gérôme taillandier: structure du déni de castration

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7/28/2019 Gérôme Taillandier: Structure Du Déni de castration http://slidepdf.com/reader/full/gerome-taillandier-structure-du-deni-de-castration 1/3  STRUCTURE DU DENI DE REALITE Choix d’objet narcissique, 10 Freud a introduit pour rendre compte de la perversion en tant que distincte des autres structures le terme de déni (Verleugnung). Si tout le monde est bien d’accord sur ce terme, le brouillard le plus dense règne sur le sens exact de ce mot. Autant Freud a éclairé de sa formule célèbre la dénégation ( Verneinung) : « Vous allez me dire que c’est ma mère, mais ce n’est pas ma mère », autant le terme de déni reste peu clair, éclairé seulement dans la nuit par un certain brillant sur le nez, et la certitude que le déni de réalité consiste en somme à nier la castration maternelle, ce qui semble échapper à beaucoup d’intellectuels distingués. Fort de ces évidences, j’ai pensé que le meilleur pot pour faire mijoter cette vieille soupe était le vieux pot de la distinction moi-plaisir/moi-réalité. Un jeune homme en état de déshérence familiale, après une bonne suite d’intoxications à diverses drogues destinée à lui faire perdre le sens de son identité, se retrouve sans argent, à vouloir offrir des accessoires coûteux à sa petite amie. Les parfums ont un prix, et cette amie est tout heureuse de recevoir ces cadeaux, mais s’étonne de leur p rovenance. Le jeune homme lui avoue qu’ils sont tombés du camion, mais cela ne lui pose pas de problèmes : les commerçants sont tous des voleurs et par conséquent, voler les voleurs est une bonne action. On connaît la chanson. Une analyse simple de la situation montre alors ceci : le moi-plaisir de ce garçon soutient la formule : « ce sont tous des voleurs ». Mais son moi-réalité n’a pas pour autant disparu, et lui rappelle la chansonnette : « Je suis un voleur », ce que le moi-plaisir n’a pas envie d’entendre… 

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7/28/2019 Gérôme Taillandier: Structure Du Déni de castration

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STRUCTURE DU DENI DE REALITE

Choix d’objet narcissique, 10 

Freud a introduit pour rendre compte de la perversion en tant que distincte des

autres structures le terme de déni (Verleugnung). Si tout le monde est bien

d’accord sur ce terme, le brouillard le plus dense règne sur le sens exact de ce

mot. Autant Freud a éclairé de sa formule célèbre la dénégation (Verneinung) :

« Vous allez me dire que c’est ma mère, mais ce n’est pas ma mère », autant le

terme de déni  reste peu clair, éclairé seulement dans la nuit par un certain

brillant sur le nez, et la certitude que le déni de réalité consiste en somme à

nier la castration maternelle, ce qui semble échapper à beaucoup

d’intellectuels distingués.

Fort de ces évidences, j’ai pensé que le meilleur pot pour faire mijoter cette

vieille soupe était le vieux pot de la distinction moi-plaisir/moi-réalité.

Un jeune homme en état de déshérence familiale, après une bonne suite

d’intoxications à diverses drogues destinée à lui faire perdre le sens de son

identité, se retrouve sans argent, à vouloir offrir des accessoires coûteux à sa

petite amie. Les parfums ont un prix, et cette amie est tout heureuse de

recevoir ces cadeaux, mais s’étonne de leur provenance. Le jeune homme lui

avoue qu’ils sont tombés du camion, mais cela ne lui pose pas de problèmes :

les commerçants sont tous des voleurs et par conséquent, voler les voleurs est

une bonne action.

On connaît la chanson.

Une analyse simple de la situation montre alors ceci : le moi-plaisir  de ce

garçon soutient la formule : « ce sont tous des voleurs ». Mais son moi-réalité 

n’a pas pour autant disparu, et lui rappelle la chansonnette : « Je suis un

voleur », ce que le moi-plaisir n’a pas envie d’entendre… 

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Comment résoudre ce cruel dilemme ? Une seule solution : en volant les

voleurs, la réalité s’efface  devant le plaisir de l’autre personne et devant la

figure héroïque du redresseur de tort, du voleur au grand cœur, du Robin des

bois de supermarché : le narcissisme secondaire sort tout regonflé de cette

brillante action, d’autant qu’après tout, la petite amie ne refuse pas le parfum… 

Devant la difficulté psychique de concilier ces deux versants du

fonctionnement, il y aurait bien une solution simple : couper la réalité

psychique en deux et se débarrasser d’une des deux moitiés.

Malheureusement, ce n’est pas possible, et notre garçon est donc obligé de

laisser coexister ces deux termes du moi-plaisir et du moi-réalité. Comment

traiter la question ? En la clivant : les deux moitiés du problème sont soumises

à un clivage (Spaltung des Ichs) qui laisse subsister un lien étrange entre les

deux aspects du problème traité. La Spaltung ne sépare pas les deux moitiés du

Je, mais les articule d’une façon telle qu’elles ne puissent jamais se rencontrer.

Il y a mieux.

L’acte pervers  relie ces deux versants de la réalité. En accomplissant l’acte

pervers, le sujet a la nette sensation qu’il agit pour le bien et par conséquent

pour le plaisir, reliant ainsi la réalité au plaisir, puisque l’autre est l’incarnation

de la partie inassumable du sujet. L’acte pervers, le déni de castration, a donc

pour fonction de cautionner la Spaltung en donnant le sentiment d’une liaison

entre plaisir et réalité.

Naturellement un tel mode de fonctionnement a ses précurseurs, et on les

cherchera dans la fonction du père.

Les lecteurs n’étant pas supposés nés de la dernière pluie, sont censés être au

courant de la fonction paternelle chez l’être humain car cet article n’y est pasconsacré.

Nous avons affaire à des cas sur lesquels la discrétion oblige à rester silencieux

pour ne pas donner une description plus précise des comportements paternels

à l’endroit de ces enfants. On dira donc simplement que ces enfants ont été

laissés seul à seul avec des pères au comportement nettement

maniacodépressif, sans pouvoir entrer dans les détails.

Que peut faire un enfant dans ces conditions ?

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Pour un enfant, son père est son père, et il ne peut avoir le recul qu’il faut pour

pouvoir analyser sa pathologie. Seuls quelques enfants très doués peuvent se

dire qu’on s’est sûrement trompé de famille en leur donnant ça pour y vivre, et

pour avoir la nette sensation de ne pas être tombé au bon endroit.

Mais dans le cas ordinaire, le rapport du moi-plaisir au moi-réalité impliqué

dans l’amour du père est soumis à de telles difficultés d’interprétation pour

l’enfant, que celui-ci ne peut distinguer le vrai du faux, le pathologique du

proprement paternel, dans les comportements de son père, qu’il cherche donc

à protéger pour défendre en soi-même la fonction paternelle. Il va en résulter

que, garçon ou fille, la fonction paternelle est soumise à une distorsion du

même ordre que la Spaltung : le moi-plaisir ne s’accorde pas au moi réalité, et 

ils sont donc clivés dans le comportement imputé au père, et dans celui que

l’enfant doit mettre en place pour sauver les meubles de sa propre exigence de

fonction paternelle.

Spaltung et Verleugnung, clivage et déni de réalité, c'est-à-dire de castration,

sont donc une seule et même chose liée à la perturbation de l’interprétation

de la fonction paternelle par l’enfant. 

On devine que ce processus va avoir de profonds retentissements dans la

construction du choix d’objet et mener tout droit à une forme ou une autre

de choix d’objet narcissique.