débutante peutéviter, les « bons coups » qu’elle peutreproduire et, globalement, les moyensd’améliorer ses façons de faire en limitantles essais erreurs.

Certains de ces principes en confirmentd’autres décrits dans la littérature eningénierie simultanée, en conduitesociotechnique des projets, en TotalQuality Management et en ergonomiede conception. Ainsi en est-il de lanécessité de formuler des objectifs deprojets en termes de performanceglobale, de la mise en place d’un processusde conception renouvelé cohérent avecde tels objectifs (ce qui suppose de faireplus que de simplement impliquer desspécialistes d’autres domaines dans un

article rédigé dans la foulée de la recherchea d’ailleurs été consacré à la mémoire deprojet : les bénéfices qui peuvent en êtreattendus, les modalités de sa constitution(quoi documenter, quand, par qui), lafaçon de l’exploiter pour assurer uneamélioration effective des projets deconception et le rôle que les préventeurset ergonomes peuvent y jouer [46].Ensuite, si la littérature en conceptionmultidisciplinaire suggère souvent dedécloisonner les fonctions au niveau desprojets, elle souligne rarement l’impor-tance de les décloisonner aussi auniveau des structures permanentes del’organisation. Voilà qui présente pourtantun enjeu majeur : il s’agit entre autres dedonner aux acteurs « moins classiques »de la conception (préventeurs, ergonomes,gestionnaires ressources humaines, etc.)la possibilité de réaliser une veille straté-gique des projets afin qu’ils puissentprioriser leurs interventions en fonctiondes problématiques qu’ils ont à résoudreet qu’ils gèrent, au quotidien, au sein del’organisation. Enfin, la littérature traitede la portée et des limites de l’ergonomieparticipative en mettant l’accent sur un

processus traditionnel d’ingénierie), del’implantation d’activités d’améliorationcontinue des projets arrimant la conceptionet l’exploitation des installations et dessystèmes, de la structuration du travailen multidisciplinarité d’une manièretelle qu’il ne s’agit ni de simple cohabi-tation, ni de fusion des spécialités [42,43, 44]. Cependant, un large pan de lalittérature en conduite de projet énonceces principes en termes idéologiques ;l’intérêt de notre étude est de montrer enquoi leur mise en œuvre effective peutinfluencer concrètement les manièresde faire de ceux qui interviennent dansles projets multidisciplinaires de mêmeque les résultats qu’ils obtiennent.

Trois composantes des principesdirecteurs sont moins présentes, à notreconnaissance, dans la littérature ouencore trouvent peu d’écho dans laréalité concrète des organisations. C’estd’abord le cas de celle qui traite del’importance de disposer, au sein d’uneorganisation, d’un processus de concep-tion normalisé comme outil indispensableà l’amélioration continue des projets. Un

Principes directeurs pour une stratégie globale de gestion de la SST et del’ergonomie au sein d’une organisationGuiding principles for a global OHS and ergonomics management strategy within anorganization

FIGURE 5

• objectifs de performance globale • processus cohérent avec les objectifs

• processus normalisé • amélioration continue

• encadrement des services externes d’ingénierie • modification progressive des

façons de faire

Conduite des projets de conception

• connaissances sur l’existant pensées pour orienter la conception

• conception structurant les activités futures d’exploitation

• décloisonnement entre projets et exploitation et entre services techniques et

ressources humaines

Articulation exploitation/conception

• en ergonomie • en SST

Équilibre expertise/prise en

charge par des non spécialistes

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volet, celui du degré d’appropriationpossible par les non spécialistes desoutils et des compétences d’interventiondes ergonomes (analyse de l’activité,mise en évidence des repères de concep-tion, accompagnement des transforma-tions, etc.) [47]. Ce faisant, elle n’abordequ’indirectement les écueils, révélés parl’étude de cas, d’une stratégie organisation-nelle qui serait trop fortement basée sur lemodèle sous-jacent à l’ergonomie partici-pative, à savoir celui du transfert et de laprise en charge.

LIMITES DES RÉSULTATS

L’activité mise en œuvre par lesdeux préventeurs et l’ergonome dans lecadre du projet de conception de l’usinen’a pas été étudiée dans sa totalité : lesphases postérieures à l’ingénierie détaillée(appels d’offre, construction, vérificationspré-opérationnelles et démarrage) n’ontpas été documentées. En ce qui a traitaux phases antérieures, une analyse entemps réel plutôt qu’a posteriori auraitpeut-être permis une modélisation encoreplus détaillée; cela n’invalide cependanten rien les résultats de l’étude de cas.

Par ailleurs, l’activité analysée dansle cadre de la présente recherche est celled’un groupe spécifique d’intervenants, dansle cadre d’un projet de conception précis,mené au sein d’une seule entreprise. Cettesingularité est susceptible d’exposer à lacritique les enseignements généraux quiviennent d’être exposés. Cependant,cette limite à la généralisation demeurerelative puisque le programme derecherches repose sur une accumulationd’études de cas et sur une mise à profitdes connaissances scientifiques issuesd’autres sources. Dans de telles condi-tions, la pratique professionnelle ne peutêtre considérée comme relevant dugénie individuel et il apparaît, de fait,possible de dégager d’une situation don-née, des caractéristiques générales et desenseignements qui transcendent laspécificité du cas étudié.

Enfin, la recherche révèle deuxpistes pour modifier le contexte detravail des ergonomes et des préventeurspour lesquelles elle ne peut fournird’indications et de moyens concrets d’yparvenir. D’une part, elle côtoie le champde la transformation organisationnelle,un créneau que l’analyse ergonomiquene peut prétendre occuper : la mise enœuvre de telles transformations relèventplutôt des démarches propres à la sociolo-

déployées en contexte de conception. Enparticulier, il faudrait identifier desleviers d’action assurant que les gainsréalisés à l’occasion d’interventions sin-gulières s’actualiseront dans les pratiquesfutures. De même, il serait intéressant demieux comprendre comment arrimerles pratiques ponctuelles des projets àcelles de « l’organisation permanente ».En effet, la dynamique sociale qui semanifeste et qui est construite le tempsdu projet déroge à un principe central,considéré comme « naturel » dans l’orga-nisation traditionnelle : celui de la hiérar-chie (structure linéaire), qui incarne la forcede l’autorité (le responsable hiérarchiqueévalue et peut sanctionner) de même que lanécessité d’une coordination (le responsablehiérarchique tranche les juridictionsentre les départements et fait le lienentre ceux-ci). Dans le cas des projets deconception multidisciplinaire et matri-cielle, la logique de coordination seraitdifférente [50] : les projets regroupent desexpertises professionnelles variées pro-venant de différents départements ; lesacteurs projets partagent un statut équi-valent sur le plan formel, sauf pour lechef de projet ; l’autorité formelle, la hié-rarchie et la conception verticale de l’en-cadrement, sans avoir disparu, cohabitentavec d’autres principes de fonctionnement,plus proches de la réciprocité des échan-ges sociaux et de la confiance.

Par ailleurs, la recherche indiquecombien il est nécessaire d’en savoirplus sur l’activité réelle des ingénieursconcepteurs. Cet axe de recherche n’estpas nouveau [4, 16, 19]. Cependant,l’étude de cas pointe l’intérêt de sepencher sur le cas particulier de ceux quioeuvrent au sein des firmes de génieconseil. De plus, elle soulève desquestions jusqu’ici peu abordées tellesque : comment les concepteurs externess’y prennent-ils pour prendre en comptel’utilisateur et minimiser l’impact de« la distance organisationnelle » qui sépareconception et exploitation ? Ou encore, sion tient compte de la particularité de la pra-tique du génie en contexte québécois, com-ment arbitrent-ils entre « être responsable »des conséquences de l'exécution de leurstravaux sur l'environnement et sur la vie, lasanté et la propriété de toute personne [51] et« être capable » d’évaluer ces conséquenceset d’y remédier ? En prolongement, dansquelles circonstances consultent-ils desspécialistes de la prévention et de l’ergo-nomie ou, au contraire, décident-ils de« faire eux-mêmes » ? Répondre à de tel-les questions contribuerait à cibler destransformations souhaitables, entre

gie des organisations et au management[48]. Or, si les ergonomes ont, à ce jour,formalisé des moyens d’agir en collabora-tion avec les concepteurs techniques –ingénieurs, architectes et informaticiens –,ils ont beaucoup moins développé lesmodalités d’interventions conjointesavec les concepteurs « organisationnels »[49, 50]. D’autre part, l’étude de cas sou-lève, avec d’autres [31], la nécessité demettre en place des conditions singuliè-res pour supporter la mise en œuvre deréelles pratiques multidisciplinaires lorsquela conception est confiée à l’externe plu-tôt que réalisée à l’interne. Ces condi-tions concernent la gestion de la relationde services : insérer certaines obligationsdans le contrat, repenser la compositiondu jury de sélection des firmes, prévoirdes rendez-vous pour évaluer les servicesrendus en cours de projet, etc. Cependant,là encore, ce type de transformationsnécessite d’agir dans une arène pluslarge que celle décrite et expliquée parla recherche, soit celle de la pratique desingénieurs conseils et de ses détermi-nants organisationnels.

CONCLUSION GÉNÉRALEET PERSPECTIVES DERECHERCHE

Dans notre programme de recher-ches, l’analyse ergonomique d’activité estappliquée aux pratiques professionnellesdes acteurs oeuvrant à la modernisationet à la conception d’installations, d’équi-pements et de systèmes de travail et deproduction. Notre objectif est de faireémerger les déterminants de ces pratiquesde même que leurs effets. Il s’agit demieux comprendre les facteurs favorablesou non à la prise en compte de l’utilisation(à l’opération comme à la maintenance)dans la conception des situations de travail,afin d’en améliorer l’efficacité et la sécurité.L’étude de cas exposée ici ouvre aumoins deux perspectives de recherchesintéressantes.

D’abord, l’analyse ergonomique pour-rait être avantageusement enrichie desapproches proposées par des disciplinescomme la sociologie et le managementdes organisations. Il s’agirait alors denous donner les moyens de jouer dansl’arène de la dynamique organisationnellequi détermine les pratiques des acteurs,y compris mais pas seulement, celles

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autres, au niveau organisationnel (à lafois pour les firmes de génie conseil etles entreprises qui retiennent leursservices) et à celui de la formation engénie (de manière à équilibrer les pointsde vue technocentristes et humains).

Ce sont là deux voies de recherchesuffisamment importantes pour quenous décidions de nous y investir : elles

Révisé le : 06/06/2006Accepté le : 25/09/2006

Remerciements : L’auteur principal tient à remercier leprofesseur Alain Vinet, du départementdes relations industrielles del’Université Laval, pour sa méticuleuserelecture et ses précieux commentaires.

sont en effet au cœur de la quatrièmeétude de cas, déjà en cours, réalisée dansle cadre du programme de recherchesexposé à la deuxième partie [14]. Cela va desoi, l’équipe de recherche, multidiscipli-naire, mettra à contribution l’ergonomie,la sociologie des organisations, l’ingénierieet l’éthique appliquée.

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