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Les Années courte échelle Itinéraire d’un poulbot en Franche-Comté 1955-1964 Gérard Bertin

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Les Années courte échelle

Itinéraire d’un poulbot en Franche-Comté

1955-1964

Gérard Bertin

12.36 580366

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 148 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 10.14 ----------------------------------------------------------------------------

Les Années courte échelle Itinéraire d’un poulbot en Franche-Comté 1955-1964

Gérard Bertin

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À Geneviève, Nos enfants et petits-enfants, Frères et sœurs Tous ceux qui m’ont fait la courte échelle, Tous les amis…

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Petits poulbots…

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C’est la faute à Voltaire si j’suis tombé par terre !

Le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau !

Je ne suis pas notaire…

Victor Hugo. Les misérables.

Lorsque nous quittons Paris, Bernard, mon petit frère, a quatre ans et moi je viens d’avoir neuf ans. Nous sommes supposés partir pour la durée des grandes vacances d’été de l’année 1955.

Comme d’autres petits Parisiens pas trop favorisés par l’existence, et pour cette raison confiés aux bons soins de la Croix rouge Française de Sartrouville, nous devons rejoindre par le train de nuit la ville de Pontarlier où nous sommes attendus au siège de la structure locale, au numéro 5 de la grande rue.

Maman, Papa, et Denise notre sœur nous accompagnent au départ du train, Gare de Lyon. De l’intérieur du compartiment, par la glace abaissée, nous faisons nos adieux. Bernard, penché au-dehors

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et tenu par la jeune assistante qui nous a pris en charge, dit :

« Au revoir maman… à demain ! »

Il ne la reverra pas… ou si peu que bien des années plus tard il me confiera qu’il ne lui restait aucun souvenir. Aujourd’hui, tu es parti toi aussi. Tu me manques frérot… il nous restait tant de choses à rattraper et nous venions juste de nous y mettre.

« Celui qui vient à disparaitre, Pourquoi l’a-t-on quitté des yeux ?

On fait un signe à la fenêtre, Sans savoir que c’est un adieu. »

« Nul ne guérit de son enfance », Jean Ferrat.

Nous sommes tous deux nés à Puteaux, ville que nous quitterons très vite. C’est sur un quartier du 18e arrondissement que nous ouvrons vraiment les yeux sur le monde qui nous entoure, un monde peuplé d’adultes nombreux qui vont, viennent. Il y a beaucoup de vie, de bruit, et d’agitation dans ce petit appartement. Les nuages s’amoncellent au-dessus de nos têtes et nous sommes bien loin de nous douter que notre vie va basculer et notre famille éclater.

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Rue Calmels

De ces années cinquante, au bas de la butte Montmartre, il me reste quelques souvenirs. Mon terrain de jeux s’étendait entre la rue Montcalm et la rue du ruisseau. La rue Calmels où nous habitions constituait la base de ce triangle et la frontière à ne pas dépasser. En digne Poulbot, j’enfreignais aussi souvent que possible les consignes de mes sœurs dont la surveillance se relâchait.

Très attiré par les affiches du cinéma Montcalm aux gouaches rutilantes, par ses photos de films en vitrine où cow-boys et indiens se disputaient la vedette, poteaux de tortures, chariots en feu, duels nourrissaient mon imagination.

Revêtu de ma panoplie de Kit Carson, armé de mon pistolet à amorces et de ses munitions (que l’on trouvait en rouleaux, qui défilaient sur la rotation du barillet, et claquaient à la percussion, apportant ainsi du réalisme à l’action), j’osais alors des reconnaissances rue Ordener, en de longues chevauchées.

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Mes ainés, quand ils étaient fortunés, m’emmenaient quelquefois aux séances de cinéma du quartier.

Ainsi à l’âge de neuf ans j’avais déjà vu :

• L’homme des vallées perdues de Georges Stevens (1953)

• Le train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952) • La flèche et le flambeau de Jacques Tourneur (1950) • La Rivière sans retour d’Otto Preminger (1954)… Là, ça ne s’invente pas ! Quand vous découvrirez

le nom du village d’accueil franc-comtois où nous allons être placés, et notre devenir…

De longues promenades d’après-midi permettaient l’ascension de la Butte Montmartre. Où, là, équipé de patins à roulettes à la pointure démesurée, aux attaches de bouts de ficelles pour remplacer les courroies depuis longtemps perdues, je m’essayais à parcourir les terrasses du Sacré-Cœur.

Les jours de grande fortune, Denise, ma sœur, m’offrait ce que l’on appelait abusivement un cerf-volant. Trois rubans de papier crépon multicolores reliés à un petit sachet de sable, le tout équipé d’un bout de ficelle d’un mètre environ qui permettait de faire tournoyer l’objet afin de le lancer au plus haut dans les airs. Les rubans produisaient à la descente le plus bel effet. Beaucoup de ces engins volants terminaient leurs vols sur les balcons, les arbres, ou derrière des murs à la hauteur infranchissable.

Le retour était l’occasion de nombreuses glissades à

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califourchon sur les rampes métalliques des nombreux escaliers de ce versant de la Butte. La position adoptée avait son importance, Califourchon ou à plat ventre. Il fallait veiller à ce que les vêtements protègent la peau des cuisses de brûlures de frottement.

Si le temps nous était compté, notre destination était alors plus proche. Le petit square Clignancourt et son kiosque nous offraient ses allées circulaires le temps d’une brève promenade. Proche de la mairie, la rue du Poteau accueillait le marché où mon père et moi allions faire les courses et acheter de quoi cuisiner le gratin aux pommes de terre du dimanche midi.

Notre famille était une famille nombreuse de l’époque. Sept enfants vivants, ma sœur Jacqueline étant décédée trois jours après sa naissance. Le premier enfant, pour reprendre la formule de l’état civil du livret de famille, c’est Marie-Louise, l’ainée, la grande, que je voyais très rarement. Douze années nous séparent. Elle avait alors gagné son indépendance.

Puis, Pierrot, le marin de Toulon dont j’entendais parler, mais que je ne voyais jamais.

Jacques, de lui, un peu plus de souvenirs le judo, les copains à moto. Il avait à arbitrer assez souvent les conflits de famille et séparait avec réussite les « belligérants ».

Denise a quinze ans, très responsable et dévouée. Aujourd’hui on dirait « elle assurait » : tenue de la maison, ménage, linge, repas, la garde et la surveillance des deux plus jeunes.

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Danielle, qui a treize ans, était encore scolarisée. Jacqueline me précédait d’un an. Je suis né le 25 avril 1946 à Puteaux, au

numéro 14 du boulevard Winston Churchill, à deux pas de la grande Arche et du parvis de la Défense.

Bernard, mon compagnon d’exil, va naître cinq ans plus tard en 1951.

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Puteaux

Tout ce monde vivait là, dans un pavillon confortable, orné sur son entrée d’un superbe acacia aux fleurs très jaunes. Un hangar mitoyen à la maison abritait quantité de bidons et de fûts multicolores. De belles soirées nous réunissaient autour de la table auprès de l’acacia. Rien ne laissait présager alors la catastrophe des années à venir.

Nos parents géraient à cette adresse un dépôt de la BP British des pétroles. Papa était un homme de petite taille à l’allure sévère, le plus souvent vêtu d’un costume cravate et d’un pardessus à la poche intérieure pleine de nombreux crayons ou stylos. Il parlait peu et autoritairement, derrière des lunettes à la monture sombre, la bouche ornée en permanence d’une énorme gitane maïs.

Il exerçait à ce moment-là la profession d’expert-comptable. Sa famille venait du Morvan, du petit village de Moulin en Gilbert. Des ruraux qui exploitaient là, en des temps reculés, des carrières de

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terre aux fins de fabrication de tuiles pour la construction. Cette famille va au fil du temps se déplacer vers l’Oise. Migration des nourrices au service de la bourgeoisie parisienne ? Exode campagnard au profit de la ville ? Certains, oncles et tantes, perpétueront la tradition agricole aux environs d’Hérimoncourt et Génicourt.

Maman, elle, très douce et affectueuse, me protégeait souvent des courroux paternels. Correspondancière, elle arrivait de la ville de Bordeaux où elle était née, rue des Ayres. Fille unique d’une famille de Menuisiers prestigieux, depuis des générations. Compagnons du tour de France pour ce qui concerne :

CAZAUX Théophile dit « Landais » « Le soutien du devoir de Liberté. »

« De la sainte Anne à la Noël » Fait compagnon fini en la loge de Nîmes en 1873.

Après le décès de mon père, mes frères et sœurs retrouvés, ils m’ont confié en « garde-héritage familial » un bien très précieux. C’est en réponse à mes multiples questions que je me suis vu remettre cet objet qu’ils appelaient une écharpe de curé ! Il s’agissait en fait de l’écharpe de Compagnon fini, de mon illustre aïeul.

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1 – Echarpe compagnonnique

Cet objet va me faire voyager, au propre et au figuré, sur les traces de cet ancêtre bordelais. Lectures, investigations, rêves, recherches historiques et spirituelles vont enrichir un esprit curieux du passé familial et avide de découvertes. Tout cela va combler un vide, une absence d’histoire.

Je vais dévorer les écrits sur les Compagnons du Tour de France.

« Ils voyageaient la France. » de : BARRET et GURGAND. Ouvrage passionnant qui décrit la vie et les traditions compagnonniques au 19e siècle.

« Mémoires d’un Compagnon. » de : Agricol PERDIGUIER.

• Visite du musée des chefs d’œuvres et autres objets de cette confrérie à Tours. Avec le secret espoir de retrouver là quelques traces du « Landais », mais en vain. J’apprendrai plus tard par les services d’état civil de la Mairie de Bordeaux ville berceau de cette famille Cazaux, que pendant la Deuxième Guerre mondiale les membres connus des ordres compagnonniques et maçonniques, furent, avec les juifs et les gitans déportés.

Il reste toutefois, rue des Ayres où est née ma maman et où professaient mon grand-père et mon arrière-grand-père, des ornements de façades aux symboles de ces sociétés d’initiés. Ce n’est pas sans émotion que le jeune « loup », nom et qualité